SERMONS DE SAINT AUGUSTIN.

OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT AUGUSTIN TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS SOUS LA DIRECTION DE M. RAULX. Doyen de Vaucouleurs

 

 

SERMONS DE SAINT AUGUSTIN. *

SERMON CLXXXIV. POUR LE JOUR DE NOEL. I. ABAISSEMENT ET ÉLÉVATION. *

SERMON CLXXXV. POUR LE JOUR DE NOEL. II. JUSTIFICATION DE L'HOMME. *

SERMON CLXXXVI. POUR LE JOUR DE NOEL. III. LE FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L'HOMME. *

SERMON CLXXXVII. POUR LE JOUR DE NOEL. IV. JÉSUS-CHRIST DIEU ET HOMME. *

SERMON CLXXXVIII. LE BUT DE L'INCARNATION. *

SERMON CLXXXIX. POUR LE JOUR DE NOEL. VI. VÉRITÉ ET JUSTIFICATION. *

SERMON CXC. POUR LE JOUR DE NOEL. VII. TROIS CIRCONSTANCES. *

SERMON CXCI. POUR LE JOUR DE NOEL. VIII. DE LA VIRGINITÉ. *

SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION. *

SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION. *

SERMON CXCIV. POUR LE JOUR DE NOEL. XI. LE PAIN DE VIE. *

SERMON CXCV. POUR LE JOUR DE NOEL. XII. LES TITRES DU SAUVEUR. *

SERMON CXCVI. POUR LE JOUR DE NOEL. XIII. POUR QUI L'INCARNATION ? *

SERMON CXCVII. POUR LE PREMIER JANVIER. I. ORGUEIL ET HUMILITÉ. *

SERMON CXCVIII. POUR LE PREMIER JANVIER. II. ÉTRENNES DES CHRÉTIENS. *

SERMON CXCIX. POUR L'ÉPIPHANIE. I. LA GLOIRE DU CHRIST. *

SERMON CC. POUR L'ÉPIPHANIE. II. GRANDEUR DU CHRIST. *

CHAPITRE CCI. POUR L'ÉPIPHANIE. III. LE MESSIE GLORIFIÉ. *

SERMON CII. POUR L'ÉPIPHANIE. IV. UNITÉ DE L'ÉGLISE. *

SERMON CCIII. POUR L’ÉPIPHANIE. V. L’HUMILITÉ. *

SERMON CCIV. POUR L’ÉPIPHANIE. VI. LA PIERRE ANGULAIRE. *

SERMON CCV. POUR LE CARÊME. I. LE CRUCIFIEMENT CHRÉTIEN. *

SERMON CCVI. POUR LE CARÊME. II. LA PRIÈRE, L'AUMÔNE, LE JEUNE. *

SERMON CCVII. POUR LE CAREME. III. L'AUMÔNE, LE JEÛNE ET LA PRIÈRE. *

SERMON CCVIII. POUR LE CARÊME IV. LE JEÛNE, LA PRIÈRE ET LES LARMES. *

SERMON CCIX. POUR LE CARÊME. V. LE PARDON, L'AUMÔNE ET LE JEUNE. *

SERMON CCX. POUR LE CARÊME. VI. DU TEMPS CHOISI POUR LE CARÊME. *

SERMON CCXI. POUR LE CARÊME. VII. DU PARDON DES INJURES. *

SERMON CCXII. POUR LE CINQUIÈME LUNDI DE CARÊME. EXPLICATION DU SYMBOLE. I. *

SERMON CCXIII. EXPLICATION DU SYMBOLE. II. *

SERMON CCXIV. EXPLICATION DU SYMBOLE. III. *

SERMON CCXV. EXPLICATION DU SYMBOLE. IV. *

SERMON CCXVI. AUX POSTULANTS . *

SERMON CCXVII. VERS LA FIN DU CARÊME. LE CHEMIN DU CIEL (1). *

SERMON CCXVIII. POUR LE VENDREDI-SAINT. DES MYSTÈRES DE LA PASSION (1). *

SERMON CCXIX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. I. *

SERMON CCXX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. II. POURQUOI CETTE SOLENNITÉ. *

SERMON CCXXI. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. III. POURQUOI VEILLER CETTE NUIT. *

SERMON CCXXII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. IV. LES ESPRITS DE TÉNÈBRES. *

SERMON CCXXIII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. V. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. *

SERMON CCXXIV. POUR LE JOUR DE PAQUES. I. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. DES PÉCHÉS DE LA CHAIR. *

SERMON CCXXV. POUR LE JOUR DE PAQUES. II. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LE HAUT PRIX DE LA GRÂCE. *

SERMON CCXXVI. POUR LE JOUR DE PAQUES. III. LE JOUR NOUVEAU. *

SERMON CCXXVII. POUR LE JOUR DE PAQUES. IV. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. SUR L'EUCHARISTIE *

SERMON CCXXVIII. POUR LE JOUR DE PAQUES. V. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LES BONS EXEMPLES. *

SERMON CCXXIX. POUR LE LUNDI DE PAQUES. EUCHARISTIE, SYMBOLE D'UNION. *

SERMON CCXXX. POUR LA SEMAINE DE PÂQUES. I. LE JOUR NOUVEAU (1). *

SERMON CCXXXI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. II. LA RÉSURRECTION SPIRITUELLE. *

 

 

SERMON CLXXXIV. POUR LE JOUR DE NOEL. I. ABAISSEMENT ET ÉLÉVATION.

151

ANALYSE. — Si le Fils de Dieu en se faisant homme avait cessé d'être Dieu , on comprendrait la répugnance des sages du monde à croire ce mystère et l'inutilité pour nous de l'Incarnation. Mais en devenant ce que nous sommes, Jésus n'a rien perdu de ce qu'il était, et en s'abaissant jusqu'à nous, il veut nous élever jusqu'à lui. Que tous donc se réjouissent et contemplent avec ravissement les merveilles de cette naissance temporelle, où brille quelque éclat de la génération éternelle.

1. C'est aujourd'hui que revient et que brille parmi nous la solennité anniversaire de la naissance de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; aujourd'hui que la Vérité s'est élevée de terre et que le jour issu du jour a paru pour être notre jour : réjouissons-nous donc et tressaillons d'allégresse. Eh ! que ne devons-nous point aux abaissements de cette incomparable Majesté? La foi des chrétiens le connaît et le coeur des impies n'y comprend rien. C'est que Dieu a caché ces merveilles aux sages et aux prudents et les a dévoilées aux petits (1). Que les humbles donc s'attachent à ces abaissements d'un Dieu, et appuyée sur ce puissant secours, leur faiblesse pourra s'élever jusqu'à sa hauteur.

Pour ces sages et ces prudents qui ne cherchent en Dieu que grandeurs sans croire à ses abaissements, en ne voulant pas de ceux-ci ils n'atteindront pas à celles-là : esprits vains et légers, qui n'ont pour eux que l'enflure et l'orgueil, ils sont comme suspendus entre le ciel et la terre, toujours agités par le souffle des vents. Sans doute ils sont sages et

1. Matt. XI, 25.

prudents, mais pour ce monde et non. pour Celui qui a fait le monde. Ah ! s'ils avaient cette vraie sagesse, cette sagesse de Dieu qui n'est autre que Dieu même, ils comprendraient que Dieu a pu prendre un corps sans devenir corps ; ils comprendraient qu'il est devenu ce qu'il n'était pas, sans cesser d'être ce qu'il était ; qu'il est venu à nous comme homme, sans s'éloigner de son Père; qu'en demeurant ce qu'il était, il s'est montré ce que nous sommes; et qu'en incarnant sa puissance dans le corps d'un enfant, il ne l'a pas moins appliquée au gouvernement du monde. Lui qui a créé l'univers en demeurant dans le sein de son Père, a donné à une Vierge d'enfanter, pour venir à nous. N'y a-t-il pas un reflet.de sa toute-puissance dans cette Vierge qui devient mère et qui reste Vierge après l'avoir mis au monde comme avant de le concevoir; qu'un homme trouve enceinte, sans qu'aucun 'homme y ait contribué ; qui porte un homme dans son sein, sans le concours d'aucun homme, et qui sans rien perdre de son intégrité emprunte à sa fécondité un nouveau bonheur et une gloire nouvelle? Plutôt que d'ajouter foi à d'aussi étonnantes merveilles, (152) ces orgueilleux aiment mieux croire qu'elles sont de notre part de simples fictions. Aussi, ne pouvant se résoudre à voir l'humanité dans un Dieu fait homme, ils dédaignent le Christ ; et parce qu'ils sentent la divinité au-dessus de leurs mépris, ils ne croient pas en lui. Mais, plus ils dédaignent les abaissements d'un Dieu fait homme, plus nous devons les aimer; et plus il leur semble impossible qu'une Vierge ait donné le jour à un homme, plus nous y devons voir l'empreinte de la puissance divine.

2. Célébrons .donc cette naissance du Seigneur avec tout l'empressement et la solennité qui conviennent. Hommes et femmes, tressaillez de joie, car le Christ s'est fait homme en naissant d'une femme et en honorant ainsi les deux sexes. Que tous les hommes s'attachent au second homme, puisque tous ont été condamnés avec le premier. Une femme nous avait inoculé la mort ; une femme a pour nous enfanté la vie. Pour purifier la chair de péché, elle a donné naissance à une chair semblable seulement à la chair de péché (1). Ne condamnez donc pas la chair, détruisez seulement le péché pour faire vivre la nature. Pour rendre en lui une vie nouvelle au pécheur, un homme ne vient-il pas de naître sans péché?

Réjouissez-vous, saints jeunes hommes, qui vous êtes attachés, avec un soin particulier, à marcher sur les traces du Christ et qui avez renoncé aux unions charnelles. Ce n'est point par le moyen d'une union charnelle que le Christ s'est présenté à vous; ainsi voulait-il vous servir de modèle et vous faire la grâce de dédaigner l'union qui vous a fait naître. En effet n'êtes-vous pas redevables de votre naissance à cette union charnelle en dehors de laquelle le Christ vient vous convier à une union toute spirituelle ? et tout en vous appelant à des noces ne vous a-t-il pas accordé de mépriser d'autres noces? Ainsi vous ne voulez point pour vous de ce qu'il vous a donné l'existence ; c'est que vous aimez, plus que beaucoup d'autres, Celui qui n'est pas né comme vous.

Réjouissez-vous, vierges saintes: une Vierge a enfanté pour vous l'Epoux auquel vous pourrez vous attacher sans contracter aucune souillure; et en ne concevant ni en enfantant

1. Rom. VIII, 3.

vous ne pourrez perdre le trésor que vous chérissez. Réjouissez-vous, justes : voici la naissance de Celui qui fait les justes. Réjouissez-vous, infirmes et malades: voici la naissance du Sauveur. Réjouissez-vous, captifs; voici la naissance du Rédempteur. Réjouissez-vous, serviteurs : voici la naissance de votre Seigneur. Réjouissez-vous , hommes libres: voici naître Celui qui donne la liberté, Réjouissez-vous, chrétiens : voici la naissance du Christ.

3. En naissant de sa Mère il fait de ce jour un jour mémorable pour tous les siècles, comme il a créé tous les siècles en naissant de son Père. Il ne pouvait avoir de mère dans sa génération éternelle; et il n'a point voulu d'homme pour père dans sa génération temporelle. Ainsi le Christ est né à la fois et d'un père et d'une mère, et sans père et sans mère : d'un père, comme Dieu, et d'une mère, comme homme; sans mère, comme Dieu, et sans père, comme homme. " Qui expliquera sa génération (1) " ; soit la première qui est en dehors d u temps, soit la seconde qui est en dehors de l'homme; soit la première qui est sans commencement, soit la seconde qui est sans précédent; soit la première qui n'a jamais été sans être, soit la seconde qui ne s'est jamais reproduite, ni avant ni après; soit la première qui n'a point de fin, soit la seconde qui a aujourd'hui son commencement, mais quand aura-t-elle une fin ? Il était donc juste que les prophètes annonçassent sa naissance future, que les cieux et les anges publiassent sa naissance accomplie. Il reposait dans une étable, et il gouvernait le monde; enfant sans parole, il était la Parole même; les cieux ne sauraient le contenir, et une femme le portait sur son sein; oui, elle dirigeait notre Roi, elle portait Celui qui nous porte, elle allaitait Celui qui nous nourrit de lui-même. Quelle incontestable faiblesse ! quel abaissement prodigieux ! et pourtant la,divinité tout entière y est enfermée. L'enfant dépendait de sa mère, et sa puissance la conduisait; il prenait son sein, et il la nourrissait de la vérité.

Ah ! qu'il mette en nous le comble à ses dons, puisqu'il n'a pas dédaigné de partager nos commencements; qu'il nous rende fils de Dieu, puisqu'il a voulu, pour notre amour; devenir fils de l'homme.

1. Isaïe, LIII, 8.

 

 

 

 

SERMON CLXXXV. POUR LE JOUR DE NOEL. II. JUSTIFICATION DE L'HOMME.

ANALYSE. — Si le Christ s'est tant abaissé, ce n'était pas pour son avantage, mais pour le nôtre ; c'était pour nous justifier et conséquemment pour nous donner la pais et le bonheur.

1. Qu'est-ce que la naissance du Seigneur ? C'est la Sagesse de Dieu se montrant sous les formes d'un enfant ; c'est le Verbe de Dieu faisant entendre dans la chair des sons inarticulés. Mais ce Dieu caché saura se faire rendre témoignage par le ciel devant les Mages, et se faire annoncer aux bergers par la voix des anges. Ainsi nous célébrons aujourd'hui le jour anniversaire de celui où s'accomplit cette prophétie : " La Vérité s'est levée sur la terre, et la justice nous a regardés du haut des cieux (1) ". La Vérité qui est dans le sein du Père s'est levée sur la terre, pour être aussi dans le sein d'une mère. La Vérité qui porte le monde s'est levée sur la terre, pour être portée sur les mains d'une femme. La Vérité qui nourrit d'elle l'inaltérable bonheur des Anges, s'est levée sur la terre pour vivre elle-même du lait d'une mère. La Vérité que ne saurait contenir le ciel s'est levée sur la terre, pour être déposée dans une étable.

Pour l'avantage de qui cette incomparable grandeur se présente-t-elle à nous sous de si prodigieux abaissements ? Ce n'est pas assurément pour son avantage; mais, si nous croyons, il en résultera pour nous des biens immenses. O homme, éveille-toi; c'est pour toi que Dieu s'est fait homme. " Toi qui dors, lève-toi; lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera (2) ". Oui, c'est pour toi que Dieu s'est kit homme; et s'il n'était né dans le temps, éternellement tu serais mort; jamais tu ne serais délivré de cette chair de péché, s'il n'en avait pris la ressemblance ; s'il ne te faisait une si grande miséricorde, tu serais livré à une misère sans fin; tu n'aurais point recouvré

1. Ps. LXXXIV,12. — 2. Eph. V, 14.

la vie , s'il ne s'était assujetti à mourir comme toi; tu aurais succombé, s'il ne t'avait secouru ; tu aurais péri, s'il n'était venu.

2. Ainsi célébrons avec joie le jour de notre salut et de notre rédemption; célébrons le jour solennel où le grand jour, où le jour éternel qui naît d'un jour également grand et éternel également, fait son entrée dans notre jour temporel et si court. C'est lui qui " est devenu pour nous et justice, et sanctification, et rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (1) ". Ah ! nous devons nous garder de ressembler à ces Juifs orgueilleux " qui ignorent la justice de Dieu, qui veulent établir la leur, et qui se soustraient ainsi à la divine justice (2)". Aussi après ces mots : " La Vérité s'est levée sur la terre ", lisons-nous aussitôt ceux-ci : " Et la justice a regardé du haut du ciel ". C'est pour détourner la faiblesse des mortels de chercher à s'attribuer cette justice, à s'approprier les dons divins; pour empêcher l'homme de prétendre qu'il se justifie, c'est-à-dire qu'il se rend juste lui-même et de dédaigner ainsi la justice de Dieu. " La Vérité s'est levée sur la terre " : le Christ a dit : " Je suis la Vérité (3) ", et il est né d'une Vierge. — " Et la justice a regardé du haut du ciel " ; car en croyant à l'Enfant nouveau-né, l'homme est justifié, non par lui-même, mais par Dieu. " La Vérité s'est levée sur la terre " ; car " le Verbe s'est fait chair (4) ". — " Et la justice a regardé du haut du ciel " ; car " tout bien excellent et tout don parfait vient d'en-haut (5) ". " La Vérité s'est levée sur la terre " ; la chair est née de Marie. " Et la

1. I Cor. I, 30, 31. — 2. Rom. X, 3. — 3. Jean, XIV,16. — 4. Ib. I, 14. — 5. Jacq. I, 17.

justice a regardé du haut du ciel " ; car " l'homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été donné du ciel (1)".

3. " Ainsi donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ; par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis et où nous nous glorifions dans l'espoir de la gloire de Dieu (2)". Vous reconnaissez avec moi, mes frères, ces quelques paroles de l'Apôtre. J'aime d'en rapprocher quelques paroles aussi du psaume que nous citons et de découvrir le rapport qui les unit. " Justifiés par la foi, soyons en paix avec Dieu " ; c'est que " la justice et la paix se sont embrassées. — Par Jésus-Christ Notre-Seigneur " ; car " la Vérité s'est levée sur la terre. — Par qui aussi nous avons accès à cette grâce où nous sommes établis, et où nous nous glorifions dans l'espoir de la gloire de Dieu". Il n'est pas dit : De notre gloire, mais : " De la gloire de Dieu ". Aussi ce n'est pas de nous que vient la justice; " elle a regardé du haut du ciel ". — De là vient " que celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur ". C'est pourquoi lorsque la Vierge eut donné naissance au Seigneur dont nous

1. Jean, III, 27. — 2. Rom. V, 1, 2.

célébrons aujourd'hui la Nativité, les anges chantèrent cet hymne : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre au hommes de bonne volonté (1) ". Eh ! d'où vient cette paix donnée à la terre, sinon de ce que " la Vérité s'est levée sur la terre " ; de que le Christ a reçu une naissance charnelle ? Et " c'est Lui qui est notre paix, puisque de deux choses il en a fait une (2) " ; en nous rapprochant par les doux liens de l’unité, pour faire de nous des hommes de bonne volonté.

Ah ! réjouissons-nous de cette grâce, afin de mettre notre gloire dans le témoignage de notre conscience; afin de nous y glorifier, non pas en nous, mais dans le Seigneur. Voilà pour quoi il est écrit : "C'est vous qui êtes ma gloire et qui m'élevez la tête (3) ". Dieu lui. même pouvait-il faire briller à nos yeux une grâce plus généreuse ? Il n'a qu'un Fils unir que et il fait de lui un Fils de l'homme, afin d'élever le Fils de l'homme jusqu'à la dignité, de Fils de Dieu ! Cherche ici quel est notre, mérite, quelle est notre justice, quel motif détermine le Seigneur : découvriras-tu autre chose que sa grâce ?

1. Luc, II, 14. — 2. Ephés. II, 14. — 3. Ps. III, 4.

 

 

 

SERMON CLXXXVI. POUR LE JOUR DE NOEL. III. LE FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L'HOMME.

ANALYSE. — De ce qu'en s'incarnant le Verbe de Dieu n'a rien perdu de ce qu'il était, plusieurs concluent qu'on ne peut dire que le Fils de Dieu soit devenu Fils de l'homme. Ils se trompent, malgré la droiture de leurs intentions, et cette manière de parler est conforme au langage habituel des Ecritures.

1. Réjouissons-nous,mes frères; que les peuples tressaillent de bonheur et d'allégresse. Ce n'est pas ce soleil visible, mais son invisible Créateur qui a fait pour nous de ce jour un jour sacré ; quand devenu visible pour l'amour de nous, l'invisible Créateur de sa mère est né de son sein fécond sans aucune atteinte à sa pureté virginale; car elle est restée Vierge en concevant son Fils, Vierge en l'enfantant, Vierge en le portant, Vierge en le nourrissant de son sein, Vierge toujours.

Pourquoi t'étonner de ceci, ô mortel ? Il fallait qu'en daignant se faire homme Dieu na. quît de cette sorte, et qu'il formât ainsi Celle qui devait lui donner le jour. En effet, il était avant de naître, et avec sa toute-puissance, il (155) pouvait naître tout en demeurant ce qu'il était. Il se créa donc une Mère tout en demeurant dans le sein de son Père; et naissant d'elle, il ne cessa de demeurer en Lui. Et comment aurait-il cessé d'être Dieu en se faisant homme; puisqu'il accordait à sa Mère de ne cesser pas d'être Vierge, tout en l'enfantant ? Aussi en se faisant chair le Verbe n'a point péri, il ne s'est point transformé en chair ; c'est la chair qui s'est unie au Verbe pour ne point périr : et comme il y a dans l'homme une âme et un corps, le Christ est Dieu et homme tout à la fois. Ainsi l'homme est Dieu, et Dieu est homme; il n'y a pas de confusion de nature, mais unité de personne. Ainsi encore le Fils de Dieu, qui est coéternel à son Père en naissant éternellement de lui, a commencé, en naissant d'une Vierge, à être fils de l'homme; et c'est ainsi que l'humanité s'est jointe en lui à la divinité, sans former pourtant une quatrième personne et sans ajouter à la Trinité.

2. Ne vous laissez donc pas gagner au sentiment de certains esprits trop peu attentifs à la règle de foi et aux divins oracles des Ecritures. Le Fils de l'homme, disent-ils, est devenu Fils de Dieu, mais le Fils de Dieu n'est pas devenu fils de l'homme. En parlant ainsi ils pensent bien, mais ils ne savent s'exprimer correctement. Que veulent-ils dire, sinon que à nature humaine a pu s'améliorer et que la nature divine n'a pu se détériorer ? Ce qui est incontestable. Cependant, quoique la divinité ne se détériore d'aucune manière, le Verbe ne s'est pas moins fait chair. L'Evangile en effet ne dit pas: La chair s'est faite Verbe; mais : " Le Verbe s'est fait chair ". Or, le Verbe est Dieu, puisqu'il est écrit : " Et le Verbe était Dieu (1) ". Quant à la chair, ne désigne-t-elle pas l'homme, car le Christ ne se l'est point unie sans prendre l'âme en même temps ? Aussi dit-il. "Mon âme est triste jusqu'à la mort (2) ". Mais si le Verbe est Dieu et si la chair est l'homme même, que signifie : " Le Verbe s'est fait chair ", sinon: Dieu s'est fait homme; sinon encore : Le Fils de Dieu s'est fait fils de l'homme, en prenant une nature inférieure et sans changer sa divine nature; en s'unissant ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était ?

Comment d'ailleurs confesserions-nous, d'après la règle de la foi, que nous croyons au Fils de

1. Jean, I, 1, 14. — 2. Matt. XXVI, 38.

Dieu qui est né de la Vierge Marie, si de la Vierge Marie était né, non pas le Fils de Dieu, mais le Fils de l'homme ? Quel chrétien nierait qu'elle a donné le jour au Fils de l'homme, mais aussi que Dieu s'étant fait homme, l'homme est ainsi devenu Dieu ? Car " le Verbe était Dieu, et le Verbe s'est fait chair ". Reconnaissons-le donc : le Fils de Dieu, pour naître de la Vierge Marie, est devenu fils de l'homme en prenant une nature d'esclave ; en restant ce qu'il était, il est devenu ce qu'il n'était pas ; il a commencé à être ce qui le rend inférieur à son Père, tout en conservant ce qui le rend un avec lui.

3. Si le Sauveur, qui est toujours le Fils de Dieu, n'était pas devenu réellement fils de l'homme, comment l'Apôtre dirait-il de lui " Ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu; cependant il s'est anéanti lui-même en prenant la nature d'esclave, en devenant semblable aux hommes et en se montrant homme partout l'extérieur ? " Il n'est pas ici question d'un autre; c'est l'égal du Père, dont il possède la divine nature; c'est le Fils unique de Dieu qui " s'est anéanti lui-même en devenant semblable aux hommes ". Ce n'est pas un autre non plus, c'est encore l'égal du Père dont il a la nature divine, qui " a humilié ", non pas un étranger, mais " Lui-même, en devenant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (1) ". Or, le Fils de Dieu n'a fait cela qu'autant qu'il est fils de l'homme et qu'il en a pris la nature.

De plus, si étant éternellement le Fils de Dieu, il n'était pas devenu fils de l'homme, l'Apôtre dirait-il aux Romains : " Choisi pour " l'Evangile de Dieu, qu'il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes " Ecritures, touchant son Fils , qui lui est né de la race de David selon la chair (2)? " Voilà bien le. Fils de Dieu, le Fils éternel de Dieu, devenu membre de la race de David selon la chair, sans en avoir toujours été membre.

De plus encore, si le Fils de Dieu ne s'était pas fait fils de l'homme, " Dieu aurait-il envoyé son Fils, formé d'une femme (3) ? " Remarquons que ce dernier terme en hébreu désigne simplement le sexe sans contester la gloire de la virginité. Or, qui a été envoyé par le Père, sinon son Fils unique ? Et comme

1. Philip. II, 6, 7. — 2. Rom. I, 1-3. — 3. Gal. IV, 4.

156

a-t-il été formé d'une femme, sinon en devenant fils de l'homme quand il a été envoyé, lui qui dans le sein de son Père est le Fils même de Dieu ?

Il naît de son Père en dehors du cours du temps, et c'est aujourd'hui qu'il est né de sa Mère. Après avoir créé ce jour il l'a choisi pour y être créé lui-même, comme après avoir créé sa Mère il l'a choisie pour naître d'elle. Ce jour, d'ailleurs, à partir duquel le jour grandit, ne convient-il pas à la mission du Christ, par qui de jour en jour se renouvelle en nous l'homme intérieur (1) ? Et puisque l'éternel Créateur daignait dans le temps devenir créature, ne devait-il pas avoir pour jour de naissance un jour qui indiquât ce qu'il venait créer dans le temps ?

1. II Cor. IV, 16.

SERMON CLXXXVII. POUR LE JOUR DE NOEL. IV. JÉSUS-CHRIST DIEU ET HOMME.

ANALYSE. — Pour expliquer comment le Verbe de Dieu en se faisant homme ne perd rien de sa divinité, saint Augustin le compare à la parole ou plutôt à la pensée humaine qui se donne à tous sans s'épuiser ni s'amoindrir, et qui ne perd pas sa nature en prenant dans la voix une espèce de corps. Le saint Docteur prouve ensuite par plusieurs textes de l'Ecriture que le Sauveur n'a rien changé dans sa nature divine en s'unissant à la nature humaine.

1. Ma bouche va publier la gloire du Seigneur; de ce Seigneur par qui tout a été fait et qui a été formé lui-même avec tout; qui a montré son Père et qui a créé sa Mère. Fils de Dieu, il a un Père et point de mère; Fils de l'homme, il a une Mère et point de père; il est à la fois le grand jour des anges et parmi les hommes une petite lumière ; Verbe de Dieu avant tous les temps, Verbe fait chair au temps convenable; Créateur du soleil et créé lui-même sous le soleil; du sein de son Père gouvernant tous les siècles et du sein de sa Mère consacrant le jour présent ; demeurant dans l'un, sortant de l'autre ; formant le ciel et la terre, naissant sous le ciel et sur la terre; ineffablement sage, et sagement enfant; remplissant le monde, et couché dans une étable; dirigeant les astres, et pressant le sein maternel ; si grand avec sa nature de Dieu, et si petit avec sa nature d'esclave, que sa petitesse ne diminue en rien sa grandeur et que sa grandeur n'accable en rien sa petitesse. En effet, en prenant un corps humain il n'a pas interrompu ses œuvres divines ; et il a continué d'atteindre avec force d'une extrémité jusqu'à l'autre et de tout disposer avec douceur (1) , lorsque se revêtant de l'infirmité de la chair il est entré sans s'y enfermer dans le sein d'une Vierge; et que, sans ôter aux anges l'aliment divin de sa sagesse, il nous a donné de pouvoir goûter combien le Seigneur et doux.

2. Pourquoi voir avec surprise ces met. veilles dans le Verbe de Dieu, quand nota propre parole entre si libre dans l'esprit qu'elle y pénètre sans y être enfermée ? Effectivement si elle n'y pénétrait, elle ne l'éclairerait pas; et si elle y était enfermée, elle n'entrerait pas dans d'autres esprits. Tout formé qu'il soit de mots et de syllabes, le discours que je vous adresse en ce moment n'est point découpé par vous en morceaux, comme la nourriture matérielle ; tous vous l'entendez tout entier, est tout entier recueilli par chacun de vous. Nous ne craignons pas en vous l'adressant que l'un s'empare de tout sans laisser rien à l'autre. Au contraire nous demandons devons une telle attention, attention de corps et

1. Sag. VIII, 1.

157

attention d'esprit, que chacun entende tout et permette aux autres d'entendre également tout. De plus, il n'y a pas ici succession, en ce sens que l'un devrait d'abord recueillir la parole, puis la passer à un autre; c'est au même moment qu'elle se présente à tous et que tout entière elle se fait entendre de chacun ; et si le discours pouvait être retenu totalement par la mémoire, chacun de vous en retournant l'emporterait tout entier, comme vous vouliez tous en venant l'entendre tout entier. Donc ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait et qui renouvelle tout sans sortir de lui-même; qui ne s'arrête point dans l'espace, qui ne s'allonge point avec le temps, que ne diversifient point des syllabes brèves ou longues, qui n'est pas une suite de sons et que ne termine point le silence; à combien plus forte raison ce Verbe immense a-t-il pu, en prenant un corps, féconder le sein de sa Mère sans quitter le sein de son Père; sortir de l'un pour se montrer aux hommes, rester dans l'autre pour éclairer les anges; venir de l'un sur la terre, et dans l'autre déployer le ciel; dans l'un se faire homme, et dans l'autre créer les hommes ? .

3. Nul donc ne doit croire que le Fils de Dieu se soit changé et altéré pour devenir Fils de l'homme; croyons plutôt que sans rien changer à sa divine substance et en prenant dans toute sa perfection la nature humaine, il demeure Fils de Dieu tout en devenant fils de l'homme. Car, s'il est écrit . " Le Verbe était Dieu " ; et encore : " Le Verbe s'est fait chair (1) " ; ce n'est pas pour faire entendre qu'en se faisant chair il ait cessé d'être Dieu ; n'est-il pas dit qu'après sa naissance charnelle ce Verbe fait chair est " Emmanuel ou Dieu avec nous (2) ? " Pour s'échapper par notre bouche, notre pensée intérieure devient une voix, sans pourtant se changer en voix. Cette pensée reste sans altération lorsqu'elle prend une voix pour se produire ; elle demeure en nous pour continuer à se faire comprendre, pendant que le bruit la porte au dehors pour la faire entendre; ce bruit ne dit rien autre chose que ce qui avait frappé dans le silence. Ainsi, tout en devenant voix, ma pensée ne se confond pas avec elle ; elle reste dans la lumière de l'intelligence, et quand elle s'unit au bruit que fait mon organe, c'est pour

1. Jean, I, 1, 14. — 2. Matt. I.

arriver à vos oreilles sans quitter mon esprit. Remarquez-le: je parle ici non pas de la méditation silencieuse qui cherche des expressions grecques, latines ou de tout autre langue; mais de la méditation qui cherche la pensée même avant de s'occuper du langage, lorsque cette pensée, qui a besoin, pour se produire, du vêtement de la parole, est en quelque sorte, dans le sanctuaire intérieur, toute nue aux yeux de l'intelligence. Et pourtant cette pensée de l'intelligence, comme le son qui l'exprime, est muable et changeante; il n'en reste rien quand on l'a oubliée, comme il ne reste rien de la parole quand on a fait silence. Mais le Verbe de Dieu subsiste éternellement, et subsiste immuablement.

