CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Comme le titre même l'indique, cet ouvrage est la réfutation des erreurs et des extravagances enseignées par Fauste. Saint Augustin suit son adversaire pas à pas et ne laisse aucune de ses assertions menteuses sans la réfuter.

Les onze premiers livres sont traduits par M. l'abbé HUSSENOT.

Les vingt-deux derniers livres ont été traduits par M. l’abbé DEVOILLE

 

 

 

 

CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN. *

LIVRE DIX-SEPTIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE NIE L'AUTHENTICITÉ DE CE TEXTE DE SAINT MATTHIEU : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI ET LES PROPHÈTES, MAIS LES ACCOMPLIR ". *

CHAPITRE II. JÉSUS A DÉTRUIT LA LOI. NI LA LOI NI LES PROPHÈTES N'AVAIENT BESOIN D'ACCOMPLISSEMENT. *

CHAPITRE III. RÉPONSE D'AUGUSTIN. POURQUOI LE TÉMOIGNAGE DE SAINT MATTHIEU DOIT ÊTRE ACCEPTÉ. *

CHAPITRE IV. LES HISTORIENS PARLENT D'EUX-MÊMES À LA TROISIÈME PERSONNE. LE CHRIST AUSSI L'A FAIT. *

CHAPITRE V. DANS QUEL SENS LE CHRIST A PU DIRE : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. " *

CHAPITRE VI. COMMENT LA LOI ET LES PROPHÈTES PEUVENT S'ACCOMPLIR. *

LIVRE DIX-HUITIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS. *

CHAPITRE PREMIER. ON NE PEUT ÊTRE CHRÉTIEN, DIT FAUSTE, SANS SUPPOSER LA LOI ABOLIE. *

CHAPITRE II. SI LA LOI N'EST PAS ABOLIE, IL FAUT DONC OBSERVER TOUTES SES PRESCRIPTIONS? *

CHAPITRE III. NÉCESSITÉ DE TRIER DANS L'ÉVANGILE POUR NE PAS SE TROUVER DANS L'EMBARRAS. *

CHAPITRE IV. C'EST EN DISPARAISSANT QUE LA LOI ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ ACCOMPLIS. *

CHAPITRE V. SUR LE SABBAT. DÉNOMINATION PAÏENNE DES JOURS ET DES MOIS. *

CHAPITRE VI. LES SACRIFICES D'ANIMAUX ÉTAIENT DES FIGURES DU CHRIST. *

CHAPITRE VII. USAGE QUE LES VRAIS CHRÉTIENS FONT DE LA RAISON. *

LIVRE DIX-NEUVIÈME. LA LOI PERFECTIONNÉE. *

CHAPITRE PREMIER. QUEL SENS LE CHRIST A-T-IL ATTACHÉ A CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. " *

CHAPITRE II. TROIS ESPÈCES DE LOIS, SELON FRUSTE. *

CHAPITRE III. CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU, ETC.", S'APPLIQUENT A LA LOI ET AUX PROPHÈTES DE LA VÉRITÉ. *

CHAPITRE IV. CERTAINS JUIFS POURRAIENT SEULS TENIR LE LANGAGE QUE TIENT AUGUSTIN. *

CHAPITRE V. GRACE A LA DOCTRINE DE MANÈS, FAUSTE NE S'EST PAS FAIT JUIF. *

CHAPITRE VI. SI LE CHRIST N'EST PAS VENU ABOLIR LA LOI, POURQUOI LES CATHOLIQUES L'ABOLISSENT-ILS EN PRATIQUE ? *

CHAPITRE VII. C'EST LA LOI MOSAÏQUE QUE LE CHRIST EST VENU, NON ABOLIR, MAIS ACCOMPLIR. *

CHAPITRE VIII. LES RITES PROPHÉTIQUES CESSENT D'ÊTRE OBSERVÉS, PARCE QUE LEUR BUT EST REMPLI. *

CHAPITRE IX. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA CIRCONCISION NI LE SABBAT. *

CHAPITRE X. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA DISTINCTION ENTRE LES ALIMENTS, LES SACRIFICES D'ANIMAUX, LA PAQUE, ETC.... *

CHAPITRE XI. L'AVÈNEMENT DU CHRIST A MIS FIN A TOUS LES RITES QUI L'ANNONÇAIENT. *

CHAPITRE XII. LES IMPIES PARTICIPENT AUX SACREMENTS, MAIS N'ONT POINT LA CHARITÉ. *

CHAPITRE XIII. SACREMENTS DE LA LOI NOUVELLE SUBSTITUÉS A CEUX DE L'ANCIENNE. *

CHAPITRE XIV. SI LES ANCIENS JUSTES ONT SOUFFERT POUR LEUR LOI, A PLUS FORTE RAISON DOIT-ON SOUFFRIR POUR LA NOUVELLE. LA PROMESSE DE LA VIE ÉTERNELLE DÉJÀ RÉALISÉE DANS LE CHRIST. *

CHAPITRE XV. QUESTIONS DIVERSES. CE N'EST POINT LE MOMENT DE LES TRAITER. *

CHAPITRE XVI. IL A FALLU DES RITES DIFFÉRENTS, UN AUTRE LANGAGE FOUR *

PROPHÉTISER CE QUI DEVAIT ARRIVER, ET INDIQUER CE QUI EST ACCOMPLI. *

CHAPITRE XVII. A QUI, PARMI LES PREMIERS CHRÉTIENS, LE JUDAÏSME ÉTAIT ENCORE PERMIS, A QUI IL ÉTAIT DÉFENDU. *

CHAPITRE XVIII. CE QUE LES CHRÉTIENS ONT GARDÉ DE LA LOI ANCIENNE. *

CHAPITRE XIX. ERREUR DE FAUSTE SUR CE POINT. *

CHAPITRE XX. CE N'EST POINT LA LOI DES ANCIENS JUSTES, QUE LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIR. *

CHAPITRE XXI. LA LOI QUI DÉFEND L'ADULTÈRE ÉTAIT DÉJÀ COMPLÈTE CHEZ LES ANCIENS JUSTES. *

CHAPITRE XXII. ET AUSSI CELLE QUI DÉFEND DE JURER. LE NOM DE MANÈS TRANSFORMÉ PAR LES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXIII. LA LOI QUI DÉFEND LE PARJURE N'A POINT ÉTÉ ABOLIE. *

CHAPITRE XXIV. COMMENT ON PEUT TOUT A LA FOIS HAÏR ET AIMER SON ENNEMI. SYSTEME EXTRAVAGANT DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXV. LA LOI DU TALION EN FACE DE LA DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE. *

CHAPITRE XXVI. LE DIVORCE. L'ACTE DE RÉPUDIATION. *

CHAPITRE XXVII. QUEL EST LE VÉRITABLE SENS DE CES PAROLES: " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI, MAIS L'ACCOMPLIR ". *

CHAPITRE XXVIII. L'ANCIEN TESTAMENT CONTENAIT DÉJA LES PERFECTIONNEMENTS INTRODUITS PAR LE CHRIST. *

CHAPITRE XXIX. LA LOI PRIMITIVE DU MARIAGE. BÉVUE DE MANÈS. POURQUOI MOÏSE PERMETTAIT LE DIVORCE. *

CHAPITRE XXX. POURQUOI LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIRLA LOI. LES ANCIENS JUSTES EN VOYAIENT LE BUT. *

CHAPITRE XXXI. LE MOT DE " ROYAUME DES CIEUX " NE SE TROUVE PAS DANS L'ANCIEN TESTAMENT, OU NÉANMOINS LA FOI A LA VIE ÉTERNELLE EST EXPRIMÉE. *

LIVRE VINGTIÈME. LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. *

CHAPITRE. PREMIER. FAUSTE SE PROPOSE DE RÉPONDRE AU REPROCHE D'ADORER LE SOLEIL ET D'ÊTRE PAÏEN. *

CHAPITRE II. FAUSTE FAIT SA PROFESSION DE FOI. *

CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE SA DOCTRINE ET CELLE DES PAÏENS. *

CHAPITRE IV. CE N'EST POINT LE MANICHÉISME, MAIS LE CATHOLICISME ET LE JUDAÏSME, QUI SONT DES SCHISMES DE LA GENTILITÉ. *

CHAPITRE V. RÉPONSE D'AUGUSTIN. LE MANICHÉISME EST AU-DESSOUS MÊME DU PAGANISME. *

CHAPITRE VI. OBSCÈNES RÊVERIES DES MANICHÉENS SUR LE SOLEIL. *

CHAPITRE VII. LA LUMIÈRE MATÉRIELLE. LA LUMIÈRE DE LA RAISON. LA LUMIÈRE DIVINE. *

CHAPITRE VIII. RIDICULES CONTRADICTIONS DE LA DOCTRINE MANICHÉENNE SUR LE FILS DE DIEU. *

CHAPITRE IX. CE QUE LES PAÏENS ADORENT, EXISTE : CE QUE LES MANICHÉENS ADORENT, EST PUR NÉANT. *

CHAPITRE X. DIFFÉRENCES ENTRE LES DIVERSES RELIGIONS, SUIVANT LE POINT DE VUE OU L'ON SE PLACE. *

CHAPITRE XI. QUESTIONS AUX MANICHÉENS SUR JÉSUS PASSIBLE. ABSURDITÉS DE LEUR DOCTRINE. *

CHAPITRE XII. POURQUOI, D'APRÈS LES MANICHÉENS, LE CHRIST N'EST-IL PAS MULTIPLE ? POURQUOI N'EST-IL PAS TOUT ? *

CHAPITRE XIII. LE PAIN ET LE VIN. COMBIEN LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS PENSENT DIFFÉREMMENT LA-DESSUS. *

CHAPITRE XIV. ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA MATIÈRE. *

CHAPITRE XV. COMMENT UN MANICHÉEN S'IMAGINE ÊTRE LE TEMPLE DE DIEU. *

CHAPITRE XVI. LE SACRIFICE INTÉRIEUR SELON LA DOCTRINE DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XVII. CE QUE C'EST QUE LA PRIÈRE CHEZ LE MANICHÉEN. *

CHAPITRE XVIII. DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES. SACRIFICE DU CHRIST. SACRIFICE DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XIX. LES PAÏENS ONT EU L'IDÉE D'UN POUVOIR DIVIN UNIQUE, LES MANICHÉENS NE L'ONT PAS. *

CHAPITRE XX. CE NE SONT PAS LES AGAPES CHRÉTIENNES, MAIS LES SACRIFICES DES MANICHÉENS, QUI RESSEMBLENT A CEUX DES PAÏENS. *

CHAPITRE XXI. CULTE DES MARTYRS DIFFÉRENT DU CULTE DE LATRIE QUI N'EST DU QU'A DIEU. LE SACRIFICE EUCHARISTIQUE, MÉMORIAL DE CELUI DE LA CROIX. *

CHAPITRE XXII. LES SACRIFICES DES JUIFS DIFFÉRENTS DE CEUX DES PAÏENS. LES DÉMONS SE REPAISSENT DES ERREURS HUMAINES. *

CHAPITRE XXIII. DANS L'USAGE DES CHOSES ORDINAIRES DE LA VIE, LES MANICHÉENS DIFFÉRENT BEAUCOUP DES CATHOLIQUES ET SONT AU-DESSOUS MÉME DES PAÏENS. *

LIVRE VINGT-UNIÈME. CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE VEUT PROUVER QU'IL N'ADMET PAS DEUX DIEUX. *

CHAPITRE II. COMMENT DIEU PEUT AVEUGLER LES ESPRITS. *

CHAPITRE III. DIEU CONDAMNE ET JUSTIFIE PAR DES VOIES IMPÉNÉTRABLES. *

CHAPITRE IV. QUOI QU'IL EN DISE, FAUSTE ADMET DEUX DIEUX. *

CHAPITRE V. DIEU ADMIRABLE DANS SES OEUVRES GRANDES ET PETITES. TOUT ANIMAL AIME SA PROPRE CHAIR, ILLUSION DES MANICHÉENS SUR CE POINT. *

CHAPITRE VI. L'OUVRIER SUPRÊME DÉMONTRÉ PAR SES OEUVRES. *

CHAPITRE VII. LA LOI DE LA CONSERVATION EST UNIVERSELLE. *

CHAPITRE VIII. SUBLIME HARMONIE DU CORPS HUMAIN, D'APRÉS SAINT PAUL. *

CHAPITRE IX. C'EST DIEU, ET NON LE DÉMON, QUI EST L'AUTEUR DU CORPS HUMAIN. *

CHAPITRE X. RÉFUTATION IRONIQUE DE L'OPINION MANICHÉENNE SUR LES ANIMAUX. *

CHAPITRE XI. LE BLANC ET LE NOIR, LE CHAUD ET LE FROID. CONTRADICTIONS MANICHÉENNES. *

CHAPITRE XII. AUTRES CONTRADICTIONS DU MANICHÉISME. FABLES ABSURDES. *

CHAPITRE XIII. SUR LES ALIMENTS, LE POISON, L'ANTIDOTE; BÉVUES DE FAUSTE A CE SUJET. *

CHAPITRE XIV. RAISONNEMENTS SUR LA DOCTRINE DES DEUX PRINCIPES. *

CHAPITRE XV. DÉFAUT DE PRESCIENCE ET DE SÉCURITÉ DANS LE DIEU DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XVI. LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS SONT OU DEUX BIENS OU DEUX MAUX. DÉMONSTRATION PAR L'ABSURDE. *

LIVRE VINGT-DEUXIÈME. LE DIEU DE L’ÉCRITURE. *

CHAPITRE PREMIER. SELON FAUSTE, OU LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ CRIMINELS OÙ LES ÉCRIVAINS SACRÉS SONT DES FAUSSAIRES. *

CHAPITRE II. FAUSTE DISTINGUE, DANS LA LOI, LES PRÉCEPTES MORAUX ET LES RITES QU'ON Y A ATTACHÉS. *

CHAPITRE III. LES ÉCRIVAINS DE L'ANCIEN TESTAMENT ONT SOUILLÉ LA MÉMOIRE DES PATRIARCHES ET DES PROPHÈTES. *

CHAPITRE IV. DIEU, TEL QUE CES ÉCRIVAINS L'ONT DÉPEINT, SELON FAUSTE. *

CHAPITRE V. CRIMES ATTRIBUÉS A ABRAHAM, A ISAAC, A JACOB, A JUDA, A DAVID, A SALOMON, A OSÉE, A MOÏSE, PAR LES ÉCRIVAINS SACRÉS. *

CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS NE COMPRENNENT PAS QU'UNE PARTIE DE LA LOI DEVAIT SUBSISTER ET L'AUTRE DISPARAÎTRE. *

CHAPITRE VII. LEUR ININTELLIGENCE COMPARÉE A CELLE DU SOURD ET DE L'AVEUGLE. *

CHAPITRE VIII. LUMIÈRE INCRÉÉE, LUMIÈRE CRÉÉE. *

CHAPITRE IX. DIEU EST LUMIÈRE ET SOURCE DE TOUTE LUMIÈRE. *

CHAPITRE X. QUELLE EST LA LUMIÈRE QUE DIEU A CRÉÉE? QUESTION CONTROVERSÉE. *

CHAPITRE XI. DIEU N'A JAMAIS ÉTÉ DANS LES TÉNÈBRES. *

CHAPITRE XII. COMMENT DIEU A TROUVÉ SES OEUVRES BONNES, CE QUE NE PEUT FAIRE LE DIEU DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XIII. DIEU A APPROUVÉ SON OEUVRE ET NE L'A POINT ADMIRÉE. JÉSUS-CHRIST A ÉPROUVÉ DE L'ADMIRATION. *

CHAPITRE XIV. UN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOUVEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS QUE FAUSTE FAIT CONTRE L'ANCIEN. *

CHAPITRE XV. LES MANICHÉENS NIERONT-ILS LES TEXTES CITÉS? *

CHAPITRE XVI. UN PAÏEN NE FERAIT PAS LES OBJECTIONS QUE FAIT FAUSTE. *

CHAPITRE XVII. COMMENT ON RAISONNERAIT AVEC LUI SUR LA QUESTION DU SACRIFICE. *

CHAPITRE XVIII. CONTINUATION DU SUJET. LA CATACHRÈSE, USITÉE DANS TOUTES LES LANGUES. *

CHAPITRE XIX. CE QU'ON RÉPONDRAIT AU PAÏEN SUR LE REPROCHE DE CRUAUTÉ FAIT À DIEU. *

CHAPITRE XX. COMMENT DIEU N'ÉPARGNE NI LE JUSTE NI LE PÉCHEUR. *

CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DES RÉPONSES PRÉCÉDENTES : APOSTROPHE AUX MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXII. LE DIEU DES CATHOLIQUES, QUOIQUE DÉFORMÉ PAR LES MANICHÉENS, VAUDRAIT MIEUX QUE LE LEUR. DÉMONSTRATION D'APRÈS LA DOCTRINE MÉME DES SECTAIRES. *

CHAPITRE XXIII. LE SAINT JUSTIFIERA LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES. *

CHAPITRE XXIV. INDIVIDUS ET NATION, TOUT A ÉTÉ PROPHÉTIE CHEZ LES JUIFS. *

CHAPITRE XXV. MÉPRISE PUÉRILE DE CEUX QUI JUGENT LES PATRIARCHES. *

CHAPITRE XXVI. QUESTION PRÉLIMINAIRE : CE QUE C'EST QUE LE PÉCHÉ. *

CHAPITRE XXVII. DÉFINITION DU PÉCHÉ. LA CONTEMPLATION ET L'ACTION. LA VIE DE FOI ET LA CLAIRE VUE. *

CHAPITRE XXVIII. CE QUI EST ILLICITE. L'HOMME. L'ANGE. DEVOIR DE L'HOMME. *

CHAPITRE XXIX. L'HOMME DOIT MODÉRER SES JOUISSANCES. PUNITION DE L'ABUS. *

CHAPITRE XXX. ABRAHAM ET MANÈS JUGÉS D'APRÈS LA LOI ÉTERNELLE. *

CHAPITRE XXXI. JUSTIFICATION DE SARA, ÉPOUSE D'ABRAHAM. *

CHAPITRE XXXII. ÉTOURDERIE OU IMPUDENCE DE FAUSTE. *

CHAPITRE XXXIII. ABRAHAM N'A POINT TRAFIQUÉ DE SA FEMME. *

CHAPITRE XXXIV. ABRAHAM A TU LA VÉRITÉ ET N'A POINT MENTI. *

CHAPITRE XXXV. USAGE DU NOM DE FRÈRE ET DE SOEUR DANS L'ANTIQUITÉ. *

CHAPITRE XXXVI. ABRAHAM NE VOULUT POINT TENTER DIEU. *

CHAPITRE XXXVII. DOUTE A L'OCCASION DE SARA. *

CHAPITRE XXXVIII. CÔTÉ PROPHÉTIQUE DU FAIT DE SARA. *

CHAPITRE XXXIX. GÉNÉRATION SPIRITUELLE DE L'ÉGLISE. *

CHAPITRE XL. LA PARENTÉ SPIRITUELLE DES CHRÉTIENS. *

CHAPITRE XLI. CE QUE FIGURAIENT LOTH ET SA FEMME. *

CHAPITRE XLII. L'INCESTE DE LOTH. *

CHAPITRE XLIII. L'INTENTION DE SES FILLES. *

CHAPITRE XLIV. L'IVRESSE DE LOTH. *

CHAPITRE XLV. L'ÉCRITURE RACONTE SOUVENT SANS APPROUVER. *

CHAPITRE XLVI. COMMENT ISAAC EST RECONNU POUR ÉPOUX DE RÉBECCA. SIGNIFICATION MYSTIQUE. *

CHAPITRE XLVII. JACOB JUSTIFIÉ D'AVOIR EU QUATRE FEMMES. *

CHAPITRE XLVIII. PURETÉ D'INTENTION CHEZ LES PATRIARCHES COMME CHEZ LES APÔTRES. *

CHAPITRE XLIX. FAUSTE CALOMNIE JACOB, LIA ET RACHEL. *

CHAPITRE L. CONTINENCE DE JACOB. *

CHAPITRE LI. CÔTÉ MYSTÉRIEUX A SAISIR. *

CHAPITRE LII. CE QUE REPRÉSENTENT MYSTIQUEMENT LIA ET RACHEL. *

CHAPITRE LIII. ELLES SONT L'IMAGE DE LA VIE PRÉSENTE ET DE LA VIE FUTURE. *

CHAPITRE LIV. IMAGES AUSSI DE LA VIE ACTIVE ET DE LA VIE CONTEMPLATIVE. BALA. *

CHAPITRE LV. CE QUE REPRÉSENTE ZELPHA DANS LE SENS MYSTIQUE. *

CHAPITRE LVI. CE QUE SIGNIFIE LA MANDRAGORE. *

CHAPITRE LVII. SUR LES CONTEMPLATIFS PROPRES A LA VIE ACTIVE. *

CHAPITRE LVIII. COMMENT ILS FONT ESTIMER LE GENRE DE VIE QU'ILS AVAIENT D'ABORD CHOISI. *

CHAPITRE LIX. CONCLUSION SUR LES TROIS PATRIARCHES. *

CHAPITRE LX. IL Y A À LOUER ET À BLAMER DANS LOTH. JUDA N'EST LOUÉ NULLE PART. *

CHAPITRE LXI. L'INCESTE DE JUDA ET DE THAMAR. *

CHAPITRE LXII. SOUVENT L'ÉCRITURE RACONTE SANS EXPRIMER DE JUGEMENT. *

CHAPITRE LXIII. LA BÉNÉDICTION DE JUDA. *

CHAPITRE LXIV. POURQUOI LE CHRIST A VOULU NAÎTRE DE PARENTS BONS ET DE PARENTS MAUVAIS. *

CHAPITRE LXV. IL Y A À BLAMER CHEZ LES BONS, IL Y A À LOUER CHEZ LES MÉCHANTS. *

CHAPITRE LXVI. ÉLOGE DE DAVID. *

CHAPITRE LXVII. DAVID PUNI DANS LE TEMPS POUR ÊTRE SAUVÉ DANS L'ÉTERNITÉ. FAUX REPENTIR DE SAÜL. IL FAUT ACCEPTER LE JUGEMENT DE DIEU SUR DAVID. *

CHAPITRE LXVIII. TOUT DÉPEND DE LA DISPOSITION INTÉRIEURE. *

CHAPITRE LXIX. ÉLOGE DE MOÏSE D'APRÉS DIEU MÊME. *

CHAPITRE LXX. CERTAINS DÉFAUTS SONT DES INDICES DE VERTU. ZÈLE DE MOÏSE, DE SAUL, DE PIERRE. *

CHAPITRE LXXI. L'ORDRE OU LA PERMISSION DE DÉPOUILLER LES ÉGYPTIENS A ÉTÉ JUSTE. *

CHAPITRE LXXII. DIEU A EU SES RAISONS DE L'ACCORDER. *

CHAPITRE LXXIII. LE SACRIFICE D'ABRAHAM JUSTIFIÉ PAR LA VOLONTÉ DE DIEU. *

CHAPITRE LXXIV. LA GUERRE PEUT ÊTRE JUSTE. *

CHAPITRE LXXV. C'EST AU ROI À LA COMMANDER ET AU SOLDAT À OBÉIR. CELLES QUE DIEU ORDONNE SONT TOUJOURS JUSTES. *

CHAPITRE LXXVI. IL FAUT SUPPORTER LA GUERRE EN VUE DE LA VIE ÉTERNELLE. LES MARTYRS. LES PRINCES CHRÉTIENS. *

CHAPITRE LXXVII. DIEU A DES RAISONS MYSTÉRIEUSES POUR COMMANDER LA GUERRE OU LA PAIX. *

CHAPITRE LXXVIII. RIEN NE CHANGE POUR DIEU. INIQUITÉ DANS L'HOMME. ACTION MYSTÉRIEUSE DE LA PROVIDENCE. *

CHAPITRE LXXIX. MOÏSE JUSTIFIÉ D'AVOIR PUNI LES ADORATEURS DU VEAU D'OR. ANECDOTE RELATIVE A L'APÔTRE SAINT THOMAS. *

CHAPITRE LXXX. SUR OSÉE ÉPOUSANT, PAR L'ORDRE DE DIEU, UNE FEMME DE MAUVAISE VIE. *

CHAPITRE LXXXI. SALOMON JUGÉ PAR LES ÉCRITURES. *

CHAPITRE LXXXII. SENS MYSTIQUE DE LA VIE DES PATRIARCHES. ABRAHAM. ISAAC. JACOB. LOTH. *

CHAPITRE LXXXIII. UNE ACTION MAUVAISE PEUT PROPHÉTISER LE BIEN. *

CHAPITRE LXXXIV. THAMAR; LES TROIS FILS DE JUDA, HER, ONAN, SELOM.INTERPRÉTATION DE CES NOMS PROPHÉTIQUES. *

CHAPITRE LXXXV. APPLICATION PROPHÉTIQUE. PROPHÉTIE DE JACOB RÉALISÉE DANS LE CHRIST. *

CHAPITRE LXXXVI. THAMAR, FIGURE DE L'ÉGLISE. *

CHAPITRE LXXXVII. SENS PROPHÉTIQUE DU PÉCHÉ DE DAVID. *

CHAPITRE LXXXVIII. CONJECTURE SUR LE SENS DE LA CHUTE DE SALOMON. *

CHAPITRE LXXXIX. EXPLICATION SUR OSÉE. TEXTE DE SAINT PAUL. *

CHAPITRE XC. SENS SYMBOLIQUE DU MEURTRE DE L'ÉGYPTIEN PAR MOÏSE. *

CHAPITRE XCI. CE QUE SIGNIFIENT LES DÉPOUILLES DES ÉGYPTIENS. *

CHAPITRE XCII. QUEL ENSEIGNEMENT RENFERME LE MASSACRE DES FABRICATEURS DU VEAU D'OR. *

CHAPITRE XCIII. SENS MYSTIQUE DE LA DESTRUCTION DE CETTE IDOLE. *

CHAPITRE XCIV. TOUT, DANS LES ÉCRITURES, TEND AU CHRIST ET À L'ÉGLISE. *

CHAPITRE XCV. LES ÉCRITURES SONT IRRÉPROCHABLES EN TOUT. *

CHAPITRE XCVI. UTILITÉ DES SAINTES ÉCRITURES. *

CHAPITRE XCVII. C'EST LE REMÈDE, ET NON LE POISON, QU'OFFRENT LES ÉCRITURES. *

CHAPITRE XCVIII. LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES, FUSSENTILS AUSSI COUPABLES QUE LE VEUT FAUSTE, VAUDRAIENT ENCORE MIEUX QUE LE DIEU DES MANICHÉENS. *

LIVRE VINGT-TROISIÈME. GÉNÉALOGIE SELON SAINTE MATTHIEU. *

CHAPITRE PREMIER. IL Y A EU PLUSIEURS JÉSUS : DUQUEL S'AGIT-IL ? *

CHAPITRE II. SAINT MATTHIEU, SELON FAUSTE, NE DONNE JÉSUS POUR FILS DE DIEU QU'AU SORTIR DU BAPTÊME. *

CHAPITRE III. JÉSUS N'ÉTANT PAS FILS DE JOSEPH, N'EST POINT FILS DE DAVID. *

CHAPITRE IV. MARIE ELLE-MÊME NE DESCEND POINT DE DAVID, SELON FAUSTE. *

CHAPITRE V. FAUSTE RÉFUTÉ PAR LE TEXTE DE SAINT MATTHIEU. *

CHAPITRE VI. FAUSTE QUI A CALOMNIÉ ABRAHAM, ISAAC ET JACOB, ESSAIE D'ÉBRANLER L'AUTORITÉ DE SAINT MATTHIEU. *

CHAPITRE VII. JÉSUS EST A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE DAVID. *

CHAPITRE VIII. COMMENT LE CHRIST, MARIE ET JOSEPH SONT DE LA FAMILLE DE DAVID. *

CHAPITRE IX. JOACHIM, PÈRE DE MARIE, SELON UN LIVRE APOCRYPHE. *

CHAPITRE X. COMMENT LE FILS DE DIEU A ÉTÉ ENFERMÉ DANS LE SEIN D'UNE VIERGE. APOSTROPHE AUX MANICHÉENS. *

LIVRE VINGT-QUATRIÈME. DIEU A CRÉÉ L’HOMME TOUT ENTIER. *

CHAPITRE PREMIER. QUEL EST, D'APRÈS FAUSTE, L'HOMME QUE DIEU CRÉE EN NOUS. DIEU N'EST PAS L'AUTEUR DE NOTRE CORPS. *

CHAPITRE II. RÉFUTATION DE L'OPINION DE FAUSTE. L'HOMME TOUT ENTIER VIENT DE DIEU. *

LIVRE VINGT-CINQUIÈME. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE OBJECTE QUE LE DIEU D'ABRAHAM N'EST PAS INFINI. SELON LUI, LE BIEN ET LE MAL SE LIMITANT, DIEU A DES BORNES. *

CHAPITRE II. RÉPONSE DU SAINT. L'ERREUR DES MANICHÉENS LES REND INCAPABLES DE TRAITER LES QUESTIONS QUI ONT DÉJÀ ÉTÉ DISCUTÉES PLUS HAUT. *

LIVRE VINGT-SIXIÈME. TOUT EST VRAI DANS LE CHRIST. *

CHAPITRE PREMIER. ARGUMENTS DE FAUSTE POUR PROUVER QUE JÉSUS A PU MOURIR SANS ÉTRE NÉ. PREUVE TIRÉE DE L'ENLÈVEMENT D’ÉLIE. *

CHAPITRE II. AUTRE PREUVE TIRÉE DES MIRACLES DE JÉSUS. *

CHAPITRE III. NOTIONS PRÉCISES SUR LE COURS DE LA NATURE. *

CHAPITRE IV. LA VOLONTÉ DE DIEU, SOUVERAINE RAISON DES CHOSES. *

CHAPITRE V. DIEU NE PEUT PAS FAIRE QUE CE QUI A ÉTÉ, N'AIT PAS ÉTÉ. IL EST NÉANMOINS TOUT-PUISSANT. *

CHAPITRE VI. SUR ÉLIE ET SUR LE CHRIST, IL FAUT S'EN RAPPORTER A L'ÉCRITURE. LA MORT DU CHRIST N'A PU ÊTRE FAUSSE. *

CHAPITRE VII. NOUS CROYONS DU CHRIST TOUT CE QU'EN DIT L'ÉVANGILE. *

CHAPITRE VIII. TOUT A ÉTÉ VRAI DANS LE CHRIST; IL N'A RIEN SIMULÉ. *

LIVRE VINGT-SEPTIÈME. *

CHAPITRE PREMIER. SI JÉSUS A PU NAÎTRE D'UNE VIERGE, IL A AUSSI BIEN PU MOURIR SANS AVOIR ÉTÉ ENFANTÉ. *

CHAPITRE II. LE CHRIST L'AURAIT PU, MAIS NE L'A PAS VOULU. *

LIVRE VINGT-HUITIÈME. L’ÉVANGILE ET MANÈS. *

CHAPITRE PREMIER. LE CHRIST A PU ÊTRE DIEU ET NAÎTRE, IL A DONC PU MOURIR SANS ÊTRE NÉ. *

CHAPITRE II. A QUI CROIRE, DE SAINT MATTHIEU OU DE MANÈS ? *

CHAPITRE III. LES DEUX PÈRES DE JOSEPH. *

CHAPITRE IV. POUR CE QUI REGARDE JÉSUS, IL FAUT CROIRE A SES DISCIPLES PLUTÔT QU'A MANÈS. *

CHAPITRE V. A QUOI SE RÉDUIT L'ARGUMENTATION DE FAUSTE, IL N'Y A AUCUNE RAISON DE REJETER LES ÉCRITURES. *

LIVRE VINGT-NEUVIÈME. RÉALITÉ DE LA NAISSANCE DU CHRIST. *

CHAPITRE PREMIER. FRUSTE OBJECTE QUE LA NAISSANCE DU CHRIST N'A ÉTÉ QU'APPARENTE ET EFFET DE MAGIE. *

CHAPITRE II. IL N'Y A POINT EU DE MAGIE DANS LA VIE, NI DANS LA MORT, NI DANS LES MIRACLES DU CHRIST. *

CHAPITRE III. SUR L'ACCORD PROPOSÉ PAR FAUSTE. *

CHAPITRE IV. LES MEMBRES DU CORPS. PURETÉ DE LA VIERGE. LE CHRIST AURAIT PU NAÎTRE AUTREMENT ET NE L'A PAS VOULU. *

LIVRE TRENTIÈME. DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE. *

CHAPITRE PREMIER. C'EST PAR MOÏSE ET PAR LES PROPHÈTES QU'A ÉTÉ INTRODUITE LA DOCTRINE DES DÉMONS, SELON FAUSTE. *

CHAPITRE II. OBJECTION TIRÉE DE DANIEL ET DES TROIS ENFANTS. *

CHAPITRE III. SI L'ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS EST UNE DOCTRINE PERVERSE, LES CATHOLIQUES S'EN RENDENT COUPABLES. *

CHAPITRE IV. OBJECTION DE FAUSTE SUR LA VIRGINITÉ ET LE MARIAGE. *

CHAPITRE V. DIFFÉRENCE ENTRE L'ABSTINENCE DES CATHOLIQUES ET CELLE DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE VI. LE SAINT RÉTABLIT LA VRAIE NOTION SUR LA VIRGINITÉ ET L'ABSTINENCE. *

LIVRE TRENTE-UNIÈME. ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS. *

CHAPITRE PREMIER. MOÏSE ET LES PROPHÈTES N'ONT PU VOIR DIEU, ÉTANT SOUILLÉS PAR L'ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS. *

CHAPITRE II. FAUSTE REVIENT A SES OBJECTIONS CONTRE L'ABSTINENCE DES CATHOLIQUES. *

CHAPITRE III. OBJECTION TIRÉE DE LA VISION DE PIERRE. *

CHAPITRE IV. EXPLICATION DU TEXTE DE SAINT PAUL : TOUT EST PUR ETC. APPLICATION AUX MANICHÉENS. *

LIVRE TRENTE-DEUXIÈME. TRIAGES DANS L’ÉVANGILE. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE CHOISIT. CE QUI LUI CONVIENT DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, COMME LES CATHOLIQUES DANS L'ANCIEN. *

CHAPITRE II. LES ÉVANGILES SONT SUPPOSÉS; ILS NE S'ACCORDENT SUR RIEN. *

CHAPITRE III. LES CHRÉTIENS PRENNENT UNE PARTIE DE L'ANCIEN TESTAMENT ET LAISSENT LE RESTE. *

CHAPITRE IV. QUELQUES EXEMPLES POUR PREUVE. *

CHAPITRE V. AUTRES PRINCIPES DE L'ANCIEN TESTAMENT REJETÉS PAR LES CATHOLIQUES. *

CHAPITRE VI. FAUSTE DEVANDE A TRIER DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, COMME LES CATHOLIQUES TRIENT DANS L'ANCIEN. *

CHAPITRE VII. CE QUE FAUSTE REJETTE ET ADMET DANS LE NOUVEAU TESTAMENT. *

CHAPITRE VIII. DIFFÉRENCE ENTRE LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS, RELATIVEMENT AU CHOIX À FAIRE DANS LES ÉCRITURES. *

CHAPITRE IX. EN QUOI LES CATHOLIQUES REJETTENT L'ANCIEN TESTAMENT. *

CHAPITRE X. SENS PROPHÉTIQUE DE L'OBLIGATION D'ÉPOUSER LA VEUVE D’UN FRÈRE. *

CHAPITRE XI. LA PAQUE DES CATHOLIQUES. *

CHAPITRE XII. LA PENTECÔTE. RAISON DE LA FÊTE DE PAQUE. *

CHAPITRE XIII. LA CHAIR DES ANIMAUX. PRINCIPES DES CATHOLIQUES SUR CE POINT. *

CHAPITRE XIV. AUTRES OBJECTIONS DE FAUSTE DÉJÀ RÉFUTÉES. COMPARAISON TIRÉE DE LA MÉDECINE. *

CHAPITRE XV. SUR LE PARACLET. *

CHAPITRE XVI. IMPOSSIBILITÉ DE FALSIFIER L'ÉVANGILE. *

CHAPITRE XVII. LES CATAPHRYGIENS ONT AUSSI LEUR PARACLET. PRÉTENTION COMMUNE A TOUTES LES HÉRÉSIES. *

CHAPITRE XVIII. LES MANICHÉENS NE PEUVENT PROUVER QU'ILS ONT LE PARACLET. *

CHAPITRE XIX. LA DOCTRINE CATHOLIQUE EST BIEN PLUS CROYABLE QUE LE SYSTÈME MANICHÉEN. *

CHAPITRE XX. LE SENS CHARNEL, SOURCE DE L'ERREUR MANICHÉENNE. *

CHAPITRE XXI. L'AUTHENTICITÉ DE L'ÉVANGILE SE PROUVE COMME CELLE DES ÉCRITS DE MANÈS. *

CHAPITRE XXII. LA DOCTRINE DES APÔTRES ET CELLE DE MANÈS. *

LIVRE TRENTE-TROISIÈME. AUTORITÉ DES ÉVANGILES. *

CHAPITRE PREMIER. SI LES PATRIARCHES HÉBREUX SONT AU CIEL, CE N'EST PAS PAR LEURS MÉRITES. LES PATRIARCHES DES GENTILS Y ONT AUTANT DE DROIT QU'EUX. *

CHAPITRE II. DÉSACCORD ENTRE SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC, D'APRÈS FAUSTE. *

CHAPITRE III. FAUSTE A RAISON DE NE POINT TOUT ADMETTRE DANS DES ÉCRITURES QUI NE SONT PAS AUTHENTIQUES. *

CHAPITRE IV. COURTE RÉPONSE A FAUSTE. QUESTIONS OBSCURES. *

CHAPITRE V. C'EST BIEN LA VIE DES PATRIARCHES QUI EST LOUÉE DANS L'ÉCRITURE. *

CHAPITRE VI. COMMENT SE FONDE LA CERTITUDE HISTORIQUE. *

CHAPITRE VII. COMMENT SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC PEUVENT SE CONCILIER SUR L'HISTOIRE DU CENTURION. *

CHAPITRE VIII. DEUX ÉCRIVAINS PEUVENT DIFFÉRER SUR LE MÊME FAIT SANS SE CONTREDIRE. *

CHAPITRE IX. CONCLUSION. AVIS AUX MANICHÉENS. *

 

 

 

 

LIVRE DIX-SEPTIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST.

Explication de ce texte de saint Matthieu : " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ".

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE NIE L'AUTHENTICITÉ DE CE TEXTE DE SAINT MATTHIEU : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI ET LES PROPHÈTES, MAIS LES ACCOMPLIR ".

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas la loi et les Prophètes, quand le Christ dit qu'il n'est pas venu les abolir, mais les accomplir (1) ? — Qui nous assure que Jésus a dit cela? Matthieu. Où l'a-t-il dit? Sur la montagne. En présence de qui? De Pierre, d'André, de Jacques et de Jean : car il n'avait pas encore choisi ses autres Apôtres, pas même Matthieu. Et un seul de ces quatre, Jean, a écrit un évangile? Oui. Et parle-t-il de cela? Nulle part. Comment donc ce que Jean, qui était sur la montagne, n'atteste pas, Matthieu l'écrit-il, lui qui n'a suivi Jésus que longtemps après qu'il était descendu de la montagne ? Première raison de douter que Jésus ait dit cela : le témoin le plus croyable n'en dit rien, le moins admissible en parle. Nous pouvons d'abord supposer que Matthieu se joue de nous, en attendant que nous prouvions que ce n'est pas même lui qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom : comme nous pouvons le conclure du récit en style indirect de ce même Matthieu. Comment s'exprime-t-il en effet? " Et comme Jésus passait, il vit un homme nommé Matthieu assis au bureau des impôts, et il l'appela; et se levant aussitôt, il le suivit (2) ". Quel est l'homme qui écrira, en parlant de lui-même : " Il vit un homme, et il l'appela, et il le suivit? " Qui ne dira pas plutôt : Il me vit, il m'appela et je le suivis? Il est donc clair que ce n'est point Matthieu qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom. Or, si ce serait une fausseté quand même Matthieu l'aurait écrite, puisqu'il n'était pas là quand Jésus parlait sur la montagne; à combien plus forte raison n'y faudrait-il pas croire, puisque ce n'est point Matthieu qui a écrit cela, mais quelque autre sous les noms de Jésus et de Matthieu.

1. Matt. V, 17. — 2. Id. V, 9.

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CHAPITRE II. JÉSUS A DÉTRUIT LA LOI. NI LA LOI NI LES PROPHÈTES N'AVAIENT BESOIN D'ACCOMPLISSEMENT.

Mais que dira-t-on, si du discours même où Jésus défend de croire qu'il est venu abolir la loi, on doit surtout conclure qu'il a aboli la loi? En effet, s'il n'eût rien fait dans ce sens, les Juifs n'eussent pas conçu de soupçons. Mais il leur dit : " Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ". Eh bien ! si les Juifs lui eussent répondu : Pourquoi faites-vous donc des choses qui nous induisent à le soupçonner? Est-ce parce que vous vous raillez de la circoncision, que vous violez le sabbat, que vous rejetez les sacrifices, que vous déclarez tous les aliments indifférents? C'est pour cela que vous nous dites : " Ne pensez pas ". Mais que pouvait-on faire de plus grave, de plus évident pour détruire la loi et les Prophètes? Si c'est là accomplir la loi, qu'est-ce donc que l'abolir? D'ailleurs, ni la loi ni les Prophètes ne désirent d'être accomplis; ils se trouvent complets et parfaits, jusque-là que leur auteur et père ne s'indigne pas moins contre les additions que contre les retranchements qu'on pourra leur faire, puisqu'il est écrit dans le Deutéronome : " Tu observeras, Israël, les commandements que je te donne aujourd'hui; prends garde de t'en écarter ni à gauche ni à droite; n'y ajoute rien, ni n'en retranche rien; mais persévères-y, afin que ton Dieu te bénisse (1) ". Ainsi donc, si pour accomplir la loi et les Prophètes, Jésus y a ajouté quelque chose, il s'est écarté à droite; s'il en a retranché quelque chose pour les détruire, il s'est écarté à gauche; et dans les deux cas, il outrage l'auteur de la loi. Donc, ou ces paroles ont un autre sens, ou elles sont fausses.

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CHAPITRE III. RÉPONSE D'AUGUSTIN. POURQUOI LE TÉMOIGNAGE DE SAINT MATTHIEU DOIT ÊTRE ACCEPTÉ.

Augustin. O étonnante folie ! défendre

1. Deut. V, 32, XII, 32.

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de croire à Matthieu racontant quelque chose du Christ, et ordonner de croire à Manès ! Si Matthieu n'était pas là quand le Christ disait: " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir (1) ", et que pour cela il faille rejeter son témoignage ; Manès y était-il, ou même était-il déjà né, quand le Christ a paru parmi les hommes? Donc, d'après votre règle de foi, vous ne deviez point accepter son témoignage touchant le Christ. Pour nous, ce n'est pas parce que Manès n'a pas été témoin des paroles et des actions du Christ, ni parce qu'il est né longtemps après, que nous disons qu'on ne doit pas croire à sa parole; mais parce qu'il parle du Christ contre les disciples du Christ et contre l'évangile établi sur leur autorité. Nous avons là-dessus la parole de l'Apôtre qui prévoyait, dans l'Esprit-Saint, qu'un jour naîtraient de tels contradicteurs. Il disait donc aux fidèles : " Si quelqu'un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème ! (2) " Si en effet personne ne peut dire du Christ des choses vraies, à moins de l'avoir vu et entendu, personne n'en dit rien de vrai aujourd'hui. Or, si aujourd'hui encore, on peut dire aux fidèles des vérités sur le Christ, parce qu'elles proviennent de témoins oculaires et auriculaires, qui les ont répandues parla prédication ou par l'écriture pourquoi Matthieu n'aurait-il pas pu apprendre des vérités sur le Christ, de la bouche de Je au, son frère dans l'apostolat, qui a été témoin quand il ne l'était pas lui-même, alors que nous pouvons, nous qui sommes nés si longtemps après, alors que nos descendants pourront dire des vérités du Christ d'après le livre même de Jean? C'est ainsi que non-seulement l'évangile de Matthieu, mais aussi ceux de Luc et de Marc, qui ont suivi les mêmes Apôtres, ont été reçus et jouissent d'une égale autorité. Outre que le Seigneur lui-même a bien pu raconter à Matthieu ce qu'il avait fait, avant de l'appeler, avec ceux dont la vocation avait précédé la sienne, — Mais, dira-t-on, Jean n'aurait-il pas dû mentionner cela dans son évangile, lui qui était présent et qui avait entendu, si toutefois le Seigneur l'a dit? — Comme si, dans l'impossibilité d'écrire tout ce qu'il avait entendu de la bouche du Seigneur, il n'avait pas pu omettre ce point entre tant d'autres qu'il a

1. Matt. V, 17. — 2. Gal. I, 9.

omis, son attention étant fixée sur d'autres sujets ! N'est-ce pas lui qui termine ainsi son évangile : " Il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites; si elles étaient écrites en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire (1) ". Evidemment il fait voir par là qu'il a omis sciemment bien des choses. Mais si c'est le témoignage de Jean que vous recherchez sur la loi et les Prophètes, croyez donc à Jean rendant témoignage à la loi et aux Prophètes. C'est lui qui a écrit qu'Isaïe a vu la gloire du Christ (2). C'est dans son évangile que vous trouverez le passage que j'ai exposé un peu plus haut : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi : car c'est de moi qu'il a écrit (3) ". Vous avez beau tergiverser : tout vous confond. Dites sans détour que vous ne croyez pas à l'Evangile du Christ : car en admettant dans l'Evangile ce qui vous plait, en en rejetant ce qui ne vous convient pas, ce n'est plus à l'Evangile, mais à vous, que vous croyez.

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CHAPITRE IV. LES HISTORIENS PARLENT D'EUX-MÊMES À LA TROISIÈME PERSONNE. LE CHRIST AUSSI L'A FAIT.

Mais quelle jolie chose Fauste s'imagine avoir dite ! Il ne faut pas croire Matthieu parce que, en parlant de sa vocation, il ne dit pas : Jésus me vit et me dit : Suis-moi, mais : " Jésus vit Matthieu et lui dit : Suis-moi (4) ! " Je ne sais s'il faut accuser ici la maladresse de l'ignorance ou l'astuce ordinaire. Cependant je ne puis supposer que l'ignorance de Fauste aille jusqu'à n'avoir jamais lu ou entendu dire que quand les historiens ont à mettre leur propre personne en scène, ils ne parlent d'eux que comme s'ils parlaient d'un autre. J'aime mieux croire que ce n'est pas ignorance chez lui, mais qu'il a voulu jeter de la.poussière aux yeux des ignorants dans l'espoir d'en séduire un plus grand nombre qui ne seraient pas au gourant de ces matières. On trouve en effet des exemples de ce genre de récit dans les historiens profanes. Mais je n'ai pas besoin de recourir à la littérature étrangère pour éclairer nos fidèles ou réfuter mon adversaire. Il a lui-même cité tout à l'heure des passages des livres de

1. Jean, XXI, 25. — 2. Id. XII, 41. — 3. Id. V, 46. — 4. Matt. IX, 9.

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Moïse, non pour contester que Moïse en soit l'auteur (il en est convenu, au contraire), mais pour nier qu'ils se rapportent au Christ. Qu'il cherche donc dans ces livres si Moïse dit, en parlant de lui : j'ai dit ou fait ceci ou cela; s'il ne dit pas : " Moïse dit (1) ; Moïse fit (2); et encore, si Moïse dit : Le Seigneur m'appela, le Seigneur me dit, et non : " Le Seigneur appela Moïse (3) ; le Seigneur dit à Moïse (4) "; et tout le reste de la même manière. C'est ainsi que Matthieu parle de lui comme d'un autre; et Jean aussi, ainsi qu'on peut le voir à la fin de son livre, où il dit : " Pierre s'étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui s'était aussi reposé pendant la cène sur son sein, et avait dit au Seigneur: Qui est celui qui vous trahira? " Dit-il : Pierre, s'étant retourné, me vit? Les Manichéens pensent-ils pour cela qu'il n'est pas l'auteur de son Evangile ? Mais peu après il reprend : " C'est ce même disciple qui rend témoignage de Jésus et qui a écrit ces choses; et nous savons que son témoignage est vrai (5) ". Dit-il : Je suis le disciple qui rends témoignage de Jésus et qui ai écrit ces choses, et je sais que mon témoignage est vrai ? Il est de toute évidence que c'est là le genre des historiens. Et qui pourrait compter les passages où le Seigneur même parle de lui à la troisième personne? "Quand le fils de l'homme viendra ", nous dit-il, " pensez-vous qu'il trouvera de la foi sur la terre (6)? " Il ne dit pas: Quand je viendrai, pensez-vous que je trouverai ? Et ailleurs : " Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant (7) ". Il ne dit pas: Je suis venu. Et encore: "Une heure viendra, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue, vivront (8) ". Il ne dit pas : Ma voix. Et ainsi dans beaucoup d'autres passages. Mais en voilà assez, je pense, et pour éclairer les fidèles et pour confondre les calomniateurs.

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CHAPITRE V. DANS QUEL SENS LE CHRIST A PU DIRE : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. "

Qui ne voit combien est faible cette autre assertion, que le Seigneur n'aurait pu dire : " Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi

1. Exod. III, 3. — 2. Id. VII, 6. — 3. Lev. I, 1. — 4. Exod. IV, 19. — 5. Jean, XXI, 20, 21. — 6. Luc, XVIII, 8. — 7. Matt. XI, 19. — 8. Jean, V, 25.

et les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir ", s'il n'eût déjà agi de manière à faire naître ce soupçon ? Comme si nous niions qu'aux yeux des Juifs sans intelligence le Christ ait pu passer pour destructeur de la loi et des Prophètes ! Mais c'est précisément la raison pour laquelle, étant véridique, étant la vérité même, quand il disait qu'il n'était point venu abolir la loi et les Prophètes, il n'a pu parler d'autre loi et d'autres prophètes, que de ceux qu'on le soupçonnait de vouloir détruire. C'est ce que prouve assez la suite même de ses paroles : " En vérité, en vérité, je vous le dis, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, un seul iota ou un seul point de la loi ne passera pas, que tout ne soit accompli. Celui donc qui violera l'un de ces moindres commandements, et enseignera ainsi aux hommes, sera appelé très-petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera et enseignera ainsi, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux ". Car, en disant cela, il songeait aux Pharisiens, qui violaient la loi par leur conduite et l'enseignaient en paroles. C'est d'eux qu'il dit ailleurs: " Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font: car ils disent et ne font pas (1) ". C'est pour cela encore qu'il ajoute ici : " Car je vous dis que si votre justice n'est plus abondante que celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (2) ", c'est-à-dire si vous ne faites pas et n'enseignez pas ce qu'ils ne font pas, bien qu'ils l'enseignent, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Or, cette loi que les Pharisiens enseignaient sans l'accomplir, le Christ dit qu'il est venu, non l'abolir, mais l'accomplir; parce qu'elle appartient à la chaire de Moïse, dans laquelle sont assis les Pharisiens, qui disent et ne font pas, qu'il faut écouter et non imiter.

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CHAPITRE VI. COMMENT LA LOI ET LES PROPHÈTES PEUVENT S'ACCOMPLIR.

Fauste ne comprend pas, ou feint de ne pas comprendre, ce que c'est qu'accomplir la loi, puisqu'il parle d'addition de paroles, et rappelle qu'il est écrit qu'on ne doit rien ajouter à la divine Ecriture, ni rien en retrancher (3) ; ce qui lui fait dire qu'elle n'a pas

1. Matt. XXIII, 3. — 2. Id. V, 17, 20. — 3. Deut. XII, 32.

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dû être accomplie, puisqu'on la donne comme tellement parfaite qu'il n'y a rien à y ajouter, rien à en retrancher. Ils ne savent donc pas comment celui qui vit selon la loi, accomplit la loi. " Car ", comme dit l'Apôtre, " l'amour est la plénitude de la loi (1) ". Or, cet amour, le Seigneur a daigné en offrir le modèle et le donner, en envoyant l'Esprit-Saint à ses fidèles. Ce qui fait dire au même Apôtre : " La charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (2) ". Et le Seigneur lui-même nous dit : " C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres (3) ". La loi s'accomplit donc, soit quand ses commandements sont exécutés, soit quand ses prophéties

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5. — 3. Jean, XIII, 35.

se réalisent. Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (1). La loi elle-même, en s'accomplissant, est devenue la grâce et la vérité. La grâce appartient à la plénitude de l'amour, la vérité à l'accomplissement des prophéties. Et comme l'un et l'autre ont eu lieu par le Christ, c'est pour cela qu'il n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ; non en ajoutant à la loi quelque chose qui lui manquait, mais en réalisant ce qui y est écrit ; comme ses paroles mêmes l'attestent : car il ne dit pas : "Un iota ou un seul point de la loi ne passera pas " jusqu'à ce qu'on y ait ajouté ce qui y manque, mais : " jusqu'à ce que tout soit accompli ".

1. Jean, I, 17.

 

 

 

 

LIVRE DIX-HUITIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS.

Comment la loi et les Prophètes ont pu être accomplis. — Détails sur le sabbat, sur les noms païens des jours et des mois, sur les sacrifices. — Quel usage les chrétiens font de leur raison

 

 

CHAPITRE PREMIER. ON NE PEUT ÊTRE CHRÉTIEN, DIT FAUSTE, SANS SUPPOSER LA LOI ABOLIE.

Fauste. " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir (1) ". Eh bien ! sache que tu ne dois pas être moins que moi contrarié de croire que le Christ ait prononcé ces paroles, à moins qu'elles n'aient un autre sens. Car nous sommes tous les deux chrétiens dans la conviction que le Christ est venu pour détruire la loi et les Prophètes. Si tu ne veux pas en convenir en paroles, tu le manifestes assez par tes actions. C'est en effet à cause de cela que tu rejettes avec mépris les préceptes de la loi et des Prophètes ; à cause de cela que nous reconnaissons tous les deux Jésus comme l'auteur du Nouveau Testament : et que confessons-nous par là, sinon que l'Ancien Testament est détruit ? Cela étant, comment croirons-nous que le Christ ait dit cela, sans taxer d'abord de folie notre croyance passée, sans en éprouver des regrets, sans montrer une obéissance parfaite à la loi et aux Prophètes et nous mettre en devoir de pratiquer tous leurs commandements, quels qu'ils soient ? quand nous en serons là, c'est alors que nous croirons véritablement que Jésus n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir. Jusque-là cela sera faux ; car tu n'y crois pas plus que moi, bien que tu n'accuses que moi.

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CHAPITRE II. SI LA LOI N'EST PAS ABOLIE, IL FAUT DONC OBSERVER TOUTES SES PRESCRIPTIONS?

Soit : admettons que tu n'es pas coupable de t'être trompé jusqu'ici. Mais que feras-tu désormais ? Te replaceras-tu sous l'empire de la loi, puisque le Christ l'a accomplie, plutôt qu'abolie ? Te feras-tu circoncire, c'est-à-dire imprimera-t-on une marque honteuse sur tes parties honteuses, et penseras-tu honorer Dieu par de telles cérémonies ? Observeras-tu

1. Matt. V, 17.

le repos du sabbat, et mettras-tu tes mains aux chaînes de Saturne ? Pour satisfaire l'appétit vorace du démon des Juifs (car il ne s'agit pas de Dieu ici), égorgeras-tu des taureaux, des béliers, des boucs, pour ne pas dire des hommes, et ce qui nous a fait détester les idoles, le reproduiras-tu avec plus de cruauté sous la loi et les Prophètes? Parmi les chairs d'animaux, en estimeras-tu quelques-unes mondes, et d'autres immondes et souillées, comme la loi et les Prophètes le disent surtout de la chair de porc? Assurément, tu diras que nous ne devons rien faire de cela, si nous voulons rester ce que nous sommes; d'autant plus que tu entends le Christ dire que celui qui sera circoncis deviendra doublement fils de la géhenne (1). Tu ne vois pas d'ailleurs qu'il ait lui-même observé le sabbat, ni recommandé qu'on l'observât. D'autre part tu l'entends affirmer, à propos des aliments, que ce n'est point ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais plutôt ce qui en sort (2). Pour ce qui regarde les sacrifices, nous l'entendons répéter souvent que Dieu veut la miséricorde et non le sacrifice (3). Or, s'il en est ainsi, où est donc l'assertion : qu'il n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ? S'il l'a dit, ou il l'a dit dans un autre sens, ou il a menti en le disant (ce qu'à Dieu ne plaise), ou il ne l'a pas dit du tout. Mais personne, pourvu qu'il soit chrétien, n'osera dire que Jésus ait menti ; donc ou il a dit cela dans un autre sens, ou il ne l'a pas dit du tout.

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CHAPITRE III. NÉCESSITÉ DE TRIER DANS L'ÉVANGILE POUR NE PAS SE TROUVER DANS L'EMBARRAS.

Mais j'ai été dispensé de la nécessité d'admettre ce chapitre par la foi manichéenne qui m'a appris dès l'abord à ne pas croire sans examen tout ce qui a été écrit au nom du Sauveur, mais à examiner si cela est vrai,

1. Matt. XXIII, 15. — 2. Id. XV, 11. — 3. Id. IX, 13, XII, 7.

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sain, non altéré; car il y a dans presque toutes les Ecritures, beaucoup de zizanie qu'un certain rôdeur de nuit y a semée pour y gâter la bonne semence (1). C'est pourquoi je ne me laisse pas intimider par ces paroles, malgré le respect dû au nom sous lequel on les écrit; vu qu'il m'est toujours permis de m'assurer si elles sont d'un semeur probe et travaillant de jour, ou de cet ennemi pervers qui n'opère que de nuit: Mais toi qui admets tout au hasard; qui condamnes dans les hommes la raison, ce bienfait de la nature; qui te fais scrupule de juger entre le vrai et le faux; qui te fais un épouvantail d'enfant de discerner le bien du mal : que feras-tu, dans l'extrême embarras où va te jeter ce chapitre? Je suppose un Juif, ou quelque autre connaissant ce texte et te demandant pourquoi tu n'observes pas les préceptes de la loi et des Prophètes, quand le Christ dit qu'il n'est pas venu pour les abolir, mais pour les accomplir? Tu seras évidemment obligé, ou de te livrer à une vaine superstition, ou de reconnaître que le chapitre est faux, ou de renoncer à être le disciple du Christ.

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CHAPITRE IV. C'EST EN DISPARAISSANT QUE LA LOI ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ ACCOMPLIS.

Augustin. Puisque tu reviens sur des objections tant de fois réfutées et démontrées fausses, nous ne craindrons pas de répéter les arguments par lesquels nous les avons combattues. Ce que les chrétiens n'observent pas dans la loi et dans les Prophètes, c'est ce qui n'était que le symbole de ce qu'ils pratiquent aujourd'hui. C'étaient, en effet, des figures de l'avenir qui devaient être détruites par les réalités mêmes révélées et présentées par le Christ, afin que, par leur propre disparition, la loi et les. Prophètes fussent accomplis. Car là même il était écrit que Dieu donnerait un Nouveau Testament, " différent ", disait-il, " de celui que j'ai donné à leurs pères (2) ". En effet, ce peuple, à cause de son cœur de pierre, avait reçu des commandements adaptés à sa nature plutôt qu'ils n'étaient bons, qui étaient cependant la figure et la prophétie de l'avenir ; seulement ils étaient alors pratiqués par des gens sans intelligence. Mais depuis que les choses qu'ils

1. Matt. XIII, 25. — 2. Jer. XXXI, 32.

figuraient se sont accomplies et ont été révélées, on n'est plus obligé de les observer, on se contente de les lire pour en comprendre le sens. Et c'est à l'occasion de ces faits à venir, qu'il a été dit : " Je leur ôterai leur coeur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair (1) "; c'est-à-dire un cœur intelligent et non un cœur sans intelligence. D'où l'Apôtre a emprunté ces expressions : " Non sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du coeur (2) ". Car n'est-ce pas la même chose que " le cœur de chair ? " Et précisément parce que cela était prédit, si ces rites n'avaient pas disparu de notre culte, la loi et les Prophètes ne seraient pas accomplis ; parce que l'événement n'aurait pas justifié la prédiction ; mais comme il la justifie, nous voyous la loi et les Prophètes accomplis, précisément par la raison même qui vous fait dire qu'ils ne le sont pas.

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CHAPITRE V. SUR LE SABBAT. DÉNOMINATION PAÏENNE DES JOURS ET DES MOIS.

Quand tu appelles le repos du sabbat chaînes de Saturne, c'est une insulte qui ne- nous fait pas peur : car elle est sotte et sans fondement, et elle ne te serait pas venue à l'esprit, si vous n'adoriez le soleil au jour qui porte son nom. Mais comme nous appelons ce jour le jour du Seigneur, et que nous y célébrons, non pas le soleil matériel, mais la résurrection du Seigneur; de même nos pères observèrent le repos du sabbat, tant qu'il le fallut, et sans songer à Saturne : car le sabbat était l'ombre de l'avenir, comme l'atteste l'Apôtre (3). Il est vrai que les gentils ont donné les noms de leurs dieux aux sept jours dont le cercle forme la semaine. Et c'est d'eux que l'Apôtre a dit : " Qu'ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur (4) ". En quoi vous les imitez, sauf que vous n'adorez avec eux que les deux astres les plus brillants à l'exclusion des autres. Mais ils ont aussi donné aux mois les noms de leurs dieux. En effet, en l'honneur de Romulus, qu'ils croyaient fils de Mars, ils ont consacré à Mars le premier mois et lui ont donné le nom de ce dieu. Le second mois ne porte le nom d'aucun dieu; ils l'ont nommé Avril d'après la nature des choses, c'est-à-dire " qui ouvre ", parce qu'alors s'ouvrent la plupart

1. Ez. XI, 19. — 2. II Cor. III, 3. — 3. Col. II, 17. — 4. Rom. I, 25.

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part des fleurs. Le troisième s'appelle Mai, parce qu'on y honore la déesse Maïa, mère de Mercure. Le quatrième, Juin, a pris son nom de Junon. Puis tous les autres, Jusqu'à Décembre, portent le nom du rang qu'ils occupent. Seulement le cinquième et le sixième (Juillet et Août), ont pris les noms de deux hommes à qui les honneurs divins ont été décernés, Jules (César) et Auguste; car, comme je l'ai dit, Septembre et les suivants jusqu'à Décembre, ne portent que leur numéro d'ordre. Puis Janvier emprunte son nom de Janus, et Février des " Fébrues (1) " ou sacrifices expiatoires offerts par les prêtres de Pan et de Faune. Voulez-vous donc qu'on dise que vous adorez aussi Mars au mois de Mars? Car c'est en ce mois que vous célébrez votre Béma avec la plus grande solennité (2). Or, si vous prétendez pouvoir célébrer au mois de Mars autre chose que le dieu Mars : pourquoi essayez-vous d'introduire le nom de Saturne dans les divines Ecritures, à l'occasion du septième jour, appelé sabbat, ce qui veut dire repos, et cela, parce que les païens ont donné à ce jour le nom de Saturne? Voyez donc jusqu'où vous portez le délire de l'impiété !

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CHAPITRE VI. LES SACRIFICES D'ANIMAUX ÉTAIENT DES FIGURES DU CHRIST.

Quant aux sacrifices d'animaux, qui de nous ignore qu'ils étaient plutôt imposés à un peuple pervers à raison de son caractère, qu'agréables au Dieu à qui on les offrait? Et cependant ils étaient encore la figure de ce qui nous arrive : car nous ne saurions être purifiés, ni Dieu apaisé, sans effusion de sang. Mais le Christ est la réalité de ces figures, lui dont le sang nous a rachetés et purifiés. En effet, dans le langage figuré des saints livres, il est appelé taureau à cause de la vertu de la croix, avec les bras (cornibus) de laquelle il a dispersé les impies; bélier, à cause du premier rang que lui assigne son innocence, bouc, pour avoir pris une chair semblable à celle du péché, afin de condamner le péché dans la chair par le péché même (3). Nomme-moi tout autre genre de sacrifice, le plus exprès, le plus formel, et je te

1. Je hasarde le mot, qui ne saurait se rendre sans périphrase. — 2. Voyez le livre contre la Lettre du Fondement, ch. VIII. — 3. Rom. VIII, 3.

démontrerai qu'il renferme une prophétie relative au Christ. C'est pourquoi la circoncision, le sabbat, la distinction établie entre les aliments, l'immolation des victimes, tout cela était des figures et des prophéties qui nous regardaient; et le Christ est venu, non les abolir, mais les accomplir, en réalisant ce qu'elles annonçaient. Et vois qui tu combats: l'Apôtre lui-même, car c'est d'après lui que je parle : " Toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (1) ".

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CHAPITRE VII. USAGE QUE LES VRAIS CHRÉTIENS FONT DE LA RAISON.

De même que Manès t'a appris la méthode perverse et impie de prendre dans l'Evaugile ce qui s'accommode à ton hérésie, et d'en rejeter ce qui la gêne; ainsi l'Apôtre nous a appris, dans sa sage prévoyance, à dire anathème à quiconque nous annoncerait un autre Evangile que celui que nous avons reçu (2), Aussi les chrétiens catholiques vous regardent-ils comme de la zizanie : vu que le Seigneur leur a expliqué ce que c'est que la zizanie, non pas, comme tu le dis, quelques mensonges mêlés aux vérités de l'Ecriture, mais les hommes enfants du malin esprit, c'est-à-dire les imitateurs de la fourberie du démon (3). Et ils ne croient pas tous au hasard; par conséquent ils ne croient point à Manès ni aux autres hérétiques. Ils ne condamnent point la raison humaine; mais ce que vous appelez raison, eux prouvent que c'est l'erreur. Ils ne regardent point comme une impiété de juger entre le vrai et le faux : c'est pourquoi ils jugent votre secte comme très fausse, et la foi catholique comme très-vraie. Ils n'ont pas peur de séparer le bien du mal; mais ils entendent que le mal est contre la nature, et non point la nature, ni je ne sais quel peuple de ténèbres, qui naît et se révolte aussitôt contre l'autorité de Dieu, et qui cause réellement à votre dieu plus de terreur que les épouvantails aux enfants, puisque vous prétendez qu'il a dû s'abriter derrière un voile, pour ne pas voir ses membres saisis et maltraités par cet impétueux ennemi. Ce chapitre ne les met donc en aucune façon dans l'embarras, parce que, en un sens, ils ne pratiquent pas les préceptes de la loi et des

1. I Cor. X, 6. — 2. Gal. I, 8, 9. — 3. Matt. XIII, 39.

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Prophètes : vu que, par la grâce du Christ, ils ont le véritable amour de Dieu et du prochain, et qu'à ces deux commandements se rattachent toute la loi et les Prophètes (1) : et ils savent que tout ce qui a été figuré et prophétisé là, soit en actes, soit en cérémonies du culte, soit en formules de langage, s'est accompli dans le Christ et dans l'Eglise. Par conséquent ni nous ne nous livrons à une

1. Matt. XXII, 40.

vaine superstition, ni nous ne reconnaissons que ce chapitre de l'Evangile soit faux, ni nous ne renonçons à être les disciples du Christ; parce que par le principe même de vérité que j'ai tant de fois exposé selon la mesure de mes forces, la loi et les Prophètes que le Christ est venu, non abolir, mais accomplir, sont les mêmes que ceux que maintient l'autorité catholique.

 

 

LIVRE DIX-NEUVIÈME. LA LOI PERFECTIONNÉE.

Fauste objectant que les chrétiens ont cependant aboli la loi juive, Augustin montre ce qu'ils en ont rejeté comme accompli et ce qu'ils en ont conservé comme perfectionné. — Longs détails. — Les perfectionnements de la loi nouvelle étaient déjà contenus en germe dans la loi ancienne. — Sur la loi des anciens justes. — Le royaume des cieux

 

 

CHAPITRE PREMIER. QUEL SENS LE CHRIST A-T-IL ATTACHÉ A CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. "

Fauste. " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ". Cela a été dit : soit, j'y consens. Il n'en reste pas moins à chercher pourquoi Jésus a fait cela : si c'était pour apaiser la fureur des Juifs qui s'indignaient de le voir fouler aux pieds ce qu'ils avaient de plus sacré; qui le considéraient comme un homme impie, aux doctrines malsaines, qu'on devait non-seulement ne pas suivre, mais pas même écouter; ou si c'était pour nous faire la leçon, à nous païens convertis à la foi, et nous apprendre à supporter avec patience et docilité le joug imposé par la loi et les Prophètes des Juifs. Pour ceci, je suis convaincu que vous ne l'admettez pas; vous ne croyez pas que Jésus ait prononcé ces paroles pour nous livrer à la loi et aux Prophètes des Juifs. Or, si ce n'est pas cette dernière raison qui l'a déterminé à tenir ce langage, c'est donc la première que j'ai dite plus haut. Car personne n'ignore que les Juifs ont constamment et violemment attaqué le Christ, soit dans ses paroles, soit dans ses actions. Comme les unes et les autres leur faisaient supposer qu'il abolissait leur loi et leurs Prophètes, ils devaient nécessairement s'en irriter; aussi était-il à propos, pour apaiser leur colère, qu'il leur dît de ne pas penser qu'il fût venu pour abolir la loi, mais bien pour l'accomplir. Et en cela il ne m'entait pas, il ne les trompait pas : car il parle de loi, sans distinction et d'une manière absolue.

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CHAPITRE II. TROIS ESPÈCES DE LOIS, SELON FRUSTE.

Or, il y a trois espèces de lois. La première est celle des Hébreux, que Paul appelle loi de péché et de mort (1). Il y a ensuite la loi des

1. Rom. VIII, 2.

Gentils, que le même Paul nomme naturelle: " En effet ", dit-il, " les Gentils font naturellement ce qui est selon la loi, et n'ayant pas de loi de ce genre, ils sont à eux-mêmes la loi : montrant ainsi l'oeuvre de la loi écrite en leurs coeurs (1) ". La troisième espèce de loi est la vérité, que l'Apôtre désigne également quand il dit: " Car la loi de l'esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort (2) ". Or, puisqu'il y a trois lois, quand Jésus nous affirme qu'il n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir : il ne faut pas une médiocre attention ni une médiocre habileté pour savoir de laquelle il parle. Il y a également des prophètes hébreux, des prophètes païens et des prophètes de la vérité. Les premiers ne sont pas en question, chacun les connaît. Quant aux prophètes païens, celui qui doute de leur existence n'a qu'à écouter Paul écrivant à Tite à propos des Crétois : " Un d'entre eux, leur propre prophète, a dit : Les Crétois sont toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres paresseux (3) ". On ne peut donc pas, d'après cela, douter que les Gentils n'aient aussi leurs prophètes. Mais que la vérité ait les siens, Paul et même Jésus nous l'apprennent. Jésus dit en effet : " Voici que je vous envoie des sages et des Prophètes, et vous en tuerez dans divers lieux (4) " : et Paul : " Le Seigneur lui-même a établi d'abord des Apôtres, et ensuite des Prophètes (5) ".

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CHAPITRE III. CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU, ETC.", S'APPLIQUENT A LA LOI ET AUX PROPHÈTES DE LA VÉRITÉ.

Donc, puisqu'il y a trois espèces de lois et trois espèces de prophètes, et qu'on ne voit pas clairement desquels Jésus a voulu parler, il est cependant permis de le conjecturer

1. Rom. II, 14, 15. — 2. Id. VIII, 2. — 3. Tit. I, 12. — 4. Matt. XXIII, 34. — 5. I Cor. XII, 28 ; Eph. IV, 11.

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d'après ce qui s'est passé ensuite. En effet, s'il avait tout d'abord nommé la circoncision, le sabbat, les sacrifices et les autres rites propres aux Hébreux, et qu'il eût parlé de quelque chose tendant à les accomplir, on ne pourrait pas douter qu'il eût vraiment en vue la loi et les Prophètes des Juifs, quand il disait qu'il était venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir. Mais comme il n'en fait aucune mention, qu'il se contente de rappeler les plus anciens commandements : " Tu ne tueras point, tu ne commettras point d'adultère, tu ne te parjureras pas ", et que ces commandements étaient de toute antiquité connus chez les nations, ainsi qu'il est facile de le prouver, puisqu'ils ont été promulgués par Enoch, Seth et les autres justes de cette espèce à qui les principaux des anges les avaient fait connaître pour adoucir les moeurs sauvages des hommes : cela étant, dis-je, qui ne voit que le Christ a parlé ici de la loi et des Prophètes de la vérité ? Ensuite il est également facile de prouver que l'accomplissement se trouve précisément dans ce que le Christ a ajouté. Que dit-il, en effet ? " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens: Tu ne tueras point ; mais moi je vous dis de ne pas même vous fâcher " : voilà l'accomplissement. " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point d'adultère ; mais moi je vous dis de ne pas même convoiter " : voilà l'accomplissement. " Il a été dit : Tu ne te parjureras pas; et moi je vous dis de ne pas même jurer " : voilà encore l'accomplissement. Par là, il confirme le passé et ajoute ce qui lui manquait. Mais s'il a quelquefois semblé parler de ce qui était propre aux Juifs, ce n'était pas pour le compléter, mais pour le détruire par des prescriptions contraires. Que dit-il en effet à la suite? " Vous avez entendu qu'il a été dit : Oeil pour oeil et dent pour dent; et moi je vous dis : Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre ". Voilà déjà une abrogation. " Il a été dit : Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi ; mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ". C'est encore une abrogation. " Il a été dit : Que celui qui renvoie sa femme, lui donne un acte de répudiation ; et moi je vous dis que quiconque renvoie sa femme, hors le cas d'adultère, la rend adultère, et devient lui-même adultère, s'il en épouse ensuite une autre (1) " . Evidemment, ce sont là des commandements de Moïse, et, pour cela, ils sont abolis ; les autres étaient ceux des anciens justes, et, à cause de cela, ils sont complétés. Si tu adoptes cette interprétation, tu comprendras l'à-propos avec lequel Jésus a dit qu'il est venu, non abolir la loi, mais l'accomplir. Que si cette explication ne te convient pas, cherches-en une autre. Seulement, ne te mets pas dans la nécessité de dire ou que Jésus a menti, ou que tu es obligé de te faire juif, pour cesser de détruire la loi qu'il n'a point abolie lui-même.

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CHAPITRE IV. CERTAINS JUIFS POURRAIENT SEULS TENIR LE LANGAGE QUE TIENT AUGUSTIN.

Si seulement c'était un de ces Nazaréens, que d'autres appellent Symmaques, qui m'objectât que Jésus a déclaré qu'il n'était point venu abolir la loi, je serais un peu embarrassé de lui répondre. Et ce ne serait pas sans raison : car cet homme viendrait à moi, enveloppé pour ainsi dire de la loi et des Prophètes. En effet, ces Symmaques, tout en faisant profession de christianisme, portent la marque de la circoncision, observent le sabbat, s'abstiennent de la chair de porc et des autres aliments interdits par la loi : trompés, à ce qu'il paraît, par ce même chapitre qui te trompe toi-même, où le Christ affirme qu'il n'est point venu abolir la loi, mais l'accomplir. Avec ceux-là, je le répète, j'aurais un rude combat à soutenir pour me dégager des difficultés que présente ce chapitre; mais je ne crains pas d'engager la bataille avec toi, qui n'as point de confiance en tes forces, qui ne me provoques guère que par impudence, plutôt pour m'éprouver, je pense, que polir m'obliger à croire que le Christ a réellement dit ce que je sais que tu ne crois pas toi-même. En effet, en m'objectant ce chapitre, tu ne produis aucun argument pour démontrer que la loi et les Prophètes ne sont pas abolis, mais accomplis ; seulement, tu en prends occasion de me traiter de lâche et de prévaricateur. Serait-ce que tu te glorifierais de porter la marque impure de la circoncision, comme le juif ou le nazaréen? Es-tu fier d'observer 1e sabbat ? Ta conscience te rend-elle le doux témoignage que tu t'abstiens

1. Matt. V, 21-44.

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tiens de la chair de porc? Triomphes-tu d'aise d'avoir saturé le dieu des Juifs du sang des victimes et de la fumée des holocaustes? Si non, à quoi bon tant d'efforts pour prouver que le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir?

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CHAPITRE V. GRACE A LA DOCTRINE DE MANÈS, FAUSTE NE S'EST PAS FAIT JUIF.

C'est pourquoi je rends d'incessantes actions de grâces à mon maître, de m'avoir retenu sur cette pente, en sorte qu'aujourd'hui je suis chrétien. Car moi aussi, en lisant comme toi ce chapitre en aveugle, j'avais presque formé le dessein de me faire juif. Et ce n'était pas sans raison : car si le Christ est venu accomplir la loi et non l'abolir, comme le mot remplir ne s'applique pas à un vase vide, mais à un vase demi plein, l'israélite seul me semblait capable de devenir chrétien, lui qui, déjà plus qu'à moitié rempli par la loi et les Prophètes, viendrait au Christ pour recevoir un complément dont il paraîtrait d'autant plus susceptible; à condition cependant de ne pas se dégager des premières observances ; car autrement ce ne serait plus complément, mais épuisement qu'il faudrait dire. Quant à moi, sorti du sein de la gentilité, je me figurais faussement être venu au Christ, puisque je n'apportais rien qui pût recevoir un complément de sa part. En cherchant donc en moi la première moitié de la mesure, je ne trouvais que le vide : sabbat, circoncision, sacrifices, néoménies, ablutions, azymes, distinction entre les aliments, boissons, vêtements, et une foule d'autres choses qu'il serait long de détailler, tout avait disparu. Je pensais donc que c'était cela, et non autre.chose que le Christ déclarait être venu non abolir, mais accomplir. Et je raisonnais juste : car qu'est-ce que la loi sans les commandements ? Qu'est-ce que les Prophètes sans les prophéties? De plus, je retrouvais ici les malédictions amères lancées contre ceux qui ne persévéreraient pas dans l'observation de ce qui est écrit dans le livre de la loi (1). Ainsi, craignant, d'un côté, une malédiction quasi divine; entendant, de l'autre, le Christ, le Fils de Dieu, affirmer qu'il n'est pas venu abolir toutes ces choses, mais les accomplir vois toi-même si rien pouvait m'empêcher

1. Deut. XXVII, 26.

de me faire juif. Mais le vénérable symbole de Manès m'a sauvé de ce péril.

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CHAPITRE VI. SI LE CHRIST N'EST PAS VENU ABOLIR LA LOI, POURQUOI LES CATHOLIQUES L'ABOLISSENT-ILS EN PRATIQUE ?

Cependant je voudrais bien savoir sur quoi tu t'appuies pour m'objecter ce passage, ou pourquoi tu t'imagines qu'il ne combat que moi, tandis qu'il ne t'est pas moins contraire. Si ce n'est pas l'affaire du Christ d'abolir la loi et les Prophètes, ce n'est certainement pas non plus celle des chrétiens. Pourquoi donc les abolissez-vous? Est-ce un aveu tacite que vous n'êtes pas chrétiens ? Pourquoi profanez-vous par toute sorte de travaux ce jour du sabbat, si saint aux yeux de la loi et de tous les Prophètes, ce jour où ils attestent que Dieu même, l'architecte du monde, s'est reposé (1); et cela sans vous soucier de la peine de mort établie contre les profanateurs, sans redouter l'infamie attachée à la malédiction? Pourquoi écartez-vous de votre corps ce signe honteux de la circoncision, en si grand honneur dans la loi et chez les Prophètes, notamment aux yeux d'Abraham après la prétendue épreuve de sa foi: surtout quand Dieu lui-même ordonne d'exterminer du milieu de son peuple, quiconque ne porte pas ce sceau d'ignominie (2) ? Pourquoi négligez-vous ces sacrifices légaux, que Moïse et les Prophètes sous l'empire de la loi, qu'Abraham lui-même, guidé par sa simple foi, plaçaient au premier rang des devoirs ? Pourquoi souillez-vous votre âme en usant sans distinction de toute espèce d'aliments, puisque le Christ est venu non pour abolir, mais pour accomplir tout cela ? Pourquoi ce mépris impie pour l'usage annuel des azymes, et pour l'immolation de l'agneau pascal, quand la loi et les Prophètes veulent qu'on les observe à perpétuité ? Et ces néoménies, ces ablutions, cette fêle des tabernacles et les autres observances charnelles prescrites par la loi et les Prophètes, pourquoi les battez-vous, pour ainsi dire, en brèche, si le Christ ne leur a pas porté la plus légère atteinte ? J'ai donc raison de dire que si vous voulez rendre raison de ce mépris, vous êtes forcés ou de renoncer à vous dire disciples du Christ, ou d'avouer qu'il a été le

1. Gen. II, 2. — 2. Id. XVII, 9-14.

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premier à détruire tout cela. Et la conséquence de cet aveu sera que vous conveniez, ou que le chapitre où il est écrit que le Christ a dit n'être pas venu pour abolir la loi, mais pour l'accomplir, est faux; ou que ces paroles ont un je ne sais quel autre sens, fort éloigné de celui que vous y attachez.

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CHAPITRE VII. C'EST LA LOI MOSAÏQUE QUE LE CHRIST EST VENU, NON ABOLIR, MAIS ACCOMPLIR.

Augustin. Dès que tu conviens que le Christ a dit : " Je ne suis pas venu abolir a la loi ou les Prophètes, mais les accomplir (1) " (et il te semblerait dur de repousser l'autorité de l'Evangile : ne trouve donc pas moins dur de contredire l'Apôtre qui nous dit: " Toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (2) ", et encore, à propos du Christ: " Il n'y a pas eu a en lui oui et non, mais oui : en effet, toutes a les promesses de Dieu sont en lui le oui (3) ", c'est-à-dire sont réalisées, accomplies en lui) : dès lors, dis-je, tu verras clairement quelle est la loi qu'il a accomplie et comment il l'a accomplie. Tu seras dispensé de te promener à travers trois espèces de lois et trois espèces de Prophètes, en cherchant une issue pour sortir, sans la trouver. Car il est manifeste, et le Nouveau Testament lui-même nous l'atteste souvent en termes plus clairs que la lumière du soleil, quelle est la loi, quels sont les Prophètes que le Christ est venu, non abolir, mais accomplir. C'est la loi même qui, donnée par Moïse, est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (4). C'est, dis-je, la loi donnée par Moïse, duquel le Christ a dit " Car c'est de moi qu'il a écrit (5) ". C'est certainement cette loi qui est survenue pour que le péché abondât (6): ce que vous avez l'habitude de lui reprocher, dans votre inintelligence. Lisez donc ce passage et voyez que c'est d'elle qu'on dit : " Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ainsi ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là. Mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort (7) ". Car la loi ne commandait pas le péché, pour que, elle survenant, le péché abondât; mais la promulgation

1. Matt. V, 17. — 2. I Cor. X, 6. — 3. II Cor. I, 20, 21. — 4. Jean, I, 17. — 5. Id. V, 46. — 6. Rom. V, 20. — 7. Id. VII, 12, 13.

du commandement saint, juste et bon, avait rendu coupables de rébellion des orgueilleux qui présumaient beaucoup d'eux-mêmes ; afin que, humiliés par là, ils apprissent â recourir à la grâce par la foi, pour n'être plus soumis à la loi par la prévarication, mais associés à la loi par la justice. En effet, le même Apôtre dit: " Avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la loi, réservés pour cette foi qui a été révélée ensuite. Ainsi ", ajoute-t-il, " la loi a été notre pédagogue dans le Christ Jésus; mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous le pédagogue (1) " ; parce que, étant affranchis par la grâce, nous ne sommes plus liés par la prévarication de la loi. En effet, avant que nous fussions humiliés et reçussions la grâce spirituelle, la lettre, en nous commandant ce que nous ne pouvions exécuter, ne faisait que nous donner la mort. C'est pourquoi le même Apôtre dit : " La lettre tue, mais l'esprit vivifie (2) ". Et encore : " Car si une loi eût été donnée qui pût vivifier, la justice viendrait vraiment de la loi; mais l'Ecriture a tout renfermé dans le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants (3) ". Il dit encore: " Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu, en envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair par le péché même, afin que la justice de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'esprit (4) ". Voilà ce que signifie : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir ". Car comme la loi, en aggravant le péché, rendait les hommes orgueilleux coupables du crime de rébellion, parce qu'elle leur commandait ce qu'ils ne pouvaient exécuter, la justice de la loi elle-même s'est accomplie chez ceux qui apprennent à être doux et humbles de coeur, par la grâce de l'esprit du Christ qui est venu non abolir la loi, mais l'accomplir. Et comme il est difficile en cette vie mortelle, à ceux mêmes qui sont sous l'empire de la grâce, d'accomplir en tout sens ce qui est écrit dans la loi : " Tu ne convoiteras pas (5)", le Christ, devenu prêtre par le sacrifice de sa chair, nous obtient l'indulgence et, en cela même, accomplit

1. Gal. III, 23-25. — 2. II Cor. III, 6. — 3. Gal. III, 21, 22. — 4. Rom. VIII, 3, 4. — 5. Ex. XX, 17.

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encore la loi; afin que ce qui nous est difficile à cause de notre faiblesse, nous soit accordé par la perfection de celui qui est notre chef et dont nous sommes les membres. Ce qui fait dire à Jean: " Mes petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez point; cependant, si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste; et il est lui-même expiation pour nos péchés (1) ".

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CHAPITRE VIII. LES RITES PROPHÉTIQUES CESSENT D'ÊTRE OBSERVÉS, PARCE QUE LEUR BUT EST REMPLI.

Or, il a accompli les prophéties, parce qu'en lui les promesses de Dieu se sont réalisées. J'ai déjà rappelé plus haut le mot de l'Apôtre " Car toutes les promesses de Dieu sont en lui le oui ". Le même dit encore: " Car je dis que le Christ a été le ministre de la circoncision pour justifier la véracité de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères (2) ". Donc, tout ce qui a été promis dans les Prophètes, soit ouvertement, soit en figures, soit en paroles, soit en actions, s'est accompli en celui qui est venu, non abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir. Or, ce que vous ne comprenez pas, c'est que, si les chrétiens observaient encore certains rites, certaines cérémonies qui étaient la figure de l'avenir, cela signifierait simplement que les choses prédites par ces figures ne seraient pas encore arrivées. En effet, ce qu'on annonce comme à venir, n'est pas encore arrivé, ou, si c'est arrivé, l'annonce qu'on en fait est inutile ou mensongère. Ainsi donc ce qui vous fait croire que le Christ n'a pas accompli les Prophètes, à savoir parce que les chrétiens n'observent plus certains rites imposés aux Hébreux par les Prophètes, c'est précisément ce qui prouve qu'il les a accomplis. En effet, ce que ces figures prophétisaient est si bien accompli, qu'elles ont cessé d'être des prophéties. C'est ce que le Sauveur exprime quand il dit : " La loi et les Prophètes ont duré jusqu'à Jean (3) ". Car la loi qui renfermait les prévaricateurs sous l'abondance du péché en vue de la foi qui a été révélée ensuite, est devenue la grâce par Jésus-Christ, par qui la grâce a surabondé; et ainsi la grâce qui affranchit, a accompli ce que n'accomplissait

1. I Jean, II, 1, 2. — 2. Rom. XV, 8. — 3. Luc, XVIII, 16.

pas la lettre qui commandait. De même toute prophétie renfermée dans la loi, et qui promettait l'arrivée du Sauveur, non-seulement en paroles, mais aussi en actions figuratives, est devenue la vérité par Jésus-Christ. Car " la loi a été donnée par Moïse; mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (1) ". C'est depuis son avènement que le royaume de Dieu a commencé à être annoncé; parce que " la loi et les Prophètes ont duré jusqu’à Jean " ; la loi pour faire des coupables qui soupirassent après le salut ; les Prophètes pour promettre le Sauveur. Du reste, qui ne sait qu'il y a encore eu d'autres Prophètes dans l'Eglise après l'ascension du Christ? C'est de ceux-ci que Paul dit: " Ainsi Dieu a établi dans l'Eglise premièrement des Apôtres, secondement des Prophètes, troisièmement des Docteurs (2)", et ainsi du reste. Ce n'est pas d'eux qu'il est dit: " La loi et les Prophètes ont duré jusqu'à Jean ", mais de ceux qui ont prophétisé le premier avènement du Christ : lequel avènement ayant eu lieu, ne peut évidemment plus être prophétisé.

