LA

VOCATION SACERDOTALE

Traité Théorique et Pratique

par le

Chanoine Joseph LAHITTON

Docteur en Théologie

Professeur de Dogme

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CINQUIÈME ÉDITION

 

 

Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo. (Hebr. V. 4).

Vocari autem Deo dicunlur qui a egitimis Ecclesiæ ministris vocantur

(Catech. Conc. Trid : Ordine.)

 

 

 

Gabriel BEAUCHESNE et ses FILS

Éditeurs à PARIS, Rue de Rennes, 117

MCMXXII

 

 

 

 

Nihil obstat. 19 Septembris 1931

J.-B. DUMAS,

Rector Maj. Seminarii

Imprimatur.

Poyanne, die VIIIa Decembris, 1931

CLÉMENS,

Ep. Aturensis

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

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La première édition de cet ouvrage a suscité dans te monde catholique des discussions qui ont duré trois ans.

Elle a eu aussi l'avantage de provoquer deux documents pontificaux : l'un a précédé la controverse, l'autre a voulu en donner la conclusion officielle.

Nous plaçons ces deux paroles de Rome en tête de cette édition nouvelle, heureux de la présenter an public sons un si haut patronage.

 

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Lettre de S. E. le cardinal Merry del Val

à Mgr Touzet, évêque d'Aire

 

Segretaria di Stato Dal Vaticano,

di Sua Santità 6 septembre 1909.

 

 

Monseigneur,

En réponse à la lettre de Votre Grandeur, le Saint Père me charge de vous adresser, comme témoignage de sa haute satisfaction, la lettre ci-jointe pour M. le chanoine J. LAHITON, et de vous dire combien l'hommage du livre sur La Vocation Sacerdotale a été agréable à Sa Sainteté.

Le Saint Père est heureux de voir que cet ouvrage qui possède bien des mérites, et qui semblé appelé à faire un grand bien, a été entrepris sous les auspices de Votre Grandeur.

C'est de tout cœur que Sa Sainteté, comme gage de son entière bienveillance, vous envoie la Bénédiction Apostolique ainsi qu'au clergé et aux fidèles de votre diocèse.

Je saisis cette occasion pour renouveler à Votre Grandeur l'expression de mes sentiments très dévoués en Notre Seigneur.

R. Gard. MERRY DEL VAL.

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Lettre de S. E. le Cardinal Merry del Val

à M. le Chanoine Lahitton

 

Segretaria di Stato Dal Vaticano,

di Sua Santità 6 septembre 1909.

 

Monsieur le Chanoine,

Le Saint Père a agréé avec une particulière bienveillance l'hommage du volume que vous avez fait remettre à Sa Sainteté.

Encouragé par Monseigneur votre Evêque vous vous efforcez de mettre en lumière, dans une synthèse rapide, mais claire et précise, la pure doctrine de l'Eglise concernant la vocation sacerdotale.

Aucun sujet ne peut tenir à cœur davantage au Saint Père, dont la sollicitude, comme vous le rappelez avec une filiale déférence, s'est toujours portée d'une manière spéciale sur le recrutement du clergé et sa formation à la sainteté, recommandent aux évêques de

et de ne choisir pour les appeler à l'honneur du sacerdoce que ceux qui sont véritablement aptes à en remplir les augustes fonctions.

Pour développer efficacement cette aptitude ou idonéité, les Supérieurs et Directeurs de Séminaire sauront appliquer avec soin leurs élèves à une rigoureuse formation intellectuelle, par l'usage constant de la langue latine et par l'étude approfondie de la philosophie scolastique, ainsi qu'à une discipline morale féconde par l'habitude d'obéir, avec des vues surnaturelles et un empressement filial, aux avis et aux indications de l'évêque, gardien de la foi et modérateur de l'action.

Sa Sainteté se plaît donc à louer votre zèle éclairé et à faire des vœux pour que votre ouvrage produise de très heureux fruits et contribue à donner à votre pays des prêtres de grande science et de haute vertu : un clergé d'élite est le salut d'une nation.

Comme gage de son entière bienveillance, le Saint Père vous envoie de tout cœur la Bénédiction Apostolique.

Veuillez agréer en même temps, Monsieur le Chanoine, avec mes remerciements pour l'exemplaire que vous m'avez gracieusement fait remettre, l'expression de mes sentiments bien dévoués en Notre-Seigneur.

R. Card. MERRY DEL VAL.

(Acta Apost., Sedis, 15 oct. 1909).

 

 

JUGEMENT OFFICIEL

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Lettre à Mgr de Cormont, évêque d'Aire

 

Segreteria di Stato Dal Vaticano,

di Sua Santità 1er Julliet 1912.

 

Monseigneur,

En raison des dissensions qui se sont produites à l'occasion du double ouvrage du Chanoine Joseph LAHITTON sur " LA VOCATION SACERDOTALE " et de l'importance de la question doctrinale y soulevée, Notre Très Saint Père le Pape Pie X a daigné nommer uns Commission spéciale d'Eminentissimes Cardinaux.

Cette Commission, après avoir mûrement examiné les arguments en faveur de l'une et de l'autre thèse, a prononcé, dans sa réunion plénière du 20 juin dernier, le jugement suivant :

 

Opus praestantis Viri, Josephi Canonici LAHITTQN,

cui titulus " LA VOCATION SACERDOTALE ",

nullo modo reprobandum esse ;

 

imo, qua parte adstruit :

1°) Neminem habere unquam jus ullum ad ordinationem antecedenter ad libéram electionem Episcopi.

2°) Conditionem, quæ ex parte Ordinandi débet attendi, quæque Vocatio sacerdotalis appellatur, nequaquam consistere, saltem necessario et de lege ordinaria, in interna qaudam adspiratione subjecti seu invitamentis Spiritus Sancti, ad sacerdotium ineundum.

3°) Sed econtra, nihil plus in Ordinando, ut rite vocetur ab Episcopo, requiri quam rectam intentionem simul cum idoneitate in iis gratiæ et naturæ dotibus reposita, et per eam vitæ probitatem ac doctrinæ sufficientiam comprobata, quæ spem fundatam faciant fore ut sacerdotii munera recte obire ejusdemque obligationes sancte servare queat :

esse egregie laudandum (1).

Sa Sainteté, Pie X, a pleinement approuvé, dans l'audience du 26 juin, la décision des Eminentissimes Pères, et Elle me charge d'en donner avis à Votre Grandeur qui voudra bien la communiquer à son sujet, M. le Chanoine Joseph LAHITTON, et la faire insérer, ex integro, dans la " Semaine Religieuse " du Diocèse,

Je prie Votre Grandeur, Monseigneur, d'agréer l'assurance de mes sentiments très dévoués en Notre-Seigneur.

R. Gard. MERRY DEL VAL.

(Acta Apostolicœ Sedis, 15 juillet 1912).

 

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(1) On trouvera la traduction de ce jugement plus, p. 19.

 

 

 

 

 

Attestat de revision par mandat

de la Commission Cardinalice

 

Infrascriptus, archiepiscopus X..., secretarius Commissionis Cardinaliciæ, cui munus demmandatum fuerat opus examinandi " LA VOCATION SACERDOTALE " Rdi Dni Josephi Canonici Lahitton : præsentium virtute litterarum declarat revisionem operis prælaudati fuisse peractam a duabus ex officio selectis, videlicet R. R. mis X... et X..., prout ex authenticis attestatis, Emo Cardinali Secretario Status S. S. mi Domini Nostri consignatis, plane constat ; ideoque nihil prorsus obstare quominus præmemoratus Canonicus Josephus Lahitton alteram eximii Operis sui Editionem publici juris facere queat.

URBIS, die 29 Januarii 1913, in festo S. Francisci Salesii Doctoris.

N.-B. — La revision dont il est question ci-dessus s'applique à l'ouvrage tout entier à partir du n° 28.

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Nouveau Suffrage Pontifical

 

A l'hommage qui lui fut adressé de la nouvelle édition, Sa Sainteté Pie X a daigné faire la réponse suivante, résumé et couronnement des déclarations que l'on vient de lire :

 

Segretaria di Stato Dal Vaticano, 7 Giugno 1913.

di Sua Santità

N° 64,703.

 

 

Monsieur le Chanoine,

Le Souverain Pontife, Pie X, vous remercie de l'hommage filial que vous lui avez fait de la nouvelle édition de votre ouvrage sur la VOCATION SACERDOTALE, et vous confirme à cette occasion les félicitations qu'il vous avait adressées lors de la première apparition de votre docte travail.

Déjà l'année dernière, Sa Sainteté avait pleinement approuvé la décision prise, le 20 juin 1912, par les Eminentissimes Cardinaux spécialement chargés d'examiner la question doctrinale soulevée par la publication de votre livre.

En relevant le mérite de cette magistrale étude, la Commission Cardinalice signalait avec éloge les points importants du concept traditionnel de l'Eglise, mis par vous en lumière.

Après avoir pris connaissance de la présente édition, le Saint Père vous félicite de nouveau d'avoir rendu un service important à la cause de la pure doctrine, et, comme gage de Son entière satisfaction, vous accorde de tout cœur la Bénédiction Apostolique.

Avec mes félicitations et mes remerciements personnels, veuillez recevoir, Monsieur le Chanoine, l'assurance de mes sentiments bien dévoués en Notre-Seigneur.

R. Gard. MERRY del VAL.

 

Monsieur le Chanoine LAHITTON

Professeur au Grand Séminaire POYANNE

N.-B. — Cette lettre a paru dans les Acta A. Sedis du 30 juin 1913.

 

 

PRÉFACE

Cet ouvrage, comme le titre l'indique à bien pour objet la vocation sacerdotale.

Sans doute, il ne serait pas difficile d'y trouver des principes généraux qui s'appliquent, tout aussi exactement aux autres états de vie, et, plus spécialement, à la profession religieuse (1). Néanmoins, c'est directement de la vocation Sacerdotale que l'on a eu dessein de parler.

Elle y est considérée à deux points de vue : — selon qu'elle signifie les dispositions intérieures des sujets par rapport à la carrière ecclésiastique : c'est la signification plus usuelle, mais purement matérielle du mot ; — ou selon qu'elle désigne l'appel proprement dit, l'invitation officielle et divine à entrer dans le sacerdoce : c'est l'acceptation théologique et formelle.

De cette distinction nettement saisie dépend, pour une bonne part, la solution du problème ardu et délicat abordé dans ce livre.

La théorie qui s'y trouve exposée ne voudrait avoir d'autre mérite que de revenir, en matière de vocation sacerdotale, à la très pure doctrine de l'Eglise. Elle est contenue en germe dans ces deux paroles, que nous rappellerons à chaque instant :

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(1) On nous a demandé d'indiquer les passages où se trouvent les principes applicables à la vocation religieuse. Ils sont épars ici et là ; mais nous signalons volontiers les numéros 48-63 ; 71-86 ; 397-406 et, plus instamment, les numéros 250-255 ; 397-407.

 

 

Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron (Hebr. V. 4).

Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. (Cat. Conc. Trid. De Ordine).

Ces pages, dont la doctrine, prudemment pratiquée, semble de nature à repeupler les Séminaires avec des candidats d'élite, et à promouvoir l'honneur de l'ordre sacerdotal, ad ecclesiastici ordinis decorem promovendum :

nous les offrons :

à Jésus-Christ, Souverain Prêtre ;

à Marie, Reine du Clergé ;

à Saint-Joseph, Patron de l'Eglise universelle.

 

 

 

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

§ I. — HISTORIQUE DE LA QUESTION.

 

1. — La question soulevée. Cet ouvrage a une histoire et qui vaudrait d'être racontée en détail. Pour l'instant, en voici les grandes lignes.

La première édition, publiée vers le milieu de l'année 1909, n'était qu'une ébauche, brossée à grands traits rapides ; elle n'en fit pas moins grande sensation.

En quoi consiste exactement la vocation sacerdotale ? Voilà la question qu'elle posait. Et, de ce problème, aussi grave que délicat, elle donnait, en termes vifs, pas assez nuancés — péchés de jeunesse ! — une solution inattendue, qui heurtait, sans ménagement aucun, des habitudes de pensée et de langage fort répandues.

" La vocation vient de Dieu par l'évêque. C'est revécue qui appelle au nom de Dieu. Avant le choix de l'évêque, pas d'appel divin à chercher dans le sujet : en celui-ci on ne peut trouver que des dispositions plus ou moins prononcées pour le sacerdoce : pure vocabilité, vocation en puissance, simple idonéité. — La vocation en acte, ou L'APPEL DIVIN, c'est l'évêque qui la DÉFÈRE, qui la DONNE, qui la CRÉE. "

L'émotion du grand nombre tomba dès que certaines équivoques de mots se dissipèrent. Et ce fut vite fait ; car l'ouvrage : Deux conceptions divergentes de la vocation sacerdotale, qui apportait ces explications, parut quelques mois après, en septembre 1910.

2. — De grandes Revues se prononcent. Aussi bien, dès le mois de décembre 1909, un important

article, qui couvrait presque tout un numéro de l'Ami du Clergé, avait déjà rallié bon nombre d'esprits, en montrant que la théorie nouvelle rejoignait la plus pure doctrine de l'Eglise et sa pensée traditionnelle. En voici la conclusion :

" L'APPEL HIÉRARCHIQUE EST DONC BIEN, comme M. Lahitton l'a montré avec autant de force que d'à propos, LA VOCATION PROPREMENT DITE, cette vocation divine, nécessaire pour ouvrir à l'homme l'accès de la mission surnaturelle qu'est le sacerdoce chrétien. " Nec vero quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanqam Aaron. Vocari autem a Deo dicuntur, qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. " (Cat. Conc. Trid. De Ordinis sacramento).

Plusieurs autres périodiques, et des plus en renom, exprimèrent le même sentiment : Etudes, du 20 nov. 1909 ;

Revue thomiste, juin 1910 ; — Revue du Clergé français, 15 août 1910 ; — Civiltà Cattolica, 1er octobre 1910.

3. — Pie X. Si flatteurs que fussent ces témoignages, ils ne pouvaient égaler en valeur celui du 6 septembre 1909. L'ouvrage, présenté officiellement à Pie X par l'Ordinaire de l'auteur, recevait, à cette date, une approbation dont il fut facile de souligner la portée : suffrage d'autant plus précieux qu'à cette époque — ce n'était pas un mystère, — le Saint Père faisait de la vocation sacerdotale une de ses grandes préoccupations. Il avait même promis de publier une Encyclique sur le sujet.

4. — Perplexités poignantes des prêtres recruteurs Plusieurs, en effet, qui s'employaient au recrutement sacerdotal, lui avaient parlé à peu près en ces termes : " Très Saint Père, nous sommes à tout instant contrariés dans notre apostolat par certaines idées fort répandues en matière de vocation. Tel jeune homme très bien doué, à qui nous proposons le sacerdoce, nous arrête par ce mot : " Je voudrais, bien ; mais je ne me sens pas appelé ; " — ou encore : " Je ne me sens pas assez d'attrait ; " — ou enfin : " Je n'ose pas : car je n'y pense que depuis peu ; or, quand on doit être prêtre, ai-je lu souvent, on est marqué dès sa naissance, et, dès l'enfance, on se sent porté vers l'autel ".

" Nous avons beau répliquer à ces natures d'élite que leurs qualités les désignent suffisamment ; que leurs excellentes dispositions constituent une vocation très solide, et qu'ils n'ont donc plus qu'à se décider en toute confiance et sécurité ; ils n'osent pas s'y résoudre, parce que, n'ayant pas entendu l'appel divin, ils seraient, pensent-ils, des prêtres sans vocation.

"De leur côté, Très saint Père, bien des prêtres mettent obstacles sur obstacles à notre action auprès des enfants. " De quel droit, nous disent-ils, essayez-vous de conquérir 'au service des autels ces âmes naïves, confiantes, trop promptes à s'enthousiasmer ? En faisant miroiter à leurs yeux les beautés du sacerdoce, ne risquez-vous pas de provoquer en eux des désirs vains et trompeurs, dont vous seriez, eux, les victimes, vous, les dupes ? Si Dieu les veut à son service, il saura bien le leur faire savoir et les y appeler sans vous. Et, s'il ne les a pas élus, pourquoi les pousser dans une voie qui leur est interdite ?

" Très saint Père, nous rencontrons un autre écueil encore. Quand des enfants ou des adolescents viennent d'eux-mêmes à nous et nous avouent leurs désirs d'être prêtres, leurs parents ou amis, même bons chrétiens, s'interposent farouchement : " Il faut, disent-ils, mettre à l'épreuve les velléités de ces âmes trop candides. Avant de les diriger vers le séminaire, il sera sage de donner à ces ingénus quelque expérience de la vie ; nous allons les promener par les réunions mondaines : théâtres, soirées, bals, etc. A cette tactique nous ne risquons rien : si la vocation est de Dieu, elle résistera à tout ; si elle succombe, c'est qu'elle ne venait pas du ciel ".

" Autre difficulté encore : Quand nous exhortons une mère chrétienne à parler du sacerdoce à ses enfants, à les orienter délicatement vers les saints autels : " Oh ! je m'en garderai bien, répond-elle effrayée ; il faut que ces désirs viennent d'eux seuls. Si le ciel les leur inspire, je n'y contredirai point. Mais en parler la première, comme pour me substituer à Dieu : cela, jamais ! "

" Il y a plus pénible encore, Très saint Père. Il nous est arrivé plus d'une fois de trouver sur notre chemin de bons et saints prêtres, qui sont depuis dix, vingt, trente ans et plus, à la tête de paroisses fort chrétiennes, et qui, durant ces longues périodes d'un ministère de par ailleurs fructueux, n'ont pas envoyé un seul enfant au séminaire. Comme nous leur en manifestions notre étonnement, ils nous ont répondu : " Je n'ai jamais osé ! C'est si difficile de savoir si un enfant est élu de Dieu !... Et, plutôt que de risquer de tomber mal, je me suis abstenu. C'est Dieu qui choisit et appelle ; il n'y a qu'à le laisser faire ".

" Mais n'avez-vous pas rencontré parfois des enfants qui manifestaient quelque désir de venir à nous?"

" Si ! quelquefois. "

" Eh bien ! alors ? "

" Alors, pour les éprouver, j'ai fait la sourde oreille, ou je leur ai dit qu'on verrait plus tard. "

" Qu'est-il advenu ? "

" L'enfant n'en ayant plus parlé, l'affaire en est restée là : preuve évidente que Dieu ne l'appelait pas."

" Voilà, Très saint Père, les difficultés qui se dressent à chaque pas devant nous et paralysent nos efforts. De grâce, dites-nous en quoi consiste la vocation sacerdotale, et comment Dieu appelle ses prêtres. "

5. — Première approbation pontificale. Donc, depuis plus d'un an, Pie X se trouvait officiellement saisi de la question de la vocation, posée dans les termes émouvants que nous venons de rapporter. Depuis quelques mois l'auguste Pontife préparait l'encyclique promise (1). Averti de ce double fait, l'évêque d'Aire et de Dax, Mgr Touzet, Ordinaire de l'auteur, fit parvenir au Vatican le nouvel ouvrage, dont il avait provoqué réclusion et qu'il avait, par une lettre-préface finement nuancée, pris officiellement sous son patronage.

Ce n'est pas, on le devine, sans une certaine appréhension qu'on attendit l'appréciation de Rome. Après deux ou trois semaines, elle arriva, dissipant toute crainte, dépassant tous les espoirs... (Voir ci-dessus p. VIII).

Car, ainsi que l'observait quelques mois après l'Ami du Clergé, " la double missive du Cardinal Merry del Val à l'Evêque d'Aire et à M. L., semble bien sortir de la généralité vague, assez habituelle et voulue, de ces accusés de réception. Pie X, qui fait actuellement de la vocation sacerdotale une de ses préoccupations, s'est intéressé à l'ouvrage et il a tenu à en exprimer sa satisfaction. L'emploi par l'éminent secrétaire d'Etat des expressions caractéristiques de la doctrine de M. L. donne à sa thèse une certaine consécration, et prouve à tout le moins qu'elle ne heurte pas la pensée personnelle du Souverain Pontife. " (A. du Cl, 1909, p. 1062).

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(1) Au Sixième Congrès national de recrutement sacerdotal, tenu à Toulouse, novembre 1930, M. Georges Goyau parle de cette encyclique projetée, et se demande pourquoi elle n'a pas vu le jour.

La réponse est fort simple : la décision de 1912 ayant précisé officiellement les points principaux en litige, les recruteurs du sacerdoce savaient désormais à quoi s'en tenir.

Fait étrange : l'éminent académicien paraît ignorer les .ardentes discussions qui eurent lieu à cette époque, et tout autant, la sentence doctrinale qui les couronna.

 

La lettre contenait, en effet, un passage bien caractéristique, et qui attirait d'autant mieux l'attention que le texte officiel avait pris soin de le souligner. Il y est parlé du Saint Père recommandant aux Evêques de veiller sur leurs séminaires et de ne choisir pour les appeler à l'honneur du sacerdoce, que ceux qui sont véritablement aptes à en remplir dignement les augustes fonctions. Pour développer efficacement cette' aptitude ou idonéité, etc..."

6. — Premiers apaisements. Ces paroles étaient bien celles qui traduisaient exactement la pensée de l'auteur. Il y insista encore dans un second ouvrage : Deux Conceptions Divergentes, etc. (2), où il s'appliquait à pacifier les esprits. Car les opposants se divisaient en deux catégories bien distinctes : d'une part, ceux qui étaient d'accord avec nous sur la substance même des idées et dont ne nous séparait qu'une question de mots ; de l'autre, ceux qui attaquaient le fond même de la thèse.

Quand les premiers lurent que l'expression : " l'évêque crée, donne, défère la vocation ", signifiait simplement que c'est l'évêque qui appelle au sacerdoce ; que Dieu n'appelle que par l'évêque, et qu'il ne faut donc pas chercher si les sujets sont déjà élus et appelés, mais seulement s'ils possèdent les dispositions requises, l'idonéité éloignée ou prochaine, aux fonctions sacerdotales ; que tout le reste est de surérogation ; et que, si parfois des sujets se disent appelés, se sentent appelés, attirés, ces appels et attraits ne sont pas l'appel divin, requis, d'après saint Paul, pour entrer dans les Ordres et en assumer l'honneur, mais use simple invitation de la grâce à s'orienter vers le sacerdoce, à s'y préparer, à s'y disposer ; invitations d'ailleurs que Dieu adresse souvent aux intéressés, non par des touches directes, mais par l'organe plus sûr des parents, des prêtres, des évêques ; ... lorsqu'ils eurent saisi ces explications, ils se rallièrent aussitôt ; car eux aussi, pensaient que la vocation, au sens d'appel, vient de Dieu par les ministres légitimes de l'Eglise, selon cette maxime du Catéchisme du Concile de Trente : Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. " L'évêque n'a jamais devant lui que des appelables ; c'est lui qui en fait des appelés. Il crée l'appelé comme tel. Avec ceux-là on se trouva aussitôt en pleine harmonie.

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(2) Cet ouvrage n'a pas été réédité, parce que tout ce qui devait en rester, une fois élaguées les pages de pure circonstance, a passé dans les nouvelles éditions de " La Vocation Sacerdotale ".

 

7. — Opposants irréductibles. Mais c'est alors que les autres dénoncèrent le désaccord qui nous divisait. " Non ! dirent-ils, il n'est pas vrai que, de nous à la théorie nouvelle, il n'y ait qu'une question de mots : un abîme nous sépare ! Selon nous, Dieu met dans les sujets, non seulement ce que vous appelez la vocation dispositive ou idonéité ; mais encore et surtout la vocation-appel. C'est Dieu qui appelle intérieurement ceux qu'il a élus de toute éternité pour le sacerdoce. Le rôle des parents, des prêtres, des évêques se borne à découvrir, à discerner, au moyen de signes appropriés, cet appel mystérieux, qui est lui-même le témoignage d'une élection éternelle. L'évêque n'a le droit d'inviter quelqu'un à recevoir les saints Ordres, qu'après avoir constaté, par lui-même ou par ses représentants, non pas seulement l'idonéité, mais encore, mais surtout l'élection divine. Or devant cette élection constatée, il doit s'incliner ; car, si la simple idonéité lui laisse les mains libres, de quel droit barrerait-il le chemin de l'autel à celui que Dieu même y convie ?

" L'appel lancé par l'évêque n'est donc qu'une formalité canonique, nécessaire de simple droit ecclésiastique, pure condition sine qua non pour entrer dans les Ordres. L'appel divin intérieur est le seul appel vraiment divin, le seul dont parle saint Paul dans ces mots : " Nec quisquam sumit sibi honorent, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron ".

Les camps se trouvaient donc nettement tranchés : d'un côté, l'appel électif de l'évêque ne fait que constater l'appel divin ; pour les autres l'appel épiscopal constitue l'appel même de Dieu.

8. — Nouvelle approbation pontificale. La question en était là, quand une nouvelle lettre de la Secrétairerie d'Etat vint accuser réception de l'ouvrage : DEUX CONCEPTIONS DIVERGENTES DE LA VOCATION SACERDOTALE. Derechef, Pie X témoignait à l'auteur toute sa satisfaction pour le zèle éclairé qu'il déploie " à élucider la question doctrinale de l'Appel au sacerdoce conformément aux principes des Grands Maîtres " et de le faire " en s'écartant avec sagesse de tout périlleux subjectivisme ".

Ce second document pontifical est daté du 9 novembre 1910.

9. — Index et Pie X. C'est vers cette même époque que les adversaires eurent recours à un moyen, fort légitime en soi, assurément, et qui pouvait être radical : ils déférèrent le livre à la Sacrée Congrégation de l'Index.

L'auteur l'apprit quelques semaines après, et d'une manière peu commune...

Sur une pressante invitation de quelques amis romains, il était venu ad limina vers la Noël de cette fin d'année 1910. Or, peu de jours après son arrivée dans la ville éternelle, il avait l'honneur d'être reçu en audience strictement personnelle par le saint Pontife Pie X (2 janvier 1911). Les premières paroles du Vicaire de Jésus-Christ furent celles-ci : "Ah ! c'est vous l'auteur du livre LA VOCATION SACERDOTALE ? Eh bien, je sais que vous avez été déféré à la Sacrée Congrégation de l'Index. " Mais voyant qu'à cette nouvelle, son pauvre visiteur était sur le point de s'effondrer, le bien-aimé Pontife s'empressa d'ajouter : " Mais n'ayez aucune crainte ; car je suis de votre sentiment, et je crois que c'est bien là la vraie doctrine. " L'entretien de vingt minutes qui suivit, fut l'explication fortement motivée de cette double pensée : " Vous êtes dans le vrai... N'ayez donc aucune crainte : je suis avec vous. "

Le lendemain, 3 janvier, dans une audience accordée à un groupe de religieux dominicains, présenté par le Maître Général, R. P. Cormier, Pie X daigna répéter les déclarations de la veille, en ajoutant : " Je veux qu'on le sache ; car on a osé déférer à l'Index un pareil ouvrage ! "

10. — Une attaque bruyante. L'opposition, un moment déconcertée par cet ensemble de témoignages concordants, ne pouvait cependant se résoudre à mettre bas les armes. Elle recouvrait même, trois mois plus tard, un regain de confiance et de vigueur à l'apparition d'un fort volume in-12 de 454 pages — LA VOCATION AU SACERDOCE (Paris, Gabalda, 1911) — où un Maître en théologie, le R. P. Hurtaud, O. P. mettait en ligne toute une puissante batterie d'arguments, dont on put croire, à première vue, que sous leurs coups répétés, nos fragiles positions allaient voler en éclats, comme un fortin de carton. Mais les esprits avertis eurent vite fait de découvrir que les engins redoutables tombaient qui à mi-chemin, qui à côté : tir tantôt mal réglé, tantôt trop court. La thèse demeurait debout, intacte, inviolée, sereine.

11. — Commission cardinalice. Néanmoins, l'agitation allait croissant, et il apparaissait à plusieurs que des propos tenus dans le demi-secret d'une audience pontificale ne pouvaient suffire à calmer les esprits. Pie X, ne l'oublions pas, avait été saisi de la question de la vocation sacerdotale, longtemps avant la publication du livre qui passionnait ainsi l'opinion catholique. Tout l'invitait donc à se prononcer officiellement. De leur côté, les opposants, soucieux de parer le coup qu'ils redoutaient pour eux-mêmes, mettaient de nouveau en branle contre nous la Congrégation de l'Index.

Le conflit couvrit encore toute l'année 1911 et les premiers mois de 1912.

Qu'allait-il sortir de là?

Il advint que, vers le mois d'avril 1912, le Saint Père, en raison de l'importance de la question doctrinale soulevée, dessaisissait la juridiction ordinaire de l'Index, pour confier l'examen de la cause à une Commission extraordinaire de Cardinaux et de consulteurs, spécialement créée à cet effet.

Le doute " dubium " posé aux Eminentissimes Juges était celui-ci : " Si le double ouvrage du chanoine Lahitton sur la vocation sacerdotale appelait une condamnation de l'Eglise. "

Le 20 juin, après cinq ou six semaines d'étude, la sentence était rendue, qui recevait, six jours plus tard, la pleine approbation du Saint Père. On a pu la lire ci-dessus dans sa teneur exacte et sa belle ordonnance (p. X).

Par cette décision la question de la vocation était officiellement tranchée en trois propositions qui résument tout le débat.

12. — Nouvelle édition. Mais, si le livre dont nous avons dit qu'il n'était qu'une ébauche rapide, s'y trouvait' hautement loué " egregie laudandum ", ces éloges ne le dispensaient ni d'améliorations, ni d'amendements. L'auteur s'appliquait depuis trois ans à les lui donner ; Pie X te savait ; il ne ménageait à l'auteur ni ses encouragements, ni ses directives... La Commission cardinalice ne l'ignorait pas davantage, et, pour prévenir tout retour offensif des opposants contre un ouvrage refondu et notablement augmenté, dont on aurait pu dire qu'il n'était plus celui qui avait été couvert d'éloges, elle décida de le réviser elle-même, se proposant de constater en même temps si toute équivoque de langage se trouverait désormais écartée.

Le manuscrit fut donc envoyé à Rome, et le Saint Père, au courant de tout, daigna écrire de sa propre main à l'auteur pour lui assurer qu'il veillerait lui-même à ce que la révision ne retardât pas la publication de l'ouvrage. " Ego ipse curabo ut quantocius opus examinetur, recognoscatur, et tibi edendi illud licentia concedatur. Tranquillo ergo animo esta, dum tibi apostolicam Benedictionem peramanter impertio. " (Extrait d'une lettre autographe de Pie X, à l'auteur, 16 septembre 1912).

Quatre mois s'écoulent et le 29 janvier 1913, l'auteur recevait le constat de révision et l'autorisation de publier. Voir ci-dessus ce document capital (p. XII).

13. — Dernier suffrage de Pie X. Pie X devait intervenir encore...

Quand le nouvel ouvrage lui fut présenté en hommage (mai 1913) il fut décidé que la Secrétairerie d'Etat n'enverrait cette fois qu'un accusé de réception. On avait déjà assez fait pour la question. De son côté l'auteur n'attendait rien de plus.

Peu de jours après, le Saint Père demande au cardinal :

" Avez-vous envoyé l'accusé de réception à M. L. ? "

" Pas encore, Très saint Père ".

" Eh bien ! j'ai passé plusieurs heures à parcourir l'ouvrage. J'en suis enthousiasmé. C'est le dernier mot de la question. Il faut envoyer à l'auteur une très belle lettre " (1).

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(1) Selon le propre témoignage de S. E. le card. Merry del Val au R. P. Joseph L. (Lettre du 7 juin 1913).

 

La belle lettre, voulue de Pie X, est datée du 7 juin 1913 et a été publiée dans les Acta Sanctæ Sedis du 30 juin. Après avoir résumé les faits précédents, elle dit que le Saint Père a pris connaissance de la nouvelle édition. Et voici la phrase d'or qui la termine : " Le Saint Père vous félicite de nouveau d'avoir rendu un service important à la cause de la pure doctrine. " (ci-dessus, p. XIII).

On estimera sans doute qu'un pareil témoignage tombant des lèvres du Vicaire de Jésus-Christ, du Suprême Gardien de la foi, est la plus haute récompense qu'un humble professeur de théologie puisse ambitionner.

Et peut-être ne sera-t-elle point jugée par trop hyperbolique cette réflexion d'un théologien : " L'Histoire du dogme catholique montre-t-elle beaucoup de livres qui soient munis de pareils certificats de vérité ? "

14. — Autres suffrages. Il n'est donc pas surprenant que les nouvelles éditions aient recueilli les suffrages les plus considérables. L'Ami du Clergé s'en est fait plus d'une fois l'écho (1).

Citons en particulier, outre le grand moraliste allemand Lehmkuhl, le célèbre professeur belge, Vermeersch, qui enseigne depuis longtemps la vraie doctrine sur la vocation aux milliers d'élèves de toute nationalité, qui se pressent chaque année autour des chaires de l'Université Grégorienne.

Fait plus significatif et plus important : plusieurs évêques, tant français qu'étrangers, se sont appliqués à répandre la doctrine officielle de Rome sur la vocation sacerdotale ; tel son Excellence Mgr Volpi, évêque d'Arezzo, qui prit comme sujet de sa Pastorale de Carême 1914 : La Vocazione sacerdotale. Ce document se présente lui-même

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(1) Voir, par exemple, A. du Cl., 11 déc. 1913, p. 1050 ; 27 janvier 1927, p. 62.

 

comme l'abrégé très fidèle de notre ouvrage, dont il donne des citations très nombreuses. La conclusion du prélat se résume ainsi :

Le Souverain Pontife Pie X qui, déjà, nous avait replacés dans la vraie doctrine au sujet de la communion quotidienne et de la communion des enfants, vient de nous rendre le même service sur la question très importante de la vocation sacerdotale. — C'est un devoir pour nous de rompre résolument avec une opinion qui nous a trop longtemps abusés, et d'adhérer sincèrement à la doctrine traditionnelle, nouvellement mise en honneur par M. L., et consacrée par une décision authentique.

15. — Le cardinal Mercier. Très précieux encore et non moins explicite le suffrage du cardinal Mercier, dans son bel ouvrage sur La vie intérieure (1). Le saint archevêque de Malines s'exprime ainsi : " La profession religieuse achève la profession baptismale, mais reste essentiellement de même nature qu'elle.

" Tout autre est la cléricature ; tout autres les ordres ecclésiastiques et en particulier le sacerdoce. Les ministres des autels sont choisis par l'Eglise, par le Pape et par les membres du Corps épiscopal, et investis par eux d'une fonction nouvelle, sacrée, à laquelle ils n'avaient aucun droit de prétendre. " Nec quisquam sumit sibi honorem, dit saint Paul, sed qui vocatur a Deo, tanquam Aaron. " Et l'on sait combien le Pape Pie X a encouragé les théologiens qui prirent à tâche d'affirmer ce caractère vrai de la " vocation " ecclésiastique. Les dispositions les plus saintes et les plus pieux désirs ne sont pas des signes décisifs de vocation ; ils ne signifient pas que l'aspirant aux Ordres y est appelé. Antérieurement à l'appel de l'évêque, il n'y a pas d'appelés,

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(1) Cardinal Mercier : La Vie intérieure : Appel aux âmes sacerdotales ; 20° mille ; p. 186. — Warny, Louvain, 1927.

 

il n'y a que des appelables, c'est-à-dire dans les conditions d'idonéité qui permettent à l'évêque de les appeler, s'il le juge opportun. Seul l'appel divin, dont le Pape et les évêques sont les organes extérieurs, constitue la vocation, suivant cette parole du Catéchisme du Concile de Trente : " Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur ".

" Et pourquoi cet appel divin, ce choix positif, sur l'initiative de l'autorité ecclésiastique, à la différence de la réception de celui ou de celle qui se vouent à l'état religieux ?

" Parce que l'admission dans le clergé, la collation d'un Ordre à un clerc associent le candidat à une mission d'origine divine, à celle-là même qui fut confiée par le Christ aux apôtres et à leurs successeurs. "

Ce beau passage porte une note où le cardinal ajoute : " Une controverse ayant surgi sur le sens à donner à l'expression courante " la vocation sacerdotale ", le Pape Pie X confia à une commission spéciale de cardinaux le soin d'examiner la question en litige. Le jugement de la commission, rendu le 20 juin 1912 et ratifié par le Souverain Pontife, est celui que nous venons de résumer. "

16. — Le futur Cardinal Verdier. A Paris devait échoir l'honneur d'inaugurer, en 1925, le premier Congrès national de Recrutement sacerdotal. Au nombre des rapporteurs se trouvait inscrit M. le Chanoine Verdier, alors simple Supérieur du séminaire des Carmes, mais que la Providence réservait aux plus hautes destinées, puisque, peu de temps après, il se voyait coup sur coup élu Supérieur Général de la Compagnie de Saint-Sul-pice, promu à l'archevêché de Paris, et revêtu de la pourpre cardinalice.

Or, dans son rapport, le futur prince de l'Eglise s'appuyait fermement sur la décision de 1912.

" Cette décision cardinalice, disait-il, doit nous guider dans notre tâche du discernement des vocations. "

Au lieu de chercher dans le candidat un appel divin dont le mystère nous échappe, il préconise "l'attitude de celui qui regarde dans le jeune candidat les aptitudes nécessaires et l'intention droite."

Se séparant nettement de ceux qui voudraient placer " le discernement des vocations dans une atmosphère mystique, où bien des éléments sont difficiles à saisir ", il demande qu'on " se mette résolument sur le terrain ferme de la prudence chrétienne. "

En agissant ainsi, dit-il, on " est plus près de la décision rapide, claire et confiante. "

Cette franche adhésion du Supérieur Général de Saint Sulpice est particulièrement précieuse à retenir.

17. — Recruteurs et congrès de recrutement. Mais, ces suffrages considérables mis à part, il n'est pas sans intérêt de rechercher quelle a été, depuis la décision de 1912, la fortune de cette doctrine officielle ; quel accueil lui ont fait les promoteurs les plus en vue du recrutement sacerdotal, les éveilleurs de vocations, les orateurs que l'on a coutume de convier à prendre la parole dans nos Congrès.

Persiste-t-on encore à discerner des élus, des appelés — tâche impossible et illusoire — ; ou se borne-t-on à découvrir des aptitudes aux fonctions ecclésiastiques — labeur relativement si facile ; — et, en tout sujet, enfant, adolescent, jeune homme, qui présente ces aptitudes, au moins en germe gonflé de promesses, s'applique-t-on, par un zèle aussi actif que mesuré, à susciter le noble désir du sacerdoce ?

Dieu veuille qu'il en soit ainsi partout ; et la sainte Eglise ne manquera plus de prêtres, de bons et saints prêtres !

Nous avons vu plus haut un évêque d'Italie faire un rapprochement suggestif entre trois grands actes du Pape Pie X : Décret du 20 décembre sur la communion fréquente et quotidienne ; Décret du 8 août 1910 sur la communion des petits enfants ; Sentence du 27 juin 1912 sur la vocation et l'appel au sacerdoce.

Peut-être ne s'éloignerait-on pas beaucoup de la vérité en avançant que ces trois actes sauveurs ont eu un sort à peu près identique et selon les mêmes milieux... Obéissance empressée et joyeuse chez plusieurs ; soumission de simple discipline chez d'autres ; ailleurs enfin, persistance d'une certaine force d'inertie, secondée par la difficulté à se défaire d'usages trop chers, ou de briser avec des habitudes de pensée trop invétérées.

En ce qui concerne la décision de 1912, un grand et salutaire progrès sera réalisé, dès que certaines Revues consacrées au recrutement du sacerdoce entreront avec plus de rondeur et de résolution dans la voie tracée par Rome, et que les auteurs de théologie auront suivi d'une manière plus générale l'exemple donné par l'Université Grégorienne (1). Mais, déjà, que de pas en avant et que de bons résultats acquis ! Combien de prêtres, encouragés par la théorie romaine, vont au devant des vocations qui s'ignorent, ou se cachent, ou ne savent se dévoiler ! Que de jeunes gens qui n'osaient désirer le sacerdoce parce qu'ils ne se sentaient pas appelés, se sont résolus vaillamment à gravir les degrés de l'Autel ! Combien de discours prononcés dans nos Congrès contiennent des paroles fort significatives, qu'on n'eût pas proférées avant la décision de 1912 !

Au premier Congrès national de recrutement sacerdotal, tenu à Paris en 1925, le futur cardinal Verdier ne fut pas le

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(1) A ce propos, plus d'un s'étonne que les récentes éditions de l'Enchyridion si estimé de Denzinger-Bannwart-Umberg n'aient pas encore donné asile aux trois propositions de la Commission cardinalice de 1912.

 

seul à souligner la doctrine romaine. Non moins catégorique se montra le futur évoque de Dijon, chanoine Petit de Julleville, dans ce passage de son rapport :

" Qu'est-ce que la vocation sacerdotale ? C'est l'appel de Jésus-Christ. Ouvrez votre Evangile. Voici Pierre et voici André ; voici Jacques et voici Jean : " Venez après moi, leur dit Jésus, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes...

" Or, les méthodes divines n'ont pas changé. Il en est aujourd'hui comme il en fut jadis : Jésus-Christ appelle à lui ceux qu'il veut.

" Et il les appelle par l'intermédiaire de l'Eglise, seule dépositaire de sa pensée et de sa volonté. Il ne faut donc pas confondre, d'une part, ce que l'on peut nommer les prémisses de la vocation, c'est-à-dire les sollicitations de la grâce qui éveillent ordinairement une âme choisie par Jésus-Christ à l'idée et au désir du sacerdoce ; d'autre part, la vocation proprement dite, c'est-à-dire le jugement de l'Eglise, qui, par l'évêque, éclairé lui-même par ses délégués, déclare que telle âme déterminée possède les aptitudes et les vertus nécessaires pour être admise à l'Ordination. Il n'y a vocation, au sens plein du mot, qu'en fonction de cette décision de l'Eglise. C'est la doctrine traditionnelle rappelée par le Concile de Trente (plus exactement : par le Catéchisme du Concile de Trente). " Ceux-là sont dits être appelés de Dieu qui sont appelés par les ministres légitimes de l'Eglise ", et précisée de nouveau, il y a quelques années par une Commission romaine, dont le Pape Pie X approuva les conclusions, le 26 juin 1912...

" Les dispositions et les sentiments que nous venons de décrire; si fervents soient-ils, ne constituent aucunement une sorte de droit au sacerdoce, ni même une garantie de vocation. L'appel, au sens exact du mot, reste entre les mains de l'Eglise, Corps mystique du Christ, seule à même d'apprécier l'opportunité d'accueillir ou de repousser les candidats aux Ordres...

" Qu'est-ce donc que la vocation sacerdotale ? C'est l'appel décisif à tout laisser pour Le suivre et Le servir qu'adresse Notre-Seigneur Jésus-Christ à certaines âmes, par l'intermédiaire de l'Eglise. "

(Chanoine Petit de Julleville : Discours prononcé au Congrès national de recrutement sacerdotal, Paris 1925).

Parmi les Revues, les Etudes ont plus d'une fois donné à la vraie doctrine le poids de leur suffrage. Le dernier en date est du mois d'août 1931 ; et, de sortir de la plume du P. Don-cœur lui assure un surcroît de crédit.

" Par ailleurs, dit-il, nous n'avons pas assez dépouillé la notion de vocation d'un mysticisme sentimental où trop d'âmes de jeunes gens et de jeunes filles s'imaginent que s'élabore la vocation. Tonnerre de Dieu ou voix suaves, effrois de la damnation ou langueurs délicieuses à l'odeur de l'encens, combien de cœurs sains, qui, n'ayant pas éprouvé ces " états d'âme ", sont persuadés que le sacerdoce ne leur est pas offert !

" On ne dira jamais assez que, discernées les aptitudes ou les inaptitudes intellectuelles, morales, physiques et spirituelles, une immense possibilité est ouverte à la volonté qui, conseillée par ses directeurs, décide ou non de s'offrir à l'appel épiscopal.

" A force de séparer le sacerdoce, on a méconnu qu'il est très souvent accessible à des hommes robustes, croyants, généreux qui, comme le dit le langage vulgaire, décident " de se faire prêtres " un peu (et il faut dire beaucoup) comme il leur arrive de décider de se faire marins, médecins ou ingénieurs, sous le regard de Dieu. " (Etudes, 20 août 1931, p. 416).

18. — Simplicité et clarté. Dans les passages qu'on vient de lire la pensée demeure encore quelque peu indécise et flottante. Or donc, la doctrine consacrée par la décision officielle de Rome se trouve être d'une simplicité limpide comme le cristal.

La vocation sacerdotale, au sens usuel du mot, désigne l'ensemble des dons de nature et de grâce, qui rendent un sujet apte aux fonctions sacerdotales ; d'un mot : l'idonéité.

Au-dessus de cette vocation divine qui fait de simples appelables, il faut placer l'appel divin, qui ouvre au candidat l'entrée du sanctuaire, en transformant les appelables en appelés. Cet appel authentique, Dieu le formule par l'évêque : ut rite vocetur ab episcopo. (3e prop.)

La vocation-idonéité ne confère à personne le moindre droit à l'ordination (1re prop.) précisément parce qu'elle n'est pas l'appel divin. Seul l'appel épiscopal donne accès aux saints Ordres : il est l'appel de Dieu par les ministres légitimes de l'Eglise. " Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. "

19. — Le Codex. Le Code de droit canonique n'a pas manqué de prendre le mot vocation dans le sens déterminé par la décision officielle de 1912.

Chercher des vocations, ce n'est pas, ce ne peut être chercher des appelés de Dieu, des élus de Dieu, mais des appelables, des éligibles. Les qualités de nature et de grâce qui constituent fa vocation divine préalable, se trouvent en germe dans l'enfant : divinæ vocationis germen. Et c'est de préférence aux curés que le Code recommande instamment de les découvrir : Dent operam sacerdotes, præsertim parochi, ut pueros qui indicia præbeant ecclesiasticœ vocationis, etc... (c. 1.352).

Ces précieux germes divins se précisent et se développent dans l'adolescent et le jeune homme sous l'action fécondante des grâces du séminaire ; et c'est à l'évêque, cette fois, que le Code recommande d'en surveiller attentivement les progrès. " Potissimum studeat Episcopus fréquenter Seminarium ipse per se visitare... et de alumnorum indole, pietate, vocatione ac profectu pleniorem sibi comparare notitiam, maxime occasionne sacrarum ordinationum.

Ces derniers mots sont à signaler : c'est surtout à l'époque des ordinations que l'évêque doit étudier les vocations. Or, étudier les vocations, nous est-il dit ailleurs, n'est pas autre chose qu'étudier l'idonéité des candidats (c. 973, § 3). Le canon suivant énumère en détail les sept conditions de l'idonéité susdite. Impossible d'y découvrir l'allusion, même la plus lointaine, à un appel divin qu'il faudrait découvrir dans les ordinands. Rien que la pure et simple idonéité.

20. — Dessein de l'ouvrage. La doctrine officielle de l'Eglise est donc d'une parfaite continuité.

Cependant elle demande d'être mise en pleine lumière.

Il est expédient de montrer qu'elle est bâtie non sur le sable ni " sur les fleuves ", comme dit Pascal, mais sur la pierre dure.

Et c'est à quoi voudrait s'appliquer cet ouvrage.

21. — Division. Il se divise en trois parties.

I° L'APPEL DIVIN AU SACERDOCE.

II° LES MINISTRES DE L'APPEL DIVIN.

III° LES CANDIDATS A L'APPEL DIVIN.

Ces pages s'adressent surtout aux théologiens proprement dits ; car il a fallu, pour couper court à certaines opinions, aller au fond des choses et construire sur le roc des principes de la théologie et de la philosophie.

La question est compliquée : nous essaierons d'être bref et clair, autant que le sujet le permettra :

" breviter ac dilucide... secundum quod materia patietur ". (St. Thomas : Prologue de la Somme).

 

§ II. LA DÉCISION DOCTRINALE DE 1912.

 

22. — Les trois propositions. La décision, dont on a lu plus haut le texte intégral, déclare que notre ouvrage " La vocation sacerdotale " n'est nullement à réprouver ; mais que, bien au contraire, il est à louer hautement, en ce qu'il établit les trois points ci-après :

1°) Nul n'a jamais aucun droit à l'ordination, antérieurement au libre choix de l'évêque ;

2°) La condition qu'il faut examiner du côté de Ferdinand, et qu'on appelle vocation sacerdotale, ne consiste nullement, du moins nécessairement, et en règle ordinaire, dans un certain attrait intérieur du sujet ou en invites du Saint-Esprit, à embrasser l'état ecclésiastique ;

3°) Mais, au contraire, pour que l'ordinand soit régulièrement appelé par l'évêque, rien de plus n'est exigé de lui que l'intention droite unie à l'idonéité ; celle-ci consiste en de telles qualités de nature et de grâce ; elle s'affirme par une probité de vie et une mesure de science telles, qu'on en puisse concevoir l'espérance fondée que le sujet sera capable de remplir convenablement les fonctions du sacerdoce et d'en garder saintement les obligations.

23. — Notre doctrine. Il ne nous est pas possible de séparer cette décision doctrinale du côté personnel, qui. la rattache à nos deux précédents volumes sur la Vocation sacerdotale. Elle a pour but direct de les justifier et d'en louer la doctrine quant aux trois points qu'elle formule en termes si précis et désormais si autorisés (1).

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(1) Certains adversaires, fort rares d'ailleurs, ont essayé de tirer à eux les trois propositions.

Les Collationes Namurcenses (septembre 1912, p. 115) notent justement, à l'adresse de ces téméraires :

" Il est évident que pour bien interpréter ces différentes propositions, il faut s'en rapporter, avant tout, à l'ouvrage de M. Lahitton ; c'est là que la Commission (cardinalice) les à prises, et par conséquent elle les a prises et elle les loue avec le sens que leur donne l'auteur (quâ parte adstruit... esse egregie laudandum). Il serait absurde de vouloir les expliquer dans un sens différent de celui de l'auteur et de mettre ainsi la Commission en opposition avec lui. "

Cf. Ami du Cl., 1913, p. 1050.

Détail intéressant : le commentaire que nous donnons des trois propositions n'est pas de nous ; il émane de l'un des membres de la Commission de 1912, qui a daigné prendre la plume à notre place... Nous voilà donc placés dans l'objectivité la plus parfaite.

 

Ceux qui auront lu ces deux précédents volumes et les auront entendus dans le sens où nous les avions écrits, en retrouveront sans peine la doctrine sous les termes de la Commission Cardinalice.

Notre pensée était que la vocation sacerdotale, au sens paulinien de ces mots, ou pour autant qu'elle constitue le droit d'avancer au sacerdoce et d'en prendre sur soi les charges et l'honneur, réservés par une volonté formelle de Dieu, n'existe, dans un sujet donné, qu'en vertu de l'acte hiérarchique de l'évêque appelant ce sujet, au nom de Dieu, jusque-là, il n'y a pas à parler de droit au sacerdoce, ou de vocation sacerdotale, au sens paulinien de ces mots.

24. — La vocation au sens formel : l'appel par l'évêque. Ce droit, ou la vocation ainsi entendue, est formé, dans le sujet où on le trouve d'un double élément : l'un matériel, l'autre formel.

L'élément formel est mis dans le sujet par le seul acte de l'évêque appelant au nom de Dieu. L'élément matériel varie, selon qu'il s'agit du droit au sens de validité, ou du droit au sens de licéité : le premier est constitué par la qualité d'homme baptisé ; le second, par les dispositions requises. Cet élément matériel, en aucun cas, ne constitue le droit divin au sacerdoce, ou la vocation sacerdotale prise au sens paulinien; il n'est qu'une possibilité à constituer ce droit ou cette vocation. Le droit lui-même, ou la vocation, n'existe, purement et simplement, que par l'acte hiérarchique de l'évêque appelant tel sujet au nom de Dieu. En ce sens, il est rigoureusement exact de dire que l'évêque donne ce droit, qu'il le crée. C'est ce que nous avions entendu signifier par ces mots : donner la vocation, créer la vocation.

25. — La vocation au sens matériel et dispositif. Quant à l'élément matériel et dispositif ou potentiel, existant dans le sujet, il n'est rien du droit " nihil juris " — ou de la vocation entendue au sens de droit, — avant l'acte de l'évêque ; pas plus que la matière n'est quelque chose de l'être déterminé — le bloc de marbre, rien de la statue — avant l'acte qui donne la forme.

Toutefois, l'acte qui donne la forme et fait seul que l'être soit, ne crée pas la matière ; il la présuppose. Et s'il tombe sur ce qui n'est pas la matière voulue, l'être ne sera pas. — De même, dans la question de la vocation sacerdotale, si l'acte de l'évêque appelant au nom de Dieu tombe sur un autre sujet qu'un homme ou un homme baptisé, cet acte ne fera rien du tout et ne constituera pas le droit à recevoir même le caractère du sacrement de l'Ordre. Pareillement, s'il tombe sur un homme baptisé, mais non revêtu des conditions ou des qualités requises pour la constitution du droit de licéité, il ne fera pas que ce droit existe dans un tel sujet; et ce sujet ne recevra pas la grâce du sacrement, bien qu'il reçoive de par ailleurs le caractère dépendant seulement de sa qualité d'homme baptisé.

On voit, dès lors, dans quel sens on parlera de vocation sacerdotale, au sujet des dispositions devant exister dans le sujet. Ce ne sera jamais au sens paulinien de droit pur et simple existant dans un sujet. Il ne s'agira que de matière plus ou moins préparée ou de puissance plus ou moins prochaine, pouvant recevoir de l'évêque l'acte ou la forme qui découlera de l'appel hiérarchique et constituera, dans son être actuel, le droit au sacerdoce ou la vocation sacerdotale prise dans son sens pur et simple.

26. — La vocation dispositive et l'attrait. Encore faisions-nous remarquer, et c'était un des points principaux de notre travail, que parmi ces dispositions, ou pour la vocation sacerdotale entendue en ce sens matériel, n'était aucunement requis cet attrait spécial d'ordre exclusivement divin, et distinct de la simple bonne volonté, œuvre du sujet lui-même sous l'action de la grâce, qu'une théorie contraire disait absolument nécessaire, et en lequel même elle faisait consister toute l'essence de l'appel divin, au sens paulinien. Pour elle, cet attrait constituait formellement le droit à l'ordination, réserve faite seulement de droit canonique de l'évêque, conçu comme une simple condition sine qua non de l'obtention du sacerdoce en vertu du vrai droit divin, préexistant dans le sujet et s'imposant à l'évêque lui-même.

Nous nous élevions contre cette exigence d'un attrait exclusivement divin dans le concept de la vocation sacerdotale, même au sens matériel ; mais surtout nous déclarions que cet attrait ne pouvait jamais constituer la vocation sacerdotale au sens formel ou au sens paulinien. Cette dernière acception de la vocation sacerdotale ne devait s'entendre que du droit causé par l'acte hiérarchique de l'évêque ; et l'acception matérielle ne comprenait, de soi, que l'intention droite et les qualités physiques, intellectuelles ou morales, prescrites par les saints canons.

Pour couper court à toute équivoque, nous proposions d'appeler la première seule du nom de vocation sacerdotale ; et la seconde, qu'on appelle communément de ce nom, du nom de vocabilité ou mieux d'idonéité.

Conclusion. Il est aisé de voir que notre vocation sacerdotale, au sens paulinien, n'est pas autre chose que le premier des trois points signalés dans le texte de la décision pontificale ; et que les deux autres ramènent ce qu'on appelle ordinairement la vocation sacerdotale à ce que nous l'avions définie en effet.

Cette doctrine, désormais revêtue d'une autorité si haute, se retrouvera, mise encore, si possible, en plus vive lumière, dans les pages qui vont suivre.

Grand Séminaire de Poyanne (diocèse d'Aire et Dax) 28 octobre 1931.

27. — Le Magnificat. Dans son émouvant Magnificat, René Bazin témoigne d'une connaissance très avisée de la variété infinie des cas de vocation.

Sous les frais ombrages du Collège de Châtillon-sur-Sèvre, quatre vocations tardives devisent ensemble et racontent les mobiles divers qui les ont amenés là.

Chose digne de remarque, pas un n'a été poussé par l'attrait, entendu au sens des modernes.

" J'ai entendu, dit l'un, une voix dans mon cœur, quand j'étais jeune ; je ne lui ai obéi que quand j'étais vieux, voilà ! ".

Le second — le barbu — s'explique ainsi : " J'ai eu dans nos familles et dans nos fermes, de si bons exemples, tout le long de ma jeunesse, que je me suis demandé pourquoi je n'irais pas jusqu'au bout, et le bout, c'est le sacerdoce ! Seulement, j'ai été un peu long à me décider. "

" Moi, ajoute le mécanicien taillé en hercule, c'est la pitié qui m'a jeté à la prêtrise. " Il décrit les tristes milieux où le sort l'a jeté et conclut : " Cela m'a dégoûté. J'ai cherché comment sauver les camarades, parce que je les aimais... Je serai leur frère consacré. Ils me reconnaîtront à ma poignée de mains, à mon langage qui vous fait rire, mais qui est le notre... Je serai l'ouvrier-prêtre ; est-ce que le premier, ça n'a pas été ? ".

Un quatrième survient qui prononce des mots d'une profonde sagesse, où il semble bien que René Bazin lui-même nous livre le fond de sa pensée sur le problème de la vocation.

" Je vous ai entendus, dit-il. Je trouve beau ce que vous avez dit. Mais je veux vous apprendre qu'il y a bien des chemins de vocation. La mienne est différente des vôtres. J'ai fait mes études jusqu'à la secondé, dans un lycée. A l'âge où chacun réfléchit à ce qu'il sera dans le monde, j'ai songé, comme les autres, à différentes carrières où je pouvais entrer. Mon idée, — je n'entrevoyais pas où elle me mènerait, — était celle-ci :

" Qu'y a-t-il de plus beau, pour un homme qui est libre de choisir ? ". Je me suis décidé en raison, peut-être aussi par amour... Vous le voyez... nous venons de partout. "

(René Bazin, Magnificat, Paris, 1930, pp. 233-235).

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

L'Appel divin au Sacerdoce

 

SECTION I

Exposé Doctrinal

 

CHAPITRE I

L'Idonéité sacerdotale et la collation

du sacerdoce

 

 

28. — Particularité du Sacrement de l'Ordre au point de vue de l'idonéité. Parmi les sept sacrements de la Loi Nouvelle, l'Ordre occupe une place à part. Tous les autres visent directement le bien particulier de celui qui les reçoit ; sous leur action le fidèle reste passif et sa préparation consiste à élargir les capacités de son âme, pour s'assimiler plus abondamment le bienfait sacré (1).

L'Ordre, au contraire, met le sujet en activité ; il l'investit de fonctions hiérarchiques à exercer dans la société chrétienne, au profit de l'Eglise de Dieu (2).