4. Aussi lorsqu'il a pris un corps dans le temps afin de partager notre vie temporelle, il n'a point perdu son éternité, mais au corps même il a conféré l'immortalité. C'est ainsi que " pareil à l'époux quittant sa couche nuptiale, il s'est élancé comme un géant pour parcourir sa carrière (1). — Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas usurper en s'égalant à Dieu " ; mais afin de devenir pour nous ce qu'il n'était pas, " il s'est anéanti lui-même ", non pas en perdant sa divine nature, mais en prenant une nature d'esclave " ; et par cette nature " il est devenu semblable aux hommes et s'est montré homme ", non point par sa propre substance, mais " par l'extérieur (2) ". Par l'extérieur, car tout ce que nous sommes, nous, dans l'âme ou dans le corps, est notre nature ; pour Jésus-Christ, c'est l'extérieur. Si nous n’avions notre nature, nous n'existerions pas; pour lui, s'il ne l'avait pas, il n'en serait pas moins Dieu. Quand il l'a prise, il s'est fait homme en restant Dieu; de manière qu'il peut dire de lui ces deux choses également incontestables, l'une, qui a trait à son humanité : " Le Père est plus grand que moi (3) " ; l'autre, qui a rapport à sa divinité : " Mon Père et moi nous sommes un (4) ". Car si le Verbe s'était confondu avec la chair, Dieu avec l'homme, il aurait pu dire à la vérité : " Mon Père est plus grand que moi ", puisque Dieu est plus grand que l'homme; mais nullement : " Mon Père et moi nous sommes un " ; attendu que l'homme n'est pas une même chose avec Dieu. Tout au plus aurait-il pu s'exprimer

1. Ps. XVIII, 6. — 2. Philip. II, 6, 7. — 3. Jean, XIV, 28. — 4. Ib. X, 30.

158

ainsi: Mon Père et moi nous ne sommes pas, mais nous avons été un; car il ne serait plus ce qu'il aurait cessé d'être. Cependant la nature d'esclave qu'il s'est unie lui a permis de dire : " Mon Père est plus grand que moi " ; et la nature divine qu'il n'a pas quittée, de dire aussi avec vérité : " Mon Père et moi nous sommes un ". Si donc il s'est anéanti au milieu des hommes, ce n'était pas pour cesser d'être ce qu'il était en devenant ce qu'il n'était pas; c'était pour voiler ce qu'il était et pour montrer ce qu'il était devenu.

Aussi la Vierge ayant conçu et mis au monde ce Fils en qui se manifestait la nature d'esclave, " un enfant nous est né (1) " ; et le Verbe divin qui subsiste éternellement s'étant fait chair pour habiter parmi nous en voilant, tout en

1. Isaïe, IX, 6.

la conservant, sa divine nature, nous lui donnons avec Gabriel " le nom d'Emmanuel ", Puisqu'il s'est fait homme en demeurant Dieu, nous avons le droit de donner à ce fils de l'homme le nom de " Dieu avec nous " ; sans que l'homme soit en lui une autre personne que Dieu.

Tressaille donc, ô monde des croyants, puisque pour te sauver est venu parmi nous le Créateur même du monde. Le Père de Marie est ainsi le Fils de Marie; le Fils de David, la Seigneur de David ; le descendant d'Abraham existait avant Abraham ; celui qui a formé la terre a été formé sur la terre; le Créateur du ciel a été créé sous le ciel; il est en même temps le jour qu'a fait le Seigneur, le jour et le Seigneur de notre coeur. Marchons à sa lumière, réjouissons-nous en lui et soyons transportés d'allégresse.

 

 

 

 

SERMON CLXXXVIII. LE BUT DE L'INCARNATION.

ANALYSE. — Pourquoi un Dieu, si grand que nous ne pouvons parler convenablement de lui, s'est-il abaissé jusqu'à se faire petit enfant? C'était pour notre bien, pour appliquer à nos maux les remèdes les plus capables de nous guérir. il montre dans la magnificence de ses desseins en accordant à Marie le double privilège de la virginité et de la maternité réunies.

1. Entreprendrons-nous de louer le Fils de Dieu tel qu'il est dans le sein de son Père, égal et coéternel à son Père, lui en qui tout a été formé au ciel et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles, lui le Verbe de Dieu et Dieu en même temps, lui la vie et la lumière des hommes? Aucune pensée, aucune parole humaine n'en seraient capables. Pourquoi s'en étonner ? Notre langue pourrait-elle en effet célébrer dignement Celui que notre coeur ne saurait voir encore, quoique le Verbe y ait ouvert un oeil qui pourra le contempler lorsque nous serons purifiés de nos iniquités, guéris de nos infirmités et parvenus à la béatitude que goûteront les coeurs purs en voyant Dieu (1)? Oui, pourquoi s'étonner que nous ne trouvions pas de paroles pour exprimer cette Parole unique qui nous a appelés à l'existence et invités à dire d'Elle quelque chose? Cool notre esprit qui forme les paroles que nous méditons et que nous produisons au dehors; mais notre esprit est formé à son tour par cette Parole suprême. Quand l'homme forme en soi des paroles, il n'agit pas comme a agi le Verbe en le formant lui-même; parce que le Père n'agit pas non plus en engendrant son Verbe comme en créant tout par lui. C'est un Dieu qu'engendre alors un Dieu; et le Fils

1. Matt. V, 8.

159

engendré n'est qu'un même Dieu avec son Père. Quant au monde, Dieu l'a créé; et le monde passe, tandis que Dieu demeure; et comme rien de ce qui est fait n'a pu se faire, ainsi Celui qui a pu tout faire n'a été fait par personne. Il n'est donc pas surprenant qu'ayant été fait comme tout le reste, l'homme ne trouve point de paroles pour expliquer la Parole qui a fait tout.

2. En écoutant toutefois et en réfléchissant un peu, peut-être pourrons-nous parler avec quelque convenance et quelque dignité, non " pas du Verbe en tant qu'il était au commencement, qu'il était en Dieu et qu'il était " Dieu", mais du Verbe en tant qu'il " s'est fait chair " ; peut-être pourrons-nous parler du motif pour lequel il " a habité parmi nous (1) ". Ne permettrait-il point de parler de lui là où il s'est rendu visible? et n'est-ce point parce qu'il a voulu se montrer à nos yeux que nous solennisons ce jour où il a daigné naître d'une Vierge? N'a-t-il pas voulu aussi que des hommes rapportassent à leur manière cette génération humaine ; au lieu que dans cette haute éternité où il est né égal à Dieu son Père, " qui rapportera sa génération (2)? " Il n'y a point là de jour particulier à célébrer avec plus de solennité; le jour n'y passe point pour revenir chaque année, car il y est sans fin comme il y a été sans commencement; et ce jour éternel n'est autre que le Verbe unique de Dieu, lui qui est la vie et la lumière des hommes ; au lieu que le jour actuel où après s'être incarné il s'est montré comme l'époux qui sort du lit nuptial, s'appelle maintenant aujourd'hui comme demain s'appellera hier; et si ce jour actuel tend à glorifier le Fils éternel de la Vierge, c'est que lui-même l'a consacré en naissant d'elle aujourd'hui.

Comment donc louer cet amour d'un Dieu? comment lui rendre grâces? Quelle affection en effet ne nous témoigne-t-il pas? C'est lui qui a fait les temps, et pour nous il est né dans le temps; son éternité le rend bien plus ancien que le monde, et pour nous il s'est fait dans le monde plus jeune que beaucoup de ses serviteurs; il a fait l'homme et il s'est fait homme ; il est né d'une Mère après l'avoir créée, il est prié sur les bras que lui-même a formés, attaché au sein qu'il remplit, faisant entendre dans une étable les vagissements inarticulés

1. Jean, I, 1, 14. — 2. Isaïe, LIII, 8.

de l'enfance muette, quand il est le Verbe sans lequel est réduite au silence toute éloquence humaine.

3. Contemple, ô mortel, ce que Dieu s'est fait pour toi; et de ce docteur qui ne parle pas encore apprends combien sont profonds ses abaissements. Telle était ta faconde au paradis terrestre qu'elle te permit de donner des noms à tout être vivant (1) : et ton Créateur, pour l'amour de toi, est couché sans parole, sans appeler même sa Mère par son nom. Dans ce parc immense couvert d'arbres chargés de fruits, tu t'es perdu en négligeant d'obéir; et lui est descendu par obéissance et comme un mortel dans cette étroite demeure pour y chercher les morts en se dévouant à mourir. Tu n'étais qu'un homme et, pour ta perte, tu as voulu être Dieu (2) ; lui était Dieu, et, pour retrouver ce qui était perdu, il a voulu se faire homme. Enfin tu t'es laissé tellement accabler par l'orgueil humain, que tu n'as pu être relevé que par une humilité divine.

4. Avec joie donc célébrons ce jour où on a vu Marie enfanter son Sauveur; une femme l'Instituteur de l'union conjugale, une Vierge le Roi des vierges, une épouse devenir mère sans époux, une Vierge rester toujours Vierge, pendant comme avant le mariage, en portant dans son sein et en allaitant son Fils. Ce Fils tout-puissant aurait-il, après sa naissance, dépouillé sa sainte Mère de cette virginité qui avait attiré sors choix avant sa naissance? La fécondité du mariage est louable sans doute; mais l'intégrité virginale est préférable encore. Aussi le Christ fait homme, le Christ qui est en même temps Dieu et homme, ayant comme Dieu le pouvoir d'octroyer à sa Mère ce double privilège, ne lui accorderait pas le moindre, celui que convoitent les époux, pour la dépouiller du plus précieux, de celui qu'ambitionnent les vierges en dédaignant de devenir mères.

De là vient que l'Eglise, qui est vierge aussi, célèbre aujourd'hui le miraculeux enfantement de cette Vierge. N'est-ce pas à l'Eglise que l'Apôtre a dit : " Je travaille à vous présenter, comme une vierge chaste, au Christ votre unique Epoux (3)? " Composée de ces peuples nombreux formés des deux sexes, de tant de jeunes hommes et de tant de jeunes filles, de pères et de mères unis par les liens du mariage, comment l'Eglise est-elle appelée une vierge

1. Gen. I, 19, 20. — 2. Ib. III. — 3. II Cor. XI, 12.

159

chaste, sinon à cause de l'intégrité de sa foi, de son espérance et de sa charité ? Le Christ voulait donc se former une Eglise qui fût vierge de coeur ; c'est pourquoi il a conservé à Marie la virginité du corps même. Dans les unions humaines une femme est livrée à son mari pour n'être plus vierge; et l'Église ne pourrait demeurer vierge, si elle n'avait pour Époux de son coeur le Fils même d'une Vierge.

 

 

SERMON CLXXXIX. POUR LE JOUR DE NOEL. VI. VÉRITÉ ET JUSTIFICATION.

ANALYSE. — Le Verbe naissant de la Vierge est la Vérité s'élevant de la terre. Or, ce qu'il se propose n'est pas seulement de nous éclairer, mais encore de nous justifier. Donc allons à lui et nous y attachons.

1. Le Jour, auteur de chaque jour, a pour nous, mes frères, sanctifié le jour présent. C'est de ce Jour suprême qu'il est dit dans un psaume : " Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre célèbre le Seigneur. Célébrez le Seigneur et bénissez son nom; bénissez son Sauveur, le Jour issu du Jour (1) ". Quel est ce Jour issu du Jour, sinon le Fils issu du Père, lumière de lumière? Le Jour donc a engendré le Jour qui jaillit aujourd'hui du sein de la Vierge; et ce Jour par conséquent n'a ni lever ni coucher. J'appelle ici Jour Dieu le Père. Ce Jour en effet n'est-il pas lumière, non pas cette lumière que voient les yeux du corps et qui éclaire les animaux aussi bien que nous; mais la lumière qui brille aux yeux des anges et qui demande, pour arriver jusqu'à nous, que nous purifiions nos coeurs. Ne vivons-nous pas dans une nuit qui passe et durant laquelle sont allumés pour nous les flambeaux de l'Écriture? A cette nuit succédera le matin dont il est parlé dans ces mots d'un psaume : " Je me lèverai le matin devant vous et je vous contemplerai (2) ".

2. Ce Jour donc qui n'est autre que le Verbe de Dieu, ce Jour qui éclaire les anges et qui rayonne dans cette patrie dont nous sommes exilés, s'est revêtu de chair et il est né de la Vierge Marie. Naissance merveilleuse ! qu'y

1. Ps. XCV, I, 2. — 2. Ps. V, 5.

a-t-il de plus merveilleux que l'enfantement d'une Vierge, qu'une Vierge qui conçoit étant Vierge et qui enfante étant Vierge encore? Son Fils est ainsi formé de celle qu'il a formée; il lui a donné la fécondité, sans altérer en rien son intégrité.

D'où vient Marie ? D'Adam. Et Adam? De la terre. Mais Marie venant d'Adam et Adam de la terre, ne s'ensuit-il pas que Marie est terre comme lui ? Or, Marie étant terre, comme ne comprendre pas ce que nous chantons : " La Vérité s'est élevée de terre?" Qu'y gagnons-nous? " La Vérité s'est élevée de terre, et la justice a regardé du haut du ciel (1) ", Pourquoi? C'est que, comme s'exprime l'Apôtre, " ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, les Juifs ne se sont pas soumis à la divine justice ". Comment un homme peut-il devenir juste ? Est-ce par lui-même ? Quel pauvre, Hélas ! peut se donner du pain? Quel homme nu peut se couvrir si on ne lui donne des vêtements? D'où vient aussi la justice? Peut-elle exister sans la foi, puisque " c'est de la foi que vit le juste (2) ?" Se dire juste quand on n'a pas la foi, c'est mentir. Or, si on ment lorsqu'on n'a pas la foi, il faut pour ne mentir pas, se tourner du côté de la Vérité. Mais la Vérité était bien éloignée ; elle s'est levée de terre. Tu dormais,

1. Ps. LXXXIV, 12. — 2. Rom. I, 17.

164

elle est venue près de toi; tu étais plongé dans un profond sommeil, elle t'a éveillé, et pour te détourner de ta perte, elle t'ouvre un chemin dans elle-même. Ainsi donc la Vérité s'élevant de terre, c'est le Christ naissant de la Vierge; et si la justice regarde du haut du ciel, c'est pour ramener à la sagesse les hommes que l'injustice en a éloignés.

3. Nous étions mortels, accablés du poids de nos péchés, chargés des châtiments mérités par nous. La vie de chacun ne commence-t-elle point par la souffrance? Pourquoi chercher des tireurs d'horoscopes ? Questionne l'enfant qui vient au monde, comprends ses pleurs. Eh bien ! la terre entière portait ainsi la colère de Dieu; mais tout à coup quel éclair de bonté ! " La Vérité s'est élevée de terre " . Celui qui a tout créé, vient d'être créé aussi. Il a fait le jour, il est mis au jour. Le Christ Notre-Seigneur est de toute éternité sans commencement dans le sein de son Père; il a maintenant son jour de naissance. Au commencement était le Verbe ; si ce Verbe n'avait passé par une génération humaine , jamais nous ne parviendrions à être divinement régénérés; il est donc né pour nous faire renaître. Le Christ est né, comment hésiter de renaître? Il a été engendré, mais sans aucun besoin d'être régénéré. Eh ! qui a besoin d'être régénéré, sinon celui qui est condamné dans sa génération même ? Que sa miséricorde donc agisse dans nos coeurs. Sa mère l'a porté dans son sein; portons-le dans nos âmes. On a vu une Vierge enceinte du Christ incarné; remplissons nos coeurs de la foi du Christ. Une

Vierge a enfanté le Sauveur; que notre âme à son tour enfante le salut, enfantons aussi la louange; ne soyons point stériles et que pour Dieu nos âmes soient fécondes.

4. Le Christ est sans Mère quand il est engendré de son Père, et sans Père, quand il est enfanté par sa Mère : générations merveilleuses ! la première est éternelle, la seconde temporelle. L'Eternel est né de l'Eternel. Pourquoi s'en étonner ? Il est Dieu. Qu'on pense à la Divinité, et toute surprise cessera. Qu'on mette de côté l'étonnement pour faire monter des cris de louanges; aie la foi, crois ce qui s'est accompli. Dieu ne s'est-il pas assez humilié pour toi? Il était Dieu, et il est né. Quelle étroite étable ! il y est enveloppé de langes et déposé dans une crèche; qui ne serait surpris ? Il remplit le monde et pour lui il n'y a point place dans une hôtellerie. Quoi ! notre pain céleste placé dans une crèche ! Ah ! que de cette crèche s'approchent les deux peuples, comme deux animaux mystérieux. " Le boeuf a connu son maître, et l'âne, la crèche de son Seigneur (1) ". Ne rougis point d'être pour ton Dieu l'un de ces animaux : tu porteras le Christ et tu ne- t'égareras pas; tues dans le vrai chemin, puisque le Christ te monte.

Oui, que le Seigneur nous monte aussi et qu'il nous mène où il lui plaît; soyons pour. lui comme des animaux de charge et allons à Jérusalem. Ce fardeau n'écrase pas, il soulève; guidés par lui nous ne nous égarerons pas; par lui allons à lui, afin de partager l'éternelle joie de l'Enfant qui naît aujourd'hui.

1. Isaïe, I, 3.

 

SERMON CXC. POUR LE JOUR DE NOEL. VII. TROIS CIRCONSTANCES.

162

ANALYSE. — 1° Jésus-Christ a choisi pour naître le jour de l'année où les jours commencent à croître; c'est pour nous faire entendre que désormais nous devons croître dans la lumière et dans la sainteté ; 2° il pouvait naître sans le concours d'une mère comme il est né sans père ; mais il a voulu avoir une mère, afin de rendre l'espérance aux femmes comme il la rend tu hommes en se faisant homme ; 3° il a voulu naître dans une étable, être déposé dans une crèche, comme s'il devait servir de nourriture aux animaux; c'était pour nous apprendre avec quelle docilité nous le devons servir et comment il se disposait à nous nourrir de lui-même.

1. Du sein de son Père où il était avant de naître de sa Mère, Jésus Notre-Seigneur a choisi non-seulement la Vierge qui devait le mettre au inonde, mais encore le jour où il y devait entrer. Des hommes égarés préfèrent souvent un jour à l'autre soit pour planter ou pour bâtir, soit pour se mettre en route et quelquefois même pour contracter mariage; et cela dans l'espoir d'obtenir de plus heureux résultats. Nul cependant ne fixe le jour même de sa naissance. Quant au Sauveur, il a pu le choisir comme il a pu choisir sa Mère, attendu que la création de l'une et de l'autre dépendait de lui.

Or, en préférant un jour à l'autre, il n'est pas entré dans les vaines idées de ces esprits superficiels qui attachent les destinées des hommes à la disposition des astres. Est-ce le jour de sa naissance qui a fait le bonheur du Christ? N'est-ce pas le, Christ plutôt qui a béni le jour où il a daigné naître parmi nous? Aussi le jour de sa naissance est-il l'emblème mystérieux de la lumière qu'il vient répandre. " La nuit s'achève et le jour approche, dit l'Apôtre ; rejetons par conséquent les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière ; comme en plein jour vivons avec honnêteté (1) ". Distinguons le jour et soyons jour nous-mêmes, car nous étions la nuit en vivant dans l'infidélité. Or, cette infidélité, qui s'était abattue sur le monde entier comme une nuit épaisse, devant diminuer à mesure que grandirait la foi, c'est pour cette raison qu'au jour de la naissance de Jésus-Christ la nuit commence à décroître et la lumière à croître.

1. Rom. XIII, 12, 13.

Que ce jour, mes frères, soit donc pour nous un jour solennel ; célébrons-le, non pas comme les infidèles, en considération du soleil, mais en considération de Celui quia créé le soleil même. Car si le Verbe s'est fait chair (1), c'était afin de vivre pour l'amour de nous sous le soleil. Son corps n'était-il pas éclairé par cet astre, pendant que sa majesté l'élevait au-dessus de tout cet univers où il l'a placé? Et ce même corps ne domine-t-il pas aujourd'hui ce soleil à qui rendent des honneurs divins les aveugle qui ne sauraient contempler le vrai Soleil à justice?

2. Aujourd'hui donc, chrétiens, célébrons non pas la génération divine du Christ, mais la naissance humaine qu'il a voulu recevoir pour s'accommoder à notre faiblesse, en se faisant visible, d'invisible qu'il était, afin de nous élever des choses visibles aux invisibles. La foi catholique en effet ne nous permet pas d'oublier ces deux générations du Sauveur, dont l'une est divine et l'autre humaine, dont l'une est au-dessus du temps et dont l'autre s'est accomplie dans le temps, mais qui sont toutes deux merveilleuses, puisque dans l’une le Sauveur n'a pas de Mère, ni de Père dans l'autre. Si nous ne comprenons pas celle-ci, comment peindre celle-là ? Comment du reste comprendre un fait si nouveau, si singulier, unique dans le monde, un fait si incroyable lequel pourtant est devenu croyable et se trouver incroyablement accepté dans le monde entier, savoir qu'une Vierge ait conçu, qu'elle ait enfanté, et en enfantant soit demeurée Vierge

1. Jean, I, 14.

163

Mais ce que ne saurait expliquer la raison humaine, la foi le saisit et cette foi grandit à mesure que la raison est en défaut. En effet qui oserait avancer que le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n'aurait pu, même sans une Mère, se former un corps comme il en a formé un au premier homme, qui n'avait ni père ni mère?

Cependant, dès qu'il a créé les deux sexes, le sexe masculin et le sexe féminin et qu'il venait les délivrer l'un et l'autre, il a voulu en naissant les honorer tous deux. Vous connaissez assurément la chute du premier homme vous savez que le serpent n'osa s'adresser à Adam, et que pour l'abattre il eut recours à l'intermédiaire de la femme. A l'aide du plus faible des deux époux il gagna le plus fort, et après s'être servi de l'un pour aller à l'autre, il triompha de tous deux. Il était à craindre que sous l'impression d'une juste douleur nous n'eussions horreur de la femme comme de la cause de notre mort, et qu'elle ne fût considérée par nous comme irrémédiablement perdue. C'est pour écarter ce sentiment qu'en venant chercher ce qui était perdu, le Seigneur voulut honorer l'homme et la femme, perdus l'un et l'autre. Gardons-nous d'outrager le Créateur à l'occasion d'un sexe quelconque ; sa naissance les invite à espérer le salut tous deux. La gloire du sexe masculin, c'est que le Christ en soit, et la gloire du sexe féminin, c'est que la Mère du Christ en fasse partie: La grâce du Christ a triomphé de l'astuce du serpent.

3. Ainsi donc que tous deux renaissent avec Celui dont nous honorons aujourd'hui la naissance et qu'ils célèbrent tous deux ce grand jour. Ce n'est pas d'aujourd'hui sans doute que date l'existence du Christ Notre-Seigneur , puisqu'éternellement il a existé dans le sein de son Père; mais c'est aujourd'hui qu'il a pris un corps dans le sein de sa Mère et qu'il s'est montré à nos yeux, rendant sa Mère féconde sans lui ôter rien de sa virginité. Ainsi il a été conçu, il est né et il est enfant. Or, qu'est-ce que cet Enfant? Enfant signifie incapable de parler, fari. Ainsi la Parole même ne peut parler. Mais si dans son corps il garde le silence, il parle par la bouche des anges; ceux-ci annoncent aux pasteurs le Prince et le Pasteur des pasteurs.

De plus il est déposé dans la crèche comme pour servir d'aliment au bétail fidèle. Un prophète n'avait-il pas fait cette prédiction : " Le boeuf reconnaît son maître, et l'âne, l'étable de son Seigneur (1) ?" Aussi était-il monté sur un ânon lorsqu'aux acclamations des multitudes qui le précédaient et qui le suivaient, il fit son entrée à Jérusalem (2). Nous aussi reconnaissons-le, approchons-nous de la crèche, mangeons-y, et portons le Seigneur en nous laissant guider par lui, afin de parvenir ainsi à la Jérusalem céleste. Si la naissance humaine du Christ décèle l'infirmité, quelle majesté révèle sa génération dans le sein de son Père ! Si dans le temps il compte un jour, n'est-il pas l'Eternel même engendré par le Jour éternel?

4. Il convient donc de nous enflammer d'ardeur aux accents de ce psaume qui retentit à nos oreilles comme l'éclat d'une trompette céleste: " Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre célèbre le Seigneur. Chantez le Seigneur et bénissez son nom (3) ". Ainsi reconnaissons et publions la gloire de ce Jour issu du Jour, lequel reçoit aujourd'hui une naissance corporelle. Ce Jour issu du Jour est le Fils né du Père , Dieu de Dieu , lumière de lumière. Il est aussi le Sauveur dont il est dit ailleurs : " Que Dieu prenne pitié de nous et qu'il nous bénisse; qu'il fasse rayonner sa face au-dessus de nous; afin que sur la terre,nous puissions connaître votre voie, et votre Sauveur parmi tous les peuples (4)". Sur la terre révèle la même idée que parmi tous les peuples; et votre voie désigne votre Sauveur. Ne nous souvient-il pas que le Seigneur a dit : " Je suis la voie (5)? " Tout à l'heure encore, pendant qu'on lisait l'Evangile, nous avons vu que le bienheureux vieillard Siméon avait reçu, d'un oracle divin, l'assurance de ne pas goûter la mort avant d'avoir contemplé le Christ du Seigneur. Il prit dans ses bras le divin Enfant, et reconnaissant la suprême grandeur dans ces petits membres " C'est maintenant, Seigneur, que selon votre parole vous laissez votre serviteur s'en aller en paix, puisque mes yeux ont vu votre Sauveur (6)".

Nous donc aussi " proclamons ce Jour issu du Jour, ce Sauveur de Dieu". Publions " sa gloire parmi les nations, ses merveilles parmi tous les peuples (7) ". II est couché dans une crèche, mais il supporte le monde; il prend

1. Isaïe, I, 3. — 2. Matt. XXI, 1-9. — 3. Ps. XCIV, 1, 2. — 4. Ps. LXVI, 2, 3. — 5. Jean, XIV, 6. — 6. Luc, II, 26, 29, 30. — 7. Ps. XCV, 2, 2.

164

le sein, mais il nourrit les anges; il est enveloppé de langes, mais il nous donne le vêtement de l'immortalité ; il est allaité, et en même temps adoré; pour lui il n'y a point, place dans l'hôtellerie , mais il s'élève un temple dans le coeur des croyants. Pour fortifier la faiblesse, la force s'affaiblit. Ah ! sachons admirer cette naissance temporelle plutôt que de la dédaigner, et reconnaissons-y les abaissements profonds de la plus haute Majesté, et pour arriver à son éternité enflammons près de lui notre charité.

 

 

 

SERMON CXCI. POUR LE JOUR DE NOEL. VIII. DE LA VIRGINITÉ.

ANALYSE. — Tel est l'amour du Sauveur pour la virginité, qu'au moment où il vient se soumettre de grand coeur à tant d’outrages, il ne veut qu'une vierge pour mère, exige de toute son Eglise qu'elle soit vierge de coeur, et comble de ses grâces privilégiées les chrétiens qui gardent la virginité spirituelle et corporelle, à l'exemple de Marie.

1. En se faisant chair, le Verbe du Père, par qui tout a été fait, nous donne à célébrer le jour de sa naissance dans le temps; Auteur divin de tous les jours, il a voulu en réserver un au souvenir de sa Nativité. Dans le sein de son Père il est antérieur à la longue suite des siècles; et en quittant aujourd'hui le sein de sa mère, il suit le cours des années. Créateur de l'homme, il se fait homme; il veut ainsi prendre le sein maternel, lui qui dirige les astres, condamner le Pain à endurer la faim, la Fontaine à avoir soif, la Lumière à dormir, la Voie à se fatiguer de la route, la Vérité à être accusée par de faux témoins, le Juge des vivants et des morts à être jugé par un mortel, la Justice à être condamnée par l'iniquité, la Règle à être flagellée, la Grappe à être couronnée d'épines, le Fondement de l'édifice à être suspendu, la Force à être affaiblie, la Santé même à être blessée et la Vie à mourir. Oui, c'était pour endurer en notre faveur ces énormités et d'autres encore; c'était pour délivrer des indignes , puisqu'en souffrant tant de maux pour l'amour de nous, il n'en avait mérité aucun, et qu'en recevant de lui tant de bienfaits nous n'étions pas dignes d'un seul; c'était, dis-je, dans ce but que Fils de Dieu avant tous les siècles et sans avoir eu jamais de commencement, il a daigné dans ces derniers jours se faire fils de l'homme; né de Père sans avoir été formé par lui, il est d'une Mère que lui-même a formée, redevable enfin de l'existence humaine à celle qui jamais et nulle part n'aurait existé sans lui.

2. Ainsi s'accomplit cette prédiction d'un psaume : " La Vérité s'est élevée de terre (1) ". Cette terre est Marie, Vierge après l'enfantement comme avant de concevoir. Comment admettre la perte de l'intégrité dans ce corps dans cette terre d'où s'est élevée la Vérité ? Aussi, quand, après sa Résurrection, le Sauveur était considéré , non pas comme ayant un corps, mais comme étant un pur esprit : " Palpez, dit-il, et voyez, car un esprit n'a chair ni ossements, comme vous voyez que j'en ai (2) ". Or, ce corps jeune et ferme n'entrera pas moins dans l'appartement où étaient les disciples, quoique les portes en fussent fermées (3). Mais s'il a pu, malgré tout son développement , entrer par des portes closes, comment lui aurait-il été impossible, quand il était si petit, de sortir, sans le violer, du sein maternel? Toutefois les incrédules ne veulent admettre ni l'un ni l'autre de ces faits; et qui engage les croyants à les admettre avec

1. Ps. LXXXIV, 12. — 2. Luc, XXIV, 38. — 3. Jean, XX, 19.

165

plus de confiance, c'est qu'ils sont rejetés l'un comme l'autre par les incroyants, par ceux qui ne croient pas à la divinité du Christ. Mais avec la certitude que Dieu même s'est incarné, la foi ne doute pas que ces deux faits ne soient également possibles ; que Dieu ait pu, dans la maturité de l'âge, pénétrer, sans l'ouvrir, dans une maison et montrer son corps à ceux qui s'y tenaient enfermés; qu'il ait pu aussi, devenu petit enfant, sortir comme un époux de son lit nuptial, du sein de la Vierge, sans blesser aucunement l'intégrité de sa Mère (1).

3. C'est là effectivement que le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine afin de s'unir une Eglise immaculée comme son Chef. Aussi l'apôtre Paul dit-il que cette Eglise est vierge, non-seulement à cause des vierges proprement dites qu'il voit en elles ; mais encore à cause de l'inviolable pureté qu'il désirait à toutes les âmes. " Je vous ai fiancés , écrit-il , " comme une vierge chaste pour vous présent au Christ, votre unique Epoux (2) ". Afin donc d'imiter la Mère de son Seigneur, comme l'Eglise ne saurait être, par le corps, vierge et mère tout ensemble, elle l'est par l'esprit. Et quand le Christ veut que son Eglise soit vierge et qu'il la purifie des souillures contractées avec le démon, il aurait, en naissant, dépouillé sa Mère de sa virginité?

O vous qui êtes le fruit de cette incorruptible virginité, vierges sacrées qui foulez aux pieds les noces terrestres et qui voulez rester vierges jusque dans votre corps, célébrez aujourd'hui avec joie, célébrez avec pompe l'enfantement de la Vierge. C'est une femme qui met au monde sans s'être approchée d'aucun homme. Ah ! Celui qui vous a donné d'aimer ce que vous aimez, n'en a point privé sa Mère. Comment croire que guérissant en vous la maladie que vous avez héritée d'Eve, il corrompit en Marie la vertu qui pour vous a tant de charmes?

4. Il est donc sûr que cette Vierge, sur les

1. Ps. XVIII, 6. — 2. II Cor. XI,12.

traces de qui vous marchez, n'a point connu d'homme pour concevoir son Fils, et qu'elle est restée Vierge tout en le mettant au monde. Imitez-la dans la mesure de vos forces, non point dans sa fécondité, ce qui vous est interdit, mais dans toute sa pureté. Seule elle a pu joindre ces deux faveurs dont l'une a fixé votre choix, et vous perdriez celle-ci en voulant les réunir comme elle. Si elle a joui de l'une et de l'autre, c'est par la grâce du Tout-Puissant devenu son Fils; car au Fils de Dieu seul il était réservé de naître de cette manière pour devenir Fils de l'homme.

Néanmoins, de ce que le Christ ne soit Fils que d'une Vierge, ne concluez pas qu'il vous est étranger. Vous n'avez pu donner naissance à son humanité; mais voyez dans vos coeurs, il y est votre Epoux, et quel Epoux ! Un Epoux à qui vous devez vous attacher comme à l'Auteur de votre félicité, sans craindre qu'il vous ravisse la virginité. Eh ! si tout en naissant corporellement il n'a point ôté la virginité à sa Mère, ne vous la conservera-t-il pas bien mieux encore en vous donnant des embrassements purement spirituels ? Gardez-vous encore de vous croire stériles en demeurant vierges; car la sainte pureté du corps contribue à féconder l'âme. Suivez les recommandations de l'Apôtre ; et puisque vous ne vous souciez ni des choses du monde; ni de plaire à un mari, appliquez-vous aux intérêts de Dieu, cherchez à lui plaire en tout (1) ; plus féconde ainsi que votre corps, votre âme pourra s'enrichir de vertus.