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CHAPITRE IX. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA CIRCONCISION NI LE SABBAT.

Par conséquent, quand tu demandes pourquoi le chrétien ne se circoncit pas dans sa chair, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : Le chrétien ne se circoncit plus précisément parce que le Christ a accompli ce que la circoncision prophétisait. En effet, le dépouillement de la génération charnelle, dont cette opération était la figure, a été accompli par la résurrection du Christ, et le sacrement de Baptême nous est un gage qu'il en sera de même dans notre résurrection. Car le sacrement de la vie nouvelle n'a pas dû tout à fait disparaître, parce que la résurrection des morts est encore pour nous un événement à venir: et cependant il a dû faire place à quelque chose de mieux quand le baptême est venu, parce qu'alors il s'est passé un fait qui n'avait pas encore eu lieu : c'est que la résurrection du Christ nous a offert un modèle de ce que sera la vie éternelle. Quand tu demandes pourquoi le chrétien n'observe pas le repos du sabbat, puisque le Christ n'est pas venu abolir

1. Jean, I, 17. — 2. I Cor. XII, 28.

273

la loi, mais l'accomplir, je te réponds que le chrétien n'observe pas le repos du sabbat précisément parce que le Christ a accompli ce que cette figure prophétisait. Car nous trouvons le sabbat (le repos) en celui qui a dit : " Venez à moi, vous tous qui prenez de a la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai; prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez du repos pour vos âmes (1) ".

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CHAPITRE X. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA DISTINCTION ENTRE LES ALIMENTS, LES SACRIFICES D'ANIMAUX, LA PAQUE, ETC....

Quand tu demandes pourquoi le chrétien n'observe pas la distinction établie par la loi entre les aliments, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds que le chrétien n'observe pas cette distinction, parce que le but même de cette figure prophétique est déjà rempli par le Christ, qui n'admet point dans son corps, qu'il a prédestiné à la vie éternelle dans ses saints, tout ce que les animaux immondes figuraient par avance dans la conduite des hommes. Quand tu me demandes pourquoi le chrétien n'offre point à Dieu par l'immolation des animaux, des sacrifices de chair et de sang, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : que le chrétien doit surtout s'abstenir désormais de sacrifices de ce genre, parce que le Christ a accompli, par l'immolation de sa chair et de son sang, tout ce que prophétisaient ces figures en action. Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne conserve pas l'usage des azymes, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds: que c'est parce que le Christ a rempli le but même de cette figure prophétique, en purifiant du vieux levain et en faisant apparaître une vie nouvelle (2). Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne célèbre plus la pâque avec la chair d'un agneau, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : que le chrétien ne célèbre plus cette espèce de pâque, parce que le Christ, Agneau sans tache, a accompli par sa passion ce que cette figure prophétisait. Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne célèbre plus les

1. Matt. XI, 28, 2°. — 2. I Cor. V, 7.

néoménies prescrites par la loi, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds: que le chrétien ne les célèbre plus, parce que le Christ a rempli le but prophétique pour lequel on les célébrait. Car la fête de la nouvelle lune figurait par avance la nouvelle vie, dont l'Apôtre dit : " Si donc il est a une créature nouvelle dans le Christ, les a choses anciennes ont passé : voilà que tout est devenu nouveau (1) ". Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne pratique pas les ablutions prescrites par la loi pour diverses espèces d'impuretés, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds que le chrétien ne les observe plus, précisément parce qu'elles étaient les figures de l'avenir et que le Christ les a accomplies. Car il est venu nous ensevelir avec lui dans le baptême, nous y faire mourir, afin que, comme le Christ est ressuscité des morte, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie (2). Quand tu demandes pourquoi la fête des Tabernacles n'est pas solennisée par les chrétiens, puisque la loi a été, non abolie, mais accomplie par le Christ, je réponds : que le tabernacle de Dieu, ce sont les fidèles, unis et en quelque sorte resserrés tsar la charité, dans lesquels il daigne habiter; et que la raison pour laquelle les chrétiens ne célèbrent plus cette fête, c'est que le Christ a accompli dans son Église ce que promettait cette figure prophétique.

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CHAPITRE XI. L'AVÈNEMENT DU CHRIST A MIS FIN A TOUS LES RITES QUI L'ANNONÇAIENT.

Nous avons traité ces questions, d'après notre plan, le plus brièvement possible, et pour ne pas les passer absolument sous silence. Du reste on les a discutées en détail et article par article dans des livres considérables et nombreux, qui démontrent que le Christ était l'unique objet de ces prophéties. De là il résulte que, tandis que vous vous imaginez que tous ces rites prescrits dans l'Écriture ne sont plus observés par les chrétiens, et que le Christ les a abolis, ils ne le sont plus justement parce qu'il les a tous accomplis. En effet, l'observation de ces symboles était l'annonce du Christ. Qu'y a-t-il donc d'étonnant, qu'y a-t-il d'absurde, ou plutôt quelle raison et quelle convenance n'y a-t-il pas, à ce que tout

1. II Cor. V, 17. — 2. Rom. VI, 4.

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ce qui se pratiquait pour annoncer l'avènement du Christ, cesse après cet avènement ? Il ne faut donc pas s'imaginer que, parce que depuis l'avènement du Christ on ne pratique plus ces rites figuratifs, prophéties de cet avènement, ils n'ont pas été accomplis par le Christ; c'est que, tout au contraire, s'ils n'avaient pas été accomplis par l'avènement du Christ, on les observerait encore. Or, les hommes ne sauraient être unis en, un corps de religion vraie ou fausse, sans être liés par une communauté de signes ou de sacrements visibles sacrements dont la puissance est inexprimable et dont le mépris fait les sacrilèges. Car on ne méprise pas sans impiété ce qui est nécessaire pour former la piété.

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CHAPITRE XII. LES IMPIES PARTICIPENT AUX SACREMENTS, MAIS N'ONT POINT LA CHARITÉ.

Cependant comme les impies peuvent participer aux sacrements visibles destinés à former la piété, puisque nous lisons que Simon le Magicien lui-même avait reçu le saint baptême (1), il faut alors les ranger parmi ceux dont parle l'Apôtre : " Ayant, une apparence de piété, mais en repoussant la réalité (2) ". Or, la réalité de la piété est le but même du précepte, c'est-à-dire là charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte (3). C'est pourquoi l'apôtre Pierre parlant du sacrement de l'Arche dans laquelle la famille de Noé fut sauvée du déluge, dit : " Ce qui vous sauve vous-mêmes, c'est un baptême semblable ". Et pour que les fidèles ne crussent pas que c'était assez du sacrement visible qui leur donnait l'apparence de la piété et qu'ils n'en repoussassent pas la réalité par une vie coupable et des moeurs corrompues, il ajoute aussitôt : " Non pas une purification des souillures de la chair, mais l'engagement d'une bonne conscience (4) "

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CHAPITRE XIII. SACREMENTS DE LA LOI NOUVELLE SUBSTITUÉS A CEUX DE L'ANCIENNE.

Par conséquent, les premiers sacrements qui étaient observés et célébrés d'après la loi, étaient des prophéties annonçant la venue du Christ ; le Christ les ayant accomplis par son

1. Matt. VIII, 13. — 2. II Tim. III, 5. — 3. I Tim. I, 5. — 4. I Pet. III, 21.

avènement, ils ont disparu, et ils ont disparu parce qu'ils étaient accomplis ; car le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir et d'autres ont été institués, d'une vertu plus efficace, d'une utilité plus grande, plus faciles à pratiquer, d'un nombre moins considérable, qui sont comme la justification de la foi révélée, et destinés aux enfants de Dieu qui ont été appelés à la liberté et délivrés du joug de la servitude (1), lequel convenait à un peuple indocile et livré à la chair.

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CHAPITRE XIV. SI LES ANCIENS JUSTES ONT SOUFFERT POUR LEUR LOI, A PLUS FORTE RAISON DOIT-ON SOUFFRIR POUR LA NOUVELLE. LA PROMESSE DE LA VIE ÉTERNELLE DÉJÀ RÉALISÉE DANS LE CHRIST.

Cependant si les anciens justes, qui savaient que ces sacrements étaient l'annonce prophétique de la foi qui devait être un jour révélée, - vivaient de cette foi même, laquelle, bien qu'obscure et cachée, était néanmoins sensible pour leur piété (car personne ici-bas ne peut être juste, sans vivre de la foi (2)); si, dis-je, ces justes étaient prêts à souffrir et ont même, pour la plupart, souffert les tourments les plus durs et les plus affreux, pour ces sacrements prophétiques, figures d'événements non encore accomplis ; si nous exaltons les trois enfants et Daniel, parce qu'ils n'ont pas voulu se souiller en mangeant des mets de la table du roi (3), ce qui était contraire au sacrement de ce temps-là ; si nous professons la plus grande admiration pour les Machabées, parce qu'ils n'ont pas voulu toucher à des viandes dont l'usage est aujourd'hui permis aux chrétiens (4), parce que cela était défendu à cette époque toute prophétique : à combien plus forte raison un chrétien doit-il être prêt à tout souffrir pour le baptême du Christ, pour l'Eucharistie du Christ, pour le signe du Christ, quand, d'un côté, il n'y avait que des promesses d'avenir, et que, de l'autre, ce sont des preuves que les promesses sont accomplies ? Car ce qui est encore promis à l’Église, c'est-à-dire au corps du Christ, est annoncé comme déjà manifesté, et est certainement déjà accompli dans le chef même et le Sauveur du corps, c'est-à-dire dans Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes (5). Que

1. Gal. V, 13. — 2. Rom. I,17. — 3. Dan. I, 8. — 4. II Mac, VII. — 5. I Tim. II, V.

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promet-on, en effet, sinon la vie éternelle après la résurrection des morts ? Or, cela est déjà accompli dans cette chair, qui a été le Verbe fait chair et qui a habité parmi nous (1). Alors donc la foi était occulte : car tous les justes et les saints de ce temps-là croyaient les mêmes choses et espéraient les mêmes choses ; et tous leurs sacrements et tous leurs rites sacrés n'étaient que des promesses. Mais maintenant la foi a été révélée, la foi dans laquelle le peuple était renfermé quand il était sous la garde de la loi (2): et ce qui est promis aux fidèles pour le jour du jugement, est déjà accompli de fait, dans la personne de Celui qui est venu, non abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir.

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CHAPITRE XV. QUESTIONS DIVERSES. CE N'EST POINT LE MOMENT DE LES TRAITER.

Ceux qui approfondissent les saintes Ecritures demandent, à cette occasion, si la foi au Christ devant souffrir et ressusciter un jour, était aussi utile aux anciens justes qui la puisaient dans quelques révélations ou dans les livres des Prophètes, que l'est aux fidèles d'aujourd'hui la foi au Christ qui a souffert et qui est ressuscité ; si l'effusion du sang de l'Agneau qui a eu lieu, comme il le dit lui-même, " pour un grand nombre en rémission des péchés (3) ", a servi à quelque chose, a rendu purs ou plus purs ceux qui y croyaient comme à une chose à venir et sont sortis de cette vie avant qu'elle fût accomplie; et si la mort du Sauveur a étendu ses bienfaits jusqu'à ces justes au tombeau. Mais traiter maintenant cette question, la discuter, y démêler les éléments vrais et les étayer de preuves, serait un travail de longue haleine et qui n'est point nécessaire pour l'objet présent.

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CHAPITRE XVI. IL A FALLU DES RITES DIFFÉRENTS, UN AUTRE LANGAGE FOUR PROPHÉTISER CE QUI DEVAIT ARRIVER, ET INDIQUER CE QUI EST ACCOMPLI.

En attendant, qu'il nous suffise de réfuter les calomnies que Fauste a avancées dans son ignorance, de démontrer l'extravagante erreur de ceux qui croient que, les signes et les sacrements étant changés; les choses promises par le rite prophétique ne sont pas celles qui

1. Jean, I, 14. — 2. Gal. III, 23. — 3. Matt. XXVI, 28.

sont accomplies par 1e rite évangélique ; ou qui pensent que, si les choses sont les mêmes, on devrait, quand elles sont accomplies, les annoncer au moyen des mêmes sacrements qui servaient à les prophétiser avant leur accomplissement. Car si les sons des mots qui forment le langage, varient selon le temps ; si on exprime différemment la même chose quand elle est à faire ou quand elle est faite ; si ces deux mots mêmes : " devant être fait", et " fait " , n'ont pas la même quantité, les mêmes lettres, les mêmes syllabes ni un même nombre : qu'y a-t-il d'étonnant qu'on ait employé des signes et des rites différents pour promettre la passion et la résurrection futures du Christ, et pour indiquer qu'elles étaient accomplies : puisque les mots mêmes " futur " et " fait ", " devant souffrir " et " ayant souffert ", " devant ressusciter " et " ressuscité ", n'ont pu avoir la même longueur ni se produire par les mêmes sons? Que sont au fond les sacrements matériels, sinon des paroles rendues visibles, très-saintes il est vrai, mais néanmoins sujettes à changement et dépendantes du temps ? Car Dieu est éternel, et cependant l'eau et toutes les cérémonies qui se rattachent au baptême, se font, passent, et ne sont pas éternelles ; et, là encore, ces syllabes passagères, ces sons rapides qui forment le mot " Deus, Dieu ", ne produisent point l'effet sacré, si elles ne sont pas prononcées.Tout cela se fait et passe, tout cela bruit et passe ; et cependant la puissance qui opère en cela, demeure éternellement, et le feu spirituel communiqué par là est aussi éternel. Ainsi donc, celui qui dit: Si le Christ n'avait pas aboli la loi et les Prophètes, les sacrements prescrits par la loi et les Prophètes subsisteraient et se célébreraient encore dans les assemblées chrétiennes; celui-là peut dire aussi : Si le Christ n'avait pas aboli la loi et les Prophètes, on annoncerait encore qu'il naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera; tandis que ce qui prouve qu'il n'est pas venu abolir tout cela, mais l'accomplir, c'est qu'on ne promet plus qu'il naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera, ainsi que les anciens sacrements le signifiaient; mais qu'on annonce qu'il est né, qu'il a souffert, qu'il est ressuscité, comme l'indiquent les sacrements célébrés chez les chrétiens. Celui donc qui est venu, non abolir, mais accomplir la loi et les Prophètes, a aboli, par cet accomplissement même, ce qui n'était que (276) la promesse et le gage de l'accomplissement de ce qui est certainement accompli. C'est comme s'il faisait disparaître ces mots : Il naîtra, il souffrira, il ressuscitera, qui étaient justes quand il s'agissait du futur, et y substituait ceux-ci : Il est né, il a souffert, il est ressuscité, qui sont maintenant les seuls vrais, puisque les autres sont accomplis et ont, pour cela même, disparu.

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CHAPITRE XVII. A QUI, PARMI LES PREMIERS CHRÉTIENS, LE JUDAÏSME ÉTAIT ENCORE PERMIS, A QUI IL ÉTAIT DÉFENDU.

Ainsi donc, comme ces paroles, les sacrements de l'ancien peuple ont dû disparaître et se transformer, parce qu'ils avaient leur accomplissement dans celui qui n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, irais les accomplir. Et pour donner aux premiers chrétiens, convertis du judaïsme, le temps de s'en convaincre peu à peu et d'en avoir une parfaite intelligence, contrairement à une longue habitude, aux préjugés de la naissance et de l'éducation, les Apôtres leur permirent de conserver les rites et les traditions des ancêtres, et en prévinrent ceux à qui cela était nécessaire, afin de s'accommoder à la lenteur de leur caractère et à leurs habitudes. Voilà comment l'Apôtre circoncit lui-même Timothée, né d'une mère juive et d'un père grec, à cause de ceux chez qui il venait avec lui et qui se trouvaient dans le même cas (1); et il tint cette conduite au milieu d'eux, non par dissimulation et pour tromper, mais par esprit de précaution et de prudence. En effet, pour des hommes nés et élevés dans de telles conditions, ces rites étaient sans danger, bien qu'ils ne fussent plus nécessaires pour annoncer l'avenir. Il eût été bien plus dangereux de les défendre comme coupables à ceux jusqu'au temps de qui ils devaient durer; parce que le Christ, qui était venu accomplir toutes ces prophéties, les y avait trouvés ainsi initiés ; et, d'autre part, pour que ceux qui n'étaient point liés par de telles habitudes, mais qui venaient, comme d'un mur opposé, c'est-à-dire du milieu des incirconcis, à la pierre angulaire qui est le Christ (2), ne fussent pas astreints à de telles obligations. Si donc ceux qui venaient de la circoncision et qui étaient encore

1. Act. XVI, 1-3. — 2. Eph. II, 14, 20.

dans l'usage de ces sacrements, voulaient, comme Timothée, y rester fidèles, on ne les en empêchait point; mais s'ils s'imaginaient que leur espérance et leur salut reposassent sur ces oeuvres de la loi, on devait les en éloigner comme d'une mort assurée. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre: " Voici que moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (1) ". " Si vous vous faites circoncire", bien entendu, comme ils le voulaient, comme des gens à qui des esprits pervers avaient persuadé qu'ils ne pourraient être sauvés sans les oeuvres de la loi (2). En effet, comme les Gentils venaient à la foi du Christ (surtout par la prédication de l'apôtre Paul), ainsi qu'ils devaient y venir, sans être surchargés d'observances de ce genre; comme ces rites auxquels ils n'étaient point habitués, et surtout la circoncision, eussent détourné de la foi ceux qui étaient déjà avancés en âge; que leur naissance ne les disposait pas à pratiquer ces sacrements, en se faisant prosélytes à l'ancienne manière, comme si ces rites mystérieux fussent encore chargés d'annoncer le futur avènement du Christ; comme, dis-je, ils venaient à la foi ainsi que des Gentils devaient y venir ; ceux qui venaient de la circoncision ne comprenant pas pourquoi on ne leur imposait pas les observances qu'on tolérait chez eux, commençaient à troubler l'Eglise par certaines séditions charnelles, sous prétexte que les Gentils, en prenant place parmi le peuple de Dieu, n'étaient pas d'abord devenus prosélytes par la pratique solennelle de la circoncision de la chair et des autres observances de ce genre prescrites par la loi. Or, parmi ces gentils; il en était qui demandaient vivement à embrasser ces rites, parce qu'ils craignaient les Juifs au milieu desquels ils vivaient. C'est contre ceux-là que Paul s'élève en beaucoup d'endroits de ses écrits : et Pierre même s'étant laissé aller à user en ce point de dissimulation, il lui adressa une correction fraternelle (3). Mais après que les Apôtres réunis ensemble eurent décidé dans leur prudence qu'il ne fallait pas obliger les Gentils aux oeuvres de la loi (4), cette mesure déplut à certains Juifs devenus chrétiens, qui ne savaient pas voir qu'on ne pouvait tolérer ces rites que chez ceux que la foi, actuellement révélée, y avait trouvés adonnés, afin que l'opération prophétique se consommât

1. Gal. V, 2. — 2. Act. XV, 1. — 3. Gal. II, 14. — 4. Act. XV, 6-11.

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en ceux qui la pratiquaient déjà avant l'accomplissement même de la prophétie, et de peur que, si on la leur interdisait, ils ne la crussent plutôt désapprouvée qu'arrivée à terme ; tandis que, si on en faisait une loi aux Gentils, on pourrait croire ou qu'elle n'avait pas été instituée en vue du Christ promis, ou qu'elle continuait à être une promesse du Christ à venir. Ainsi donc le premier peuple de Dieu, avant que le Christ vînt accomplir la loi et les Prophètes, avait ordre d'observer tolet ce qui était l'annonce prophétique de son avènement : libre dans ceux qui connaissaient le but où tout cela tendait, esclave dans ceux qui ne le comprenaient pas. Mais le peuple nouveau, recevant la foi qui annonçait que le Christ était venu, qu'il avait souffert, qu'il était ressuscité, n'était ni obligé ni empêché d'observer ces sacrements, dans la personne de ceux qui les pratiquaient avant d'embrasser cette foi : mais il en était empêché dans ceux qui, au moment où ils venaient à la foi, ne connaissaient point ces pratiques, et n'y étaient tenus ni par naissance, ni par habitude, ni par convenance ; afin que par eux on commentât à voir que toutes ces œuvres avaient été instituées en vue de la promesse du Christ, et qu'elles devaient disparaître du moment que le Christ était venu et avait accompli les promesses. Mais cette prudence et ces sages ménagements, inspirés aux Apôtres par l'Esprit-Saint, ayant déplu à certains Juifs devenus croyants, qui ne les comprenaient pas:, ils persévérèrent dans la coupable pensée de forcer les Gentils à pratiquer le judaïsme. Ce sont ceux-là que Fauste mentionne sous le nom de Symmaques ou de Nazaréens. On en trouve encore de nos jours, quoiqu'en très-petit nombre.

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CHAPITRE XVIII. CE QUE LES CHRÉTIENS ONT GARDÉ DE LA LOI ANCIENNE.

Pourquoi donc ces sectaires calomnient-ils la loi et les Prophètes, sous prétexte que le Christ est venu les abolir plutôt que les accomplir, et accusent-ils les chrétiens de ne pas observer ce qui y est prescrit, quand les chrétiens n'en omettent que ce qui était une promesse du Christ et l'omettent précisément parce que le Christ a accompli les promesses, que ce qui est accompli ne se promet plus, et que tous ces signes prophétiques devaient trouver leur terme en ceux mêmes qui en étaient pénétrés, quand ils sont venus à la foi du Christ qui a tout accompli? Est-ce que les chrétiens ne maintiennent pas ce qui est écrit : " Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (1) ; tu ne te fabriqueras point d'idoles ", et tant d'autres choses de ce genre? Est-ce que les chrétiens n'observent pas la défense : " Tu ne prendras pas le nom du Seigneur ton Dieu en vain ? " Est-ce que les chrétiens n'observent pas le sabbat, établi comme symbole du véritable repos? Est-ce qu'ils ne s'abstiennent pas de la fornication, de l'homicide, du vol, du faux témoignage, de la convoitise de la femme ou du bien d'autrui : toutes choses prescrites dans la loi (2) ? Ici ce sont des préceptes moraux, et là des rites renfermant des promesses; les uns s'accomplissent avec l'aide de la grâce, les autres par la manifestation de la vérité : mais les uns et les autres par le Christ, qui donne toujours cette grâce et la manifeste mainte nant ; qui promettait alors cette vérité et maintenant la fait connaître : puisque " la loi a été donnée par Moïse, mais que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (3) ". Enfin, ces préceptes, fidèlement conservés par une conscience droite, sont accomplis par la foi qui agit par la charité; mais ces rites, qui ne renfermaient qu'une promesse, ont passé, quand les faits promis ont eu lieu. Ils ne sont donc pas abolis, mais accomplis; parce que le Christ, en accomplissant la promesse qu'ils renfermaient, a démontré qu'ils n'étaient ni inutiles, ni mensongers.

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CHAPITRE XIX. ERREUR DE FAUSTE SUR CE POINT.

Fauste se trompe donc quand il affirme que le Seigneur Jésus a accompli certaines choses qui avaient été dites aux anciens justes avant la loi de Moïse, comme par exemple

" Tu ne tueras pas " : (précepte que le Christ est loin de rejeter, puisqu'il le confirme, en défendant la colère et toute parole injurieuse (4) ) ; mais qu'il en a aboli d'autres, qui semblaient plus proprement appartenir à la loi des Hébreux, comme par exemple : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", qu'il semble avoir plutôt aboli que confirmé en disant :

1. Deut. VI, 4. — 2. Ex. XX, 4-17. — 3. Jean, I, 17. — 4. Ex. IX, 18; Matt. V, 21, 22.

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" Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements; mais si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre (1) ". Car nous disons que ce que les Manichéens croient aboli par le Christ qui aurait établi des principes contraires, a été autrefois sagement institué pour le temps, et est maintenant, non aboli, mais accompli par le Christ.

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CHAPITRE XX. CE N'EST POINT LA LOI DES ANCIENS JUSTES, QUE LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIR.

Et d'abord, je demande aux Manichéens si ces anciens justes, Enoch et Seth (ce sont ceux que Fauste se plait surtout à citer) et tous ceux qui ont pu exister, non-seulement avant Moïse, mais même avant Abraham, se sont fâchés sans raison contre leur frère ou lui ont dit : " Fou? " Sils ne font pas dit, pourquoi n'ont-ils pas donné des enseignements, en conséquence? Et s’ils en ont donné, je demande comment le Christ a complété leur justice et leur doctrine, en ajoutant : " Et moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère, ou lui dit: Rata, ou lui dit: Fou, sera soumis au jugement, ou au conseil, ou à la géhenne du feu (1) ", puisque ces justes se réglaient d'après ces principes, et enseignaient qu'il fallait-les suivre? Ces justes ignoraient-ils qu'il faut réprimer sa colère; ne point provoquer un frère par des paroles injurieuses et insolentes; ou, s'ils le savaient, ne pouvaient-ils s'abstenir de ces fautes? Ils étaient donc soumis à la géhenne mais alors, comment étaient-ils justes? Tu n'oses certainement pas dire que, dans leur justice, ils étaient ignorants de leurs devoirs, ou incapables de se modérer, au point d'être soumis à la géhenne. Pourquoi donc le Christ ajouterait-il à la loi selon laquelle ces justes vivaient, et l'accomplirait- il, puisque, sans ces principes; ils ne pouvaient pas même être justes? Diras-tu que la -violence 'de la colère et l'insolence du langage ne sont devenues des péchés que depuis l'avènement du Christ, et qu'auparavant il n'y avait pas de mal à se livrer à ces désordres du cœur ou de la bouche; Comme nous voyons qu'en certaines institutions accommodées aux temps, une chose est d'abord permise et ensuite

1. Ex. XXI, 24; Matt. V, 38, 39. — 2. Matt. V, 22.

défendue, ou une autre défendue et ensuite permise? Tu ne porteras pas la folie jusque-là. Mais quand tu le dirais, on te répondrait que, d'après cette manière de voir, le Christ ne serait plus venu combler les lacunes de la loi ancienne, mais créer une nouvelle loi; puisqu'il eût été permis au temps des anciens justes, de dire " Fou " à son frère, tandis que le Christ veut que ce soit une injustice telle que quiconque prononce ce mot soit soumis à la géhenne. Par conséquent, tu n'as pas encore trouvé la loi à laquelle ces préceptes aient fait défaut et que le Christ sait venu accomplir en les y ajoutant.

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CHAPITRE XXI. LA LOI QUI DÉFEND L'ADULTÈRE ÉTAIT DÉJÀ COMPLÈTE CHEZ LES ANCIENS JUSTES.

Est-ce par Hagard la loi qui défend l'adultère qui aurait été incomplète chez les anciens justes, jusqu'à ce que, pour la compléter, le Seigneur soit venu défendre de porter sur une femme même un regard de convoitise? Car c'est en ce sens que tu as rappelé ce passage : " Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère; mais je vous dis de ne pas même convoiter ". " C'est un complément ", dis-tu. Explique clairement ces paroles mêmes de l'Evangile, n'y mêle pas les tiennes pour les affaiblir, et cois ce que tu penses de ces justes de l'antiquité la plus reculée. " Vous avez entendu, dit le Sauveur, qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère; mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur (1) ". Est-ce que ces justes, Seth ou Enoch, ou d'autres semblables, commettaient l'adultère en leur coeur? Leur cœur n'était-il pas le temple de Dieu, ou commettaient-ils l'adultère dans le temple de Dieu? Tu n'oses pas le dire. Comment le Christ aurait-il complété sur ce point par son avènement une loi qui était déjà complète chez eux ?

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CHAPITRE XXII. ET AUSSI CELLE QUI DÉFEND DE JURER. LE NOM DE MANÈS TRANSFORMÉ PAR LES MANICHÉENS.

Quant à la défense de jurer (2), autre point sur lequel tu prétends que le Christ a aussi

1. Ex. XX, 14; Matt. V, 27,28. — 2. Ex. XX, 7 ; Matt. V, 33-37.

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accompli leur loi, je ne puis affirmer que les anciens justes ne juraient pas : car nous voyons que Paul lui-même a juré (1). Or, le jurement est sans cesse dans votre bouche ; vous jurez par la lumière, que vous aimez aussi bien que les mouches, sans songer le moins du monde à cette lumière des intelligences qui éclaire tout homme venant en ce monde (2) ;vous jurez par votre maître Manichée, qu'an appelle Manès dans la langue de sa patrie ; mais pour éviter de passer pour fous chez les Grecs, vous déclinez son nom, vous l'allongez, et y ajoutez l'idée de répandre, afin de faire une plus lourde chute. En effet, un des vôtres m'a expliqué qu'on l'appelle Manichée, pour lui donner, dans la langue grecque, l'air de quelqu'un qui répand de la manne, vu qu'en grec Xesin signifie répandre (3). Et en cela je ne sais ce que vous avez fait, si ce n'est de mieux faire ressortir les rêves de votre folie. Car vous avez oublié d'ajouter une lettre dans la première partie du mot, afin qu'on y pût reconnaître la manne ; et dans la seconde partie vous ajoutez deux syllabes, de manière à faire Manichée et non Mannichée : en sorte que d'après la valeur du mot, il ne vous aurait versé que la folie (la manie) dans ses longs et vains discours. Vous jurez très-souvent aussi par le Paraclet, non pas celui que le Christ a promis et envoyé à ses Apôtres (4), mais ce même verseur de folie, pour traduire son nom en latin. Puis donc que vous ne cessez de jurer, je voudrais bien savoir comment vous entendez cette partie de la loi (très-ancienne, selon vous) surtout à cause des serments de l'Apôtre. Car qu'est-ce que votre autorité, je ne dis pas pour moi, ou pour tout autre homme, mais pour vous-mêmes? Il me semble qu'on voit clairement combien est différent le sens qu'il faut attacher à ces paroles du Christ : " Je ne suis pas a venu abolir la loi, mais l'accomplir ". Quant aux additions qu'il y a faites, elles ne touchent point essentiellement à l'accomplissement de la loi, mais c'est une explication des anciennes maximes dont il était question, ou qui étaient pratiquées par les anciens justes.

1. Rom.I, 9; Phi1.I, 8; II Cor. I, 23. — 2. Jean, I, 9. — 3. Le texte porte être répandu, ce qui n'est pas exact, Xeo étant un verbe actif. — 4. Jean, XIV,16, 26, XVI; Act. II, 2; 4.

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CHAPITRE XXIII. LA LOI QUI DÉFEND LE PARJURE N'A POINT ÉTÉ ABOLIE.

En effet, comme, pour les Juifs, il n'y avait d'homicide que dans l'acte violent qui prive de vie un corps humain, le Seigneur a déclaré qu'il fallait considérer comme une espèce d'homicide tout mouvement coupable qui porte à nuire à un frère. C'est pourquoi Jean a dit : " Celui qui hait son frère, est un homicide (1) ". Et comme pour eux encore, il n'y avait d'adultère que dans le commerce charnel illicite avec une femme, le Maître leur a démontré que la simple convoitise était aussi un adultère. De même comme le parjure est un péché grave, tandis que ne pas jurer ou jurer la vérité n'est pas un mal, et que celui qui n'a pas l'habitude de jurer est beaucoup plus éloigné du parjure que celui qui est enclin à jurer la vérité : le Seigneur aime mieux que nous nous éloignions du parjure en ne jurant pas, que de nous en rapprocher en jurant la vérité. C'est pourquoi l'Apôtre n'a jamais juré dans les discours qu'on rapporte de lui, de peur que l'habitude de jurer ne l'entraînât au parjure, même sans qu'il s'en doutât. Mais dans ses écrits, là où la réflexion est plus grande, et plus facile, nous. voyons qu'il a juré plusieurs fois, pour qu'on ne crût pas qu'il y a du mal à jurer la vérité, mais que l'on comprît que s'abstenir de tout serment est, pour la fragilité humaine, le plus sûr moyen de se préserver du parjure. Tout cela bien pesé, nous ne voyons pas, comme Fauste le pense, que ces points mêmes qu'il croit tenir plus particulièrement à la loi de Moïse, aient été abolis.

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CHAPITRE XXIV. COMMENT ON PEUT TOUT A LA FOIS HAÏR ET AIMER SON ENNEMI. SYSTEME EXTRAVAGANT DES MANICHÉENS.

Et ici je demande aux Manichéens pourquoi ils rattachent exclusivement à la loi de Moïse ce qui a été dit aux anciens : " Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (2) ". Est-ce que l'apôtre Paul n'a pas appelé certains hommes : " Haïs de Dieu (3) ? " Et d'autre part, dans ce même sermon, le Seigneur lui-même nous exhorte à imiter

1. I Jean, III, 15. — 2. Lev. XIX, 18. — 3. Rom. I, 30.

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Dieu : " Afin ", nous dit-il, " que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur tes méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes ". Il faut donc chercher en quel sens on doit haïr ses ennemis à l'exemple de Dieu, de qui, suivant Paul, certains hommes sont haïs, et aussi aimer ces mêmes ennemis à l'exemple de Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes. Par là, on verra que le Seigneur a voulu redresser l'erreur de ceux qui comprenaient mal ces paroles : " Tu haïras ton ennemi ", et leur apprendre, ce qu'ils ignoraient absolument, à aimer leurs ennemis. Mais comment observer l'un et l'autre point? C'est une question qui serait longue à traiter. En attendant, nous avons un moyen de fermer la bouche aux Manichéens qui ne peuvent en général admettre l'idée qu'un homme haïsse son ennemi : c'est de leur demander si leur dieu aime le peuple des ténèbres ; et, si nous devons aimer nos ennemis parce qu'ils ont une partie bonne, pourquoi nous ne devrions pas les haïr parce qu'ils ont une partie mauvaise. Mais il y a une règle qui résout la difficulté, et nous fait voir qu'il n'y a pas de contradiction entre ces paroles de l'ancienne Ecriture : " Tu haïras ton ennemi ", et celles-ci de l'Evangile : " Aimez vos ennemis (1) " c'est qu'il faut haïr tout homme méchant en tant qu'il est méchant, et l'aimer en tant qu'il est homme, de manière à condamner en lui ce que nous avons raison d'y haïr, c'est-à-dire le vice, afin que ce que nous avons raison d'aimer en lui, c'est-à-dire la nature humaine, puisse se corriger du mal et s'en affranchir. Voilà, dis-je, la règle en vertu de laquelle nous haïssons un ennemi à cause de ce qu'il y a de mauvais en lui, c'est-à-dire de l'iniquité, et nous aimons ce même ennemi à cause de ce qu'il y a de bon en lui, c'est-à-dire parce qu'il est une créature faite pour la société et douée de raison, tout en restant convaincus qu'il est mauvais, non par sa propre nature ou celle d'un autre, mais par sa mauvaise volonté personnelle. Quant à nos adversaires, ils pensent que l'homme est, mauvais par la nature du peuple des ténèbres, que leur dieu lui-même, suivant eux, craignait de toute son étendue, avant d'être vaincu en

1. Matt. V, 43, 45.

partie; et il a été si bien vaincu par elle dans cette partie, qu'il n'a pu être affranchi tout entier. Les hommes donc, entendant, mais ne comprenant pas ce qui a été dit aux anciens: " Tu haïras ton ennemi ", étaient. portés à haïr l'homme, quand ils ne devaient haïr que le vice; et le Seigneur les corrige en disant " Aimez vos ennemis " ; en sorte que celui qui avait dit : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir ", qui par conséquent n'effaçait point les paroles écrites dans la loi sur la haine des ennemis, nous obligeait, en nous commandant positivement d'aimer nos ennemis, à comprendre comment nous pourrions tout à la fois haïr le même homme à cause de son iniquité et l'aimer à cause de sa nature. Mais, pour les esprits égarés des Manichéens, cela est difficile à comprendre. Il faut seulement les pousser à bout eu les forçant, autant que le permet leur raison pervertie par un culte menteur, ou plutôt leur folie, à défendre leur propre dieu en qui ils ne peuvent reconnaître de l'amour pour le peuple des ténèbres ; par conséquent, ils ne sauraient s'appuyer sur son exemple pour exhorter quelqu'un à aimer son ennemi. Ce serait au peuple même des ténèbres, plutôt qu'à leur dieu, qu'ils pourraient attribuer l'amour d'un ennemi. Car, si on en croit leurs extravagantes rêveries, ce peuple se serait épris de la lumière voisine de son séjour, aurait voulu en jouir, et pour cela aurait imaginé d'y faire irruption. Et en cela il n'y avait pas de mal, puisque c'était désirer le vrai bien, la source du bonheur. Aussi le Seigneur dit-il : " Le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent (1) ". Et voilà que, selon ces vaines doctrines, le peuple des ténèbres a voulu employer la violence et ravir le bien qu'il aimait, et dont la clarté et la beauté l'avaient séduit; mais, en revanche, le dieu ne put aimer ce peuple envahisseur, qui voulait jouir de lui et, le poursuivant de sa haine, il s'efforça d'en détruire jusqu'au dernier vestige. Or, si les méchants aiment le bien pour en jouir, et si les bons haïssent le mal pour ne pas s'en souiller, dites-nous; Manichéens, lesquels d'entre eux accomplissent l'ordre du Seigneur : " Aimez vos ennemis? " Que si ces deux principes vous paraissent devoir être séparés et se trouver contradictoires entre eux, voilà que votre

1. Matt. XI, 12.

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dieu a accompli ce qui est écrit dans la loi de Moïse. " Tu haïras ton ennemi "; et le peuple des ténèbres, ce qui est écrit dans l'Evangile : " Aimez vos ennemis ". D'autre part votre imagination elle-même n'a pu trouver moyen de trancher la question entre les mouches qui cherchent la lumière, et les mites qui la fuient : car vous prétendez que ces deux espèces d'insectes appartiennent au peuple des ténèbres. Pourquoi donc les unes aiment-elles la lumière qui leur est étrangère, et les autres ont-elles de l'aversion pour cette même lumière et restent-elles plutôt fidèles à leur origine? Serait-ce que les mouches naissent plus pures dans de fétides cloaques que les mites dans d'obscurs cabinets?

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CHAPITRE XXV. LA LOI DU TALION EN FACE DE LA DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE.

Maintenant, quelle contradiction y a-t-il entre ce qui a été dit aux anciens : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", et ce que dit le Seigneur : " Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements; mais si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre (1) ", et le reste? Le précepte donné aux anciens avait pour but de réprimer l'ardeur de la haine, de mettre un frein à une fureur immodérée. Car quel est l'homme qui se contente de se venger dans la juste proportion de l'injure qu'il a reçue ? Ne voyons-nous pas des hommes, légèrement offensés, méditer le meurtre, avoir soif de sang, et se montrer insatiables des maux de leur ennemi ? Quel est l'homme qui, ayant reçu un coup de poing, ne cite pas en justice celui qui l'a frappé pour le faire condamner; ou s'il veut se faire lui-même justice, n'accable pas son adversaire de coups de poing et de coups de pied du haut en bas, à supposer encore qu'il ne se trouve pas une arme sous sa main pour l'en percer ? C'était donc pour fixer une juste mesure à cette vengeance immodérée, et par là même injuste, que la loi avait établi la peine du talion, c'est-à-dire réglé que la punition serait telle que l'injure. Par conséquent le principe : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", n'avait pas pour but d'exciter la colère, mais de lui donner une borne; ni de rallumer une flamme éteinte, mais de contenir les ravages

1. Ex. XXI, 21; Matt. V, 30

de l'incendie allumé. Car enfin il existe une vengeance juste, un droit équitable en faveur de celui quia reçu une injure; d'où vient que quand nous pardonnons, nous cédons en quelque sorte de notre droit. Aussi sont-ce des dettes que l'Oraison dominicale nous engage à remettre aux hommes, afin que les nôtres nous soient reluises de la part de Dieu (1). Or, il n'y a pas d'injustice à réclamer une dette, bien qu'il soit généreux de la remettre. Mais de même que, en fait de serinent, celui qui jure la vérité se rapproche du parjure, tandis que celui qui ne jure pas du tout s'en éloigne, et que, bien que celui qui jure la vérifié ne pèche pas, celui qui ne jure pas du tout est plus éloigné du péché, en sorte que nous engager à ne pas jurer c'est nous préserver du péché de parjure : ainsi, comme celui qui veut se venger immodérément se rend coupable, et que celui qui ne veut qu'une juste vengeance ne pèche pas, cependant celui qui ne veut en aucune façon se venger est à une plus grande distance du péché de vengeance injuste. En effet, celui qui exige plus qu'il ne lui est dû est coupable ; tandis que celui qui n'exige que sa dette ne l'est pas : mais celui-là est bien mieux garanti du péché d'une injuste exaction, qui n'exige en aucune façon sa dette, surtout pour n'être pas forcé de payer sa propre dette à celui qui n'a pas de dettes. Je pourrais donc dire : Il a été dit aux anciens Tu ne te vengeras pas injustement; mais moi, je vous dis: Ne vous vengez pas même : voilà le complément; absolument comme Fauste a dit : " Il a été dit : Tu ne te parjureras pas; et moi je vous dis: Ne jurez pas même : voilà encore un complément ". Oui, je pourrais dire cela si je voyais, dans les paroles du Christ, une addition faite à la loi, pour combler une lacune, et non plutôt le but même que la loi voulait atteindre, à savoir qu'on ne se venge pas du tout pour mieux se préserver du péché de la vengeance injuste: de même que son but était de sauver plus sûrement du péché de parjure, en engageant à ne pas jurer du tout. Car s'il y a contradiction entre: " Oeil pour oeil ", et : " Si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui encore l'autre ", pourquoi n'y en aurait-il pas aussi entre : " Remplissez le serment que vous avez fait au Seigneur ", et: " Ne jurez en aucune façon (2) ? " Et cependant, là, Fauste ne voit qu'un complément, et

1. Matt. VI, 12. — 2. Ex. XX, 7 ; Matt. V, 33-37.

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non une abolition; il aurait donc dû en voir aussi un ici. Car si : Jure la vérité, est complété par : Ne jure pas ; pourquoi : Tire une juste vengeance, ne serait-il pas complété par : Ne te venge pas ? Pour moi, je vois dans l'un et dans l'autre un préservatif contre le péché de faux serment ou de vengeance injuste; et, de plus, la remise complète de l'injure a cet avantage que, en remettant ce qui nous est dû, nous méritons que nos propres dettes nous soient remises. Mais à un peuple difficile il fallait d'abord fixer une mesure pour lui apprendre à ne rien exiger au-delà de la justice ; afin que, devenu maître de là colère qui entraîne à une vengeance immodérée, l'homme calmé pût, s'il le voulait, réfléchir à ses dettes, examiner ce qu'il aimerait à se voir, remettre par le Seigneur, et que cette considération le déterminât à remettre lui-même à son frère tout ce que celui-ci, pourrait lui devoir.

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CHAPITRE XXVI. LE DIVORCE. L'ACTE DE RÉPUDIATION.

Quand à la défense faite par le Seigneur de renvoyer une femme, après qu'il a été dit aux anciens: " Que celui qui renvoie sa femme, lui donne un acte de répudiation (1) ", nous verrons, en y regardant de près, qu'il n'y a là aucune contradiction. En effet, le Seigneur a d'abord exposé ce que veut la loi : elle ordonne que celui qui renvoie, sa femme sans raison lui donne un acte de répudiation. Elle ne dit pas : Que celui qui veut renvoyer, renvoie ce serait le contraire de ne pas, renvoyer mais évidemment son espoir, était qu'une femme ne serait pas renvoyée par le mari. quand celui-ci aurait, à l'aide du retard nécessaire pour écrire un acte de répudiation, laissé tomber le premier mouvement qui le poussait au divorce et réfléchi au mal qu'il y a à renvoyer une femme : cela était d'autant plus probable que, chez les Hébreux, dit-on, personne n'avait le droit d'écrire les lettres hébraïques que les scribes, lesquels faisaient profession d'une, plus haute sagesse, et dont quelques-uns, doués de dignité et de piété, non-seulement professaient cette sagesse, mais la pratiquaient. C'était donc à ces hommes, qui devaient être des interprètes justes et éclairés de la loi, et détourner du divorce, que la loi adressait celui qui voulait renvoyer sa

1. Ex. XXIV, 1 ; Matt. V, 31, 32.

femme et de qui elle exigeait un acte de répudiation. Et cet acte ne pouvait être écrit que par eux. Nécessité qui leur remettait en quelque sorte cet homme en main, les autorisait à lui donner de bons conseils, et à intervenir pacifiquement pour rétablir entre les deux époux l'amour et la concorde. Mais si l'aversion était tellement forte qu'elle ne pût être guérie ni diminuée, alors l'acte de répudiation s'écrivait : on supposait qu'un homme avait de justes raisons de renvoyer une femme qu'il haïssait au point de ne pouvoir être ramené à l'affection conjugale par les conseils d'hommes prudents. En effet, si on n'aime pas une femme, il faut la renvoyer; mais comme on ne doit pas la renvoyer, donc il faut l'aimer, Or l'amour peut être réveillé par des avis, par des moyens persuasifs, mais non imposé par la force. Voilà ce que devait faire un scribe juste, sage, tel que le requérait sa profession. C'était pour forcer le mari à aller à lui qu'il avait reçu commission d'écrire l'acte; et un homme de bien, un homme prudent, n'écrit un tel acte, que quand les conseils pacifiques sont sans effet sur une âme trop méchante ou trop égarée par la haine. En attendant, je vous demande pourquoi, d'après vos vaines et sacrilèges erreurs, vous trouvez mauvais qu'un homme renvoie sa femme qui n'est, selon vous, qu'un instrument de coupable libertinage et non une compagne liée par la foi conjugale? En effet, le mot même de mariage (matrimonium) indique qu'une femme ne se marie que pour devenir mère : ce que vous repoussez avec horreur. Car vous pensez que, par là, une partie de votre dieu, déjà vaincue et prise dans le combat contre le peuple des ténèbres, se trouve de plus enchaînée par les liens de la chair.

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CHAPITRE XXVII. QUEL EST LE VÉRITABLE SENS DE CES PAROLES: " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI, MAIS L'ACCOMPLIR ".

Mais, pour revenir à notre sujet: si le Christ en ajoutant à quelques anciennes prescriptions ces paroles: " Mais moi, je vous dis ", n'a pas complété, par cette addition, la loi donnée aux premiers hommes, et n'a point détruit, par des ordres contradictoires; celle qui a été donnée par Moïse ; si, au contraire, il a confirmé tout ce qu'il a cité de la loi des Hébreux, de telle sorte que tout ce qu'il a dit en son (283) propre nom n'avait pour but que d'éclaircir ce que la loi avait laissé d'obscur, ou de garantir plus efficacement les mesures qu'elle avait prises : si, dis-je, il en est ainsi, tu vois qu'il faut interpréter bien autrement ces paroles : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir", et les entendre, non en ce sens que le Christ ait rempli par ces mots une mesure à demi pleine, mais en ce sens que ce que la loi n'avait pu au moyen de la lettre et à raison de la présomption de l'orgueil, la grâce l’accomplit, à cause de l'humilité de la confession, et non par une simple addition de paroles, mais par celle des oeuvres. Car " la foi ", comme dit l'Apôtre, " agit par la charité ". Et encore: " Qui aime le prochain, a accompli la loi (1) ". Et c'est parce que le Christ a manifestement donné, par l'Esprit-Saint qu'il avait promis et qu'il a envoyé, cette charité qui petit seule accomplir la justice de la loi, c'est pour cela qu'il a dit : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir". Et c'est là ce Nouveau Testament, qui promet à cette charité l'héritage du royaume des cieux, mais qui était voilé sous les figures de l'Ancien Testament à raison de la nécessité des temps. Aussi a-t-il dit : " Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (2) ".

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CHAPITRE XXVIII. L'ANCIEN TESTAMENT CONTENAIT DÉJA LES PERFECTIONNEMENTS INTRODUITS PAR LE CHRIST.

Ainsi donc tout, ou à peu près tout ce que le Christ a donné de conseils ou de préceptes quand il ajoutait: " Mais moi, je vous dis ", se trouve aussi dans les livres de l'Ancien Testament. Là on disait contre la colère : " Mes yeux sont troublés par la colère (3) ", et encore : " Celui qui dompte sa colère l'emporte sur celui qui prend une ville (4) ". Là on dit contre les paroles injurieuses : " Un coup de fouet laisse une trace livide, mais un coup de langue brise les os (5) ". Contre l'adultère du coeur : " Ne convoite point la femme de ton prochain (6) "; non pas : Ne commets pas d'adultère, mais : " Ne convoite pas ". Ce qui fait dire à l'Apôtre, en citant ce passage de la loi : " Car je ne connaîtrais

1. Rom. XIII, 8. — 2. Jean, XIII, 34. — 3. Ps. VI, 8. — 4. Prov. XVI, 32. — 5. Eccli. XXVIII, 21. — 6. Ex. XX, 17.

pas la concupiscence, si la loi n'eût dit. Tu ne convoiteras pas (1) ". Là, à l'honneur de la patience qui ne sait pas résister, on loue l'homme qui présente sa joue à celui qui le frappe et est rassasié d'opprobres (2). Là on dit, à propos de l'amour des ennemis : " Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire (3) " ; paroles que l'Apôtre cite lui-même (4). On lit encore dans les Psaumes : " J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix (5) ", et beaucoup d'autres choses de ce genre. Or, que s'abstenir de la vengeance et aimer même les méchants, ce soit imiter Dieu, vous en trouverez la preuve dans un long passage où l'on nous fait voir Dieu agissant ainsi : on y lit : " Car la souveraine puissance est à vous seul à jamais, et qui résistera à la vertu de votre bras? Comme ce grain qui fait pencher la balance, et comme une goutte de la rosée du matin qui descend sur la terre, ainsi l'univers est devant vous ; mais vous avez pitié de tous les hommes, parce que vous pouvez tout, et vous dissimulez les péchés des hommes à cause du repentir. Car vous aimez tout ce qui est, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait; et vous n'avez rien établi avec haine. Comment quelque être pourrait-il subsister, si vous ne l'aviez voulu, ou se conserver, si vous ne l'aviez appelé? Mais vous êtes indulgent envers tous, parce que tout est à vous, ô Seigneur, qui aimez les âmes ! Car votre esprit est bon en toutes choses; c'est pourquoi vous châtiez peu à peu ceux qui s'égarent; vous les avertissez, vous les reprenez de leurs fautes afin que, renonçant au mal, ils croient en vous, Seigneur (6) ". C'est cette indulgente patience du Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes, que le Christ nous exhorte à imiter, afin que nous nous abstenions de venger les injures que nous avons reçues et que nous fassions du bien à ceux qui nous haïssent, pour être parfaits comme notre Père céleste est parfait (7). Or, que la remise que nous faisons du droit de vengeance, nous obtienne le pardon de nos péchés, et qu'il faille prendre garde que ce pardon ne soit refusé même à nos prières, si nous le refusons à un autre, c'est ce qui est encore écrit dans ces anciens livres en ces

1. Rom. VII, 7. — 2. Thren. III, 30. — 3. Prov. XXV, 21. — 4. Rom. XII, 20. — 5. Ps. CXIX, 7. — 6. Sag. XI, 22 ; XII, 2. — 7. Matt. V, 44-48.

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termes : " Celui qui veut se venger, rencontrera la vengeance de la part de Dieu, et le Seigneur consolidera la dette de ses péchés. Pardonne à ton prochain le tort qu'il te fait, et quand tu prieras, tes péchés te seront remis. L'homme garde sa colère contre l'homme, et il demande à Dieu sa guérison? Il n'a pas pitié d'un homme semblable à lui, et il prie le Seigneur pour ses propres péchés? Lui qui n'est que chair, garde sa colère, et il implore la clémence de Dieu ? Qui priera pour ses péchés (1)? "

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CHAPITRE XXIX. LA LOI PRIMITIVE DU MARIAGE. BÉVUE DE MANÈS. POURQUOI MOÏSE PERMETTAIT LE DIVORCE.

Quant à la défense de renvoyer sa femme, pourrais-je citer de ces livres autre chose ou quelque chose de plus convenable que ce que le Seigneur lui-même répondit aux Juifs qui l'interrogeaient là-dessus? En effet, ceux-ci lui demandant s'il était permis de renvoyer sa femme pour quelque cause que ce fût, il leur dit : " N'avez-vous pas lu que celui qui fit l'homme au commencement, les fit mâle et femelle, et qu'il dit : A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils seront deux en une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu donc a uni, que l'homme ne le sépare point ". Voilà que les livres de Moïse prouvent aux Juifs qu'il ne faut pas renvoyer sa femme, et ils croyaient, en la renvoyant, obéir aux ordres de Moïse. Ce passage nous apprend en même temps, d'après le témoignage du Christ, que Dieu a créé et uni les deux sexes, mâle et femelle : ce que les Manichéens nient et réprouvent, contrairement, non plus aux livres de Moïse, mais â l'Evangile du Christ. Or, si ce qu'ils pensent et prêchent est vrai, à savoir que c'est le diable qui a créé et uni-les deux sexes, par quel tour de force diabolique Fauste blâme-t-il Moïse d'avoir brisé le noeud du mariage au moyen d'un acte de répudiation, et loue-t-il le Christ d'avoir resserré ce noeud par le précepte évangélique, alors qu'il aurait dû évidemment, suivant sa folle et sacrilège opinion, louer Moïse d'avoir séparé ce que le diable avait fait et uni, et blâmer le Christ d'avoir consolidé l'oeuvre et le lien créés par le

1. Eccli. XXVIII, 1-5.

démon? Mais comment le bon Maître explique-t-il pourquoi Moïse, qui, dans le livre qu'il vient de citer, à l'occasion de l'union primitive des deux sexes, a proclamé la chasteté conjugale dont le noeud est indissoluble, pourquoi Moïse a permis ensuite de renvoyer sa femme? Comme les Juifs lui répliquaient " Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de lui donner un acte de répudiation et de la renvoyer? il leur répondit : C'est à cause de la dureté de vos coeurs, que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes (1) ". C'est ce que nous avons expliqué un peu plus haut (2). Et combien était grande la dureté que l'intervalle nécessaire pour formuler l'acte de répudiation et les conseils d'hommes justes et prudents qui avaient lieu à cette occasion, ne pouvaient adoucir ni amener ou ramener â l'affection conjugale ! Ainsi le Seigneur a fait voir, parle témoignage même de la loi, ce que la loi: prescrivait aux hommes de bien et ce qu'elle permettait aux hommes d'un caractère difficile, en nous rappelant, d'une part, qu'on ne doit point renvoyer sa femme, selon l'Ecriture et par suite de l'union de l'homme et de la femme qui y est mentionnée et qui y est fondée sur l'autorité divine elle-même; d'autre part, en nous montrant qu'on pouvait donner un acte de répudiation par égard pour un caractère à dompter ou incapable d'être dompté.

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CHAPITRE XXX. POURQUOI LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIRLA LOI. LES ANCIENS JUSTES EN VOYAIENT LE BUT.

Mais puisque tous ces excellents préceptes du Seigneur, que Fauste voulait opposer aux anciens livres des Hébreux, se trouvent dans ces mêmes livres : pourquoi le Seigneur est-il venu, non abolir, mais accomplir la loi, sinon pour que, à l'exception des figures qui n'étaient que des promesses et que la manifestation de la réalité a accomplies et fait disparaître, ces mêmes préceptes, qui rendaient la loi sainte, juste et bonne (3), s'accomplissent en nous, non pas selon la vétusté de la lettre qui commandait et aggravait les péchés de l'orgueil par le crime de rébellion, mais dans la nouveauté de l'esprit qui aide et qui affranchit par la grâce du salut les humbles qui confessent leur impuissance? Au fond, si ces préceptes sublimes sont contenus dans les anciens

1. Matt. XIX, 4, 8. — 2. Chap. XXVI. — 3. Rom. VII, 12.

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livres, le but auquel ils se rapportent y reste caché; et pourtant c'était en vue de ce but que vivaient les saints; ils en prévoyaient la future manifestation, et, suivant les besoins des temps, ou ils le voilaient sous la forme prophétique, ou ils le comprenaient sagement sous le voile même de la prophétie.

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CHAPITRE XXXI. LE MOT DE " ROYAUME DES CIEUX " NE SE TROUVE PAS DANS L'ANCIEN TESTAMENT, OU NÉANMOINS LA FOI A LA VIE ÉTERNELLE EST EXPRIMÉE.

Enfin, je ne sais si je me hasarde en disant qu'on ne trouvera pas dans ces livres le nom du royaume des cieux, que le Seigneur répète si souvent. On y dit, il est vrai : " Aimez la sagesse, pour régner à jamais (1) ". Et si on n'y eût parlé clairement de la vie éternelle, le Seigneur n'aurait pas dit aux méchants Juifs : " Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle; car ce sont elles qui rendent témoignage de moi (2)". Peut-on, en effet, trouver un autre sens dans ces passages : " Je ne mourrai pas, mais je vivrai, et je raconterai les oeuvres du Seigneur (3); éclairez mes yeux, pour que je ne m'endorme pas dans la mort (4) : les âmes des justes sont dans la main de Dieu et le supplice ne les atteindra pas", et peu après : Mais ils sont en paix; et si, devant les hommes, ils ont souffert des tourments, leur espérance est pleine d'immortalité; leur affliction a été légère et leur bonheur sera grand (5) " ; et ailleurs : " Mais les justes vivront à jamais; près du Seigneur est leur récompense et leur pensée près du Très-Haut; c'est pourquoi ils recevront le royaume d'honneur et le diadème de gloire de la main de

1. Sag. VI, 22. — 2. Jean, V, 39. — 3. Ps. CXVII, 17. — 4. Id. XII, 4. — 5. Sag. III, 1-5.

Dieu (1) ? " Ces passages et beaucoup d'autres, ou très-clairs, ou quelque peu obscurs, qu'on trouve dans ces livres, sont des témoignages de la vie éternelle. Les Prophètes ont même parlé de la résurrection du corps ; aussi les Pharisiens combattaient-ils vivement les Sadducéens qui n'y croyaient pas, c'est ce que nous voyons clairement, non-seulement dans le livre canonique des Actes des Apôtres, que les Manichéens rejettent pour ne pas être forcés d'admettre la descente du vrai Paraclet que le Seigneur a promis (2); mais même dans l'Evangile, où les Sadducéens demandent au Sauveur à qui, lors de la résurrection, appartiendra une femme qui avait épousé successivement sept frères, morts les uns après les autres. Ainsi l'ancienne Ecriture abonde en témoignages sur la vie éternelle et la résurrection des morts; mais je ne me souviens pas d'y avoir rencontré nulle part ce mot de royaume des cieux. Il appartient effectivement en propre à la révélation du Nouveau Testament, parce que les corps qui auront d'abord été terrestres, en vertu du changement dont Paul parle en termes exprès, deviendront spirituels lors de la résurrection (3) et par là même célestes, afin que nous possédions mieux le royaume des cieux. Et ce nom restait réservé pour la bouche de Celui que toute la pompe déployée dans l'Ancien Testament : générations, actes, paroles, sacrifices, observances, solennités, éloges et louanges, faits accomplis, objets figurés, que tout, dis-je, enfantait et annonçait comme le roi destiné à gouverner, le prêtre chargé de sanctifier un jour ses fidèles; Celui qui, plein de grâce et de vérité, aidant par sa grâce à exécuter les commandements, veillant par la vérité à la réalisation des promesses, est venu, non abolir la loi, mais l'accomplir.

1. Sag. V, 16, 17. — 2. Act. XXII, 6-9. — 3. I Cor. XV, 42-44.

 

 

 

 

LIVRE VINGTIÈME. LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS.

Fauste repoussant le reproche d'être idolâtre. — Le manichéisme est au-dessous même du paganisme. — Détails à ce sujet. — Ridicules et contradictions de la secte, notamment sur Jésus. — Ilylé, ou la matière. — Sacrifice et prière du manichéen.Unité de Dieu. — Le sacrifice eucharistique; mémorial de la Croix. — Le païen adore un être quelconque ; le manichéen adore ce qui n'est pas.

 

 

CHAPITRE. PREMIER. FAUSTE SE PROPOSE DE RÉPONDRE AU REPROCHE D'ADORER LE SOLEIL ET D'ÊTRE PAÏEN.

Fauste. Pourquoi adorez-vous le soleil, si ce n'est parce que vous êtes des païens, un schisme de la gentilité, et non une secte? Il n'est donc pas hors de propos d'examiner aussi cette question, pour savoir plus clairement à qui de nous ce nom doit être appliqué. Si je t'exposais simplement une croyance, comme je le ferais avec des amis, peut-être aurais-je l'air de feindre pour m'excuser, ou (ce qu'à Dieu ne plaise !) de rougir de recevoir les lumières divines. Cependant prends tout ceci dans quel sens tu voudras : pour moi, je ne me repentirai pas d'avoir parlé, ne fût-ce que pour instruire quelques ignorants et leur apprendre que notre religion n'a rien de commun avec le paganisme.

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CHAPITRE II. FAUSTE FAIT SA PROFESSION DE FOI.

Nous adorons donc une seule et même divinité sous la triple invocation du Père, Dieu tout-puissant, du Christ son Fils et du Saint-Esprit; mais nous croyons que le Père habite la lumière la plus élevée, la lumière principale, celle que Paul lui-même appelle inaccessible (1); que le Fils réside dans notre lumière secondaire et visible, et comme il est lui-même double, selon que l'Apôtre le reconnaît en disant que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (2), nous croyons que sa vertu habite dans le soleil et sa sagesse dans la lune. Nous croyons aussi que l'atmosphère est le siège et l'habitation du Saint-Esprit qui est la troisième majesté, et que la terre, fécondée par ses forces et par son influence spirituelle, conçoit et enfante Jésus, sujet à la souffrance, lequel, suspendu à tout

1. I Tim. VI, 16. — 2. I Cor. I, 24.

bois, est la vie et le salut des hommes. C'est pourquoi nous avons pour tout l'univers le même culte que vous pour le pain et le vin, bien que vous poursuiviez d'une haine implacable ceux qui les produisent. Voilà notre foi; voilà ce que tu pourras en apprendre, enfeu informant ailleurs. Et ce n'est pas un mince argument en sa faveur que, si on te demande, à toi ou à tout autre, où vous pensez qu'habite votre dieu, vous répondiez sans hésiter: dans la lumière. D'où il résulte que mon culte est appuyé sur un consentement à peu près universel.

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CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE SA DOCTRINE ET CELLE DES PAÏENS.

Maintenant venons à ce que tu dis, que nous ne sommes pas une secte, mais un schisme de la gentilité. Le schisme, si je ne me trompe, consiste à avoir les mêmes croyances et le même rite que les autres, mais à se séparer volontairement de leur communauté. Une secte au contraire est loin de partager les opinions des autres, et rend aussi à la divinité un culte tout à fait différent. Or, s'il en est ainsi, et mes opinions et mon culte diffèrent entièrement de ceux des païens. Nous nous occuperons des tiens plus tard. Les païens enseignent que le bien et le mal, l'obscurité et la lumière, ce qui dure toujours et ce qui passe, ce qui change et ce qui est immuable, le matériel et le divin procèdent du même principe. Moi, je pense tout l'opposé. Je reconnais Dieu comme le principe de tous lesbiens, et Hylé comme le principe de tous les maux: car c'est ainsi que notre théologien appelle le principe et la nature du mal. Ensuite les païens croient qu'il faut honorer Dieu par des autels, des temples, des images, des victimes et de l'encens. Je suis encore sur ce point à une distance infinie d'eux, moi qui me regarde, si toutefois j'en suis digne, comme le (287) temple raisonnable de Dieu; qui considère le Christ son Fils, comme la vivante image de sa majesté vivante; moi qui ne vois d'autre autel qu'une âme instruite dans les arts utiles et formée aux bonnes doctrines, d'autres honneurs divins et d'autres sacrifices que les oraisons pures et simples. Comment donc suis-je un schisme de la gentilité?

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CHAPITRE IV. CE N'EST POINT LE MANICHÉISME, MAIS LE CATHOLICISME ET LE JUDAÏSME, QUI SONT DES SCHISMES DE LA GENTILITÉ.

Tu aurais pu jusqu'à un certain point m'appeler un schisme du judaïsme, puisque j'adore le Dieu tout-puissant (ce que tout Juif prétend aussi dans son audace), pourvu toutefois que tu ne fisses pas attention à la différence des rites par lesquels les Juifs et moi adorons le Tout-Puissant, si tant est que les Juifs l’adorent réellement. Mais il ne s'agit pour le moment que de l'erreur qui a entraîné les païens au culte du soleil et les Juifs au culte du Tout-Puissant. Si tu disais que je suis un schisme de votre religion, tu te tromperais encore, bien que je vénère et adore le Christ; mais avec un autre rite et une autre foi que les vôtres. Or, un schisme ne doit rien changer à la religion dont il se sépare, ou n'y changer que peu de chose : comme vous, par exemple, qui, en vous séparant des Gentils, avez d'abord emporté avec vous l'idée de l'unité monarchique, c'est-à-dire la foi que tout vient de Dieu; puis qui avez converti leurs sacrifices en agapes, leurs idoles en martyrs à qui vous offrez les mêmes hommages; qui apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments, célébrez les mêmes fêtes que les Gentils, comme les calendes et les solstices par exemple, mais qui n'avez certainement rien changé à la manière de vivre. Vous êtes évidemment un schisme, qui ne différez du culte d'origine que par vos réunions à part. Dit reste les Juifs, vos prédécesseurs, en se séparant ainsi des Gentils, ne leur avaient laissé que les figures taillées; mais les temples, les immolations, les autels, le sacerdoce, tout le ministère sacré, ils les avaient conservés avec le même rite et plus de superstitions encore que les Gentils. Quant à l'idée de l'unité monarchique, ils sont encore là-dessus parfaitement d'accord avec les païens; d'où il résulte que vous et les Juifs n'êtes que des schismes de la gentilité, que vous en avez la foi et les rites quoique légèrement modifiés, et que vous n'avez d'autres raisons que vos réunions à part pour vous regarder comme des sectes. Or, si vous cherchez quelles sont les sectes, vous n'en trouverez pas plus de deux: celle des Gentils et la nôtre, qui a des opinions si éloignées des leurs. Nous sommes opposés les uns aux autres, comme la vérité et le mensonge, le jour et la nuit, la pauvreté et la richesse, la maladie et la santé. Mais vous, vous n'êtes une secte ni de l'erreur, ni de la vérité, mais un simple schisme, et un schisme de l'erreur encore, et non de la vérité.

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CHAPITRE V. RÉPONSE D'AUGUSTIN. LE MANICHÉISME EST AU-DESSOUS MÊME DU PAGANISME.

Augustin. O peste de l’ignorance ! O vanité trompeuse ! pourquoi te faire des objections que ne te fera jamais quiconque sait à qui il a affaire ? Nous ne vous appelons ni païens, ni schisme de païens; nous disons seulement que vous avez certains rapports avec eux, puisque vous adorez beaucoup de dieux. Mais nous ajoutons que vous êtes bien au-dessous d'eux, parce que ce qu'ils adorent existe, bien qu'indigne de toute adoration car ce sont au moins des idoles, quoique impuissantes pour le salut. En effet, celui qui honore un arbre, non en le cultivant, mais en l'adorant, n'honore pas un être imaginaire, mais seulement un être qu'on ne doit pas adorer. Et les démons mêmes, à propos desquels l'Apôtre dit : " Ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu (1) ", les démons, dis-je, existent certainement, puisque l'Apôtre dit que les païens leur immolent et qu'il nous défend d'avoir aucune société avec eux. D'autre part le ciel et la terre, la mer et l'air, le soleil, ta lune et les autres astres, apparaissent manifestement à nos yeux et tombent sous nos sens. Les païens, en les honorant comme dieux, ou comme des parties d'un grand dieu unique (car quelques-uns d'entre eux regardent l'univers comme le plus grand des dieux), honorent des êtres réels. Et quand nous discutons avec eux pour les dissuader de les adorer, nous ne leur disons pas que ces êtres

1. I Cor. X, 20.

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n'existent point, mais qu'il ne faut pas les adorer : nous les engageons à adorer le Dieu invisible, qui a créé tout cela et dont la possession peut seule rendre l'homme heureux ; ce que tous désirent, cela est hors de doute. Quelques-uns d'entre eux adorent aussi une substance invisible et incorporelle, qui est l'âme et l'intelligence humaine; mais comme la jouissance de cette créature ne saurait encore donner le bonheur à l’homme, il faut donc adorer le Dieu, non-seulement invisible, mais immuable, c'est-à-dire le vrai Dieu ; parce qu'on ne doit adorer que celui dont la jouissance a seule le pouvoir de rendre heureux celui qui l'adore, et dont la privation rend toute âme misérable, quelque bien qu'elle possède d'ailleurs. Mais vous, qui n'adorez que des êtres purement imaginaires, des fictions et des fables trompeuses, vous seriez moins éloignés de la vraie piété et de la vraie religion, si vous étiez au moins païens, ou du nombre de ceux qui adorent des corps, qu'il ne faut pas adorer, il est vrai, mais qui sont du moins réels. Il serait donc plus vrai de dire que vous n'adorez pas même ce soleil matériel; que votre prière suit dans son cours.

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CHAPITRE VI. OBSCÈNES RÊVERIES DES MANICHÉENS SUR LE SOLEIL.

Car vous dites de lui des choses si fausses, si abominables, que s'il pouvait venger ses injures, il vous consumerait tout vivants. D'abord vous en faites une espèce de vaisseau ; en sorte que vous ne vous égarez pas seulement, comme l'on dit, de toute la hauteur du ciel, mais que vous y naviguez. Ensuite, bien qu'il paraisse rond aux yeux de tout le monde, et que cette forme soit en rapport parfait avec le rang et la position qu'il occupe, vous prétendez qu'il est triangulaire, c'est-à-dire que sa lumière éclaire le monde est la terre en passant par une espèce de fenêtre ouverte en triangle. C'est ce qui fait que vous courbez le dos, il est vrai, et que vous inclinez la tête devant cet astre, mais qu'au lieu d'un soleil rond, un globe si lumineux, vous adorez je ne sais quel vaisseau, produit de vos rêves, d'où la lumière s'échappe à travers une ouverture triangulaire. Ce vaisseau, votre fabriquant ne l'eût pas construit, si, comme on achète du bois pour former l'assemblage d'un navire, il eût fallu aussi acheter des paroles pour composer des fables d'hérétiques. Cependant on peut encore supporter ce qu'il y a ici de ridicule ou de déplorable; mais ce qui est intolérable et criminel au plus haut degré, c'est que vous prétendez que sur ce navire sont exposés de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes, dont les éblouissants attraits enflamment les princes des ténèbres, mâles pour femelles, et femelles pour mâles, afin que, dans l'ardeur de la passion et l'avidité de la jouissance, les membres de votre dieu soient dégagés de leurs membres comme des liens odieux et impurs qui les enchaînent. Et c'est avec ces éléments obscènes que vous essayez de former l'ineffable Trinité, disant que le Père habite dans une certaine lumière à part; que la vertu du Fils réside dans le soleil, sa sagesse dans la lune, et l'Esprit-Saint dans l'air !

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CHAPITRE VII. LA LUMIÈRE MATÉRIELLE. LA LUMIÈRE DE LA RAISON. LA LUMIÈRE DIVINE.

A propos de cette fable, en trois ou plutôt en quatre parties, que vous dirai-je de la lumière secrète du Père, sinon que vous n'êtes pas capables d'imaginer une autre lumière que celle qui frippe vos yeux? En voyant cette lumière visible pour toute chair, non-seulement d'hommes, mais même d'animaux et d'insectes, cette lumière si universellement connue, vous en formez ce rêve de votre coeur, vous la dilatez à l'infini et vous dites que c'est en elle que le Père habite avec ses sujets. Quand, en effet, avez-vous jamais distingué la lumière matérielle de la lumière intellectuelle, puisque, pour vous, comprendre la vérité n'a jamais signifié autre chose que se figurer des formes corporelles, soit limitées, soit illimitées sous certains côtés : vains fantômes dont vous ne voyez pas le néant? Par conséquent, autant il y a de différence entre la pensée qui me fait songer à votre région de lumière qui n'existe nulle part, et la pensée qui me fait songera Alexandrie que je n'ai jamais vue, mais qui existe, autant encore il y a de différence entre la pensée qui me fait songer à Alexandrie que je ne connais pas, et celle qui me porte vers Carthage que je connais : autant et incomparablement plus grande est la distance entre la pensée qui me représente des corps réels et connus, et celle par laquelle je (289) comprends la justice, la chasteté, la foi, la vérité, la charité, la bonté, et toute autre chose de ce genre. Dites-moi donc, si vous le pouvez, quelle espèce de lumière est cette dernière pensée : lumière qui fait discerner entre elles toutes les choses qui ne sont pas elle, et voir clairement combien elles en diffèrent ? Et cependant cette lumière n'est pas encore la lumière qui est Dieu : car l'une est créature, et l'autre est le créateur ; l'une est l'ouvrage, l'autre l'ouvrier ; l'une enfin sujette à changement, voulant ce qu'elle ne voulait pas, apprenant ce qu'elle ne savait pas, se souvenant de ce qu'elle avait oublié, tandis que l'autre subsiste par une volonté immuable, par la vérité, par l'éternité ; que d'elle procèdent le principe de notre existence, la raison de nos connaissances, la loi de nos affections : qu'elle a donné à tous les animaux privés de raison la nature qui les fait vivre, la vigueur qui les fait sentir, le mouvement qui forme leurs appétits; qu'elle a aussi donné à tous les corps la mesure qui les fait subsister, le nombre qui fait leur beauté et le poids qui détermine leur ordre. Or, cette lumière, indivisible Trinité, est le Dieu unique ; et cette substance qui n'a aucun corps, qui est par elle-même incorporelle, spirituelle, immuable, vous la partagez entre les parties de l'espace, vous n'assignez pas même seulement trois places à la Trinité, mais quatre : au Père une, c'est-à-dire la lumière inaccessible, que vous ne comprenez en aucune façon ; au Fils deux, le soleil et la lune ; et au Saint-Esprit une, c'est-à-dire l'atmosphère ambiante. Je n'ai parlé jusqu'ici que de la lumière inaccessible du Père ; mais, pour les vrais croyants, le Fils et le Saint-Esprit n'en sont point séparés.

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CHAPITRE VIII. RIDICULES CONTRADICTIONS DE LA DOCTRINE MANICHÉENNE SUR LE FILS DE DIEU.

Quelle idée avez-vous eue, dans votre vain système, de faire résider la vertu du Fils dans le soleil, et sa sagesse dans la lune ? Puisque le Fils est dans le Père même et en est inséparable, comment sa sagesse peut-elle être séparée de sa vertu, en sorte que l'une soit dans le soleil et l'autre dans la lune, puisque les corps seuls peuvent être divisés et séparés par des distances locales ? Si vous l'aviez su, vous vous seriez épargné la peine de composer un tel tissu de rêveries folles et de fables absurdes. Mais au milieu de ces fourberies et de ces mensonges, avec quel défaut de justesse, avec quel égarement d'esprit, vous nous dites que le siège de la sagesse est moins lumineux que celui de la vertu ! Car à la vertu se rattache la faculté d'opérer et de produire, et à la sagesse la fonction d'instruire et de faire voir. Par conséquent, si la chaleur eût été prédominante dans le soleil et la lumière dans la lune, tes rêveries auraient pris la forme d'un brouillard propre à tromper les hommes charnels et animaux, qui ne peuvent s'imaginer qu'il y ait autre chose que des corps : car la vive opération de la chaleur tend à produire le mouvement, ce qui devrait être le propre de la vertu, tandis que le brillant éclat de la lumière sert à faire voir, ce qu'on devrait attribuer à la sagesse. Mais comme la lumière est beaucoup plus éclatante dans le soleil, comment y place-t-on la vertu, tandis qu'on fait résider la sagesse là où il y a infiniment moins de lumière ? O sacrilège stupidité ! Et puisqu'il n'y a qu'un seul Christ, vertu de Dieu et sagesse de Dieu (1), et que l'Esprit-Saint n'est pas le Christ, comment séparer le Christ de lui-même, quand l'Esprit-Saint n'en est pas séparé ? En effet, l'air que votre système fabuleux assigne pour demeure au Saint-Esprit, remplit selon vous, toute l'étendue du monde. Aussi le soleil et la lune sont-ils toujours avec lui dans leurs cours. Or, la lune s'éloigne du soleil, puis s'en rapproche, par conséquent, d'après votre enseignement, ou plutôt vos mensonges, la sagesse s'éloigne de la vertu pendant la moitié de la durée du parcours et s'en rapproche pendant l'autre moitié ; quand la lune est pleine, la sagesse est loin de la vertu : cartes deux astres sont à une telle distance l'un de l'autre que, quand le soleil décline vers l'Occident, la lune se lève à l'Orient : d'où il résulte que, comme tout ce que la vertu abandonne s'affaiblit, la sagesse est d'autant plus faible que la lune est plus pleine. Mais si, comme la vérité le veut, la sagesse de Dieu a toujours la même vertu, et la vertu de Dieu toujours la même sagesse, pourquoi établissez-vous entre ces deux choses un tel dualisme, que vous leur assigniez des demeures différentes et les sépariez par des distances locales, tout en affirmant que leurs demeures sont de même substance ? O hommes à l'esprit aveugle et insensé, qui

1. I Cor. I, 24.

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ne pouvez sortir de vos rêves matériels et qui êtes dénués de vertu et de sagesse au point de ne rien comprendre avec force et de ne rien pouvoir avec sagesse ! Quoi ! le Christ, ô folie abominable et digne de tout anathème ! le Christ tiraillé entre le soleil et la lune, habitant ici par sa vertu, là par sa sagesse, imparfait et incomplet ici et là, sans sagesse dans le soleil, sans puissance dans la lune, le Christ suborne ici et là de beaux jeunes hommes, de belles jeunes filles pour les livrer à l'impure convoitise des princesses et des princes des ténèbres ! Vous lisez cela, vous croyez cela, vous enseignez cela, vous vivez de cette foi et de cette doctrine : et vous vous étonnez de l'horreur que vous inspirez ?

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CHAPITRE IX. CE QUE LES PAÏENS ADORENT, EXISTE : CE QUE LES MANICHÉENS ADORENT, EST PUR NÉANT.

Mais quand vous vous trompez si grossièrement à propos de ces astres si distingués et si connus, au point d'adorer en eux, non ce qu'ils sont, mais ce qu'y suppose votre extrême folie, que dirai-je de vos autres fables ? Qu'est-ce, en effet, que ce Porte-lumière qui tient le monde suspendu et cet Atlas qui le supporte avec lui ? Ces êtres et une foule d'autres, produits de votre imagination en délire, n'existent en aucune façon; et vous les adorez. Voilà pourquoi nous vous `disons au-dessous des païens; vous leur ressemblez en ce point que vous adorez beaucoup de dieux ; vous en différez et vous descendez au-dessous d'eux en ce sens qu'ils adorent comme dieux ce qui n'est pas dieu mais qui existe, tandis que vous adorez non-seulement ce qui n'est pas Dieu, mais ce qui n'est rien, ce qui n'existe en aucune façon. Sans doute ils ont aussi des inventions fabuleuses, mais ils savent que ce sont des fables : ils affirment que les poètes les ont imaginées pour amuser, ou ils tâchent d'y trouver un sens conforme à la nature des choses ou aux moeurs de l'humanité. Ainsi ils nous peignent Vulcain boiteux, parce que telle est la nature des tremblements de terre, causés par le feu; la fortune aveugle, à cause de l'incertitude des événements appelés fortuits ; les trois Parques filant les destinées humaines avec de la laine et tenant, l'une la quenouille, l'autre le fuseau et la troisième le fil, emblème des trois divisions du temps (le passé, qui est déjà filé et enroulé autour du fuseau, le pré. sent qui passe actuellement entre les doigts de la fileuse, l'avenir encore attaché à la quenouille et qui doit passer par les doigts, c'est-à-dire glisser du présent dans le passé) : ils nous parlent de Vénus, épouse de Vulcain,, parce que la chaleur produit naturellement la volupté, et adultère de Mars, parce que les guerriers s'accommodent peu de l'amour; de Cupidon, enfant ailé et armé de flèches, parce que l'amour déraisonnable et inconstant blesse le coeur de ses malheureuses victimes, et ainsi de beaucoup d'autres. Et voilà pourquoi nous nous moquons d'eux: parce qu'ils adorent en connaissance de cause ce qu'ils seraient encore coupables, quoique excusables, d'adorer, s'ils ne le comprenaient pas. Leurs propres interprétations leur démontrent qu'ils n'adorent pas le Dieu dont la jouissance fait seule le bonheur, mais une créature, oeuvre de ses mains; et qu'ils ne se bornent pas à adorer les vertus de cette créature (comme ils le font pour Minerve, par exemple, que la fable représente sortie de la tête de Jupiter et qui est pour eux le symbole de la prudence, attribut propre de la raison, dont Platon place le siège dans la tête) ; mais qu'ils adorent même ses vices, comme nous l'avons remarqué de Cupidon. Ce qui a fait dire à un de leurs auteurs tragiques :

Une passion honteuse et amie du vice a fait un Dieu de l'amour, (Sénèque, Hippolyte, act. I, sc. II, vers. 194,195,)

Les Romains ont même consacré des statues aux infirmités du corps, comme à la Pâleur et à la Fièvre. Ainsi, pour ne pas parler des sentiments que les adorateurs d'idoles éprouvent pour ces statues mêmes, au point de les redouter comme des dieux, en les voyant élevées dans des places d'honneur et objet de tant d'hommages; nous avons de plus justes motifs d'accuser les interprétations mêmes, à l'aide desquelles on cherche à défendre ces signes muets, sourds, aveugles, inanimés. Néanmoins ils existent d'une manière quelconque, bien qu'inutiles au salut ou à quoi que ce soit, comme je l'ai déjà dit, et le sens qu'on y attache se retrouve dans les réalités de la vie. Mais votre premier homme luttant avec cinq éléments ; votre esprit puissant fabriquant le monde avec les corps captifs du peuple des ténèbres, ou plutôt avec les membres de votre dieu, subjugués et vaincus; votre (291) Porte-lumière tenant en sa main les restes de ces mêmes membres de votre dieu, et frappant tous les autres qui ont été pris, écrasés, souillés; votre gigantesque Atlas en soutenant avec lui le poids sur ses épaules, de peur que la fatigue ne l'oblige à tout lâcher, et que votre fable ne puisse se prolonger jusqu'au jour où le manteau, comme une toile de théâtre, doit couvrir les restes du globe : ces absurdités, ces folies et une multitude d'autres, vous ne les peignez pas, vous ne.les sculptez pas, vous ne les interprétez pas : elles n'existent en aucune façon, et vous y croyez et vous les adorez ; et, de plus, vous insultez les chrétiens en traitant de folle crédulité la foi non feinte avec laquelle ils purifient les pieuses affections de leurs cœurs. Pour passer sous silence une foule d'arguments qui démontrent que tout cela est pur néant (car un traité détaillé et digne sur la création du monde ne me serait pas difficile mais m'entraînerait trop loin), je me contente de dire que, si tout cela est vrai, la substance de Dieu est sujette au changement, à la corruption, à la souillure. Or, c'est l'excès d'une folie sacrilège que de le croire. Donc tout cela est vain, faux, nul. Par conséquent vous êtes pires que les païens, tels qu'ils sont connus, tels qu'ils l'ont été dans l'antiquité et qui aujourd'hui rougissent, dans leurs restes; vous êtes au-dessous d'eux, parce qu'ils adorent des choses qui ne sont pas dieux, et que vous adorez des choses qui ne sont pas.

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CHAPITRE X. DIFFÉRENCES ENTRE LES DIVERSES RELIGIONS, SUIVANT LE POINT DE VUE OU L'ON SE PLACE.

Si donc vous pensez être dans la vérité, parce que votre erreur diffère beaucoup de celle des païens, et si vous croyez que nous sommes dans l'erreur, parce que nous sommes peut-être plus éloignés de vous que des païens : il faudra dire qu'un mort est en bonne santé, parce qu'il n'est plus malade, et plaindre celui qui se porte bien, parce qu'il est plus rapproché de la maladie que de la mort. Ou s'il faut regarder la plupart des païens non plus comme malades, mais comme morts, il faudra mettre la poussière du sépulcre qui a perdu la forme de cadavre, au dessus du corps vivant qui est plus rapproché du cadavre que de la poussière. C'est ainsi que nos adversaires nous accusent d'être plus voisins du cadavre du paganisme que de la cendre du manichéisme. Du reste, pour discerner des objets quelconques, on établit ordinairement entre eux des divisions fondées sur telles ou telles différences : et en changeant de différences, il arrive que ce qui était d'un côté se trouve rejeté de l'autre où il n'était pas d'abord. Ainsi, par exemple, si on divise toute chair en deux espèces : les êtres qui volent et ceux qui ne peuvent voler, les quadrupèdes se trouveront, à ce point de vue, plus rapprochés de l'homme que des oiseaux : car ni les quadrupèdes ni l'homme ne peuvent voler. Mais si on adopte une autre division, par exemple : les êtres doués de raison et ceux qui en sont privés, les quadrupèdes se trouveront plus rapprochés des oiseaux que de l'homme, puisque quadrupèdes et oiseaux sont également privés de raison. C'est à quoi Fauste ne songeait pas, quand il disait : " Or, si vous cherchez quelles sont les sectes, vous n'en trouverez pas plus de deux : celle des Gentils et la nôtre, qui a des opinions si éloignées des leurs ". Et cette si grande différence, il l'avait exprimée plus haut en disant que les Gentils s'éloignent surtout des Manichéens en ce qu'ils prétendent que tout provient d'un seul principe, ce que les Manichéens rejettent, eux qui admettent de plus le principe du peuple des ténèbres. En ce point, il faut l'avouer, la plupart des païens sont d'accord avec nous; mais Fauste n'a pas vu qu'en prenant un autre point de division, en distinguant, par exemple, parmi ceux qui ont une religion, ceux qui n'admettent qu'un Dieu, et ceux qui en admettent plusieurs, par cette différence, les païens se trouvent rejetés loin de nous et les Manichéens avec eux, tandis que nous nous rencontrons avec les Juifs. Sous ce rapport, on peut dire qu'il n'y a que deux sectes. Peut-être direz-vous que vous prétendez que tous vos dieux sont de la même substance, comme si les païens n'en disaient pas autant des leurs, bien qu'ils leur attribuent des fonctions, des opérations et des pouvoirs différents; comme chez vous, l'un combat le peuple des ténèbres, l'autre fabrique le monde avec ce peuple prisonnier; celui-ci fient l'univers suspendu, celui-là le supporte par dessous ; l'un tourne en bas les roues des feux, des vents et des eaux; l'autre, enveloppant le ciel de ses rayons, recueille jusqu'au fond des cloaques les membres de votre dieu. Et qui pourrait compter toutes les fonctions de vos (292) dieux, fables qui ne reposent sur aucune vérité, que ne représente aucun symbole ? Mais si, adoptant une autre division, on partage les hommes entre ceux qui croient que Dieu s'occupe des choses humaines, et ceux quine le croient pas, nous nous trouverons d'un côté avec les païens, les juifs, vous et tous les hérétiques qui portent, d'une façon ou de l'autre, le nom de chrétiens, et de l'autre côté on verra les Epicuriens et ceux qui ont pu penser comme eux. Est-ce là une petite différence ? Pourquoi donc ne pas vous placer à ce point de vue, pour dire qu'il n'y a que deux sectes, afin que nous nous trouvions ensemble dans l'une d'elles ? Oserez-vous, ici, vous séparer de nous qui enseignons que Dieu s'occupe des choses humaines, et vous ranger avec les Epicuriens qui le nient? Or, en les répudiant, vous venez évidemment à nous. C'est ainsi que, d'après telle ou telle autre différence, on se trouve tantôt ici, tantôt là ; tantôt réunis, tantôt séparés; tous à tour tous sont avec nous et nous avec tous, puis personne n'est avec nous et nous ne sommes avec personne. Si Fauste y avait songé, il eût mis moins d'art à débiter ses folies.