Il suit de là que bien différente est l'idonéité du sujet au regard des autres sacrements et son idonéité au regard du sacrement de l'Ordre. La première se mesure simplement au

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(1) Ad alia sacramenta velut passive quodammodo se habet suscipiens, quia recipit ea propter proprium station perficiendum. (Suppl. q. 34, art. 4, ad. 4).

(2) ...Sed ad hoc sacramentum (Ordinis)se habet quodammodo active, quia illud suscipit propter hierarchicas functiones in Ecclesia exercendas. (Idem ; ibid.).

 

sacrement à recevoir ; la seconde, non seulement au sacrement à recevoir, mais encore, et surtout, aux activités à exercer, aux fonctions sociales à remplir en vertu du sacrement reçu. Si donc l'état de grâce et l'intention droite suffisent pour recevoir dignement et avec fruit les autres sacrements des vivants, ces dispositions sont loin de suffire pour recevoir les saints Ordres.

29. — Excellence des préparations que l'Ordre, exigerait. Dès qu'une âme s'oriente vers l'Autel et conçoit le des sein d'en gravir les degrés, son premier sentiment, qui durera autant que la vie, est celui d'une religieuse terreur ! Quis ascendet in montem Domini ? Au sommet de la Montagne sainte, le Sacerdoce se dresse et resplendit, avec son double pouvoir sur le corps réel et sur le corps mystique de Jésus-Christ.

Qu'ils sont grands les prêtres du Très-Haut, ceux dont les mains fécondes servent de berceau, comme le sein de la Vierge, à l'Incarnation eucharistique du Fils de Dieu (1).

Qu'ils sont puissants, ces dispensateurs des augustes mystères : ils engendrent les âmes à la vie divine, les y affermissent ou les y ramènent, par des prodiges de génération et de résurrection, qui surpassent en quelque manière la création de l'univers (2) !

Qu'ils sont rayonnants ces foyers de lumière, destinés à dissiper les ténèbres d'ignorance qui enveloppent le peuple chrétien (3).

Pour peu que l'aspirant au sacerdoce se rende compte de la sublimité du prêtre, il comprendra que de longues et délicates

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(1) O veneranda sacerdotum dignitas, in quorum manibus, velut in utero Virginis, Filius Dei incarnatur ! (S. AUGUST.).

(2) " Sic nos existimet homo ut ministres Christi et dispensatores mysteriorum Dei (I Cor. IV, I.).

(3) Suscipiens Ordinem prœficitur ad pellendam ignorantiam in plebe. (Suppl. q. 35 ; art. I ; ad. I).

 

préparations sont nécessaires, s'il veut n'être pas trop inférieur à de pareilles fonctions.

En effet, à considérer le sacerdoce tel qu'il est, il faut dire qu'en dehors du Souverain Prêtre, Jésus-Christ, il n'y a pas de vertu assez parfaite, ni d'intention assez haute et assez pure, pour répondre comme il conviendrait aux exigences d'une pareille dignité. C'est là un idéal de sainteté, idéal inaccessible : sans espoir de l'atteindre jamais, le prêtre doit tendre à s'en rapprocher toujours.

De plus, à scruter et approfondir, comme il le faudrait, les réalités mystérieuses dont le prêtre est le consécrateur et le dispensateur ; à se pénétrer, comme il siéerait, des doctrines qu'il doit enseigner aux peuples ; à s'armer pour les défendre, comme le demanderaient des attaques incessantes et aux formes toujours renouvelées, une vie humaine ne suffirait pas. Idéal de science, comme, tout à l'heure, idéal de sainteté ; l'un et l'autre inaccesibles ; l'un et l'autre sollicitant l'effort ininterrompu du prêtre !

Nous nous étendrons ailleurs sur cet idéal de sainteté, de science, d'intention droite, que le prêtre, et, tout d'abord, l'aspirant au sacerdoce, doit sans cesse tenir sous ses yeux.

30. — Minimum suffisant. Heureusement, le sacerdoce, s'accommodant à l'infirmité de ceux qui le reçoivent, supporte un minimum que nous essaierons pareillement de déterminer.

Retenons seulement ce principe : l'idonéité sacerdotale se mesure aux fonctions à exercer ; et donc, par-dessus l'intention droite et l'état de grâce, requis pour la fructueuse réception de tout sacrement des vivants, le sacerdoce exige un degré spécial de science, de sainteté et d'intention.

Tout au début de la carrière, l'intention de l'aspirant se borne, il est vrai, à ceci : " Voulant devenir digne de me présenter, un jour, au sacerdoce, je forme la résolution d'acquérir la science et la vertu nécessaires : la science qui convient à celui qui doit éclairer le peuple chrétien ; la sainteté qui convient à celui dont les mains distribuent les ondes de la grâce. "

Mais, à mesure que se développera sa formation professionnelle, l'intention primitive ira se précisant, s'affermissant, se purifiant de plus en plus dans son âme, par la vertu d'une sève toujours plus abondante de grâce sacerdotale ; ce sera l'intention élevée, ferme, de se consacrer, pendant toute une vie, au service des âmes, en se maintenant sur des sommets de sainteté et de science, malgré toutes les difficultés, malgré toutes les épreuves, malgré toutes les tentations, spécialement en matière de chasteté.

C'est celle-là — bien supérieure à l'intention initiale qui deviendra, un jour, la disposition dernière pour la digne réception des saints Ordres.

 

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31. — Idonéité et droit aux Sacrements. Si l'aspirant au sacerdoce se plie, dans la mesure convenable, à la formation que donne l'Eglise dans ses Séminaires, il parviendra, comme par une montée insensible, au niveau suffisant de préparation, d'idonéité.

Supposons-le arrivé à ce point de maturité, et, à son sujet posons-nous cette question : A-T-IL DROIT A L'ORDINATION ?|

Si l'Ordre était un sacrement comme les autres ; si, comme les autres, il avait sa fin propre dans le sujet même qui le reçoit, les dispositions suffisantes constitueraient un droit à la collation du Pouvoir Sacré.

Voici un pécheur qui vient accuser ses fautes. Dès que le confesseur a constaté dans le pénitent les dispositions cessaires, il ne peut pas lui refuser le pardon divin : les positions créent un vrai droit à l'absolution. Il faut dire plus : pour que le prêtre se trouve dans l'obligation d'absoudre, il suffit, en règle générale, qu'il n'ait pas la preuve de l'indignité du pénitent.

De même, à tout chrétien s'avançant à la sainte Table, à moins que son état scandaleux ne soit notoire, l'auguste Sacrement doit être conféré. On se rappelle que le droit au sacrement de l'Eucharistie chez les enfants eux-mêmes, pourvu qu'ils réalisent le minimum de préparation, vient d'être solennellement revendiqué par le Décret Quam singulari Christus amore.

Il en est de même pour le baptême, la confirmation, l'extrême-onction et le mariage. La grâce intérieure qui a produit dans le sujet les dispositions, appelle et exige le sacrement correspondant ; et les prêtres qui dispensent les rites sanctificateurs sont obligés de les donner à qui les demande dans ces conditions normales.

32. — L'idonéité ne donne pas droit à l'Ordination. Un seul sacrement est au-dessus de cette règle : c'est l'Ordre. Pourquoi ? Parce que, à la différence des six autres qui ont pour fin la sanctification du sujet, celui-ci est destiné, surtout, à la sanctification d'autrui. Il n'a pas été institué précisément en vue de celui qui le reçoit; mais, nous l'avons dit, en vue des fonctions hiérarchiques, qui ont pour fin le bien de l'Eglise du Christ. On est chrétien pour soi ; prêtre, on l'est pour les autres : christianus propter se ; sacerdos propter alios.

De là une double conséquence : d'une part, le candidat au sacerdoce, si parfait qu'on le conçoive, n'a nul droit au sacerdoce : sa sainteté intérieure constitue un bien personnel, qui ne réclame ni le pouvoir de sanctifier les autres, ni celui de les gouverner. D'autre part, puisque le peuple chrétien est la fin du sacerdoce, la mesure des prêtres à ordonner dans un diocèse se tire des nécessités ou utilités des églises de ce diocèse.

Sur ce point capital, la doctrine de l'Eglise est formelle. " Nul ne doit être ordonné, dit le Concile de Trente, que son évêque ne l'ait jugé nécessaire ou utile au service de ses églises... Qu'à l'avenir aucun candidat ne soit ordonné sans être attaché à l'église ou à l'édifice sacré, pour l'utilité ou la nécessité duquel il a été désigné, où il devra s'acquitter de ses fonctions, et non point errer sans poste fixe (1). "

33. — Besoins des églises : mesure des appels. Pour appeler aux Ordres,. l'évêque doit évidemment, en premier lieu, examiner les aspirants eux-mêmes. Mais cet examen, si satisfaisant qu'on le suppose, ne suffit pas à provoquer et à déterminer l'appel épiscopal. Après ce premier regard sur les candidats, l'évêque se tourne vers les églises de son diocèse et fait le relevé de leurs nécessités. Or, c'est de ce second regard que procède le choix des sujets dignes, et 'puis leur appel. Si le nombre des. candidats dignes est en proportion exacte avec les besoins constatés, l'évêque les appellera tous ; s'il y a surabondance de sujets, l'évêque choisira ; il en rejettera quelques-uns, quoique dignes et n'appellera que les meilleurs.

Comme nous l'avons déjà dit, rien de semblable dans les autres sacrements. Là, les dispositions du sujet lient la liberté du ministre ; celui-ci ne choisit pas, il n'appelle pas il prend ceux que Dieu lui envoie bien disposés par la grâce, tous sans exception ; tout au plus collabore-t-il parfois à leur préparation. Cela fait, il n'a plus qu'un rôle à remplir, et ce rôle est un devoir : administrer le sacrement. Pour l'Ordre, c'est le contraire. Voici les candidats devant

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(1) Cum nullus debeat ordinari qui, judicio sui episcopi, non sit utilis aut necessarius suis ecclesiis, Sancta Synodus... statuit ut nullus in posterum ordinetur, qui illi ecclesiœ aut pio loco, pro cujus necessitate aut utilitate assumitur, non adscribatur, ubi suis fungatur muneribus, nec incertis vagetur sedibus. (Trid. syn. Sess. 23, cap. XVI.).

 

l'évêque. Après examen approfondi, leurs dispositions sont jugées suffisantes. Va-t-on, dès lors, leur ouvrir le sanctuaire et les inviter à monter à l'autel. Non ; entre ce jugement sur la dignité des sujets et l'administration du sacrement de l'Ordre "se place l'acte d'élection et l'acte d'appel ; élection et appel qui vont être déterminés, non point par le nombre des candidats dignes, ni par leurs instants désirs, mais par la nécessité ou utilité des églises. Ce n'est qu'à la suite de cette élection, et en vertu de cet appel, que les barrières du sanctuaire s'abaissent et que le candidat acquiert le droit de s'avancer à l'ordination.

Nous ne cherchons pas à expliquer, en ce moment, la nature de ce choix ni le caractère de cet appel. Il en sera question plus tard. Il vaut mieux se borner ici à l'examen de faits indiscutables, admis de tous, et en déduire deux conclusions aussi rigoureuses qu'importantes.

 

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34. — Deux conclusions : droit d'éviction et de sélection. Premièrement, à considérer les choses en elles-mêmes — per se —, l'évêque a le droit d'évincer un sujet, encore que pourvu de l'idonéité nécessaire. Nous disons per se ; car, dans tel ou tel cas, par accidens, il peut y avoir à tenir compte d'une obligation de justice, résultant de l'acceptation du candidat au séminaire (1). — Nul sujet évincé par l'évêque n'a donc, per se, et simplement en invoquant son idonéité, le droit de récriminer.

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(1) Là où il existe des séminaires pour la préparation normale des clercs, la sélection réclamée par les besoins du diocèse se fait tout le long des années de formation. On abaisse ou an élève le niveau des exigences, selon le nombre des candidats, eu égard à l'utilité des églises. On est surtout vigilant pour les examens d'entrée.

 

Deuxièmement : l'évêque a le droit de faire une sélection, même parmi les candidats qui ont l'idonéité requise, de façon à choisir les meilleurs parmi les bons.

35. — Loi d'élasticité : Pie X. La deuxième conclusion s'appuie sur le Concile de Trente déjà cité : " Nul ne doit être ordonné, que son évêque ne l'ait jugé nécessaire ou utile au service de ses églises, " Si donc l'évêque a le choix entre plusieurs sujets, il est libre de ne choisir que les meilleurs. Ce n'est pas assez dire : il y est obligé. Du texte conciliaire qui déjà insinue ce devoir, qu'on rapproche, en effet, ces paroles de Pie X . " Là où le clergé paroissial dépasse les besoins, rien ne dispense des plus sérieuses précautions et de la plus grande sévérité, dans le choix de ceux qui doivent être appelés à l'honneur du sacerdoce (1). " Aux évêques qui ont peu de prêtres, le Pape vient de recommander de n'admettre, quand même, aux Ordres, que des sujets vraiment dignes, sans qu'ils puissent jamais se relâcher des précautions et de la sévérité, qui sont strictement requises, toujours, en si délicate matière.

Maintenant il va plus loin : " Là où il y a surabondance de clergé, rien ne dispense les évêques des plus sérieuses précautions et de la plus grande sévérité. " Les premiers, en raison de la pénurie de sujets, peuvent ne pas déployer ce luxe de précautions souveraines et d'extrême sévérité ; les autres, rien ne les en dispense.

36. — Une échappatoire rejetée. Pour échapper à la loi d'élasticité qu'expriment nettement ces paroles, on ne peut alléguer que, toujours et dans tous les cas, les évêques sont tenus aux plus sérieuses précautions

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(1) " Là dove il clero sovrabonda al bisogno, nulla è che scusi dalle piu sottili cautele e da somma severità nella di coloro che debbano assumersi all'onore sacerdotale. " (Enc. Pieni l'animo di S. S. Pio X).

 

et à la même sévérité ; qu'on ne saurait donc trouver en ces paroles pontificales, la recommandation d'un surcroît de vigilance, dans un cas plus que dans l'autre. C'est nier l'évidence. Si, aux évêques qui ont surabondance de sujets, le Pape voulait simplement rappeler les précautions et les sévérités, qui sont strictement requises partout et toujours ; lorsqu'il ajoute que rien ne les en dispense, eux qui sont dans l'abondance, insinuerait-il donc que, ta où les sujets sont rares, les évêques pourraient se croire dispensés de ces précautions et de cette sévérité nécessaires ?

Evidemment non. La règle pontificale ne peut-être que celle-ci : d'un côté, en temps de disette, employer quand même le minimum de vigilance ; d'un autre côté, dans les années de surabondance, redoubler de précautions et se montrer plus difficile pour l'admission aux Ordres (1).

La deuxième conclusion s'impose donc, comme la première. On peut la compléter en y ajoutant l'idée d'obligation, et dire : L'évêque a toujours le droit, et parfois le devoir, de faire une sélection, même parmi les candidats qui ont l'idonéité requise, de façon à ne choisir que les meilleurs parmi les bons.

37. — Troisième conclusion : élection et appel par l'évêque. A ces deux premières conclusions, une troisième se rattache logiquement. L'idonéité du sujet ne donnant pas droit à l'ordination, le premier

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(1) Il est à peine besoin de noter que dans ce passage : " Rien ne dispense des plus sérieuses précautions et de la plus grande sévérité ", le superlatif " le plus : fait en même temps fonction

de comparatif, comme dans toutes les propositions de ce genre.

Ainsi quand on dit " la rosé est la plus belle des fleurs ", on place la rosé au suprême degré de la beauté ; mais, en même temps, on la compare aux autres fleurs en la déclarant plus belle. La seule

différence entre ce superlatif et le simple comparatif, c'est qu'au leu de dire que la rosé est plus belle que telle ou telle fleur, on Proclame plus belle que toutes les fleurs sans exception. Le

superlatif " le plus " est un comparatif universel, voilà tout. —

Le R. P. Hurtaud (p. 345) paraît l'avoir oublié.

 

choix, fondé sur l'idonéité reconnue, est suivi, quand il y a lieu, d'un acte de sélection qui choisit les plus dignes parmi les dignes ; vient, enfin, un troisième acte intimement lié au précédent : l'appel à l'ordination, ou l'invitation officielle, adressée aux seuls choisis, de recevoir les Ordres sacrés.

D'où cette troisième conclusion, dont on peut déjà pressentir l'importance : La promotion légitime au sacerdoce exige essentiellement l'élection et l'appel de l'évêque (1).

Ajoutons immédiatement une remarque nécessaire : ni l'idonéité du candidat, ni son appel par l'évêque ne lui imposent — sauf cas exceptionnels — l'obligation d'y répondre. Il demeure libre moralement d'accepter ou de refuser l'honneur (2).

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(1) Ce chapitre trouve sa justification complète dans la première des trois propositions sur la vocation sacerdotale:

Neminem Habere unquam Jus Ullum ad Ordinationem Antecedenter ad liberam electionem Episcopi. (Voir ci-dessus N° 22.)

(2) Cette liberté du candidat est solennellement affirmée par l'évêque dans l'ordination décisive du sous-diaconat : " Hactenus liberi estis, licetque vobis pro arbitrio ad sœcularia vota transire. "

 

 

 

 

CHAPITRE II

Du Jugement sur l'idonéité

 

38. — Trois zones d'idonéité. Bonum ex integra causa, disent fort justement les moralistes. Le candidat au sacerdoce doit être bon intégralement. L'idonéité qui lui est nécessaire embrassera donc toute sa personne, extérieur et intérieur.

Or, on peut distinguer dans sa personnalité, en tant qu'objet de connaissance, trois zones ou couches superposées :

Une zone extérieure, soit publique, soit occulte.

Une zone intérieure, mais extériorisée.

Une zone intérieure, absolument secrète.

39. — Zone extérieure : les irrégularités. Dans la zone extérieure et publique se placent les irrégularités ex defectu : naissance illégitime, intelligence défectueuse, infirmités corporelles, servage, bigamie, infamie, ou déshonneur, etc... Le Droit Canon traite longuement de ces défauts.

Dans cette même zone extérieure, nous trouvons encore les irrégularités ex delicto — occultes, au sens canonique — contractées à la suite de certains crimes d'une particulière gravité au regard du sacerdoce. Encourent ces irrégularités : l'adulte qui reçoit le baptême des mains d'un hérétique ; celui qui se laisse rebaptiser ; celui qui se fait ordonner par surprise, ou qui exerce publiquement les fonctions d'un Ordre qu'il n'a pas ; l'hérésie ; l'homicide, etc...

En tous ces cas, le droit public lui-même prononce la non-idonéité des sujets ; et l'évêque n'a pas le droit, sauf dispense, de les promouvoir aux Ordres.

40. — Zone intermédiaire : science, vertu. Restent les deux zones intérieures : celle qui s'extériorise, et celle qui est absolument secrète.

La première est du domaine intellectuel et moral : elle comprend la science et la vertu des candidats, en tant qu'on peut en juger par les signes extérieurs.

Il est relativement facile de porter un jugement sur la science : intérieure par elle-même, elle peut se traduire tout entière au dehors par la parole.

Plus délicat est l'examen de la vertu, ou de la valeur morale des aspirants au sacerdoce. Or, c'est là le propre champ d'investigation de l'évêque. Il ne pénètre dans l'intérieur des candidats qu'à travers les manifestations extérieures, où cet intérieur se traduit ou se trahit. Aussi son jugement se fonde sur de longues et patientes inductions du dehors au dedans, qu'il fait par lui-même ou par ses délégués. En rassemblant toutes ces données d'observation, l'évêque se trouve en mesure de porter une décision suffisamment éclairée. Son avis doit prévaloir sur tout autre ; car, c'est lui qui tient, dans le diocèse, avant tout autre, la place de Dieu, spécialement pour ce qui concerne la collation du sacrement de l'Ordre (1).

41. — Zone secrète : la conscience. Reste la zone absolument secrète ou la conscience : c'est la partie réservée au candidat lui-même. L'appel de l'évêque le laisse libre, avons-nous dit (N° 37). C'est donc à lui qu'appartient la décision définitive d'avancement. Il a d'ailleurs dans la question de sa propre idonéité une large part de responsabilité devant Dieu et devant l'Eglise. Il doit s'examiner longuement lui-même et se juger. Mais, comme la prudence la plus élémentaire exige qu'en matière si grave

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(1) Prœlatus in Ecclesia gerit vicem Dei... in persona Dei determinat quid sit Deo acceptant IIa IIæ q. 88 a. 12).

 

et où il est lui-même en cause, il s'entoure de sages conseils, il consultera des hommes de science et d'expérience, des hommes qui lui paraîtront d'une compétence éprouvée, spécialement en matière de préparations sacerdotales. Il se soumettra loyalement, entièrement, à leur examen et répondra à leurs questions avec toute la sincérité de son âme. Aidé de leurs lumières, il portera enfin sa décision pratique d'acceptation ou de refus.

42.— Double jugement d'idonéité. Solutions diverses. Ainsi deux jugements sur le candidat sont en présence: le jugement de l'évêque et le jugement du candidat lui-même, assisté de ses conseillers.

En vertu des principes posés au chapitre précédent, (N° 34, 35), si le jugement de l'évêque est contraire au candidat, celui-ci, quelle que soit sa propre opinion sur lui-même, n'a qu'à se retirer. Dieu ne le veut pas dans la milice sacerdotale.

En vertu des principes sur la parfaite liberté que laisse au candidat l'appel épiscopal, si le jugement de l'évêque lui est favorable, le sien contraire, il doit encore se retirer.

Si, au jugement favorable de l'évêque, s'ajoute le jugement favorable du candidat et de ses conseillers, il pourra avancer en toute sécurité de conscience ; mais, il n'y est pas obligé ; s'il avance, ce sera donc de sa pleine initiative et liberté.

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CHAPITRE III

De l'acquisition de l'idonéité ou de la

formation sacerdotale

 

43. — Mécanisme de l'acte humain. Avant de se présenter aux , Ordres, le candidat doit acquérir les dispositions nécessaires de science et de vertu. Œuvre longue et difficile ! Comment se décidera-t-il à l'entreprendre ? Comment la mènera-t-il à bonne fin ?

Si l'on se réfère à la théorie des actes humains et de leur mécanisme, si bien décrit par saint Thomas (1), il est facile de répondre que le succès de la préparation au sacerdoce dépend de l'intention même qui en sera l'âme, le principe vivifiant.

L'intention est l'acte par lequel la volonté se propose une fin à atteindre.

Dès que la volonté s'est arrêtée à une intention précise, elle provoque la délibération sur les moyens à employer, puis l'élection ou choix de ceux qui paraissent meilleurs. Cela fait, et toujours sous l'influence de l'intention première qui préside à tout, la volonté prend, de concert avec l'intelligence, la résolution impérative (imperium) de passer à l'exécution de son dessein, en employant les moyens délibérés et choisis, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à la possession réelle de la fin (2).

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(1) Ia IIæ qq. vi-xvi.

(2) II est donc facile de saisir la justesse de cette remarque de saint Thomas, à savoir que l'activité volontaire de l'homme se déploie dans une sorte de cercle qui, partant d'un objet pris comme fin à atteindre, descend à la délibération et au choix des moyens ; puis, sous l'impulsion de la résolution impérative, remonte, par l'exécution, à travers la série des moyens choisis, jusqu'à ce qu'elle parvienne enfin à la possession réelle de la fin.

 

44. — Rôle capital de l'intention. On te voit, dans le déploiement de notre activité libre, c'est l'intention qui joue le rôle capital ; c'est d'elle que dépendent toutes les autres démarches de la volonté. Supprimez l'intention, vous supprimez du même coup la délibération et le choix, etc... ; vous supprimez surtout la résolution impérative et tout l'ordre d'exécution.

Pour la même raison, l'ardeur et la constance de la volonté dans les actes subséquents de délibération, de choix, etc... sont en raison directe de l'intention et de son empire sur la volonté.

En appliquant au cas présent ces principes indiscutables, nous concluerons que toute l'activité de préparation, chez un aspirant au sacerdoce, dépend de la fermeté et de la constance de l'intention qui l'anime.

45. — Objet précis de l'intention : l'idonéité. Quel est le but précis de cette intention ? On sera tenté de répondre : le sacerdoce. Mais en vertu des principes établis plus haut (N° 32 et suiv.), nous savons que la collation du sacerdoce n'est point nécessitée par les dispositions du sujet, et se trouve subordonnée au libre appel de l'évêque. L'intention du candidat, cette intention qui soutient et vivifie l'œuvre entière de sa préparation, ne doit donc pas porter, en soi et absolument, sur le sacerdoce ; elle ne peut le viser que conditionnellement. En réalité, son terme précis et absolu, c'est la plénitude de l'idonéité sacerdotale. Celle-ci, en effet, si elle n'autorise jamais à exiger le sacerdoce comme un droit, permet cependant de se présenter sans témérité au choix et à l'appel de l'évêque.

46. — Le séminaire, moyen d'acquérir l'idonéité. Le sujet ayant donc formé, tout au commencement, cette intention d'arriver un jour à la parfaite idonéité, n'a pas grande délibération, à faire sur le choix des moyens. La sagesse de l'Eglise y a pourvu par la fondation des Séminaires. En effet, en vertu de leur organisation même, leur action est telle que, si le séminariste s'y prête docilement, il parviendra, comme par une montée insensible, à l'idonéité requise. Ceci lui épargne toutes les difficultés de la délibération, dans une matière si grave et si délicate ; et, par conséquent, toute son élection se bornera à dire : " Je dois entrer au séminaire ; je dois en adopter, avec une docilité entière, le genre de vie et les divers exercices ; tel est le parti que j'ai à prendre. "

47. — La résolution du séminariste. Cette intention transformée en élection, fait un pas de plus et se change en résolution impérative : " Oui ! je veux entrer au séminaire, dit l'adolescent ; oui, je veux être complètement docile et maniable 'à La formation qui s'y donne. L'exécution de mon dessein est difficile et le but se trouve placé à bien longue échéance ! Pour ne pas défaillir en route, j'aurai besoin de me remettre fréquemment sous l'impulsion efficace de ma résolution première. D'elle dépend ma persévérance ; mais, elle-même tire toute sa force de l'élection et de l'intention qui, l'ayant engendrée une première fois, peuvent seules la maintenir et la raviver. Je ranimerai donc souvent l'énergie de mes résolutions, en fixant de plus en plus mon âme dans le ferme propos de me rendre digne du sacerdoce. De la sorte, je ne risquerai pas de faiblir en chemin, comme le voyageur qui perd le souffle. "

Tel est le langage du bon séminariste.

La résolution sans cesse renouvelée, retrempée, purifiée, dans les exercices de piété, surtout dans les communions du Séminaire, telle est la véritable ouvrière de la formation sacerdotale. La valeur du séminariste croît en raison de !a fréquence et de la force de sa résolution, comme celle-ci se développe en raison de l'intention, et celle-ci, enfin, en raison de l'amour pour le sacerdoce aimé, désiré, convoité, qui, pénétrant la volonté à la façon d'un germe, se l'adapte lentement, et, par la volonté, toute l'âme, et, par l'âme, l'être tout entier.

 

 

 

CHAPITRE IV

Origine de l'intention dans le candidat

au sacerdoce

 

48. — Tout se ramène à dé couvrir l'origine de l'intention. Puisque la formation sacerdotale effective, in executione, dépend de la résolution ; la résolution, de l'élection ; l'élection, de l'intention de la fin, c'est à cette dernière, en vérité, à l'intention, que, tout se ramène. Il importe donc d'en rechercher l'origine.

Nous abordons ici les questions délicates, communément désignées sous le nom de Questions de la vocation.

49. — Trois sources : révélation, inspiration, élection. La question qui se pose est, celle-ci : d'où vient l'intention surnaturelle qui porte une âme vers le sacerdoce ? Elle peut dériver d'une triple source :

a) D'une révélation divine formelle ;

b) D'une inspiration divine, relevant de quelqu'un des dons du Saint-Esprit ;

c) D'une élection surnaturelle, relevant de la vertu de prudence infuse.

Dans le premier cas, Dieu dirait à l'âme, par l'organe d'une parole extérieure authentique, ou par une parole intérieure, soit expresse, soit symbolique : " Je te veux prêtre ; prépare-toi à le devenir (1). "

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(1) Remarquons ici que cette révélation n'oblige, si elle oblige, que celui qui la reçoit. Lorsque le candidat au sacerdoce, dont l'intention première aura eu cette origine, se présentera à l'évêque, celui-ci le jugera, non sur ses dires au sujet de la révélation qui aurait donné naissance à son désir du sacerdoce, mais sur la valeur de sa préparation. L'évêque ne pourrait être lié dans son choix par la prétendue révélation que si elle lui était confirmée par un miracle. Même dans ce cas, il devrait juger l'idonéité et, si elle n'était pas suffisante, refuser ou au moins ajourner l'appel.

 

Dans le second cas, un homme se sentirait incliné et comme emporté vers le sacerdoce, par un mouvement de volonté qui ne procéderait? ni des suggestions de l'imagination, ni des délibérations de l'intelligence. Ce mouvement, étant reconnu surnaturel, ne pourrait être attribué qu'à une touche directe du Saint-Esprit, agissant sur l'âme par l'un des sept dons.

Dans le troisième cas, l'intention sacerdotale serait, tout uniment, le fruit d'une élection libre et personnelle, que l'âme a faite de sa propre initiative, quoique sous l'excitation et l'action de la grâce, sans y être provoquée, ni par révélation, ni par une touche directe du Saint-Esprit, appliquée à l'âme moyennant la passivité mystérieuse que confèrent les dons. Cette élection de libre initiative proviendrait simplement de méditations, de réflexions, de délibérations, faites par esprit de foi, avec le secours dés grâces ordinaires, par exemple au cours d'une retraite.

50. — Comparaison des trois sources d'intention. Dans les deux premiers cas, c'est le sacerdoce qui se propose lui-même à l'âme et se présente à elle comme un envoyé d'En-Haut ; dans le troisième, c'est l'âme qui se propose elle-même le sacerdoce comme but à atteindre librement, avec le secours de Dieu.

Dans les deux premiers cas, l'âme est portée vers le sacerdoce, d'une impulsion sentie, à laquelle, par la suite, elfe donne sa libre coopération. Dans le troisième cas, sans attendre de se sentir potassée, elle s'entraîne elle-même vers le but, tout en demandant à Dieu de l'aider, sachant bien que, sans Lui, elle ne peut rien faire.

51. — L'intention qui provient d'une libre élection suffit. Les deux premières manières, savoir par révélation et par inspiration, sont certainement possibles. La seconde même doit se vérifier assez souvent (1).

Mais la question, ici, n'est point du possible : elle est uniquement du nécessaire et du suffisant. L'on demande s'il est nécessaire que l'intention naisse d'une révélation ou d'une inspiration, antérieures à l'exercice de l'activité des facultés humaines, c'est-à-dire, à la réflexion, à la méditation, à la délibération ; ou si, au contraire, née d'une délibération et d'une élection, elle n'est pas suffisante.

Eh bien ! on ne saurait admettre que, soit une révélation, soit une inspiration de grâce, s'impose comme nécessaire, et qu'une élection, émanant de notre libre arbitre, ne puisse suffire.

52. — L'élection de libre initiative inclut la grâce. Qu'on veuille bien ne pas se méprendre sur notre pensée. En disant qu'une élection, émanant de notre libre initiative, suffit à légitimer l'intention d'arriver au sacerdoce, nous ne supprimons pas, nous supposons, au contraire, l'action de la grâce.

53. — Elle exclut seulement la théorie de l'expectative. Ce que nous ne pouvons, accorder c'est que avant de se croire autorisé à marcher vers le sacerdoce, il soit nécessaire que " l'âme demeure en attente de ce que Dieu voudra faire en elle, et ne s'excite point à agir ". Bossuet qui, dans ces paroles, signale une des erreurs du quiétisme, continue :

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(1) Ce second mode qui constitue les vocations d'attrait, paraît, de prime abord, désirable. Cependant il présente un grave inconvénient, dont nous traiterons plus loin : il est fort délicat de démêler l'origine divine de ces impulsions vers le sacerdoce. Nous verrons qu'en définitive, d'après les meilleurs auteurs, le troisième mode est le plus sûr et doit servir de contrôle aux deux premiers. N° 71-85.

 

" Une des raisons qu'on en allègue est qu'il ne faut pas prévenir Dieu, puisque c'est Lui qui nous prévient, mais seulement le suivre "t le seconder : autrement ce serait vouloir agir de soi-même. " Cette raison ressemble étrangement à celle qu'on oppose communément aux vocations de libre élection. Or, Bossuet la réprouve avec une extrême vigueur : " Mais c'est là, dit-il, réduire les âmes à l'inaction, à l'oisiveté, à une molle léthargie ! ".

" Il est vrai, continue-t-il, que Dieu nous prévient par son inspiration ; mais, comme nous ne savons pas quand ce divin souffle veut venir, il faut agir sans hésiter, comme de nous-mêmes, quand le précepte et l'occasion nous y déterminent, dans une ferme croyance que la grâce ne nous manque pas (1). "

54. — Doctrine de saint Augustin et de Bossuet. Ensuite, commentant cette parole de saint Augustin : " On n'aide que celui qui fait volontairement quelques efforts : nec adjuvari potest nisi qui etiam aliquid sponte conatur ", Bossuet ajoute : " Ce grand défenseur de la grâce... assurément ne voulait pas dire que le libre arbitre prévenait la grâce dans les actions de la piété ; il voulait dire seulement que, dans l'occasion, on doit toujours tâcher, toujours s'efforcer, toujours s'exciter soi-même, canari ; et croire avec tout cela que, quand on tâche, et quand on s'efforce, la grâce a prévenu tous nos efforts (2). "

Et voici où il précise d'une manière admirable l'attitude de l'âme au regard de la grâce divine : " II est vrai que lorsque la grâce se fait sentir de ces manières vives et toutes puissantes, qui ne laissent pour ainsi dire aucun repos à la volonté, souvent il ne faut que se prêter à son opération, et la laisser faire (vocations d'attrait ou d'inspiration sentie) ; mais c'est une erreur aussi grossière que dangereuse de

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(1) Instruction sur les Etats d'oraison : liv. X § 24.

(2) Ibidem.

 

croire qu'en ce lieu d'exil on en vienne à un état, où il ne faille plus faire de ces doux et volontaires efforts... ; c'est une illusion qui mène au fanatisme (1)... "

Le vigoureux polémiste termine par cette antithèse énergique : " Il ne faut ressembler, ni au Pélagien, qui croit prévenir la grâce par son libre arbitre ; ni au Quiétiste, qui en attend l'opération dans une molle oisiveté (2). "

55. — Le choix d'un état de vie doit-il être abandonné aux motions senties de la grâce ? Ailleurs Bossuet s'indigne de ce qu'on veut obliger le chrétien à livrer aux inspirations d'une grâce actuelle, mal entendue, tout au moins ce qui n'est pas de précepte, " c'est-à-dire, la plus grande partie de la vie humaine, le mariage, le célibat, le choix d'un état, d'une profession... tout cela sous le nom de grâce actuelle, est abandonné à la fantaisie d'un directeur ou à la sienne propre ".

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(1) Il est bon de ne pas oublier les propositions suivantes condamnées de Molinos :

4a) Activitas naturalis est gratiœ inimica, impeditque Dei operationes et veram perfectionem ; quia Deus: vult operari in nobis sine nobis.

13a) Resignato Deo libera arbitrio, eidem Deo reliquenda est cura de omni re nostra ; et relinquere ut faciat in nobis sine nobis suam divinam voluntatem.

(2) Le Cardinal Gennari dans son ouvrage : Del Falso Misticismo, où il commente les propositions de Molinos, écrit : " Fa d'uopo evitare due scogli : il semipelagianismo et il quietismo. I semipelagiani dicono che noi possiamo colle nostre opère e col solo libero arbitrio prevenire la grazia. I quietisti per contrario insegnano che noi dobbiamo prima ricevere la grazia, senza nulla fare anterioramente, e dobbiamo solo seguirla.

La dottrina vera si è che la grazia di Dio è necessaria per cominciare, proseguire e compiere qualsivoglia opera salutare, ma questa grazia non è straordinaria e sensibile. E però dobbiamo sforzarci a fare opère santé, supponendo sempre in noi la detta grazia. Se poi Dio benedetto ci manifesti in modo straordinario e sensibile, allora è necessario esaminare diligentemente se la ma-nifestazione venga propria da Dio; e conosciutala certamente da Dio, fa d'uopo seguirla. "

CARD. GENNARI : Del falso misticismo, Roma 1907, p. 136. en note.

 

" C'est là un des abus du quiétisme : sous le nom de grâce actuelle, on a pour guide sa propre volonté ; on prend pour divin tout ce qu'on pense ; et c'est là, quoi qu'on puisse dire, du pur fanatisme (1). "

Nous concluons : à l'origine de l'intention du candidat au sacerdoce, il suffit de trouver une élection, c'est-à-dire un libre choix fait selon les règles de la prudence surnaturelle, par des motifs de foi.

56. — Le Concile de Trente ne parle que de libre choix. De fait, là où le Concile de Trente traite de l'admission des clercs dans les séminaires, il ne parle que de libre choix, nullement de révélation ou d'inspiration particulière : " Primæ tonsuræ non initientur... de quibus probabilis conjectura non sit, eos non sæcularis judicii fugiendi fraude, sed ut Deo fidelem cultum præstent, hoc vitæ genus elegisse. "

Donc, l'élection surnaturelle est seule véritablement requise pour donner naissance légitime à l'intention sacerdotale.

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57. — Point à expliquer : motifs surnaturels qui provoquent l'élection d'où naît l'intention du sacerdoce. Reste à expliquer comment se fait le passage de l'une à l'autre. Il se fait selon le jeu normal, ordinaire, de nos facultés supérieures, la raison et la volonté.

Voici un jeune homme bon et pieux, qui aime Notre-Seigneur et les âmes. D'une part, son amour pour Notre-Seigneur lui fera désirer d'entrer avec ce divin Maître dans la plus grande intimité possible ; d'autre part, son amour pour

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(1) Préface sur l'Inst. Past. de M. de Cambrai § 71.

 

les âmes, issu du précédent, le portera à souhaiter de travailler à leur salut.

Or, voici qu'au cours de méditations et de réflexions, ou peut-être au pied de la chaire de quelque prédicateur, le sacerdoce s'offre à lui comme comblant à la perfection son double désir.

Le sacerdoce ! mais combien il est redoutable ! Aura-t-il la force de le porter ? Aura-t-il le courage d'entreprendre le long travail des préparations préliminaires (1) ? Il se consulte, il s'examine longuement, il prie surtout...

Enfin, au bout de sérieuses délibérations, il choisit de plein gré la carrière sacerdotale ; il la choisit comme moyen de satisfaire son amour de Jésus-Christ et des âmes.

Il y a donc ici, tout d'abord, une intention surnaturelle : celle de s'unir toujours plus étroitement avec Notre-Seigneur et de pratiquer l'apostolat auprès des âmes.

Cette intention traverse une sérieuse délibération sur le choix des moyens ; et, enfin, aboutit à l'élection du sacerdoce. Celle-ci est donc engendrée dans le jeune homme par ce qu'on pourrait appeler des prémisses d'âme ; c'est-à-dire des prémisses posées, non par la seule raison, ni par la seule volonté, mais par l'âme tout entière.

Je veux m'unir au Christ et travailler au salut des âmes, dans l'état de vie qui me paraîtra le plus efficace pour atteindre ce double but.

Or, l'état de vie qui me paraît le plus efficace, c'est le sacerdoce.

Je veux donc et je choisis le sacerdoce.

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(1) C'est ici que l'opinion moderne arrêterait les réflexions du jeune homme pour lui imposer l'examen de la question préalable : " Suis-je appelé au sacerdoce ? ". Malgré tous les désirs qu'il pourrait concevoir, il n'a le droit de s'y engager que s'il se sent appelé ; ou si, du moins, il prend ses désirs pour un appel de Dieu, Bossuet nous a dit plus haut que cette manière d'agir relève de l'illuminisme. (N° 54, 55).

 

58. — Grande variété de motifs selon les sujets. Pour le jeune homme qui a choisi de cette manière, le principe qui a présidé à l'orientation de son âme vers le sacerdoce, c'est l'amour. Pour un autre, ce sera l'espérance, le désir de se préparer pour le ciel comme une couronne d'âmes sauvées ; " Fratres mei... corona mea " (Philipp. v., 1). Peu importe ! ce sera toujours une fin supérieure au sacerdoce, d'où il partira pour venir au sacerdoce lui-même. Arrivé au sacerdoce, choisi comme fin plus prochaine, il en repartira pour venir à la volonté d'acquérir l'idonéité qui y est nécessaire. Le sacerdoce désiré sera ainsi point d'arrivée et point de départ : point d'arrivée des délibérations sur le moyen de servir Dieu, ou de sauver les âmes, ou de se préparer une plus belle récompense, etc., etc... ; point de départ des délibérations sur le choix des moyens à employer pour aboutir à l'idonéité sacerdotale, et, par elle, moyennant l'appel de l'évêque (1), à l'ordination.

Dans le premier stade, le sacerdoce est objet d'élection en vue d'une fin, ou intention, antérieure et plus haute ; dans le second stade, il devient lui-même terme d'intention et provoque tous les actes de la préparation, tels que nous les avons décrits au chapitre précédent.

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* *

 

59. — Schéma des actes psychologiques de l'intention et de l'élection. Qu'on nous permette de reproduire, en résumé, dans le schéma suivant, la série des actes par lesquels passe le jeune homme dont il vient d'être parlé.

A) — Oh ! Seigneur Jésus, que je vous aime ! (amour pour Notre-Seigneur : sentiment initial.)

B) — Oh ! que je voudrais m'unir plus étroitement à vous et conquérir beaucoup d'âmes à votre amour. Oui, vraiment, je le veux ! (Intention primordiale.)

C) — Comment y arriverai-je ?... (Délibération.)

D) — J'ai trouvé : par le sacerdoce !.., mais je suis si faible !...Cependant : " omnia possum in eo qui me confortat. " (Conclusion de la délibération.)

E) — Je choisis donc le sacerdoce. (Élection)

F) — Je serai donc prêtre ; j'arriverai au sacerdoce, (Intention nouvelle.)

G) — Comment y arriverai-je ? (Nouvelle délibération.)

H) — En entrant au séminaire ; en y étant docile à !a formation qui s'y donne et en y correspondant aux grâces de Dieu. (Conclusion de la délibération")

I) — J'entrerai donc au séminaire et j'y ferai ce que je viens de dire. (Élection nouvelle.)

J) — Allons ! entrons au séminaire et à l'œuvre ! (Résolution impérative.)

K) — Vie au séminaire jusqu'au sacerdoce .(Exécution.)

60. — Constatation importante : ni révélation, ni inspiration de grâce. Il est facile de le constater: dans ce processus d'actes intérieurs, l'intention du sacerdoce n'a pas germé dans l'âme à la suite d'une révélation (premier mode) ; ni sous l'impulsion d'une inspiration de grâce, entraînant la volonté et dont l'esprit n'aurait fait que prendre conscience (deuxième mode) ; elle est uniquement le fruit d'une libre élection, issue elle-même de délibérations, faites sous l'influence de motifs de foi et dirigées par les règles ordinaires de la prudence surnaturelle.

En E et en F, on voit très bien l'intention s'épanouissant sur l'élection, qui la précède logiquement et lui donne naissance. Or, le point de départ de tout est quelque chose d'objectif, savoir une fin ultérieure vue et voulue ; nullement un principe subjectif : révélation ou inspiration.

Sans doute, au cours de sa délibération (en D), le sujet se replie sur lui-même, mais simplement pour consulter ses forces, nullement pour écouter une révélation intime, ou pour attendre passivement une inspiration, à laquelle il n'aurait, par suite, qu'à s'abandonner.

61. — Inutilité d'inclinations naturelles pour provoquer l'élection. Ici trouve place une question connexe : Il existe en certains sujets des inclinations au sacerdoce, purement naturelles, qui provoquent l'attention de l'âme et l'amènent, comme par une pente insensible, à faire choix de la carrière sacerdotale. Ce sont, tantôt des inclinations naturelles sensibles, issues de l'imagination ; par exemple : un goût naturel pour les cérémonies sacrées, pour le chant ecclésiastique, pour la prédication ; — tantôt des inclinations naturelles de ta partie supérieure, nées de considérations purement naturelles sur le rôle sublime du prêtre dans le monde, et qui inspireront à une grande âme comme un goût naturel pour la vie et l'action sacerdotales.

Or, la question se pose de savoir si quelque inclination de cette nature, sensible ou intellectuelle, est nécessaire, comme substratum, à l'élection surnaturelle du sacerdoce. Il faut répondre négativement. On peut souhaiter des prêtres qui soient nés en quelque sorte pour le sacerdoce (1) ; on ne démontrera jamais que de telles dispositions naturelles soient, elles non plus, préalablement nécessaires. Le goût qui est nécessaire pour bien s'acquitter des fonctions sacerdotales, s'acquiert au cours même de la formation dans les séminaires.

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(1) A noter ici cette parole de Benoît XIV, que nous retrouverons ailleurs : " Boni namque (sacerdotes) et strenui operarii (in vinea Domini) non nascuntur, sed fiunt ; ut autem fiant, ad epis-coporum solertiam, industriamque maxime pertinet." (Epist. ENCYCL. Ubi primum ; 3 déc. 1740).

 

62. — Une élection de libre initiative suffit à légitimer l'intention du sacerdoce. De toutes ces considérations découle cette conclusion, d'une importance souveraine pour tout ce qui va suivre : on n'a pas le droit d'assigner, comme nécessaire dans le sujet, aucune motion, aucune impulsion sentie, passivement reçue, qui pousse l'âme vers le sacerdoce et légitime l'élection, par elle, de cet état de vie.

Si nous nous en tenons au nécessaire et au suffisant, le libre choix du sacerdoce, l'élection (schéma : F) est le commencement de tout.

63. — Des mêmes principes objectifs peuvent résulter des élections diverses. Il est vrai que cette élection procède d'une fin (schéma : B) comme de son principe ; mais cette fin est encore neutre par rapport au sacerdoce : amour de Notre-Seigneur et des âmes ; rien de plus. Cette fin est tellement neutre qu'elle est commune à la plupart des délibérations surnaturelles sur le choix d'un état de vie ; et ces élections, partant des mêmes motifs, aboutissent à des conclusions fort différentes.

Les uns délibèrent que le meilleur moyen pour eux de servir Dieu et les âmes, c'est de devenir simple religieux, dans telle Congrégation déterminée ; les autres opteront pour les missions étrangères ; d'autres, avec le même principe, pourront aboutir au choix d'un mariage chrétien, d'autres au célibat dans le monde, etc., etc. (1).

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(1) " Pourquoi vous êtes-vous fait jésuite ? " demandait, un jour, le célèbre Joseph Bertrand au P. Jullien, son élève.

— Puisque vous me le demandez, je vais vous le dire. Mon professeur de philosophie, qui était un jésuite, nous fit ce raisonnement : L'homme, tout homme, est créé par Dieu. Dieu en le créant a eu un but, un but digne de lui-même. Or, il n'y a que l'infini qui soit digne de Dieu. Donc Dieu m'a créé pour lui-même.

— C'est juste.

— Je n'ai donc qu'une seule chose à faire sur la terre, louer Dieu, le vénérer, le servir, culte extérieur, culte intérieur, obéissance en tout. Si je remplis de la sorte les intentions de Dieu, bien certainement il me récompensera dans l'éternel au-delà. Si je fais autre chose, sa justice devra me punir. "

M. Bertrand me fixe, croise les bras :

— Mais savez-vous, mon cher Père, qu'il n'y a rien à dire. C'est un théorème que vous me donnez là.

— Je le sais bien. Aussi, m'examinant moi-même, j'ai pensé qu'en me faisant jésuite, je serais plus sûr que dans le monde de louer, vénérer, servir Dieu et par là faire mon salut.

— Mais alors, moi aussi je dois me faire moine ?

— Non : vous êtes père de famille ; la volonté de Dieu est que vous vous appliquiez à élever vos enfants pour lui. Ce raisonnement qui vous a frappé n'est que le préambule des Exercices de saint Ignace. Si vous étudiez cet admirable petit livre, vous en verrez bien d'autres tout aussi concluants. " (Etudes, 5 mai 1911).

 

54. — Le Concile de Trente. Il est vrai que le Concile de Trente présuppose, en règle générale, dans les aspirants au sacerdoce, une adolescence pénétrée de piété et de religion. " Si les jeunes gens, dit-il, ne sont pas formés à la piété et à la religion dès leurs plus tendres années, avant que les habitudes vicieuses ne les possèdent entièrement, ils ne pourront jamais, sans une protection très grande et toute particulière de Dieu, persévérer parfaitement dans la discipline ecclésiastique (1). "

Le saint Concile note que c'est de ce principe que sont nés les Séminaires. Mais cette piété et cette religion ne présentent rien de spécial, ni qui puisse servir à discerner des élus du sanctuaire : relevant de la vie purement et simplement chrétienne, elles devraient se trouver en tout enfant de famille vraiment chrétienne ; elles n'impliquent donc, de soi, aucune relation actuelle au sacerdoce.

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(1) Nisi (adolescentium œtas) a teneris annis ad pietatem et religionem informetur, antequam vitiorum habitus totos homines possideat, numquam perfecte, ac sine maximo ac singulari prope-modum Dei Omnipotentis auxilio, in disciplina ecclesiastica perseveret. (Sess. 23, cap, xviii).

 

55. — Conclusion des quatre premiers chapitres. Pour résumer, sous forme le conclusion finale, la doctrine des chapitres précédents, disons :

L'idonéité sacerdotale s'acquiert soifs l'influence de l'intention qui vise absolument cette idonéité et, conditionnellement a l'appel de l'évêque, le sacerdoce.

Cette intention, qui est l'ame de la formation sacerdotale, est elle-même le fruit, l'effet immédiat, d'une libre élection du sacerdoce.

Antérieurement a cette libre élection, rien n'est nécessaire dans l'ame : ni révélation, ni inspiration, ni inclination surnaturelle, ni inclination naturelle ; il suffit de choisir le sacerdoce pour un motif digne du sacerdoce, et donc avec une intention subnaturelle (1).

 

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Ces considerations sont en parfaite harmonie avec les propositions 2 et 3e sur la vocation sacerdotale (Cf. supra N° 22, 25).

 

 

CHAPITRE V

Deux questions connexes :

L'attrait

Valeur des trois modes d'intention

 

66. — Préoccupation de doctrine objective. Jusqu'ici, on a pu le remarquer, notre exposé est strictement doctrinal : principes généraux sur la collation des sacrements ; théorie communément admise des actes humains et de leur mécanisme ; modes divers que Dieu emploie pour agir sur la volonté : telles sont les bases qui portent toutes nos conclusions. Elles sont empruntées à la philosophie et à la théologie toutes pures, sans être influencées par aucune controverse.

Il en sera de même en ce qui concerne les deux questions connexes que nous abordons maintenant.

§ I

67. — L'attrait dans l'acte humain, d'après saint Thomas : FRUI. Et, tout d'abord, la question de l'attrait. En quel sens la théologie peut-elle accueillir cette notion, qui jette aujourd'hui tant d'équivoques sur la question présente ? Si quelque attrait fait partie des éléments constitutifs de l'acte humain, saint Thomas n'aura pas manqué de le signaler.

Nous avons dit que le point de départ de l'acte humain est l'intention de la fin. Ceci a besoin d'être légèrement complété. L'intention est un acte relatif, savoir : la volonté d'arriver à une fin, grâce à des moyens que l'on ne fait encore qu'entrevoir, et qui sont précisés par les délibérations subséquentes.

Or, il est de la nature de tout acte relatif d'être précédé, comme de son fondement nécessaire, de quelque acte absolu. Ici, comme antérieurs à l'intention, saint Thomas en signale deux, le velle et le frui.

Le velle n'est pas autre chose que le simple mouvement de la volonté vers une fin considérée en elle-même.

Le frui est comme une prise de possession, par la volonté, de cette même fin. En ce premier embrassement, elle trouve une certaine anticipation de la joie finale qui accompagnera plus tard la possession réelle (1).

68. — L'attrait et l'intention du sacerdoce. Le sacerdoce n'étant pas fin suprême, il ne peut être choisi que comme moyen. Mais, outre que tout moyen qui se transforme en fin secondaire participe à la douceur de sa fin dernière et l'incorpore pour ainsi dire à lui-même (2), il y a de ces fins secondaires qui sont douées, par elles-mêmes, de quelque douceur " quadam dulcedine et delecta-tione " (3). C'est évidemment le cas du sacerdoce qui, tout d'abord, est objet d'élection comme moyen en vue d'une fin supérieure à atteindre — gloire de Dieu — et, par la suite, devient lui-même objet d'intention directe. En vertu de celle-ci, la volonté est provoquée à des délibérations nouvelles pour le choix de nouveaux moyens en rapport avec ce but intermédiaire.

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(1) Est ergo perfecta fruitio jam habiti finis realiter ; sed imperfecta est etiam finis non habiti realiter, sed in intentione, tantum la IIæ q. xi, a. iv.

(2) Si bien que : " Unus et idem subjecto motus voluntatis est tendens ad finem et in id quod est ad finem " ; cela quand " votuntas fertur in id quod est ad finem (non absolute, et secundum se, sed) propter finem " Ia IIæ q. xii a. iv.

(3) Ia IIa q. xi a. iv.

 

Cela supposé, il n'est pas douteux que le mot d'attrait, si nous voulons lui donner sa vraie place dans l'évolution de l'acte humain, ne corresponde au frui dont parle saint Thomas. D'une part, en effet, dans le frui, il y a attraction exercée par la fin sur la volonté ; d'autre part, dans l'attrait, il y a impliquée une idée de jouissance.

Entre les actes d'élection et d'intention se place donc, comme intermédiaire, l'attrait du sacerdoce, attrait supérieur, purement spirituel, qui maintient l'intention fermement ancrée dans l'âme et préside, avec elle, à toute la formation du candidat.

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* *

 

69. — L'attrait est postérieur à l'élection. Mais, qu'on le remarque bien, cet attrait est postérieur au libre choix que l'âme fait du sacerdoce ; il ne le provoque donc pas ; il n'en est, à aucun titre, la raison déterminante : c'est après avoir choisi le sacerdoce comme moyen que la volonté commence à se complaire en lui, comme en une fin intermédiaire, dont elle va faire l'objet d'une intention nouvelle et d'activités ultérieures d'où sortira l'idonéité.

Expliquons-nous bien clairement : ce point est capital.

Pour cela, reprenons toute la série des actes de la volonté.

La volonté veut, comme fin dernière, la gloire de Dieu et le salut des âmes. (C'est le velle primitif.)

Elle se complaît dans le sentiment de cette fin dernière à atteindre. (C'est le frui primitif : attrait).

Sous l'influence de cet attrait qu'exercé sur elle la fin dernière, elle se propose fermement de l'atteindre (Intendere ou intention primitive).

En conséquence de cette invention, sans cesse ravivée aux flammes de l'attrait, elle se porte à la délibération, laquelle aboutit elle-même à l'élection des moyens qui paraissent plus propres à atteindre la fin.

A ce moment apparaît le sacerdoce, estimé bon moyen, choisi comme moyen meilleur.

Dès lors l'élection du sacerdoce est chose faite.

Aussitôt qu'il a été choisi comme moyen en vue de la gloire de Dieu, le sacerdoce se transforme en fin intermédiaire et devient le point de départ d'actes de volonté, tout semblables à ceux qu'a provoqués la gloire de Dieu, fin dernière. (Velle, frui, intendere, deliberare, eligere).

Il devient le terme d'un nouveau velle, qui le vise comme chose bonne. Il provoque le frui, ou un premier embrassement de la volonté qui se complaît en lui : tout d'abord, en vertu du frui antérieur, qui lui fait aimer le sacerdoce comme moyen excellent et le lui fait envelopper maintenant du même amour dont elle aime la fin dernière ; ensuite, en vertu d'un frui secondaire, ou attrait nouveau, excité par les excellences et les beautés spéciales du sacerdoce.

Or, ne l'oublions pas, ce double attrait — soit le premier, en tant que, dérivé de la fin dernière, il porte maintenant sur le sacerdoce ; soit surtout le second, qui est directement sacerdotal — est postérieur à l'élection du sacerdoce ; et, répétons-le, il ne saurait donc être considéré comme la raison déterminante de cette élection.

70. — Le mot " attrait " est équivoque : l'éliminer. Si l'on s'en tient à cette théorie, il n'y a aucun inconvénient à dire que la formation sacerdotale est due à l'attrait du sacerdoce, de même qu'elle est due à l'intention. Mais voici un grave inconvénient : en français, le mot " attrait " est quelque peu équivoque. Car, en premier lieu, il est employé beaucoup plus souvent pour signifier une inclination sensible, qu'un mouvement de la partie supérieure.

En outre, et ceci est plus grave, il semble indiquer une idée de spontanéité, quelque chose d'étranger et d'antérieur à notre initiative réfléchie (1), qui s'accorde mal avec l'élection ou libre choix — acte essentiellement réfléchi — et qui lui 'est même absolument incompatible. De là vient que ce mot, dans le sujet qui nous occupe, doit être employé avec les plus grandes précautions. Le mieux, sans doute, serait de l'éliminer de la langue théologique, quand on veut marquer la raison suffisante de ce qu'on appelle une vocation sacerdotale, et de se borner aux mots d'élection et d'intention. Que si l'on tient à garder le mot d'attrait, du moins faut-il l'accompagner de toutes les précisions nécessaires.

§ II

71. — Les trois modes d'intention. Cette remarqué nous amène à la deuxième question connexe, où nous allons voir le mot " attrait " reparaître, avec le sens qu'on lui donne communément et qui est tout différent de celui que nous venons de déterminer.

Ainsi que nous l'avons expliqué au chapitre précédent, l'intention du sacerdoce peut germer dans l'âme de trois manières :

par une révélation ;

par une inspiration du Saint-Esprit ;

par une élection .de prudence surnaturelle,

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(1) En effet, d'après une opinion courante, c'est avant de se décider pour le sacerdoce et pour se croire autorisé à le choisir que l'on explore ses attraits, comme signes de la volonté de Dieu. Aussi exige-t-on que ces attraits révélateurs ne soient pas le fruit de notre activité naturelle, mais d'une pure grâce. A cette. condition seulement, ils sont vrais signes de vouloir divin... La conclusion est logique ; c'est le principe qui est faux.

 

72 — Leur valeur respective au point de vue spéculatif. Si l'on compare ces trois, modes à un point de vue tout spéculatif, il est évident que le premier est supérieur au second et le second au troisième. Aussi, à égalité de certitude, d'une part sur l'origine divine de la révélation et de l'inspiration, d'autre part sur la prudence surnaturelle de l'élection, on préférera marcher vers le sacerdoce sur la parole formelle de Dieu, ou par inspiration d'attrait, que par simple élection.