Un mot enfin à vous tous; voici donc ce que j'ai à vous dire, à vous que l'Apôtre a fiancés au Christ comme une vierge chaste Ce que vous admirez extérieurement en Marie, reproduisez-le dans l'intérieur de votre âme. Croire de coeur pour être justifié, c'est concevoir le Christ; confesser de bouche pour être sauvé, c'est l'enfanter (2). Heureux moyen d'unir en vous la plus riche fécondité à une virginité constante !

1. I Cor. VII, 32-34. — 2. Rom. X, 10.

 

 

 

SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION.

ANALYSE. — Quelque grandes que soient les merveilles qui se manifestent dans l'Incarnation, la bonté de Dieu s'y révèle avec plus d'éclat encore. C'est pour nous en effet qu'il s'est fait homme, c'est pour tous en général et pour chacun en pari culier; et quand il retourne au ciel, c'est encore pour veiller sur nous.

1. " La Vérité " aujourd'hui " s'est élevée de terre (1) " ; le Christ est né de la chair. Livrez-vous à une sainte joie; que ce jour attache vos esprits à la pensée du jour éternel, souhaitez, espérez fermement les biens célestes, et puisque vous en avez reçu le pouvoir, comptez devenir enfants de Dieu. N'est-ce pas pour vous qu'est né dans te temps l'Auteur même des temps, pour vous que s'est montré au monde le Fondateur du monde, pour vous enfin que le Créateur est devenu créature ? Pourquoi donc, ô mortels, mettre encore votre esprit dans ce qui est mortel? pourquoi consacrer toutes vos forces à retenir, s'il était possible, une vie fugitive? Ah ! de plus brillantes espérances rayonnent sur la terre, et ceux qui l'habitent n'ont reçu rien moins que la promesse de vivre dans les cieux.

Or, pour faire croire à cette promesse, une chose bien plus incroyable vient d'être donnée au monde. Pour rendre les hommes des dieux, Dieu s'est fait homme ; sans rien perdre de ce qu'il était, il a voulu devenir ce qu'il avait fait ; oui , devenir ce qu'il a fait , unissant l'homme à Dieu, sans anéantir Dieu dans l'homme. Nous sommes étonnés de voir une Vierge qui devient Mère; il nous faut des efforts pour convaincre les incrédules de la réalité de cet enfantement tout nouveau, pour leur faire admettre qu'une femme a conçu sans le concours d'aucun homme ; qu'elle a donné le jour à un Enfant dont aucun mortel n'était le père ; enfin que le sceau sacré de sa virginité est resté inviolable au moment de la conception et au moment de l'enfantement. La puissance de Dieu se montre ici merveilleuse;

1. Ps. LXXXIV, 12

mais sa miséricorde plus admirable encore, puisqu'à la puissance il a joint la volonté de naître ainsi. Il était le Fils unique du Père, avant de devenir le Fils unique de sa Mère; lui-même l'avait formée, avant d'être formé dans son sein; avec son Père il est éternel, et avec sa Mère il est enfant d'un jour ; moins âgé que la Mère dont il est formé, il est antérieur à tout.sans être formé de son Père; sans lui le Père n'a jamais existé, et sa Mère n'existerait pas sans lui.

2. Vierges du Christ, réjouissez-vous; sa Mère est l'une de vous. Vous ne pouviez donner le jour au Christ, et pour lui vous ne voulez donner le jour à personne. Il n'est pas né de vous, mais c'est pour vous qu'il est né. fa pourtant, si vous gardez, comme vous y êtes obligées, le souvenir de sa parole, vous aussi vous êtes ses mères, puisque vous accomplissez la volonté de son Père. N'a-t-il pas dit: " Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère (1)? " Veuves chrétiennes , réjouissez-vous : il a rendu la virginité féconde, et c'est à lui qua vous avez fait le veau sacré de continence. Réjouis-toi aussi, chasteté nuptiale, vous tous qui gardez la fidélité conjugale ; conservez dans vos coeurs ce que n'ont plus vos corps Si la chair ne peut rester étrangère à certaines impressions, que la conscience soit vierge dans la foi, vierge comme l'est toute l'Eglise . La pieuse virginité de Marie a donné naissance au Christ ; la longue viduité d'Anne l'a reconnu petit enfant ; et pour lui a combattu la chasteté conjugale et la miraculeuse fécondité d'Elisabeth. Ainsi tous les ordres de l'Eglise.

1. Matt. XII, 50.

167

ont fait pour le Christ ce que par sa grâce des membres fidèles pouvaient en faveur de leur Chef.

Et vous, puisque le Christ est- la vérité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par vos oeuvres ; que votre coeur fasse pour sa loi ce qu'a fait pour son corps le sein de sa Mère. Etes-vous étrangers à l'enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ? A votre Chef Marie a donné naissance; à vous , c'est l'Église ; car l'Église aussi est à la fois vierge et mère ; mère, par les entrailles de la charité; vierge, par l'intégrité de la foi et de la piété. Elle enfante des peuples entiers ; mais ils ne sont que les membres de Celui dont elle est à la fois et le corps et l'épouse; semblable encore, sous ce rapport, à la Vierge qui est devenue pour nous tous la Mère de l'unité.

3. Ainsi donc célébrons tous avec unanimité de coeur, célébrons avec des pensées chastes et de saintes affections, le jour de la naissance du Seigneur. C'est en ce jour, comme nous le disions en commençant, que " la Vérité s'est élevée de terre ". Aussi bien ce que dit ensuite le même psaume est également accompli. En effet, comme Celui qui s'est élevé de terre, c'est-à-dire, qui est né de la chair, est descendu du ciel et se trouve au-dessus de tous (1) ; il est hors de doute qu'en remontant vers son Père, il est " la justice qui regarde du haut du ciel ". Lui-même, en promettant l'Esprit-Saint, dit expressément qu'il est la justice. Cet Esprit, dit-il, " convaincra le monde au a sujet du péché, et de la justice, et du jugement. Du péché, parce qu'on n'a pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus (2)". Telle est donc la justice qui regarde du haut du ciel.

1. Jean, III, 31. — 2. Jean, XVI, 8-10.

" Elle s'élance d'une extrémité du ciel et s'étend jusqu'à l'autre ".

Il était à craindre qu'on ne vînt à mépriser la Vérité à cause qu'elle s'est élevée de terre, lorsque, semblable à l'époux qui sort du lit nuptial, elle s'est élancée du sein maternel où le Verbe de Dieu avait contracté avec la nature humaine une ineffable union. Afin de détourner ces mépris , et pour empêcher que malgré sa naissance admirable, malgré ses paroles et ses oeuvres merveilleuses, la ressemblance de la chair du Christ avec la chair de péché ne fît voir en qui qu'un homme; après ces mots : " Pareil à l'époux sortant du lit nuptial, il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière ", viennent aussitôt ceux-ci : " Il est parti d'une extrémité du ciel (1) ". Si donc, " la Vérité s'est élevée de " terre ", c'était bonté de sa part, et non pas nécessité; miséricorde, et non pas dénuement. Pour s'élever de terre, cette Vérité est descendue des cieux ; pour sortir de son lit nuptial, l'Époux s'est élancé d'une extrémité du ciel. Voilà pourquoi il est né aujourd'hui.

Ce jour est le plus court des jours de la terre; et c'est à dater de lui que les jours commencent à grandir. Ainsi Celui qui s'est rapetissé pour nous élever, a fait choix du jour qui est à la fois le moindre et le principe des grands jours. En naissant ainsi et malgré son silence, il nous crie en quelque sorte avec une voix retentissante, que pour nous il s'est fait pauvre et qu'en lui nous devons apprendre à être riches; que pour nous il s'est revêtu de la nature de son esclave et que nous devons en lui recouvrer la liberté ; que pour nous il s'est élevé de terre et que nous devons avec lui posséder le ciel.

1. Ps. XVIII, 6, 7.

 

 

 

SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION.

ANALYSE. — Quelque grandes que soient les merveilles qui se manifestent dans l'Incarnation, la bonté de Dieu s'y révèle avec plus d'éclat encore. C'est pour nous en effet qu'il s'est fait homme, c'est pour tous en général et pour chacun en pari culier; et quand il retourne au ciel, c'est encore pour veiller sur nous.

1. " La Vérité " aujourd'hui " s'est élevée de terre (1) " ; le Christ est né de la chair. Livrez-vous à une sainte joie; que ce jour attache vos esprits à la pensée du jour éternel, souhaitez, espérez fermement les biens célestes, et puisque vous en avez reçu le pouvoir, comptez devenir enfants de Dieu. N'est-ce pas pour vous qu'est né dans te temps l'Auteur même des temps, pour vous que s'est montré au monde le Fondateur du monde, pour vous enfin que le Créateur est devenu créature ? Pourquoi donc, ô mortels, mettre encore votre esprit dans ce qui est mortel? pourquoi consacrer toutes vos forces à retenir, s'il était possible, une vie fugitive? Ah ! de plus brillantes espérances rayonnent sur la terre, et ceux qui l'habitent n'ont reçu rien moins que la promesse de vivre dans les cieux.

Or, pour faire croire à cette promesse, une chose bien plus incroyable vient d'être donnée au monde. Pour rendre les hommes des dieux, Dieu s'est fait homme ; sans rien perdre de ce qu'il était, il a voulu devenir ce qu'il avait fait ; oui , devenir ce qu'il a fait , unissant l'homme à Dieu, sans anéantir Dieu dans l'homme. Nous sommes étonnés de voir une Vierge qui devient Mère; il nous faut des efforts pour convaincre les incrédules de la réalité de cet enfantement tout nouveau, pour leur faire admettre qu'une femme a conçu sans le concours d'aucun homme ; qu'elle a donné le jour à un Enfant dont aucun mortel n'était le père ; enfin que le sceau sacré de sa virginité est resté inviolable au moment de la conception et au moment de l'enfantement. La puissance de Dieu se montre ici merveilleuse;

1. Ps. LXXXIV, 12

mais sa miséricorde plus admirable encore, puisqu'à la puissance il a joint la volonté de naître ainsi. Il était le Fils unique du Père, avant de devenir le Fils unique de sa Mère; lui-même l'avait formée, avant d'être formé dans son sein; avec son Père il est éternel, et avec sa Mère il est enfant d'un jour ; moins âgé que la Mère dont il est formé, il est antérieur à tout.sans être formé de son Père; sans lui le Père n'a jamais existé, et sa Mère n'existerait pas sans lui.

2. Vierges du Christ, réjouissez-vous; sa Mère est l'une de vous. Vous ne pouviez donner le jour au Christ, et pour lui vous ne voulez donner le jour à personne. Il n'est pas né de vous, mais c'est pour vous qu'il est né. fa pourtant, si vous gardez, comme vous y êtes obligées, le souvenir de sa parole, vous aussi vous êtes ses mères, puisque vous accomplissez la volonté de son Père. N'a-t-il pas dit: " Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère (1)? " Veuves chrétiennes , réjouissez-vous : il a rendu la virginité féconde, et c'est à lui qua vous avez fait le veau sacré de continence. Réjouis-toi aussi, chasteté nuptiale, vous tous qui gardez la fidélité conjugale ; conservez dans vos coeurs ce que n'ont plus vos corps Si la chair ne peut rester étrangère à certaines impressions, que la conscience soit vierge dans la foi, vierge comme l'est toute l'Eglise . La pieuse virginité de Marie a donné naissance au Christ ; la longue viduité d'Anne l'a reconnu petit enfant ; et pour lui a combattu la chasteté conjugale et la miraculeuse fécondité d'Elisabeth. Ainsi tous les ordres de l'Eglise.

1. Matt. XII, 50.

167

ont fait pour le Christ ce que par sa grâce des membres fidèles pouvaient en faveur de leur Chef.

Et vous, puisque le Christ est- la vérité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par vos oeuvres ; que votre coeur fasse pour sa loi ce qu'a fait pour son corps le sein de sa Mère. Etes-vous étrangers à l'enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ? A votre Chef Marie a donné naissance; à vous , c'est l'Église ; car l'Église aussi est à la fois vierge et mère ; mère, par les entrailles de la charité; vierge, par l'intégrité de la foi et de la piété. Elle enfante des peuples entiers ; mais ils ne sont que les membres de Celui dont elle est à la fois et le corps et l'épouse; semblable encore, sous ce rapport, à la Vierge qui est devenue pour nous tous la Mère de l'unité.

3. Ainsi donc célébrons tous avec unanimité de coeur, célébrons avec des pensées chastes et de saintes affections, le jour de la naissance du Seigneur. C'est en ce jour, comme nous le disions en commençant, que " la Vérité s'est élevée de terre ". Aussi bien ce que dit ensuite le même psaume est également accompli. En effet, comme Celui qui s'est élevé de terre, c'est-à-dire, qui est né de la chair, est descendu du ciel et se trouve au-dessus de tous (1) ; il est hors de doute qu'en remontant vers son Père, il est " la justice qui regarde du haut du ciel ". Lui-même, en promettant l'Esprit-Saint, dit expressément qu'il est la justice. Cet Esprit, dit-il, " convaincra le monde au a sujet du péché, et de la justice, et du jugement. Du péché, parce qu'on n'a pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus (2)". Telle est donc la justice qui regarde du haut du ciel.

1. Jean, III, 31. — 2. Jean, XVI, 8-10.

" Elle s'élance d'une extrémité du ciel et s'étend jusqu'à l'autre ".

Il était à craindre qu'on ne vînt à mépriser la Vérité à cause qu'elle s'est élevée de terre, lorsque, semblable à l'époux qui sort du lit nuptial, elle s'est élancée du sein maternel où le Verbe de Dieu avait contracté avec la nature humaine une ineffable union. Afin de détourner ces mépris , et pour empêcher que malgré sa naissance admirable, malgré ses paroles et ses oeuvres merveilleuses, la ressemblance de la chair du Christ avec la chair de péché ne fît voir en qui qu'un homme; après ces mots : " Pareil à l'époux sortant du lit nuptial, il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière ", viennent aussitôt ceux-ci : " Il est parti d'une extrémité du ciel (1) ". Si donc, " la Vérité s'est élevée de " terre ", c'était bonté de sa part, et non pas nécessité; miséricorde, et non pas dénuement. Pour s'élever de terre, cette Vérité est descendue des cieux ; pour sortir de son lit nuptial, l'Époux s'est élancé d'une extrémité du ciel. Voilà pourquoi il est né aujourd'hui.

Ce jour est le plus court des jours de la terre; et c'est à dater de lui que les jours commencent à grandir. Ainsi Celui qui s'est rapetissé pour nous élever, a fait choix du jour qui est à la fois le moindre et le principe des grands jours. En naissant ainsi et malgré son silence, il nous crie en quelque sorte avec une voix retentissante, que pour nous il s'est fait pauvre et qu'en lui nous devons apprendre à être riches; que pour nous il s'est revêtu de la nature de son esclave et que nous devons en lui recouvrer la liberté ; que pour nous il s'est élevé de terre et que nous devons avec lui posséder le ciel.

1. Ps. XVIII, 6, 7.

 

 

 

SERMON CXCIV. POUR LE JOUR DE NOEL. XI. LE PAIN DE VIE.

ANALYSE. — En naissant de son Père, Jésus-Christ est l'aliment des Anges, et il se fait l'aliment des hommes en naissant de à Mère. Mais si les hommes s'attachent à vivre de lui sur la terre, ils jouiront de lui comme les Anges dans le ciel et seront pleinement heureux. Pourquoi hésiter?

1. Ecoutez, enfants de lumière, adoptés pour faire partie du royaume de Dieu; mes très-chers frères, écoutez; écoutez, justes, et tressaillez dans le Seigneur, ainsi vos coeurs droits seront dignes de chanter ses louanges (1). Ecoutez ce que vous savez, rappelez-vous ce qui vous a été dit, aimez ce que vous croyez et publiez ce que vous.aimez. Puisque nous célébrons le retour anniversaire de ce grand jour, attendez les quelques mots qu'il réclame. Le Christ est né; comme Dieu, de son Père, de sa Mère, en tant qu'homme; de son Père, sans nuire à son immutabilité, de sa Mère, sans altérer sa virginité; de son Père, sans avoir de Mère, de sa Mère, sans avoir de Père ; de son Père en dehors du temps, de sa Mère en dehors de l'homme; de son Père comme principe de vie, de sa Mère comme anéantissant la mort; de son Père comme dirigeant tous les jours, de sa Mère comme consacrant (170) celui-ci. Quand il a envoyé Jean devant lui, il a voulu qu'il naquît au moment où les jours commencent à diminuer; pour lui, il est né quand les jours commencent à grandir emblème mystérieux de ce que Jean devait dire plus tard : " Il faut qu'il croisse et que je diminue (1) ". C'est qu'en soi, la vie humaine doit décroître , et croître en Jésus-Christ; " en sorte que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes , mais pour Celui qui est mort et qui est ressuscité dans l'intérêt de tous (2) " ; et que chacun de nous dise avec l'Apôtre : " Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi (3)" ; à lui de croître, à moi de diminuer.

2. Les anges lui adressent des louanges dignes de lui; aussi bien est-il leur aliment éternel, il leur communique une incorruptible vigueur. Mais c'est comme Verbe de Dieu qu'ils vivent de sa vie, participant à son éternité et partageant son bonheur. Ils le louent magnifiquement comme Dieu dans le sein de Dieu, ils glorifient en lui le Dieu qui réside au plus haut des cieux. " Pour nous, qui sommes son peuple et les brebis de ses mains (4) ", travaillons, dans la mesure de notre faiblesse, à mériter la paix par notre bonne volonté, après nous être réconciliés avec lui. N'est-ce pas aujourd'hui que les anges eux-mêmes, en célébrant avec transport le Sauveur qui nous est né, ont dit : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (5) ? " Si donc les anges le louent avec magnificence, louons-le, nous, avec obéissance. Ils sont ses messagers, nous sommes son troupeau. Il couvre d'un mets divin leur table dans les cieux, il remplit aussi notre étable sur la terre. Ce qui couvre leur table, c'est Celui dont il est écrit : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ". Ce qui remplit notre étable, c'est Celui dont il est dit : " Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (6) ". Ainsi, pour permettre à l'homme de manger le pain des anges, le Créateur des anges s'est fait homme. Les anges le louent par leur vie même, et nous par notre foi ; eux, en jouissant, et nous, en demandant; eux, en saisissant, et nous, en cherchant; eux, en entrant, et nous, en frappant.

1. Jean, III, 20. — 2. II Cor. V, 15. — 3. Gal. II, 20. — 4. Ps. XCIV, 7. — 5. Luc, II, 14. — 6. Jean, I, 1, 14.

3. Quel est en effet celui d'entre nous qui connaît tous les trésors de sagesse et de science enfermés dans le Christ et cachés sous le voir de sa pauvreté matérielle ? Car " pour nous il s'est fait pauvre quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté (1)"; il s'est montré pauvre, lorsque pour anéantir la mort il s'est revêtu de notre mortalité. Toutefois il n'a point perdu alors ses richesses, il nous les a promises pour plus tard. Qu'elles sont grande les jouissances qu'il cache pour ceux qui le craignent et qu'il montre à ceux qui espèrent en lui (2) ! Car nous ne connaissons que, partiellement et jusqu'à ce qu'arrive ce qui est par fait. Or pour nous rendre capables de goûter ainsi ce qui est parfait, Celui qui comme Dieu est égal au Père et qui comme serviteur est devenu semblable à nous , nous réforme su l'image de Dieu même. Fils unique de Dieu, à venu fils de l'homme, il élève en grand nombre les fils des hommes jusqu'à la dignité de fils de Dieu; par sa nature visible de serviteur, il nourrit ses serviteurs et en fait des enfants capable de voir la nature même de Dieu. " Nous sommes les enfants de Dieu, est-il écrit, et ce que nous serons n'apparaît pas encore : Nous savons que quand Dieu apparaîtra nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (3) ". Pourquoi en effet ces expressions de trésors de sagesse et de science, de divines richesses, sinon pour dire que Dieu nous suffit? Pourquoi parler encore de grandes jouissances , sinon pour faire entendre qu'il nous satisfait pleinement ? " Montrez-nous donc votre Père , et c'est assez (4) ". Aussi est-il dit par l'un de nous est-il dit en nous ou pour nous dans u psaume : " Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire (5) ". De plus, comme le Père et le Fils font un, voir le Fils, c'est vous aussi le Père (6) ; et " le Seigneur des vertus est " par là même " le Roi de gloire (7) ". En se tournant vers nous, il nous montrera face, et nous serons sauvés, et nous seront rassasiés, et cela nous suffira.

4. Ah ! disons-lui donc du fond du coeur : " J'ai recherché votre présence, je la rechercherai, Seigneur; ne détournez pas de moi votre face (8) ". Et qu'à notre coeur aussi lui-même réponde : " Celui qui m'aime garde mes

1. II Cor. VIII, 9. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. I Jean , III, 2. — 4. Jean, XIV, 8. — 5. Ps. XVI, 15. — 6. Jean, X, 3 ; XIV, 9. — 7. Ps. XXIII, 10. — 8. Ps. XXVI, 8, 9.

171

commandements; de plus, celui qui m'aime sera aimé par mon Père; moi aussi je l'aimerai et je me révélerai à lui (1) ". Ceux à qui il parlait ainsi le voyaient bien des yeux du corps, entendaient sa voix, et considéraient l'homme en lui; mais ce qu'il promettait de montrer à ceux qui l'aiment, c'est ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme (2), c'est lui-même encore.

Jusqu'à ce que s'accomplisse cette promesse, jusqu'à ce que le Sauveur nous montre ce qui nous suffira; en attendant que nous puisions en lui, la vraie source de vie, le rassasiement même; pendant que vivant de la foi nous sommes éloignés de lui; pendant que nous

1. Jean, XIV, 21. — 2. I Cor. II, 9.

avons faim et soif de la justice, et qu'avec une ardeur ineffable nous aspirons à contempler la beauté de la nature même de Dieu, célébrons avec une humble dévotion le jour où il naît comme esclave. Incapables encore de contempler ce qu'il reçoit du Père qui l'engendre avant l'aurore, chantons ce qu'il reçoit de sa Mère qui l'enfante dans la nuit. Nous ne voyons pas encore le nom qu'il porte dès avant le soleil (1) ; considérons dans le soleil sa tente qu'il y a placée. Nous ne voyons pas encore le Fils unique subsistant dans le sein de son Père; rappelons-nous l'Epoux sortant du lit nuptial (2). Nous ne pouvons nous asseoir encore au festin de notre Père; saluons la crèche de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

1. Ps. LXXI, 17. — 2. Ps. XVIII, 6.

 

 

 

 

SERMON CXCV. POUR LE JOUR DE NOEL. XII. LES TITRES DU SAUVEUR.

ANALYSE. — Celui dont nous honorons aujourd'hui la naissance est à la fois le Fils de Dieu et le Fils de Marie, l'Epoux de l'Eglise et le Sauveur des hommes, en faveur de qui il sait user de douceur et de force, de sévérité et de bonté.

1. Celui qui est à la fois Fils de Dieu et fils de l'homme, Jésus-Christ Notre-Seigneur , comme Fils de Dieu n'a point de Mère et il a créé tous les jours; comme fils de l'homme il n'a point de Père et il a consacré ce jour. Invisible par sa naissance divine, rendu visible par sa naissance humaine, il est admirable dans l'une et dans l'autre. Quand donc un prophète disait de lui : " Qui racontera sa génération (1) ? " de laquelle parlait-il préférablement? Il est difficile de décider si c'est de celle où par sa naissance éternelle il est coéternel au Père, ou bien de celle où, formé dans le temps, il avait auparavant créé sa Mère afin de naître d'elle; si c'est de celle où il n'a jamais commencé puisqu'il a existé toujours.

1. Isaïe, LIII, 8.

Eh ! qui pourrait expliquer comment la Lumière est née de la Lumière, en ne formant toutefois qu'une seule et même Lumière; comment un Dieu est né d'un Dieu, sans faire néanmoins plusieurs dieux; comment on présente cette naissance à titre de fait accompli, quand il a été impossible de distinguer en elle soit un temps passé qui la montre comme passée, soit un temps futur qui l'ait indiquée comme devant avoir lieu, soit un temps présent qui la désigne comme s'accomplissant, sans être accomplie encore? Qui donc racontera cette génération, puisque l'acte à raconter subsiste au-dessus du temps, et que les paroles du récit passent avec le temps? Quant à cette autre génération qui lui donne une Vierge pour Mère, qui la racontera encore, puisque sa conception dans la chair n'a pas eu lieu d'une manière (172) charnelle, et puisqu'en naissant de la chair, il a rempli de lait le sein de sa nourrice, sans altérer l'intégrité de sa Mère. Qui donc racontera ces deux générations ou l'une d'elles ?

2. Ah ! voici le Seigneur notre Dieu; voici le Médiateur de Dieu et des hommes, notre Sauveur fait homme. Fils du Père, il a créé sa Mère; Fils de sa Mère, il a glorifié son Père; comme Fils unique du Père, il n'a point de Mère, et comme Fils unique de sa Mère, il n'a point de Père parmi les hommes. Voici le plus beau des enfants des hommes (1), le Fils de sainte Marie, l'Époux de la sainte Église, qu'il a rendue semblable à sa Mère, puisqu'il nous l'a donnée pour être notre mère et puisqu'il lui conserve pour lui-même une pureté virginale. N'est-ce pas à elle que dit l'Apôtre : " Je vous ai parée, comme une vierge pure, pour vous présenter au Christ, votre unique Époux (2)? " N'est-ce pas de cette mère qu'il dit encore qu'elle est, non pas la servante, mais la femme libre dont les enfants sont plus nombreux, malgré son délaissement, que les fils de celle qui a un époux (3) ? L'Église a donc, comme Marie, une virginité inaltérable et une inviolable fécondité. Ce que Marie a mérité de posséder dans sa chair, l'Église le conserve dans son âme seulement Marie n'a mis au monde qu'un Fils, l'Église en enfante une multitude entre lesquels sera établie l'unité par la grâce du Fils unique de Marie.

3. Ce jour est donc celui où est venu au monde le Créateur même du monde; où il s'y est rendu corporellement présent, quoique par sa puissance il n'en ait jamais été absent,

1. Ps. XLIV, 3. — 2. II Cor. XI, 12. — 3. Gal. IV, 26, 27.

puisqu'il a toujours été dans ce monde, et qu'il y est descendu chez lui-même. Sans doute il était dans ce monde, mais il y était caché ; la Lumière luisait dans les ténèbres, sans que les ténèbres la comprissent (1). Il y est venu avec un corps de chair, pour purifier les vices de la chair. Il y est venu avec un corps de terre, qui devait aider à guérir en nous les yeux du coeur, privés de lumière par notre corps de boue: ainsi, après notre guérison, nous deviendrions lumière dans le Seigneur, de ténèbres que nous étions (2) ; ainsi encore à Lumière ne luirait plus dan les ténèbres près d'hommes absents, elle se révélerait à des regards qui ne douteraient plus de la vérité.

Tel est le but pour lequel l'Époux est sorti du lit nuptial, et le géant s'est élancé afin de fournir sa carrière (3) ; car le Fils de Marie est beau comme un époux et fort comme un géant; il est à la fois aimable et terrible, doux et sévère, plein de charmes pour les bons, de rigueurs pour les méchants, demeurant dans le sein de son Père et remplissant celui de sa Mère. C'est dans ce sein de la Vierge, dans ce lit nuptial, que la nature divine s'est unie la nature humaine; que pour nous le Verbe s'est fait chair afin de demeurer au milieu de nous après l'avoir quitté (4), et afin de nous précéder près de son Père pour nous y préparer une; demeure. Aussi célébrons ce jour avec allégresse, avec solennité, et par la grâce de l'éternel qui pour nous est né dans le temps, aspirons avec une fidélité constante à contempler l'éternel jour.

1. Jean, I, 10, 11, 5. — 2. Ephés. V, 8. — 3. Ps. XVIII, 6. — 4. Jean, I, 14.

 

 

SERMON CXCVI. POUR LE JOUR DE NOEL. XIII. POUR QUI L'INCARNATION ?

ANALYSE. — La génération du Fils de Dieu dans le sein de son Père est ineffable ; sa naissance du sein de sa mère n'est-elle pas merveilleuse aussi? Pour qui est-il né? Pour tous les genres de vie qui sont dans l'Eglise, pour les vierges, les époux et les veufs. C'est donc pour nous et pour nous tous qu'il s'est tant abaissé et qu'il a tant souffert ! Abus censuré à propos des calendes de janvier.

1. Voici pour nous la fête de la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur; ce jour natal est celui où est né le Jour même, et s'il l'a choisi, c'est par ce qu'à dater d'aujourd'hui le jour commence à grandir.

Notre-Seigneur Jésus-Christ a deux naissances: l'une est divine, l'autre humaine, et toutes deux admirables; dans l'une il n'a point de femme pour Mère, et dans l'autre point d'homme pour Père. Aussi peut-on appliquer à ces deux naissances le cri du saint Prophète haïe: " Qui racontera sa génération (1)? " Eh ! qui pourrait expliquer convenablement comment un Dieu engendre, comment enfante une Vierge ? La génération divine est en dehors de tout jour, l'enfantement virginal est à un jour déterminé ; ruais ces actes tous deux merveilleux surpassent tous deux les conceptions de l'homme. Ecoutez; voici la première génération : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2)". Le Verbe de qui ? Du Père. Quel est ce Verbe ? Le Fils. Le Père n'a jamais été sans son Fils; et le Père néanmoins a engendré son Fils. Il l'a engendré ; et pourtant le Fils n'a pas commencé. Comment aurait-il commencé, puisque jamais il n'y a eu de commencement à sa génération ? Toutefois, je le répète, il est réellement son Fils et engendré réellement.

Comment, dira-t-on, a-t-il été engendré, s'il n'a pas eu de commencement ? S'il est engendré, il a sûrement commencé ; s'il n'avait pas commencé, pourrait-il être engendré? — Comment ? Je l'ignore. Est-ce à un homme que tu oses demander comment un Dieu a été

1. Isaïe, LIII, 8. — 2. Jean, I, 1.

engendré ? Ta question m'embarrasse ; néanmoins j'en appellerai au Prophète : " Qui racontera, dit-il, sa génération?" Viens considérer avec moi cette génération humaine, cette génération où il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave : pourrons-nous au moins la comprendre ? nous sera-t-il possible d'en dire au moins quelque chose ? Eh ! qui serait capable de comprendre ceci : " Il avait la nature de Dieu, et il n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ? " Oui, qui peut comprendre cela? Qui peut s'en faire une juste idée ? Quelle intelligence oserait sonder cet abîme ? Quelle langue aurait la hardiesse d'en parler ? Quel esprit assez fort pour concevoir ce mystère ? Mais laissons-le pour le moment; il est trop au-dessus de nos forces. Afin de s'abaisser jusqu'à nous, " il s'est anéanti en prenant une nature d'esclave, en se faisant semblable aux hommes (1) ". Où l'a-t-il prise ? Dans le sein de la Vierge Marie. Parlons donc de cet événement. Mais pourrons-nous? Un ange l'annonce ; la Vierge l'écoute, y croit et conçoit. Elle a la foi dans le coeur, et le Christ est dans son sein. Vierge, elle conçoit: qui ne serait étonné? Vierge, elle enfante, étonnez-vous davantage; après avoir enfanté elle demeure Vierge, qui raconterait cette génération?

2. Voici qui vous fera plaisir, mes bien-aimés. Il y a dans l'Eglise trois genres de vie pour les membres du Christ: la vie conjugale, la vie de veufs et la vie des vierges. Or, comme ces vies devaient être, dans toute leur pureté, les vies des membres saints du Christ, toutes ont été appelées à lui rendre témoignage. La

1. Philip. II, 6, 7.

174

première de ces vies est la vie conjugale. Quand Marie conçut en demeurant Vierge, Elisabeth, épouse de Zacharie, avait déjà conçu et elle portait dans ses entrailles le héraut du grand Juge. Sainte Marie alla vers elle, comme pour rendre ses hommages à une parente, et l'enfant que portait Elisabeth tressaillit dans son sein. L'enfant tressaillit, mais la mère prophétisa: n'est-ce pas le témoignage de la pureté conjugale? Et le témoignage des veuves? Voici Anne. Vous venez de l'entendre encore pendant la lecture de l'Evangile : c'était une sainte prophétesse âgée de quatre-vingt-quatre ans, qui en avait passé sept avec son mari, et qui depuis son veuvage était souvent au temple, servait Dieu en le priant nuit et jour. Elle aussi reconnut le Christ. Dans ce petit enfant elle vit une grandeur toute divine et elle lui rendit témoignage. Voilà pour les veuves. Quant aux vierges, elles sont représentées par Marie (1).