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CHAPITRE XI. QUESTIONS AUX MANICHÉENS SUR JÉSUS PASSIBLE. ABSURDITÉS DE LEUR DOCTRINE.

Mais que dire de ceci : " La terre fécondée par la force du Saint-Esprit et par son influence spirituelle, conçoit et enfante Jésus sujet à la souffrance, qui, supendu à tout bois, est " la vie et le salut des hommes ? " O insensé ! quoi ! (pour ne pas entrer maintenant en discussion sur cette absurdité) quoi ! la terre fécondée par l'Esprit-Saint a pu concevoir Jésus sujet à la souffrance, et la vierge Marie ne l'a pas pu ? Compare, si tu l'oses, les entrailles d'une vierge, si chastes, si saintes, avec tous les lieux de la terre, capables de produire des arbres et des plantes. Cette femme, ce sein consacré à la pudeur, t'inspirent-ils donc une si grande horreur, vraie ou feinte? Et tu n'en /éprouves aucune à penser que Jésus a pu être enfanté par des eaux d'égouts dans tous les jardins qui entourent nos villes? Quelles sont, en effet, les eaux fangeuses qui ne produisent et ne développent d'innombrables végétaux ? Et c'est de là, selon vous, qu'est né ce Jésus passible, que l'on ne peut, selon vous encore, sans indignité faire naître d'une vierge ? Si vous regardez la chair comme immonde, pourquoi ne trouvez- vous pas plus immonde encore ce qu'elle rejette naturellement pour se maintenir saine ? Quoi ! la chair est immonde et ses excréments ne le sont pas? Ne faites-vous donc pas attention, ne voyez-vous pas comme les campagnes se trouvent bien du fumier qui les fertilise et les féconde? Car votre folie revient à dire que cet Esprit-Saint qui a, dites-vous, dédaigné les entrailles d'une vierge, féconde la terre d'autant plus richement, d'autant plus généreusement, qu'elle a été mieux engraissée par les ordures sorties de la chair. Pour justifier ces conséquences, direz-vous que l'Esprit-Saint, présent partout, ne contracte aucune souillure? On vous répond : Pourquoi excepter le sein d'une vierge ? Mais passons sur la conception et voyons l'enfantement: vous dites que la terre, ayant conçu du Saint-Esprit, enfante Jésus passible ; mais ce Jésus, vous le dites souillé et suspendu à tout bois, dans les fruits, de manière à être encore souillé davantage par les chairs des innombrables animaux qui se nourrissent de ces fruits, et à ne pouvoir être purifié que dans la partie où votre appétit vient à son aide. Ainsi donc, nous croyons de coeur, nous confessons débouche le Christ Fils de Dieu, Verbe de Dieu, revêtu d'une chair sans souillure, parce que la chair ne peut souiller une substance que rien ne saurait souiller ; et vous, vous prétendez dans vos rêves que Jésus suspendu à l'arbre est déjà souillé avant même d'entrer dans la chair de celui qui mange le fruit : car, s'il n'était pas souillé, comment le purifieriez-vous en mangeant ? Ensuite comme vous prétendez que tout arbre est sa croix, puisque Fauste le dit " suspendu à tout bois ", pourquoi, à l'exemple de Joseph d'Arimathie qui fit la bonne oeuvre de descendre de la croix le vrai Jésus pour l'ensevelir (1), pourquoi ne cueillez-vous pas les fruits des arbres, pour ensevelir dans votre estomac Jésus descendu de la croix? Comment est-ce un acte de piété de mettre Jésus au sépulcre, et un acte d'impiété de le descendre du bois? Serait-ce pour qu'on vous applique les paroles que l'Apôtre emprunte au prophète : " Leur gosier est un sépulcre ouvert (2)", que vous attendez, bouche béante, qu'on vous introduise le Christ dans la

1. Jean, XIX, 38. — 2. Ps. V, 11; Rom. III, 13.

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gorge comme dans le tombeau le plus digne? Enfin, dites-nous combien vous prétendez qu'il

y a de christs. Ce Christ passible que la terre conçoit du Saint-Esprit, qui n'est pas seulement suspendu à tout bois, mais étendu même sur l'herbe, est-il différent de celui que les Juifs ont crucifié sous Ponce-Pilate ? Y en a-t-il un troisième partagé entre le soleil et la lune? Ou bien est-ce le même, un Christ unique, en partie enchaîné dans les arbres, en partie libre, et venant, par la partie libre, en aide à la partie captive et enchaînée ? S'il en est ainsi, comme vous prétendez que celui qui a souffert sous Ponce-Pilate (il a existé, vous en convenez) n'avait pas de chair, sans m'occuper encore de savoir comment il a pu, sans chair, subir une pareille mort, je vous demande seulement à qui il a laissé ces vaisseaux, avant d'en descendre pour souffrir des traitements qui ne peuvent avoir lieu que dans un corps quelconque? Comme esprit, il ne pouvait en aucune façon les endurer ; comme corps, il ne pouvait être tout à la fois dans le soleil, dans la lune et sur la croix. Par conséquent, s'il n'a pas eu de corps, il n'a pas été crucifié; et s'il en a eu un, je demande où il l'a pris, puisque vous prétendez que tous les corps proviennent du peuple des ténèbres, bien que vous ne puissiez concevoir la nature divine que comme une substance matérielle. Vous êtes donc forcés ou de dire qu'il a été crucifié sans corps, ce qui est le comble de l'absurdité et de la démence ; ou de dire qu'on a vu un fantôme sur la croix, plutôt qu'un vrai crucifié, ce qui est l'excès de l'impiété ; ou que tous les corps ne proviennent pas du peuple des ténèbres, mais que la divine substance est un corps qui n'est pas immortel, mais qui peut être crucifié et mis à mort, ce qui n'est pas moins insensé ; ou que le Christ a reçu un corps mortel du peuple des ténèbres, en sorte que vous ne redoutiez pas de le voir tenir des démons ce que vous redoutez de lui voir prendre dans le sein de Marie, la Vierge Mère. Enfin, puisque selon la pensée de Fauste résumant en ce peu de mots l'interminable fatras de vos rêveries : " La terre conçoit du Saint-Esprit et enfante Jésus sujet à la souffrance, qui, suspendu à tout bois, est la vie et le salut des hommes ", pourquoi ce Sauveur est-il suspendu comme doit l'être tout ce qui est suspendu et ne naît-il pas comme doit naître tout ce qui naît ? Mais si vous dites que Jésus est dans les arbres, que Jésus a été crucifié sous Ponce-Pilate, que Jésus est partagé entre le soleil et la lune, parce que tout cela ne forme qu'une seule et même substance pourquoi n'enfermez-vous pas vos milliers de dieux sous cette unique dénomination ? Pourquoi le Porte-lumière, l'Atlas, le roi de l'honneur, l'esprit puissant, le premier homme, tous ces êtres sans nombre à qui vous assignez des noms et des offices différents, ne sont-ils pas aussi Jésus ?

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CHAPITRE XII. POURQUOI, D'APRÈS LES MANICHÉENS, LE CHRIST N'EST-IL PAS MULTIPLE ? POURQUOI N'EST-IL PAS TOUT ?

Enfin, pourquoi le Saint-Esprit est-il donné comme la troisième personne, puisqu'il fait partie d'une multitude innombrable ? Pourquoi n'est-il pas aussi Jésus ? Que signifie, dans les écrits de Fauste, ce tissu de paroles menteuses, où il cherche à ménager les vrais chrétiens, dont il est bien trop éloigné. " Nous adorons donc une seule et même divinité sous la triple invocation du Père, Dieu tout-puissant, du Christ son Fils et du Saint-Esprit ". Pourquoi une invocation triple et non multiple, non-seulement en paroles, mais en réalité, puisqu'il y a autant de personnes que de noms ? Il n'en est pas ici comme, par exemple, dans les armes où trois mots: épée, tranchant, glaive, expriment une seule et même chose, ni comme quand parles mots de lune, de vaisseau moindre, de flambeau nocturne, vous entendez désigner le même objet ; vous ne pouvez pas dire que le premier homme, l'esprit puissant, le Porte-lumière, le colossal Atlas soient le même être; l'un n'est pas l'autre, ni celui-ci celui-là, et vous ne donnez à aucun le nom de Christ. D'ailleurs comment n'y aurait-il qu'une seule divinité, si les oeuvres sont différentes ? Ou pourquoi le Christ n'est-il pas tout à la fois si, à raison de l'unité de substance, il est en même temps Christ dans les arbres, Christ dans la persécution des Juifs, Christ dans le soleil et dans la lune? Vos rêveries sont en dehors de toutes les voies ; ce ne sont que des songes d'hommes en délire.

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CHAPITRE XIII. LE PAIN ET LE VIN. COMBIEN LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS PENSENT DIFFÉREMMENT LA-DESSUS.

Je ne sais comment Fauste s'est imaginé que nous avons le même culte pour le pain et le vin, quand goûter le vin est pour les Manichéens, non un acte de piété, mais un sacrilége. En effet, ils reconnaissent leur dieu dans le raisin, mais non dans la coupe, comme si, quand il a été foulé et enfermé, il les blessait en quelque chose. Pour nous, au ton, traire, le pain et le vin (non pas tout pain et tout vin, ni parce que le Christ est enchaîné dans les épis et dans les ceps, comme les Manichéens le disent dans leur folie), le pain et le vin, dis-je, deviennent pour nous le Christ en vertu d'une certaine consécration; mais le Christ n'y naît pas. En dehors de cela, le pain et le vin sont- des aliments destinés à nous soutenir, mais non un sacrement religieux, bien que nous les bénissions, et que nous rendions grâces au Seigneur pour tous ses dons, non-seulement spirituels, mais aussi corporels. Quant à vous, d'après vos fables, on vous sert le Christ enchaîné dans tous les aliments, pour être enchaîné de nouveau dans vos entrailles, puis dégagé par vos rots. Car quand vous mangez, vous vous restaurez aux dépens de votre dieu, et quand vous digérez, il se refait à vos propres dépens. En effet, quand il vous remplit, votre réfection est pour lui un poids : ce qui serait de sa part un acte de miséricorde, puisqu'il souffrirait quelque chose en vous à cause de vous, s'il ne vous laissait bientôt vides en fuyant pour se dégager de sa prison. Comment donc oses-tu,comparer à cela notre pain et notre vin, et mets-tu au niveau de notre culte une erreur .si éloignée de la vérité ? Tu es plus absurde, en cela, que ceux qui nous accusent, à l'occasion du pain et du vin, d'adorer Cérès et Bacchus. Et si je rappelle ceci, c'est pour vous faire voir combien est peu fondée cette autre opinion que vous avancez à l'occasion du sabbat, à savoir que nos pères étaient consacrés à Saturne. Autant nous sommes loin de Cérès et de Bacchus, ces dieux païens, bien que nous vénérions, parmi nos rites, le sacrement du pain et du vin, que vous louez vous-mêmes jusqu'à vouloir le partager avec nous; autant nos pères étaient loin des chaînes de Saturne, quoiqu'ils aient observé le repos du sabbat, parce qu'ils vivaient dans un temps prophétique.

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CHAPITRE XIV. ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA MATIÈRE.

Mais pourquoi ne réclamez-vous pas aussi une communauté de culte avec les païens, à cause de cette Hylé, si souvent mentionnée dans quelques-uns de leurs livres? Loin de là vous prétendez au contraire que cette Hylé est bien inférieure à la vôtre et bien différente d'elle, puisque c'est le nom que votre théologien donne au principe et à la nature du mal. En quoi vous faites preuve d'une extrême ignorance : car vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, et affectant un air de science, vous prononcez pompeusement ce mot dont vous ne connaissez pas la signification. Quand les Grecs parlent de la nature, ils donnent le nom de Hylé à une certaine matière des choses, qui n'a absolument aucune forme, mais qui est susceptible de recevoir toutes les formes du corps. Elle se reconnaît à la propriété de changer quant aux mêmes corps; car par elle,-même elle ne peut être ni sentie ni comprise. Mais quelques païens se trompent en la faisant coéternelle et en l'unissant à Dieu, de telle sorte qu'elle ne viendrait pas de Dieu, bien qu'elle en recevrait sa formé : opinion dont la Vérité elle-même nous enseigne la fausseté. Et voilà que vous vous trouvez d'accord avec ces païens sur cette Hylé, puisque vous prétendez aussi qu'elle a son principe en elle et qu'elle ne vient pas de Dieu. Pourtant vous affirmiez que vous vous sépariez d'eux sur ce point, mais vous ne saviez pas ce que vous disiez. En tant qu'ils prétendent que cette Hylé n'a pas de forme propre et qu'elle n'en peut recevoir que de Dieu, ils sont dans le vrai et d'accord avec nous, mais en opposition avec votre erreur : car ne sachant ce que c'est que Hylé, c'est-à-dire la matière des corps, vous l'appelez peuple des ténèbres, et vous y placez non-seulement des formes corporelles sans Nombre et divisées en cinq espèces, mais encore l'esprit qui donne ces formes aux corps; et pour comble d'ignorance ou plutôt de démence, vous appelez Hylé ce même esprit qui, selon vous, donne les formes sales en recevoir lui-même. Mais s'il y avait là un esprit (295) formateur et des éléments matériels à former, il faudrait appeler ces éléments Hylé, c'est-à-dire matière apte à être formée par ce même esprit dont vous faites le principe du mal. Si vous disiez cela, vous ne seriez pas loin de la vérité au sujet de cette Hylé, sauf que les éléments eux-mêmes, quoique destinés à recevoir d'autres formes, par le fait qu'ils seraient éléments et déjà distingués en espèces particulières, ne seraient plus proprement Hylé, puisque Hylé est absolument informe. Néanmoins votre ignorance serait tolérable, puisque vous appelleriez Hylé ce qui reçoit la forme, et non ce qui la donne. Et encore seriez-vous regardés comme absurdes et sacrilèges, parce que, ne sachant pas que toute mesure dans les natures, tout nombre dans les formes, toute quantité dans les poids ne peuvent venir que du Père et du Fils et du Saint-Esprit, vous attribueriez un aussi grand bien au principe du mal. Mais maintenant que vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, pas même ce que c'est que le mal, oh ! que ne puis-je vous décider à vous contenir et à ne plus tromper les ignorants !

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CHAPITRE XV. COMMENT UN MANICHÉEN S'IMAGINE ÊTRE LE TEMPLE DE DIEU.

Mais qui ne rira, en vous entendant dire que vous valez mieux que les païens, parce qu'ils pensent qu'on doit honorer Dieu par des autels, des temples, des statues, des victimes et de l'encens, et que vous ne faites rien de tout cela ? Comme s'il n'était pas meilleur de dresser un autel même à une pierre qui, après tout, existe, et de lui offrir des victimes, que d'adorer, dans l'égarement de sa folie, ce qui n'existe absolument pas. Mais toi qui te dis le temple raisonnable de Dieu, comment l'entends-tu? Trouves-tu bon que Dieu ait un temple construit en partie par le démon? N'est-ce pas vous qui prétendez que tous vos membres, que tout votre corps a été formé par le méchant esprit que vous appelez Hylé, et qu'une partie de cette Hylé y habite avec une partie de votre dieu ? Et comme celle-ci y est, dites-vous, enfermée et enchaînée, faudra-t-il dire temple de Dieu ou prison de Dieu? A moins que tu ne places le temple de Dieu dans ton âme, que tu crois tenir de la terre de lumière. Mais cette partie même de votre être, vous avez coutume de l'appeler partie ou membre de Dieu, et non temple de Dieu. Il ne te reste donc d'autre ressource que de te croire temple de Dieu par le corps seulement, lequel, selon toi, est l'oeuvre du démon. Et voilà comment vous blasphémez le temple de Dieu, non-seulement jusqu'à dire qu'il n'est pas saint, mais jusqu'à l'appeler oeuvre du démon et prison de Dieu ! Et cependant l'Apôtre dit : " Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple ". Et pour que tu ne penses pas qu'il s'agit seulement de l'âme, écoute ces autres paroles plus expresses : " Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez " reçu de Dieu (1) ? " Et vous, vous appelez le temple de Dieu oeuvre des démons, et là, comme dit Fauste, vous placez " le Christ, Fils de Dieu, vivante image de la majesté vivante ". Soit : que votre Christ chimérique habite dans un tel temple de vanité sacrilège. On peut l'appeler simulacre, en tirant ce mot de " simulation " et non de " similitude".

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CHAPITRE XVI. LE SACRIFICE INTÉRIEUR SELON LA DOCTRINE DES MANICHÉENS.

Ainsi tu fais de ton âme un autel, mais de qui? On le voit assez par les arts et les doctrines, dont tu la dis pénétrée. Ces arts et ces doctrines défendent de donner du pain à un mendiant, afin que la cruauté se mêle au sacrifice offert sur votre autel, autel que le Seigneur renverse, en rappelant, d'après la loi, quel est le parfum qu'il goûte : " J'aime mieux la miséricorde, que le sacrifice (2) ". Or, faites attention à la circonstance où le Seigneur cite ce passage : c'est au moment où il traversait des moissons, et que ses disciples cueillaient des épis pour satisfaire à leur faim. Or, selon la doctrine dont vous pénétrez votre âme, c'était là un homicide. Votre âme est donc l'autel, non de Dieu, mais des démons menteurs, dont les doctrines cautérisent la conscience pervertie (3), laquelle donne le nom d'homicide à un acte que la Vérité déclare innocent. Voilà pourquoi le Seigneur, vous frappant et vous réfutant d'avance dans la personne des Juifs, a dit : " Si vous

1. I Cor. III, 17 ; VI, 19. — 2. Os. VI, 5. — 3. I Tim. IV, 2.

296

compreniez ce que signifie : J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné des innocents (1) ".

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CHAPITRE XVII. CE QUE C'EST QUE LA PRIÈRE CHEZ LE MANICHÉEN.

Mais quelles oraisons simples et pures pouvez-vous offrir à Dieu comme hommages et comme sacrifices, quand vous avez, de la nature même et de la substance divine, des idées si indignes, si honteuses, que non-seulement vos sacrifices ne sauraient rendre propice le vrai Dieu, mais que votre dieu même est immolé dans les sacrifices des païens? Car vous le dites enchaîné de liens qui le déshonorent et qui le souillent, non-seulement dans les arbres, dans les plantes ou dans les membres humains, mais aussi dans les chairs des animaux. Et votre âme elle-même, à quel dieu adressera-t-elle ses louanges, quand elle se proclame une partie de ce dieu, captive et enchaînée chez le peuple des ténèbres ? Fait-elle autre chose que de blâmer ce dieu qui n'a pu (elle l'atteste elle-même) se défendre contre ses ennemis qu'en livrant ses parties à une si grande corruption, à une si honteuse captivité? Les prières que vous lui adresseriez ne pourraient donc être que des sentiments de rancune, et non des actes de religion. Car quel mal lui aviez-vous fait pour encourir un tel châtiment et être réduits à lui adresser vos plaintes, vous qui ne l'avez pas abandonné volontairement et par le péché, mais qu'il a lui-même livrés à ses ennemis pour procurer la paix à son royaume, et livrés, non pas comme des otages que l'on doit conserver honorablement? Il n'est pas non plus comme un berger qui tend des piéges pour prendre une bête sauvage: car c'est une pièce de son bétail, et non ses membres, qu'il emploie pour amorce, et encore de façon à ce que la bête soit prise avant que l'amorce soit entamée. Mais vous, membres de votre dieu, vous êtes abandonnés aux ennemis; vous ne pouvez garantir votre dieu de leur férocité, sans vous souiller de leur immondice, et cela, sans faute personnelle, mais par l'effet du poison ennemi qui vous mine. Ce qui fait que vous ne pouvez dire dans vos prières : " Seigneur, pour la

1. Matt. XII, 7.

gloire de votre nom, délivrez-nous; pour votre nom, pardonnez-nous nos péchés (1) " ; mais que vous lui dites : Tâchez de nous délivrer, car c'est pour vous procurer la faculté de pleurer en paix dans votre royaume que nous sommes oppressés, déchirés, souillés. Or, c'est là une accusation, et non une prière. Vous ne pouvez pas dire non plus ce que le Maître de la vérité nous a appris à dire : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent (2) ". Car quels sont vos débiteurs, ceux qui ont eu des torts à votre égard? Si c'est le peuple des ténèbres, lui remettez-vous ses dettes, à lui qui est extirpé à fond et que vous tenez enfermé dans une prison éternelle? Et quelles dettes votre dieu peut-il vous remettre, puisqu'il est plutôt votre débiteur, pour vous avoir envoyés où vous êtes, que vous n'êtes les siens, pour avoir obéi à ses ordres? Ou s'il n'est pas coupable, parce qu'il a été forcé d'agir, vous êtes encore bien moins libres qu'il ne l'était avant que vous livrassiez combat, puisque vous avez été vaincus dans ce combat et que vous êtes couchés à terre. Car vous subissez le mélange du mal, et il ne le subissait pas, lui, alors même qu'il était déjà forcé d'agir, par exemple, de vous envoyer où vous êtes. Ainsi donc, ou il est votre débiteur et c'est à vous à lui remettre sa dette; ou il ne l'est pas, et vous l'êtes encore bien moins envers lui. Que sont donc vos sacrifices, vos oraisons simples et pures, sinon des mensonges et d'impurs blasphèmes ?

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CHAPITRE XVIII. DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES. SACRIFICE DU CHRIST. SACRIFICE DES MANICHÉENS.

Néanmoins, je voudrais bien que vous me dissiez pourquoi vous donnez les noms de temple, d'autel, de sacrifice à ces choses que vous louez en vous. Car si ces véritables hommages ne sont pas dus au vrai Dieu, pourquoi les recommande-t-on, pourquoi en fait-on l'éloge dans la vraie religion ? Mais si on doit au Dieu véritable un véritable sacrifice (ce qu'on appelle à juste titre : honneurs divins) les autres ne sont appelés sacrifices que par analogie à celui-là. Or, les uns sont des imitations suggérées par des dieux faux et menteurs, c'est-à-dire par les démons, qui

1. Ps. LXXVIII, 9. — 2. Matt. VI, 12.

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exigent par orgueil les honneurs divins de la part de leurs dupes; tels sont ou tels étaient tous ceux qu'on offrait aux idoles dans les temples païens. Les autres étaient des figures du seul et très-réel sacrifice, qui devait être offert dans la suite pour les péchés de tous les croyants; tels étaient ceux prescrits par Dieu aux anciens pères, où se trouvait même l'onction mystique, emblème prophétique de celle du Christ qui lui a même emprunté son nom. Or, ce vrai sacrifice, dû au seul vrai Dieu, et que le Christ seul a accompli sur son autel, les démons s'en attribuent arrogamment la figure dans l'immolation des victimes. Ce qui fait dire à l'Apôtre : " Ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu (1) " : blâmant par là non ce qui était offert, mais le but pour lequel on l'offrait. Quant aux Hébreux, dans les sacrifices d'animaux qu'ils offraient à Dieu sous des formes nombreuses et variées, comme le sujet le méritait, ils honoraient prophétiquement le futur sacrifice que le Christ a consommé. Ensuite les chrétiens célèbrent à leur tour la mémoire du sacrifice accompli, par la très-sainte oblation et la réception du corps et du sang du Christ. Mais les Manichéens ignorant ce qu'il faut condamner dans les sacrifices des Gentils, ce qu'il faut entendre dans les sacrifices des Hébreux, et ce qu'il faut croire et observer dans le sacrifice des chrétiens, offrent leur folie en sacrifice au démon qui les a trompés, s'éloignant de la foi pour se livrer à des esprits séducteurs et aux doctrines des démons hypocrites et menteurs.

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CHAPITRE XIX. LES PAÏENS ONT EU L'IDÉE D'UN POUVOIR DIVIN UNIQUE, LES MANICHÉENS NE L'ONT PAS.

Que Fauste, ou plutôt ceux qui goûtent ses écrits, apprennent donc que l'idée d'un pouvoir unique ne nous vient point des Gentils, mais que les Gentils ne sont pas tombés assez bas dans l'idolâtrie pour perdre la notion d'un seul vrai Dieu auteur de toute espèce d'être. Leurs sages (parce que, dit l'Apôtre, " les perfections invisibles de Dieu, rendues compréhensibles depuis la création du monde, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu'ils sont inexcusables") leurs sages, dis je,

1. I Cor. X, 20.

" connaissant Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci ; ainsi, en disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus insensés et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des serpents ". Telles sont les idoles des Gentils; il est impossible d'y voir autre chose qu'un culte rendu à la créature que Dieu a tirée du néant; de telle sorte que, dans cette interprétation même, dont les plus habiles d'entre eux ont coutume de se vanter et de se pavaner, il leur arrive ce que l'Apôtre dit un peu plus bas : " Ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni dans les siècles (1) ". Mais vous, dans tous les points où vous vous rapprochez d'eux, vous déraisonnez ; et dans les points où vous vous en éloignez, vous êtes au-dessous d'eux. En effet, vous n'admettez pas avec eux l'idée d'un pouvoir unique, qu'ils ont raison d'admettre, et vous croyez à une substance divine unique, mais qui peut être vaincue et qui est sujette à corruption, ce qui est une impiété absurde ; d'autre part, en adorant plusieurs dieux ils se sont laissé entraîner, par les démons menteurs, à adresser leurs hommages à des idoles, comme vous à d'innombrables chimères.

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CHAPITRE XX. CE NE SONT PAS LES AGAPES CHRÉTIENNES, MAIS LES SACRIFICES DES MANICHÉENS, QUI RESSEMBLENT A CEUX DES PAÏENS.

Nous n'avons pas converti en agapes les sacrifices des païens; mais nous nous en tenons au sacrifice dont j'ai parlé tout à l'heure, sur cette parole du Seigneur : " J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice ". Nos agapes nourrissent les pauvres ou de fruits, ou de chair. Ainsi une créature de Dieu est nourrie d'une autre créature de Dieu propre à servir d'aliment à l'homme. Mais vous, comme les démons menteurs vous ont persuadé, non pour dominer la chair, mais pour pratiquer le blasphème, " de vous abstenir des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui ont connu la vérité; car toute créature de Dieu

1. Rom. I, 20-25.

298

est bonne et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (1) " ; vous, dis-je, ingrats envers le Créateur, et ne lui rendant, pour ses généreux bienfaits, que des injures sacrilèges, parce que l'on donne ordinairement de la viande aux pauvres dans les agapes, vous assimilez la charité des chrétiens aux sacrifices des païens, à quelques-uns desquels vous ressemblez en cela même. En effet, tuer des troupeaux vous semble un crime, parce que vous croyez que les âmes humaines passent dans les animaux : doctrine qu'on retrouve dans les livres de quelques philosophes païens, bien que plus tard, dit-on, on l'ait entendu autrement. Mais sur ce point encore, votre erreur est bien plus détestable que la leur : car, en tuant un animal, ils craignaient seulement de donner la mort à un de leurs semblables, et vous, vous craignez de tuer votre dieu dont vous pensez que les âmes mêmes des animaux sont les membres.

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CHAPITRE XXI. CULTE DES MARTYRS DIFFÉRENT DU CULTE DE LATRIE QUI N'EST DU QU'A DIEU. LE SACRIFICE EUCHARISTIQUE, MÉMORIAL DE CELUI DE LA CROIX.

Pour ce qui est de l'accusation calomnieuse de Fauste, qui prétend que le culte que nous rendons aux martyrs n'est qu'une idolâtrie retournée, je n'y attache d'intérêt que pour montrer qu'entraîné par le besoin de calomnier, Fauste lui-même a essayé de sortir du cercle des folies de Manès, et que, par je ne sais quelle maladresse, il est tombé dans l'opinion vulgaire et poétique des païens, tout en voulant paraître à une immense distance d'eux. En effet, après avoir dit que nous avons changé les idoles en martyrs, il ajoute : " Vous leur offrez les mêmes hommages, vous apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments ". Quoi ! y a-t-il des ombres de morts? Nous n'avons jamais rien entendu de cela dans vos discours, rien lu de cela dans vos livres: bien plus, vous dites ordinairement tout le contraire, en affirmant que les âmes des morts, coupables ou trop peu purifiées, subissent des métamorphoses, ou d'autres peines plus graves; que celles des bons sont embarquées, voguent dans le ciel et passent de là dans le séjour imaginaire de la terre de

1. I Tim. IV, 2, 4.

lumière, pour laquelle elles ont combattu et trouvé la mort; par conséquent, qu'aucune âme n'est retenue autour du tombeau où son corps a été enseveli. D'où viennent donc ces ombres de morts? Quelle est leur substance? où est leur séjour? Mais Fauste, dominé par la passion de l'injure, a oublié la doctrine qu'il professait; ou peut-être a-t-il écrit ce mot ombre en dormant ou en rêvant, et a-t-il relu sa page sans être éveillé. Le peuple chrétien célèbre avec une religieuse solennité la mémoire des martyrs, pour exciter les fidèles à les imiter, pour s'associer à leurs mérites et s'aider de leurs, prières, de manière cependant à n'élever d'autels qu'au:Dieu même des martyrs, et non à aucun martyr, bien que ce soit en leur mémoire. Car quel est le pontife qui, célébrant le sacrifice à l'autel, dans les lieux où reposent les corps saints, a jamais dit: Nous l'offrons à vous, Pierre, ou Paul, ou Cyprien ? Non, ce qui est offert, est offert au Dieu qui a couronné les martyrs, près des autels de ceux qu'il a couronnés, afin que les lieux mêmes enflamment la piété, excitent à aimer et ceux que nous pouvons imiter et celui qui nous aide à le pouvoir. Nous honorons donc les martyrs d'un culte d'amour et ; de fraternité, semblable aux sentiments que nous éprouvons en cette vie pour les saints, pour les hommes de Dieu, que nous savons prêts à supporter de tels tourments pour la vérité évangélique. Et notre culte est d'autant plus fervent que ceux qui en sont l'objet sont plus en sécurité, après tant de combats suivis de la victoire, et nous en faisons l'éloge avec plus de confiance, depuis qu'ils jouissent du triomphe dans une vie plus heureuse, que s'ils combattaient encore dans cette vie mortelle. Quant au culte que les Grecs appellent latreia et qui ne peut s'exprimer en latin par un seul mot, comme il consiste en un hommage qui appartient en propre à la divinité, nous ne le rendons, et nous enseignons qu'on ne peut le rendre qu'à Dieu seul. Et comme l'oblation du sacrifice fait partie de ce culte, ce qui fait qu'on appelle idolâtrie le sacrifice fait aux idoles, nous n'offrons rien, nous défendons d'offrir rien de ce genre à un martyr, à une âme sainte, ou à un ange ; et quiconque tombe dans cette erreur, est repris et ramené à la saine doctrine, pour qu'il se corrige ou se tienne en garde. D'ailleurs les saints eux-mêmes, soit hommes, soit anges, refusent de (299) tels hommages qu'ils savent n'être dus qu'à Dieu. On l'a vu par l'exemple de Paul et de Barnabé, au moment où les Lycaoniens, frappés des prodiges qu'ils opéraient, voulaient leur sacrifier comme à des dieux; ils déchirèrent leurs vêtements, protestèrent et prouvèrent qu'ils n'étaient point des dieux, et défendirent qu'on les traitât comme tels (1). On l'a vu aussi pour les anges : car nous lisons dans l’Apocalypse que l'un d'entre eux défendit qu'on l'adorât, et dit à celui qui voulait le faire: " Je suis serviteur comme vous et comme vos frères (2) ". Or, il est connu que les esprits orgueilleux, le démon et ses, anges exigent ces hommages, comme cela se voit par tous les temples et tous les sacrifices des Gentils. Et même certains hommes, aveuglés par l'orgueil, imitent leur exemple, comme l'histoire nous le raconte de quelques rois de Babylone. Ce fut ce qui attira au saint homme Daniel des accusations et des persécutions, parce que, nonobstant l'édit du roi qui défendait d'invoquer d'autre dieu que lui, on le surprit à adorer et à prier son Dieu, c'est-à-dire le seul vrai Dieu (3). Quant à ceux qui s'enivrent aux tombeaux des martyrs, comment pourrions-nous les approuver, puisque la saine doctrine condamne même ceux qui s'enivrent chez eux ? Mais autre chose est ce que nous enseignons, autre chose ce que nous tolérons; autre chose est ce que nous avons mission de commander, autre chose ce que nous avons ordre de corriger et que nous sommes forcés de supporter en attendant. Autre chose est la discipline chrétienne, autre chose la débauche des hommes adonnés au vin ou l'erreur des infirmes. Et encore y a-t-il une grande distance entre la faute des ivrognes et celle des sacrilèges. Car il est infiniment moins coupable de revenir ivre des tombeaux des martyrs, que de sacrifier, même à jeun, aux martyrs. J'ai dit : Sacrifier aux martyrs, et non Sacrifier à Dieu sur les tombeaux des martyrs : ce que nous faisons très-souvent, mais selon le rite que Dieu lui-même a prescrit pour le sacrifice par la révélation du Nouveau Testament: rite qui fait partie du culte appelé latrie et qu'on ne doit qu'à Dieu seul. Mais que faire ? Et comment faire sentir à ces hérétiques si aveugles, la force de ces paroles du Psalmiste: " Le sacrifice de louange est le culte qui m'honore; c'est par là que je lui

1. Act. XIV, 7-17. — 2. Apoc. XIX, 10, XXII, 8, 9. — 3. Dan. VI.

manifesterai mon salut (1) ". La chair et le sang, matière de ce sacrifice, étaient figurés prophétiquement par des victimes, avant l'arrivée du Christ; dans sa Passion ils furent réellement immolés ; depuis l'Ascension du Sauveur, on célèbre le sacrifice en mémoire de lui ; par conséquent, il y a autant de différence entre les sacrifices des païens et ceux des Hébreux, qu'il y en a entre une imitation erronée, et un symbole prophétique. De même donc qu'il ne faut pas mépriser ni avoir en horreur la virginité des religieuses, parce que les Vestales étaient vierges ; ainsi il ne faut pas blâmer les sacrifices de nos pères, parce que les Gentils ont aussi leurs sacrifices. En effet, comme il y a une grande distance entre ces deux espèces de virginité, bien que cette distance ne soit autre que celle même qui sépare les êtres à qui elles étaient consacrées ; ainsi en est-il des sacrifices des païens et des Hébreux, qui diffèrent essentiellement par la nature même de ceux à qui on les offrait : à savoir, d'un côté, à l'orgueil impie des démons qui s'arrogeaient les honneurs divins, puisque le sacrifice n'est dû qu'à Dieu ; et, de l'autre, au seul vrai Dieu, à qui on offrait des sacrifices, emblèmes du véritable sacrifice qui devait lui être offert en réalité par l'immolation du corps et du sang du Christ.

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CHAPITRE XXII. LES SACRIFICES DES JUIFS DIFFÉRENTS DE CEUX DES PAÏENS. LES DÉMONS SE REPAISSENT DES ERREURS HUMAINES.

Il est faux que, comme le dit Fauste, les Juifs qui nous ont précédés, étant séparés des Gentils et ayant temple, sacrifices, autels, sacerdoce, n'aient renoncé qu'aux images taillées, c'est-à-dire aux idoles: car ils pouvaient, comme quelques gentils, n'avoir point d'idoles sculptées et sacrifier aux arbres, aux montagnes et finalement au soleil, à la lune et aux autres astres. S'ils l'eussent fait par le culte dit de latrie, comme ils auraient servi la créature au lieu du Créateur, et auraient été atteints de la grave erreur d'une superstition impie, les démons se seraient également prêtés à les tenir dans l'illusion et auraient accepté leurs sacrifices. Car ce n'est pas, comme quelques-uns le pensent, d'odeurs et de fumée, mais des erreurs humaines que ces

1. Ps. XLIX, 23.

300

esprits orgueilleux se repaissent: ce qui les charme, ce n'est point le plaisir de manger, mais une complaisance malveillante dans le succès d'une imposture quelconque, ou la fastueuse satisfaction d'une fausse grandeur quand ils peuvent se vanter de recevoir les honneurs divins. Nos pères n'ont donc pas seulement laissé là les idoles : mais ils n'ont sacrifié ni à la terre, ni à rien de terrestre, ni à la mer, ni au ciel, ni à la milice du ciel; ils ont offert au Dieu unique, créateur de toutes choses, les victimes qu'il a lui-même exigées nous promettant par ces figures le véritable sacrifice, au moyen duquel il nous a réconciliés avec lui, par la rémission de nos péchés, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, chef du corps que composent les fidèles, ainsi que Paul le leur dit en ces termes : " Je vous conjure donc, mes frères, parla miséricorde de Dieu, d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu (1) ". Mais les Manichéens prétendent que les corps humains sont l'oeuvre du peuple des ténèbres, et des prisons où leur dieu vaincu est enfermé; ainsi bien différentes sont la doctrine de Fauste et celle de Paul. Mais puisqu'il est écrit : " Si quelqu'un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (2) " : le Christ dit la vérité par la bouche de Paul; que Manès soit donc anathème dans la personne de Fauste !

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CHAPITRE XXIII. DANS L'USAGE DES CHOSES ORDINAIRES DE LA VIE, LES MANICHÉENS DIFFÉRENT BEAUCOUP DES CATHOLIQUES ET SONT AU-DESSOUS MÉME DES PAÏENS.

Fauste, ne sachant ce qu'il dit, prétend encore que nous n'avons rien changé aux moeurs des Gentils. Mais comme le juste vit de foi (3); que la fin du précepte est la charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte (4) ; que, pour former la conscience des fidèles, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et la charité (5) : comment celui qui n'a pas ces trois choses pourrait-il avoir les mêmes moeurs que celui qui les possède ? Car nécessairement celui qui croit, espère, aime autre chose, doit vivre différemment. Si nous paraissons avoir en commun avec les Gentils l'usage de certaines choses, comme la nourriture et la boisson,

1. Rom. XII, 1. — 2. Gal. I, 9. — 3. Rom. I, 17. — 4. I Tim. I, 5. — 5. I Cor. XIII, 13.

les maisons, les vêtements, les bains; et, pour ceux d'entre nous qui sont mariés, des femmes à épouser et à conserver, des enfants à mettre au monde, à nourrir, à laisser pour héritiers : bien différente cependant est la manière d'user de ces choses chez celui qui en rapporte l'usage à une autre fin, et chez celui qui en rend grâces à Dieu sans avoir de lui aucune idée mauvaise ou erronée. Car bien que, au sein de votre erreur, vous mangiez le même pain que les autres hommes, que vous viviez de fruits et de l'eau des fontaines, que vous soyez vêtus de laine et de lin tissés de la même manière, vous ne menez cependant point la même conduite, non précisément en mangeant, en buvant ou en vous habillant autrement que les autres, mais parce que vous avez d'autres sentiments, d'autres croyances, et que vous rapportez toutes ces choses à une autre fin, à savoir à vos erreurs et à votre vanité. De même, quoique nous usions de ces choses et d'autres encore de la même manière que les païens, nous ne vivons cependant pas comme les païens, parce que nous ne les rapportons pas à la même fin, mais à la fin du précepte légitime et divin, à savoir la charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte. Quelques-uns, pour s'en être écartés, se sont égarés en de vains discours. Parmi ceux-là vous tenez évidemment le premier rang, vous qui ne voyez pas, qui ne réfléchissez pas que la différence de foi entraîne aussi une différence de conduite dans la possession et l'usage des mêmes choses, tellement que, quand vos auditeurs ont des femmes, ont des enfants quoique malgré eux, leur amassent ou leur conservent un patrimoine, mangent de la viande, boivent du vin, vont aux bains, moissonnent, vendangent, font un négoce, exercent les fonctions publiques, vous les regardez comme vos disciples et non comme des païens, quoique leur conduite semble plus se rapprocher de celle des païens que de la vôtre. En effet, le genre de vie de certains païens ressemble plus au vôtre qu'à celui de quelques-uns de vos auditeurs, puisque, dans leurs cérémonies sacrilèges, ils s'abstiennent du vin, de la chair et des femmes; néanmoins, bien qu'ils fassent ce que vous faites, vous admettez, plutôt qu'eux, dans vos rangs des auditeurs qui usent de toutes ces choses et en cela s'éloignent de vous ; et vous regardez plutôt comme membre de votre (301) secte une femme qui met au monde des enfants, pourvu qu'elle croie à Manès, qu'une Sibylle qui ne se marie même pas. Mais, dites-vous, il y a beaucoup de chrétiens appelés catholiques qui sont adultères, ravisseurs, avares, ivrognes, ou entachés de tout autre vice condamné par la saine doctrine. Eh ! dans votre petit, dans votre très-petit nombre, la plupart ne sont-ils pas tels, et n'y en a-t-il pas quelques-uns parmi les païens qui ne le sont pas? Dites-vous pour cela que ces païens valent mieux que vous ? Et cependant, à raison de ces vaines et sacrilèges erreurs de votre secte, ceux d'entre vous qui n'ont point de ces vices sont au-dessous des païens qui les ont. Il est donc clair que la saine doctrine, qui est la seule catholique, reste tout entière, bien qu'un grand nombre prétendent lui appartenir et ne veulent point être guéris par elle. Car il faut bien admettre ce petit nombre d'élus, que le Seigneur indique en particulier au milieu de cette vaste, de cette immense multitude répandue dans le monde entier (1) : cependant ce petit nombre de saints et de fidèles (il faut souvent le répéter), cette quantité de grains si petite par comparaison à l'énorme quantité de paille, forme par elle-même une telle abondance de froment qu'elle l'emporte sans comparaison sur tous vos justes et vos réprouvés, les uns et les autres également réprouvés de la vérité. Nous ne sommes donc pas un schisme des Gentils, dont nous différons beaucoup en mieux; vous n'en êtes pas un non plus, parce que vous en différez beaucoup en pire.

1. Matt. XX, 16.

 

 

 

 

LIVRE VINGT-UNIÈME. CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Fauste nie qu'il admette deux dieux. — Dieu est impénétrable dans ses voies, admirable dans toutes ses oeuvres. — La Loi de conservation. — Harmonie du corps humain d'après saint Paul. — Dieu a fait le corps humain. — Opinion manichéenne sur les animaux. — Contradictions et fables absurdes de ces sectaires. — Les deux natures et absurdités qui en découlent.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE VEUT PROUVER QU'IL N'ADMET PAS DEUX DIEUX.

Fauste. N'y a-t-il qu'un Dieu ou y en a-t-il deux? – Evidemment il n'y en a qu'un. — Comment donc affirmez-vous qu'il y en a deux? — Jamais il n'a été question de deux dieux dans nos assertions. Je voudrais savoir ce qui a pu te le faire soupçonner. — Parce que vous admettez deux principes, celui du bien et celui du mal. — Soit: nous admettons deux principes, mais nous n'appelons Dieu que l'un des deux, et nous nommons l'autre Hylé ou démon, pour parler le langage ordinaire. Si tu penses que ce soit, là, admettre deux dieux, tu pourras dire aussi qu'un médecin qui discute sur la maladie et la santé, admet deux santés; que celui qui nomme le bien et le mal, admet deux biens; et en entendant parler de richesse et de pauvreté, tu pourras croire que cela signifie deux richesses. Et si je discute sur le blanc et le noir, le froid et le chaud, le doux et l'amer, et que tu prétendes que je parle de deux blancheurs, de deux chaleurs, de deux douceurs, ne passeras-tu pas pour un fou, pour un cerveau fêlé? Ainsi, quand je parle de deux principes, Dieu et Hylé, tu ne dois pas t'imaginer que je veuille dire deux dieux. Parce que nous attribuons à Hylé tout pouvoir de faire le mal et à Dieu tout pouvoir de faire le bien, comme cela doit être, diras-tu pour cela qu'il importe peu que nous les appelions dieu l'un et l'autre, indifféremment? S'il en est ainsi, quand on parlera de poison et d'antidote, tu pourras dire qu'on peut indifféremment les appeler tous les deux antidotes, parce qu'ils ont chacun leur propriété, que tous les deux opèrent et produisent leur effet; quand on parlera d'un médecin et d'un empoisonneur, tu pourras donner à tous les deux le nom de médecins; quand on parlera d'un juste et d'un injuste, tu pourras les appeler justes tous les deux, parce que tous les deux font quelque chose. Or, si cela est absurde, combien ne l'est-il pas plus de regarder comme deux dieux, Dieu et Hylé, parce que l'un et l'autre agissent ? C'est donc une sotte et pauvre argumentation que la tienne, quand n'ayant rien à me répondre sur le fond, tu me fais une méchante querelle sur les mots. Du reste, je ne disconviens pas que quelquefois nous donnons le nom de dieu à la nature ennemie; en cela nous n'entendons pas exprimer notre foi, mais nous conformer au langage de ceux qui l'honorent et en font un dieu dans leur ignorance ; comme nous entendons l'Apôtre dire : " Le dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles (2) " ; l'appelant dieu, parce que les siens l'appelaient ainsi; mais ajoutant qu'il aveugle les esprits, pour faire comprendre qu'il n'est pas le vrai Dieu.

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CHAPITRE II. COMMENT DIEU PEUT AVEUGLER LES ESPRITS.

Augustin. Nous entendons ordinairement parler de deux dieux dans vos discussions. Après l'avoir d'abord nié, tu as fini par: en convenir un moment après, et comme pour justifier ce langage, tu cites ce mot de l'Apôtre : " Le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles ". Mais ce passage, la plupart d'entre nous l'entendent en ce sens que c'est le vrai Dieu qui a aveuglé les esprits des infidèles. Après avoir lu : " En quoi Dieu ", ils suspendent la prononciation, puis ils continuent : " De ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles ". Si tu n'admets pas cette manière de lire, et que, pour expliquer ce passage, tu changes ainsi l'ordre des mots : " En quoi Dieu a aveuglé les esprits des infidèles de ce siècle ", tu retrouveras le même sens que dans l'autre manière de lire. Car l'opération en vertu de laquelle les esprits des infidèles

1. II Cor. IV, 4.

303

sont aveuglés, peut, sous certain, rapport, s'attribuer au vrai Dieu. Il agit alors par justice et non par méchanceté, comme le même Paul le dit ailleurs : " Dieu est-il injuste d'envoyer sa colère (1)? " Et en un autre endroit " Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de l'injustice? Nullement. Car il dit à Moïse : J'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde ". Après avoir d'abord posé ce principe incontestable qu'il n'y a point d'injustice en Dieu, faites attention à ce qu'il dit peu après: " Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits, afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, etc. (2) " Certes, il est impossible ici de dire que le Dieu qui manifeste sa colère et signale sa puissance sur les vases propres à être détruits, est autre que celui qui manifeste ses richesses sur les vases de miséricorde. L'enseignement de l'Apôtre prouve donc que c'est le seul et même Dieu qui agit dans ces deux cas. C'est ce qui lui fait dire encore : " Aussi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes " ; puis peu après : " Et comme ils n'ont pas montré qu'ils avaient la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à un sens réprouvé (3) ". Voilà comment le Dieu vrai et juste aveugle les esprits des infidèles. Jamais, dans ces textes de l'Apôtre que je viens de rapporter, on n'a vu un autre Dieu que celui qui a envoyé son Fils, lequel Fils nous dit: "C'est pour juger que je suis venu dans ce monde, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (4) ". Ici les esprits des fidèles voient assez comment Dieu aveugle les esprits des infidèles. Il se passe d'abord quelque chose de secret dans le mystère, sur quoi Dieu exerce son jugement souverainement juste, pour aveugler les esprits des uns et éclairer ceux des autres : car c'est de lui qu'on a dit avec la plus parfaite vérité : " Vos jugements sont un profond abîme (5) ". Et c'est devant ces impénétrables profondeurs que l'Apôtre frappé d'étonnement s'écrie : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de

1. Rom. III, 5. — 2. Id. IX, 14, 15, 22, 23. — 3. Id. I, 24, 26, 28. — 4. Jean, IX, 39. — 5. Ps. XXXV, 7.

Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles ! etc. (1) "

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CHAPITRE III. DIEU CONDAMNE ET JUSTIFIE PAR DES VOIES IMPÉNÉTRABLES.

Mais vous, vous ne savez pas discerner ce que Dieu fait par bonté de ce qu'il fait par justice, parce que, bien loin de votre coeur et de vos lèvres est notre psautier où on lit

" Je chanterai votre miséricorde et votre justice, Seigneur (2) " ; tout à fait étrangers au bon plaisir et au jugement du vrai Dieu, vous avez, pour tout ce qui vous blesse dans l'infirmité de notre condition mortelle, un autre dieu tout prêt, un dieu méchant, que la vérité ne vous a point révélé, mais que votre folie a imaginé, auquel vous attribuez non-seulement tout ce que vous faites injustement, mais encore tout ce que vous souffrez justement; vous laissez ainsi à Dieu la distribution des bienfaits, mais vous lui ôtez celle des châtiments : comme si celui dont le Christ a dit qu'il â préparé un feu éternel pour les méchants (3), était autre que celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes (4). Pourquoi ne comprenez-vous pas qu'une si grande bonté ici, et, là, une si grande sévérité appartiennent au seul et même Dieu, sinon parce que vous ne savez pas chanter la miséricorde et la justice? N'est-ce pas le même Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes, qui brise aussi les rameaux naturels, et ente, contre nature, l'olivier sauvage ? N'est-ce pas du même que l'Apôtre dit : " Tu vois donc la bonté et la sévérité de Dieu; sa sévérité envers ceux qui ont été brisés ; et sa bonté envers toi, si tu demeures ferme dans cette bonté (5) ". Vous entendez, vous remarquez, comme il n'ôte point à Dieu la sévérité du juge, ni à l'homme son libre arbitre. C'est un mystère, c'est un abîme, c'est un secret impénétrable à la pensée humaine, comment Dieu condamne un impie et justifie un impie : car la Vérité, dans les saintes Ecritures, affirme de lui l'un et l'autre. Quoi ! faudra-t-il donc murmurer contre les jugements divins, parce qu'ils sont inscrutables?

1. Rom. XI, 33. — 2. Ps. C, 1. — 3. Matt. XXV, 41. — 4. Id. V, 45. — 5. Rom. XI, 17, 24.

304

Combien il est plus convenable, combien il est plus en rapport avec notre faiblesse, de trembler où Paul tremblait et de nous écrier : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! " Combien il vaut mieux admirer ce que tu ne peux pénétrer, plutôt que d'inventer un autre dieu, un Dieu méchant, parce que tu ne peux comprendre le dieu bon ! car ce n'est pas du mot qu'il s'agit, mais de la chose.

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CHAPITRE IV. QUOI QU'IL EN DISE, FAUSTE ADMET DEUX DIEUX.

Fauste se presse trop de se croire justifié, pour avoir dit : " Nous n'admettons pas deux dieux, mais Dieu et Hylé ". Car demandez-lui ce que c'est que Hylé, et vous aurez bientôt la définition d'un autre dieu. Si, en effet, à l'exemple des anciens, les Manichéens donnaient le nom de Hylé à la matière encore informe, mais susceptible de recevoir les formes corporelles, personne de nous ne les accuserait d'en faire un dieu. Mais quelle erreur, quelle folie, ou d'appeler la matière des corps créatrice des corps, ou de nier que Dieu ait créé les corps ? Mais comme vous attribuez à je ne sais quel autre ce que le vrai Dieu a fait, c'est-à-dire les qualités et les formes des corps, des éléments, des animaux, ce qui les fait corps, éléments, animaux ; quel que soit le nom que vous donniez à cet être, nous avons raison de vous accuser d'erreur et de dire que vous créez un second dieu. Sur le même point vous commettez deux erreurs sacrilèges : la première, en attribuant l'oeuvre de Dieu à un être que vous rougissez d'appeler dieu : mais vous ne pourrez jamais lui ôter ce titre qu'en lui refusant le pouvoir de faire ce que Dieu seul peut faire ; la seconde, en prétendant que le bien que fait le dieu bon est produit par le dieu mauvais et devient un mal; entraînés que vous êtes par une puérile horreur pour tout ce qui afflige et gêne notre faiblesse mortelle, et épris de ce qui lui plaît. Ainsi vous appelez mauvais celui qui a créé le serpent, et le soleil qui nous éclaire vous paraît un si grand bien que vous ne le regardez pas comme créé par Dieu, mais comme mis en évidence ou envoyé. Or, le vrai Dieu en qui, à mon extrême regret, vous ne croyez pas encore, a créé le serpent parmi les êtres inférieurs et le soleil parmi les êtres supérieurs ; et dans des sphères célestes plus élevées, mais déjà spirituelles et non plus corporelles, il a encore fait des êtres beaucoup meilleurs que notre lumière, et que l'homme charnel ne comprend pas, à plus forte raison : vous qui, en détestant la chair, détestez votre propre doctrine, la règle d'après laquelle vous mesurez le bien et le mal. Car il ne peut y avoir d'autre mal pour vous que celui qui blesse le sens charnel, ni d'autre bien que celui qui flatte la vue charnelle.

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CHAPITRE V. DIEU ADMIRABLE DANS SES OEUVRES GRANDES ET PETITES. TOUT ANIMAL AIME SA PROPRE CHAIR, ILLUSION DES MANICHÉENS SUR CE POINT.

Pour moi, quand je considère au degré le plus bas de l'échelle des êtres, ces oeuvres de Dieu, terrestres, faibles, mortelles, mais ses oeuvres pourtant, je me sens irrésistiblement entraîné à louer leur créateur, qui sait se montrer grand dans les grandes choses, sans cesser de l'être dans les plus petites. Car l'art divin, qui produit les choses célestes et les choses terrestres, au milieu des différences qui les séparent, reste en tout semblable à lui-même, parce qu'en créant chaque être parfait en sols genre, il est lui-même parfait partout. En effet, il ne crée pas dans chaque être un univers, mais en créant chaque être pour l'ensemble de l'univers, il se montre universel même dans les détails, il façonne et arrange chaque chose pour son lieu et pour son rang, proportionnant tout dans le détail et dans l'ensemble. Et voyez dans ces bas-fonds, pour ainsi dire, de toute la création, ces animaux qui volent, qui nagent, qui marchent ou rampent. Ils sont mortels en effet : leur vie, comme il est écrit, " est une vapeur qui paraît pour un peu de temps (1) ". Mais la petite mesure que le Créateur leur a départie dans son excellente bonté, ils la mettent en quelque sorte en commun pour compléter, chacun pour sa part, l'ensemble de l'univers, afin que leur petitesse contribue à la perfection de ce même ensemble où se trouvent, dans les sphères supérieures, d'autres êtres meilleurs qu'eux. Mais examinez et montrez-moi un seul de ces plus vils animaux qui haïsse sa chair, qui ne la nourrisse pas,

1. Jac. IV, 15.

305

qui ne l'entretienne pas, qui ne lui imprime pas le mouvement qui fait la vie, qui ne la gouverne pas, qui n'administre pas en quelque sorte son petit univers suivant les étroites proportions de son espèce, en employant tous les moyens qui sont à sa disposition pour se conserver sain et sauf. Quant à l'âme raisonnable, en châtiant son corps et le réduisant en servitude de peur que l'appétit immodéré des jouissances terrestres ne l'empêche de recevoir la sagesse, elle fait encore preuve d'amour pour sa chair, puisqu'elle la met à sa place, la soumet à son propre empire et exige d'elle une obéissance légitime. Mais, vous, bien que, dans votre erreur charnelle, vous fassiez mine de détester votre chair, au fond vous ne pouvez aimer qu'elle, que veiller à sa santé, pourvoir à ses besoins, éviter tous les coups, les chutes, les intempéries qui pourraient lui maire, désirer les garanties, les conditions de salubrité qui tendent à sa conservation ; et par là vous faites assez voir que la loi de la nature prévaut contre vos opinions et vos erreurs.

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CHAPITRE VI. L'OUVRIER SUPRÊME DÉMONTRÉ PAR SES OEUVRES.

Quoi ! ces entrailles qui vivent dans la chair, ces formes si bien proportionnées, ces membres destinés à agir, ces organes adaptés pour sentir, tous distincts et en rapport avec la place qu'ils occupent et les fonctions qu'ils exercent, tous disposés dans une harmonie parfaite, réglés dans leurs mesures, égalisés dans leurs nombres, combinés dans leurs poids : quoi ! tout cela n'indique pas le suprême ouvrier, le vrai Dieu, celui dont on a dit avec tant de vérité : " Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids (1) ? " Si votre coeur n'était pas perverti et gâté par de vaines chimères, vous comprendriez et apercevriez ses perfections invisibles par ces êtres créés dans ce monde faible et charnel (2). Car de qui tiennent-ils tout ce que je viens de rappeler, sinon de celui dont l'unité détermine toute mesure, dont la sagesse produit toute beauté, dont la volonté établit tout ordre ? Et si vous n'avez pas d'yeux pour voir cela, croyez du moins à la parole de l'Apôtre.

1. Sag. XI, 21. — 2. Rom. I, 20.

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CHAPITRE VII. LA LOI DE LA CONSERVATION EST UNIVERSELLE.

En effet, en prescrivant l'amour chaste, tel que le mari doit l'avoir pour sa femme, l'Apôtre en cherche le modèle dans l'amour que l'homme se porte à lui-même : " Celui ", dit-il, " qui aime sa femme s'aime lui-même ; car personne n'a jamais haï sa chair, mais on la nourrit et on la soigne, comme le Christ l'Eglise (1) ". Mais quoi ! vous avez sous les yeux toute substance charnelle : voyez comme la nature tient à maintenir cette loi de l'union et de la conservation chez tous les animaux, et fait que chacun aime sa chair. Et cela n'existe pas seulement chez les hommes, qui, quand ils vivent en règle, né se contentent pas de pourvoir à la santé de leur corps, mais en répriment les mouvements charnels et les assujétissent à l'empire de la raison; es animaux eux-mêmes fuient la douleur, craignent la mort : tout ce qui pourrait détruire l'harmonie de leurs membres, briser le lien qui unit leur âme à leur corps, ils l'évitent avec toute l'agilité possible, et nourrissent et soignent leur chair. " Car ", dit l'Apôtre, " personne ne hait sa chair, mais on la nourrit et on la soigne, comme le Christ l'Eglise ". Considérez les choses du point de vue où Paul s'est placé ; voyez, Si vous le pouvez, quelle force la création tire du Créateur, à commencer par ces magnificences célestes et en descendant jusqu'à la chair et au sang, où elle se complète et se termine, embellie par la variété de ses formes et réglée par les espèces différentes des êtres qui la composent.

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CHAPITRE VIII. SUBLIME HARMONIE DU CORPS HUMAIN, D'APRÉS SAINT PAUL.

D'un autre côté, l'Apôtre, en parlant des diverses fonctions de l'ordre spirituel, qui cependant rentrent toutes dans l'unité et nous enseignent un mystère évidemment sublime et divin, emploie une comparaison tirée de notre propre chair, et ne manque pas de dire, à cette occasion, que Dieu même en est l'auteur. Comme le passage est très-important, je le cite ici en entier, malgré sa longueur il est pris dans la première Epître aux Corinthiens : " Quant aux dons spirituels, je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance.

1. Eph. V, 28, 29.

306

Or, vous savez que quand vous étiez gentils, vous couriez aux idoles muettes, selon qu'on vous y conduisait. Je vous déclare donc que personne, parlant dans l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus; et personne ne peut dire Seigneur Jésus, que par l'Esprit-Saint. A la vérité, il y a des grâces diverses, mais c'est le même Esprit; il y a diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; et il y a des opérations diverses, mais c'est le même Dieu qui opère tout en nous. Or, à chacun est donnée la manifestation de l'Esprit pour l'utilité; car à l'un est donnée par l'Esprit la parole de sagesse ; à un autre, la parole de science selon le même Esprit; à un autre, la foi par le même Esprit; à un autre, la grâce de guérir par le même Esprit; à un autre, la vertu d'opérer des miracles; à un autre, la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits; à un autre, le don des langues diverses ; à un autre, l'interprétation des discours ; or, tous ces dons, c'est le seul -et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il veut. Car comme le corps est un, quoique ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps, bien que nombreux, ne sont cependant qu'un seul corps; ainsi est le Christ. Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs, soit gentils, soit esclaves, soit libres; et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit. En effet, le corps n'est pas un seul membre, mais beaucoup. Si le pied disait : Puisque je ne suis pas main, je ne suis pas du corps; ne serait-il point pour cela du corps? Et si l'oreille disait : Puisque je ne suis pas oeil, je ne suis pas du corps; ne serait-elle point pour cela du corps ? Si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait l'odorat? Mais Dieu a placé dans le corps chacun des membres où il a voulu. Que si tous n'étaient qu'un seul membre, où serait le corps? Il y a donc beaucoup de membres, mais un seul corps. L'oeil ne peut pas dire à la main : Je n'ai pas besoin de ton office; ni la tête dire aux pieds : Vous ne m'êtes pas nécessaires; mais, au contraire, les membres du corps, qui paraissent les plus faibles, sont le plus nécessaires ; et les membres du corps que nous regardons comme plus vils, nous les revêtons avec plus de soin, et ceux qui sont honteux, nous les traitons avec plus de respect ; nos parties honnêtes n'en ont pas besoin ; mais; Dieu a réglé le corps de manière à accorder plus d'honneur à celle qui n'en avait pas en elle-même, afin qu'il n'y ait point de scission dans le corps, mais que tous les membres aient les mêmes soins les uns pour les autres. Aussi dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui ; ou si un membre est glorifié, tous les autres se réjouissent avec lui (1) ". S'il vous reste, je ne dis pas un peu de foi chrétienne, pour croire: à l'Apôtre, mais une ombre de sens humain pour saisir l'évidence, que chacun voie et considère en lui-même combien cela est vrai, combien cela est certain, quelle grandeur dans la petitesse, quelle utilité dans l'objet le plus infime; puisque l'Apôtre dit tout cela par manière d'éloge; afin que, par ces humbles êtres matériels.qui se voient, notre intelligence s'élève plus facilement aux sublimes objets spirituels qui ne se voient pas.

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CHAPITRE IX. C'EST DIEU, ET NON LE DÉMON, QUI EST L'AUTEUR DU CORPS HUMAIN.

Or, quiconque nie que Dieu soit l'auteur de nos membres et de notre corps, que l'Apôtre vante et loue si fort, est en contradiction, vous voyez avec qui, et vous annonce une autre doctrine que celle que nous avons reçue (2). Est-il besoin que je le réfute ? ne doit-il pas plutôt être anathématisé par tous les chrétiens ? L'Apôtre dit : " Dieu a réglé le corps "; Fauste dit : Ce n'est pas Dieu, mais Hylé. Qu'y a-t-il de plus clair que ces contradictions hostiles qu'il faut anathématiser plutôt que réfuter ? Est-ce que l'Apôtre en disant: " Dieu ", a ajouté : " de ce siècle (3) ? " Pourtant si on entend dire que le démon aveugle les esprits des infidèles, par des suggestions coupables ; nous ne le nierons pas; et ceux qui y cèdent, perdent la lumière de la justice par une juste punition de Dieu. Nous lisons tout cela dans les saintes Ecritures : car voici un texte qui s'applique à la séduction venant du dehors : " Je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la chasteté qui sont dans le Christ (4) "

1. I Cor. XII, 1-26. — 2. Gal. I, 9. — 3. II Cor. IV, 4. — 4. Id. XI, 3.

307

puis cet autre du même genre: " Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (1) "; puis un encore où chacun est représenté comme son propre séducteur : " Car si quelqu'un s'estime être quelque chose, comme il n'est rien, il s'abuse lui-même (2) " ; et enfin cet autre sur la vengeance divine, que j'ai déjà cité plus haut : " Dieu les a livrés à un sens réprouvé, en sorte qu'ils ont fait les choses qui ne conviennent pas (3) ". De même, dans les anciens livres, après avoir d'abord dit : " Dieu n'a pas fait la mort et ne se réjouit pas de la perte des vivants (4) ", le sage ajoute peu après : " C'est par la jalousie du démon que la mort est entrée dans le monde (5) ". Et encore, à propos de la mort, de peur que les hommes ne se croient innocents, il dit : " Les impies l'ont appelée par leurs actions et par leurs paroles, et la regardant comme une amie, ils ont défailli (6)". Mais ailleurs il dit : " Les biens et les maux, la vie et la mort, les richesses et la pauvreté viennent du Seigneur Dieu (7) ". Ici les hommes troublés ne comprennent pas que dans une seule et même mauvaise action (non par l'effet d'une vengeance postérieure et manifeste, mais par une certaine vengeance qui s'y attache immédiatement) il y a une part à attribuer à la ruse de celui qui conseille, une part à la malice de celui qui veut, et une troisième à la justice de celui qui punit : en effet, le démon suggère, l'homme consent, Dieu se retire. Ainsi, dans une oeuvre mauvaise, par exemple dans l'aveuglement des infidèles, si par ces mots : " Le Dieu de ce siècle ", on entend le démon comme perfide conseiller, je ne trouve point le sens absurde. Car on ne dit pas " Dieu " simplement, puisqu'on ajoute : " de ce siècle ", c'est-à-dire des impies, des hommes qui ne veulent prospérer que dans ce siècle, qu'on appelle aussi siècle mauvais, comme il est écrit : " Afin de nous arracher à ce siècle mauvais (8) ". C'est ainsi que dans ce passage : " Dont le dieu est le ventre (9), s'il n'y avait le mot : " Dont ", on ne dirait pas : " Le dieu est le ventre ". Et dans le Psaume, on n'appellerait pas dieux les démons, si on n'y ajoutait, des nations, car le texte porte : " Parce que les dieux des nations sont des démons (10) ". Mais ici il ne s'agit ni de : " Le

1. I Cor. XV, 33. — 2. Gal. VI, 3. — 3. Rom. I, 28. — 4. Sag. I, 13. . — 5. Id. II, 24. — 6. Sag. I, 16. — 7. Eccli. XI, 14. — 8. Gal. I, 4. — 9. Phil. III, 19. — 10. Ps. XCV, 5.

dieu de ce siècle", ni de : " Dont le dieu est le ventre ", ni de : " Les dieux des nations sont des démons "; mais on dit simplement : " Dieu a réglé le corps " ; et par Dieu on ne peut entendre ici que le vrai Dieu, créateur de toutes choses. Là, en effet, c'est le langage du blâme, ici, c'est celui de l'éloge. A moins que Fauste n'entende que Dieu a réglé le corps, non en disposant ses membres, c'est-à-dire en le formant et en le construisant, mais en y mêlant sa lumière; en sorte qu'un autre aurait créé les membres, les aurait destinés à leur usage propre et mis chacun à sa place, et que Dieu, en y mêlant sa bonté, mirait corrigé le vice de la construction, car c'est par de telles fables qu'ils abrutissent les âmes faibles. Mais Dieu, qui vient en aide aux petits par la bouche de ses saints, ne leur permet pas même de tenir ce langage. Car tu lis un peu plus haut : " Mais Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l'a voulu ". Qui ne conclura de là que Dieu est l'ordonnateur du corps, qu'il a composé de beaucoup de membres, dont les diverses fonctions se maintiennent dans l'ensemble pour concourir à l'unité ?

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CHAPITRE X. RÉFUTATION IRONIQUE DE L'OPINION MANICHÉENNE SUR LES ANIMAUX.

Que les Manichéens nous disent donc si les animaux formés par Hylé, suivant leurs rêveries, n'avaient pas, avant que Dieu y mêlât sa lumière, cette harmonie des membres que l'Apôtre loue; si alors la tête disait aux pieds, ou l'oeil à la main : " Je n'ai pas besoin de ton office ". Jamais ils n'ont dit cela, jamais ils n'ont pu le dire ; car ils leur attribuent les actes, les fonctions qui leur sont propres : ces animaux rampaient, marchaient, nageaient, volaient, chacun selon son espèce; ils voyaient, ils entendaient, ils sentaient par les autres sens, ils nourrissaient, ils soignaient leurs corps par des aliments et des précautions convenables : aussi leur union était féconde, car les Manichéens conviennent qu'ils s'accouplaient. Et certainement toutes ces fonctions, que Manès blâme comme oeuvres de Hylé, ne peuvent s'exécuter sans l'accord des membres, que l'Apôtre loue et attribue à Dieu. Douterez-vous encore lequel des deux (de Paul ou de Manès) doit être écouté, lequel doit être (308) anathématisé ? Mais bien plus: il y avait alors des animaux qui parlaient ; et tous, reptiles, quadrupèdes, oiseaux, poissons, écoutaient ces discours, les comprenaient, les goûtaient ! Eloquence merveilleuse et vraiment divine ! Et ces orateurs n'avaient eu aucune leçon de grammaire ni de rhétorique, ils n'avaient pas reçu d'instruction en pleurant sous les coups de la férule et de la verge. Mais Fauste lui-même, pour nous débiter ces sornettes avec art, s'est initié tard aux ressources de l'éloquence ; et malgré la vivacité de son esprit, il s'est brisé la poitrine à force d'études, en sorte que sa parole faisait peu de conquêtes. Infortuné, qui est né au sein de notre lumière, et non au milieu de ces ténèbres ! En ce temps-là, en prêchant contre la lumière, il aurait vu tous les bipèdes, tous les quadrupèdes, voire même tous les reptiles depuis le dragon jusqu'à l'escargot, l'écouter avec plaisir, lui obéir avec joie; tandis que plus tard, en disputant contre les ténèbres, il s'est vu traiter par plusieurs d'éloquent plutôt que de savant, et par un grand nombre, de séducteur profondément pervers. Et parmi le petit nombre des Manichéens qui l'applaudissaient comme un maître distingué, pas un seul animal ne lui donnait son suffrage, son cheval même ne savait rien de sa doctrine, comme si une partie de la divinité ne s'était fixée dans tous les animaux que pour les rendre stupides ! Qu'est-ce que cela, je vous le demande? Sortez donc enfin de votre sommeil, misérables, et comparez, d'après vos fables, tous les animaux d'alors avec ceux d'aujourd'hui : alors sur leur terre, aujourd'hui dans ce monde; alors pleins de force, aujourd'hui faibles; alors munis d'une vue perçante pourvoir le séjour de dieu, et goûter le plaisir de l'envahir, aujourd'hui avec le regard si émoussé qu'il se détourne des rayons du soleil ; alors possédant une intelligence étendue, capable de comprendre le sermon d'un prédicateur, aujourd'hui frappés de stupidité et privés de toute faculté de ce genre ; alors doués naturellement d'une si grande et d'une si puissante éloquence, maintenant si rétrécis dans leurs goûts, si bornés dans leurs travaux ! Oh ! quels grands avantages le peuple des ténèbres a perdus par le mélange du bien !

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CHAPITRE XI. LE BLANC ET LE NOIR, LE CHAUD ET LE FROID. CONTRADICTIONS MANICHÉENNES.

Fauste, dans le passage même auquel je réponds maintenant, a élégamment rapproché! des contraires : la santé et la maladie, la richesse et la pauvreté, le blanc et le noir, le chaud et le froid, le doux et l'amer. Je n'ai rien à dire du blanc et du noir. Cependant, si la question des couleurs a quelque importance au point de vue du bien et du mal; si, comme les Manichéens le prétendent, le blanc appartient à Dieu et le noir à Hylé; si Hylé, suivant eux, a créé toutes les espèces d'oiseaux, et que Dieu ait mis la couleur blanche à leur plumage, je demanderai où se cachaient les corbeaux, pendant qu'on blanchissait les cygnes ? Il n'est pas besoin non plus de parler du chaud et du froid; car tous les deux sont utiles, s'ils sont sagement tempérés, et deviennent nuisibles quand ils passent la mesure. Voyons le reste. Fauste parle ici de bien et de mal. C'était la première distinction à établir entre les contraires; mais il l'a fait d'une manière générale et de façon à laisser entendre que la santé, la richesse, le blanc, le chaud, le doux appartiennent au bien; et la maladie, la pauvreté, le noir, le froid, l'amer, au mal. Ce qu'il y a d'ignorance et d'irréflexion dans ce jugement, le verra qui pourra. Quant à moi, pour ne pas avoir l'air de chercher querelle à cet homme, je ne fais aucune observation sur le blanc et le noir, le chaud et 1e froid, le doux et l'amer, la santé; et la maladie. Cependant, si le blanc et le doue ! sont deux biens, et le noir et l'amer deux maux, comment se fait-il que souvent le raisin, et toujours l'olive, deviennent doux en noircissant, deviennent meilleurs à mesure qu'ils reçoivent plus die mal? De même si la chaleur et la santé sont deux biens, et le froid et la maladie deux maux, pourquoi en s'échauffant les corps deviennent-ils malades? Est-ce que par hasard un corps sain a la fièvre? Mais je passe sur ces objections. Fauste n'y a pas pensé, ou peut-être, en mentionnant ces choses, a-t-il plutôt songé à former des contrastes qu'à indiquer des biens et des maux; vu, surtout, que les Manichéens n'ont jamais dit que le feu du peuple des ténèbres fût froid, bien que sa chaleur, selon eux, soit certainement un mal.

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CHAPITRE XII. AUTRES CONTRADICTIONS DU MANICHÉISME. FABLES ABSURDES.

Mais pour ne pas insister sur ces points, venons-en à ceux de ces contraires que Fauste appelle des biens hors de toute contestation à savoir la santé, la richesse, la douceur. Il était donc dépourvu de la santé du corps, le peuple au milieu duquel ces animaux ont pu naître, croître, engendrer et vivre, tellement que quelques-uns d'entre eux (suivant ces rêveries insensées), ayant été pris et liés dans le ciel, leur portée, mise bas avant terme, tomba de ces prodigieuses hauteurs sur la terre, et put y vivre, y croître et produire ces êtres vivants, aujourd'hui innombrables ? II n'y avait donc pas de richesse dans ces lieux où les arbres pouvaient naître, non-seulement dans les eaux et dans les vents, mais même dans le feu et dans la fumée, et posséder une telle fécondité que de leurs fruits naissaient des animaux de toute espèce, vivant et se nourrissant de cette fécondité même, et donnant, par leur nombreuse progéniture, une preuve certaine de leur situation prospère? Chose d'autant plus remarquable qu'il n'y avait là aucun travail agricole, aucune intempérie d'été ni d'hiver, puisque le soleil n'y parcourait point son cercle, pour déterminer le cours des saisons de l'année. Par conséquent, la fertilité des arbres n'éprouvait aucune interruption ; l'élément et l'aliment propres à chaque espèce et qui les avaient fait croître, ne cessaient jamais de les rendre féconds et ne les laissaient pas manquer de fruits; comme nous voyons les citronniers porter toute l'année des fleurs et des fruits, si on a soin de les arroser toujours. Il y avait donc là une grande richesse, et que l'on pouvait posséder en toute sécurité : car on n'avait pas même à craindre la grêle là où il n'y avait point de ces collecteurs de lumière, que le tonnerre met en mouvement, d'après vos fables.

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CHAPITRE XIII. SUR LES ALIMENTS, LE POISON, L'ANTIDOTE; BÉVUES DE FAUSTE A CE SUJET.

Si les aliments n'avaient pas de douceur ni de goût agréable, ils n'exciteraient pas l'appétit, on ne les prendrait pas pour entretenir la vie du corps. Eu égard au tempérament de chacun, il faut en effet que la nourriture plaise où déplaise. Si elle plaît, on l'appelle douce ou agréable au goût; si elle déplaît, on la dit amère, âpre, repoussante par quelque qualité désagréable. Ne sommes-nous pas, nous hommes, ainsi constitués, que l'un aime un aliment que l'autre écarte avec horreur, soit penchant naturel, soit effet de l'habitude ou raison de santé ? A combien plus forte raison les animaux, dont la constitution physique est si différente de la nôtre, peuvent-ils trouver agréable ce que nous trouvons amer? Autrement, les chèvres grimperaient-elles pour ronger l'olivier sauvage? Car de même que, par l'effet de certaine maladie, l'homme trouve le miel amer, ainsi cette espèce d'animal trouve doux l'olivier sauvage. Voilà comment un sage observateur apprécie la valeur de l'ordre, quand chaque être rencontre ce qui lui convient; par là, il voit que tout est bon, depuis le bas jusqu'au dessus, depuis les êtres corporels jusqu'aux êtres spirituels. Ainsi donc, dans le peuple des ténèbres, quand un animal de tel ou tel élément mangeait la nourriture qui naissait dans cet élément, sans aucun doute ce rapport de convenance la lui rendait douce; mais s'il eût rencontré une nourriture empruntée à un autre élément, ce défaut de convenance eût blessé son goût. Or, si ce défaut de convenance, qu'on l'appelle amertume, âpreté, insipidité oit autrement, est porté à un tel point qu'il détruise violemment la structure ou l'harmonie du corps, et qu'il lui ôte la vie ou les forces, il prend le nom de poison, uniquement à cause du défaut de convenance, puisque la convenance se retrouve pour une autre espèce : comme par exemple, le pain, qui fait notre nourriture quotidienne, tue l'épervier qui en mange, et nous sommes tués par l'hellébore que la plupart des animaux mangent impunément. Néanmoins cette plante, employée dans une certaine mesure, est pour nous un médicament. Si Fauste savait cela ou y faisait attention, il ne donnerait pas le poison et l'antidote pour exemple dans la question des deux natures du bien et du mal, comme si Dieu était l'antidote et Hylé le poison : puisque la même chose, la même nature, prise ou employée à propos ou mal à propos, est utile ou nuisible. Par conséquent, d'après les fables des Manichéens, on pourrait dire que leur Dieu a été un poison pour le (310) peuple des ténèbres, puisqu'il y a tellement gâté les corps que, de très-fermes, il les a rendus très-faibles. Mais comme la lumière elle-même a été prise, opprimée, corrompue, ils sont devenus un poison l'un pour l'autre.

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CHAPITRE XIV. RAISONNEMENTS SUR LA DOCTRINE DES DEUX PRINCIPES.

Pourquoi donc n'appelez-vous pas ces deux choses ou deux biens ou deux maux, ou plutôt deux biens et deux maux : deux biens en eux-mêmes, deux maux l'un pour l'autre ? Plus tard nous examinerons, s'il le faut, lequel est le meilleur ou le pire. En attendant, admettons que c'étaient deux biens en eux-mêmes et voyons : Dieu régnait sur sa terre et Hylé sur la sienne. Les deux rois jouissaient de la santé ici et là; ici et là, abondance de fruits; des deux côtés, nombreuse progéniture ; chez les uns comme chez les autres, douces voluptés en rapport avec leurs natures. Mais, nous dit-on, outre que le peuple des ténèbres était ennemi de la lumière voisine, il était encore mauvais par lui-même. Cependant, j'ai déjà énuméré beaucoup de biens qu'il possédait; si vous pouvez me faire connaître ses maux, il s'ensuivra qu'il y avait deux royaumes bons, sauf que l'un était meilleur que l'autre. Mais pouvez-vous me dire quels étaient ces maux? Ils se ravageaient entre eux, dites-vous, ils se blessaient, ils se tuaient, ils se détruisaient. Si c'était là leur unique occupation, comment s'engendraient, se nourrissaient, s'élevaient de si grandes multitudes? Il y avait donc aussi, là, du repos et de la paix. Cependant, accordons que le royaume exempt de discorde était le meilleur : il est néanmoins bien plus juste d'appeler bons ces deux royaumes, que de dire l'un bon et l'autre mauvais : celui-là meilleur, où personne ne nuisait à soi-même ni aux autres; celui-ci moins bon, où, malgré une guerre intestine, chaque animal pourvoyait à sa vie, à sa santé, aux besoins de sa nature. Au fond on peut, sans trop grande disproportion, comparer à votre dieu ce prince des ténèbres, à qui personne ne résistait, au sceptre duquel tout se soumettait, dont les prédications ont attiré tout le monde toutes choses qui ne peuvent se faire sans une grande paix et une vraie concorde. Car les empires heureux sont ceux où tous sont d'accord pour obéir au souverain. Ajoutons que ce prince régnait non-seulement sur ceux de son espèce, c'est-à-dire sur les bipèdes, que vous déclarez pères des hommes, mais encore sur toute autre espèce d'animaux, lesquels obéissaient à ses moindres signes, exécutaient ses ordres, ajoutaient foi à sa parole. En débitant tout cela, vous croyez les hommes assez stupides pour attendre que vous donniez le nom de Dieu à cet autre dieu si clairement et si ouvertement dépeint. En effet, si ce prince pouvait réellement tout cela, son pouvoir était grand; s'il était ainsi honoré, sa, gloire était magnifique ; si on l'aimait, la concorde était parfaite; si on le craignait, l'ordre s était admirable. Que s'il y avait quelques maux au milieu de tous ces biens, on ne peut néanmoins appeler cela la nature du mal, à moins de ne savoir ce que l'on dit. En effet, si vous pensez que cette nature était celle du mal, parce que non-seulement elle était ennemie de l'autre nature, mais parce qu'elle contenait le mal en elle-même, ne regardez-vous donc pas comme un mal la dure nécessité où était votre dieu avant le mélange de la nature contraire, de combattre contre elle, et d'introduire dans sa gorge ses propres membres pour y être oppressés, de manière à ne pouvoir être entièrement purifié lui-même? Il y avait donc du mal dans sa nature de dieu, avant qu'il s'y mêlât quelque chose de ce que vous appelez le seul mal. En effet, ou il ne pouvait être attiré ni corrompu par le peuple des ténèbres, et alors c'était folie de sa part de subir de telles nécessités ; ou sa substance pouvait se gâter, et alors vous n'adorez pas le Dieu incorruptible que l'Apôtre prêche (1). Quoi ! cette nature qui n'était pas encore corrompue, pouvait être corrompue, et cette corruptibilité ne vous paraît pas un mal dans votre dieu !

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CHAPITRE XV. DÉFAUT DE PRESCIENCE ET DE SÉCURITÉ DANS LE DIEU DES MANICHÉENS.

D'ailleurs, qui ne voit que là, ou il n'y avait pas de prescience (et c'est à vous a voir si ce n'est pas un défaut en Dieu de n'avoir pas de prescience, et d'ignorer absolument ce qui le menace) ; ou, s'il y en avait, on manquait de

1. I Tim. I, 17.

311

sécurité, on vivait dans une crainte éternelle mal énorme, vous en conviendrez sans doute. Votre dieu ne craignait-il pas de voir venir le temps où ses membres seraient tellement ravagés et souillés dans ce combat, que malgré tant d'efforts, il ne viendrait pas à bout de les délivrer et de les purifier entièrement ? Que si cela ne le regardait pas (voilà un mot bien dur, vous le sentez vous-mêmes), au moins ses membres redoutaient-ils les maux si grands qu'ils devaient souffrir dans ce monde. Ignoraient-ils donc aussi l'avenir ? Il n'y avait donc de prescience dans aucune partie de la substance de votre dieu. Comptez alors les maux qui sont dans votre souverain bien. Ou bien, ne craignaient-ils pas, parce qu'ils prévoyaient aussi que leur délivrance et le triomphe devaient s'ensuivre ? Mais du moins ils craignaient pour leurs compagnons, qu'ils savaient condamnés à être exclus de leur royaume et éternellement enchaînés sur ce globe.

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CHAPITRE XVI. LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS SONT OU DEUX BIENS OU DEUX MAUX. DÉMONSTRATION PAR L'ABSURDE.

La charité y manquait-elle au point qu'on n'éprouvait aucun sentiment de pitié fraternelle pour ceux qui étaient menacés de supplices éternels sans les avoir mérités par aucune faute antérieure ? Quoi ! ces âmes, qui devaient être enchaînées sur ce globe, n'étaient-elles pas aussi des membres de votre dieu ? Tout au moins celles-là, dans la prévision de leur éternelle captivité, étaient en proie à la crainte, à la douleur. Ou si elles ignoraient ce point de l'avenir, il y avait donc en votre dieu une partie qui prévoyait et une partie qui ne prévoyait pas : comment cela ne formait-il qu'une seule et même substance ? Mais puisqu'il y avait, là, tant de maux, avant le mélange d'un mal étranger, pourquoi vanter dans votre dieu le bien pur, simple, souverain ? Vous êtes donc forcés de reconnaître que ces deux natures étaient en elles-mêmes ou deux biens, ou deux maux. Si vous convenez que c'étaient deux maux, nous vous permettrons de désigner celle que vous voudrez pour le plus grand mal; si au contraire vous voulez que ce fussent deux biens, dites lequel vous paraît préférable; ce sera le sujet d'une étude plus approfondie; mais qu'au moins vous renonciez à l'erreur qui vous fait dire que ces deux principes étaient deux natures, l'une bonne, l'autre mauvaise; par conséquent deux dieux, l'un bon, l'autre mauvais. Que si une chose est mauvaise parce qu'elle nuit à une autre, ces deux natures se sont nui réciproquement; l'une d'elles sera plus méchante, pour avoir la première désiré le bien d'autrui. L'une a donc fait le mal la première, et (autre a rendu le mal pour le mal non pas selon la loi du talion, oeil pour oeil (1), que vous condamnez étourdiment, mais d'une façon beaucoup plus grave. Choisissez par conséquent celle des deux qui vous paraîtra la pire : ou celle qui a voulu nuire la première, ou celle qui a voulu et pu nuire davantage. L'une, en effet, a désiré, dans la mesure de ses petites facultés, jouir de la lumière; l'autre a détruit sa rivale de fond en comble. Si celle-là eût atteint l'objet de ses désirs, elle n'en eût certes point souffert; celle-ci pour repousser à jamais l'assaut ennemi, a causé à une partie de sa propre substance un dommage considérable. C'est l'application de ce mot si connu, mentionné par l'histoire et dicté par la fureur : " Que nos amis périssent, pourvu que nos ennemis tombent en même temps (2) ". En effet, une partie de votre dieu a été condamnée à une souillure ineffaçable, afin qu'il y eût de quoi couvrir le globe où l'ennemi doit être à jamais enseveli tout vivant: car, quoique vaincu, quoique enfermé, il inspirera encore une telle crainte, une telle épouvante, qu'il faudra l'éternelle misère d'une partie du dieu pour procurer une sécurité quelconque au reste du dieu. O bonté merveilleusement innocente 1 Voilà que votre dieu, ce dieu à l'occasion duquel vous accusez si durement le peuple des ténèbres, se fait du mal à lui-même et en fait aux autres 1 C'est le reproche qui s'élève contre lui de ce globe reculé où son ennemi est enfermé, et une partie des siens clouée. Bien plus, la partie que vous appelez dieu, l'emporte en malice, puisqu'elle nuit et aux étrangers et aux siens. En effet, Hylé n'a point cherché à détruire le royaume d'autrui, mais seulement à s'en emparer; et si elle tuait quelques-uns des siens par le moyen d'autres qui lui appartenaient également, au moins elle les métamorphosait, afin qu'en mourant et en renaissant

1. Ex. XXI, 24. — 2. Cicer. pro Dejotaro.

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ils jouissent par intervalles du bonheur de vivre; tandis que Dieu, que vous dépeignez tout-puissant et tout bon, détruit les étrangers et condamne les siens pour l'éternité : et, croyance plus folle et plus étonnante encore ! Hylé blesse ses animaux dans le combat qu'elle livre, et Dieu punit ses membres dans sa propre victoire. Qu'est-ce que cela, ô hommes insensés ! Vous vous rappelez sans doute que Fauste a présenté Dieu comme un antidote, et Hylé comme un poison : et voilà que votre antidote fait plus de mal que le poison. Est-ce que Hylé enfermerait Dieu à jamais dans un globe si horrible, ou y fixerait ses propres entrailles ? Et, ce qui est plus criminel encore, calomnie-t-elle ces mêmes restes, de peur de paraître en défaut pour n'avoir pas pu les purifier? Car Manès dit dans la lettre du Fondement, que ces âmes ont mérité ce supplice parce qu'elles se sont laissées égarer loin de leur première nature lumineuse et qu'elles sont devenues ennemies de la sainte lumière, tandis que c'est Dieu lui-même qui les a poussées à s'égarer ainsi, afin que la lumière devînt ennemie de la lumière; injuste, s'il les y force malgré elles; ingrat, si elles y consentent et qu'il les condamne ensuite. Pour elles, si elles ont pu prévoir qu'elles démentiraient ainsi leur origine, tourmentées par la crainte avant la guerre, irrémédiablement souillées dans la guerre, éternellement condamnées après la guerre, elles n'ont jamais été heureuses. Si elles n'ont pas pu le prévoir, imprévoyantes avant la guerre, impuissantes dans la guerre, misérables après la guerre, elles n'ont jamais été divines. Or, évidemment Dieu était ce qu'elles étaient, d'après l'unité de substance. Pouvons-nous croire que vous compreniez la monstruosité de ces blasphèmes? Et cependant voulant justifier quelque peu la bonté de Dieu, vous prétendez qu'il communique un peu de bien à Hylé, de peur que, dans sa prison, elle ne tourne sa fureur contre elle-même. Hylé aura donc un peu de bien, alors qu'elle est sans mélange de bien? Serait-ce que comme Dieu, avant la guerre et sans mélange de mal, subissait le mal de la nécessité ; ainsi Hylé, après (la guerre et sans mélange de bien, jouira du bien du repos? Dites donc qu'il y a deux maux, dont l'un est pire que l'autre ; ou qu'il y a deux biens non souverains, dont l'un vaut mieux que l'autre, de telle sorte cependant que le meilleur soit le plus misérable. Car si cette grande guerre doit aboutir à ceci : que Hylé étant vaincue et les membres de Dieu étant attachés au globe, un peu de bien soit accordé aux ennemis, et beaucoup de mal infligé aux amis, voyez de quel côté est la victoire. Evidemment Hy1é est un poison, elle qui a pu former, fortifier, nourrir, entretenir ses animaux; et l'antidote c'est Dieu, qui a pu condamner et non guérir ses membres. Insensés, cette Hylé n'existe pas, ni ce dieu non plus. Ainsi rêvent ceux qui, ne supportant pas la saine doctrine, se tournent vers les fables (1).