73.— Il en va tout autrement au point de vue pratique. Mais, c'est là, disons-nous, un point de vue tout spéculatif. Si l'on descend aux réalités pratiques, il en va tout autrement ; car ce qui fait défaut aux deux premiers modes, c'est précisément la certitude suffisante de leur origine surnaturelle. Aussi les auteurs de théologie ascétique ou mystique n'inculquent rien tant que la nécessité de soumettre ces révélations et inspirations au contrôle sévère de la prudence surnaturelle, qui juge d'après les données générales de la raison et de la foi. Qu'est-ce à dire ? sinon que les deux premiers modes sont pratiquement tributaires du troisième, au point que, s'ils sont répudiés par lui, il n'y a plus à en tenir compte. Le troisième, au contraire, porte sa valeur en lui-même et n'a nullement besoin d'un confirmatur provenant d'une révélation ou d'une inspiration.

Développons ces aperçus.

74. — Règles de l'ascétisme sur les révélations. Voici la règle empruntée à saint Jean de la Croix et à sainte Thérèse, au sujet des révélations :

" SE DEFIER des révélations, d'une manière générale, et se persuader que cette voie est très sujette aux illusions de l'imagination ou du démon. "

" Exemple de sage défiance : la Bienheureuse Marguerite-Marie de Ravenne et sa compagne... avaient de nombreuses révélations : mais elles protestaient qu'elles n'y attachaient aucune importance et qu'il fallait seulement en croire ce qu'on sait déjà par l'enseignement de l'Eglise... Et pourtant l'action du Saint-Esprit se montrait en elles par des prédictions réalisées et des miracles. "

... " Ne pas demander ni désirer ce genre de grâces ; toujours pour cette raison qu'elles sont sujettes à l'illusion. " Je crois, dit saint Jean de la Croix, que l'âme disposée à admettre ces sortes de communications ne saurait éviter d'y être souvent trompée. " (Montée : Liv. II, chap. xxx) (1).

75. — Des révélations sur l'état de vie à embrasser. Ici une objection se pose d'elle-même : si on rejette une révélation concernant une œuvre extérieure, comme serait le choix d'un état de vie, ne s'expose-t-on pas à se priver du bien qui devrait en résulter ?

On répond : " Quant aux actions extérieures conseillées (ou ordonnées) par une révélation, on ne prétend pas qu'il faille y renoncer, quand on dit de rejeter la révélation elle-même. Il suffit qu'on ait par ailleurs de bonnes raisons de les entreprendre. "

" Il y a seulement deux précautions à prendre : a) se décider, principalement au moins, par la valeur de ces raisons ; il faut même le faire uniquement si la révélation ne paraît pas très certaine. b) Imiter sainte Thérèse, en ne présentant pas aux autres le motif qu'on a eu une révélation. "

Il faut montrer une défiance (envers les révélations) d'autant plus forte qu'il s'agit d'une affaire ayant de plus graves conséquences (2). "

Or, dirons-nous, quelle affaire de plus grave conséquence que celle du choix d'un état de vie ? Donc, pour celle-là surtout

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(1) POULAIN ; Les grâces d'oraison, Paris, Beauchesne, 6e édition, chapitre xxiii, N° 20, 21, 22.

(2) Idem, ibid. N" 27, 29.

 

on se gardera de désirer une révélation ; si on la reçoit, on s'en défera ; si, même, die est certaine, on se décidera, principalement au moins, par la valeur des raisons qu'on a de choisir, par exemple, le sacerdoce ; et, si la révélation est tant soit peu douteuse — et quand ne l'est-elle pas chez le commun des mortels ? — on se décidera uniquement pour ces raisons (1).

Voilà donc Je premier mode tellement soumis au troisième qu'il est pratiquement absorbé par lui.

76. — Les 'inspirations ou " attraits " : description. A plus forte raison en sera-t-il de même du second, celui des inspirations du Saint-Esprit. Il n'est pas difficile de reconnaître en elles l'attrait, tel que l'entendent les auteurs modernes les mieux informés. Ainsi, nous en trouvons dans Ribet la description suivante : " L'attrait divin se reconnaît à .certaines touches intérieures que l'on ressent, à l'heure du .recueillement et de la prière, dans les moments de ferveur sensible : Parfois on dirait une voix mystérieuse qui retentit

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(1) Sainte Thérèse a reçu par "révélation sa vocation de Réformatrice du Carmel. (Nous parlerons plus bas de sa vocation religieuse).

Un jour, dit-elle, au moment où je venais de communier, le divin Maître m'ordonna de travailler de toutes mes forces à l'accomplissement de cette œuvre (l'a réforme du Carmel). "

La révélation était, à ses yeux, tout à fait certaine. Néanmoins elle va consulter le célèbre Père Ibanez ; elle expose son projet, fait connaître les motifs qui l'ont décidée à s'engager dans cette entreprise, mais sans parler de l'ordre qu'elle avait reçu de Notre-Seigneur, ni de ses révélations ou autres faveurs surnaturelles. " Car, disait-elle souvent, je ne veux pas régler ma conduite d'après aies choses, mais agir uniquement : par obéissance, et selon les lumières de la foi et de la raison. "

Dona Guiomar, sa compagne, déclare à Thérèse que "si le Père Ibanez les condamne, elle n'abandonnera pas l'œuvre. Thérèse, plus calme et plus prudente, assure au contraire, que, si ce savant .religieux lui dit qu'elle ne peut poursuivre sans offenser Dieu, elle s'arrêtera immédiatement."

Histoire de suinte Thérèse, d'après les Bollandistes, ses divers historiens et ses œuvres complètes. Tome I, p. 219 jet 234. Nouvelle édition : Paris, Retaux-Bray, 1888.

 

ou s'insinue dans le silence de l'âme ; plus fréquemment c'est la pensée d'an bien à accomplir qui surgit inopinément aux yeux de l'esprit, accompagnée d'une impulsion plus ou moins vive à la réaliser ; c'est encore une suavité, un besoin, une attraction indéfinissable, auxquels il faut céder. En somme, le principal moyen pour :bien saisir l'attrait divin, est de se retirer dans tes profondeurs de son âme, et là, d'observer et d'écouter (1). "

77. — Attrait et attrait. On voit combien cet attrait diffère de celui que nous avons admis plus haut N° 69, et dont nous avons dit qu'il accompagne toujours l'intention du sacerdoce, issue d'une libre élection. L'attrait des modernes n'est pas postérieur à l'élection, il lui est antérieur ; Il n'est pas le résultat auquel on aboutit après des méditations, des réflexions, des délibérations de la raison et de la foi sur le choix d'un état de vie ; c'est un stimulant qui inerte à penser au sacerdoce et entraîne à le choisir. Celui qui veut découvrir, par la méthode de l'attrait, s'il est appelé de Dieu, s'établit dans une indifférence absolue, s'enveloppe de silence et se retire dans les profondeurs de son âme ; là, il écoute, il attend, non pour surprendre ses propres pensées : il en fait au contraire abstraction le plus possible ; mais pour discerner les imposions de Dieu, Si sa conscience psychologique ne perçoit aucune lumière intérieure lui montrant le sacerdoce, et ne sent aucun mouvement qui l'y pousse, c'en est fait : il n'a pas le droit de se diriger de ce côté, car il n'a pas reçu l'appel. Choisir cet état de vie à la suite de réflexions personnelles, et d'après les règles ordinaires de la prudence surnaturelle, lui semblerait une usurpation sacrilège.

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(1) RIBET ; L'ascétique chrétienne, p. 214. (Voir d'autres, descriptions de l'attrait dans notre chapitre préliminaire, (N° 10-12).

 

78. — Il n'est pas obligatoire pour choisir, d'attendre les attraits. Au sujet de ces attraits, notons, en premier lieu, qu'ériger en principe la nécessité d'attendre l'inspiration divine pour se décider à l'élection du sacerdoce, de telle sorte que l'on se croie interdit de le choisir, aussi longtemps qu'on n'aura pas senti une motion qui nous y porte, c'est, à n'en pas douter, une erreur d'origine quiétiste (1).

" Certains auteurs modernes ont gardé quelque chose de la doctrine précédente (quiétisme), en donnant trop d'importance à l'attrait. Ils semblent en faire la règle générale et unique de la conduite, au lieu d'y voir un moyen excellent sans doute, mais qui n'est pas le seul. La vie se composerait ainsi, non d'élections, mais de vocations manifestes ; par là on donne la peur de l'initiative (2). "

C'est contre ce principe d'inertie que Bossuet à écrit ses pages les plus vigoureuses dans sa controverse avec Fénelon (3).

Voilà donc un premier résultat : il n'est pas nécessaire, pour aller au sacerdoce, de nous y sentir entraînés par une inspiration divine, par des attraits sentis (4).

79. — II faut se défier des attraits. Il y a plus : quand nous croyons sentir en nous cette inspiration, notre premier mouvement, comme pour les révélations, doit être la défiance. Sans cette précaution, nous sommes exposés à toutes les illusions : " Le principe de l'attente de la motion divine n'a pas seulement l'inconvénient d'empêcher d'agir quand il le faut ; il amène à agir

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(1) POULAIN ; Ibid. chap. xxvii, N° 8 et suiv.

(2) Ibid, N° 14.

(3) Cf. supra N° 53 et suiv.

(4) Nous ne disons pas seulement sensibles : les principaux attraits sont d'ordre spirituel. Mais il est commun aux uns et aux autres d'être sentis, c'est-à-dire perçus par la conscience ; sans cela comment pourraient-ils servir de signe ?

 

quand il ne le faut pas. Car cette doctrine sous-entend qu'il faut céder à la motion qu'on croit venir de Dieu, c'est-à-dire à un simple état émotif, sans examiner les raisons qui justifient l'action. On peut ainsi faire mille sottises en les attribuant au Saint-Esprit ; c'est du pur illuminisme (1). "

80. — Les soumettre au contrôle de la raison et de la foi. La troisième attitude de l'âme en face des impulsions qui semblent divines, c'est de les soumettre au contrôle de la raison et de la foi.

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81. — Doctrine de saint Ignace sur les trois temps d'élection. Tout ce que nous venons de dire des révélations et des attraits est en conformité parfaite avec la doctrine de saint Ignace sur l'élection, dans les Exercices, deuxième semaine, douzième jour. Le Saint distingue trois temps ou modes de détermination : Certaines déterminations sont provoquées par des révélations miraculeuses : " L'âme pieuse suit ce qui lui est montré ; comme le firent saint Paul et saint Mathieu. "

D'autres procèdent de motions ou d'attraits qui préviennent toute délibération.

D'autres, enfin, sont le résultat de délibérations personnelles, qui aboutissent à un choix raisonné et réfléchi. " Le troisième mode est tranquille. L'homme, considérant d'abord pourquoi il est créé, c'est-à-dire pour louer Dieu, Notre-Seigneur, et sauver son âme, et touché du désir d'obtenir cette fin, choisit comme moyen un état, un genre de vie, parmi ceux que l'Eglise autorise, pour mieux travailler au

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(1) Poulain, ibid, N° 13 bis.

 

service de son Seigneur et an salut de son âme; j'appelle temps tranquille celui où l'âme n'est pas agitée de divers esprits, et fait usage de ses- puissances, naturelles, librement et tranquillement. "

Dans le premier et te second temps nous enseigne le Directoire de la Compagnie de Jésus, la volonté précède, l'intelligence suit entraînée par la volonté sans le secours d'aucun raisonnement. Dans le troisième temps, c'est l'intelligence qui marche la première et propose à la volonté des motifs si nombreux: qu'il l'excite et la meut vers le parti qu'elle juge meilleur. " In primo et secundo tempore electionis voluntas præcedit, intellectus vero sequitur et ab illa trahitur sine ullo suo discursu, aut cunctatione ; in tertio autem præcedit, intellectus ipse, tamque multas rationes vo-luntati proponit, ut eam exstimulet, et impellat in eam partem quam judicat meliorem. "

Or, le Directoire; comparant les trois temps, déclare, il est vrai, que les deux premiers sont plus excellents, plus élevés, mais seulement si l'on suppose connu, que les motions viennent directement de Dieu. Comme, le plus souvent, cette certitude fait défaut, c'est le troisième temps qui donne pratiquement le plus de sécurité et d'assurance " sed posterior via, nempe per rationem et discarsum, est securior et tutior (1) ".

Pour la même raison, on nous avertit qu'il est indispensable de soumettre au contrôle du troisième temps, c'est-à-dire du raisonnement et de ta réflexion, tes résultats dés deux autres et de ne tes admettre qu'après ce confirmatur.

Cet examen est si nécessaire, ajoute-t-on, que si l'on rencontre des attraits qui essaient de s'y dérober, ils doivent, de ce fait, être taxés d'origine diabolique.

Donc pratiquement, les, attraits, comme les révélations, sont justiciables de la prudence surnaturelle, tandis, que les décisions de la prudence surnaturelle se suffisent à elles-mêmes et ne dépendent, en rien, ni des révélations, ni des attraits.

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(1) Directorium ; cap. xxvii.

 

82. — La voie la plus sûre : l'élection de libre initiative. Cette comparaison des trois modes d'élection suggère les réflexions suivantes. Ceux qui ont choisi la carrière sacerdotale, sans y être incités ni par révélation, ni par attraits, mais simplement de leur propre initiative, à la suite de délibérations rationnelles " per rationem et discursum ", éclairés des seules lumières de la foi, ne doivent pas se considérer comme .des disgraciés, ni se laisser aller à, craindre que leur vocation soit de qualité inférieure. Ils sont dans la voie la plus sûre, la plus exempte d'illusions : " via securior et tutior ".

83. — Ceux qui ont reçu des révélations; ou senti des attraits, ne doivent pas y mettre leur confiance. Les autres, au contraire, n'ont à ténias compte pratiquement de leurs révélations ou de leurs attraits, que dans la mesure où la raison et la foi les autorisent, comme les premiers, à choisir le sacerdoce (ou l'état religieux). Leur vanité doit prendre garde de s'arrêter, avec trop de complaisance, au souvenir de ces phénomènes mystiques, qui auraient marqué te début de leur vocation. Qu'ils se préoccupent uniquement de se rendre dignes de l'état de vie auquel ils se disposent.

Et, s'ils croient avoir entendu au fond de leur âme de ces appels divins au sacerdoce (ou à la vie religieuse), qu'ils se gardent bien de jeter le discrédit sur les vocations qui ont eu un autre point de départ, et de se considérer comme des privilégiés (1).

84. — Les vocations de libre élection ont sainte Thérèse pour patronne. Il y a, dans l'autre catégorie, des prêtres (et des religieux) en aussi grand nombre peut-être que dans la première et de non moins haute valeur (2). Pour laisser aux premiers la douce consolation d'être de vrais appelés, qui donc aura la cruauté de plonger les autres dans l'angoisse ? N'oublions pas que s'ils ont sagement choisi et droitement voulu le sacerdoce, cela suffit. Ils sont même, — le Directoire de la Compagnie de Jésus nous l'a déclaré, — dans la voie la plus sûre et à l'abri des illusions qui menacent toujours les autres voies.

Ils se trouvent d'ailleurs en bonne compagnie ; et ce doit être pour eux une consolation très douce de se rappeler que, parmi beaucoup d'autres, la séraphique Thérèse elle-même

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(1) Autre remarque : dans ces révélations et inspirations, ces privilégiés (?) ne peuvent trouver la garantie que Dieu les veuille prêtres. Dieu veut qu'ils désirent le sacerdoce et s'y préparent : telle est la seule signification de ces révélations et attraits, à les supposer authentiques. Mais Dieu veut-il qu'ils reçoivent réellement le sacerdoce ; cela demeure toujours problématique jusqu'au moment de l'appel officiel et de l'ordination.

L'exemple d'Abraham, invité à immoler son enfant, est là pour prouvé le bien-fondé non moins que l'importance de cette distinction.

Or, en matière d'appel intérieur, le cas d'une volonté divine inefficace est bien moins rare que pour des actes extraordinaires, comme celui d'un père immolant son propre fils. Suarez nous dit même que c'est souvent que le Saint-Esprit inspire le désir d'une chose dont il ne veut pas la réalisation : " Sœpe Spiritus Sanctus prœbet desiderium alicujus rei cujus exsecutionem non vult... immittit enim interdum Spiritus Sanctus tale desiderium propter bonum et meritum ipsius, quamvis ad exsecutionem perventurum non sit, aut pervenire non expédiat " De Religione ; tract. VII, lib. V ; cap. viii, N° 3 : Parisiis, 1859 ; tom. XV, p. 331.

(2) La proposition II sur la vocation sacerdotale dit nettement que les vocations d'inspiration ou d'attrait ne sont pas " de lege ordinaria ". N° 22.

 

n'est pas entrée par une autre porte dans la vie religieuse (1).

85. — Objection : ne risque-t-on pas de devancer la grâce de Dieu ? A la méthode de libre élection ou d'initiative personnel- le, on pourrait objecter, avec les Quiétistes, qu'elle ne va à rien moins qu'à prévenir la grâce. Or, les auteurs les plus orthodoxes disent qu'il faut bien se garder de devancer la grâce ou l'appel divin.

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(1) On peut lire l'émouvant récit de la vocation de sainte Thérèse dans l'un des ses meilleurs historiens contemporains : Histoire de sainte Thérèse d'après les Bollandistes ses divers historiens et ses œuvres complètes. Paris, Retaux, 1888, Tome I, pp. 41-45. On y relève notamment les détails suivants : Thérèse loin de ressentir des attraits " éprouve une répugnance invincible pour la vie religieuse. "

La raison et la foi l'ont seules décidée à embrasser cet état de vie ; son choix fut le résultat du raisonnement. " Comment la volonté divine se révèle-t-elle à Thérèse ? " se demande l'auteur ; " par des grâces extraordinaires ? par des attraits irrésistibles ? par un appel divin clairement signifié ? Rien de tout cela dans la vocation de Thérèse, et si quelqu'un se prend à regretter que les fiançailles spirituelles d'une pareille sainte aient été célébrées d'une manière si simple, si commune, nous, pour notre part, nous bénissons le Seigneur d'avoir ainsi donné à ses plus humbles servantes un modèle à suivre au lieu d'un prodige à admirer. "

Thérèse réfléchit que dans le monde son salut éternel serait fort exposé, tandis que le cloître lui promet un asile assuré. " L'état religieux est donc le plus sûr et le plus parfait ; cela suffit. Thérèse correspondant fidèlement à la grâce qui la presse de tout sacrifier pour s'assurer le ciel prend avec énergie la résolution de surmonter son éloignement pour le cloître : elle sera religieuse, quoi qu'il lui en coûte. "

Sa décision est la conclusion d'une sorte de syllogisme que l'on peut exprimer ainsi : Désirant par-dessus tout faire mon salut, je veux prendre la voie la plus sûre.

Or, la voie la plus sûre, c'est le cloître. Donc je prendrai la voie du cloître.

L'auteur conclut ainsi : " Nous sommes loin ici, n'est-il pas vrai, d'une vocation d'entraînement. La foi et la raison sont seules consultées. La foi pose les prémisses du grave jugement dont la raison tire la rigoureuse conclusion. " Telle fut la vocation de sainte Thérèse. Ceux qui sont entrés de cette manière dans le sacerdoce ou la vie religieuse peuvent donc se rassurer. Ils sont en bonne compagnie !

 

Mais, répond l'auteur que nous avons déjà cité " c'est là une phrase équivoque, qui veut dire simplement : dans les affaires importantes, telles que le choix d'un état de vie, ne précipitez rien ; examinez, priez, consultez (1) ".

Il faut ajouter d'ailleurs : autre chose est prévenir la grâce sentie, autre chose prévenir la grâce tout court. Dans nos bonnes œuvres, nous ne devançons jamais la grâce, puisque nous ne pouvons rien faire de bien sans elle ; notre initiative n'est donc qu'apparente : de la cause seconde par rapport à la Cause Première il ne saurait y avoir d'initiative proprement dite. Mais il est permis toujours, meilleur souvent, et même, parfois, obligatoire, de ne pas attendre des motions ressenties : cette attente, nous a dit plus haut Bossuet, favorise toutes les lâchetés et expose aux illusions les plus fanatiques.

Avant d'agir, surtout dans tes œuvres plus importantes, il est louable de prier longuement pour appeler des surcroîts de lumière et d'énergie divine ; mais, aussitôt après, sans attendre d'être poussé plus avant,, on, délibère de soi-même, et puis on s'élance sur la voie que les règles de la prudence ont indiquée.

86. — Remarque finale : utilisation des règles de l'élection. Observons enfin, en ce qui regarde le choix au sacerdoce, que les longues prières, les délibérations compliquées, les règles d'élection tracées par saint Ignace, si elles sont à conseiller vivement aux jeunes gens du monde qui arrivent à l'âge de dix-huit ou vingt ans sans avoir songé sérieusement à leur avenir, sont loin de présenter la même utilité pour les séminaristes. Pour eux le Séminaire, avec ses retraites, ses méditations fréquentes sur le sacerdoce et les qualités qu'il requiert, etc..., n'est qu'un temps d'élection prolongée, la plus sûre, la plus complète, parce qu'elle se fait sous le regard et selon les règles des Pasteurs de l'Eglise.

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(1) POULAIN : loc. cit. chap. xxvii, n° 12 note.

 

 

CHAPITRE VI

De l'action de Dieu dans la préparation

et l'appel de ses prêtres

 

87. — Le sujet devant l'évêque : Idonéité ; appel. Voici un sujet en face de l'évêque. Il vient présenter à l'examen son idonéité sacerdotale, fruit de longues années de formation. Quand il fait un retour sur le passé, il constate que, dès le début, il s'est mis sous l'influence d'une intention, dont l'énergie persévérante la soutenu, dans la suite, parmi toutes les difficultés. Pour réaliser son intention il a vu que le vrai moyen était l'entrée au Séminaire ; il y est entré. Dans cette demeure bénie, creuset où s'épure, atelier où se forme le futur prêtre, il a renouvelé, chaque jour, sa résolution de, travailler son âme en vue du saint ministère ; il a orné son intelligence de science sacrée, sa volonté de toutes les vertus lévitique. Aujourd'hui, l'œuvre paraît suffisamment achevée. Il reste à la soumettre au jugement officiel. Dans ce candidat, l'intention d'acquérir? L'idonéité sacerdotale, s'est traduite en une exécution (1), qui demande maintenant à être contrôlée.

De son côté, l'évêque vient au candidat avec son triple pouvoir de juger, de choisir et d'appeler les sujets qui désirent entrer dans le sacerdoce.

Mettons les choses au mieux : le sujet dont nous parlons est excellent. L'évêque juge son idonéité plus que suffisante ; puis, regardant a l'utilité des églises de son diocèse, il choisit ce candidat plus digne, de préférence à un autre, simplement digne, qui est écarté ; enfin, il appelle le candidat jugé

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(1) Voir plus haut chapitre iii, n° 43-47.

 

et choisi ; c'est-à-dire qu'il l'invite officiellement, au nom de Dieu, à recevoir les Ordres.

88. — Double question à résoudre. Il s'agit de savoir, qu'elle est, en tout cela, la part de

Dieu :

1° Part de Dieu dans la préparation des sujets.

2° Part de Dieu dans le jugement, le choix et l'appel de l'évêque.

La première question se pose de deux manières : par rapport à un individu en particulier et par rapport à l'ensemble des candidats.

§ I

 

 

Part de dieu dans la préparation des sujets.

 

89. — Dieu fait tout dans chaque candidat au sacerdoce. Il n'est pas difficile de déterminer la part de Dieu dans la formation de chaque sujet en particulier ; la chose va de soi : Dieu doit faire tout. En effet, la volonté ou l'intention du candidat doit être surnaturelle, et, surnaturelle, l'exécution. Or, c'est Dieu qui est cause de l'une et de l'autre : "Deus est qui operatur in vobis et velle et perficere, pro bona voluntate.(1). "

Il\ commence par donner le vouloir : " velle " c'est-à-dire tout ce qui constitue ce que nous avons appelé l'ordre d'intention ; mais, s'il n'y ajoute l'agir " perficere ", c'est-à-dire tout ce qui concerne l'exécution, c'est vainement que nous le chercherions en nous. Même quand la grâce a mis le vouloir en nos mains, nous sommes incapables d'en assurer la réalisation. " Nam velle adjacet mihi, perficere autem bonum non inventa (2). "

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(1) Philipp. ii, 13.

(2) Rom. vii, 18.

 

En somme, nous ne pouvons rien produire, rien vouloir, rien penser de surnaturel sans la grâce de Dieu : " sine me nihil potestis facere "(1). Oui, dans nos bonnes actions, tout, jusqu'à la première pensée du bien, dépend de la grâce. " Non quod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis quasi ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est. " (2).

La conclusion s'impose : rien de surnaturel, ni dans l'ordre intentionnel, ni dans l'ordre d'exécution, qui ne descende d'En-Haut : " Desursum descendens a Patre luminum (3). " La prière qui appelle la grâce sera donc continue sur les lèvres de celui qui entreprend une œuvre surnaturelle.

Si l'on ajoute que le sacerdoce est, dans l'ordre surnaturel, un point culminant et un sommet, on comprendra que le candidat à cette dignité sublime doive observer, plus que personne, la recommandation du Sauveur : " Oportet semper orare et numquam deficere (4) " ; qu'il doive, pour ainsi dire, osciller perpétuellement entre l'action de grâce et la prière.

90. — Objection : N'avons nous pas dit que le sujet doit agir de lui-même, sans attendre la grâce de Dieu ? Mais ici, ne sommes-nous pas en contradiction avec la doctrine exposée dans les chapitres précédents ? N'avons nous pas, jusqu'ici, condamné l'attitude passive de l'homme qui croirait nécessaire d'attendre la motion de la grâce, sans oser choisir de lui-même, de sa propre initiative, telle ou telle carrière ? N'avons-nous pas insisté sur la nécessité d'agir, comme de soi-même, soit pour procéder à l'élection et à l'intention du sacerdoce, soit pour passer à l'exécution ?

Il n'y a pas à chercher bien loin la réponse à cette difficulté.

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(1) Joan. xv, 6.

(2) II Cor. iii, 5.

(3) Jac. i, 17.

(4) Luc. xviii, 1.

 

Nous l'avons déjà rencontrée plus d'une fois ; mais elle s'insinue si souvent dans la doctrine de l'appel divin, pour l'enténébrer, qu'il n'est pas inutile de la réfuter une fois de plus. D'ailleurs, puisqu'elle est identique à celle que tes Quiétistes opposaient à Bossuet, en l'accusant de nier la nécessité de la .grâce prévenante, quand il condamnait leur attitude d'expectative, il suffit d'apporter l'explication décisive du grand polémiste :

" Remarquez avec attention, dit-il, que tout chrétien .qui fait bien, en tout et partout, est me de Dieu, en sorte que Dieu commence tout, opère tout, achève tout en lui je dis tout ce qu'il fait de bien ; et, en même temps, l'homme, ainsi mû de la grâce, commence, continue, achève tout ce qu'il fait de bonnes œuvres ; il est excité et il s'excite lui-même ; il est poussé et il se pousse lui-même ; et c'est en tout cela que consiste ce que saint Augustin appelle l'effort du libre arbitre (1). "

" Dans cet état, qui est l'état commun du chrétien, continue Bossuet, il n'est pas permis, pour agir, d'attendre que Dieu agisse en nous et nous pousse : mais il faut autant agir, autant nous exciter, autant nous mouvoir que si nous devions agir sente, avec, néanmoins, une ferme foi que c'est Dieu qui commence, continue, achève en nous toutes nos bonnes œuvres. "

Notre séminariste agira donc, sans attendre de se sentir poussé ; mais il appellera sans cesse le secours de Dieu et lui attribuera, non pas seulement l'achèvement, mais le progrès et jusqu'aux premier ébauches de sa formation sacerdotale.

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(1) BOSSUET, Réponse aux difficultés de Mme de la Maisonfort. Cf. Card. GENNARI : Del falso misticismo, pp. 10 et 136. (supra p.50)

 

91. — Part de Dieu dans le recrutement du clergé en général. Si nous envisageons maintenant l'intervention de Dieu, non plus quant à un sujet en particulier, mais quant à l'ensemble des sujets, il faut dire avec saint Thomas : " Dieu n'abandonne jamais son Eglise, au point qu'on ne puisse trouver des Ministres capables "idonei ", en nombre suffisant pour les nécessités du peuple chrétien (1). "

Et cela est vrai pour toutes les nations sans exception : " Il est avéré, en effet, qu'ils ne sont pas si rares, même chez les Indiens, ceux qui consentiraient à s'inscrire dans la milice sacerdotale... Du reste, puisque le Christ a fondé son Eglise pour rassembler dans son sein toutes tes nations, il est hors de doute que les charismes les plus excellents peuvent fleurir chez tous les peuples (2). "

Si, comme il est évident, Dieu exerce une Providence, spéciale sur son Eglise, le principal souci de cette Providence regarde le recrutement des ministres de ses miséricordes envers les hommes.

92. — Les causes secondes, instruments de Dieu pour le recrutement. Or, il appartient, sans doute, à la Providence, in ordine intentionis, de régler toutes choses jusqu'aux détails les plus minimes, de telle sorte que rien ne soit laissé à l'imprévu ; mais elle se montre d'autant plus noble, d'autant plus parfaite, qu'elle se sert de ministres

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(1) Deus nunquam ita deserit Ecclesiam suam quin inveniantur idonei ministri sufficientes ad necessitatem plebis. (Suppl. q. 36, art. 4, ad. 1.

(2) Constat enim nec adeo infrequentes penes Indos esse qui ecclesiasticae militiae nomen dare velint... Caeterum cum Christus Ecclesiam suam fundaverit ut omnes gentes, ambitu suo com-plecteretur, non est dubitandum quin præclara charismatum dona possint penes omnes populos efflorescere. (Instructio S. C. de Propag. Fide, ad Episcopos Indiarum Orient., super Gentium conversione. 19 martii 1893.)

 

plus nombreux pour l'accomplissement de ses desseins (1).

Tel un roi qui, pour l'exécution de ses projets, déploie un grand nombre d'officiers subalternes : " Habere ministres executores suæ providentiæ pertinet ad dignitatem regis (2) ".

Voilà pourquoi elles sont si nombreuses dans le monde les forces subordonnées et les causes intermédiaires, tant naturelles que libres, qui servent d'exécutrices à la Providence divine (3).

De ce que Dieu a décrété par lui-même, de toute éternité, les appels au sacerdoce, on n'aura donc jamais le droit de conclure : c'est par lui-même qu'il les intime dans le temps. Non ; l'hypothèse contraire devra a priori avoir nos préférences.

Si la Providence a partout ses instruments, il ne faut donc pas s'étonner qu'elle en emploie, et en grand nombre, pour le recrutement, la formation et l'appel de ses prêtres. Nous décrirons ailleurs leur rôle, spécialement pour ce qui est du recrutement ; qu'il suffise de nommer ici les parents, les pasteurs des paroisses, les directeurs de séminaire ; mais surtout les évêques, instruments de première ligne, auxquels tous les autres sont subordonnés.

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(1) Ad providentiam duo pertinent ; scilicet ratio ordinis rerum provisarum in finem, et executio hujus ordinis, quae gubernatio dicitur. — Quantum igitur ad primum horum Deus immediate omnibus providet ; quia in suo intellectu habet rationem omnium, etiam minimorum... Quantum autem ad secundum, sunt aliqua media divinae providentiae ; quia inferiora gubernat per superiora, non propter defectum suae virtutis, sed propter abundantiam suae bonitatis, ut dignitatem causalitatis etiam creaturis communicet. Ia q. 22 a 3.

(2) Ia q. 22 art. 3, ad. I.

(3) In praemeditando ordinem, tanto est providentia perfectior, quanto magis usque ad minima ordo providentiae potest produci. Sed in hoc quod ordo praemeditatus rebus imponitur, tanto est dignior et perfectior providentia gubernantis, quanto est universalior, et per plura ministeria suam explicat praemeditationem. Sunt igitur inferiores virtutes agentes, et causae mediae, tam naturales quam liberae, divinae Providentiae executrices. Billot, De Deo uno ; ad quaest. 22, art. 3.

 

93. — Les évêques, instruments principaux. L'instruction de la Propagande, que nous venons de citer, déclare aux évêques qu'il leur appartient d'amener des sujets aux saints Ordres et d'en avoir de parfaits en abondance : " Ut ad sacros Ordines quamplurimos et quam aptissimos adducerent, instituerent, et suo tempore promoverint. " Qu'on remarque bien ces trois attributions des évêques : ils n'attendent pas que Dieu leur envoie des candidats ; ils vont les chercher et les amènent au Séminaire " adducerent ". Ils n'attendent pas que Dieu les forme ; ils travaillent eux-mêmes à cette formation, " instituèrent ". Ils prennent l'initiative du recrutement et de la formation des candidats, comme ils auront, en son temps, celle de leur promotion " suo tempore promoverint ". Eux non plus ne s'en remettent pas à la Providence de ce triple soin qui leur incombe, et, s'ils prient Dieu d'envoyer des ouvriers nombreux dans la vigne évangélique, ils n'oublient pas que c'est à eux .qu'il appartient maintenant, de faire entendre aux jeunes gens qui leur paraissent plus aptes l'invitation du Maître : " Ite et vos in vineam meam " (1).

En effet, il ne s'agit ici, ni de transmettre une révélation divine, ni de provoquer une inspiration du Saint-Esprit, ni de constater des attraits sensibles ou des inclinations naturelles, ni d'interpréter des faits de conscience pour en dégager un appel divin ; mais seulement d'obtenir d'un sujet capable, qu'il choisisse librement le sacerdoce. Par conséquent, toutes les causes qui sont communément provocatrices d'élection, — conseils, exhortations, prédications, retraites, — peuvent concourir, sous la conduite de la Providence, à l'élection qui oriente un jeune homme vers le sacerdoce. Aussi l'Instruction citée, après avoir rappelé que Dieu répand ses dons sur toutes les nations en vue du recrutement

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(1) Voir plus bas (N° 133) cette même idée chez M. Tronson.

 

sacerdotal, ajoute : " Id potius curandum est, ut quæ Deus humanæ permisit industriæ fideliter exequantur." Comme si elle disait : " Que les évêques fassent ce qu'ils doivent, Dieu ne sera jamais en défaut. " Application de l'adage connu : " Aide-toi ; le ciel l'aidera. "

94. — Léon XIII ; Benoît XIV. Trois mois plus tard, Léon XIII revenait sur ce sujet, dans son Encyclique sur l'établissement des Séminaires dans les Indes Orientales (24 juin 1893). Voici comment il trace leurs devoirs aux évêques de ce pays : " II faut se reporter à l'antiquité, et, ce que nous voyons d'utilement établi jadis, le conserver religieusement. Or, la pratique et la coutume des Apôtres fut d'instruire d'abord la multitude des préceptes du christianisme, et ensuite de choisir, dans le peuple, des hommes pour leur conférer les Ordres sacrés et les élever jusqu'à l'épiscopat. "

Plus générale et plus pressante encore est la recommandation de Benoît XIV à tous les évêques de la catholicité au sujet des Séminaires. " Les évêques, dit-il, ont coutume de se plaindre souvent que la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux ; mais peut-être devraient-ils se plaindre aussi qu'eux-mêmes n'ont pas déployé tout le zèle requis à former des ouvriers en nombre suffisant et bien préparés pour la moisson ; car on ne naît pas bon et intrépide ouvrier, on le devient ; or, cette formation, c'est à l'activité intelligente et à la sollicitude des évêques qu'elle incombe en premier lieu. "

" Consueverunt quippe episcopi sæpius dolere messem quidem esse multam, operarios autem paucos : at fortasse eis quoque dolendum esset, non eam, quam debuissent, industriam ipsos adhibuisse, ut operartii ad messem pares aptique formarentur : boni namque et strenui operarii non nascuntur sed fiunt ; ut autem fiant, ad episcoporum solertiam industriamque maxime pertinet. " (Benoît XIV, Litt. Enc. Ubi primum.)

95. — Doctrine de Cornelius a Lapide et de S. Ambroise. Cette large coopération des causes secondes, sous la direction de la Providence, pour l'orientation des hommes vers les divers états de vie, et, en particulier, vers le sacerdoce, est également mise en lumière dans un beau passage de Cornelius a Lapide : " Souvent, dit le célèbre commentateur, Dieu laisse au libre choix de chacun les états de vie qu'il a institués soit par lui-même, soit par l'Eglise. Néanmoins ce choix peut être; attribué à Dieu, parce que toute la direction des causes secondes et la providence de tout bien relèvent de lui. Dieu, en eSet, en raison de sa Providence universelle, dirige chaque individu par Je moyen des parents, des amis, des confesseurs, des professeurs, et toutes autres occasions et causes secondes, qui font que tel se décide pour le mariage, tel autre Pour Le Sacerdoce ; mais librement : car cet ensemble de causes directrices n'impose pas de nécessité, mais laisse intacte la liberté. Le choix fait, Dieu prépare à chacun les grâces conformes à l'état qu'il a embrassé, " Et l'exégète confirme son exposé doctrinal par cette parole décisive de saint Ambroise : " Choisissez l'état de vie que vous voudrez et Dieu vous donnera la grâce propre et convenable à cet état, afin que vous y viviez honnêtement et saintement. "

Quod donum illud huic vel illi sit proprium sæpe est a libéra electione : potest tamen dici eatenus a Deo esse, quatenus omnis directio causarum secundarum et omnis boni providentia est a Deo. Deus enim communi sua providentia dirigit quemque per parentes, socios, confessarios, præceptores, et alias occasiones et causas secundas, quibus fit ut hic matrimonio, ille sacerdotio se addiscat, sed libere. Nam omnis hæc directio libera est, non necessaria… posito quod elegeris statum certum, v. g. matrimonii aut cælibatus, Deus dabit tibi gratiam et donum proprium illi statui, ut in eo recte vivere possis, si velis... Elige statum quem vis et Deus dabit tibi gratiam competentem et propriam, ut in illo decenter et sancte vivas. Ita Ambrosius. (CORN. A LAP. in I Cor., vii, 7.)

96. — Préparations providentielles. Les causes secondes sont donc, ou, du moins, peuvent être provocatrices de l'élection du sacerdoce, sous la conduite de la Providence.

L'expérience est là pour l'attester. Qui pourrait nier l'empreinte profonde gravée dans l'âme d'un jeune homme par un certain milieu familial, par une certaine éducation, par de certaines relations ? Quand ces diverses influences le provoquent à l'élection du sacerdoce, non pas comme causes déterminantes, puisque le choix est essentiellement libre, mais comme occasions plus ou moins efficaces, elles peuvent, elles doivent être considérées comme de véritables Préparations Providentielles. Le jeu normal de ces divers agents ne court pas le risque de contrarier les desseins de la Providence, puisque, nous venons de le voir, c'est par l'activité des causes secondes qu'il plaît à la Cause première d'exécuter ses plans (1).

Que parents, confesseurs, amis, directeurs, évêques surtout, prennent donc hardiment l'initiative de procurer de nombreuses et excellentes recrues au sacerdoce catholique, sans se laisser arrêter par la crainte d'aller contre la volonté de Dieu ; c'est, au contraire, par leur activité intelligente et surnaturelle qu'ils concourent à réaliser les plans de la Providence.

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(1) " Les Pères Capitulaires comprendront combien sont importants le choix éclairé des jeunes Novices et leur soigneuse formation. S'il est vrai que la vocation vienne de Dieu, il n'en est pas moins vrai que Dieu daigne se servir des causes secondes pour réaliser les desseins de son éternelle sagesse. " (Lettre de S. S. Pie X au Maître Général des Frères-Prêcheurs, 7 mai 1907).

 

 

§ II

PART DE DIEU DANS L'APPEL DE L'ÉVÊQUE

 

97. — Dieu appelle par l'évêque : exagération à éviter. 1° L'évêque appelle au nom de Dieu : in nomine Domini huc accedite (1). Son appel est divin : "Dieu appelle par l'évêque (2)."

Ces expressions sont exactes ; mais il faut se garder d'en exagérer le sens. Ainsi, ce serait une exagération manifeste de dire : l'appel épiscopal est divin, parce qu'il se base sur une connaissance préalable des décrets éternels de vocation, que l'évêque a charge de notifier au sujet. Une telle connaissance, l'évêque ne pourrait l'avoir que par révélation. Or, sauf cas exceptionnels, ce n'est pas à la suite d'une révélation divine que l'évêque procède aux appels (3).

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(1) Pontifical : ordination des sous-diacres.

(2) PÈGUES, Revue thomiste, juin 1911, p. 403.

(3) Cf LAHITTON : Deux Conceptions divergentes de la vocation sacerdotale : Paris, Lethielleux, p. 22. — Ce que l'on peut justement affirmer, croyons-nous, le voici : Si, de fait, comme nous le pensons et essayons de le prouver, " Dieu s'est astreint à n'appeler au sacerdoce, d'un appel définitif et authentique, que par l'intermédiaire de l'appel épiscopal" (PÈGUES, ibid.), il faut dire qu'il n'y a pas d'autres décrets éternels d'appel que ceux qui portent sur les appels fulminés par l'évêque. En ce sens, mais en ce sens seulement, on a le droit d'affirmer que l'appel épiscopal est la réalisation, dans le temps, d'un décret porté de toute éternité ; on a donc également le droit d'ajouter que cet appel temporel notifie au candidat le décret éternel (absolu ou permissif) et que le candidat n'a pas d'autre moyen que l'appel de l'évêque de connaître avec certitude qu'il y a en Dieu un décret d'appel qui le concerne.

Ainsi posée, l'assertion se justifie d'elle-même à la lumière des principes élémentaires de la théologie. Elle ne présente d'ailleurs rien de spécial au cas présent : chacun de nous, en chacun de ses actes, réalise et manifeste, à lui-même et aux autres, des décrets éternels (absolus ou permissifs) ; il les manifeste en les réalisant, puisque tout ce qui arrive est arrêté " ab œterno ". Ainsi

 

L'appel de l'évêque n'émane pas davantage d'une sorte d'impulsion surnaturelle, sentie, consciente, qui serait une inspiration du Saint-Esprit, agissant par les dons. Nous avons dit que ni révélation, ni inspiration ne sont requises

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quand Paul marche, ceux qui le voient marcher peuvent fort bien dire sans crainte de se tromper : " Maintenant je sais que, de toute éternité, Dieu a décrété que Paul marcherait en ce moment : Paul, en marchant, me fait connaître le décret éternel, qui le vise pour cet instant précis de son existence. " Mais, Paul, avant de se décider à marcher, n'a pas eu, certes, à se retourner vers les décrets éternels, pour savoir si Dieu avait décidé de toute éternité qu'il marcherait en ce moment !

Ainsi apparaît clairement le sens que nous donnions à la définition placée en tête de la première édition de cet ouvrage. La vocation, disions-nous, est : " L'élection et l'appel d'un sujet à l'état ecclésiastique, élection et appel tout gratuits, que Dieu fait de tonte éternité et qu'il manifeste et intime dans le temps "par l'organe des ministres de l'Eglise. "

Cependant nous abandonnons cette définition :

1° Parce qu'elle est équivoque ; plus d'un l'ayant entendue dans un sens totalement différent de celui qui ressortait de tout l'ouvrage.

2° Parce qu'il est inutile et oiseux d'alléguer les décrets éternels dans la définition d'un fait temporel, précisément parce qu'il va de soi, sans qu'il y ait lieu de le dire, que tout ce qui se passe dans le temps est réglé " ab œterno". Ainsi, on ne définit pas l'ordination sacerdotale : " la promotion d'un sujet au sacerdoce, promotion que Dieu a décrétée de toute éternité (ce qui est pourtant très vrai) et qu'il manifeste et intime, dans le temps, par l'acte même de promotion posé par les ministres de l'Eglise, agissant au nom de Dieu. " On la définit simplement : " La promotion d'un sujet au sacerdoce par les ministres légitimes de l'Eglise, agissant au nom de Dieu. "

3° Parce que cette définition semble garder, malgré elle, quelque trace de l'opinion qu'elle veut rejeter et qui considère, in recto, l'appel divin, comme une prédestination éternelle au sacerdoce, .qu'il faut connaître par des signes ad hoc, antérieurs à l'appel épiscopal, avant de se présenter à l'appel épiscopal, avant même d'oser choisir le sacerdoce.

Tant il est difficile de se dégager du premier coup d'idées ambiantes qu'on a soi-même longtemps partagées !

Ici, nous rompons plus radicalement avec la théorie de la vocation-prédestination ; et nous définissons l'appel divin au sacerdoce purement et simplement comme un fait temporel, c'est-à-dire d'après les éléments qui le constituent dans le temps ; et nous maintenons intacte notre position première, à savoir que, pour le candidat et pour l'Eglise, le décret éternel ne se traduit

 

chez le candidat pour l'autoriser à faire choix du sacerdoce ; il ne faut pas les exiger davantage de l'évêque pour l'autoriser à appeler au nom de Dieu ; il suffit qu'il se conduise selon les règles de la prudence surnaturelle dans son jugement sur l'idonéité des candidats, dans le choix des uns de préférence aux autres, et dans l'appel officiel qu'il adresse à ses choisis, lesquels, deviennent, par là même, les appelés et les choisis de Dieu.

98. — En quel sens l'appel épiscopal est divin. Mais si l'acte de l'évêque ne procède ni d'une révélation, ni d'une inspiration sentie de la grâce, comment donc est-il divin ?

Il est divin : 1° Parce que, en jugeant, en choisissant et en appelant, l'évêque fait usage d'un pouvoir surnaturel qui lui été conféré par institution divine (1).

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in tempore, d'une manière certaine et authentique, que dans l'appel de l'évêque, qui le fait connaître en le réalisant ; comme je réalise et fais connaître, en écrivant ces lignes, le décret éternel, qui porte qu'elles seraient écrites ; comme l'évêque, en élevant un sujet à la prêtrise, fait connaître, en le réalisant, le décret éternel qui portait que ce sujet serait prêtre. Mais, ni l'évêque, pour appeler et ordonner un candidat ; ni le candidat, pour solliciter humblement le sacerdoce, n'ont à se demander si la chose est ainsi déterminée dans les décrets éternels ! L'un et l'autre n'ont qu'à agir selon les règles générales de la prudence chrétienne.

(1) C'est de cette manière que d'après bon nombre de théologiens, le choix de Rome comme siège du Souverain Pontificat est de droit divin, bien qu'il émane de la libre initiative de saint Pierre. Écoutons M. TANQUEREY : " Utrum jure divino an ecclesiastico primatus sit Sedi Romanœ annexus...

Communier sententia est jure divino Summum Pontificatum cum Episcopatu Romano conjunctum fuisse.

Quod duplici modo explicatur :

Alii dicunt Christum ipsum Romam designasse ut Ecclesiam cui Primatus adnectendus sit.

Alii vero multo probabilius tenent Christum solummodo determinavisse primatum huic sedi conjungendum esse quam Petrus definitive seligeret. "

Dans le même sens nous disons : Dieu a déterminé de n'appe-

 

2° Parce que le Pape, chef de l'Eglise, a réglé, en vertu d'une autorité reçue de Dieu, la manière dont les évêques doivent exercer ce pouvoir.

3° Enfin, parce que l'évêque légitime exerce ce droit au nom de Dieu " in persona Christi ". Jésus-Christ qui a choisi, appelé et ordonné par lui-même ses premiers prêtres, choisit, appelle et ordonne par eux leurs successeurs jusqu'à la fin des siècles. Ainsi l'appel au sacerdoce continue à se faire au grand jour. Au lieu d'être murmuré dans l'intérieur de la conscience — murmure si sujet à l'illusion, dont l'âme qui l'entend est seule à pouvoir témoigner, dont elle est incapable de fournir la preuve au dehors ; murmure qu'elle est trop souvent portée à imaginer, ou à exagérer, ou à mal interpréter — il retentit en public, par l'organe officiel de l'évêque, qui répète à ses élus le " Veni, sequere me " du Christ.

C'est la signification symbolique que saint Denys l'Aréopagite (alius auctor) découvre dans la publication solennelle du nom des ordinands qui sert de prélude à l'ordination elle-même. Il dit : " Quand l'évêque annonce les ordinations et promulgue le nom des ordinands, ce rite sacré signifie que le Pontife chéri de Dieu, en conférant les Ordres, agit

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1er au sacerdoce, d'un appel définitif et authentique, que ceux qui seraient librement choisis et appelés par l'évêque. Chacun de ces appels est néanmoins un fait divin, au même titre que le choix de Rome comme siège du Souverain Pontificat, d'après la seconde opinion que Tanquerey dit beaucoup plus probable.

Cependant, nous devons ajouter, d'après d'autres théologiens dont le langage est plus précis — le Cardinal Billot par exemple, — que l'acte de saint Pierre choisissant par autorité divine, mais de sa propre initiative, Rome comme capitale de l'Eglise catholique, est un acte strictement et immédiatement humain. Il n'est divin que médiatement et dans un sens dérivé.

Il faudrait en dire autant de l'acte de l'évêque choisissant et appelant, en vertu d'un pouvoir divin, les candidats au sacerdoce.

 

comme interprète de l'élection divine (1) et que, s'il élève au sacerdoce ces candidats, ce n'est point par faveur personnelle, mais par souffle de Dieu qui le guide dans toutes les ordinations hiérarchiques. " Ce souffle de Dieu n'est autre que la grâce divine, qui est la cause première de tous nos actes surnaturels.

L'élection divine dont parle saint Denis peut se comprendre de deux manières : ou bien elle relève simplement du décret éternel qui confère à l'évêque le pouvoir d'élire au sacerdoce in nomine Dei, de telle sorte que tout élu de l'évêque peut se dire, en ce sens, élu de Dieu ; — et c'est là l'appel strictement nécessaire et suffisant ; — eu bien elle est le fruit d'une élection de bon plaisir divin, d'un vouloir personnel, dans lequel Dieu a mis son cœur.

Quand toutes choses se sont passées normalement et selon la vérité, tant du côté de l'évêque que du côté du sujet, c'est de cette élection divine et non pas seulement de la première que le choix épiscopal est l'interprète. Mais, il n'y a pas à se préoccuper pratiquement de cette élection, qui est et demeure dans le domaine des conjectures. Il surfit que l'évêque et le candidat accomplissent sincèrement leur devoir.

L'un et l'autre sont dominés par la Providence de Dieu, qui veille sur son Eglise pour qu'elle ne manque jamais de bons et dignes prêtres et pour que le nombre des prêtres indignes reste toujours fort restreint en comparaison des bons.

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(1) Sacram vero ordinationum et eorum qui ordinantur promulgationem Pontifex proclamat, mysterio declarante, Deo carum sacrorum ordinum collatorem interpretem esse divinœ electionis, eumque non privata gratia eos qui initiantur ad sacrum ordinem promovere, sed afflatu Dei regi in omnibus hierarchicis ordinationibus. Dionysius : De Ecclesiast. Hierarchia. Cap. v, MIGNE, Patr. Gr. iii col. 511.

 

99. — L'appel émane du pouvoir de juridiction. La question se pose de sa voir auquel des deux pouvoirs de l'évêque : pouvoir d'Ordre ou pouvoir de juridiction, se rattache la fonction de déférer l'appel sacerdotal : question secondaire, mais qui ne manque pas d'intérêt.

On peut répondre que le jugement d'idonéité, le choix et l'appel sont formellement des actes du pouvoir de juridiction, mais coordonnés, comme à leur fin propre, à l'exercice du pouvoir d'Ordre. C'est ,en effet, en vue d'exercer son pouvoir sacramentel d'engendrer d'autres prêtres que l'évêque se préoccupe de recruter, de former et d'appeler des sujets.

Cependant, en disant que ces trois actes : jugement, choix, appel, sont formellement juridictionnels, il y aurait peut-être lieu de faire une réserve en ce qui regarde l'appel définitif, qui se confond avec l'ordination même et semble relever, comme elle, du pouvoir d'Ordre.

Quand l'évêque ou ses délégués appellent un sujet, c'est déjà un appel officiel, authentique, mais que le candidat n'est pas obligé d'accepter, ni l'évêque de maintenir. Le candidat, nous l'avons dit, demeure libre devant cet appel qui est proposé, mais non imposé. De son côté, l'évêque est libre de le retirer ; il devra même le retirer, si des faits nouveaux surgissent, qui l'amènent à modifier son jugement d'idonéité et son choix. Jusque-là, l'évêque agit par simple pouvoir juridictionnel et comme cause principale, Dieu étant simplement cause première. Il en est de même, à la rigueur, de l'appel qui se fait à la cérémonie même de l'ordination.

100. — L'appel définitif émane du pouvoir d'Ordre. Mais, au moment précis de l'ordination, dans le prononcé même de la forme sacramentelle, l'évêque désigne de nouveau le candidat, il pose ses mains sur lui, il se l'incorpore nommément. Or, en ce moment, il agit selon le pouvoir d'Ordre, comme instrument de Dieu, C'est donc Dieu, cause principale, qui, par l'évêque son instrument, agrège définitivement au sacerdoce Ferdinand. Dès lors, l'appel est définitivement scellé et irrévocable comme l'ordination même. " Tu es sacerdos in æternum ! ".

C'est, sans doute, pour signifier cet appel définitif que dans l'ancien Pontifical des ordinations grecques, au témoignage de saint Denys, " l'évêque renouvelle l'appel de l'ordinand chaque fois qu'il prononce son nom, soit en priant sur lui, soit en le marquant du signe de le croix, soit en proférant la forme sacramentelle (1). "

A cet appel définitif, consécration sacramentelle de l'appel officiel, s'appliquent, dans toute leur rigueur, les paroles de l'Apôtre sur la nécessité de l'appel divin tanquam Aaron, pour assumer légitimement les fonctions sacerdotales. Cet appel apporte avec lui la marque indélébile du caractère.

De là ces paroles d'un éminent théologien récent : " Nec quisquam sumit sibi honorem sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron. " Ubi Apostolus dicens neminem sumere sibi honorem, absolute significat neminem posse sua privata auctoritate sacerdotem institui. Cum autem addit " sed qui vocatur a Deo tamquam Aaron " divinæ investituræ necessitatem signat. Quæ quidem investitura facta est in Veteri Lege, quando Deus semel pro semper filios Aaron designavit ut in altaris ministerio sibi deserviant ; in Lege autem nova fit per speciale sacramentum et collationem sacri characteris,

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(1) Patet etiam ex Dionysio vocationem istam toties censeri factam, quoties Pontifex nomen ordinandi, gradumque manifestat, sive precando super eum, sive ipsum consignando, sive formam sacramenti proferendo. Toties enim nomen ordinati gradusque, ab episcopo, juxta S. Dionysium, profertur, quod etiamnum a Grœcis servatur, ut ex eorum Euchologio patebit. "

HALLIER : De sacris Elect. et Ordinat. Pars II sect. VIII, cap iv, art. 4 apud Migne Cursus Compl. tome XXIV, col 1463.

 

adeoque non mediante generatione carnali, sed per operationem Spiritus Sancti (1). "

De là encore cette interprétation de Bernardin de Picquigny : " Sed qui vocatur a Deo ; vel immédiate, ut Aaron et Apostoli ; vel mediante ordinatione quam Deus instituit (2). "

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(1) Card. BILLOT : De Ecclesiœ sacramentis ; edit. 4, Tome I, p. 573, ubi de sacrificio.

(2) BERNARDIN DE PICQUIGNY : Triplex expositio.

 

 

 

CHAPITRE VII

L'Appel divin au Sacerdoce

 

101. — Pas d'autre appel strictement sacerdotal que l'appel par l'évêque. Jusqu'ici, nous avons analysé toutes les réalités naturelles et surnaturelles qui peuvent concourir à l'acheminement d'une âme vers le sacerdoce. Chacune a été posée à sa place. Nous avons scrupuleusement distingué les nécessaires de celles qui sont de pure surérogation, et, insistant davantage sur les premières, nous avons indiqué les diverses relations qu'elles comportent les unes à l'égard des autres, soit en bas dans le plan humain, soit en haut dans le plan divin. La doctrine, semble-t-il, est complète. Or, une remarque s'impose : dans tout cet ensemble d'éléments qui contribuent à produire un prêtre, qu'avons-nous trouvé en fait d'appel divin ? Uniquement l'appel de l'évêque : cet appel extérieur, authentique, officiel, invitant au sacerdoce " in nomine Dei " le candidat qui est venu soumettre humblement à l'examen épiscopal son intention d'être prêtre et son idonéité.

Nous avons bien signalé, au passage, le cas où l'intention du sacerdoce serait provoquée dans une âme par une révélation divine, sorte d'appel intime ; mais cette exception miraculeuse, avons-nous ajouté, ne saurait être érigée en règle.

Nous avons également rencontré les cas moins rares, où l'intention du sacerdoce germe dans l'âme à la suite d'impulsions de grâce ou attraits, plus ou moins sentis, que l'on pourrait prendre aussi pour des invitations au sacerdoce ; mais nous avons appris à nous défier du péril d'illuminisme que l'on court en se basant sur ces attraits, en prêtant une oreille trop complaisante à ces prétendus appels intimes, qui ne peuvent jamais servir d'appel authentique ; nous avons dit que tous ces mouvements doivent être soumis au contrôle sévère des délibérations de la prudence, et que, en définitive, il ne fallait pratiquement mettre sa confiance que dans l'intention sacerdotale issue d'une libre élection, faite selon le jeu normal de nos démarches en matière grave et avec les secours ordinaires de la prière et de la grâce : hæc est via securior et tutior (1).

Encore une fois, qu'avons-nous trouvé en fait d'appel divin nécessaire et bien authentique ? Uniquement l'appel épiscopal.

La conclusion très évidente, c'est que, comme appel divin proprement sacerdotal, c'est-à-dire, qui entre, à titre de partie essentielle, dans l'économie de te formation d'un prêtre, il n'y en a qu'un : l'appel fait par l'évêque.

C'est la doctrine expresse du Catéchisme en Concile de Trente : " Nec vero quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron. Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. " (De Ordine). " Personne ne prend de lui-même l'honneur du sacerdoce , mais celui qui est appelé par Dieu comme Aaron. Or, ceux-là sont dits appelés par Dieu qui sont appelés par les ministres légitimes de l'Eglise. " Ce texte sera discuté plus amplement dans les preuves de la thèse ; dès maintenant, disons seulement qu'il doit être interprété d'après les explications données plus haut (N° 97-100).

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102. — A ta recherche d'un appel intérieur. Cependant, si nous analysons de plus près, à l'aide d'une investigation théologique assez compliquée, le processus

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(1) Directoire de la Compagnie de Jésus : Cf. supra, N° 81.

 

de l'idonéité sacerdotale, nous allons découvrir, dans le sujet lui-même, un appel divin, distinct de l'appel de l'évêque, et antérieur.