A chacun de choisir entre ces trois vies; vouloir être en dehors de toutes, c'est ne pas vouloir compter parmi les membres du: Christ. Que les épouses ne disent donc pas: Nous sommes pour le Christ des étrangères ; de saintes femmes ont été mariées. Que de leur côté les vierges prennent garde de s'enorgueillir. Plus elles sont grandes, plus elles doivent s'abaisser en toutes choses (2). Il n'est pas de saints exemples qui ne nous aient été mis sous les yeux. Que nul ne s'égare loin de la voie ; que nul n'aille à d'autre. qu'à son épouse. Il est préférable de n'en pas avoir ; mais si on veut des modèles de chasteté conjugale, en voici dans Susanne ; de pureté dans le veuvage, voici Anne; de sainteté virginale, voici Marie.

3. C'est pour nous qu'a voulu se faire homme le Seigneur Jésus. Ne dédaignons point sa miséricorde ; c'est la Sagesse étendue sur la terre. " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ". O Pain divin et aliment des Anges ! c'est vous que mangent les Anges, de vous qu'ils se rassasient sans dégoût, de vous qu'ils vivent, en vous qu'ils puisent la sagesse et la félicité. Ah ! où êtes-vous descendu à cause de moi ? Dans une étroite hôtellerie; sur des langes, dans une crèche ; et pour qui ? Oui, Celui qui dirige les astres prend le sein d'une

1. Luc, I, 11. — 2. Eccli. III, 20.

femme; Celui qui nourrit les Anges et qui parle dans le sein de son Père, garde le silence sur le sein de sa Mère. Mais il- parlera quand sera venu l'âge convenable; pour nous alors il publiera tout l'Evangile. Il souffrira pour nous, pour nous il mourra, et afin de montrer en lui quelle sera notre biture récompense, il ressuscitera, montera au ciel sous les yeux de ses disciples et en reviendra pour juger l'univers. Ainsi donc en s'abaissant dans une crèche il n'a rien perdu de lui-même; il a pris ce qu'il n'était pas, tout en demeurant ce qu'il était. Nous l'avons, ce divin Enfant, croisons avec lui.

4. Que votre charité veuille bien se coin tenter de cela. La solennité ayant amené ici une nombreuse assistance, je dois faire uns observation.

Les calendes de Janvier vont arriver; vous êtes tous chrétiens; oui, parla grâce de Dieu, la ville est chrétienne. Il y a pourtant dans cette ville des Juifs mêlés aux chrétiens. Ah ! qu'on ne fasse rien de ce qui déplaît à Dieu : il est des divertissements où se commet l'iniquité, des jeux où se pratique l'injustice. Gardez-vous d'appeler la vengeance des juges, pour ne tomber pas entre les mains du Juge suprême. Vous êtes chrétiens, vous êtes membres du Christ. Réfléchissez à votre dignité, songez au prix qui a été donné pour vous acheter. Mais que faites-vous donc? Je m’adresse aux seuls coupables. Vous à qui déplaît cette conduite, ne vous offensez pas; je parle qu'à ceux qui se livrent et qui se plais à ces désordres. Voulez-vous savoir enfin ce que vous faites et de quelle douleur vous nous pénétrez? Vous imitez les Juifs. N'est-ce assez pour vous porter à rougir et à ne plus recommencer?

Le jour de la nativité de saint Jean, il y a six mois, car le héraut précède le Juge de tout ce temps, des chrétiens vinrent se laver dans la mer, conformément à un usage superstitieux des païens. Je n'étais pas ici; mais, m'a-t-il dit, quelques prêtres, zélés pour la discipline chrétienne, imposèrent à quelques-uns de ces coupables une pénitence convenable et canonique. On en murmura, et plusieurs s'écrièrent : En coûtait-il tant de nous prévenir? Si nous avions été avertis d'avance, nous n’aurions pas agi ainsi. Que ces prêtres eux-mêmes ne nous prévenaient-ils? Nous n'aurions pas fait cela. Eh bien ! votre évêque aujourd'hui (175) vous prévient; je vous avertis, je le fais hautement, je le fais clairement. Qu'on se rende donc à l’évêque quand il commande, à l'évêque quand il prévient, à l'évêque quand il supplie, à l'évêque quand il adjure; oui, au nom de Celui qui est né aujourd'hui, je vous adjure, je vous y oblige, ne continuez pas. Ainsi je me décharge; mais il vaut mieux que vous écoutiez mes avertissements que de sentir le poids de ma douleur.

 

 

 

 

SERMON CXCVII. POUR LE PREMIER JANVIER. I. ORGUEIL ET HUMILITÉ.

ANALYSE. — Ce discours n'est pas entier; il est composé de plusieurs fragments qui ne sont pas toujours liés. entre eux et dont le but est de montrer que comme l'orgueil a conduit les païens à tous les désordres oh ils se sont livrés, ainsi l'humilité est le caractère essentiel des vertus chrétiennes.

1. " La colère de Dieu éclate effectivement du haut du ciel sur toute l'impiété ". De qui, sinon des Juifs et des Gentils?

On pourrait objecter: Pourquoi, sur l'impiété des Gentils ? Les Gentils ont-ils jamais reçu la loi pour avoir pu la violer? Il est juste que la colère divine éclate sur les Juifs, puisque la loi leur a été donnée et qu'ils ont refusé de l'observer; mais elle n'a pas été donnée aux Gentils. — Regardez, mes frères, et voyez comment l'Apôtre prouve que tous sont coupables et ont besoin tous du salut et de la miséricorde de Dieu. " La colère de Dieu, dit-il donc, éclate du haut du ciel sur toute l'impiété et l'iniquité de ces hommes qui a retiennent la vérité dans l'injustice ". Remarquez-le bien ; il ne dit pas : Ces hommes ne possèdent pas la vérité; mais: " Ils la retiennent dans l'injustice ". Tu pourrais demander encore: Comment leur est-il possible de connaître la vérité, puisqu'ils n'ont pas reçu la Loi? Aussi l'Apôtre continue-t-il: " Car, ce qui est connu de Dieu leur a été manifesté ". Comment encore, sans qu'ils aient reçu la Loi, ce qui est connu de Dieu leur a-t-il été manifesté? Le voici dans la suite du texte : " C'est que ses perfections invisibles; rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité " ; sous-entendu, sont devenues visibles, pour avoir été comprises. Pourquoi en effet considérer l'ouvrage sans remonter à l'ouvrier? Voici la terre et ses produits, voici la mer et les animaux qui la remplissent, voici l'air et les oiseaux qui l'animent, voici le ciel et l'éclat de ses astres, voici tant d'autres merveilles, et tu ne cherches pas quel en est l'auteur ?

Je vois bien ces merveilles, diras-tu, mais je n'en vois pas l'auteur. —Pour les voir il t'a donné les yeux du corps, et l'intelligence pour le voir lui-même. Vois-tu l'âme de l'homme? Les mouvements et la direction imprimée au corps te révèlent l'existence de l'âme que tu ne vois pas: ainsi le gouvernement de tout l'univers et la conduite de l'âme elle-même doivent te faire connaître le Créateur.

Il ne suffit pas toutefois de le connaître. Ces païens le connaissaient; et néanmoins que dit d'eux l'Apôtre? " Que connaissant Dieu ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé s'est obscurci ". Pourquoi, sinon à cause de leur orgueil ? Aussi considère ce qui suit: " En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous ". Ils ne devaient point s'attribuer les dons de Dieu, ni se vanter de ce qu'ils tenaient, non pas d'eux-mêmes, mais de lui.

176

Ils devaient au contraire lui en rendre grâces afin d'êtres guéris par lui et de pouvoir conserver les connaissances qu'il leur avait accordées. En agissant ainsi ils auraient pratiqué l'humilité, ils auraient pu se purifier et s'attacher inséparablement à la beauté suprême qui aurait fait leur bonheur. Mais comme ils étaient orgueilleux, ils furent séduits par cet esprit faux, trompeur et superbe qui leur promit de purifier leurs âmes par je ne sais quelles pratiques d'orgueil, et ils en vinrent ainsi à adorer les démons. Telle est l'origine de tous les usages religieux des païens, représentés comme devant leur communiquer la pureté de l'âme. Aussi remarque comment l'Apôtre enseigne ensuite que c'est pour eux un juste châtiment de leur orgueil, d'avoir été ainsi punis pour n'avoir pas glorifié Dieu comme il doit l'être. " Et ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible contre l'image d'un homme corruptible ". Nous voilà déjà aux idoles, aux idoles des Grecs et des autres peuples qui adorent des images d'hommes.

Mais de tous les genres d'idolâtrie, il n'y en a point de plus accentué ni de plus superstitieux que celui des Egyptiens, car c'est l'Egypte qui a couvert le monde des vains simulacres dont parle ensuite l'Apôtre. Après avoir dit : " Contre l'image d'un homme corruptible ", il ajoute en effet : " Des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles ". Dites-moi, mes frères, avez-vous vu dans d'autres temples des statues avec des têtes de chien ou de boeuf, et d'autres représentations d'animaux sans raison ? Ces idoles sont toutes égyptiennes, et l'Apôtre parle des unes comme des autres dans le passage suivant : " Contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes, et des reptiles. Aussi Dieu les a livrés au désir de leurs coeurs, à l'impureté, au point qu'ils déshonorent leurs propres corps en eux-mêmes ". Ces péchés viennent de leur impiété orgueilleuse. Or, en tant qu'ils viennent de l'orgueil, ils sont des châtiments aussi bien que des péchés. Voilà pourquoi ces expressions : " Dieu les a livrés" elles désignent la vengeance de quelque crime, et cette vengeance consiste à laisser commettre ces honteux désordres à ces hommes " qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ". Qu'est-ce à dire: " Qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ? " C'est-à-dire qu'ils l'ont " échangée contre l'image représentant un homme corruptible, et des oiseaux, et des quadrupèdes et des reptiles ". Quelqu'un de ces païens aurait pu dire: Moi, je n'adore pas la statue, mais ce qu'elle représente. L'Apôtre dit donc immédiatement; " Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (1) ". Appliquez ici toute votre attention. Ils adorent la statue même ou l'ouvrage de Dieu. Adorer la statue, c'est transformer la vérité de Dieu en mensonge. En effet, on peut considérer la mer comme étant une vérité, et Neptune comme un mensonge fabriqué par l'homme. Or, c'est changer alors la vérité de Dieu en mensonge, puisque la met est l'ouvrage de Dieu, tandis que la statue de Neptune est de création humaine. C'est aine encore que Dieu ayant fait le soleil, l'homme qui fabrique l'idole du soleil change en mensonge la vérité de Dieu. Afin donc que l’on n'ait pas même le prétexte de dire : Ce n'est pas l'image du soleil, c'est le soleil que j’adore, saint Paul a écrit: "Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur "......

2. Ne pourrait-on pas faire cette objection; Sans doute il est né dans l'humilité, mais il a prétendu mettre sa gloire dans l'honneur de ses disciples? Or, il n'a choisi ni des rois, ni des sénateurs, ni des orateurs ; il a préféré des hommes du peuple, des pauvres, des ignorants, des pêcheurs. Le pêcheur Pierre a devancé Cyprien l'orateur ; et si le pêcheur ne s'était montré fidèle d'abord, l'orateur ne serait pas devenu un humble disciple. Que nul donc.ne désespère, si petit qu'il soit ; qu'on s'attache au Christ et on ne sera point déçu dans son espoir.....

3. A quoi prétendait Simon ? N'est-ce pas à la gloire de faire des miracles, à l'élévation que donne l'orgueil ? C'est l'orgueil effectivement qui le porta à croire; qu'on pouvait acheter à prix d'argent le don de l'Esprit-Saint (2). Ah ! que l'Apôtre était loin de cet orgueil quand avec une humilité si constante, un ferveur spirituelle si brûlante et une prudence si éclairée, il disait : " Ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose qui sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement ". C'est qu'il venait d'écrire ces mots : " J'ai planté, Apollo a arrosé; mais l'accroissement a été donné par Dieu (3) " ; et ces autres : " Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous !

1. Rom. I, 18-25. — 2. Act. VIII, 18. — 3. I Cor. III, 7, 6.

177

" Est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême (1) ? " Vois comme il refuse les honneurs dus au Christ, comme il est éloigné de vouloir prendre la place de l'Epoux aux yeux de l'âme infidèle. N'y a-t-il pas du mérite à planter et à arroser ? Cependant " ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose ". Comme il a peur ! Il n'est rien pour le salut de ces âmes qu'il désirait avec tant d'ardeur faire progresser dans les voies du Christ.

4. Il ne voulait pas non plus qu'on espérât en lui, mais seulement dans la vérité dont il était le héraut. Ce qu'il disait valait mieux que lui. " Si nous-mêmes ", écrivait-il ; ce n'est pas assez, écoute ce qui suit : " ou un ange vous évangélisait, du haut du ciel, autrement que vous n'avez été évangélisés, qu'il soit anathème (2) ! " Il savait qu'un faux médiateur pouvait se transformer en ange de lumière et prêcher le mensonge. Des hommes superbes cherchent à se faire adorer à la place de Dieu, à se faire attribuer tout ce qu'ils peuvent, à prendre le nom du Christ, à recevoir même, s'ils le pouvaient, plus de gloire que lui: ainsi font le démon et ses anges. Pour les Donatistes, Donat n'est-il pas le Christ? Entendent-ils un païen outrager le Christ ? ils pourront montrer plus de patience que de l'entendre outrager Donat.

5. Cependant le Christ parle dans ses saints. " Voulez-vous éprouver, dit saint Paul, Celui

1. I Cor. I, 13. — 2. Gal. I, 8.

qui parle en moi, le Christ (1)? " Le même Apôtre disait sans doute aussi : " Ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu, qui donne l'accroissement ". C'était pour attirer les affections, non pas sur lui, mais sur Dieu en lui. Il ne rend pas moins à plusieurs le témoignage suivant : " Vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ même (2) ". C'est le Christ donc qu'il faut aimer dans ses saints; aussi a-t-il dit : " J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (3) " ; non pas : Vous leur avez donné, mais : " Vous m'avez donné " ; tant est vif l'amour du Chef pour son corps !....

6. Qu'est-ce que Junon ? Junon, disent-ils, est l'air. On voulait tout à l'heure nous faire adorer la mer dans un simulacre de terre ; c'est maintenant pour l'air qu'on réclame nos hommages. Mais ce sont là des éléments dont ce monde est composé, et l'apôtre saint Paul parle ainsi de ce sujet dans une de ses épîtres " Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie, par des raisonnements faux et trompeurs, à propos des éléments du monde (4) ". Ainsi faisait-il allusion à ces esprits qui prétendent expliquer aux sages le sens des idoles. Voilà pourquoi il rapproche de la philosophie, les éléments du monde; il veut qu'on évite, non pas précisément les adorateurs des idoles en général, mais ceux qui paraissent en interpréter plus savamment la signification.

1. I Cor. XIII, 3. — 2. Gal. IV, 14. — 3. Matt. XXV, 35. — 4. Colos. II, 8.

 

 

 

SERMON CXCVIII. POUR LE PREMIER JANVIER. II. ÉTRENNES DES CHRÉTIENS.

178

ANALYSE. — Vous venez de demander à Dieu de vous séparer des gentils; séparation qui doit s'entendre, non de la séparation des corps, mais de la séparation des moeurs. Or les gentils se livrent aujourd'hui à des divertissements indignes d'un chrétien, et se donnent réciproquement des étrennes. Mieux inspirés, faites l'aumône et livrez-vous aux exercices de piété.

1.En vous voyant réunis aujourd'hui comme pour un jour de fête et plus nombreux que de coutume, nous invitons votre charité à se rappeler ce qu'elle vient de chanter, à n'avoir pas le coeur muet quand la langue parle si haut, à porter avec ardeur jusqu'aux oreilles (178) de Dieu ce que vous avez fait entendre extérieurement aux oreilles les uns des autres. Voici en effet ce que vous venez de chanter : " Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils, afin que nous bénissions votre nom (1) ". Or, vous serez séparés des gentils si vous ne prenez aucun plaisir à ce qu'ils font aujourd'hui, à leurs joies profanes et charnelles, au bruit de leurs chants si vains et si honteux, à leurs festins et à leurs danses ignobles, à la solennité et à la fête menteuse qu'ils célèbrent.

2. Oui, vous avez chanté, et l'écho de ce chant sacré est encore à vos oreilles : " Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez" nous du milieu des gentil". Comment être rassemblé du milieu des gentils autrement qu'en se sauvant? Rester mêlé au milieu d'eux, c'est ne pas se sauver ; mais se rassembler du milieu d'eux, c'est obtenir le salut que donne la foi, que donne l'espérance, que donne une charité sincère, en un mot le salut spirituel attaché aux promesses de Dieu. Il ne suffit donc pas, pour être sauvé, de croire, d'espérer et d'aimer ; l’important est ce que l'on doit croire, espérer et aimer ; car nul ne vit ici-bas sans ces trois sentiments de foi, d'espérance et d'amour. Mais pour être rassemblé du milieu des gentils, c'est-à-dire pour être séparé d'eux, il ne faut ni croire ce qu'ils croient, ni espérer ce qu'ils espèrent, ni aimer ce qu'ils aiment. Ainsi séparé d'esprit, ne crains pas d'être de corps parmi eux. Se peut-il une différence plus tranchée entre eux et toi que de croire de ton côté qu'il n'y a qu'un Dieu unique et véritable, quand ils croient, eux, que les démons sont des dieux; que d'espérer, comme tu fais, la vie éternelle avec le Christ, quand ils espèrent, eux, les frivolités du siècle ; que d'aimer avec toile Créateur du monde, quand eux n'aiment que le monde?

Mais si on diffère d'eux par la foi, par l'espérance et par l'amour, on doit le prouver par sa vie, le montrer par ses actions. Si tu dois donner des étrennes, te livrer à des jeux de hasard et à l'ivresse comme un païen, as-tu une autre foi, une autre espérance, un amour autre que lui, et comment oses-tu lever le front pour chanter : " Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ? " Cette séparation

1. Ps. CV, 47.

consiste à mener une vie différente de celle des gentils, tout en demeurant extérieurement au milieu d'eux. Combien doit être tranchée . cette différence ? Reconnaissez-le, si toutefois vous voulez la faire passer dans votre vie. N'est-il pas vrai que le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, après s'être fait homme pour l'amour de nous, a payé lui-même notre rançon ? Il l'a payée de son sang, il l'a payée pour nous racheter et nous rassembler du milieu des gentils. Or, en te mêlant à eux, tu refuses de marcher à la suite de ton Rédempteur; et tu t'y mêles par ta vie, par tes actions par les sentiments de ton coeur, par la communauté de foi, d'espérance et d'amour; tu te montres, par là, ingrat envers ton Sauveur, sans égard pour ta rançon, pour le sang de l'Agneau sans tache. De grâce donc, pour suivre ton Rédempteur, Celui qui t'a racheté de son sang, évite de te mêler aux gentils par la ressemblance des moeurs et de la conduite. Eux donnent des étrennes ; faites-vous, des aumônes. Ils se distraient par des chant lascifs ; sachez vous distraire par les paroles de l'Ecriture. Ils courent au théâtre; courez à l'Eglise. Ils s'enivrent ; jeûnez, et si vous ne pouvez jeûner aujourd'hui, mangez avec sobriété. Vous conduire ainsi, ce sera avoir chanté dignement : " Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu, et rassemblez-nous du milieu des gentils ".

3. Mais beaucoup vont se préoccuper aujourd'hui d'un mot qu'ils ont entendu. Nous avons dit : Ne donnez point d'étrennes, donnez plutôt aux pauvres. Ce n'est pas assez de donner autant, donnez encore plus. Ne voulez-vous point donner davantage ? donnez au moins autant. — Mais, répliques-tu, lorsque je donne des étrennes, j'en reçois aussi. — Et quand tu donnes aux pauvres, ne reçois rien ? Assurément tu ne voudrais ni croire que croient les gentils ni espérer ce qu’ils espèrent. Si néanmoins tu répètes que tu ne reçois rien en donnant aux pauvres, tu fais partie des gentils; c'est sans résultat que tu as chanté : " Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu et rassemblez-nous du milieu des gentils ". N'oublie pas cette recommandation : " Ce qui donne aux pauvres ne sera jamais dans le besoin (1)". Tu ne te souviens donc pas de ce que dira le Seigneur à ceux qui auront

1. Prov. XXVIII, 26.

179

assisté les indigents : " Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume " ; ni des paroles qu'il adressera à ceux qui ne les auront pas assistés : " Jetez-les au feu éternel (1)? "

S'il en est ici qui ne m'ont pas entendu avec plaisir, il en est sûrement qui sont satisfaits. C'est à ces vrais chrétiens que je m'adresse pour le moment. Si votre foi, si votre espérance, si votre amour différent des leurs, vivez autrement qu'eux et montrez par la différence de vos moeurs cette autre différence. Ecoutez l'avertissement de l'Apôtre : " Ne traînez point le même joug que les infidèles. " Quoi de commun entre la justice et l’iniquité ? ou quelle alliance entre la lumière et les ténèbres ? Quel commerce entre le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles (2) ? " Il dit encore ailleurs . " Ce qu'immolent les gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu. Je ne veux pas, s'écrie-t-il, que vous ayez aucune société avec les démons (3) ". Les moeurs des gentils plaisent à leurs dieux. L'Apôtre donc en disant : " Je ne veux pas que vous fassiez société avec les démons ", entend que les chrétiens se distingueront,

1. Matt. XXV, 34, 41. — 2. II Cor. VI, 14-15. — 3. I Cor, X, 20.

par leur conduite et par leurs moeurs, des esclaves des démons. Ces démons aiment les chants frivoles, les spectacles bouffons, les hontes multipliées du théâtre , la folie du cirque, la cruauté de l'amphithéâtre, les combats animés de ceux qui luttent et disputent, souvent jusqu'à l'inimitié, en faveur d'hommes pestilentiels, en faveur d'un comédien, d'un historien, d'un pantomime, d'un cocher, d'un gladiateur. Ces actes sont comme de l'encens offert dans leurs coeurs aux démons; car ces esprits séducteurs prennent plaisir à faire des dupes; ils se repaissent en quelque sorte des iniquités, des hontes et des infamies de leurs victimes. " Pour vous ", comme dit l'Apôtre, " ce n'est pas ainsi que vous connaissez le Christ, si toutefois vous l'avez écouté et si vous avez été formés à son école (1). N'ayez donc point de commerce avec eux. Car, si autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur; conduisez-vous comme des enfants de lumière (2)" ; afin que nous aussi, qui vous annonçons la divine parole, nous puissions, avec vous et à cause de vous, nous réjouir à cette lumière éternelle.

1. Eph. IV, 20, 21. — 2. Ib. V, 7, 8.

 

 

SERMON CXCIX. POUR L'ÉPIPHANIE. I. LA GLOIRE DU CHRIST.

ANALYSE. — La gloire du Christ nous est aujourd'hui révélée, premièrement par les Mages accourus d'Orient pour l'adorer secondement par l'étoile qui les dirige, troisièmement par les Ecritures qui lui rendent témoignage. En vain des savants superficiels essaient-ils d'appuyer sur l'apparition de l'étoile le système impie de l'astrologie judiciaire. Les astres évidemment n'exercent aucun empire sur le Christ; au contraire ils lui obéissent à sa naissance comme ils lui obéiront à sa mort.

1. Nous célébrions dernièrement le jour où le Seigneur est né parmi les Juifs; nous célébrons aujourd'hui celui où il a été adoré par les gentils. " Ainsi le salut vient des Juifs (1)" ; et ce "salut s'étend jusqu'aux extrémités de

1. Jean, IV, 22.

la terre (1) ". Le premier jour ce sont les bergers qui l'ont adoré, ce sont les Mages aujourd'hui. Aux uns il a été annoncé par des anges, aux autres par une étoile; et tous, en voyant sur la terre le Roi du ciel, ont appris

1. Isaïe, XLIX, II, 6.

180

du ciel même que Dieu allait être glorifié au plus haut des cieux et la paix accordée sur la terre aux hommes de bonne volonté (1). Car le Sauveur " est notre paix, puisque de deux il a fait un " ; et c'est ainsi que muet encore il s'annonce comme la pierre angulaire, et qu'il se montre tel dès le début de sa vie. Dès lors en effet il commence à unir en lui les deux murs qui viennent de directions différentes; amenant les bergers de la Judée et les Mages de l'Orient, " afin de former en lui-même un seul homme de ces deux peuples, en accordant la paix à ceux qui étaient loin, et la paix à ceux qui étaient proche (2) ". Voilà pourquoi les uns en venant plus tôt et de près, et les autres en venant de loin et aujourd'hui seulement , ont signalé aux siècles futurs deux jours à célébrer, quoique les uns comme les autres n'aient vu qu'une seule et même lumière du monde.

2. Mais aujourd'hui il nous faut parler de ceux d'entre eux que la foi a amenés, de pays lointains, aux pieds du Christ. Ils sont donc venus et l'ont cherché en disant : " Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l'adorer (3) ". C'est à la fois annoncer et questionner, croire et chercher: n'est-ce pas l'image de ceux qui se conduisent par la foi et qui désirent voir la réalité ?

Cependant, n'était-il pas né bien des fois en Judée d'autres rois des Juifs ? Pourquoi Celui-ci est-il par des étrangers reconnu dans le ciel et cherché sur la terre? Pourquoi rayonne-t-il en haut, se cache-t-il en bas? Les Mages voient en Orient une étoile, et ils comprennent qu'il est né un roi en Judée ! Quel est donc ce Roi, si petit et si grand, qui ne parle pas encore sur la terre et qui déjà promulgue ses lois dans le ciel ?

Toutefois, comme il voulait se faire connaître à nous par les saintes Ecritures, après avoir fait briller pour les Mages un signe aussi éclatant dans le ciel et leur avoir révélé au coeur qu'il était né dans la Judée, le Seigneur voulut, à cause de nous, que leur foi en lui fût appuyée aussi sur ses prophètes. En s'informant de la ville où était né Celui qu'ils aspiraient à contempler et à adorer, ils eurent besoin d'interroger les princes des Juifs, de savoir quelle réponse ils trouveraient

1. Luc, II, 14. — 2. Ephés. II, 14-20. — 3. Matt. II, 2.

pour eux dans l'Ecriture, dans l'Ecriture qu'ils avaient sur les lèvres et non dans le coeur. C'étaient donc des infidèles qui instruisaient les fidèles touchant le bienfait de la foi; des hommes qui mentaient par eux-mêmes et qui contre eux-mêmes proclamaient la vérité. Ah ! qu'ils étaient éloignés d'accompagner ces étrangers à la recherche du Christ, quoiqu'ils eussent appris d'eux que c'était après avoir vu son étoile qu'ils étaient venus l'adorer; de les conduire eux-mêmes dans cette cité de Bethléem de Juda, qu'ils venaient de leur faire connaître d'après les livres saints; de contempler enfin, de comprendre et d'adorer avec eux ! Malheureux, qui sont morts de soif, après avoir montré à d'autres la fontaine de vie ; semblables à ces pierres milliaires qui indiquent la route aux voyageurs et qui demeurent insensibles et immobiles.

Les Mages donc cherchaient pour trouver, Hérode cherchait pour tuer; quant aux Juifs ils lisaient le nom de la ville où naissait le nouveau Roi, mais ils ne comprenaient pas le temps de son arrivée. Placés entre l'amour pieux des Mages et la crainte sanguinaire d'Hérode, les Juifs se perdirent tout en indiquant Bethléem. Sans chercher alors le Christ qui venait de naître dans cette ville, ils devaient le voir plus tard ; le voir non pas silencieux mais rendant ses oracles, le renier et le mettre à mort. Combien l'ignorance des enfants qu'Hérode persécuta dans sa frayeur, était préférable à la science de ces docteurs qu'il consulta dans son trouble ! Sans pouvoir confesser encore le Christ, ces enfants purent souffrir pour lui; tandis qu'après avoir pu connaître la ville où il était né, ces docteurs ne s'attachèrent point à la vérité qu'il prêchait.

3. C'est bien l'étoile qui conduisit les mages au lieu précis où était Dieu même, le Verbe devenu enfant. Rougis enfin, folie sacrilège, science ignorante, si je puis parler ainsi, qui t'imagines que le Christ en naissant fut soumis à l'arrêt des astres, parce que, d'après l'Evangile, des Mages virent, à sa naissance, son étoile en Orient. Tu n'aurais pas raison, alors même que les autres hommes seraient, en naissant, assujettis de cette sorte à la fatalité, puisqu'ils ne naissent pas, comme le Fils de Dieu, par leur volonté propre, mais d'après les lois d'une nature mortelle. Or, il est si peu vrai que le Christ soit né sous l'empire des astres, qu'aucun de ceux qui ont la vraie foi chrétienne, ne (181) le dirait d'aucun homme absolument. Que ces esprits superficiels publient sur les naissances humaines ce que leur suggère leur défaut de sens; qu'ils nient en eux l'existence de la liberté quand ils pèchent; qu'ils imaginent je ne sais quelle fatalité pour excuser leurs crimes; qu'ils travaillent à faire remonter jusqu'au ciel même les désordres qui les font détester par les hommes sur la terre; qu'ils multiplient les mensonges pour en rejeter la responsabilité sur les astres :au moins que nul d'entre eux ne perde de vue comment il croit pouvoir régler, non pas sa vie, mais sa famille, quelque autorité qu'il y possède. Eh ! pourrait-il, avec ce sentiment, frapper ses esclaves lorsqu'ils lui manquent dans sa demeure, sans avoir dû préalablement blasphémer contre ses dieux qui brillent au haut du ciel ?

Cependant ni les vains raisonnements de ces hommes, ni les livres qui sont pour eux, non pas des livres révélateurs mais sûrement des livres menteurs, ne leur permettent de croire que le Christ soit né sous l'empire des astres, parce qu'à sa naissance les Mages virent une étoile en Orient. Cette apparition prouve au contraire que loin d'être dominé par elle, le Christ dominait cette étoile. Aussi ne suivait-elle point dans le ciel la route ordinaire des étoiles, puisqu'elle conduisit jusqu'au lieu même où venait de naître le Christ ceux qui le cherchaient pour l'adorer. Ce n'est donc pas à elle qu'on doit rapporter la vie admirable du Christ, c'est au Christ plutôt qu'il faut attribuer la merveille de son apparition; elle ne fut point l'auteur des miracles du Christ, le Christ montra au contraire qu'elle était un de ses miracles. Fils du Père, c'est lui qui a formé le ciel et la terre; comme Fils de sa mère, il fit briller dans le ciel un nouvel astre aux yeux de la terre. Si une nouvelle étoile répandit à sa naissance une lumière nouvelle, l'antique lumière du monde s'éclipsa à sa mort dans le soleil même. Les cieux à sa naissance rayonnèrent d'une gloire nouvelle, comme les enfers à sa mort furent saisis d'une nouvelle frayeur, comme les disciples à sa Résurrection se sentirent embrasés d'un nouvel amour, comme en s'ouvrant à son Ascension l'empyrée lui rendit un hommage nouveau.

Ainsi donc célébrons avec pompe et avec dévotion le jour où le Christ fut reconnu et adoré des Mages de la gentilité (1); comme nous célébrions cet autre jour où les pasteurs de la Judée vinrent le contempler après sa naissance (2). C'est lui, le Seigneur notre Dieu, qui a choisi dans la Judée des pasteurs, c'est-à-dire ses Apôtres, afin de recueillir par eux les pécheurs de la gentilité pour les sauver.

1. Matt. XI, 1-11. — 2. Luc, II, 8-20.

 

 

 

SERMON CC. POUR L'ÉPIPHANIE. II. GRANDEUR DU CHRIST.

ANALYSE. — Tout ici proclame la grandeur du Christ. C'est d'abord l'adoration des Mages et l'apparition de l'étoile miraculeuse; c'est en second lieu la frayeur d'Hérode qui tremble sur son trône, au lieu que plus sages aujourd'hui les rois de la terre sont devenus les serviteurs du Christ ; c'est en troisième lieu le témoignage que les Juifs rendent au Messie, quoiqu'ils condamnent pu là leur propre conduite ; c'est enfin l'union que Jésus commence à former, en se les attachant, entre les Juifs fidèles et les gentils qui se convertissent.

1. Des Mages sont venus d'Orient pour adorer l'Enfant de la Vierge. Voilà le motif de la tête d'aujourd'hui, voilà pourquoi cette solennité et ce discours, qui sont pour nous une

dette. Les Mages virent d'abord ce jour; devant nous il est ramené chaque année par la fête. Ils étaient les premiers de la gentilité; nous en sommes le peuple. Nous avons été (182) instruits par la langue des Apôtres; ils le furent, eux, par une étoile, interprète du ciel. Les mêmes Apôtres, comme s'ils eussent été le ciel, nous ont raconté la gloire de Dieu (1). Pourquoi d'ailleurs ne verrions-nous pas en eux le ciel, puisqu'ils sont devenus le trône de Dieu, conformément à ces paroles de l'Ecriture : " L'âme du juste est le siège de la sagesse (2)?" N'est-ce point dans ce ciel que Celui qui a créé et qui habite le ciel, a fait retentir son tonnerre et trembler l'univers entier, lequel maintenant est croyant?