1. II Tim. IV, 3.

 

 

 

 

 

 

LIVRE VINGT-DEUXIÈME. LE DIEU DE L’ÉCRITURE.

Le Dieu de l'Ecriture, d'après Fauste. — Crimes attribués aux Patriarches et aux Prophètes. — Augustin rétablit l'idée de Dieu, contre les reproches Manichéens. — Notions sur le péché. — Justification d'Abraham, de Sara, de Loth, d'Isaac, de Jacob, de Lia, de Rachel. — Sens mystique à saisir dans ces deux femmes et dans leurs servantes, Bala et Zelpha. — La Mandragore. — L'inceste de Juda et de Thamar. — Bénédiction de Juda. — Bons et méchants. — David. — Eloge de Moïse, de Paul, de Pierre. — Dépouillement des Egyptiens. — Sacrifice d'Abraham. — La guerre. — Moise justifié du reproche de cruauté. — Osée. — Salomon. — Sens prophétique de certaines actions même coupables, du dépouillement des Egyptiens, du veau d'or. — L'Ecriture irréprochable en tout. — apostrophe aux Manichéens.

 

 

CHAPITRE PREMIER. SELON FAUSTE, OU LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ CRIMINELS OÙ LES ÉCRIVAINS SACRÉS SONT DES FAUSSAIRES.

Fauste. Pourquoi blasphémez-vous la loi et les Prophètes? - Nous n'avons aucune intention hostile, nous ne sommes nullement les ennemis de la loi ni des Prophètes, ni de personne au monde; à tel point que si vous y consentez, nous déclarerons faux tout ce qui a été écrit sur eux et nous les a rendus odieux. Mais vous n'y consentez pas, et en acceptant les dires de vos écrivains, vous accusez peut-être des Prophètes innocents, vous diffamez les Patriarches, vous déshonorez la loi, et, ce qu'il y a de plus insensé encore, vous prétendez d'une part que vos écrivains ne sont cependant pas menteurs, et, de l'autre, vous tenez pour hommes religieux et saints ceux dont ils ont raconté les crimes et la coupable conduite. Or, ces deux choses ne peuvent se concilier à la fois, il faut ou que ceux-ci aient été méchants, ou que ceux-là aient été des menteurs et des faussaires.

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CHAPITRE II. FAUSTE DISTINGUE, DANS LA LOI, LES PRÉCEPTES MORAUX ET LES RITES QU'ON Y A ATTACHÉS.

Condamnons ensemble, si cela vous plait, les écrivains et entreprenons de défendre la loi et les Prophètes. Je parle pour le moment de la loi, et non de la circoncision, ni du sabbat, ni des sacrifices, ni des autres rites judaïques, mais de ce qui forme proprement la loi, c'est-à-dire des commandements : " Tu ne tueras pas; tu ne commettras point d'adultère ; tu ne te parjureras pas (1) " et le reste. Comme cette loi était répandue chez les

1. Ex. XX, 13, 14, 16.

nations, c'est-à-dire existait depuis le commencement du monde, des écrivains hébreux se sont en quelque sorte rués sur elle, et y ont attaché une sorte de lèpre et de teigne, en y mêlant leurs abominables et infâmes prescriptions touchant la circoncision et les sacrifices. Si donc tu es vraiment ami de la loi, condamne avec moi ceux qui ont osé la souiller par un mélange de préceptes en désaccord avec elle : préceptes que vous savez parfaitement n'être ni la loi, ni une partie de la loi, autrement vous les observeriez fidèlement même après avoir embrassé la justice, ou vous avoueriez hautement que vous n'êtes point justes. Mais, tout au contraire, quand vous voulez mener une bonne conduite, vous mettez le plus grand soin à éviter les crimes défendus par les commandements, et vous ne vous inquiétez en rien de ce qui regarde les Juifs : comment vous en excuser, s'il n'est pas constant que ce n'est plus la même loi ? En résumé, si tu te fâchais quand on t'accuse d'être incirconcis, de ne pas observer le sabbat, comme tu t'irrites et te crois gravement insulté quand on t'accuse de ne pas tenir compte du commandement: " Tu ne tueras pas ", ou : " Tu ne commettras pas d'adultère " ; on verrait alors clairement qu'il y a, ici et là, précepte et loi de Dieu. Mais maintenant, tu te vantes et te glorifies de l'observation des uns, et tu ne redoutes nullement l'infraction des autres, puisque tu les condamnes. Il est donc évident, que, comme je l'ai dit, ces rites ne sont pas la loi, mais la tache et la teigne de la loi, et si nous les condamnons, c'est comme faux et non comme légitimes. Et cela n'outrage ni la loi, ni l'auteur de la loi; mais l'origine remonte à ceux qui ont inscrit le nom de l'un et de l'autre en tête de leurs prescriptions criminelles. Et si parfois notre blâme atteint le nom révéré de la loi, quand nous (314) combattons les préceptes judaïques, la faute en est à vous qui n'admettez aucune distinction entre les institutions hébraïques et la loi. Rendez donc à la loi sa dignité propre, détachez-en les turpitudes judaïques comme on coupe des verrues, rejetez sur les écrivains le crime de l'avoir déformée, et vous verrez aussitôt que nous sommes les ennemis du judaïsme et non de la loi. C'est ce mot de loi qui vous trompe, parce que vous ne savez pas précisément à quoi vous devez l'attribuer.

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CHAPITRE III. LES ÉCRIVAINS DE L'ANCIEN TESTAMENT ONT SOUILLÉ LA MÉMOIRE DES PATRIARCHES ET DES PROPHÈTES.

Je ne vois pas non plus pourquoi vous vous figurez que nous blasphémons vos Prophètes et vos Patriarches. Si nous avions écrit ou dicté tout ce que nous lisons d'eux en fait de crimes, votre accusation serait raisonnable; mais quand ce sont eux-mêmes qui ont outragé dans leurs écrits l'honnêteté des moeurs, qui ont cherché à se glorifier du vice, ou quand ces écrits proviennent de leurs pairs et compagnons, de quoi nous accuse-t-on ? Nous détestons et condamnons des actes injustes dont les auteurs se reconnaissent coupables, de leur plein gré, sans qu'on les interroge; ou si ce sont là des inventions d'écrivains méchants et jaloux, qu'on condamne ces écrivains, qu'on proscrive leurs livres, qu'on lave la mémoire des Prophètes d'une odieuse calomnie, qu'on rétablisse la grave et imposante autorité des Patriarches.

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CHAPITRE IV. DIEU, TEL QUE CES ÉCRIVAINS L'ONT DÉPEINT, SELON FAUSTE.

Assurément, il a bien pu se faire que des hommes capables de forger tant de fictions impudentes sur Dieu, de nous le montrer, tantôt vivant dans des ténèbres éternelles, puis frappé d'admiration à l'aspect de la lumière; tantôt ignorant l'avenir au point de donner à Adam un commandement que celui-ci ne devait pas garder; tantôt ayant la vue courte jusqu'à ne pas voir ce même Adam qui; honteux de sa nudité, s'était caché dans un coin du paradis; tantôt envieux, et craignant que l'homme ne vive éternellement, s'il vient à manger du fruit de l'arbre de vie; tantôt avide du sang et de la graisse de toutes sortes de victimes, et jaloux si on en offre à d'autres qu'à lui ; tantôt irrité alternativement contre les étrangers, ou contre les siens ; tantôt tuant des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles; tantôt menaçant de venir armé du glaive et de n'épargner personne, ni juste ni pécheur ; il a bien pu se faire, dis-je, que des écrivains capables de débiter tant d'insolences contre Dieu, aient aussi forgé des mensonges sur le compte des hommes de Dieu.

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CHAPITRE V. CRIMES ATTRIBUÉS A ABRAHAM, A ISAAC, A JACOB, A JUDA, A DAVID, A SALOMON, A OSÉE, A MOÏSE, PAR LES ÉCRIVAINS SACRÉS.

Du reste, ce n'est pas nous qui avons écrit d'Abraham que, brûlant d'un désir insensé d'avoir des enfants, et ne se fiant point à Dieu qui lui en avait promis de Sara, son épouse, il se vautra dans la fange avec une concubine, au su (ce qu'il y a de plus affreux) de sa propre femme (1). Ce n'est pas nous qui avons écrit que, par la plus infâme des spéculations, par avarice et par gourmandise, il livra à deux rois, Abimélech et Pharaon, en des temps différents, en qualité de concubine, cette même Sara sa femme, qui était très-belle, après l'avoir fait passer pour sa soeur (2); ni que Loth, son frère, délivré de Sodome, eut un commerce charnel avec ses deux filles sur la montagne (3); et mieux eût valu pour lui mourir du feu du ciel dans Sodome que de brûler de la flamme impure sur la montagne. Ce n'est pas nous qui avons écrit qu'Isaac fit la même chose que son père à l'égard de Rébecca, son épouse, en, disant qu'elle était sa soeur, pour conserver par là ignominieusement sa vie (4); ni que Jacob, son fils, entre Rachel et Lia, deux soeurs, puis entre leurs deux servantes, mari de quatre femmes, passait de Tune à l'autre comme un bouc; en sorte que c'était, entre ces quatre femmes perdues, un débat quotidien à qui partagerait son lit quand il rentrerait de la campagne, et que quelquefois elles se le cédaient pour une nuit, à prix convenu (5) ; ni que Juda, son fils, eut un commerce impur avec Thamar sa bru, et veuve de ses deux premiers enfants, trompé,

1. Gen. XVI, 2-4. — 2. Id. XX, 2 ; XII, 13. — 3. Id. XIX, 33, 35. — 4. Id. XXVI, 7. — 5. Id. XXIX, XXX.

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raconte-t-on, par l'habit de prostituée dont elle s'était revêtue (1), parce qu'elle savait parfaitement que son beau-père était en rapport habituel avec des femmes de cette espèce; ni que David, ayant déjà tant de femmes, commit l'adultère avec celle d'Urie, un de ses soldats, qu'il fit périr dans le combat (2) ; ni que Salomon, son fils, eut trois cents femmes, sept cents concubines et des filles de rois sans nombre (3); ni que Osée, le premier des Prophètes, eut des enfants d'une prostituée, et que (chose plus abominable ! ) c'est Dieu qu'on accuse de lui avoir conseillé cette infamie (4); ni que Moïse commît un homicide (5), qu'il dépouilla l'Egypte, qu'il fit des guerres, qu'il commanda et exerça beaucoup de cruautés (6), et ne se contenta pas, lui non plus, d'une seule femme. Ces faits, dis-je, et d'autres semblables, mentionnés dans les divers livres des Juifs, ce n'est pas nous qui les avons écrits, ce n'est pas nous qui les avons dictés ; mais ce sont ou des calomnies de vos écrivains, ou de véritables crimes commis par vos pères, choisissez. Pour nous, nous sommes forcés de détester également ou les uns ou les autres ; car nous ne haïssons pas moins les méchants et les libertins que les faussaires.

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CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS NE COMPRENNENT PAS QU'UNE PARTIE DE LA LOI DEVAIT SUBSISTER ET L'AUTRE DISPARAÎTRE.

Augustin. Vous ne comprenez ni les sacrements de la loi, ni les actions des Prophètes, parce que vous n'avez aucune notion de la sainteté ni de la justice. Mais nous avons déjà parlé plus d'une fois et bien au long des préceptes et des sacrements de l'Ancien Testament, nous attachant à faire comprendre qu'il y avait en eux deux parties : l'une qui devait s'accomplir en réalité par la grâce du Nouveau Testament, l'autre qui devait se montrer accomplie et disparaître devant la manifestation de la vérité. Ainsi, par exemple, le précepte de l'amour de Dieu et du prochain était pris de la loi pour être perfectionné, tandis que la circoncision et les autres sacrements de ce genre démontraient, par leur suppression, que les promesses de la loi étaient remplies. En effet, le précepte faisait

1. Gen. XXXVIII. — 2. II Rois, XI, 4, 15. — 3. III Rois, XI, 1-3. — 4. Os. I, 2, 3. — 5. Ex. II, 12. — 6. Id. XVII, 9, etc.

des coupables afin de leur inspirer le désir du salut, et la promesse donnait de la solennité aux figures pour tenir dans l'attente du Sauveur ; ainsi, par l'avènement du Nouveau Testament, la grâce devait délivrer les coupables, et la manifestation de la vérité faire disparaître les figures. La loi qui a été donnée par Moïse est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (1) : la grâce, afin que, les péchés étant remis, les commandements fussent observés par le don de Dieu ; la vérité, pour que, les observances symboliques ayant cessé, ce qui avait été promis sur la parole de Dieu même, apparût enfin.

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CHAPITRE VII. LEUR ININTELLIGENCE COMPARÉE A CELLE DU SOURD ET DE L'AVEUGLE.

Par conséquent ceux qui, blâmant ce qu'ils ne comprennent pas, appellent lèpre, teigne, verrues, les promesses données en figures par la loi, ressemblent à des hommes qui dédaignent ce dont ils ne connaissent pas l'utilité : à un sourd, par exemple, qui voyant les mouvements de lèvres de ceux qui parlent, les critiquerait comme inutiles ou comme difformes; ou à un aveugle qui, entendant vanter une maison, voudrait, en la palpant, s'assurer de ce qu'on dit, en trouverait les murs unis, puis, rencontrant les fenêtres, les blâmerait comme une solution de continuité et les considérerait comme des brèches ruineuses.

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CHAPITRE VIII. LUMIÈRE INCRÉÉE, LUMIÈRE CRÉÉE.

Mais comment prouver que les actions des Prophètes ont été elles-mêmes prophétiques et mystérieuses, et le faire comprendre à des hommes assez insensés pour s'imaginer que nous croyons que notre Dieu a été un jour dans les ténèbres, parce qu'il est écrit : " Les ténèbres couvraient la face de l'abîme (2) ", comme si pour nous Dieu eût été cet abîme où les ténèbres régnaient, parce que la lumière n'y était pas avant que Dieu l'eût créée d'un mot? Mais comme ils ne distinguent pas la lumière qui est Dieu lui-même de la lumière que Dieu a faite, ils s'imaginent qu'il était lui-même dans les ténèbres avant de créer la lumière, parce que les ténèbres trouvaient

1. Jean, I, 17. — 2. Gen. I, 2.

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l’abîme avant qu'il eût dit: " Que la lumière soit, et la lumière fut (1) ". Pourtant, comme dans le Nouveau Testament, on dit l'un et l'autre de Dieu : puisque d'un côté nous y lisons : " Dieu est lumière et en lui il n'y a point de ténèbres (2) ", et de l'autre: " Ce Dieu qui commanda que des ténèbres jaillît la lumière, a lui dans nos coeurs (3) "; de même, dans l'Ancien Testament, on dit, d'une part, de la sagesse de Dieu qui certainement n'a point été faite, puisque tout a été fait par elle (4) : " Elle est la splendeur de la lumière éternelle (5) " ; et, d'autre part, en parlant d'une certaine lumière qui ne peut provenir que d'elle : " Vous ferez luire le flambeau qui m'éclaire; mon Dieu, vous illuminerez mes ténèbres (6) "; absolument comme quand Dieu disait au commencement, alors que les ténèbres régnaient sur l'abîme: " Que la lumière soit, et la lumière fut " ; lumière que pouvait seule créer la lumière source de lumière, qui est Dieu.

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CHAPITRE IX. DIEU EST LUMIÈRE ET SOURCE DE TOUTE LUMIÈRE.

Car de même que Dieu suffit à se rendre éternellement heureux et peut faire des heureux de l'abondance de son bonheur, ainsi il est à lui-même son éternelle lumière et, de l'abondance de sa lumière, il peut éclairer : ne désirant point le bien d'un autre, puisque toute bonne volonté jouit de lui ; ne craignant point le mal d'un autre, puisque toute mauvaise volonté est abandonnée par lui; en sorte que celui qui est heureux par l'effet de sa bonté, ne lui procure aucun surcroît, et que celui qui est malheureux par suite de son jugement, ne lui cause aucune terreur. Ce Dieu, Manichéens, vous ne l'adorez pas; vous êtes bien loin de lui, occupés à poursuivre vos fantômes, produits nombreux et variés de votre coeur présomptueux et vagabond, qui ne reçoit que la lumière des astres matériels par les yeux du corps. Cette lumière, quoique créée par Dieu, ne peut en aucune façon être comparée à cette autre lumière dont Dieu éclaire les âmes pieuses, pour qui il fait jaillir la lumière du sein des ténèbres comme la justice du milieu de l'impiété : mais à combien plus forte raison est-elle au-dessous de la lumière inaccessible, qui a créé tout cela?

1. Gen. I, 3. — 2. I Jean, I, 5. — 3. II Cor. IV, 6. — 4. Jean, I, 5. — 5. Sag. VII, 26. — 6. Ps. XVII, 29.

Et pourtant elle n'est point inaccessible pour tous : Car " Heureux les miséricordieux, parce qu'ils verront Dieu (1) ". Or, " Dieu est lumière, et en lui il n'y a point de ténèbres"; mais, selon Isaïe, les impies ne verront pas la lumière (2). C'est donc pour eux qu'est inaccessible cette lumière source de lumière, qui a créé, non-seulement la lumière spirituelle dans les âmes des saints, mais aussi la lumière corporelle, dont il n'interdit pas la jouissance aux méchants, puisqu'il la fait lever sur les bons et sur les méchants (3).

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CHAPITRE X. QUELLE EST LA LUMIÈRE QUE DIEU A CRÉÉE? QUESTION CONTROVERSÉE.

Comme donc les ténèbres couvraient la face de l'abîme, celui qui était la lumière dit: " Que la lumière soit ! " Quelle est la lumière qui a créé la lumière, on n’en peut douter; car il est positivement écrit : " Dieu dit "; mais quelle est la lumière qu'il a créée, cela n'est pas aussi clair. Est-ce celle qui est dans les esprits des Anges, c'est-à-dire Dieu a-t-il alors créé ces esprits raisonnables? Ou bien est-ce une certaine lumière matérielle, placée, bien loin de nos regards, dans les parties les plus élevées de ce monde? C'est une question paisiblement controversée entre ceux qui s'appliquent à l'étude des divines Ecritures, Car c'est le quatrième jour que Dieu a créé ces brillants flambeaux du ciel. De plus, ont-ils été créés avec leur lumière? Où ont-ils été allumés à la lumière déjà créée? C'est encore une question. Assurément une lumière quelconque a été faite quand, les ténèbres couvrant la face de l'abîme, Dieu dit : Que la " lumière soit ! " Mais quiconque lit les saintes lettres avec la piété qui rend digne de les comprendre, ne peut douter que la lumière créée soit l'oeuvre de la lumière créatrice.

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CHAPITRE XI. DIEU N'A JAMAIS ÉTÉ DANS LES TÉNÈBRES.

Il ne faut pas s'imaginer que Dieu, avant de créer la lumière, habitait dans les ténèbres, parce que " l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux (4) ", après qu'on avait d'abord dit: " Les ténèbres couvraient la face de l'abîme". Par abîme, on entend une immense

1. Matt. V, 8. — 2. Is. LIX, 9, 10. — 3. Matt. V, 45. — 4. Gen. I, 2.

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profondeur d'eau. C'est ce qui peut donner occasion à la sagesse charnelle de supposer que l'Esprit de Dieu, dont on dit : " Il reposait sur les eaux ", habitait dans les ténèbres qui couvraient la face de l'abîme : cette sagesse ne comprenant pas comment la lumière luit dans les ténèbres sans que les ténèbres la comprennent (1), à moins que les ténèbres ne deviennent lumière par la parole de Dieu et qu'on ne leur dise : " Autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (2) ". Or, si des intelligences raisonnables, aveuglées par une volonté impie, ne peuvent comprendre la lumière de la sagesse de Dieu qui est présente partout, éloignées qu'elles en sont par l'affection et non par l'espace : qu'y a-t-il d'étonnant à ce que l'Esprit de Dieu qui était porté sur les eaux, fût aussi porté sur les ténèbres des eaux, à une distance immense, mais de substance et non d'espace?

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CHAPITRE XII. COMMENT DIEU A TROUVÉ SES OEUVRES BONNES, CE QUE NE PEUT FAIRE LE DIEU DES MANICHÉENS.

Je sais bien que je chante ici pour des sourds. Cependant je ne désespère pas que mes chants rencontrent une oreille docile, ouverte par le Seigneur, de qui tout ce que nous disons tient son caractère de vérité. Mais quels juges des divines Ecritures, que des hommes qui trouvent mauvais que Dieu ait jugé bons ses ouvrages, et qui le critiquent comme ayant été frappé d'admiration à l'aspect de la lumière à laquelle il n'était point habitué; tout cela parce qu'il est écrit: " Dieu vit que la lumière était bonne (3) ? " Dieu approuve ses ouvrages, parce qu'ils lui plaisent, et c'est là voir qu'ils sont bons : car il n'est point forcé d'agir contre son gré, de manière à faire ce qui ne lui plaît pas; pas plus qu'il n'agit par imprévoyance et par méprise, de manière à être mécontent d'avoir agi. Mais comment les Manichéens ne trouveraient-ils pas mauvais que notre Dieu ait vu que son oeuvre était bonne, quand le leur, après avoir précipité ses propres membres dans les ténèbres, s'est mis un voile devant les yeux? Il n'a pas vu que son oeuvre était bonne; mais il n'a pas voulu la voir, parce qu'elle était mauvaise.

1. Jean, I, 5. — 2. Eph, V, 3. — 3. Gen. I, 4.

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CHAPITRE XIII. DIEU A APPROUVÉ SON OEUVRE ET NE L'A POINT ADMIRÉE. JÉSUS-CHRIST A ÉPROUVÉ DE L'ADMIRATION.

Fauste dit positivement que notre Dieu fut frappé d'admiration, et cela n'est pas écrit car, parce qu'on voit que son oeuvre est bonne, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on l'admire. Nous voyons, en effet, bien des choses bonnes, sans les admirer comme si elles étaient contre toute attente ; mais seulement nous les approuvons, parce qu'elles sont ce qu'elles doivent être. Du reste, nous prouvons à nos adversaires, non par l'Ancien Testament, qu'ils dénigrent méchamment, mais par le Nouveau, qu'ils admettent, pour tromper les ignorants, que Dieu a éprouvé de l'admiration. En effet, ils reconnaissent que le Christ est Dieu : doucereuse amorce qu'ils mettent dans leur filet, pour y attirer les âmes vouées au Christ. Or, le Christ a admiré, donc Dieu a admiré : car il est écrit que le Christ, voyant la foi du centurion, " fut dans l'admiration et dit à ses disciples : En vérité, je vous le dis, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël (1) ". Nous avons expliqué du mieux que nous avons pu ces paroles : " Dieu " vit que c'était bon " ; d'autres pourront faire mieux encore : mais que les Manichéens nous expliquent à leur tour pourquoi Jésus a admiré une chose qu'il avait prévue avant qu'elle arrivât, et qu'il connaissait avant de l'entendre. Du reste, bien qu'il y ait une différence entre voir qu'une chose est bonne et l'admirer, cependant, il y a entre ces, deux affections une certaine analogie, puisque Jésus a admiré la lumière de la foi qu'il avait lui-même créée dans le coeur de ce centurion : lui qui est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (2).

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CHAPITRE XIV. UN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOUVEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS QUE FAUSTE FAIT CONTRE L'ANCIEN.

Un païen impie pourrait certainement calomnier et critiquer le Christ dans l'Evangile, comme Fauste l'a fait pour Dieu dans l'Ancien Testament. Il pourrait, en effet, accuser le Christ d'imprévoyance, non-seulement pour

1. Matt. VIII, 10. — 2. Jean, I, 9.

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avoir admiré la foi du centurion, mais aussi pour avoir choisi entre ses disciples Judas, qui ne devait point observer ses commandements (1) : comme Fauste blâme Dieu d'avoir donné à l'homme dans le paradis un précepte que celui-ci ne devait point garder (2). Le païen pourrait encore ajouter que le Christ n'a pas su deviner qui l'avait touché, quand la femme affligée d'un flux de sang toucha le bord de son vêtement, comme Fauste accuse Dieu de n'avoir pas su où se cachait Adam. Il me semble que Dieu a dit : " Adam, où es-tu (3)? " comme le Christ a dit : " Qui m'a touché (4)? " Le païen appellerait également le Christ envieux et dirait que lui aussi a eu peur que si les cinq vierges folles entraient dans son royaume, elles ne vécussent éternellement, puisqu'il leur ferma si sévèrement la porte qu'il n'ouvrit pas même quand elles frappaient (5), comme s'il eût oublié cette promesse faite par lui : " Frappez, et on vous ouvrira (6) "; absolument comme Fauste accuse Dieu de jalousie et de crainte, parce qu'il n'a point admis le pécheur à la vie éternelle. Il l'accuserait aussi d'être avide, non du sang des animaux, mais de celui de l'homme, puisqu'il a dit : " Quiconque aura perdu son âme à cause de moi, la retrouvera pour la vie éternelle (7)", comme il a plu à Fauste de calomnier Dieu à l'occasion des sacrifices qui promettaient, en figure, le sacrifice du sang qui nous a rachetés. Il blâmerait aussi le zèle du Sauveur, parce que l'Evangéliste, à l'occasion de la circonstance où il chassa du temple à coups de fouet les acheteurs et les vendeurs, rappelle que c'est de lui qu'il a été écrit : " Le zèle de votre maison me dévore (8) " ; comme Fauste blâme le zèle que Dieu mettait à défendre qu'on offrit des sacrifices à d'autres qu'à lui. Il dirait que le Christ s'est irrité contre les siens et contre les étrangers : contre les siens, puisqu'il a dit : " Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne fait pas ce qu'il doit faire, recevra un grand nombre de coups (9) "; contre les étrangers, puisqu'il a dit : " Lorsque quelqu'un ne vous recevra point, secouez sur lui la poussière de vos chaussures; en vérité, je vous le dis : il y aura moins à souffrir pour Sodome au jour du jugement que pour cette ville (10) "; comme

1. Jean, V, 71. — 2. Gen. II, 16, 17, III, 6 . — 3. Gen. III, 9. — 4. Luc VIII, 44, 45. — 5. Matt. XXV, 11, 12. — 6. Ibid. VII, 7. — 7. Id. X, 29. — 8. Jean, II, 15, 17. — 9. Matt. X, 14, 15. — 10. Ibid.

Fauste accuse Dieu de se fâcher, tantôt contre les étrangers, tantôt contre les siens : ce que l'Apôtre confirme des uns et des autres, en disant : " Car tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché dans la loi, seront jugés par la loi (1) ". Le païen accuserait encore le Christ d'être meurtrier, de répandre le sang d'un grand nombre pour des fautes légères ou nulles: car ce serait pour lui une faute légère ou nulle d'être entré dans la salle du festin sans la robe nuptiale (et cependant, pour cela, notre roi, d'après l'Evangile, fait jeter un homme, pieds et poings liés, dans les ténèbres extérieures (2)) ; ou de ne pas reconnaître le Christ pour roi, péché dont il est dit : " Et pour ceux qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les et tuez-les devant moi (3) " ; de même que Fauste accuse Dieu dans l'Ancien Testament, et trouve qu'il a tué des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles. Quant au reproche que ce même Fauste fait à Dieu d'avoir menacé de venir, le glaive à la main, et de n'épargner ni juste ni pécheur, comment le païen ne le ferait-il pas en entendant Paul dire : " Parce qu'il n'a pas épargné son Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous (4) "; en entendant Pierre parler des grandes tribulations et du meurtre des saints, et dire, pour nous exhorter à souffrir : " Voici le temps où doit commencer le jugement par la maison de Dieu ; et s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l'Evangile du Seigneur ? Et si le juste est à peine sauvé, l'impie et le pécheur, où se présenteront-ils (5) ? " Car quoi de plus juste que le Fils unique ? Et cependant le Seigneur ne l'a point épargné. Et que Dieu n'épargne point les justes, mais les purifie par diverses tribulations, est-il rien de plus évident, puisqu'il est dit ouvertement : " Et si le juste est à peine sauvé? " Car on ne lit pas seulement dans l'Ancien Testament : " Dieu corrige celui qu'il aime et il châtie l'enfant qu'il reçoit (6) "; et encore : " Si nous avons reçu les " biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux (7)? " mais on lit aussi dans le Nouveau : " Pour moi, je reprends et je châtie celui que j'aime (8) " ; et ailleurs : " Que si nous nous jugions nous-

1. Rom. II, 12. — 2. Matt. XXII, 11-13. — 3. Luc, XIX, 27. — 4. Rom. VIII, 32. — 5. I Pier. IV, 17, 18. — 6. Prov. III, 12. — 7. Job, II, 10. — 8. Apoc. III, 19.

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mêmes, nous ne serions point jugés par le " Seigneur; et lorsque nous sommes jugés, " c'est par le Seigneur que nous sommes re" pris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde (1) ". Et cependant, si le païen blâmait dans le Nouveau Testament ce que les Manichéens blâment dans l'Ancien, ceux-ci n'en prendraient-ils pas la défense? Et s'ils en venaient à bout, pourquoi critiquer d'un côté ce qu'ils défendraient de l'autre? Et s'ils n'en pouvaient venir à bout, pourquoi ne pas permettre, pour l'un comme pour l'autre Testament, que ce que les impies y trouvent de mauvais sans le comprendre, les hommes pieux, sans le comprendre davantage, le trouvent bon quoique mystérieux?

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CHAPITRE XV. LES MANICHÉENS NIERONT-ILS LES TEXTES CITÉS?

Oseront-ils soutenir peut-être que les textes que nous venons de citer du Nouveau Testament sont faux ou altérés, en vertu du privilège diabolique qu'ils s'arrogent de tenir et de prêcher comme paroles du Christ et des Apôtres tous les passages de l'Evangile et des épîtres canoniques qui peuvent appuyer leur hérésie, et de dénoncer, sans hésiter et avec une impudence sacrilège, comme intercalés par des faussaires, tous ceux qui sonnent mal à leurs oreilles ? J'ai déjà combattu, aussi longuement que me le permettait ma tâche actuelle, cette manie insensée qui ne tend à rien moins qu'à détruire et à saper par la base l'autorité de tous les livres.

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CHAPITRE XVI. UN PAÏEN NE FERAIT PAS LES OBJECTIONS QUE FAIT FAUSTE.

Maintenant, je leur donne un avis. Puisqu'ils s'efforcent de dissimuler leurs folles et sacrilèges rêveries sous le manteau du nom chrétien, qu'ils fassent attention que quand ils soulèvent une objection contre les Ecritures des chrétiens, nous défendons la vérité des livres divins des deux Testaments, non-seulement contre les païens, mais aussi contre les Manichéens. Tous les faits que Fauste vient de citer de l'Ancien Testament et qu'il déclare indignes de Dieu, si un païen se mettait à en blâmer de semblables dans l'Evangile et dans les épîtres des Apôtres, je pourrais

1. I Cor. XI, 31, 32.

peut-être les défendre en rappelant, comme Paul l'a fait chez les Athéniens (1), des doctrines analogues empruntées aux écrivains du paganisme. Je pourrais, en effet, trouver dans les écrits de ceux-ci un Dieu créateur et architecte du monde, auteur de cette lumière matérielle, lequel cependant, avant de la créer, n'était point dans les ténèbres; un Dieu ravi de son oeuvre, ce qui veut certainement dire plus que : " Il vit que c'était bon " ; un Dieu qui porta une loi dont l’observation devait profiter à l'homme, et la violation tourner à son détriment. Les païens ne diraient cependant pas qu'il ignorait l'avenir, parce qu'il aurait donné une loi qui devait être enfreinte. Ils ne l'appelleraient pas non plus imprévoyant, et ne diraient pas que c'est un homme, parce qu'il aurait fait une question : eux dont les lèvres abondent en interrogations qui ne sont posées que pour fournir l'occasion de convaincre l'adversaire par ses propres réponses, alors que celui qui interroge, non-seulement sait ce qu'il veut qu'on lui réponde, mais prévoit même qu'on le lui répondra. Et si quelqu'un d'eux s'avisait d'accuser Dieu de jalousie, parce qu'il n'admet pas les méchants au bonheur, il trouverait les livres de ses maîtres pleins de raisonnements sur ce sujet qui touche à la divine Providence.

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CHAPITRE XVII. COMMENT ON RAISONNERAIT AVEC LUI SUR LA QUESTION DU SACRIFICE.

Quant aux sacrifices, la seule objection qu'un païen aurait à faire, serait de demander pourquoi nous blâmons chez eux ce que notre Dieu avait exigé qu'on lui offrît dans l'ancienne loi. Pour moi, dis-je, traitant plus au long peut-être la question du vrai sacrifice, je démontrerais qu'on ne doit offrir qu'au seul vrai Dieu le sacrifice que lui a offert le seul vrai prêtre, médiateur entre Dieu et les hommes (2) : sacrifice dont il fallait célébrer la promesse et la figure par des sacrifices d'animaux, en vue de la chair et du sang futurs, par l'oblation desquels devaient être effacés les péchés contractés de la chair et du sang : car ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu, puisque la substance du corps sera changée en une substance céleste, ce qu'indiquait le feu du sacrifice, absorbant,

1. Act. XVII, 28. — 2. I Tim. II, 5.

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pour ainsi dire, la mort dans sa victoire (1). Or, ces rites convenaient chez un peuple dont la royauté et le sacerdoce n'étaient que la prophétie du Roi et du Prêtre qui devait venir pour gouverner et consacrer les fidèles dans le monde entier et les introduire dans le royaume des cieux, dans le sanctuaire des anges et dans la vie éternelle. Mais, tandis que les Hébreux célébraient religieusement l'annonce du vrai sacrifice, les païens n'en pratiquaient qu'une sacrilège contrefaçon ; parce que, dit l'Apôtre; " ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu (2) ". C'est, en effet, une très-ancienne institution, que l'effusion prophétique du sang, attestant dès l'origine du monde la future passion du Médiateur; car nous voyons dans les saintes Ecritures qu'Abel l'offrit le premier (3). II n'est donc pas étonnant que les anges prévaricateurs, dont les deux principaux vices sont l'orgueil et la fourberie, en parcourant la région des airs, aient exigé que leurs adorateurs, aux yeux de qui ils voulaient passer pour des dieux, leur offrissent ce qu'ils savaient n'être dû qu'au vrai Dieu. Ici, la vanité du coeur humain leur venait en aide, et la mémoire des morts regrettés devint le principal motif de l'érection des statues qui a donné naissance au culte des idoles (4), et, par un excès d'adulation, comme les honneurs divins étaient rendus à ces morts que l'on supposait admis au ciel, les démons se mirent à leur place pour être adorés sur la terre et solliciter des sacrifices de la part des victimes de leur fourberie. Ainsi donc, non-seulement quand le vrai Dieu exige à juste titre le sacrifice, mais encore quand un faux dieu le réclame par orgueil, il est facile de voir à qui il est dû. Et si le païen avait quelque difficulté à croire, je le convaincrais à l'aide des prophéties mêmes qui ont annoncé si longtemps d'avance ce que je lui montrerais comme accompli. Que s'il dédaignait encore cette preuve, ce serait une confirmation pour moi, plutôt qu'un sujet d'étonnement : car je constaterais la vérité de la prophétie qui a annoncé que tous ne croiront pas.

1. II Cor. XV, 50-54. — 2. I Cor. IX, 20. — 3. Gen. IV, 4. — 4. Sag. XIV, 15.

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CHAPITRE XVIII. CONTINUATION DU SUJET. LA CATACHRÈSE, USITÉE DANS TOUTES LES LANGUES.

S'il m'objectait la jalousie du Christ ou de Dieu, d'après les deux Testaments, et voulait pointiller sur le mot, il ne prouverait autre chose que son ignorance de toute littérature ou son irréflexion. En effet, bien que leurs savants distinguent entre la volonté et la passion, la joie et l'allégresse, la précaution et la crainte, la clémence et la pitié, la prudence et la ruse, la confiance et l'audace et autres choses de ce genre, en sorte que les premières de ces expressions leur représentent des vertus, et les secondes des vices : cependant leurs livres sont remplis d'abus de ces mêmes expressions, qui, quoique désignant un vice, sont appliquées à la vertu, en prenant, par exemple, la passion pour la volonté, l'allégresse pour la joie, la crainte pour la précaution, la pitié pour la clémence, la ruse pour la prudente, ou l'audace pour la confiance. Et qui pourrait dire toutes les locutions dont on abuse de cette manière en vertu de l'usage? Ajoutons que chaque langue a son caractère propre. Ainsi jamais, dans le langage de l'Eglise, le mot de pitié n'emporte un sens de blâme; et ici le langage usuel s'accorde avec lui. Les Grecs appellent d'un même mot deux choses, rapprochées, il est vrai, mais cependant différentes, le travail et la douleur; nous, nous leur donnons à chacune un nom; mais, à notre tour, nous donnons au mot vie deux sens, suivant que nous entendons dire qu'un être vit, c'est-à-dire n'est pas mort, ou qu'un homme est de bonne vie ; tandis que les Grecs emploient pour ces deux sens deux expressions différentes. Il peut donc arriver que, en dehors de l'abus des mots, si étendu dans toutes les langues, le mot jalousie se prenne, dans la langue hébraïque, en deux sens différents: ou pour désigner le trouble qui consume l'âme d'un époux à l'occasion de l'adultère de son conjoint, trouble que Dieu ne saurait éprouver ; ou pour marquer le soin inquiet de ce même époux, attentif à veiller sur la chasteté de son épouse, soin que Dieu (nous aimons à le reconnaître, non-seulement sans hésitation, mais encore avec un sentiment de reconnaissance) prend réellement, en parlant à son peuple comme à une épouse qu'il ne veut pas voir tomber en adultère avec une multitude de faux dieux. J'en dis autant de la colère de Dieu: car la colère n'entraîne chez lui aucun trouble, mais elle se prend pour la vengeance; soit par abus, soit par une particularité propre à la langue hébraïque.

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CHAPITRE XIX. CE QU'ON RÉPONDRAIT AU PAÏEN SUR LE REPROCHE DE CRUAUTÉ FAIT À DIEU.

Pour ce qui est de ces milliers d'hommes mis à mort, le païen ne s'en étonnerait pas, si toutefois il admettait le jugement de Dieu. Or, les païens ne le nient pas, puisqu'ils reconnaissent que la Providence divine règle et gouverne l'univers dans toutes ses parties élevées ou infimes. Que s'il n'en convenait pas, on l'en convaincrait facilement par l'autorité des siens, ou un peu plus lentement par la discussion et par des raisons irréfragables ; ou bien on l'abandonnerait comme endurci et idiot à ce même jugement divin auquel il refuserait de croire. Et s'il désignait expressément comme légères ou nulles les fautes que Dieu a punies de mort chez les hommes, nous lui démontrerions qu'elles ne sont ni nulles ni légères; par exemple, pour celle que nous avons déjà mentionnée, de l'homme qui n'avait point la robe nuptiale (1), nous lui ferions voir que le grand crime, c'était de se présenter aux noces saintes pour y chercher sa propre gloire et non celle de l'époux, ou nous trouverions quelque autre raison meilleure encore, cachée sous le symbole de la robe nuptiale. Pour ce qui est des hommes tués sous les yeux du roi parce qu'ils n'ont pas voulu qu'il régnât sur eux (2), nous n'aurions peut-être pas besoin de longs discours pour démontrer que s'il n'y a pas de faute à un homme de refuser un homme pour roi, ce n'est pas une faute nulle ou légère, de ne pas reconnaître pour roi celui dans le royaume duquel seulement se trouve la vie sainte, heureuse et éternelle.

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CHAPITRE XX. COMMENT DIEU N'ÉPARGNE NI LE JUSTE NI LE PÉCHEUR.

Quant au dernier reproche que Fauste fait insidieusement aux livres de l'Ancien Testament de nous représenter Dieu menaçant de venir, le glaive à la main, et de n'épargner ni juste ni pécheur, quand nous aurions expliqué au païen dans quel sens il faut l'entendre, peut-être ne rejetterait-il l'autorité ni du Nouveau ni de l'Ancien Testament, et goûterait-il cette comparaison évangélique qui reste cachée pour certains prétendus chrétiens

1. Matt. XXII, 11, 13. — 2. Luc, XIX, 27.

parce qu'ils sont aveugles, ou leur déplaît parce qu'ils sont pervertis.

En effet, le souverain maître de la vigne (1) ne porte pas la serpe de la même manière sur les sarments qui donnent du fruit et sur ceux qui n'en donnent pas; cependant il n'épargne ni les bons ni les mauvais, mais c'est pour émonder les uns et retrancher les autres. Car, il n'y a pas d'homme si juste qui n'ait besoin de l'épreuve de la tribulation ou pour perfectionner, ou pour consolider ou pour éprouver sa vertu; à moins que par hasard on ne veuille pas compter parmi les justes, Paul l'apôtre, qui, malgré l'humble et sincère aveu de ses péchés passés, se déclare cependant, avec actions de grâces, justifié par la foi en Jésus-Christ (2). A-t-il été épargné par celui dont nos orgueilleux adversaires ne comprennent pas la pensée quand il dit : Je n'épargnerai ni le juste ni le pécheur? qu'ils écoutent donc Paul : " Et de peur que la grandeur des révélations ne m'élève, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me donner des soufflets; c'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur qu'il le retirât de moi, et il m'a dit : Ma grâce te suffit; car la puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse (3) ". Il n'épargnait donc pas le juste, afin de perfectionner sa vertu dans la faiblesse, celui qui lui avait donné un ange de Satan pour le souffleter; à moins que vous ne prétendiez que c'était le diable qui avait donné cet ange. Alors c'était le diable qui agissait pour que la grandeur des révélations n'élevât pas l'Apôtre et que sa vertu fût perfectionnée ! Qui oserait le dire? Il était donc livré à un ange de Satan pour être souffleté, par celui qui se servait de lui pour livrer les méchants à Satan, comme Paul l'affirme lui-même : " Que j'ai livrés à Satan, pour qu'ils apprennent à ne plus blasphémer (4) ". Comprenez-vous maintenant comment Dieu n'épargne ni juste ni pécheur? Est-ce le mot de glaive qui vous fait horreur? Autre chose est, en effet, de recevoir des soufflets, autre chose d'être mis à mort. Comme si des milliers de martyrs n'avaient pas subi divers genres de mort, ou comme si leurs persécuteurs avaient pu les faire mourir sans la permission de Celui qui a dit: Je n'épargnerai ni juste ni pécheur; alors que le Seigneur même des martyrs, " ce

1. Jean, XV, 1. — 2. I Tim. I, 13. — 3. II Cor. XII, 7,9. — 4. I Tim. I,20.

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Fils propre n que le Père n'a point épargné (1) ", a dit ouvertement à Pilate : " Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut (2) ". Ces vexations et ces persécutions des justes, ce même Paul les appelle un exemple du jugement de Dieu (3). Cette pensée est développée davantage par l'apôtre Pierre quand il dit ce que j'ai rappelé plus haut: " Que voici le temps où doit commencer le jugement par la maison de Dieu ". Or, continue-t-il, " s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l'Evangile de Dieu ? Et si le juste est à peine sauvé, l'impie et le pécheur, où se présenteront-ils (4) ? " Voilà qui fait comprendre comment on n'épargne pas les impies qui sont retranchés comme des sarments pour être jetés au feu, ni les justes qui sont émondés pour devenir parfaits. Car Pierre lui-même atteste que tout cela se fait par la volonté de Celui qui a dit dans les anciens livres: Je n'épargnerai ni le juste ni le pécheur. Il dit en effet: " Il vaut mieux souffrir, si l'Esprit de Dieu le veut ainsi, en faisant le bien qu'en faisant le mal (5) ". Si donc, par la volonté de l'Esprit de Dieu, on souffre en faisant le bien, c'est que les justes rie sont pas épargnés; si l'on souffre en faisant le mal, c'est que les pécheurs ne le sont pas davantage : mais l'un et l'autre arrive par la volonté de Celui qui a dit : Je n'épargnerai ni le juste ni le pécheur, corrigeant l'un comme un fils, punissant l'autre comme un impie.

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CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DES RÉPONSES PRÉCÉDENTES : APOSTROPHE AUX MANICHÉENS.

Voilà que j'ai démontré comme j'ai pu que nous n'adorons pas un Dieu qui ait été éternellement dans les ténèbres, mais Celui qui est la lumière et en qui il n'y a pas de ténèbres (6), qui habite en lui-même la lumière inaccessible (7), qui est la lumière éternelle dont la sagesse coéternelle est la splendeur (8), qui n'a pas été frappé d'admiration à l'aspect d'une lumière inattendue, mais qui a créé la lumière pour la faire exister, et l'a approuvée pour la faire durer; qui n'ignorait point l'avenir,

1. Rom. VIII, 32. — 2. Jean, XIX, 11. — 3. II Thess. I, 5. — 4. I Pier. V, 17, 18. — 5. Id. III,17. — 6. I Jean , I, 5. — 7. II Tim.VII, 16. — 8. Sag. III, 25.

mais donnait un commandement et en punissait la transgression, afin de contenir par une juste vengeance les rebelles présents, et de frapper d'épouvante les rebelles à venir, qui ne cherchait point par ignorance un pécheur qu'il ne vît pas, mais l'interrogeait pour le juger; qui n'éprouve ni envie, ni crainte, mais écarte avec raison la prévarication de la vie éternelle, juste récompense des fidèles; qui n'est point avide de sang ni de graisse, mais qui a imposé à un peuple charnel des sacrifices convenables pour nous promettre en figure le véritable sacrifice; dont la jalousie n'est point accompagnée d'un trouble dévorant, mais procède d'une bonté tranquille et veille à ce qu'une âme qui doit se conserver pure pour Dieu seul, ne se corrompe pas et ne se déshonore pas en se prostituant à une multitude de faux dieux; dont la colère n'est point, comme celle de l'homme, un mouvement de cruauté, mais un courroux divin, qui punit avec justice et sévérité, et prend, dans le langage usuel, le nom de colère, non pour indiquer la passion de la vengeance, mais la fermeté du jugement; qui ne tue point des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles, mais, par des morts temporelles et pour des motifs d'une parfaite équité, imprime aux peuples une salutaire terreur de son nom; qui ne frappe point en aveugle et au hasard les justes et les pécheurs, mais qui distribue aux justes d'utiles épreuves pour les perfectionner et aux pécheurs des punitions méritées pour satisfaire à la justice. Vous voyez donc, Manichéens, que vos jugements téméraires vous égarent quand, pour avoir mal compris nos Ecritures ou écouté ceux qui les comprenaient mal, vous vous formez de fausses idées des catholiques, et abandonnez la saine doctrine pour vous tourner vers des fables sacrilèges; puis, trop profondément pervertis et séparés de la société des saints, vous ne voulez pas même être corrigés par le Nouveau Testament, où nous vous montrons des choses semblables à celles que vous blâmez dans l'Ancien. D'où il résulte que nous sommes obligés de défendre les deux Testaments contre vous et contre les païens.

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CHAPITRE XXII. LE DIEU DES CATHOLIQUES, QUOIQUE DÉFORMÉ PAR LES MANICHÉENS, VAUDRAIT MIEUX QUE LE LEUR. DÉMONSTRATION D'APRÈS LA DOCTRINE MÉME DES SECTAIRES.

Mais supposez un homme tout à fait charnel et tellement insensé qu'il adore Dieu, non pastel que nous l'adorons, seul et vrai Dieu, mais tel que vous prétendez que nous l'adorons, déformé par vos calomnies et vos faux jugements : n'adorerait-il pas encore un Dieu préférable au vôtre ? Faites attention, je vous prie, et ouvrez des yeux quelconques : car il ne faut pas un génie bien perçant pour comprendre ce que je vais dire; je fais appel à tous, aux savants et aux ignorants : écoutez, faites attention, jugez. Combien il vaudrait mieux que votre dieu eût habité éternellement les ténèbres, plutôt que de plonger dans les ténèbres la lumière, sa soeur, éternelle comme lui ? Combien il serait préférable qu'il eût admiré et loué la lumière, toute nouvelle pour lui, et apparaissant pour dissiper ses ténèbres, plutôt que de ne pouvoir éviter l'invasion des anciennes ténèbres autrement qu'en changeant en ténèbres sa propre lumière! Malheureux, s'il a fait cela parce qu'il était troublé; cruel, s'il l'a fait quoiqu'il n'eût rien à craindre. Il lui serait certainement meilleur de voir la lumière qu'il aurait faite et de l'admirer comme bonne, que de la rendre mauvaise après l'avoir engendrée, et de la voir repousser de lui les ténèbres ennemies, de manière à devenir son ennemie elle-même. Car on fera un crime aux restes qui doivent être condamnés sur le globe, de s'être laissé entraîner loin de leur première nature lumineuse et d'être devenus ennemis de la saine lumière: vivant de toute éternité dans les éternelles ténèbres de l'ignorance, s'ils ne prévoyaient pas ce qui devait leur arriver; ou dans les ténèbres éternelles de la crainte, s'ils le prévoyaient. Voilà donc qu'une partie de la substance de votre dieu a été éternellement enveloppée dans ses propres ténèbres; et plus tard, au lieu d'admirer la lumière nouvelle, elle a subi des ténèbres étrangères qu'elle avait toujours redoutées. Or, si le dieu dont elle faisait partie, craignait pour elle un si grand mal à venir, il était donc aussi envahi par les ténèbres de la crainte; s'il ne le prévoyait pas, il était aveuglé par les ténèbres de l'ignorance; s'il le prévoyait, et ne le craignait pas, il était dans les ténèbres de la cruauté, pires que celles de l'ignorance ou de la crainte ; car votre Dieu n'éprouvait pas dans sa chair ce que l'Apôtre y loue : " Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui (1) ", puisque vous prétendez dans votre extrême folie que la chair a été créée par Hylé, et non par Dieu. Cependant, nous ne l'accusons pas : il prévoyait, il craignait, il souffrait, mais il n'y pouvait rien. Il a donc vécu de toute éternité dans les ténèbres de sa misère; et plus tard il n'a point admiré une lumière nouvelle qui vînt dissiper ses ténèbres; mais, au grand détriment de sa propre lumière, il a été envahi par d'autres ténèbres qu'il avait toujours redoutées. Combien il lui serait préférable, je ne dirai pas de commander comme Dieu, mais de recevoir un commandement comme l'homme, sauf à se trouver bien de l'observer, à se trouver mal de l'enfreindre, mais dans les deux cas agissant avec une pleine liberté de volonté au lieu d'être poussé contré sa volonté, par une nécessité invincible, à obscurcir sa propre lumière ! Il vaudrait encore beaucoup mieux pour lui donner un commandement à la nature humaine, tout en prévoyant qu'elle le violera, que de, forcer irrésistiblement sa nature divine à pécher. Ouvrez les yeux, et dites-nous comment celui qui est sous l'empire de la nécessité pourra vaincre les ténèbres. La nécessité était son plus grand ennemi et il la portait dans son sein ; c'est elle qui l'a vaincu et forcé à combattre avec un ennemi moindre. Combien il vaudrait mieux pour lui ne pas savoir où Adam agirait fui devant sa face, que de n'avoir lui-même aucune retraité où échapper, d'abord à la dure et cruelle nécessité, et ensuite à une race indifférente et ennemie ! Combien il lui serait meilleur de refuser par,envie le bonheur à la nature humaine, que de livrer la nature divine au malheur; d'être avide du sang et de la graisse des victimes, que d'être lui-même tant de fois sacrifié aux idoles, mêlé à la graisse et au sang de toutes les victimes; d'être troublé par la jalousie en voyant sacrifier à d'autres dieux, que d'être lui-même offert à tous les démons, sur tous les autels, enchaîné non-seulement dans les fruits, mais même dans toute chair d'animal ! Combien il vaudrait mieux pour lui éprouver l'agitation,

1. I Cor. XII, 26.

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le trouble d'une colère, même humaine, contre les péchés des siens ou des étrangers, que d'être troublé, non-seulement dans tous ceux qui se fâchent, mais dans tous ceux qui craignent, d'être souillé dans tous ceux qui pèchent, d'être puni dans tous ceux qui sont condamnés; enchaîné partout parla partie de lui-même qu'il a livrée, quoique innocente, à un tel déshonneur, dans le but de vaincre par elle ce qu'il redoutait; assujetti en personne à une si déplorable nécessité, afin que la partie condamnée pût lui pardonner, quand il sera humble comme il est malheureux ! Mais maintenant, est-il supportable de vous entendre blâmer Dieu, parce qu'il s'irrite contre les péchés des siens ou des étrangers, quand le dieu que vous imaginez condamne lui-même, sur ce globe, ceux de ses membres qu'il a forcés malgré lui à se précipiter dans l'abîme du péché? Vous dites, il est vrai, qu'il fait cela sans colère. Mais je m'étonne qu'il puisse être fier d'exercer une sorte de vengeance envers des êtres à qui il devait demander grâce et dire : — Je vous en prie, pardonnez-moi : vous êtes mes membres ; comment aurais-je pu vous traiter ainsi, si je n'y avais été forcé? Vous savez vous-mêmes que quand je vous ai envoyés là, un ennemi terrible nous avait attaqués, et si je vous y enchaîne maintenant, c'est que je crains une nouvelle irruption de sa part. — Vous en conviendrez : il vaudrait beaucoup mieux donner la mort temporelle à des milliers d'hommes pour une faute nulle ou légère, que de précipiter dans le gouffre du péché et de condamner à un supplice perpétuel ses propres membres, c'est-à-dire les membres de Dieu, la substance de Dieu, par conséquent Dieu lui-même. Ces membres avaient-ils la liberté de pécher ou de ne pas pécher? On ne voit pas trop comment on pourrait le dire de la substance de Dieu, de la vraie substance divine qui est absolument immuable. Car Dieu ne peut absolument pas pécher, pas plus qu'il ne peut se nier lui-même (1); mais l'homme peut pécher et nier Dieu, et pourtant il ne le fait pas, s'il ne le veut pas. Si donc, comme je l'ai dit, ces membres de votre dieu avaient, comme l'âme humaine et raisonnable, la faculté de pécher ou de ne pas pécher, peut-être, coupables de fautes graves, auraient-ils été

1. II Tim. II, 13.

justement condamnés à souffrir sur ce globe. Or, vous ne pouvez pas dire que ces faibles parties de votre dieu n'aient eu une volonté libre que le dieu n'avait pas dans son entier, puisque s'il ne les eût livrées au péché, envahi lui-même tout entier par le peuple des ténèbres, il eût été forcé de pécher. Que si elles ne pouvaient pas être contraintes, ils péché en les envoyant là où elles pouvaient l'être; par conséquent, en faisant cela par un acte de libre autorité, il a mérité cette sorte de supplice du sac réservé aux parricides, plutôt que les parties elles-mêmes qui sont allées, par obéissance, là où elles ont perdu la liberté de bien vivre. Mais si, envahi et possédé par l'ennemi, il pouvait être forcé à pécher, à moins de pourvoir à son salut en condamnant une partie de lui-même, d'abord au crime, ensuite au supplice; si, par conséquent, ni votre dieu, ni ses parties n'avaient le libre arbitre, alors qu'il ne s'imagine pas être juge, mais qu'il se reconnaisse coupable, non précisément pour avoir subi ce qu'il ne voulait pas, mais pour avoir feint les apparences de la justice, en condamnant ceux qu'il savait avoir subi, plutôt que commis, le mal : feint qui n'a pas d'autre but que de dissimuler! sa défaite : comme s'il y avait profit pour un malheureux à être appelé heureux ou fortuné. Assurément, il eût encore mieux valu pour votre dieu mettre de côté toute justice et n'épargner ni justes ni pécheurs (dernier reproche que Fauste, dans son in. intelligence, adresse à notre Dieu), que de sévir ainsi contre ses propres membres, qu'il ne se contente pas de livrer à l'ennemi pour être empoisonnés sans remède, mais qu'il accuse encore faussement d'iniquité ; car il prétend qu'ils ont bien mérité cet horrible et éternel supplice pour s'être laissé entraîner loin de leur première nature lumineuse et être devenus ennemis de la sainte lumière. Et pourquoi cela, sinon, comme il le dit lui-même, parce qu'ils étaient si bien incorporés à la première avidité des princes des ténèbres, qu'ils n'ont pas pu se rappeler leur origine ni se distinguer de la nature ennemie? Donc ces âmes n'ont point fait de mal, ruais ont été condamnées innocemment à un si grand supplice. Et par qui, sinon par celui qui leur a donné primitivement l'ordre de se séparer de lui pour aller subir une si terrible peine? Leur père a donc été pour elles pire (326) que leur ennemi. En effet, c'est leur père qui les a livrées au malheur, tandis que leur ennemi, en les convoitant, ne faisait que convoiter un bien, et désirait jouir d'elles et non leur faire du mal. L'un leur a nui sciemment, et l'autre sans le savoir. Mais ce pauvre dieu, faible et sans ressources, n'avait pas d'autre moyen de se protéger contre un ennemi, d'abord violent à l'attaque et ensuite enfermé. Mais qu'au moins il n'accuse pas ces âmes dont l'obéissance a fait son salut, dont la mort fait sa sécurité. S'il a été forcé de combattre, l'est-il aussi de calomnier? Quand elles se laissaient entraîner loin de leur première nature lumineuse et devenaient ennemies de la sainte lumière, elles y étaient évidemment forcées par l'ennemi ; si elles n'ont pu résister à cet ennemi, elles sont condamnées innocemment; si elles l'ont pu et ne l'ont pas voulu, que deviennent toutes vos fables sur la nature du mal, puisque le péché provient de la volonté propre ? Car, évidemment, c'est de plein gré et non par l'effet d'une violence extérieure, qu'elles ont péché, puisque, pouvant résister au mal, elles ne l'ont pas voulu. En résistant, elles auraient bien fait; en ne résistant pas, elles ont commis un crime énorme, monstrueux ; si elles l'ont pu et ne l'ont pas fait, c'est évidemment qu'elles ne l'ont pas voulu. Donc, si elles ne l'ont pas voulu, il faut s'en prendre à leur volonté et non à la nécessité. Donc, la volonté est le principe du péché; or, le principe du péché est le principe du mal, c'est-à-dire la transgression du commandement juste et de la punition infligée par un juste jugement. Par conséquent, rien ne vous oblige, dans la question de l'origine du mal, de vous précipiter dans cette pernicieuse erreur d'appeler nature du mal une nature qui possède abondamment tant de biens, et d'introduire l'horrible mal de la nécessité dans la nature du souverain bien avant l'immixtion de la nature du mal. Et le principe de cette erreur, c'est votre orgueil, que vous n'auriez pas, si vous ne le vouliez pas; mais pour vouloir la soutenir d'une façon quelconque, parce que vous vous y êtes précipités, vous enlevez au libre arbitre l'origine du mal, et vous la rattachez à une fable vaine et fausse. Par là même, il vous est force de dire que ces âmes condamnées à être éternellement enchaînées à ce globe affreux, sont devenues ennemies de la saine lumière, non volontairement, mais par nécessité; de reconnaître pour votre juge un dieu près duquel vous ne pouvez rien pour les victimes dont vous défendez la cause, en démontrant que leur crime a été involontaire; de reconnaître enfin pour votre roi, ce même dieu dont vous ne pouvez obtenir pardon pour vos frères, ses fils et ses membres, bien que vous prouviez qu'ils sont devenus vos ennemis et les siens, non par leur volonté, mais par nécessité. O cruauté qui dépasse toutes les bornes ! à moins que vous ne cherchiez à le défendre lui-même et à l'excuser en disant qu'il a agi aussi par nécessité. Si donc vous pouviez trouver un autre juge, qui, soustrait à l'empire de la nécessité, observât les lois de l'équité, il ne se contenterait pas de clouer votre dieu à la surface du globe, mais il l'enfermerait dedans avec son redoutable ennemi. Pourquoi, en effet, ne serait-il pas juste que celui qui pousse le premier à pécher par nécessité, soit le premier à être condamné? Combien donc vous auriez encore de profit à choisir, par préférence à ce pire des dieux, l'autre dieu, non tel que nous l'adorons, mais tel que vous croyez ou feignez de croire que nous l'adorons; lequel, sans aucune règle d'équité, sans distinction de condamnation et de punition, n'épargnerait pas ses serviteurs, soit justes, soit pécheurs, mais du moins épargnerait ses membres, innocents si la nécessité n'est pas un crime, coupables pour lui avoir obéi, si la nécessité est un crime; et coupables de manière à être condamnés pour l'éternité par celui avec qui ils devaient être absous, si la victoire lui eût permis de respirer en liberté, ou être condamnés si, après la victoire, la nécessité laissait du moins subsister un reste d'équité. Mais vous forgez un dieu qui n'est point le Dieu vrai et souverain que nous adorons, mais je ne sais quel faux dieu que vous prétendez, de bonne ou de mauvaise foi, que nous adorons : car ni l'un ni l'autre n'existent, ce sont des inventions de votre part : néanmoins, celui que vous forgez et que vous nous accusez d'adorer, vaut encore mieux que celui que vous adorez vous-mêmes.

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CHAPITRE XXIII. LE SAINT JUSTIFIERA LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES.

Il en est de même pour les Patriarches et les Prophètes : ceux que vous blâmez ne sont (326) point ceux que nous honorons ; vous les avez forgés, dans un esprit d'orgueil malveillant, d'après nos livres mal compris. Néanmoins, à les prendre tels que vous les faites, ils sont non-seulement au-dessus de vos élus, de ceux qui observent tous les commandements de Manès (ce serait trop peu dire) ; mais je prouverai qu'ils l'emportent même sur votre dieu. Toutefois, ce ne sera que quand j'aurai justifié contre vos coeur charnels, avec l'aide de Dieu et de la saine raison, nos patriarches et nos Prophètes des accusations que vous dressez contre eux. En vérité, Manichéens, ce devrait être assez de vous répondre que les vices que vous reprochez aux nôtres, sont préférables à ce que vous regardez comme des vertus chez les vôtres; en ajoutant, pour mettre le comble à votre confusion, que votre dieu est encore bien au-dessous de nos pères, tels que vous lias dépeignez. Je lia répète, cette réponse devrait suffire. Maintenant il en est qui en dehors de votre futile babil, sont naturellement frappés de la comparaison de la vie des Prophètes de l'Ancien Testament avec celle des Apôtres du Nouveau Testament, vu qu'ils ne savent pas faire la différence des moeurs de l'époque où la promesse était voilée, de celles du temps où la promesse est accomplie : c'est à eux surtout que je suis forcé de répondre ; soit que, modérés dans leur conduite, ils osent se mettre au-dessus des Prophètes, soit qu'ils cherchent dans les exemples de ces mêmes Prophètes des prétextes pour excuser leur propre malice.

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CHAPITRE XXIV. INDIVIDUS ET NATION, TOUT A ÉTÉ PROPHÉTIE CHEZ LES JUIFS.

Je commence donc par poser en principe que, chez ces hommes, non-seulement le langage, mais la vie même était prophétique ; que tout le royaume des Juifs a été, en quelque sorte, un grand prophète, et le prophète d'un grand personnage. Il faut donc chercher l'annonce du Christ et de l'Eglise, d'une part, dans ce que disaient et faisaient ceux que la sagesse divine avait éclairés; et de l'autre, dans les événements que la divine Providence ménageait dans les individus ou à l'occasion de toute la nation judaïque. Car toutes ces choses, comme dit l'Apôtre, " ont été des figures de ce qui nous arrive (1) ".

1. I Cor. X, 6.

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CHAPITRE XXV. MÉPRISE PUÉRILE DE CEUX QUI JUGENT LES PATRIARCHES.

Les Manichéens attribuent à la passion, chez les Prophètes, certains faits dont la hauteur les dépasse de beaucoup, comme quelques païens sacrilèges accusent le Christ de folie, ou plutôt de démence, pour avoir cherché hors de saison des fruits sur un arbre (1) ; ou de fatuité puérile, parce que, se baissant il écrivit du doigt sur la terre, et qu'il recommença après avoir répondu à ceux qui l'interrogeaient (2). Car, ils ne savent rien, ils ne comprennent pas que, dans les grandes âmes, il existe des vertus qui ressemblent fort aux défauts des petits enfants, en apparence, bien entendu, et sans aucun point de comparaison possible. Ceux qui blâment de telles choses dans ces âmes, ressemblent à des écoliers novices qui tout fiers de savoir que, quand le sujet est au singulier, le verbe doit être aussi au singulier, critiquent le prince de la langue latine pour avoir dit: " Une partie coupent en morceaux (3) ", et prétendent qu'il devait dire; "coupe en morceaux ". De même sachant comme s'écrit Religio, ils le blâment d'avoir doublé la consonne et écrit: Relligione patrum (4). On peut donc dire, avec raison, qu'autant il y a de distance entre les figures et les métaphores des hommes instruits, et les solécismes et les barbarismes des ignorants, autant il y en a, dans son genre, entre les actions figurées des Prophètes, et les criminelles actions des méchants. Par conséquent, comme un enfant convaincu d'avoir fait un solécisme subirait la férule s'il essayait de se défendre par l’exemple de Virgile, ainsi, quiconque se roulerait dans la fange avec la servante de sa femme et invoquerait,, pour s'excuser, le fait d'Abraham rendant mère Agar, mériterait d'être corrigé, non plus avec la férule, mais à coups de bâton, pour ne pas être condamné comme les autres adultères à l'éternel supplice. Une formule de langage, un solécisme sont peu de chose; un sacrement, un adultère sont des choses importantes ; nous ne les rapprochons pas pour les mettre de niveau; mais, proportionnellement et eu égard à la différence du genre, ce que sont la science ou l'ignorance en fait de qualités ou de défauts

1. Matt. XXI. — 2. Jean, VIII. — 3. Virg. Eneid. lib. I, V. 212. — 4. Id. lib, II, V, 715.

327

dans le langage, la sagesse ou la folie le sont, mais à un degré bien différent, dans les vices et dans les vertus.

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CHAPITRE XXVI. QUESTION PRÉLIMINAIRE : CE QUE C'EST QUE LE PÉCHÉ.

Avant donc de nous engager dans ce sujet, et de dire au hasard ce qu'il faut louer ou blâmer, accuser ou défendre, réprimer ou tolérer, condamner ou absoudre, rechercher ou éviter (toutes choses dans lesquelles consiste le mal ou le bien), nous devons d'abord examiner ce que c'est que le péché, et ensuite, étudier les actions des saints, telles qu'elles sont mentionnées dans les livres divins, afin que, si nous en trouvons quelques-unes de coupables, nous saisissions, autant que possible, la raison pour laquelle on les a consignées par écrit et livrées à la mémoire. Quant à celles qui ne paraissent coupables qu'aux insensés ou aux malveillants, et où l'on ne voit point éclater quelque exemple de vertu, nous examinerons aussi pourquoi elles sont rapportées dans les saintes lettres que nous croyons pieusement destinées à régler la vie présente, et à procurer le bonheur dans la vie future. Or, pour ce qui concerne les actions des saints qui forment des exemples de justice, le plus ignorant convient qu'elles ont dû être écrites. Il ne peut donc être question que de celles qui semblent ou écrites sans raison, si elles ne paraissent ni bonnes ni mauvaises ; ou écrites avec danger, si elles sont évidemment coupables, parce qu'elles peuvent trouver des imitateurs, soit que les Ecritures elles-mêmes ne les blâment point, ce qui peut faire supposer qu'elles ne sont pas mauvaises, soit qu'elles les blâment, parce que, nonobstant, on les commet dans l'espoir qu'elles seront facilement pardonnées, vu que les saints en ont donné l'exemple.

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CHAPITRE XXVII. DÉFINITION DU PÉCHÉ. LA CONTEMPLATION ET L'ACTION. LA VIE DE FOI ET LA CLAIRE VUE.

Le péché est donc une action, ou une parole, ou un désir, opposés à la loi éternelle. Or, la loi éternelle est la raison divine ou la volonté de Dieu, ordonnant de maintenir l'ordre naturel et défendant de le troubler. Nous avons donc à chercher quel est l'ordre naturel dans l'homme. L'homme, en effet, est composé d'une âme et d'un corps ; et l'animal aussi. Mais personne ne conteste que, d'après l'ordre naturel, l'âme doit être préférée au corps. Or, l'âme de l'homme a la raison qui manque à celle de l'animal. Par conséquent, comme l'âme doit être préférée au corps, ainsi, d'après la loi de la nature, la raison de l'âme doit être préférée à toutes les autres parties qui lui sont communes avec les animaux ; et, dans la raison elle-même, qui est en partie contemplative, en partie active, c'est évidemment la contemplation qui l'emporte. Car elle est une image de Dieu, puisque par elle, au moyen de la foi, nous sommes réformés selon le modèle. Ainsi, l'action raisonnable doit obéir à la contemplation raisonnable, soit que celle-ci commande par la foi, comme cela a lieu tant que nous voyageons loin du Seigneur (1); soit qu'elle commande par la claire vue, ce qui arrivera quand nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (2). Alors, devenus par sa grâce, même dans notre corps spirituel, égaux à ses anges (3), nous aurons reçu la robe primitive d'immortalité et d'incorruptibilité, dont ce corps mortel et corruptible sera revêtu, afin que la mort soit absorbée dans sa victoire (4), la justice ayant été complétée par la grâce. Car les anges si saints, si élevés, ont aussi leur contemplation et leur action ; ils s'imposent à eux-mêmes le devoir d'exécuter les ordres de Celui qu'ils contemplent, du Maître éternel qu'ils servent avec ardeur, parce que son service est doux. Mais nous, dont le corps est mort par le péché, jusqu'à ce que Dieu vivifie même nos corps mortels par son esprit qui habite en nous (5), nous vivons pour la justice, dans la mesure de notre faiblesse, selon la loi éternelle, fondement de l'ordre, si nous vivons de la foi non feinte qui agit par la charité (6) ; ayant, dans une conscience bonne, la ferme espérance de jouir dans le ciel de l'immortalité et de l'incorruptibilité, et de voir notre justice perfectionnée jusqu'à l'ineffable et délicieuse plénitude dont nous devons avoir faim et soif tant que nous marchons par la foi, et non par une claire vue (7).

1. II Cor. V, 6. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. I Cor. XV, 53, 54. — 5. Rom. VIII, 10,11. — 6. Gal. V, 6. — 7. II Cor. V, 7.

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CHAPITRE XXVIII. CE QUI EST ILLICITE. L'HOMME. L'ANGE. DEVOIR DE L'HOMME.

C'est pourquoi l'action de l'homme, obéissant à la foi, qui elle-même est soumise à Dieu, modère toutes les jouissances mortelles et les contient dans la mesure naturelle, préférant, par un amour réglé, ce qui est meilleur à ce qui est moins bon. Si, en effet, rien de ce qui est illicite n'avait d'attrait, personne ne pécherait. Celui donc qui se livre à une affection illicite, au lieu de la réprimer, pèche. Or, l'illicite c'est ce que défend la loi qui maintient l'ordre naturel. Mais y a-t-il une créature raisonnable qui n'éprouve aucun attrait illicite ? C'est une grave question. S'il y en a, ce n'est assurément pas l'homme, ni l'ange qui n'a point persévéré dans la vérité; mais ces créatures raisonnables ont été constituées de manière à avoir la faculté de résister à l'attrait illicite, et elles ont péché pour ne pas l'avoir fait. La nature humaine est donc grande, puisqu'elle est restaurée par la faculté même qui l'eût préservée de la chute, si elle l'avait voulu. Le Seigneur qui l'a créée est donc bien grand et digne de toute louange (1). Il a fait des natures inférieures qui ne peuvent pas pécher; il en a fait de supérieures qui ne veulent pas pécher. En effet, l'animal ne pèche pas, parce qu'il ne fait rien contre la loi éternelle, à laquelle il est soumis sans pouvoir y prendre part. D'un autre côté, la sublime nature angélique ne pèche pas, parce qu'elle prend une telle part à la loi éternelle, qu'elle n'a d'attrait que pour Dieu, à la volonté duquel elle obéit sans l'épreuve de la tentation. Mais que l'homme, dont, à cause du péché, toute la vie est une épreuve sur la terre (2), que l'homme prenne l'empire sur ce qu'il a de commun avec les animaux, qu'il soumette à Dieu ce qu'il a de commun avec les anges, jusqu'à ce que, perfectionné dans la justice et en possession de l'immortalité, il soit élevé au-dessus des uns et égalé aux autres.

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CHAPITRE XXIX. L'HOMME DOIT MODÉRER SES JOUISSANCES. PUNITION DE L'ABUS.

Or, les jouissances mortelles doivent être excitées ou permises autant qu'il le faut pour

1. Ps. XLVII, 2. — 2. Job, VII, 1.

réparer ou maintenir la vie présente, soit dans chaque homme, soit dans le genre humain; si elles dépassent ce but, si elles arrachent l'homme à lui-même et l'entraînent à violer les lois de la modération, elles deviennent des passions illicites, honteuses, et méritent d'être corrigées par les douleurs. Que si elles jettent un tel trouble dans celui qui devait les dominer, et le précipitent dans un tel abîme d'habitudes perverses qu'il vienne à se persuader qu'elles resteront impunies, et qu'il néglige ainsi le remède de la confession et de la pénitence qui pourrait le corriger et le sauver du naufrage; ou si, dans un état de mort spirituelle plus terrible encore, il cherche à les justifier en blasphémant contre la loi éternelle de la Providence et qu'il meure en cette disposition : ce n'est plus une correction, mais la damnation que cette loi souverainement juste lui inflige.

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CHAPITRE XXX. ABRAHAM ET MANÈS JUGÉS D'APRÈS LA LOI ÉTERNELLE.

Consultons donc la loi éternelle qui ordonne de maintenir l'ordre naturel et défend de le troubler, et voyons quel péché, c'est-à-dire quelle infraction à cette loi a commise notre père Abraham dans ce que Fauste lui reproche comme de si grands crimes. " Brûlant ", nous dit Fauste, " d'un désir insensé d'avoir des enfants, et ne se fiant point à Dieu qui lui en avait promis de Sara, son épouse, il se vautra dans la fange avec une concubine ". Mais Fauste, aveuglé par le désir insensé de trouver à redire, trahit ici sa monstrueuse hérésie, et, en même temps, tout en se trompant et sans s'en douter, fait l'éloge de l'action d'Abraham. En effet, de même que la loi éternelle, c'est-à-dire la volonté de Dieu, auteur de toute créature, afin de pourvoir au maintien de l'ordre naturel, permet qu'on cède à la délectation de la chair mortelle dans l'acte conjugal, sous l'empire de la raison et non pour la satisfaction de la passion, mais dans l'intérêt général, et seulement pour la propagation de l'espèce humaine; ainsi, au contraire, la loi perverse des Manichéens ordonne avant tout d'éviter d'avoir des enfants, de peur que leur dieu, qu'ils gémissent de savoir captif dans toutes les semences, ne soit encore plus étroitement (329) enchaîné par la conception de la femme, et ils aiment mieux le voir dégagé par un crime odieux que serré par un lien cruel. Abraham ne brûlait donc pas d'un désir insensé d'avoir des enfants, mais Manès portait jusqu'au délire la crainte d'être père. Par conséquent l'un, fidèle à l'ordre de la nature, ne cherchait dans l'acte conjugal qu'à donner naissance à un homme ; l'autre, égaré par de criminelles rêveries, ne craignait que d'enchaîner son dieu.

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CHAPITRE XXXI. JUSTIFICATION DE SARA, ÉPOUSE D'ABRAHAM.

Et quand Fauste reproche à Sara d'avoir consenti à l'action d'Abraham, il est encore égaré par sa malveillance et son désir de blâmer; mais, sans le savoir et sans le vouloir, il fait l'éloge des deux époux. En effet, Sara n'a point été complice d'un crime, de l'assouvissement d'une passion coupable et honteuse ; mais, fidèle aussi à l'ordre naturel, elle désirait des enfants, et se voyant stérile, elle s'est approprié, en vertu de son droit de maîtresse, la fécondité de sa servante ; en cela, elle ne cédait point à la passion de son mari, mais elle lui donnait un ordre qu'il exécutait (1). Et ce n'était point là un orgueil déplacé : car, qui ne sait qu'une femme doit obéir à son époux comme à un maître? Mais quant à ce qui tient aux membres du corps au point de vue de la distinction du sexe, l'Apôtre nous dit : " De même le mari n'a pas puissance sur a son corps, c'est la femme (2) " ; en sorte que, tandis que, dans tout ce qui tend au maintien de la paix, la femme doit obéissance à son mari, cependant, en ce point seulement, en tout ce qui concerne la différence du sexe et l'acte conjugal, ils ont l'un sur l'autre la même puissance, le mari sur la femme et la femme sur le mari. Sara voulut donc avoir, d'une servante, des enfants qu'elle ne pouvait avoir d'elle-même, mais du même mari dont elle les aurait eus, si elle avait pu en avoir. Une femme ne se conduirait pas ainsi, si elle n'éprouvait pour son mari qu'une convoitise charnelle ; elle jalouserait une concubine plutôt qu'elle ne la rendrait mère. Mais ici, il n'y a eu, d'un côté, qu'un pieux désir d'avoir des enfants, parce que, de l'autre, il n'y avait aucune volonté coupable.

1. Gen. XVI, 2, 4. — 2. I Cor. VII, 4.

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CHAPITRE XXXII. ÉTOURDERIE OU IMPUDENCE DE FAUSTE.

On ne pourrait certainement justifier Abraham, si, comme Fauste le prétend, il avait voulu avoir des enfants d'Agar, parce qu'il ne se fiait pas à Dieu qui lui en avait promis de Sara. Mais cela est de toute fausseté : Dieu ne lui avait pas encore fait cette promesse. On peut, si on le veut, relire ce qui précède dans l'Ecriture : on y trouvera que la terre de Chanaan et une postérité innombrable avaient déjà été promises à la race d'Abraham (1) ; mais qu'on n'avait point encore révélé au patriarche comment cette postérité lui viendrait : si ce serait par la chair, c'est-à-dire s'il en serait lui-même le vrai père; ou si ce serait par le choix, c'est-à-dire s'il adopterait quelqu'un ; et, dans le premier cas, si ce serait de Sara ou d'une autre femme. Qu'on lise, je le répète, et on se convaincra que Fauste se trompe étourdiment ou trompe impudemment. Aussi Abraham, voyant qu'il ne lui venait point d'enfants, et comptant cependant sur la promesse faite à sa race, songeait d'abord à une adoption. Ce qui le prouve, c'est qu'en parlant à Dieu, il dit d'un serviteur né chez lui : " Celui-ci sera mon héritier " ; comme pour dire : puisque vous ne m'avez pas donné d'enfants, accomplissez dans ce serviteur la promesse que vous avez faite à ma postérité. Si, en effet, on n'appelait postérité que ce qui est né selon la chair, l'Apôtre ne dirait pas que nous sommes la postérité d'Abraham (2), nous qui certainement ne sommes pas enfants d'Abraham selon la chair, mais qui sommes devenus sa postérité en imitant sa foi, en croyant au Christ, dont la chair provenait de la chair du patriarche. Ce fut alors qu'Abraham entendit le Seigneur lui dire : " Celui-là ne sera point ton héritier; mais celui qui a sortira de toi sera ton héritier (3) ". L'idée d'adoption disparut donc; Abraham espérait avoir lui-même des enfants ; mais serait-ce de Sara ou d'une autre, là était la question : et Dieu voulut la lui tenir cachée, jusqu'à ce que la servante fût devenue la figure de l'Ancien Testament. Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce qu'Abraham, voyant sa femme stérile et désireuse d'avoir, de sa servante et de son mari, des enfants qu'elle ne pouvait avoir elle-même, ait cédé, non à la passion charnelle,

1. Gen. XII, 3. — 2. Gal. III, 2, 7. — 3. Gen. XV, 3, 4.

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mais à l'ordre de son épouse: persuadé que Sara agissait en cela par permission de Dieu qui lui avait promis qu'il aurait lui-même un héritier, mais sans lui dire de quelle femme ? C'est donc bien à tort que Fauste, comme un insensé, s'est laissé aller à formuler ce reproche, se montrant lui-même infidèle pour prouver qu'Abraham a été infidèle. Car si ailleurs, aveuglé par son incrédulité, il n'a pas même pu comprendre; ici, entraîné par le besoin de calomnier, il n'a pas même pris la peine de lire.

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CHAPITRE XXXIII. ABRAHAM N'A POINT TRAFIQUÉ DE SA FEMME.

Mais quand Fauste accuse ce juste et fidèle époux d'avoir fait de sa femme le plus infâme trafic; d'avoir, par avarice et par gourmandise, livré à deux rois, Abimélech et Pharaon, en deux occasions différentes, son épouse Sara pour qu'ils en abusassent, parce qu'elle était très-belle, et en affirmant faussement que c'était sa soeur : il est évident que ce n'est point là le dire d'une bouche véridique qui distingue l'honnêteté de l'infamie, mais l'assertion d'une bouche médisante qui tourne tout en crime. Sans doute, cette démarche d'Abraham a les apparences d'un marché honteux, mais seulement aux yeux de ceux qui ne savent pas discerner le bien du mal à la lumière de la loi éternelle; de ceux qui peuvent prendre la fermeté pour l'obstination, la confiance qui est une vertu pour l'audace qui est un vice, et ainsi de suite, dans tout ce qui est reproché comme contraire à la justice par ceux qui ne voient pas selon la justice. Abraham n'a point été complice d'un crime de sa femme, il n'a point spéculé sur un adultère ; mais de même que Sara n'avait point offert sa servante à son mari comme un instrument de libertinage, mais dans le but honnête d'avoir des enfants, sans violer l'ordre naturel, en usant de son droit, et donnant plutôt un ordre au patriarche obéissant, qu'elle ne cédait à ses convoitises; ainsi, lui-même a donné le nom de soeur à une chaste épouse, unie à lui par l'affection la plus pure, dont le coeur, sanctuaire de la pudeur, ne lui inspirait pas la moindre défiance: il n'a point dit qu'elle était sa femme, parce qu'il craignait d'être tué, et qu'après sa mort elle ne tombât comme captive en des mains étrangères et impies ; étant assuré, d'ailleurs, que Dieu ne permettrait pas qu'elle subît aucun traitement déshonorant et criminel. Et sa foi et son espérance ne furent pas trompées: car Pharaon, terrifié par des prodiges et affligé de grands maux à cause d'elle, la renvoya intacte et avec tous les égards possibles, dès que Dieu lui eût révélé qu'elle était mariée ; et Abimélech, averti en songe, en fit tout autant (1).

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CHAPITRE XXXIV. ABRAHAM A TU LA VÉRITÉ ET N'A POINT MENTI.

Quelques-uns, sans être calomniateurs ni médisants comme Fauste, ayant au contraire le respect dû aux livres que cet hérétique blâme sans les comprendre, ou ne comprend pas quand il les blâme, quelques-uns, dis-je, en considérant cette action d'Abraham, ont cru voir qu'il avait un peu faibli et comme chancelé dans sa foi, et renié sa femme par crainte de la mort, comme Pierre renia le Seigneur (2). S'il fallait l'entendre ainsi, je conviendrais de la faute d'Abraham ; néanmoins je ne croirais pas tous ses mérites détruits et effacés pour cela, pas plus que ceux de l'Apôtre, quoiqu'il y ait de la différence entre renier sa femme et renier le Sauveur. Mais j'ai une autre interprétation que celle-là: il n'y a pas de raison qui m'oblige à blâmer témérairement un homme que personne ne peut convaincre d'avoir menti par peur. En effet, comme on ne lui avait pas demandé si c'était sa femme, il n'a pas eu à répondre que ce ne l'était pas ; mais comme on lui demandait ce que lui était cette femme, il a répondu que c'était sa soeur, sans nier cependant qu'elle fût son épouse; il a tu une partie de la vérité, mais il n'a point dit de mensonge.

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CHAPITRE XXXV. USAGE DU NOM DE FRÈRE ET DE SOEUR DANS L'ANTIQUITÉ.

Serons-nous assez fou pour suivre Fauste affirmant qu'Abraham nomma faussement Sara sa soeur : comme si, dans le silence de l'Ecriture, il tenait de quelque autre source la généalogie de Sara ? Il me semble juste, sur ce point qu'Abraham connaissait et que nous ne connaissons pas, de s'en rapporter plutôt au patriarche disant ce qu'il sait qu'à un manichéen blâmant ce qu'il ne sait pas.