Cette investigation théologique se fonde sur ce texte de saint Thomas : " La prédestination n'est pas quelque chose dans les prédestinés ; elle n'est qu'en celui qui prédestine. Il a été dit, en effet, que la prédestination est une partie de la Providence. Or, la Providence n'est pas dans les choses pourvues, elle est un certain plan dans l'intelligence du proviseur. Ce n'est que l'exécution de la Providence, ce que nous appelons le gouvernement, qui est, si on le prend au sens passif, dans les choses gouvernées ; car si on le prend au sens actif, il est lui-même en celui qui gouverne... Or, cette exécution de la prédestination, c'est précisément la vocation et la glorification, selon le mot de l'Apôtre saint Paul aux Romains (XIII, 30). Ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés, il les a glorifiés (1). "

Ainsi, d'après saint Thomas, l'exécution de la prédestination est activement en Dieu, passivement dans la créature. Or, le premier élément de cette exécution est l'appel divin. L'appel divin est donc activement en Dieu, passivement dans la créature.

Cette théorie ne s'applique à proprement parler, simpliciter, qu'au processus de la prédestination à la gloire. Mais les théologiens l'ont étendue, par analogie, à toute destination divine vers un terme quelconque. C'est ainsi que les

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(1) Ia q. xxiii, art. 2. Traduction d'après le Commentaire français littéral de la Somme théologique, par le R. P. PÈGUES, Toulouse 1907 : " Prœdestinatio non est aliquid in prœdestinatis, sed in prœdestinante tantum. Dictum est enim quod prœdestinatio est quœdam pars Providentiœ Providentia autem non est in rebus provisis, sed est quœdam ratio in intellectu provisoris... sed exe-cutio Providentiœ, quœ gubernatio dicitur, passive quidem est in qubernatis, active autem est in Deo. Est autem executio prœdestinationis vocatio et magnificatio, secundum illud Apostoli : " quos prœdestinavit, hos et vocavit, et quos vocavit hos et glorificavit ", (Ia q. xxiii, art. 2).

 

diverses parcelles de la Providence générale — destination au sacerdoce, à la vie religieuse, à la maternité divine, au mariage — s'appelleront, au sens large, des prédestinations, qu'il ne faut jamais confondre avec la prédestination simpliciter qui se dit, uniquement, par rapport à la gloire céleste, où elle conduit infailliblement.

Mais remarquons que l'exécution de la prédestination simpliciter comprend deux éléments : 1° l'appel, 2° l'aboutissement de cet appel qui est la glorification.

L'appel, de soi, ne comporte donc pas cet aboutissement lui-même. Et, en effet, n'est-il pas écrit que si beaucoup sont appelés, peu sont élus ?

Proportionnellement, dans l'exécution de la prédestination au sacerdoce, et, généralement, de toute prédestination secundum quid, il faut discerner ces deux mêmes éléments :

1° l'appel, 2° l'arrivée au but. Ici encore, on pourra être appelé sans être élu.

Il faut conclure de là que l'appel de Dieu fait, de soi, abstraction de la réalisation finale, et que, dans le sujet qui nous occupe, quelqu'un pourra être intérieurement appelé de Dieu au sacerdoce, qui néanmoins, pour une raison ou pour une autre, n'y parviendra jamais.

Voilà comment la doctrine de saint Thomas nous amène à découvrir, dans le processus sacerdotal, un appel intérieur passif, dont elle fixe, en même temps, la nature.

Mais cette découverte d'un appel intérieur passif, on le voit, ne s'offre pas d'elle-même ; elle est le fruit d'une investigation théologique assez subtile, et, nous le constaterons, non moins inutile au point de vue pratique. C'est une première différence d'avec l'appel de l'évêque, qui s'impose, lui, tout aussitôt que l'on analyse l'économie du recrutement sacerdotal.

103. — L'appel intérieur passif n'est rien autre chose que la grâce. Maintenant, cet appel intérieur passif, que surajoute-t-il, dans le sujet aux réalités que nous avons signalées comme nécessaires ? Rien, absolument rien. Quand nous avons dit, élection surnaturelle du sacerdoce, intention surnaturelle, travail surnaturel de formation sacerdotale, nous avons tout dit : car, le surnaturel, étant un don de Dieu tout gratuit, ne peut venir que de lui. Quand donc le théologien, ami de spéculation, donne à ce surnaturel, par analogie avec la grâce qui nous appelle à la gloire, le nom d'appel divin passif, vocatio, c'est là une élucidation théologique, qui n'ajoute rien de réel. Au point de vue réel, il y a coïncidence parfaite, identité absolue entre l'appel passif et la grâce, infusée dans l'âme, qui détrempe l'acte humain en vue d'un but surnaturel.

104. — Il ne peut être signe d'élection divine au sacerdoce. Est-il possible d'avoir une connaissance certaine de cette grâce — gratia vocans, vocatio passiva — de telle sorte qu'elle puisse nous servir de signe pour discerner si, oui ou non, Dieu nous a élus pour le sacerdoce ?

Que la grâce actuelle ne soit pas objet de connaissance sensible, c'est trop évident. Mais elle ne tombe même pas sous les prises de la conscience psychologique, et, si le sujet lui-même ne la sent pas en son âme, les autres sont moins encore capables de l'y découvrir. On ne peut en conjecturer la présence que par les effets surnaturels qu'elle produit et dans la mesure, bien faible, où l'on peut affirmer que tels effets, in individuo, sont surnaturels ; car, dit justement Bossuet, " qui sent la grâce jusqu'à la distinguer d'avec la nature ? " (1).

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(1) BOSSUET : Préface sur l'Instruction pastorale de M. de Cambrai, IX. — Dans cette même préface, Bossuet dit encore au sujet de la grâce actuelle : " Elle n'est pas un moyen de faire connaître à l'homme la volonté de Dieu : on ne discerne pas assez cette grâce ; elle se confond trop facilement avec notre inclination ; et ainsi, nous donner pour règle la grâce actuelle, c'est se mettre en danger de nous donner pour règle notre pente et nos mouvements naturels... C'est là un des abus du quiétisme ; sous ce nom de grâce actuelle, ou prend pour divin tout ce qu'on pense ; et c'est là, quoi qu'on puisse dire, un pur fanatisme ". N° 61.

 

105. — Doctrine de saint Thomas. Saint Thomas est plus explicite encore : Est-il possible de connaître avec certitude si l'on est en état de grâce ? Non, répond-il, on ne peut aboutir sur ce point qu'à des conjectures et des probabilités. " Hoc non potest alicui per certitudinem esse notum utrum sit in statu merendi, quamvis ex aliquibus conjecturis, hoc possit probabiliter existimare. "

Dire que dans ce texte " conjectures et probabilités " signifient certitude morale, serait d'une interprétation quelque peu arbitraire.

Aussi bien saint Thomas a-t-il eu soin de s'expliquer et l'on se rend compte qu'il s'agit bien, dans sa pensée, de ce que nos langues modernes appellent " connaissance conjecturale, simples probabilités ", par opposition à la certitude scientifique ou simplement morale.

Écoutons-le :

La grâce sanctifiante est un " habitus ". L'habitus n'est connu que par les actes. Un habitus surnaturel ne sera donc connaissable comme tel, que si nous pouvons discerner la surnaturalité des actes qui en procèdent : " Habitas enim numquam cognoscitur nisi per actus. "

On le voit, la possibilité de connaître en soi l'état de grâce est ramenée, par saint Thomas lui-même, à la possibilité de distinguer si l'on agit par grâce actuelle ou par activité purement naturelle.

Or, qu'en est-il, pour lui, de la possibilité de ce discernement. Estime-t-il que nos actes surnaturels portent la signature suffisamment visible de la Cause d'où ils émanent, qu'ils se présentent avec des traits distinctifs, avec une effigie vraiment caractéristique ? Voici sa réponse : c'est la suite du texte : " Actus autem virtutum gratuitarum maximam similitudinem habent cum actibus virtutum ac-quisitarum, ut non possit de facili per hujusmodi actus, de gratia certitudo haberi, nisi forte ex revelatione certificatur aliquis ex speciali privilégio. " (De Verit. q. VI, a. 5, ad 3). Non seulement les actes surnaturels ne se présentent pas avec une physionomie propre ; ils ont au contraire une très grande ressemblance avec les actes naturels " maximam similitudinem. "

De la ressemblance entre deux choses dérive la difficulté de les discerner, et la difficulté du discernement est évidemment en raison directe de la ressemblance. Ici, nous nous trouvons, d'après saint Thomas, en face de deux actes qui ont entre eux une ressemblance si grande " maximam " que, si nous voulons les discerner avec certitude, il nous faut avoir recours à Dieu même " nisi forte ex revelatione certificetur ".

Telle est la doctrine constante du saint docteur (I. Dist XV q. IV, a. 1 ad 1. — Rom. cap. VIII sub fine. — Cor. XIII, lect. 2. — Quodlib. VIII, 4.)

Contentons-nous de ce dernier passage, où il applique son principe à l'acte de charité lui-même. " Est-il possible de savoir si l'on a la charité? Je ne le pense pas " non puto esse verum " ; car dans les actes de la charité elle-même, nous ne pouvons pas suffisamment percevoir s'ils sont vraiment émis par cette vertu, à cause de la ressemblance de l'amour (de Dieu) produit par la nature, avec l'amour qui provient de l'habitude infuse (1). "

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(1) "Hoc dico supponendo quod aliquis possit scire se habere caritatem ; quod tamen non puto esse verum ; quia in actibus ipsius caritatis non possumus sufficienter percipere quod sint a caritate eliciti propter similitudinem dilectionis naturalis cum dilectione gratuita. " (Quodlib. viii, 4).

 

Plus de doute : l'opinion qui soutient qu'il est possible d'acquérir la certitude morale (1), soit de la surnaturalité de nos actes, soit de notre état surnaturel, pourra peut-être se réclamer d'autres théologiens, mais non de saint Thomas.

D'ailleurs, dans le cas concret qui nous occupe, — la connaissance du décret éternel qui nous détermine l'état de vie que nous devons embrasser — il faudrait plus qu'une probabilité quelconque, il faudrait une facilité pratique de discernement. Cette facilité comment l'établira-t-on ?

Par conséquent, si je me surprends à désirer le sacerdoce, il m'est impossible de découvrir, par l'analyse psychologique de mon acte, si ce désir est surnaturel ou purement naturel ; (2) car il faut bien se garder ici de confondre désir naturel

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(1) Quand saint Thomas admet la possibilité de la certitude morale, il sait fort bien le dire et ne se sert plus alors des termes " ex conjecturis, probabiliter. "

Voici, par exemple, un cas où il ne saurait être question que de certitude morale, et nullement de certitude métaphysique ou physique.

Il s'agit de savoir si l'on peut connaître que l'on possède la science suffisante pour enseigner, de telle sorte qu'on puisse croire avoir le droit de demander une licence de Maître " licentiam docendi ".

Saint Thomas répond en comparant, à ce point de vue, la science et la grâce, la demande d'une chaire d'enseignement et la demande du sacerdoce. Son avis est donc doublement intéressant.

La suffisance de la science, dit-il, on peut la connaître avec certitude. (Remarquons bien que la certitude porte sur la suffisance de la science : jugement de pure appréciation morale). Mais, ajoute-t-il, on ne peut savoir avec certitude si l'on possède la sainteté requise pour exercer les fonctions pastorales.

" Nam scientia per quam aliquis est idoneus ad docendum, potest aliquis scire per certitudinem se habere ; caritatem autem, per quam aliquis est idoneus ad officium pastorale, non potest aliquis per certitudinem scire se habere. Et ideo semper est vitiosum pontificatum petere ; non semper autem vitiosum est petere licentiam docendi. " Quodlib.III art. IX.

Plus bas (ad 3) il dit d'une façon absolue : " Caritate, quam homo nescit se per certitudinem habere. "

(2) C'est à l'aide de ces principes que les théologiens ont pu réfuter victorieusement la méthode d'immanence — celle des Tyrrel, des Laberthonnière, etc. — qui, de l'analyse des mouvements surnaturels de l'âme, prétend conclure au surnaturel de la religion vers laquelle ils tendent. On répondait fort justement :

" ...Cette espèce de surnaturel requis pour que l'acte soit méritoire ne tombe pas sous la conscience. Grâce aux documents sacrés, nous savons, d'une manière générale, que des illuminations surnaturelles existent, qu'elles sont fréquentes dans l'ordre actuel ; mais quand il s'agit d'affirmer avec certitude la surnaturalité de notre bonne pensée dans un cas donné, nous n'avons là-dessus que des conjectures.

" Ce surnaturel-là garde l'incognito ; nous sommes certainement en face d'un fait psychologique ; mais nous ne pouvons pas, avec la même certitude le dénommer surnaturel ; pour nous, il reste anonyme. " R. P. HARENT, S. J., Etudes 1908. Tome II, p. 42. — Cf. DE POULPIQUET, O. P. : L'Objet intégral de l'Apologétique ; 2e édit. p. 439 ; Paris, Bloud, 1911.

On se demandera peut-être comment il se fait que des actes naturels et surnaturels aient entre eux une ressemblance si grande que la conscience psychologique ne soit pas à même de les discerner.

Sur ce point extrêmement délicat, nous nous contentons de renvoyer aux fortes pages du Card. BILLOT : De virtutibus infusis dans le Prolégomène du Traité. On y lira des paroles comme celles-ci : "Actus supernaturales viœ, habent omnino eamdem resolutionem objectivam quam habent vel haberent actus naturales circa eadem objecta exerciti. " (P. 71). CAJETAN in I. II, q. LXIII, a. 3.

Nous nous garderons de prendre parti dans cette grave question ; mais nous en avons dit assez pour montrer qu'on ne saurait soutenir, sans témérité, la facilité pratique de découvrir le surnaturel en nous et que, par conséquent, les pointes d'un certain trident sont fort inoffensives ; on a oublié de les tremper. Il suffit de toucher chaque dent pour qu'elle vole en éclats. (Hurtaud, p. 156).

 

avec désir malhonnête, conçu pour des motifs bas ou grossiers.

106. — Impossibilité de connaître notre élection au sacerdoce par l'appel intérieur. De tout ce qui précède - nous avons le droit de conclure que l'appel passif, considéré en lui-même n'a de valeur juridique ni pour celui qui par hypothèse, le possède, puisqu'il ne s'en connaît pas possesseur ; ni pour les autres qui peuvent, moins encore, le constater. Mettons les choses au mieux : accordons que l'on a découvert en soi cet appel passif ; pourra-t-on en conclure que l'on est prédestiné, élu au sacerdoce ?

Nullement ; car, nous l'avons vu plus haut, dans la prédestination, l'appel ne comporte pas, de soi, l'aboutissement; il peut se résoudre aussi bien dans le oui que dans le non, quant à sa réalisation. Ainsi, dans l'ordre du salut, il y a plus d'appelés que d'élus. Tout homme juste est appelé ; néanmoins le juste peut tomber et se damner, il n'y a que les appelés en vertu de l'élection divine qui seront sauvés (1). Mais ceux-là, quels sont-ils ? Mystère ! Puisqu'il n'y a pas de liaison nécessaire entre l'appel et l'élection, on ne peut, de la première, déduire la seconde. Ceux qui établissent une analogie de proportion entre la vocation à la gloire et la vocation au sacerdoce sont donc obligés de conclure : " Même quand je suis sûr d'être appelé, je ne suis pas sûr que Dieu m'ait véritablement Elu pour le sacerdoce ; je ne suis pas sûr que Dieu veuille que je sois prêtre (2). "

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(1) Saint Augustin divise les appelés en deux catégories : les appelés non élus, et les appelés élus. Ces derniers, il les désigne avec saint Paul : secundum propositum — seu electionem — vocati ; et il ajoute : " Quicumque enim electi, sine dubio vocati ; non autem quicumque vocati, consequenter electi. Illi ergo electi, ut sœpe dictum est, qui secundum propositum vocati. " (Cité par Card. BILLOT : DE GRATIA CHRISTI, p. 149).

(2) Le plus chaud partisan de cette assimilation des deux vocations est trop bon théologien pour n'avoir pas vu et admis cette conséquence. Aussi, dès le début de son ouvrage, rompt-il franchement avec tous ceux qui définissent la vocation intérieure, une prédestination ou élection au sacerdoce. Mais en rompant avec eux sur ce principe essentiel, sur la définition même qui porte toute la théorie moderne, comment peut-il passer pour l'avoir défendue telle qu'elle est ? Il y a là une confusion étrange ! (Cf. supra n° 10).

Cet auteur, dès le début de son exposé doctrinal semble vouloir appuyer sa théorie sur le texte de saint Paul : " Quos prœscivit, et prœdestinavit " etc. Il part même de là pour esquisser un système qui rattache toute vocation à une prédestination et à une élection éternelles.

Par là, il paraît donner la main à la théorie moderne.

Mais, aussitôt après, il fait volte-face complète et nous parle d'une vocation qui ne dépend plus de la prédestination et de

l'élection — volonté conséquente, — mais de la volonté antécédente ; d'une vocation qui peut être frustrée de son effet, parce qu'elle n'est pas de celles qui supposent et manifestent une élection éternelle ferme.

Or, c'est à ce second mode de vocation qu'il rattache la vocation sacerdotale.

 

107. — Infériorité nouvelle de l'appel intérieur, comme signe de la volonté divine. Il y a une infériorité nouvelle, qui ne se trouve pas dans la vocation à la gloire, mais que comporte fort bien l'appel intérieur au sacerdoce.

Le juste peut se dire que, s'il reste fidèle à sa vocation, ou à la grâce qui l'appelle au ciel, il se sauvera certainement; si la vocation n'atteint pas le but, ce ne sera que par la faute de l'appelé "perditio tua ex te (1)".

L'appelé au sacerdoce n'a point cette consolation ; car souvent le Saint-Esprit inspire des désirs et des attraits, dont il ne veut pas la réalisation : " Saepe Spiritus Sanctus praebet desiderium alicujus rei cujus exsecutionem non vult... immittit enim interdum Spiritus Sanctus tale desiderium propter bonum et meritum ipsius, quamvis ad exsecutionem perventurum non sit, aut pervenire non expédiat (2). "

Que de vocations, qui paraissaient très sûres, et qui ont été tranchées par la mort, ou tous autres accidents, indépendants de la volonté de l'appelé ! On aura beau correspondre à tous les appels des premières grâces ; par là, on n'est jamais assuré de s'en voir octroyer la continuation ; on est moins assuré encore d'arriver heureusement au terme. La vocation n'est donc, ici, d'aucune manière, un signe d'élection. Elle ne signifie qu'une chose : Dieu veut actuellement que l'appelé désire le sacerdoce et s'y prépare. Le voudra-t-il jusqu'au bout ? le voudra-il même encore demain ? On n'en peut rien savoir.

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(1) OSÉE, xiii, 9.

(2) SUAREZ ; De Religione : tract. VII, lib. V ; cap viii n° 3. — Parisiis, 1859 : tom. XV, p. 331.

 

De ce chef encore, la vocation intérieure, même si on la pouvait connaître avec certitude, ne saurait être considérée comme un véritable appel au sacerdoce (1).

Observons enfin que, de par la volonté même de Dieu, l'appel intérieur au sacerdoce, quant à sa réalisation, est subordonné à l'appel de l'évêque ; si l'évêque n'appelle pas, l'appel intérieur sera frappé d'inutilité.

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108. — Pour choisir le sacerdoce, il ne faut pas se préoccuper d'appel divin. De cette doctrine sur la vocation intérieure passive vont découler des conclusions d'une importance extrême :

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(1) L'auteur dont nous parlons plus haut (n° 106 ; note) l'a senti ; car, pour pouvoir trouver ici une vraie vocation, il a dû changer, à l'encontre de toutes les idées reçues, la notion primordiale du mot. Il définit la vocation en général : " une invitation à tendre vers un but ". Or, elle est plus que cela ; c'est l'invitation à atteindre un but : lorsqu'on dit à quelqu'un : " viens ", on ne veut pas seulement qu'il se mette en marche, on veut qu'il arrive.

Si celui qui dit : " viens "! s'opposait ensuite à ce que l'appelé arrive, sa parole passerait, d'ordinaire, pour une duperie.

La vocation intérieure ne garantissant pas que Dieu veuille que l'on arrive au sacerdoce, elle ne saurait donc être l'appel formel et proprement dit.

Après avoir ainsi défini la vocation en général, le même auteur a voulu assimiler la vocation sacerdotale à la vocation à la foi, à la vie chrétienne et au salut.

Or, cette tentative même montre, à l'évidence, l'inexactitude de la définition proposée ; car, pour aucune de ces trois fins, la vocation n'est pas qu'une simple invitation à tendre vers la foi, la vie chrétienne ou le salut ; c'est une invitation à atteindre le but. Un appelé à l'une ou à l'autre de ces trois fins ne manque le terme que par sa faute. Aussi sera-t-il puni pour l'avoir manqué, parce qu'il était vraiment appelé à l'atteindre.

Rien de tel, nous l'avons vu, pour l'appel intérieur au sacerdoce. La théorie par laquelle on s'est efforcé de le rattacher à la triple vocation est donc, toute entière, prœter quœstionem. On pourrait dire d'elle, avec saint Augustin : " magni passus, sed extra viam ".

 

Première conclusion : L'appel passif intérieur n'est pas autre chose que la grâce, principe surnaturel de l'élection et de la formation sacerdotale.

Il n'est donc pas à distinguer de l'action surnaturelle elle-même ; il n'est pas la règle qu'il faudrait préalablement connaître avant d'agir ; il est en définitive, quelque opinion que l'on ait sur la grâce actuelle, l'action même, ou mieux l'agir que Dieu produit en nous, avec nous. On ne pourrait connaître ce principe qu'en le surprenant, si on pouvait le surprendre, dans le fait même de notre activité surnaturelle.

La première de ces grâces, données en vue du sacerdoce, c'est précisément la grâce de le choisir, ou mieux l'élection elle-même. Il s'ensuit avec la dernière évidence, et c'est notre première conclusion, que : LE SUJET N'A PAS A SE DEMANDER, POUR FAIRE CETTE ELECTION, SI DIEU L'APPELLE. Car Dieu l'appelle — de cet appel intérieur passif — précisément en ce que sa grâce lui fait produire cette élection elle-même. Cette grâce, celle qui est strictement requise, n'est pas,, en effet, une parole divine dite au sujet, soit parole formelle, comme par une révélation, soit virtuelle, comme par une inspiration du Saint-Esprit ; non, c'est une action divine, cause première, mais secrète, de l'élection humaine ; on ne peut la connaître que par cette élection elle-même qui est, pour ainsi dire, son contre-coup direct dans l'âme.

109. — Opposition absolue de cette doctrine avec l'opinion courante. C'est ici qu'on voit l'opposition absolue de cette doctrine à l'opinion courante. L'opinion courante est que l'on ne peut choisir la carrière sacerdotale qu'après avoir dûment constaté qu'on y est appelé de Dieu. C'est que, d'après cette opinion, on exigeait dans le sujet, antérieurement à cette élection, quelque chose qui ne se pût attribuer qu'à Dieu seul et qui fournît comme la preuve que le sujet était divinement convié au sacerdoce. Car, on voyait bien que l'élection d'initiative personnelle, encore que surnaturalisée par la grâce, ne laisse pas d'être un acte humain, produit par le jeu habituel des facultés humaines ; l'on se souvenait que l'élection surnaturelle est œuvre de la vertu de prudence et que si les dons nous poussent à des actes surhumains, les vertus s'accommodent à notre manière d'agir ordinaire (1).

C'est pourquoi on exigeait quelque chose de purement divin, qui ne fût nullement le fruit de notre activité personnelle ; on exigeait, sinon des inclinations naturelles, signes divins de notre prédestination sacerdotale, du moins un mouvement, une inspiration, une impulsion, procédant ex puro instinctu Spiritas Sancti. Il fallait donc, tout d'abord, trouver dans le sujet cette indication préalable de la volonté divine, d'où l'autorisation, parfois l'obligation, de choisir le sacerdoce se déduisait en manière de conclusion pratique.

Le candidat procédait par une sorte de syllogisme pratique, qu'on peut exprimer ainsi :

Je n'ai le droit de choisir le sacerdoce que si Dieu m'appelle, et je connais l'appel de Dieu aux inclinations soit naturelles, soit surnaturelles, que je ressens dans mon âme, ou à ces deux signes réunis.

Or je ressens (ou je ne ressens pas) des inclinations naturelles ou surnaturelles qui me poussent vers le sacerdoce. Donc, j'ai le droit, — ou je n'ai pas le droit — de choisir le sacerdoce.

On voit, combien cette manière de raisonner diffère de celle que nous avons constatée chez le jeune homme qui va, de sa propre initiative, à l'élection du sacerdoce. (N° 59, 60). On voit aussi combien ce syllogisme pratique, s'il est

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(1) Dona a virtutibus distinguuntur in hoc quod virtutes perficiunt ad actus modo humano, sed dona ultra humanum modum. (III Sent. Dist. 34, q. i, a i).

 

érigé en loi, comme on le fait habituellement : " Je n'ai le droit... " est condamné par tous les principes théologiques qui forment la trame de cette étude.

110. — Pas de décret éternel à découvrir. Deuxième conclusion. — Puisque l'élection, qui émane de l'initiative du sujet, est faite, en même temps, par Dieu, comme cause première surnaturelle, puisque cette intervention de Dieu est la seule qui soit requise pour commencer le processus de la génération d'un prêtre, il ne saurait donc être question, pour le sujet, de découvrir un décret éternel qui aurait gravé en lui une empreinte quelconque, antérieure à l'élection, décret auquel il devrait remonter, à travers - cette empreinte, avant qu'il puisse passer à l'élection même du sacerdoce.

Il faut rejeter comme une doctrine erronée cette obligation morale, qui s'imposerait à la conscience de tout aspirant au sacerdoce, de connaître la volonté divine éternelle ; obligation qui laisse assez entendre que ce décret éternel qui est en Dieu, on le peut connaître.

Outre que ces décrets éternels, ceux qui émanent de la volonté de bon plaisir, sont inconnaissables autrement que par leur réalisation (1), il faut dire que le décret de Dieu est actif et que son premier effet est de provoquer l'élection, elle-même du sacerdoce. Il ne s'agit donc pas de le préconnaître, mais de procéder librement à l'élection, en le présupposant. Toujours dans les actes qui relèvent de la vertu de prudence, dès que nous avons demandé la grâce de Dieu, nous avons le droit d'agir, en la supposant accordée, sans avoir à attendre de nous sentir poussés par elle. Cette dernière attitude est, on s'en souvient, celle des Quiétistes.

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(1) "Ce que Dieu veut ou ne veut pas, nul ne le sait sur la terre. " (BOSSUET ; Instr. sur les Etats d'oraison, livre IV, N° 3. Cf. S. FR. DE SALES : Traité de l'Amour de Dieu, livre IX, chap. i).

 

(N° 79 et 90) Les théologiens d'Issy l'ont justement observé (1).

111. — Le sujet n'a jamais à se demander s'il a l'appel intérieur. Troisième conclusion. — Le sujet n'ayant pas à se de- mander, avant l'élection du sacerdoce, si Dieu l'y appelle — c'est-à-dire si c'est bien la grâce de Dieu, appel divin passif, qui l'y pousse — n'a pas davantage à se le demander après, au cours de sa formation sacerdotale.

Ce qu'il a à bien comprendre, c'est que son élection surnaturelle, avec l'intention qui en est la suite, doit être l'âme de sa préparation ; ce qu'il ne doit jamais oublier, c'est qu'il n'y a pas de vrai surnaturel sans la grâce, et que la grâce étant un don de Dieu, il doit se tenir dans une dépendance perpétuelle de l'action divine, se défier constamment de lui-même, prier sans relâche, remercier de ce qu'il a reçu, et implorer ce dont il a besoin encore. Rien de plus.

Quant à scruter cette action de Dieu en lui, pour en dégager la réalité d'un appel divin passif, nous avons vu plus haut que c'est une investigation théologique toute pure, sans aucune utilité pratique pour l'aspirant au sacerdoce (2). S'il exécute fidèlement ce à quoi Dieu l'appelle, il deviendra un saint prêtre, alors même qu'il n'envisagerait jamais l'action

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(1) " Hors les cas et les moments d'inspiration prophétique ou extraordinaire, la véritable soumission que toute âme chrétienne, même parfaite, doit à Dieu est de se servir des lumières naturelles et surnaturelles qu'elle en reçoit et des règles de la prudence chrétienne, en présupposant que Dieu dirige tout par sa Providence et qu'il est l'auteur de tout bon conseil. " (26e article d'Issy).

(2) Tandis que cette investigation s'imposerait absolument, soit au candidat, soit à l'évêque, dans le cas où l'appel divin passif serait le véritable appel sacerdotal, celui qu'il est nécessaire d'avoir entendu pour entrer dans le sacerdoce : "Nec quisquam sumit sibi honorem sed qui vocatur a Deo."

 

de Dieu en lui, précisément sous formalité d'appel, à supposer d'ailleurs qu'il puisse vraiment la discerner.

Il n'est tenu qu'à une chose, en vertu de son choix : acquérir l'idonéité sacerdotale ; et, s'il n'est tenu qu'à cela, le confesseur, les directeurs, l'évêque lui-même, n'ont pas non plus à se préoccuper d'autre chose, ni à analyser l'action divine dans l'intime de l'âme, pour y surprendre l'appel divin passif. Cet appel n'a de valeur que par ses effets, et ces effets se traduisent dans les progrès de l'idonéité. C'est donc uniquement de celle-ci qu'il faut s'occuper.

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112. — Parler d'appel divin passif à propos du sacerdoce est chose inutile. Quatrième conclusion. —Du moment que l'appel divin passif, dont il s'agit, est un principe général qui se trouve dans toutes les séries de grâces moyennant lesquelles Dieu mène une créature à un but surnaturel quelconque — foi, justification, baptême, confirmation, vie religieuse, célibat, mariage chrétien, etc... — ce n'est pas un appel formellement sacerdotal, c'est-à-dire qui soit particulier au sacerdoce et qu'on ne trouve que là ; il n'est sacerdotal que matériellement, c'est-à-dire par application à cette manière spéciale du sacerdoce. D'où il suit qu'il serait inutile, même au point de vue spéculatif, d'en parler, ex professa, à propos du sacerdoce, pourvu que l'on dise, une fois pour toutes, que la préparation des aspirants relève entièrement de la grâce prévenante — gratta vocans — comme de sa source première.

Le lieu précis où l'on expose la doctrine de l'origine du surnaturel et de l'appel divin passif qui y est inclus, c'est le traité De Deo, dans les spéculations sur la Providence et la Prédestination. Après quoi, il est inutile d'y revenir à tout propos ; un simple mot de rappel suffit.

L'on ne voit pas en vérité pourquoi, si l'on parle de cet appel divin passif à propos du sacerdoce, on n'en parlerait pas à propos de tous les autres sacrements. Nous devrions avoir ainsi, tout aussi bien qu'un traité de l'appel au sacerdoce, les traités de l'appel au baptême, (1) de l'appel à la confirmation, de l'appel à la pénitence, de l'appel à l'Eucharistie, de l'appel à l'extrême-onction, de l'appel au mariage (2).

113. — Silence des anciens théologiens. Voilà pourquoi saint Thomas et tous les anciens théologiens jusqu'au XVIIe siècle observent le silence le plus complet sur cette question de l'appel sacerdotal intérieur,

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(1) D'autant qu'un traité de l'appel au baptême semble tout indiqué dans les prescriptions du Rituel au sujet du baptême des adultes : "Si quis adultus sit baptizandus debet prius 1°) secundum Apostolicam regulam, in Christiana Fide ac sanctis moribus diligenter instrui, et 2°) per aliquot dies in operibus pietatis exerceri, 3°) ejusque voluntas et propositum sœpius explorari, et 4°) nonnisi sciens et volens, probeque instructus baptizari... 5°) admonendus est Catechumenus ut peccatorum suorum pœniteat... 6°) sacerdos diligenter curet, ut certior fiat de statu et conditione eorum, qui baptizari petunt. "

Pourquoi donc la littérature chrétienne, travaillant sur ce thème qui est en tout semblable aux prescriptions sur l'idonéité des ordinands, ne s'est-elle pas enrichie de nombreux traités sur la vocation baptismale ?

On aurait également trouvé ici trois cas d'appel au baptême : par inspiration, par attrait, par décision raisonnée de prudence pratique.

(2) Saint Thomas dit fort bien que c'est une superfluité d'exposer, ex professa, dans chaque science particulière les principes généraux qui ressortissent à une science plus haute. On renvoie purement et simplement à cette science supérieure et l'on se contente de traiter de ce qui est spécial à la science dont on s'occupe actuellement. C'est ainsi que, dans un traité de l'appel au sacerdoce, on ne doit parler, ex professa, que de l'appel vraiment et proprement sacerdotal et non de celui qui se trouve partout où il y a du surnaturel, des impulsions de grâce vers un but surnaturel. " Nec iterum (principia universalia) in una aliqua particulari scientia tractari debent : quia quum his unumquodque: genus ad sui cognitionem indigeat, pari ratione in qualibet particulari scientia tractarentur. " (In Metaph. Arist. : Proœmium).

 

dans leurs traités pourtant si complets et si fouillés sur les saints Ordres. De ce fait pas d'autre explication que celle que nous venons de donner. Et, à notre tour, nous disons : " La raison de ce silence, je la trouve dans saint Thomas lui-même : elle est toute simple, c'est que cela va de soi, sans qu'il soit nécessaire de le dire... certa discussions non egent ".

114. — Une question prèssanté. Mais, dès lors, nous demanderons qu'on veuille bien expliquer le fait suivant : Comment se fait-il que la doctrine de l'appel intérieur au sacerdoce, jugée inutile dans les traités des saints Ordres, jusqu'au XVIIe siècle, ait été, alors et depuis, jusqu'à nos jours, jugée, au contraire, si utile, si nécessaire, si essentielle, qu'elle a donné naissance à toute une littérature sous le nom de Vocation Sacerdotale, tant et si bien qu'il ne paraissait plus possible de traiter purement et simplement de l'idonéité sacerdotale, ou des dispositions au sacerdoce, mais que tout livre sur la matière devait rouler sur la vocation sacerdotale et en porter le titre, ou tout au moins quelque chapitre essentiel où en fût exposée la doctrine (1) ? De quelle déviation n'avons-nous pas là le signe manifeste ! Nous l'expliquerons plus au long au chapitre suivant.

115. — A quoi se réduit l'appel intérieur passif. Confrontation avec l'appel épiscopal. Cinquième conclusion. —- Du moment que l'appel intérieur passif n'est pas autre chose que la préparation surnaturelle du sujet, il en suit toutes" les conditions :

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(1) C'est pour nous accommoder à l'usage général que nous avons dû nous-même adopter ce titre ; mais au lieu de parler de 1 appel intérieur ou de la grâce, nécessaire pour toute œuvre surnaturelle, nous n'avons traité que de l'idonéité sacerdotale (ou des dispositions pour recevoir dignement le sacerdoce) et de l'appel extérieur, qui est le seul appel formellement sacerdotal.

 

1°) C'est un appel qui ne va qu'à produire les dispositions du sujet, à préparer la matière, à la rendre apte au sacerdoce.

L'appel épiscopal propose d'abord, et produit ensuite, la collation de la forme même ; c'est lui qui vraiment sacerdotalise le sujet : premièrement, en lui donnant droit au sacerdoce ; secondement, au moment où il devient définitif par l'impression du caractère sacramentel, en lui conférant le pouvoir sacerdotal. (Nos 99, 100).

2°)L'appel intérieur est totalement subordonné à l'appel de l'évêque, comme la préparation même du sujet et son idonéité (Nos 34, 38) ; l'évêque n'est nullement engagé par cet appel, à supposer même qu'il le constate.

3°) L'appel intérieur n'est donc qu'un appel secudum quid, tandis que l'appel divin par l'évêque est l'appel divin simpliciter.

Et c'est pourquoi les rédacteurs du Catéchisme du Concile de Trente, se proposant de définir l'appel divin sacerdotal, n'avaient à signaler que celui-là ; l'autre rentrant suffisamment dans les conditions d'idonéité qu'ils énumèrent. Ils savaient que les définitions portent sur les essences, sur les choses qui sont telles simpliciter et non sur celles qui ne sont telles que secundum quid.

C'est donc l'appel divin par l'évêque qui, seul, ouvre les portes du sanctuaire, qui donne le droit d'entrer dans le sacerdoce et d'en assumer l'honneur : " sumere honorem ".

C'est donc lui seul qui est visé par le texte de l'Apôtre ; lui seul fait les vrais appelés de Dieu au sacerdoce : Qui vocatur a Deo. (Nos 195, 203).

 

 

CHAPITRE VIII

De la Vocation sacerdotale

 

116. — Le mot vocation. Nous avons pris garde, autant qu'il nous a été possible, de ne pas prononcer nous-même, jusqu'ici, le mot " vocation sacerdotale ", sinon pour exprimer l'opinion courante. Car, ce n'est qu'après avoir bien fixé, et chacune à sa place, toutes les réalités dont se compose le processus de la formation et de la génération d'un prêtre, que l'on peut avoir quelque chance de déterminer avec exactitude le sens de ce mot.

117. — Le sens classique du mot latin " vocatio " toujours actif. Tout d'abord, une remarque s'impose, et très importante, pour comprendre le langage des Pères de l'Eglise, c'est que le mot latin " vocatio " n'eut jamais, chez les classiques, qu'un sens purement actif, qu'il signifiât, soit une assignation en justice, soit une invitation à un repas, etc. Jamais, chez les classiques, on ne trouverait des locutions semblables à celles qui sont usitées parmi nous " habere vocationem, dare vocationem " ; ou toute autre de même genre, signifiant quelque chose de posé dans le sujet, de possédé par lui. Tout au plus découvrirait-on des expressions analogues à celles dont nous nous servons pour les citations en justice et les invitations : lancer, déférer, fulminer une citation, une invitation, une vocation ; recevoir une citation, une vocation, une invitation ; synonymes du verbe actif " vocare " et du passif " vocari (1) ".

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(1) Voir Diction, de la langue latine, par GUILL. FREUND, traduit en français par THEIL : au mot " Vocatio ".

 

118. — Sens actif et passif dans la langue théologique. Dans le latin théologique, au contraire, comme l'a dit plus haut ou insinué saint Thomas (N° 102), le mot " vocatio " a un sens tout ensemble actif et passif. La " vocatio ", prise au sens passif, signifie les effets posés dans la créature par la " vocatio " active ; elle n'est pas autre chose que le premier élément de la prédestination, passant à l'exécution. Néanmoins, comme la vocation passive, au sens de saint Thomas, est quelque chose de commun et d'universel, et que le langage courant, au contraire, roule sur le particulier et le concret, il est arrivé que, jusqu'au XVIIe siècle, sauf quelques rares exceptions, la " vocatio " au sens passif est restée en son lieu, dans le traité " DE DEO ", sans descendre dans le langage courant. On ne parlait pas plus de vocation au sacerdoce, que de vocation au mariage, ou à l'Eucharistie, ou à la Pénitence, etc. On ne parlait que des dispositions requises pour recevoir les sacrements, en sous-entendant que ces dispositions étaient le fruit de la grâce, et donc, une vocation passive, une direction imprimée à l'âme vers un but déterminé.

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119. — Profond changement de signification au dix-septième siècle. Or, au XVIIe siècle, si l'on avait introduit purement et simplement cette " vocatio " passive, ainsi entendue, dans le processus de la génération sacerdotale, on aurait tout au plus surchargé la doctrine d'une superfluité, au jugement des anciens théologiens (N° 112, 113), parce que " certa discussione non egent ". Car cette " vocatio " passive, ou grâce prévenante, se retrouvant partout où il y a du surnaturel, et ne présentant rien de spécial au sacerdoce, il était superflu d'en parler ; cela allait de soi (1).

Superfluité dangereuse, ajouterons-nous ; car, en employant le mot " vocatio " pour désigner la grâce préparatoire au sacerdoce, on aurait eu l'air de traiter de l'appel vraiment et spécifiquement sacerdotal, de la " vocatio " au sens de Saint-Paul, et il n'en eût pas été ainsi, puisqu'on n'aurait parlé que de la grâce, qui est également nécessaire pour la réception de tous les autres sacrements, et pour toute œuvre surnaturelle.

Aussi, au XVIIe siècle, on fit bien autre chose. Ce n'est pas cette " vocatio " passive, tout à fait générale, que personne ne pouvait nier et dont la connaissance n'eût servi de rien, que l'on songea à introduire dans la théologie de l'Ordre, mais un élément tout différent et tout nouveau.

En français, le mot " vocation " était employé passivement dès le XVIe siècle, pour signifier des aptitudes marquées, accompagnées d'une inclination accentuée et constante vers une profession. De là ces expressions : vocation littéraire, poétique, artistique, etc... (2).

Ces inclinations ne sont pas le fruit de l'activité personnelle ; elles s'imposent plutôt à elle, pour la diriger dans un

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(1) Aussi l'on ne s'explique guère qu'un théologien récent ait pu écrire tout un livre très copieux pour prouver que les dispositions au sacerdoce sont l'effet de nombreuses grâces actuelles et, donc, d'une vocation divine. Il s'est donné un mal considérable pour prouver ce que personne n'a jamais songé à nier. Sa polémique se tient, presque constamment, en marge de la vraie question et n'a fait qu'embrouiller un peu plus le système de la vocation intérieure, au lieu de servir à l'élucider. Cf. N° 19, 106, 107.

(2) Voir Diction, de LITTRÉ, au mot " Vocation ". Avant le XVIe siècle, comme en témoigne Littré, le mot français " vocation " n'avait, lui aussi, que le sens actif du latin classique et signifiait : un appel en justice, une invitation, etc. Depuis le XVIe siècle, la signification passive s'est glissée dans le mot et y a peu à peu dominé, mais sans jamais supplanter, ni supprimer la signification active qui demeure parfaitement correcte. Bossuet en a fait usage plus d'une fois, ainsi que nous le disons un peu plus bas.

 

sens déterminé. C'est dans ce sens que l'on parlait de vocations irrésistibles (1).

Or, au XVIIe siècle, on transféra cette signification au sacerdoce, avec la différence que, de naturelle, l'inclination devint surnaturelle, sans perdre d'ailleurs son caractère essentiel, c'est-à-dire l'indépendance vis-à-vis de l'activité réfléchie du sujet, et l'antériorité, voire même l'influence positive, à l'égard de cette même activité.

120. — Causes historiques de ce changement. Comment cela s'est fait, sous la pression de quelles circonstances, c'est ce qu'on peut voir en divers ouvrages (2). Qu'il suffise de rappeler ici ce que personne n'ignore, à savoir ,que " dans l'aristocratie française, des convenances et des intérêts de famille décidaient trop souvent de la vocation des enfants. Ils étaient, comme disait Bossuet, " immolés " aux intérêts de la famille... Ce qu'on visait d'abord, en frappant à la porte de l'Eglise, c'était un bénéfice gros et brillant. Il était quelquefois conféré avant les Ordres, mais à charge de les recevoir, et le désir de le garder était le seul motif qui y conduisait le jeune bénéficiaire déjà nanti. "

De là cette vigoureuse apostrophe de Bourdaloue : " On s'engage, s'il est besoin, dans les Ordres. Je dis : s'il est besoin, car hors du besoin, on n'aurait garde d'y penser, et vous entendez bien quel est ce besoin... Il y a dans l'état ecclésiastique des degrés où l'on ne peut monter sans le

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(1) Voilà pourquoi l'on dit communément que " La vocation, quand elle existe, se décide souvent dès le premier âge et elle est quelquefois tellement forte qu'elle résiste aux entraînements des passions, à des contrariétés " incessantes. " LAROUSSE, Grand Dictionnaire.

(2) DEGERT ; Histoire des Séminaires français II, p. 362, Paris, 1912.

SICARD : Les Evêques avant la Révolution ; Chap. n : Poussée des grandes familles vers les hautes situations de l'Eglise.

 

sacerdoce. C'est une condition absolument requise, pour obtenir tel bénéfice et pour parvenir à telle dignité. Il faut donc entrer dans les Ordres sacrés et l'on y entre. Pourquoi ? Est-ce pour avoir le précieux avantage d'offrir le sacrifies du corps et du sang de Jésus-Christ ? C'est à quoi l'on ne pense guère, et si le saint caractère n'était bon qu'à cela, on ne s'empresserait pas de le demander. Mais, il peut servir à autre chose. Non seulement on est prêtre avec ambition, mais on ne l'est que par ambition (1). "

" De pareilles aberrations devaient soulever les protestations des consciences vraiment chrétiennes. Nous avons enregistre celles de saint Vincent de Paul, de M. Olier, di Bourdaloue. Nous pouvons y ajouter celles de tous les auteurs qui se sont occupés alors de la formation du clergé français, car la théorie de la vocation fut d'abord une réaction contre les usages de France (2). "

 

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121. — Comment fut faussée la notion de l'appel divin. A refouler cette invasion, de candidats trop souvent indignes, l'autorité des évêques aurait dû suffire ; mais elle était bien souvent tenue en échec par des influences humaines trop puissantes. Pour dresser une digue plus forte, on appela au secours le Ciel lui-même, et, contre le flot montant des candidats, on éleva très haut cette vérité que, pour entrer légitimement dans les Ordres, il fallait y être appelé de Dieu. Vérité indéniable ! les âges précédents ne l'ignoraient

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(1) Bourdaloue n'eût point été embarrassé pour appuyer par des exemples sa vigoureuse remontrance. Au nombre des aînés disgraciés et sacrifiés il aurait pu compter, par exemple, l'aîné des fils de madame de Longueville, le comte Dunois, " contraint à " une vie ecclésiastique qu'il n'embrassait que par incapacité de " figurer à la guerre ou à la cour ". SAINTE-BEUVE : Port-Royal, t. V. SICARD : Loc. cit.

2) DEGERT ; loc. cit.

 

pas ; ils savaient que l'appel divin est l'appel même de l'évêque. Mais comme on avait alors besoin d'autre chose, on eut recours à des signes nouveaux de vocation divine et l'on exigea que le sujet en portât l'empreinte.

C'est alors que, par-dessus l'intention droite, acte réfléchi, on surajouta une inclination émanée de Dieu, sur quoi l'on fit porter, principalement, le nom de vocation.

Ainsi on lit dans les " méditations sua les principales vertus chrétiennes et ecclésiastiques, par m. Mathieu Beuvelet(1669): "Comme l'appel fait par l'évêque n'est plus en pratique depuis déjà plusieurs siècles (1), il y a certaines marques par lesquelles on peut probablement connaître si on est légitimement appelé : la première de ces marques actuelles, c'est l'inclination que Dieu donne à certaines personnes dès leurs plus tendres années, ou pendant assez longtemps avec une haute estime pour les fonctions ecclésiastiques ; la seconde, c'est l'intention de servir Dieu en cet état. "

Vers le même temps, M. Olier, dans son Traité des Saints Ordres — publié en 1675 — définissait ainsi l'intention à l'état ecclésiastique : " Un mouvement de Dieu qui porte toute l'âme et qui l'incline à cette divine profession, non par sentiment, ni par saillie ou par différentes reprises, mais par empire, par état et consistance immuable en son fond. "

Il est bien clair que cette inclination est essentiellement différente de l'intention, dont l'affermissement et la constance

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(1) Réflexion étrange ! comme si l'appel de l'évêque avait jamais cessé d'être essentiel pour toute ordination ! Il y a évidemment confusion ici entre l'évêque qui recrute lui-même les candidats et l'évêque qui appelle à recevoir les Ordres ; entre l'appel qui commence la formation et l'appel qui la sanctionne. Depuis quelques siècles, en effet, les évêques n'avaient plus besoin d'aller chercher des candidats ; ils venaient d'eux-mêmes et il en venait trop ! Mais jamais les évêques n'avaient cessé d'appeler aux Ordres ; sans cela le clergé de France n'eût été composé que d intrus.

 

sont œuvre du sujet lui-même, avec la grâce de Dieu ; constance et affermissement qu'il produit en lui, en renouvelant son intention première, en la retrempant tous les jours aux sources divines.

C'était bien, on le voit, une translation au sacerdoce de l'inclination signifiée, dans le langage profane, par le mot " vocation " : il fallait être mû et poussé au sacerdoce surnaturellement, comme on peut l'être naturellement à la littérature, à l'art, etc...

122. — Le texte de saint Paul détourné de son vrai sens. Ce qui augmenta encore la confusion, c'est que, pour recommander davantage cette vocation intérieure, on lui appliqua, dans un sens qui ne pouvait être que purement accommodatice, la parole de saint Paul : " Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron ", parole qui, dans le sens vrai, littéral, signifie l'appel extérieur, déféré par l'autorité sacerdotale légitime (1).

Jusqu'alors, on s'était contenté de dire avec saint Paul que, pour entrer dans le sacerdoce, pour en prendre l'honneur, .il faut un appel officiel de Dieu par ses représentants légitimes (N° 115).

Depuis lors, on commença de dire que, même pour choisir le sacerdoce comme état de vie, pour avoir le droit de se diriger vers lui et de se préparer en vue de s'en rendre digne, il fallait déjà être et se savoir appelé de Dieu. Or, comme ici, le plus souvent, il n'y avait pas d'appel officiel ; comme les évêques, encombrés plutôt que dépourvus d'aspirants, avaient perdu depuis longtemps — M. Beuvelet vient de nous le dire —i l'habitude de procéder par eux-mêmes à un recrutement qui se faisait tout seul ; comme d'ailleurs il importait d'endiguer cet empressement excessif,

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1) Voir Section II, chap. II., art. II, N° 195 et suiv.

 

provoqué par des mobiles trop humains, on imagina l'expédient doctrinal qui consiste à dire que, même pour avoir droit d'aspirer au sacerdoce, il faut s'y sentir invité et comme pressé par Dieu même, agissant au fond de l'âme sinon par révélation expresse, du moins par des inclinations constantes, prononcées, qu'on ne pût attribuer qu'à lui et qui seraient comme la marque de notre élection éternelle.

123. — La confusion portée au comble. Enfin, ce qui porta la confusion au comble, c'est qu'on adapta à cette doctrine une opinion théologique empruntée à des auteurs rigides, dont l'esprit paraît avoir été influencé par les idées prédestinatiennes, si répandues alors. Cette opinion, d'ailleurs, est issue d'une confusion toute pure.

Voici son processus : Comme il est certain, en théologie, que chaque homme arrive en ce monde avec sa destinée arrêtée dans les plans éternels ; comme, d'autre part, c'est un principe général de morale chrétienne qu'il faut se préoccuper de faire la volonté de Dieu et d'être fidèle à nos destinées, on déduisit cette conséquence étrange que, pour choisir son état de vie et avant de le choisir, il importe de connaître celui qui est inscrit pour nous dans les décrets éternels.

C'était appliquer à cette matière particulière une fausse conclusion que les Quiétistes étendaient, avec la logique de l'erreur, à toute l'activité humaine, à savoir que, pour être assuré d'être toujours dans la volonté de Dieu, il faut se tenir en repos, supprimer toute activité, toute initiative personnelle, et attendre, pour agir dans tel sens ou dans tel autre, de s'y sentir incliné par des mouvements intérieurs, qu'on pût considérer comme des manifestations des volontés inconnues de Dieu...

On a lu plus haut (N° 54, 55) les paroles indignées de Bossuet contre cette doctrine qui laisse tout à l'abandon, même le choix d'un état de vie, sous prétexte de s'en remettre aux volontés inconnues de Dieu : pur mirage, où Fénelon lui-même s'était laissé prendre ; et l'on n'est pas surpris que les erreurs Quiétistes et la doctrine sur la vocation intérieure, telle que nous venons de la définir (1), aient pris naissance dans le même temps, sinon dans les mêmes milieux.

124. — Points principaux de la théorie nouvelle. Quoi qu'il en soit, on obtint ainsi une théorie de la vocation sacerdotale ,qui se résume en ces quelques points :

1°) On n'a le droit d'aspirer au sacerdoce que si l'on est assuré, au moins de certitude morale, d'y être appelé de Dieu.

2°) On ne peut le savoir, en dehors d'une révélation expresse, que par les mouvements intérieurs et inclinations surnaturelles, que Dieu produit en nous, sans nous (2).

3°) Il faut donc, AVANT de faire choix du sacerdoce, se tenir dans l'indifférence et attendre de s'y sentir incliné, d'une inclination tellement spontanée et constante, qu'elle ne puisse être attribuée à notre activité personnelle (3).

4°) Cette inclination ou attrait, qui peut revêtir diverses formes, jusqu'à se trouver mêlée de grandes répugnances, voilà la vraie vocation divine, la seule, — l'appel de l'évêque étant relégué au rang de simple formalité canonique, de

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(1) Car c'est celle-là qui est entrée dans l'opinion courante et non celle de la vocation intérieure passive, qui s'identifie avec la grâce. Cette dernière, on ne la trouve nulle part ; elle est une pure création de son auteur, à l'aide des principes généraux sur la grâce et le surnaturel en nous. Toujours polémique en marge de la vraie question, vraie perte de temps. (N° 19, 106, 119).

(2) Saint Liguori n'exige pas autant ; il se contente de dire, avec Habert, que des aptitudes marquées, jointes à l'intention droite, suffisent à indiquer la destination divine d'un homme.

(3) Cf. supra N° 76.

 

simple condition sine qua non de l'entrée aux Ordres — l'empreinte certaine, en même temps qu'un commencement de réalisation en nous, de notre éternelle prédestination au sacerdoce.

 

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125. — Le mot vocation source d'ambiguïtés. Voilà donc le mot " Vocation " condamné à devenir la source d'ambiguïtés perpétuelles et inextricables. Chez les premiers écrivains ecclésiastiques, il n'était pris qu'au sens actif ; c'était la " vocatio " du latin classique. Ensuite les théologiens lui donnèrent un sens tout à la fois actif et passif : il signifiait, d'une part, l'action de Dieu en nous, et d'autre part, les effets de cette activité reçus dans l'âme ; d'un mot, la grâce.

Au XVIIe siècle, le mot prend, dans le langage profane, un sens surtout passif, pour signifier soit des aptitudes, soit des inclinations naturelles, des attraits, des goûts prononcés pour une carrière.

Sous la pression d'événements que nous venons d'indiquer, on crut bon de transporter cette acception nouvelle dans la théorie de la vocation sacerdotale. Et voilà comment la vocation au sacerdoce, purement active et extérieure dans saint Paul et toute la théologie ancienne, est devenue purement passive et intérieure dans la théologie moderne. La vocation-appel est devenue la vocation-attrait.

Et Dieu sait les multiples nuances que le mot " vocation " revêt encore dans le langage courant de la piété chrétienne ! au point qu'on en vient à ne plus savoir de quoi l'on parle et que la théorie de la vocation devient une des plus fuyantes de la théologie catholique (1).

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(1) Qu'on veuille bien examiner les expressions suivantes, recueillies dans nos livres de piété :

 

126. — Que faire de ce mot ? Que faire de ce mot vocation si fécond en équivoques ?

Trois solutions se présentent :

127. — Une solution légitime. Une solution moyenne consisterait tout simplement à distinguer, dans le mot équivoque, le sens actif et le sens passif.

La vocation active, appel extérieur et sensible, appel de la voix, selon l'étymologie du mot " vocis actio ", serait la vocation simpliciter, c'est-à-dire la vocation formelle, proprement dite. Ainsi la vocation divine au sacerdoce serait, par identité, la " vocatio " déférée par l'évêque, ce que nous appelons l'appel épiscopal. La vocation passive, avec les multiples réalités intérieures qu'elle comporte ou peut contenir (grâces actuelles, dispositions naturelles, aptitudes, idonéité complète, inclinations surnaturelles, attraits, inspiration du Saint-Esprit, révélations intimes), ne

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" Sa vocation est en danger. " — " Il a perdu sa vocation. " — "Il n'avait pas une bonne vocation." — " Le sacerdoce est la plus belle des vocations. " — " Ce milieu est fécond en vocations. " — " Le confesseur m'a trouvé toutes les marques d'une vraie vocation. " — " Demandez-lui que je ne vive plus que d'amour, c'est là ma vocation. " — " Telle est la vocation à laquelle nous sommes appelés. " — " Il semble bien être dans sa vocation. " — " Ou a brisé sa vocation. " — " Évangéliser les pauvres, disait saint Vincent de Paul, voilà notre vocation. " — " J'aime ma vocation, mon Carmel. " — " Il a une vocation irrésistible. " — " Qu'il est important de connaître sa vocation !"

Nous avons trouvé la plupart de ces expressions dans la vie si édifiante de Sœur Elisabeth de la Trinité.

(1) Nominibus utendum ut plures, dit saint Thomas : De verit. q. xvii a. I.

 

constituerait que la vocation secundum quid. au sens diminué, la vocation purement dispositive, préparatoire à la " vocatio " simpliciter, déférée, au nom de Dieu, par l'évêque.

Cette solution serait légitime : tout d'abord, parce qu'elle est parfaitement conforme à la doctrine; ensuite, parce qu'elle n'en imposerait pas au langage. Le mot " vocation " en effet, garde de droit et de fait, dans nos langues modernes, d'une part la signification active qui lui vient du latin (1), d'autre part la double signification passive qui lui a été annexée : soit celle qui lui vient de la théologie thomiste (grâce prévenante, gratia vocans) ou le surnaturel de nos œuvres ; soit celle, à nuances multiples, qui lui vient d'une analogie avec les vocations profanes : inclinations naturelles et surnaturelles, goûts prononcés, attraits, ou, tout simplement, aptitudes pour une carrière.

Les dictionnaires les plus autorisés consacrent ces diverses acceptions ; on a donc le droit de les maintenir et d'en faire usage pour exposer la doctrine de la vocation au sacerdoce. C'est ce qu'a fait avec précision un théologien récent : " La vocation sacerdotale, dit le P. Pègues, n'existe que lorsque l'évêque, ou ses représentants officiels, appellent : elle est vraiment constituée par cet appel. Dieu appelle par l'évêque. Il n'appelle même que par lui au sens qui vient d'être précisé (au sens d'appel officiel, authentique). ...Dès lors, il semble bien que si on peut, en un sens, parler de vocation, quand il s'agit du sacerdoce, au sujet des dispositions

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(1) Bossuet dont la langue est si pure, a employé plus d'une fois, en ce sens actif, le mot vocation, notamment dans ce passage : " Il ne suffit pas d'avoir la saine doctrine et il faut outre cela de deux choses l'une : ou des miracles pour témoigner une Vocation extraordinaire de Dieu, ou l'autorité des pasteurs qu'on avait trouvés en charge, pour établir la vocation ordinaire et dans les formes. " Variations, 1. 28. Ailleurs, il dit " Dieu pose les fondements de son Eglise par la vocation de douze pêcheurs ". Cité par LITTRÉ.

 

qui existent dans l'homme, ou encore au sujet de l'action intime de la grâce dans une âme, cette acception du mot vocation ne se distingue pas assez de l'acception ordinaire, qui paraît être plutôt celle des vocations même d'ordre humain, ou tout au plus de la vocation à la vie chrétienne et à la vie religieuse...