O mystère étonnant ! Il était couché dans une crèche, et d'Orient il amenait les Mages; il était caché au fond d'une étable, et proclamé du haut du ciel, afin qu'ainsi proclamé dans le ciel on le reconnût dans l'étable, ce qui a fait donner à ce jour le none d'Epiphanie, c'est-à-dire manifestation. Ainsi mettait-il en relief et sa grandeur et son humilité; car si les astres le révélaient au loin dans le ciel, il fallait le chercher pour le trouver dans un étroit réduit; et s'il était faible dans ce petit corps et enveloppé des langes de l'enfance, il n'en était pas moins adoré par les Mages et redouté des méchants.

2. Car Hérode le redouta lorsqu'il eut entendu les Mages, encore à la recherche de ce petit Enfant dont le ciel leur avait attesté la naissance. Eh ! que sera son tribunal quand il viendra nous juger, puisque des rois superbes ont ainsi tremblé devant le berceau de son enfance muette? Que les rois aujourd'hui sont bien mieux inspirés, puisqu'au lieu de chercher, comme Hérode, à le mettre à mort, ils sont heureux de l'adorer comme les Mages; maintenant surtout qu'en subissant pour ses ennemis et de la part de ses ennemis la mort dont nous menaçait l'ennemi, il l'a étouffée dans son propre corps ! Toutefois, si un roi impie a tremblé devant lui quand il prenait encore le sein de sa Mère; maintenant qu'il siège à la droite de son Père, que les rois aient pour lui une crainte pieuse. Qu'ils écoutent ces paroles : " Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, vous qui jugez la terre; servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec frayeur (3) ". En effet ce grand Roi qui châtie les rois impies et qui dirige les rois pieux, n'est pas né comme naissent les rois de la terre, attendu que la

1. Ps. XVIII, 1. — 2. Sag. VII. — 3. Ps. II, 10, 11.

couronne ne lui vient pas de ce inonde. Sa grandeur se manifeste dès sa naissance dans la virginité de sa Mère, comme la grandeur de sa Mère éclate dans la divinité de son Fils. Si donc de tant de rois qui sont nés et qui sont morts parmi les Juifs, il n'en est aucun autre que des Mages aient cherché pour l'adorer, c'est qu'il n'en est aucun autre que leur ait fait connaître le langage des cieux.

3. N'oublions pas toutefois combien ce rayonnement de la vérité dans l'esprit des Mages fait ressortir l'aveuglement des Juifs. Les premiers venaient voir le Messie dans le pays de ceux-ci, et ceux-ci ne l'y voyaient point. Ils le trouvèrent parmi eux sous la forme d'un enfant sans parole, et eux le renièrent quand il enseignait en leur présence. Accourus de loin, des étrangers adorèrent parmi eux le Christ dans un enfant quine disait .rien encore ; et eux, ses concitoyens, le crucifièrent dans la vigueur de l'âge et lors qu'il faisait des miracles. Les uns le reconnurent pour leur Dieu malgré la faiblesse de ses membres, et les autres n'épargnèrent pas même son humanité, malgré la puissance de ses oeuvres. Mais devait-on être plus frappé de voir une étoile nouvelle briller au moment de sa naissance, que de voir le soleil s'obscurcir au moment de sa mort?

Il est vrai, l'étoile qui conduisit les Mages à l'endroit même où était le Dieu-Enfant avec la Vierge sa Mère, et qui pouvait également les conduire jusqu'à la ville où il était né, disparut tout à coup et ne se montra plus i eux pour le moment. Ils durent interroger les Juifs sur le nom de la cité où devait naître le Christ, leur demander ce que disaient sur ce point les divines Ecritures ; et les Juifs durent répondre : " A Bethléem de Juda; car voici ce qui est écrit : Et toi, Bethléem, terre de Juda tu n'es pas la moindre des principales villes de Juda, puisque de toi sortira le Chef qui conduira mon peuple d'Israël (1) ". La divine Providence ne voulait-elle pas nous montrer par là que les Juifs ne conserveraient plus que les saints livres, pour éclairer les Gentils et s'aveugler eux-mêmes; et qu'ils les porte. raient dans le monde, non point comme un moyen de salut pour eux, mais comme un témoignage du salut qui nous serait accordé? Aussi, quand aujourd'hui nous citons les

1. Matt. II, 1-6.

antiques prophéties relatives au Christ et dont les événements accomplis ont fait éclater la lumière, s'il arrive aux païens que nous voulons gagner de nous objecter qu'elles ne sont pas si anciennes, que nous les avons fabriquées après coup pour donner aux faits l'air d'avoir été prédits; nous ouvrons, pour dissiper ce doute, les exemplaires juifs. Ainsi les païens sont figurés par ces Mages à qui les Juifs faisaient connaître d'après l'Ecriture la ville où était né le Christ, sans qu'eux-mêmes se missent en peine soit de le rechercher, soit de le reconnaître.

4. Maintenant donc, mes bien-aimés, enfants et héritiers de la grâce, réfléchissez à votre vocation, et puisque le Christ a été révélé aux Juifs et aux Gentils comme étant la pierre angulaire, attachez-vous à lui avec un amour dont rien ne dompte la persévérance. Oui, dès le berceau où reposait son enfance, ceux qui étaient près et ceux qui étaient loin l'ont également connu; les Juifs qui étaient près, dans la personne des bergers, et les Gentils qui étaient loin, dans la personne des Mages. Les uns sont venus à lui le jour même de sa naissance, et les autres aujourd'hui, d'après ce que l'on croit. S'il s'est manifesté aux premiers, ce n'est point parce qu'ils étaient savants; aux seconds, ce n'est point parce qu'ils étaient justes. L'ignorance n'est-elle pas le caractère de ces pasteurs des champs, et l'impiété, la marque de ces Mages sacrilèges ? Les uns comme les autres, toutefois, ont été attirés par la pierre angulaire; car elle est venue choisir ce qu'il y a d'insensé dans le monde pour confondre les sages (1), appeler les pécheurs et non les justes (2), afin que personne n'eût à s'enorgueillir de sa grandeur ni à désespérer de sa bassesse. Aussi n'est-il pas étonnant que les Scribes et les Pharisiens, pour se croire trop savants et trop justes, l'aient rejetée de leur édifice après avoir montré, par la lecture des oracles prophétiques, la ville où il venait de naître. Il n'en est pas moins devenu la première pierre de l'angle (3), accomplissant par sa Passion ce qu'il avait indiqué à sa naissance; et pour ce motif attachons-nous à lui avec ce mur où je vois les restes d'Israël qui doivent leur salut au choix de la grâce (4). Car ces Israélites, qui n'avaient pas à venir de loin pour se lier à la pierre angulaire, étaient figurés par les bergers, comme nous, qui avons été appelés de si loin, l'étions par les Mages, pour n'être plus des hôtes et des étrangers, mais pour être des concitoyens des saints, pour faire partie de la maison de Dieu, pour être bâtis ensemble sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, pour avoir comme principale pierre angulaire Jésus-Christ même; lui qui a réuni les deux en un (5), afin de nous faire aimer l'unité dans sa personne, afin aussi de nous inspirer une ardeur infatigable à recueillir les rameaux qui, après avoir été greffés sur l'olivier franc en ont été détachés par l'orgueil pour s'attacher à l'hérésie, et que Dieu est assez puissant pour greffer de nouveau (6).

1. I Cor. I, 27. — 2. Matt. IX, 13. — 3. Ps. CXVII, 22. — 4. Rom. XI, 5. — 5. Ephés. II, 11-22. — 6. Rom. XI, 17-24.

 

 

CHAPITRE CCI. POUR L'ÉPIPHANIE. III. LE MESSIE GLORIFIÉ.

184

ANALYSE. — Nous célébrons l'Epiphanie à aussi juste titre que la Nativité, car cette fête nous montré le Christ glorifié premièrement par l'apparition de l'étoile merveilleuse ; secondement par les adorations qu'il reçoit des Mages ; troisièmement par le titre de Roi des Juifs qu'ils lui donnent comme plus tard le lui donnera Pilate et comme pour faire une allusion future à celle prophétie du Sauveur : " Les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres "; quatrièmement enfin par le témoignage que les prêtres de Jérusalem rendent au Christ en présence des Mages, témoignage qui prélude au témoignage qu'ils doivent lui rends dans tout l'univers où ils seront dispersés.

1. Il y a quelque jours seulement nous célébrions la naissance du,Seigneur ; nous célébrons aujourd'hui, à aussi juste titre, le jour solennel où il commença à se révéler aux Gentils. Des bergers juifs l'autre jour le contemplèrent aussitôt qu'il fut né; des ?Mages venus d'Orient l'adorent aujourd'hui. C'est qu'en naissant il était déjà cette pierre angulaire sur laquelle devaient reposer les deux murailles de la circoncision et de l'incirconcision , accourant vers lui de directions fort opposées afin de s'unir en lui, en lui devenu notre paix pour n'avoir fait qu'un peuple des deux (1). C'est ce qu'ont figuré les bergers parmi les Juifs, et les Mages parmi les Gentils; en eux a commencé ce qui devait se développer et s'étendre dans l'univers entier. Ainsi donc célébrons avec une joie vive et toute spirituelle ces deux jours de la nativité et de la manifestation de Notre-Seigneur.

C'est à la voix d'un ange que les bergers juifs accoururent à lui, et les Mages de la gentilité à l'indication d'une étoile. Cette étoile couvre de confusion les vains calculs et les conjectures des astrologues, puisqu'elle conduit les adorateurs des astres à adorer plutôt le Créateur du ciel et de la terre. C'est lui en effet qui fit briller en naissant cette étoile nouvelle, comme il obscurcit en mourant le soleil déjà si ancien. A cette lumière commença la foi des Gentils, comme à ces ténèbres s'accusa la perfidie des Juifs. Qu'était-ce donc que cette étoile que jamais auparavant on n'avait aperçue parmi les astres, et qu'on ne put plus signaler

1. Ephés. II, 11-22.

ensuite? Qu'était-elle, sinon le langage magnifique du ciel racontant la gloire de Dieu, oubliant, par son éclat tout nouveau, l'enfante ment nouveau d'une Vierge et préludant à l'Evangile qui devait la remplacer dans l'univers entier quand elle aurait disparu?

Qu'est-ce aussi que dirent les Mages en arrivant ? " Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? " Quoi ! n'était-il pas né auparavant bien des rois des Juifs ? Comment se fait-il que des étrangers désirent avec tant d'ardeur connaître et adorer Celui-ci ? " Nous avons vu, disent-ils, son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer (1) ". Le chercheraient-ils avec tant d'ardeur, désireraient-ils l'adorer avec une piété si affectueuse, si dans ce Roi des Juifs ils ne voyaient en même temps le Roi des siècles ?

2. Aussi Pilate avait-il reçu comme un souffle de vérité, quand au jour de sa Passion il écrivit ainsi son titre : " Roi des Juifs ", titre que les Juifs s'efforcèrent de corriger au lieu de se corriger eux-mêmes. " Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit " , leur répondit Pilate (2) ; car il avait été dit, dans un psaume prophétique: " Ne change rien aux mots écrits du titre (3) ". Mais étudions ce grand et merveilleux mystère.

Les Mages étaient des gentils, et Pilate également gentil : les premiers virent l'étoile dans le ciel, le second grava le titre sur la croix; mais tous cherchaient ou reconnaissaient dans Jésus, non pas le Roi des Gentils, mais le Roi des Juifs. Quant aux Juifs mêmes on ne les vit ni suivre l'étoile, ni adopter le titre. Ah ! c'était l'emblème

1. Matt. II, 2. — 2. Jean, XIX, 19, 22. — 3. Ps. I, VI, 1.

185

de ce que devait dire plus tard le Seigneur en personne : " Beaucoup viendront d'Orient et d'Occident et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux; tandis que les enfants du royaume s'en iront dans les ténèbres extérieures (1) ". Les Mages effectivement vinrent d'Orient et Pilate d'Occident; voilà pourquoi les uns rendirent témoignage au Roi des Juifs à son lever, c'est-à-dire à sa naissance; et l'autre à son coucher, c'est-à-dire à sa mort ; afin de prendre place au festin du Royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, dont les Juifs étaient issus, et sur lesquels ils étaient eux-mêmes entés par la foi sans en descendre par la chair: c'était donc déjà l'emblème du sauvageon dont parle l'Apôtre, qui devait se greffer sur l'olivier franc (2). Si donc ces Gentils ne cherchaient ni n'adoraient le Roi des Gentils mais le Roi des Juifs, c'est que le sauvageon devait être greffé sur l'olivier et non l'olivier sur le sauvageon. De plus, lorsque les Mages demandèrent où devait naître le Christ, les rameaux qui devaient être rompus, les Juifs infidèles répondirent : " A Bethléem de Juda (3) " ; et quand Pilate leur reprocha de vouloir faire crucifier leur Roi, leur animosité contre lui se montra de plus en plus opiniâtre. Si donc les Mages durent aux Juifs, qui leur firent connaître le lieu de la naissance du Christ, de pouvoir l'adorer; c'est que l'Ecriture, confiée d'abord aux Juifs, nous le révèle à nous-mêmes ; et si Pilate, le représentant des Gentils, se lava les mains pendant que les Juifs demandaient la mort du Sauveur (4), c'est que le sang versé par eux nous sert pour nous purifier de nos péchés. Mais nous traiterons ailleurs, au temps même de la Passion, du témoignage que rendit Pilate en écrivant au haut de la croix que Jésus était le Roi des Juifs.

3. Achevons ce que nous avons encore à dire de la manifestation,ou, comme parlent les Grecs, de l'Epiphanie du Sauveur, lorsque après sa naissance il commença à se révéler aux Gentils et qu'il reçut les adorations des Mages. Nous ne saurions nous lasser de considérer comment les Juifs répondirent aux questions des Mages sur

1. Matt. VIII, 11, 12. — 2. Rom, XI, 24. — 4. Matt. II, 5. — 5. Ib. XXVII, 24.

le lieu où devait naître le Christ, lorsqu'ils leur dirent que c'était " à Bethléem de Juda ", sans néanmoins venir eux-mêmes vers lui; comment encore l'étoile reparut, quand les Mages eurent quitté les Juifs, et les conduisit jusqu'au lieu où était l'Enfant divin: n'était-ce pas faire entendre clairement qu'elle pouvait aussi bien leur indiquer la ville de Bethléem, et que si elle disparut un moment c'était pour les porter à s'adresser aux Juifs ? Si donc les Juifs furent interrogés, c'était pour enseigner qu'ils étaient dépositaires des divins oracles, moins pour leur propre salut que pour le salut et l'instruction des Gentils; et si ce peuple reste expulsé de son pays et dispersé dans le monde, c'est pour le forcer de rendre témoignage à la foi même dont il est l'ennemi. Sans temple, sans . sacrifice, sans sacerdoce, sans empire, quelques rites anciens lui suffisent pour maintenir son nom et sa nationalité, l'empêchent de disparaître en se confondant complètement avec les peuples parmi lesquels il est répandu, et de perdre le témoignage qu'il rend à la vérité. C'est Caïn recevant au front un signe qui empêche de le mettre à mort, quoique par orgueil et par envie il ait donné la mort au juste, son frère (1).

On peut, avec quelque vraisemblance, interpréter dans ce sens un passage du psaume cinquante-huitième, où le Christ dit au nom de son corps mystique : " Mon Dieu m'a dit, au sujet de mes ennemis : Ne les fais pas mourir, dans la crainte qu'on n'oublie un jour ta loi (2)". Ces ennemis de la foi chrétienne ne montrent-ils pas aux Gentils comment le Christ a été prédit? et envoyant avec quel éclat sont accomplies les prophéties, n'aurait-on pas été porté à croire qu'elles avaient été, après coup, fabriquées par les chrétiens ? Mais quand les Juifs déploient leurs exemplaires, c'est Dieu qui nous éclaire par le moyen de nos ennemis. En ne les mettant point à mort, en ne les faisant point disparaître complètement du globe, il préserve sa loi de l'oubli ; et quand les Juifs la lisent, quand ils en observent quelques points, d'une façon même purement charnelle, ne dirait-on pas qu'ils y cherchent leur condamnation et notre justification ?

1. Gen. IV, 1-15. — 2. Ps. LVIII, 12.

 

 

SERMON CII. POUR L'ÉPIPHANIE. IV. UNITÉ DE L'ÉGLISE.

ANALYSE. — C'est aujourd'hui que, représentants de la Gentilité, les Mages viennent, après les bergers juifs, s'unir à Jésus-Christ et fonder ainsi l'unité de l’Eglise. Aussi les Donatistes ne veulent pas de cette fête. C'est pourtant aujourd'hui que le Sauveur enlève glorieusement les dépouilles de Damas et de Samarie. — S'il semble donner des marques de faiblesse, c'est pour nous enseigner l'humilité ; et s'il veut que les Mages interrogent les Juifs et retournent par un autre chemin, c'est pour nous rappeler la docilité à sa parole, ainsi que l'esprit de pénitence nécessaire aux vrais membres de son Eglise.

1. Quelle joie nous apporte, dans l'univers entier, la solennité de ce jour? Que nous rappelle le retour de cet anniversaire ? L'époque où nous sommes demande que je l'expose par ce discours, qui revient également chaque année.

Le mot grec Epiphanie peut se rendre dans notre langue par celui de manifestation. C'est à pareil jour en effet, croit-on, que les Mages sont venus adorer le Seigneur, avertis par l'apparition d'une étoile et conduits par sa marche. Le jour même de la nativité ils virent cette étoile en Orient et comprirent de qui elle annonçait l'avènement. A dater de ce jour jusqu'à celui-ci ils franchirent la distance, effrayèrent Hérode par la nouvelle qu'ils lui apprirent; et lorsque les Juifs interrogés par eux leur eurent répondu, d'après les prophéties de l'Écriture, ils surent que le Seigneur était né dans la ville de Bethléem. Conduits ensuite par la même étoile, ils arrivèrent près du Seigneur lui-même, après l'avoir reconnu ils l'adorèrent, lui offrirent de l'or, de l'encens et de la myrrhe, puis retournèrent par un autre chemin (1). Il est vrai, le jour même de sa naissance il se manifesta aux bergers qu'il fit avertir par un ange; le même jour encore il se fit annoncer, par l'étoile, au loin, en Orient, aux Mages; mais c'est aujourd'hui seulement qu'il a été adoré par eux. Si donc toute l'Église des Gentils a voulu célébrer ce jour avec une grande dévotion, n'est-ce point parce que les Mages étaient les prémices de la gentilité ? Les bergers étaient Israélites, les Mages Gentils; les premiers étaient près, les seconds éloignés;

1. Matt. IX, 1-12.

mais les uns comme les autres accoururent se joindre à la même pierre angulaire. " Ainsi en venant il a annoncé la paix, comme dit l'Apôtre, et à nous qui étions loin, et à ceux qui étaient près. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux en a fait un, lui qui les a établis tous deux en lui, pour fonder sur l'unité l'homme nouveau, pour mettre la paix; de plus il a changé ces deux peuples réunis en un seul corps, en les réconciliant avec Dieu et en détruisant leurs inimitiés dans sa propre personne (1) ".

2. On comprend pourquoi les Donatistes n'ont jamais voulu célébrer avec nous cette fête : ils n'aiment pas l'unité et ne sont pas en communion avec l'Église d'Orient, où se montra cette étoile. Pour nous, au contraire, honorons en demeurant dans l'unité catholique, ce jour où se révéla notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et où il recueillit en quelque sorte les prémices de la gentilité . N'est-ce pas alors que, selon l'oracle d'un prophète, avant de pouvoir bégayer encore les noms de son père et de sa mère (1) ; en d'autres termes, avant de pouvoir, comme fils de l'homme, articuler aucune parole humaine, il s'empara des dépouilles de Samarie et de la puissance de Damas, de ce qui faisait la gloire de cette ville? Jouissant, à une certaine époque, de ce que le monde appelle prospérité, Damas s'était enorgueillie de ses richesses. Mais les richesses sont représentées par l'or principalement, et les Mages offrirent avec humilité de l'or au Christ.

Quant aux dépouilles de Samarie, il faut entendre par là ceux qui l'habitaient; car

1. Ephés. II, 11-22. — 2. Isaïe, VIII, 4.

187

Samarie est ici l'emblème de l'idolâtrie, à laquelle s'était livré dans ses murs le peuple d'Israël en se séparant du Seigneur. Avant. donc de marcher, avec le glaive spirituel, contre le royaume du démon établi par tout l'univers, le Christ encore enfant enleva à sa domination ces premières dépouilles de l'idolâtrie; détachant les Mages de cette superstition contagieuse après les avoir déterminés à l'adorer lui-même; leur parlant du haut du ciel par le moyen d'une étoile, avant de parler sur la terre par l'organe humain de la pensée; leur apprenant en même temps, non par la bouche, mais par l'impression du Verbe fait chair, qui il était, dans quelle région et en faveur de qui il était venu au monde. Car ce même Verbe qui dès le commencement était Dieu en Dieu et qui venait de se faire chair pour habiter parmi nous, était en même temps près de nous et dans le sein de son Père, ne quittant point les anges dans le ciel, et sur la terre nous attirant à lui par le moyen des anges; faisant, par son Verbe, briller l'immuable vérité aux peux des habitants des cieux, et obligé, par l'étroitesse de l'étable, de demeurer couché dans une crèche; montrant dans le ciel une étoile nouvelle, et se présentant lui-même aux adorations de la terre.

Et néanmoins cet Enfant si puissant, ce Petit si grand, s'enfuit en Egypte porté sur les bras de ses parents, pour échapper à l'inimitié d'Hérode. Ainsi disait-il à ses membres, non par ses paroles, mais par ses actions et en gardant le silence : " Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre (1) ". Pour nous servir en effet de modèle, ne s'était-il point revêtu d'une chair mortelle, d'une chair où il devait souffrir pour nous la mort au temps convenable ? Aussi les Mages lui avaient-ils offert, non-seulement de l'or pour l'honorer et de l'encens pour l'adorer, mais encore de la myrrhe pour témoigner qu'on devait l'ensevelir un jour..Il fit voir aussi, dans la personne ès petits enfants mis à mort par Hérode, ce que devaient être, quelle innocence et. quelle humilité devaient avoir ceux qui mourraient pour sa gloire. Car les deux ans qu'ils avaient rappellent les deux commandements qui comprennent toute la Loi et les Prophètes (2).

3. Mais qui ne se demande avec surprise pourquoi les Juifs, questionnés par les Mages,

1. Matt. X, 23. — 2. Matt. XXII, 37-40.

leur firent connaître d'après l'Ecriture en quel lieu devait naître le Christ, sans aller l'adorer avec eux? Ce phénomène ne se reproduit-il pas encore aujourd'hui sous nos yeux, puisque les pratiques religieuses auxquelles se soumettent ces coeurs durs ne prêchent que le Christ en qui ils refusent de croire ? Quand aussi ils immolent et mangent l'Agneau pascal (1), ne montrent-ils pas le Christ.aux Gentils, sans pourtant l'adorer avec eux ? Et quand rencontrant des hommes qui se demandent si les passages des Prophètes relatifs au Christ n'ont pas été composés après coup par des chrétiens, nous les renvoyons aux exemplaires que les Juifs ont en main, afin de dissiper leur doute ; alors encore n'est-ce pas les Juifs qui montrent le Christ aux Gentils sans vouloir l'adorer avec eux ?

4. Pour nous, mes biens-aimés, dont les Mages étaient comme les prémices ; pour nous qui sommes l'héritage de Jésus-Christ jus qu'aux extrémités de la terre ; pour nous en faveur de qui une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des Gentils (2) ; pour nous qui connaissons notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et qui savons qu'afin de nous consoler il a été jeté dans un étroit réduit et qu'il trône au ciel pour nous élever jusqu'à lui ; ayons soin, en le prêchant sur cette terre, dans ce pays où vit notre corps, de ne pas repasser par où nous sommes venus, de ne pas reprendre les traces de notre première vie. Voilà pourquoi les Mages ne retournèrent point par le chemin qui les avait amenés. Changer de chemin, c'est changer de vie. A nous aussi les cieux ont raconté la gloire de Dieu (3) ; nous aussi nous avons été amenés à adorer le Christ par la vérité qui brille dans l'Evangile, comme brillait l'étoile dans le ciel ; nous aussi nous avons prêté une oreille docile aux prophéties publiées par les Juifs, au témoignage rendu par ces Juifs qui ne marchent pas avec nous ; nous aussi nous avons vu dans le Christ notre Roi, notre Pontife et la victime immolée pour nous, et nos louanges ont été pour lui comme une offrande d'or, d'encens et de myrrhe: il ne nous reste donc plus qu'à suivre un chemin nouveau, pour publier sa gloire, qu'à ne retourner point par où nous sommes venus.

1. Exod. XII, 9. — 2. Rom. XI, 25. — 3. Ps. XVIII, 2.

 

 

SERMON CCIII. POUR L’ÉPIPHANIE. V. L’HUMILITÉ.

188

ANALYSE. — C'est à pareil jour que les Gentils ont commencé à devenir chrétiens. Si les Juifs ont eu le privilège d'avoir été appelés les premiers à cette grâce, les Gentils semblent, d'après l’Ecriture, y avoir apporté une humilité plus profonde, et la douze jours qui se sont écoulés entre la naissance du Sauveur et l'adoration des Mages, paraissent désigner que les Gentils devaient se convertir dans le monde entier.

1. Le mot Epiphanie, qui vient du grec, peut se traduire par manifestation. C'est donc pour s'être aujourd'hui manifesté aux Gentils que le Rédempteur de tous les Gentils a établi cette fête pour la Gentilité tout entière ; et après avoir, il y a quelques jours, célébré sa naissance, nous célébrons aujourd'hui sa manifestation. Né il y à treize jours, Jésus-Christ Notre-Seigneur à été aujourd'hui même, dit la tradition, adoré par les Mages. L'adoration a eu lieu, nous en avons pour garant la vérité évangélique ; quel jour a-t-elle eu lieu ? Une fête aussi solennelle le proclame partout avec autorité. Puisque les Mages ont connu, les premiers d'entre les Gentils, Jésus-Christ Notre-Seigneur; puisque, sans avoir encore entendu sa parole, ils ont suivi l'étoile qui leur a apparu (1), et dont l'éloquence céleste et visible leur a tenu lieu de la parole du Verbe encore enfant; ne semblait-il pas, n'était-il pas véritablement juste que les Gentils vissent avec reconnaissance le jour où fut accordée la grâce du salut aux premiers d'entre eux, et qu'ils le consacrassent à Notre-Seigneur Jésus-Christ pour le remercier et le servir solennellement? Les premiers d'entre les Juifs qui furent appelés à la foi et à la connaissance du Christ, sont ces pasteurs qui le jour même de sa naissance vinrent de près le contempler. Ils y furent invités par les Anges, comme les Mages par une étoile. Il leur fut dit : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux (2)" ; et pour les Mages s'accomplit cet oracle : " Les cieux racontent la gloire de Dieu (3) ". Les uns et les autres, toutefois, furent comme les premières pierres de ces deux murs de direction différente, la

1. Matt. II, 1-12. — 2. Luc, II, 14. — 3. Ps. XVIII, 2.

circoncision et l'incirconcision ; ils coururent se réunir à la pierre angulaire, afin d'y trouver la paix et de se confondre dans l'unité (1).

Cependant les premiers louèrent Dieu de ce qu'ils avaient vu le Christ, et non contents d'avoir vu le Christ les seconds l'adorèrent, Les uns furent appelés les premiers à la grâce, les autres montrèrent une humilité plus pro. fonde. Ne dirait-on pas que moins coupables les bergers ressentaient une joie plus vive du salut qui leur venait du ciel, tandis que plus chargés de crimes les Mages imploraient plus humblement le pardon? Aussi les divines Ecritures montrent-elles dans les Gentils plus d'humilité que dans les Juifs. N'était-il pas gentil ce centurion qui après avoir fait au Seigneur un accueil si cordial, se proclama indigne de le recevoir dans sa demeure, ne voulut pas qu'il y vînt voir son serviteur malade, mais seulement qu'il décrétât sa guérison (2) , le retenant ainsi dans son coeur, quand pour l'honorer davantage il l'éloignait de sa demeure? Aussi le Seigneur s'écria-t-il: " Je n'ai pas découvert une telle foi en Israël ". N'était-elle pas une gentille aussi, cette Chananéenne qui après avoir entendu le Seigneur la traiter de chienne, et déclarer qu'elle n'était pas digne qu'on lui jetât le pain des enfants, ne laissa pas de demander les miettes qu'on ne refuse pas à une chienne, méritant ainsi de n'être plus ce qu'elle ne nia point avoir été? Elle aussi entendit le Seigneur s'écrier " O femme, que ta foi est grande (3) " Oui, parce qu'elle s'était rapetissée elle-même, l'humilité avait agrandi sa foi.

1. Ephés. II, 11-22. — 2. Matt. VIII, 5-10. — 3. Ib. XV, 21-28.

3. Ainsi donc les bergers viennent de près voir le Christ, et les Mages viennent de loin l'adorer. Cette humilité a mérité au sauvageon d'être greffé sur l'olivier franc et, contre sa nature, de produire des olives véritables (1); la grâce changeant ainsi la nature. Le monde entier était couvert de ces sauvageons amers; et une fois greffé par la grâce le monde entier s'est adouci et éclairé. Des extrémités de la terre accourent des hommes qui disent avec Jérémie: " Il n'est que trop vrai, nos pères ont adoré le mensonge (2) ". Et ils viennent, non pas d'un côté seulement, mais comme l'enseigne l'Evangile de saint Luc, " de l'Orient cet de l'Occident, du Nord et du Midi ", pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux (3).

Ainsi c'est des quatre points cardinaux que à grâce de la Trinité appelle à la foi l'univers entier. Or ce nombre quatre multiplié par unis, est le nombre sacré des douze Apôtres, lesquels paraissaient figurer ainsi que le salut serait accordé aux quatre parties du monde

1. Rom. XI, 17. — 2. Jér. XVI, 19. — 3. Luc, XIII, 29.

par la grâce de l'auguste Trinité. Ce nombre était marqué aussi par cette nappe immense que saint Pierre aperçut remplie de toutes sortes d'animaux (1), représentant tous les Gentils. Suspendue aux quatre coins elle fut à trois reprises descendue du ciel puis remontée : trois fois quatre font douze. Ne serait-ce pas pour ce motif que durant les douze jours qui suivirent la naissance du Seigneur, les Mages, les prémices de la Gentilité, furent en marche pour aller voir et adorer le Christ, et méritèrent d'être sauvés eux-mêmes ainsi que d'être le type du salut de tous les Gentils ?

Ah ! célébrons donc ce jour encore avec la plus ardente dévotion ; si nos pères dans la foi ont adoré le Seigneur Jésus couché dans un humble réduit, nous aussi adorons-le maintenant qu'il habite au ciel. Car cette gloire que les Mages saluaient dans l'avenir, nous la voyons dans le présent. Les prémices des Gentils adoraient l'Enfant attaché au sein de sa Mère; les Gentils adorent aujourd'hui le Triomphateur siégeant à la droite de Dieu son Père.

1. Act. X, 11.

 

 

 

 

SERMON CCIV. POUR L’ÉPIPHANIE. VI. LA PIERRE ANGULAIRE.

ANALYSE . — Déjà le jour même de Noël les Juifs s'étaient attachés au Sauveur; c'est aujourd'hui le tour des Gentils, représentés par les Mages. Ainsi s'accomplit la prophétie qui montre Jésus-Christ comme la pierre angulaire où viennent s'unir les Juifs et les Gentils. S'il est dit que les Juifs ont rejeté cette pierre, c'est qu'il y avait au sein de ce peuple deux partis figurés par le patriarche Jacob, que l'Ecriture nous représente comme étant à la fois boîteux et comblé des bénédictions divines.

1. Nous célébrions, il y a quelques jours, la naissance du Seigneur ; nous célébrons aujourd'hui son Epiphanie, expression d'étymologie grecque qui signifie manifestation, et qui rappelle ces mots de l'Apôtre : " Il est grand sans aucun doute le mystère de piété qui s'est manifesté dans la chair (1) ". Il y a donc deux jours où le. Christ s'est manifesté.