1. Gen. XII, XX. — 2. Matt. XXVI, 70, 74.

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Comme donc Abraham vivait à une époque du genre humain où le mariage n'était plus permis entre enfants nés des mêmes parents, ni entre frères et soeurs de père ou de mère, mais où la coutume autorisait, sans qu'aucun pouvoir s'y opposât, l'union conjugale entre enfants de frères ou consanguins d'un degré plus éloigné : qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'il ait épousé sa sueur, c'est-à-dire une consanguine de la famille de son père ? En effet, il dit au roi qui la lui rendait, qu'elle était sa soeur de père, non de mère; et certes la peur ne l'obligeait plus alors à mentir, puisque le roi avait appris qu'elle était sa femme, et qu'épouvanté par Dieu même, il la renvoyait avec honneur. Or, l'Ecriture atteste que, chez les anciens, on donnait généralement le nom de frères et de soeurs aux consanguins et consanguines. En effet, Tobie priant Dieu avant l'action du mariage, disait : " Et maintenant, Seigneur, vous savez que ce n'est point par un mauvais désir que je prends ma soeur pour épouse (1) "; bien qu'elle ne fût point née du même père ni de la même mère que lui, mais simplement issue de la même famille (2). On appelle également Loth frère d'Abraham (3), quoique Abraham fût son oncle paternel (4). C'est en vertu de cette coutume, qu'on donne dans l'Evangile le nom de frères du Seigneur à des personnes qui n'étaient certainement pas nées de la vierge Marie, mais qui étaient ses proches par consanguinité (5).

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CHAPITRE XXXVI. ABRAHAM NE VOULUT POINT TENTER DIEU.

Quelqu'un dira peut-être : Pourquoi Abraham n'a-t-il pas eu assez de confiance en Dieu pour ne pas craindre d'avouer que Sara était son épouse? Car enfin, Dieu pouvait écarter la mort qu'il redoutait, le protéger, lui et sa femme, contre tous les dangers du voyage, en sorte que personne ne la convoitât malgré sa grande beauté, et que lui-même ne fuît point tué à cause d'elle. Sans doute, Dieu pouvait faire cela, et qui est assez insensé pour le nier? Mais si Abraham interrogé, eût répondu que cette femme était son épouse, il aurait confié à Dieu deux intérêts à sauvegarder : sa propre vie et la pudeur de son épouse. Or, la saine doctrine enseigne que quand l'homme

1. Job, VIII, 9. — 2. Id. VI, 11, VII, 2. — 3. Gen. XIII, 8. — 4. Id. XI, 31. — 5. Matt. XII, 46.

peut agir, il ne doit pas tenter le Seigneur son Dieu (1). Le Sauveur, lui aussi, pouvait défendre ses disciples, et cependant il leur dit : " Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre (2)". Et lui-même en a donné le premier l'exemple. Car, ayant le pouvoir de donner sa vie et personne ne pouvant la lui ravir malgré lui (3), il fuit cependant en Egypte, enfant porté sur les bras de ses parents (4); il alla à la fête, non publiquement, mais en cachette, bien que d'autres fois il parlât ouvertement aux Juifs furieux et extrêmement irrités de ses paroles, mais qui n'avaient pas le pouvoir de mettre la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue l’heure, qu'il n'était point obligé de subir pour sa mort, mais qu'il avait lui-même trouvée convenable pour consommer son sacrifice. Ainsi, tandis que, d'une part, il montrait la puissance d'un Dieu en enseignant, en reprenant et en réduisant toutefois à l'impuissance contre lui la rage de ses ennemis; de l'autre, en fuyant et en se cachant, il donnait une leçon à la faiblesse de l'homme, et lui apprenait à ne point tenter Dieu insolemment, quand il a un moyen d'échapper à ce qu'il doit éviter. Et Paul l'apôtre, ne désespérait point non plus du secours et de la protection de Dieu, et n'avait point perdu la foi, quand on le descendit par la muraille dans une corbeille, de peur qu'il ne tombât aux mains de ses ennemis. Il ne fuyait donc point ainsi faute de foi en Dieu; mais pouvant user de ce moyen, il ne voulait pas tenter Dieu. De même Abraham, se trouvant dans un pays inconnu, et voyant que la rare beauté de Sara mettait en péril la pudeur de la femme et la vie du mari, et qu'il ne pouvait d'ailleurs parer aux deux dangers, mais seulement à un, c'est-à-dire sauver sa vie, fit ce qu'il put, afin de ne pas tenter Dieu, et abandonna à Dieu le soin de faire ce que lui-même ne pouvait faite. Ne pouvant donc se cacher comme homme, il se cacha comme époux, pour ne pas être tué; et il confia à Dieu sa femme pour qu'elle ne fût pas déshonorée.

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CHAPITRE XXXVII. DOUTE A L'OCCASION DE SARA.

Du reste, on pourrait à la rigueur discuter

1. Deut. VI, 16. — 2.Matt. XIX, 23. — 3. Jean, X, 18. — 4. Matt. II, 14. — 5. Jean, VII, 10, 30. — 6. Act. IX, 25.

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sur le point de savoir si la pudeur de Sara eût été violée dans le cas où l'on aurait eu avec elle un commerce charnel, elle le permettant pour sauver la vie de son mari, non à l'insu de celui-ci, mais par son ordre, tout en conservant la fidélité conjugale, et la soumission à l'autorité de son époux; vu que, d'un autre côté, Abraham ne fut point adultère lorsque, obéissant au pouvoir de sa femme, il consentit à avoir des enfants d'une servante (1). Mais pour sauver les principes, et parce que la situation d'une femme ayant un commerce charnel avec deux hommes n'est point la même que celle d'un homme ayant commerce avec deux femmes, nous nous en tenons à ce sentiment plus vrai et plus conforme à l'honnêteté, que notre père Abraham ne voulut point tenter Dieu en ce qui concernait sa vie, puisqu'il pouvait la sauver par des moyens humains, et que, d'autre part, il se confia à Dieu pour ce qui touchait à l'honneur de sa femme.

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CHAPITRE XXXVIII. CÔTÉ PROPHÉTIQUE DU FAIT DE SARA.

Mais, qui n'aimerait à étudier dans ce fait, exposé et fidèlement raconté dans les livres divins, le côté prophétique; à frapper, avec la foi et le zèle de la piété, à la porte des mystères, afin que le Seigneur lui ouvre et lui fasse voir de qui cet époux était alors la figure, et à qui a rapport cette épouse qui ne doit être ni polluée ni souillée dans ce pèlerinage parmi des étrangers, mais rester sans tache et sans ride pour son époux? Evidemment, c'est pour la gloire du Christ que l’Eglise vit selon la justice, afin que sa beauté soit l'honneur de son époux, comme Abraham fut honoré parmi les étrangers à cause de la beauté de sa femme ; et à cette épouse, à laquelle on dit dans le cantique des cantiques : " O la plus belle des femmes (2) ! " les rois offrent des présents à cause de sa beauté, comme le roi Abimélech en offrit à Sara, épris aussi de sa beauté qu'il put aimer, mais à laquelle il ne put porter atteinte. En effet, l'Eglise est aussi en secret l'épouse du Seigneur Jésus-Christ. C'est dans le secret, dans la profondeur du mystère spirituel, que Pâme humaine est unie au Verbe de Dieu, afin qu'ils soient deux en une seule chair; et c'est

1. Voir le 1er livre sur le Sermon du Seigneur sur la Montagne, ch. XVI, II. 49, 50. — 2. Cant. I, 7.

là le grand sacrement de mariage que l'Apôtre recommande dans le Christ et dans l’Eglise (1). Aussi, la royauté terrestre de ce siècle, figurée par les rois qui n'eurent point permission de toucher à Sara, n'a connu, n'a trouvé l'Eglise du Christ, c'est-à-dire n'a compris avec quelle fidélité elle était attachée à son époux comme à son principe, que quand elle a essayé de lui porter atteinte; alors elle a dû, par la foi des martyrs, se rendre au témoignage divin, l'embrasser, et honorer ensuite par des présents, dans la personne des rois suivants, celle qu'elle n'avait pu soumettre à sa tyrannie dans la personne de ses premiers rois. Car, ce qui a été figuré par la conduite qu'a tenue le même roi en premier et en second lieu, s'est accompli dans le royaume temporel par les rois de la première et de la seconde époque.

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CHAPITRE XXXIX. GÉNÉRATION SPIRITUELLE DE L'ÉGLISE.

Mais, quand on dit que l'Eglise est soeur du Christ de père et non de mère, on n'entend point parler de la parenté qui provient de la génération terrestre destinée à disparaître, mais de celle de la grâce céleste, qui subsistera éternellement. Par cette grâce, nous ne serons plus une race mortelle, puisque nous pourrons être appelés, et être réellement enfants de Dieu (2). Car ce n'est pas de la synagogue, mère du Christ selon la chair, mais de Dieu le père, que nous avons reçu cette grâce. Quant à la génération terrestre, qui s'opère dans le temps pour la mort, le Christ en nous appelant à une autre vie où personne ne meurt plus, nous a appris à la renier, à la désavouer, quand il a dit à ses disciples : " N'appelez sur la terre personne votre père; car un seul est votre Père, lequel est dans les cieux (3) ". Et lui-même en a donné l'exemple, quand il a dit : " Qui est ma mère et qui sont mes frères? Et étendant la main vers ses disciples, il dit : Voici mes frères ". Et de peur qu'on n'attachât à ces paroles un sens terrestre, il ajouta : " Car quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère; et ma mère et ma soeur (4) "; comme s'il eût dit : Cette parenté me vient de Dieu mon Père, mais non de la synagogue ma mère.

1. Eph. V, 31, 32. — 2. I Jean, III, l. — 3. Matt. XXIII, 9. — 4. Id. XII, 48, 50.

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Car j'appelle maintenant à la vie éternelle, où je suis né immortel, et non à la vie temporelle, où je suis né mortel pour appeler à l'immortalité.

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CHAPITRE XL. LA PARENTÉ SPIRITUELLE DES CHRÉTIENS.

Il est donc facile de comprendre pourquoi on ne dit point aux étrangers de qui l'Eglise est l'épouse, tandis qu'on ne leur cache point de qui elle est la soeur, parce que c'est une chose mystérieuse et difficile à comprendre comment l'âme humaine est unie ou mêlée (ou quelque chose de mieux peut-être encore) au Verbe divin, bien qu'il soit Dieu et elle créature. Car c'est en ce sens que le Christ et l’Eglise sont fiancé et fiancée, époux et épouse. Mais il est plus facile de dire et plus aisé à comprendre, par quel genre de parenté le Christ et tous les saints sont frères, à savoir, par la grâce divine, et non par consanguinité terrestre, c'est-à-dire frères de père et non de mère. En effet, par cette même grâce tous les saints sont frères entre eux; mais aucun d'eux n'est l'époux de toute la communauté. Par conséquent, les étrangers n'ont pas eu la moindre peine, la plus faible répugnance à croire au Christ comme homme, bien qu'il fût d'une justice et d'une sagesse éminente; et en cela, ils ne se trompaient point, puisqu'il était homme; mais ils n'ont pas su comment il était Dieu. Aussi Jérémie disait-il : " Il est homme aussi, et qui le reconnaîtra (1) ? — Il est homme aussi ", parce qu'il est manifesté comme frère; " et qui le reconnaîtra? " parce qu'il est caché comme époux. Mais nous en avons assez dit sur notre père Abraham contre la très-impudente, très-inepte et très-calomnieuse accusation de Fauste.

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CHAPITRE XLI. CE QUE FIGURAIENT LOTH ET SA FEMME.

Loth, son frère, homme juste et hospitalier au milieu de Sodome, chaste et pur de toutes les souillures des habitants de cette ville, mérita d'être sauvé de l'incendie qui était la figure du jugement à venir. En cela, il était le type du corps du Christ, qui, dans la personne de tous les saints, gémit maintenant

1. Jer. XVII, 9.

parmi les méchants et les impies, dont il réprouve les actions, et du mélange desquels il sera délivré à la fin des siècles, quand ceux-là seront condamnés au supplice du feu éternel. La femme de Loth représente une autre espèce d'hommes, ceux qui étant appelés par la grâce de Dieu, regardent en arrière, à la différence de Paul qui oubliant ce qui est en arrière, s'avance vers ce qui est en avant (1). Aussi le Seigneur dit-il lui-même : " Quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas propre au royaume de Dieu (2) ". Et il rappelle l'exemple de cette femme, pour nous assaisonner, en quelque sorte, afin que nous ne tombions point dans la fadeur par notre négligence, mais que nous nous tenions prudemment en garde contre ce mal. Car c'est pour notre instruction qu'elle a été changée en statue de sel. En effet, le Seigneur, insistant vivement sur la nécessité de tendre constamment en avant en s'arrachant au passé, dit : " Souvenez-vous de la femme de Loth (3) ". Et quand Loth lui-même eut un commerce charnel avec ses filles, ce n'était pas seulement un signe qu'il était délivré de Sodome, mais la figure de quelque autre chose. En effet, il semble représenter alors la loi future que certains de ses enfants, établis sous son empire, comprennent mal, l'enivrent en quelque sorte; et en usant d'elle d'une manière illégitime, ils enfantent des oeuvres d'infidélité. " La loi est bonne ", dit l'Apôtre, " si on en use légitimement (4). "

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CHAPITRE XLII. L'INCESTE DE LOTH.

Cependant, parce que l'action de Loth et de ses filles figurait d'avance la perversité de certains hommes, nous ne prétendons pas la justifier pour cela. Autre était l'intention de ces filles, autre celle de Dieu qui a permis cet acte en vue de l'avenir : maintenant, d'une part, son juste jugement sur le péché des hommes d'alors, et, de l'autre, veillant dans sa providence, à donner la clef des événements futurs. Ainsi, ce fait, en tant que raconté dans la sainte Ecriture, est une prophétie; en tant qu'il se rattache à la vie de ces personnages, est un crime.

1. Phil. III, 13. — 2. Luc, IX, 62. — 3. Id. XVII, 32. — 4. I Tim. I, 8.

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334

CHAPITRE XLIII. L'INTENTION DE SES FILLES.

Du reste, il n'est pas blâmable et criminel au point de mériter le torrent d'injures que vomit à cette occasion Fauste aveuglé par sa haine. En effet, si on consulte la loi éternelle qui ordonne de maintenir l'ordre naturel et défend de le troubler, elle ne condamnera pas cette action comme si Loth eût brûlé d'une coupable passion pour ses filles, jusqu'à commettre l'inceste avec elles ou à les prendre pour femmes; ou comme si elles-mêmes eussent éprouvé une abominable convoitise à l'égard de leur père. La raison veut, la justice exige qu'on ne se contente pas de voir ce qui s'est fait, mais qu'on recherche le motif qui a fait agir, afin de juger avec équité les effets d'après leurs causes. Or, les filles de Loth désirant perpétuer leur famille (désir certainement honnête et conforme à la nature) et croyant d'ailleurs qu'elles ne pourraient plus trouver d'autres hommes pour époux, comme si l'incendie eût détruit le monde entier (elles n'avaient pu mesurer l'étendue de ses ravages) : dans cette persuasion, dis-je, elles songèrent à user de leur père. Sans doute, elles devaient plutôt renoncer à être mères qu'user ainsi de leur père ; cependant, il y a une grande différence entre agir par un tel motif ou céder à une si coupable convoitise.

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CHAPITRE XLIV. L'IVRESSE DE LOTH.

Mais elles savaient si bien que cette action ferait horreur à leur père, qu'elles désespérèrent de venir à bout de leur dessein, à moins de lui en dérober la connaissance. En effet, l'Ecriture nous dit qu'elles l'enivrèrent et abusèrent ensuite de lui, sans qu'il en eût conscience (1). Il faut donc blâmer dans Loth, non l'inceste, mais l'excès du vin. Car cet excès est aussi condamné par la loi éternelle, qui a réglé l'usage de la nourriture et clé la boisson, selon l'ordre naturel et seulement pour l'entretien de la vie. Ainsi donc, bien qu'il y ait une grande différence entre un ivrogne et un homme ivre : puisqu'un ivrogne n'est pas toujours ivre, et qu'un homme ivre n'est pas nécessairement ivrogne; néanmoins, chez ce juste, il faut se rendre raison, non de l'ivrognerie,

1. Gen. XIX.

mais de l'ivresse. Qu'est-ce qui l'obligeait enfin à céder ou à croire à ses filles lui versant à boire, à coups répétés, du vin mêlé d'eau ou pur peut-être ? Serait-ce qu'elles affectaient une tristesse excessive et qu'il voulait les consoler et chasser de leur esprit, par l'effet de l'ivresse, la pensée de leur abandon, le regret d'avoir perdu leur mère : s'imaginant qu'elles buvaient autant que lui, tandis qu'elles usaient de ruse pour ne pas boire? Mais nous ne voyous pas comment il siérait à un homme de consoler de cette façon la tristesse des personnes qui lui sont chères. Serait-ce que, par quelque art emprunté à Sodome, ces filles auraient su enivrer leur père sans le faire beaucoup boire, de manière à commettre le péché avec lui, ou plutôt sur lui, à son insu ? Mais je m'étonnerais que l'Ecriture eût tu cette circonstance, ou que Dieu eût permis un tel outrage sur son serviteur sans qu'il y eût pris part en quelque façon.

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CHAPITRE XLV. L'ÉCRITURE RACONTE SOUVENT SANS APPROUVER.

Cependant, nous ne défendons que les saintes Ecritures, et non les péchés des hommes. Mais nous n'entendons pas justifier le fait en question, en ce sens que notre Dieu l'ait ordonné, ou approuvé après qu'il fut commis ni en ce sens que les hommes appelés justes par les saints livres, ne puissent pas pécher s'ils le veulent. Or, Dieu n'ayant rendu aucun témoignage favorable à l'action de Loth dans les livres que les Manichéens rejettent, par quelle folle témérité viennent-ils accuser ces livres, quand il est démontré qu'en beaucoup d'autres de leurs pages de telles actions sont défendues par les commandements de Dieu? Voilà pourquoi la conduite des filles de Loth est simplement racontée, mais non approuvée. Or, parfois, dans le récit, il a fallu exprimer le jugement de Dieu, parfois le taire : là, pour instruire notre ignorance; ici, pour exercer notre habileté et réveiller le souvenir de ce que nous avons appris ailleurs, ou pour secouer notre paresse et nous faire chercher ce que nous ne savons pas encore. Le Dieu, qui sait tirer du bien, même des péchés des hommes, a fait naître, selon son bon plaisir, deux peuples de cet inceste, mais n'a point condamné ses Ecritures à cause des péchés des hommes. Il a manifesté ces faits, mais il (335) n'en est point l'auteur; il nous les a mis sous les yeux, non pour que nous les imitions, mais pour que nous les évitions.

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CHAPITRE XLVI. COMMENT ISAAC EST RECONNU POUR ÉPOUX DE RÉBECCA. SIGNIFICATION MYSTIQUE.

Il faut vraiment une étonnante impudence chez Fauste, pour faire un crime à Isaac, fils d'Abraham, d'avoir fait passer sa femme, Rébecca, pour sa soeur (1). L'origine de Rébecca nous est donnée; il est clair qu'elle était la parente très-rapprochée d'Isaac, par conséquent sa soeur (2). Voulant laisser ignorer qu'elle était sa femme, qu'y a-t-il d'étonnant, qu'y a-t-il d'inconvenant, à ce qu'il imite son père, quand il a pour se justifier les mêmes raisons que lui ? Ainsi toutes les réponses que nous avons faites aux accusations de Fauste sur ce sujet, à l'égard d'Abraham (3), ont la même valeur pour son fils Isaac. Il est facile de les relire. Mais peut-être quelqu'un pénétrant plus avant, voudra-t-il savoir quelle mystérieuse signification il faut attacher à cette circonstance que le roi étranger ne s'aperçut que Rébecca était l'épouse d'Isaac que quand il le vit jouer avec elle. Or, il fallait, pour cela, qu'il jouât avec elle d'une façon qui serait déplacée de la part de tout autre qu'un époux. Quand des saints se permettent des jeux de ce genre, ils ne le font pas sans but, mais par prudence : ils condescendent, pour ainsi dire, à la faiblesse du sexe féminin, en se livrant à de joyeuses caresses en paroles ou en actions, tempérant ainsi, sans l'énerver, la fermeté propre à l'homme paroles ou actions qui seraient coupables, adressées à toute autre femme qu'une épouse. Cela tient à la nature même de l'humanité, et je le dis pour que personne ne fasse un crime à ce saint patriarche d'avoir joué avec sa femme. Si ces durs censeurs voient un homme grave dire des mignardises à de petits enfants, et donner ainsi une nourriture agréable et digeste à leur intelligence naissante, ils le traitent de radoteur, oubliant eux-mêmes les moyens qui les ont fait grandir, ou regrettant d'avoir grandi. Or, ce que signifie, au point de vue du sacrement du Christ et de l'Eglise, cette circonstance qu'un si grand patriarche ait joué avec son épouse, celui-là le voit qui, craignant de pécher contre l'Eglise

1. Gen. XXVI, 7. — 2. Id. XXIV. — 3. Ci-dessus, ch. XXXIII - XXXVI.

par erreur, cherche attentivement le secret de son époux dans les saintes Ecritures, et trouve qu'il a quelque peu caché, sous la forme d'un esclave, sa majesté qui, étant en la forme de Dieu, est égale au Père (1); afin que la faiblesse humaine pût la soutenir et s'y unir convenablement. Qu'y a-t-il donc d'absurde, ou plutôt quelle convenance n'y a-t-il pas au point de vue prophétique, à ce qu'un prophète de Dieu ait joué charnellement avec son épouse pour gagner son affection, quand le Verbe de Dieu s'est fait chair pour habiter parmi nous (2) ?

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CHAPITRE XLVII. JACOB JUSTIFIÉ D'AVOIR EU QUATRE FEMMES.

Quant au crime énorme que l'on fait à son fils Jacob d'avoir eu quatre femmes (3), nous le repoussons par une observation générale. Quand c'était l'usage, ce n'était pas un crime, et maintenant c'est un crime, parce que ce n'est plus l'usage. En effet, il y a des péchés contre nature, il y en a contre la coutume, il y en a contre les commandements. Cela étant, quel est, donc le crime que l'on fait au saint homme Jacob d'avoir eu quatre femmes à la fois ? Si on consulte la nature, ce n'était point par libertinage, mais pour avoir des enfants, qu'il agissait ainsi; si on consulte l'usage, telle était la coutume de ces temps et de ces pays-là; si on consulte le commandement, il n'y avait pas de loi qui le défendît. Et pourquoi est-ce un crime maintenant, sinon parce que c'est contraire à la coutume et aux lois ? Or, quiconque les viole, n'usât-il d'ailleurs de plusieurs femmes que pour avoir des enfants, pèche cependant et offense la société humaine, à laquelle la propagation des enfants est nécessaire. Mais comme, dans l'état actuel des coutumes et des lois, l'usage d'une multitude de femmes ne prouverait que l'étendue du libertinage, on en conclut faussement qu'on n'a jamais pu avoir beaucoup de femmes sans être livré à la convoitise charnelle et aux sales voluptés. Ici, en se comparant, non pas à des hommes dont la vertu dépasse leur intelligence, mais eux-mêmes à eux-mêmes, comme dit l'Apôtre (4), nos adversaires ne comprennent plus. Et comme n'ayant qu'une femme, ils n'en usent pas dans le but d'avoir des enfants, mais souvent ne font que céder lâchement

1. Phil. II, 6, 7. — 2. Jean, I, 14. — 3. Gen. XXIX - XXX. — 4. II Cor. X, 12.

336

à l'aiguillon de la chair, ils se croient dans le vrai en supposant que ceux qui usent de plusieurs femmes sont encore bien plus dominés par la passion, puisqu'ils se voient, avec une seule femme, incapables de garder la continence.

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CHAPITRE XLVIII. PURETÉ D'INTENTION CHEZ LES PATRIARCHES COMME CHEZ LES APÔTRES.

Pour nous, nous ne devons pas confier à ceux qui manquent de cette vertu le soin de juger des moeurs des saints personnages, pas plus que nous ne nous en rapportons aux fiévreux sur la douceur ou la salubrité des aliments ; nous les leur préparons d'après le goût des hommes bien portants et d'après les prescriptions des médecins, plutôt que d'après leurs dispositions maladives. Si donc nos adversaires veulent posséder la vraie et solide pudeur, non celle qui n'est qu'un mensonge et une apparence; qu'ils croient à la divine Écriture comme à un livre de médecine : car ce n'est pas sans raison qu'elle fait un si grand renom de sainteté même à des hommes qui avaient plusieurs femmes, puisqu'il peut se faire qu'une âme domine tellement la chair et se maintienne si bien dans la continence, qu'elle ne laisse jamais aller au-delà des lois qui lui sont imposées le mouvement de délectation naturelle attaché à l'acte de la génération d'après les vues de la Providence. Autrement, nos adversaires, juges médisants et calomniateurs plutôt que véridiques, pourraient aussi accuser les saints apôtres d'avoir prêché l'Évangile à tant de nations plutôt par ambition de gloire humaine que par le charitable désir d'engendrer des enfants à la vie éternelle. En effet, une renommée illustre ne faisait point défaut à ces pères évangéliques ; leur nom était célébré dans toutes les églises et dans toutes les langues; à un tel point que les hommes ne sauraient déférer à des hommes plus d'honneur et plus de gloire. Simon, égaré par un désir pervers, convoita cette gloire dans l'Église; aveugle, il voulut acheter d'eux à prix d'argent ce qu'ils avaient obtenu gratuitement de la grâce divine (1). C'était aussi, à ce qu'il parait, cette gloire qu'ambitionnait ce scribe de l'Évangile qui voulait suivre le Seigneur

1. Act. VIII, 18, 20.

et que le Seigneur écarta en lui disant: " Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête (1) ". Le Christ voyait, là, un homme enveloppé dans les ténèbres de la fraude et de la dissimulation, enflé d'une vanité creuse; il n'y découvrait point la foi disposée à accueillir un Maître humble enseignant l'humilité; parce que ce scribe, en s'offrant pour disciple, cherchait sa propre gloire, et non celle du Christ. C'était encore ce même amour de la gloire qui gâtait certains prédicateurs que l'Apôtre signale, lesquels prêchaient le Christ par envie et par esprit de contention, et non avec des vues pures; toutefois l'Apôtre se réjouit de leur prédication (2), parce qu'il savait que, malgré cette ambition de gloire humaine chez ceux qui parlaient, la foi pouvait naître chez ceux qui écoutaient: non par l'effet de la cupidité jalouse qui portait ces prédicateurs à s'égaler ou même à se préférer aux apôtres, mais par la vertu de l'Évangile qu'ils prêchaient, après tout, quoique avec des vues intéressées : en sorte que Dieu tirât du bien de leurs mauvaises dispositions. C'est ainsi qu'il peut se faire qu'un homme fasse l'acte conjugal, non dans les vues de la Providence, mais par esprit de libertinage, et que néanmoins un enfant naisse, non par l'effet d'un vice honteux, mais en vertu de la bonté de Dieu qui donne la fécondité. De même donc que les saints apôtres jouissaient de voir leurs auditeurs admirer leur doctrine, non par ambition de gloire humaine, mais par zèle charitable pour la propagation de la vérité : ainsi les saints patriarches usaient de leurs femmes, y non par entraînement de volupté, mais dans le but providentiel de se créer une famille; et, par conséquent, ni la multitude des auditeurs ne rendait ceux-là ambitieux, ni la pluralité des femmes ne faisait ceux-ci libertins. Mais à quoi bon tant parler de personnages à qui la voix de Dieu rend le plus magnifique témoignage quand il est de toute évidence que leurs femmes elles-mêmes n'avaient d'autre désir que celui de mettre des enfants au monde ? En effet, dès qu'elles se voyaient stériles, elles donnaient leurs servantes à leurs époux pour rendre celles-là mères par la chair, en devenant elles-mêmes mères parla volonté.

1. Matt. VIII, 20. — 2. Phil. I, 15, 18.

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CHAPITRE XLIX. FAUSTE CALOMNIE JACOB, LIA ET RACHEL.

Quant à cette autre noire calomnie de Fauste prétendant que quatre prostituées se disputaient le lit de leur mari, je ne sais où il a lu cela, sinon peut-être dans son coeur comme en un livre rempli d'odieux mensonges, où il se prostituait lui-même, mais avec ce serpent que l'Apôtre redoutait pour l'Eglise, pour celle qu'il désirait présenter comme une vierge pure, à un époux unique, au Christ, craignant, disait-il, que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi il ne corrompit les esprits en les détournant de la chasteté du Christ (1). Car les Manichéens sont tellement amis de ce serpent qu'ils prétendent qu'il a été plus utile que nuisible. C'est lui, évidemment, qui a semé dans l'âme pervertie de Fauste les germes du mensonge, et l'a déterminé à verser, de sa bouche horriblement immonde, des calomnies mal imaginées, et à les livrer à la mémoire dans un style plein d'audace. Car aucune des servantes de Jacob ne l'a arraché à sa compagne, aucune de ses épouses ne s'est disputée pour partager son lit. Bien plus, l'ordre régnait là, parce que la passion était absente ; et les droits de la puissance conjugale étaient d'autant mieux respectés que la chasteté tenait mieux en garde contre les injustices de la convoitise charnelle. Et si une des femmes de Jacob achète le droit de partager son lit, cela même est une preuve de l'exactitude de ce que nous disons, cela même est le cri de la vérité réclamant contre les calomnies des Manichéens. Pourquoi, en effet, achèterait-elle le droit d'une autre, si ce n'eût pas été le tour de cette autre de jouir de son mari? Jacob ne se serait point abstenu de Lia à jamais, quand même elle n'eût pas acheté le droit de le posséder ; certainement il s'approchait d'elle quand son tour était venu, puisqu'il en eut tant de fils, puisqu'il lui obéit, en rendant mère sa servante, et qu'il l'a rendue mère encore elle-même sans qu'elle en eût acheté le droit. Mais alors c'était le tour de Rachel de passer la nuit avec son mari; elle possédait sur lui ce droit que la voix du Nouveau Testament proclame hautement par la bouche de l'Apôtre, quand il nous dit : " De même le mari n'a pas puissance sur son corps, mais la femme ". C'est pourquoi

1. II Cor. XI, 2, 3.

elle avait fait un pacte avec sa sueur, et devenue sa débitrice, elle lui transmettait son droit sur son mari. Car c'est là le mot que l'Apôtre emploie: " Que le mari rende à la femme ce qu'il lui doit (1) ". Celle donc à qui le mari était débiteur, avait reçu de sa soeur un prix librement consenti, pour céder le droit qui lui appartenait.

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CHAPITRE L. CONTINENCE DE JACOB.

Mais si ce patriarche, que Fauste, les yeux fermés ou plutôt en aveugle, accuse d'impudicité, eût été esclave de la concupiscence et non de la justice, n'eût-il pas brûlé toute la journée des flammes voluptueuses de la nuit où il devait posséder la plus belle de ses femmes, celle qu'il aimait certainement le plus, celle qu'il avait achetée au prix de quatorze ans de travail gratuit ? Quand donc la chute du jour lui procurait cette jouissance, comment l'en eût-on arraché, s'il eût été tel que les Manichéens se le figurent dans leur inintelligence? N'aurait-il pas dédaigné le bon plaisir des autres et préféré sa belle, qui lui devait cette nuit, non-seulement en qualité d'épouse, mais encore en vertu du droit que lui assurait son tour? Il eût plutôt usé de son pouvoir conjugal, puisque " la femme n'a pas puissance sur son corps, mais le mari ", et que d'ailleurs l'ordre établi entre elles l'y autorisait. Il eût donc d'autant plus facilement usé de son droit marital, si le charme de la beauté eût exercé sur lui son empire. Mais les femmes nous auraient paru plus estimables, précisément parce qu'elles ne se seraient disputé que l'honneur d'être mères, tandis que leur époux n'aurait fait que céder aux attraits de la volupté. Ainsi, cet homme d'une continence parfaite, cet homme vraiment homme, puisqu'il use si virilement de ses épouses, jusqu'à maîtriser sa délectation charnelle, au lieu d'en être l'esclave, est plus disposé à payer ce qu'il doit qu'à exiger ce qu'on lui doit; il n'abuse point de son pouvoir au profit de sa passion, mais il aime mieux rendre le devoir conjugal que de l'exiger. Par conséquent, il devait le rendre à celle à qui l'avait transmis l'épouse qui y avait droit. Instruit de la convention qu'elles ont faite librement, quoique écarté tout à coup et sans s'y attendre de la plus belle pour passer à la moins belle,

1. I Cor. VII, 4, 3.

338

il ne se fâcha point, la tristesse ne voila pas son front, il ne recourut point à de molles caresses envers les deux pour ramener à lui Rachel ; mais mari juste et père prévoyant, la voyant désireuse d'avoir des enfants et lui-même n'ayant pas d'autre but dans le mariage, il jugea bon de condescendre à un désir qui était le même chez les deux épouses : sa volonté y trouvant aussi son compte, puisque toutes les deux lui donnaient des enfants. C'est comme s'il eût dit : Arrangez-vous à votre gré, voyez entre vous laquelle deviendra mère ; faites-vous les concessions que vous voudrez; je n'ai pas à m'en mêler, puisque, d'un côté comme de l'autre, je serai père. Or, cette modestie, cet empire sur la concupiscence, ce désir d'avoir des enfants, unique mobile qui le portât à l'acte conjugal, Fauste avait assez de pénétration pour les voir dans l'Ecriture sainte et pour en faire l'éloge, si son génie, perverti par une hérésie détestable, eût cherché autre chose que le plaisir de blâmer et n'eût regardé comme un très-grand crime l'honorable union conjugale, que l'homme et la femme contractent dans le but d'avoir des enfants.

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CHAPITRE LI. CÔTÉ MYSTÉRIEUX A SAISIR.

Maintenant, après avoir justifié les Patriarches et réfuté les objections d'une secte criminelle, cherchons de notre plein gré et selon notre pouvoir, à pénétrer le côté mystérieux ; frappons avec foi et piété pour que le Seigneur nous ouvre et nous révèle ce que figuraient les quatre femmes de Jacob, dont deux libres et deux servantes. Nous voyons, en effet, l’Apôtre reconnaître les deux Testaments dans la femme libre et la femme servante qu'eut Abraham (1) ; mais, là, l'interprétation est facile, puisqu'il n'y en a que deux, tandis qu'ici il y en a deux d'un côté et deux de l'autre. Ensuite, là, le fils de la servante est déshérité, tandis qu'ici les enfants des servantes, comme ceux des femmes libres, partagent la terre de promission. Il y a donc évidemment une autre signification.

1. Gal. IV, 22-24.

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CHAPITRE LII. CE QUE REPRÉSENTENT MYSTIQUEMENT LIA ET RACHEL.

Bien que, dans mon opinion, les deux femmes libres de Jacob figurent le Nouveau Testament par lequel nous avons été appelés à la liberté, ce n'est cependant pas sans raison qu'elles sont deux. A moins peut-être qu'on ne veuille y voir (ce qui peut se remarquer et se trouver dans les Ecritures) les deux vies du corps du Christ: l'une temporelle, que nous passons dans le travail, l'autre éternelle, où nous jouirons de la vue de Dieu. Le Seigneur a marqué l'une par sa passion, et l'autre par sa résurrection. Les noms mêmes de ces femmes nous aident à comprendre. On dit, en effet, que l'un signifie: " Qui travaille ", et Rachel: " Principe vu ", ou Verbe par qui on voit le principe. Ainsi, le mouvement de cette existence humaine et mortelle, dans laquelle nous vivons de foi, appliqués à beaucoup d'oeuvres pénibles, incertains du profit qu'en tireront ceux à qui nous nous intéressons, c'est Lia, la première femme de Jacob; aussi raconte-t-on qu'elle avait les yeux malades. Car les pensées des hommes sont timides et nos prévoyances incertaines (1). Mais l'espoir de l'éternelle contemplation de Dieu renfermant l'intelligence et la jouissance assurée de la vérité, c'est Rachel; aussi dit-on qu'elle avait une figure agréable et une grande beauté. Cette espérance est chère à tout homme sincèrement pieux qui sert, à cause d'elle, la grâce de Dieu par laquelle nos péchés, fussent-ils rouges comme l'écarlate, deviennent blancs comme la neige (2) ; en effet, Laban veut dire blancheur, et c'est Laban que Jacob servit pour avoir Rachel (3). Car personne ne se convertit par la grâce de la rémission des péchés afin de servir la justice, si ce n'est pour vivre en paix dans le Verbe par lequel on voit le principe, qui est Dieu ; par conséquent, c'est pour Rachel, et non pour Lia. Car, qui aime, dans les oeuvres de justice, le travail attaché aux actions et aux souffrances ? qui désire cette vie pour elle-même ? Pas plus que Jacob ne désirait Lia. On la lui donna cependant par fraude, il en usa comme de son épouse et connut par expérience sa fécondité. Comme il ne pouvait l'aimer pour elle-même, le Seigneur la lui rendit d'abord supportable par

1. Sag. IX, 14. — 2. Is. I, 18. — 3. Gen. XXIX, 17, 30.

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l'espoir de parvenir à Rachel; ensuite, il la lui rendit chère à cause de ses enfants. Mais quel but se proposait dans sa conversion tout vrai serviteur de Dieu, établi sous la grâce qui a blanchi ses péchés, que portait-il dans son coeur, qu'aimait-il avec passion, sinon la doctrine de la sagesse ? La plupart espèrent l'obtenir et la recevoir dès qu'ils ont mis en pratique les sept commandements qui concernent le prochain et défendent de lui nuire, c'est-à-dire: " Honore ton père et ta mère; tu ne commettras pas d'adultère; tu ne tueras pas; tu ne voleras pas; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ; tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain (1) ". Après les avoir observés de son mieux, l'homme, au lieu de la très-belle jouissance de la doctrine qu'il désirait et qu'il espérait, doit traverser des tentations diverses, qui sont comme la nuit de ce siècle, et subir un travail continu; c'est Lia inopinément substituée à Rachel. Pourtant s'il est constant dans son amour, il supporte celle-là pour parvenir à celle-ci, et il accepte sept autres commandements (comme si on lui disait: " Sers pendant sept autres années pour avoir Rachel "), de manière à être pauvre d'esprit, doux, à verser des larmes, à avoir faine et soif de la justice, à avoir le coeur pur, à être pacifique (2). L'homme voudrait, en effet, si cela était possible, arriver immédiatement aux délices de la belle et parfaite sagesse, sans le travail de l'action, sans l'épreuve de la souffrance : mais cela n'est pas possible sur la terre des mourants. C'est là, semble-t-il, le sens de ces paroles adressées à Jacob : " Ce n'est pas l'usage dans notre pays de donner en mariage la plus jeune avant l'aînée (3)". On appelle ici, et avec raison, l'aînée celle qui est la première dans l'ordre du temps. Or, dans les règles de la saine instruction donnée à l'homme, la peine de faire ce qui est juste passe avant le plaisir de comprendre ce qui est vrai.

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CHAPITRE LIII. ELLES SONT L'IMAGE DE LA VIE PRÉSENTE ET DE LA VIE FUTURE.

C'est là le sens de ces paroles: " Tu désires la sagesse: observe les commandements, et Dieu te la donnera (4) ", c'est-à-dire les

1. Ex. XX, 12-17. — 2. Matt. V, 3-9. — 3. Gen. XXVII, 27, 26. — 4. Eccli. I, 33.

commandements concernant la justice, mais la justice qui vient de la foi, qui s'exerce à travers les tentations et les incertitudes, qui en croyant humblement à ce qu'elle ne comprend pas, mérite d'en avoir un jour l'intelligence. Il me semble que la signification des paroles que je viens de citer : " Tu désires " la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera ", est précisément la même que celle que renferme ce texte : " Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (1) " : pour nous apprendre que la justice appartient à la foi et l'intelligence à la sagesse. Il ne faut donc point blâmer l'ardeur de ceux qui brûlent du désir de voir la vérité, mais les ramener à l'ordre qui est de commencer par la foi et de s'efforcer, par des moeurs régulières, d'atteindre le but où l'on tend. Dans la condition présente, la vertu est pénible; mais au terme, objet des désirs, la sagesse brille dans sa lumière. A quoi bon, dira-t-on, croire ce qui ne m'est point démontré ? Donne-moi une parole qui me fasse voir le principe de toutes choses. C'est là, en effet, que se porte le premier et le plus vif élan de l'âme raisonnable et vide de la vérité, nous lui répondons ce que tu désires est beau et très-digne de ton amour; mais Lia se marié avant Rachel, que cette ardeur donc se soumette à l'ordre, au lieu de s'y soustraire; car sans l'ordre on ne peut parvenir au terme si vivement désiré. Mais quand on y sera parvenu, on possédera tout à la fois, dans cette vie nouvelle, et l'intelligence du beau et le fruit des travaux de la justice. Quelque pénétrante, quelque pure que puisse être chez les mortels la vue du bien immuable, néanmoins le corps, qui se corrompt, appesantit l'âme, et cette dépouille terrestre abat l'esprit et le trouble de mille soins (2). Il faut tendre à ce but unique, mais supporter bien des choses pour l'atteindre.

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CHAPITRE LIV. IMAGES AUSSI DE LA VIE ACTIVE ET DE LA VIE CONTEMPLATIVE. BALA.

Jacob a donc deux femmes libres; elles sont en effet toutes les deux filles de la rémission des péchés, c'est-à-dire de la blancheur ou de Laban ; néanmoins, l'une est aimée et l'autre supportée. Mais celle qui est supportée est féconde la première et plus féconde que

1. Is. VII, 9. — 2. Sag. IX, 15.

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l'autre, en sorte que, si elle n'est pas aimée pour elle-même, elle l'est du moins pour ses enfants. Ainsi, le travail des justes produit de très-grands fruits dans ceux qu'ils enfantent au royaume de Dieu, en prêchant l'Evangile à travers beaucoup d'épreuves et de tribulations ; et ceux pour lesquels ils endurent plus de travaux, une infinité de coups, divers genres de mort (1) ; pour lesquels ils souffrent au dehors des combats, au dedans des frayeurs (2), ils les appellent leur joie et leur couronne (3). Or, ces enfants leur naissent plus facilement et plus nombreux de la prédication de la foi qui proclame le Christ crucifié (4) et toute la partie de son humanité que l'esprit humain saisit plus promptement et qui ne trouble point les yeux malades de Lia. Rachel, au contraire, belle à voir, est emportée hors d'elle-même vers Dieu (5), et voit au commencement le Verbe-Dieu, qui est en Dieu (6): car qui racontera sa génération (7)? Ainsi donc la vie propre à la contemplation, pour saisir et comprendre ce qui est invisible à la chair, et voir, par les choses qui ont été faites, et non par les yeux malades de l'esprit, la puissance éternelle de Dieu et sa divinité (7), aspire à se dégager de toute occupation, et pour cela reste stérile. En effet, en cherchant le calme du repos, particulièrement propre à enflammer le désir de la contemplation, elle ne s'accommode pas à la faiblesse des hommes qui demandent que l'on subvienne à leurs nombreuses détresses. Mais brûlant, elle aussi, du charitable désir d'enfanter (car elle aime à communiquer ce qu'elle sait et ne veut point, pour compagnon de voyage; de l'homme consumé par l'envie (9) ), elle voit sa soeur produire de nombreux enfants par le travail pénible et la souffrance; et elle gémit de voir les hommes courir à la puissance qui vient en aide à leurs infirmités et à leurs nécessités, plutôt qu'à celle qui peut leur apprendre quelque chose de divin et d'immuable. Cette douleur est figurée par ce qu'on écrit de Rachel : " Et Rachel devint jalouse de sa soeur (10) ". Ainsi comme l'intelligence simple et pure de la substance qui n'est pas corps et qui pour cela échappe aux sens de la chair, ne saurait s'exprimer par des mots sortis de la chair: la doctrine de la sagesse aime mieux employer

1. II Cor. XI, 28. — 2. Id: VII, 5. — 3. Phil. IV, 1. — 4. I Cor. I, 23. — 5. II Cor. V, 13. — 6. Jean, I, 1. — 7. Id. LIII, 8. — 8. Rom. I, 20. — 9. Sag. VI, 25. — 10 Gen. XXX, 1.

des images et des comparaisons matérielles pour donner une idée quelconque des choses divines, que de se soustraire au devoir de les enseigner; comme Rachel aima mieux avoir des enfants de son époux et de sa servante, que de n'en point avoir du tout. Car Bala, dit-on, veut dire vieillie ; et c'était la servante de Rachel. C'est, en effet, de la vieille vie, livrée aux sens charnels, que viennent les images corporelles, qui se mêlent même à ce qu'on entend dire de la substance spirituelle et immuable.

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CHAPITRE LV. CE QUE REPRÉSENTE ZELPHA DANS LE SENS MYSTIQUE.

Lia, enflammée du désir d'avoir un plus grand nombre d'enfants, en a aussi de sa servante. Or, nous trouvons que Zelpha (c'était le nom de cette servante), veut dire Bouche béante. Ainsi quand nous voyons dans les Ecritures des auditeurs ouvrir la bouche, et non le coeur, à la prédication de la foi évangélique, disons que c'est la, servante de Lia. En effet, il est écrit de quelques-uns : " Ce peuple m'honore des lèvres; mais son cœur est loin de moi (1) ". Et c'est à des hommes de ce genre que l'Apôtre dit : " Toi qui prêches qu'il ne faut point dérober, tu dérobes; toi qui dis qu'il ne faut point commettre d'adultère, tu es adultère (2) ". Cependant pour que cette femme libre de Jacob, adonnée aux travaux, ait encore, par l'entremise de sa servante, des enfants héritiers du royaume, voici ce que dit le Seigneur: " Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (3) ". Voilà pourquoi la vie apostolique, dans les travaux et dans les chaînes, nous dit: " Que le Christ soit annoncé par occasion ou par un vrai zèle, je m'en réjouis, et je continuerai à m'en réjouir (4) " : heureuse, pour ainsi dire, de voir sa servante augmenter le nombre de ses enfants.

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CHAPITRE LVI. CE QUE SIGNIFIE LA MANDRAGORE.

Lia eut un enfant par suite de la concession de Rachel, qui, pour avoir des mandragores du fils de sa soeur, permit à celle-ci de partager le lit de son époux, auquel elle-même

1. Is. XXIX, 13. — 2. Rom. II, 21, 22. — 3. Matt. XXIII, 3. — 4. Phil. I, 18.

341

avait droit pour cette nuit. Je sais que quelques-uns croient que ce fruit a la propriété de rendre féconde la femme stérile qui en mange, et ils.pensent que Rachel n'insista si vivement pour en avoir du fils de sa soeur que parce qu'elle désirait ardemment avoir des enfants. Je ne partagerais point cette opinion, quand même Rachel eût conçu en ce moment-là. Mais comme, après que Lia eût mis au monde deux enfants, à partir de cette nuit, Dieu donna un fils à Rachel, il n'y a pas de raison pour que nous attribuions à la mandragore une propriété dont aucune femme n'a jamais fait l'expérience. Je dirai donc ma pensée; de plus savants donneront peut-être une meilleure explication. Je vis un jour de cette espèce de fruit, qui est assez rare, et je me félicitai de cet heureux hasard, précisément à cause de ce passage des livres saints; j'en étudiai attentivement, et de mon mieux, la nature, non à l'aide de connaissances spéciales et dépassant ce que l'on sait communément des vertus des racines et des propriétés des herbes, mais d'après ce que la vue, l'odorat et le goût pouvaient m'apprendre, comme au premier homme venu. J'ai donc trouvé un beau fruit, d'une odeur agréable, mais d'une saveur insipide; et j'avoue que je ne comprends pas qu'une femme ait pu en avoir une si forte envie, si ce n'est à cause de sa rareté et de son parfum. Mais pourquoi un tel fait est-il mentionné dans la sainte Ecriture, qui tiendrait sans doute peu à nous faire connaître ces caprices de femmes, si ce n'était pour nous y faire soupçonner quelque chose d'important ? Je ne puis supposer d'autre raison que celle que suggère le bon sens, à savoir que la mandragore figure ici la bonne réputation : non pas celle qui repose sur le suffrage de quelques hommes justes et sages, mais ce renom populaire, qui relève un personnage et le rend plus célèbre : avantage qu'on ne doit point rechercher pour lui-même, mais absolument nécessaire aux gens de bien pour qu'ils puissent réaliser leurs vues d'intérêt général. Ce qui fait dire à l'Apôtre: " Il faut avoir un bon témoignage de ceux qui sont dehors (1) "; lesquels, bien qu'ils soient peu sages, procurent néanmoins ordinairement, aux travaux dont ils sont l'objet, et l'éclat de la louange et la bonne odeur de l'opinion. Or, de tous ceux qui sont dans l'Eglise, les premiers

1. II Tim. III, 7.

qui parviennent à cette gloire populaire, sont ceux qui mènent une vie d'action, de périls et de labeur. Voilà pourquoi le fils de Lia, allant à la campagne, c'est-à-dire se rendant honnêtement chez ceux du dehors, trouve des mandragores. Mais cette doctrine de sagesse qui, loin du bruit de la foule, reste fixée dans la contemplation et la douce jouissance de la vérité, n'obtiendrait pas même au plus mince degré, cette gloire populaire, si ce n'était par l'entremise de ceux qui gouvernent la multitude par l'action et par la parole, et sont avides non de commander, mais d'être utiles. Comme ces hommes actifs et laborieux dévoués aux intérêts de la foule, et dont l'autorité est chère aux peuples, rendent témoignage à la vie qui reste oisive par l'ardeur qu'elle éprouve à rechercher et à contempler la vérité, les mandragores arrivent en quelque sorte à Rachel par Lia. Mais elles arrivent à Lia par son premier-né, c'est-à-dire, par l'honneur de sa fécondité, laquelle renferme tout le fruit d'une activité laborieuse, s'exerçant à travers les incertitudes, les épreuves et les périls. Cette activité, la plupart des hommes doués d'un génie heureux et passionnés pour l'étude, fussent-ils propres d'ailleurs à gouverner les peuples, l'évitent cependant à cause des occupations turbulentes qu'elle entraîne, et se portent de tout leur coeur vers les loisirs de la doctrine, comme vers les embrassements de la belle Rachel.

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CHAPITRE LVII. SUR LES CONTEMPLATIFS PROPRES A LA VIE ACTIVE.

Mais comme il est bon que cette vie soit mieux connue et obtienne aussi la gloire populaire, et qu'il ne serait pas juste qu'elle l'obtînt, si elle retenait son amant dans l'oisiveté, quoiqu'il fût capable de s'occuper des affaires de l'Eglise, et qu'elle ne lui donnât aucune part aux travaux d'un intérêt général; voilà pourquoi Lia dit à sa soeur : " Ce n'est pas assez pour vous de vous être emparée de mon époux: vous voulez encore prendre les mandragores de mon fils ? " Par époux, on entend ici tous ceux que leur vertu rend capables d'agir, qui sont dignes de gouverner l'Eglise et de lui dispenser le sacrement de la foi, mais qui, enflammés du désir de la doctrine, et de la recherche et de la contemplation de la sagesse, veulent se soustraire à tous (342) les inconvénients de la vie active et se renfermer dans le calme pour s'instruire et enseigner; voilà pourquoi il est dit : " Ce n'est pas assez pour vous de vous être emparée de mon mari; vous voulez encore prendre les mandragores de mon fils? " Comme si l'on disait : Ce n'est pas assez pour la vie d'étude de retenir dans l'oisiveté des hommes nécessaires pour les travaux de l'administration ; elle aspire encore à la gloire populaire ?

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CHAPITRE LVIII. COMMENT ILS FONT ESTIMER LE GENRE DE VIE QU'ILS AVAIENT D'ABORD CHOISI.

Donc, pour qu'elle y ait droit, Rachel cède son époux à sa soeur pour cette nuit ; c'est-à-dire pour que ceux que leur vertu rend aptes au laborieux gouvernement des peuples, bien qu'ils aient préféré s'adonner à la science, se résignent cependant à subir les épreuves et à porter le fardeau des soucis; de peur que la doctrine de sagesse, à laquelle ils ont résolu de s'adonner, ne soit blasphémée et qu'elle n'obtienne point, de la part des peuples trop peu instruits, cette bonne opinion, figurée par les mandragores, et nécessaire pour exercer de l'influence sur les auditeurs. Mais, pour leur faire accepter cette charge, il faut leur faire violence. C'est ce que nous indique assez clairement Lia allant au-devant de Jacob, qui revient de la campagne, s'emparant de lui et lui disant : " Vous viendrez vers moi; car je vous ai obtenu pour les mandragores de mon fils (1) ". C'est comme si l'on disait Vous voulez faire estimer la doctrine que vous aimez? Alors, ne vous soustrayez pas aux fonctions laborieuses. Avec un peu d'attention, chacun s'apercevra que c'est ainsi qu'on se conduit dans l'Église. Nous appliquons dans la pratique ce que nous apprenons dans les livres. Qui ne voit cela dans toute l'étendue de l'univers : des hommes renonçant aux couvres du siècle pour passer à l'étude et à la paisible contemplation de la vérité, c'est-à-dire aux embrassements de Rachel; puis, pris en flanc par les besoins de l'Église, et ordonnés pour le travail, comme si Lia leur disait : " Vous viendrez vers moi ? " Et quand ils sont chastement occupés à dispenser les mystères de Dieu, pour engendrer, dans la nuit de ce monde, des enfants à la foi, les peuples

1. Gen. XXX, 14-16.

louent le genre de vie dont ils se sont épris jusqu'à renoncer à toutes les espérances du siècle, mais dont on les retire pour les employer aux couvres de miséricorde dans la direction des peuples. Car ils font tout, au milieu de leurs travaux, pour qu'on glorifie, au loin et au large, la profession qu'ils avaient embrassée et qui donne de tels guides aux nations. C'est Jacob consentant à passer cette nuit avec Lia, pour que Rachel obtienne des mandragores belles et- parfumées. Toutefois, Rachel enfante elle-même, par la miséricorde de Dieu, mais tard et avec peine ; parce qu'il est très-rare que le texte : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu (1) ", et tout ce que la piété et la sagesse disent sur ce sujet, soit compris, même en partie, sans les vains fantômes de la pensée charnelle et d'une manière utile au salut.

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CHAPITRE LIX. CONCLUSION SUR LES TROIS PATRIARCHES.

En voilà assez pour réfuter les calomnies que Fauste débite sur les trois patriarches Abraham, Isaac et Jacob, dont Dieu a voulu être appelé le Dieu et que l'Église catholique honore. Ce n'est point le lieu de parler de leurs mérites, de leur piété, et de leur caractère prophétique, si élevé, si au-dessus du jugement des hommes charnels ; nous avons seulement dû, dans le présent ouvrage, les défendre contre les attaques d'une langue médisante et ennemie de la vérité ; pour ne pas laisser croire à nos adversaires qu'ils aient dit quelque chose de sérieux contre nos saintes et salutaires Écritures, parce qu'ils les ont lues dans un esprit pervers et hostile, et qu'ils lancent d'insolentes injures contre des personnages qui y sont loués et entourés d'un si grand respect.

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CHAPITRE LX. IL Y A À LOUER ET À BLAMER DANS LOTH. JUDA N'EST LOUÉ NULLE PART.

Du reste Loth, frère, c'est-à-dire consanguin d'Abraham, ne peut en aucune façon être comparé à ceux dont Dieu dit : " Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob (2) " ; il ne faut pas non plus le mettre au nombre de ceux à qui l'Écriture rend jusqu'à la fin un témoignage de justice,

1 Jean, I, 1. — 2. Ex. III, 6.

343

bien qu'il soit resté pieux et chaste parmi les habitants de Sodome, qu'il se soit rendu recommandable par la vertu d'hospitalité, qu'il ait été préservé de l'incendie de cette contrée, et que Dieu ait donné part à sa postérité dans la terre promise, en considération d'Abraham son oncle (1). Voilà ce que les livres saints nous montrent à louer dans sa conduite, et non son ivresse, et non son inceste (2). Mais quand nous voyons raconter, du même homme, une bonne et une mauvaise action, c'est afin que nous imitions l'une et évitions l'autre. Or, si le péché de Loth, à qui on a rendu un témoignage de justice avant qu'il le commît (3), non-seulement ne porte aucune atteinte à la sainteté de Dieu ni à la vérité de l'Écriture, mais recommande même celle-ci à nos éloges et à notre affection en nous faisant voir que, comme un fidèle miroir, elle ne nous montre pas seulement ce qu'il y a de beau et de sale, mais aussi ce qu'il y a de difforme et de vicieux dans les personnes dont elle reproduit l'image : à combien plus forte raison le fait de Juda abusant de sa bru (4), n'ébranle-t-il point cette sainte autorité, qui, solidement fondée sur ces livres et en vertu de son droit divin, ne se contente pas de dédaigner les arguties calomnieuses d'un très-petit nombre de Manichéens, mais aussi les terribles haines de tant de peuples païens qu'elle a déjà fait presque tous passer de la criminelle superstition idolâtrique au culte du seul vrai Dieu, en établissant l'empire chrétien, en subjuguant le monde entier, non par la violence des armes, mais par l'invincible pouvoir de la vérité ? En effet, en quel endroit des saintes lettres a-t-on loué Juda ? Quel bon témoignage l’Ecriture rend-elle de lui, si ce n'est que, dans la prophétie relative au Christ, annoncé comme devant naître de sa tribu selon la chair, il obtient une part plus grande que ses frères dans la bénédiction de son père (5) ?

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CHAPITRE LXI. L'INCESTE DE JUDA ET DE THAMAR.

Du reste, au crime de fornication que Fauste lui reproche, nous en ajoutons un autre c'est d'avoir vendu son frère Joseph pour l'Égypte (6). Est-ce que des membres tortus font tort à la lumière qui met tous les objets

1. Gen. XIX. — 2. Deut. II, 9. — 3. Sag. X, 6. — 4. Gen. XXXVIII, 13-18. — 5. Id. XLIX, 8-12. — 6. Id. XXXVII, 26-28.

en évidence ? De même les méfaits d'un homme ne vicient point l'Écriture qui ne fait que les révéler à ses lecteurs. Si on consulte cette loi éternelle qui ordonne de conserver l'ordre naturel et défend de le troubler, elle n'a établi l'acte conjugal que pour la propagation de l'espèce, et, cela, dans les conditions d'un mariage conforme au besoin de la société et qui ne brise point le lien de la paix. Voilà pourquoi la prostitution de la femme, qui a pour but, non la création de la famille, mais l'assouvissement de la passion, est condamnée par la loi divine et éternelle, car toute action coupable, achetée à prix d'argent, déshonore celui qui l'achète. Voilà pourquoi, bien que le péché de Juda eût été plus grave s'il eût sciemment abusé de sa belle-fille (car si, comme dit le Seigneur, l'homme et la femme " ne sont plus deux, mais une seule chair (1) ", une belle-fille doit être considérée comme une fille) : cependant, il est hors de doute qu'il a voulu, autant qu'il était en lui, avoir un coupable commerce avec une prostituée. Quant à elle, qui a trompé son beau-père, elle n'a point péché par convoitise charnelle, ni par l'appât d'une récompense ; mais voulant avoir un enfant de cette famille, où elle n'avait pu en avoir de deux frères qu'elle avait déjà épousés, ni d'un troisième qu'on lui avait refusé, elle a usé de fraude envers son beau-père, le père de ses maris, et est devenue enceinte, après avoir reçu un gage qu'elle conserva, non comme parure, mais comme preuve. Elle eût sans doute mieux fait de rester sans enfants, que de devenir mère contre les lois du mariage ; cependant, en cherchant à avoir, dans son beau-père, un père pour ses enfants, elle a péché d'une tout autre façon que si elle n'eût convoité en lui qu'un adultère. Enfin, comme il la faisait conduire à la mort, elle montra le bâton, le collier et l'anneau, en déclarant qu'elle était enceinte de celui à qui ces gages appartenaient. Juda ayant reconnu que ces objets venaient de lui, confessa qu'il était plus coupable qu'elle, de lui avoir refusé son fils pour époux; ce refus l'avait décidée à recourir à ce moyen pour avoir des enfants de cette race, plutôt que de rester sans postérité. En prononçant cette sentence, il ne la justifiait point, mais il la reconnaissait moins coupable que lui-même : il ne l'approuva point, mais, par comparaison

1. Matt. XIX, 6.

344

il se mit au-dessous d'elle ; le désir d'avoir des enfants, qui l'avait portée à s'unir charnellement à son beau-père, lui sembla moins condamnable que la passion qui l'avait dominé lui-même et entraîné à avoir commerce avec celle qu'il croyait une prostituée : se rangeant ainsi parmi ceux dont on dit : " Vous avez justifié Sodome (1) ", c'est-à-dire vous avez péché au point que Sodome paraît juste en comparaison de vous. Du reste, quand même on entendrait que le beau-père de cette femme, au lieu de la trouver seulement moins coupable que lui-même, l'a tout à fait approuvée, quoique, selon la loi éternelle de justice qui défend de troubler l'ordre naturel, non-seulement dans les corps, mais avant tout, et principalement dans les âmes, elle ait réellement été coupable d'avoir violé les lois de l'union conjugale : quand cela serait, dis-je, qu'y aurait-il d'étonnant à ce qu'un pécheur approuvât une pécheresse ?

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CHAPITRE LXII. SOUVENT L'ÉCRITURE RACONTE SANS EXPRIMER DE JUGEMENT.

Néanmoins Fauste et la secte perverse des Manichéens croient trouver là un puissant argument contre nous, comme si, en vénérant l'Ecriture et en lui accordant de justes éloges, nous étions forcés d'approuver les défauts qu'elle mentionne dans les hommes. Tout au contraire, plus est religieux le respect que nous professons pour elle, plus nous mettons d'assurance à blâmer tout ce que sa lumière vraie nous montre comme blâmable. Or, la fornication et tout commerce illicite y sont condamnés par le droit divin (2) ; conséquemment, quand elle rapporte des faits de ce genre, sans les blâmer en particulier, elle les abandonne à notre jugement, mais ne nous fait point une loi de les approuver. Qui de nous, par exemple, en lisant l'Evangile, n'a pas horreur de la cruauté d'Hérode, qui, inquiet de la naissance du Christ, fait mettre à mort un si grand nombre d'enfants (3)? Cependant, le fait est simplement raconté, sans un mot de blâme. Mais si les Manichéens, dans leur folle impudence, prétendent que ce récit est faux, ou qu'ils nient la naissance même du Christ qui troublait Hérode, qu'ils voient comment la cruauté et l'aveuglement

1. Ez. XVI, 52. — 2. Ex. XX, 14,17. — 3. Matt. II, 16.

des Juifs sont, là aussi, simplement racontés, et non blâmés, quoique détestés par tout le monde.

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CHAPITRE LXIII. LA BÉNÉDICTION DE JUDA.

Mais, disent-ils, ce Juda qui a commis un inceste avec sa belle-fille, est compté parmi les douze patriarches (1). Eh ! Juda, qui a trahi le Seigneur, n'a-t-il pas été compté parmi les douze Apôtres, et, quoique démon, envoyé avec eux et comme l'un d'eux, pour prêcher l'Evangile (2) ? A cela les Manichéens répondent : Après un si grand crime, celui-ci s'est pendu et s'est retranché par là même du nombre des Apôtres (3); tandis que l'autre, malgré son acte honteux, a été béni et loué parmi ses frères et plus que tous ses frères, par ce même père à qui Dieu rend un si glorieux témoignage (4). Oui, et c'est ce qui fait voir plus clairement que ce n'est point à lui que se rapporte la prophétie, mais au Christ qui était annoncé comme devant naître de sa tribu selon la chair; et c'est pour cela encore que la divine Ecriture n'a point dû taire et n'a point tu son crime, afin qu'on cherchât quelque autre à qui appliquer ces éloges du père, qui évidemment ne lui convenaient plus après son action déshonorante.

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CHAPITRE LXIV. POURQUOI LE CHRIST A VOULU NAÎTRE DE PARENTS BONS ET DE PARENTS MAUVAIS.

Du reste, Fauste n'a voulu ici que donner au Christ un coup de dent en passant, parce que nous enseignons que le Sauveur est né de la tribu de Juda ; il a voulu surtout faire ressortir ce fait que, dans la généalogie du Christ, l'évangéliste Matthieu donne place à Zara, l'enfant que Thamar eut de son inceste (5). En effet, s'il en eût voulu à la race de Jacob, et non à la génération du Christ, il avait l'aîné de la famille, Ruben, qui souilla le lit paternel par un acte odieux (6), par une fornication inconnue, dit l'Apôtre, même chez les Gentils. Jacob ne l'a point passée sous silence, au moment où il bénissait ses enfants; car il a fait peser sur la tête de son fils le poids de son accusation et de son horreur. Fauste

1. Gen. XXXV, 22-26. — 2. Matt. X, 2, 5; Jean, VI, 71, 72. — 3. Matt. XXVII, 5. — 4. Gen. XLIX, 8-12. — 5. Matt. XIII; Gen. XXXVIII, 30. — 6. Gen. XXXV, 22.

345

nous aurait certainement objecté ce crime qui ne fut point causé par le déguisement d'une femme en prostituée, mais apparaît comme une profanation volontaire de la couche paternelle, si Thamar ne lui eût paru plus odieuse pour avoir désiré être mère, que si elle eût cédé à l'impulsion de la convoitise de la chair, et s'il n'avait cru ébranler la foi à l'incarnation, en jetant le blâme sur les ancêtres du Christ : ignorant, le misérable, que ce très-vrai et très-véridique Sauveur ne s'est pas montré notre maître seulement par sa parole, mais aussi par sa naissance. En effet, les fidèles qui devaient lui venir de toutes les nations avaient besoin de la leçon de sa naissance selon la chair, pour savoir que les iniquités de leurs pères ne pouvaient leur nuire. C'est pourquoi cet époux, s'accommodant à la condition de ses conviés, et devant un jour inviter à ses noces les bons et les méchants (1), a voulu naître de bons et de méchants, pour mieux prouver que la pâque prophétique où il était prescrit de manger un agneau et un chevreau (2), images du juste et de l'injuste, n'était qu'une figure dont il était lui-même l'objet. Toujours fidèle aux lois divines et humaines, il n'a pas dédaigné, en vue de son humanité, d'avoir des parents bons et mauvais; mais, à raison de sa divinité, il a voulu naître miraculeusement d'une vierge.

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CHAPITRE LXV. IL Y A À BLAMER CHEZ LES BONS, IL Y A À LOUER CHEZ LES MÉCHANTS.

C'est donc à faux, c'est sur lui-même que Fauste frappe dans sa haine sacrilège, quand il accuse l'Ecriture, si justement vénérée aujourd'hui du monde entier; ce miroir éclatant et fidèle, comme je l'ai déjà dit, qui ne flatte personne, mais juge les bonnes et les mauvaises actions des hommes, ou les abandonne au jugement du lecteur; qui ne nous présente pas seulement des personnages exclusivement digues de blâme ou d'éloge, mais nous fait voir des actions louables chez des hommes vicieux, et des actions blâmables chez des gens de bien. Ainsi, par exemple, de ce que Saül était digne de blâme, il ne suit pas qu'il ne faille pas louer le zèle qu'il mit à connaître celui qui avait goûté du miel malgré l'anathème, et la sévérité avec laquelle

1. Matt. XXII, 10. — 2. Ex. XII, 3-5.

il essaya de le punir, par obéissance à Dieu qui avait porté la défense (1) ; ou le soin qu'il mit à faire disparaître de son royaume les magiciens et les ventriloques (2). De même, parce que David était digne d'éloges, il ne faut pas pour autant approuver ou imiter ses fautes que Dieu même lui reproche par la voix d'un prophète (3). Egalement, il ne faut point blâmer Ponce-Pilate d'avoir proclamé l'innocence du Seigneur contre les accusations des Juifs (4); ni louer Pierre d'avoir renié ce même Seigneur (5); ou de n'avoir pas goûté ce qui est de Dieu, quand il voulait détourner le Christ de sa passion, c'est-à-dire de notre rédemption, ce qui lui fit donner le nom de Satan; à lui, qu'un instant auparavant, on venait d'appeler bienheureux (6). Mais, ce qui triompha en lui, son apostolat et la couronne du martyre nous le font voir.

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CHAPITRE LXVI. ÉLOGE DE DAVID.

Ainsi, nous lisons dans l'Ecriture les péchés du roi David, mais nous y lisons aussi ses bonnes actions. Or, ce qui l'emporta chez lui, et ce qui lui donna la victoire, c'est chose assez évidente, non pour l'aveugle malveillance avec laquelle Fauste se ruait contre les livres sacrés et contre les saints, mais pour la prudence religieuse qui sait voir et distinguer l'autorité divine et les mérites de l'homme. Que les Manichéens lisent, et ils verront que Dieu a trouvé plus à reprendre en David que Fauste lui-même (7) ; mais ils verront aussi, dans les mêmes pages, un admirable exemple de pénitence, une incomparable douceur envers le plus acharné et le plus cruel des ennemis, qui tombé tant de fois entre ces mains vaillantes, sort autant de fois sain et sauf de ces mains pieuses (8). On y verra une humilité touchante s'inclinant sous les fléaux de Dieu, une tête couronnée soumise au joug du Seigneur, à tel point que, entouré d'hommes armés et armé lui-même, il supporte avec une patience héroïque les injures amères vomies par un ennemi; qu'il réprime avec douceur le zèle de son compagnon irrité d'entendre ainsi traiter le roi et prêt à s'élancer pour frapper l'insulteur : le saint roi appuyant sa

1. I Rois, XIV, 24-45. — 2. Id. XXVIII, 3. — 3. II Rois, XII, 1-14. — 4. Jean, XIX, 4, 6. — 5. Matt. XXVI, 70-74. — 6. Id. XVI, 22, 23, 17. — 7. II Rois, XII, XXIV. — 8. I Rois, XXIV, XXVI.

346

défense du motif de la crainte de Dieu et disant qu'il souffrait ce qu'il avait mérité, que le Seigneur lui-même avait envoyé cet homme, pour le couvrir ainsi d'opprobre (1). On y verra le tendre amour d'un berger pour le troupeau qui lui était confié, jusque-là qu'il voulait mourir pour lui, quand après le dénombrement de son peuple, Dieu, pour punir en lui un mouvement de vanité, avait résolu de diminuer cette multitude de sujets qui flattait son orgueil : secret jugement de celui en qui il n'y a pas d'injustice (2), et qui, d'une part, enlevait ainsi de ce monde des hommes indignes de vivre, et de l'autre, guérissait l'enflure du coeur chez un roi fier de la multitude de ses sujets, précisément, en lui en diminuant le nombre. On y verra une religieuse crainte de Dieu, qui respectait le sacrement du Christ dans l'onction sainte, au point d'avoir le coeur saisi d'une pieuse épouvante, lorsqu'il eut coupé, sans être aperçu, un petit morceau du vêtement de Saül, pour pouvoir lui démontrer qu'il n'avait pas voulu le tuer quoiqu'il le pût. On y verra une sage clémence envers ses fils, et tellement grande qu'il ne pleura pas même la mort de l'enfant dont il avait demandé la guérison au Seigneur, prosterné à terre, versant un torrent de larmes et dans les sentiments de la plus profonde humilité ; qu'il voulait laisser en vie, et qu'il pleura après sa mort, un jeune fils entraîné par une fureur parricide, qui avait profané, par des actions honteuses, la couche paternelle et excité contre lui une guerre criminelle : prévoyant des supplices éternels pour cette âme souillée de tant de crimes, et désirant le voir vivre et se corriger par l'humiliation et la pénitence (3). On trouvera, dis-je, dans ce saint homme, ces choses et beaucoup d'autres dignes d'être louées et imitées, si on étudie avec une intention droite les passages de l'Ecriture qui parlent de lui, surtout si on accepte avec soumission d'esprit, avec piété et fidélité le jugement de Dieu, qui connaissait le fond de ce coeur, ne pouvait se tromper, et l'agréa tellement qu'il le proposait pour modèle à ses enfants.

1. II Rois, XVI. — 2. Rom. IX, 14. — 3. II Rois, XVIII.

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CHAPITRE LXVII. DAVID PUNI DANS LE TEMPS POUR ÊTRE SAUVÉ DANS L'ÉTERNITÉ. FAUX REPENTIR DE SAÜL. IL FAUT ACCEPTER LE JUGEMENT DE DIEU SUR DAVID.

Car que voyait en lui l'Esprit de Dieu, sinon le fond de son coeur, quand, repris par le Prophète, il dit : " J'ai péché ", et mérita pour cette seule parole d'entendre dire qu'il était pardonné ? Et dans quel but, sinon pour le salut éternel? Car Dieu n'oublia point de le frapper d'une main paternelle, comme il l'en avait menacé, afin qu'il fût, par l'aveu de sa faute, délivré de la peine éternelle, et en même temps éprouvé par l'affliction temporelle. Et ce n'était pas une médiocre preuve de foi ni un faible indice de douceur et d'obéissance que de s'entendre dire par le Prophète qu'il était pardonné, de voir ensuite arriver ce dont on l'avait menacé, et néanmoins de ne pas accuser le Prophète de l'avoir trompé par un mensonge, de ne pas murmurer contre Dieu comme si ses péchés n'eussent pas été véritablement effacés. Il comprenait, ce grand saint, en élevant son coeur vers Dieu et non contre Dieu, que si le Seigneur n'avait égard à sa confession et à son repentir, ses péchés mériteraient des peines éternelles; et quand il était vivement affligé par des châtiments temporels, il sentait que son pardon était maintenir, et que son médecin ne lui ménageait pas les remèdes. Mais pourquoi Saül repris par Samuel et disant aussi : " J'ai péché (1) ", ne méritait-il point comme David d'entendre dire qu'il était pardonné ? Y a-t-il en Dieu acception de personnes? Loin de là (2). Mais si c'était la même parole pour l'oreille de l'homme, ce n'était point le même coeur pour l'œil de Dieu. Que nous apprennent de tels exemples, sinon que le royaume des cieux est au dedans de nous (3) ; que nous devons honorer Dieu du fond de notre âme, afin que la bouche parle de l'abondance du coeur (4); et ne pas ressembler à ce peuple qui honorait Dieu des lèvres, tandis que son coeur était loin de lui (5); que nous ne devons point nous permettre de juger des hommes dont nous ne pouvons voir l'intérieur, autrement que Dieu qui le voit et qui ne peut être trompe ni séduit? Or, quand la sainte Ecriture,

1. I Rois, XV, 24. — 2. Gal. II, 6. — 3. Luc, XVII, 28. — 4. Matt. XII, 34. — 5. Id. XV, 8.

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cette autorité si élevée, contient dans les termes les plus exprès le jugement de Dieu sur David, quelle ridicule, ou plutôt quelle déplorable témérité que celle de l'homme qui ose penser autrement ! Car il faut bien croire aux témoignages rendus aux anciens par ces livres divins, qui ont prédit si longtemps d'avance ce que nous voyons réalisé.

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CHAPITRE LXVIII. TOUT DÉPEND DE LA DISPOSITION INTÉRIEURE.

N'est-ce pas là aussi ce que nous apprenons dans l'Evangile, où, d'une part, on entend Pierre confesser que le Christ est Fils de Dieu (1); et, de l’autre, les démons faire le même aveu, dans les mêmes termes, mais d'un coeur bien différent (2) ? Aussi c'est la même voix qui fait l'éloge de la foi de Pierre, et ferme la bouche impure des démons. Et de qui cette voix, sinon de celui qui pouvait pénétrer jusqu'à la racine de ces paroles, non à l'aide de l'oreille humaine, mais par l'intelligence divine, et tout discerner sans la moindre erreur? Combien d'autres hommes disent aussi que le Christ est le Fils du Dieu vivant et ne peuvent être comparés à Pierre; non-seulement ceux qui diront en ce jour-là : " Seigneur, Seigneur ", et à qui on répondra : " Retirez-vous de moi (3) " ; mais encore ceux qui seront séparés pour la droite (4), parmi lesquels beaucoup n'auront pas renié le Christ même une seule fois, ne l'auront point détourné de souffrir pour notre salut, n'auront point forcé les Gentils à vivre à la manière des Juifs (5), et cependant seront bien au-dessous de Pierre, assis sur l'un des douze sièges, et jugeant non-seulement les douze tribus, mais même les anges? De même aussi beaucoup d'hommes n'auront jamais convoité la femme du prochain, ni envoyé à la mort le mari de la femme convoitée, et néanmoins n'égaleront pas en mérites devant Dieu, David coupable de ces crimes. Tant il importe à chacun de connaître son intérieur, de voir ce qu'il doit condamner, afin de le déraciner complètement, et pour qu'une moisson riche et abondante s'élève à sa place. Car les agriculteurs préfèrent les champs qu'ils ont

1. Matt. XVI, 16. — 2. Luc, VIII, 28. — 3. Matt. VII, 22, 23. — 4. Id. XXV, 33. — 5. Gal. II, 14.

débarrassés d'une forêt d'épines et qui donnent ensuite au centuple, à ceux qui n'ont jamais eu d'épines et qui rendent à peine trente pour un.

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CHAPITRE LXIX. ÉLOGE DE MOÏSE D'APRÉS DIEU MÊME.

Ainsi gardons-nous de juger Moïse, ce serviteur très-fidèle dans toute la maison de son Dieu, ministre d'une loi sainte, et d'un commandement saint, juste et bon, suivant le témoignage de l'Apôtre (1), car ce sont ses paroles que je rapporte; ce ministre des sacrements qui ne donnaient point encore le salut, mais promettaient le Sauveur : ce que le Sauveur lui-même atteste, en disant: " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi: car c'est de moi qu'il a écrit (2) " : sujet que nous avons traité en son lieu, autant qu'il nous a paru bon, contre les impudentes calomnies des Manichéens; Moïse donc, ce serviteur du Dieu vivant, du Dieu vrai, du Dieu Très-Haut, qui a créé le ciel et la terre non avec des matières étrangères, mais du néant, non par nécessité, mais par une effusion de sa bonté, non par le supplice de ses membres, mais par la puissance de sa parole; ce Moïse, dis-je, humble quand il refuse un si grand ministère (3), soumis quand il l'accepte; fidèle à le maintenir, intrépide à l'exécuter; assidu à gouverner son peuple, zélé à le blâmer ; ardent à l'aimer, patient à le supporter; qui intercède en sa faveur quand Dieu le consulte, et s'interpose quand Dieu se fâche : oui, gardons-nous de juger un si grand homme d'après les médisances de Fauste ; mais acceptons pour juge Dieu lui-même qui connaissait parfaitement l'homme qu'il avait.créé, qui ne fait point les péchés des hommes, mais les condamne comme juge dans ceux qui les nient, et les pardonne comme père dans ceux qui les confessent. C'est donc d'après son témoignage que nous aimons son serviteur Moïse, que nous l'admirons, que nous l'imitons autant que nous le pouvons, en nous reconnaissant bien inférieurs à lui, quoique nous n'ayons point tué ni dépouillé d'Egyptien, ni fait de guerre comme lui, qui du reste agissait, là, comme futur libérateur de son peuple, ici, par l'ordre de Dieu même.

1. Heb. III, 5 ; Rom. VII, 12. — 2. Jean, V, 46. — 3. Ex. IV, 10.

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CHAPITRE LXX. CERTAINS DÉFAUTS SONT DES INDICES DE VERTU. ZÈLE DE MOÏSE, DE SAUL, DE PIERRE.

Je ne m'arrête point à prouver que si Dieu n'ordonna pas à Moïse de tuer l'Egyptien, il le permit du moins dans ses vues d'avenir et en exécution, d'un rôle prophétique. Laissant de côté ce point de vue, je prends les faits tels qu'ils sont, en dehors de leur signification prophétique, et, consultant la loi éternelle, je trouve qu'un homme qui n'exerçait aucun pouvoir régulier, n'en devait pas tuer un autre, même insolent, même méchant. Cependant les âmes capables de vertu et naturellement fécondes produisent d'abord souvent des défauts qui indiquent précisément la vertu qui ira le mieux à leur naturel, quand elles auront été cultivées par les commandements. Comme les laboureurs jugent propre à donner du froment une terre où ils voient pousser des herbes de haute taille, quoique inutiles; estiment qu'un sol couvert de fougères qu'il faudra certainement arracher, est apte à produire des ceps vigoureux; ne doutent pas qu'une montagne couverte d'oliviers sauvages ne soit excellente pour la culture du véritable olivier : ainsi l'émotion en vertu de laquelle Moïse, sans y être régulièrement autorisé, ne peut supporter qu'un voyageur, son frère, soit impunément maltraité par un méchant citoyen, n'est point étrangère aux vertus les plus fécondes. C'est le produit vicieux, il est vrai, d'une âme encore inculte, mais aussi le signe d'une grande fécondité naturelle. Enfin Celui qui, par des voix divines et l'entremise de son ange, a appelé Moïse sur le mont Sinaï, pour en faire le libérateur de son peuple captif en Egypte; qui, par le miracle du buisson enflammé qui ne se consumait point, et par les paroles du Seigneur, l'a préparé à cueillir les fruits de l'obéissance (1); c'est le même que Celui qui a appelé du ciel Saul persécuteur de l'Eglise, qui l'a abattu à terre, relevé, rempli; qui l'a en quelque sorte frappé, taillé, greffé, fécondé (2). En effet, cette fureur avec laquelle Paul persécutait l'Eglise, par zèle pour les traditions de ses pères (3), était comme un défaut de sauvageon, mais l'indice d'une sève puissante. Autant faut-il en dire de Pierre quand, tirant son épée pour défendre le Seigneur, il coupa l’oreille d'un

1. Ex. III, 4. — 2. Act. IX, 4. — 3. Gal. I, 14.

persécuteur; action que le Seigneur reprit avec menace, en disant : " Remets ton épée au fourreau; car celui qui se sert du glaive, périra par le glaive (1) ". Or, user du glaive, c'est s'armer pour répandre le sang, en dehors de l'ordre ou de là permission du pouvoir légitime. Le Seigneur avait bien commandé à ses disciples de porter des armes, mais non de s'en servir pour frapper. Qu'y a-t-il donc d'inconvénient à ce que Pierre soit devenu le Pasteur de l'Eglise après cette faute, comme Moïse est devenu le chef de la Synagogue après avoir tué l'Egyptien? L'un et l'autre ont dépassé la mesure de la justice, non par une cruauté digne de condamnation, mais par une vivacité susceptible de correction : l'un et l'autre ont péché par haine de l'injustice d'autrui, et par un amour, charnel encore, l'un pour son frère et l'autre pour le Seigneur. C'était un défaut à retrancher ou à déraciner; et néanmoins un si grand coeur, comme une terre fertile, était propre à produire des vertus.

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CHAPITRE LXXI. L'ORDRE OU LA PERMISSION DE DÉPOUILLER LES ÉGYPTIENS A ÉTÉ JUSTE.

Quelle idée a Fauste de nous objecter la spoliation des Egyptiens, sans savoir ce qu'il dit? Moïse a si peu péché en cela qu'il eût péché en ne le faisant pas : car il en avait reçu l'ordre de Dieu (2), qui juge sans doute, non. seulement d'après les actes, mais d'après le coeur de l'homme, ce que chacun doit souffrir et par qui il doit le souffrir. Le peuple hébreu ' était encore charnel, avide des biens terrestres; les Egyptiens, d'autre part, étaient sacrilèges et injustes : car ils abusaient de leur or, j c'est-à-dire de la créature de Dieu, au service de leurs idoles, et ils accablaient injustement des étrangers de travaux pénibles et gratuits. Les Hébreux méritaient donc de recevoir de tels ordres et les Egyptiens de tels châtiments, Et peut-être les Hébreux ont-ils eu la permission plutôt que l'ordre d'agir conformément à leurs volontés et à leurs désirs; mais cette permission, Dieu a voulu la leur faire connaître par son serviteur Moïse, quand il lui ordonna de parler. Peut-être y a-t-il eu encore d'autres raisons tout à fait mystérieuses, pour que Dieu tint ce langage à ce peuple

1. Matt. XXVI, 51, 52. — 2. Ex. III, 21, 22; XI, 2; XII, 35, 36.

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mais il faut céder aux ordres de Dieu en obéissant, et non leur résister en discutant. L'Apôtre nous dit : " Car qui a connu la pensée du Seigneur? ou qui a été son conseiller (1) ? " Que ce soit donc pour la cause que je viens de dire, ou par quelque secrète et mystérieuse disposition de sa providence, que Dieu ait dit aux Hébreux, par l'organe de Moïse, de demander à emprunter des vases aux Egyptiens et de les enlever, je persiste cependant à dire que ce n'a point été sans raison ni injustement, et que Moïse n'a pu contrevenir à l'ordre de Dieu : en sorte que, au Seigneur appartenait le droit de commander et au serviteur le devoir d'obéir.

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CHAPITRE LXXII. DIEU A EU SES RAISONS DE L'ACCORDER.

Mais, dira-t-on, il n'est pas possible d'admettre que le Dieu vrai et bon ait donné de tels ordres. Personne, au contraire, n'a droit de les donner que le Dieu vrai et bon, qui sait seul ce qu'il faut commander à chacun, et seul ne permet pas que personne souffre sans raison. Du reste, que cette prétendue bonté du coeur humain, aussi ignorante que fausse, se pose aussi comme adversaire du Christ; qu'elle l'empêche d'exécuter les ordres du Dieu bon pour la punition des impies, alors qu'il dira " Arrachez d'abord l'ivraie et liez-la en faisceaux pour les brûler ". Néanmoins, comme ses serviteurs voulaient faire cela avant le temps, il s'y opposa en disant : " Non, de peur " qu'en voulant arracher l'ivraie, vous n'arrachiez aussi le froment avec elle (2) ". Ainsi le Dieu vrai et bon sait seul ce qu'il doit commander et permettre, et quand, et à qui et par qui. Le même, non par bonté, mais par vanité humaine, pourrait encore trouver mauvais que le Seigneur ait accédé à la demande malveillante des démons en leur permettant d'entrer dans des pourceaux (3) : d'autant plus que les Manichéens croient que des âmes humaines habitent, non-seulement dans les pourceaux, mais même dans les animaux les plus petits et les plus vils. Mais, tout en répudiant cette opinion vaine et abjecte, il faut cependant convenir que Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, et par là même le Dieu vrai et bon, a permis aux démons de causer la mort d'un troupeau étranger, une

1. Rom. XI, 34. — 2. Matt. XIII, 30, 29. — 3. Id. VIII, 31, 32.

destruction d'animaux quelconques et un grave dommage à des hommes. Or, qui serait assez insensé pour dire qu'il n'aurait pas pu chasser ces méchants esprits des corps humains,sans leur permettre d'exécuter leur malveillante pensée de détruire des pourceaux? Or, si le créateur et l'ordonnateur de tous les êtres a pu, par une raison mystérieuse, mais toujours juste,lâcher la bride au désir cruel et injuste d'esprits condamnés et déjà livrés au feu éternel, en lui laissant suivre sa pente qu'y a-t-il d'absurde à ce que les Egyptiens aient été dépouillés par les Hébreux, des tyrans iniques par des hommes libres à qui ils devaient même un salaire pour de si durs et de si injustes travaux, dépouillés, dis-je, d'objets terrestres dont ils abusaient par des rites sacrilèges, injurieux au Créateur? Cependant si Moïse l'eût ordonné de lui-même, ou si les Hébreux l'eussent fait sans permission, ils auraient certainement péché; peut-être même les Hébreux se sont-ils rendus coupables, non en faisant ce que Dieu leur avait ordonné ou permis, mais en convoitant de tels objets. Que si Dieu leur a accordé cette permission, il l'a fait par un jugement juste et bon, lui qui sait, par les châtiments, contenir les méchants ou instruire les fidèles; donner des préceptes plus rigoureux aux forts, et ménager pour les faibles des remèdes proportionnés à leur état. Quant à Moïse, on ne peut l'accuser ni d'avoir convoité ces objets, ni d'avoir résisté par orgueil à aucun des ordres de Dieu.

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CHAPITRE LXXIII. LE SACRIFICE D'ABRAHAM JUSTIFIÉ PAR LA VOLONTÉ DE DIEU.