...On pourra donc, si on y tient, et parce qu'en fait on le trouve dans des documents authentiques, garder le mot vocation pris en ce sens ; mais il peut prêter à des interprétations fausses. On doit éviter de le prendre en un sens trop absolu. Il ne désigne qu'une vocation au sens de dispositions matérielles, au sens d'indications ou de manifestations problématiques, non pas au sens formel et actif de manifestation ou d'appel indubitable. D'un mot ce ne sera jamais... qu'une vocation au sens diminué, une vocation secundum quid. La vocation pure et simple, la vocation au sens plein et formel et actif, c'est l'acte officiel de l'évêque ou de ses représentants authentiques invitant à marcher à l'ordination. Voilà la vocation divine au sacerdoce, la vocation sacerdotale simpliciter. — " Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur (1). "

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128. — Nécessité de recourir à une solution radicale. Néanmoins, il faut l'avouer, l'usage, qui se pose en maître absolu des langues, tend à faire prédominer de plus en plus, dans le mot " vocation ", le sens passif ; et, ce qui est pire, c'est que, des divers sens passifs, il insiste surtout sur le moins théologique de tous inclination, attrait plus ou moins inné pour une carrière.

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(1) Revue Thomiste, juin 1911, p. 405.

 

Que faire donc ? Recourir à une troisième solution tout à fait radicale : laisser au mot " vocation " cette signification passive que l'usage lui impose, mais réagir contre l'usage en épurant ce mot d'une foule d'éléments parasites qu'on y a subrepticement glissés ; puis demander à l'usage lui-même un autre mot, qui soit synonyme de la" vocatio " des latins, sans avoir subi les multiples défigurations de notre mot vocation (1).

CE MOT EXISTE : c'est le mot appel.

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(1) Il n'est pas sans intérêt de constater le peu de ressources qu'offre le mot vocation dans notre langue française. Il est resté d'une stérilité complète, à l'inverse des mots de la même famille, qui, eux, ont engendré de nombreux dérivés. Qu'on examine à ce point de vue : " Convocation, Provocation, Évocation et surtout Révocation. "

Autour de ce dernier, nous avons en français les équivalents de " revocare, revocari, revocantes, revocati, revocabiles, revocatorium " du latin ; car nous disons : " révoquer, être révoqué, révoqué, révocants, révocable, révocatoire ". Rien de tel pour le mot vocation.

Autre remarque : chacun des mots de cette famille a gardé exclusivement le sens actif du latin. Cela est surtout visible dans le mot Révocation. Contraire du mot " vocatio ", il signifie le retrait d'une " vocatio ", d'un appel, le retrait d'une nomination à un emploi.

Sur ces deux points le mot "vocation" s'est comporté à l'inverse de ses congénères :

1° Il est resté seul, sans produire ni verbe, ni adjectif, ni participe, ni substantif correspondant.

2° Il tourne le dos au sens actif " action d'appeler", pour prendre de plus en plus le sens passif.

Enfin 3° pour comble de confusion, il a revêtu des sens passifs à nuances multiples, parfois très difficiles à préciser, aptitudes, désir, attrait, grâce, Cf. N° 125.

Aussi est-il la source de toutes sortes de confusions. Nous en avons fait l'expérience !

Combien plus facilement et plus clairement l'on s'exprimerait en matière de vocation sacerdotale, si le mot français " vocation " avait autour de lui les équivalents de " vocatio, vocare, vocari, vacantes, vocati, vocabiles ".

Heureusement le mot appel qui traduit exactement la " vocatio " des Latins nous offre toutes les ressources désirables car c'est lui qui nous donne les équivalents susmentionnés ; c'est lui, à vraï dire, qui suit dans toutes ses évolutions la " vocatio " des Latins, en engendrant " appeler, être appelé, appelant, appelable, appelé, appellation ".

 

129.— La question nettement posée. Donc, au lieu de poser la question en ces termes : En quoi consiste la vocation sacerdotale ; quel en est le constitutif essentiel ? — question ambiguë — nous demanderons :

En quoi consiste l'appel au sacerdoce ; quel est le constitutif essentiel de l'appel au sacerdoce ?

A la question ainsi posée, nous répondons comme ci-dessus : L'appel sacerdotal proprement dit, celui qui est spécial au sacerdoce, ' celui dont saint Paul affirme la nécessité et sans lequel on est, non un ministre légitime, mais un usurpateur et un intrus, c'est l'appel épiscopal, ou appel de Dieu par l'Évêque, au sens que nous avons plus d'une fois précisé. Ce n'est qu'après avoir reçu cet appel qu'on peut se considérer comme un appelé de Dieu : c'est l'appel sacerdotal simpliciter.

L'appel secudum quid, au sens diminué, désignera ce qu'on appelle communément " vocation " et s'étendra à toutes les réalités intérieures que nous avons énumérées.

130. — Épuration nécessaire du mot " vocation ". Mais il est à remarquer que, si l'on s'en tient à ce qui est strictement requis pour une vocation parfaitement légitime, la vocation, ou appel secundum quid, n'a pas le droit d'entrer telle quelle, dans l'économie du recrutement sacerdotal. En effet, plusieurs des réalités intérieures que l'on désigne indifféremment du nom de vocation, doivent

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Pratiquement, et pour éviter de nouvelles confusions, c'est donc ce mot appel, qu'il faut adopter. Mais il importe de poser la question, non sur l'appel canonique (expression vague) mais sur l'appel divin au sacerdoce, sur l'appel formellement et proprement sacerdotal.

 

être signalées comme surérogatoires, et, par conséquent, éliminées des prærequisita ad sacerdotium.

A éliminer cette voix intérieure qui dit à quelqu'un : " Je te veux prêtre ". Que les sujets favorisés de cette révélation bénissent Dieu d'une faveur si haute ; mais qu'ils n'en imposent la nécessité à aucun candidat au sacerdoce.

A éliminer pareillement ces attraits qui, dès le jeune âge, ont porté vers les autels tel ou tel Eliacin. A éliminer les inclinations naturelles et précoces pour la prédication, pour les cérémonies sacrées, pour les diverses fonctions du sacerdoce. Heureux ces Eliacins ; heureux ces gentils diseurs de messes ! Mais qu'ils aient la charité de ne pas déclarer .nécessaire à la vocation ce qui n'en est qu'un accessoire fort négligeable.

A éliminer surtout, comme inutile, impossible, et, pratiquement, fort nuisible, cette tentative de lire dans les décrets éternels pour y chercher notre destinée.

131. — Son sens précis : il est synonyme d'idonéité. Que contiendra donc l'appel secundum quid? Que sacerdotale, signera nécessairement le mot " vocation " ? Ce qui est requis pour se présenter légitimement au jugement, au choix et à l'appel de l'évêque : l'idonéité, mais dégagée de tous les accessoires illégitimement ajoutés ; l'idonéité, présupposant d'ailleurs la perpétuelle action de la grâce (1), qui a présidé à tout le travail de formation.

Et, donc, quand on cherchera si un séminariste a la vocation, on ne lui demandera, ni s'il a entendu une voix intérieure, ni s'il a senti des attraits, ni s'il a eu de bonne heure de l'inclination pour les choses du sacerdoce, ni s'il a dit

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(1) Ceci soit dit en thèse générale. Quant à vouloir découvrir l'action de la grâce en tel cas particulier, il serait inutile d'y songer et la recherche n'aboutirait pas (p. 100 ; note 2).

 

de lui-même, bien spontanément, qu'il voulait être prêtre. On lui demandera simplement s'il a choisi le sacerdoce pour des motifs surnaturels, s'il a pris soin de se maintenir dans l'humilité et la prière ; s'il a cultivé en lui les vertus nécessaires au prêtre, surtout la chasteté et l'esprit d'obéissance.

Quand on lui dira de cultiver avec soin sa vocation, on n'aura pas le dessin de l'inviter à de subtiles analyses théologiques, pour découvrir, à travers sa préparation surnaturelle, un appel passif de Dieu, et, à travers cet appel passif, un décret éternel qui le vise. Non ! on lui parlera de vocation, uniquement pour lui recommander de s'unir de plus en plus étroitement, par la science et l'amour, à Jésus Souverain Prêtre, pour l'inviter à purifier de plus en plus son intention, pour lui rappeler son double devoir d'action de grâce et de prière.

De cette façon, ce mot " vocation " non seulement ne faussera plus la doctrine et, pratiquement, ne nuira plus au recrutement sacerdotal, mais il écartera de lui le qualificatif d'inutile et de superflu ; il aura, par le rappel à Dieu qu'il provoquera sans cesse, une heureuse influence sur la formation sacerdotale.

C'est sûrement en se sens que l'entendent les documents ecclésiastiques.

 

 

 

CHAPITRE XI

Jugement d'idonéité et appel électif; leur rapport

 

132. — L'appel épiscopal est absolu. Juger, Choisir, Appeler : telles sont, avons-nous dit, les trois fonctions de l'évêque à l'égard des aspirants an Sacerdoce.

On peut se demander si le choix et l'appel, ou, en unissant les deux termes, si l'appel électif (1) est dépendant du jugement qui le précède.

En vertu des principes exposés ci-dessus, la réponse ne saurait faire de doute. L'appel électif est absolu ; sa valeur ne dérive pas de celle du jugement d'idonéité. Le jugement précède l'appel, mais ne le conditionne pas ; le premier peut tomber à faux, sans que le second soit compromis dans sa validité.

Il arrive plus d'une fois, sans doute, que des candidats jugés dignes pat les hommes sont, en vérité, indignes aux yeux de Celui qui scrute le fond des cœurs : tout jugement humain est ainsi exposé à l'erreur. L'évêque a conscience de la fragilité de ses sentences. Il en fait même l'aveu public dans la cérémonie des ordinations : " Et nos quidem, tamquam homines divini sensus et summæ rationis ignari, horum vitam, quantum possumus, æstimamus. Te autem, Domine, quæ nobis sunt ignota non transeunt, te occulta non

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(1) Cette expression a l'avantage d'unir étroitement les deux termes scripturaires, qui s'appliquent au sujet que nous traitons : " Ego vos elegi " — " Elegit duodecim ex illis ", etc. — " Vocavit eos " — " Nec quisquam... sed qui vocatur a Deo ", etc.

 

fallunt. Tu cognitor es secretorum ; tu scrutator es cordium. Tu horum vitam cælesti poteris examinare judicio... "

Le jugement d'idonéité est donc faillible et peut n'être pas ratifié par Dieu.

Il n'en va pas ainsi de l'appel. Il suit les mêmes règles que l'ordination. Quand l'évêque appelle, et quand il confère le sacrement, il agit avec une intention absolue. Il ne sous-entend aucune condition qui pourrait faire défaut, soit de son côté, soit du côté de l'ordinand, soit du côté de Dieu. Il ne dit pas : " Je vous appelle, si Dieu vous appelle " ; — ni : " Je vous appelle à condition que vous vous soyez bien fait connaître " ; — ni : " Je vous appelle dans la mesure où mon jugement sur vos dispositions est fondé. " Non : il appelle purement et simplement, au nom et par autorité de Dieu.

133. — Doctrine de Monsieur Tronson. Ici, nous nous séparons même de ces théologiens récents, qui abandonneraient volontiers la théorie de l'attrait, signe décisif, pour revenir à l'opinion authentique de M. Tronson et de la première génération de Saint-Sulpice.

On n'y trouve qu'une demi-satisfaction à la vérité.

On sait que M. Tronson disait de l'attrait qu'il n'est ni une marque nécessaire, ni une marque assurée : " On peut avoir une grande inclination à une chose et n'y être pas appelé. " II fait fond sur les aptitudes et surtout sur L'appel De L'évêque : " Les autres marques, dit-il, peuvent tromper, et nous voyons des personnes qui ont une grande inclination pour l'état ecclésiastique, et une parfaite aptitude pour en faire dignement toutes les fonctions, qui néanmoins n'y sont certainement pas appelées et que Dieu attire à d'autres professions ; mais pour l'appel de l'évêque, il ne manque jamais, (?) et l'Eglise l'a toujours donné comme la marque la plus assurée de la vocation, parce que c'est en lui que Dieu réside pour nous faire connaître sa volonté. "

Ailleurs, il explique encore plus clairement que l'évêque est chargé par Dieu d'appeler ; il le compare à l'intendant de l'Evangile que Dieu délègue pour engager, en son nom, les ouvriers de sa vigne : " Dixit Dominus vineæ procuratori suo : Voca operarios. "

Il en conclut : " La marque bien assurée de vocation et qui assure toutes les autres, c'est l'appel du Supérieur qui nous ordonne d'avancer, dans la vue de l'utilité ou de la nécessité de l'Eglise. Ce supérieur naturel et légitime est l'évêque ; .car c'est à lui que Dieu laisse le choix de ceux qu'il appelle à cet état... Voca operarios (1)... "

134. — Déformation de la doctrine ancienne. Par ces paroles, surtout par les dernières que nous avons soulignées, M. Tronson se rattache évidemment à la théologie ancienne ; et ses principes, puisés à cette source encore pure, sont exactement les nôtres. Va-t-il donc admettre, ainsi que la logique semble l'imposer, la simultanéité constante, l'identité parfaite de l'appel divin avec l'appel ecclésiastique ? Nullement ; et c'est ici que l'on va découvrir l'équivoque qui s'est glissée, depuis le XVIIe siècle, dans la théologie de la vocation sacerdotale. Jusque-là, l'appel de l'évêque était le véritable appel au sacerdoce. Quoique précédé d'un jugement sur les aptitudes des candidats, jugement faillible, il n'en contractait nullement les fluctuations et les faiblesses. L'évêque n'appelait pas des sujets qu'il jugeait déjà appelés de Dieu et parce que déjà appelés : dans ce cas, la valeur de son appel eût été complètement tributaire de celle du jugement qui le motivait.

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(1) TRONSON : Œuvres : éd. MIGNE, pp. 721-725 et 562-710.

 

Il appelait purement et simplement : " Voca opérarios ".

Depuis le XVIIe siècle, par suite d'une déformation substantielle, l'appel n'a pas d'autre valeur que celle d'un simple jugement de constat ; et, comme ce jugement est loin de pouvoir passer pour infaillible, il se trouve que " la marque la plus assurée de vocation et qui assure toutes les autres " est elle-même des plus fragiles.

Écoutons là-dessus M. Tronson lui-même :

" Considérez qu'afin que l'appel de votre supérieur vous soit une marque sûre de vocation, il faut :

1° Qu'il vous dise de son propre mouvement, sans respect humain et sans aucune vue de chair ou d'intérêt, que vous êtes appelé à cet état, et non que vous le lui fassiez dire par des amis, des parents, par des sollicitations et prières importunes, ou par quelque autre voie :

2° Il faut qu'il vous connaisse : car, si vous lui cachez vos dispositions, si vous ne lui ouvrez pas complètement votre cœur, si vous ne lui déroulez pas toute votre conscience, en sorte qu'il ne sache pas ce qu'il y a de principal et dans votre conduite pour le passé et dans vos sentiments pour le présent, il n'est point en état de discerner ce que Dieu demande de vous ; et, comme vous le trompez, Dieu, en punition, permettra peut-être qu'il vous trompe et qu'il vous reçoive pour l'état ecclésiastique dans le temps même que Dieu, par un jugement de réprobation, vous en repousse...

3° Après vous avoir fait connaître à lui, il faut que vous lui laissiez la liberté entière de terminer cette affaire, afin qu'il ne soit pas engagé à vous dire ce qu'il ne voudrait pas... (1) ". . .

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(1) THONSON, ibid., pp. 723-725.

 

135. — Contradictions inévitables. Il est facile de saisir la suite de cet enseignement et les contradictions qu'il recèle : L'appel divin, nous dit-on, est déjà dans les sujets ; la difficulté consiste à l'y découvrir. Il se trahit par les aptitudes et les inclinations. Cependant, aptitudes et attraits réunis ne signifient pas encore l'appel divin ; il y faut le jugement et l'appel de l'évêque. Alors seulement l'appel est assuré. Mais l'on ajoute aussitôt que ce jugement ou appel n'a, à son tour, comme fondement, que l'étude minutieuse des aptitudes et des attraits du sujet. Le cercle est manifeste. L'appel de l'évêque n'est donc pas un signe de vocation ; mais un témoignage plus ou moins fondé, toujours faillible, de la présence des signes. Or, ces signes eux-mêmes, nous dit M. Tronson, même quand ils sont bien constatés, ne donnent aucune assurance : " Les autres marques peuvent tromper, et nous voyons des personnes qui ont une grande inclination pour l'état ecclésiastique, et une parfaite aptitude pour en faire dignement toutes les fonctions, qui néanmoins n'y sont certainement pas appelées. "

La valeur de l'appel épiscopal est donc des plus précaires ; car, d'où pourrait bien lui venir le privilège de " marque assurée et qui assure toutes les autres " ? Les autres, même dûment constatées, ne sont pas assurées. Or, l'appel tire toute son assurance de l'examen et de la constatation de ces signes préalables, qui ne signifient pas !...

136. — Moyen unique de mettre l'harmonie dans la doctrine de M. Tronson. Pas d'autre moyen de mettre d'accord ces vues si peu cohérentes, que de les ramener à l'intégralité de la doctrine traditionnelle dont M. Tronson n'a gardé qu'une partie.

Aux anciens, il a emprunté deux principes :

1° Les aptitudes et l'attrait ne font pas les appelés de Dieu ;

2° Dieu a laissé aux évêques le choix des ouvriers évangéliques : Voca operarios.

Il a eu le tort d'y joindre une troisième donnée, inconciliable avec les précédentes :

3° L'appel de l'évêque ne s'identifie pas avec l'appel divin ; il en est simplement le signe, et, même à ce titre, il n'a de valeur significative qu'autant qu'il se base sur la connaissance de l'état réel des sujets, au double point de vue des aptitudes et de l'attrait.

Cette dernière assertion lui a été imposée par un principe qui constitue la nouveauté capitale, introduite, au XVIIe siècle, dans la théologie de la vocation : l'appel divin, a-t-on dit, préexiste, non-seulement dans les décrets éternels, mais dans les hommes qui en sont l'objet. Il est gravé en eux ; ils sont intérieurement marqués pour le sacerdoce. Tout revient à savoir découvrir cette mystérieuse empreinte. L'appel épiscopal n'est qu'un des procédés de découverte, procédé qui laisse toujours place au doute, surtout si l'on se réfère aux conditions rigoureuses que vient d'énumérer M. Tronson. Après comme avant l'appel épiscopal, le problème de l'appel reste donc encore dans son entier.

Pas d'autre moyen de sauvegarder, comme le voulait M. Tronson, la dignité et la certitude de l'appel épiscopal, qu'en l'érigeant, avec la théologie ancienne, en appel absolu, qui tient sa vertu du pouvoir divin qui le profère, et non du jugement d'idonéité, qui lui passerait toutes ses imperfections.

Pour cela, il suffit de nier le suppositum de la théologie moderne, à savoir que l'appel divin soit directement intimé aux sujets et que son investigation doive précéder sa découverte, motiver l'appel épiscopal. Non : l'appel n'arrive au sujet qu'au moment de l'appel épiscopal, par et dans cet appel même. Les aptitudes et l'inclination font le sujet simplement appelable. L'appel divin vient ensuite ; il vient du dehors, par l'appel épiscopal : celui-ci ne constate pas les appelés, il fait les appelés de Dieu (1) ; c'est lui, lui seul, qui donne droit à la réception du sacrement de l'Ordre.

A cette seule condition se vérifiera réellement la parole de M. Tronson : " C'est à l'évêque que Dieu laisse le choix de ceux qu'il appelle à cet état. "

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(1) La théorie plus récente de l'attrait, signe décisif, est formellement opposée à celle de M. Tronson ; mais elle a été introduite par la nécessité d'éviter la contradiction que nous avons signalée.

L'argumentation de M. Tronson se ramène aux propositions ci-après :

Les aptitudes et l'attrait ne donnent que des présomptions d'appel divin ; c'est l'appel du Supérieur qui est le signe décisif, assurant tous les autres.

D'autre part, cet appel du Supérieur tire toute sa valeur du jugement qui constate les aptitudes et l'inclination.

Les théologiens récents ont admis la seconde proposition de Monsieur Tronson ; mais voulant éviter la contradiction, ils ont corrigé le principe émis dans la première et ont autrement hiérarchisé les signes de vocation.

Ils ont dit :

Les aptitudes et l'attrait, celles-là comme signes négatifs, celui-ci comme signe positif et décisif, attestent avec certitude l'appel divin. (Contradictoire de la première proposition de M. Tronson).

L'appel de l'Évêque n'ajoute rien à ces signes et à ces certitudes ; il ne fait que les sanctionner. Il est une simple condition sine qua non, non pas d'appel divin, lequel existe sans lui et avant lui, mais de l'entrée dans les Ordres. (Autre contradictoire de la première proposition de M. Tronson).

Quant à nous, nous sommes d'accord avec M. Tronson pour dire que ni les aptitudes ni l'attrait ne signifient que le sujet est appelé, et en cela nous nous séparons avec lui de la théorie moderne de la vocation-attrait.

Les aptitudes, disons-nous avec M. Tronson, unies à l'intention droite, avec ou sans l'attrait, font le sujet simplement appelable.

Mais nous nous séparons et de M. Tronson et de la théorie moderne, en restituant à l'appel épiscopal sa prérogative, non pas de signifier et de CONSTATER l'appel divin, fût-ce même d'une manière décisive, mais de le CONSTITUER.

L'appel du Supérieur n'est pas la marque d'un appel divin pré-existant ; il est cet appel même déféré hic et nunc au sujet.

 

En présentant l'appel de l'évêque comme une simple constatation d'un appel préexistant, M. Tronson le détournait de sa notion traditionnelle et se mettait en contradiction avec ses propres principes.

*

* *

137. — Même déformation dans Beuvelet. La même déviation d'avec. la doctrine ancienne se trouve, plus évidente encore, dans Beuvelet, antérieur de quelques années, à M. Tronson. C'est lui peut-être qui l'a léguée à tous les premiers Séminaires français avec ses MÉDITATIONS, qui en furent un des manuels les plus répandus (1).

" Considérez, dit-il, qu'entre les marques ordinaires, la principale que nous voyons plus inviolablement observée dans l'Eglise, c'était autrefois d'y être appelé de son propre évêque... l'évêque est la voix extérieure, l'interprète et le truchement dont Dieu se sert, pour nous faire entendre les desseins qu'il a sur nous. C'est la règle qui a été observée fort longtemps et que le concile de Trente avait eu dessein de remettre en vigueur en instituant les Séminaires.

" Ainsi voyons-nous que le Père éternel a appelé son Fils, le Fils a appelé les Apôtres, les Apôtres ont appelé ceux qui leur ont succédé depuis. Ainsi fut faite l'élection de saint Mathias. Ainsi furent appelés les sept diacres ; et, depuis, saint Paul appelle Timothée et Tite. Saint Pierre appelle saint Clément, saint Luc et ceux qu'il voulait envoyer par les provinces.

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(1) Méditations sur les principales vérités chrétiennes et ecclésiastiques, par M. MATHIEU BEUVELET, prestre du Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Paris, 1669. Tome II, 1re Partie, 19e Médit., pp. 37-39 : Des Marques De La Véritable Et Légitime Vocation. La 1re édition est de 1653.

 

" Et ainsi par la vocation, comme par un canal, dont la source est dans le sein du Père, se transmettent à ceux qui sont appelés les richesses dont ils doivent faire part à leurs peuples. "

Voilà bien, à n'en pas douter, l'appel épiscopal, avec sa prérogative inaliénable d'appel divin. Il est en usage, nous dit-on, (l'aveu est à retenir) depuis les temps apostoliques et a été inviolablement observé dans l'Eglise. Cet appel est absolu comme celui du Père appelant son Fils, comme celui du Fils appelant les Apôtres.

Telle est bien la doctrine traditionnelle dans sa pureté.

Mais voici où paraît la méconnaissance du vrai caractère de cet appel. Le passage que nous avons omis à dessein, ci-dessus, détruit, par une contradiction manifeste, tout ce qu'on vient de dire. Le voici :

"... C'était autrefois d'y être appelé par son évêque, non par intérêt ou affection charnelle, mais en vue de ses mérites et de la nécessité ou utilité de l'Eglise : car encore que l'évêque qui nous appelle ne nous donne pas la vocation, (ce qui est vrai des qualités requises pour le sacerdoce, mais faux en ce qui est de l'appel divin " vocatio "), mais la suppose, — comme le Parlement ne me donne pas droit sur les biens qu'il m'adjuge par arrêt, mais interprète seulement le droit que j'y avais et déclare qu'ils m'appartiennent — néanmoins l'évêque est la voix extérieure... etc (la suite plus haut).

Ici paraît de nouveau, rouge comme une plaie vive, la brisure entre la théologie ancienne et la théologie nouvelle, au sujet de l'appel au sacerdoce.

La première théorie, " celle que nous voyons plus inviolablement observée dans l'Eglise " — " celle qui a été observée fort longtemps " — eh oui ! depuis Jésus-Christ et les Apôtres — dit que l'appel divin au sacerdoce se fait par l'évêque. C'est un appel absolu. " Ainsi voyons-nous que le Père éternel a appelé son Fils, le Fils a appelé les Apôtres, les Apôtres ont appelé ceux qui leur ont succédé depuis. "

Encore un coup, telle est " la règle observée fort longtemps et que le Concile de Trente avait eu dessein de remettre en vigueur. "

Mais si l'appel au sacerdoce est tel qu'on vient de le décrire, comment peut-on venir, par après, nous affirmer qu'il n'est qu'un appel déclaratif, au même titre que les sentences du tribunal qui ne créent pas le droit, mais le supposent ? Est-ce ainsi que le Père éternel a appelé son Fils ? ou que le Fils a appelé les Apôtres ? ou que les Apôtres ont choisi les premiers diacres et leurs successeurs ? Avaient-ils préalablement constaté en eux un appel, qui leur donnait droit à leur promotion ?

138. — L'évêque supplanté par le Directeur. Le rôle de l'évêque a donc été illégitimement diminué : il ne choisit pas librement ; il n'appelle pas véritablement ; il ne fait que découvrir et proclamer les choisis et les appelés de Dieu.

Que lui reste-t-il donc de son antique prééminence ? Ceci uniquement, à savoir qu'il est plus qualifié que tout autre, pour découvrir l'appel divin dans l'intime des sujets.

Hélas ! par une suite logique des principes posés, ce privilège même ne lui restera pas longtemps ; car, bientôt, à côté de l'évêque, va surgir le directeur de conscience, lequel admis à pénétrer dans l'âme des candidats à des profondeurs, où ne plonge pas le regard de l'évêque, sera dit être, mieux que lui, en mesure de constater la présence de l'appel divin.

C'est donc lui, lui seul, qui, possédant toutes les pièces de la vocation intérieure, en sera fatalement proclamé Le Juge En Dernier Ressort (1).

Cette substitution inévitable du directeur de conscience en lieu et place de l'évêque, paraît déjà dans M. Tronson, à la suite des lignes citées plus haut. La lecture de ce passage est fort suggestive et jette sur la question un jour éclatant.

Après avoir déclaré : " Ce supérieur naturel et légitime (pour appeler) est l'évêque, car c'est à lui que Dieu a laissé le choix de ceux qu'il appelle à cet état ", le pieux auteur ajoute aussitôt :

" Je dis qu'on doit chercher la volonté de Dieu et dans le Supérieur Et Dans Le Directeur. "

Ensuite M. Tronson se livre à des considérations fort détaillées sur la nécessité de consulter, non l'évêque, mais le directeur ; de s'ouvrir complètement à lui, et, enfin, de s'en rapporter à sa sentence. Dans toutes ces investigations au sujet de l'appel divin, l'évêque est pratiquement mis de côté. Il ne compte plus. Le directeur est tout.

Or, pour justifier sa théorie, l'auteur apporte, en l'appliquant au confesseur ! cette parole de saint Bernard : " Voluntatem suam suspensam teneat (ordinandus), donec praelatum interroget, et ab eo quærat Dei voluntatem. "

Le prélat chargé de nous exprimer la volonté de Dieu au sujet de l'appel au sacerdoce, ce n'est plus l'évêque, le seul pourtant, on nous l'a dit, que Dieu ait investi de cette fonctions dans l'Eglise ; non ! c'est le directeur de conscience.

Voilà, certes, un ordre nouveau de prélature, parfaitement inconnu des anciens, et, en particulier, du Concile de Trente, qui remet entre les mains de l'évêque tout ce qui regarde les Ordres. (N° 177).

Il n'y a qu'un prélat légitime en ces matières, c'est l'évêque ou le Supérieur in foro externo.

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(1) Voir N° 243.

 

 

 

CHAPITRE X

 

Résumé schématique de l'exposé doctrinal.

Quelques explications.

Thèse.

 

139. — Résumé schématique.

I° — IDONÉITÉ DES SUJETS

A. — Sa provenance Psychologique

1°) Elle est le résultat d'un long travail de formation (Chap. III).

2°) A la source de cette formation, et tout le long de son cours, nous trouvons

3°) L'intention du sacerdoce, qui en fut l'âme. (N° 44 et suiv.)

3°) L'intention du sacerdoce provient elle-même :

Vocation moderne

a) ou d'une révélation.

b) ou d'attraits du Saint-Esprit

c) ou d'une libre élection de prudence, souvent provoquée par des causes secondes de diverses sortes : préparations providentielles. (Chap. IV).

 

B. — Sa provenance Divine

 

1°) L'idonéité, en tous ses éléments, doit être œuvre de la grâce. (N° 89.)

2°) Cette grâce peut être dite, mais par simple analogie, APPEL DIVIN PASSIF : vocatio (passiva). - (Système du R. P. HURTAUD). N° 102, 103.

3°) Cet appel passif est purement conjectural. (N° 104,. 106.)

C. — Sa valeur au point de vue de l'APPEL DIVIN SACERDOTAL,

1°) Valeur des révélations et des attraits antécédents.

a) Ils ne sont nullement nécessaires pour autoriser l'intention d'aller au sacerdoce. (N° 72-86.)

b) Ils ne sont pas l'appel divin dont parle saint Paul (N° 101, 115.)

c) Ils n'entrent nullement dans les éléments essentiels d'une formation normale. (N° 130.)

d) Ils peuvent donner lieu à toutes sortes d'illusions subjectives. (N° 74,79.)

e) L'Eglise, dans son jugement sur la formation des sujets, ne s'en enquiert pas. (Chap. I.)

2°) Valeur de l'appel divin passif (Vocatio passiva).

a) Purement conjectural, il ne saurait servir de signe (N° 104.)

b) Même s'il était constaté, il ne serait pas signe d'élection au sacerdoce. (N° 106.)

c) Il peut se trouver en ceux qui ne pourront jamais aller au sacerdoce. (N° 107.)

d) Il n'a jamais aucun caractère officiel, l'Eglise n'ayant jamais prétendu juger des préparations sous l'aspect formellement surnaturel.

e) Il n'est pas l'appel sacerdotal spécifique. (N° 112.)

f) Il n'est que préparatoire à l'appel proprement et spécifiquement sacerdotal. (N° 115.)

3°) Valeur de l'idonéité acquise.

a) Elle n'est pas l'appel divin formel ; mais une simple préparation à cet appel. (Chap. I.)

b) Elle est simple " vocabilité " plutôt que " vocatio ". au sens propre et formel. (N° 115.)

c) Elle ne donne droit ni à l'appel, ni à l'ordination. (N° 24, 32.)

d) Elle autorise simplement à solliciter humblement l'appel divin, déféré par l'évêque.

e) Même jugée suffisante, elle peut être laissée de côté. (N° 24, 34.)

 

II° — L'ÉVÊQUE ET L'APPEL DIVIN

 

A. — Son Pouvoir de Juger.

1°) Il est juge officiel et nécessaire de l'idonéité. (N° 33.)

2°) Il est juge en dernier ressort.

3°) Tout autre vrai juge n'est que son délégué.

4°) Ni le confesseur, ni le directeur ne sont vrais juges de l'idonéité.

5°) Juge suprême de l'idonéité, l'évêque n'interroge pas sur les attraits.

B. — Son Pouvoir De Choisir.

1°) Il n'est pas lié par l'idonéité des candidats. (N° 34.)

2°) Il peut choisir les meilleurs et laisser les bons, surtout les médiocres. (N° 35.)

3°) Il est obligé d'éliminer des candidats, même idoines, quand il y a surabondance. (Ibid.)

C. — Son Pouvoir D'appeler.

1°) Son appel est divin : proféré au nom et par l'autorité de Dieu. (N° 97 et suiv.)

2°) Il est efficace : avec lui l'entrée aux Ordres est légitime ; sans lui, elle ne l'est pas.

3°) Il tient en échec révélations, attraits et appel divin passif.

4°) Il est officiellement certain et indubitable.

5°) Il fait les vrais appelés " tanquam Aaron ".

140.— Quelques explications. Voici quelques, explications au sujet du tableau schématique, dans lequel nous avons voulu résumer nos principales conclusions.

Ramenant à ses éléments les plus simples le problème compliqué de l'appel divin au sacerdoce, nous posons, d'un côté, des sujets aptes, dignes, idoines. Nous cherchons d'où provient leur idonéité, dont nous déterminons ensuite la valeur.

De l'autre côté, nous considérons l'évêque, avec son triple pouvoir de juger, de choisir et d'appeler.

L'idonéité, si nous considérons sa provenance psychologique, est le fruit d'un long travail de formation, que l'âme a entrepris et mené à bonne fin, sous l'influence d'une intention précise et persévérante : l'intention de se présenter un jour à l'évêque, en vue d'obtenir de lui l'appel au sacerdoce.

Cette intention, qui fut la sève vivifiante de l'âme durant tout ce travail, d'où est-elle venue ?

Ici, nous nous trouvons en face de trois origines possibles et légitimes. L'intention a pu germer dans l'âme à la suite d'une révélation : Dieu dirait à quelqu'un : " Je te veux prêtre " — ou à la suite d'attraits surnaturels, qui auraient déterminé l'âme à vouloir ; — ou, enfin, à la suite d'une libre élection, éclairée par les lumières prudentielles de la raison et de la foi.

Nous avons vu que ce dernier mode est parfaitement légitime, très sûr, le plus sûr, et que l'on n'a donc pas le droit d'exiger de qui veut aller au sacerdoce qu'il en ait reçu l'autorisation divine par révélation ou par attraits.

De l'une ou l'autre de ces trois sources — révélation, attraits, libre élection — provient l'intention, cause de formation, aboutissant à l'idonéité.

Après cette provenance psychologique de l'idonéité, qui est comme sa face humaine, nous avons examiné sa provenance surnaturelle, ou sa face divine.

Depuis les tout premiers désirs et les toutes premières pensées du sacerdoce, jusqu'à l'efflorescence parfaite de l'idonéité, si les actes du candidat sont posés " ut oportet " — ce dont nous ne sommes jamais assurés — c'est-à-dire s'ils sont vraiment surnaturels, rien ne s'est fait que sous l'influence continuelle de la grâce, premier moteur de toute notre activité supérieure.

Cette grâce, comme toutes celles qui acheminent les âmes vers une fin surnaturelle, peut s'appeler " vocation ", par analogie avec la vocation au salut dont parle l'Ecriture. Nous aurons, en ce sens, une vocation intérieure au sacerdoce, comme il y a, tout aussi bien, une vocation intérieure au baptême, une vocation intérieure à la confirmation, à l'Eucharistie, etc... etc... Cette vocation se confond avec les dispositions surnaturelles, requises pour la bonne réception des sacrements. II n'y a pas lieu (le l'appeler d'un nom spécial, quand il s'agit des dispositions au sacerdoce.

La vocation, ainsi entendue, se trouve partout ; il y en a autant que de fins surnaturelles que l'on peut désirer et poursuivre.

Mais, nous l'avons remarqué, lorsqu'on parle d'appel au sacerdoce, on a toujours voulu désigner un appel divin d'une espèce toute particulière et dont la nécessité ne se rencontre que là. Sans cela, les paroles solennelles de l'Apôtre : " Nec quisquam sumit sibi honorem, " etc., n'auraient aucun sens.

Eh ! sans doute, quand on déclare que pour embrasser la carrière des Saints Ordres, il faut être appelé de Dieu, ce n'est pas seulement pour indiquer qu'il importe de s'y préparer surnaturellement, sous l'influence de la grâce. La chose va de soi ; car c'est une loi générale qu'il ne faut aller aux sacrements, ou à toute autre fin surnaturelle, qu'après s'y être convenablement disposé, et donc, par vocation — ou impulsion secrète — de la grâce.

Par-dessus cette loi générale et commune dont la nécessité est aussi indéniable que son observation est difficile à constater, il existe pour le sacerdoce, pour lui seul, une loi spéciale, qui déclare que, pour y entrer, il est nécessaire d'attendre l'appel divin.

Or, en fait d'appel divin, spécial au sacerdoce, et, d'ailleurs indispensable, nous n'avons rencontré que l'appel épiscopal, appel actif, extérieur " vocatio ", dont le candidat doit attendre la claire intimation pour avoir le droit de recevoir les Ordres.

L'appel passif intérieur, nous en trouvons partout la nécessité ; il est d'ailleurs purement dispositif, simple cause d'idonéité. De plus, à l'inverse des autres sacrements, où l'idonéité une fois acquise donne droit à réception, l'idonéité sacerdotale n'entraîne pas avec elle le droit au sacrement, il lui faut attendre l'appel de l'évêque.

D'où la proposition suivante :

THÈSE

141. — L'appel divin au sacerdoce, l'appel formel et proprement dit, au sens scripturaire et canonique, est essentiellement : l'invitation à recevoir le sacerdoce, adressée à un sujet, au nom de Dieu et en vertu de son pouvoir, par l'organe des ministres légitimes de l'Eglise.

Le sens de cette thèse, déjà précisé dans les pages qui précèdent, peut se résumer dans les conclusions suivantes :

1°) L'appel divin, formellement sacerdotal, ,est déféré à un sujet, exclusivement, par la voie de l'appel canonique, au moment et par la vertu de cet appel humano-divin. Dès que l'Eglise appelle un candidat, Dieu Par Elle, Avec Elle En Elle l'appelle également.

2°) II n'y a pas d'autres appelés de Dieu, au moins de volonté conséquente, que les appelés de l'Eglise, et tous les appelés de l'Eglise sont des appelés de Dieu.

3° Les conditions de validité et de licéité sont les mêmes pour l'appel aux Ordres et pour l'ordination elle-même. Tout sujet capable d'ordination valide (subjectum capax) est susceptible d'être appelé validement.

4°) L'évêque n'appelle licitement que s'il se conforme aux règles de prudence surnaturelle qui régissent l'exercice d'une prérogative si haute. Il ne doit choisir que des sujets " dignos, probos, idoneos ".

5°) L'appel de l'Eglise ne s'adresse pas à des sujets déjà appelés, mais à des candidats simplement appelables. C'est l'appel canonique qui les constitue formellement appelés de Dieu au sacerdoce. Cet appel " de non vocato facit vocatum ". Il crée l'appelé comme tel.

6°) L'appel divino-épiscopal est le seul véritable appel au sacerdoce. Il est la " vocatio " dont parle saint Paul,

" Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris, vocantur. "

 

 

SECTION II

Preuves de la Thèse

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142. — Ordre des preuves. Les principales preuves de notre thèse sur l'appel au sacerdoce ne pouvaient manquer d'être signalées, parfois avec quelque insistance, au cours de l'exposé doctrinal qui précède. Elles demandent maintenant des développements plus amples.

Nous les divisons en quatre séries qui vont donner matière à autant de chapitres.

I) Preuves par l'enseignement de l'Eglise.

II) Preuves ,d'Ecriture Sainte.

III) Preuves tirées des Saints Pères et des Docteurs.

IV) Preuves de raisonnement théologique.

 

 

CHAPITRE I

L'Enseignement de l'Église sur l'appel

au sacerdoce

 

La doctrine de l'Eglise peut se déduire, soit de son enseignement formel, soit de sa pratique, qui constitue ce que l'on pourrait appeler une " leçon de choses ". Il est bon de consulter, l'une après l'autre, ces deux sources d'information théologique.

 

 

ARTICLE I

L'appel au sacerdoce d'après l'enseignement

Formel de l'église.

 

143. — Deux périodes dans l'enseignement de l'Eglise au sujet de la vocation. Sur le point qui nous occupe, l'enseignement de l'Eglise se partage en deux périodes: la première va des origines au Concile et au Catéchisme du Concile de Trente, c'est-à-dire jusque vers l'année 1575 ; la seconde part de cette date et s'étend jusqu'à nos jours. La raison de ce partage a été déjà indiquée. (N° 119).

 

§ I.

 

144. — Expressions uniformes dans le première période. Dans la première période, la doctrine de l'Eglise se traduit en des expressions qui reviennent toujours les mêmes. Aux sujets qui se présentent aux Saints Ordres, elle demande la science convenable et une vertu en rapport avec les augustes fonctions du sacerdoce ; d'un mot : l'idonéité. Ce mot revient sans cesse sous la plume des Pontifes, comme dans les décrets conciliaires. Il est vraiment, en cette matière, le mot sacramentel, avec deux ou trois autres qui lui sont parfaitement synonymes : toujours l'Eglise réclame pour le sacerdoce des sujets idoneos, aptos, dignos, probos.

En face des sujets idoines, l'Eglise nous montre ensuite l'évêque, investi de l'autorité divine pour choisir, appeler, promouvoir les sujets, selon les besoins du service des âmes.

145. — Le Pontifical des Ordinations. Voici, en premier lieu, le Pontifical des ordinations, ce document particulièrement vénérable, qui contient la plus ancienne et la plus pure doctrine de l'Eglise au sujet du sacerdoce. Là sont décrites les fonctions de chaque Ordre et les conditions pour y entrer. Que l'on cherche avec le plus grand soin, on n'y trouvera pas trace de l'opinion qui veut que Dieu choisisse et appelle directement ses prêtres et ne laisse à l'Eglise que le soin d'enregistrer ces choix et ces appels d'En-Haut. L'évêque a devant lui des candidats qui se présentent librement, dont il a contrôlé la science et la vertu ; autant que la faiblesse humaine le permet, il a jugé qu'ils sont dignes. En conséquence, il les choisit de sa pleine autorité : eligimus (1). Il appelle chacun d'eux par son nom propre — nom de baptême, nom de famille, paroisse d'origine — avec toute la précision possible. Nous avons déjà dit comment cette cérémonie a été interprétée par les Anciens ,(98). C'est vraiment l'appel divin ; Dieu, en ce moment, appelle par l'évêque : in nomine Domini huc accedite: appel officiel, authentique, sans ambages ni obscurité.

146. — Appel proposé, non imposé, aux ordinands. Or, — remarque importante — cet appel divin, l'évêque ne l'impose pas, mais le propose à la libre acceptation des candidats. Si excellents qu'il les estime, il ne les considère pas comme liés par une volonté divine antérieure et comme s'ils étaient sous la pression, plus ou moins obligatoire, d'un décret éternel, qui leur assignerait le sacerdoce comme leur vraie place dans le monde. Rien de tel sur les lèvres de l'évêque ; mais, au contraire, une déclaration de vraie liberté : " Jusqu'à cette heure, leur dit-il, vous

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(1) Auxiliante Domino Deo et Salvatore nostro Jesu Christo, eligimus hos praesentes subdiaconos in ordinem diaconii (Ord. Des Diacres).

 

êtes libres ; il vous est permis, selon votre bon plaisir, de venir ou de retourner dans le siècle — hactenus liberi estis licetque vobis pro arbitrio ad sœcularia vota transire ; — mais s'il vous plaît de persévérer dans votre pieux dessein — si in sancto proposito perseverare placet, — au nom du Seigneur, avancez — in nomine Domini huc accedite (1).

147. — L'évêque lance l'appel divin. L'évêque ne dit pas non plus aux ordinands : si vous êtes appelés, si vous vous sentez appelés, venez ; non, c'est lui qui, les ayant jugés dignes, les appelle au nom de Dieu " hue accedite ", à seule condition qu'il leur plaise de venir et de rester : " Si in sancto proposito perseverare placet. "

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148. — Concile de Trente : qualités des ordinands. Non moins claire est la doctrine du Concile de Trente. La session XXIII roule tout entière sur le Sacrement de l'Ordre : exposé doctrinal, décrets dogmatiques et disciplinaire traitent de la promotion légitime au sacerdoce et des qualités requises chez les ordinands. Le premier point est surtout visé dans l'exposé doctrinal et les décrets dogmatiques ; le second est le sujet spécial des chapitres De reformatione.

Commençons par ceux-ci. Il y en a six, au moins, — (iv, v, vii, xiii, xiv, xviii — qui s'occupent des candidats. Ils pourraient être rangés sous ce titre général : Quelles Conditions Doivent Realiser Ceux Qui Se Présentent Aux Ordres.

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(1) Cette déclaration de liberté faite aux candidats serait à tout le moins imprudente ; car tous les partisans de la vocation intérieure admettent qu'en certains cas celle-ci est impérative, et que, dans la plupart des cas, pour ne pas dire toujours, il est déraisonnable, téméraire, dangereux, extrêmement dangereux pour le salut, de s'y soustraire (N° 17).

 

149. — Pas un mot sur l'appel divin, comme condition préalable. Si la doctrine de l'appel divin est exacte, préalable. c'est bien ici que l'on devra dire et répéter que les ordinands sont tenus de faire la preuve qu'ils sont appelés de Dieu. Les évêques qui ordonnent seront certainement prévenus du devoir sacré qui leur incombe de rechercher si les candidats au sacerdoce ont vraiment entendu cet appel mystérieux, écho véridique des décrets éternels.

Or, ici, pas plus que dans le Pontifical des Ordinations, on ne trouve, ni une phrase, ni un mot, ni une allusion lointaine à une doctrine semblable. Partout, il n'est question que d'idonéité aux fonctions sacerdotales. Partout le Concile fait écho au " scis illos dignos esse " du Pontifical.

150. — Conditions pour la tonsure et les Ordres mineurs. A qui faut-il donner la tonsure ? C'est la question posée en tête du Chapitre IV. Le Concile répond en énumérant les conditions exigées : être confirmé, connaître les rudiments de la foi, savoir lire et écrire, avoir choisi la cléricature pour rendre à Dieu un culte fidèle : " Ut Deo fidelem cultum præstent hoc vitæ genus elegisse ". Il n'est pas question d'appel divin, mais, au contraire, d'un libre choix.

Pour la réception des Ordres mineurs, le chapitre V exige des candidats le témoignage favorable de leur curé et de leur professeur. Il faut, de plus, que l'évêque ordonne une enquête " de ipsorum ordinandorum natalibus, ætate, moribus, et vita ". Toujours, pas un mot d'appel divin.

Le chapitre VII donne une énumération plus complète des points, sur lesquels doit porter l'enquête épiscopale. Trouverons-nous enfin, ici, la nécessité de rechercher l'appel divin ? Lisons : " Ordinandorum genus, personam, ætatem, institutionem, mores, doctrinamet fidem diligenter investiget et examinet. " C'est tout.

151. — Conditions pour les Ordres majeurs; jamais l'appel divin. Il est vrai que, jusqu'ici le Concile n'a parlé que de la" tonsure et des Ordres mineurs. Peut-être se montrera-t-il plus sévère pour les Ordres sacrés et mentionnera-t-il enfin l'appel divin ? Essayons de le découvrir parmi les conditions qui sont réclamées pour le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise.

Que l'évêque, dit le chapitre XII, n'ordonne que " dignos dumtaxat et quorum probata vita senectus sit ". Plus explicite, le chapitre XIII ajoute : " Subdiaconi et diaconi ordininentur habentes bonum testimonium et in minoribus ordinibus jam probati, ac litteris, et iis quæ ad ordinem exercendum pertinent, instructi, qui sperant, Deo auctore, se continere posse. "

Enfin, pour la prêtrise, outre les conditions précédentes, on exige un degré plus élevé de science et de vertu ; mais l'appel divin est toujours passé sous silence; " Sed etiam ad populum docendum ea quæ scire omnibus necessarium est ad salutem, ac administranda sacramenta, diligenti examine præcedente, idonei comprobentur, alque ita pietale ac castis moribus conspicui, ut præclarum honorum operum exemplum, et vitæ monita ab eis possint exspeciari. "

152.Règles d'admission au Séminaire. Pour conclure, le chapitre XVIII ordonne l'instruction des Séminaires, destinés à la formation des candidats au sacerdoce. Il détermine qu'on n'y doit admettre que des sujets dont le caractère et la volonté donnent lieu d'espérer qu'ils voudront s'engager pour toujours aux saints ministères : " Quorum indoles et voluntas spem afferat eos ecclesiasticis ministeriis perpetuo inservituros. "

Pas un mot d'appel divin à constater ; c'est une simple question de qualités, de tempérament et de bon vouloir.

153. — Admissions limitées ; donc pas d'appel divin. De ceux-là, même, qui réalisent ces conditions, ajoute le Concile, il ne faut admettre qu'un nombre correspondant aux ressources et à l'étendue du diocèse : pro modo facultatum et diæcesis amplitudine. Cette remarque est très significative. Si Dieu choisit et appelle lui-même, de quel droit ferme-t-on la porte du Séminaire à tel ou tel aspirant, pour l'unique raison qu'on y est .déjà en nombre suffisant ? Les candidats évincés n'auraient-ils pas le droit de frapper jusqu'à ce qu'on leur ouvre ? N'auraient-ils par le droit de crier à ceux qui sont dedans : " Ouvrez ! Nous sommes, nous aussi, des appelés de Dieu. Il ne vous est pas permis de nous laisser dehors ? "

A leurs instances importunes, mais fondées, il ne semble pas que l'évêque ait le droit de répondre : " Allez-vous-en, nous n'avons pas de quoi vous nourrir !" ; ou : " Le diocèse n'a pas besoin de vous ! pro modo facultatum et diæcesis amplitudine. Les candidats pourraient justement répliquer : << Si Dieu vous envoie des aspirants en plus grand nombre, il s'engage, par le fait même, à vous fournir du pain en proportion ; et, s'il nous appelle, nous, vos diocésain à travailler au salut des âmes de votre diocèse, c'est donc que Lui, seul bon juge, sait que nous ne serons pas de trop pour cette œuvre. O évêque ! ne commettez pas le crime de ces parents sacrilèges, qui pratiquent la stérilité volontaire, sous prétexte qu'au-dessus de tel nombre d'enfants., par eux arbitrairement déterminé, ils ne se verraient pas en mesure d'en nourrir d'autres !"

En chargeant l'évêque de fixer par lui-même le nombre des admissions, pro modo facultatum et diæcesis amplitudine, le Concile de Trente suppose donc clairement que ce n'est pas Dieu qui choisit et appelle par lui-même ; car, dans ce cas, il n'y aurait qu'à laisser faire Celui qui connaît, mieux que personne, les ressources et les besoins des églises.

A tout le moins, n'aurait-on pas le droit de lui assigner un nombre limité d'appels, au delà duquel on lui déclarerait qu'on n'en admettra point d'autres.

Voilà donc le Concile de Trente s'occupant ex professo, du sacrement de l'Ordre, des qualités requises chez les ordinands, de l'institution des Séminaires et des conditions à remplir pour y être admis, et, dans toutes ces prescriptions si détaillées, ne disant pas un mot de l'appel divin, de cette vocatio dont il aurait dû surtout parler, si elle entrait parmi les conditions requises, si elle précédait l'appel officiel aux Ordres, si elle était autre chose que cet appel même.

Tous ceux qui connaissent les règles critiques de l'argument négatif reconnaîtront que celui-ci les observe et qu'on ne saurait donc l'éluder.

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154. — Décrets dogmatiques: la " vocatio " apparaît. Si, des décrets disciplinaires du Concile de Trente, nous passons à l'exposé doctrinal et aux décrets dogmatiques qui les précèdent, nous allons rencontrer des indications encore plus précises.

Ici, il est question de la promotion légitime au sacerdoce, de l'ordination, de la vocation et de ceux qui ont qualité pour ordonner et appeler.

Sans doute, le Concile, préoccupé de battre en brèche les erreurs protestantes, insiste de préférence sur le côté négatif de la question. Il dit surtout qui n'a pas qualité pour appeler, ordonner et conférer la mission. Néanmoins, il n'est pas tout à fait muet sur le côté positif ; il désigne assez clairement celui à qui revient le pouvoir d'ordonner et d'appeler.

Car, il faut remarquer que le mot vocatio, qui n'est pas prononcé une seule fois, nous l'avons constaté, au sujet des dispositions intérieures des candidats, se trouve ici à sa vraie place, du côté du pouvoir appelant. De plus le Concile l'emploie exclusivement au sens actif, le seul vraiment classique (N° 117).

Voici le chapitre IV qui a pour titre : De Ecclesiastica hierarchia et ordinatione. La suite des idées est facile à saisir : Le pouvoir sacerdotal n'est pas temporaire, comme le prétendent les protestants, il est perpétuel, à l'égal du caractère qui le consacre. Dire, avec les Novateurs, que tous les chrétiens sont également prêtres, c'est détruire la sainte hiérarchie établie par Jésus-Christ.

Dans cette hiérarchie de droit divin se placent en première ligne les évêques, supérieurs aux prêtres, à qui il appartient, entre autres fonctions réservées, de donner le sacrement de confirmation et de conférer les saints Ordres.

Or, ajoute le Concile, — et c'est ici que va paraître la " vocatio " au sens actif — il est faux de prétendre que l'ordination conférée par l'évêque est invalide, quand elle n'a pas été précédée de l'appel des sujets par le peuple ou par le pouvoir séculier (1).

155. — La " vocatio " séculière ; la vocation légitime. Bien plus, ceux qui s'engageraient dans les fonctions sacrées sur le seul appel et la seule investiture émanant du peuple ou du pouvoir séculier, seraient des usurpateurs, des voleurs, des larrons. Telle est la doctrine du chapitre IV sur la hiérarchie et l'ordination. Et le canon VII, insistant sur ces déclarations avec toute l'autorité d'une définition solennelle

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(1) Docet insuper (Sancta Synodus) in ordinatione episcoporum, sacerdotum et cœterorum ordinum, nec populi, nec cujusvis sœcularis potestatis et magistratus consensum, sive vocationem sine auctoritatem ita requiri, ut sine ea irrita sit ordinatio : quin potius decernit eos qui tantummodo a populo, aut sœculari potestate, ac magistratu, vocati, et instituti, ad hæc ministeria exercenda adscendunt, et qui ea, propria temeritate sibi sumunt, non Ecclesiœ ministres, sed fures et latrones, per ostium non ingressos habendos esse. " Trid. sess. XXIII, De Ordine ; cap. IV.

 

ajoute : " Anathème à qui prétend que les Ordres conférés par les évêques indépendamment de l'appel séculier sont invalides ; anathème à qui considère comme des ministres légitimes ceux qui n'ont pas été ordonnés et envoyés par le pouvoir ecclésiastique " (1).

Cette dernière opposition est à remarquer : l'appel " vocatio " séculier et l'investiture séculière ne servent de rien ; le pouvoir ecclésiastique a seul qualité pour recruter ses membres : fonction qui inclut le double pouvoir de les appeler — l'appel séculier n'ayant aucune valeur — et de les ordonner. Le Concile suit pas à pas l'erreur protestante et revendique l'indépendance de la hiérarchie sacrée dans l'appel, l'ordination et la mission des prêtres. Les Protestants veulent sans doute que ces trois choses viennent de Dieu, mais par l'intermédiaire du peuple, selon l'adage " vox populi, vox Dei ", ou par le pouvoir séculier, délégué du peuple. C'est le peuple ou le pouvoir séculier qui appellera les ministres sacrés, lui qui les instituera, lui qui les enverra. Non ! répond le Concile : ce sont les évêques qui ordonnent et, par conséquent, appellent les prêtres ; ce sont eux qui les envoient. En dehors de là il n'y a qu'intrusion et mensonge.

On voit ce que le Concile de Trente entend par vocation : c'est un appel extérieur, la désignation officielle d'un sujet en vue de l'investiture sacerdotale.

Les Protestants disaient : cette vocation qui députe quelqu'un aux fonctions ecclésiastiques, doit émaner du peuple ou du pouvoir séculier.

Contre eux le Concile de Trente ne définit point, ni qu'une " vocatio " est inutile, ni que cette "vocatio" ne doit pas

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(1) Si quis dixerit... Ordines ab ipsis (episcopis) collatos sine populi vel potestatis sœcularis consensu, aut vocatione, irritos esse ; aut eos, qui nec ab ecclesiastica et canonica potestate rite ordinati, nec missi sunt, sed aliunde veniunt, legitimos esse verbi et sacramentorum ministres, A. S. ; ibid, can. vii.

 

être extérieure. 11 laisse intacts ces principes admis de part et d'autre, et se contente d'affirmer que cette " vocatio ", nécessaire et extérieure, ne doit pas émaner du peuple ou du prince séculier, que le pouvoir ecclésiastique a le droit de procéder aux ordinations, sans que les sujets ordonnés aient besoin de la vocation séculière.

Mais qui donc est chargé d'appeler, puisque cette " vocatio " n'appartient pas au pouvoir civil ? La réponse est claire, bien qu'implicite : c'est le pouvoir ecclésiastique qui est chargé d'appeler, au nom de Dieu, les sujets, comme, au nom de Dieu, il les ordonne et les envoie. Ce sont là trois attributions qui ressortissent à un même pouvoir ; et, si le Concile ne parle explicitement que des deux dernières, c'est que la chose allait de soi pour la première, pour la " vocatio ", pour l'appel, et qu'il suffisait de rejeter contre les Protestants, la nécessité de la " vocatio " séculière. Ici s'applique dans toute sa force l'adage : accessorium sequitur principale. Ceux qui ont charge divine d'ordonner et d'envoyer, ont aussi la fonction divine d'appeler.

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156. — Le Catéchisme du Concile de Trente : son autorité et son caractère. Ce que le Concile insinue déjà si nettement, le Catéchisme du Concile de Trente va le déclarer sans équivoque possible.

Nous ne craignons pas d'alléguer ici le Catéchisme pour éclairer et compléter la doctrine du Concile. Nul n'ignore l'origine vénérable de ce document de doctrine religieuse, ni les éloges dont les Souverains Pontifes se sont plu à le couvrir. On sait que Clément XIII, après plusieurs autres Papes, l'a présenté à tous les évêques de la catholicité comme la norme de la foi catholique et de la discipline ecclésiastique (1).

Tandis que le Concile s'était borné à remettre en lumière les points de la doctrine obscurcis par l'hérésie, le Catéchisme se propose un but plus vaste et moins tributaire des controverses avec l'erreur. Comme tout catéchisme proprement dit, il énonce la doctrine dans sa vérité objective et absolue, la doctrine totale, " omnem doctrinam ", qui plane au dessus des contingences humaines et vaut pour tous les temps et pour toutes les situations. C'est celle-là qui doit servir à informer l'esprit des fidèles " qua fidèles informari oporteret ".

Telle est bien la différence entre le Catéchisme de Trente et le Concile du même nom, d'après les déclarations formelles des Souverains Pontifes (2).