Dans l'un il a quitté, comme homme, le sein de sa Mère, lui qui est éternellement, comme Dieu, dans le sein de son Père. C'est à la chair qu'il s'est montré alors, puisque la chair ne pouvait le voir dans sa nature spirituelle. Au jour donc de sa naissance il a été contemplé par, des bergers de la Judée ; et aujourd'hui, le jour de son Epiphanie ou de sa manifestation, il a été adoré par des Mages de la Gentilité. Aux uns il fut annoncé par des anges, aux

1. I Tim. III, 16.

190

autres par une étoile; et comme les anges habitent le ciel et que les astres en sont l'ornement, on peut dire qu'aux bergers et aux Mages les cieux ont raconté la gloire de Dieu.

2. C'est que pour les uns et les autres venait d'apparaître la pierre angulaire, " afin de fonder sur elle, comme s'exprime l'Apôtre, les deux peuples dans l'unité de l'homme nouveau, d'établir la paix, de les changer tous deux en les réconciliant avec Dieu par le mérite de la croix, pour en former un seul corps ".. Qu'est-ce en effet qu'un angle, sinon ce qui sert à lier deux murs qui viennent de directions différentes et qui se donnent là comme le baiser de paix ? La circoncision et l'incirconcision; en d'autres termes, les Juifs et les Gentils étaient ennemis entre eux, à cause de la diversité, de l'opposition même qu'établissaient, d'une part le culte du seul vrai Dieu, et d'autre part le culte d'une multitude de faux dieux. Ainsi les uns étaient rapprochés, les autres éloignés de lui; mais il a attiré à lui les uns comme les autres " en les réconciliant avec Dieu pour former un seul corps, détruisant en lui-même leurs inimitiés,comme ajoute immédiatement l'Apôtre. Il a aussi, en venant, annoncé la paix et à vous qui étiez éloignés, et à ceux qui étaient près de lui ; car c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres auprès du Père dans un même Esprit (1) ".

N'est-ce pas mettre en quelque sorte sous nos yeux ces deux murs qui partent de points opposés et ennemis; puis cette pierre angulaire, Jésus Notre-Seigneur, auquel se rattachent les deux ennemis et en qui ils font la paix? Je veux parler ici des Juifs et des Gentils qui ont cru en lui et à qui il semble qu'on ait dit : Et vous qui êtes près, et vous qui êtes loin, " approchez de lui, et soyez éclairés , et vous n'aurez point la face couverte de confusion ". Il est écrit d'ailleurs : " Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse; et quiconque aura foi en elle ne sera point confondu (3) ". Les coeurs dociles et soumis sont venus des deux côtés, ils ont fait la paix et mis fin à leurs inimitiés; les bergers et les Mages ont été comme les prémices de ce mouvement. C'est en eux que le boeuf a commencé à connaître son maître et l'âne l'étable de son Seigneur (4). Celui de ces

1. Ephés. XI, 11-22. — 2. Ps. XXXIII, 6. — 3. I Pierre, II, 6. — 4. Isaïe, I, 3.

deux animaux. qui a des cornes représente les Juifs, à cause des deux branches de la croix qu'ils ont préparée au Sauveur; et celui qui a de longues oreilles rappelle les Gentils desquels une prophétie disait : " Le peuple que je ne connaissais point m'a obéi, il m'a prêté une oreille docile (1) ". Quant au Maitre du boeuf et de l'âne, il était couché dans la crèche et semblait servir aux deux animaux une même nourriture. C'était donc la paix et pour ceux qui étaient loin et pour ceux qui étaient près. Aussi les bergers d'Israël, qui étaient tout près, se présentèrent au Christ le jour même de sa naissance, ils le virent et tressaillirent de bonheur ce jour-là. Plus éloignés, les Mages de la Gentilité n'arrivèrent à lui qu'aujourd'hui, plusieurs jours après sa naissance ; aujourd'hui seulement ils le virent et l'adorèrent. Ne devions-nous donc pas, nous qui sommes l'Eglise recrutée parmi les Gentils, célébrer solennellement ce jour où la Christ s'est manifesté aux prémices de la Gentilité, comme nous célébrons solennellement aussi cet autre jour où il est né parmi les Juifs, et consacrer par une double fête la mémoire de si imposants mystères?

3. Quand on se rappelle ces deux murailles de la Judée et de la Gentilité qui viennent s'unir à la pierre angulaire pour y conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (2), on ne doit pas s'étonner de voir le grand nombre des Juifs réprouvés. Parmi eux étaient des architectes, c'est-à-dire des hommes qui prétendaient être docteurs de la loi; mais, comme s'exprime l'Apôtre, " ils ne comprenaient ni ce qu'ils disaient, ni ce qu'ils affirmaient (3) ", Cet aveuglement d'esprit leur fit rejeter la pierre placée au sommet de l'angle (4); cette pierre, néanmoins, ne serait pas la pierre angulaire si par le ciment de la grâce elle n'unissait dans la paix les deux peuples d'abord opposés. Ne voyez donc point dans la muraille formée par Israël les persécuteurs et les assassins du Christ, ces hommes qui ont renversé la foi sous prétexte d'affermir la loi, qui ont rejeté la pierre angulaire et attiré la ruine de leur infortunée patrie. Ne pensez pas à ces Juifs répandus en si grand nombre dans tout pays pour rendre témoignage aux saints livres qu'ils portent partout sans les comprendre. Ils sont pour ainsi dire la jambe boiteuse de

1. Ps. XVII, 45. — 2. Ephés. IV, 3. — 3. I Tim. I, 7. — 4. Ps. CXVII, 22

Jacob; car ce patriarche eut la jambe blessée et comme paralysée (1), pour figurer d'avance la multitude de ses descendants qui s'écarteraient de ses voies. Voyez au contraire, dans la sainte muraille formée par leur nation pour s'unir à la pierre angulaire, ceux qui représentent la personne génie de Jacob; car Jacob était à la fois boiteux et béni; boiteux pour désigner les réprouvés, béni pour figurer les saints. Voyez donc dans cette sainte muraille la foule qui précédait et qui suivait l'âne monté par le Sauveur, en s'écriant : " Béni Celui qui vient au nom du Seigneur (2) ". Pensez aux disciples choisis parmi ce peuple et devenus les Apôtres. Pensez à Étienne, dont le nom grec signifie couronne et qui reçut le premier, après la Résurrection, la couronne du martyre. Pensez à tant de milliers d'hommes

1. Gen. XXXII, 25. — 2. Matt. XXI, 9.

qui sortirent des rangs des persécuteurs, après la descente du Saint-Esprit, pour devenir des croyants. Pensez à ces églises dont l'Apôtre parle ainsi : " J'étais inconnu de visage aux églises de Judée attachées au Christ. Seulement elles avaient ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire ; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet (1)".

Telle est l'idée qu'il faut se former de la muraille d'Israël pour la rapprocher de cette muraille de la Gentilité qui se voit partout; on comprendra ainsi que ce n'est pas sans raison que les Prophètes ont représenté d'avance Notre-Seigneur comme la pierre angulaire. de l'étable où elle fut posée d'abord, cette pierre s'est élevée jusqu'au haut des cieux.

1. Galat. I, 22-24.

 

 

 

SERMON CCV. POUR LE CARÊME. I. LE CRUCIFIEMENT CHRÉTIEN.

ANALYSE. — Le chrétien doit en tout temps crucifier ses vices et ses convoitises , être attaché à la croix avec Jésus-Christ pour ne tomber pas dans la boue ; mais c'est surtout en carême qu'il doit se crucifier de la sorte. Bonnes oeuvres spéciales et détaillées auxquelles saint Augustin demande qu'on se livre. Indications intéressantes pour la discipline et les moeurs de l'antichrétienne.

1. Voici, aujourd'hui même, le retour solennel des observances quadragésimales, et aujourd'hui encore nous devons, comme chaque année, vous adresser la parole. Nourris ainsi par notre ministère d'un aliment spirituel et divin pendant que vous pratiquerez le jeûne corporel, votre coeur pourra livrer le corps à la mortification extérieure et en supporter le travail avec plus d'énergie.

La piété même ne demande-t-elle pas de nous qu'à la veille de célébrer la Passion et le crucifiement de Notre-Seigneur, nous nous fassions à nous-mêmes une croix pour y attacher les passions charnelles? " Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, dit l'Apôtre, ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises (1) ". Il est vrai que durant tout le cours de cette vie, harcelée par des tentations continuelles, le chrétien doit être constamment attaché à la croix; jamais il n'y a de moment pour arracher les clous dont il est dit dans un psaume: " Que votre crainte enfonce ses clous dans mes chairs (2)". Les chairs sont ici les convoitises charnelles; les clous désignent les préceptes de justice que fait pénétrer en nous la crainte de Dieu, en nous attachant à la croix

1. Gal. V, 24. — 2. Ps. CXVIII, 120.

192

comme une hostie agréable au Seigneur. Aussi le même Apôtre disait-il encore : " Je vous conjure donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu (1) ". Telle est la croix dont le serviteur de Dieu se glorifie, au lieu d'en rougir. " Loin de moi, s'écrie-t-il, de me glorifier, sinon de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde (2)". A cette croix dont nous devons rester attachés, non l'espace de quarante jours, mais toute notre vie : car ce nombre mystérieux de quarante jours la désigne dans toute son étendue; soit parce qu'avant de vivre l'homme est quarante jours, selon l'opinion de plusieurs, à s'organiser dans le sein maternel; soit parce que les quatre Evangiles sont en accord parfait avec les dix préceptes de la loi, et que l'union de ces deux nombres dans le nombre quarante montre que nous avons besoin, durant le cours de cette vie, de l'un et de l'autre Testament; soit enfin pour d'autres raisons meilleures que saura découvrir un esprit plus pénétrant et plus clairvoyant. Aussi Moïse, Elie et le Seigneur lui-même ont jeûné quarante jours. C'était pour nous faire entendre que le but poursuivi par Moïse, par Elie et par Jésus-Christ, c'est-à-dire par la Loi, par les Prophètes et par l'Evangile, est de nous éloigner de l'imitation et de l'amour du siècle, de nous porter à crucifier en nous le vieil homme, sans nous laisser aller aux excès de table et à l'ivrognerie, aux dissolutions et aux impudicités, à l'esprit de contention et à l'envie; de nous déterminer à nous revêtir du Seigneur Jésus-Christ, sans chercher à contenter la chair dans ses convoitises (3).

C'est ainsi qu'il te faut vivre toujours, chrétien ; si tu ne veux point te laisser prendre les pieds dans la boue dont la terre est couverte, garde-toi de descendre de la croix; et si tu dois y rester pendant toute ta vie, à combien plus forte raison durant ce temps de Carême, lequel est non-seulement une partie de la vie, mais le symbole de la vie.

2. En tout autre temps ne laissez appesantir vos coeurs ni par la crapule ni par l'ivresse; mais dans celui-ci pratiquez encore le jeûne. En tout autre temps évitez l'adultère, la fornication et tous les plaisirs défendus; dans celui-ci

1. Rom. XII, 1. — 2. Gal. VI, 14. — 3. Rom. XIII, 13, 14. — 4. Luc, XXI, 34.

ci, abstenez-vous même de vos épouses. Ce que vous vous retranchez par le jeûne, ajoutez-le à vos bonnes oeuvres ordinaires en en faisant des aumônes. Employez à la prière le temps que vous passez à rendre. le devoir conjugal. Au lieu de s'efféminer dans des affections charnelles, que le corps se prosterne pour s'appliquer aux supplications qui purifient. Qu'on étende pour prier les mains qui se croisaient pour embrasser.

Quant à vous qui jeûnez dans les autres temps, maintenant jeûnez encore plus. Vous qui d'ordinaire crucifiez vos corps par une continence perpétuelle, appliquez-vous en ce moment à implorer votre Dieu plus fréquemment et avec plus de ferveur. Vivez tous avec un plein accord, soyez tous fidèles l'un à l’autre, embrasés durant ce pèlerinage du saint désir de la patrie et brûlants d'amour. Que l'un n'envie pas à l'autre, ni ne tourne en dérision les faveurs divines qu'il ne possède pas lui-même. En fait de dons spirituels regarde comme à toi ce que tu aimes dans ton frère, et qu'à son tour il regarde comme sien ce qu'il aime en toi. Que sous prétexte d'abstinence on se garde de changer ses plaisirs plutôt que d'y renoncer, en se procurant soit des aliments recherchés, en place de la chair dont on s'abstient, soit des boissons rares, au lieu du vin dont on se prive: ne serait-ce pas favoriser la volupté quand il s'agit de dompter la chair? Sans doute, pour ceux qui sont purs tous les aliments le sont ; mais il n'est personne pour qui la sensualité le soit.

3. Surtout, mes frères, abstenez-vous des querelles et des discordes. Souvenez-vous de ces vifs reproches adressés par un prophète; " On vous voit, quand vous jeûnez, suivre vos penchants, frapper et meurtrir de coups ceux qui portent votre joug ; on vous entend crier sans cesse (1) ". Après d'autres reproches de même nature, il ajoute : " Tel n'est pas le jeûne qui me plait, dit le Seigneur ". Voulez-vous crier? Poussez souvent le cri dont il est dit: " J'ai crié vers le Seigneur (2)". Car ce cri ne ressent pas l'amertume, mais la charité ; ce n'est pas le cri de la bouche, mais le cri du coeur ; ce n'est pas un cri semblable à cet autre: " J'attendais qu'il accomplit la justice, et il a fait l’iniquité; au lieu d'être juste il a crié (3) " .

1. Isaïe, LVIII, 3-5. — 2. Ps. CXLI, 2. — 3. Isaïe, V, 7.

193

" Pardonnez, et on vous pardonnera; donnez et on vous donnera (1) ". Telles sont les deux des ailes sur lesquelles la prière s'élève jusqu'à Dieu : pardonner à qui nous offense, et donner à qui est dans le besoin.

1. Luc, VI, 37

 

 

 

SERMON CCVI. POUR LE CARÊME. II. LA PRIÈRE, L'AUMÔNE, LE JEUNE.

ANALYSE. — Le chrétien doit en tout temps s'appliquer à la prière, à l'aumône et au jeûne ; il le doit surtout en Carême. Que dans ces jours si rapprochés des humiliations du Sauveur il ne craigne donc pas de s'humilier plus profondément devant lieu. Qu'il pratique plus parfaitement la charité, soit en donnant, soit en pardonnant. Enfin qu'il ait grand soin d'accompagner son jeûne de la pratique de toutes les vertus, et plus sûrement ses prières seront exaucées.

1. Voici le retour annuel du temps de Carême; nous vous y devons une exhortation spéciale, comme à votre tour vous devez à Dieu des oeuvres en harmonie avec l'époque, quoique ces oeuvres ne puissent être d'aucune utilité au Seigneur, mais à vous seulement. En tout autre temps, il est vrai, le chrétien doit être plein d'ardeur pour la prière, le jeûne et l'aumône ; mais cette grande époque du Carême doit réveiller la ferveur de ceux mêmes qui la laissent s'éteindre aux autres moments, et la ranimer encore dans ceux qu'elle porte constamment à ces oeuvres chrétiennes.

Toute cette vie doit être pour nous un temps d'humiliation ; aussi est-elle figurée par cette époque solennelle où chaque année le Christ semble renouveler pour nous les souffrances qu'il a réellement endurées. Ce qu'il a fait une fois dans l'espace de tous les siècles, pour renouveler notre vie, est célébré chaque année pour en perpétuer la mémoire. Si donc, durant tout ce pèlerinage que nous traversons au milieu des épreuves, nous devons être sincèrement, affectueusement et pieusement humbles de coeur, à combien plus forte raison durant ces quelques jours qui sont tout à la fois une portion et un emblème mystérieux du temps que nous devons passer dans,l'humilité ! En se laissant mettre à mort par les impies, l'humilité du Christ nous a appris à être humbles ; et en devançant, par sa Résurrection, la résurrection des fidèles pieux, il nous élève jusqu'à lui. " Si nous tommes morts avec lui, dit son Apôtre, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons (1)". De ces deux parts de notre existence nous consacrons pieusement à l'une, comme nous le devons, le temps présent, quand nous approchons en quelque sorte de sa Passion ; et à l'autre, le temps, qui suit Pâques, quand il est en quelque sorte ressuscité. Alors en effet, quand sont écoulés les jours de nos humiliations actuelles, si nous ne pouvons voir encore réellement l'heureuse époque de notre triomphe ; nous aimons à nous la représenter et à la méditer d'avance. Maintenant donc que nos gémissements soient plus profonds dans la prière, et nos joies seront alors plus abondantes dans l'action de grâces.

2. Mais pour donner à nos prières un essor plus facile et les faire arriver jusqu'à Dieu, attachons-y les ailes de la piété, l'aumône et le jeûne. Comme un chrétien comprend vivement l'obligation de ne pas usurper le bien d'autrui, quand il sent que c'est une espèce de larcin de rie pas donner son superflu à celui qui est dans le besoin !

" Donnez et on vous donnera, dit le Seigneur ; remettez aussi et on vous remettra (2) ".

1. II Tim. II, 11, 12. — 2. Luc, VI, 37, 38.

194

Livrons-nous avec bonté et avec ferveur à ces deux espèces d'aumônes, qui consistent à distribuer et à pardonner; puisque nous demandons à Dieu de nous faire du bien et de ne pas nous faire le mal que nous méritons. " Donnez, dit-il, et on vous donnera ". Est-il rien de plus convenable, rien de plus juste que de se priver soi-même, en ne recevant pas,.lorsqu'on refuse de donner à autrui ? De quel front un laboureur demanderait-il des moissons aux terres qu'il sait n'avoir pas ensemencées ? De quel front aussi tendrait-on la main au Dieu des richesses, quand on a fermé l'oreille à la prière du pauvre? Sans avoir jamais faim, Dieu ne veut-il pas qu'on le nourrisse dans la personne de l'indigent? Ah ! ne dédaignons point dans le pauvre les besoins de notre Dieu, afin que nos besoins soient un jour satisfaits par ce riche. Si nous rencontrons des indigents, nous sommes indigents nous-mêmes donnons donc pour recevoir. Eh ! de quelle valeur est ce que nous donnons ? Pour si peu néanmoins, pour ces biens visibles, passagers et terrestres, qu'ambitionnons-nous ? " Ce que " l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui ne s'est point élevé dans le coeur de l'homme (1) ". Sans les divines promesses, n'y aurait-il pas impudeur à donner si peu pour recevoir autant ? Que penser donc de qui refuse même de donner si peu, quand nous ne tenons ce peu que de la générosité de Celui qui nous excite à le donner ? Et comment oser espérer encore les deux sortes de biens, quand on en dédaigne l'Auteur en ne se soumettant point à l'usage auquel il ordonne de consacrer les moindres ?

" Remettez, et on vous remettra " : c'est-à-dire, pardonnez et on vous pardonnera; que

1. I Cor. II, 9.

le serviteur se réconcilie avec son compagnon, pour n'être pas châtié par son Maître. Pour faire cette espèce d'aumône, nul n'est pauvre; et on peut la faire, pour obtenir de vivre éternellement, lors même qu'on n'aurait pas de quoi vivre un moment. Ici on donne avec rien et on s'enrichit en donnant, puisqu'on ne s'appauvrit qu'en ne donnant pas. Si donc il est des inimitiés qui durent encore, qu'on les éteigne, qu'on y mette fin. Qu'on les tue, pour qu'elles ne tuent pas; qu'on les relâche, pour qu'elles n'enchaînent pas ; qu'elles soient mises à mort par le Rédempteur, pour qu'elles ne mettent pas à mort l'âme qui les ferait vivre.

3. Que votre jeûne ne ressemble pas à celui que condamne un prophète quand il dit: " Tel n'est pas le jeûne que je demande, s'écrie le Seigneur (1) ". Il ne veut pas du jeûne des querelleurs, mais de celui des hommes doux. Il condamne les oppresseurs; il veut qu'on ait le coeur large. Il condamne les semeurs d'inimitiés; il aime ceux qui affranchissent les esclaves. Aussi bien le motif pour lequel durant ces jours de salut vous détournez vos désirs de ce qui est même permis, c'est pour ne pas vous laisser aller à ce qui ne l'est pas. Que jamais donc ne se gorge de vin ni d'impureté, celui qui maintenant s'abstient da mariage.

Appuyée ainsi sur l'humilité et la charité, sur le jeûne et sur l'aumône, sur l'abstinence et le pardon, sur le soin de faire le bien sans rendre le mal, d'éviter le mal et de faire du bien, notre prière cherche la paix et y parvient (2) ; son vol est soutenu sur les ailes de ces vertus, et il la porte plus facilement au ciel, où nous a précédés Jésus-Christ notre paix.

1. Isaïe, LVIII, 5. — 2. Ps. XXXIII, 15.

 

 

 

SERMON CCVII. POUR LE CAREME. III. L'AUMÔNE, LE JEÛNE ET LA PRIÈRE.

ANALYSE. — C'est surtout en Carême qu'il faut se livrer à l'aumône, au jeûne et à la prière. A l'aumône, car le Carême va nous remettre sous les yeux l'aumône immense, 1a miséricorde infinie que Dieu a faite à la terre. Au jeûne, en ayant soin de mitre un frein à notre sensualité, et non pas seulement d'en changer l'objet. A la prière enfin, qui montera plus aisément vers à ciel, si elle est accompagnée de l'aumône et du jeûne spirituels aussi bien que de l'aumône et du jeûne matériels.

1. C'est par l'aumône , le jeûne et la prière qu'il nous faut triompher , avec le secours miséricordieux du Seigneur notre Dieu, des tentations du siècle; des perfidies du démon, des embarras du monde, des séductions de la chair, des tempêtes de nos temps agités, enfin de toutes les adversités du corps et de l'âme. Le chrétien, durant toute sa vie, doit s'appliquer avec ferveur à ces bonnes oeuvres ; mais c'est surtout aux approches de la solennité pascale, dont le retour annuel inspire à nos âmes une vigueur nouvelle, en reproduisant en elles le souvenir salutaire de ce qu'a fait pour nous le Fils unique de Dieu, Jésus Notre-Seigneur, en faisant revivre en nous sa miséricorde, le jeûne et la prière auxquels il s'est livré pour nous.

Aumône en grec signifie miséricorde. Eh ! quelle miséricorde saurait l'emporter pour des malheureux sur celle qui a fait descendre du ciel le Créateur du ciel, qui a revêtu d'un corps de terre le Fondateur de la terre, égalé à nous dans notre nature mortelle Celui qui demeure l’égal de son Père dans son éternelle nature, donné une nature d'esclave au Maître du monde, condamné le Pain même à avoir faim, la Plénitude à avoir soif, réduit la Puissance à la faiblesse, la Santé à la souffrance, la Vie à la mort; et cela pour apaiser en nous la faim, étancher la soif, soulager nos souffrances, éteindre l'iniquité, enflammer la charité? Quel spectacle plus touchant que de voir le Créateur devenir créature, le Maître se faire esclave, le Rédempteur se laisser vendre; que de voir encore si profondément abaissé Celui qui élève tout et mis à mort Celui qui ressuscite les morts ? Il nous est commandé, pour faire l'aumône, de donner du pain à celui qui a faim (1) ; mais lui, pour se donner à nous comme nourriture, s'est d'abord livré à la fureur de ses ennemis. Il nous est commandé d'accueillir l'étranger; et lui, venant chez lui-même, n'a pas été reçu par les siens (2). Ah ! que notre âme le bénisse, car c'est lui qui efface toutes nos iniquités, qui guérit toutes nos langueurs, qui délivre notre vie de la corruption, qui la couronne dans sa miséricorde et sa bonté, qui comble de biens tousses désirs (3). Ainsi donc faisons des aumônes d'autant plus larges et plus fréquentes que nous approchons davantage du jour où nous célébrons l'aumône immense que nous avons reçue. Rien ne sert de jeûner, si l'on n'est miséricordieux.

2. Jeûnons toutefois, mais en nous humiliant, puisque nous touchons au jour où le Maître même de l'humilité s'est abaissé jusqu'à la mort de la croix (4). Imitons son crucifiement en clouant par l'abstinence nos convoitises domptées. Châtions notre corps et le réduisons en servitude ; et pour éviter que la chair rebelle nous entraîne à ce qui est défendu, sachons pour la dompter lui retrancher une partie même de ce qui est permis. Il faut, en tout autre temps, s'abstenir de toute débouche et de toute ivresse; renonçons, dans celui-ci, aux festins même légitimes. Toujours on doit détester et fuir l'adultère ainsi que la fornication ; on doit maintenant s'abstenir même entre époux. La chair t’obéira aisément quand il s'agira de ne point s'attacher à ce

1. Isaïe, LVIII, 7. — 2. Jean, I, 11. — 3. Ps. CII, 2-5. — 4. Philip. II, 8.

196

qui est à autrui, lorsqu'elle aura contracté l'habitude de s'abstenir de ce qui lui appartient à elle-même.

Mais prends garde de changer tes jouissances plutôt que de les restreindre. Tu pourrais voir des hommes rechercher des boissons rares pour remplacer le vin ordinaire demander à d'autres fruits pressurés des sensations plus douces que les sensations laissées par eux dans le raisin; se procurer, pour observer l'abstinence de gras, des aliments délicats et variés à l'infini ; faire pour cette époque des provisions de sensualité qui leur paraissent convenables et dont ils auraient honte de s'occuper en tout autre temps; faire ainsi servir l'observance du Carême, non pas à réprimer les convoitises du vieil homme, mais à imaginer de nouvelles délices. Ah ! mes frères, consacrez toute la vigilance dont vous êtes capables à ne vous laisser pas gagner par de tels abus. Joignez l'économie au jeûne. Si vous diminuez la quantité de vos aliments, évitez aussi ce qui provoque la, sensualité. Ce n'est pas qu'on doive avoir horreur des aliments propres,à nourrir l'homme, mais il faut mettre un frein aux plaisirs de la chair. Ce n'est pas en mangeant de veau gras ni de volailles engraissées, mais en convoitant sans modération quelques lentilles, qu'Esaü mérita d'être réprouvé de Dieu (1). Le saint roi David ne se repent-il pas d'avoir avec excès désiré un peu d'eau (2) ?Ainsi donc ce n'est pas avec une nourriture. de prix ni laborieusement préparée, c'est

1. Gen. XXV, 30-34. — 2. Par. XI, 18, 19.

avec des aliments communs et de peu de valeur qu;il faut en temps de jeûne restaurer ou plutôt soutenir le corps.

3. Ces aumônes vraiment religieuses et ce jeûne frugal aideront en ce moment notre prière à monter jusqu'au ciel : car il n'y a pas d'indiscrétion à implorer la miséricorde de Dieu quand soi-même on ne la refuse pari un homme et lorsque la sérénité des désirs du coeur n'est point altérée par les représentations tumultueuses des plaisirs charnels. Que notre prière soit pure; gardons-nous de suivre les aspirations de la cupidité plutôt que celles de la charité; de souhaiter du mal à nos ennemis et de porter dans l'oraison l'aigreur que nous ne pouvons leur témoigner en leur faisant du mal ou en nous vengeant. Autant le jeûne et l'aumône favorisent en nous le prière; autant la prière à son tour rend agréable l'aumône lorsqu'elle s'élève du fond du coeur, dans l'intérêt de nos ennemis aussi bien que de nos amis, et qu'elle s'abstient de toute colère, de toute haine et des autres vices si nuisibles. Eh ! si nous savons nous abstenir de nourriture, ne faut-il pas à bien plus forte raison qu'elle s'abstienne de ce qui est poison ! Nous pouvons encore, quand le moment est arrivé, nous soutenir le corps en prenant nos aliments ; ne lui permettons jamais ces jouissances à jamais interdites. Que sous ce rap. port son jeûne soit perpétuel; car il y a pour elle une nourriture spéciale qu'elle ne doit pas cesser de prendre. Que toujours donc elle s'abstienne de haine, que toujours aussi elle vive d'amour.

 

 

SERMON CCVIII. POUR LE CARÊME IV. LE JEÛNE, LA PRIÈRE ET LES LARMES.

ANALYSE. — C'est surtout en Carême qu'il faut pratiquer le jeûne, l'aumône et la prière. Le jeûne, en restreignant les jouissances au lieu d'en changer l'objet, et en gardant la continence. L'aumône , en donnant aux pauvres ce qu'on se retranche sur la nourriture, et en pardonnant de bon coeur à ceux dont on a à se plaindre. Ainsi méritera-t-on d'être exaucé dans ses prières.

1. Voici le moment solennel où nous devons avertir dans le Seigneur et exciter l'ardeur de votre charité; et pourtant l'époque elle-même; quand nous garderions le silence, vous invite et vous exhorte suffisamment à vous appliquer au jeûne, à la prière et à l'aumône avec plus d'ardeur et de générosité que de coutume. Si notre ministère fait ici entendre la divine parole, c'est pour que notre voix, comme une trompette guerrière, ranime les forces de votre esprit dans la lutte qu'il va soutenir contre la chair.

Jeûnez donc en vous abstenant de quereller, de frapper, de crier; il faut, avec prudence et bonté, laisser quelque relâche à ceux qui sont sous votre joug, tempérer l'austérité et là sévérité, sans toutefois rompre les liens d'une salutaire discipline. De plus, en vous abstenant, pour châtier le corps, de quelques aliments permis d'ailleurs, souvenez-vous que " pour ceux qui sont purs tout est pur" ; et ne considérez comme impur que ce qui a pu être souillé par l'infidélité. " Car rien n'est pur, dit l'Apôtre, pour les impurs et les infidèles (1)". Mais quand les fidèles assujettissent leurs corps à la mortification; l'esprit pro:file des jouissances retranchées au corps.

Aussi faut-il avoir soin, quand vous vous abstenez d'aliments gras, de rechercher une nourriture de prix soit pour compenser la privation, soit même pour arriver au dessus. Lors en effet qu'on châtie le corps et qu'on le réduit en servitude (2), c'est pour restreindre les jouissances et non pour en changer l'objet. Qu'importe l'espèce des aliments quand on s'y attache avec une convoitise immodérée et

1. Tit. I, 15; Rom. XIV, 20. — 2. I Cor. IX, 27.

coupable? Les Israélites regrettaient non-seulement la chair, mais aussi certains fruits et certains produits des champs, lorsqu'ils furent condamnés par la voix de Dieu (1). Ce fut aussi, non pour un pâté de chair de porc, mais pour un plat cuit de lentilles qu'Esaü perdit ses droits d'aînesse (2). Je ne rappellerai pas ce que le Seigneur dit du pain même, lorsqu'ayant faim il fut tenté par le démon (3) ; il ne cherchait pas sans doute à dompter sa chair comme une chair rebelle, mais il nous apprenait dans sa miséricorde ce que nous devons répondre lorsque nous éprouvons des tentations de ce genre. Ainsi donc, mes bien-aimés, quels que soient les aliments dont vous voulez vous priver, soyez fidèles à votre résolution pour observer les règles de la tempérance religieuse, et non pour condamner injustement et sacrilègement les oeuvres de Dieu.

Et vous qui êtes unis par le lien conjugal, c'est maintenant surtout que vous devez,.par respect pour la recommandation de l'Apôtre, vous abstenir pour un temps et pour vaquer à la prière (4). Ne serait-il point par trop honteux de ne pas faire maintenant ce qu'en tout temps il est avantageux de faire ? Serait-il trop pénible d'observer annuellement et à certains jours solennels, quand on. est marié,-ce que les veuves se sont engagées à faire durant une partie de leur vie, et les vierges consacrées durant leur vie tout entière ?

2. C'est aussi comme un devoir de multiplier ses aumônes durant cette époque. Où placer plus convenablement ce que vous vous retranchez par l'abstinence, que dans le sein de l'indigence ? Et serait-il rien de plus

1. Nomb. XI, 5, 33, 34. — 2. Gen. XXV, 30-34. — 3. Matt. IV, 3, 4. — 4. I Cor. VII, 5.

198

injuste que de conserver par une avarice opiniâtre ou de consumer dans des plaisirs simplement ajournés, ce qu'épargne le jeûne? Considérez donc à qui vous êtes redevables de ce que vous vous retranchez ; faites en sorte que la miséricorde donne à la charité ce que la tempérance ôte à la volupté.