En effet, la loi éternelle qui veut le maintien de l'ordre naturel et défend de le troubler, a placé certains actes humains dans une espèce de milieu, tellement qu'on blâme avec raison ceux qui ont la témérité de les faire de leur propre autorité, et qu'on loue avec autant de justice ceux qui les accomplissent par obéissance. Tant il importe, dans l'ordre naturel, de savoir par qui et par l'ordre de qui une chose se fait. Si Abraham eût immolé son fils par sa propre volonté, qu'eût-il été, sinon un homme horrible, un insensé ? Mais, exécutant l'ordre de.Dieu, qu'est-il, sinon un homme fidèle et dévoué (1)? La vérité le proclame si

1. Gen. XXII, 10.

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haut que Fauste lui-même en est effrayé: en cherchant, du bec et des ongles, à déchirer Abraham, jusqu'à recourir au mensonge et à la calomnie, il n'a cependant pas osé blâmer ce fait: à moins qu'il ne se soit peut-être pas rappelé une action tellement noble qu'elle revient à l'esprit sans qu'on la lise, sans qu'on la cherche, tellement célébrée dans toutes les langues, tellement représentée partout, qu'elle frappé forcément les yeux et les oreilles. Or,

si le meurtre volontaire d'un fils devient un acte exécrable, et si ce même meurtre exécuté par obéissance à un ordre de Dieu, devient un acte, non-seulement irrépréhensible, mais louable; pourquoi, Fauste, fais-tu un crime à Moïse d'avoir dépouillé les Egyptiens? Si l'injustice humaine que tu crois voir là t'irrite, que l'autorité d'un Dieu qui commande t'effraie. Quoi! es-tu dans l’intention de blâmer la volonté de Dieu même ? " Retire-toi donc de moi, Satan ; parce que tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais des hommes (1) ". Et plût au ciel que tu eusses été aussi digne que Pierre d'entendre ces paroles, et que tu eusses ensuite prêché ce que tu blâmes en Dieu par faiblesse d'intelligence; comme ce glorieux Apôtre annonça plus tard avec éclat aux nations ce qui l'avait d'abord choqué quand le Seigneur se disposait à le faire !

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CHAPITRE LXXIV. LA GUERRE PEUT ÊTRE JUSTE.

Maintenant, si l'intelligence humaine bornée, pervertie et incapable de bien juger, comprend la distance qu'il y a entre agir par passion ou par témérité et obéir à l'ordre de Dieu, qui sait ce qu'il permet ou ordonne, et quand et à qui, et aussi ce qu'il convient à chacun de faire ou de souffrir ; dès lors elle n'éprouvera ni admiration ni horreur pour les guerres faites par Moïse, parce qu'il n'a fait qu'exécuter les ordres de Dieu, sans cruauté mais par obéissance; et que Dieu lui-même n'était point crue en donnant ces ordres, mais punissait justement les coupables et tenait les justes dans la crainte. En effet, que blâme-t-on dans la guerre ? Est-ce que des hommes qui doivent mourir tôt ou tard , meurent pour établir la paix par la victoire? C'est là le reproche d'un lâche, et non d'un homme religieux : le désir de nuire, l'envie cruelle de se

1. Matt. XVI, 23.

venger, une animosité implacable et sans pitié, la fureur de la révolte, la passion de dominer, et autres défauts de ce genre, voilà ce que l'on condamne dans la guerre, et avec raison. Et c'est souvent pour punir ces excès, pour résister à la violence, que des hommes de bien, par le commandement de Dieu ou de quelque autorité légitime, entreprennent des guerres, quand ils se trouvent placés dans une situation telle que l'ordre lui-même exige ou qu'ils les ordonnent ou qu'ils les exécutent. Autrement quand les soldats venaient trouver Jean pour recevoir le baptême et lui demandaient : " Et nous. que ferons-nous ? " il leur aurait répondu : Jetez bas vos armes, abandonnez votre drapeau; ne frappez, ne blessez, ne tuez personne. Mais comme il savait qu'en faisant cela à la guerre, ils n'étaient point homicides; mais serviteurs de la loi; qu'ils ne vengeaient point leurs propres injures, mais pourvoyaient au salut public, il leur répondit: " N'usez de violence ni de fraude envers personne, et contentez-vous de votre paie (1) ". Mais puisque les Manichéens ont coutume de poursuivre Jean de leurs blasphèmes, qu'ils' écoutent du moins le Seigneur Jésus-Christ, ordonnant de rendre à César cette même paie dont Jean veut que les soldats se contentent: " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2) ". Car les tributs sont destinés à payer la paie du soldat qui est nécessaire pour la guerre. Aussi quand le centurion lui dit : " Moi qui suis un homme soumis à la puissance d'un autre et qui ai sous moi des soldats, je dis à l'un ; Va, et il va; et à un autre : Viens, et il vient; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait (3) ", le Christ fait-il un juste éloge de sa foi, et ne lui ordonne point de renoncer à sa profession, Mais il serait long de discuter maintenant sur les guerres justes et injustes, et cela n'est pas nécessaire.

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CHAPITRE LXXV. C'EST AU ROI À LA COMMANDER ET AU SOLDAT À OBÉIR. CELLES QUE DIEU ORDONNE SONT TOUJOURS JUSTES.

Il importe assurément de vair pour quelle raison et par l'ordre de qui la guerre est entreprise ; cependant l'ordre naturel exige, dans l'intérêt de la paix du genre humain, que le pouvoir de la commander appartienne

1. Luc, III, 14. — 2. Matt. XXII, 21. — 3. Id. VIII, 9, 10.

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au prince, et que le devoir de la faire, pour la paix et le bien général, incombe au soldat. Mais quand elle est entreprise par l'ordre de Dieu même, on ne peut sans crime douter qu'elle soit juste, et que son but soit ou d'effrayer, ou d'écraser ou de subjuguer l'orgueil humain; puisque même quand elle est le résultat de l'ambition de l'homme, elle ne saurait nuire, non-seulement à Dieu qui est immuable, mais même à ses saints, pour qui elle devient un exercice de patience, un sujet d'humiliation et l'épreuve d'une main paternelle. Car, personne n'aurait sur eux aucun pouvoir, s'il n'était donné d'en haut; puisqu'il n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu (1), soit qu'il commande, soit qu'il permette. Or, si un juste, engagé comme soldat sous un roi, même sacrilège, a droit de demander à combattre par son commandement, en respectant l'ordre et la paix chez les citoyens, quand il est assuré que ce qu'on exige de lui n'est point contre la loi de Dieu, ou du moins quand il n'est pas sûr du contraire, en sorte que l'injustice de l'ordre rende peut-être le roi coupable, pendant que l'obéissance excuse le soldat : si, dis-je, il en est ainsi, à combien plus forte raison celui qui fait la guerre par ordre de Dieu est-il irrépréhensible, Dieu ne pouvant jamais commander le mal, comme le savent tous ceux qui le servent ?

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CHAPITRE LXXVI. IL FAUT SUPPORTER LA GUERRE EN VUE DE LA VIE ÉTERNELLE. LES MARTYRS. LES PRINCES CHRÉTIENS.

Si nos adversaires prétendent que Dieu n'a pu commander la guerre, parce que plus tard le Seigneur Jésus-Christ a dit : " Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements ; mais si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore la gauche (2) " : qu'ils comprennent que cette disposition n'est pas dans le corps, mais dans l'âme : car là est l'asile sacré de la vertu qui a habité aussi chez les anciens justes, nos pères. Mais l'ordre exigeait que les circonstances fussent ménagées et les temps distribués, de manière à faire voir clairement que le vrai Dieu est seul le maître et l'arbitre même des biens terrestres, au nombre desquels on range l'autorité royale et le triomphe

1. Rom. XIII, 1. — 2. Matt. V, 39.

sur les ennemis, et pour lesquels la cité des impies répandus dans le monde entier, offre plus spécialement ses prières aux idoles et aux démons. Voilà pourquoi l'Ancien Testament voilait sous des promesses temporelles, et tenait en quelque sorte dans l'ombre, le secret du royaume des cieux qui devait être révélé en temps opportun. Mais, quand vint la plénitude des temps, le jour où le Nouveau Testament voilé sous les figures de l'Ancien, devait être manifesté, il fallut donner des preuves évidentes qu'il existe une autre vie pour laquelle on doit mépriser celle-ci, un autre royaume pour lequel il faut supporter avec patience tous les inconvénients des royaumes terrestres. Or, ceux par la confession, les souffrances et la mort desquels il a plu à Dieu de donner cette preuve, s'appellent martyrs, en latin témoins : multitude telle que si le Christ, qui a appelé Saul d'en haut et l'a envoyé au milieu des loups, loup devenu brebis (1), voulait les réunir, les armer et les soutenir dans le combat comme il l'a fait pour les anciens Hébreux, il n'est pas de nations qui pussent leur résister, pas de royaumes qui ne dussent leur céder. Mais, pour confirmer par le témoignage le plus éclatant, cette vérité dès lors à enseigner, qu'il ne faut pas servir Dieu pour le bonheur passager de ce monde, mais en vue de l'éternelle félicité de l'autre vie, il a fallu subir et supporter pour celle-ci ce qu'on appelle communément le malheur. Aussi, dans la plénitude des temps, le Fils de Dieu, formé d'une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi (2), né de la race de David selon la chair (3), envoie ses disciples comme des brebis au milieu des loups; les avertit de ne point craindre ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme; leur promet que leur corps sera rétabli dans son intégrité, sans qu'il y manque un cheveu (4) ; fait rentrer l'épée de Pierre dans le fourreau; guérit l'oreille d'un ennemi que l'Apôtre avait coupée; affirme qu'il pourrait commander à dix légions d'anges de détruire ses ennemis, s'il ne devait boire le calice que la volonté de son Père lui a donné (5); le boit le premier, le passe à ceux qui le suivent; prêche eu paroles la vertu de patience, confirme sa doctrine par son exemple. " C'est pourquoi Dieu l'a ressuscité d'entre les

1. Act. IX. — 2. Gal. IV, 4,5. — 3. Rom. I, 3. — 4. Matt. X,16, 28, 30. — 5. Id. XXVI, 52, 53; Luc, XXII, 51, 42 ; Jean, XVIII, 11.

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morts et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom : afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Père (1) ". D'un côté donc, les Patriarches et les Prophètes ont régné pour qu'il fût démontré que c'est Dieu qui donne et ôte les empires ; de l'autre, les Apôtres et les martyrs n'ont pas régné pour faire voir qu'il faut désirer avant tout le royaume des cieux. Ceux-là, étant rois, ont fait des guerres, pour qu'il fût prouvé que c'est Dieu qui donne même de telles victoires ; ceux-ci se sont laissé tuer sans résistance, pour nous apprendre que la plus belle des victoires est de mourir pour la foi. Du reste, là les Prophètes savaient aussi mourir pour la vérité, comme le Seigneur lui-même l'atteste : " Depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie (2) " ; et ici, quand ce que le Psalmiste avait prédit de Salomon (qui en latin veut dire Pacifique) : " Et tous les rois de la terre l'adoreront, et toutes les nations lui seront soumises (3) ", se fût accompli dans le Christ Notre-Seigneur

(car il est lui-même notre paix (4) ), les empereurs chrétiens, pleins de piété et de confiance en Jésus-Christ, ont remporté la plus glorieuse des victoires sur des ennemis sacrilèges, qui avaient mis leur espérance dans le culte des idoles et des démons : ceux-ci étant trompés par les oracles des démons, et ceux-là étant rassurés par les prédictions des saints, ainsi que le constatent des documents, très-clairs et très-connus, que quelques auteurs ont déjà consignés par écrit.

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CHAPITRE LXXVII. DIEU A DES RAISONS MYSTÉRIEUSES POUR COMMANDER LA GUERRE OU LA PAIX.

Si ces hommes irréfléchis s'étonnent que Dieu ait donné aux dispensateurs de l'Ancien Testament (voile sous lequel se cachait la grâce du Nouveau), des commandements différents de ceux qu'il a donnés aux prédications du Nouveau Testament où se dissipe l'obscurité de l'Ancien ; qu'ils fassent attention que le Seigneur Christ a aussi changé de langage lorsqu'il a dit : " Quand je vous ai envoyés sans sac, sans besace et sans chaussure,

1. Phil. II, 9-11. — 2. Matt. XXIII, 35. — 3. Ps. LXXI, 11. — 4. Eph. II, 14.

quelque chose vous a-t-il manqué ? " Ils répondirent : Rien. Il ajouta donc : Mais maintenant que celui qui a un sac ou une besace, les prenne, et que celui qui n'en a point vende sa tunique et achète une épée ? ". A coup sûr, si nos adversaires lisaient ces textes différents dans les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau, ils ne manqueraient pas de crier à la contradiction. Que répondront-ils donc quand c'est le même Sauveur qui dit : Ci-devant " je vous ai envoyé sans sac, sans besace et sans chaussure ", et rien " ne vous a manqué ", mais " maintenant, que celui qui a un sac ou une besace les prenne, et que celui qui n'en a point vende sa tunique et achète une épée ? " Comprendront-ils enfin que ces changements de préceptes, de conseils ou de permissions, ne sont point des preuves d'inconstance chez celui qui les donne, mais des mesures ménagées par la sagesse du dispensateur selon la diversité du temps? Car s'ils nous disent que c'est par quelque raison mystérieuse que le Christ a parlé de prendre son sac et sa besace et d'acheter une épée ; pourquoi n'admettent-ils pas aussi que c'est par quelque raison mystérieuse que le même Dieu a ordonné aux Prophètes de faire des guerres justes et l'a défendu aux Apôtres ? Car tout ne se borne pas aux paroles du Seigneur que nous venons de citer d'après l'Évangile ; il y a de plus la conduite des Apôtres qui s'y sont conformés. Car là, ils s'en sont allés sans sac et sans besace, et rien ne leur a manqué : comme le prouve leur réponse à la question du Sauveur; et, ici, quand il leur parlait d'acheter une épée, ils disaient: " Voici deux épées ", et il leur répondit : " C'est assez ". Voilà comment il se fait que Pierre était armé quand il coupa l'oreille du persécuteur, et que le Christ réprime l'élan de son audace (1); parce que s'il avait reçu l'ordre de s'armer, il ne l'avait point reçu de frapper. Assurément, le Seigneur avait quel. que dessein secret en commandant à ses disciples de prendre des armes et,en leur défendant de s'en servir. Néanmoins, à lui appartenait le droit de commander avec raison, à eux incombait le devoir d'obéir sans résistance.

1. Luc, XXII, 35, 36, 38, 50, 51.

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CHAPITRE LXXVIII. RIEN NE CHANGE POUR DIEU. INIQUITÉ DANS L'HOMME. ACTION MYSTÉRIEUSE DE LA PROVIDENCE.

C'est donc ignorance et calomnie que de blâmer Moïse d'avoir fait la guerre, lui qui eût été moins coupable de la faire de sa propre autorité, que de ne pas la faire quand le Seigneur l'exigeait. Mais pour blâmer Dieu d'avoir donné de tels ordres, ou prétendre qu'un Dieu juste et bon n'a pu les donner, c'est (pour ne pas me servir d'un langage plus dur) le fait d'un homme incapable de comprendre que, pour la divine Providence qui embrasse l'univers entier, ce qui naît n'est point nouveau, et ce qui meurt n'est point perdu, mais que chaque chose, soit natures, soit mérites, disparaît, arrive ou subsiste en son lieu et dans son ordre; que la bonne volonté chez les hommes, se conforme à la loi divine, et que toute passion désordonnée est réprimée par cette même loi divine; en sorte que le bon ne veut que ce qu'on lui commande et que le méchant ne peut que ce qu'on lui permet, et de façon encore à ce que sa volonté injuste ne reste pas impunie. Ainsi donc, dans tout ce que la nature humaine déteste ou craint, il n'y a de condamnable en droit que l'iniquité ; tout le reste est ou le tribut de la nature, ou la peine du péché. Or, l'iniquité dans l'homme consiste à aimer pour elles-mêmes des choses qui doivent être acceptées pour une autre fin, ou à aimer pour une autre fin les choses qu'il faut aimer pour elles-mêmes. Car, par là, il trouble, autant qu'il est en lui, l'ordre naturel dont la loi éternelle exige le maintien. La justice dans l'homme consiste, au contraire, à vouloir n'user des choses que pour les fins auxquelles Dieu les a destinées, ne jouir de Dieu que pour Dieu même, et de soi et de son ami qu'en Dieu et pour Dieu. En effet, celui qui aime Dieu en son ami, aime son ami pour Dieu. Or, ni injustice ni justice ne seraient possibles, si elles n'existaient dans la volonté ; et si elles n'étaient pas possibles, il n'y aurait de justice ni à récompenser, ni à punir: ce qu'on ne peut dire à moins d'être fou. Mais l'ignorance et l'infirmité qui font que l'homme ne sait pas ce qu'il doit vouloir, ou ne peut pas tout ce qu'il veut, appartiennent à un genre de punition mystérieux, et aux impénétrables jugements du Dieu en qui il n'y a point d'injustice (1). L'infaillible parole de Dieu nous a révélé le péché d'Adam ; et c'est avec vérité qu'il est écrit que tous meurent en lui, et que le péché est entré par lui dans ce monde, et par le péché, la mort (2). Nous savons aussi de la manière la plus claire et la plus certaine que le corps qui se corrompt, appesantit l’âme, et que cette dépouille terrestre abat l’esprit et le remplit de mille soins (3) ; et il es également certain que la grâce miséricordieuse nous délivre seule de cette punition. C'est ce qui fait que l'Apôtre s'écrie en gémissant : " Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (4) ". Mais comment Dieu distribue-t-il ses jugements et ses miséricordes, pourquoi ceci à l'un, pourquoi cela à l'autre : la raison en est mystérieuse, quoique juste. Nous savons cependant que tout se fait par le jugement ou la miséricorde de Dieu, bien que nous ne connaissions pas les poids, les nombres et les mesures selon lesquels tout est réglé par le Dieu qui a créé tout ce qui existe avec une nature propre (5); qui n'a point créé le péché, mais qui en tire parti, et fait en sorte que les péchés, qui ne seraient point péchés s'ils n'étaient contre la nature, soient jugés et arrangés de manière à ne point troubler ni déformer l'ordre universel, et se trouvent dans les lieux et les conditions convenables. Les choses étant ainsi, et comme, par l'action secrète des jugements de Dieu et des volontés humaines, les uns sont gâtés par la prospérité, et les autres en usent modérément, les uns sont abattus par la prospérité, et les autres en profitent; et comme la vie humaine et mortelle est elle-même une épreuve sur la terre (6) : quel homme peut savoir à qui il est avantageux ou nuisible de régner ou d'obéir, de s'appliquer au travail ou d'être oisif, ou,de mourir en paix : ou, au contraire, de commander, de combattre, de vaincre ou d'être tué en guerre, quoiqu'il soit d'ailleurs certain que rien de cela n'est avantageux que par l'effet de la bonté divine, que rien de cela n'est nuisible qu'en vertu d'un jugement divin?

1. Rom. IX, 14. — 2. Id. V, 12, 19. — 3. Sag. IX, 15. — 4. Rom. VII, 24, 25. — 5. Sag. XI, 21. — 6. Job, VIII, l.

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CHAPITRE LXXIX. MOÏSE JUSTIFIÉ D'AVOIR PUNI LES ADORATEURS DU VEAU D'OR. ANECDOTE RELATIVE A L'APÔTRE SAINT THOMAS.

Mais à quoi bon réfuter des critiques téméraires qui s'adressent, non plus à des hommes (plût au ciel que cela se bornât là !) mais à Dieu? Que les dispensateurs de l'Ancien Testament, qui étaient en même temps les Prophètes du Nouveau, aient obéi en tuant des pécheurs; que les dispensateurs du Nouveau Testament, qui étaient en même temps les interprètes de l'Ancien, aient obéi en mourant de la main des pécheurs : ils ont obéi les uns et les autres au même Dieu qui nous apprend, avec l'à-propos convenable et selon la diversité des temps, que c'est à lui qu'il faut demander les biens temporels et pour lui qu'il faut les mépriser ; qu'il peut envoyer des afflictions temporelles et qu'on doit les supporter pour lui. Qu'a donc fait Moïse, qu'a-t-il donc commandé de si cruel, lorsque plein d'un saint zèle pour les intérêts du peuple confié à ses soins, désirant le voir soumis au seul vrai Dieu, et voyant qu'il s'était laissé aller à fabriquer et à adorer une idole et à prostituer aux démons son coeur impudique, il tira vengeance par le glaive de quelques-uns d'eux, ordonna de frapper sur-le-champ ceux que le Dieu qu'ils avaient offensé condamnait à mort par un secret jugement, inspirant ainsi pour le présent une salutaire terreur, et donnant une sévère leçon pour l'avenir? Quine reconnaîtra qu'il a agi par un vif sentiment d'amour et non par cruauté, quand on entend la prière qu'il adresse à Dieu, en faveur des coupables : " Si vous voulez remettre leur péché, remettez-leur; sinon, effacez-moi de votre livre (1) ? " Tout homme pieux et sage, en rapprochant ce massacre et cette prière, voit clairement et sans aucun doute, quel mal c'est pour l'âme de se prostituer aux démons, puisqu'un homme qui aime tant se montre si sévère. C'est ainsi que l'Apôtre agit par amour et non par cruauté, quand il livre un homme à Satan pour la mort de sa chair, afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus (2). Il en a encore livré d'autres, pour qu'ils apprissent à ne plus blasphémer (3). Les Manichéens lisent des écritures apocryphes, forgées par je ne sais quels savetiers sous le

1. Ex. XXXII. — 2. I Cor. V, 5. — 3. I Tim. I , 20.

nom des Apôtres. Au temps de leurs auteurs, elles eussent eu l'honneur d'être revêtues de l'autorité de l'Eglise, si les saints et les savants qui vivaient alors et pouvaient les examiner, les eussent trouvées véridiques. Là,on lit cependant que l'apôtre Thomas, se trouvant comme étranger et tout à fait inconnu à un repas de noces, reçut un soufflet d'un serviteur et appela sur le coupable un châtiment prompt et sévère. Ce serviteur étant allé à la fontaine chercher de l'eau pour les convives, un lion se précipita sur lui et le tua; et la main qui avait frappé la joue de l'apôtre fut séparée du corps, suivant le voeu et la menace du saint, et apportée par un chien sur la table même où était Thomas. Que peut-on voir de plus cruel? Mais comme on lit, là encore, si je ne me trompe, que le saint demanda la grâce du coupable pour le siècle à venir, le mal se trouva bien compensé; de telle sorte que ces inconnus, frappés de terreur, comprirent combien l'apôtre était chéri de Dieu, et que cet homme, privé d'une vie qui devait tôt ou tard finir, fut sauvé pour l'éternité. Que ce récit soit vrai ou fabuleux, peu m'importe pour le moment. Mais du moins les Manichéens qui admettent comme vraies et authentiques ces écritures rejetées du canon de l'Eglise, sont forcés de convenir, d'après elles, que la vertu de patience, telle que le Seigneur la recommande en disant : " Si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente-lui encore l'autre (1) ", peut exister dans les dispositions du coeur, sans se manifester par des gestes ou des paroles; puisque l'apôtre souffleté aima mieux prier Dieu d'épargner l'insulteur dans le siècle à venir et de le punir dans ce monde. ci, que de lui tendre l'autre joue et de l'engager à frapper une seconde fois. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'intérieurement il conservait le sentiment de la charité, et qu'extérieurement il demandait une punition pour l'exemple. Que ce fait soit vrai ou une invention, pourquoi les Manichéens ne voulurent-ils pas croire que Moïse, le serviteur de Dieu, était animé de semblables dispositions à l'égard de ceux qui avaient fabriqué et adoré l'idole, puisque son langage démontré qu'il demanda pardon pour ce péché, en priant Dieu, s'il ne voulait pas faire grâce, de l'effacer lui-même de son livre? Et quelle différence entre un homme qui reçoit un soufflet et Dieu qui a

1. Matt. V, 39.

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délivré son peuple de la servitude de l'Egypte, qui a divisé la mer pour lui livrer passage, qui a enseveli sous les flots ceux qui le poursuivaient, et qu'on abandonne, qu'on méprise, à qui l'on préfère une idole ! Et, quant au châtiment, quelle différence encore entre périr par le glaive, et être tué et mis en pièces par les bêtes féroces, puisque les juges, fidèles à l'esprit des lois publiques, exigent un crime plus grave pour être livré aux bêtes féroces que pour subir le supplice du glaive.

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CHAPITRE LXXX. SUR OSÉE ÉPOUSANT, PAR L'ORDRE DE DIEU, UNE FEMME DE MAUVAISE VIE.

Il ne reste plus rien des critiques méchantes et sacrilèges de Fauste, auxquelles je réponds maintenant, sinon celle qui a pour objet ces paroles du Seigneur au prophète Osée

" Prends une femme de mauvaise vie et qu'elle te donne des enfants (1) ". A propos de ce texte, le coeur impur de nos adversaires est tellement aveuglé qu'ils ne comprennent pas même les paroles si claires que le Seigneur adresse aux Juifs dans l'Evangile : " Les femmes de mauvaise vie et les publicains vous précéderont dans le royaume des cieux (2) ". Qu'y a-t-il de contraire à la bonté divine, qu'y a-t-il d'opposé à la foi chrétienne, à ce qu'une femme de mauvaise vie renonce à ses désordres et devienne une épouse chaste ? Et qu'y a-t- il de plus opposé, de plus répugnant à la foi d'un prophète, que de ne pas croire que tous les péchés d'une femme impudique lui sont reluis, dès qu'elle change de vie ? Ainsi, dans ce prophète épousant une prostituée, et dans le salut de cette femme changeant de vie, nous voyons expressément la figure du sacrement dont je parlerai tout à l'heure. Mais qui n'est d'abord frappé de ce que ce fait renferme d'opposé à l'erreur des Manichéens? En effet, les femmes perdues prennent des mesures pour ne pas devenir mères. Or, nos adversaires devraient préférer voir cette femme persévérer dans sa mauvaise conduite, pour ne pas enchaîner leur dieu, plutôt que de la voir épouser un seul homme pour lui donner des enfants.

1. Os. I, 2. — 2. Matt. XXI, 31.

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CHAPITRE LXXXI. SALOMON JUGÉ PAR LES ÉCRITURES.

Mais de Salomon que dirai-je, sinon que les reproches que lui adresse la fidèle et sainte Ecriture sont bien plus graves que les violentes et niaises injures de Fauste ? En effet, elle a exposé avec vérité et exactitude le bien qu'il y eut d'abord en lui, et le mal qu'il fit ensuite, en abandonnant la voie où il était entré (1). Fauste, au contraire, les yeux fermés, ou plutôt éteints, n'a pas suivi la lumière qui lui montrait clairement le chemin, mais s'est précipité où son extrême malveillance l'entraînait. Oui, aux yeux des lecteurs religieux et qui les aiment, les saints livres, en produisant les exemples des saints qui ont vécu chastes avec plusieurs femmes, ont mieux fait ressortir l'inconduite de Salomon, qui cherchait moins à remplir le but du mariage, qu'à assouvir sa passion; toujours également vrais et sans faire acception de personne, ils l'ont blâmé et désapprouvé en disant simplement qu'il aima les femmes, et que ce fut là ce qui l'entraîna dans le profond abîme de l'idolâtrie.

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CHAPITRE LXXXII. SENS MYSTIQUE DE LA VIE DES PATRIARCHES. ABRAHAM. ISAAC. JACOB. LOTH.

Nous avons passé en revue tous les personnages à l'occasion desquels Fauste attaque les Ecritures de l'Ancien Testament ; nous avons rendu à chacun son langage propre; parmi ces hommes de Dieu, nous avons vengé les uns des calomnies des hérétiques charnels, nous avons blâmé les autres, mais en montrant que l'Ecriture est toujours digne d'éloge et de respect. Voyons maintenant, et selon l'ordre que Fauste lui-même a adopté pour les accuser, ce que signifient les actions de ces personnages, ce qu'elles renferment de prophétique, à quels événements futurs elles se rapportent : ce que nous avons déjà fait pour Abraham, Isaac et Jacob, dont Dieu a voulu être appelé le Dieu (2), comme s'il ne l'était que d'eux, lui qui l'est de toute créature : ne leur accordant point cet honneur saris raison, mais parce que, possédant la science parfaite et souveraine, il voyait en eux une charité sincère et très-grande, et aussi, parce qu'il a, en quelque sorte, consommé dans ces trois Patriarches le

1. III Rois, III, XI ; Eccli. XLVII. — 2. Ex. III, 15.

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grand et admirable mystère de son peuple futur. Ils ont engendré, en effet, non-seulement pour la liberté par des femmes libres, comme Sara, par exemple (1), Rébecca (2), Lia et Rachel (3) ; mais aussi, pour la servitude, par la même Rébecca, mère d'Esaü à qui il a été dit : " Tu seras le serviteur de ton frère (4) ". Ils ont ensuite engendré par des servantes, non-seulement pour la servitude, comme par Agar (5), mais aussi pour la liberté, comme par Bala et Zelpha (6). De même, dans le peuple de Dieu et par des hommes spirituels, il naît des enfants pour une glorieuse liberté, comme ceux à qui il est dit: " Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ (7) " ; d'autres pour une misérable servitude, comme, par Philippe, Simon (8) ; puis, par des serviteurs charnels, il en naît, non-seulement pour un damnable esclavage, à savoir, ceux qui les imitent, mais encore pour une glorieuse liberté, comme ceux à qui l'on dit : " Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (9) ". Tout homme sage, reconnaissant ce grand mystère dans le peuple de Dieu, maintient, jusqu'à la fin, l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix, en s'unissant aux uns, en supportant les autres. Nous en avons autant fait à propos de Loth, en montrant ce que l'Ecriture nous raconte de louable et de blâmable en lui, et quel sens il faut attacher à tout ce récit (10).

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CHAPITRE LXXXIII. UNE ACTION MAUVAISE PEUT PROPHÉTISER LE BIEN.

Nous avons maintenant à examiner à quel événement futur a trait l'inceste de Juda avec sa belle-fille (11). Mais il faut d'abord admettre, pour ne pas choquer les esprits faibles, que certaines mauvaises actions, racontées dans les Ecritures, ne pronostiquent pas un mal, mais un bien. Car partout la divine Providence maintient la puissance de sa bonté; et comme, d'un commerce adultère, un homme se forme et vient au monde, Dieu tirant ainsi le bien du mal, ainsi que nous l'avons déjà dit (12), et cela par la fécondité de l'union conjugale et non par la honteuse puissance du vice ; de même dans les Ecritures prophétiques, qui racontent les mauvaises actions des hommes aussi bien que les bonnes, puisque la narration

1. Gen. XVI, 1; 2. — 2. Id. XXV, 21. — 3. Id. XXIX, XXX. — 4. Id. XXVII, 40. — 5. Id. XVI, 15. — 6. Id. XXX. — 7. I Cor. IV, 16. — 8. Act. VIII, 13. — 9. Matt. XXIII, 3. — 10. Gen. XIX. — 11. Id. XXXVIII. — 12. Supra, ch. XLVIII.

elle-même est une prophétie, les biens à venir peuvent être prédits par des actions coupables, non par le fait de celui qui les commet, mais bien de celui qui les écrit. Assurément quand Juda, dominé par la passion, abusait de Thamar, il n'avait aucune intention d'attacher à son action un sens prophétique relatif au salut du genre humain; et Judas, qui a trahi le Seigneur, n'avait non plus aucune intention qu'il résultât de son crime rien qui se rapportât à ce même salut des hommes. Or, si, du crime de Judas, le Seigneur a fait résulter un bien immense, notre rédemption par le sang de sa passion; qu'y aurait-il d'étonnant à ce que son Prophète, celui dont il a dit lui-même : " Car c'est de moi qu'il a écrit (1) ", eût attaché l'annonce de quelque bien à la mauvaise action de Juda, dans le but de nous instruire ? Car, sous la direction et l'inspiration du Saint-Esprit, le Prophète narrateur recueille, parmi les actions des hommes, celles qui ont quelque rapport avec les choses qu'il veut prophétiser ; et pour prophétiser des biens, il importe peu que les actions qui y sont destinées, soient bonnes ou mauvaises. Que m'importe, en effet, quand je veux lire l'histoire, qu'on me dise en encre rouge que les Ethiopiens sont noirs, ou en encre noire que les Gaulois sont blancs? Cependant, s'il s'agissait de peinture et non d'écriture, j'y trouverais à redire. De même, pour les actions qu'on nous propose à imiter ou à éviter, il importe beaucoup qu'elles soient bonnes ou mauvaises : mais quand il s'agit de prophéties ou écrites ou parlées, la conduite des acteurs est indifférente; qu'ils soient bons ou mauvais, peu importe, pourvu que leur action soit en quelque point la figure de la chose qu'il est question de prophétiser. Voilà, par exemple, Caïphe dans l'Evangile : à considérer son esprit méchant et malveillant, à peser même, au point de vue de l'intention qui les dictait, les paroles qu'il prononçait pour faire condamner un juste à une mort injuste, certainement ces paroles étaient mauvaises; ce. pendant, à son insu, elles exprimaient un grand bien quand il disait : " Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple, et non pas que toute la nation périsse ". Aussi dit-on de lui : " Or, il ne dit pas cela de lui-même; mais étant le pontife de cette année-là, il prophétisa que Jésus

1. Jean, V, 46.

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devait mourir pour la nation (1) ". Ainsi l'action de Juda, comme inspirée par le libertinage, était mauvaise; mais, à son insu, elle prophétisait un grand bien : de lui-même il a fait le mal, mais ce n'est pas de lui-même qu'il a prophétisé le bien. Ces observations préliminaires ne doivent pas seulement s'appliquer à l'acte de Juda, mais à toutes les mauvaises actions des hommes qui pourront se rencontrer et qui sont, dans l'intention du narrateur, la prophétie de quelque bien.

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CHAPITRE LXXXIV. THAMAR; LES TROIS FILS DE JUDA, HER, ONAN, SELOM.INTERPRÉTATION DE CES NOMS PROPHÉTIQUES.

Dans Thamar donc, belle-fille de Juda, on entend le peuple du royaume des Juifs, à qui les rois issus de la tribu de Juda étaient unis comme époux. C'est avec raison qu'on interprète ce mot de Thamar par amertume, car c'est ce peuple qui a présenté le vase de fiel au Seigneur (2). Deux espèces de princes qui agissaient mal au sein de la nation, les uns comme nuisibles, les autres comme inutiles, sont représentés par les deux fils de Juda, dont l'un était méchant ou cruel aux yeux du Seigneur, et dont l'autre abusait du mariage pour ne point rendre mère Thamar. Au fait, il n'y a que deux espèces d'hommes inutiles au genre humain : les uns parce qu'ils nuisent, les autres parce qu'ils ne veulent pas donner ce qu'ils ont de bien, préfèrent le perdre en cette vie terrestre et le répandent, pour ainsi dire, à terre. Et comme celui qui nuit est pire que celui qui est inutile, on appelle l'aîné méchant; celui qui abusait du mariage ne venait qu'après. De plus, le nom de Her, que portait l'ainé, veut dire " Vêtu de peaux "; car c'était de peaux que se revêtaient les premiers hommes, expulsés du paradis en vertu de leur condamnation (3). Le nom du second était Aynan (Onan) qui signifie " leur chagrin " : le chagrin de qui, sinon de ceux à qui il n'est point utile, bien qu'il ait de quoi l'être, et qui aime mieux répandre son bien à terre? Or, c'est un plus grand mal d'ôter la vie, ce que signifie " vêtu de peaux ", que de ne pas lui venir en aide, ce que signifie "leur chagrin " ; cependant, on dit que Dieu les mit tous les deux à mort, ce qui signifie en

1. Jean, XI, 50, 51. — 2. Matt. XXVII, 34. — 3. Gen. III, 21.

figure qu'il a privé du royaume ces deux espèces d'hommes. Quant au troisième fils de Juda, il n'est point uni à Thamar, ce qui indique l'époque où les rois du peuple juif ont cessé d'être tirés de la tribu de Juda. Il était pourtant fils de Juda, mais on ne le donnait point pour époux à Thamar ; la tribu de Juda subsistait encore, mais elle ne donnait plus de rois au peuple. Aussi le nom de celui-là est-il " Selom ", qui signifie " son renvoi ". Evidemment, cette signification ne s'applique point aux saints et aux justes qui, bien qu'ils vécussent en ce temps-là, appartenaient cependant au Nouveau Testament, auquel ils étaient utiles par des prophéties dont ils comprenaient le sens, comme David par exemple. Mais, à l'époque où la tribu de Juda a cessé de donner des rois à la Judée, il ne faut pas compter, parmi ses rois, Hérode le Grand, comme s'il eût été l'époux de Thamar ; car il était étranger, et ne tenait point à la nation par le sacrement de l'onction mystérieuse, espèce de contrat de mariage; mais il régnait en qualité d'étranger et avait reçu le pouvoir des Romains et de César. Il en faut dire autant de ses fils les Tétrarques, dont l'un s'appelait Hérode, comme son père, et s'entendit avec Pilate lors de la passion du Seigneur (1). Ces étrangers étaient si peu regardés comme appartenant au royaume mystique des Juifs, que les Juifs eux-mêmes, frémissant de rage contre le Christ, s'écriaient : " Nous n'avons pas d'autre roi que César (2) ". Cela n'était vrai qu'en ce sens que les Romains dominaient le monde entier : car César n'était pas proprement le roi des Juifs; mais ils se condamnaient ainsi eux-mêmes dans le double but de rejeter le Christ et de flatter César.

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CHAPITRE LXXXV. APPLICATION PROPHÉTIQUE. PROPHÉTIE DE JACOB RÉALISÉE DANS LE CHRIST.

Le temps où la royauté était sortie de la tribu de Juda, était donc celui de l'avènement du Christ, le vrai Sauveur, notre Seigneur, qui loin de nuire devait rendre tant de services. Car la prophétie portait : " Le roi ne sortira pas de Juda ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre; et il est lui-même l'attente des nations (3) ". Déjà alors, suivant la prophétie de

1. Luc, XXIII, 12. — 2. Jean, XIX, 15. — 3. Gen. XLIX, 10.

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Daniel, toute autorité avait disparu du milieu des Juifs, ainsi que l'onction mystique, qui donnait son nom aux christs. Alors vint celui à qui le sceptre était réservé, l'attente des nations, celui qui a reçu l'onction en qualité de saint des saints (1), l'onction de joie au-dessus de tous ceux qui doivent y participer (2). Il est né, en effet, sous Hérode le Grand (3), mais il a souffert sous Hérode le Jeune, le tétrarque. Venu pour les brebis perdues de la maison d'Israël (4), il avait été figuré par Juda allant tondre ses brebis à Thamna, qui veut dire " planquant ", selon les interprètes. Car déjà le prince, l'autorité, l'onction des Juifs manquaient à Juda, en attendant l'arrivée de celui à qui tout cela était réservé. Or, Juda était accompagné de son berger d'Odollam, nommé Iras; et odollamite veut dire " témoignage dans l'eau ". Evidemment le Seigneur est venu avec ce témoignage, quoique en ayant un plus grand que celui de Jean (5) ; néanmoins, par égard pour la faiblesse de ses brebis, il a reçu le témoignage de Jean dans l'eau. Le nom de ce berger, Iras, signifie " vision de mon frère ". En effet, Jean vit son frère, son frère selon la race d'Abraham, selon la parenté de leurs deux mères, Marie et Elisabeth ; et, en même temps, il vit son Seigneur et son Dieu, celui de la plénitude -duquel il a reçu, comme il le dit lui-même (6). Il l'a vu parfaitement, et voilà pourquoi il ne s'est pas élevé, entre les enfants des femmes, de plus grand que lui (7) : parce que, de tous ceux qui ont annoncé le Christ, il a vu ce que beaucoup de justes et de prophètes ont désiré voir et n'ont pas vu (8). Il l'a salué dès le sein de sa mère (9) ; il l'a reconnu, mieux encore, à la colombe; et par là, en vrai odollamite, il lui a rendu témoignage dans l'eau (10). Or, le Seigneur est venu pour tondre ses brebis, c'est-à-dire les décharger de leurs peines et en former les dents de cette Eglise vantée dans le cantique des cantiques, qui ressemblent aux dents d'un troupeau de brebis dépouillées de leur toison (11).

1. Dan. IX, 24, 27. — 2. Ps. XLIV, 3. — 3. Matt. II, I. — 4. Id. XV, 24. — 5. Jean, V, 36. — 6. Id. I, 16. — 7. Matt. XI, 11. — 8. Id. XIII, 17. — 9. Luc, I, 44. — 10. Id. III, 21, 22. — 11. Cant. IV, 2.

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CHAPITRE LXXXVI. THAMAR, FIGURE DE L'ÉGLISE.

Maintenant que Thamar change d'habits : car Thamar veut dire aussi " qui change"; mais qu'elle conserve le nom d' " amertume ", non de l'amertume du fiel qu'elle a présenté au Seigneur, mais de l'amertume des larmes de Pierre (1). Car Juda se traduit en latin par " confession ". Que l'amertume se mêle donc à la confession, pour indiquer une vraie pénitence. C'est cette pénitence qui féconde l'Eglise établie chez toutes les nations. Car " il " fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour, et " qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem (2)". En effet, l'habit de la prostituée, c'est la confession des péchés. Thamar assise sous ce vêtement à la porte d'Enan ou Enaïm, qui veut dire " fontaines ", est le type de l'Eglise formée de toutes les nations : celle-ci a couru, en effet, comme le cerf aux sources d'eau vive, pour arriver à la postérité d'Abraham, et là, elle est fécondée par quelqu'un qui ne la connaît point, parce qu'il a été prédit d'elle : " Un peuple que je ne connaissais point est devenu mon serviteur (3) ". Elle a reçu en secret l'anneau, le collier et le bâton ; elle est marquée de la vocation, ornée de la justification, exaltée par la glorification. Car " ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (4) ". Mais tout cela, comme je l'ai dit, encore dans le secret, là où se forme la conception de la sainte fécondité. Puis on envoie, comme à une autre femme de mauvaise vie, le bouc promis, le bouc qui est le reproche du péché; et on l'envoie par ce même odollamite qui semble gronder et dire : " Race de vipères (5) ". Mais le reproche du péché ne tombe plus sur celle que l'amertume de la confession a changée. Plus tard, en montrant les signes, l'anneau, le collier et le bâton, elle a confondu le jugement téméraire des Juifs déjà alors représentés par Juda, qui prétendent, même encore aujourd'hui, que ce n'est point là le peuple du Christ, que nous ne sommes point la race d'Abraham. Mais par la production des preuves les plus certaines de notre vocation, de notre justification, de notre glorification, ils seront sans doute confondus, et conviendront que nous sommes justifiés plus qu'eux.

1. Matt. XXVI, 75. — 2. Luc, XXIV, 46, 47. — 3. Ps. XVII, 43. — 4. Rom. VIII, 30. — 5. Matt. III, 7.

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Je m'étendrais avec plus de détail sur ce sujet et le traiterais en quelque sorte membre par membre et article par article, autant que Dieu voudrait bien bénir mes efforts, si le besoin de finir cet ouvrage, déjà plus considérable que je ne l'aurais voulu, ne m'interdisait des développements qui exigeraient trop de travail.

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CHAPITRE LXXXVII. SENS PROPHÉTIQUE DU PÉCHÉ DE DAVID.

Je dirai maintenant le plus brièvement possible quel était le sens prophétique du péché de David (1). L'interprétation seule des mots indique déjà ce que ce fait figurait. David veut dire " Fort de la main ", ou " Désirable ". Or, quoi de plus fort que ce lion de la tribu de Juda, qui a vaincu le monde (2)? Et quoi de plus désirable que celui dont le Prophète a dit : " Le désiré de toutes les nations viendra (3)? " D'après les interprètes, Bersabée veut dire " Puits de rassasiement ou septième puits ". Or, laquelle que ce soit de ces deux significations que nous adoptions, nous la trouverons assez convenable; car l'Eglise est cette épouse du Cantique des cantiques, que l'on appelle " Puits d'eau vive (4) " : et le nombre sept s'adapte à ce puits à cause du Saint-Esprit, à raison de la Pentecôte qui est le jour où le Saint-Esprit descendit du ciel (5). En effet, il est constant que ce jour se forme de semaines, ainsi que l'atteste le livre de Tobie (6). Or, à quarante-neuf, résultat de sept multiplié par sept, on ajoute un pour signifier l'unité. C'est à cette raison que se rapporte la pensée de l'Apôtre : " Vous supportant mutuellement en charité, appliqués à conserver l'unité d'esprit, par le lien de la paix (7) ". Ainsi, en vertu du don spirituel, c'est-à-dire septénaire, l'Eglise est devenue le puits de rassasiement; parce qu'il s'est formé en elle " une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle", et que celui qui en boira "n'aura jamais soif (8) ". Quant à Urie, l'époux de Bersabée, que signifie son nom, si ce n'est le diable, à qui étaient unis par une alliance détestable, tous ceux que la grâce de Dieu affranchit, pour qu'une Eglise sans tache et sans ride soit unie à son véritable Sauveur (9) ? En effet, Urie est interprété " ma lumière de

1. II Rois. XI. — 2. Apoc. V, 5. — 3. Agg. II, 8. — 4. Cant. IV, 15. — 5. Act. II, 1, 4. — 6. Tob. II, suiv. les Sept. — 7. Eph. IV, 2, 3. — 8. Jean, IV, 14, 13. — 9. Eph. V, 27.

Dieu " ; et Chettéen (Héthéen) veut dire " Coupé", c'est-à-dire ou qui n'est pas demeuré dans la vérité (1), mais a été séparé, à cause de son orgueil, de la lumière supérieure qu'il tenait de Dieu; ou qui, tombé pour avoir perdu ses véritables forces, se transforme cependant en ange de lumière (2) et ose encore dire : Ma lumière est de Dieu. David a donc commis un péché grave, monstrueux; Dieu le lui reproche vivement par la voix du prophète, et il le lave lui-même par le repentir néanmoins le Désiré de toutes les nations a aimé l'Eglise se lavant sur le toit, c’est-à-dire se purifiant des souillures du siècle, s'élevant par la contemplation spirituelle, au-dessus de la maison de boue et la foulant aux pieds; puis, après avoir fait une première connaissance en s'unissant à elle, il en a tout à fait éloigné le démon, qu'il a tué ensuite, et contracté avec elle une alliance perpétuelle. Haïssons donc le péché, mais ne lui ôtons pas son sens prophétique; aimons, autant qu'il mérite de l'être, le David qui nous a délivrés du démon par sa miséricorde ; aimons aussi l'autre David qui a guéri en lui, par l'humilité de la pénitence, la grave blessure que lui avait faite son iniquité.

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CHAPITRE LXXXVIII. CONJECTURE SUR LE SENS DE LA CHUTE DE SALOMON.

Maintenant, que dire de Salomon, que la sainte Ecriture blâme vivement et condamne (3) sans dire nulle part qu'il ait fait pénitence ou que Dieu lui ait pardonné ? Je ne vois absolument pas de quel bien sa déplorable chute a pu être la figure, à moins qu'on ne dise que les femmes étrangères qu'il aima passionnément, étaient le symbole des Eglises choisies du milieu des nations. Assurément, cette interprétation serait admirable si, pour plaire à Salomon, ces femmes eussent abandonné leurs dieux et adoré le sien ; mais comme c'est lui, au contraire, qui, par condescendance pour elles, a offensé son Dieu et adoré les leurs, il n'est pas possible de voir là aucun symbole de bien. Cependant, je crois qu'il y aune prophétie, mais dans un mauvais sens, comme nous l'avons dit à propos de la femme et des filles de Loth. On voit en effet dans Salomon, un mérite étonnant et une chute non moins étonnante.

1. Jean, VIII, 44. — 2. II Cor. XI, 14. — 3. III Rois, XI.

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Or, ce qui se montre en lui à des époques différentes, le bien d'abord et le mal ensuite, se fait voir encore aujourd'hui dans l'Eglise, mais en même temps. Je pense donc que le bien dans Salomon est la figure des bons dans l'Eglise, et le mal, celle des méchants; il n'y a qu'une aire ici, comme il n'y avait là qu'un homme; les bons sont représentés parles grains,, les méchants par la paille; ou, dans la même moisson, les bons par le froment, les méchants par l'ivraie'. Peut-être une lecture plus attentive de ce qu'on a écrit sur ce prince, pourrait-elle suggérer quelque chose de mieux ou à moi, ou à de plus savants et de plus vertueux. Mais, pour le moment, nous ne nous y arrêtons pas davantage, parce que nous sommes pressés par notre sujet, et que nous ne pouvons nous laisser aller à des digressions qui retarderaient notre marche.

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CHAPITRE LXXXIX. EXPLICATION SUR OSÉE. TEXTE DE SAINT PAUL.

Pour ce qui concerne le prophète Osée, je n'ai pas besoin d'expliquer le sens de son action ni de l'ordre qu'il reçut du Seigneur: " Va, épouse une femme de mauvaise vie, et qu'elle te donne des enfants de fornication ", puisque l'Ecriture elle-même nous fait assez voir l'origine et la raison de cet ordre. Voici, en effet, la suite du texte : " Parce que cette terre se prostituera et s'éloignera du Seigneur. Et il alla et il prit pour femme Gomer, fille de Débélaïm, et elle conçut et elle lui donna un fils. Et le Seigneur lui dit : Nomme l'enfant Jézrahel, car, dans peu de temps, je visiterai le sang de Jézrahel sur la maison de Juda, et je ferai cesser et disparaître le règne de la maison d'Israël. Et il arrivera en ce jour-là que je briserai l'arc d'Israël dans la vallée de Jézrahel. Et elle conçut encore et elle enfanta une fille. Et le Seigneur dit à Osée " Nomme-la : Sans miséricorde (Loruchama), parce que je ne serai plus touché de commisération pour la maison d'Israël, mais que je l'oublierai entièrement: et j'aurai pitié de la maison de Juda, et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu, mais je ne les sauverai point par l'arc, ni par le glaive, ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les cavaliers. Et Gomer sevra celle qui s'appelait : " Sans miséricorde ", et elle conçut, et elle enfanta

1. Matt. III, 12 ; XIII, 30.

un fils. Et le Seigneur lui dit: Appelle-le: " Non mon peuple " (Loammi), parce que vous n'êtes plus mon peuple, et je ne serai plus votre Dieu. Et le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qui ne peut se mesurer ni se compter; et dans ce lieu même où il leur a été dit: Vous n'êtes plus mon peuple, on les appellera : Les fils du Dieu vivant. Et les fils de Juda et les fils d'Israël s'assembleront, et ils se donneront un seul chef, et ils s'élèveront de la terre parce que le grand jour de Jézrahel sera venu. Dites à vos frères: Mon peuple, et à votre soeur : Qui a obtenu miséricorde (1)". Quand donc le Seigneur explique lui-même clairement le sens figuré de l'ordre qu'il donne et de l'action qui s'ensuit, et quand les épîtres de l'Apôtre attestent que la prophétie s'est accomplie dans la prédication du Nouveau Testament: qui osera nier que cet ordre et cette action aient eu le but que lui assigne, dans les saintes lettres, celui même qui a fait agir le Prophète ? En effet, l'apôtre Paul nous dit : " Afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, sur nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les Gentils, comme il dit dans Osée : J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple : celle qui n'a point obtenu miséricorde, objet de miséricorde; et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit : Vous n'êtes point mon peuple, ils seront appelés enfants du Dieu vivant (2) ", Paul prouve donc que cette prophétie concernait les Gentils. Pierre, à son tour, écrivant aux Gentils, reproduit la prophétie d'Osée, sans nommer le prophète : " Mais vous êtes, vous, une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple conquis, afin que vous annonciez les grandeurs de celui qui des ténèbres vous a appelés à son admirable lumière; vous qui, autrefois, n'étiez point son peuple, mais qui êtes maintenant le peuple de Dieu ; vous qui n'aviez point obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde (3)". Cela prouve donc clairement que ces paroles du Prophète: " Et le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qui ne peut se mesurer ni se compter ", et celles qui suivent. " Et dans ce lieu même où il leur a été dit: Vous n'êtes plus

1. Os. I, 2-11; 11, 1. — 2. Rom. IX, 23, 26. — 3. I Pier. II, 9, 10.

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mon peuple, on les appellera: Les fils du " Dieu vivant " ; que ces paroles, dis-je, ne s'appliquent nullement à Israël selon la chair, mais à cet autre Israël dont l'Apôtre dit aux Gentils: " Vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse (1) " . Mais comme, dans l'Israël des Juifs, beaucoup ont cru et croiront, car de là venaient les Apôtres et tant de milliers d'hommes qui s'attachèrent à eux dans Jérusalem (2); de là venaient les Eglises dont Paul disait aux Galates : " Or, j'étais inconnu de visage aux Eglises de Judée qui sont dans le Christ (3) " : ce qui fait qu'il entend par la pierre angulaire dont parle le Psalmiste (4), le Seigneur lui-même, en ce sens qu'il a uni en lui deux murailles, à savoir, celles de la circoncision et de l'incirconcision " pour des deux former en lui-même un seul homme nouveau, en faisant la paix, et pour réconcilier à Dieu les deux réunis en un seul corps, détruisant en lui-même leurs inimitiés par la croix ; et, en venant évangéliser la paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près ", c'est-à-dire aux Gentils qui étaient loin, et aux Juifs qui étaient près; " car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses, en a fait une seule (5) " : les choses, dis-je, étant ainsi, c'est avec raison qu'Osée désignant les Juifs par fils de Juda, et les Gentils par fils d'Israël, a dit: " Et les fils de Juda et les fils d'Israël s'assembleront, et ils se donneront un seul chef et ils s'élèveront de terre ". Par conséquent, quiconque rejette une prophétie si évidemment vérifiée par l'accomplissement des faits, ne contredit pas seulement un prophète, mais aussi les épîtres des Apôtres; il ne repousse pas seulement, dans son insolence, des écritures quelconques, mais il s'obstine contre des faits accomplis et d'une évidence éclatante. Peut-être, pour l'action de Juda, fallait-il étudier plus soigneusement la question, afin de pouvoir reconnaître sous le vêtement de la femme appelée Thamar, la prostituée qui représente l'Eglise de la prostitution du culte idolâtrique ; mais ici, comme l'Ecriture s'explique elle-même clairement, et comme le témoignage des Apôtres y apporte encore un nouveau jour, à quoi bon insister là-dessus, et ne pas passer à ce qui nous reste à dire de Moïse, le serviteur de Dieu, et voir ce que valent les objections de Fauste ?

1. Gal. III, 29. — 2. Act. II, 41; IV, 1. — 3. Gal. I, 22. — 4. Ps. CXVII, 22. — 5. Eph. II, 11-22.

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CHAPITRE XC. SENS SYMBOLIQUE DU MEURTRE DE L'ÉGYPTIEN PAR MOÏSE.

Moïse, défendant un frère et tuant un égyptien, c'est évidemment la figure du Christ Notre-Seigneur prenant notre défense et mettant à mort le démon, acharné à nous nuire pendant ce pèlerinage. Si Moïse ensevelit dans le sable l'homme qu'il a tué (1), il est clair qu'il a vu d'avance le cadavre caché chez ceux qui ne sont point établis sur un fondement solide. Aussi, le Seigneur fonde-t-il son Eglise sur la pierre, et il compare ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique à un homme prudent qui bâtit sa maison sur la pierre, pour qu'elle ne cède pas aux tentations et ne tombe pas en ruine; et ceux qui l'écoutent et ne la mettent pas en pratique, il les compare à un insensé qui bâtit sur le sable, et dont la maison, éprouvée par les tentations, devient une grande ruine.

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CHAPITRE XCI. CE QUE SIGNIFIENT LES DÉPOUILLES DES ÉGYPTIENS.

Moïse dépouille les Egyptiens par l'ordre du Seigneur son Dieu (2), qui ne commande jamais rien qu'avec la plus parfaite équité. Je me rappelle avoir exposé, autant que je l'ai pu, le sens de cette figure, dans certains livres que j'ai écrits sur la doctrine chrétienne 3 : à savoir que l'or, l'argent et les vêtements des Egyptiens signifiaient certaines doctrines qu'il n'est pas sans profit d'étudier dans les rites mêmes des Gentils. Mais que ce soit là la vraie signification, ou que cela veuille dire que les âmes précieuses, choisies parmi les Gentils, comme des vases d'or et d'argent, avec leurs corps, indiqués par les vêtements, se joignent au peuple de Dieu, pour être délivrées de ce siècle comme d'une autre Egypte que ce soit, dis-je, l'un ou l'autre de ces sens, ou peut-être un autre encore, il est certain, pour ceux qui lisent ces Ecritures avec piété, que ce n'est point au hasard et dans un but prophétique que tout cela a été commandé, exécuté, écrit.

1. Ex. II, 12. — 2. Ex. III, 22; XI, 2; XII, 35, 38. — 3. Liv. II, ch. XL.

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CHAPITRE XCII. QUEL ENSEIGNEMENT RENFERME LE MASSACRE DES FABRICATEURS DU VEAU D'OR.

Il serait trop long de traiter en détail de toutes les guerres faites par Moïse. C'est assez d'avoir parlé plus haut, dans cet ouvrage même où je réponds à Fauste, de la guerre faite contre Amalech (1), et d'avoir, autant que le sujet me semblait l'exiger, exposé ce que ce fait contenait de prophétique et de mystérieux. Voyons, maintenant, sur quoi se fonde ce reproche de cruauté adressé à Moïse par des hommes, ou ennemis des anciennes Ecritures, ou étrangers à toute espèce de littérature : ce que Fauste n'a point dit expressément, quand il accusait Moïse d'avoir ordonné et commis bien des cruautés. Mais comme je sais que c'est là le thème habituel de leurs déclamations malveillantes, j'en ai moi-même fait mention plus haut, et justifié le fait pour que les Manichéens de bonne foi, ou les ignorants et les impies cessassent d'y voir un crime. Maintenant, il s'agit de chercher le sens prophétique de cette circonstance que Moïse fit mettre à mort, sans distinction, sans examen préalable, beaucoup de ceux qui avaient fabriqué l'idole en son absence (2). Or, il est facile de comprendre que le massacre de ces hommes, figure la guerre à déclarer aux vices, semblables à ceux qui ont entraîné ces Israélites au même acte d'idolâtrie. C'est à faire la guerre à ces vices que le Psalmiste nous excite, quand il dit : " Fâchez-vous et ne péchez point (3) ". C'est encore l'ordre que nous donne l'Apôtre en ces termes : " Faites mourir vos membres qui sont sur la terre : la fornication, l'impureté, la luxure, les mauvais désirs, et l’avarice, qui est une idolâtrie (4) ".

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CHAPITRE XCIII. SENS MYSTIQUE DE LA DESTRUCTION DE CETTE IDOLE.

Mais nous avons besoin d'un examen plus attentif pour pénétrer le sens de ce que Moïse fit d'abord, quand il jeta le veau d'or dans les flammes, le réduisit en cendre, le mêla à de l'eau et le fit boire au peuple. Qu'il ait brisé les tables qu'il avait reçues écrites d u doigt de

1. Ex. XVII, 8,16. — 2. Id. XXXII. — 3. Ps. IV, 5. — 4. Col. III, 5.

Dieu, c'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit, parce qu'il jugeait ce peuple indigne de les entendre lire; qu'ensuite, pour détruire jusqu'aux derniers vestiges de l'idole, il l'ait livrée aux flammes, broyée, et jetée dans l'eau, soit ! mais pourquoi la fit-il boire au peuple? Qui ne serait curieux de chercher et de saisir la signification prophétique de ce fait? Avec de l'attention on reconnaîtra d'abord dans ce veau le corps du démon, c'est-à-dire les hommes de toutes les nations, dont le démon est le chef et qu'il entraîne à de tels sacrilèges. Le veau est d'or, parce que les rites de l'idolâtrie sont institués par des hommes qui semblent sages. L'Apôtre dit d'eux : " Parce que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci; en disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (1) ". C'est cette apparence de sagesse qui avait fabriqué ce veau d'or, à l'exemple des Egyptiens dont les grands et les savants adoraient des idoles de ce genre. Ce veau figure donc tout le corps de la gentilité, c'est-à-dire tous les peuples livrés à l'idolâtrie. Or, cette société sacrilège, le Christ Notre-Seigneur la consume de ce feu dont il dit dans l'Evangile : " Je suis venu apporter le feu sur la terre (2) " ; afin que, personne ne pouvant se dérober à sa chaleur (3), et les nations croyant en lui, le feu de sa vertu brûle en elles l'image du démon. Ensuite, tout le corps est brisé, c'est-à-dire, après avoir été séparé du moule d'une coupable fabrication, il est humilié par la parole de vérité; après quoi il est réduit en poudre et jeté dans l'eau, afin que les Israélites, c'est-à-dire les prédicateurs de l'Evangile, se l'assimilent par le baptême, c'est-à-dire, le fassent entrer dans le corps du Seigneur. C'est à un de ces Israélites, à Pierre, qu'il a été dit des nations mêmes: " Tue et mange (4) ". "Tue et mange! " et pourquoi pas aussi, brise et bois? Ainsi ce veau, au moyen du feu, du zèle, du glaive de la parole et de l'eau du baptême, est absorbé par ceux mêmes qu'il s'efforçait d'absorber.

1. Rom. I, 21,-23. — 2. Luc, XII, 49. — 3. Ps. XVIII, 7. — 4. Act. X,13.

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CHAPITRE XCIV. TOUT, DANS LES ÉCRITURES, TEND AU CHRIST ET À L'ÉGLISE.

Si donc ces passages des Ecritures, qui donnent occasion aux hérétiques de calomnier les Ecritures, étant soigneusement étudiés, et en quelque sorte interrogés, répondent qu'ils renferment des trésors de mystères, d'autant plus admirables qu'ils semblent plus obscurs; à combien plus forte raison, la bouche de ces impies blasphémateurs devrait-elle rester muette, quand ils sont comme éblouis par l'éclat de la vérité contre laquelle leur esprit oppressé ne sait plus que balbutier; bien que, les misérables, ils aiment mieux être étouffés par son évidence, que rassasiés de sa douceur ! Ainsi, tout cela n'a qu'une voix pour nommer le Christ; c'est vers cette tête, déjà montée au ciel, et ce corps qui se débat sur la terre jusqu'à la fin des siècles, que converge la pensée de tous ceux qui ont écrit les saintes lettres ; il faut croire qu'il n'y a pas un texte dans les livres prophétiques qui n'ait trait à un événement futur; sauf les passages dont le but est de relier ce qui prédit ce roi et son peuple, par des paroles ou des actes propres ou figurés. En effet, comme dans une lyre ou tout autre instrument de musique, tout ce qu'on touche ne rend pas des sons, mais les cordes seulement; et néanmoins les autres parties de l'instrument ont été fabriquées pour pouvoir attacher et tendre ces mêmes cordes que le musicien doit accorder et frapper pour en tirer une douce harmonie : ainsi, dans ces récits prophétiques, tout ce que l'esprit de prophétie choisit dans les actions humaines ou a quelque rapport avec l'avenir, ou est introduit dans le texte pour relier et rendre sonores, en quelque sorte, les parties qui renferment l'annonce des événements futurs.

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CHAPITRE XCV. LES ÉCRITURES SONT IRRÉPROCHABLES EN TOUT.

Si les hérétiques ne veulent pas entendre comme nous ces récits de faits allégoriques, ou prétendent qu'il n'y faut voir autre chose que le sens littéral, il est inutile de lutter.avec des gens qui vous disent : Mon palais n'a pas le même goût que le vôtre; mais qu'au moins ils croient et comprennent (l’un et l'autre plutôt que ni l'un ni l'autre) que les commandements divins, ou sont destinés à former les moeurs et la piété, ou ont quelque sens figuré ; et, dans ce dernier cas, qu'ils rattachent ces paroles et ces actions figurées à ces mêmes bonnes moeurs et à la piété. Donc, si les Manichéens ou d'autres ne goûtent pas, au sujet des figures renfermées dans les faits, notre interprétation, notre raison, notre opinion que ce soit assez pour nous, que nos pères, à qui Dieu lui-même rend le témoignage d'une vie vertueuse et fidèle à ses commandements, soient justifiés en vertu d'une règle de vérité qui ne peut déplaire qu'à des coeur s dépravés et faussés dans leurs voies : et aussi que cette partie de l'Ecriture, détestée de l'erreur manichéenne, reste exempte de reproches et digne de respect dans tous les récits qu'elle nous fait des actions des hommes, soit qu'elle les loue, soit qu'elle les blâme, soit qu'elle se contente de les raconter en les abandonnant à notre jugement.

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CHAPITRE XCVI. UTILITÉ DES SAINTES ÉCRITURES.

Du reste, que pouvait-on imaginer de plus utile et de plus salutaire pour ceux qui lisent ou écoutent avec piété les saintes Ecritures, que de leur mettre sous les yeux, non-seulement des hommes de bien à imiter, et des hommes coupables propres à inspirer de l'horreur pour le mal, mais encore les faiblesses et les chutes de quelques hommes de bien, soit qu'ils aient fait pénitence et repris le droit chemin, soit qu'ils aient persévéré dans leur égarement; et encore la conversion de certains méchants et leurs progrès dans le bien, soit qu'ils aient tenu ferme j usqu'à la fin, ou qu'ils soient retombés dans leurs anciens désordres ; en sorte que les justes ne s'enflent point d'orgueil dans une fausse sécurité, et que les méchants ne repoussent pas les remèdes dans l'endurcissement du désespoir ? Quant aux actions humaines qui n'offrent rien à imiter ni à éviter et que la sainte Ecriture raconte néanmoins, ou elles sont là comme des traits d'union, comme préparation à des sujets plus importants ; ou, par cela même qu'elles semblent inutiles, elles laissent supposer qu'il y a en elles quelque signification mystérieuse ou prophétique. Car nous ne parlons pas de ces livres qui ne contiennent point de prophéties, ou qui n'en renferment qu'un petit nombre, (364) dont l'accomplissement démontre l'autorité divine par l'éclat le plus visible, le plus frappant, de la vérité; en sorte qu'il faut être complètement fou, pour croire leur langage inutile ou ridicule, quand, non-seulement on les voit humblement acceptés par toute espèce d'hommes et d'esprits, mais qu'on lit ou qu'on sait que tout ce qu'ils contiennent de prédictions est parfaitement réalisé.

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CHAPITRE XCVII. C'EST LE REMÈDE, ET NON LE POISON, QU'OFFRENT LES ÉCRITURES.

Quoi donc ! si quelqu'un, par exemple, en lisant le fait de David, dont il a fait pénitence sur les reproches et les menaces du Seigneur, y prenait occasion de commettre le péché, quoi ! faudrait-il s'en prendre à l'Ecriture ? cet homme ne devrait-il pas, au contraire, être d'autant plus sévèrement condamné qu'il aurait abusé, pour se blesser ou se tuer, d'un récit qui était destiné à le guérir et à le délivrer ? En effet, comme les hommes tombés dans le péché négligent par orgueil le remède de la pénitence, ou se perdent tout à fait parce qu'ils désespèrent de recouvrer la santé et de mériter le pardon : voilà pourquoi on a cité l'exemple d'un si grand homme, afin que les malades se guérissent, et non pour que ceux qui se portent bien se blessent. Ce n'est point à la médecine qu'il faut s'en prendre, si les remèdes servent aux fous à se tuer eux-mêmes, ou aux malfaiteurs à tuer les autres.

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CHAPITRE XCVIII. LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES, FUSSENTILS AUSSI COUPABLES QUE LE VEUT FAUSTE, VAUDRAIENT ENCORE MIEUX QUE LE DIEU DES MANICHÉENS.

Et néanmoins, nos pères les Patriarches et les Prophètes, à qui l'Ecriture rend un si glorieux témoignage de sainteté et de piété: cette Ecriture donnée de Dieu pour le salut du genre humain, de l'aveu de quiconque la connaît ou n'a pas perdu le sens commun : nos pères, dis-je, dussent-ils être voluptueux et cruels, comme les en accuse l'erreur, ou plutôt la fureur des Manichéens, ne seraient-ils pas encore évidemment au-dessus, je ne dis pas de leurs élus, mais même de leur dieu ? Ne vaut-il pas mieux qu'un homme marié se vautre avec une femme de mauvaise vie, que d'être la lumière très-pure, et de se souiller en se mêlant aux ténèbres? Voilà un homme qui, par avarice et par gourmandise, dit que sa femme est sa soeur, et la vend à un adultère, soit; mais combien plus pervers, combien plus exécrable est celui qui feint d'accommoder son sexe à la convoitise des impudiques, et se livre gratuitement à la profanation et à la corruption ? Celui qui abuse, même sciemment, de ses filles, n'est-il pas moins coupable que celui qui mêle ses membres à de tels désordres, et à de plus grandes turpitudes encore ? Car, que peut-on commettre d'impur, de criminel en ce genre, où votre dieu, Manichéens, ne participe pas ? Si enfin Jacob, placé, comme dit Fauste, entre quatre femmes, eût passé vraiment comme un bouc de l'une à l'autre, sans s'inquiéter d'avoir des enfants, mais par pure volupté: combien il serait encore moins misérable que votre dieu, qui ne subirait pas seulement cette ignominie dans Jacob et dans ses quatre femmes, comme faisant partie de leurs corps et étant mêlé à tous leurs mouvements; mais éprouverait encore la passion dans le bouc même (hideux objet de comparaison produit par Fauste), et se retrouverait partout, par l'effet de son ignoble condition, brûlé d'une ardeur impure dans le bouc, conçu dans la chèvre et engendré dans le chevreau ? Par conséquent, si Juda a été sciemment coupable, non-seulement de fornication, mais d'inceste avec sa propre fille, votre dieu se serait arrêté, vautré, enflammé dans ce crime honteux. David s'est repenti de l'iniquité qu'il avait commise en aimant une femme étrangère et en faisant périr son mari; p mais quand votre dieu se repentira-t-il d'avoir été aimé par la race infernale des princes des ténèbres, mâles et femelles, d'avoir livré ses membres à leur passion ; d'avoir tué, non pas le mari d'une femme qu'il aurait aimée, mais ses propres fils dans les membres des démons dont il a été passionnément aimé ? Et quand même David n'aurait pas fait pénitence, quand il n'aurait pas recouvré, au moyen de ce remède, la santé de la justice, il eût encore été meilleur que le dieu des Manichéens. Admettons, en effet, que par cette seule action ou par toutes celles qu'on voudra, il a commis tous les crimes qu'un homme peut commettre; le dieu des Manichéens, lui, est convaincu de participer à tous les crimes commis par tous (365) les hommes, d'être déshonoré et souillé par le mélange de tous ses membres. Et Fauste accuse le prophète Osée ! Et si Osée, par un motif de honteuse convoitise, eût aimé et épousé une femme de mauvaise vie, les âmes des deux, celle du voluptueux amant et celle de l'immonde prostituée, eussent été, d'après vos enseignements, des parties, des membres, la nature même de votre dieu ; par conséquent, cette prostituée, (à quoi bon user de détours et ne pas dire la vérité ? ) cette prostituée eût été votre dieu ! Car vous ne pouvez objecter qu'il eût maintenu et conservé la sainteté de sa nature, qu'il n'eût été que présenté et non enchaîné à ce corps de prostituée : puisque vous convenez que ces membres de votre dieu sont horriblement souillés, et qu'ils ont grand besoin d'être purifiés. Cette femme de mauvaise vie, que vous osez reprocher à l'homme de Dieu d'avoir épousée, serait donc votre dieu, quand même elle ne se fût pas convertie par un chaste mariage ; ou, si c'est trop, tout au moins vous ne pouvez nier que son âme eût été une partie, quoique minime, de votre dieu. Et elle eût encore valu mieux que lui, parce que, après tout, ce n'était qu'une prostituée, tandis que lui, à raison de son mélange avec tout le peuple des ténèbres, est prostitué dans toutes les prostituées, se vautre, est délié, lié, au loin et au large, dans tous ceux, mâles et femelles, qui commettent la fornication ou se corrompent eux-mêmes, sauf à se vautrer de nouveau, à être délié, lié, dans toute leur progéniture, jusqu'à ce que cette très-immonde partie de votre dieu soit reléguée à l'extrémité du globe comme une prostituée perdue sans ressource. Et ces maux, ces turpitudes, ces déshonneurs, votre dieu n'a pu en préserver ses membres; il y a été invinciblement forcé par un impitoyable ennemi, qu'il n'a pu tuer, malgré ses injures et ses violences, pour sauver soit ses sujets, soit ses membres. Combien donc vaut mieux celui qui tue un égyptien pour défendre un frère et sans souffrir lui-même, cet homme que Fauste accuse, avec une étonnante légèreté, et sans songer à son Dieu : aveuglement plus étonnant encore ! Qu'il eût bien mieux valu pour ce dieu enlever les vases d'or et d'argent des Egyptiens que de voir ses membres devenir la proie du peuple des ténèbres ! Et après qu'il a fait une guerre si malheureuse, ses adorateurs reprochent au serviteur de notre Dieu d'avoir fait des guerres; des guerres où lui et les siens ont constamment triomphé des ennemis, où le peuple d'Israël a fait des prisonniers et des prisonnières : ce que votre dieu n'eût certainement pas manqué de faire s'il l'avait pu. Ce n'est donc pas là blâmer le mal, mais jalouser plus heureux que soi. Et en quoi Moïse a-t-il été cruel pour avoir puni par le glaive un peuple qui avait si gravement offensé Dieu ? Et pourtant il demande grâce pour cette faute et s'offre lui-même comme victime à la vengeance céleste. Mais admettons qu'il ait agi en cette circonstance par cruauté, et non par pitié : il serait encore bien au-dessus de votre dieu. Car certainement s'il eût envoyé contre un gros d'ennemis un des siens, un homme innocent et docile, et que celui-ci eût été fait prisonnier, jamais, après la victoire, il n'eût condamné cet homme; et c'est cependant ce que votre dieu a fait d'une partie de lui-même qu'il clouera au globe, parce qu'elle a obéi à ses ordres, parce qu'elle a marché contre les bataillons ennemis, et bravé la mort pour sauver son royaume. Mais, dit-on, pendant une série de siècles, cette partie déjà mêlée et unie aux méchants, n'avait point obéi aux commandements. Voyons pourquoi. Si c'était de sa propre volonté, la faute était réelle et la peine était juste; mais si la volonté peut être coupable, il n'y a donc pas de nature contraire qui force à pécher, et par conséquent le système des Manichéens est convaincu de mensonge et se trouve sapé par la base. Si, au contraire, elle a été vaincue par l'ennemi contre qui on l'avait envoyée, si elle a été accablée par un désastre extérieur auquel elle n'a pu résister, la peine est injuste et devient une monstrueuse cruauté. Mais on invoque, pour excuser le dieu, la loi de la nécessité. Eh bien ! que ce soit là le dieu de ceux qui ne veulent par adorer Dieu. Il faut néanmoins convenir que les adorateurs de ce dieu, quoique très-coupables de l'adorer, valent encore mieux que lui, puisqu'ils existent ; tandis qu'il n'est, lui, que néant, qu'une vaine fiction, une chimère. Passons maintenant aux autres arguties et rêveries de Fauste.

 

 

 

 

 

 

LIVRE VINGT-TROISIÈME. GÉNÉALOGIE SELON SAINTE MATTHIEU.

Fauste attaque la généalogie du Christ selon saint Matthieu. — Le Saint prouve que le Christ est tout a la fois Fils de Dieu et issu de la race de David par Marie et par Joseph son époux. — L'homme tout entier vient de Dieu. — Joachim, père de Marie. — Dieu est l'auteur de notre corps

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. IL Y A EU PLUSIEURS JÉSUS : DUQUEL S'AGIT-IL ?

Fauste. Un jour que je disputais dans une nombreuse assemblée, un homme prit la parole et me dit : Admets-tu que Jésus soit né de Marie ? — De quel Jésus parles-tu ? répondis-je. Car il y a eu plusieurs Jésus dans la loi hébraïque : un, fils de Navé et disciple de Moïse (1) ; un autre, fils du grand-prêtre Josédech (2) ; un troisième, qu'on appelle fils de David (3) ; un autre encore qu'on appelle Fils de Dieu (4). Duquel des quatre me demandes-tu si je le crois fils de Marie ? — Du Fils de Dieu, réplique-t-il. — Et sur quelle autorité, d'après quel maître l'admettrais-je ? — D'après Matthieu. — Qu'a donc écrit Matthieu ? — " Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham, etc..... (5) " — Je pensais, repartis je, que tu allais dire : Livre de la généalogie de Jésus-Christ Fils de Dieu, et je me disposais à protester; mais comme tu as cité le texte si fidèlement, je n'ai qu'une observation à te faire : c'est de réfléchir à ce que tu viens de dire. Car ce n'est pas la généalogie du Fils de Dieu que Matthieu prétend s'être proposé d'écrire, mais celle du fils de David.

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CHAPITRE II. SAINT MATTHIEU, SELON FAUSTE, NE DONNE JÉSUS POUR FILS DE DIEU QU'AU SORTIR DU BAPTÊME.

Jusque-là, à ajouter foi à ses paroles, l'enfant de Marie sera pour moi le fils de David ; mais, dans toute cette généalogie, il n'est nulle part fait mention du Fils de Dieu, jusqu'à l'époque du baptême, et tu calomnies l'écrivain en pure perte, quand tu supposes qu'il a enfermé le Fils de Dieu dans le sein d'une femme. Mais Matthieu réclame, comme on le voit, dès la première ligne, il se justifie de cette imputation

1. Ex. XXXIII, 11 ; Eccli. XLVI, 1. — 2. Agg. I, 1. — 3. Rom. I, 1, 3. — 4. Marc, I, 1. — 5. Matt. I, 1.

sacrilège, attestant que c'est le fils de David, et non le Fils de Dieu qu'il fait sortir de cette suite de générations. Si tu consultes la pensée et le but de l'écrivain, il entend moins nous le donner comme né de Marie, que comme formé par le baptême dans l'eau du Jourdain. Il nous dit, en effet, que celui que Jean a baptisé, celui qu'il a, dès le début, désigné comme fils de David, est devenu, ce jour-là, Fils de Dieu (1), à un certain âge déjà, (environ trente ans, selon Luc), alors qu'on entendait une voix lui dire : " Tu es mon Fils ; je t'ai engendré aujourd'hui (2) ". Tu vois donc que ce qui était né de Marie, trente ans auparavant, selon Luc, n'était point proprement le Fils de Dieu, mais ce qui a été fait par le baptême dans le Jourdain, c'est-à-dire un homme nouveau, tel qu'il se forme en nous quand nous passons des erreurs de la gentilité à la foi en Dieu. Et encore, je ne sais si la foi que, vous appelez catholique lui donne suffisamment cette qualité ; mais, en tout cas, c'est l'opinion de Matthieu, si toutefois ces paroles sont de lui. Car nulle part on ne lit, à propos des enfantements de Marie, que ces paroles aient été prononcées : " Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui ", ou : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances ". Cela n'a été dit que lors de l'expiation du Jourdain. Si tu crois à ces textes tels qu'ils sont écrits, tu seras un disciple de Matthieu (car c'est là le terme que je dois employer), mais point un catholique. Car nous connaissons la foi catholique, qui est aussi éloignée de la pensée, de Matthieu qu'elle l'est de la vérité. En effet, d'après votre symbole, vous croyez en Jésus-Christ Fils de Dieu, qui est né de la vierge Marie: par conséquent votre foi est que le Fils de Dieu, est venu par la vierge Marie ; celle de Matthieu, qu'il est venu par le Jourdain ; et la nôtre qu'il vient de Dieu, d'où il suit que Matthieu, en supposant le texte authentique, vous est aussi

1. Matt. III, 16, 17. — 2. Luc, III, 23, 22.

367

opposé qu'à nous; sauf qu'il est un peu plus habile que vous en nommant ce qui est né d'une femme, fils de David, plutôt que le Fils de Dieu. Vous êtes donc forcés d'avouer de deux choses l'une : ou que ce n'est pas Matthieu qui a écrit cela, ou que vous n'avez pas la foi apostolique.

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CHAPITRE III. JÉSUS N'ÉTANT PAS FILS DE JOSEPH, N'EST POINT FILS DE DAVID.

Pour nous, bien que personne ne puisse nous faire renoncer à la croyance que le Fils de Dieu vient de Dieu, cependant s'il fallait faire une large concession à l'ignorance malhabile, et si nous devions absolument admettre des erreurs, nous aimerions mieux Jésus devenu Fils de Dieu dans le Jourdain que naissant Fils de Dieu du sein d'une femme. Du reste, l'enfant né de Marie, s'il en est né un, ne peut être nommé fils de David, à moins qu'il ne soit prouvé qu'il a Joseph pour vrai père. Or, c'est ce que vous n'accordez pas ; il faut donc que vous renonciez à le dire fils de David. En effet, la généalogie descend d'Abraham à David, et de David à Joseph par tous les patriarches des Hébreux : mais Jésus n'étant point conçu de Joseph, comme on le lit, il n'est donc point fils de David : et Matthieu est véritablement fou de nous donner tout d'abord pour fils de David celui dont il va dire qu'il n'est point né de l'union de Joseph et de Marie. Ainsi donc, si le fils de Marie même ne peut être appelé fils de David, parce qu'il n'est pas le fils de Joseph, à combien plus forte raison ne peut-il être nommé le Fils de Dieu.

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CHAPITRE IV. MARIE ELLE-MÊME NE DESCEND POINT DE DAVID, SELON FAUSTE.

De plus, la Vierge elle-même ne nous est point donnée comme issue de la tribu à laquelle appartenait certainement David, je veux dire la tribu de Juda, qui fournissait des rois aux Juifs; mais elle était de la tribu de Lévi, qui donnait les prêtres : ce qui est évident, puisqu'elle a eu pour père un certain prêtre du nom de Joachim, qui n'est mentionné nulle part dans la susdite généalogie. Comment donc rattachera-t-on Marie à la race de David, à laquelle ni son père ni son mari n'appartenaient? Par conséquent, tout ce qui a pu naître d'elle, n'est point fils de David, à moins qu'on ne la rapproche tellement de Joseph, qu'elle soit évidemment ou sa fille ou son épouse.

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CHAPITRE V. FAUSTE RÉFUTÉ PAR LE TEXTE DE SAINT MATTHIEU.

Augustin. La foi catholique, et en même temps apostolique, est que Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est Fils de Dieu selon la divinité, et fils de David selon la chair. Nous le démontrons par l'Evangile et par les lettres des Apôtres, de telle sorte qu'on ne peut contester nos preuves, à moins de rejeter ces parties de l'Ecriture. Nous ne procédons pas comme cet inconnu, que Fauste se donne pour adversaire, qui cite quelques mots, et n'a plus d'autres témoignages à opposer aux arguties de l'imposteur. Quand j'aurai produit ces témoignages, Fauste n'aura plus rien à répliquer; il ne lui restera d'autre ressource que de recourir au moyen par lequel il cherche à éluder les vérités les plus clairement exprimées dans les Ecritures, à savoir de prétendre qu'il y a eu des falsifications et des interpolations dans ces livres divins. J'ai déjà réfuté plus haut, autant que cela m'a paru nécessaire, et dans cet ouvrage même, cette folie, cette manie présomptueuse et cette audace; je n'ai donc pas besoin de répéter ce que j'ai dit, puisqu'enfin il faut songer à garder des bornes. A quoi bon rechercher et recueillir tous les témoignages dispersés dans toutes les Ecritures, pour prouver contre Fauste, par des livres d'une autorité incontestable et divine, que celui que nous appelons Fils unique de Dieu, Dieu en Dieu de toute éternité, est le même que nous appelons aussi fils de David, parce qu'il a pris la forme d'esclave de la Vierge Marie, épouse de Joseph? Mais comme Fauste discute ici sur Matthieu, et que je ne puis pas donner en entier le livre de cet évangéliste, chacun peut le lire et voir comment Matthieu suit jusqu'à sa passion et à sa résurrection celui qu'il nomme fils de David au moment de donner sa généalogie, et ne le distingue point de celui qu'il déclare conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie. Et il apporte en preuve ces paroles du Prophète : " Voilà que la Vierge concevra et enfantera un Fils et on le nommera Emmanuel, ce que l'on (368) interprète par, Dieu avec nous (1) ". Il déclare que celui qui, étant baptisé par Jean, entendit une voix du ciel dire : " Celui-ci est mon Fils " bien-aimé en qui j'ai mis mes complaisances (2)", est le même que celui qu'on appelle, à partir de l'enfantement de la Vierge : " Dieu avec nous ". A moins que Fauste ne trouve que le nommer Dieu, soit moins que de l'appeler Fils de Dieu. Car pour prouver que Matthieu ne l'a cru Fils de Dieu qu'au sortir du baptême, il se base sur cette parole descendue du ciel : " Celui-ci est mon Fils " ; tandis que l'Evangéliste a déjà cité le témoignage du Prophète inspiré d'en haut, où l'enfant même de la Vierge est appelé : " Dieu avec nous ".

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CHAPITRE VI. FAUSTE QUI A CALOMNIÉ ABRAHAM, ISAAC ET JACOB, ESSAIE D'ÉBRANLER L'AUTORITÉ DE SAINT MATTHIEU.

Nous devons ainsi observer et suivre pas à pas ce fou, ce misérable babillard qui ne manque jamais l'occasion de donner une apparence de fausseté aux textes de l'Ecriture dans l'esprit de ceux qui lisent ses sottises. C'est ainsi qu'il a dit qu'Abraham, lorsqu'il rendait mère sa servante, ne croyait point à la promesse que Dieu lui avait faite de lui donner un fils de Sara, tandis que l'Ecriture atteste que cette promesse n'a été faite que plus tard (3). C'est ainsi qu'il accuse le patriarche d'avoir menti en faisant passer Sara pour sa sueur, tandis qu'il n'a lu nulle part la généalogie de Sara dans les Ecritures, qui sont ici les seuls témoins à consulter (4). C'est ainsi qu'il accuse Isaac d'avoir aussi menti en donnant Rébecca pour sa sueur, alors que l'origine de celle-ci est clairement constatée dans l'Ecriture (5); qu'il fait un crime à Jacob, de ce qu'il y avait chaque jour contestation entre ses quatre femmes, à qui s'emparerait de lui pour la nuit, lorsqu'il rentrait de la campagne, quand on lui démontre qu'il n'a lu cela nulle part. Voilà l'homme qui se vante de haïr comme menteurs les auteurs des divines Ecritures ; qui ose calomnier l'autorité de l'Evangile, si haute, si respectée du monde entier, jusqu'à chercher à faire croire que c'est un inconnu sous le nom de Matthieu (il n'ose dire Matthieu lui-même, pour ne pas être

1. Luc, VII, 14; Matt. I, 23. — 2. Matt. III, 17. — 3. Gen. XVI, 4 ; XVII, 17. — 4. Id. XII, 13; XX, 2,12. — 5. Id. XXVI, 7 ; XXIV.

écrasé sous le poids d'un nom d'apôtre), qui a écrit sur le Christ des choses qu'il ne veut pas croire, et qu'il essaie de réfuter par de calomnieux sophismes.

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CHAPITRE VII. JÉSUS EST A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE DAVID.