157. — La doctrine sur l'appel divin. Nous venons de voir ce que le Concile de Trente, provoqué par les négations hérétiques, a déclaré au sujet de l'appel " vocatio " des candidats au sacerdoce. Il a surtout rejeté la nécessité de la "vocatio " par le pouvoir séculier et n'a revendiqué qu'implicitement, pour le pouvoir ecclésiastique, la prérogative de déférer l'appel sacerdotal.

Survient le Catéchisme : fidèle à sa méthode générale, il va définir l'appel sacerdotal en lui-même, sans allusion aux controverses éphémères soulevées par les Novateurs,

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(1) Ac propterea hunc librum, quem veluti catholicœ fidei et christianœ disciplinœ normam... Romani Pontifices pastoribus propositum voluerunt, vobis, venerabiles fratres, nunc maxime com-mendamus. Clemens XIII. Litt. Encycl. In dominico agro. 14 junii 1761.

(2) Postquam igitur Tridentina Synodus eas, quœ tunc temporis Ecclesiœ lucem obfuscere tentaverunt, hœreses condemnavit, et catholicam veritatem, quasi discussa errorum nebula, in clariorem lucem eduxit... ex ejusdem sacri concilii mente aliud opus confici (praedecessores nostri) voluerunt, quod omnem doctrinam complecteretur, qua fideles informari oporteret, et quæ ab omni errore quam longissime abesset. Clemens XIII, loc. cit.

 

et, laissant de côté l'aspect négatif et polémique, il va traiter la question d'une manière purement objective et didactique. Il cite tout d'abord le texte de saint Paul, qui sert de base à la théologie de la vocation : " Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tamquam Aaron. " L'usurpation de l'honneur, le Catéchisme, au nom de l'Apôtre, l'interdit à tous, à ceux-là même dont il vient de parler, qui, par leur sainteté, leur science et leur esprit de foi, sont capables d'en soutenir le poids. On n'en doit appeler que de tels ; mais ceux-là, même, doivent attendre d'être appelés.

Aussitôt une nouvelle question se pose. Puisque l'appel divin est nécessaire, qui donc pourra être considéré comme appelé de Dieu ? Pour qui la défense générale d'entrer de soi-même dans le sacerdoce sera-t-elle levée ? Qui appelle ? Qui est appelé ? Question inéluctable : le Catéchisme ne pouvait manquer d'y répondre. Aussi ajoute-t-il aussitôt : " Ceux-là sont dits être appelés de Dieu, qui sont appelés par les ministres légitimes de l'Eglise. " Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ ministris vocantur. "

158. — Clarté de cette doctrine. A qui examine cette réponse loyalement, sans parti pris, elle est d'une clarté absolue. Elle signifie : Dieu appelle par l'Eglise.

La suite des idées la rend plus évidente encore. Qui appelle au sacerdoce? Dieu. Dieu appelle-t-il directement ? Non : Dieu appelle par les ministres légitimes de l'Eglise. Quel moyen a-t-on de savoir si un sujet est appelé de Dieu ? C'est de constater si, oui ou non, il a été appelé par les ministres légitimes de l'Eglise. Telle est la " vocatio " propre au sacerdoce, l'appel formellement sacerdotal, celui que réclame saint Paul. On n'est pas appelé de Dieu préalablement à l'appel épiscopal et indépendamment de cet appel.

C'est au moment précis et par la vertu de cet appel que l'on peut se dire et que l'on est dit appelé de Dieu, parce qu'on l'est véritablement.

159. — " Vocari dicuntur ". Car, personne ne consentira à voir dans le verbe " dicuntur " une restriction de certitude sur ce point capital. Ce mot ne comporte pas nécessairement cette signification diminuée. Mais, de plus, il faut ajouter que, dans le cas présent, il est impossible de la lui attribuer.

Posons, en effet, l'hypothèse contraire. Supposons que les mots " vocari a Deo dicuntur ", etc., signifient : " Ceux-là sont censés être appelés de Dieu ", etc., il faut conclure — et c'est bien là qu'on en veut venir — que l'appel ecclésiastique ne fournit qu'une présomption d'appel divin. S'il en est ainsi, la réponse du Catéchisme ne serait qu'illusoire. Ce qui nous importe surtout de savoir, et ce que le Catéchisme nous a excités à demander, c'est la manière dont on peut connaître que l'on est réellement appelé de Dieu. Cela, le Catéchisme doit nous le dire. Or, il ne mentionne que l'appel ecclésiastique, c'est donc que celui-ci est le critérium nécessaire et décisif d'appel divin. S'il n'est, comme le veulent certains, qu'une constatation, officielle sans doute, mais faillible, d'un appel préexistant dans le sujet, le Catéchisme aurait dû entrer dans le détail des vrais signes de cet appel intérieur ; il aurait dû nous parler de l'attrait, du désir surnaturel, de la science, de la vertu, etc. Après quoi il aurait déclaré : ceux-là sont appelés de Dieu qui possèdent ces signes. Il n'en fait rien. Bien plus, il a parlé de ces qualités intérieures aux sujets, mais comme de conditions préalables, et nullement comme de signes d'un appel préexistant dont ils seraient la notification. Car, nous l'avons vu, de ceux qui présentent 'ces qualités, le Catéchisme déclare qu'ils n'ont nullement le droit d'entrer dans le sacerdoce et qu'ils doivent attendre d'y être appelés de Dieu. Donc, pour les auteurs du Catéchisme, l'appel divin se surajoute aux conditions susdites et leur est postérieur.

160. — L'appel de l'Eglise est certainement l'appel divin. On ne saurait trop le faire remarquer : le Catéchisme ne pouvait se dispenser de nous éclairer sur la manière de reconnaître les appelés de Dieu. Il vient, en effet, de prononcer la défense formelle de droit divin, d'entrer dans le sacerdoce de soi-même, sans y être appelé de Dieu. Cette défense générale, certaine et divine, ne peut être levée, dans les cas particuliers, que par un appel également certain et divin. Si l'appel ecclésiastique n'est pas cet appel absolument certain et d'institution divine, la défense d'entrer, promulguée par saint Paul, demeure entière, même pour ceux qui ont entendu l'appel ecclésiastique ; aucun candidat prudent n'osera prendre sur lui de l'enfreindre. (N° 241).

Donc, de deux choses l'une : ou il n'y a pas de signe certain d'appel divin, et, dès lors, qui donc osera entrer dans le sacerdoce, malgré la défense certaine de Dieu ? ou l'appel ecclésiastique est l'équivalent de l'appel divin (1) ; c'est notre conclusion.

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(1) Cette équivalence s'affirme en diverses "traductions du catéchisme parues avant la présente controverse. Voici la traduction de Mgr Doney, évêque de Montauban : " Que personne donc ne s'attribue à lui-même cet honneur, s'il n'y est appelé de Dieu ; c'est-à-dire s'il n'y a pas été appelé par les ministres légitimes de l'Eglise. "

L'abbé Marbeau (Mgr Marbeau, év. de Meaux) dans la traduction qu'il présente comme nouvelle et intégrale, dit de même "...c'est-à-dire s'il n'y a été appelé par les ministres légitimes de l'Eglise. "

Si l'on nous permettait une hypothèse, nous dirions volontiers que l'emploi du verbe " dicuntur " nous semble justifié, ici, par ce fait que l'appel ecclésiastique n'étant pas un appel formellement et immédiatement divin, les appelés de l'Eglise ne sont pas des appelés de Dieu au sens strict du mot.

Mais, d'autre part, comme il n'y a pas, sous la loi de grâce, d'autre appel formellement sacerdotal que l'appel de l'Eglise — nous l'avons prouvé ailleurs N° 101 et suiv. — et parce que c'est l'Eglise qui est chargée officiellement par Dieu de recruter les prêtres, son appel est le seul où l'on puisse voir l'appel divin réclamé par saint Paul.

Voilà pourquoi les rédacteurs du Catéchisme, observant scrupuleusement les nuances, ont écrit très exactement : " sont dits être appelés de Dieu, ceux qui sont appelés par les ministres légitimes de l'Eglise. " Bien que, formellement et strictement parlant, ils ne soient pas des appelés de Dieu, cependant ils méritent d'être dits appelés de Dieu, parce qu'ils le sont au sens où doit être pris le mot de saint Paul : qui vocatur a Deo ; car l'apôtre ne réclame là qu'un appel médiatement divin, c'est-à-dire déféré par une autorité divinement constituée pour cela. Cf. infra, N° 195.

 

 

§ II

161. — 2e Période de l'enseignement de l'Eglise. Un mot nouveau. Il reste à examiner si l'enseignement de l'Eglise. sur l'appel sacerdotal s'est modifié depuis la deuxième moitié du XVIe siècle.

Qu'il se soit produit un certain changement de terminologie, la chose est indéniable ; car le mot " vocation " commence dès lors à paraître dans quelques documents pontificaux (1) avec un sens passif qu'il n'avait pas auparavant. Il est employé pour désigner l'idonéité, c'est-à-dire l'ensemble des dispositions requises pour le sacerdoce.

162. — Idonéité et vocation : leurs rapports. Les mots " idonéité " et " vocation " se présentent donc, tantôt conjointement, tantôt séparément, pour désigner

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(1) Il est à noter que ces textes qu'on a allégués — souvent simples membres de phrase détachés — sont relativement rares. On n'en a guère apporté qu'une dizaine, dont la plupart n'appartiennent pas à des écrits pontificaux, encore moins à des enseignements ex cathedra. Les documents où le langage de l'Eglise reste conforme à celui des seize premiers siècles sont beaucoup plus nombreux. (Cf. Analecta Juris Pontificii ; 1re série, passim). D'ailleurs aucun des textes allégués ne traite ex professa la question de l'appel formellement sacerdotal. C'est une seconde infériorité au regard du Concile de Trente et du Catéchisme.

 

les bons candidats. De ceux-ci on dit qu'ils ont la vocation, qu'ils l'ont en germe, qu'elle progresse en eux, qu'elle a atteint son développement normal, etc., autant d'expressions qui, appliquées à la matière présente, ne disent pas autre chose que ce que les anciens appelaient " idonéité " " idonéité en germe ", " en progrès ", " complète ", etc.

163. — Appel divin sacerdotal secundum quid, laissant intacts les droits de l'appel divin " simpliciter ". Ces textes ne créent donc pas la moindre difficulté contre la théorie que nous défendons. Que s'il en est d'autres, où le mot vocation, pris au sens actif d'appel, désigne, non l'appel épiscopal, mais un autre, distinct, indépendant et antérieur, il n'y a pas lieu de s'en troubler après ce que nous avons dit ailleurs (N° 115). On conciliera facilement toutes choses, en distinguant, tout simplement, l'appel formellement et exclusivement sacerdotal, qui ouvre à un sujet l'entrée du sanctuaire, en l'invitant officiellement au nom de Dieu à y prendre pace ; et l'appel au sens diminué qui n'est qu'une disposition plus ou moins prochaine à l'appel proprement dit.

164. — Variétés du premier ; unité constante du second. L'appel officiel, définitif, formellement sacerdotal, est le même pour tous, c'est l'appel par l'évêque. L'appel au sens diminué est susceptible de variétés et de degrés multiples. Il en est de l'appel sacerdotal comme de l'acte de foi. L'acte de foi proprement dit est le même pour tous les vrais croyants ; même objet matériel : les vérités révélées ; même objet formel : l'autorité de Dieu. Mais les chemins qui amènent les hommes à la foi varient à l'infini, selon la variété des esprits et la multiplicité des motifs de crédibilité. De même, l'appel vraiment et formellement sacerdotal est le même pour tous : l'appel par l'évêque ; mais; en face de cet appel invariable, se placent les multiples variétés de l'appel secundum quid dont nous avons déjà donné une esquisse.

165. — L'appel " secundum quid " se ramène à l'idonéité. Au fond, cet appel secundum quid est toujours une même chose avec l'idonéité ou formation sacerdotale, considérée en ses divers modes (inspiration, attrait, élection d'initiative) et surtout en ses divers états : en germe, progressive, achevée. Elle est appelée vocation, en tant qu'on l'envisage comme œuvre de la grâce, œuvre surnaturelle de Dieu, qui, secrètement (sans qu'on puisse, dans les cas particuliers, affirmer la réalité de son action) oriente, travaille, dispose certaines âmes en vue du ministère des autels, soit qu'il veuille vraiment qu'elles y aboutissent, soit qu'il se réserve de les en empêcher (N° 107).

166. — L'appel " secundum quid " est purement conjectural, et nullement officiel. Sous cet aspect précis, mais purement conjectural, d'œuvre divine, l'idonéité se nomme appel, appel au sacerdoce, en un sens diminué seulement.

Si un enfant n'a pas cette idonéité, au moins en espérance, en germe, on dira de lui qu'il n'a pas la vocation, et même qu'il n'est pas appelé de Dieu au sacerdoce ; on lui interdira d'y aspirer et l'on se gardera de lui en suggérer le désir. En effet si la présence de certaines qualités, chez un enfant, l'autorise prudentiellement à se diriger vers le sacerdoce, l'absence de ces qualités le lui interdit formellement.

On dira, dans le même sens, qu'il ne faut pas choisir l'état ecclésiastique sans vocation, c'est-à-dire sans des motifs surnaturels, sans une véritable intention de se consacrer au service des âmes et à la gloire de Dieu.

Mais cette vocation n'a aucun caractère officiel ; de plus, son origine surnaturelle, il ne faut se lasser de le répéter, est, le plus souvent, problématique (N° 66 et suiv.). Même quand elle est établie, le doute demeure toujours en ce qui regarde sa fin, c'est-à-dire, le but que Dieu se propose en l'octroyant ; car, nous l'avons remarqué avec Suarez, il arrive souvent que le Saint-Esprit inspire le désir d'une chose dont i! ne veut pas la réalisation (83 et 107).

167. — Facile conciliation de tous les documents ecclésiastiques. A l'aide de ces principes, il sera facile à chacun de lire, comme il convient, les quelques documents relativement récents, où les mots "vocation" et "appel" sont employés en ce sens diminué (1).

On se gardera de les mettre en opposition avec la doctrine si précise du Concile et du Catéchisme de Trente ; on les interprétera tous d'un appel qui, à proprement parler, n'est pas autre chose que l'élection même du sacerdoce, avec la tendance qui la suit ; et on laissera intacte la théorie de l'appel définitif, proprement dit, formellement sacerdotal, qui invite à entrer dans le sacerdoce, pour en assumer l'honneur. Ce dernier est le seul dont parle saint Paul, c'est lui qui s'identifie avec l'appel formulé par les ministres légitimes de l'Eglise. Vocari autem a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiæ minitris vocantur.

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(1) C'est ainsi que les entend le R. P. Pègues, Revue Thomiste Juin 1911, p. 405, cité phis haut N° 127.

 

 

ARTICLE II

L'appel Au Sacerdoce D'après La Pratique De L'église

 

168. — Autorité de la pratique traditionnelle. Si, après avoir examiné les documents officiels, quelque doute subsiste encore sur la pensée de l'Eglise au sujet de l'appel au sacerdoce, une autre source d'information s'offre à nous, et des plus sûres, à savoir : La pratique traditionnelle.

Nihil innovetur nisi quod traditum est, s'écriait l'antiquité chrétienne ; et, très souvent, au milieu des plus graves controverses, la seule pratique des siècles passés, à défaut de doctrine officiellement définie, suffisait à trancher le débat. Ainsi en fut-il, au IIIe siècle, dans la querelle qui passionna si vivement les esprits, relativement à la validité du baptême conféré par les hérétiques. Jamais l'Eglise n'avait été mise en demeure de se prononcer formellement sur ce point. Mais l'on consultera l'usage antique, et, après avoir constaté que jamais l'on n'avait rebaptisé les hérétiques convertis, on conclut : c'est donc que l'on a toujours tenu pour vrai le baptême conféré dans l'hérésie. Conséquemment, ce baptême est valide. — La pratique traditionnelle fut considérée comme l'équivalent d'une définition doctrinale.

169. — Procédé et principe de saint Thomas en cette matière. En cas semblable, saint Thomas procède de la même manière. " Est-il permis, demande-t-il, de baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents ? " Il répond, en se basant sur la coutume générale. Son argumentation se résume ainsi : " Ecclesiæ usus numquam habuit quod judæorum filii invitis parentibus baptizentur... Et ideo periculosum videtur hanc assertionem de novo inducere, ut, præter consuetudinem in Ecclesia hactenus observatam, Judæorum filii invitis parentibus baptizentur (1)."

Il appuie son argumentation sur ce principe qu'on ne saurait trop méditer, surtout de nos jours : " Respondeo dicendum quod maximam auctoritatem habet Ecclesiæ consuetudo, quæ semper est in omnibus æmulanda ; quia et ipsa doctrina catholicorum doctorum ab Ecclesia auctoritatem habet. Unde magis standum est auctoritati Ecclesiæ, quam auctoritati vel Augustini, vel Hieronymi, vel cujuscumque Doctoris (2). "

Telle est l'autorité de la tradition usuelle, dans l'Eglise, qu'il faut la mettre au-dessus de la parole des Pères et des Docteurs les plus illustres, au-dessus des Jérôme et des Augustin.

On voit par là qu'en voulant interroger, après les documents officiels de l'Eglise, sa pratique traditionnelle, nous sommes loin d'entreprendre une recherche vaine.

170. — Rôle de l'Eglise dans l'hypothèse de l'appel divin immédiat. Or, quelle a été, dans la suite des âges, la conduite de l'Eglise au sujet des promotions aux Ordres ?

Si l'appel au sacerdoce, exigé de droit divin, celui dont parle saint Paul, l'appel formel, proprement dit, qui invite à prendre l'honneur sumere honorem ; si cet appel, disons-nous, est adressé directement par Dieu à ses élus, l'Eglise n'a qu'un devoir, et il est inéluctable : élever au sacerdoce les appelés, tous les appelés.

Son rôle en cette matière est celui du majordome d'un palais royal, qui est obligé d'ouvrir la porte à tous les invites

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(1) IIa IIæ q. x, a. 12.

(2) Id. ibid.

 

du roi. Il se place sur le seuil pour contrôler les billets d'invitation ; mais, après vérification, il s'incline devant la signature royale et donne entrée aux invités, à tous sans exception. En exclure un seul de son propre mouvement, serait de sa part un abus de pouvoir (1).

Il ne pourrait pas dire à ceux qui se présentent : " Je n'admettrai que ceux qui porteront telle livrée, par moi déterminée. " Si le roi, qui s'est réservé d'inviter qui il veut, n'a rien prescrit sur ce point, quiconque se présente avec l'invitation royale doit être reçu (2).

171. — La pratique est tout: différente. Qu'en est-il en réalité ? Est-ce bien avec cette doctrine de l'appel divin immédiat que la pratique de l'Eglise se trouve en harmonie ? Elle en est tout juste le contre-pied.

172. — Elle a établi des irrégularités ; de quel droit ? Tout d'abord, arrêtons nous un instant à ce fait étrange : l'Eglise catholique établissant des cas d'irrégularité

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(1) Pour nous, l'Eglise est, non la servante, mais l'Épouse de Jésus-Christ. Et nous ajoutons que l'Époux a confié à l'Épouse le soin et la charge de lancer à qui elle veut les invitations au sacerdoce. Les invités de l'Épouse deviennent, ipso facto, les invités de l'Époux.

(2) Il y en a qui ne veulent pas que l'appel intérieur, bien que directement divin, confère un droit d'entrée dans le sacerdoce ; il rend simplement le sujet susceptible d'être appelé par l'évêque. Avec ceux-là, il est facile de s'entendre. Car, c'est à peu près ce que nous pensons de l'appel intérieur. Mais, il n'est donc qu'un appel purement préparatoire et dispositif, qui n'a rien d'officiel ai de définitif. Il reste donc subordonné à l'appel de l'évêque qui pourra venir ou ne venir pas. Celui-ci est l'appel divin proprement dit, celui qui, selon le langage de saint Paul, invite à prendre l'honneur, tandis que l'autre amène simplement le sujet devant l'évêque pour demander d'être appelé par lui au nom de Dieu. Seul l'appel de l'Évêque ouvre efficacement l'entrée du sacerdoce. Sans lui, tout le reste demeure en suspens. Encore faudra-t-il s'entendre sur la nature et les modalités diverses de cet appel intérieur, et sera-t-il bon de déclarer, une fois encore, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir senti l'appel avant de se présenter au sacerdoce.

 

c'est-à-dire des cas où il est défendu d'ordonner un sujet. Parmi ces cas, quelques-uns ne touchent pas la question présente, car ils constituent, pour ainsi dire, des irrégularités de droit divin que l'Eglise ne fait que constater et promulguer : ils se ramènent tous à des cas de non-idonéité, comme la folie, l'épilepsie, la cécité, le mutisme, etc. Or, l'idonéité aux fonctions sacerdotales est, comme nous venons de le voir d'après le Concile de Trente, une condition nécessaire de droit divin pour le sacerdoce.

Mais, à part ces irrégularités de droit divin, il en est d'autres qui paraissent être de droit purement ecclésiastique : carentes naso, servi, illegitimi, judices, notarii, testes voluntarii in causa capitali, homicidœ, etc... Or, si l'appel au sacerdoce est directement adressé par Dieu aux sujets, de quel droit l'Eglise établit-elle a priori que telles catégories d'hommes, de par ailleurs aptes, idonei, ne pourront pas être ordonnés ? Ne s'expose-t-elle point, par ce fait, à écarter arbitrairement du sacerdoce des sujets qui auraient reçu l'appel divin ? Qu'on essaye de répondre, et l'on se trouvera dans l'alternative d'accuser l'Eglise d'abus de pouvoir, ou d'avouer qu'elle a reçu la dispensation de l'appel sacerdotal, avec pleine autorité d'en réglementer la transmission, selon qu'elle le juge convenable pour le plus grand bien de l'Eglise.

173. — La faculté de dispenser ne supprime pas la difficulté. On ne saurait échapper à l'objection, en disant que, tout en dressant des empêchements, l'Eglise s'est réservé d'en abaisser la barrière devant tout candidat, en qui elle aura reconnu un appel divin bien caractérisé. Cette réponse n'est guère satisfaisante : si les choses allaient ainsi, la création des irrégularités canoniques, avec la législation compliquée qui en est sortie, était au moins inutile ; il suffisait de déclarer tout uniment : nous n'ordonnerons que de vrais appelés de Dieu. L'Eglise pouvait faire confiance à son Fondateur, en qui se trouve éminemment le sens de ce qui convient aux fonctions sacrées. Il n'appellera jamais — s'il s'est chargé d'appeler par lui-même — que des sujets qu'il est convenable d'ordonner et que l'Eglise pourra promouvoir sans aucun inconvénient.

Ainsi, une seule loi resterait pratiquement debout, toutes les irrégularités étant inutiles, sinon abusives ; la voici : " Il faut ordonner les appelés de Dieu, tous les appelés de Dieu. "

174. — L'Eglise latine impose le célibat; de quel droit? Continuons à interroger la pratique de l'Eglise ; nous allons rencontrer un second fait, qui se concilie, encore moins, avec la théorie de l'appel divin immédiat.

Depuis des siècles, l'Eglise latine impose le vœu de chasteté, comme condition absolument indispensable de l'ordination sacerdotale.

Ici, l'on ne peut plus répondre que l'Eglise se réserve de dispenser ceux qui ne voudraient pas garder le célibat, pourvu que, de par ailleurs, ils présentent des signes de véritable vocation. Non ! l'Eglise latine n'a jamais dispensé personne de la chasteté perpétuelle ; a priori, elle se refuse à examiner les titres de vocation de celui qui déclarerait ne vouloir pas se soumettre au vœu. Et cependant la chasteté n'est pas une condition d'institution divine : le droit divin, en matière sacramentelle, est universel ; or, il y a des pays catholiques, où les candidats sont légitimement appelés et ordonnés sans l'obligation du célibat.

Où donc l'Eglise latine a-t-elle pris ce droit de tenir en échec l'appel divin ?

175. — Point de parité avec les empêchements de mariage. On ne peut répondre que le mariage est, lui aussi, d'institution divine et que cependant l'Eglise a établi des empêchements, même dirimants (1). Le mariage, en général, est d'institution divine, c'est vrai ; mais s'il est offert à tous, nul n'est formellement désigné par Dieu pour embrasser ce genre de vie. Le choix du mariage et le contrat matrimonial sont des faits purement humains, en ce sens qu'ils dépendent uniquement de la libre initiative des hommes ; et, de plus, ce sont des faits à grande portée sociale. Comme les faits de ce genre, ils sont donc susceptibles d'être réglementés par l'autorité sociale légitime, selon les exigences du bien commun.

Il n'en serait pas de même s'il y avait des appels individuels au mariage, comme on dit qu'il y en a pour l'Ordre. L'Eglise perdrait, ipso facto, le droit d'interdire le mariage aux appelés de Dieu.

D'autre part, il est à remarquer que les empêchements dirimants imposés par l'Eglise — l'impedimentum Ordinis se contracte volontairement — n'interdisent pas à quelqu'un le mariage, absolute, mais seulement le mariage dans de telles conditions de célébration, ou, tout au plus, avec telle personne déterminée.

Il n'en est pas ainsi des irrégularités, elles interdisent purement et simplement la réception du sacrement de l'Ordre.

176. — Obligation imposée aux évêques de limiter le nombre des ordinations. Jusqu'ici, on le voit, la pratique de l'Eglise ne se montre guère favorable à la théorie de l'appel, déféré par Dieu même, directement. Il existe d'autres indications tout aussi claires.

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(1) Nouvelle Revue théol. Février 1911 : article du R. P. Riedinger.

 

Non seulement l'Eglise n'oblige pas les évêques à ordonner tous ceux qui se présentent comme appelés de Dieu ; elle leur fait même une obligation de limiter les ordinations aux besoins des diocèses.

Mais, ici encore, pourquoi donc ne pas laisser faire Dieu ? Il connaît infiniment mieux que l'évêque les nécessités des églises. Si donc, à telle époque, il se met à multiplier les appels plus que de coutume, ce doit être pour l'évêque la preuve indubitable, le signe divin, que les besoins de ses églises ont augmenté. Bien loin de fermer la porte du sanctuaire au flot montant des candidats, il l'ouvrira donc toute grande, en bénissant Dieu de ce surcroît de bons ouvriers, envoyés dans sa vigne.

Non ! l'Eglise lui interdit d'agir ainsi. Dès là que les églises sont pourvues, dès là que les ressources ordinaires ont reçu leur emploi, défense est faite à l'évêque de procéder à des ordinations nouvelles. Pas de législation plus fréquemment rappelée par l'Eglise que celle-là.

177. — L'évêque maître absolu de l'ordination. Mais, du moins, quand un clerc se croira injustement rejeté par un évêque, pourra-t-il faire appel de ce jugement en offrant de fournir la preuve de sa vocation, de son droit, devant un tribunal supérieur ?

Non ! " Le Concile de Trente qui a placé tout le gouvernement des séminaires entre les mains des évêques... a remis pareillement tout ce qui concerne les ordinations à la conscience des évêques, de sorte qu'aucun clerc ne peut recevoir les Ordres sans permission expresse de son évêque.

" On connaît la célèbre disposition renfermée dans le chapitre I de la session XIV, qui donne à l'évêque la faculté d'éloigner des saints Ordres pour une cause quelconque, même pour délit occulte, et cela par une décision extra-judiciaire qui ne souffre pas appel, ni auprès du métropolitain, ni auprès du Saint-Siège, et ne peut être réformée que par voie de recours au Souverain Pontife et aux sacrées Congrégations Romaines (1). "

La discipline ecclésiastique, arrêtée au Concile de Trente, et plusieurs fois appliquée par les Congrégations Romaines va encore plus loin.

L'évêque peut être obligé de conférer les Ordres, mais seulement en raison d'un bénéfice possédé par le clerc postulant. En revanche, si le clerc bénéficier ne veut pas recevoir les Ordres, l'évêque peut l'y obliger, sous peine de privation du bénéfice. Aucune allusion, dans ces deux cas, à un droit provenant d'une vocation intérieure, droit que ces deux dispositions supposent, au contraire, parfaitement inexistant.

Il y a plus, lorsque l'évêque a devant lui des candidats non pourvus de bénéfice, qui demandent les Ordres sans autre motif que leurs pieux désirs, il n'a plus comme raison de ses choix, d'après le Concile de Trente, que la considération de ses églises, nullement celle du nombre et des désirs des appelés : " ordinari posthac non possint, nisi illi, quos episcopus judicaverit assumendos pro necessitate vel commoditate ecclesiarum suarum (2).

Or, ce jugement de l'évêque est laissé à sa conscience, sans que l'on puisse en appeler au Souverain Pontife. La conscience de l'évêque, dans l'usage de ce critérium — l'utilité de ses églises — ne relève que de Dieu.

Ainsi l'ont compris tous les canonistes (3).

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(1) Analecta Juris Pontificii ; 3e série, col. 313, 314.

(2) Trid. Sess. XXI. De Reform, cap. ii.

(3) Cf. Barbosa : De officio et potestate episcopi ; Pars II, alleg. IV, N° 66. — Maupied Juris Canonici Compendium Pars III ; lib. V, cap. viii. Ce dernier cite le texte suivant de Monacelli, lequel invoque l'autorité du Card. de Luca " Si vero agatur de his qui ex devotione, et ex mera libera voluntate et motivo cupiunt ordinari, et tunc nec ordines conferre, nec dimissorias concedere épiscopus compellitur, quia Conc. Trid. (Sess. XXI, cap. II, De Réf.) hos ordinari non deberi decernit, nisi episcopus assumendos esse pro utilitate Ecclesiæ judicaverit.

Si ergo arbitrium quod habet, juste et cum causa non interponat, Deum solummodo judicem habebit".

 

178. — Décret : " Vetuit ". Cette législation du Concile de Trente a été aggravée par le Décret Vetuit du 22 décembre 1905. Un élève renvoyé du séminaire se voit fermer ipso facto les portes de tout autre établissement, et donc l'accès du sacerdoce. Comment concilier pareille législation avec la théorie de l'appel intérieur ?

Décret salutaire ! surtout à l'époque où il fut porté... Et si le canon 1363, § 2 du Codex en a atténué la rigueur, il est sage aux directeurs de séminaire et aux évêques de rester fidèles au souci de haute salubrité sacerdotale qui l'inspira.

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179. — La pratique de l'Eglise et la théorie de l'attrait. Si la pratique de l'Eglise, paraît inconciliable avec la doctrine de l'appel intérieur, elle l'est plus encore avec l'opinion qui voit le principal signe de cet appel dans l'intention spontanée, dans le vouloir plein et complet du candidat, surtout si l'on exige que ce vouloir prenne la nuance spéciale de l'attrait, vouloir joyeux, par opposition au vouloir plus ou moins pénible.

On a vu plus haut comment l'attrait, tel qu'il est défini par ses partisans, diffère de la simple intention droite. Voici, par exemple, un jeune homme qui, ne ressentant aucun goût pour la philosophie, l'étudié uniquement en vue d'obtenir un diplôme. Il a bien l'intention vraie, efficace, d'étudier la philosophie ; il s'y adonnera même avec ardeur ; mais personne ne dira que son vouloir est absolu, encore moins dira-ton qu'il ressent de l'attrait pour la philosophie. Ce qui le meut, c'est le seul attrait du diplôme, ou mieux de la carrière à laquelle ce diplôme lui donne accès. Or, c'est l'attrait, au sens ordinaire du mot, que l'opinion moderne exige comme signe principal, le seul décisif, d'appel divin. (Cf. 10-13 ; 76, 77.)

La pratique de l'Eglise est-elle en harmonie avec cette opinion ? Non ; ici encore, l'opposition est flagrante. Jamais l'Eglise n'a demandé aux ordinands, même pour le simple licéité de leur avancement, l'attrait entendu au sens des modernes. Elle a toujours dit que la seule intention droite suffit pour le sacerdoce, comme pour tout autre sacrement.

L'Eglise a même tenu pour suffisante et raisonnable l'intention de celui qui accepterait un bénéfice paroissial entraînant l'obligation de la prêtrise, et qui ne s'engagerait à se faire ordonner qu'à la condition, par exemple, que l'aîné de la maison paternelle ne viendrait pas à mourir sans héritier. Cet ordinand met donc en parallèle le sacerdoce et le souci de perpétuer la famille et cette seconde intention l'emporte sur le désir de monter à l'autel. Néanmoins les plus graves théologiens nous disent que cette intention, si secondaire et conditionnée qu'elle paraisse, suffit et est souvent fort raisonnable. " Ejusmodi conditionata intentio sæpe valde rationabilis est, nec reprobatur ab Ecclesia, imo approbatur, saltem tacite (1) ".

Quand les Directeurs de Séminaire, délégués de l'évêque pour le choix des ordinands, se réunissent pour discuter la vocation des candidats, quelles questions se posent-ils ? Que recouvre, pour eux, pratiquement, ce mot " vocation " ? L'attrait ? Nullement ; on n'en fait jamais état dans les " conseils " de séminaire. Pas davantage, on ne parle de prédestination au sacerdoce, de décrets éternels à connaître,

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(1) Scmalzgrueber. Jus. eccles, univ. T. III, Pars la TIT. I De vita et honestate clericorum ; § I N° 2.

 

de signes de ce décret. Tout le débat porte sur l'idonéité ; ce sujet a-t-il la science et les qualités requises (scientia, probitas) pour faire un bon prêtre ? Tout est là.

180. — Ordinations imposées. Mais l'histoire de l'Eglise nous met en face de faits bien plus significatifs au point de vue qui nous occupe.

Nous apprenons de saint Augustin qu'autrefois plus d'un qui ne voulait pas de l'épiscopat, fut contraint de l'accepter: on le saisissait malgré ses résistances, on l'enfermait, on le gardait prisonnier, jusqu'à ce qu'on fût parvenu à lui arracher le consentement strictement nécessaire pour la validité de son ordination.

On pourrait croire que c'étaient là de rares exceptions ; saint Augustin nous avertit que plusieurs évêques se sont trouvés dans ce cas (1).

Bien loin de blâmer ces pratiques, il les approuve hautement ; il s'en sert même d'argument pour prouver qu'on peut forcer quelqu'un à choisir ce qui est bien. Il faut lire le raisonnement pressant qu'il établit sur ces données, quelque peu déconcertantes à première vue...

Quoi qu'il en soit, on ne peut nier ces faits, ni que ces pratiques soient devenues autrefois, comme dit Perronne, une coutume générale, ni qu'elles aient produit d'excellents résultats... En faisant violence au mérite qui s'ignore, ou à l'humilité qui repousse les honneurs, le suffrage populaire et les instances des évêques ont procuré à l'Eglise des Pontifes de la plus haute valeur, des Docteurs et des Saints. Le grand saint Augustin est de ce nombre (2).

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(1) Tam multi, ut episcopatum suscipiant, tenentur inviti, perducuntur, includuntur, custodiuntur, patiuntur tanta quœ nolunt, donec adsit eis voluntas suscipiendi operis boni. Epist. CLXXIII ad Donatum apud Migne. Patrol. Lat. Tome XXXIII, col. 754.

(2) Hœc enim antiquitus invaluerat cousuetudo, ut passim insignes monachi, aut in populo cœlibes, ad clericatum rapeientur, et inviti ac reclamantes ab episcopis consecrarentur... Sic enim olim factum fuit S. Epiphanio, Pauliniano, S. Paulino, S. Augustino, aliisque multis.

PERRONNE ; De Ordine, apud MIGNE : Theol. Cursus Comp. T. XXV, col. 53.

 

Les théologiens qui discutent ces cas se contentent de remarquer que l'intention du candidat était suffisante pour la validité de l'ordination ; ils la comparent au vouloir de celui qui jette ses marchandises à la mer pour sauver sa vie (1). Où trouver l'attrait et un vouloir complet dans une pareille intention ?

181. — Cas de saint Paulin. De ces prêtres ou évêques ordonnés de cette manière, quelques-uns nous ont laissé le souvenir de leurs impressions, de leur attitude d'âme, au moment où ils subissaient une pareille contrainte. Tel saint Paulin, qui déclare très nettement que c'est malgré ses résistances, contre son gré, qu'il a plié le cou sous le joug. Il ajoute : " Quelque désir que j'eusse d'éloigner ce calice, je fus obligé de dire au Seigneur : Que votre volonté soit faite et non la mienne (2). "

Il a vu, dans ces instances de la multitude " un ordre secret de la Providence (3) ". Il s'est soumis.

C'est donc pour obéir à Dieu, par désir de suivre la volonté divine, nullement par désir du sacerdoce — pour lui calice d'amertume — que Paulin a donné son consentement.

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(1) Nec omnino ac simpliciter inviti dici possunt, sed tantum secundum quid, quomodo invitus et coactus dicitur mercator merces suas projiciens in mare, sœviente tempestate, ut nempe suœ vitœ consulat.

TOURNELY. De Sacr. Ordinis. Quæstio IV, art. 4. — Venetiis, 1739, Tome X, p. 84.

(2) " Vi subita, invitus, quod fateor, adstrictus et multitudine strangulante compulsus, quamvis cuperem calicem ipsum a me transire tamen necesse habui dicere Domino : Verum non mea voluntas sed tua fiat. " (Epist. II ad Amandum. Pair. Migne. Tome LXI, col 160).

(3) " Prœsumptione igitur non mea, sed placito et ordinatione Domini. "

(Epist. IV ad S. August. MIGNE Ibid, col. 166).

 

Il n'est prêtre que par obéissance : sacerdos ex obedentia.

Or, cette volonté divine qui lui fait plier le cou, ce n'est pas en lui qu'il en a découvert le signe ; ni dans ses aptitudes, que son humilité ignorait ; ni dans ses désirs, qui allaient précisément à rencontre du sacerdoce : il l'a vue uniquement dans les instances de la multitude qui le désignait, et surtout, n'en doutons pas, dans le suffrage des Chefs de l'Eglise, qui ratifiaient officiellement, quand ils ne l'avaient pas provoqué, le choix du peuple (1).

Dans l'histoire des saints Pontifes et Evêques que relate le bréviaire, rien de plus fréquents que de constater combien de fois il a fallu imposer de force l'épiscopat à des sujets qui n'en voulaient pas. Combien, dont ont dit : " Sacerdos, Episcopus, ex obedientia creatus. "

Tel, entre plusieurs autres, saint Antonin, le pieux archevêque de Florence (10 mai). Ab Eugenio IV Florentinus archiepiscopus renuntiatus, ægerrime tandem nec nisi apostolicis minis perterrefactus ut episcopatum acciperet acquievit.

Le récit que les Bollandistes donnent de cette promotion est très instructif.

Plusieurs candidats ambitionnent le siège de Florence qui est devenu vacant Un seul n'y pense pas ; c'est Antonin, religieux dominicain, occupé en ce moment à visiter les maisons de son Ordre. C'est celui-là que le Pape choisit.

Dès que les premiers bruits de cette élection parviennent aux oreilles de l'humble religieux, il est saisi de terreur et se prépare à fuir. On l'en empêche.

Il oppose alors un refus formel : " Cæpit, quod fuga non

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(1) Li primo inviti quidem et reluctantes erant, ac subinde, ut votis ECCLESIÆ ac POPULI cederent, consentiebant. TOURNELY : loc. cit.

 

poterat, voluntate firmoque proposito, huic de se sanctæ electioni contraire. "

Le Pape lui écrit lettres sur lettres pour vaincre sa résistance ; rien n'y fait.

Eugène IV, comprenant qu'il ne pourra le gagner par de simples exhortations, a recours à un ordre absolu et irrévocable : " Hanc suam omnino voluntatem irrevocabilemque sententiam esse declarari fecit. "

Saint Antonin obéit alors. Il se rend " veritus ne voluntati Dei contrairet, quæ in his signis tam manifestis apparere videbatur. " Mais il tient à protester solennellement qu'il accepte contre son gré : " Deum hominesque testatus id contra suam voluntatem fieri impositum a S. Sede Apostolica onus suscepit. "

Ces faits parlent d'eux-mêmes ; inutile de les commenter. Cela se passait au XV siècle (1).

Tel, encore, saint Jean de Matha, dont le Bréviaire nous dit — 8 février — " Studiorum causa Parisios profectus... doctrina et virtutum splendore enituit. Quibus motus Parisiensis Antistes, ad sacrum presbyteratus ordinem prae humilitate reluctantem promovit. " (XIIIe siècle.)

182. — Pratique moderne de l'ordination imposée. Cette coutume ancienne de promouvoir des sujets malgré eux, est demeurée en vigueur dans l'Eglise. Sans doute, le changement qui s'est produit dans les mœurs rend impraticables certains procédés d'autrefois, qui confinaient à la violence. Mais, en deçà de la violence extérieure, la contrainte morale, qui brise les résistances et obtient des consentements de pure obéissance, est employée même de nos jours. Combien n'ont donné le consentement, nécessaire à leur promotion, qu'après de multiples assauts livrés à leur humilité ; ils n'ont obéi que la mort dans l'âme. D'autres

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(1) Acta Sanctorum, Maii ; T. I, p. 319.

 

sont promus, pour ainsi dire, d'office; les Supérieurs légitimes leur ont signifié que toute résistance de leur part serait inutile (1).

183. — Ferme doctrine de saint Thomas. Or, il importe de le remarquer, cette pratique est si peu condamnable que saint Thomas la considère comme un droit sacré, dont l'exercice est à ce point nécessaire, dit-il, que sans lui l'ordre ecclésiastique périrait fatalement : "periret ecclesiasticus ordo". La raison qu'il en donne mérite attention. Oui, dit-il, le Souverain Pontife a le droit d'obliger quelqu'un à recevoir l'épiscopat, " præcipere alicui quod accipiat Episcopatum ". S'il en était autrement, l'ordre ecclésiastique périrait ; car il arrive plus d'une fois que ceux qui ne veulent pas l'épiscopat en sont précisément les plus dignes. Si donc le Pape n'avait pas l'autorité nécessaire pour briser leurs résistances, l'Eglise, privée de ses meilleurs pasteurs, ne pourrait longtemps subsister. " Nisi enim aliquis posset cogi ad suscipiendum regimen Ecclesiœ, Ecclesia conservari non posset, cum quandoque illi qui sunt idonei ad hoc, nolint suscipere nisi coacti (2). "

184. — Où est l'appel divin dans les ordinations imposées ? Dès lors, il est permis - d'établir le raisonnement suivant : Tous les théologiens reconnaissent, avec saint Liguori, que l'appel divin, nécessaire pour les simples prêtres, l'est bien plus pour ceux qui sont investis de la plénitude du sacerdoce. Or, où est ici l'appel intérieur, cet appel que l'Eglise aurait dû préalablement constater avant de choisir et de promouvoir ? Il n'est

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(1) Qu'on se rappelle le fameux sacre de quatorze évêques français (25 février 1906) et la manière dont ces quatorze furent élus par le Chef de l'Eglise. Et les Papes eux-mêmes ont-ils une vocation d'attrait ? N'est-ce pas au prix des répugnances les plus vives que plusieurs ont accepté la lourde charge ? Notre grand et très aimé Pie X avait-il l'attrait au conclave de 1903 ?

(2) Suppl. q. 47, art. 6, ad. 4.

 

pas dans l'attrait : le sujet n'éprouve que des répugnances ! Il n'est pas dans l'intention : elle est inexistante avant le choix de l'Eglise ; c'est ce choix qui la provoque, l'obtient et, parfois, l'impose. Il ne reste que les aptitudes, comme causes déterminantes du choix. Dira-t-on que tout sujet apte à l'épiscopat est appelé de Dieu à devenir évêque et qu'il manque sa vocation s'il ne le devient pas !

Combien plus simplement le problème est-il résolu, si l'on dit que les aptitudes font les appelables, et que, seul, l'appel de l'Eglise fait les appelés.

 

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185. — Conclusion de l'argument : " ex auctoritate Ecclèsiæ ". Cet argument tiré de l'autorité de l'Eglise, demande une conclusion : la voici. Agissant au nom de Dieu, in nomine Dei, l'Eglise appelle véritablement au sacerdoce et à l'épiscopat. Elle ne cherche pas des appelés, mais des sujets susceptibles de recevoir l'appel.

Parmi ceux-ci, elle choisit, en se basant, non sur les désirs et les attraits des candidats — ce qu'elle devrait faire si la vocation-désir, ou la vocation-attrait constituaient le véritable appel de Dieu ; — mais, souvent, à rencontre de leurs désirs et de leurs attraits. Pratiquement, elle ne fait entrer en ligne de compte que les qualités des candidats d'une part, et, d'autre part, la nécessité ou utilité des Eglises.

Aux candidats de son choix, elle propose, et parfois impose, l'appel divin. Tout candidat appelé par les ministres légitimes de l'Eglise est, par le fait même, c'est-à-dire par la vertu de cet appel ecclésiastique, un appelé de Dieu. Vocari a Deo dicuntur qui a legitirrtis Ecclèsiæ ministris vo-cantur.

 

 

CHAPITRE II

L'ECRITURE SAINTE ET L'APPEL DIVIN AU SACERDOCE

 

Nous rangeons nos preuves d'Ecriture Sainte sous trois chefs principaux :

I° L'appel divin à travers l'Ecriture Sainte.

II° L'appel divin au sacerdoce d'après saint Paul.

III° L'appel divin au sacerdoce dans la pratique des Apôtres.

 

 

ARTICLE I

L'APPEL DIVIN A TRAVERS L'ÉCRITURE SAINTE.

§I.

LOIS GÉNÉRALES DE L'APPEL DIVIN.

 

186. — Les deux lois scripturaires de l'appel divin aux fonctions publiques. Le sacerdoce institué par Notre Seigneur Jésus-Christ est un emploi public, une fonction éminemment sociale. Nous voulons savoir de quelle manière Dieu y appelle. Or, l'Ecriture. Sainte nous apprend comment Dieu se comporte en cas semblable, c'est-à-dire, comment il a coutume d'appeler les hommes qu'il veut investir d'une mission publique.

De l'examen attentif de ces faits divins, on peut déduire les deux lois suivantes :

187. — 1° L'appel divin est extérieur. L'appel à une mission publique se fait toujours par une voix extérieure, sensible, articulant des paroles humaines. Ainsi se justifie par les faits l'étymologie du mot " vocation " : " vocatio " dicitur quasi " vocis actio "..

Ces appels divins, disons-nous, ne se murmurent pas dans le sanctuaire intime de l'âme ; ils résonnent au dehors et ne donnent lieu à aucune ambiguïté.

Telle est la première loi de l'appel divin. On la constate dans toutes les vocations célèbres. Abraham, Moïse, Aaron, Gédéon, Samuel, la Mère de Dieu, les douze Apôtres, saint Paul, etc... furent appelés de cette manière. Ces exemples sont dans toutes les mémoires ; autant il est inutile de les décrire en détail, autant cet ensemble de faits bibliques, divins, doit nous incliner à penser que l'appel 'au sacerdoce se fera, lui aussi, par une voix extérieure, par une voix parlante, autorisée, organe et instrument de Dieu.

188. — 2° L'appel est officiellement divin; deux modes. La voix qui appelle à une, fonction publique doit se manifester comme une voix officiellement divine ; ce qui peut arriver de deux manières, suivant que c'est Dieu même qui parle, ou bien le dépositaire authentique d'un pouvoir divin.

a) Si c'est Dieu même qui parle directement, sans intermédiaire, à son élu, celui-ci recevra, en même temps, le moyen d'accréditer sa mission divine auprès de ses semblables : ce moyen c'est le miracle. Moïse, Jésus-Christ, les Apôtres n'ont pu s'imposer raisonnablement à la croyance des hommes qu'en fournissant cette garantie surnaturelle.

Telle est la mission EXTRAORDINAIRE ; elle porte toujours avec elle le sceau du miracle.

b) Mais il y a un second mode légitime d'appel divin aux emplois publics ; c'est l'appel émanant d'un pouvoir divinement établi. Il possède la même valeur intrinsèque que le premier ; et, au lieu d'avoir à se justifier extérieurement par des miracles, il lui suffit d'en appeler au pouvoir légitime qui l'a proféré.

De cette seconde manière furent choisis les premiers successeurs des Apôtres. Ceux-ci avaient déjà prouvé par des miracles l'authenticité divine de leur mission. Ceux qu'ils choisissaient, ordonnaient et envoyaient, avaient toutes facilités pour prouver l'origine surnaturelle de leur mandat auprès des peuples : ils invoquaient l'autorité divine des Apôtres qui les avaient élus.

189. — Cornelius à Lapide. Cette seconde loi, que révèle l'examen des faits scripturaires, a été nettement affirmée par le célèbre Cornelius à Lapide. La parole de saint Paul " Quomodo prædicabunt, nisi mittantur " (Rom., X, 15) lui fournit l'occasion du commentaire suivant : " Remarquez, dit-il, cette parole " nisi mittantur ". Il faut être envoyé, non certes par le peuple ou le pouvoir civil, mais par Dieu, qui envoie ses héraults pour inviter les hommes à la foi, à la justice, à son royaume. C'est là le privilège de Dieu. " Hoc enim solius Dei est. " D'où il suit que personne ne doit être écouté, s'il n'est légitimement envoyé par Dieu pour prêcher " nisi légitime mittatur ad prædicandum a Deo ".

Voilà qui est bien clair : tout prédicateur de l'Evangile doit être envoyé par Dieu. Mais voici la suite.

" A Deo, inquam, vel proxime et immediate, et tunc opas est miraculis vel signis supernaturalibus, quibus is qui mittitur, hominibus probet se mitti a Deo ; vel mediate, ut nimirum mittatur a Christi vicariis et successoribus, scilicet pontificibus et episcopis, uti ordinarie fit ex institutione christi. "

Inutile de traduire ce texte, il vaut mieux lui laisser toute sa force.

Voilà donc deux modes authentiques d'appel divin à une mission; les deux sont de Dieu; mais l'un en vient immédiatement; l'autre, par un intermédiaire officiel.

190. — Application des deux lois à l'appel sacerdotal. Il est aussi facile que légitime d'appliquer ces principes à l'appel au sacerdoce. S'il se produit conformément aux autres faits d'appel divin consignés dans l'Ecriture, il doit passer par une voix extérieure, sensible, articulant clairement la volonté de Dieu.

Si c'est Dieu qui parle lui-même, choisissant, appelant directement celui qu'il veut prêtre, l'appelé ne sera admis à faire valoir son droit devant la société chrétienne que s'il peut prouver par des miracles l'authenticité divine de son appel.

En dehors du miracle, il n'y a plus, surtout pour un emploi public comme le sacerdoce, d'autre moyen assuré d'appel divin, que l'appel par une autorité divinement constituée.

Cette autorité dans l'Église, nous a dit Cornélius a Lapide, est celle des évêques. " Ut nimirum mittatur a Christi vicariis et successoribus, scilicet Pontificibus et Episcopis. "

Le célèbre exégète applique d'ailleurs, lui-même, ces principes à l'appel sacerdotal. C'est à propos du titre que se donne saint Paul, dès le début de sa lettre aux Romains " Paulus vocatus apostolus ", qu'il traite de l'appel au sacerdoce et qu'il soumet les prêtres du Nouveau Testament aux lois générales que nous avons exposées avec lui. Il répète que les prêtres doivent être appelés de Dieu, comme Aaron, puis il ajoute : " Ce sont les évêques, vicaires du Christ qui sont chargés de cette fonction... car de même qu'il appartient aux magistrats de régler les affaires civiles et de nommer les préfets civils, ainsi appartient-il aux évêques de régler les choses sacrées et de promouvoir les chefs sacrés : tel est l'ordre hiérarchique de l'Eglise, établi par Dieu. " " Sicut enim magistratus est ordinare civilia et civicos præfectos, ita episcoporum est ordinare sacra et sacros præsules : hic enim est hierarchicus ordo Ecclesiæ a Deo institutus. "

Voilà, pour Cornélius a Lapide, l'appel au sacerdoce, celui qui est demandé par saint Paul, l'appel " tanquam Aaron " : il est adressé aux sujets par l'organe des ministres de l'Eglise. Et cela parce que le sacerdoce est une fonction publique à exercer dans l'Eglise du Christ.

A propos de saint Paul, nous trouvons encore, chez saint Chrysostome, une remarque toute semblable.

Dans le prologue de l'épitre aux Galates, l'Apôtre déclare que non seulement les hommes ne sont pas la source ou l'origine de sa vocation apostolique, mais que même aucun homme n'a été, pour lui, l'instrument transmetteur de l'appel divin.

" Paulus apostolus, non ab hominibus, neque per hominem, sed per Jesum Christum et Deum Patrem. "

Sur quoi saint Jean Chrysostome fait observer que s'il est commun à tous les ouvriers évangéliques de tenir leur mission non des hommes, " non hominibus " mais de Dieu, c'est le privilège des Apôtres d'avoir été appelés par Dieu et non par les hommes (appelant au nom de Dieu) " neque per hominem ".

" Quod dicit " non ab hominibus ", id omnibus genuinis operariis evangelicis est commune, siquidem Evangelii prædicatio originem, radicemque habet cælestem (Rom. X, 15) ; sed quod addit " neque per hominem ", id Apostolorum proprium est ; neque enim Christus per hominem, sed per seipsum eos vocaverat (1). "

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(1) S. J. CHRYSOST. in hunc locum ; cité par Cornély.

 

 

§II.

QUELQUES VOCATIONS CÉLÈBRES.

 

 

191. — Vocation d'Aaron. La vocation d'Aaron nous est présentée dans la Sainte Ecriture comme le type de l'appel sacerdotal. Il faut être appelé " tamquam Aaron ". Aaron fut désigné par Dieu en personne, c'est vrai; mais, outre que cette désignation est faite par une voix extérieure, officiellement constatée, et non par des impressions intimes, produites dans la conscience du sujet, il est à remarquer que Dieu tient à donner à son choix une consécration officielle, en le faisant passer par Moïse, déjà reconnu comme chef divin d'Israël. " Locutus est Dominus ad Moysen... Aaron et filios ejus unges, sanctificabisque eos ut sacerdotio fungantur mihi (1). "

Dieu ne parle pas à Aaron ; il parle à Moïse. Il ne traite pas directement avec le premier titulaire du sacerdoce mosaïque, il le fait appeler et ordonner par Moïse son supérieur.

Ainsi seront appelés, nous dit l'Apôtre, les prêtres de la Loi Nouvelle. Ils seront appelés à la manière d'Aaron " tanquam Aaron ", par un appel extérieur, par un appel qui émanera des supérieurs légitimes.

192. — Vocation des Apôtres. Les Apôtres sont appelés, eux aussi, d'un appel formellement extérieur. C'est le Verbe incarné qui, de sa voix humaine, leur adresse le " Venite post me " de la vocation apostolique. C'est là, à proprement parler, d'après saint Thomas, la " vocatio " des apôtres. L'appel intérieur dont il parle ensuite, n'a rien qui ressemble à la théorie moderne ; car il fait suite à l'appel extérieur

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(1) Ex. xxx, 23-30.

 

et signifie la grâce qui incline les apôtres à suivre Celui qui les invite. Si l'on veut trouver, dans le sacerdoce, l'équivalent de cet appel intérieur, il faut aller le chercher au moment même de l'ordination, dans la grâce intérieure qui incline l'âme de l'ordinand à accepter les fonctions que l'appel épiscopal lui propose. L'appel intérieur, c'est, d'après saint Thomas, une grâce de soumission et d'obéissance au Supérieur qui appelle ; elle est donnée à des hommes "déjà légitimement appelés, pour qu'ils acceptent l'appel (1).

L'appel des Apôtres, il est bon de le remarquer, est fait par Jésus-Christ en tant qu'homme ; il est immédiatement et formellement un acte humain ; ce sont ses lèvres humaines qui ont prononcé le "Venite post me" et c'est son âme humaine qui a procédé au choix des douze. Que Jésus-Christ en tant que Dieu ait été cause première de ces choix et de ces appels, cela est indéniable ; mais il n'en fut que la cause médiate ; la cause immédiate fut Jésus-Christ en tant qu'homme et chef de l'Eglise. A ce titre il avait reçu tout pouvoir pour élire ses premiers représentants, comme pour tout ce qui regardait la fondation de l'Eglise et le salut du monde.

193. — Leur appel fut-il motivé par l'attrait ? On peut noter enfin que l'appel extérieur des Apôtres s'adresse à des hommes, qui n'avaient pas encore ce qu'on appelle aujourd'hui la vocation intérieure. Ces pêcheurs de poissons n'avaient sans doute point senti en eux le plus petit attrait, ni le moindre désir pour cette pêche des âmes que Jésus leur propose : " Venite post me ; faciam vos fieri

piscatores hominum. " Cependant, dès ce moment, ils sont véritablement appelés (2).

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(1) Primo describuntur vocati... secundo ponitur " vocatio " " et vocavit eos ". Tertio (ponitur) obedientia vocatorum, ibi " Illi autem " relictis retibus et patre, secuti sunt eum ". (In MATTH ; cap. iv).

(2) Saint Thomas distingue trois appels " trina vocatio " des Apôtres. Celui-ci, qui est le troisième, il le considère comme l'appel définitif.

 

Il ne sert de rien de répondre que Jésus pouvait les appeler extérieurement avant leur formation complète, parce qu'il se réservait, lui le Tout-Puissant, de les former par la suite. Nous constatons, hélas ! que cette action formatrice devait échouer misérablement sur l'un d'entre eux et que celui-là allait jeter sur le collège apostolique la honte du déicide ; Jésus-Christ le savait à l'avance, même en tant qu'homme ; cependant il a appelé Judas aussi véritablement, que les autres.

Pourquoi se montrer plus difficile à l'égard de l'Eglise ? Si l'Eglise avait le pouvoir d'appeler, nous dit-on, elle risquerait de choisir des sujets qui se rendront indignes, car elle ne connaît pas l'avenir. Otons-lui donc la faculté d'appeler au nom de Dieu.

Il suffit de répondre : Jésus-Christ connaissait l'avenir, et il a appelé Judas qu'il savait devoir se rendre indigne !

194. — Vocation de Marie. La vocation de Marie aux gloires de la maternité divine et la vocation au sacerdoce ont entre elles des analogies mystérieuses et variées que la piété sacerdotale se plaît à méditer humblement. Or, comment la Sainte Vierge fut-elle appelée ? A-t-elle senti en elle des aptitudes, des aspirations, des attraits, pour la fonction sublime que Dieu, de toute éternité, lui destinait ?

Quelle supposition injurieuse ! Comme l'humilité de Marie se serait récriée, à la seule pensée d'un pareil honneur ! Au contraire, les Saints Pères nous la représentent appelant de ses vœux la femme prédestinée à devenir la Mère du Sauveur, n'ayant pas le moindre soupçon que ce fut elle-même.

Comment donc l'appel divin lui fut-il notifié ? Missus est Angélus Gabriel a Deo ad virginem (1). Or, l'ange dut prouver la vérité de son ambassade divine ; et il prit soin de le faire en alléguant le miracle d'Elisabeth, la femme stérile et avancée en âge, qui allait enfanter le Précurseur.