Que dire maintenant de cette oeuvre particulière de miséricorde qui consiste non pas à puiser dans ses celliers ni dans sa bourse, mais à tirer de son coeur ce qu'on perd en le conservant et non en le dissipant ? Je veux parler du ressentiment nourri contre qui que ce soit. Est-il rien de plus insensé que d'éviter un ennemi à l'extérieur, et d'en conserver un bien plus cruel au fond de son âme? Aussi l'Apôtre dit-il: "Que le soleil ne se couche pas sur votre colère " ; et il ajoute: " Ne donnez pas entrée au diable (1) ". Ne dirait-on pas que ne chasser point à l'instant la colère du coeur, c'est comme en ouvrir la porte pour y laisser pénétrer le diable ? Ayons donc soin d'abord que ce soleil ne se couche point sur notre colère, si nous ne voulons point que s'éclipse pour notre âme le Soleil de justice. Puis, s'il y a encore du ressentiment dans une âme, qu'il disparaisse au moins si près du jour de la Passion du Seigneur; car le Seigneur ne s'est point irrité contre ses bourreaux, attendu que pour eux

1. Eph. IV, 26, 27.

il a répandu du haut de la croix son sang de sa prière (1).

Si donc il en est parmi vous dont le coeur ait gardé jusqu'à ces saints jours une colère opiniâtre, que maintenant au moins ils l'en bannissent (2), afin que la prière puisse s'ai élever sans inquiétude, sans se heurter, sans trembler, sans être étouffée sous le poids des remords de la conscience, lorsqu'elle sera arrivée au moment où elle devra dire : "Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (3) ". Vous devez en effet demander deux choses : à ne pas recevoir et à recevoir " Remettez donc et on vous remettra; donnez et on vous donnera (4) ".

Lors même que je ne vous parlerais pas di ,ces devoirs, vous êtes obligés, mes frères, di vous appliquer à les observer en les méditant continuellement. Mais aujourd'hui qu'en vous rappelant tous ces divins préceptes, notre voir est secondée par la solennité même de ce jour je n'ai pas à craindre qu'aucun de vous ne méprise ou plutôt méprise en moi le Seigneur de tous ; je dois espérer au contraire qui reconnaissant sa parole dans ce que je dis,soi troupeau l'écoutera fidèlement pour être écouté lui-même.

1. Luc, XXIII, 34. — 2. Eccl. XI, 10. — 3. Matt. VI, 12. — 4. Luc, 37, 38.

 

 

 

SERMON CCIX. POUR LE CARÊME. V. LE PARDON, L'AUMÔNE ET LE JEUNE.

ANALYSE. — Nous devons, en temps de Carême, pardonner les injures en triomphant des vices qui ont pu nous empêcher de pardonner jusqu'alors. Quant à l'aumône, celui qui jeûne doit verser dans le sein des pauvres ce qu'il se retranche, et celui qui ne peut jeûner doit, par compensation, donner davantage encore. L'abstinence enfin doit être sérieuse, ainsi que la continence.

1. Nous voici parvenus à l'époque solennelle où je dois avertir votre charité de penser davantage à l'âme et de châtier le corps. Nous voici en effet à ces quarante jours si sacrés dans tout l'univers, que célèbre par des exercices publics, de religion la partie du monde que Dieu se réconcilie par le Christ.

Les inimitiés ne devraient jamais naître ou devraient mourir à l'instant : si toutefois il en est que la négligence, l'opiniâtreté ou une (199) honte plus superbe que modeste ait entretenues entre nos frères jusqu'à ce jour, Ah ! que maintenant au moins on sache y mettre fin. Le soleil ne devait pas se coucher sur elles (1) ; après que tant de fois le soleil s'est couché et levé sur elles, qu'elles s'éteignent enfin et se couchent à leur tour sans se relever jamais. La négligence oublie d'y mettre un terme; l'opiniâtreté refuse d'accorder le pardon à qui le sollicite, et la honte orgueilleuse dédaigne de le demander. Ces trois vices entretiennent ces inimitiés funestes qui tuent les âmes en qui elles ne meurent pas. A la négligence donc opposez le souvenir, la. compassion à l'opiniâtreté, et une humble prudence à la honte orgueilleuse. Se souvient-on d'avoir négligé de se réconcilier? Qu'on s'éveille et qu'on secoue cette torpeur. Veut-on exiger d'un autre tout ce qu'il doit? Qu'on se rappelle combien soi-même on doit à Dieu. Rougit-on de demander pardon à son frère? Qu'on surmonte cette honte funeste par une louable crainte. En mettant ainsi fin, en donnant ainsi la mort à ces inimitiés fatales, vous recouvrerez la vie. La charité s'acquitte de tous ces devoirs, car elle n'agit pas insolemment (2). Si donc vous avez la charité, mes frères, exercez-la par une sainte conduite; et si vous en manquez, obtenez-la par la prière.

2. Comme nous devons maintenant rendre nos prières plus ferventes ; afin de leur donner de solides appuis, faisons l'aumône avec plus de ferveur aussi; ajoutons à nos largesses ce que nous nous retranchons, par le jeûne et par l'abstinence, de nos aliments ordinaires. Et toutefois ceux qui par besoin ou par habitude contractée ne peuvent pratiquer l'abstinence ni conséquemment donner aux pauvres ce qu'ils se retranchent, doivent donner plus abondamment encore, donner avec piété précisément parce qu'ils ne se retranchent rien, s'ils ne peuvent donner quelque valeur à leurs supplications en châtiant leurs corps, ils doivent enfermer dans le coeur du pauvre une

1. Eph. IV, 26. — 2. I Cor. XIII, 4.

aumône plus abondante, car elle saura prier pour eux. Voici en effet le conseil éminemment salutaire et digne de toute confiance que donnent les saintes Ecritures : " Enferme ton aumône dans le coeur de l'indigent, et elle priera pour toi (1) ".

3. Nous invitons aussi ceux qui s'abstiennent de viandes à ne pas rejeter comme impurs les vases où elles ont cuit. " Tout est pur, dit l'Apôtre, pour ceux qui sont purs (2)". Aux yeux de la vraie science, ces sortes d'observances n'ont point pour but l'éloignement de ce qui est impur, mais la répression de la concupiscence. Combien donc s'égarent ceux qui se privent de chairs pour se procurer d'autres aliments plus difficiles à préparer et de plus haut prix ! Ce n'est point pratiquer l'abstinence, c'est modifier ses jouissances. Comment inviter ces hommes à donner aux pauvres ce qu'ils se retranchent, puisqu'ils ne renoncent à leurs aliments ordinaires que pour dépenser davantage à s'en procurer d'autres? A cette époque donc jeûnez plus fréquemment, dépensez moins pour vous-mêmes et donnez plus largement aux malheureux.

Il convient aussi de quitter maintenant le lit conjugal., " pour un temps, dit l'Apôtre, et pour s'appliquer à la prière; puis revenez comme vous étiez, de crainte que Satan ne vous tente par votre incontinence (3) ". Est-il si pénible et si difficile, quand on est marié, d'observer durant quelques jours ce que les saintes veuves ont entrepris de faire jusqu'à la fin de leur vie et les vierges consacrées durant leur vie tout entière ?

Mais en accomplissant tous ces devoirs, il faut s'enflammer d'ardeur et réprimer l'orgueil. Que nul ne se réjouisse du mérite d'avoir donné, jusqu'à perdre le mérite de l'humilité. Quelles que soient les autres grâces que l'on ait reçues de Dieu, il n'en est aucune pour nous faire mériter en rien, si elles ne sont unies par le lien de la charité.

1. Eccli. XXIX, 15. — 2. Tit. I, 15. — 3. I Cor. VII, 5.

 

 

 

SERMON CCX. POUR LE CARÊME. VI. DU TEMPS CHOISI POUR LE CARÊME.

ANALYSE. — Deux parties dans ce discours, une partie dogmatique et une partie morale. I. Pourquoi le Carême est-il fixé aux approches de la Passion du Sauveur, et pourquoi doit-il durer quarante, jours ? A la première de ces deux questions, saint Augustin répond de la manière suivante : Il est vrai, Notre-Seigneur ayant jeûné après son baptême, il semblerait d'abord que le baptême se conférant dans l'Église à la fête de Pâques, le jeûne du Carême devrait suivre et non précéder cette fête. Mais premièrement, le baptême s'administre aussi indistinctement tous les autres jours de l'année. Secondement, le baptême de saint Jean reçu par Notre-Seigneur, était loin de conférer les grâces que nous confère son propre baptême, et il n'y a aucune parité à établir entre l'un et l'autre. D'où il suit que si Notre-Seigneur a jeûné après le baptême de saint Jean, ce n'est pas pour nous d raison de jeûner après le sien. Ce qui explique mieux pourquoi le Carême est fixé aux approches de la Passion, c'est qu’il est dit dans l'Écriture que Jésus-Christ jeûna quand il devait être tenté par le démon. Or, est-il rien qui nous rappelle mieux tentations et les épreuves de cette vie que la Passion du Sauveur ? Si donc nous jeûnons aux approches de la Passion, c'est que toujours nous devons jeûner et nous mortifier pour résister à la tentation. — A la seconde question : Pourquoi le jeûne Carême dure-t-il quarante jours, tandis que les joies du temps pascal en durent cinquante ? Le saint Docteur répond que les quarante jours du Carême désignent toute la vie présente, vie de labeurs et de gémissements, comme les cinquante jours du temps pascal désignent le bonheur de l'éternité. — II. Dans la partie morale se représentent les idées sur la prière, le jeûne, l’abstinence, la continence, l'aumône et le pardon des injures, que nous avons vues dans les discours précédents.

1. Voici l'époque solennelle qui nous avertit de nous appliquer à la prière et au jeûne plus qu'en tout autre temps de l'année, en humiliant nos âmes et en châtiant nos corps. Mais pourquoi lest-ce aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur, et pourquoi durant l'espace mystérieux de quarante jours? Plusieurs s'adressent souvent ces questions ; c'est pourquoi nous allons vous communiquer sur ce sujet les réflexions que Notre-Seigneur a daigné nous suggérer; et ce qui nous aidera puissamment à obtenir de pouvoir traiter cette matière, c'est la foi et la piété de ceux d'entre vous que je sais s'en occuper, non pour contredire mais pour s'instruire.

2. Ce qui donne lieu à cette question, c'est qu'après avoir pris un corps et s'être montré aux hommes comme l'un d'entre eux afin de nous apprendre à vivre, à mourir et à ressusciter à son exemple, Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a point jeûné avant de recevoir, mais après avoir reçu le baptême. Voici en effet ce qui se lit dans l'Évangile : " Or, ayant été baptisé, Jésus sortit aussitôt de l'eau, et voici que les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendre sur lui; et voici une voix du ciel disant: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Alors Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être tenté par le diable, et lorsqu'il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim (1) " . Pour nous, au cou. traire, nous jeûnons avec ceux qui doivent recevoir le baptême, avant le jour où ils le doivent recevoir, c'est-à-dire jusqu'à la veille de Pâques, après quoi nous cessons de jeûner durant cinquante jours.

Cette raison aurait quelque valeur, si l'on ne pouvait conférer ni recevoir le baptême qu'au jour éminemment solennel de Pâques, Mais parla grâce de Celui qui nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (2), chacun peut toute l'année recevoir ce sacrement, selon qu'on y est déterminé par la nécessité ou par la volonté ; tandis qu'il n'est permis de célébrer l'anniversaire de la Passion du Sauveur qu'une fois l'an, à Pâques. Il faut donc établir entre Pâques et le baptême une différence incontestable; le baptême pouvant se recevoir chaque jour, et Pâques ne pouvant se célébrer qu'une fois l'année et en un jour déterminé; le baptême ayant pour but de conférer une vie nouvelle, et Pâques de ranimer le souvenir des mystères de la religion. S'il y a à Pâques une nombre bien plus considérable de catéchumènes à baptiser, ce n'est pas qu'on reçoive alors

1. Matth. III, 16, 17 ; IV, 2. — 2. Jean, I, 12.

201

plus de grâce pour le salut, c'est qu'on est excité par la joie bien plus vive de la fête.

3. Ne pourrait-on pas signaler aussi quelle différence existe entre le baptême de Jean, reçu alors par Jésus-Christ, et le baptême de Jésus-Christ, reçu aujourd'hui parles fidèles ? De ce que Jésus-Christ soit au-dessus du chrétien, il ne s'ensuit pas que le baptême reçu par Jésus-Christ soit au-dessus du baptême reçu aujourd'hui par le chrétien ; ce dernier au contraire l'emporte sur. l'autre précisément parce qu'il a été établi par Jésus-Christ. Jean en effet baptisa le Christ au moment où il publiait combien il lui était inférieur; mais c'est le Christ qui baptise le chrétien, quand il s'est montré si supérieur à Jean. Ainsi en est-il de la circoncision de la chair : Jésus-Christ a été circoncis, le chrétien ne l'est pas aujourd'hui.; mais sur cette circoncision l'emporte le sacrement qui nous fait ressusciter avec le Sauveur, et qui est pour le chrétien une espèce de circoncision le dépouillant de sa vie ancienne et charnelle et lui faisant entendre ces paroles de l'Apôtre: "Comme le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire du Père, nous aussi menons une vie nouvelle (1) " . Ainsi en est-il encore de la Pâque antique, qu'on devait célébrer en immolant un agneau de ce que le Christ l'ait célébrée avec ses disciples, il ne faut pas conclure qu'elle soit préférable à noire Pâque, qui consiste dans l'immolation du Christ lui-même. Si le Sauveur a daigné recevoir sur la terre ces sacrements anciens qui annonçaient son futur avènement, c'était pour nous donner des exemples d'humilité et de religion, c'était pour nous apprendre avec quel respect nous devons recevoir ces autres sacrements qui nous montrent ce même avènement comme étant accompli.

Ainsi donc, quand le Christ a jeûné aussitôt après avoir reçu le baptême de Jean, on ne doit pas croire qu'il ait voulu nous commander de l'imiter en jeûnant aussitôt après avoir reçu son propre baptême ; il a prétendu seulement nous apprendre par son exemple qu'il est nécessaire de jeûner quand il nous arrive d’avoir à lutter plus énergiquement contre le tentateur. Aussi, après avoir daigné se faire bomme, le Seigneur, pour apprendre au chrétien par son autorité à ne se pas laisser vaincre par l'ennemi, n'a pas dédaigné d'être tenté

comme les hommes. Que ce soit donc aussitôt après avoir reçu le baptême, ou à tout autre moment que l'homme soit attaqué par des tentations semblables, il doit alors recourir au jeûne. Le corps combattra en se mortifiant ainsi, et l'esprit remportera la victoire en s'humiliant par ce moyen. Par conséquent la cause de ce jeûne,modèle et divin, n'est pas le baptême reçu dans le Jourdain, mais la tentation causée par le démon.

4. Maintenant, pourquoi est-ce avant le jour où nous solennisons la Passion du Seigneur que nous jeûnons, tandis que nous interrompons notre jeûne durant les cinquante jours qui suivent? En voici la raison. Quiconque entend bien le jeûne qu'il pratique a pour but, soit de s'humilier, avec une foi sincère, par les gémissements de la prière et la mortification du corps ; soit de se détourner des plaisirs de la chair en goûtant les douceurs spirituelles de la sagesse et de la vérité, et en souffrant volontairement la faim et la soif. Le Seigneur parla de ces deux espèces de jeûne lorsqu'on lui demanda pourquoi se s disciples ne jeûnaient point. Il dit en effet du premier, qui a pour but l'humiliation de l'âme " Les fils de l'Epoux ne sauraient être en deuil, tant que l'Epoux est avec eux; mais viendra le moment où l'Epoux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront ". Voici ce qu'il ajoute relativement à la seconde espèce de jeûne, qui se propose de nourrir l'esprit : " Personne ne met une pièce de neuve étoffe à un vieux vêtement; ce serait le déchirer davantage. On ne met point non plus du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement les outres se rompent et le vin se répand ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent (1)".

Concluons que l'Epoux nous étant enlevé, nous qui sommes ses fils, nous devons être en deuil. Il l'emporte en beauté sur tous les enfants des hommes, la grâce est répandue sur ses lèvres (2); et pourtant il n'avait ni grâce ni beauté sous la main de ses persécuteurs, et sa vie a disparu de la terre (3). Ah ! notre deuil n'est que trop légitime si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa Passion, l'interroger à l'aise et l'entendre comme ils en avaient besoin ! Les patriarches, avant son

1. Matt. IX, 15-17. — 2. Ps. XLIV, 3. — 3. Isaïe, LIII, 2, 8.

202

avènement, auraient voulu le voir vivant, mais ils ne l'ont point vu, parce qu'ils avaient reçu de Dieu une autre mission : au lieu d'être destinés à l'entendre quand il serait venu, ils devaient annoncer qu'il viendrait. Aussi bien voici ce qu'il disait d'eux à ses disciples : " Beaucoup de justes et de prophètes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu; entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu (1)". Quant à nous, nous ressentons l'accomplissement de ces autres paroles de même nature: " Viendra un temps "où vous désirerez voir un des jours actuels, mais vous ne le pourrez (2) ".

5. Qui ne ressent l'ardeur de ces saints désirs? Qui n'est ici en deuil? qui ne pousse de douloureux gémissements? Qui ne s'écrie : " Mes larmes m'ont servi de pain la nuit et le jour, pendant qu'on ne cesse de me dire : Où est ton Dieu (3)? " Nous croyons sans doute que déjà il siège à la droite du Père ; il n'en est pas moins vrai que nous sommes loin de lui pendant que nous vivons dans ce corps (4) , et qu'aux esprits sceptiques ou incrédules nous ne pouvons le montrer quand ils nous répètent: " Où est ton Dieu ? " Ah ! l'Apôtre avait raison de souhaiter la mort pour être avec Jésus-Christ; de ne pas considérer la conservation de sa vie comme un bonheur polis lui, mais comme un besoin pour nous (5). Ici en effet les pensées des mortels sont timides et leurs prévoyances incertaines, parce que cette habitation de boue réprime l'essor de l'esprit (6). Et de là vient que cette vie sur la terre est une tentation perpétuelle (7), et que durant cette nuit du siècle le lion rôde et cherche à dévorer (8). Il ne s'ait pas ici de ce Lion de la tribu de Juda due nous appelons notre Roi (9), mais du démon, notre ennemi. Car notre Roi réunit en lui seul les caractères des quatre animaux qui figurent dans l'Apocalypse de saint Jean ; il est né comme un homme, il a travaillé comme un lion, il a été immolé comme la victime des sacrifices, il a pris ensuite son essor comme l'aigle (10) ; " il s'est élevé sur l'aile des vents, et il a choisi les ténèbres pour retraite (11)". Lui.même a produit ces ténèbres qui ont amené la nuit, et voilà que passent toutes les bêtes des forêts, et avec elles les lionceaux qui rugissent, c'est-à-dire les hommes qui nous

1. Matt. XIII, 17. — 2. Luc, XVII, 22. — 3. Ps. XLI, 4. — 4. II Cor. V, 6. — 5. Philip. I, 23, 24. — 6. Sag. IX, 14, 15. — 7. Job, VII, 1. — 8. I Pierre, V, 8. — 9. Apoc. V, 5. — 10. Ib. IV, 7. — 11. Ps. XXVII, 11, 12.

tentent et que le démon lance contre nous pour chercher à nous dévorer. Il est vrai néanmoins qu'ils n'en ont le pouvoir qu'autant qu'ils l'ont reçu; aussi le psaume ajoute-t-il : " Demandant à Dieu leur pâture (1) ". Au milieu des ténèbres d'une nuit si dangereuse, si pleine de tentations, qui ne craindrait? qui ne tremblerait de tous ses membres ? qui n'aurait peur de mériter d'être jeté dans la gueule d'un ennemi si cruel pour être dévoré par lui il faut donc jeûner et prier.

6. Quand, surtout, quand le faut-il faire avec plus d'ardeur qu'aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur; puisque cette solennité, qui revient chaque année, a pour but de graver en quelque sorte de nouveau dans nos âmes le souvenir de la nuit où nous! vivons, de nous prémunir contre l'oubli, contre le sommeil spirituel durant lequel nous pourrions être surpris par cet ennemi rugissent et dévorant. Qu'est-ce en effet que dans la personne de Jésus-Christ notre Chef, nous apprend surtout la Passion du Sauveur? N'est-ce pas les tentations de cette vie? Aussi dit-il à Pierre, quand approchait l'heure de sa mort; " Satan a demandé à vous secouer comme la froment; mais moi, j'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point; va et affermis tes frères (2) ". Ne nous a-t-il pas affermis par son apostolat, par son martyre, par ses épîtres? On voit même qu'il nous parle, dans ces dernières, de la nuit redoutable dont il est ici question, et qu'il nous invite à veiller, à être sur nos gardes, à nous ranimer par le souvenir des prophéties qu'il compare à un flambeau nocturne. " Nous avons,dit-il, la parole plus ferme des Prophètes, à laquelle vous faites bien d'être attentifs, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le Jour se lève et que l'Etoile du matin rayonne dans vos coeurs (3) ".

7. Ainsi donc ceignons-nous les reins, que nos lampes soient toujours allumées, et imitons les serviteurs qui attendent que leur maître revienne des noces (4). Au lieu de nous dire l'un à l'autre : " Mangeons et buvons, car demain nous mourrons (5)"; jeûnons et prions avec d'autant plus d'ardeur que le moment à notre mort est plus incertain, et le temps de la vie plus douloureux; oui, demain nous mourrons. " Encore un peu de temps, dit le

1. Ps. CIII, 20, 21. — 2. Luc, XXII, 31, 32. — 3. II Pierre, I, 19. — 4. Luc, XII, 35, 36. — 5. I Cor. XV, 32.

203

Sauveur, et vous ne me verrez plus; puis, encore un peu de temps, et vous me reverrez". Nous voici à l'époque dont il disait : " Vous serez dans la tristesse, et le siècle dans la joie " ; car cette vie est remplie de tentations et nous y sommes loin du Seigneur. " Cependant je vous reverrai, poursuit le Sauveur, et votre coeur sera dans la joie, et cette joie, personne ne vous l'enlèvera (1) ". Cet espoir, fondé sur de si sûres promesses, nous cause dès maintenant quelque sorte de joie, en attendant que nous goûtions cette joie surabondante, quand nous lui serons semblables, pour le voir tel qu'il est (2), et que cette joie ne nous sera enlevée par personne. Comme gage heureux et gratuit de cette espérance, n'avons-nous pas reçu l'Esprit-Saint, lui qui éveille dans nos coeurs les gémissements ineffables des saints désirs? " Nous avons conçu, comme parle Isaïe, et nous avons enfanté l'esprit de salut (3)". Or, " lorsqu'une femme enfante, dit le Seigneur, elle est dans la tristesse, parce que son jour est venu; mais devenue mère, elle goûte une grande joie pour avoir adonné un homme au siècle (4) ". Telle sera pour nous la joie qui ne nous sera point ôtée, et dont nous serons transportés en passant des obscurités de la foi où nous sommes conçus en quelque sorte, au grand jour de l'éternelle lumière. Maintenant donc qu'on nous enfante, jeûnons et prions.

8. C'est ce que fait dans tout l'univers, où il est répandu, le corps entier du Christ, c'est-à-dire l'Eglise, cette communauté qui s'écrie dans un psaume : " J'ai crié vers vous des extrémités de la terre, quand mon coeur a était dans l'angoisse (5) ". Ce qui, nous fait comprendre déjà pourquoi cette humiliation solennelle doit durer quarante jours. En criant des extrémités de la terre, lorsque son coeur est dans l'angoisse, l'Eglise crie, des quatre parties du monde, qui figurent souvent dans l'Ecriture sous les noms d'Orient et d'Occident, de Nord et de Midi. Or; dans toutes ces parties de l'univers a été publié le Décalogue, non-seulement pour inspirer la frayeur de la lettre, mais encore pour être accompli avec la grâce de l'amour. Multiplions dix par quatre, nous obtenons le nombre de quarante.

Cependant nous avons à nous débattre encore contre les tentations, à solliciter le pardon de

1. Jean, XVI, 19, 20, 22. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Isaïe, XXVI, 18. — 4. Jean, XVI, 21. — 5. Ps. LX, 3.

nos fautes. Qui de nous en effet accomplit parfaitement ce précepte : " Tu ne convoiteras pas (1)? " Il faut donc jeûner et prier, sans cesser de faire le bien. Ce travail finira par recevoir la récompense désignée dans l'Ecriture sous le nom de denier (2). Or le mot denier, denarius, vient de dix, decem, comme ternarius de tres, quaternarius de quatuor, quatre En unissant ce terme à quarante, comme l'expression de la récompense due au labeur chrétien, on parvient au nombre cinquante, lequel désigne ainsi l'époque heureuse où nous goûterons la joie que nul ne nous enlèvera. Nous ne la goûtons pas encore durant cette vie; cependant, -lorsque nous avons célébré la Passion du Seigneur, ne la faisons-nous pas résonner en quelque sorte pendant les cinquante jours qui suivent da résurrection, quand notre jeûne est interrompu et qu'en chantant les divines louanges nous répétons l'Alleluia?

9. Maintenant donc et pour vous éviter d'être circonvenus par Satan, je vous exhorte, mes bien-aimés, au nom de Jésus-Christ, de vous appliquer à apaiser Dieu par le jeûne de chaque jour, de plus abondantes aumônes et des prières plus ferventes. Nous voici au temps où on doit s'abstenir entre époux afin de vaquer à la prière, quoiqu'on doive le faire aussi à certains jours dans le cours de l'année et d'autant plus avantageusement qu'on le renouvelle plus souvent; car user sans mesure d'une permission, c'est offenser celui qui l'a accordée. L'oraison, d'ailleurs, étant une oeuvre spirituelle, est d'autant plus agréable à Dieu qu'elle se fait plus spirituellement. Or, elle se fait d'autant plus spirituellement qu'en l'adressant à Dieu on est plus dégagé des plaisirs sensuels.

Moïse, le ministre de la loi, a jeûné quarante jours; quarante jours aussi a jeûné le grand prophète Elie, ainsi que le Seigneur lui-même, à qui ont rendu témoignage la loi et les Prophètes. Aussi se montra-t-il avec eux sur la montagne. Pour nous, qui ne pouvons soutenir un jeûne aussi long, sans prendre aucun aliment durant tant de jours et tant de nuits, faisons au moins ce que nous pouvons; et en dehors des jours où pour des motifs spéciaux la coutume de l'Eglise interdit le jeûne, rendons-nous agréables au Seigneur notre Dieu en jeûnant chaque jour ou fréquemment.

1. Exod. XX, 17. — 2. Matt. XX, 2-13.

204

Mais s'il n'est pas possible de s'abstenir totalement du boire et du manger durant tant de jours, ne saurait-on renoncer entièrement alors aux rapports des sexes, quand par la grâce du Christ nous voyons beaucoup de chrétiens et de chrétiennes conserver dans toute leur pureté des membres qu'ils ont consacrés à Dieu? Serait-il donc si difficile à la chasteté conjugale de faire durant tout le temps des solennités de Pâques ce que fait toute sa vie la pureté virginale ?

10. Il est une observation que je ne vous dois plus, après vous avoir montré, dans la mesure de mes forces, le temps actuel comme étant surtout une époque d'humiliation pour l'âme ; attendu néanmoins les égarements de certains hommes, dont les discours vains et séducteurs ainsi que les habitudes dépravées ne cessent de nous inspirer pour votre salut de laborieux soucis, je ne saurais me taire.

Il en est qui observent le Carême plutôt délicieusement que religieusement, qui s'appliquent plus à imaginer de nouvelles jouissances qu'à réprimer la vieille concupiscence. Ils font d'immenses et dispendieux amas de toutes sortes de fruits, afin d'arriver à former les plus variés et les plus savoureux de tous les mets ; ils auraient peur de se souiller en touchant les vases où a cuit la chair, et ils ne redoutent point de nourrir leur corps de ce qu'il y a de plus raffiné dans les plaisirs des sens; ils jeûnent, non pas pour modérer leur sensualité habituelle à prendre leurs aliments, mais afin d'exciter, en différant de les prendre, un appétit immodéré. Quand effectivement le moment du repas est arrivé, ils se jettent sur leurs tables splendides comme des troupeaux sur le fourrage ; ils s'élargissent l'estomac en le chargeant de mets trop nombreux , et pour éviter le rassasiement qu'engendre une nourriture trop copieuse, ils réveillent l'appétit par la variété et l'étrangeté des assaisonnements imaginés par l'art. Ils mangent enfin en si grande quantité que le temps du jeûne ne suffit pas à la digestion.

11. Il en est aussi qui en se privant de vin pressurent d'autres fruits afin d'en extraire des boissons, non pas pour la santé, mais pour la volupté ; comme si le Carême n'était pas un temps où on doive s'humilier pieusement plutôt que d'imaginer de nouvelles jouissances. Si la faiblesse de l'estomac ne peut se contenter d'eau, ne serait-il pas bien plus convenable de boire un peu de vin véritable que de rechercher ces autres espèces devins inconnus à la vendange et étrangers aux pressoirs, non pas pour avoir une boisson de digestion plus facile, mais pour n'avoir pas une boisson trop commune ? A l'époque même où on doit mortifier plus sévèrement la chair, n'est-il pas éminemment déraisonnable de chercher à la flatter au point que la sensualité même regretterait de n'avoir pas à faire de Carême ? Peut-on souffrir qu'aux jours consacrés à l'humiliation, quand chacun doit s'attacher à vive comme les pauvres, on vive au contraire d'une façon si dispendieuse que les plus riches patri. moines y suffiraient à peine si ce genre de vie durait toujours ? Prenez garde à ces abus, mes bien-aimés; rappelez-vous ces mots de l'Ecriture : " Ne suis pas tes convoitises (1) ". Si ce précepte salutaire doit s'observer en tout temps; n'est-ce pas surtout au moment où il y aurait tant de honte à rechercher pour la sensualité des jouissances extraordinaires , qu'on serait justement blâmé de ne pas restreindre ce qui peut la flatter ordinairement?

12. Avant tout n'oubliez pas les pauvres, et mettez en réserve dans le trésor céleste ce que vous épargnez en vivant avec plus d'économie. Qu'on donne au Christ pour apaiser sa faim, ce dont se prive chaque chrétien pour pratiquer le jeûne. Que la pénitence volontaire serve à soutenir l'indigent ; que l'indigence volontaire du riche devienne l'abondance nécessaire du pauvre.

Que le coeur doux et humble soit miséricordieux et facile à accorder le pardon. Que celui; qui a fait l'outrage, demande pardon; et que celui qui l'a subi, l'accorde ; afin que nous ne tombions pas au pouvoir de Satan, qui triomphe des dissensions des chrétiens. Quelle aumône avantageuse de remettre à ton frère ce qu'il te doit, afin d'obtenir la remise de ce que tu dois au Seigneur ! C'est le Maître céleste qui a recommandé à ses disciples ce double devoir : " Remettez, leur disait-il, et il vous sera remis ; donnez et on vous donnera (2) ". Souvenez-vous de ce serviteur de qui son maître exigea de nouveau le paiement de toute la dette dont il l'avait tenu quitte, et cela parce qu'envers son compagnon, qui lui était redevable de cent deniers, ce serviteur n'avait pas

1. Eccli. XVIII, 30. — 2. Luc, VI, 37, 38.

205

usé de miséricorde comme on en avait usé envers lui au sujet de sa dette de dix mille talents'. Or, en ce genre de bonnes oeuvres aucune excuse n'est valable, puisqu'il ne faut que de la volonté. On peut dire quelquefois Je ne puis jeûner, car j'aurais mal à l'estomac. On peut dire encore : Je voudrais donner aux pauvres, mais je n'ai rien, ou bien : J'ai si peu qu'en donnant je crains de tomber dans la misère. Remarquons toutefois que souvent, dans ces circonstances, on imagine de fausses excuses, parce qu'on n'en a pas de solides. Mais peut-on dire jamais: Si je n'ai pas accordé le pardon qui m'était demandé, c'est que j'en ai été empêché par ma faible santé, ou que je n'avais aucun moyen de le faire parvenir ? Remets, pour qu'on te remette. Il ne s'agit pas ici de bonne oeuvre corporelle; pour accorder ce qui est demandé, il ne faut pas même à l'âme le concours d'un seul des membres du corps. C'est la volonté qui fait, qui accomplit tout. Agis donc, donne sans inquiétude ; tu n'auras aucune douleur à endurer dans ton corps, aucune privation à subir dans ta maison. O mes frères, quel crime de ne pardonner pas à un frère qui se repent, quand on est obligé d'aimer son ennemi même !

Puisqu'il en est ainsi et puisqu'il est écrit " Que le soleil ne se couche pas sur votre colère (1) " ; je vous le demande, mes frères, doit-on appeler chrétien celui qui maintenant au moins ne veut pas en finir avec des inimitiés que jamais il n'aurait dû contracter ?

1. Eph. IV, 26.

 

 

 

SERMON CCXI. POUR LE CARÊME. VII. DU PARDON DES INJURES.