Ces paroles : " Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances ", qui ont été prononcées près des eaux du Jourdain, l'ont été également sur la montagne (1). Or, de ce que cette voix a retenti, ici aussi, du haut du ciel, il ne suit pas que Jésus n'ait pas été Fils de Dieu auparavant; puisque c'est du sein de la Vierge " qu'a pris la forme d'esclave Celui qui étant dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu (2)". Enfin, le même apôtre Paul dit ailleurs, dans le langage le plus clair " Mais lorsqu'est venue la plénitude des " temps, Dieu a envoyé son Fils formé d'une " femme, soumis à la loi (3) " ; employant le mot femme dans le sens de la locution hébraïque (Mulier au lieu de Femina). Jésus est donc Fils de Dieu et Seigneur de David, selon la divinité, et en même temps fils de David, de la race de David, selon la chair. Et si ce point de notre croyance était inutile, l'Apôtre ne le recommanderait pas aussi vivement à Timothée, en disant : " Souvenez-vous que le Seigneur Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité d'entre les morts, selon mon Evangile (4)". Il a d'ailleurs soigneusement prévenu les fidèles que quiconque annonce un autre Evangile, doit être anathèmes.

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CHAPITRE VIII. COMMENT LE CHRIST, MARIE ET JOSEPH SONT DE LA FAMILLE DE DAVID.

Qu'il y a-t-il donc de choquant, pour un disciple du saint Evangile, à ce que le Christ né de la Vierge sans la participation de Joseph, soit cependant appelé fils de David, quoique Matthieu l'Evangéliste fasse descendre sa généalogie, non pas jusqu'à Marie, mais jusqu'à Joseph? La première raison de cela, est qu'il fallait d'abord faire honneur à l'époux, à cause de son sexe : car, pour s'être abstenu

1. Matt. XVII, 5. — 2. Phil. II, 7, 6. — 3. Gal. IV, 4. — 4. II Tim. II, 8. — 5. Gal. I, 8, 9.

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de son épouse, Joseph n'en est pas moins son époux, puisque le même Matthieu qui nous raconte que la Vierge avait conçu, non de son époux, mais du Saint-Esprit, nous dit aussi que l'Ange appela Marie épouse de Joseph. Et si ce n'est pas l'apôtre Matthieu qui a écrit ces vérités, mais, comme le pensent les Manichéens, quelque autre qui aurait écrit ces faussetés sous son nom, ce faussaire se serait-il contredit dans des choses si évidentes, si rapprochées, au point d'amener, sans raison aucune, jusqu'à Joseph, qu'il dit n'avoir point connu Marie, la généalogie de celui qu'il appelle Fils de David, né de la Vierge Marie sans la participation d'aucun homme, et cela, en donnant par ordre de générations tous les noms de ses ancêtres ? Si, en effet, un homme énumérait les ancêtres du Christ, de David à Joseph, et l'appelait fils de David, et qu'un autre le déclarât né de la Vierge Marie, sans la participation d'aucun homme, mais ne l'appelât point fils de David : il ne faudrait pas pour cela conclure de leur contradiction que l'un du moins, sinon tous les deux, serait dans le faux. Nous devrions penser, au contraire, que tous les deux ont pu dire la vérité : à savoir que Joseph devait être nommé époux de Marie, chaste époux, non par le commerce charnel, mais par l'affection, non par l'union du corps, mais par celle, bien plus précieuse, de l'âme; que par conséquent l'époux de la Vierge mère du Christ n'a point dû être détaché de la suite des parents du Christ, et que Marie elle-même avait dans les veines quelques gouttes du sang de David, afin que la chair du Christ, quoique enfantée d'une Vierge, ne pût être étrangère à la race de David. Mais comme c'est un seul et même écrivain qui dit les deux choses, qui nous présente Joseph comme époux de Marie et la Vierge comme mère du Christ, le Christ comme issu de la race de David; et Joseph comme faisant partie de la généalogie du Christ, à partir de David : que reste-t-il à celui qui aime mieux croire à l'Evangile qu'aux fables des hérétiques, sinon d'admettre que Marie n'était point étrangère à la famille de David, qu'on ne l'a pas appelée, sans raison, épouse de Joseph, bien qu'il ne lui ait point été uni charnellement, mais par égard pour le rang dû au sexe, et à cause de l'union de leurs cœurs ; que Joseph n'a point dû être détaché de l'arbre généalogique, à cause de sa dignité d'homme et pour ne pas paraître séparé de la femme à qui son affection l'unissait, et aussi pour que les disciples fidèles du Christ ne considérassent point l'union charnelle comme tellement essentielle au mariage, qu'on ne puisse être époux sans elle, mais qu'ils apprissent que des époux fidèles sont d'autant plus unis aux membres du Christ, qu'il imitent de plus près les parents du Christ.

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CHAPITRE IX. JOACHIM, PÈRE DE MARIE, SELON UN LIVRE APOCRYPHE.

Nous croyons donc que Marie tenait aussi à la race de David, parce que nous croyons aux Ecritures qui affirment ces deux choses : que le Christ est de la race de David selon la chair (1), et que Marie est devenue sa mère, non par union charnelle avec aucun homme, mais en restant Vierge (2). Ainsi, quiconque nie que Marie ait été de la famille de David, résiste évidemment à l'autorité si respectable des Ecritures; il faut qu'il nous démontre le contraire, il faut qu'il le prouve, non par des écrits quelconques, mais par des Ecritures ecclésiastiques, canoniques, catholiques. Les autres sont pour nous, sous ce rapport, sans poids et sans autorité. Ce sont celles-là que reçoit et maintient l'Eglise, l'Eglise qu'elles ont prophétisée et qui existe telle qu'elle a été promise. Par conséquent, l'assertion de Fauste, que Marie aurait eu pour père un prêtre nommé Joachim, de la tribu de Lévi, ne reposant sur aucun témoignage canonique, je ne m'en embarrasse pas le moins du monde. Mais quand je l'admettrais, je pourrais m'en tirer encore en disant que ce Joachim devait tenir en quelque façon à la race de David et était passé par quelque adoption de la tribu de Juda à celle de Lévi, soit lui, soit un de ses aïeux; ou qu'il était né dans la tribu de Lévi, de manière à avoir des liens de consanguinité avec la race de David. C'est ainsi que Fauste lui-même avoue qu'il aurait pu se faire que Marie fût de la tribu de Lévi, bien qu'il soit constant qu'elle a été donnée à un homme de la race de David, c'est-à-dire de la tribu de Juda; il ajoute même qu'on aurait pu admettre le Christ comme un fils de David, si Marie avait été fille de Joseph. Par conséquent, si, étant fille de Joseph, elle s'était mariée dans

1. Rom. I, 3 ; II Tim. II, 8. — 2. Matt. I, 18; Luc, I, 27.

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la tribu de Lévi, on serait autorisé à appeler fils de David tout enfant qui naîtrait d'elle, même dans la tribu de Lévi ; de même si la mère de ce Joachim, que Fauste donne pour père à Marie, étant de la tribu de Juda et de la race de David, s'était mariée dans la tribu de Lévi, on pourrait en toute vérité dire que Joachim, Marie et son fils seraient de la race de David. Voilà ce que j'admettrais, ou quelque autre chose de ce genre, si j'attachais de la valeur à un livre apocryphe où on lit que Joachim fut père de Marie, plutôt que d'accuser de mensonge l'Evangile où il est écrit, tout à la fois que Jésus-Christ, Fils de Dieu, notre Sauveur, était, selon la chair, de la race de David, et qu'il est né de la Vierge Marie. Il nous suffit donc que les Ecritures qui affirment cela, et auxquelles nous croyons, ne puissent être convaincues de fausseté par ceux qui les combattent.

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CHAPITRE X. COMMENT LE FILS DE DIEU A ÉTÉ ENFERMÉ DANS LE SEIN D'UNE VIERGE. APOSTROPHE AUX MANICHÉENS.

Que Fauste ne réplique pas: Si je ne puis prouver que Marie n'était pas de la race de David, c'est à toi à démontrer qu'elle en était. Car je le démontre par le document le plus clair, le plus irréfragable, puisque l'Ecriture, dont l'autorité ne saurait être ébranlée, affirme que le Christ est de la race de David et qu'il a eu pour mère la Vierge Marie sans la participation d'aucun homme. Mais quelle délicatesse dans Fauste, quelle sainte horreur pour tout ce qui blesse la décence, quand il nous dit : " Vous calomniez l'écrivain en pure perte, quand vous supposez qu'il a enfermé le Fils de Dieu dans le sein d'une femme ! "

Assurément, la foi catholique, qui reconnaît que le Christ, Fils de Dieu, est né d'une vierge selon la chair, n'enferme pas ce même Fils de Dieu dans le sein d'une femme, de telle sorte qu'il ne soit plus dehors, qu'il ait cessé de gouverner le ciel et la terre, qu'il ait quitté le sein de son Père. Mais vous, Manichéens, dont l'intelligence ne saisit que des images matérielles, vous ne comprenez rien à ceci comment le Verbe de Dieu, vertu et sagesse de Dieu, subsistant en lui-même et dans son Père, gouvernant l'univers créé, atteint d'une extrémité à l'autre avec force et dispose toutes choses avec douceur (1). Dans cette merveilleuse et ineffable facilité de tout disposer, il s'est préparé une mère sur la terre; et, pour racheter ses serviteurs de la servitude de la corruption, il a pris en elle la forme d'un esclave, c'est-à-dire un corps mortel; après avoir pris ce corps, il l'a montré; après l'avoir montré, il l'a livré à la mort; après l'avoir livré à la mort, il l'a ressuscité, il l'a rebâti comme on relève un temple détruit. Mais vous qui repoussez ces croyances comme sacrilèges, vous enfermez votre dieu, non plus dans le sein d'une vierge, mais dans le ventre de toutes les femelles des animaux, depuis l'éléphant jusqu'à la mouche. Quoi ! vous méprisez le vrai chrétien parce qu'il reconnaît que le Verbe s'est fait chair dans le sein d'une vierge, qu'il s'est fait de l'homme un temple, sans aucun changement dans sa nature propre, en conservant son immuable pureté; et votre dieu vous est cher parce qu'étant enchaîné par tant de liens charnels, souillé même dans la partie qui doit être clouée à notre globe, il demande en vain merci, ou même est tellement accablé, qu'il n'a pas seulement, la force de crier au secours !

1. Sag. VIII, 1.

 

 

 

 

 

LIVRE VINGT-QUATRIÈME. DIEU A CRÉÉ L’HOMME TOUT ENTIER.

Dieu, selon Fauste, n'a créé en nous que l'homme intérieur, et n'est point l'auteur de notre corps. — Dieu a fait l'homme tout entier

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. QUEL EST, D'APRÈS FAUSTE, L'HOMME QUE DIEU CRÉE EN NOUS. DIEU N'EST PAS L'AUTEUR DE NOTRE CORPS.

Fauste. Pourquoi niez-vous que l'homme soit créé de Dieu? — Nous ne nions pas absolument que l'homme soit créé de Dieu; nous demandons seulement quelle espèce d'homme, quand et comment il est créé. En effet, selon l'Apôtre, il y en a deux : l'un qu'il appelle parfois extérieur, plus souvent terrestre, ou encore vieil homme; l'autre qu'il appelle intérieur, céleste, nouveau (1). Nous demandons lequel de ces deux hommes est l'oeuvre de Dieu. Il y a aussi dans notre naissance deux époques : l'une, quand nous sommes enchaînés dans les liens de la chair et que la nature nous met au jour; l'autre, quand la vérité nous arrache à l'erreur et nous régénère, en nous initiant à la foi. C'est cette seconde naissance que Jésus désigne dans l'Evangile, quand il dit: " Si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu ". Et comme Nicodème, comprenant mal et hésitant, demandait comment cela pouvait se faire, puisque le vieillard ne peut pas rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois, Jésus lui répondit et lui dit : " Si quelqu'un ne naît pas de l'eau et de l'Esprit-Saint, il ne peut voir le royaume de Dieu ". Puis il continue: " Ce qui naît de la chair est chair, et ce qui naît de l'Esprit est esprit (2) ". Si donc notre naissance corporelle n'est pas la seule, mais qu'il y en ait une autre par laquelle nous renaissons de l'Esprit, il n'est pas d'un médiocre intérêt de chercher de laquelle des deux Dieu est l'auteur. Il y a également deux manières de naître: l'une propre à la passion et à l'incontinence, par laquelle nous sommes engendrés d'une manière honteuse par des esclaves de la volupté; l'autre honnête et sainte, par laquelle nous sommes initiés à la foi, dans le Christ Jésus, par l'Esprit-Saint,

1. Rom. VI, VII ; I Cor. XV; Eph. III, IV; Col. III. — 2. Jean, III, 3, 6.

sous l'enseignement des hommes de bien : ce qui fait que toute religion, et surtout la chrétienne, appelle au sacrement dès la première enfance. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre : " Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (1) ". Ainsi donc, il ne s'agit plus de savoir si Dieu fait l'homme; mais quand, quel et comment il le fait; car si Dieu nous fait à son image quand nous sommes formés dans le sein maternel, suivant l'opinion des Gentils, des Juifs et la vôtre, alors il nous fait vieil homme, il nous crée par le moyen de la passion et de la volupté, et je ne sais si cela est digne de sa divinité. Mais si, au contraire, nous sommes formés de Dieu quand nous croyons et que nous passons à un meilleur état de vie, ce qui est l'opinion du Christ, des Apôtres et la nôtre, alors Dieu nous fait évidemment hommes nouveaux, et il agit d'une manière convenable et pure : et quoi de plus raisonnable, et qui s'accorde mieux avec sa sainte et vénérable Majesté? Si vous ne dédaignez pas l'autorité de Paul, nous vous montrerons par lui quel est l'homme que Dieu fait, quand et comment il le fait. Il dit aux Ephésiens : " Afin que vous dépouilliez, par rapport à votre première vie, le vieil homme qui se corrompt par les désirs de l'erreur; renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité (2)". Tu vois donc quand l'homme est créé à l'image de Dieu; tu vois qu'on nous montre ici un autre homme, une autre naissance, une autre manière de naître. Car, quand l'Apôtre dit : Dépouillez-vous et revêtez-vous, il indique évidemment le moment de la conversion à la foi ; et quand il atteste que Dieu crée un nouvel homme, il affirme par là même que le vieil homme ne vient pas de Dieu, n'est pas formé à son image. Et quand il continue en disant que l'homme

1. Gal. IV, 19. — 2. Eph. IV, 22, 23, 24.

372

nouveau est créé dans la sainteté, la justice et la vérité, il indique, il signale par là l'autre espèce de naissance dont j'ai parié, très-différente de celle-ci qui a produit nos corps par l'union voluptueuse de nos parents; et en faisant voir que l'autre vient seule de Dieu, il démontre par le fait que celle-ci n'en vient pas. Il répète encore la même chose aux Colossiens : " Dépouillez le vieil homme avec ses œuvres, et revêtez le nouveau qui se renouvelle dans la connaissance de Dieu, selon l'image de celui qui l'a créé en vous ". Par là, non-seulement il nous montre que c'est l'homme nouveau que Dieu crée; mais encore il nous indique quand et de quelle manière il le forme, c'est-à-dire : " Dans la connaissance de Dieu ", autrement : dans le moment de la conversion à la foi. Il ajoute encore : " Selon l'image du Dieu qui l'a créé ", pour nous faire voir clairement que le vieil homme n'est point l'image de Dieu et n'a point été formé par lui. Et quand il ajoute ensuite : " Renouvellement où il n'y a plus ni homme ni femme, ni Juif, ni Grec, ni barbare ni Scythe (1) ", il indique de plus en plus visiblement que l'autre naissance qui nous fait hommes et femmes, Grecs et Juifs, Scythes et barbares, n'est pas celle où Dieu opère, celle où il forme l'homme; mais bien celle-ci qui efface toute différence de nation, de sexe et de condition et fait de nous une seule chose, à l'exemple de celui qui est un, c'est-à-dire le Christ ; comme le même Apôtre le répète encore ailleurs, quand il dit : " Tous ceux qui ont été baptisés dans le Christ, ont été revêtus du Christ; il n'y a plus ni juif ni Grec; plus d'homme, ni de femme; plus d'esclave ni de libre; mais tous sont une seule chose dans le Christ (2) ". Donc, l'homme est formé de Dieu quand, de beaucoup, il devient un, et non quand d'un, il se divise en beaucoup. Or, la première naissance, c'est-à-dire la naissance corporelle, nous a divisés; la seconde, celle qui est spirituelle et divine, nous unit; et nous avons toute raison d'attribuer l'une à la nature du corps, et l'autre à la suprême majesté. C'est ce qui fait encore dire à l'Apôtre, écrivant aux Corinthiens : " C'est moi qui par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus (3) " ; et aux Galates, en parlant de lui-même : " Mais lorsqu'il plut à celui qui m'a choisi dans le sein de ma mère, de

1 Col. III, 9, 11. — 2. Gal. III, 27, 28. — 3. I Cor. IV, 15.

me révéler son Fils pour que je l'annonçasse parmi les nations, aussitôt, sans acquiescer à la chair et au sang (1)... " Tu le vois donc partout affirmer que c'est dans l'autre naissance, dans la naissance spirituelle seulement, que nous sommes formés par Dieu; et non dans cette première naissance obscène, dégoûtante, par laquelle nous sommes conçus, formés et engendrés dans le sein maternel, d'une manière aussi ignoble, aussi impure que les autres animaux. Si vous voulez y faire attention, vous remarquerez que, là-dessus, nous ne différons pas tant de vous par le symbole que par le sens que nous y attachons. Il vous plaît d'attribuer à Dieu la formation du vieil homme, de l'homme extérieur et terrestre : nous lui attribuons au contraire celle de l'homme céleste, intérieur et nouveau; non sans raison et par conjecture, mais d'après les leçons du Christ et de ses Apôtres, qui ont évidemment enseigné les premiers cette doctrine dans le monde.

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CHAPITRE II. RÉFUTATION DE L'OPINION DE FAUSTE. L'HOMME TOUT ENTIER VIENT DE DIEU.

Augustin. Sans doute, Paul veut qu'on entende que l'homme intérieur est dans l'esprit de l'âme, et l'homme extérieur dans le corps et dans cette vie mortelle; cependant, on ne lit nulle part dans ses lettres qu'il ait voulu parler de deux hommes distincts; il n'en nomme qu'un, que Dieu a fait tout entier, c'est-à-dire dans sa partie intérieure et dans sa partie extérieure; mais c'est dans la partie intérieure qu'il l'a fait à son image, en le créant, non-seulement incorporel, mais encore raisonnable, à la différence des animaux. Il n'a donc pas fait un homme à son image, et l'autre, non : mais comme l'intérieur et l'extérieur ne font qu'un seul homme, cet homme un, il l'a fait à son image, non quant au corps et à la vie corporelle, mais en tant qu'il a une âme raisonnable, capable de connaître Dieu, et qui le place, par le privilège même de sa raison, au-dessus de tous les êtres qui en sont privés. Or, Fauste convient que cet homme intérieur est formé par Dieu " quand il est renouvelé ", nous dit-il, " dans la connaissance de Dieu, selon l'image de celui qui l'a créé ". J'admets complètement cette

1. Gal. I, 15,16.

pensée de l'Apôtre (1), mais pourquoi Fauste n'admet-il pas l'autre : " Dieu a placé dans le corps chacun des membres, comme il l'a voulu (2)? " Voilà que le même Apôtre déclare Dieu créateur de l'homme extérieur : pourquoi notre adversaire choisit-il ce qu'il croit convenir à son système, et passe-t-il sous silence ou rejette-t-il ce qui sape par la base les fables de Manès? De même, quand Paul dissertait sur l'homme terrestre et l'homme céleste, distinguant entre l'homme mortel et l'homme immortel, c'est-à-dire entre ce que nous sommes dans Adam et ce que nous serons dans le Christ, il a tiré de la loi même, du livre même, du passage même, un témoignage en faveur du corps terrestre, c'est-à-dire animal, du passage, dis-je, où il est écrit que Dieu a créé aussi l'homme terrestre. Car, en traitant de la manière dont les morts ressusciteront, du corps avec lequel ils reviendront, il emprunte une comparaison à la semaille des grains, disant qu'on sème une simple graine, et que Dieu lui donne un corps comme il veut, à chaque semence son corps propre (en quoi il renverse l'erreur de Manès qui attribue, non à Dieu, mais au peuple des ténèbres la création des grains, des herbes, de toutes les racines et de tous les végétaux, et croit que Dieu est enchaîné dans ces formes et espèces d'êtres, plutôt que d'y agir en quoi que ce soit) ; et après avoir ainsi combattu les sacrilèges rêveries de Manès, il en vient aux différences des chairs : " Toute chair n'est pas la même chair ", dit-il; puis il passe à la distinction des corps célestes et des corps terrestres, et ensuite au changement qui s'opérera dans notre corps et le rendra spirituel et céleste : " Il est semé ", dit-il, " dans l'abjection, il ressuscitera dans la gloire; il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force; il est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel ". Et voulant, à cette occasion, montrer l'origine du corps animal " S'il y a ", dit-il, " un corps animal, il y a aussi un corps spirituel ; comme il est écrit Adam, le premier homme, a été fait âme vivantes (3) ". Or, ceci est écrit dans la Genèse (4), où l'on raconte comment Dieu fit l'homme et anima le corps qu'il avait formé de terre. Mais par vieil homme, l'Apôtre n'entend pas autre chose que la vieille vie, la vie du péché, la vie selon Adam, dont il dit : " Le péché est

1. Col. III,10. — 2. I Cor. XII, 18. — 3. Id. XV, 35, 45. — 4. Gen. II, 7.

entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché ; et ainsi, la mort a passé dans tous les hommes, par celui en qui tous ont péché (1) ". Donc, l'homme tout entier, c'est-à-dire dans son intérieur et dans son extérieur, a vieilli à cause du péché et a été condamné à la mortalité ; mais maintenant il est renouvelé selon l'homme intérieur, où il est de nouveau formé à l'image de son Créateur, en se dépouillant de l'injustice, c'est-à-dire du vieil homme, et en revêtant la justice, c'est-à-dire l'homme nouveau. Mais quand le corps, qui est semé animal, ressuscitera spirituel, alors l'homme extérieur participera à la dignité de l'état céleste, afin que tout ce qui a été créé soit recréé, que tout ce qui a été fait soit refait par Celui qui a créé et qui recrée, qui a fait et qui refait. C'est ce que l'Apôtre explique brièvement, quand il dit : " Le corps est mort par le péché, mais l'esprit vit par l'effet de la justification. Que si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous (2) ". Et quel homme instruit de la vérité catholique ignore que les uns sont hommes, les autres femmes selon le corps, et non selon l'esprit de l'âme, dans lequel nous sommes renouvelés selon l'image de Dieu? Mais le même Apôtre atteste que Dieu a créé les deux sexes quand il dit : " Ni la femme n'est sans l'homme, ni l'homme sans la femme, dans le Seigneur: car comme la femme a été tirée de l'homme, ainsi l'homme est par la femme; mais tout vient de Dieu (3) ". Mais que disent à cela ces hommes ineptes et trompeurs, entièrement éloignés de la vie de Dieu par l'ignorance qui est en eux, à cause de l'aveuglement de leur coeur (4), que disent-ils, sinon: ce qui nous accommode dans les lettres de l'Apôtre est vrai, ce qui ne nous accommode pas est faux? Voilà jusqu'où les Manichéens portent le délire; mais qu'ils reviennent à la raison, et qu’ils cessent d'être Manichéens. Ils avouent que l'homme intérieur est renouvelé à l'image de Dieu, et ils citent d'eux-mêmes le témoignage de l'Apôtre là-dessus; et Fauste dit que Dieu fait l'homme quand l'homme intérieur est renouvelé dans la connaissance de Dieu. Et

1. Rom. V, 12. — 2. Id. VIII, 10, 11. — 3. I Cor. XII,11, 12. — 4. Eph. IV, 18.

374

lorsqu'on leur demande si celui qui refait l'homme est le même qui l'a fait, si celui qui le renouvelle est celui qui l'a créé, ils répondent oui. Mais si, partant de cette réponse, nous insistons et leur demandons quand celui qui reforme l'homme maintenant, l'a formé, ils ne sauront à quel subterfuge recourir pour dissimuler la honte de leur fabuleux système. Car ils ne disent pas que l'homme a été formé ou créé, ou établi par Dieu, mais qu'il est une partie de la substance de Dieu envoyée contre les ennemis; ils ne veulent pas qu'il soit devenu vieil homme par le péché, mais qu'il ait subi le joug de la nécessité, qu'il ait été défiguré par les ennemis, et autres billevesées qu'il me répugne de redire. Là, en effet, ils parlent d'un premier homme, non de celui que l'Apôtre appelle terrestre, tiré de la terre (1), mais d'un je ne sais quoiqu'ils ont fabriqué et tiré de leur arsenal de mensonge. Sur ce point, Fauste garde un silence complet, bien qu'il se soit proposé de parler de l'homme.I1 craint de se démasquer par quelque côté aux yeux de ceux contre qui il dispute.

1. I Cor. XV, 47.

 

 

 

 

LIVRE VINGT-CINQUIÈME.

Objection de Fauste sur le Dieu d'Abraham. — Courte réponse d'Augustin.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE OBJECTE QUE LE DIEU D'ABRAHAM N'EST PAS INFINI. SELON LUI, LE BIEN ET LE MAL SE LIMITANT, DIEU A DES BORNES.

Fauste. Dieu est-il fini ou infini? Si l'on peut s'en rapporter à votre prière, ainsi conçue : Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob (1), Dieu est fini, à moins qu'il n'y ait un Dieu pour qui tu pries, et un autre que vous priiez; sinon le cercle de la circoncision, qui sépare Abraham, Isaac et Jacob de la société des autres nations (2), formera aussi la limite de la puissance de Dieu à leur égard. Or, celui dont le pouvoir est limité, a lui-même des bornes. D'autre part, dans cette prière, vous ne faites aucune mention des anciens qui ont précédé Abraham : Enoch, Noé, Sem (3), et autres de ce genre, qui cependant, de votre aveu, ont été justes dans l'incirconcision. Mais comme ils ne portaient point le signe spécial de la circoncision, vous ne voulez pas que Dieu soit leur Dieu ; il ne l'est que d'Abraham et de sa postérité. Si donc il existe un Dieu unique et infini, pourquoi ce soin, cette précaution dans votre prière ? pourquoi, non contents d'avoir nommé Dieu, ajoutez-vous de qui il est le Dieu, c'est-à-dire d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, comme si votre oraison devait se perdre à travers une foule de dieux et faire naufrage, à moins qu'elle ne porte le pavillon d'Abraham? Assurément, cela se comprend de la part des Juifs qui sont circoncis car, par là, ils indiquent qu'ils s'adressent au Dieu de la circoncision, à l'exclusion des dieux des incirconcis ; mais que vous le fussiez, vous, voilà ce que je ne comprends guère, puisque vous ne portez point le signe de la circoncision comme Abraham, dont vous invoquez le Dieu. En effet, il paraît vraiment que les Juifs et le Dieu des Juifs s'étaient mutuellement donné des signes pour se reconnaître, pour ne pas se perdre de vue entre eux : il les avait, lui, marqués du cachet impur de la circoncision, afin que, par là, on

1. Ex. III, 15. — 2. Gen. XVII, 9, 14. — 3. Gen. V.

sût qu'ils lui appartenaient, chez quelque nation, en quelque pays qu'ils se trouvassent; et eux, à leur tour, le surnommaient Dieu de leurs pères, afin que, en quelque lieu qu'il fût, même parmi une multitude d'autres dieux, dès qu'il entendrait dire : Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, il reconnût que c'était lui qu'on invoquait. Il arrive, en effet, que quand beaucoup de personnes portent le même nom, aucune ne répond à l'appel, si on n'y ajoute un surnom. Ainsi encore, les bergers font des marques à leurs troupeaux, de peur qu'un étranger ne s'en empare comme de son bien propre. Et comme vous en faites autant, que vous parlez aussi du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du Dieu de Jacob, vous indiquez par là non-seulement que votre Dieu est fini, mais encore que vous lui êtes étrangers, que vous n'avez point son signe ni son sacrement, qui est la mutilation des parties viriles, à quoi Dieu reconnaît les siens. Par conséquent, si c'est là le Dieu que vous adorez, il est parfaitement clair qu'il a des bornes. Mais si vous prétendez que Dieu est infini, il vous faut d'abord renoncer à celui-là, changer votre prière et déplorer votre erreur passée. Si nous tenons ce langage, c'est pour vous battre avec vos propres armes ; car, sur cette question : Le Dieu souverain, le vrai Dieu est-il infini ou non ? L'opposition du bien et du mal nous apprendra vite la vérité. En effet, si le mal n'existe pas, Dieu est certainement infini; mais il a des bornes, si le mal existe. Or, il est certain que le mal existe, Dieu n'est pas infini ; car c'est chose reçue que le mal commence là où le bien finit.

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CHAPITRE II. RÉPONSE DU SAINT. L'ERREUR DES MANICHÉENS LES REND INCAPABLES DE TRAITER LES QUESTIONS QUI ONT DÉJÀ ÉTÉ DISCUTÉES PLUS HAUT.

Augustin. A Dieu ne plaise que quiconque vous connaît, vous interroge là-dessus et entre en discussion sur ce point avec des gens tels que vous. Car vous avez besoin (376) d'être d'abord dégagés des fictions d'un esprit charnel et matériel et purifiés par une foi pieuse et un rayon de vérité, si faible qu'il puisse être, avant d'être capables de concevoir des idées spirituelles de quelque manière et à quelque degré que ce soit. Tant que vous ne le pourrez pas (car votre hérésie ne sait faire autre chose que d'étendre le corps, l'âme et Dieu à travers les espaces locaux, finis ou infinis, quoique la matière seule occupe ces espaces ou est occupée par eux), tant que vous ne le pourrez pas; dis-je, vous ferez bien mieux de ne pas vous mêler de cette question, dans laquelle vous ne savez pas enseigner un mot de vrai, pas plus qu'ailleurs du reste, et où vous n'êtes pas même capables d'apprendre, comme vous le seriez peut-être dans d'autres sujets, sans votre orgueil et votre esprit de contention. En effet, dès qu'on pose seulement ces questions : comment Dieu serait fini, lui qu'aucun lieu ne renferme; comment est-il infini, lui que le Fils connaît tout entier; comment serait fini, celui qui est immense; comment est infini, celui qui est parfait; comment serait fini, celui qui n'a pas de mesure; comment est infini, celui qui est la mesure de toutes choses; dès qu'on pose, dis-je, ces questions, toute pensée charnelle disparaît ; et si le manichéen veut devenir ce qu'il n'est pas encore, il faut d'abord qu'il rougisse de ce qu'il est. Ainsi au lieu de nous demander si Dieu est fini ou infini, vous feriez mieux de terminer la question en gardant le silence, jusqu'à ce que vous cessiez d'être à une si grande distance de la fin de la loi qui est le Christ. Pourquoi le vrai Dieu, le Dieu de toute créature, a-t-il voulu s'insinuer dans l'esprit de son peuple, en se faisant appeler Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est ce que nous avons déjà suffisamment expliqué. Nous avons aussi parlé plus d'une fois de la circoncision dans les premières parties de cet ouvrage, en réponse à d'ineptes calomnies. Et nos adversaires ne se railleraient point de ce signe imprimé dans la partie du corps désignée de la manière la plus convenable par Dieu lui-même, comme marque figurative du dépouillement de la chair, s'ils réfléchissaient, non en hérétiques, mais en chrétiens, au sens de ces paroles : " Tout est pur pour ceux qui sont purs ". Mais comme l'Apôtre ajoute avec beaucoup de vérité : " Mais pour les impurs et les infidèles, rien n'est pur : leur esprit et leur conscience sont souillés (1) " ; nous faisons humblement observer à ces railleurs, à ces insulteurs impudents, que si, selon eux, la circoncision est honteuse, il n'y a pas pour eux sujet de rire, mais de pleurer, puisque leur dieu est enchaîné, souillé et mêlé à la particule de chair qui est retranchée et au sang qui en découle.

1. Tit. I, 15.

 

 

 

 

 

 

LIVRE VINGT-SIXIÈME. TOUT EST VRAI DANS LE CHRIST.

Fauste veut prouver que le Christ a pu mourir sans être né et cite l'exemple d'Elie qui est né et n'est point mort. — Augustin rétablit les vraies notions sur le cours de la nature, sur la volonté et la puissance de Dieu. — Ce qu'il faut croire d'Élie. — Tout a été vrai dans le Christ

 

 

CHAPITRE PREMIER. ARGUMENTS DE FAUSTE POUR PROUVER QUE JÉSUS A PU MOURIR SANS ÉTRE NÉ. PREUVE TIRÉE DE L'ENLÈVEMENT D’ÉLIE.

Fauste. Si Jésus n'est pas né, comment est-il mort ? — Evidemment ce n'est là qu'une conjecture. Or, on ne recourt aux conjectures qu'à défaut de preuves. Cependant nous répondrons encore à cela, et nous ne produirons que des exemples pris chez vous, dans les objets de votre croyance. Si ces exemples sont vrais, ils seront en notre faveur; s'ils sont faux, ils tourneront contre vous. Tu dis donc: Comment Jésus est-il mort, s'il n'était pas homme ? Et moi je te demande: Comment Elie, qui était homme, a-t-il pu ne pas mourir ? Quoi 1 un mortel aura pu, contre les lois de sa nature, usurper le droit à l'immortalité, et le Christ immortel n'aura pu, au besoin, empiéter quelque peu sur la mort ? Si Elie, malgré la nature, vit éternellement, pourquoi refuses-tu à Jésus le pouvoir de mourir, malgré la nature, seulement pour trois jours surtout quand vous n'accordez pas seulement l'immortalité à Elie, mais encore à Moïse et à Enoch, qui auraient été enlevés au ciel avec leurs corps ? Donc si de ce que Jésus est mort, on a droit de conclure qu'il était homme, on pourra également, de ce qu'Elie n'est pas mort, conclure qu'il n'était pas homme. Or, il est faux qu'Elie n'ait pas été homme, bien qu'on le croie immortel; il est donc aussi faux que Jésus ait été homme, quoiqu'on pense qu'il soit mort. Et si tu veux me croire, à moi qui dis la vérité : les Hébreux se trompent sur l'un et sur l'autre point, sur la mort de Jésus et sur l'immortalité d'Elie; car le premier n'est pas mort, et le second est mort; mais vous croyez ce qu'il vous plaît de croire, et vous mettez le reste sur le compte de la nature. Or, si on s'enquiert des lois de la nature, elle exige que ce qui est immortel ne meure pas et que ce qui est mortel meure.

Que si nous comparons, dans Dieu et dans l'homme, le pouvoir de faire sa volonté, il me semble que Jésus a plutôt pu mourir, qu'Elie ne pas mourir: car Jésus était plus puissant qu'Elie. Et si, contre toutes les lois de la nature, tu élèves le plus faible jusqu'au ciel, et le consacre à l'immortalité, sans égard pour sa nature et pour sa condition: pourquoi n'accorderais-je pas, moi, que Jésus a pu mourir s'il l'a voulu, quand même je serais obligé de voir, là, une mort réelle, et non fictive ? En effet, comme il avait dès le commencement la ressemblance de l'homme et simulé toutes les affections propres à la condition humaine, il n'était pas hors de propos qu'il achevât son rôle, en subissant une mort apparente.

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CHAPITRE II. AUTRE PREUVE TIRÉE DES MIRACLES DE JÉSUS.

De plus il faut noter que s'il s'agit de chercher ce que chacun peut, d'après les lois de la nature, il ne faut pas borner cette question à la mort de Jésus, mais l'étendre à toutes ses actions. Par exemple, la nature ne permet pas à un aveugle de naissance de voir la lumière, et cependant Jésus a opéré ce prodige sur des aveugles de cette espèce, à tel point que les Juifs eux-mêmes s'écriaient qu'on n'avait jamais vu, depuis le commencement du monde, quelqu'un ouvrir les yeux d'un aveugle-né (1). Et qui ne sera frappé d'étonnement en entendant dire qu'il a guéri une main desséchée, rendu la voix et la parole à ceux qui en étaient privés, rétabli l'esprit vital dans des corps déjà entrés en décomposition ? qui ne sera forcé, en quelque sorte, d'être incrédule et de se rappeler ce que la nature permet ou ne permet pas ? Cependant, nous tous chrétiens, nous croyons que le même Jésus a opéré tous ces prodiges, non par les forces de la nature, mais par la puissance et la vertu de Dieu. On lit encore que les Juifs l'ayant un jour précipité

1. Jean, IX.

378

du haut d'une montagne, il n'en éprouva pas le moindre mal. Or, un homme qu'on jette en bas d'une montagne et qui ne meurt pas, parce qu'il ne veut pas mourir, ne peut-il pas mourir quand il veut ? Tout ceci soit dit parce qu'il vous plaît d'argumenter, et d'employer la dialectique, arme qui n'est point faite pour vous: car du reste, pour nous, Jésus n'est pas mort et Elie n'est point immortel.

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CHAPITRE III. NOTIONS PRÉCISES SUR LE COURS DE LA NATURE.

Augustin. Tout ce que l'Ecriture sainte, l'autorité la plus haute, la plus certaine, la mieux établie sur les solides fondements de la foi, nous dit d'Enoch, d'Elie et de Moïse, nous le croyons, mais non point ce que Fauste nous soupçonne de croire. Or, les hommes qui se trompent comme vous, ne peuvent savoir ce qui est selon ou contre la nature. Nous ne contestons pas que, dans le langage humain, ce qui sort du cours ordinaire de la nature est dit contre nature. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre: " Si tu as été coupé de l'olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre nature sur l'olivier franc (1)", où il appelle " contre nature " ce qui n'entre pas dans le cours de la nature, tel qu'il est connu des hommes, à savoir que l'olivier sauvage enté sur l'olivier franc, ne donne point de fruits sauvages, mais produise de grasses olives. Mais Dieu, créateur et auteur de toutes les natures, ne fait rien contre nature : car tout ce qu'il fait entre dans la nature de chaque chose, lui de qui vient toute mesure, tout nombre, tout ordre dans la nature. Ni l'homme non plus ne fait rien contre nature, sinon quand il pèche; et encore la punition le ramène-t-elle à la nature. Car l'ordre naturel de la justice exige ou que le péché ne se commette pas, ou qu'il ne reste pas impuni. Mais, dans les deux hypothèses, l'ordre naturel est sauf, sinon de la part de l'homme, au moins de la part de Dieu. En effet, le péché nuit à la conscience, et nuit à l'âme elle-même, en la privant de la lumière de justice, bien qu'il ne soit pas immédiatement suivi de douleurs, réservées comme remède à ceux qui doivent se corriger, ou comme dernier supplice à ceux qui seront restés incorrigibles. Mais il n'y a rien de messéant à dire que Dieu fait contre

1. Rom. XI, 24.

nature ce qu'il fait contre ce que nous savons de la nature. Car nous donnons aussi le nom de nature au cours connu et ordinaire de la nature; et quand Dieu agit contre ce cours, nous appelons ses actions merveilles ou prodiges. Mais la loi souveraine de la nature, si élevée au-dessus de l'intelligence des impies ou des faibles, Dieu ne peut pas plus agir contre elle que contre lui-même. Plus une créature spirituelle et raisonnable, comme l'âme humaine, par exemple, participe à cette loi immuable et à cette lumière, mieux elle connaît ce qui est possible et ce qui ne l'est pas; plus elle en est éloignée, plus elle s'étonne de ce qui sort du cours ordinaire des choses, parce qu'elle prévoit moins l'avenir.

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CHAPITRE IV. LA VOLONTÉ DE DIEU, SOUVERAINE RAISON DES CHOSES.

Voilà pourquoi nous ne savons pas ce qui s'est passé dans Elie ; nous croyons pourtant ce que nous en dit la véridique Ecriture. Il est pour nous une chose certaine, c'est que Dieu a fait de lui ce qu'il a voulu, et que ce que Dieu ne veut pas, n'est possible chez personne. Par conséquent, si l'on me dit qu'il est possible, par exemple, que la chair de tel ou tel homme soit transformée en corps céleste, je l'accorderai ; mais cela arrivera-t-il ? je n'en sais rien, et je n'en sais rien parce que j'ignore quelle est, là-dessus, la volonté de Dieu ; mais ce que je n'ignore pas, c'est que cela arrivera certainement, si telle est la volonté de Dieu. Or, si j'entends dire qu'une chose devait arriver, mais que Dieu a fait eu sorte qu'elle n'arrivât pas, je répondrai en toute confiance: La chose qui devait arriver, c'est celle que Dieu a faite, et non celle qu'il eût faite si elle eût dû arriver. Car Dieu savait certainement ce qu'il devait faire, et par là et en même temps, que ce qu'il empêcherait d'arriver, n'arriverait pas. Ainsi il est hors de doute que ce que Dieu sait est plutôt vrai que ce que l'homme pense. Par conséquent, ce qui doit arriver ne peut pas plus ne pas arriver, que les faits passés ne peuvent n'être pas des faits, parce qu'il n'est pas dans la volonté de Dieu qu'une chose soit fausse par ce qui la rend vraie. C'est pourquoi tout ce qui est vraiment futur, arrivera sans aucun doute; et si les choses n'ont-pas lieu, c'est qu'elles (379) n'étaient pas futures; comme tout ce qui est vraiment passé, est indubitablement passé.

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CHAPITRE V. DIEU NE PEUT PAS FAIRE QUE CE QUI A ÉTÉ, N'AIT PAS ÉTÉ. IL EST NÉANMOINS TOUT-PUISSANT.

Ainsi donc, quiconque dit: Si Dieu est tout-puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait n'ait pas été fait, ne s'aperçoit pas que cela revient à dire : Si Dieu est tout-puissant, qu'il fasse que ce qui est vrai soit faux, par cela même qu'il est vrai. En effet, Dieu peut faire que quelque chose qui était, ne soit plus: car alors il trouve une chose existante, sur laquelle exercer le pouvoir de détruire : comme par exemple, quand il fait cesser d'être, parla mort, ce qui a commencé à être en naissant : là il trouve un fait sur lequel agir. Mais qui peut demander qu'il fasse cesser d'être ce qui n'existe pas ? Or, tout ce qui est passé, n'est plus; s'il y avait encore quelque chose à en faire, c'est que cela serait encore, et si cela était encore, comment cela serait-il passé ? Donc, ce que nous pouvons véritablement dire avoir été, n'est plus; et s'il est vrai que cela a été, c'est une vérité qui ne subsiste que dans notre esprit, et non dans la réalité qui a cessé d'être. Quand nous disons que quelque chose a été, nous ne disons la vérité que parce que la chose dont nous parlons n'est plus. Dieu ne peut pas rendre fausse notre pensée, parce qu'il ne peut être contraire à la vérité. Si vous me demandez où est cette pensée, je vous répondrai qu'elle se trouve d'abord dans notre esprit, quand nous savons que la chose est vraie et que nous le disons. Mais si, en vertu de l'oubli, cette pensée est sortie de notre esprit, elle subsiste néanmoins dans la vérité même. Car il sera toujours vrai que ce qui était et n'est plus, a été ; et il sera vrai que ce qui était a été, là même où il était vrai que la chose future serait, avant qu'elle fût. Dieu ne peut être contraire à cette vérité, lui en qui est la souveraine et immuable vérité, lui de qui vient toute la lumière du vrai qui éclaire les âmes et les esprits. Mais quand nous disons que Dieu est tout-puissant, nous ne l'entendons pas en ce sens qu'il puisse aussi mourir, jet que, parce qu'il ne peut pas mourir, il ne faut pas l'appeler tout-puissant. Car celui-là seul peut-être nommé vraiment tout-puissant, qui existe réellement, et de qui seul tout ce qui est, d'une façon ou de l'autre, spirituel ou corporel, tient l'existence. Or, il use de toutes ses créatures comme il lui plaît; et, suivant la vraie et immuable justice, qui n'est autre chose que lui-même, il lui plaît, tout en restant immuable, de régler les changements des êtres changeants selon leurs natures ou leurs actions. Oserons-nous dire qu'Elie, étant une créature, n'a pu subir un changement en bien ou en mal, ou n'a pu en subir un qui fût extraordinaire pour le genre humain, mais conforme à la volonté du Dieu tout-puissant? Quel est l'homme assez fou pour le soutenir ? Pourquoi donc ne croirions-nous pas d'Elie ce que la très-véridique Ecriture nous en raconte ? A moins que nous ne pensions que Dieu ne peut faire que ce que nous avons l'habitude de voir.

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CHAPITRE VI. SUR ÉLIE ET SUR LE CHRIST, IL FAUT S'EN RAPPORTER A L'ÉCRITURE. LA MORT DU CHRIST N'A PU ÊTRE FAUSSE.

Mais, dit-on, si Elie, étant homme, a pu ne pas mourir, pourquoi le Christ, n'étant pas homme, n'aurait-il pas pu mourir? — C'est comme si l'on disait : Si la nature de l'homme a pu subir un changement en bien, pourquoi celle de Dieu n'en pourrait-elle subir un en mal? Insensé ! c'est parce que la nature de l'homme est changeante, et celle de Dieu immuable. Un autre fou pourrait aussi bien nous dire : Si Dieu peut faire régner l'homme éternellement, pourquoi ne pourrait-il pas lui-même se damner éternellement ? — Ce n'est point là ce que je veux dire, réplique-t-on ; je compare seulement la vie éternelle pour l'homme à une mort de trois jours pour Dieu. — Evidemment, tu serais dans le vrai si, par une mort de trois jours en Dieu, tu entendais la mort de la chair qu'il a empruntée de notre nature : car la vérité évangélique proclame que le Christ a subi une mort de trois jours pour procurer la vie éternelle aux hommes. Mais quand tu prétends qu'il n'est pas absurde d'admettre une mort de trois jours, dans la nature divine elle-même, et en dehors de notre chair mortelle, par la raison que la nature humaine peut être dotée de l'immortalité : tu déraisonnes complètement, comme un homme qui ne connaît ni Dieu, ni les dons de Dieu. Ensuite, est-ce que tu ne dis pas, est-ce que tu ne penses pas ce que je disais tout à (380) l'heure, que Dieu s'est condamné lui-même à une damnation éternelle, puisqu'une partie de votre dieu est clouée à ce globe pour l'éternité? Diras-tu à cela qu'une partie de la lumière est lumière, et qu'une partie de Dieu n'est pas Dieu? En résumé, pour vous dire sans raisonnement et sur la simple autorité de la vraie foi, pourquoi nous croyons qu'Elie, né mortel, a été enlevé de terre par la puissance de Dieu, et, d'autre part, que le Christ est réellement né d'une vierge et réellement mort sur la croix : nous le croyons, parce que cela nous est attesté et d'Elie et du Christ par la sainte Ecriture (1), qu'il faut croire pour être pieux et qu'on ne peut rejeter sans être impie. Mais vous niez, vous, ce qui concerne Elie, parce que tout est simulation chez vous ; quant au Christ, vous ne dites pas qu'il n'a pas pu naître et qu'il a pu mourir, mais vous prétendez qu'il n'est pas né d'une vierge et que sa mort sur la croix a été fausse, c'est-à-dire non-réelle, mais simulée pour faire illusion aux regards des hommes : et cela dans l'unique but de vous faire pardonner vos mensonges perpétuels par ceux qui croient à vos assertions sur ces deux points.

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CHAPITRE VII. NOUS CROYONS DU CHRIST TOUT CE QU'EN DIT L'ÉVANGILE.

Mais cette question que Fauste se pose à lui-même : " Si Jésus n'est pas né, comment est-il mort? " qui donc vous la fera, sinon celui qui oublie qu'Adam lui-même n'est pas né et qu'il est cependant mort? Si donc le Fils de Dieu eût jugé à propos de se former de terre une véritable chair d'homme, comme il l'a formée pour notre premier père, puisque tout a été fait par lui (2); qui oserait soutenir qu'il ne l'aurait pas pu? Et encore, s'il eût voulu prendre quelque matière, ou céleste, ou aérienne, ou humide, et la transformer très-réellement en chair humaine; qui oserait lui en contester le pouvoir, à lui Fils tout-puissant du Tout-Puissant ? Enfin si, laissant de côté tous les éléments matériels créés par lui, il eût voulu se tirer à lui-même du néant une véritable chair, comme il a créé tout ce qui n'était pas ; qui de nous oserait contredire, et affirmer qu'il ne l'aurait pas pu? Si donc nous croyons qu'il est né de

1. IV Rois, II, 11 ; Matt. I, 25; XVII, 50. — 2. Jean, I, 3.

la vierge Marie, ce n'est pas parce que nous regardons comme impossible qu'il prît une vraie chair d'une autre manière, pour apparaître aux yeux des hommes; mais parce que cela est écrit dans cette Ecriture à laquelle il faut croire sous peine de n'être ni chrétien ni sauvé. Nous croyons donc que le Christ est né de la vierge Marie, parce que cela est écrit dans l'Evangile; nous croyons qu'il a été crucifié et qu'il est mort, parce que cela est écrit dans l'Evangile; qu'il est vraiment né et vraiment mort, parce que l’Evangile est la vérité. Mais pourquoi a-t-il voulu souffrir tout cela dans une chair prise du sein d'une femme, c'est là son secret, à lui : soit qu'il ait voulu par là relever et honorer les deux sexes qu'il avait créés, en prenant la forme d'un homme et en naissant d'une femme; soit qu'il ait eu une autre raison, et laquelle? je n'aurai point la témérité de le dire. Mais j'affirme, en toute sécurité, que tout s'est passé comme l'enseigne la vérité évangélique, et que cela n'a point dû se faire autrement que, la sagesse de Dieu l'avait décidé. Nous mettons la foi à l'Evangile au-dessus de tous les raisonnements des hérétiques, et nous reconnaissons que le plan de la sagesse divine l'emporte sur tous les plans d'une créature quelconque.

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CHAPITRE VIII. TOUT A ÉTÉ VRAI DANS LE CHRIST; IL N'A RIEN SIMULÉ.

Cependant Fauste nous invite à le croire sur parole : " Et si tu veux me croire, à moi

qui dis la vérité : les Hébreux se trompent sur l'un et sur l'autre point, sur la mort de Jésus et sur l'immortalité d'Elie " ; bien qu'il nous dise un peu plus bas . " En effet, comme il avait pris, dès le commencement, la ressemblance de l'homme, et simulé toutes les affections propres à la condition humaine, il n'était pas hors de propos qu'il achevât son rôle en subissant une mort apparente ". Homme détestable et monstre d'imposture, comment te croirai-je comme si tu disais la vérité, quand tu prétends que le Christ a menti en feignant de mourir? Le Christ mentait donc, quand il disait : " Il faut que le Fils de l'homme soit mis à mort et qu'il ressuscite le troisième jour (1) " ; et toi tu ne mens pas, et tu prétends que nous ajoutions

1. Luc, XXIV, 7.

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foi à ta parole, comme si tu disais la vérité ? Pierre était donc plus sincère que toi, quand il disait au Sauveur: " A Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne vous arrivera point ", ce qui lui attira cette apostrophe : " Arrière, Satan (1) ! " paroles qui ne furent point stériles pour lui : car plus tard, corrigé et parvenu à la perfection, il prêcha jusqu'à sa mort la vérité de la mort du Christ. Mais si, pour avoir seulement pensé que le Christ ne mourrait pas, il a mérité de s'entendre appeler Satan : que mérites-tu, comment t'appellera-t-on, toi qui prétends que le Christ a simulé la mort? Il faut, nous dis-tu, supposer qu'il a aussi simulé la mort, puisqu'il a simulé toutes les affections propres à la condition humaine. Mais qui donc, en face de l'Evangile, t'accordera que le Christ a simulé toutes les affections propres à la condition humaine ? Très certainement, si l'Evangéliste nous dit: Jésus a dormi (2); s'il nous dit : Il a eu faim a, il a

1. Matt. XVI, 22, 23. — 2. Id. VII, 24. — 3. Id. IV, 2.

eu soif (1), il a été triste (2), il s'est réjoui et autres choses de ce genre : très-certainement tout cela est vrai, tout cela est raconté d'une manière qui ne permet pas de supposer qu'il y ait eu feinte, mais qui prouve que le Sauveur a réellement éprouvé et manifesté ces affections, non certes, par la nécessité de sa condition, mais par l'empire de sa volonté et aussi en vertu de son pouvoir divin. Car souvent l'homme se fâche sans le vouloir, est triste malgré lui, dort malgré lui, a faim et soif malgré lui; mais le Christ a souffert tout cela, parce qu'il l'a voulu. De même, les hommes naissent et souffrent, non parce qu'ils le veulent ni comme ils le veulent ; mais lui est né et a souffert parce qu'il l'a voulu. Néanmoins, toutes ces choses sont vraies et ont été écrites de lui avec fidélité et véracité, afin que quiconque croira à son Evangile, possède la vérité et ne soit point le jouet du mensonge.

1. Jean, XIX. — 2. Matt. XXVI, 37.

 

 

 

 

LIVRE VINGT-SEPTIÈME.

Jésus est né et mort comme il l'a voulu. — L'Evangile est plus croyable là-dessus que Manés

 

 

CHAPITRE PREMIER. SI JÉSUS A PU NAÎTRE D'UNE VIERGE, IL A AUSSI BIEN PU MOURIR SANS AVOIR ÉTÉ ENFANTÉ.

Fauste. Si Jésus n'est pas né, il n'a pas souffert; mais s'il a souffert, donc il est né. — Il ne vous sert à rien, croyez-moi, de raisonner ici d'après les lois de la nature : autrement, votre foi tout entière croule par la base. Car vous croyez que Jésus est né d'une Vierge, sans la participation de l'homme; or, si les prémices doivent se prouver par la conséquence, cela deviendra faux. En effet, on pourra vous répondre : Si Jésus est né d'une femme, donc il a un homme pour père, et s'il n'a pas un homme pour père, donc il n'est pas né d'une femme. Or, il a pu, selon vous, naître sans la participation d'un homme pourquoi donc n'aurait-il pas pu mourir sans avoir été enfanté?

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CHAPITRE II. LE CHRIST L'AURAIT PU, MAIS NE L'A PAS VOULU.

Augustin. Personne ne te pose la question que tu te poses toi-même, si ce n'est l'ignorant que tu trompes, mais non l'homme instruis qui te confond. En effet, Jésus pouvait naître sans la participation d'un homme et souffrir sans avoir été enfanté ; mais il a voulu l'un et n'a pas voulu l'autre. Il a voulu naître sans la participation d'un homme; il n'a pas voulu souffrir sans avoir été enfanté, car il a été enfanté et il a souffert. Tu me dis. Comment le sais-tu ? Parce que je le lis dans l'Evangile de la vérité. Et moi si je te demande : Où as-tu appris ce que tu dis là? tu t'appuies sur l'autorité de Manès, et tu prétends qu'il y a erreur dans l'Evangile. Pour moi je ne croirais point à Manès disant cela, quand même il ne louerait pas le Christ de m'avoir menti. Il ne nous dit pas ce qu'il a trouvé dans le Christ; il nous donne simplement sa propre pensée,

 

 

 

LIVRE VINGT-HUITIÈME. L’ÉVANGILE ET MANÈS.

Fauste nie qu'un Dieu ait pu naître. — Le Christ a pu mourir sans être né. — Augustin prouve que saint Matthieu est plus digne de foi que Manès. — Les deux pères de Joseph. — Sur Jésus il faut croire à ses disciples. — Il n'y a pas de raison de rejeter l'Ecriture.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. LE CHRIST A PU ÊTRE DIEU ET NAÎTRE, IL A DONC PU MOURIR SANS ÊTRE NÉ.

Fauste. Mais il ne pouvait pas mourir, à moins d'être né. — Et moi je réponds : Il ne pouvait pas naître, à moins de ne pas être Dieu. Que s'il a pu être Dieu et naître, pourquoi n'a-t-il pas pu ne pas naître et mourir? Tu vois donc que, quand il s'agit de Jésus, il n'y a pas de profit à être logique ou à s'appuyer sur des arguments. Il faut plutôt s'en référer à ce qu'il a dit de lui-même et à ce qu'en ont dit ses Apôtres. Par conséquent il faut étudier sa généalogie, et voir si elle est d'accord avec elle-même, et non chercher dans sa passion une preuve de sa naissance : car il a pu souffrir sans être né, et être né et ne pas souffrir, surtout quand, de votre aveu, rien n'est impossible à Dieu : ce qui deviendrait faux, s'il était démontré qu'il n'a pas pu mourir sans être né.

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CHAPITRE II. A QUI CROIRE, DE SAINT MATTHIEU OU DE MANÈS ?

Augustin. Tu ne cesses de te poser des questions que ne t'adressent point ceux qui te réfutent. Personne ne te dit que le Christ ne pouvait mourir sans être né, puisqu'Adam est mort quoiqu'il ne fût point né. On te dit simplement : Le Christ est né puisque cela est dit, non par un hérétique quelconque, mais par le saint Evangile ; il est mort, puisqu'on le lit, non dans un livre hérétique quelconque, mais dans le saint Evangile; mais toi qui défends d'argumenter quand il s'agit de Jésus, qui veux qu'on s'en rapporte à ce qu'il a dit de lui-même, à ce qu'en ont prêché les Apôtres: si je cite les premières lignes de sols apôtre Matthieu, où sa naissance est racontée, tu t'écries aussitôt que ce récit n'est pas de Matthieu, bien que l'Eglise universelle, perpétuée des Apôtres jusqu'aux évêques d'aujourd'hui par une succession certaine, affirme qu'il est de Matthieu. Et, à ce livre, quel livre m'opposeras-tu? Peut-être un livre de Manès, où l'on nie que Jésus soit né d'une vierge. De même donc que je crois que ce livre est de Manès, parce qu'il a été conservé et transmis, depuis le temps où Manès vivait, jusqu'au moment présent, par ses disciples et la succession certaine de vos chefs; crois donc aussi que cet autre livre est de Matthieu, puisque l'Eglise l'a maintenu jusqu'à nos jours, depuis le temps où Matthieu vivait en personne, et cela à travers la suite des siècles et par une succession non interrompue. Et dis-moi un peu auquel nous devons plutôt ajouter foi : ou au livre d'un Apôtre qui a suivi le Christ pendant qu'il était encore sur la terre, ou à celui de je ne sais quel Persan qui est né si longtemps après? Mais, peut-être, nous montreras-tu un autre livre, qui porte le nom de quelque apôtre certainement choisi par le Christ et où tu liras que le Christ n'est pas né de Marie. Mais comme il faudrait nécessairement que l'un de ces deux livres fût menteur, auquel penses-tu que nous devions donner la préférence ? Est-ce à celui que l'Eglise, fondée par le Christ lui-même, propagée par les Apôtres et par leurs successeurs, jusqu'aujourd'hui, répandue dans le monde entier, approuve et reconnaît comme donné dès le commencement et conservé ; ou à celui que cette même Eglise ne connaît point et réprouve, quand il lui est présenté par des hommes tellement amis de la vérité, qu'ils louent le Christ d'avoir menti ?

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CHAPITRE III. LES DEUX PÈRES DE JOSEPH.

Ici tu vas nous dire: Examinons la généalogie dans deux livres de l'Evangile, et voyons si elle est d'accord avec elle-même. Nous avons déjà exposé dans une autre partie de cet ouvrage (1) ce qu'il y a à dire là-dessus. Tout ce qui vous intrigue, c'est que Joseph a eu

1. Voir liv. III, ch. III.

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deux pères. Quand même la pensée d'un père selon la nature et d'un père par adoption ne se serait pas présentée à votre esprit, vous n'auriez pas dû vous prononcer si facilement et si mal à propos contre une si grande autorité. Mais puisqu'on vous a fait sentir qu'il n'y a là aucune difficulté, croyez simplement à l'Evangile, et cessez plutôt vous-mêmes d'argumenter avec tant de malice et de perversité.

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CHAPITRE IV. POUR CE QUI REGARDE JÉSUS, IL FAUT CROIRE A SES DISCIPLES PLUTÔT QU'A MANÈS.

Quant à ce que dit Fauste qu'il faut chercher ce que Jésus a dit de lui-même, qui ne le trouvera juste ? Mais peut-on le savoir autrement que par le récit même de ses disciples ? Et si on ne les croit pas quand ils proclament que Jésus est né d'une vierge, comment les croira-t-on quand ils exposeront ce qu'il a dit de lui? Car si on nous produit quelques écrits comme étant du Christ même, sans aucun témoignage à l'appui, je demanderai comment il a pu se faire, si cela est, que ces écrits n'aient point été lus, point acceptés, point regardés comme la plus haute des autorités dans l'Eglise même du Christ, laquelle, à partir de lui, par les Apôtres et la succession des évêques, s'est propagée et étendue jusqu'à ces temps; quand elle-"-vu s'accomplir en elle bien des choses prédites autrefois et quelle doit voir sans aucun doute la réalisation de ce qui est encore annoncé pour l'avenir? C'est que si de tels écrits étaient produits, il faudrait examiner par qui. S'ils provenaient du Christ lui-même, ils auraient sans doute pu tout d'abord être communiqués à ceux qui étaient attachés à sa personne, et, par leur moyen, parvenir à d'autres. Or, si cela était arrivé, ils auraient joui d'une incontestable autorité à travers toute la succession de chefs et de peuples dont je viens de parler. Quel est donc l'homme assez insensé pour croire à une lettre du Christ produite par Manès, et ne pas croire aux actions et aux paroles du Christ écrites par Matthieu? Ou, s'il doute que Matthieu lui-même les ait écrites, pour ne pas croire de Matthieu ce qu'il en trouve admis dans l'Eglise qui s'est manifestée, dès le temps de Matthieu jusqu'à nos jours, par une série de successions non interrompues; et croire à je ne sais quel personnage venu de Perse, par un chemin oblique, plus de deux cents ans après, et cherchant à persuader que c'est lui qu'il faut croire de préférence sur les paroles et les; actions du Christ : quand l'apôtre Paul lui-même, appelé par une voix du ciel après l'ascension du Seigneur (1), n'eût obtenu aucune créance dans l'Eglise, s'il n'avait pas trouvé les Apôtres en personne, pour comma., niquer avec eux, conférer sur l'Evangile, el prendre rang dans leur société? Mais assurée qu'il prêchait ce que prêchaient les Apôtres, qu'il vivait dans leur communion et dans leur société, qu'il faisait les mêmes miracles qu'eux, qu'il était d'ailleurs recommandé par le Seigneur, elle lui accorda une autorité telle qu'elle écoute aujourd'hui ses paroles, comme si le Christ parlait par sa voix, ainsi que Paul le dit lui-même avec beaucoup de vérité (2). Et Manès s'imagine que l'Eglise du Christ doit le croire quand il parle contre les Ecritures établies sur une autorité si grande, si régulière, surtout après la recommandation qui y est si formellement faite, de regarder comme anathème quiconque lui prêche un autre Evangile que celui qu'elle a reçu (3) !

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CHAPITRE V. A QUOI SE RÉDUIT L'ARGUMENTATION DE FAUSTE, IL N'Y A AUCUNE RAISON DE REJETER LES ÉCRITURES.

Mais je donne, dit notre adversaire, une raison qui prouve qu'il ne faut point croire à ces Ecritures. Et tu n'argumentes pas? Néanmoins tu es battu, même dans ton argumentation. Car elle se réduit toute à dire qu'en dernier résumé l'âme doit croire qu'elle est misérable en ce monde, parce que sa misère vient en aide à son Dieu, et l'empêche de perdre son royaume; que la substance de ce Dieu est tellement sujette au changement, à la corruption, au dommage et à la souillure, qu'une, partie d'elle-même né saurait être purifiée,et que, bien que ce Dieu la sache sortie innocente de ses propres entrailles, exempte de tout péché, il la mêle à une fange horrible et la punit du supplice éternel du globe. Voilà Où aboutissent tous vos arguments et toutes vos fables. Et plût à Dieu que leur dernier terme fût là, et non dans votre coeur et sur vos lèvres, et que vous cessassiez enfin de penser.

1. Act. IX. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Gal. I, 8, 9.

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et de proférer de si exécrables blasphèmes ! Mais, dit Fauste, c'est par ces Écritures mêmes que je prouve qu'il ne faut point les croire, parce qu'elles se contredisent elles-mêmes. Pourquoi ne pas plutôt dire qu'il ne faut y croire nulle part, pas plus qu'à des témoins qui varient et se combattent eux-mêmes? Mais, reprend-il, j'y choisis ce que j'y vois de conforme à la vérité. A quelle vérité? Dis donc à ton chimérique système, dont le commencement est la guerre contre Dieu; le milieu, la souillure de Dieu; la fin, la condamnation de Dieu. — Nulle part, dis-tu, on ne croit à des écrits qui se contredisent eux-mêmes. — Voilà ce que tu te figures, parce que tu ne comprends pas ; on te l'a démontré pour tout ce que tu as dit jusqu'ici; on te le démontrera pour tout ce que tu pourras dire encore. Nous n'avons donc aucune raison de ne pas croire à ces Ecritures, revêtues d'une si grande autorité; et c'est évidemment la principale raison pour laquelle nous anathématisons ceux qui nous prêchent autre chose.

 

 

 

LIVRE VINGT-NEUVIÈME. RÉALITÉ DE LA NAISSANCE DU CHRIST.

La naissance du Christ n'a été qu'apparente et un effet de magie, selon Fauste. — Réfutation de cette erreur. — Accord impossible proposé par Fauste. — Il n'y a rien d'impur dans le corps des Saints, surtout dans celui de Marie. Le Christ est né comme il l'a voulu

 

 

CHAPITRE PREMIER. FRUSTE OBJECTE QUE LA NAISSANCE DU CHRIST N'A ÉTÉ QU'APPARENTE ET EFFET DE MAGIE.

Fauste. S'il a été vu et s'il a souffert sans être né, c'était donc magie. — On te rétorque l'argument: S'il a été dans le sein d'une femme et qu'il ait été mis au monde, sans avoir un homme pour père, c'était donc magie. Il est certain qu'il est en dehors des lois de la nature qu'une vierge enfante, et bien plus encore qu'elle reste vierge après avoir enfanté. Pourquoi donc ne veux-tu pas que, en dehors des lois de la nature, il ait pu souffrir volontairement sans être né ? Crois-moi : au fond, nous admettons, les uns et les autres, des faits contraires à la nature ; avec cette différence que les nôtres sont honnêtes, et les vôtres honteux ; que nous trouvons une raison à la passion du Christ, et une raison probable, tandis que vous n'en présentez qu'une fausse, ou même aucune, pour sa naissance; enfin que nous professons qu'il n'a souffert qu'en apparence et qu'il n'est point vraiment mort, tandis que vous tenez pour certain qu'il a été enfanté et porté dans le sein d'une femme. Si cela n'est pas, convenez donc aussi que, là, tout a été imaginaire, qu'il n'est né qu'en apparence, et il n'y aura plus de débat entre nous. Car ce que vous répétez sans cesse, qu'il a nécessairement dû naître, puisqu'autrement il n'aurait pu être vu ni parler avec les hommes, est une chose ridicule, quand il est constant, comme les nôtres l'ont démontré, que bien des fois les anges se sont montrés aux hommes et se sont entretenus avec eux.

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CHAPITRE II. IL N'Y A POINT EU DE MAGIE DANS LA VIE, NI DANS LA MORT, NI DANS LES MIRACLES DU CHRIST.

Augustin. On ne vous dit point qu'il y ait magie à ce qu'un homme meure sans être né,

puisque cela est arrivé pour Adam, comme nous l'avons déjà dit plus haut ; mais quand même cela n'aurait jamais eu lieu, si le Christ Notre-Seigneur eût jugé à propos de venir sur la terre de manière à paraître revêtu d'une vraie chair, quoique non prise dans le sein d'une vierge, et à nous racheter par une mort réelle, qui donc oserait dire qu'il ne l'aurait pas pu ? Mais il était meilleur de faire ce qu'il a fait, de naître d'une vierge, et, en naissant homme d'une femme, de relever ainsi les deux sexes qu'il devait délivrer par sa mort ; vous condamnant, vous surtout, par ce seul fait, renversant par la base votre doctrine qui enseigne que le sexe masculin et le sexe féminin ne sont pas l'oeuvre de Dieu, mais du démon. Ce qui ressemble à la magie, c'est ce que vous affirmez : que la passion et la mort du Christ n'ont existé qu'en apparence, qu'il n'y a eu, là, que mensonge et chimère, qu'il a paru mourir et n'est point mort. D'où il suit que vous déclarez aussi sa résurrection apparente, imaginaire, trompeuse : car, après tout, celui qui n'est pas vraiment mort ne peut ressusciter réellement. D'où il suit encore qu'il n'a montré à ses disciples hésitants que de fausses cicatrices; que Thomas n'était point affermi dans la vérité, mais trompé par une supercherie, quand il s'écriait : " Mon Seigneur et mon Dieu (1) " ; et néanmoins vous cherchez à faire croire que votre langue est l'organe de la vérité, tout en affirmant que le Christ a menti de tout son corps. Voilà ce qu'on vous objecte, à vous qui vous forgez un Christ dont vous ne pouvez être les vrais disciples, à moins d'être aussi des menteurs. Il n'y a point du tout de magie à ce qu'une chair d'homme soit sortie du sein d'une vierge, parce que celle du Christ est la seule qui ait été ainsi formée; pas plus qu'il n'y en a à ce, que la chair du Christ soit seule ressuscitée le troisième jour, pour ne plus jamais mourir. Autrement, tous les miracles de Dieu auraient

1. Jean, XX, 28.

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été de la magie, puisqu'ils sont uniques; mais ils ont été vrais, réellement opérés ; ils ont servi à prouver la vérité, et non à tromper les regards des hommes par de vains prestiges ; et si on dit ordinairement qu'ils sont contre nature, ce n'est point parce qu'ils lui sont contraires, mais parce qu'ils sont au-dessus de son cours ordinaire. Que le Seigneur écarte donc de l'esprit de ses enfants, l'idée que Fauste cherche à leur insinuer par forme d'avis : à savoir que nous ne reconnaissions dans le Christ qu'une naissance imaginaire et non réelle, et que nous mettions, par là, fin au débat. Non, non ; luttons contre nos adversaires pour les droits de la vérité, plutôt que de tomber d'accord avec eux pour le mensonge.

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CHAPITRE III. SUR L'ACCORD PROPOSÉ PAR FAUSTE.

Toutefois je leur pose une question : Si une seule parole de notre part terminait le débat, pourquoi eux-mêmes ne la prononcent-ils pas ? Pourquoi affirment-ils que la mort du Christ n'a pas été réelle, mais imaginaire, et, d'un autre côté, lui refusent-ils une naissance, même imaginaire? S'ils ont eu peur d'être écrasés sous le poids de l'autorité évangélique, et que, pour cela, ils n'aient pas osé nier que le Christ ait souffert, au moins en apparence, est-ce que la même autorité n'atteste pas aussi sa naissance ? S'il n'y a que deux évangélistes qui aient raconté l'enfantement de Marie (1), au moins aucun d'eux n'a manqué de dire que Jésus avait une mère (2). Aurait-on dédaigné d'accorder au Christ une naissance même simulée, parce que Matthieu mentionne certaines générations, et Luc d'autres, en sorte qu'ils semblent n'être pas d'accord ? Mais donne-moi un homme sans intelligence, il trouvera aussi que les évangélistes ne s'accordent pas sur les circonstances de la passion du Christ; donne-moi un homme qui sache comprendre, et l'accord des évangélistes sera parfait. Serait-ce qu'une mort simulée est honnête et une naissance simulée honteuse ? Pourquoi Fauste nous invite-t-il à faire l'aveu qui mettrait fin au débat ? Nous allons prouver, en répondant à l'autre question, que Fauste a eu intention de déclarer que la naissance du Christ n'a pas

1. Matt. I, 25; Luc, II, 7. — 2. Matt. II, 11; Marc, III, 32 ; Luc, II, 33; Jean, II, 1.

même été simulée comme sa mort, mais absolument fausse.

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CHAPITRE IV. LES MEMBRES DU CORPS. PURETÉ DE LA VIERGE. LE CHRIST AURAIT PU NAÎTRE AUTREMENT ET NE L'A PAS VOULU.

A Dieu ne plaise qu'il y ait rien de honteux dans le corps des saints, même dans les parties sexuelles ! Il est vrai qu'on les appelle déshonnêtes, parce qu'elles n'ont pas le même degré de beauté que les autres parties qui sont en évidence (1). Mais voyez ce qu'en dit l'Apôtre, quand il présente à l'Eglise le type de la charité dans une comparaison prise de l'assemblage et de l'unité des membres de notre corps. " Mais au contraire ", dit-il, " les membres du corps qui paraissent les plus faibles, sont les plus nécessaires ; et les membres du corps que nous regardons comme plus vils, nous les revêtons avec plus de soin; et ceux qui sont honteux, nous les traitons avec plus de respect ; nos parties honnêtes n'en ont pas besoin ; mais Dieu a réglé le corps de manière à accorder plus d'honneur à celle qui n'en avait pas en elle-même, afin qu'il n'y ait point de scission dans le corps (2) ". Ainsi l'usage illicite, désordonné, de ces membres, est honteux; mais- non ces membres eux-mêmes, qui ne restent pas seulement parfaitement purs chez les célibataires et les vierges, mais chez les saints patriarches eux-mêmes, hommes et femmes, qui n'en usaient que selon les vues de la Providence, en sorte que le penchant de la nature n'avait rien de coupable, puisqu'il était guidé par la raison, et non inspiré par le libertinage. A combien plus forte raison donc ces membres n'ont-ils rien eu de honteux dans la sainte Vierge Marie, qui a conçu la chair du Christ par la foi, puisqu'ils n'ont pas même été les instruments d'un acte humain et permis, mais d'un enfantement tout divin ? Vierge tellement honorée que, sans perdre sa parfaite intégrité, elle nous a donné corporellement le Christ, pour que nous pussions le concevoir par la foi en des cours purs, et l'enfanter, en quelque sorte, en le confessant de bouche. Car le Christ n'a rien ôté à sa mère en naissant; en lui faisant don de la fécondité, il ne lui a point enlevé la fleur

1. Rétract., liv. II, ch. VII, n. 3. — 2. I Cor. XII, 22-25.

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de sa virginité. Tout cela s'est fait en toute vérité et non par tromperie : mais cela est nouveau, cela est insolite, cela est contraire au cours ordinaire de la nature, parce que cela est grand, parce que cela est merveilleux, parce que cela est divin, et conséquemment, d'autant plus vrai, d'autant plus certain, d'autant plus indubitable.

Les anges aussi, nous dit-on, ont été vus, ont parlé, quoiqu'ils ne fussent pas nés. Comme si nous prétendions que le Christ n'aurait pu ni être vu, ni parler, s'il ne fût pas né d'une femme ! Il l'aurait pu, mais il ne l'a pas voulu; et cela est mieux, puisqu'il l'a voulu. Et il est certain qu'il l'a voulu, parce qu'il l'a fait, lui qui agit toujours librement, et non par nécessité, comme votre dieu. Et nous ne doutons nullement qu'il l'ait fait, parce que nous croyons à l'Evangile et non au premier hérétique venu.

 

 

 

 

 

LIVRE TRENTIÈME. DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE.

Nouvelles attaques de Fauste sur l'abstinence, le mariage, la virginité. — Augustin répond sur ces divers points, et justifie la doctrine évangélique.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. C'EST PAR MOÏSE ET PAR LES PROPHÈTES QU'A ÉTÉ INTRODUITE LA DOCTRINE DES DÉMONS, SELON FAUSTE.

Fauste. C'est de vous que Paul a écrit depuis longtemps : " Quelques-uns abandonneront la foi, s'attachant à des esprits d'erreur, à des doctrines de démons, parlant le mensonge avec hypocrisie, ayant la conscience cautérisée, défendant le mariage, ordonnant de s'abstenir des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles (1) ". — Je ne t'accorderai jamais que Paul ait dit cela, à moins que tu ne conviennes d'abord que c'est à Moïse et aux Prophètes qu'on doit l'introduction de la doctrine des démons, qu'ils ont été les interprètes de l'esprit séducteur et méchant : eux qui défendent rigoureusement l'usage de la viande de porc et d'autres encore, qu'ils qualifient d'immondes. Vous avez donc, en premier lieu, à délibérer, à peser longtemps et mûrement, comment tout ceci doit s'entendre, si c'est au nom de Dieu, ou au nom du démon qu'ils ont parlé? Jusque-là ou Moïse et les Prophètes seront condamnés avec nous, ou nous serons absous avec eux. Car, pour le moment, vous n'êtes pas justes de nous faire passer pour des partisans de la doctrine des démons, nous qui n'interdisons qu'aux prêtres l'usage de la viande, tandis que vos Prophètes, et Moïse lui-même qui le premier a défendu, non-seulement aux prêtres, mais à tout le peuple sans distinction, la chair de porc, de lièvre, de hérisson, la sèche, le calmar et toutes les espèces de poissons privés d'écailles (2), passent à vos yeux pour avoir parlé, en cela, non d'après l'esprit séducteur, non d'après l'enseignement des démons, mais bien par l'inspiration de Dieu et de l'Esprit-Saint. Ainsi, tout en admettant par pure concession que Paul a dit cela, je ne me tiendrai cependant pour battu qu'autant que tu condamneras

1. I Tim. IV, 1-3. — 2. Levit. XI.

préalablement Moïse et les Prophètes : en sorte que tu te décides à faire par gourmandise ce que tu n'aurais peut-être jamais fait par conviction de raison et par amour pour la vérité : à blasphémer Moïse.

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CHAPITRE II. OBJECTION TIRÉE DE DANIEL ET DES TROIS ENFANTS.

Il y a d'ailleurs un passage de Daniel, relatif aux trois enfants, qui doit absolument vous confondre, s'il est prouvé que s'abstenir de certains aliments soit une superstition diabolique. On lit en effet que ces trois enfants, que vous admirez fort et que vous comptez au nombre des martyrs, s'abstinrent non-seulement des aliments interdits par la loi, mais de ceux mêmes qu'elle permettait (1). Et cependant, si le texte de l'Apôtre est authentique, ils suivaient en cela l'enseignement des démons. Bien plus, Daniel lui-même atteste, que, pendant trois semaines de jours, il jeûna, ne mangea pas de chair, ne but pas de vin, tout occupé à prier pour son peuple (2). Comment donc en vient-il, lui aussi, à se glorifier de la doctrine des démons et à tirer vanité des folles inspirations de l'esprit séducteur?

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CHAPITRE III. SI L'ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS EST UNE DOCTRINE PERVERSE, LES CATHOLIQUES S'EN RENDENT COUPABLES.

Mais que dirai-je de vous, c'est-à-dire des plus chrétiens d'entre vous, dont quelques-uns s'abstiennent tout à fait, non-seulement de porc, mais de tout quadrupède, voire même de toute espèce d'animal, et sont pour cela même proposés comme modèles par toute l'Eglise qui ne les voit qu'avec la plus grande vénération et ne leur refuse que le nom de Dieu? Et vous ne voyez pas, indociles que vous êtes, que si le témoignage de l'Apôtre est vrai et authentique, ces hommes sont le jouet

1. Dan. I, 12. — 2. Id. X, 2, 3.

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des doctrines des démons ! Et que dirons-nous de cette pratique dont personne n'oserait se dispenser sans raison, puisqu'elle est admise par tous, et qu'elle est observée chaque année avec l'exactitude la plus rigoureuse chez tous les catholiques dans le monde entier ? Je parle du Carême. Quiconque d'entre vous veut l'observer selon les règles, est obligé de s'abstenir de tout ce que le texte de l'Apôtre nous donne comme crée de Dieu -pour être reçu par nous abstinence que le même Apôtre appelle doctrine de démons. Eh bien ! mes très-chers, qu'en pensez-vous ? En célébrant ainsi les mystères de la passion du Christ, vous vivez donc selon la doctrine des démons, vous tombez dans les piéges de l'esprit séducteur, vous parlez le mensonge avec hypocrisie, vous avez la conscience cautérisée? Mais si aucun de ces reproches ne tombent sur vous, ils ne tombent pas davantage sur nous. Que signifie donc ce texte ? Par qui et contre ; qui devons-nous le croire écrit, puisqu'il n'est conforme ni aux traditions de l'Ancien Testament, ni aux prescriptions du Nouveau ? En effet, le Nouveau Testament veut que l'on s'abstienne de toute espèce d'aliments, comme votre propre exemple le prouve; l'Ancien ne l'exigeait que pour quelques-uns, mais l'exigeait pourtant; néanmoins, d'après vous, cette abstinence de presque toute espèce de chair est une ;doctrine de démons. Si c'est là votre foi, je vous le répète encore, condamnez Moïse, renoncez aux Prophètes, mais prononcez contre vous le même arrêt : car s'ils prescrivaient l'abstinence de quelques aliments, vous étendez, vous, cette abstinence à tous les aliments.

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CHAPITRE IV. OBJECTION DE FAUSTE SUR LA VIRGINITÉ ET LE MARIAGE.

Que si Moïse et les Prophètes vous paraissent les interprètes de Dieu, et non des démons, quand ils établissent des distinctions entre les aliments; si c'est par l'inspiration de l'Esprit-Saint que Daniel jeûna trois semaines; si les trois jeunes hébreux, Ananias, Azarias et Mizaël, cédaient à un mouvement d'en haut quand ils donnaient la préférence aux herbes et aux légumes; si enfin tous ceux d'entre vous qui pratiquent l'abstinence ne cèdent pas à l'impulsion des démons; si ce n'est point par superstition, mais par obéissance à une loi divine, que vous vous abstenez de vin et de viande pendant le Carême: faites attention, je vous prie, prenez bien garde que ce ne soit chez Paul un acte de la plus insigne folie de regarder comme une doctrine de démons: toute espèce d'abstinence d'aliments et la défense du mariage. J'en dis autant de la consécration des vierges au Christ, qui serait aussi, selon lui, une doctrine de démons. Et vous, lisant cela, comme tant d'autres choses, sans réflexion, vous jetez vite les yeux sur nous ; et vous ne voyez pas que vos vierges sont prises dans les filets des démons, que vous êtes les prêtres des démons, vous qui excitez à l'envi ces vierges à embrasser cette profession, à tel point qu'on en compte presqu'autant que de femmes mariées dans toutes vos Eglises ? Pourquoi ne sortez-vous pas, vous aussi, de la voie où vous êtes entrés? Pourquoi tromper les malheureuses filles des hommes, si ce n'est pas la volonté du Christ, mais celle des démons, qui s'accomplit en elles ? Je voudrais que vous répondissiez d'abord à cette question : La doctrine des démons consiste-t-elle à faire des vierges, ou simplement à défendre le mariage ? Dans ce dernier cas, cela ne nous regarde pas : car, pour nous, celui qui défend le mariage, est aussi insensé que celui qui l'impose par force est impie et criminel. Mais si favoriser le mariage, ne pas s'opposer à celui qui veut l'embrasser, est encore, selon vous, une doctrine de démons, je me tais sur le danger que vous courez, mais je crains fort que l'Apôtre lui-même n'ait introduit à Iconium une doctrine de démons, quand il s'efforçait d'inspirer à Thècle, déjà fiancée, le désir de la virginité perpétuelle. Mais que dirons-nous du Maître, de l'auteur de toute sainteté, Jésus, l'Epoux-Vierge de toutes les vierges de profession, lequel, distinguant dans l'Evangile trois espèces d'eunuques, ceux qui sont nés tels, ceux que l'on a faits tels, et ceux qui se sont eux-mêmes rendus tels, donne cependant la préférence à ceux " qui ", dit-il, " se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du royaume des cieux (1) " : indiquant par là les vierges et les jeunes gens, qui, ayant arraché de leur cœur le désir du mariage, jouent dans son Eglise le rôle des eunuques qu'on voit dans les palais? Quoi 1 cela vous semble-t-il aussi une doctrine de démons, une inspiration

1. Matt. XIX, 12.

de l'esprit séducteur? Mais qui donc vous parlera au nom de Dieu, s'il est démontré que Paul et le Christ sont des prêtres des démons? Je passe sous silence les autres apôtres du même Seigneur, Pierre et André, Thomas et Jean, Jean proclamé heureux entre tous pour n'avoir point connu les atteintes de Vénus; lesquels, d'une manière ou de l'autre, ont exalté et préconisé au nom de Dieu la profession de la virginité parmi les jeunes filles et les jeunes hommes, nous laissant, ainsi qu'à vous, le modèle pour former des vierges: Encore une fois, je n'en parle pas, puisque vous les avez exclus de votre canon et qu'il n'en coûte guère à vos esprits sacrilèges de leur prêter des doctrines de démons. Mais en direz-vous donc autant du Christ et de l'apôtre Paul qui (c'est une chose constante) a toujours préféré les vierges aux femmes mariées, et l'a prouvé de fait à l'occasion de la très-sainte Thècle ? Et si ce n'est pas une doctrine de démons que Paul enseigne à Thècle et que prêchent les autres Apôtres, qui pourra croire que Paul ait enseigné qu'engager à garder la virginité était entrer dans l'intention et dans la doctrine des démons ? En attendant, vous n'avez pas de raison de peuser que ce sont seulement les exhortations qui font les vierges, et non la défense du mariage. Ce dernier point est comme naturalisé chez nous: et ce ne serait pas seulement folie, mais délire, de penser qu'on peut empêcher par un règlement particulier ce qui est permis par la loi publique : je parle du mariage. C'est pourquoi nous exhortons les femmes qui en ont l'intention à y persévérer ; mais nous ne forçons point celles qui s'y refusent. Car nous savons tout ce que la volonté, tout ce que la nature elle-même a de force contre la loi publique, à plus forte raison contre une loi particulière à laquelle on peut toujours répondre : Je ne veux pas. Si donc il est permis de faire ainsi des vierges, nous sommes, nous aussi, irréprochables, si, au- contraire, c'est un crime d'en faire par quelque procédé que ce soit, vous êtes vous-mêmes criminels. En tout cas, je ne vois pas dans quelle pensée ou dans quel but, vous nous objectez ce chapitre.

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CHAPITRE V. DIFFÉRENCE ENTRE L'ABSTINENCE DES CATHOLIQUES ET CELLE DES MANICHÉENS.

Augustin. Apprends donc dans quelle pensée ou dans quel but nous vous objectons ce chapitre, puisque tu avoues que tu ne le vois pas. Ce n'est pas parce que vous vous abstenez de chairs: car, comme tu le dis, nos pères s'en sont aussi abstenus, de quelques-unes au moins, non pour les condamner, mais dans un but figuratif que vous ne comprenez pas, ce qui m'a obligé à traiter ce point avec l'étendue que j'ai jugée nécessaire, dans les premières parties de cet ouvrage. Les chrétiens (catholiques, et non hérétiques) s'abstiennent aussi, non-seulement de chairs, mais encore de certains fruits de la terre, non parce qu'ils les croient immondes, mais pour mortifier leur corps, et mieux humilier leur âme dans la prière. Les uns (c'est le petit nombre) s'en abstiennent toujours ; les autres seulement à certains jours et en certains temps, comme en Carême, par exemple, que presque tous observent plus ou moins, suivant la mesure de leur volonté ou de leur force. Mais vous, vous prétendez que la créature n'est pas bonne, vous la déclarez immonde, sous prétexte que c'est le démon qui forme les chairs avec le résidu le plus grossier de la matière du mal; et pour cela, vous les rejetez avec horreur, comme les liens les plus terribles et les plus immondes de votre dieu. Néanmoins, par condescendance, vous en permettez l'usage à vos auditeurs, que vous avez soin de distinguer de la racé des prêtres; comme l'Apôtre, aussi par condescendance, permet à certains fidèles, non pas tout acte conjugal, même celui qui a pour but la génération, mais celui qui se fait par incontinence, pourvu que ce soit entre époux (1). Car on ne permet -rien par condescendance, si ce n'est le péché. Voilà ce que vous pensez de l'usage de toute espèce de chair, ce que vous a appris votre hérésie, ce que-vous enseignez à vos auditeurs; mais tout en accordant, comme je l'ai déjà dit, qu'il faut avoir de la condescendance pour ceux-ci, parce qu'ils vous fournissent le nécessaire, vous ne dites pas qu'ils ne pèchent pas; seulement vous leur pardonnez leur péché. Quant à vous, vous vous tenez en garde là-dessus comme contre une contagion mauvaise, immonde; et voilà

1. I Cor. VII, 5, 6.

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pourquoi nous vous appliquons ce texte de l'Apôtre, à cause des paroles qui suivent celles par lesquelles tu as terminé la citation de ce chapitre. Et tu le savais bien, je pense; tu as d'abord passé ces paroles sous silence, pour nous dire en concluant: " Je ne vois pas dans quelle pensée ou dans quel but vous nous objectez ce chapitre " ; aimant mieux ne pas dire ce but que de l'exprimer. En effet, après avoir dit : " Ordonnant de s'abstenir des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles ", l'Apôtre ajoute: " Et par ceux qui ont connu la vérité; car toute créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces, parce qu'il est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière (1) ". Voilà ce que vous niez; voilà l'esprit, l'intention, la croyance dans lesquels vous vous abstenez de ces sortes d'aliments, vous les regardez comme mauvais, comme immondes; non par signification, mais par nature. En quoi vous blasphémez évidemment celui qui les a créés ; et voilà ce qui appartient à la doctrine des démons. Ne vous étonnez donc pas que l'Esprit-Saint ait prédit cela de vous si longtemps d'avance.