Dans la vocation de Marie, l'appel de Dieu est donc transmis par un organe extérieur, par un ambassadeur officiel. Pas de trace d'appel intérieur, de vocation intérieure, sous forme d'aspirations et d'attraits. En elle simple idonéité, mais idonéité merveilleuse, en vue de l'appel à la divine Maternité ; car, sans que l'humble Vierge en eut conscience, Dieu le Père et le Saint-Esprit avaient préparé en son âme une demeure digne du Verbe incarné : " Omnipotens sempiterne Deus, qui gloriosæ Virginis Matris Mariæ corpus et animam, ut dignum Filii tui habitaculum effici mereretur, Spiritu Sancto cooperante præparasti (2). "

Ainsi en va-t-il, toutes proportions gardées, pour l'appel sacerdotal. Il est intimé à l'appelé par un organe extérieur et dûment établi, par ces ambassadeurs officiels de Dieu que l'Ecriture désigne sous le nom d' " Anges des Eglises ". Dieu et ses ministres auront soin de parfaire, dans les candidats au sacerdoce, les idonéités de science et de vertu préalablement requises. Mais la " vocatio " au sens actif et formel n'existera qu'à la suite et en vertu d'un appel extérieur, officiellement déféré par l'évêque.

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(1) Luc I, 26.

(2) Oraison du Salve Regina.

 

 

ARTICLE II

L'APPEL DIVIN AU SACERDOCE D'APRÈS SAINT PAUL.

195. — Le texte classique sur la vocation au sacerdoce. Sur la question qui nous occupe, la Sainte Ecriture contient un texte dont on peut dire qu'il est le seul " classique " en la matière : il est le seul où soit expressément mentionné l'appel sacerdotal, dont il promulgue solennellement la loi. C'est pourquoi, il doit être la base scripturaire de la thèse sur l'appel au sacerdoce.

Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron. (Hebr., v, 4). Personne ne prend de lui-même l'honneur (du sacerdoce), mais celui qui est appelé de Dieu comme Aaron.

L'appel divin d'Aaron fut extérieur, officiel : nous venons de le constater (N° 191). Nous en avons conclu que les prêtres du Nouveau Testament ne seront appelés à la manière d'Aaron que si l'on reconnaît à l'appel épiscopal la prérogative d'être l'appel divin, officiellement déféré au sujet.

196. — Interprétation traditionnelle de ce texte. Mais, nous l'avouons sans peine, un texte muet est rarement capable de trancher un débat. Quand il gêne, un esprit subtil trouve toujours quelque expédient pour s'en débarrasser. Les Protestants, mis en face des paroles si claires de l'institution eucharistique, ne les ont-ils pas interprétées, torturées, de cent manières diverses ? (1).

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(1) Dès l'année 1577, on pouvait déjà compter deux cents interprétations différentes de ces mots si simples : "Hoc est corpus meum. " Luther, comme on sait, ne vit pas comment on pouvait échapper à leur clarté et il s'arsusait des efforts désespérés de ses coreligionnaires : " Doctor Carolostadius ex his sacrosanctis verbis misère detorquet pronomen " Hoc " ; Zwinglius autem verbum substantivum "est" macerat; Œcolampadius nomen "corpus" torturœ subjicit ; alii totum textum excarnificant. (Cité par HURTER ; De Eucharistia N° 338).

 

Nous catholiques, nous ne considérons pas l'Ecriture comme notre règle suprême de foi. Notre règle de foi, c'est la tradition vivante de l'Eglise à travers les siècles.

Y a-t-il pour le texte qui nous occupe une interprétation traditionnelle suffisamment autorisée ?

Nous le pensons, et cette interprétation traditionnelle se ramène aux deux points suivants :

1° L'appel divin dont parle saint Paul est un appel extérieur.

2° Cet appel extérieur n'est autre que l'appel formulé par les ministres légitimes de l'Eglise.

Quiconque voudra examiner attentivement les preuves en demeurera convaincu.

197. — Sens le plus naturel. A) c'est le sens le plus naturel du texte. Cela ressort :

a) de l'analogie avec tous les autres appels divins que rapporte l'Ecriture. Nous venons d'en parler dans le précédent article.

b) du mode d'appel d'Aaron (supra N° 191).

c) de la nécessité d'admettre que l'appel aux fonctions publiques du sacerdoce doit être un appel officiel. Un appel intérieur ne peut avoir par lui-même ce caractère. Il faudrait qu'il fût officiellement constaté et proclamé par une autorité infaillible. Or, l'Eglise ne s'est jamais attribué l'infaillibilité dans le jugement qu'elle porte sur les candidats au sacerdoce ; elle dit même, et fort clairement, le contraire dans la cérémonie de l'ordination : " Et nos quidem tanquam homines divini sensus et summæ rationis ignari, horum vitam quantum possumus æstimamus. Te autem, Domine, quæ nobis sunt ignota non transeunt (1)... "

Bien plus, le jugement des candidats par l'Eglise ne porte pas sur ce que les modernes nomment l'appel intérieur ; on n'examine ni les désirs ni les attraits, qui seraient le côté principal et formel de cet appel intérieur : l'Eglise ne se prononce officiellement que sur la science et la vertu des sujets qui se présentent à L'ordination.

198. — Interprètes les plus autorisés de saint Paul. B) Tous les interprètes de saint Paul qui ont examiné s'il était question, dans ce texte, d'un appel immédiat ou médiat, se sont prononcés pour l'appel' médiat.

Qu'on, veuille bien saisir le seras de cette remarque : elle est capitale. On ne trouve pas un seul exégète qui n'ait vu dans ce texte la nécessité d'un appel divin pour entrer légitimement dans le sacerdoce ; sur ce point, d'ailleurs, il n'y a pas de contestation possible. Mais il est à remarquer que cette loi est sauvegardée, soit qu'il s'agisse d'un appel in> médiat, soit qu'il s'agisse d'un appel médiat.

La plupart se sont arrêtés au premier point : nécessité d'un appel divin. Leur témoignage ne peut donc être invoqué dans la présente controverse. Seuls, les exégètes qui se sont posé la question de l'appel immédiat ou médiat, doivent être interrogés.

Or, nous n'hésitons pas à dire qu'on en trouvera difficilement un seul qui ait opiné pour l'appel immédiat.

En revanche, on contatera que les exégètes qui se sont prononcés unanimement pour l'appel médiat sont de ceux dont le nom fait autorité dans les questions scripturaires.

Nommons tout d'abord Cornélius a Lapide, dont nous venons de citer les paroles si claires. (N° 190).

Estius n'est pas moins explicite que son illustre contemporain

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(1) Pontifical: Ordination des diacres.

 

Or, on sait qu'Estius passe pour le commentateur le plus exact, peut-être, et le plus littéral de saint Paul (1).

Or, voici l'interprétation d'Estius sur le texte de saint Paul : " Pontificatum vocal honorera quia reddit hominem honorabilem. Est et hæc, inquit, legitimi Pontificis proprietas, ut illud munus ultro sibi non vendicet, sed a divina pendeat vocatione : sicut de Aarone... scriptura testatur eum divinitus ad eam dignitatem vocatum esse...

" Sicut autem olim in populo judaïco, ita nunc, in Ecclesia, divinitus instituta est hierarchia, cum potestate ordinandi pontifices, sacerdoles et ministros ; ut quidquid extra illam attentatur, aut præsumitur, illegitimum et inane censeatur.

" Ex quo facile est conjicere, quo loco sint habendi, quot-quot hodie ministerio verbi sese ingerunt, neque missi, neque vocati (2). "

On le voit, Estius, se prononce nettement pour l'appel divin médiat, pour l'appel par les ministres légitimes de l'Eglise : mission et appel relèvent maintenant de cette autorité divinement constituée. Toute vocation, toute mission, qui n'émanent pas d'elle, sont des missions et des vocations illégitimes, c'est-à-dire invalides, inexistantes.

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(1) Dom Calmet, bon juge en la matière, dit de lui : " Ejus in epistolas paulinas commentarium, absolutissimum omnium, qaœ hucusque prodierunt, censetur. "

De nos jours, Cornely dit encore plus expressément : " Alius non est interpres, qui in omnium epistolarum sensum litteralem accuratius investigaverit, ad idearum nexum diligentius attenderit, Patrum et antiquiorum interpretum explicationes prudentius dijudicauerit. " HURTER ; Nom. Lit. III, col. 486.

A ces témoignages, Hurter ajoute le sien, non moins élogieux.

(2) ESTIUS, in Epist. ad Hebr. cap. v, 4. Il ajoute, en passant, cette remarque : Obiter observa quandam ellipsim esse in verbis Apostoli : supplendum est enim aliquid, hoc autem simili modo : "Nemo sibi ipsi sumit honorem, sed ille verus ac legitimus est pontifex, qui vocatur a Deo. "

 

Après ces deux grands noms de Cornelius a Lapide et d'Estius, on peut encore citer celui d'un commentateur fort estimé lui aussi, bien qu'à un degré moindre : Bernardin de Picquigny.

Lui aussi pense qu'il s'agit d'un appel médiat : " Nec quisquam sumit sibi honorem pontificatus, id est, nemo verus et legitimus Pontifex pontificalem sibi vindicat dignitatem.

" Sea qui vocatur a Deo : vel immediate, ut Aaron et Apostoli ; vel mediante ordinatione, quam Deus instituit (1) ".

199. — Interprétation par le Catéchisme de Trente. C) Nous avons surtout, en faveur de l'appel médiat, l'interprétation du Catéchisme du Concile de Trente, que nous avons longuement exposée ci-dessus (N° 156, 159). Nous ne pensons pas qu'il en existe une autre que l'on puisse comparer à celle-là, ni pour la clarté, ni pour l'autorité. Sans aller jusqu'à dire que, les définitions ex cathedra mises à part, son autorité est de premier ordre, on peut cependant rappeler que, d'après Clément XIII, il contient une doctrine aussi éloignée que possible de l'erreur (N° 156).

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200. — Interprétation unanime D) Si l'on se souvient que Estius, (1542-1613), Cornelius a Lapide (1566-1637) et le Catéchisme de Trente (1575), sont contemporains et devancent de quelques années à peine l'apparition de la théorie moderne sur la vocation, on se verra en droit de conclure que, jusqu'au XVIIe siècle, l'appel ecclésiastique était unanimement considéré comme le véritable appel divin, exigé par saint Paul.

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(1) Cf. supra N° 100. — A ces témoignages on peut ajouter les noms plus modernes et moins autorisés de Berardi, Noldin, Bulot, Drach, etc.

Ce dernier s'exprime en ces termes : " On comprend que pour exercer d'une manière légitime ces hautes et saintes fonctions, il faut qu'il y soit (le prêtre), avant tout, appelé de Dieu. Cet appel, qui, dans l'ancienne loi, se faisait en vertu du droit d'aînesse, pour ce qui regardait les successeurs d'Aaron, se fait, dans la loi nouvelle, par la voix des pasteurs légitimes. "

 

201. — Un épisode signifies au Concile de Trente : Lainez. De cette unanimité on trouvera un indice fort significatif dans un épisode du Concile de Trente, raconté par Pallavicini.

On sait les discussions ardentes que souleva la question de l'origine divine de la juridiction épiscopale. Sur ce point, comme aujourd'hui à propos de l'appel au sacerdoce, les uns se prononçaient pour l'origine immédiate, les autres pour l'origine médiate.

Le débat demeura sans solution pour des raisons que nous n'avons pas à exposer. Mais personne n'ignore que les préférences de Rome allaient à la thèse de l'origine médiate (toujours comme pour l'appel au sacerdoce)!

Le fameux Lainez, futur successeur de saint Ignace au généralat de la Compagnie de Jésus, assistait au Concile comme théologien du Saint-Siège.

Dans un remarquable discours, dont Pallavicini nous donne la substance, il développa la thèse romaine, à savoir que la juridiction épiscopale vient de Dieu, non pas immédiatement, mais par l'intermédiaire du Souverain Pontife, qui la donne au nom de Dieu. — C'est exactement notre position au sujet de l'appel au sacerdoce.

Après avoir établi sa thèse, Lainez se pose sous forme d'objection les textes de l'Ecriture Sainte, allégués par les opposants, où il est affirmé que c'est l'Esprit-Saint qui institue les évêques : " Spiritus Sanctus posuit episcopos regere Ecclesiam Dei."

Que répond Lainez ? Tout simplement : que ces textes sont également respectes, soit que Dieu institue directement les évêques, soit qu'il les institue par l'élection canonique. Dans ce dernier cas, dit Lainez " les évêques viennent de Dieu par l'entremise du Pape. "

Mais voici qui augmente pour nous l'intérêt de cette discussion. Pour prouver que son interprétation n'est pas téméraire, le célèbre Jésuite allègue un texte sacré, où est relatée une autre action divine. Cependant, ajoute-t-il, tout le monde est d'accord pour dire que cette action divine n'est que médiate.

Lainez, ce controversiste redoutable, n'a pas été assez malhabile, on peut le croire, pour apporter un exemple qu'on aurait pu retourner contre lui, ou seulement lui contester.

Or, quel est ce texte où tout le monde voit une action divine médiate ? C'est justement le texte de saint Paul sur l'appel au sacerdoce.

" Il y a, dit-il, des commandements et des lois qui s'attribuent à Dieu et qui ne viennent pas immédiatement de lui... C'est ainsi que saint Paul a dit : " Personne ne s'attribue l'honneur du sacerdoce à soi-même, mais seulement celui qui est appelé de Dieu comme Aaron. Et cependant Dieu ne choisit pas, ou n'appelle pas lui-même, mais par ceux qu'il a chargés de ce ministère " (1).

202. — Le texte de saint Paul et la vocation intérieure; sens accommodatice. conclusion : Puisque l'appel au sacerdoce, dont saint Paul proclame la nécessité, doit s'entendre, d'après tous les interprètes, d'un appel extérieur et médiat, d'un appel par le pouvoir hiérarchique que faut-il penser de son application à la vocation intérieure ?

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(1) PALLAVICINI, Histoire du Concile de Trente, Liv. XVIIP, chap, XV, N° 3 et suiv.

 

La réponse est facile. Cette application doit être considérée comme une accommodation, tout au plus comme l'indication d'un sens mystique possible : rien de plus.

C'est ainsi que Halier, après avoir fait usage du texte : Nec quisquam... etc., pour indiquer la nécessité de la vocation intérieure, le cite de nouveau quand vient la question de l'appel par l'évêque, et il a soin d'observer que l'appel épiscopal réalise au pied de la lettre les conditions de l'appel demandé par saint Paul, de l'appel tanquam Aaron. Voici ses paroles ; elles vont très bien au sujet : " Significat autem ista publica vocatio (l'appel que fait l'évêque au moment de l'ordination : appel nominal, auquel chaque candidat répond : adsum) ministros evangelicae legis debere vocari tanquam Aaron, nec suo arbitrio sacrum capessere ministerium, sed ad illud seligi et invitari divina pontificis auctoritate oportere " (1). L'invitation que le Pontife adresse aux ordinands en vertu de son autorité divine, voilà le véritable appel divin " tanquam Aaron ".

Les applications accommodatices du texte paulinien, si naturelles qu'elles puissent paraître, ne doivent donc jamais nous faire oublier que le sens accommodatice n'a aucune valeur divine, scripturaire; surtout, elles ne doivent jamais supplanter dans notre esprit le sens littéral. Ce serait substituer une affirmation humaine à une affirmation " divine.

C'est évidemment en ce sens accommodatice que saint Liguori applique le texte de saint Paul à la vocation intérieure. Les auteurs qui l'ont suivi se sont mépris, en transposant au sens littéral ce qui ne pouvait être qu'une accommodation de piété.

Accommodation d'ailleurs fort pratique et salutaire. A ce point de vue parénétique, la parole de saint Paul signifie qu'il ne faut aller au sacerdoce qu'avec des vues surnaturelles et demeurer persuadé qu'on ne saurait s'y préparer dignement qu'en faisant un incessant appel à la grâce de Dieu, qui, seule, peut nous mener à un si haut terme.

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(1) HALIER, De sacris electionibus et ordinationibus, dans MIGNE Cursus compl. T. XXIV, col. 1463.

 

 

 

ARTICLE III

L'APPEL DIVIN AU SACERDOCE DANS LA PRATIQUE DES APÔTRES.

 

203. — Les Apôtres dans le choix de leurs successeurs. Si le Souverain Prêtre n'a pas de successeurs au sens strict du mot, parce qu'il est immortel — " eo quod mareat in æternum, sempiternum habet sacerdotium " — les apôtres, eux, parce que la mort devait les enlever de la terre — " idcirco quod morte prohiberentur permanere " — devaient veiller à la transmission régulière et légitime de leurs fonctions.

Par conséquent, la doctrine de l'appel au sacerdoce a dû se traduire dans les faits, dès les premiers temps apostoliques.

Les Apôtres ont créé des diacres, des prêtres, des évêques.

Comment ont-ils procédé ? Se montrent-ils préoccupés de découvrir, comme on dit aujourd'hui, des vocations ? Paraissent-ils se douter qu'il y a parmi le peuple chrétien des appelés de Dieu, et qu'ils ont par conséquent le devoir de les rechercher minutieusement, pour les promouvoir, tous, sans en excepter un seul, afin de ne pas fruster les décrets divins de l'effet qu'ils doivent avoir dans le monde ?

204. — Appel des premiers diacres. Nous n'allons trouver rien de semblable.

Quand les Apôtres ont besoin de diacres, alors seulement, ils se décident à en créer. Il leur en faut sept, ni plus ni moins. Us chargent les fidèles de choisir sept hommes de bon renom, remplis de l'Esprit-Saint et de la sagesse d'En-Haut.

Ainsi fut-il fait. Les sept choisis sont amenés devant les .Apôtres, qui leur imposent aussitôt les mains (1).

205. — Conditions d'appel aux Ordres. Maintenant, saint Paul va nous dire, en les enseignant à son cher Timothée, quelles conditions doivent réaliser les candidats qui se présentent soit pour l'épiscopat et le sacerdoce, soit pour le diaconat.

Voici ce que l'on exige d'eux: " Diaconos similiter pudicos, non bilingues, non multo vino deditos, non turpe lucrum sectantes. " Voilà autant de qualités négatives qui se ramènent à ce que saint Thomas appelle la probité : " probitas vitæ ".

L'Apôtre ajoute : " habentes mysterium fidei in conscientia pura " ; la connnaissance des mystères de la foi : c'est la seconde qualité d'un bon candidat, demandée par saint Thomas : " scientia competens ". Voilà tout ce qui est requis. Pas un mot au sujet d'un appel qu'il faudrait découvrir ; rien que la pure et simple idonéité.

206. — L'appel des évêques. L'Apôtre sera-t-il plus difficile pour les candidats au sacerdoce suprême ? Lisons les premiers versets de ce même chapitre. Saint Paul commence par déclarer qu'il est bon, louable, de désirer l'épiscopat, pourvu toutefois qu'on possède les qualités nécessaires d'un bon évêque. Or, ces qualités se ramènent à trois :

Être de mœurs irréprochables : irreprehensibilem ;

Être capable d'enseigner : doctorem ;

Être capable de gouverner. " Si quis autem domui suæ præesse, etc. "

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(1) Act. vi, 3-6.

 

Qu'on parcoure les sept versets qui énumèrent en détail les qualités du bon évêque ; on n'y trouvera pas autre chose, pas la moindre allusion à un appel divin dont te sujet devrait fournir la preuve. Toujours la pure et simple idonéité.

Même doctrine dans l'Epitre à Tite, chapitre premier. Ici, l'Apôtre parle encore des conditions requises pour l'épiscopat ; mais en se plaçant au point de vue de l'évêque qui choisit des candidats pour ces fonctions sublimes. Que doit-il chercher en eux ? Un appel déjà notifié au sujet par des révélations ou des attraits ? Pas un mot qui se puisse rapporter à cet ordre d'idées. Toutes les qualités à exiger se ramènent encore, et toujours, à la probité et à la science ; impossible de trouver trace d'autre.

207. — On cherche des candidats " idoines ". Enfin, dans la seconde épître à Timothée, l'Apôtre nous donne lui-même le mot qui est la clef de toute la doctrine sur l'appel divin. Nous avons dit et répété à satiété que l'appel au sacerdoce n'est intimé aux sujets que par l'organe des ministres légitimes de l'Eglise, et que les qualités des candidats ne constituent point l'appel formel et proprement dit, mais de simples aptitudes à le recevoir dignement, en un mot : l'Idonéité.

Or donc, qu'on relise ce passage, où saint Paul indique la manière dont se recruteront, jusqu'à la fin des temps, les prêtres, ces transmetteurs de vérités sacrées et de choses saintes : " Quæ audisti a me per multos testes, hæc commenta fidelibus hominibus qui idonei erunt et alios docere (1) ".

Voilà le mot vrai. Saint Paul a choisi et appelé Timothée sur simple jugement d'idonéité (2). A son tour, Timothée devra procéder de même : qu'il choisisse des hommes capables " Idonei " et qu'il leur transmette la mission qu'il a reçue - lui-même.

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(1) II, Tim. II, 2.

(2) Act XVI, 1-3.

 

Il en a été et il en sera toujours ainsi ; car on a toujours vu dans ces paroles de l'Apôtre la règle de la succession apostolique et sacerdotale (1).

208. — Conclusions qui découlent de la pratique des Apôtres. En résumé : l'appel au sacerdoce est essentiellement un appel divin. L'Apôtre l'a affirmé et tous les siècles le répètent après lui : " Nec quisquam sumit sibi honorent, sed qui vocatur a Deo. "

D'autre part, ce sont les ministres légitimes de l'Eglise qui intiment aux sujets l'appel divin, parce que la fonction d'appeler aux Saints Ordres fait partie de leurs pouvoirs ordinaires, au même titre que la fonction plus auguste encore de conférer les Saints Ordres eux-mêmes. Pour déférer légitimement à un sujet l'appel divin au sacerdoce, ils n'ont pas d'autre question à se poser que celle-ci : " Ce sujet est-il apte, est-il capable? " " Qui idonei erunt et alios docere... ad hæc quis tam idoneus ? " Nulle part on ne trouvera qu'ils doivent se poser cette question toute différente : " Ce sujet est-il appelé ? Ce sujet a-t-il déjà entendu en lui l'appel divin ? ".

Dans les sujets, il ne faut, préalablement à l'appel divino-ecclésiastique, que l'idonéité pure et simple. Qui idoneos nos fecit ministres Novi Testamenti. (II COR., iii, 6.)

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(1) Cf. VIGOUROUX, Manuel biblique, 10e édition, Paris, 1900. Les Apôtres, N° 499.

 

 

CHAPITRE III

Les Saints Pères et les Docteurs de l'Eglise

ARTICLE I

L'APPEL DIVIN D'APRÈS LES PÈRES DE L'ÉGLISE.

 

 

209. — Une halte chez les Saints Pères. Nous n'insisterons pas longuement sur les écrits patristiques.

Voici nos raisons :

1° Pour être complet, un argument ex Patribus réclamerait, à lui seul, tout un volume. Voilà pourquoi, nous ne ferons qu'une simple halte chez les Pères de l'Eglise (1).

2° Si les Pères de l'Eglise disent ou insinuent souvent qu'il ne faut aller au sacerdoce que sur un appel de Dieu, ils n'expliquent pas si cet appel est immédiat ou médiat (2). Or, c'est là toute la question.

210. — Quelques expressions patristiques. Lorsque les Saints Pères emploient les expressions "vocatus, divinitus vocati", elles se réfèrent toujours à l'appel canonique, à l'élection faite par l'évêque et qui est appelée divine, soit par suite d'une intervention miraculeuse, — comme dans le cas de saint Nicolas — soit parce que toute élection régulière d'un sujet idoine est faite avec l'assistance du Saint-Esprit.

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(1) Aucun théologien ne songera à se scandaliser de cette " simple halte ", ni quiconque a gardé quelque souvenir des thèses de la théologie fondamentale sur l'utilisation des écrits patristiques. (Cf. franzelin, De scriptura et traditione). Pour la thèse de l'Immaculée Conception le P. passaglia a dressé un véritable argument patristique ; il couvre 4 vol, in-4°.

(2) On se rappelle que M. Letourneau, si versé en ces matières, a loyalement reconnu ce fait important qui nous dispense d'insister. Revue pratique d'Apol., 1er mai 1910.

 

211. — Idonéité et vocation chez les Saints Pères : Saint Jean Chrysostome. Les Pères de l'Eglise qui ont traité le plus complètement du sacerdoce, montrent l'évêque dans la fonction d'élire, non pas des appelés, mais des capables. L'évêque doit regarder, non pas entre le candidat et Dieu, pour découvrir, de l'un- à l'autre, un lien d'appel préexistant ; mais, entre le candidat et te sacerdoce, pour voir s'il y a, de l'un à l'autre, la relation de capacité, d'aptitude, de dignité, d'idonéité.

Le traité De Sacerdotio de saint Jean Chrysostome est rempli de cette doctrine (1).

Si quelqu'un est jugé digne, on ne se préoccupe pas de savoir s'il a le désir du sacerdoce, de l'épiscopat, ou de toute autre dignité. Du moment qu'il est digne, cela suffit ; on s'ingéniera pour lui faire accepter l'ordination ; s'il prend la fuite, on le poursuivra ; et, plus il refuse l'honneur, plus on fera diligence pour en charger ses épaules : " Itaque non volentes, neque currentes assumito ; sed cunctantes, sed renuentes : etiam coge illos et compelle intrare (2)."

Très grave, par contre, est le péché de l'évêque, qui appelle sciemment des indignes ; et le péché des indignes qui ne refusent pas jusqu'au bout l'appel épiscopal. C'est ce que déclare, saint Jean Chrysostome (3).

Par où l'on voit que c'est bien la fonction, de l'évêque d'appeler au sacerdoce. L'illustre patriarche compare l'appel d'un incapable à l'appel d'un ouvrier, inhabile à la besogne qu'on veut lui confier. Cet ouvrier, même bien et dûment appelé, doit refuser ; de même, l'indigne, appelé au sacerdoce. " Oportebat ergo, cum id esset animi, etiam aliis vocantibus, resilire. " Avant l'appel, continue le saint docteur, tu étais faible et inapte ; penses-tu que parce qu'il s'est trouvé des hommes pour te conférer l'honneur, tu es devenu aussitôt expert ? " An cum nemo vocaret, infirmus et non idoneus eras, statim vero atque reperti sunt qui hunc tibi honorem conferrent, statim fortis effectus es ? "

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(1) Voir notamment Lib. III, cap. xv et. lib. iv, cap. i.

(2) S. BERNARDUS, De Consid. lib. iv, cap. ii.

(3) De Sacerdotio, lib., IV, cap. ii.

 

212. — La littérature pontificale des premiers siècles. Il existe un grand nombre de lettres des Papes des premiers siècles sur les ordinations. C'est partout la même doctrine : il ne faut ordonner que des capables : nulle trace d'appel divin à découvrir, surtout à découvrir à travers les désirs ou les attraits des candidats (1).

Souvent les Souverains Pontifes recommandent de choisir les plus dignes " magis idoneos ". Si "idonei" était synonyme d'appelé, on ne voit pas quel pourrait bien être le sens de cette recommandation ; on est appelé ou on ne l'est pas. " Magis vocatus " n'a pas de sens.

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(1) L'antiquité chrétienne, au contraire, a toujours été défavorable a ceux qui se présentaient eux-mêmes à l'honneur. C'est ce que nous dit fort énergiquement Ludolphe le Chartreux (Ludolphus de Saxonia). Primum malum est quia plerique antequam vocentur, promoveri ad dignitates et curas ecclesiasticas, per se, et per alios, sollicite quaerunt, nec vocationem humiliter exspectant, sed ambitiose praeveniunt.

Hi male accedunt, testante Apostolo, qui sic ait : " Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo, tanquam Aaron. "

Quantumcumque enim sufficiens quis fuerit et virtuosus, profecto non erit dignus, si non assumitur invitus... Unde et Gregorius ; " Virtutibus pollens coactus ad regimen veniat ; virtutibus vero vacuus, nec coactus accedat. "... Unde si aliquis ad primum locum in Ecclesia eligitur, tolerabile est, licet periculosum... sed, si se ingerit, procurando se eligi, damnabile est et perniciosum omnino. LUD. DE SAXONIA, Vita Jesu Christi, I pars, cap. lxviii.

 

213. — Saint Cyrille d'Alexandrie. Après ces considérations générales, citons quelques textes plus significatifs.

Voici, en premier lieu, saint Cyrille d'Alexandrie (1) ; il est peut-être celui des Pères de l'Eglise qui s'est le plus clairement expliqué au sujet de la vocation d'Aaron et qui a émis, à cette occasion, des principes généraux sur l'appel divin au sacerdoce.

Il observe que Dieu désigne Aaron comme son prêtre; mais c'est à Moïse qu'il le désigne ; c'est par Moïse, et non par une voix intérieure, que le premier pontife lévitique reçoit son appel.

Que personne donc, continue le patriarche, ne s'avance de lui-même au sacerdoce, mais qu'il attende l'appel " sed ut vocetur exspectet ". S'il essaye de ravir un honneur qui ne lui serait pas donné par suffrage divin, il subirait le châtiment de Dathan et d'Abiron.

Igitur ad sacerdotii munus, quod a Deo defertur (2), sua sponte accedat, nemo, sed ut vocetur exspectet ; alioquin si divino suffragio minime tributum rapere tentaverit, in easdem quas Dathan et Abiron pænas incidet.

Le suffrage divin, le choix de Dieu n'a pas été gravé dans l'âme ou le cœur d'Aaron, que Dieu aurait marqué directement du sceau des Pontifes, non ; ce suffrage, Aaron l'a reçu de Dieu par Moïse. Dieu a choisi, Moïse a appelé.

Tel est le modèle de tout appel au sacerdoce et de l'appel même du Christ Souverain Prêtre, continue Saint Cyrille : Ergo vocationis qua Christus vocatus esse dicitur imago est, quod ad Moysen sapienter est dictum : " Et tu applica ad te ipsum Aaron fratrem tuum et filios ejus. " Nam illud " applica " quid aliud quam " adjunge " atque " advoca " significat ? "

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(1) S. CYRILLUS : De adoratione et cultu in Spiritu et verirtate ; lib. XI Patr. C. MIGNE, T. LXVIII, col. 726.

(2) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que cette incise, dont plus d'un a voulu tirer parti — v. g. Hurtaud — n'est pas de saint Cyrille, mais une glose du traducteur.

 

Ainsi donc, d'après la loi universelle de l'appel divin, telle qu'elle est appliquée par saint Cyrille d'Alexandrie, tout appel au sacerdoce doit venir par une voix extérieure et divinement autorisée. Cette voix est celle du Supérieur hiérarchique de l'appelé. Ce Supérieur appelle légitimement, qu'il soit prévenu par une révélation particulière, ou qu'il soit investi du pouvoir ordinaire d'appeler au nom de Dieu.

Le Verbe Incarné a été appelé par la voix extérieure et pleinement autorisée de Dieu le Père, son unique Supérieur hiérarchique.

Aaron a été appelé par Moïse et n'a nullement entendu dans son âme l'appel divin.

Le prêtre de la Nouvelle Loi sera appelé comme Aaron " tanquam Aaron " nous dit saint Cyrille, donc, par une voix extérieure ; par la voix de ses Supérieurs hiérarchiques — évêque, Souverain Pontife — qui ont reçu de Dieu la dispensation des pouvoirs sacerdotaux et, par conséquent, le pouvoir d'en désigner officiellement les titulaires. C'est ici, ou jamais, le cas d'appliquer l'adage " qui potest plus, potest minus ".

La théorie de l'appel divin extérieur est donc, tout à la fois, et dans les paroles et dans l'esprit de saint Cyrille. Il suffit de lire. Le texte entier ne permet pas le moindre doute sérieux sur ce point.

214. — Saint Bernard : impossibilité de connaître le décret divin qui fixe notre destinée. Voici, en second lieu, saint Bernard.

Nous trouvons dans ses écrits deux passages fort précieux.

Le premier concerne l'impossibilité de se prononcer sur l'existence d'un décret d'appel en Dieu, hors le cas d'une révélation proprement dite.

On se souvient qu'une des données principales de la théorie moderne sur la vocation est celle-ci : Chacun de nous arrive au monde avec un décret divin qui vise l'état de vie qu'il devrait prendre de préférence à tous les autres ; chacun de nous a le devoir de s'enquérir de cette volonté éternelle qui le concerne, sous peine d'être ici-bas hors de sa voie et de mettre en péril presque certain son salut. Pour cette enquête, le moyen mis à notre portée est l'analyse minutieuse des dispositions et surtout des mouvements intimes qui agitent notre âme, A travers ces dispositions et ces attraits, il nous faut deviner ce que Dieu demande de nous.

Or, voici le fait que rapporte saint Bernard. Bruno est élu archevêque de Cologne. Son élection est canonique, et, de ce chef, il ne peut avoir nul doute sur la volonté de Dieu, en tant qu'elle s'exprime par les Supérieurs légitimes : il est appelé légitimement et donc divinement.

Mais ses désirs portent plus loin : il voudrait savoir si c'est vraiment la volonté intime et personnelle de Dieu qu'il accepte l'épiscopat et qu'il soit évêque. En parlant le langage de la théorie moderne, on dirait qu'il voulait savoir s'il était prédestiné à cet état de vie, si c'était bien là la place que Dieu lui assignait dans le monde, en vertu de ses décrets éternels ; en un mot, il veut savoir si c'est là sa vocation.

Pour s'éclairer, il consulte saint Bernard, en lui découvrant tout son intérieur et tout son passé. Il lui était difficile de s'adresser à meilleur conseiller, à plus sage directeur. Ecoutons la réponse du Saint :

" Tu me demandes conseil, illustre Bruno, tu veux que je te dise si tu dois acquiescer à la volonté de ceux qui te veulent promouvoir à l'épiscopat ? Mars quel mortel pourra jamais répondre ? Dieu peut-être t'appelle : qui donc pourrait oser te dissuader ? Peut-être ne t'appelle-t-il pas : qui te conseillera d'avancer ? Ta vocation vient-elle de Dieu ou n'en vient-elle pas ? Qui donc pourrait le dire, sinon l'Esprit qui scrute les profondeurs de Dieu, ou celui à qui il l'aurait révélé ? (1). Mon conseil est encore plus difficile, par suite de la terrible confession que renferme ta lettre. Ta vie, que tu accuses si gravement, et véridiquement aussi comme je le crois, me paraît en effet indigne d'un aussi terrible ministère. "

Finalement, le saint refuse de trancher le cas : neque enim possum unde certus non sum, certam proferre sententiam. Et il renvoie son pénitent à un directeur plus éclairé (2).

Donc, d'après saint Bernard, la recherche de notre vocation, telle que l'entend la théorie moderne, est bien peu praticable. Autant nous sommes assurés que Dieu a des volontés personnelles, autant il est avéré qu'il est impossible de les connaître avec certitude, à moins de révélation. C'est, nous l'avons vu et nous le verrons encore, la pensée très nette de saint Thomas.

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(1) Ces paroles de saint Bernard ne sauraient être trop méditées par tels et tels directeurs qui prétendent lire dans l'intime des âmes les secrets desseins de Dieu sur elles.

Au lieu de les conduire par les règles générales de la prudence chrétienne, ils les lancent et se lancent avec elles dans les dédales de l'illuminisme et du subjectivisme : Les lois communes sont violées sous prétexte de voies extraordinaires tracées par Dieu ; et l'autorité des chefs légitimes est éludée au profit de la vanité, de l'amour-propre et de l'esprit d'insubordination.

(2) Quœris a me consilium, vir illustris Bruno, an volentibus te promovere ad episcopatum acquiescere debeas. Quis hoc mortalium definire prœsumat ? Deus forsitan te vocat : quis audeat dissuadere ? Forte non vocat : quis appropinquare consulat ? Utrum vero vocatio Dei sit, an non sit ; quis scire possit, excepto Spiritu qui scrutatur etiam alla Dei, vel si cui forte revelaverit ipse ? Magis quoque dubium reddit consilium illa in litteris tuis humilis, sed terribilis confessio, qua uitam tuam graviter, et, ut credo, non nisi veraciter accusas. Nec enim negandum est, hujuscemodi vitam esse indignam tam sacri dignitate ministerii.

Epist. viii, MIGNE T. CLXXXII col. 105.

 

215. — Appel secundum quid et appel simpliciter, dans saint Bernard. Voici un autre passage de saint Bernard, où l'appel divin " tanquam Aaron " est nettement distingué de certaines invitations intimes de la grâce.

" Ad has itaque (Ecclesias) revisendas, corrigendas, instruendas, salvandas anima perfectior invitatur ; quæ tamen id ministerii sortita sit, non sua ambitione, sed vocata a Deo tanquam Aaron.

" Porro invitatio ipsa quid est nisi intima quædam stimulatio charitatis pie nos sollicitantis œmulari fraternam salutem, semulari decorem domus Domini... laudem et gloriam nomini ejus (1). "

Il est question ici, d'après le contexte, d'un saint homme — anima perfectior — qui est tenu par fonction, " ex officia ", d'annoncer la parole de Dieu. Il est déjà prêtre, il est investi légitimement du ministère sacré, il est déjà appelé de Dieu " vocata a Deo tanquam Aaron ". Or, une poussée de zèle apostolique le presse de sortir du repos de la contemplation, de la vie du cloître, pour s'élancer à l'action, à la conquête des âmes. C'est à lui que saint Bernard s'adresse.

La " stimulatio charitatis " dont il parle est donc postérieure à l'appel divin, à la vocation au sacerdoce, et ne la constitue nullement. La simple analyse grammaticale du texte l'indique clairement.

Ce texte est d'autant plus à remarquer qu'on a voulu y voir la théorie de la vocation intérieure "intima quædam stimulatio charitatis" s'identifiant avec la vocation canonique " tanquam Aaron. " (2). C'est un contre-sens.

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(1) Sermo 58, N° 3 dans MIGNE, Tome CLXXXIII, col. 1056.

(2) HURTAUD : op. cit. p. 194.

 

216. — Un texte complété. Nous disions au commencement que si les textes des Pères, qui affirment la nécessité de l'appel divin au sacerdoce sont très nombreux, ils ne s'expliquent pas sur l'appel médiat ou immédiat. On voit cependant, par ce qui précède, qu'il y a quelques exceptions, et qu'elles sont pour la théorie de l'appel médiat par les ministres de l'Eglise.

En voici un autre exemple, où nous verrons combien il faut être sur ses gardes, en interprétant les mots " vocatus " et " vocatio " dans les écrits des Pères.

On cite souvent, à la suite de saint Liguori, un texte que ce Docteur attribue à saint Anselme et qui, en réalité, est d'Hervé de Bourg-Déol. Le voici : " Nemo per semetipsum sumil illum honorem, sed qui vocatur a Deo " ; et l'on arrête là cette citation, dont voici la suite : " Qui enim recte et canonice eligitur a Deo vocatur. Ille sumit honorem apud Deum et homines, qui per Ecclesiae procuratores et viros fidèles a Deo vocatur ad hanc prælationem, ita digne et sincere, tanquam Aaron, qui non sibi imputavit, nec aliquo modo ingessit, sed jubente Deo per Moysen electus est (1). "

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(1) Cf. l'édition de saint Alphonse par GAUDÉ ; Tome III, p. 800. Liv. vi, N° 803 et MIGNE, Patr. L. T. CLXXXI col. 1564 : Commentaire d'Hervœus sur l'épitre aux Hébreux.

 

 

ARTICLE II

L'APPEL DIVIN D'APRÈS LES DOCTEURS DE L'ÉGLISE.

 

Nous citerons par ordre saint Thomas, saint François de Sales et saint Alphonse de Liguori. Voici d'abord saint Thomas.

§ I.

DOCTRINE DE SAINT THOMAS.

 

 

217. — Qualités des ordinands d'après saint Thomas. En quelques articles de son commentaire sur les Sentences, reproduits dans la Somme théologique (Suppl. q. xxxvi), il traite : De qualitate suscipientum hoc sacramentum (Ordinis). En matière de vocation, tous les bons théologiens ont puisé là. Or, que réclame saint Thomas dans les candidats au sacerdoce ? Exige-t-il une vocation intérieure sérieusement étudiée par une introspection attentive, et enfin découverte avec une certitude morale suffisante ?

Nullement ; pas la moindre allusion à un phénomène de ce genre. Il réclame tout simplement : 1° bonitas vitæ ; 2° scientia competens Sacræ Scripturæ (1)... C'est tout. Qui ne voit que ce ne sont pas là des signes de vocation divine, mais simplement des aptitudes, qui peuvent se trouver en bien des sujets que Dieu n'appellera jamais au sacerdoce ?

Saint Thomas conclut sa doctrine par cette question : " Utrum promovens indignos ad ordines peccet ? " et répond affirmativement. Il ne demande pas : " Utrum promovens non vocatos peccet ? "Il ne paraît pas avoir la première idée d'une semblable question, étrangère à sa doctrine.

D'après lui, on peut être appelé validement et licitement au sacerdoce, dès là qu'on en est digne ; et l'on en est digne, dès là qu'on possède 1° bonitas vitæ, 2° scientia competens. En d'autres termes : avoir l'idonéité, c'est tout ce qui est nécessaire pour constituer un bon candidat. Il n'est nullement question d'appel préalable.

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(1) Il réclame une science proportionnée à l'Ordre que l'on va recevoir : plus vel minus secundum quod ad plura vel pauciora se ejus officium extendit.

 

218. — L'évêque appelant aux Ordres d'après saint Thomas. Dans ce même supplément (q. xxxviii art. 1) : De conferentibus hoc sacramentum, saint Thomas demande : " Utrum tantum episcopus ordinis sacramentum conferat ? " Il répond par une magnifique doctrine sur le pouvoir épiscopal. Il représente l'évêque au milieu de son diocèse comme un roi au milieu de son peuple. Il le montre préoccupé du bien commun, choisissant des sujets pour le sacerdoce selon les besoins de la communauté chrétienne, distribuant les offices et les dignités, tout comme dans les sociétés civiles le roi choisit les fonctionnaires et assigne à chacun sa place et son emploi. " Ad episcopum pertinet in omnibus divinis mysteriis alios collocare... sicut et officia sæcularia in civitatibus distribuuntur ab illo qui abet excellentiorem potestatem sicut a rege. "

Là non plus, pas un mot de cet appel divin qui devrait préexister dans les sujets antérieurement à l'appel de l'évêque ; pas un mot de la très grave obligation qui incomberait à l'évêque, par hypothèse, de rechercher avec soin les élus de Dieu, pour n'ordonner que ceux-là et tous ceux-là. Car enfin, si Dieu appelle directement ses prêtres, l'évêque n'a plus le droit de choisir : il est strictement obligé de prendre tous les élus de Dieu. Nulle trace d'une pareille doctrine dans saint Thomas ; il demande simplement que l'évêque ne choisisse pas des indignes et qu'il s'inspire uniquement des besoins de la société chrétienne.

D'où il est permis de conclure que, pour le Docteur Angélique, il n'y a pas d'autre appel aux Ordres que celui de l'évêque agissant au nom de Dieu et que cet appel divino-épiscopal se confond en réalité, avec la collation même des Ordres. De fait, ainsi que nous l'avons expliqué ailleurs (100) l'appel ne devient définitif et irrévocable que lorsque l'appelé a consenti à recevoir l'Ordre et l'a reçu (1).

 

§ II

DOCTRINE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.

 

219. — Un texte précieux. On a observé avec raison que saint François de Sales, qui s'est expliqué très longuement sur la vocation religieuse, n'a presque rien dit de l'appel au sacerdoce. La raison paraît fort simple : c'est que, pour le sacerdoce, cela va de soi ; c'est l'évêque qui appelle au nom de Dieu. Il n'y a donc pas lieu de s'étendre sur un appel dont il est si facile de constater la réalité.

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(1) Celui qui voudrait avoir la pensée complète de saint Thomas sur les questions connexes, pourrait consulter les passages suivants :

a) sur l'impossibilité de connaître avec certitude les desseins particuliers de Dieu sur nous, en dehors d'une révélation : Ia IIæ q. 19 ; art. 10, ad I. De Verit. q. vi, art. 5 ad. 3. Quodlib VIII sub fine.

b) sur la liberté du choix des états de vie sous la haute direction de la Providence : Suppl. q. XLI, art. 2, ad 4. Ia IIæ q. cviii, art. 4.

c) sur le pouvoir de l'évêque d'appeler même ceux qui ne veulent pas l'honneur (méthode de recrutement par voie d'autorité) Suppl. q. XLI, art. 2 ad 4. Quodlibet III, art. XI. — Quodlibet IV, q. XII, art. 23. — Voir notre IIe Partie, chap. III, art. VI : La méthode de recrutement d'après saint Thomas.

d) sur le pouvoir divin de l'évêque : lia lise q. LXXXVIII, art. 12.

e) sur le critérium d'après lequel l'évêque doit choisir les candidats : il choisira, non pas toujours les plus saints, mais ceux - qui sont les mieux doués pour travailler au bien de la société des fidèles. Iia IIæ q. 63 a 2.

 

Cependant on trouve dans les œuvres du saint prélat un passage fort précieux. C'est une lettre latine adressée au sénateur Favre. Le saint annonce à son ami sa prochaine promotion au sacerdoce et lui fait part des sentiments qui agitent son âme à la veille du gand jour : Appetente et imminente jam tremendo illo, ac uti Chrysostomi verbo loquar, horrendo mihi tempore, quo ex Antistitis placito, Deo volente — non enim alio utor interprete ad Dei voluntatem explorandam — posteaquam per omnium ordinum gradus sacritissimos iter hucusque feci, tandem ad augustissimum sacerdotii apicem evehendus sum.

Ce texte est assez éloquent par lui-même. Pour ne pas lui prêter nos propres pensées, en le traduisant à notre manière, prenons — comme déjà nous l'avons fait — une traduction composée en dehors de toute préoccupation de controverse :

" A l'approche du jour terrible, de ce jour effroyable, comme l'appelle saint Jean Chrysostome, où, d'après la volonté de Dieu, exprimée par celle de l'évêque, — car je ne cherche point d'autre organe de la volonté du Seigneur — après avoir franchi tous les degrés de la hiérarchie, je vais enfin être élevé à l'auguste dignité du sacerdoce (1)... "

Saint François de Sales nous enseigne à voir la volonté de Dieu, non dans nos attraits intérieurs, non dans la décision de notre confesseur ou de notre directeur de conscience, mais dans la volonté, dans le choix de l'évêque. Entre Dieu et nous, pour ce qui est de l'appel au sacerdoce, il y a un organe autorisé, un seul : l'évêque.

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(1) Edition VIVÈS, Tome VII, p. 43. Edition d'Annecy, T. XI, p. 37.

 

 

 

 

§ III

DOCTRINE DE SAINT ALPHONSE DE LIGUORI.

 

220. — Saint Alphonse de Liguori et la théorie moderne de l'attrait. On pourrait croire, à première vue, que saint Liguori ne paraît pas favorable à la théorie que nous soutenons. Il est même assez facile d'extraire de ses écrits, par des coupures habiles, tous les éléments, ou à peu près, de la théorie moderne de la vocation intérieure.

Il admet (1) l'opinion rigide de Habert sur la prédestination particulière de chaque individu à tel état de vie déterminé.

Il énumère les signes auxquels on peut reconnaître si l'on est appelé de Dieu au sacerdoce : scientia competens, bonitas vitæ, intentio recta.

Il condamne les évêques qui confèrent les Ordres à des non-appelés : " qui non vocatos ad Ordines sacras promovent. "

Mais il est facile de constater également :

1° Que saint Liguori ne nomme pas l'attrait des modernes parmi les signes de vocation (2) ;

2° Que, bien loin d'ériger l'attrait en signe nécessaire et seul décisif, il recommande de s'en défier et de ne tenir compte que de l'idonéité (Praxis, N° 93) ;

3° Que, parmi les signes de vocation, il ne nomme même pas l'appel épiscopal, qu'on s'accorde aujourd'hui à reconnaître comme signe nécessaire et pratiquement décisif.

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(1) Il serait peut-être plus exact de dire que saint Liguori a varié sur ce point. — Au sujet des apparentes contradictions que l'on relève à travers les écrits du saint Docteur, voir GAUDÉ, déjà cité : Prœfatio, p. XLI.

(2) Voir ci-dessus (N° 10, 12, 76) diverses descriptions de L'ATTRAIT DES MODERNES.

 

221. — Saint Alphonse de Liguori et l'appel épiscopal. De ces omissions et de ces négations, il nous paraît légitime d'inférer :

1° Que le saint Docteur n'est pas pour la théorie moderne, telle qu'elle est et telle que nous l'avons combattue, c'est-à-dire pour la théorie de la vocation-attrait.

2° Qu'on ne peut faire à ce Docteur de l'Eglise l'injure de penser qu'il a méconnu l'importance de l'appel épiscopal, dans l'économie générale de l'appel au sacerdoce.

Et donc : 3° qu'en réduisant à trois les signes de vocation, sans y faire rentrer d'aucune manière l'appel épiscopal, il n'a voulu parler que des signes d'idonéité au sacerdoce : idonéité qui peut s'appeler vocation secundum quid, ou appel divin secundum quid, en tant qu'elle est censée provenir de la grâce divine, qui prépare des sujets en vue du sacerdoce (1).

De cette manière, on arrive à concilier, fort légitimement d'ailleurs, les deux lumières de la théologie catholique, saint Thomas et saint Alphonse. Mais il faut déclarer nettement qu'il y a lieu d'abandonner le point de doctrine que ce dernier semble avoir emprunté au rigide Habert, à savoir la prédestination de chacun ad unum statum determinatum (2).

 

§ IV

SAINT ALPHONSE DE LIGUOHI ET LES THÉOLOGIENS ANTÉRIEURS.

 

222. — Le silence des théologiens anciens. Saint Alphonse de Liguori s'étonne que les théologiens

antérieurs au xviie siècle se soient très peu occupés de la vocation sacerdotale, ou du moins qu'ils n'aient pas clairement traité cette question. Il a été obligé de s'en référer à deux théologiens récents : Habert (1668) et Concina (1756). La raison du silence des anciens théologiens doit paraître fort simple à qui nous a suivi jusqu'ici. Saint Alphonse a pris la question de la vocation telle qu'elle avait été posée par les théologiens français du XVH" siècle. Or, ainsi posée, elle n'a aucun sens pour les théologiens antérieurs, qui mettaient l'appel au sacerdoce, l'appel " tamquam Aaron ", du côté de l'évêque, et n'avaient à étudier dans les candidats que les conditions d'aptitude aux fonctions ecclésiastiques. (N° 112, 113).

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(1) Nous avons été heureux de constater que des Revues, dirigées par les Fils spirituels de saint Alphonse, ont admis l'exactitude de cette interprétation.

(2) Voir plus bas, N° 250 et suivants, la critique de ce principe.

 

223. — Un théologien, témoin de la doctrine ancienne. Qu'il soit permis de dire cependant que saint Liguori aurait pu trouver la question de l'appel au sacerdoce fort clairement élucidée chez un théologien belge qui a eu l'avantage d'écrire aussitôt après le Concile et le Catéchisme de Trente. Nous voulons parler de Becanus.

Ce théologien est loin d'être un obscur. Nous savons que saint .Vincent de Paul en faisait grand cas. Hurter le présente en des termes très élogieux (1).

On trouve parmi ses œuvres un petit traité qui porte ce titre :

ASSERTIONES DE VOCATIONE MINISTRORUM ECCLESI^E VETERIS ET NOVI TESTAMENTI.

Il met en tête de ce traité le texte classique de saint Paul :

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(1) Exemplar theologis polemicis imitandum... Martinum Becanum, cujus opera incomparabili excellunt claritate, quam ipsis conciliant mira notionum distinctio, accurata status quœstionis definitio, limpidissima argumentorum expositio : eoque gratior est hœc claritas, quod juncta sit brevitati, quœ tamen disputationis soliditati, plenitudini, et integritati detrahit nihil. (Hurter; Nom. Lit. III, col. 720).

 

" Nec quisquam sumit sibi honorem sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron. " Il distingue entre appel divin médiat et immédiat.

L'appel immédiat, dit-il, est celui qui est " a solo Deo, sine ministerio aliorum hominum. " Il ajoute : " Hæc vocatio, quia fiebat a solo Deo, debebat ita fieri ut populo evidenter constaret... Ideoque necesse erat hujusmodi vocationem aliquo evidenti signo vel miraculo authentice comprobari. Quod semper etiam factum est. " Il cite l'exemple de Moïse (Exode, chapitre iii et iv).

Les Apôtres, continue le théologien, ont été appelés d'un appel immédiat ; mais à cause de cela " sicut supra de Moyse et Prophetis dictum est, suam Vocationem et Missionem multis signis et prodigiis, coram universo mundo debuerunt contestari. Res omnibus nota est ".

Le Christ lui-même a dû se soumettre à la loi commune : " Et quid dico de Apostolis ? Ipsemet Christus non aliter persuadere potuit a Deo Patre se missum esse, nisi per miracula. "

224. — Théorie très nette de l'appel divin par l'évêque. A côté de l'appel immédiat, il faut reconnaître un appel médiat ; c'est celui qui a lieu ordinairement. Becanus le définit ainsi : "Vocatio ordinaria quæ fit a Deo, mediante consensu et cooperatione hominum, quorum interest : quo pacto Parochus vocatur ex consensu Episcopi, Episcopus ex consensu Pontificis ; Pontifex ex consensu Cardinalium. "

A ce mode d'appel divin sont soumis tous les successeurs des Apôtres, tous les ministres du Nouveau Testament.

Ces principes posés, il prouve que les Luthériens et les Calvinistes ne sont pas des ministres légitimes : " Quod Lutherani et Calviniani ministri non sunt legitime a Deo vocati " ; "parce qu'ils n'ont ni la vocation extraordinaire, qui doit être confirmée par des miracles, ni la vocation ordinaire qui doit émaner de l'autorité hiérarchique légitimement établie.

Et l'on n'a pas la ressource de dire que Becanus veut parler simplement de la mission. Outre que la vocation et la mission dépendent des mêmes principes, le docte théologien, dont Hurter nous vante la clarté, distingue soigneusement l'élection ou choix et appel de la personne, la consécration et la mission.

On le voit, c'est toute la doctrine que nous soutenons.

Il n'a point paru inutile de citer ici cet autre témoin de la tradition ancienne, ce contemporain d'Estius, de Cornelius a Lapide et du Catéchisme de Trente, qui parle le même langage clair et net.

Tous ces témoins précèdent d'un demi siècle l'éclosion de la doctrine nouvelle sur la vocation sacerdotale. (Cf. supra N° 200).

 

CHAPITRE IV

Preuves de raisonnement théologique

 

Pour prouver notre thèse, les arguments de raison théologique se pressent en foule. Nous n'indiquerons que les principaux.

 

Ier ARGUMENT

TIRÉ DE CE QUE L'ÉGLISE EST UNE SOCIÉTÉ PARFAITE.

 

225. — La hiérarchie de l'Eglise, société parfaite, doit pouvoir recruter elle même ses membres. L'Eglise fondée par Jésus-Christ est, de par son caractère essentiel, une société, une société parfaite, avec un organisme à elle et tous les pouvoirs nécessaires pour subsister et durer. A sa tête se trouve une hiérarchie instituée de droit divin et qui doit se perpétuer jusqu'à la fin des siècles.

Or, il est essentiel à toute hiérarchie sociale de procéder elle-même au recrutement de ses membres : c'est elle qui les choisit ; elle qui les institue ; elle qui les nomme à tel ou tel poste déterminé. Ainsi l'armée nationale recrute ses soldats par voie d'appel ; elle les élève aux grades successifs ; elle les envoie en telle garnison et les affecte à tel régiment déterminé. Appel, promotion, nomination ou mission, tels sont les trois actes dont toute hiérarchie sociale, vraiment parfaite, possède la libre disposition.

226. — L'Eglise hiérarchique ordonne et envoie divinement. Personne ne doute que l'Eglise hiérarchique ne possède le pouvoir d'instituer " promovere " ses membres ; c'est elle, en effet, qui confère les augustes fonctions du sacerdoce ; elle les confère par une vertu vraiment divine ; les prêtres ordonnés, les évêques consacrés par elle, se disent avec raison consacrés, ordonnés par Dieu même.

L'Eglise hiérarchique a aussi le pouvoir de désignation ou de mission. Elle nomme aux diverses charges sacrées et dispense à ses élus les pouvoirs divins de la juridiction : tout prêtre, tout évêque, placé par elle à la tête de telle ou telle portion du troupeau du Christ, se dit nommé, envoyé, par Dieu même.

227. — A fortiori a-t-elle le pouvoir d'appeler au nom de Dieu. Dans ces deux actes si importants, si divins — ordination et mission — Dieu agit par l'Eglise. Par l'Eglise il confère le sacerdoce et en imprime le caractère ; par l'Eglise, il envoie les pasteurs. Ordonner et envoyer sont des prérogatives à tout le moins aussi augustes que celle d'appeler. Comment donc pourrait-on raisonnablement conjecturer que Dieu s'est réservé de choisir et d'appeler par lui-même ceux dont il a confié à son Eglise l'ordination et la mission ? Il y aurait là une anomalie étrange, que rien ne semble justifier. On ne peut l'affirmer que sur preuves formelles. Toutes les analogies militent en faveur de l'appel divin médiat ; c'est aux partisans de l'appel immédiat qu'incombé le devoir de faire la preuve de leur thèse.

228. — L'appel immédiat serait pratiquement inefficace. Aussi bien, ces appels immédiats que vaudront - ils pratiquement, si Dieu ne les notifie pas officiellement, c'est-à-dire par un signe sensible, indubitable, et quel sera leur aboutissement s'ils ne sont pas suivis de l'appel par l'Eglise ? Or, il est avéré que l'Eglise ne reçoit aucune notification officielle des appels divins intérieurs, pas plus qu'elle ne se reconnaît le devoir de rechercher tous les prétendus appelés, ni d'ordonner tous ceux qui se présentent avec ce titre. Elle appelle ceux qu'elle juge dignes ; et, de ceux-ci, elle ne prend qu'un nombre proportionné à ses besoins (N° 33, 36).

Autant d'inductions théoriques et pratiques, d'où il appert clairement que l'Eglise, société parfaite, a reçu le pouvoir divin d'appeler ses ministres, au même titre que le pouvoir divin de les ordonner et de les envoyer. dieu appelle par l'eglise.

 

 

IIe ARGUMENT.

L'ÉGLISE SOCIÉTÉ VISIBLE.

 

229. — Dans l'Eglise visible, l'appel au sacerdoce doit être officiellement visible. L'Eglise est une société visible, où les réalités les plus mystérieuses entrent dans le courant de la circulation sociale sous des signes sensibles qui les manifestent, sous des signes officiellement connus parce qu'on les sait divinement institués pour transmettre les réalités invisibles qu'ils enveloppent... L'Eglise est faite sur le modèle du Verbe Incarné, en qui la divinité invisible se montre par la chair visible : " Apparuit benignitas et humanitas (1). "

Invisibles sont les caractères sacramentels ; visibles les signes sacrés qui les impriment.

Invisible le pardon de Dieu au pécheur ; visible, sensible, l'absolution du prêtre conférant ce pardon.

Invisible la grâce ; visibles les éléments matériels qui en sont les canaux.

Invisible le pouvoir sacerdotal ; visible l'ordination qui le transmet.

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(1) TIT., iii, 4.

 

Invisible la transsubstantiation ; visibles les paroles qui la signifient et l'opèrent.

Invisible Jésus-Christ dans l'Eucharistie ; visible l'enveloppe qui le recouvre et les paroles qui signifient sa présence.

Dans l'Eglise, rien n'est livré aux illusions subjectives, aux caprices de l'illuminisme, de l'esprit propre. Tout doit s'y passer au grand jour. Mais il en doit être ainsi surtout en ce qui regarde te sacerdoce. Tout prêtre doit prouver la légitimité de sa mission divine " qui vocatur a Deo ". il le fait en renvoyant à l'évêque qui l'a appelé, qui l'a ordonné. Il ne dira pas : " Je me suis senti appelé ; j'en ai conclu que Dieu m'appelait ; en cette conviction de vocation divine, je me suis présenté pour le sacerdoce, et j'ai exigé que l'on m'en confère les pouvoirs. " Il dira : " J'ai conçu le désir d'être appelé au sacerdoce, et j'ai humblement sollicité cette faveur auprès des ministres légitimes de l'Eglise, qui ont reçu la dispensation de l'appel divin comme du sacerdoce lui-même. Ils m'ont appelé ; ils m'ont ordonné. Voici que je viens de leur part et, donc, de la part de Dieu. Par eux, en effet, je remonte au Souverain Pontife ; par le Souverain Pontife, aux Apôtres ; par les Apôtres, à Jésus-Christ ; par Jésus-Christ, à l'auguste Trinité ; c'est de là que je viens ! "

230. — Chemin visible que suit l'appel divin. Tel est le chemin lumineux que suit l'appel divin. C'est toujours l'application de la parole évangélique : " Non vos me elegistis, sed ego elegi vos. " Jésus-Christ a appelé visiblement les Apôtres ; les Apôtres ont appelé visiblement leurs successeurs (1). Nul vrai prêtre, depuis dix-neuf siècles, ne peut se vanter d'avoir reçu un autre appel de Dieu au sacerdoce, que celui qui lui a été déféré par l'organe des ministres de l'Eglise, successeurs des Apôtres et substituts visibles de Jésus-Christ sur la terre. Tout appel intérieur, même s'il était officiellement constaté (ce qui n'est pas), n'est qu'une préparation matérielle à celui-là, qui est le véritable appel, d'où découle la visibilité, nécessaire au sacerdoce dans l'Eglise visible.

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(1) Cf. BEUVELET, cité ci-dessus N° 137.

 

IIIe ARGUMENT

VISIBILITÉ NÉCESSAIRE AU SACERDOCE CATHOLIQUE

 

231. — Visibilité du sacerdoce catholique. Visible, l'Eglise, en effet, doit l'être surtout dans sa hiérarchie sacrée, dans son sacerdoce (1), que Jésus-Christ a voulu et institué, nous dit le Concile de Trente, avec ce caractère de visibilité extérieure " visibite et externutn sacerdotium ". (Sess. xxiii, cap. i. De Institutione sacerdotii Novæ Legis.)

Le sacerdoce de la Loi Nouvelle doit donc être formellement visible, visible en tant que sacerdoce légitime, en tant que vrai sacerdoce du Christ et reconnaissable comme tel. Car il faut que nous soyons à même de distinguer les véritables envoyés du Souverain Prêtre, afin de n'entrer en relations qu'avec ceux-là.

232. — Triple visibilité nécessaire. A cette fin, ils doivent être discernables dans leur légitimité intégrale (2) ; sans quoi nous serions toujours exposés à traiter avec des intrus.

Or, l'appel divin " vocatio " est le premier acte d'un sacerdoce légitime, comme l'ordination en est le second et la mission proprement dite, le troisième. Nous ne serons rassurés que si, sur ces trois points, nous pouvons acquérir la certitude d'être en rapport avec des hommes de Dieu : appelés de Dieu ; consacrés par Dieu ; envoyés de Dieu. Qu'ils montrent leur titres !

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(1) Ce troisième argument est la continuation et le complément du précédent.

(2) On sait que dans le langage canonique " legitime vocatus, missus " est équivalent de " vere seu valide missus, vocatus ".

 

233. — Visibilité certaine de l'ordination et de la mission. Si notre théorie de l'appel divin est vraie, le prêtre catholique, sur chacun de ces trois points, donnera toute satisfaction aux fidèles et à l'Eglise entière.

De sa mission divine de pasteur, il fournit la preuve, en montrant la pièce officielle où l'évêque le désigne et l'affecte à telle fonction déterminée, à tel poste précis. Tous les fidèles savent que l'évêque tient dans l'Eglise la place de Jésus-Christ, pour la distribution des charges et des offices sacrés. Envoyé de l'évêque, envoyé de Dieu.

De son onction divine comme prêtre du Très-Haut, il fournit également la preuve authentique par ses lettres d'Ordres et les nombreux témoins de son ordination sacerdotale. Au moment où l'évêque lui conférait le pouvoir et les instruments du sacrifice, Dieu même, par les mains de son ministre, le consacrait prêtre pour l'éternité : " Tu es sacerdos in seternum. " Pas de doute possible : Ordonné de l'évêque, ordonné de Dieu.

On n'a pas à lui objecter qu'en recevant la mission ou l'ordination, il n'était peut-être digne ni de l'une ni de l'autre ; car ni l'une ni l'autre ne dépendent, au point de vue de leur efficacité divine, des dispositions intérieures du sujet.

234. — L'appel divin doit être reconnaissable avec une égale certitude. Reste l'appel divin, condition première et fondamentale d'un sacerdoce légitime. Le prêtre du Très-Haut sera-t-il, ici encore, en mesure de montrer ses titres ? Car il le doit !

Saint Paul, en effet, et toute la tradition nous enseignent, avec le Catéchisme de Trente, que celui-là est un intrus, un usurpateur, qui entre dans le sacerdoce sans y être appelé de Dieu.

Pour que les fidèles soient en sécurité sur la légitimité de leurs ministres, ils ont donc le droit, autant que le devoir, de vérifier si celui qui vient à eux est du nombre des vrais appelés.

Ils disent : " O toi ! qui prétends à l'honneur d'exercer parmi nous les augustes fonctions du sacerdoce, nous te savons nommé et ordonné par ton évêque et, donc, par Dieu même.

" Mais avant de te saluer du cantique des envoyés légitimes : " Benedictus qui venit in nomine Domini ", nous voulons savoir si tu as été vraiment appelé par Celui dont tu te proclames le ministre. Après les titres de ta nomination et de ton ordination, montre-nous ceux de ta vocation, de ton appel divin. "

235. — L'appel intérieur n'a pas cette visibilité certaine. Ici, le prêtre qui tiendrait pour la théorie de l'appel immédiat, ne peut plus se montrer affirmatif, comme il l'a été justement sur les deux autres points. Logique, sincère, voici quel sera à peu près son langage : " De mon appel divin je n'ai pas de garantie certaine à donner. Ordonné et envoyé par mon évêque, vous avez conclu avec raison que je suis ordonné et envoyé par Dieu même. Maintenant, si j'ajoute, comme j'en ai le droit, que j'ai été appelé par mon évêque, vous ne pouvez plus en inférer avec certitude que je suis appelé de Dieu. L'appel épiscopal fournit sans doute une présomption plus ou moins forte de ma vocation divine ; mais, en définitive, ce n'est qu'une présomption; il se peut qu'elle tombe à faux. Je suis censé appelé ; je ne suis pas sûr de l'être (1).

Voici loyalement comment les choses se sont passées. Avant de choisir le sacerdoce, je me suis longuement étudié et il m'a semblé comprendre que Dieu me disait au fond du cœur : " Je veux que tu sois prêtre. " J'ai cru sentir en moi l'appel d'En-Haut. Non content de cette persuasion intime, je me suis soumis loyalement à l'examen d'un directeur prudent. Après enquête minutieuse sur mes défauts d'âme, il m'a déclaré — je n'ai pas la preuve authentique de sa sentence, mais croyez-moi sur parole — il m'a déclaré qu'il avait, lui aussi, la persuasion de mon appel divin.

Mon confesseur, de son côté, ne trouvait dans mes fautes passées aucun obstacle sérieux à mon ordination. Sur ce point encore, croyez-moi sur parole.

Je me suis enfin présenté à mon évêque. Ce juge officiel a présumé, sans en avoir la preuve, que j'étais autorisé par mon confesseur et mon directeur et que, par conséquent, l'appel divin avait été constaté en moi. Quant à lui, bien qu'il soit considéré comme juge suprême en cette matière délicate, il ne m'a nullement demandé de lui manifester mon intérieur, mes dispositions intimes, mes attraits. Il s'est contenté de m'examiner sur ma science théologique, sur ma conduite extérieure, et, n'ayant rien découvert qui m'empêchât d'entrer dans tes Ordres, il m'a invité à les recevoir. C'est tout ce que je peux alléguer au sujet de mon appel divin.

J'avoue que tout cela est très peu décisif : mon confesseur a pu être trop indulgent. Mon directeur, pas assez perspicace, a pu prendre pour des attraits célestes mes entraînements purement naturels. Mon évêque, juge suprême, n'avait pas, ni ne pouvait avoir en mains les principales pièces du procès, puisqu'il ne savait rien de mes états d'âme et ne pouvait interroger là-dessus ni mon confesseur, ni mon directeur.

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(1) Voir TRONSON, cité ci-dessus N° 134.

 

Quant à moi, j'ai agi, sans doute, avec toutes les précautions qui conviennent en si importante matière et je suis indemne du crime formel d'intrusion et de témérité. Mais ces précautions, si elles suffisent à m'innocenter au tribunal de ma conscience, ne me donnent pourtant pas la garantie que je suis appelé. Car les divers jugements sur ma vocation divine, à supposer même qu'on les ait prudemment prononcés, sont tous faillibles et ne peuvent en réalité tenir lieu d'un appel divin qui, peut-être, n'existe pas et que rien ne peut suppléer.

Voilà très nettement, très sincèrement, ma situation en ce qui est de ma vocation. Je ne peux vous donner plus d'assurances que je n'en ai moi-même. "

Que le lecteur veuille bien le remarquer : le tableau n'est nullement chargé à plaisir. Ce prêtre parle comme devrait parler, en pareil cas, tout partisan logique de l'opinion moderne sur la vocation (1).

236. — L'appel divin n'est certain que s'il s'identifie avec l'appel épiscopal. Celui qui tient pour la théorie de l'appel divin s'identifiant avec l'appel épiscopal, est aussi catégorique sur la question de l'appel que sur celle de son ordination et de sa mission : " Il est vrai, dit-il, que l'appel divin est, comme le déclare saint Paul, la condition première et fondamentale d'une mission légitime. Mais je vous en apporte encore la preuve authentique. Cet appel divin dont parle l'Apôtre, c'est l'évêque qui le prononce au nom de Dieu, comme, au nom de Dieu, il ordonne et envoie. L'évêque qui m'a ordonné par la puissance de Dieu est celui-là qui m'a appelé au nom de Dieu, au moment de l'ordination. Les mêmes pièces officielles qui établissent la légitimité et la vérité de la première fondent la vérité et la légitimité de la seconde. "

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(1) CONCINA qui passe pour l'un des patrons de la vocation au sens moderne, écrit lui-même : " Arcanum divinœ vocationis nos latet, Deoque soli patet. " (De Ordine VI, vi). Que devient, après cela, la théorie de la vocation à découvrir, des signes de vocation, etc. ?

On a vu plus haut le même sentiment chez saint Bernard (N° 214). Voir aussi 106 et 107.

 

237. — Ainsi le vrai sacerdoce est complètement reconnaissable. Tel paraît être l'unique moyen de sauvegarder le sacerdoce " visibile et externum " dont nous parle le Concile de Trente.

Si Dieu appelle par l'Evêque, les appelés de l'Eglise sont les appelés de Dieu, au même titre que les ordonnés et les envoyés de l'un sont les ordonnés et les envoyés de l'autre.

Appel, ordination, mission, tout se passe au grand jour, tout est certain, tout est indubitalement et authentiquement divin.

238. — Hypothèse contraire : sacerdoce invisible. Dans le cas contraire, le sacerdoce légitime demeure caché, invisible, indiscernable quant à sa condition première et fondamentale : l'appel divin. L'appel ecclésiastique n'en donne, au dire de l'opinion contraire, qu'une présomption tantôt forte, tantôt faible. Il semble même que, habituellement, cette présomption est plutôt faible, puisque l'évêque qui, seul, appelle, ne tient pas en mains, ainsi que nous l'avons plus d'une fois remarqué, les pièces principales de la vocation intérieure : désirs, attraits, etc...

Il doit arriver fatalement que Dieu appelle quand l'Eglise n'appelle pas et qu'il n'appelle pas quand l'Eglise appelle. Il y a ainsi deux lignes d'appels : l'une visible, l'autre invisible. Les vrais appelés se trouvent sur la ligne invisible. Assurément les deux lignes se touchent en certains points, en plusieurs points mêmes, espérons-le ! mais où ? Nous ne pouvons le préciser.

Les vrais prêtres du Très-Haut, pleinement légitimes, ne peuvent donc être sûrement distingués des intrus, des non-appelés. Canoniquement, sans doute, tous les appelés de l'Eglise sont réputés légitimes ; mais le sont-ils en réalité ? Dieu seul le sait (1).

L'Eglise de Jésus-Christ est invisible dans son élément principal : le sacerdoce légitime (2). Ne connaissant pas leurs vrais pasteurs, comment les fidèles seraient-ils en paix?

La doctrine qui met l'appel divin dans l'appel épiscopal sauvegarde pleinement la visibilité du sacerdoce, et, par conséquent, la paix de l'Eglise.

 

IVe ARGUMENT.

LA PAIX DANS L'AME DU PRÊTRE.

 

239. — L'appel divin et la paix dans l'âme du prêtre. Cette paix précieuse, la théorie de l'appel par l'Eglise la met aussi dans l'âme du bon prêtre.

Dans les moments d'épreuve, au milieu des tribulations de tout genre qui l'assaillent et voudraient l'accabler " foris pugnæ, intus timores ", le bon prêtre reste debout.

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(1) On est allé jusqu'à dire que lorsqu'un diocèse a surabondance de prêtres, c'est un signe qu'il y a parmi eux des non-appelés !

" Dès lors que le nombre requis pour le service des âmes est dépassé, il y a lieu de craindre qu'on a imposé les mains à des sujets qui n'avaient pas la vocation. " (HURTAUD, p. 348). Voilà certes la porte ouverte à tous les scrupules et à toutes les incertitudes ! Faire intervenir ici la question d'appel divin, n'est-ce pas détruire la visibilité du sacerdoce légitime et jeter dans l'Eglise un trouble profond ?

(2) On se rappelle les théories protestantes sur ce point : les vrais membres de l'Eglise ne seraient connus que de Dieu seul, et, même les vrais chefs. N'en est-il pas ainsi dans l'opinion de la vocation intérieure, dont on n'a jamais qu'une certitude prudentielle ?

 

La pensée qu'il est au poste où la Providence l'a placé, le maintient invincible. Ce sacerdoce honni, méprisé, il le porte fièrement, parce que c'est Dieu même qui l'en a revêtu, Dieu qui l'y a appelé. Aucune puissance humaine ne parviendra à courber l'élu de Dieu. Il répète fièrement le mot de l'Apôtre : " Omnia possum in eo qui me confortat. " Je ne serai jamais confondu, car Dieu est avec moi ? Dieu me soutient ; j'en suis absolument sûr, comme je suis sûr d'être son prêtre !

Son prêtre ! c'est-à-dire son élu, choisi et appelé par lui.

Mais en suis-je certain vraiment ? "

Qu'un doute légitime vienne à s'élever, sur ce point essentiel, dans l'âme du prêtre persécuté ou découragé, le voilà abattu sans ressource ! " Ah ! je vois bien maintenant, dira-t-il, pourquoi mon ministère demeure sans fruit ; pourquoi tous mes efforts sont frappés de stérilité. J'avais cru que j'étais appelé. Je l'avais cru sur la parole de mon confesseur ; mais: mon confesseur, qu'en savait-il ? Dieu lui avait-il dévoilé ses vrais desseins sur moi ? Et mon évêque, qu'en savait-il, lui qui ne connaissait rien de mon intérieur, de l'état réel de ma conscience ? M'aurait-il appelé, lui, si j'avais pu lui dévoiler mon passé, comme je l'avais fait à mon confesseur ?... "

Dans ces moments d'affaissement profond, le doute se glissera fatalement dans l'âme des bons prêtres, surtout des meilleurs, des plus humbles, et sera capable d'achever leur déroute morale !

En de pareils moments, l'évêque a la ressource de dire : " Je n'ai pas sollicité l'épiscopat. On me l'a proposé, imposé même, au nom de l'obéissance. C'est Dieu qui parlait ; je me suis incliné devant sa volonté, nettement exprimée par la voix du Souverain Pontife. "

Le simple prêtre, s'il est partisan de l'appel intérieur, n'a pas cette consolation. Son appel ne repose que sur des probabilités, des conjectures qui laissent toujours place à un doute fondé. Fragile barrière contre le découragement; garantie médiocre contre les perplexités, qui énervent les volontés les mieux trempées !

Il en est bien autrement dans la doctrine de l'appel divin extérieur. Tout se ramène, ici, à une simple question de bonne foi de la part du sujet Pourvu qu'il n'ait pas sciemment trompé ses Supérieurs et qu'il ne se soit pas montré dans sa conduite extérieure autrement qu'il n'était en réalité ; dès là que son Evêque l'a appelé à l'honneur du sacerdoce, il est - sûr, absolument sûr d'y avoir été appelé par Dieu mente. Ici, aucune illusion subjective possible, aucune auto-suggestion pieuse. Ce n'est pas sur le caractère plus ou moins mystérieux d'un appel divin intérieur qu'il a été admis à l'ordination ; c'est sur tout l'ensemble de sa vie, d'ordre parfaitement extérieur, et dont tous ceux qui avaient qualité pour juger, ont pu juger, directement, soit par eux-mêmes, soit par d'autres, munis de leurs pouvoirs.

Lors donc que le sujet qui a été revêtu de l'honneur du sacerdoce, a marché en toute droiture vers ce terme et qu'il a été appelé à cet honneur par l'évêque légitime agissant au nom de Dieu, il ne peut y avoir aucun doute pour lui sur la légitimité de son acte : s'il est prêtre, il ne l'est pas pour s'être arrogé lui-même indûment cet honneur ; il l'est sur l'invitation même de Dieu et vraiment appelé par Lui. Il n'a même pas à se demander si ses supérieurs ont agi avec prudence en l'admettant et s'ils ont suffisamment scruté les conditions de dignité qui étaient en lui. A moins de forfaiture manifeste de leur part, il doit toujours tenir que leur action a été à son endroit l'action même de Dieu (1).

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(1) Voir ci-dessus N° 132 et suiv.

 

Ve ARGUMENT.

SUPÉRIORITÉ DU PRÊTRE LÉVITIQUE.

 

240. — L'incertitude sur l'appel divin mettrait le prêtre catholique au-dessous du prêtre lévitique. A ce point de vue de sécu- rite intime, le prêtre de la Nouvelle Loi est bien inférieur au prêtre lévitique. Celui-ci avait l'absolue certitude de son appel divin. Sa conviction reposait sur un appel indubitable, connu par révélation authentique, puisque Dieu, par l'organe officiel de Moïse, avait nommé aux fonctions sacerdotales la race d'Aaron. Ce prêtre lévitique avait eu beau monter à l'autel avec des intentions perverses et l'âme souillée de crimes, son appel n'en était pas moins certain et légitime ; il pouvait trouver dans cette certitude un principe de force et de relèvement.

Le prêtre catholique, même s'il a reçu l'ordination avec les dispositions voulues, n'a qu'une certitude prudentielle — saint Thomas dirait : une persuasion conjecturale, " conjecturaliter " — de son appel divin !

Heureux le prêtre de la race d'Aaron ! Infortuné le prêtre catholique !

Le sacerdoce figuratif avait l'absolue certitude de l'appel divin. Le sacerdoce de Jésus-Christ, souverain Prêtre, n'en aurait que des probabilités !

241. — Remarque : L'incertitude de l'appel devrait empêcher tout candidat de recevoir le Sacerdoce. Il est permis de présenter de nouveau, ici, cette remarque importante : Quel candidat mis au courant de cette situation osera s'engager dans les Ordres ? D'un côté, il se trouve placé en face d'une défense absolue et tout à fait certaine, à savoir qu'il est formellement interdit d'aller au sacerdoce sans appel divin. Pas de doute, c'est Dieu même qui parle.

Si, au moment où je reçois le sacerdoce, je ne suis pas vraiment appelé de Dieu, j'ai beau me trouver dans la bonne foi : cette bonne foi, qui suffit à m'exempter de toute faute, est impuissante à me conférer un appel qui dépend de Dieu seul, pas plus qu'elle ne suffirait à me faire prêtre, si le prélat consécrateur n'était pas un véritable évêque et que je l'aie pris de bonne foi pour légitime.

D'un côté, défense absolument, divinement certaine d'avancer sans appel. De l'autre, pas de certitude de l'appel ; ou rien qu'une certitude diminuée, dont le vrai nom est : probabilité. (N° 160).

Les conditions étant telles, la prudence conseille toujours de demeurer en arrière. L'appel par l'Eglise, d'après les tenants de l'appel intérieur, ne donne qu'une présomption d'appel divin. Or, cet appel présumé, n'est le plus souvent qu'un appel proposé et nullement imposé. C'est donc, en définitive, le candidat, qui prend sur lui d'avancer sans que rien l'y oblige, et tandis qu'une loi formelle lui défend d'avancer, s'il n'est pas appelé.

 

VIe ARGUMENT.

ÉNUMÉRATION D'INCONVÉNIENTS : EX CONSECTARIIS

Inutile d'insister longuement sur d'autres inconvénients, qu'entraîné la théorie de l'appel intérieur. Ils ont été suffisamment signalés- dans les pages qui précèdent, ou le seront au cours des deux autres parties de cet ouvrage.

Contentons-nous de rappeler rapidement quelques aperçus.

242. — L'évêque ne pourrait être juge en dernier ressort 1°) Si les partisans de l'appel sacerdotal intérieur, dans l'intention louable de sauvegarder les droits de la hiérarchie, essaient d'établir l'évêque juge en dernier ressort à la place du confesseur, ils se heurtent à cette anomalie : ce juge ignore délibérément les pièces essentielles de la cause sur laquelle il porte sa sentence. Ces pièces, en effet, sont surtout intérieures (origine, constance, fermeté et durée des désirs et des attraits ; difficultés de conscience, principalement en matière de chasteté ; difficultés à pratiquer l'obéissance ; rectitude d'intention ; etc.). Or, il est d'expérience que l'évêque n'est pas à même de bien connaître ces éléments, dont quelques-uns, même, lui échappent tout à fait. Comment donc pourrait-on le qualifier de juge suprême et en dernier ressort ?

243. — Le confesseur serait 2°) Le système de l'appel le vrai juge en dernier intérieur est donc fatalement ressort. voué, par la logique, à ériger le confesseur en juge principal de la vocation (1).

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(1) Il suffit de lire sans prévention le passage suivant de M. Branchereau, pour se convaincre que l'expression " juge en dernier ressort ", appliquée au confesseur, n'est pas une métaphore malheureuse, qui aurait échappé à sa plume d'ailleurs si correcte, mais l'expression adéquate de sa pensée : " Il faut donc, écrit-il, que la décision des directeurs (au for extérieur, en tant que représentants de l'évêque) soit complétée par une autre décision qui sera la sentence définitive, le jugement en dernier ressort... Seul en effet, le confesseur, dépositaire et confident de nos pensées les plus secrètes, de nos dispositions les plus intimes, est pleinement compétent pour juger si notre vocation repose vraiment sur un fondement solide. Aux lumières qu'il partage avec ses confrères (qui représentent l'évêque) sur notre aptitude extérieure, il joint la connaissance de notre intérieur que nous lui avons révélé. Enfin, en vertu de son saint ministère, il a reçu de Dieu l'autorité nécessaire non seulement pour nous absoudre de nos péchés, mais pour être l'interprète de la volonté divine dans la direction de notre vie... C'est donc lui qui devra dire le dernier mot sur la valeur des marques de vocation que nous avons cru reconnaître en nous.. " Op. cit. p. 269. — Cf. p. 279.

Immédiatement avant de parler de ce jugement en dernier ressort, l'auteur parle du jugement de l'évêque et dit simplement qu'il fournit en faveur d'une vocation, un préjugé considérable..

 

244. — Désordres qui s'ensuivraient. Or, il est facile de deviner à quels désordres aboutirait cette doctrine, si elle passait telle quelle dans la pratique. Voici un séminariste à qui son confesseur a déclaré, au nom de Dieu, qu'il est vraiment appelé au sacerdoce. Comment pourra-t-il accepter sans protestation une sentence négative, rendue par le conseil des directeurs, agissant au nom de l'évêque? Nécessairement, il pensera et dira que l'on commet à son égard une véritable injustice. Puisqu'il a reçu de son directeur, juge en dernier ressort, l'assurance formelle qu'il est appelé, il a tout ensemble le droit et le devoir de devenir prêtre... Dans cette persuasion, il peut et doit faire tout son possible pour que soit rapportée la décision du .conseil, ou trouver un autre évêque qui l'ordonne. C'est la porte ouverte à des difficultés, dont l'expérience révèle la trop réelle probabilité (1).

245. — Des candidats entreront par crainte, qui ne devraient pas entrer. 3°) Voici une nouvelle conséquence grave. D'après l'opinion adverse, chaque sujet appelé serait affecté par Dieu au sacerdoce, antérieurement à tout choix épiscopal et à toute élection personnelle. Ce décret d'affectation pèse sur lui comme un destin inexorable et lui assigne telle place fixe dans le monde, à savoir la carrière sacerdotale. C'est là sa place à lui. Dès lors il ne saurait jamais embrasser un autre genre de vie, sans être, au sens propre du terme, un dévoyé, et, comme tel, plus ou moins condamné à un strict minimum de grâces, voué aux plus grands dangers pour son salut. Et tel est bien le concept que l'école de la vocation-attrait a fait prévaloir (N° 251). D'où, dans l'opinion publique, une sorte de flétrissure attachée à quiconque quitte la cléricature et le séminaire, même pour les plus justes motifs (N° 17).

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C'est pourquoi sa décision réclame le complément d'une sentence en dernier ressort.

C'est là d'ailleurs une conclusion tellement logique qu'elle est commune à tous ceux qui tiennent pour la vocation intérieure. Voici par exemple Haine (Thologiœ moralis Elementa T. II. p. 265, Romæ 1899). " Ubi vero de vocatione dubium adest, illud excutiendum est oratione, examine majori et consilio superiorum, prœesertim confessarii. "

BULOT (Compendium Theol. Mor. T. II. N° 52 ; Paris 1908) parlant des signes de vocation écrit : " Examen autem corum instituere non solius est candidati, cum facilis sit deceptio, sed prudentis directoris.

Voir sur ce point Tronson lui-même, que nous avons cité plus haut : N° 138.

(1) Cf. LAHITTON : Deux Conceptions divergentes de la vocation, sacerdotale, pp. 181, 184, 197. En lisant les pages où certain opposant (R. P, Hurtaud) s'efforce d'éluder nos difficultés, il est facile de constater qu'il lui manque l'expérience des séminaires. Il n'est pas de la partie...

 

Or, cette double crainte d'une irrémédiable déviation et du déshonneur humain, est de nature à retenir au séminaire et à pousser aux saints Ordres, à tout prix, nombre de sujets qui feraient beaucoup mieux de rentrer dans le siècle " ad sæcularia vota transire ". Mais, ayant eu, ayant peut-être encore un attrait prononcé, ils se croient voués au sacerdoce, pour lequel cependant ils ont toujours été, ou du moins sont devenus, inaptes... Toute leur vie, ils le traîneront comme le forçat son boulet, à moins qu'ils ne s'en arrachent scandaleusement les insignes, après en avoir foulé aux pieds les devoirs.

246. — De bons candidats seront écartés faute d'attrait. A l'encontre, l'absence d'un attrait positif, dûment constaté, est de nature à faire hésiter, puis reculer, plus d'un sujet, d'aptitude réelle, de vie pieuse, de volonté généreuse et forte... C'est le cas des tempéraments froids, rassis, et d'autant plus solides, qui sont réfractaires aux souffles d'une certaine sensibilité mystique.

Tout directeur a rencontré ce cas, et plus fréquemment qu'on ne suppose. S'il tient pour l'intimation subjective, par l'attrait, d'un décret divin logiquement préexistant et qui consacrerait chaque sujet au sacerdoce, sur quoi peut-il s'appuyer pour dire : " Mon enfant, vous êtes libre ; mais tel que je vous connais, si vous voulez, avec la grâce de Dieu, vous consacrer au salut des âmes dans le sacerdoce, comme vos Supérieurs vous y convient, et si vous êtes fermement résolu à vivre courageusement votre vie sacerdotale, avancez sans crainte, confiant pour l'avenir comme pour le présent, dans le secours divin qui soutiendra votre bonne volonté. " Et pourtant c'est ce qu'on répond couramment en cas semblable. Mais, si l'on veut être logique jusqu'au bout, on en vient à écarter du sanctuaire une foule de candidats qui auraient fait de très bons prêtres.

247. — Recrutement paralysé. 5°) Pour le même motif, cette théorie porte à éliminer, a priori, tous les jeunes gens qui, demandant conseil sur l'état de vie à embrasser, déclarent n'avoir jamais pensé au sacerdoce. Ils y auraient pensé, se dit-on, si Dieu les y appelait.

Elle détourne de proposer le sacerdoce à des enfants qui n'en parlent pas d'eux-mêmes.

Elle déconseille plus fortement encore les exhortations pressantes, adressées, dans ce but, à des enfants d'ailleurs excellemment doués.

Elle soumet à des probations plus ou moins longues et compliquées ceux qui se présentent d'eux-mêmes.

Elle encourage à admettre, sur leurs protestations d'attraits prononcés, des candidats médiocres, qu'on ferait beaucoup mieux de laisser de côté a priori.

Elle est fort loin de louer les parents chrétiens, qui prennent l'initiative de vouer leurs fils au sacerdoce (1) et de les envoyer au séminaire, — comme d'autres les envoient d'autorité au collège, — sauf à les laisser parfaitement libres de rentrer dans le siècle, lorsqu'il seront capables de juger et de décider en toute connaissance de cause, et non par simple caprice d'enfant.

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(1) Pourvu toutefois que leurs aptitudes permettent d'espérer qu'ils pourront devenir de bons prêtres. — Ce point sera longuement expliqué dans la IIe partie.

 

248. — Subjectivisme fatal. D'ailleurs, si la vocation est synonyme d'attrait, il semble bien que le sujet lui-même a une part prépondérante dans le jugement prononcé par son Directeur. Il faut, en effet, observer que l'attrait est un phénomène tout à fait intime, dont le seul témoin est celui qui l'éprouve ; les autres ne le peuvent connaître que par les dires de l'intéressé. Qui ne voit que les âmes ardentes, plus sujettes à l'enthousiasme et à l'illusion, se persuaderont facilement qu'elles entendent des voix mystérieuses qui leur parlent au cœur, et affirmeront très haut les attraits puissants qui les charment et Les entraînent. Ceux qui doutent le moins d'eux-mêmes sont les plus exposés à ce genre d'auto-suggestion, comme aussi les plus difficiles à découvrir et à détromper. Que de présomptueux sont passés par cette porte !

240. — Succès des médiocrités. Et voici ce qui arrive fatalement dans les cas où l'illusion subjective accompagne — ce qui n'est pas rare — la médiocrité.

Désirant vivement être prêtre, mais se voyant en péril d'exclusion pour cause d'infériorité, tel candidat sera porté à exagérer ses attraits et à faire sur ce point l'opinion de son Directeur (1). Celui-ci le croira d'autant plus volontiers qu'il sera plus paternel, et il appliquera ici le principe qui ne vaut que pour la confession proprement dite : Credendum est pænitenti tam pro se quam contra se loquenti.

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(1) On ne saurait émettre la même hypothèse pour la science dont sont juges les Directeurs du for extérieur ; on ne peut en montrer plus que l'on n'en possède ; il en est de même, à peu de chose près, pour la vertu, qu'on ne saurait simuler pendant les nombreuses années du séminaire.

 

Il se dira dans l'angoisse de son âme compatissante : " Ce cher enfant est bien faible d'intelligence, mais il éprouve des attraits si puissants ! En lui conseillant le départ, n'irai-je pas contre Dieu qui l'appelle ! " Et, pour triompher de ses perplexités, il se souviendra que, pour trancher des cas semblables, les ouvrages sur la Vocation citent le Bienheureux curé d'Ars ; sans faire remarquer qu'il n'y a eu qu'un seul Vianney dans l'histoire de l'Eglise ; un seul, dont la médiocrité a été imaginée ou exagérée par les auteurs pour les besoins d'une cause mauvaise ; tin seul, tandis que trop nombreuses, hélas ! furent les médiocrités qui entrèrent dans le Sanctuaire sous le bénéfice de l'attrait-vocation. De grâce ! que l'on cesse donc d'alléguer un si haut patron, pour plaider la cause des médiocrités appelées !

 

 

VIIe ARGUMENT.

DISCUSSION D'UN PRINCIPE FONDAMENTAL.

 

250. — Thèse rigoriste. Il est un principe dogmatique, que la plupart des opposants mettent à la base de leur théorie de l'appel divin. Nous l'avons déjà rencontré plus d'une fois au cours de ce travail ; le moment est venu de le regarder bien en face.

Chacun de nous, en arrivant ici-bas, est-il porteur d'une prédestination à tel état de vie déterminé ; est-il divinement marqué pour cet état fixe, hors duquel il ne pourrait être et ne sera jamais qu'un dévoyé ?

Oui, répondent en chœur les partisans de la vocation intérieure, il en est ainsi, à tel point que chaque individu ne doit pas avoir de plus grand souci que de chercher sa vraie voie, celle que Dieu lui assigne : il ne peut pratiquement se sauver que là. Entrer dans un état sans y être appelé, ne pas entrer dans l'état où l'on est appelé, sont deux cas également dangereux au point de vue du salut éternel. Le choix d'un état de vie n'est donc libre que spéculativement, abstraction faite des décrets éternels, ou bien en considérant l'ensemble des hommes. Pratiquement, et pour un homme en particulier, un seul état est permis et, d'ailleurs, obligatoire sous peine de manquer le salut, ou, tout au moins, de le compromettre, au point qu'il devient moralement impossible. Ces principes, on les applique avec une rigueur particulière à l'appel au sacerdoce.

Qu'on veuille bien se reporter aux textes que nous citons ça et là, et l'on constatera que nous n'exagérons pas l'âpreté de cette opinion.

Telle est donc la thèse rigoriste, qui a pour principaux patrons Habert et Concina, et dont la fortune, en ces trois derniers siècles, a été considérable.

251. — L'orateur de la thèse rigoriste. Cette thèse rigoriste, qui descend, en droite ligne, du Jansénisme-prédestinatien, a trouvé son orateur dans Massillon. Celui qui a prononcé le discours sur le petit nombre des élus, en a produit un autre, plus farouche encore, sur la vocation. En voici quelques extraits :

1°. — Au sujet du décret éternel qui fixe notre destinée précise : " Dieu seul qui voit nos cœurs, et qui a marqué dès le commencement la voie par où il voulait nous conduire, peut nous en inspirer le choix : à lui seul il appartient de nous appeler à l'état où il nous a préparé dans ses conseils éternels des moyens de salut ; lui seul doit être consulté dans une affaire où lui seul peut nous éclairer et nous conduire... "

" Ce n'est pas à nous à disposer de nous-mêmes ; c'est à lui seul à nous employer selon les vues qu'il s'est proposées en nous formant, et à régler l'usage des talents que nous n'avons reçus que de lui... "

" Il demeure établi qu'avant que nous fussions nés, le Seigneur avait tracé à chacun de nous le plan de nos destinées, et, pour ainsi dire, le chemin de notre éternité et que parmi cette multiplicité de voies, qui forment les diverses conditions de la société, il n'en est qu'une qui soit la nôtre et par où Dieu ait voulu nous conduire au salut. "

2°. — Sur l'impossibilité pratique de se sauver en dehors de l'état de vie qui nous est déterminé : " il n'est que trop certain cependant, que la voie que nous choisissons, la plupart, n'est point celle que Dieu nous avait d'abord choisie, et que de toutes les circonstances de la vie, le choix d'un état est celle où la méprise est plus ordinaire... "

" Tout est corrompu, parce que nul presque n'est à la place où il devrait être... " (Consolant !)

" Or, se tromper ici, est de toutes les méprises la plus irréparable... "

" Le choix de l'état de vie (fixé par Dieu dès l'éternité) est pour nous l'unique voie de salut que Dieu nous a préparée... c'est la voie unique de salut pour nous... "

" Pour participer aux grâces d'un état, il faut que Dieu lui-même nous y ait appelés. Si vous vous êtes placé vous-même, c'est à vous-même à vous soutenir : s'il ne vous a pas préparé la voie où vous êtes entré, il ne vous y donnera pas sa main secourable, et vous y marcherez tout seul. Il ne doit pas déranger en votre faveur l'ordre immuable de ses conseils éternels : vous êtes sorti du plan de sa Providence ; ce n'est pas à lui à rétracter la stabilité de ses desseins pour s'accommoder à vos caprices, mais à vous à vous livrer à votre propre malheur : vous n'avez pas choisi la situation et le ministère qu'il vous destinait dans le corps mystique de son Fils ; il ne peut donc plus vous regarder que comme un membre monstrueux qui est hors de sa place... "

" Il avait résolu de vous attacher à lui par des liens sacrés... vous vous êtes engagé sous un joug différent : ah ! la sainteté du lit nuptial sera donc pour vous une occasion de luxure et d'incontinence... les périls où l'ordre de Dieu ne vous avait pas engagé, seront pour vous des occasions infaillibles de chute... "

" Mais d'un autre côté, le Seigneur voulait que vous opérassiez votre salut dans l'état du simple fidèle ; il vous avait préparé les grâces de cet état... vous vous êtes ouvert par votre ambition la porte de la maison du Seigneur ; vous avez obtenu, en importunant, une dignité qu'on ne peut mériter qu'en fuyant... vous serez un homme de péché assis dans le temple de Dieu... vous n'êtes que l'anathème du ciel et le scandale de la terre... "

" N'étant point dans la voie qui doit vous conduire au salut, plus vous marchez, plus vous vous égarez... "

(Massillon : Sermon pour le mercredi de la 2e semaine de Carême, sur la vocation).

252. — Principes à lui opposer. Or, rien n'est plus fragile que cette thèse. Il est facile de lui opposer les principes suivants :

1°) Nous sommes incapables, en dehors d'une révélation expresse, de connaître avec certitude les décrets éternels et les desseins particuliers de Dieu sur nous :

Voici l'objection que se pose saint Thomas : (I. II. q. 19 a 10 ad. 1) " Videtur quod voluntas hominis non debeat semper conformari divinœ voluntati in volito. Non enim possumus velle quod ignoramus : bonum enim apprehensum est objection voluntatis. Sed quid Deus velit ignoramus in pluribus. Ergo non potest humana voluntas divinœ voluntati conformari in volito.

Il répond :

Ad primum ergo dicendum, quod volitum divinum, secundum rationem communem, quale sit scire possumus ; scimus enim quod Deus quidqnid vnlt, vult sub ratione boni. Et ideo quicumque vult aliquid sub quacumque ratione boni, habet voluntatem conformem voluntati divinœ quantum ad rationem voliti.

Sed in particulari nescimus quid Deus velit ; et quantum ad hoc non tenemur conformare voluntatem nostram divinœ voluntati.

In stalu tamen gloriæ omnes videbunt, in singulis quœ, volent, ordinem eorum ad id quod Deus circa hoc vult et ideo non solum formaliter, sed materialiter in omnibus suam voluntatem Deo conformabunt. "

(Sur cet article si important de la Somme théologique, voir les lumineuses explications du R. P. PÈGUES : Commentaire français littéral de la Somme théologique ; Tome VI, p. 595-606).

2°) Pour que notre volonté, quand elle choisit le sacerdoce, soit droite et légitime, il suffit qu'elle porte vers lui sous la raison formelle de bien " sub ratione boni. " Quant à le choisir en tant que déterminément voulu de Dieu pour nous " in quantum materialiter volitum a Deo ", la chose est impossible, vu que les vouloirs particuliers de Dieu sont dans le domaine de l'inconnaissable " in particulari nescimus quid velit Deus ".

Donc, en dehors, d'une révélation expresse, la seule conformité possible avec la volonté de Dieu est la conformité, in volito formali, sous la raison de bien en général, et cette raison nous est connue par les règles universelles des commandements divins et des conseils évangéliques ; les uns disant ce qui est prescrit, les autres ce qui est mieux et facultatif (1).

3°) La théorie qui soutient que l'on peut connaître avec une certitude pratiquement suffisante les prédestinations aux états de vie, se détruit elle-même par la diversité et l'inefficacité des moyens qu'elle met en avant pour acquérir cette connaissance. La plupart conduisent à une sorte d'illuminisme et de subjectivisme (analyse des attraits, des mouvements de la grâce, des désirs). Heureusement, par réaction du bon sens chrétien, on a rarement poussé jusqu'au bout les conséquences logiques du système (2).

253. — Règles générales pour le choix d'un état de vie. 4°) En règle générale, les divers états de vie sont offerts à notre libre choix. Sans doute la prudence nous fait un devoir de ne pas embrasser un état qui serait tout à fait en dehors de nos aptitudes ; elle ne nous ordonne pas de

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(1) C'est également la doctrine plusieurs fois rappelée par saint Liguori : Theologia Moralis ; édit. GAUDÉ : T. I, N° 59, p. 29, col. 2 et N° 76, p. 52, col i.

(2) Le R. P. HURTAUD (op. cit.), malgré tout son talent, n'aboutit qu'à introduire une confusion nouvelle dans la théorie dont il s'est constitué le champion. Cette théorie dit : avant de désirer le sacerdoce, il faut savoir si Dieu le veut. Que personne n'ose concevoir de lui-même ce désir, mais qu'il attende d'y être autorisé .de Dieu (N° 124).

A son tour le R. P. nous dit : cette autorisation de Dieu, nous la connaissons à travers nos désirs délibérés ; et ce, d'après le procédé suivant : Je constate que je désire le sacerdoce, objet surnaturel. Or, je suis incapable de le désirer sans une grâce de Dieu. Donc en ce moment où je désire le sacerdoce, je suis certainement sous l'influence de Dieu qui m'y pousse. Et cette grâce dont mon désir surnaturel me révèle l'existence est le signe que Dieu veut que je me présente au sacerdoce, puisque c'est lui qui m'y pousse "a me le faisant désirer.

Ainsi, d'une part, il faut connaître l'autorisation avant de désirer ; d'autre part, on ne peut la connaître qu'après le désir et par le moyen du désir ; et non pas d'un désir unique et fugitif, mais d'une série de désirs fermes et constants. Ce n'est qu'après avoir constaté cette longue série de désirs (illégitimes) 'que l'on a enfin le droit de désirer !

 

choisir celui qui va le mieux à ces aptitudes et à nos goûts. Seul, le bien est prescrit ; le mieux n'est que facultatif, selon l'adage " Nemo tenetur ad optimum ". Dire le contraire, c'est détruire la distinction nécessaire entre les préceptes et les conseils (1).

Saint François de Sales dit fort clairement : " Le commandement témoigne une volonté fort entière et pressante de celui qui ordonne ; mais le conseil ne nous représente qu'une volonté de souhait.

Le commandement nous oblige, le conseil nous engage seulement. Le commandement rend coupables les transgresseurs ; le conseil rend seulement moins louables ceux qui ne le suivent pas. Les violateurs des commandements méritent d'être damnés ; ceux qui négligent les conseils méritent seulement d'être moins glorifiés.

Il y a différence entre commander et recommander. Quand on commande, on use d'autorité pour obliger ; quand on recommande, on use d'amitié pour induire et provoquer.

Le commandement impose nécessité ; le conseil et recommandation nous excitent à ce qui est de plus grande utilité.

Au commandement correspond l'obéissance, et la créance

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(1) Respondeo dicendum quod hœc est differentia inter consilium et prœceptum, quod prœceptum importat necessitatem, consilium autem ponitur in optione ejus cui datur ; et ideo in lege nova quœ est lex libertatis, supra prœcepta sunt addita consilia...

...Prœdicta consilia, quantum est de se, sunt omnibus expedientia, sed ex indispositione aliquorum confinait quod alicui expedientia non sunt, quia eorum affectus ad hœc non inclinatur. Et ideo Dominus consilia evangelica proponens, semper fecit mentionem de idoneitate hominum ad observantiam consiliorum, etc. ; I. II. q. cviii, a. 4 in corp. et ad. i.

Non enim homo tenetur prosequi meliora semper in operando, nisi sint talia ad quœ ex prœcepto obligetur ; aliter enim quilibet teneretur sequi perfectionis consilia quœ constat esse meliora. (De Verit. q. xxiv, a. 8, ad 4).

...Hujusmodi divinœ legis admonitiones dicuntur consilia, et non prœcepta, in quantum suadent homini ut propter meliora minus bona prœtermittat. C. Gent. lib. III, cap. cxxxi.

 

au conseil. On suit le conseil afin de plaire, et le commandement pour ne pas déplaire (1). "

5° Sans doute Dieu peut manifester par révélation et inspiration qu'il veut que tel homme choisisse tel état déterminé. Mais il faut ajouter que ces cas sont rares, sujets à caution (Nos 76, 79), et que, d'ordinaire, Dieu laisse le choix d'un état de vie à la libre initiative de chacun, sous le dictamen de la prudence naturelle et surnaturelle.

6° En bien des cas, l'estimation de l'état de vie qui serait le plus conforme à nos aptitudes est pratiquement impossible ; car de la plupart de ces aptitudes — intelligence vive, caractère ferme, piété tendre, désir de la gloire de Dieu, ardeur apostolique — on peut dire que " se habent indifferenter ad multa ". Avec tout cela, on peut devenir bon prêtre, religieux fervent, laïque à l'âme apostolique, comme il en faudrait tant dans le monde. De là viennent, sans doute, les décisions si diverses, et parfois contradictoires, des confesseurs et directeurs qui sont consultés sur la vocation par leurs pénitents.

Dans le choix d'un état de vie, il faut se décider après de sérieuses délibérations, et puis se tenir fermement à son choix, sans le remettre en question, dans la persuasion que Dieu nous aidera à nous tirer d'affaire. C'est le conseil de saint François de Sales ; conseil bien imprudent, soit dit en passant, si nous étions prédestinés à un état de vie, à l'exclusion de tout autre. Dans cette hypothèse, en effet, nous devrions toujours redouter de nous être trompés et nous mettre en mesure de rentrer dans notre vraie voie, là où sont préparées pour nous des grâces spéciales de salut.

" Le grand saint Thomas est d'opinion qu'il n'est pas expédient de beaucoup consulter et longtemps délibérer sur l'inclination que l'on a d'entrer dans une bonne et bien formée religion ; et il a raison : car la religion étant conseillée par Nôtre-Seigneur en l'Evangile, qu'est-il besoin de beaucoup de consultations ? Il suffit d'en faire une bonne, avec quelque peu de personnes, qui soient bien prudentes et capables de telle affaire, et qui nous puissent aider à prendre une courte et solide résolution.

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(1) Traité de l'Amour de Dieu, livre VIII, chap. vi.

 

Mais, dès que nous avons délibéré et résolu, et en ce sujet et en tout autre qui regarde le service de Dieu, il faut être .fermes et invariables, sans se laisser nullement ébranler par aucune sorte d'apparence de plus grand bien ; car bien souvent, dit le glorieux saint Bernard, le malin esprit nous donne le change ; et, pour nous détourner d'achever un bien, il nous en propose un autre qui semble meilleur, lequel, après que nous avons commencé, pour nous divertir de le parfaire, il en présente un troisième, se contentant que nous fassions plusieurs commencements, pourvu que nous ne fassions pas de fin (1). "

254. — Cornelius a Lapide, saint Ambroise, saint Thomas. 7°) Cette théorie de vraie et légitime liberté dans le choix d'un état de vie, Cornelius a Lapide la résume dans ce mot de saint Ambroise : " Choisissez l'état de vie que vous voudrez, et Dieu vous donnera les grâces propres et convenables à cet état pour que vous y viviez honnêtement et saintement. " Elige statum quem vis et Deus dabit tibi gratiam competentem et propriam, ut in illo decenter et sancte vivas. (N° 95).

C'est encore la pensée très nette de saint Thomas qui, en cette question du choix d'un état de vie, comme en toute autre matière de conduite pratique, nous renvoie sans cesse aux règles de la prudence. Voici par exemple le cas pratique qu'il tranche à propos d'un jeune homme qui désire entrer en religion alors que ses parents ne peuvent se passer

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(1) Saint François de Sales, Traité de l'Amour de Dieu, liv. VIII, chap. xi.

 

de lui : " Si habet parentes qui sine ipso sustentari non possunt, non debet, eis relictis, religionem intrare ; quia transgrederetur præceptum de honoratione parentum : quamvis quidam dicant, quod etiam in hoc casu licite posset eos deserere, eorum curam Deo committens. Sed si quis recte consideret, hoc esset tentare Deum ; cum habens ex humano consilio quid ageret, periculo parentes exponeret sub spe divini auxilii. Si vero sine eo parentes vitam transigere passent, licitum esset ei, desertis parentibus, religionem intrare; quia filii non tenentur ad sustentationem parentum nisi causa necessitatis. II. II q. 101, a. 4, ad. 4

On voit avec quelle largeur saint Thomas traite les questions de vocation. D'après lui, la Providence de Dieu n'impose à personne — en règle générale — un état de vie déterminé ; mais elle dispose si bien les tempéraments et les inclinations des hommes que, par suite des libres choix faits sous cette double influence qui aboutit, dans la plupart des cas, à son effet, il se trouve que chaque carrière humaine voit arriver à elle un nombre convenable de libres candidats (1). " Natura humana communiter ad diversa officia

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(1) Ceux qui soutiennent que nous sommes obligés de choisir déterminément l'état de vie arrêté pour chacun de nous dans les décrets éternels, n'ont peut-être pas pris garde que Dieu ne s'est pas contenté de nous fixer d'une manière générale, in confuso, l'état religieux, ou le sacerdoce, ou la condition laïque. Toutes choses sont prévues et préordonnées " ab œterno " jusqu'à leurs détails les plus minimes : " Necesse est dicere omnia divinœ providentiœ subjacere, non in universali tantum; sed etiam in singulari... necesse est omnia quœ habent quocumque modo esse, ordinata esse a Deo in finem. " (Saint Thomas : la q. xxii, art. 2).

Incontestablement Dieu a préyu et préordonné que tel serait religieux, prêtre, ou laïque. Mais il s'en faut que ce soit assez dire. Pour celui qui sera religieux, Dieu a prévu et préordonné, en pins, qu'il doit l'être dans tel Ordre et non dans tel autre, dans tel couvent, dans telle cellule, avec tel office précis, à tel âge, etc., etc.

Pour celui qui doit rester simple laïque, il a prévu et préordonné en outre, le mariage ou le célibat, et telle profession particulière, choisie de Dieu parmi les carrières innombrables qui s'offrent à l'activité des simples fidèles, etc., etc.

Par conséquent, si l'on veut être logique, après qu'on nous a retiré, au nom de la soumission due aux décrets éternels, la faculté de choisir entre la condition laïque, la vie religieuse et le sacerdoce, on doit pareillement et au même titre nous la refuser pour tout le reste, puisque tout le reste est également arrêté dans la volonté éternelle de Dieu.

Le quiétisme complet, est l'aboutissement inéluctable de pareils principes. Ne choisissons jamais ; gardons-nous d'agir de notre propre initiative : nous risquerions à chaque fois de heurter les décrets providentiels. En tout et pour tout, attendons de nous sentir poussés : ces impulsions spontanées sont autant d'indications et intimations des vouloirs divins, que nous devons aveuglément accomplir.

Illuminisme ! nous a déjà dit Bossuet (N° 53, 55, 79). Ajoutons : subjectivisme, immanentisme, modernisme. Pour qui sait voir, ces erreurs se donnent la main et fraternisent sous les principes identiques qui les ont engendrées.

 

et actus inclinat. Sed quia est diversimode in diversis, secundum quod individuatur in hoc vel in illo, unum magis inclinat ad unum illorum officiorum et aliud magis ad aliud ex diversitate complexionum diversorum individuorum. Et ex hac diversitate, simul cum divina Providentia quæ omnia moderatur, contingit quod unus eligat unum officium, ut agriculturam, alius aliud. Et sic etiam contingit quod aliqui eligant matrimonialem vitam, et quidam contemplativam. Unde nullum periculum imminet (ne cesset propagatio generis humani) ". Suppl. q. 41, a. 2, ad. 4.

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255. — Complément important : Théorie des états réserves. A cette thèse du libre choix des états de vie, il est nécessaire d'apporter un complément important.

Si tous sont proposés à notre élection, ils ne sont pas tous également ouverts. Il nous est loisible de les désirer (1);

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(1) Cependant plus un état est élevé et réclame des qualités plus nobles, plus le désir spontané de l'aspirant risque d'être présomptueux. C'est pourquoi, ainsi que nous l'avons vu, l'antiquité chrétienne est si sévère pour le désir du sacerdoce. Même pour le désirer, il est plus conforme à l'humilité chrétienne d'attendre d'y être invité par les chefs de l'Eglise " sed ut vocetur exspectet ". Il s'agit surtout du sacerdoce à charge d'âmes. A ce sujet saint Thomas a dit : " Si quis pro se rogat ut obtineat curam animarum, ex ipsa præsumptione redditur indignus ", IIa IIae q. 100, art. V, ad. 3.

 

nous pouvons essayer de nous y disposer.; mais, si la plupart d'entre eux sont, pour ainsi dire, de plain-pied, de telle sorte qu'il ne soit nécessaire d'accomplir aucune formalité spéciale pour y entrer, il en est d'autres, au contraire, qui sont fermés par une barrière, ce sont les états réservés.

Ici, il peut être permis de désirer, de s'orienter, de se disposer en vue de la carrière ; mais, quand le moment est venu d'y entrer, il est nécessaire de subir des épreuves préalables et d'attendre qu'on soit formellement admis, agréé, appelé, par les chefs hiérarchiques, préposés à la garde de ces états spéciaux.

Nous en avons des exemples dans l'ordre purement naturel. Ainsi, la carrière militaire, tous peuvent la désirer, tous peuvent s'y disposer, se préparer en vue d'y être admis ; mais nul n'entre de fait dans l'armée et n'avance aux grades, qu'il n'ait préalablement subi les examens imposés par les chefs de l'armée, et n'ait reçu sa nomination officielle, son appel, de la part de ces mêmes chefs, qui refusent ou ad- , mettent les candidats, selon le nombre et le mérite des aspirants, d'une part, et, d'autre part, selon les nécessités de la défense nationale.

Autrefois, bon nombre de carrières profanes étaient monopolisées de cette manière entre les mains des chefs de corporation, qui imposaient aux candidats des épreuves plus ou moins compliquées avant l'initiation officielle.

L'état religieux est libre ; tout chrétien y est appelé par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Aussi tout chrétien peut-il faire, d'une manière privée, les trois vœux de religion. Mais l'état religieux s'est cristallisé en plusieurs Ordres et Congrégations d'origine ecclésiastique.

Quelqu'un veut-il entrer dans l'une ou l'autre de ces formes de vie religieuse, il se voit dans la nécessité de subir des épreuves, des examens des probations particulières. Jamais il ne pourra exiger son admission comme un droit. Il devra attendre le choix et l'appel des Supérieurs légitimes, qui n'enrôleront des sujets que selon les besoins de l'Ordre, se montrant tantôt plus faciles, tantôt plus exigeants, selon le nombre et la valeur des candidats.

Cet appel des Supérieurs légitimes est fait d'autorité ecclésiastique.

Enfin, par-dessus les carrières réservées de droit civil ou de droit ecclésiastique, il en est une, une seule, réservée de droit divin: c'est le Sacerdoce.

Dieu lui-même a porté cette loi que nul n'y peut entrer sans être préalablement appelé " Nec qiusquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo ".

Pour cette carrière donc, pour celle-là surtout, si l'on est libre de se présenter, on n'est pas libre d'entrer. Dieu lui-même a dressé, sur le seuil, une barrière, et, pour la garde de cette barrière, pour la lever ou la tenir baissée, il a placé des hommes qui le représentent, avec une juridiction surnaturelle directement reçue de lui.

Ils exercent donc en son nom, et par délégation reçue de Lui, la fonction d'examiner les dispositions des sujets, de fixer les conditions d'admission selon le nombre et la valeur des candidats d'un côté, et, d'un autre côté, selon les besoins de la Sainte Eglise.

Ces représentants officiels de Dieu pour introduire dans le sacerdoce ceux qu'ils en jugent dignes, pour les appeler à l'honneur et pour leur conférer enfin les pouvoirs sacrés, ce sont ceux-là même en qui réside la plénitude du sacerdoce : les évêques catholiques.

Vocari a Deo dicuntur qui legitimis Ecclesiæ ministris vocantur;

256. — Résumé de la doctrine sur le choix d'un état de vie. En résumé, les états de vie ont ceci de commun qu'ils sont tous proposés au libre choix des hommes, qui peuvent se porter vers tel ou tel selon leurs préférences légitimes, sûrs d'être toujours dans un état voulu de Dieu et d'y trouver les grâces nécessaires et abondantes pour se sauver.

Mais parmi ces états de vie, certains sont de plain-pied ; l'on peut non seulement s'y présenter, mais encore y entrer sans aucune formalité juridique. D'autres sont fermés par une barrière et monopolisés entre les mains d'une autorité préposée aux appels d'admission :

CE SONT LES ETATS RESERVES

Les uns réservés d'autorité purement civile et administrés par des Supérieurs qui reçoivent mission des chefs de l'Etat civil : armée, magistrature, etc., en général, les états qui ont plus spécialement pour objet le bien commun, plus que le bien de l'individu.

Les autres, réservés d'autorité ecclésiastique : ce sont les divers Ordres Religieux. Là, les Supérieurs qui appellent tiennent leurs fonctions de l'Eglise et médiatement de Dieu.

Un état, enfin, est réservé d'autorité divine: là, les Supérieurs reçoivent directement de Dieu mission d'appeler et d'admettre en son nom les candidats qu'ils jugent dignes. C'est le sacerdoce.