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CHAPITRE VI. LE SAINT RÉTABLIT LA VRAIE NOTION SUR LA VIRGINITÉ ET L'ABSTINENCE.

D'un autre côté, si vous conseilliez la virginité conformément à l'enseignement de l'Apôtre: " Celui qui marie sa fille, fait bien; et celui qui ne la marie pas, fait mieux (2) " ; en sorte que vous reconnaissiez que le mariage est bon, mais que la virginité est meilleure, comme le fait l'Eglise qui est la vraie Eglise du Christ : si cela était, dis-je, l'Esprit-Saint ne vous aurait pas ainsi signalés d'avance comme " défendant le mariage (3) ". Car celui-là défend une chose qui la déclare mauvaise, et non celui qui, la reconnaissant comme banne, lui en préfère une meilleure. Enfin, vous avez surtout en horreur l'acte du mariage,

1. I Tim. IV, 3-5. — 2. I Cor. VII, 38. — 3. I Tim. IV, 3.

celui qui seul est honnête et vraiment conjugal, celui qui est inscrit dans les tables matrimoniales, et a pour but de donner des enfants c'est donc moins la passion de la chair que le mariage légitime que vous défendez. Car, on peut s'unir pour satisfaire la passion; mais on se marie pour avoir des enfants. Et ne dites pas que si vous n'interdisez pas le mariage, c'est par tolérance et pour sauver les bons rapports avec vos nombreux auditeurs qui ne voudraient pas ou ne pourraient pas vous obéir. Car, d'une part, l'interdiction du mariage fait partie de votre enseignement erroné, et, de l'autre, votre tolérance n'est qu'une concession faite aux besoins de la société. Et voilà la raison que j'avais différé de vous dire, pour laquelle vous jugez à propos d'admettre la mort du Christ, même fausse, même simulée, et point du tout sa naissance. En effet, vous proclamez, vous exaltez la mort comme séparation de l'âme, c'est-à-dire de la nature de votre dieu, du corps de ses ennemis, autrement, de l'ouvrage du démon; et par conséquent vous trouvez bien que le Christ l'ait consacrée par son exemple, non en mourant, mais en feignant de mourir. Mais comme, selon vous, la naissance enchaîne votre dieu, au lieu de l'affranchir, vous ne voulez pas que le Christ l'ait subie, même en apparence; en sorte que, si Marie se fût livrée à un homme et ne fût pas devenue mère, elle ne vous déplairait pas comme elle vous déplaît pour avoir enfanté en restant vierge. Vous voyez donc quelle distance il y a entre ceux qui exhortent à la virginité comme à un bien plus grand, par préférence à un moindre, et ceux qui défendent le mariage et se déchaînent contre l'acte destiné à la propagation de l'espèce humaine, le seul vraiment conjugal; quelle distance il y a encore entre ceux qui s'abstiennent des aliments, dans un but religieux ou pour châtier leur corps, et ceux qui s'abstiennent des aliments que Dieu a créés, en disant que Dieu ne les a pas créés. Par conséquent, la première doctrine est celle des Prophètes et des Apôtres, et la seconde celle des démons menteurs.

 

 

 

 

LIVRE TRENTE-UNIÈME. ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS.

Fauste revient à la charge pour prouver que l'abstinence de certains aliments est un crime. — Vision de saint Pierre. — Augustin explique le texte de saint Paul : " Tout est pur pour ceux qui sont purs". Argument ad hominem adressé aux Manichéens

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. MOÏSE ET LES PROPHÈTES N'ONT PU VOIR DIEU, ÉTANT SOUILLÉS PAR L'ABSTINENCE DE CERTAINS ALIMENTS.

Fauste. " Tout est pur pour ceux qui sont purs; mais, pour les impurs et pour ceux qui sont souillés, rien n'est pur; leur esprit et leur conscience sont souillés ". — Il y a encore à examiner si vous gagnez à ce que Paul ait dit cela: car jusqu'ici il reste établi, non-seulement que Moïse et les Prophètes étaient inspirés des démons, pour avoir porté tant de lois relatives à la distinction des aliments, mais encore qu'ils étaient eux-mêmes immondes, que leur esprit et leur conscience étaient souillés, au point qu'on peut à bon droit leur appliquer la suite du texte : " Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres (1)". A qui, en effet, ces paroles peuvent-elles mieux s'appliquer qu'à Moïse et aux Prophètes qui ont vécu (c'est chose prouvée) bien autrement qu'il ne convenait à des hommes qui connaissaient Dieu? Jusqu'ici, cependant, je ne voyais d'autres souillures dans leur conscience que des adultères, des fraudes et des homicides ; mais maintenant, grâce à ce chapitre, je vois clairement qu'ils ont encore été souillés pour avoir cru qu'il y a quelque chose de souillé. Sur quel fondement pouvez-vous donc vous imaginer qu'ils aient été honorés de l'aspect de la Majesté divine, puisqu'il est écrit que personne ne peut voir Dieu que ceux qui ont le coeur pur (2) ? Mais, eussent-ils été d'ailleurs irréprochables, la pratique superstitieuse de l'abstinence de certains aliments eût suffi, si elle souille l'âme, à les rendre indignes de voir la divinité. C'en est donc fait à tout jamais de la gloire de Daniel et des trois enfants de la fournaise. Jusqu'au moment où l'on a annoncé qu'il n'y a rien d'impur, ils passaient chez les Juifs pour des hommes très-purs et très-vertueux, pour avoir observé les traditions paternelles,

1. Tit. I, 15, 16. — 2. Matt. V, 8.

en s'abstenant rigoureusement de la nourriture des Gentils et surtout des viandes immolées (1). Mais maintenant, il est clair que leur esprit et leur conscience étaient souillés, notamment pour s'être abstenus de sang et de la chair des victimes.

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CHAPITRE II. FAUSTE REVIENT A SES OBJECTIONS CONTRE L'ABSTINENCE DES CATHOLIQUES.

Mais peut-être l'ignorance les excusait-elle; la foi chrétienne n'existant pas encore pour leur apprendre que tout est pur pour ceux qui sont purs, ils ont pu croire qu'il existait des choses immondes. Mais vous, comment vous excuser, quand Paul, s'écriant qu'il n'y a rien d'impur, qualifiant de doctrine de démons l'abstinence des aliments (2), et appelant souillés ceux qui croient qu'il y a quelque chose de souillé, non-seulement vous vous abstenez, comme je l'ai dit, mais vous en tirez même gloire et vous croyez d'autant plus agréables au Christ que vous portez plus loin cette abstinence, c'est-à-dire que votre esprit et votre conscience sont plus souillés, à s'en tenir du moins au texte de l'Apôtre ? Et j'ajoute que trois religions se partageant le monde, à savoir le Judaïsme, le Christianisme et le Paganisme, et que toutes les trois faisant consister la purification de l'âme dans la chasteté et l'abstinence, quoique sous des formes très-différentes, il est impossible de savoir de laquelle des trois provient ce principe qu'il n'y a rien d'impur? Car ce n'est certainement pas du Judaïsme, ni du Paganisme, puisqu'il établit aussi des distinctions entre les aliments, et qu'il importe peu qu'il soit, sur certains animaux, en désaccord avec la loi hébraïque. Reste donc la foi chrétienne : or, si tu penses qu'il n'y a réellement rien de souillé pour elle, tu es tout d'abord forcé de convenir qu'il n'y a pas de chrétiens chez vous. Car, pour ne rien dire du reste, vous regardez tous

1. Dan. 1, 12. — 2. I Tim. IV, 1, 3.

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comme une grande souillure de toucher à des chairs d'animaux étouffés ou sacrifiés aux idoles (1); ou si la loi chrétienne vous autorise à le faire, il faut donc encore chercher en dehors d'elle le principe qui supprime absolument toute abstinence d'objets immondes. Comment donc Paul a-t-il pu émettre un principe qui ne convient à aucune religion? En effet, l'Apôtre, en passant du Judaïsme au Christianisme, a moins changé de religion que de rite. Mais l'auteur de ce chapitre me semble ne s'être appuyé sur aucun système religieux.

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CHAPITRE III. OBJECTION TIRÉE DE LA VISION DE PIERRE.

Ainsi donc, quand il vous arrivera, à l’avenir, de trouver dans les Ecritures quelque passage opposé à notre croyance, prenez bien garde de chercher à le faire valoir contre nous, avant de vous être assurés qu'il ne vous contrarie pas vous-mêmes. Tel est, par exemple, ce texte que vous citez souvent, où l'on raconte que Pierre vit un jour un vase descendu du ciel, dans lequel étaient renfermés des animaux et des reptiles de tout genre, et que, frappé d'étonnement et d'admiration, il entendit une voix d'en haut qui lui disait : " Pierre, tue " tout ce que tu vois dans ce vase, " et mange ". A quoi il répondit : " Seigneur, je ne toucherai à rien d'impur ni de souillé ". Et la voix reprit : " Ce que j'ai sanctifié ne s'appelle pas impur (2) ". Bien que ces paroles aient un sens allégorique et ne se rapportent point à l'indifférence des aliments, cependant, puisque c'est en ce sens qu'il vous plaît de l'interpréter, vous voilà donc obligés de manger de toute espèce d'animaux, voire même des- vipères, des couleuvres et de tout autre genre de reptiles, suivant la vision de Pierre. Par là, vous ferez voir que vous obéissez réellement à la voix qu'il a, diton, entendue. Et pourtant, n'oubliez jamais que, par là aussi, sont condamnés Moïse et les Prophètes qui ont regardé comme immondes un grand nombre des animaux que Dieu a sanctifiés, d'après cette parole descendue du ciel.

1. Act. XV, 29. — 2. Id. XX-11, 15.

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CHAPITRE IV. EXPLICATION DU TEXTE DE SAINT PAUL : TOUT EST PUR ETC. APPLICATION AUX MANICHÉENS.

Augustin. En disant : " Tout est pur pour a ceux qui sont purs ", l'Apôtre a voulu parler des natures mêmes que Dieu a créées, suivant le témoignage de Moïse dans la Genèse : " Dieu -fit toutes choses, et voilà que tout était très-bon (1) ", et non les significations symboliques en vue desquelles, par l'entremise du même Moïse; il établit une distinction entre les animaux mondes et les animaux immondes (2). Comme j'ai déjà traité ce sujet avec détail et en plus d'un lieu, il suffit que j'en dise un mot en passant. Donc c'étaient ceux qui, au temps de la révélation du Nouveau Testament, s'imaginèrent qu'il fallait conserver ces ombres de l'avenir et prétendaient que les Gentils ne pouvaient sans elles profiter du salut qui est dans le Christ : c'étaient ceux-là, dis-je, que l'Apôtre appelait immondes, parce qu'ils avaient des goûts charnels, et infidèles, parce qu'ils ne distinguaient pas le temps de la grâce du temps de la loi c'est pour eux qu'il- prétend que rien n'est pur, parce qu'ils n'usaient saintement et convenablement ni de ce qu'ils rejetaient; ni de ce qu'ils mangeaient, comme tous les infidèles, il est vrai, et comme vous surtout, Manichéens, pour qui rien n'est pur. Car la nourriture même que vous prenez, et que vous mettez le plus grand soin à préserver de tout contact avec la chair, n'est pas pure pour vous, qui la dites créée par le démon. Vous prétendez- même, en la mangeant, purifier votre dieu qui est enchaîné et souillé. Tout au moins vous devriez vous croire purs, puisque ce dieu a l'honneur d'être purifié par vos estomacs. Mais non : vous affirmez encore que vos corps sont la nature et l'oeuvre du peuplé des ténèbres, et que vos âmes sont souillées par vos corps. Qu'y a-t-il donc de pur pour vous? Ce n'est pas ce que vous prenez, ce n'est pas l'estomac où vous le faites descendre, ce n'est pas même vous, qui cependant purifiez ce que vous prenez. Vous voyez donc à qui s'adresse cette sentence de l'Apôtre ; c'est évidemment à tous ceux qui sont infidèles et impurs. Mais il a surtout et principalement en vue de vous confondre. " Tout est donc pur pour ceux qui

1. Gen. I, 31. — 2. Lev. XI.

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sont purs", au point de vue de la nature dans laquelle chaque chose est créée; mais tout n'était pas pur pour le peuple juif, au point de vue du sens figuré; ni tout n'est pas convenable pour nous, au point de vue de la santé du corps ou des usages de la société humaine; seulement, quand chaque chose est attribuée à qui elle convient et placée dans son ordre naturel, " tout est pur pour ceux qui sont purs; mais pour les impurs et les infidèles", :surtout tels que vous, a rien a n'est pur n ; vous vous appliqueriez avec grand profit la suite des paroles de l'Apôtre, si vous vouliez guérir votre conscience cautérisée ; car il dit : " Mais leur esprit et leur conscience sont souillés " .

 

 

LIVRE TRENTE-DEUXIÈME. TRIAGES DANS L’ÉVANGILE.

Fauste veut trier dans le Nouveau Testament. — Les Evangiles sont supposés, vu qu'ils ne s'accordent pas. — Les catholiques aussi font un choix dans l'Ancien Testament. — Preuves. — Augustin montre la différence, expose ce que les catholiques laissent ou conservent de l'Ancien Testament. — La Pâque. — La Pentecôte. — La chair des animaux. — Le Paraclet.Les Evangiles n'ont pu être falsifiés. — Les Cataphrygiens. — Les Manichéens n'ont point le Paraclet. — Le sens charnel les égare. — L'Evangile et les écrits de Manès. — La doctrine des Apôtres et celle de Manès

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE CHOISIT. CE QUI LUI CONVIENT DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, COMME LES CATHOLIQUES DANS L'ANCIEN.

Fauste. Si tu admets l'Evangile, tu dois croire tout ce qu'il renferme. — Quoi donc ! parce que tu admets l'Ancien Testament, admets-tu indifféremment tout ce qui y est consigné? Vous en extrayez simplement les prophéties qui annoncent un roi futur pour les Juifs, Jésus selon vous; puis quelques axiomes vulgaires de la vie sociale, comme : " Tu ne tueras pas; tu ne commettras pas d'adultère (1) "; après quoi vous passez tout le reste sous silence, et l'estimez à l'égal de ce que Paul regarde comme du fumier (2). Qu'y a-t-il donc d'étrange, qu'y a-t-il d'étonnant à ce que, moi aussi, je prenne dans le Nouveau Testament ce qu'il y a de plus pur, ce qui convient à mon salut, et que je laisse de côté tout ce que vos ancêtres y ont frauduleusement introduit, au grand détriment de sa dignité et de sa beauté ?

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CHAPITRE II. LES ÉVANGILES SONT SUPPOSÉS; ILS NE S'ACCORDENT SUR RIEN.

Quoi! si le Testament du Père renferme des parties où il est difficile de reconnaître sa voix (car vous prétendez que la loi judaïque a été donnée par le Père, et nous savons combien elle renferme de choses qui vous font horreur, des choses dont vous rougissez, au point que, depuis longtemps, vous la croyez altérée quant à l'esprit, bien qu'une partie ait été écrite pour vous de la main même du Père, et une autre de la main de Moïse), quoi! vous imaginerez-vous que le Testament du Fils seul n'a pu être gâté, seul ne renferme rien qui doive être désapprouvé, surtout quand il est certain que ce n'est point lui qui

1. Ex. XX, 13,14. — 2. Phil. III, 8.

l'a écrit, ni ses Apôtres, mais je ne sais quels personnages douteux qui, pour rendre croyable ce qu'ils écrivaient sans savoir et longtemps après coup, ont mis en tête de leurs livres soit les noms des Apôtres, soit les noms de ceux qui avaient suivi les Apôtres, en affirmant qu'ils écrivaient d'après eux? En quoi, ce me semble, ils ont fait grande injure aux disciples du Christ; puisqu'ils mettaient sur leur compte leurs propres divergences et leurs contradictions, et affirmaient écrire d'après eux des Evangiles remplis de tant d'erreurs, de tant de récits et de sentences contradictoires, au point de ne s'accorder en aucune façon ni entre eux ni avec eux-mêmes. N'est ce pas là simplement calomnier les gens de bien, et jeter un brandon de discorde dans l'assemblée fraternelle des disciples du Christ? Or, en les lisant, en les étudiant avec 1'œil parfaitement pur de notre coeur, nous avons jugé qu'il était de toute justice d'en prendre ce qu'il y a d'utile, c'est-à-dire ce qui est propre à édifier notre foi et à procurer la gloire du Christ Notre-Seigneur, et de son Père le Dieu tout-puissant; puis de rejeter le reste qui ne s'accorde ni avec la Majesté divine ni avec notre foi.

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CHAPITRE III. LES CHRÉTIENS PRENNENT UNE PARTIE DE L'ANCIEN TESTAMENT ET LAISSENT LE RESTE.

Ainsi donc, comme je le disais d'abord, malgré l'Ancien Testament, vous n'admettez pas la circoncision de la haïr, quoiqu'elle y soit prescrite (1); ni le repos absolu du sabbat, quoiqu'il y soit exigé (2) ; ni les sacrifices selon le rite de Moïse, ni les immolations destinées à apaiser Dieu a ; mais vous méprisez tout cela comme absolument étranger au culte chrétien et complètement inacceptable. Il est d'autres préceptes que vous avez partagés en deux, pour en prendre une partie et laisser l'autre:

1. Gen. XVII, 9-14. — 2. Ex. XXXI,13. — 3. Lev. I.

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comme la Pâque, par exemple, qui était la fête anniversaire de l'Ancien Testament et devait se célébrer (comme cela est écrit pour vous) non-seulement en tuant et mangeant un agneau à l'entrée de la nuit, mais encore en s'abstenant de toute pâte fermentée pendant sept jours, et en se contentant d'azymes et de laitues amères (1). Vous adoptez la fête de Paques, mais vous laissez de côté le rite et les cérémonies qui étaient si rigoureusement prescrits. Il en est de même de la fête qui se célébrait sept semaines après la Pâque, c'est-à-dire de la Pentecôte, pour laquelle Moïse exigeait également un certain genre et un certain nombre de sacrifices (2) ; vous l'avez conservée, mais en en rejetant une partie, c'est-à-dire les immolations et les sacrifices qui ne s'accommodent plus avec la foi chrétienne. Pour ce qui concerne l'abstinence des mets profanes, vous jugez et croyez fermement que les chairs de cadavres et les chairs offertes aux idoles sont tout à fait immondes (3): mais vous n'en croyez pas autant de la chair de porc, de lièvre, de hérisson, ni du mulet, du calmar et autres espèces de poissons que vous aimez, bien que Moïse les déclare également immondes (4).

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CHAPITRE IV. QUELQUES EXEMPLES POUR PREUVE.

Mais voici que vous ne pouvez, ce me semble, pas même entendre, encore moins admettre dans l'Ancien Testament : à savoir qu'un beau-père ait un commerce charnel avec sa belle-fille, comme Juda, par exemple; ou un père avec ses filles, comme Loth; ou un prophète avec une femme de mauvaise vie, comme Osée ; ou qu'un mari livre sa femme à des amants pour un prix convenu, comme Abraham ; qu'un mari épouse les deux soeurs à la fois, comme Jacob ; que des chefs de peuple, des hommes que vous regardez surtout comme inspirés de Dieu, se vautrent dans la fange avec mille et mille concubines, comme David et Salomon; ou encore que, suivant la législation matrimoniale du Deutéronome, la veuve d'un homme mort sans enfants soit obligée d'épouser le frère du défunt, que ce nouvel époux doive former une famille à la place de son frère, et, dans le cas où il s'y refuserait, que la femme ait le droit de déposer une plainte contre une telle iniquité de

1. Ex. XII. — 2. Lev. XXIII. — 3. Act. XV, 29. — 4. Lev. XI.

devant le tribunal des anciens, à l'effet d'y amener le coupable pour recevoir une sévère réprimande; et, s'il persiste dans son refus, être puni par eux, déchaussé du pied droit, souffleté par la femme, renvoyé couvert de crachats et de malédictions, et flétri, lui et sa race, à perpétuité (1). Voilà, entre bien d'autres, des exemples et des lois pris dans l'Ancien Testament. S'ils sont bons, pourquoi ne les imitez-vous pas ? S'ils sont mauvais, pourquoi n'en condamnez-vous pas l'auteur, c'est-à-dire l'Ancien Testament lui-même ? Que si vous y voyez des falsifications, comme nous en voyons dans le Nouveau, nous voilà de pair. Cessez donc alors d'exiger de nous pour le Nouveau Testament, ce dont vous vous dispensez pour l'Ancien.

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CHAPITRE V. AUTRES PRINCIPES DE L'ANCIEN TESTAMENT REJETÉS PAR LES CATHOLIQUES.

Autant que je puis voir, il me semble que, puisque vous voulez faire croire que l'Ancien Testament vient aussi de Dieu, il serait plus commode, plus excusable pour vous qui n'observez pas ses prescriptions, de convenir qu'il a été altéré et falsifié, que de le rejeter quoique pur et sans altération. Aussi j'ai toujours pensé, et je pense encore, chaque fois qu'on demande pourquoi vous péchez contre les ordonnances de l'Ancien Testament, ou que vous le dédaignez sagement comme faux, ou que vous l'abandonnez quoique vrai, par un esprit de rébellion et d'impiété. En attendant, puisque tu prétends que si j'admets le Nouveau Testament, je dois croire tout ce qu'on y a introduit ; sache que toi-même rejettes, quant à l'esprit, bien des choses contenues dans l'Ancien Testament, quoique tu fasses profession de l'admettre. Car certainement tu n'avoues pas, tu ne regardes pas comme acceptable ce qu'on y lit : à savoir que tout homme suspendu au bois est maudit (2), puisque cet anathème atteindrait évidemment Jésus; nique quiconque ne laissera pas de postérité en Israël sera également maudit, puisque cette malédiction tomberait sur les vierges et les jeunes gens dévoués à Dieu; ni que celui qui ne portera pas dans sa chair le signe de la circoncision, devra être exterminé du milieu de son peuple (3), puisque la sentence envelopperait tous les chrétiens; ni qu'il faut lapider le violateur

1. Deut. XXV, 5, 10. — 2. Id. XXI, 23. — 3. Gen. XVII, 14.

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du sabbat (1); ni qu'il faut punir sans ménagement celui qui aura transgressé lequel que ce soit des commandements de fa loi. Crois-moi, si tu étais bien persuadé de tout cela, si tu étais convaincu que ce sont là des ordres de Dieu, tu aurais été le premier à jeter la main sur le Christ, et tu ne serais pas indigné contre les Juifs qui l'ont persécuté de toute leur âme et de toutes leurs forces, pour exécuter la volonté de leur Dieu.

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CHAPITRE VI. FAUSTE DEVANDE A TRIER DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, COMME LES CATHOLIQUES TRIENT DANS L'ANCIEN.

Je sais, il est vrai, que vous n'osez pas traiter tout cela de faussetés, mais que vous dites que ces règlements convenaient au temps et devaient subsister pour les Juifs jusqu'à l'avénement de Jésus, lequel, annoncé, selon vous, par l'Ancien Testament, vous a enseigné ce qu'il en fallait prendre et ce qu'il en fallait laisser. Nous verrons plus bas si les Prophètes ont réellement prédit Jésus ; pour le moment, ce que j'ai à répondre, c'est que si Jésus, annoncé par l'Ancien Testament, juge maintenant et détermine le peu qu'il faut en prendre et les choses nombreuses, qu'il faut y laisser; le Paraclet, promis par le Nouveau Testament, nous enseigne également ce que nous, devons en prendre et en laisser ; ce Paraclet dont Jésus a dit au moment où il le promettait : " Il vous enseignera toute vérité, lui-même vous dira toutes choses et vous en fera souvenir (1)". Laissez-nous donc prendre à l'égard du Nouveau Testament, au nom du Paraclet, les licences que vous prenez, au nom de Jésus, à l'égard de l'Ancien Testament : à moins que peut-être vous n'attachiez plus de prix au Testament du Fils qu'à celui du Père, si tant est qu'il soit du Père, en sorte qu'il y ait beaucoup à réprouver dans celui-ci et rien dans celui-là, bien qu'il soit constant que le Nouveau Testament n'a été écrit ni par le Christ ni par ses Apôtres.

1. Num. XV, 35. — 2. Jean, XVI,13.

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CHAPITRE VII. CE QUE FAUSTE REJETTE ET ADMET DANS LE NOUVEAU TESTAMENT.

Par conséquent, comme vous n'admettez, de l'Ancien Testament, que les prophéties, et de plus, ainsi que je l'ai dit, quelques préceptes vulgaires concernant les devoirs de la vie civile, et que vous laissez de côté la circoncision, les sacrifices, le sabbat et son repos, et les azymes : qu'y a-t-il d'étrange à ce que nous ne prenions du Nouveau Testament que ce que nous y trouvons de paroles tournant à l'honneur et à la gloire de la majesté du Fils et prononcées par lui: ou par ses Apôtres, mais par ses Apôtres devenus parfaits et fidèles, et que nous passions sous silence tout le reste, soit ce que ces mêmes mêmes Apôtres, encore novices, ont pu dire dans leur simplicité et dans leur ignorance, soit les allusions méchantes et les objections des ennemis, soit les affirmations imprudentes des écrivains, par eux transmises à la postérité? Et par ces: dernières j'entends ce qu'on nous raconte de Jésus naissant honteusement d'une femme, circoncis à la juive, sacrifiant à là manière des Gentils, recevant un ignoble baptême, promené par le démon dans les déserts, et tenté par lui de la façon la plus misérable. Excepté cela, et encore ce que les auteurs ont cité de l'Ancien Testament sous une attestation mensongère, nous croyons tout le reste, principalement son mystérieux crucifiement, emblème des souffrances et des blessures de notre âme; et aussi nous reconnaissons sans hésiter, comme venant de lui, ses commandements salutaires, ses paraboles, et tout ce divin langage où se fait surtout sentir la distinction des deux natures. Tu n'as donc aucune raison de me croire obligé d'admettre tout ce que renferment les Evangiles, puisque, comme je l'ai- démontré; tu touches à peine du bout des lèvres (passe-moi cette expression populaire) au divin calice de l'Ancien Testament,

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CHAPITRE VIII. DIFFÉRENCE ENTRE LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS, RELATIVEMENT AU CHOIX À FAIRE DANS LES ÉCRITURES.

Augustin. Nous honorons tous les livres de l'Ancien Testament comme vrais et divins, ainsi que cela doit être, et vous, vous triez ceux du Nouveau Testament comme falsifiés et altérés. Non-seulement nous disons que tout ce que nous n'observons plus dans l'Ancien Testament, à été sagement prescrit eu égard au temps et au peuple juif, et a été pour nous, qui ne l'observons plus, la figure de ce (399) que nous comprenons et possédons spirituellement; mais encore, nous le démontrons et l'enseignons d'après les écrits des Apôtres ; tandis que vous, vous blâmez dans les livres du Nouveau Testament tout ce que vous n'admettez pas, et affirmez que cela n'a été ni dit ni écrit par le Christ ou par ses Apôtres. Vous voyez donc quelle distance il y a entre nous et vous sous ce rapport. Aussi, quand on vous demande pourquoi vous n'acceptez pas tout dans les livres du Nouveau Testament, pourquoi, excepté le peu que vous-y prenez, vous rejetez, critiquez, accusez tout le reste, vous prétendez que ce sont des interpolations de faussaires. Ne vous appuyez donc plus sur les distinctions que nous sommes obligés de faire dans nos croyances et dans nos pratiques, mais rendez compte de votre présomptueuse témérité.

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CHAPITRE IX. EN QUOI LES CATHOLIQUES REJETTENT L'ANCIEN TESTAMENT.

Car si on nous demande pourquoi nous, nous n'observons pas dans le culte divin les rites que les Hébreux, nos pères, observaient dans le temps de l'Ancien Testament; nous répondons, que Dieu nous a donné d'autres prescriptions par les pères du Nouveau Testament : ce qui ne contredit pas l'Ancien, puisque l'Ancien l'avait prédit. Voici, en effet, ce que disait là-dessus un prophète : " Voilà que les jours viennent ", dit le Seigneur, " et j'établirai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda ; non pas, selon l'alliance que j'ai formée avec leurs pères, au jour où je les pris par la main, pour les faire sortir de la terre d'Egypte (1) ". Il a donc été prophétisé que l'Ancien Testament cesserait un jour, et qu'il yen aurait un nouveau. Si on nous objecte ici que nous ne sommes point de la maison d'Israël ni de la maison de Juda, nous nous couvrons de l'autorité de l'Apôtre : car Paul nous enseigne que le Christ est issu d'Abraham, et il nous dit, a nous qui formons le corps du Christ: " Vous êtes donc la postérité d'Abraham (2) ". Et si on nous demande pourquoi nous maintenons l'autorité d'un Testament dont nous n'observons plus les rites, l'Apôtre nous fournit encore la réponse, quand il dit: " Que personne donc ne vous juge sur le manger

1. Jer. XXXI, 31, 32. — 2. Gal. III, 29.

et sur le boire, ou à cause des jours de fête, ou des néoménies, ou des sabbats, choses qui ne sont que l'ombre des futures (1) ". Par là donc, il nous fait voir pourquoi il faut lire et accepter ces choses pour ne pas laisser périr les prophéties, vu que ces rites étaient les figures de l'avenir; mais en même temps il nous apprend à ne tenir aucun compte du jugement de ceux qui voudraient nous faire un crime de ne point pratiquer corporellement ces observances. C'est ce qu'il insinue encore ailleurs en disant : " Toutes ces choses leur arrivaient en, figure, et; elles ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps (2) ". Quand donc nous lisons dans l'Ancien Testament quelque chose que le Nouveau ne nous commande pas, ou même qu'il nous défend, nous ne devons point le blâmer, mais en chercher la signification : car par là même qu'on ne l'observe plus, c'est une preuve qu'il est non condamné, mais accompli. Du reste, nous avons déjà traité ce sujet longuement et plus d'une fois.

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CHAPITRE X. SENS PROPHÉTIQUE DE L'OBLIGATION D'ÉPOUSER LA VEUVE D’UN FRÈRE.

Quant a ce que Fauste reproche avec si peu d'intelligence aux commandements de l'ancienne loi, à celui par exemple qui obligeait un homme à épouser la veuve de son frère, pour créer une postérité, non à lui, mais au défunt, dont les enfants devaient porter le nom (3) : que signifiait cette prescription, au point de vue prophétique, sinon que tout prédicateur de l'Evangile doit travailler dans l'Eglise pour créer une postérité à son frère défunt, le Christ, qui est mort pour nous, et que cette postérité doit porter le nom du Christ? Aussi l'Apôtre, remplissant en lui-même cette signification, non dans le sens charnel, mais selon la vérité accomplie spirituellement, s'indigne contre ceux qu'il a engendrés en Jésus-Christ par l'Evangile (4), et les reprend vivement parce qu'ils voulaient être à Paul et leur dit : " Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? Ou est-ce au nom de Paul " que vous avez été baptisés (5) ? " Comme s'il disait : Je vous ai engendrés pour mon frère mort; prenez le nom du Christ et non celui

1. Col. II, 16, 17. — 2. I Cor. X, 11. — 3. Deut. XXV, 5-10. — 4. I Cor. IV, 15. — 5. Id. I, 13.

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de Paul. Mais celui qui, étant élu par l'Eglise pour la fonction de prédicateur de l'Evangile, refuse de l'exercer, est à juste titre mal vu de l'Eglise elle-même. Voilà pourquoi elle a l'ordre de lui cracher au visage, sans compter cet autre signe d'opprobre, qu'il soit déchaussé d'un pied, pour être exclu du nombre de ceux à qui l'Apôtre dit : " Et chaussant vos pieds pour vous préparer à l'Evangile de la paix (1) " ; et dont le Prophète avait déjà parlé, en disant : " Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent le bonheur (2) ! " En effet, celui qui possède la foi évangélique de manière à en tirer profit pour lui-même et à travailler dans l'intérêt de l'Eglise, peut bien être considéré comme chaussé des deux pieds. Mais celui qui ne cherche dans la foi que son propre avantage et refuse d'en gagner d'autres, ne sera pas seulement figuré par l'homme déchaussé d'un pied : il en reproduira l'opprobre dans la réalité.

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CHAPITRE XI. LA PAQUE DES CATHOLIQUES.

Pourquoi Fauste nous objecte-t-il que nous célébrons la pâque, et nous insulte-t-il parce que nous ne la célébrons pas comme les Juifs, alors que nous avons l'Agneau dans la réalité de l'Evangile actuel, et non plus dans les ombres de l'avenir, quand chaque jour et surtout dans le solennel anniversaire, nous faisons mémoire de son immolation, non plus future, mais accomplie? Sans doute, notre fête de Pâques ne tombe point le même jour que la pâque figurative des Hébreux; mais c'est pour qu'elle coïncide avec le dimanche, jour où le Christ est ressuscité. Quant aux azymes, les vrais chrétiens les observent, non avec le levain de la vie ancienne, c'est-à-dire de la malice, mais dans la vérité et la sincérité de la foi même (3) ; non pendant sept jours, mais toujours : ce que figurait l'espace de sept jours, qui se reproduit sans cesse lui-même. Et s'il y a quelque chose de pénible dans ce monde, parce que le chemin qui mène à la vie est étroit et resserré (4), du moins on est sûr de la récompense : et cette peine était figurée par les laitues, qui sont quelque peu amères.

1. Eph. VI, 15. — 2. Is. LII, 7. — 3. I Cor. V, 8. — 4. Matt. VIII, 13.

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CHAPITRE XII. LA PENTECÔTE. RAISON DE LA FÊTE DE PAQUE.

Nous célébrons la Pentecôte, c'est-à-dire le cinquantième jour après la Passion et la résurrection du Seigneur, où il nous a envoyé le Saint-Esprit, le Paraclet qu'il nous avait promis (1) : événement prédit aussi par k Pâque des Juifs, puisque le cinquantième jour après l'immolation de l'agneau, Moïse reçut sur la montagne la loi écrite du doigt de Dieu (2). Lisez l'Evangile, et voyez que l'Esprit-Saint y est appelé le doigt de Dieu (3). On célèbre en effet chaque année dans l'Eglise, à des jours fixes, les principaux événements qui se sont passés, afin d'en perpétuer, par une fête solennelle, le souvenir si nécessaire et si utile. Et si vous voulez savoir pourquoi nous célébrons la Pâque, c'est parce que le Christ a été immole pour nous à cette époque. Si vous voulez savoir pourquoi nous ne la célébrons pas selon le rite des Juifs, c'est parce que la leur était une figure de la réalité à venir, et que la nôtre est le souvenir d'un fait accompli. Or, dans le langage même, le futur et le passé ne s'expriment point de la même manière. Mais nous en avons déjà assez dit là-dessus dans cet ouvrage.

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CHAPITRE XIII. LA CHAIR DES ANIMAUX. PRINCIPES DES CATHOLIQUES SUR CE POINT.

Si vous nous demandez pourquoi, de toutes les espèces d'aliments interdits au peuple hébreu en figure de l'avenir, nous ne nous abstenons que des chairs mortes et immolées aux idoles, écoutez ce que je vais dire, et préférez une fois la vérité à de vaines calomnies. L'Apôtre nous 'explique pourquoi il ne convient pas au chrétien de manger des viandes immolées, quand il dit : "Je ne veux pas que vous ayez aucune société avec les démons". Au fond, ce n'est point l'immolation qu'il blâme, puisque nos pères la pratiquaient pour figurer d'avance le sang du sacrifice par lequel le Christ nous a rachetés; " Mais ", dit-il, " ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu ". Après quoi il ajoute ce que je rapportais tout à l'heure : " Je ne veux pas que vous ayez aucune société avec les démons (4) ". En effet, si

1. Act. II, 1-4. — 2. Ex. XIX-XXIX. — 3. Luc, XI, 20. — 4. I Cor. X, 20.

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la chair immolée était immonde par sa nature, elle souillerait même celui qui en mangerait sans le savoir : car elle n'en serait pas moins impure, pour être mangée par ignorance. .Mais il faut s'en abstenir par raison de conscience, pour ne pas avoir l'air d'entrer en société avec les démons. Quant à la chair morte, il me semble qu'elle n'est point en usage parmi les hommes, parce que la chair des animaux qui meurent naturellement, sans être tués, n'est ni saine ni bonne pour la vie du corps, qui est le but de l'alimentation. Pour ce qui concerne l'ordre donné en figure aux anciens, c'est-à-dire à Noé après le déluge, relativement à l'effusion du sang (1), nous en avons déjà expliqué le sens, et la plupart le savent (2). Lis dans les Actes des Apôtres le commandement fait par les Apôtres eux-mêmes aux Gentils, de s'abstenir de la fornication, des viandes immolées aux idoles et du sang, c'est-à-dire de la chair d'animaux dont le sang n'aurait pas été répandu. D'autres expliquent ce passage différemment, et pensent qu'il s'agit ici du sang humain et de la souillure contractée par l'homicide. Il serait long et inutile d'entrer maintenant dans cette discussion. Si les Apôtres ont prescrit alors aux chrétiens de s'abstenir du sang des animaux, de ne pas manger des chairs étouffées, ils ont choisi, ce me semble, une chose facile à observer, en rapport avec le temps, peu onéreuse, que les Gentils pouvaient pratiquer en même temps que les Israélites, à cause de la pierre angulaire qui des deux ne faisait qu'un (3) ; et aussi propre à leur rappeler qu'au moment où Dieu donnait ce commandement, l'arche de Noé figurait l'Église universelle, prophétie qui commençait déjà à s'accomplir par la conversion des Gentils à la foi. Mais cette époque une fois passée, où les deux murs, celui qui provenait de la circoncision et celui qui provenait de l'incirconcision, quoique réunis dans la pierre angulaire, conservaient cependant plus visiblement encore certaines propriétés particulières, et où l'Église des nations est devenue telle qu'elle ne renferme plus aucun Israélite charnel : quel est le chrétien qui s'abstienne encore de manger des grives ou des oisillons, à moins que leur sang n'ait été répandu, ou qui ne mange pas de lièvre mort, s'il a été assommé sur la tête et sans blessure? Et s'il en est, par hasard, quelques-uns qui n'osent toucher à de tels

1. Gen. IX, 6. — 2. Act. XV, 29. — 3. Eph. II, 11-22.

aliments, ils sont ridicules aux yeux des autres, tant tout le monde est bien pénétré de cette sentence de la Vérité : " Ce n'est pas ce qui entre dans votre bouche qui vous souille, mais ce qui en sort (1) " : par où le Sauveur condamne, non aucune espèce d'aliment en usage parmi les hommes, mais les péchés commis contre la justice.

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CHAPITRE XIV. AUTRES OBJECTIONS DE FAUSTE DÉJÀ RÉFUTÉES. COMPARAISON TIRÉE DE LA MÉDECINE.

Pour ce qui regarde les actions des anciens qui passent pour coupables aux yeux des insensés et des ignorants et ne le sont pas, ou celles qui sont réellement coupables, nous avons suffisamment expliqué pourquoi elles ont été mentionnées dans l'Écriture, sans rien ôter à celle-ci du respect que nous lui devons. Nous avons aussi répondu en son lieu à ce que Fauste objecte sur la malédiction lancée contre tout homme suspendu au bois, et contre celui qui ne laisse pas de postérité en Israël (2) : et toutes ces questions, soit celles que nous avons déjà traitées dans les premières parties de cet ouvrage, soit celles de même genre que Fauste à pu soulever dans l'écrit auquel nous répondons maintenant, nous les avons toutes éclaircies, nous avons tout justifié à l'aide de la raison appuyée sur l'inébranlable vérité que nous tenons de l'autorité des saintes Écritures. Nous déclarons que tout ce qui est écrit dans les livres de l'Ancien Testament, l'a été avec une parfaite vérité et une très-grande utilité en vue de la vie éternelle ; nous l'acceptons, nous l'approuvons ; mais les prescriptions qui avaient le corps pour objet, et que nous n'observons plus, nous savons qu'elles ont été très-sagement établies pour le temps, qu'elles n'étaient que des figures de l'avenir, et que tout ce qu'elles prophétisaient est accompli. Par conséquent, quiconque n'observait point alors ces rites symboliques, subissait par un très juste jugement les peines établies par la Divinité, comme les subirait celui qui aurait la témérité sacrilège de profaner les sacrements du Nouveau Testament, institués pour les besoins du temps. Et comme on préconise à juste titre les anciens justes qui ont souffert la mort pour les sacrements de l'ancienne loi, ainsi exalte-t-on

1. Matt. XV, 11. — 2. Voyez ci-dessus, liv. XXII.

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avec raison les martyrs qui l'ont subie aussi pour les sacrements de la loi nouvelle. Et comme un malade ne doit point blâmer la médecine qui lui prescrit une chose aujourd'hui, une autre demain, qui lui défend même ce qu'elle lui avait d'abord ordonné, parce que l'état de sa santé l'exige ainsi ; de même le genre humain, malade et blessé depuis Adam jusqu'à la fin des siècles, tant que le corps qui se corrompt appesantit l'âme (1); ne peut blâmer la médecine céleste qui lui prescrit sur certains points la même chose, sur d'autres points, telle chose d'abord et telle autre ensuite, surtout quand elle l'a prévenu de ces changements.

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CHAPITRE XV. SUR LE PARACLET.

La comparaison de Fauste prétendant que le Paraclet, prophétisé par le Nouveau Testament, vous a enseigné ce qu'il faut en prendre et ce qu'il faut en rejeter, comme le Christ l'a fait pour nous par rapport à l'Ancien Testament qui le prophétisait aussi : cette comparaison, dis-je, est absolument nulle. Elle aurait une apparence de vérité, s'il était rien dans les livres de l'Ancien Testament que clous ne reconnaissions comme dit avec raison, ordonné par le ciel, écrit avec véracité. Or, il n'en est pas ainsi: nous acceptons tout, et ce que nous observons pour bien vivre, et ce que nous n'observons plus, mais que nous savons avoir été prescrit et observé dans des vues prophétiques, et qui sont maintenant accomplies. Ensuite, comme nous lisons dans les livres que vous n'acceptez qu'en partie, que le Paraclet a été promis, ainsi lisons-nous dans le livre que vous craignez même de nommer, qu'il a été envoyé. En effet, comme je vous l'ai rappelé bien des fois et tout à l'heure encore, nous lisons de la manière la plus claire, dans les Actes des Apôtres, que le Saint-Esprit a été envoyé le jour de la Pentecôte et qu'il s'est fait connaître par ses oeuvres. Car ceux qui l'ont reçu les premiers ont parlé toutes les langues (2) ; signe exprimant la promesse que l'Eglise, qui devait le prêcher en toute vérité comme le Père et le Fils, embrasserait toutes les langues, c'est-à-dire toutes les nations.

1. Sag. IX, 15. — 2. Act. II.

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CHAPITRE XVI. IMPOSSIBILITÉ DE FALSIFIER L'ÉVANGILE.

Dites-nous donc enfin pourquoi vous n'admettez pas tout dans les livres du Nouveau Testament. Est-ce parce qu'ils ne sont pas des Apôtres du Christ, ou parce que les Apôtre du Christ ont enseigné quelque chose de mauvais? Vous répondez : C'est parce qu'ils ne sont pas des Apôtres du Christ ; car il n'y a que des païens qui pourraient dire que le Apôtres du Christ ont enseigné le mal. Ou dites-vous donc alors, et comment prouvez-vous que ces Ecritures ne viennent pas de Apôtres? Parce que, répondez-vous, sur bien des points ils ne sont d'accord ni les uns avec les autres, ni avec eux-mêmes. Voilà qui est parfaitement faux; vous ne comprenez pas On vous a montré que tout ce que Fauste a pu avancer en ce sens, n'est point ce que vous pensiez; et tout ce que vous pourriez dire vous-mêmes là-dessus, nous nous chargerons de vous l'éclaircir. Mais peut-on supporter qu'un lecteur ou un auditeur ose s'en prendre à l'Ecriture, à un livre d'une autorité si respectable, plutôt qu'à son propre défaut d'intelligence? Direz-vous que le Paraclet vous appris que ces Ecritures ne sont pas des Apôtres, mais fabriquées par d'autres sous leurs noms? Proclamez donc que celui qui vous a appris que ces livres ne sont pas des Apôtres est le Paraclet en personne. Direz-vous que c'est bien celui-là que le Christ a promis et envoyé ? On vous répond: Ce n'est point du tout celui-là que le Christ a promis et envoyé; et en même temps on vous fait voir quand il a envoyé celui qu'il a promis. Prouvez donc que c'est l'autre qu'il a envoyé. Quelle autorité apportez-vous en faveur de votre auteur, ou plutôt de votre imposteur? L'Evangile dites-vous. Quel Evangile? Celui que vous n'admettez pas en entier, que vous prétendez être falsifié? Mais qui donc, avant de produire son témoin, commence par dire qu'il est corrompu? En effet, si nous admettons l'Evangile sur ce qui vous plaît, et le rejetons sur ce qui vous déplaît, ce n'est plus à lui, mais à vous que nous croyons. Or, si nous avions foi en vous, nous ne vous demanderions pas de témoin. Ensuite le Saint-Esprit Paraclet nous a été promis en ces termes : " Il vous enseignera toute vérité (1) ". Mais comment votre

1. Jean, XVI, 13.

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Paraclet " enseignera-t-il la vérité ", lui qui vous enseigne que le Christ est un imposteur?

De plus, quand vous démontreriez que tout ce qu'on lit dans l'Evangile sur la promesse du Paraclet, ne peut s'entendre que de votre Manès, comme on démontre que tout ce qu'ont prédit les Prophètes ne peut s'appliquer qu'au Christ: si, lorsque vous extrairiez de ces livres que vous dites falsifiés, les textes à l'appui de votre assertion, nous vous disions qu'ils sont faux, qu'ils ont été intercalés par vos ancêtres de manière à ce qu'on ne pût les appliquer à un autre que Manès : que feriez-vous, dites-moi, sinon de vous écrier que vous n'avez pu en aucune façon altérer des livres qui étaient déjà entre les mains de tous les chrétiens? En effet, à la- première tentative de ce genre, vous auriez été confondus par la comparaison d'exemplaires plus anciens. Or, la raison qui vous aurait empêchés d'altérer ces livres, en a également empêché tout autre. Car quiconque aurait eu le premier cette audace, aurait été réfuté par le rapprochement d'autres copies plus anciennes; surtout quand l'Ecriture n'est pas en une seule langue, mais en un grand nombre. Car, même aujourd'hui, on y corrige des fautes, soit à la vue de manuscrits plus anciens, soit par comparaison avec la langue d'où ces livres ont été traduits. Vous êtes donc forcés ou de reconnaître qu'ils sont authentiques, et par là même votre hérésie est sapée par la base; ou, si vous les dites encore falsifiés, de ne pouvoir invoquer leur autorité en faveur de votre Paraclet, ce qui détruit également votre hérésie.

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CHAPITRE XVII. LES CATAPHRYGIENS ONT AUSSI LEUR PARACLET. PRÉTENTION COMMUNE A TOUTES LES HÉRÉSIES.

Ajoutons que tout ce qui a rapport à la promesse du Paraclet, a été dit pour exclure complètement d'une telle prétention votre Manès venu tant d'années après. En effet, Jean dit de la manière la plus claire que l'Esprit-Saint devait venir aussitôt après la résurrection et l'ascension du Christ : " Car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1) ". Or, si la raison pour laquelle il n'avait pas été donné, était que Jésus n'était pas encore glorifié ; sans aucun doute, dès que Jésus eut été glorifié, c'était une

1. Jean, VII, 39.

raison pour qu'il fût donné. Les Cataphrygiens aussi ont prétendu avoir reçu le Paraclet promis, et ils ont ainsi dévié de la foi catholique en cherchant à défendre ce que Paul a permis, et en condamnant les secondes noces qu'il a autorisées. Ils cachaient leurs piéges sous ces paroles écrites du Paraclet : " Il vous enseignera toute vérité " ; comme si Paul et les autres Apôtres n'avaient pas enseigné toute vérité, et qu'ils eussent réservé la place au Paraclet des Cataphrygiens. Ils tiraillaient aussi dans ce sens ce texte de Paul : " Car c'est imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que nous prophétisons ; mais quand viendra ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait (1) " ; en sorte que c'eût été en ne connaissant et en ne prophétisant qu'imparfaitement que l'Apôtre aurait dit : " Qu'il fasse ce qu'il voudra; il ne péchera point si elle se marie (2)", et que le parfait du Paraclet de Phrygie eût anéanti cette concession. Et quand on leur dit qu'ils sont condamnés par l'autorité de l'Eglise promise si longtemps avant eux et répandue dans le monde entier, ils répondent que c'est précisément en eux que s'est accompli ce qui a été dit du Paraclet, que le monde ne peut pas le recevoir. Ne dites-vous pas aussi que c'est de votre Manès qu'il a été prédit : " Il vous enseignera toute vérité; quand viendra ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait ; le monde ne peut le recevoir (3) ? " Et quelle hérésie qui ne puisse se produire sous le nom du Paraclet, et s'emparer de ces textes aussi insolemment et avec autant de vraisemblance ? Y a-t-il, en effet, une seule hérésie qui ne s'appelle la vérité, et ne se dise même fa vérité parfaite, avec d'autant plus d'assurance qu'elle est plus orgueilleuse, jusqu'à promettre d'enseigner toute vérité et tâcher d'anéantir tout ce qui contrarie ses erreurs dans la doctrine des Apôtres, comme si ce qui est parfait devait venir par elle ? Et tandis que l'Eglise tient à ce que l'Apôtre recommande si vivement, quand il dit : " Si quelqu'un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (4) ", y a-t-il une hérésie anathématisée par le monde entier, qui ne s'empresse de s'appuyer sur ce texte : " Le monde ne peut le recevoir? "

1. I Cor. XIII, 9, 10. — 2. Id. VII, 36. — 3. Jean, XIV, 17. — 2. Gal. I, 9.

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404

CHAPITRE XVIII. LES MANICHÉENS NE PEUVENT PROUVER QU'ILS ONT LE PARACLET.

Comment donc donnez-vous la preuve qu'on vous demande : que le Paraclet lui-même vous a appris que les livres évangéliques ne sont pas des Apôtres, puisque nous prouvons, nous, qu'il n'y a pas d'autre Paraclet Esprit-Saint, que celui qui est venu après que Jésus a été glorifié ? Car, " il n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié". Nous prouvons également qu'il enseigne toute vérité, parce qu'on ne parvient à la vérité que par la charité; or, nous dit l'Apôtre, " La charité de Dieu est répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (1) ". Nous enseignons aussi que ces paroles de Paul : " Quand viendra ce qui est parfait ", ne doivent s'entendre que de la perfection qui s'obtiendra au sein de la vie éternelle. C'est ce qu'il exprime lui-même quand il dit : " Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme; mais alors nous verrons face à face (2)". Certes, à moins d'être évidemment fous, vous avouerez qu'ici-bas vous ne voyez pas Dieu face à face. Donc ce qui est parfait n'est pas encore en votre possession. Par ces expressions l'Apôtre a suffisamment expliqué sa pensée là-dessus; et les saints ne parviendront à cette perfection que quand ce que dit Jean sera aussi réalisé : " Nous sommes enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (3) ". L'Esprit-Saint, dont nous avons reçu le gage, nous introduira alors dans la connaissance de toute vérité. Quant à ces paroles : " Le monde ne peut le recevoir ", elles s'appliquent à ceux que l'Ecriture désigne ordinairement sous le nom de monde, d'amateurs du monde, d'impies, de charnels, comme ceux dont l'Apôtre dit : " L'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu (4)". En effet, on dit qu'ils sont de ce monde, tant qu'ils ne peuvent s'élever au-dessus des objets matériels qu'ils ont vus dans ce monde; comme vous, par exemple, qui pleins d'admiration pour la lumière du soleil et de la lune, vous êtes imaginé que de tels corps

1. Rom. V, 5. — 2. II Cor. XIII, 10, 12. — 3. I Jean, III, 2. — 4. I Cor. II, 14.

sont divins, séduits en cela par le verbiage d'un auteur que tous, trompés et trompeurs, vous appelez Paraclet. Or, comme vous ne pouvez en aucune façon prouver qu'il est le Paraclet, vous n'avez aucune autorité solide pour démontrer que les écrits évangéliques, dont vous rejetez certaines parties, ne sont pas des Apôtres du Christ. Il ne vous reste donc qu'à dire qu'il s'y trouve des choses qui déshonorent le Christ : à savoir qu'il est né d'une Vierge, qu'il a été circoncis, qu'on a fait pour lui l'offrande en usage alors, qu'il a été baptisé, qu'il a été tenté par le démon.

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CHAPITRE XIX. LA DOCTRINE CATHOLIQUE EST BIEN PLUS CROYABLE QUE LE SYSTÈME MANICHÉEN.

Excepté cela et les témoignages de l'Ancien Testament qui y sont cités, vous convenez que vous acceptez tout le reste, selon le langage de Fauste, " et principalement son mystérieux crucifiement, emblème des souffrances et des blessures de notre âme. Ensuite ", ajoute. t-il, " nous reconnaissons sans hésiter comme venant de lui ses commandements salutaires, ses paraboles, et tout ce divin langage où se fait surtout sentir la distinction des deux natures ". Vous voyez donc que vous faites tout ce qu'il faut pour ôter aux Ecritures toute leur autorité, et laisser chacun libre d'y approuver ou d'y rejeter ce que bon lui semblera, c'est-à-dire de ne point soumettre sa foi à l'autorité des Ecritures, mais de soumettre les Ecritures à son propre jugement; de ne pas approuver un texte parce qu'il repose sur la sublime autorité de ces livres, mais de n'approuver ce texte que parce qu'il lui convient. Où vas-tu, âme misérable, faible, enveloppée des ténèbres de la chair, où vas-tu ? Voyons cependant : écarte cette autorité, écarte-la; écoute ta raison : ta raison en est-elle à ce point qu'à moins d'admettre que la nature divine est sujette à la profanation et à la corruption, votre longue comédie ne puisse avoir de dénouement ? En somme, comment sais-tu qu'il y a huit terres et dix cieux, portés par Atlas et suspendus par le porte-lumière? Com. ment sais-tu une foule d'autres choses de ce genre ? de qui les tiens-tu ? — C'est Manès, me diras-tu, qui m'a enseigné tout cela. — Mais, malheureux, tu as cru sur parole; tu n'as pas vu. Or, si tu admets par milliers des (405) contes fantastiques dont le poids honteux t'accable, par soumission à l'autorité d'un homme entièrement inconnu et vrai fou furieux, parce que ces rêveries sont consignées dans des livres auxquels, par une misérable erreur, tu as cru devoir ajouter foi, bien qu'on te démontre que ce sont de pures chimères pourquoi ne te soumets-tu pas plutôt à l'autorité évangélique, si solide, si bien établie, propagée avec tant d'éclat, et transmise depuis les temps des Apôtres jusqu'à nos jours par des traditions non interrompues; de manière à croire, à voir, à apprendre que tout ce qui te choque dans les saints Livres, ne heurte en toi que de vains et coupables préjugés; qu'il est bien plus vrai que l'immuable nature de Dieu a pris quelque chose de la nature humaine, pour y faire et y souffrir, non fictivement, mais réellement et sans rien perdre de son immutabilité, tout ce qu'il convenait à cette même nature de faire et de souffrir pour le salut du genre humain, de qui elle était empruntée: que cela est plutôt vrai, dis je, qu'un système où il faut croire que la nature divine est sujette à la profanation et à la corruption ; que, souillée et opprimée, elle ne peut être entièrement affranchie ni purifiée, mais qu'elle est condamnée, par la loi divine de la nécessité, à la peine éternelle du globe ?

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CHAPITRE XX. LE SENS CHARNEL, SOURCE DE L'ERREUR MANICHÉENNE.

Mais, dis-tu, j'ai cru ce qu'on ne me démontrait pas, parce qu'on m'a fait voir clairement en ce monde deux natures, celle du bien et celle du mal. Et voilà précisément, malheureux, la source de ton erreur: tu n'as pu imaginer dans ce monde, pas plus que dans les écrits évangéliques, d'autre mal que ce qui blesse ton sens charnel, le serpent, par exemple, le feu, le poison et autres choses de ce genre; ni d'autre bien que ce qui chatouille en quelque manière ce même sens charnel, comme l'agrément des saveurs, le parfum des odeurs, l'aspect de la lumière et tout ce qui peut flatter l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût ou le toucher. Mais si, lisant pour ainsi dire dans le grand livre de la nature, tu embrassais d'abord l'ensemble de la création pour reconnaître que Dieu en est l'auteur; si, dans le cas où quelque chose t'y blesserait, tu préférais croire que tu n'en sais pas la raison parce que tu n'es qu'un homme, plutôt que de te hasarder insolemment à critiquer les oeuvres de Dieu : jamais tu ne te serais laissé aller aux sacrilèges niaiseries, aux inventions blasphématoires par lesquelles, dans ton ignorance de la source du mal, tu t'efforces de charger Dieu lui-même de toute espèce de maux.

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CHAPITRE XXI. L'AUTHENTICITÉ DE L'ÉVANGILE SE PROUVE COMME CELLE DES ÉCRITS DE MANÈS.

Que si vous nous demandez comment nous savons que ces écrits sont des Apôtres, nous vous répondrons en peu de mots que nous le savons, comme vous savez vous-mêmes que les écrits que vous préférez misérablement à une telle autorité sont de Manès. En effet, si quelqu'un élevait un doute sur ce point et vous contredisait par scrupule, en vous disant que les livres que vous attribuez à Manès ne sont point de lui : que feriez-vous? Ne ririez-vous pas comme d'un fou, de l'homme qui émettrait un doute aussi insolent contre un fait établi sur une telle succession de témoignages, sur une chaîne de traditions aussi fortement serrée? Or, de même qu'il est certain que ces livres sont de Manès, et que quiconque viendrait, si longtemps après, vous susciter une querelle là-dessus, passerait pour un être ridicule; ainsi est-il certain que Manès ou les Manichéens sont ridicules, ou plutôt dignes de compassion, d'oser soulever des objections de ce genre contre une autorité si solide, maintenue et transmise par des successions indubitables, depuis le temps des Apôtres jusqu'à nos jours.

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CHAPITRE XXII. LA DOCTRINE DES APÔTRES ET CELLE DE MANÈS.

Maintenant il est temps de comparer l'autorité de Manès à celle des Apôtres, car il est certain que, des deux côtés, les écrits sont authentiques. Or, qui donc comparera Manès aux Apôtres, sinon celui qui se sépare du Christ qui a envoyé les Apôtres? Ou encore, qui a jamais trouvé, dans les paroles du Christ, la moindre trace de deux natures radicalement opposées, sinon celui qui ne comprend point les paroles du Christ? Ainsi donc les Apôtres, en qualité de disciples de la vérité, prêchent la naissance réelle, la passion réelle (406) du Christ; et Manès qui se vante d'enseigner toute vérité, nous prêche un Christ dont il déclare la passion fictive. Les Apôtres enseignent que le Christ a été circoncis dans la chair qu'il tenait de la race d'Abraham; Manès prêche un Dieu mutilé dans sa nature par le peuple des ténèbres. Ceux-là parlent d'une offrande faite pour racheter la chair du Christ enfant, selon la pieuse coutume de ce temps-là; celui-ci parle d'un membre, non de la chair, mais de la substance même de Dieu, qui doit être immolé à tous les démons et livré à la nature du peuple ennemi. Ceux-là racontent que le Christ a été baptisé dans le Jourdain, pour donner l'exemple; celui-ci nous conte que Dieu est plongé lui-même et par lui-même dans la souillure des ténèbres, qu'il ne saurait en sortir entièrement, et que la partie qui n'aura pu être purifiée, sera punie d'une damnation éternelle. Suivant les uns, la chair du Christ a été tentée par le chef des démons; selon l'autre, une partie de Dieu est en la possession des démons ; mais, là, la chair du Christ a été tentée pour nous apprendre à résister au tentateur; ici, une partie de la substance divine est si bien au pouvoir des démons, qu'elle ne peut être rendue ni à son Père, ni à son vainqueur. Enfin Manès, d'après la doctrine des démons, annonce un autre Evangile, comme pour s'élever au-dessus des autres; et les Apôtres, d'après la doctrine du Christ, recommandent de dire anathème à quiconque prêche un autre Evangile (1).

1. Gal. I, 8, 9.

 

 

 

 

 

 

LIVRE TRENTE-TROISIÈME. AUTORITÉ DES ÉVANGILES.

Fauste revient encore sur les Patriarches, sur le désaccord entre saint Matthieu et saint Lue, sur le défaut d'authenticité des Ecritures. — Le saint Docteur répond en peu de mots. — Certitude historique. — Saint Matthieu et saint Luc se concilient parfaitement. — Différer n'est pas se contredire. — Conclusion. — Avis aux Manichéens

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. SI LES PATRIARCHES HÉBREUX SONT AU CIEL, CE N'EST PAS PAR LEURS MÉRITES. LES PATRIARCHES DES GENTILS Y ONT AUTANT DE DROIT QU'EUX.

Fauste. Il est écrit dans l'Evangile : " Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob (1) ". Pourquoi donc ne recevez-vous pas les Prophètes? — Loin de nous la pensée de porter envie à tout mortel que Dieu regardera dans sa miséricorde et sauvera de l'abîme de perdition. Mais au moins, nous en faisons honneur à la clémence de ce Dieu miséricordieux, et non au mérite d'un homme dont la vie, tu ne saurais le nier, fut peu honorable. Ainsi donc, que les pères des Juifs, Abraham, Isaac et Jacob (si toutefois le témoignage du Christ, que vous citez en leur faveur, est authentique, bien qu'ils aient été très-vicieux, comme en convient à peu près leur arrière-petit-fils, Moïse, ou l'écrivain auteur de l'histoire appelée la Genèse, qui nous a raconté leurs vies si odieuses et si dégoûtantes) ; que ces patriarches, dis-je, soient déjà dans le royaume des cieux, qu'ils habitent dans un séjour auquel ils n'ont jamais cru, qu'ils n'ont point espéré, comme leur histoire le laisse assez voir, soit; pourvu cependant qu'il soit établi et que vous conveniez vous-mêmes qu'il y a une immense distance entre la sombre et douloureuse prison de l'enfer, où ils subissaient la peine de leur mauvaise conduite, et le ciel où ils ont pu parvenir, affranchis par le Christ Notre-Seigneur, en vertu de sa mystérieuse passion, si tant est cependant qu'ils y soient parvenus, comme on l'écrit. Assurément, parce que Notre-Seigneur a délivré un des larrons du haut de sa croix et lui a promis qu'il serait, ce jour même, avec lui dans le paradis de son Père (1), ce n'est pas une

1. Matt. VIII, 11. — 2. Luc, XXIII, 43.

raison pour être jaloux et porter l'inhumanité jusqu'à trouver mauvais an acte de si grande bonté. Cependant, parce que Jésus a pardonné au larron, nous ne dirons pas pour cela que la conduite et les mœurs des larrons sont dignes d'approbation, pas plus que celles des publicains ou des femmes de mauvaise vie, à qui il a fait grâce de leurs égarements, et dont il a dit qu'ils précéderont les orgueilleux dans le royaume des cieux (1). Il a également absous, malgré les accusations des Juifs, une femme surprise en flagrant délit d'injustice et d'adultère, en lui recommandant de ne plus pécher à l'avenir (2). Si donc il a fait quelque chose de ce genre à l'égard d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qu'il en soit béni ! de telles oeuvres sont dignes de Celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes a. Mais une chose me déplaît dans votre manière d'envisager la question : pourquoi vous ne parlez que des patriarches des Juifs, et ne dites pas que les patriarches dès Gentils aient aussi éprouvé les effets de la grâce de notre Libérateur; surtout quand l'Eglise chrétienne est formée de leurs enfants beaucoup plus- que de la race d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Tu dis, il est vrai, qu'ils adoraient les idoles, tandis que ceux-là honoraient le Dieu tout-puissant, et que c'est pour cela que Jésus a pris soin d'eux. Ainsi donc le culte du Tout-Puissant mène en enfer, et celui qui adore le Père a besoin du secours du Fils? Mais c'est à toi à voir. Qu'il soit seulement convenu entre nous que si les patriarches hébreux sont au ciel, ce n'est pas pour l'avoir mérité, mais parce que la clémence divine a triomphé de la force de leurs péchés.

1. Matt. XXI, 31. — 2. Jean, VIII, 3-11. — 3. Matt. V, 45.

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408

CHAPITRE II. DÉSACCORD ENTRE SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC, D'APRÈS FAUSTE.

Cependant, nous doutons que le Christ ait dit cela, à cause de la différence du texte des Evangélistes. Il y en a deux, Matthieu et Luc, qui racontent le fait du centurion dont le serviteur était alors malade, et à l'occasion duquel Jésus paraît avoir prononcé ces paroles, à savoir : qu'il n'avait point trouvé en Israël une aussi grande foi que dans cet homme, qui était cependant gentil et païen ; et cela parce qu'il avait dit qu'il n'était pas digne que Jésus entrât sous son toit, mais qu'il le priait seulement de prononcer une parole et que son serviteur serait guéri. Matthieu seul rapporte que Jésus aurait ajouté : " En vérité, je vous dis que beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures ". Par ce grand nombre qui doit venir, Jésus entend les païens; et il dit cela à cause du centurion, qui était lui-même païen et en qui il avait trouvé une grande foi ; et par les enfants du royaume, il désigne les Juifs, en qui il n'avait pas trouvé de foi. Mais Luc, bien qu'il ait cru nécessaire d'insérer dans son Evangile ce trait, mémorable entre tant d'autres, de la vie du Christ, n'y fait cependant aucune mention d'Abraham, ni d'Isaac ni de Jacob. Et si on dit que c'est parce que Matthieu en avait suffisamment parlé, pourquoi donc a-t-il raconté la conversation avec le centurion, et la guérison du serviteur, puisque l'habile Matthieu en avait aussi dit assez long ? Mais cela est faux. En effet Matthieu, à propos de l'invitation faite à Jésus de venir, dit que le centurion vint lui-même demander la guérison; et Luc, de son côté, ne dit point cela, mais que le centurion envoya des anciens d'entre les Juifs, parce qu'il craignait d'être repoussé en qualité de gentil (on veut que Jésus soit complètement Juif), et que ceux-ci essayèrent de persuader le Sauveur en lui disant que cet homme méritait qu'il fît cela pour lui, parce qu'il aimait leur nation et qu'il leur avait même bâti une synagogue (1) : comme si le Fils de Dieu avait quelque intérêt à ce que les Juifs eussent mérité qu'un centurion leur

1. Matt. VIII, 5-13; Luc, VII, 2-10.

bâtit une synagogue ! Toutefois Luc ne passe pas absolument cette parole sous silence, dans la crainte, je pense, qu'elle ne se trouve vraie ; mais il la déplace et l'applique à un sujet fort différent, à celui que Jésus traitait quand il dit : " Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite; car beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. Lorsque le Père de famille ", ajoute-t-il, " sera entré et aura fermé la porte, vous commencerez par vous tenir dehors et par frapper à la porte, en disant: Seigneur, ouvrez-nous. Et, vous répondant, il vous dira : Je ne vous connais pas. Alors vous commencerez à lui dire : Nous avons mangé et bu devant vous, et vous avez enseigné sur nos places publiques et dans nos synagogues. Et il vous dira : Je ne sais d'où vous êtes; retirez-vous de moi, vous tous, ouvriers d'iniquité. Là sera le pleur et le grincement de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les Prophètes entrer dans le royaume de Dieu, et vous chassés dehors ; et il en viendra de l'Orient et de l'Occident, et du Midi et de l'Aquilon, et ils auront place au festin dans le royaume de Dieu (1) ". Que beaucoup seront exclus du royaume de Dieu, pour avoir seulement porté son nom sans faire ses oeuvres, c'est ce que Matthieu n'a pas manqué de dire non plus (2); mais, là, il ne fait aucune mention d'Abraham, d'Isaac ni de Jacob. Luc, à son tour, parle bien du centurion et de son serviteur; mais en cette circonstance il ne dit pas un mot d'Abraham, d'Isaac ni de Jacob; en sorte que, comme il n'est pas possible de constater quand cette parole a été prononcée, rien n'empêche de croire qu'elle ne l'a pas été.

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CHAPITRE III. FAUSTE A RAISON DE NE POINT TOUT ADMETTRE DANS DES ÉCRITURES QUI NE SONT PAS AUTHENTIQUES.

Nous avons donc bien raison de ne pas écouter, sans jugement et sans motif, des Ecritures si différentes et si peu d'accord entre elles; mais de les étudier, de les collationner et d'examiner dans leur contenu ce que le Christ a pu dire ou n'a pas pu dire. Car vos ancêtres ont intercalé dans les discours du Seigneur bien des choses qui portent son

1. Luc, XIII, 24-29. — 2 Matt. VII, 21.

409

nom, mais ne s'accordent point avec sa foi; surtout parce que ces livres, comme nous l'avons déjà prouvé plus d'une fois, ne sont ni de lui ni de ses Apôtres, mais ont été fabriqués longtemps après son ascension, sur des bruits vagues et des opinions, par je ne sais quels demi-Juifs qui ne s'accordent pas même entre eux, mais qui, en inscrivant partout sur leurs oeuvres les noms des Apôtres ou de ceux qui paraissaient avoir été disciples des Apôtres, leur ont faussement attribué leurs erreurs et leurs mensonges. C'est à toi à voir. Je ne veux point, comme je l'ai déjà fait, trop disputer avec toi sur ce chapitre. Je suis suffisamment à l'abri sous la proposition que j'ai émise plus haut et qu'il vous est impossible de contester, à savoir : qu'avant l'avènement de Notre-Seigneur tous les Patriarches et les Prophètes d'Israël étaient enfermés, selon leurs mérites, dans les ténèbres de l'enfer. Or, si le Christ les en a tirés pour les ramener au sein de la lumière, en quoi cela diminue-t-il l'horreur que leur vie doit inspirer? Car ce que nous haïssons et repoussons en eux, ce n'est pas qu'ils aient existé, c'est-à-dire qu'ils aient été hommes, mais qu'ils aient été tels, c'est-à-dire méchants; ce n'est pas ce qu'ils sont maintenant, c'est-à-dire purifiés, mais ce qu'ils ont été jadis, c'est-à-dire impurs. En tous cas, et de quelque manière que vous preniez la chose, ce chapitre ne nous contrarie aucunement, puisque, s'il est vrai, nous y voyons avec bonheur la miséricorde et la bonté du Christ; et s'il ne l'est pas, le crime en retombe sur ses auteurs. Mais dans les deux hypothèses, nous sommes en sûreté, comme toujours.

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CHAPITRE IV. COURTE RÉPONSE A FAUSTE. QUESTIONS OBSCURES.

Augustin. En sûreté, misérable ! comment serais-tu en sûreté, toi qui prétends haïr les Patriarches parce qu'ils sont impurs, et qui déplores encore l'impureté de ton dieu? Du moins tu accordes qu'après l'avènement du Sauveur, ces Patriarches ont été purifiés et placés dans l'heureux séjour du repos, tandis que votre dieu, même après l'avènement du Sauveur, est encore gisant dans les ténèbres, plongé dans tous les crimes, mêlé à toutes les impuretés; en sorte que, non-seulement ces hommes ont mieux valu que votre dieu pendant leur vie, mais qu'ils ont été plus heureux que lui dans leur mort. D'autre part, quels séjours habitaient les justes morts avant l'incarnation du Christ, et la passion du Sauveur les a-t-elle fait passer à un état meilleur, ceux qui non-seulement avaient cru qu'il viendrait, qu'il souffrirait, qu'il ressusciterait, mais qui l'avaient même annoncé, comme il le fallait, par inspiration prophétique : ce sont des questions qui ne peuvent s'éclaircir que par les saintes Ecritures, si tant est que cela soit possible, et non point se décider sur les téméraires opinions des premiers venus, et encore moins sur les assertions perverses d'une hérésie exécrable et si éloignée de la vérité. C'est en vain que Fauste use de détours pour faire luire l'espérance qu'un jour on pourra obtenir, après la mort, ce qu'on ne se sera point mis en peine de mériter pendant la vie. Il serait heureux pour vous de renoncer à cette erreur, pendant que vous vivez, de connaître et d'embrasser la vérité de la foi catholique. Autrement, ce que l'injuste se promet lui fera complètement défaut, quand les menaces que Dieu lui fait commenceront à s'accomplir.

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CHAPITRE V. C'EST BIEN LA VIE DES PATRIARCHES QUI EST LOUÉE DANS L'ÉCRITURE.

J'ai déjà dit tout ce que je croyais devoir dire sur la vie des Patriarches, en réponse aux calomnies de Fauste. Evidemment ce n'était point aux Patriarches corrigés à la mort, ou justifiés après sa passion, que le Christ rendait témoignage, quand il disait aux Juifs que, s'ils étaient enfants d'Abraham, ils devaient faire les oeuvres d'Abraham; que ce même Abraham avait désiré voir son jour, qu'il l'avait vu et s'était réjoui (1), et que c'était dans son sein, c'est-à-dire dans je ne sais quelle grande et mystérieuse profondeur du repos bienheureux, que les anges avaient transporté ce pauvre, affligé, méprisé par un riche orgueilleux (2). Que dirai-je de l'apôtre Paul ? Est-ce Abraham justifié après sa mort qu'il loue d'avoir cru avant d'être circoncis, ce qui lui fut imputé à justice (3), et qu'il estime, lui, au point de dire que c'est pour cela seulement, pour avoir suivi les traces de sa foi, que nous sommes devenus ses enfants, nous qui n'étions point sa postérité selon la chair ?

1. Jean, VIII, 39, 56. — 2. Luc, XVI, 23. — 3. Rom. IV, 3.

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CHAPITRE VI. COMMENT SE FONDE LA CERTITUDE HISTORIQUE.

Mais que puis je faire avec vous, que l'iniquité rend tellement sourds aux témoignages des Ecritures, que tout ce qu'on peut en produire contre vous, vous l'attribuez, non plus à l'Apôtre, mais à je ne sais quel faussaire qui l'aurait écrit sous son nom? La doctrine des démons que vous prêchez est tellement éloignée de la doctrine chrétienne, que vous ne pouvez la défendre sous le nom de doctrine chrétienne, qu'en niant l'authenticité des écrits des Apôtres. Malheureux ennemis de votre âme, quelles écritures auront jamais pour vous la moindre autorité, si celles des Evangélistes, si celles des Apôtres n'en ont pas ? Quel livre sera jamais authentique, si l'on peut douter que des écrits que l'Eglise, propagée par les Apôtres, et si glorieusement connue dans le monde entier, déclare et conserve comme venant des Apôtres, en soient réellement; et que, d'autre part, il soit certain que les mêmes Apôtres aient écrit ce que produisent des hérétiques ennemis de cette même Eglise, et portant le nom de leurs propres fondateurs, qui ont vécu longtemps après les Apôtres ? Comme si, dans la littérature profane, il n'y avait pas aussi des écrivains sur l'existence desquels on ne peut élever le moindre doute, mais sous le nom desquels beaucoup d'ouvrages ont été publiés ensuite, puis rejetés, ou parce qu'ils ne s'accordaient point avec ceux qu'on leur attribuait en toute certitude, ou parce qu'ils étaient inconnus dans le temps où ces auteurs écrivaient, et n'avaient pas eu l'honneur d'être recommandés et confiés à la postérité par leurs plus intimes amis ! Pour n'en citer qu'un exemple. N'a-t-on pas publié, sous le nom de l'illustre médecin Hippocrate, des livres dont les médecins n'ont pas reconnu l'authenticité ? Une certaine ressemblance de choses et de mots ne leur a servi de rien rapprochés de ceux qui sont certainement d'Hippocrate, ils ont été jugés inférieurs, outre que leur authenticité n'a point été constatée en même temps que celle des autres. Mais ces livres authentiques, en comparaison desquels ceux-là sont rejetés, comment sait-on qu'ils sont d'Hippocrate, comment se fait-il que l'on ne réfute pas celui qui le nie, mais qu'on se contente d'en rire, si ce n'est parce qu'une tradition constante les a transmis comme tels depuis le temps d'Hippocrate jusqu'à nos jours, tellement qu'il faut être fou pour élever un doute là-dessus? Et les ouvrages de Platon, d'Aristote, de Cicéron, de Varron et d'autres auteurs de ce genre, comment sait-on qu'ils sont d'eux, si ce n'est par le témoignage ininterrompu des temps qui se sont succédé ? Ainsi, dans la littérature ecclésiastique, beaucoup ont écrit bien des choses sans autorité canonique, mais dans le désir d'être utiles aux autres ou de s'instruire eux-mêmes. Comment sait-on avec certitude de qui est tel livre, sinon parce que, quand l'auteur l'écrivait, il l'a communiqué et publié autant qu'il l'a pu, que la connaissance s'en est transmise des uns aux autres, puis est passée à la postérité et est parvenue jusqu'à nous; en sorte que, quand on nous demandé de qui est tel ou tel livre, nous n'hésitons pas sur la réponse ? Mais pourquoi remonter si loin dans le passé? Voilà des écrits dans nos mains: si, quelque temps après notre mort, quelqu'un s'avisait de nier que les uns sont de Fauste et les autres de moi, comment le convaincrait-on, sinon par cette raison que ceux qui les ont connus dans le moment, ont transmis cette connaissance, qui se perpétuera jusqu'à la postérité la plus reculée ? Cela étant, quel est l'homme assez insensé, assez aveugle (sauf ceux qui se sont volontairement laissé séduire par la malice et la supercherie des démons menteurs), pour dire que l’Eglise des Apôtres, une si fidèle, une si nombreuse assemblée de frères parfaitement unis, n'a pu mériter que les écrits de ses fondateurs passassent à la postérité, quand leurs sièges ont été maintenus jusqu'à nos jours par une succession incontestable d'évêques, quand d'ailleurs le fait se produit avec tant de facilité pour des écrits quelconques, soit en dehors, soit au dedans de l'Eglise ?

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CHAPITRE VII. COMMENT SAINT MATTHIEU ET SAINT LUC PEUVENT SE CONCILIER SUR L'HISTOIRE DU CENTURION.

Mais, dit-on, ces écrits ne sont pas d'accord entre eux. Méchants que vous êtes, vous lisez avec une intention perverse; insensés, vous ne comprenez pas; aveugles, vous ne voyez pas ! Qu'y aurait-il de difficile à les étudier avec attention, à saisir l'accord si parfait, si édifiant qui règne entre eux, si l'esprit de (411) contention ne vous égarait pas, et si la piété vous aidait ? Et au fond, qui donc, lisant dans deux historiens le récit du même fait, s'avisera de croire que l'un et l'autre, ou l'un des deux trompe ou est trompé, parce que l'un dit quelque chose que l'autre passe sous silence ; ou parce que l'un raconte plus brièvement, tout en conservant la même pensée pleine et entière, tandis que l'autre entre dans les plus petits détails et expose, non-seulement le fait, mais toutes les circonstances du fait ? Cependant Fauste veut attaquer la véracité des Evangiles, parce que Matthieu mentionne quelque accessoire que Luc a négligé en racontant la même chose; comme si Luc niait que le Christ ait dit ce que Matthieu écrit qu'il a dit. Il n'y a donc, là, aucune difficulté, et de telles objections ne peuvent être soulevées que par des hommes tout à fait irréfléchis et qui manquent de volonté ou de capacité pour examiner sérieusement des questions de ce genre. Sans doute les infidèles peuvent demander un éclaircissement, les fidèles même proposer une objection (et encore des infidèles peu instruits, ou trop opiniâtres, s'ils ne cèdent pas à une simple explication), proposer, dis-je, une objection sur ce que Matthieu a dit: " Un centurion s'approcha de lui, le priant et disant.... ", tandis que Luc raconte que ce centurion envoya à Jésus des anciens des Juifs, pour le prier de guérir son serviteur qui était malade, et que, comme Jésus n'était plus loin de la maison, le même centurion envoya d'autres personnes lui dire qu'il n'était pas digne que Jésus entrât dans sa maison, pas même digne d'aller à Jésus. Comment alors Matthieu a-t-il pu dire : " Il s'approcha de lui, le priant et disant : Mon serviteur gît paralytique dans ma maison, et il souffre violemment (1) ? " Il faut donc entendre que Matthieu a abrégé le récit, tout en lui conservant son fond et sa substance ; il a dit que le centurion s'est approché de Jésus, sans expliquer si c'était par lui ou par d'autres; qu'il a parlé de son serviteur malade, sans exprimer si c'était par lui-même ou par des intermédiaires. Quoi donc ? le langage humain n'est-il pas rempli de locutions de ce genre, comme quand nous disons, par exemple, que quelqu'un a fort approché de quelque chose, sans dire encore qu'il y est déjà parvenu ? Et quoique parvenir soit le dernier terme, et qu'il semble qu'on ne

1. Matt. VIII, 5-13; Luc, VII, 2-10.

puisse rien dire de plus, n'employons-nous pas souvent cette expression, même quand la chose s'est faite par intermédiaire, disant par exemple : Il a plaidé sa cause, il est parvenu jusqu'au juge; ou encore : il est parvenu à tel ou tel puissant personnage, quand le plus souvent tout s'est fait par l'entremise d'amis, sans qu'on ait vu seulement celui à qui on est censé être parvenu ? D'où vient même qu'on donne vulgairement le nom de perventores à ces hommes habiles dans l'art de l'intrigue, qui parviennent à intéresser des potentats d'un caractère en quelque sorte inaccessible ? Quoi encore ? oublions-nous donc, quand nous lisons, quelle langue nous parlons ? Et la divine Ecriture pouvait-elle nous tenir un autre langage que celui qui est usité parmi nous ? Voilà ce que je répondrais à des hommes obstinés et querelleurs, sur les formes ordinaires du langage.

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CHAPITRE VIII. DEUX ÉCRIVAINS PEUVENT DIFFÉRER SUR LE MÊME FAIT SANS SE CONTREDIRE.

Du reste, que ceux qui portent dans ces recherches, non un esprit de contention, mais un esprit de calme et de fidélité, s'approchent de Jésus, non par la chair, mais de coeur; non par la présence corporelle, mais par la puissance de la foi, comme ce centurion, et alors ils comprendront mieux ce qu'à dit Matthieu. C'est aux hommes de cette trempe que le Psalmiste dit : " Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et votre visage ne sera pas couvert de honte (1) ". C'est ainsi que le centurion, dont le Christ a loué la foi, était plus près du Christ que les messagers mêmes qu'il lui envoyait. C'est encore quelque chose de semblable que le Seigneur exprimait lorsqu'il dit : " Quelqu'un m'a touché ", au moment où la femme qui souffrait d'un flux.de sang, touchait le bord de son vêtement et était guérie. Les disciples semblaient étonnés qu'il leur dît : " Qui m'a touché ? " et encore : " Quelqu'un m'a touché ", alors que la foule le pressait de tout côté. Ils lui répondirent enfin: " La foule vous presse, et vous demandez: Qui m'a touché (2) ? " De même donc que la foule pressait le Christ, et que la femme le touchait; ainsi les messagers approchèrent du Christ, mais le centurion en approchait davantage. Matthieu

1. Ps. XXXIII, 6. — 2. Luc, VIII, 43-46.

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a donc employé une forme de langage qui n'est point du tout inusitée, et a laissé percer un sens mystérieux; et Luc a exposé le fait tel qu'il s'est passé, afin de nous forcer à pénétrer le sens de Matthieu. Je voudrais bien qu'un de ces orgueilleux eût à raconter deux fois la même chose, non pour mentir ni pour tromper, mais dans l'intention sincère de dire et d'exposer la vérité, et qu'on recueillît ses paroles, la plume à la main, pour les lui lire ensuite : on verrait s'il n'aurait pas dit plus ou moins, ou dérangé l'ordre, non-seulement des paroles, mais des choses ; s'il n'aurait rien donné de son cru, en le prêtant à un autre, à qui il ne l'aurait pas entendu dire, mais qu'il saurait l'avoir voulu et pensé; s'il ne resserrerait pas en moins de mots le récit vrai d'une chose qu'il aurait exposée la première fois avec plus de détails; si enfin, par tout autre incident de ce genre qui puisse se ramener à des règles positives, on ne verrait pas clairement comment il peut arriver que, dans deux exposés faits sur le même sujet par deux personnes, ou même par un seul écrivain, il se trouve bien des choses différentes, mais non opposées; des variantes, et non des contradictions. C'est ainsi que se résolvent toutes les difficultés dans lesquelles ces malheureux s'enchevêtrent, pour conserver intérieurement leur esprit d'erreur, et repousser extérieurement tout moyen de salut.

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CHAPITRE IX. CONCLUSION. AVIS AUX MANICHÉENS.

Ainsi donc, après avoir réfuté toutes les calomnies de Fauste sur ces sujets seulement, et lui avoir, avec l'aide de Dieu, répondu suffisamment, je pense, et avec toute l'étendue nécessaire, il me reste à vous donner en peu de mots un avis, à vous qui partagez cette criminelle et détestable erreur : c'est que si vous voulez suivre l'autorité des Ecritures, la première de toutes, vous devez vous attacher à celle qui date de la présence du Christ sur la terre, et nous est parvenue par l'entremise des Apôtres, et une suite incontestable d'évêques se succédant sur leur sièges, et s'est maintenue, illustrée et glorifiée dans tout l'univers jusqu'à nos jours. Là, en effet, vous verrez s'éclaircir tout ce que l'Ancien Testament renferme d'obscur, et s'accomplir tout ce qu'il a prédit. Que si, au contraire, vous prenez la raison pour guide, songez d'abord à ce que vous êtes, combien vous êtes incapables de comprendre la nature, je ne dis pas de Dieu, mais de votre âme ; de la comprendre, dis-je, comme vous prétendez le vouloir ou l'avoir voulu, d'une vue rationnelle absolument certaine, et non d'après les données de la crédulité la plus absurde. Comme vous ne le pouvez en aucune façon (et vous ne le pourrez certainement jamais tant que vous serez ce que vous êtes), tout au moins tenez-vous-en à ce que la nature a gravé au fond de toute âme humaine que n'a point troublée quelque funeste erreur pensez, croyez que la nature et la substance de Dieu est absolument immuable, absolument incorruptible, et dès lors vous cesserez d'être Manichéens, et vous pourrez un jour devenir catholiques.

Ces vingt-deux derniers livres ont été traduits par M. l’abbé DEVOILLE.