ANALYSE. — Le temps même où nous sommes nous invite à vivre en paix: avec nos frères et à leur pardonner leurs torts. Comment prier, comment se mettre en face de ce que dit l'Ecriture coutre. ceux qui conservent de la haine, si on ne pardonne pas? — Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas de réconciliation ? C'est son malheur et ce n'est plus ta faute. — Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas me demander pardon ? Remarque qu'il ne doit pas te le demander s'il ne t'a point offensé ; s'il est ton supérieur, s'il a à craindre de te nuire et de t'inspirer de l'orgueil en te demandant pardon , il doit te faire, sentir autrement, comme par quelques paroles bienveillantes, qu'il se repent de t'avoir manqué. Supposons maintenant qu'il te doive demander pardon et qu'il ne le fasse pas; comme tu es très-sincèrement disposé à le lui accorder, tu, n'es pas répréhensible. — Beaux exemples de pardon que nous donne Jésus-Christ !

1. Ces saints jours que nous consacrons à l'observation du Carême, nous invitent à vous entretenir de l'union fraternelle, à vous engager d'en finir avec les ressentiments que vous pouvez avoir contre autrui, pour qu'on n'en finisse pas avec vous.

Gardez-vous de dédaigner ceci, mes frères. Cette vie fragile et mortelle, cette vie qui rencontre tant d'écueils et de tentations dans ce monde et qui demande la grâce de ne pas sombrer, ne peut, hélas ! rester exempte de quelques péchés, dans les justes eux-mêmes. Il n'y a donc pour la préserver qu'un seul moyen, c'est celui que nous a indiqué Dieu notre Maître en nous ordonnant de dire dans la prière: " Remettez-nous nos offenses comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1) ". Nous avons fait un pacte, un contrat avec le Seigneur; nous avons apposé notre signature sur l'acte qui dit à quelle condition il nous pardonnera nos fautes. Avec pleine. confiance nous lui demandons de nous pardonner, si nous pardonnons nous-mêmes. Si donc nous ne pardonnons pas, ne croyons

1. Matt. VI, 12.

206

pas qu'il nous pardonne, ce serait nous abuser. Que nul ne se trompe ici, car ce n'est pas Dieu qui trompe qui que ce soit.

La colère est une faiblesse attachée à l'humanité ; puissions-nous toutefois en être exempts 1 C'est donc une faiblesse attachée à l'humanité, et en naissant elle est comme un petit germe sortant de terre ; mais prends garde de l'arroser de soupçons, elle serait bientôt de la haine, le germe deviendrait un gros arbre. La haine est effectivement différente de la colère. On voit souvent un père se fâcher contre son fils sans le haïr; il veut, dans sa colère, simplement le corriger. Or, s'il se fâche pour corriger, c'est en quelque sorte l'amour qui inspire sa colère. Aussi bien est-il dit: " Tu vois le fétu dans l'oeil de ton frère; mais dans le tien tu ne vois pas la poutre (1) ". Tu condamnes la colère d'un tel, et tu conserves de la haine en toi-même. Comparée à la haine, la colère est comme un fétu ; mais en le nourrissant, tu en feras une poutre, au lieu qu'il. n'en serait plus question si tu l'arrachais pour le jeter au loin.

2. Si vous étiez attentifs à la lecture de l'Epître, vous avez dû être effrayés d'une pensée de saint Jean. " Les ténèbres sont passées, dit-il, déjà luit la vraie lumière". Puis il ajoute : " Celui qui se prétend dans la lumière, tout en baissant son frère, est encore dans les ténèbres (2) ". Ne croira-t-on pas que ces ténèbres sont de la nature des ténèbres auxquelles sont condamnés les prisonniers? Ah ! si elles n'étaient que cela ! Personne cependant ne recherche ces dernières; et l'on peut y jeter . les innocents aussi bien que les coupables, puisque les martyrs y ont été enfermés. Oui, ils étaient de toutes parts environnés par ces ténèbres, mais une lumière secrète brillait dans leurs coeurs. Leurs yeux étaient plongés dans l'obscurité, mais l'amour de leurs frères leur permettait de voir Dieu-. Veux-tu savoir de quelle nature sont ces ténèbres dont il est parlé dans ces mots: " Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres? " Le même Apôtre dit ailleurs : " Celui qui hait son frère est un homicide (3) ". Cet homme haineux se met en mouvement, il sort, il rentre, il voyage, il ne paraît ni chargé de chaînes, ni enfermé dans un cachot; mais il est lié par le crime. Ne t'imagine point qu'il ne soit pas en

1. Matt. VI, 3. — 2. I Jean, II, 8, 9. — 3. I Jean, III,15.

prison ; son coeur est son cachot. Afin donc d'écarter toute idée d'indifférence pour les ténèbres dont il dit: "Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres ", l'Apôtre ajoute : " Celui qui hait son frère est homicide ". Toi, tu hais ton frère et tu voyages tranquillement ! Quoique Dieu t'en donne le moyen, tu refuses de te réconcilier avec lui ! Tu es donc homicide, et pourtant tu vis encore ! Si Dieu se vengeait, tu serais emporté soudain avec ta haine contre ton frère. Mais Dieu t'épargne encore, épargne-toi aussi et te ré. concilie.

Le voudrais-tu sans que ton frère le voulût? C'est assez pour toi. Tu as, hélas ! un motif de le plaindre; mais toi, tu es dégagé; et quoi. qu'il refuse la réconciliation, dès que tu la veux, tu peux dire tranquillement : " Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés ".

3. C'est toi peut-être qui lui as manqué; tu voudrais faire la paix , tu voudrais lui dire : Pardonne-moi, frère, mes torts contre toi. Mais lui ne veut point pardonner, il ne veut rien quitter ; il refuse de te remettre ce que tu lui dois. Qu'il ouvre donc les yeux quand il devra prier. Cet homme qui refuse de te remettre ce que tu peux lui devoir, comment se tirera-t-il d'embarras quand viendra pour lui le moment de prier ? Qu'il dise d'abord: " Notre Père qui êtes aux cieux ". Ensuite: " Que votre nom soit sanctifié ". Ensuite encore: " Que votre règne arrive ". Continue: "Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ". Poursuis : " Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour ". C'est bien: mais ne voudras-tu point passer par-dessus ce qui suit, y substituer autre chose ? pas moyen de passer, te voici arrêté. Dis donc encore, dis sincèrement; ou plutôt, si tu n'as pas de motif de prononcer ces paroles: " Pardonnez-nous nos offenses " , ne les prononce pas. Que devient toutefois cet oracle de l'Apôtre : " Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)". Si donc ta conscience te reproche des fragilités et si de toutes parts abonde l'iniquité dans ce siècle, dis sincèrement: "Pardonnez-nous nos offenses " ; mais remarque ce qui suit. Comment ! tu as refusé de par

1. I Jean, I, 8.

207

donner à ton frère et tu vas dire : " Comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1) ? " Ne diras-tu pas cela ? Alors tu n'obtiendras pas. Le diras-tu ? Ce sera mentir. Dis-le plutôt et dis-le sincèrement. Comment le dire sincèrement après avoir refusé de remettre le tort à ton frère ?

4. Je viens donc d'avertir ce malheureux; et maintenant je reviens à toi pour te consoler, à toi qui que tu sois, si cependant il en est ici, qui as dit à ton frère : Pardonne-moi cette offense envers toi. Je suppose donc que tu as dit cela de tout ton coeur, avec une humilité vraie, avec une charité sincère, que tu. n'as dit que ce que voit dans ton âme le regard de Dieu, et que néanmoins on t'a refusé le pardon demandé, eh l bien ne t'inquiète pas: toi et ton frère vous êtes des serviteurs, vous avez un Maître commun ; tu dois à ton frère et il ne veut pas te tenir quitte, adresse-toi au Maître de tous deux; une fois que ce Maître t'aura donné quittance, que pourra exiger de toi son serviteur ?

Voici autre chose. A celui qui refuse le pardon que lui demande son frère, j'ai donné l'avis de surmonter sa répugnance, attendu qu'en priant il n'obtiendrait pas lui-même ce qu'il désire. J'ai parlé aussi à celui qui, sans l’obtenir, a demandé à son frère le pardon de sa faute; je lui ai dit que s'il n'a pas obtenu de son frère, il peut compter sur son Dieu. J'ai à dire encore autre chose :Ton frère a-t-il péché contre toi et refuse-t-il de t'adresser ces mots Pardonne-moi mes torts ? Combien de fois ne rencontre-t-on point ce cas ? Ah : si Dieu voulait arracher cette plante de son champ, ce sentiment de vos coeurs ! Combien n'en est-il pas qui ont la conscience d'avoir manqué à leurs frères et qui refusent de prononcer ces mots: Pardonne-moi ! Hélas ! ils n'ont pas rougi de pécher, et ils rougissent de demander; ils n'ont pas rougi de commettre l'iniquité, et ils rougissent de pratiquer l'humilité ?

C'est à eux que je m'adresse d'abord. Vous donc qui êtes en discorde avec vos frères, vous qui en vous recueillant, en vous examinant, en vous jugeant selon la vérité et au fond du coeur, reconnaissez que vous auriez dû ne faire ni ne dire ce que vous avez dit ou fait, demandez pardon à vos frères, représentez-leur cette recommandation de l'Apôtre : " Vous pardonnant

1. Matt. VI, 9-12.

les uns aux autres, comme Dieu même nous a pardonnés en Jésus-Christ (1) "; allez, ne rougissez pas de demander grâce. C'est à tous que je dis ceci, aux hommes et aux femmes, aux petits et aux grands, aux laïques et aux ecclésiastiques : je me le dis également à moi-même. Tous, prêtons l'oreille, craignons tous. Oui, si nous avons manqué à nos frères, et que la mort nous accorde encore quelque délai, nous ne sommes point perdus; nous ne le sommes point, puisque nous vivons et que nous ne sommes point encore au nombre des réprouvés; eh bien l puisque nous sommes encore en vie, faisons ce que nous ordonne notre Père, lequel se montrera bientôt notre Dieu et notre juge, et demandons pardon à ceux de nos frères que nous pouvons avoir offensés ou blessés en leur manquant de quelque manière.

Il y a toutefois des personnes d'humble condition dans ce monde, qui s'enorgueilliraient si on leur demandait pardon. Ainsi un maître manque à son serviteur; il lui manque, car s'il est maître et l'autre serviteur, ils n'en sont pas moins tous deux serviteurs d'un autre maître, puisque tous deux sont rachetés au prix du sang de Jésus-Christ. On semblerait toutefois bien sévère envers le maître à qui il serait arrivé de manquer à son serviteur en le grondant ou en le frappant injustement, si on lui imposait l'obligation de dire : Use d'indulgence, pardonne-moi. Sans doute il doit le faire, mais il est à craindre que le serviteur ne commence à s'enfler d'orgueil. Que faire alors? Que le maître se repente devant Dieu, qu'il se punisse intérieurement devant Dieu; et s'il ne peut, s'il ne doit pas dire à son serviteur: Fais-moi grâce, qu'il lui parle avec douceur. Un doux langage est quelquefois une demande de pardon.

5. Il me reste à adresser la parole. à ceux qui ont été offensés et à qui on a refusé de demander pardon. J'ai dit ma pensée à ceux qui ont refusé ce pardon quand on l'implorait; mais aujourd'hui, dans ce saint temps où je vous presse tous de ne laisser subsister rien de vos discordes, il me semble qu'à plusieurs d'entre vous s'est présentée une pensée secrète. Vous savez donc qu'il y a entre vous et vos frères quelques sujets de discordes ; mais vous êtes convaincus que l'offense vient d'eux et non

1. Ephés. IV, 32.

208

pas de vous. Vous ne me dites rien sans doute, car en ce lieu c'est à moi de porter la parole et à vous de l'entendre en silence; il est possible cependant que vous vous disiez à vous-mêmes: Je veux faire la paix, mais c'est lui qui m'a blessé, qui m'a offensé et il se -refuse à demander pardon. — Que vais-je répondre ? Dirai-je : Va le trouver et lui demande grâce? Nullement. Je ne veux pas te pousser au mensonge ; je ne veux pas que tu dises : Pardonne-moi, quand tu as la conscience de n'avoir pas manqué à ton frère. A quoi bon t'accuser? Pourquoi demander grâce à qui tu n'as pas manqué, à celui que tu n'as pas blessé ? Cette démarche ne te profiterait pas, ne la fais point. Tu sais , tu sais après examen sérieux, que c'est de lui que vient l'offense, et non de toi. — Je le sais. — Eh bien ! que ta conscience soit en repos sur cette certitude bien fondée. Ne vas point trouver ce frère qui t'a manqué,ni lui demander spontanément pardon. Entre toi et lui doivent se trouver des pacificateurs qui lui représentent son devoir et l'amènent à te demander grâce d'abord ; il importe seulement que de ton côté tu sois disposé à l'accorder, entièrement prêt à pardonner du fond de ton coeur. La disposition à pardonner est le pardon déjà octroyé. Tu dois pourtant prier encore, prier pour obtenir qu'il te demande pardon : convaincu qu'il perd à ne le demander pas, prie pour qu'il le demande, et dans ta prière dis au Seigneur : Vous savez, Seigneur, que je n'ai pas manqué à mon frère un tel, mais que c'est lui qui m'a manqué ; vous savez encore qu'il lui est funeste de ne pas me demander pardon après m'avoir manqué ; je vous conjure donc avec amour de lui pardonner.

6. Je viens. de vous rappeler ce que main tenant surtout, durant ces jours de jeûnes, de saintes pratiques et de continence, vous devez faire aussi bien que moi pour vous réconcilier avec vos frères. Procurez-moi la joie de vous voir en paix, puisque vous me faites la peine de vous voir en querelles; et vous pardonnant mutuellement les torts que vous pouvez avoir l'un contre l'autre; mettons-nous en état de faire tranquillement la Pâque, de célébrer sans inquiétude la Passion de Celui quine devant rien à personne a payé pour tous ; je veux parler.de Jésus-Christ Notre-Seigneur; car il n'a offensé personne; presque tous au contraire l'ont offensé ; et pourtant loin d'exiger de nous des supplices, il nous a promis des récompenses. Eh bien ! il voit dans nos coeurs que si nous avons offensé quelqu'un, nous lui demandons sincèrement pardon; que si quelqu'un nous a offensés, nous sommes disposés à lui pardonner et à prier pour nos ennemis. Ne demandons pas à nous venger, mes frères ? Qu'est-ce que se venger, sinon jouir des maux d'autrui ?

Je le sais, il vient chaque jour des hommes qui fléchissent le genou, qui se prosternent le front dans la poussière, qui quelquefois même s'arrosent le visage de leurs larmes, et qui disent au milieu de cette émotion et dans cette attitude si humble : Vengez-moi, Seigneur, faites périr mon ennemi. Eh bien ! oui, demande que le Seigneur fasse périr ton ennemi, et qu'il sauve ton frère ; qu'il détruise l'inimitié, et préserve la nature; demande à Dieu qu'il mette à mort ce qui te persécutait en lui, mais qu'il, le conserve lui-même pour le rendre à ton amitié.

 

 

 

SERMON CCXII. POUR LE CINQUIÈME LUNDI DE CARÊME. EXPLICATION DU SYMBOLE. I.

209

ANALYSE. — Dans cette courte explication adressée aux Catéchumènes, saint Augustin montre plutôt la liaison que le sens détaillé des parties du Symbole. Il termine en disant pour quel motif il était alors défendu de l'écrire.

1. Il est temps de vous livrer le Symbole, qui contient en peu de mots ce que vous croyez en vue du salut éternel.

Le mot symbole est pris ici par analogie, dans un sens figuré. On dit des négociants qu'ils font un symbole quand, pour le maintien de leur société, ils font entre eux un pacte de fidélité. Votre société aussi n'est-elle pas une espèce de commerce spirituel, et ne ressemblez-vous pas aux marchands qui sont en quête de la perle précieuse (1) ? C'est la charité que répandra dans vos coeurs l'Esprit-Saint qui vous sera donné (2). Or; on y parvient par la loi contenue dans le Symbole.

Croyez donc en Dieu , le Père tout-puissant, invisible, immortel, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est invisible et de ce qui est visible; croyez de lui encore toutes les grandeurs que nous montre en lui la raison dans sa pureté ou l'autorité des saintes Ecritures.

Mais de ces grandeurs n'excluez pas le Fils de Dieu. Si on les attribue au Père, ce n'est pas pour les refuser à Celui qui a dit : " Mon Père et moi nous sommes un (3) " ; et de qui l'Apôtre a écrit: " Il avait la nature de Dieu et a il ne croyait point usurper en se faisant égal à Dieu (4) ". Usurper, c'est s'attribuer une chose étrangère; or, l'égalité avec Dieu est la nature même du Fils de Dieu. Comment donc ne serait-il pas tout-puissant, puisque tout a été fait par lui, puisqu'il est la Puissance et cette Sagesse de Dieu (5), dont il est écrit qu'étant " une, elle peut tout (6) ? " Il est aussi invisible par nature, par cette nature qui le rend l’égal du Père. N'est-il pas invisible en effet ce Verbe de Dieu qui était au commencement et

1, Matt. XIII, 45. — 2. Rom. V, 5. — 3. Jean, X, 30. — 4. Philip. II, 6. — 5. I Cor. I, 24. — 6. Sag. VII, 27.

qui était Dieu (1) ? Comme tel il est aussi complètement immortel, c'est-à-dire immuable sous tout rapport. L'âme humaine est bien immortelle à un point de vue; mais elle ne possède point l'immortalité véritable, puisqu'elle est mobile, capable de reculer et de progresser. Elle meurt, quand elle renonce à la vie de Dieu;par suite de .l'ignorance qui est en elle; elle vit, quand elle court à la source de la vie, pour jouir, à la clarté de Dieu, de la lumière de Dieu. Vous aussi vous vivrez de cette vie, lorsque par la grâce du Christ vous sortirez de l'état de mort auquel vous renoncez. Quant au Verbe de Dieu; quant au Fils unique de Dieu, il possède avec son Père une vie toujours immuable; il ne perd rien, car il n'y a point diminution dans ce qui reste toujours le même; il n'acquiert rien non plus, car ce qui est parfait ne saurait croître. Il est aussi le Roi des siècles, le Créateur des choses visibles et des choses invisibles. En effet, comme le dit l'Apôtre : " C'est par lui que toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit Trônes, soit Dominations, soit Principautés, soit Puissances; tout a été créé par lui et en lui, et pour lui tout subsiste (2) ".

Cependant, comme " il s'est, anéanti ", non pas en perdant la nature de Dieu, mais " en prenant une nature d'esclave (3) " ; par cette nature d'esclave il est devenu visible, puisqu'il est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie. Comme esclave encore le Tout-Puissant est devenu faible, puisqu'il a souffert sous Ponce-Pilate. Comme esclave l'Immortel est mort, puisqu'il a été crucifié et enseveli. Comme

1. Jean, I, 3, 1. — 2. Colos. I, 16, 17. — 3. Philip. II, 7.

210

esclave le Roi des siècles est ressuscité le troisième jour. Comme esclave le Créateur des choses visibles et des êtres invisibles est monté aux cieux, quoiqu'ils ne les ait quittés jamais. Comme esclave il est assis à la droite du Père, quoiqu'il soit le bras du Père, puisqu'un prophète a dit de lui: " Et le bras du Seigneur, à qui s'est-il manifesté (1) ? " Comme esclave il viendra juger les vivants et les morts, avec qui il. a voulu mourir, quoiqu'il soit la vie des vivants.

C'est par lui.que le Père et lui-même nous ont envoyé l'Esprit-Saint. Cet Esprit du Père et du Fils a été envoyé par le Père et par le Fils, sans être engendré par l'un ni par, l'autre; il est le lien de tous deux, et tous deux il les égale. Voilà la Trinité, voilà le Dieu unique, tout-puissant, invisible, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est visible et de ce qui est invisible. Car nous ne disons pas qu'il y ait ni trois Seigneurs, ni trois Tout-Puissants, ni trois Créateurs; nous ne prononçons au pluriel aucun de ces noms réservés à la grandeur de Dieu, attendu qu'il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu. Et pourtant, dans cette auguste, Trinité, le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, l'Esprit-Saint n'est non plus ni le Père ni le Fils s le Père est simplement le Père du Fils; le Fils, le Fils du Père; et le Saint-Esprit, l'Esprit du Père et du Fils. Croyez pour comprendre; car vous ne comprendrez point si vous ne croyez (2).

Avec cette foi espérez la grâce qui effacera tous vos péchés ; c'est par là que vous serez sauvés et non par vous-mêmes, car le salut est un don de Dieu. Espérez. aussi qu'après cette mort qui nous abat tous en. punition du crime. antique du premier homme, vos corps mêmes ressusciteront à la fin des siècles, non pas pour être accablés de douleurs, comme les impies, qui ressusciteront aussi ; non pas pour goûter les joies des désirs charnels, comme s'y attendent

1. Isaïe, LVI, 1. — 2. Isaïe, VII, 9, sel. LXX.

les insensés; mais pour expérimenter ce que dit l'Apôtre: " On sème un corps animal, il s'en élèvera un corps spirituel (1)", un corps qui ne sera plus un fardeau pour l'âme et qui , ne perdant plus rien n'aura plus besoin d'aucun aliment.

2. Je vous devais ce petit discours sur l'ensemble du Symbole; le voilà terminé, et vous reconnaîtrez qu'il comprend en peu de mots tout ce qu'on vous montrera dans ce Symbole. Afin toutefois de retenir ce Symbole mot à mot, vous ne devez pas l'écrire, mais, l'apprendre en l'entendant; vous ne devez pas même l'écrire lorsque vous le saurez, mais le retenir et le réciter toujours de mémoire. Sans doute, tout ce que vous verrez dans le Symbole est contenu dans les saintes Ecritures; et s'il n'est pas permis de l'écrire après l'en avoir ainsi recueilli et en avoir formé cet abrégé, c'est en souvenir des divines promesses exprimées ainsi par un Prophète, à propos du Nouveau Testament: "Voici l'alliance que je formerai alors avec eux, dit le Seigneur: j'écrirai ma loi dans leur esprit et je la graverai dans leur coeur (2) ". En mémoire donc de ces paroles, on apprend le Symbole en l'écoutant; on ne le grave ni sur des tablettes, ni sur une matière quelconque, mais dans le coeur. Celui qui vous convie à son royaume et à sa gloire,vous accordera la grâce, quand vous aurez été régénérés, que le Saint. Esprit lui-même l'écrive aussi dans vos coeurs. Par là vous aimerez ce que vous croyez, la foi agira en vous par la charité et vous plairez ainsi au Dispensateur de tous les biens, au Seigneur notre Dieu., non pas en craignant la peine comme des esclaves, mais en vous affectionnant à la justice comme des enfants.

Voici donc le Symbole dont l'Ecriture et les discours de l'Eglise vous ont appris la substance, et que les fidèles doivent retenir et pro, fesser sous cette courte formule.

1. I Cor. XV, 54. — 2. Jérém. XXXI, 33.

 

 

 

 

SERMON CCXIII. EXPLICATION DU SYMBOLE. II.

211

ANALYSE. — Cette seconde explication du Symbole est la suite naturelle de la première. Celle-ci considérait le Symbole d'une manière plus générale ; la seconde entre dans le détail du sens de chaque article. Mais on n'y verra pas la froideur d'un ouvrage didactique. Saint Augustin y met son coeur comme il le met partout et spécialement dans ses discours.

1. Le Symbole,est la formule abrégée de notre foi, formule destinée à nous instruire sans être à charge à la mémoire; elle s'exprime en peu de mots pour enseigner beaucoup.

"Je crois en Dieu,, le Père tout-puissant ". Quel laconisme et quelle force ! Voilà tout à la fois un Dieu et un Père-; un Dieu avec sa puissance, un Père avec sa bonté. Que nous sommes heureux de rencontrer un père dans notre Dieu ! Croyons donc en lui, et promettons-nous tout de sa miséricorde, puisqu'il est tout-puissant : aussi disons-nous que nous croyons " en Dieu, le Père tout-puissant ". Que nul ne dise: Il ne peut me remettre mes péchés. Comment ne le pourrait le Tout-Puissant? — Mais j'ai tant péché, ajoutes-tu. — Mais il est tout-puissant, répliqué-je. — J'ai tant commis de péchés, que je ne saurais en être ni délivré ni purifié. — Je réponds encore Mais il est tout-puissant. Remarquez ce que vous lui dites en chantant ce psaume : " Bénis ale Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d'oublier toutes ses faveurs; il te pardonne toutes tes iniquités, il te guérit de toutes tes langueurs (1) ". C'est pour cela que nous était nécessaire sa toute-puissance. Toutes les créatures en avaient besoin pour sortir du néant. Pour faire ce qui est grand et ce qui est petit Dieu est tout-puissant ; tout-puissant pour former ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre ; tout-puissant pour créer ce qui est mortel et ce qui est immortel ; tout-puissant pour donner l'être à ce qui est spirituel et à ce qui est corporel ; tout-puissant pour tirer du néant ce qui est visible et ce qui est invisible; il, est grand dans les grandes choses sans être petit dans les moindres. Il est tout-puissant enfin pour faire tout ce qu'il veut ;

1. Ps. CII, 2, 3.

combien en effet n'est-il pas de choses qu'il ne saurait faire ? Il ne peut ni mourir, ni pécher, ni mentir, ni se tromper ; combien d'autres choses encore qu'il ne pourrait que s'il n'était pas tout-puissant ! Croyez donc en lui et professez votre foi. " Car on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (1) ". Voilà pourquoi après avoir cru vous devrez confesser votre foi en récitant le Symbole. Ecoutez donc maintenant ce que vous aurez à retenir toujours et à réciter bientôt sans l'oublier jamais.

2. Qu'est-ce qui vient ensuite? " Et en Jésus-Christ ". — " Je crois, dis-tu, en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur ". S'il est Fils unique, il est par conséquent égal à son Père. S'il est Fils unique, il est donc de même nature que son Père. S'il est Fils unique, il a conséquemment la même toute-puissance que son Père. S'il est Fils unique, il est aussi coéternel à son Père.

Voilà ce qu'il est en lui-même, en lui-même et dans le sein de son Père. Mais pour nous, et par rapport, à. nous, qu'est-il ? " Qui a été conçu du Saint-Esprit, qui est né de la Vierge Marie ". Voilà bien Celui qui est venu, par où il est venu, et vers qui il est venu. Il est venu par la Vierge Marie, avec l'opération du Saint-Esprit et non pas d'un homme; d'un époux ; du Saint-Esprit qui a fécondé cette Vierge pure en lui conservant son intégrité. Et c'est ainsi que s'est revêtu de chair le Christ Notre-Seigneur; ainsi que s'est fait homme Celui qui a créé l'homme : il a pris ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était ; car " le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (2) ". Ce n'est pas que

1. Rom. X, 10. — 2. Jean, I, 14.

212

le Verbe se soit changé en chair; mais tout en restant Verbe il a pris une chair, tout en demeurant à jamais invisible, il est devenu visible quand il l'a voulu, et " il a habité parmi nous ". Qu'est-ce à dire, parmi nous? Parmi les hommes. Il est devenu l'un de nous, tout en restant unique. Unique pour son Père. Et pour nous ? Unique aussi comme Sauveur, car nous n'avons d'autre Sauveur que lui ; unique aussi comme Rédempteur, car nul autre ne nous a rachetés, rachetés, non pas avec de l'or ni avec de l'argent, mais au prix de son sang.

3. Considérons donc par quelles négociations il est parvenu à nous racheter. Il a été dit dans le Symbole : " Qui a été conçu du Saint" Esprit, qui est né de la Vierge Marie ". Mais enfin qu'a-t-il fait pour nous ? Le voici dans la suite du texte : " Il a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli ". Oui, c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été crucifié : c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été enseveli. Mais c'est comme homme qu'il a été crucifié, comme homme encore qu'il a été enseveli. Comme Dieu il n'a pas changé, comme Dieu il n'a pas été mis à mort; pourtant Dieu a été mis à mort en tant qu'homme. " Car, s'ils l'avaient connu, dit l'Apôtre, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire (1)". Il le montre ici comme Seigneur de la gloire, il confesse néanmoins qu'il a été crucifié. Déchirer ta tunique sans te blesser la chair, ce serait te faire injure ; si tu criais alors, ce ne serait pas pour dire Tu as déchiré ma tunique, mais : Tu m'as déchiré, tu m'as mis en- lambeaux. Tu parlerais ainsi sans être blessé, et tu dirais vrai, lors même qu'en te manquant on n'aurait pas touché à ta chair. C'est ainsi que le Christ Notre-Seigneur a été crucifié. Il est vraiment le Seigneur, le Fils unique du Père ; il est notre Sauveur et le Seigneur de la gloire ; néanmoins il a été crucifié, mais crucifié dans sa chair; enseveli, mais dans sa chair uniquement: l'âme elle-même n'était pas là ni au moment ni au lieu où on l'ensevelissait, et par sa chair seulement il gisait dans le sépulcre. Tu n'en reconnais pas moins en lui Jésus-Christ, le Fils unique, Notre-Seigneur. Qui donc a été conçu du Saint-Esprit, puis est

1. I Cor. II, 8.

né de la Vierge Marie ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Qui a été crucifié sous Ponce-Pilate ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Quia été enseveli ? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. — Comment ! je ne vois que la chair, et tu dis que c'est Notre Seigneur ? — Assurément, je le dis, car en voyant le vêtement j'adore Celui qui le porte. La chair en effet lui sert comme de vêtement ; car "ayant la nature de Dieu et ne croyant point usurper en s'égalant à Dieu, il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave ", non pas en perdant sa nature divine ; " et devenu semblable aux hommes, il a été par l'extérieur considéré comme homme (1) ".

4. Toutefois ne méprisons pas la chair envisagée en elle-même ; c'est quand elle était abattue qu'elle nous a rachetés. Pourquoi nous a-t-elle rachetés ? Parce qu'elle n'a pas été toujours abattue : " Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts". C'est ce qui suit immédiatement dans le Symbole. Ainsi nous proclamons sa résurrection après avoir confessé sa passion. Qu'a-t-il fait en souffrant? Il nous a appris ce que nous avons à souffrir, Et en ressuscitant ? Il nous a montré ce que nous devons espérer. Ici voilà le devoir et ici la récompense ; le devoir dans la passion et la récompense dans la résurrection. Mais il n'en est pas resté là après être ressuscité d'entre les morts. Qu'est-il dit ensuite? "Il est monté au ciel ". Et maintenant où est-il? " Il est assis à la droite du Père ". Ne vois pas ici la droite considérée par rapport à la gauche. La droite de Dieu signifie l'éternelle félicité, La droite de Dieu signifie l'ineffable, l'inestimable, l'incompréhensible béatitude, la prospérité sans fin. Telle est la droite de Dieu et c'est là qu'est assis le Sauveur. Qu'est-ce à dire: " Il est assis ? " C'est-à-dire qu'il y demeure, car on appelle siège (2) le lieu où demeure quelqu'un. Au moment donc où le vit saint Etienne, on ne se trompait pas en disant : " Il est assis à la droite du Père ". Que dit en effet saint Etienne ? " Voilà que je vois le ciel ouvert, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu (3) ". De ce qu'il l'ait vu debout, s'ensuit-il qu'il y aurait eu mensonge à dire alors : " Il est assis à la droite du Père ? " Il

1. Philip. II, 6, 7. — 2. Le siège de l'empire, par exemple, est le lieu habité par le gouvernement. — 3. Act. VII, 55.

213

est assis est donc ici synonyme de il demeure, il habite. Comment demeure-t-il ? Comme tu demeures toi-même. En quelle position ? Qui le dira? Contentons-nous d'exprimer ce qu'il a enseigné, de parler de ce que nous savons.

5. Et puis? " De là viendra juger les vivants et les morts ". Bénissons en lui le Sauveur pour ne pas redouter le Juge. Car celui qui maintenant croit en lui, qui accomplit ses préceptes et l'aime sincèrement, ne tremblera point quand il viendra juger. les vivants et les morts; non-seulement il ne tremblera point, mais il soupirera après son arrivée: Eh ! que peut-il y avoir pour nous de plus heureux que devoir venir Celui que nous désirons, Celui que nous aimons? — Craignons néanmoins, puisqu'il sera notre juge. Il est maintenant notre avocat, mais il sera notre juge alors. — Écoute Jean : " Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés , ajoute-t-il, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité. Je vous ai écrit ceci afin de vous détourner du péché. Si cependant quelqu'un vient à pécher, nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus-Christ le Juste; et il est lui-même propitiation pour nos péchés (1) ". Je suppose que tu aies à soutenir une cause devant quelque juge; tu vas trouver un avocat pour l'en instruire; cet avocat t'accueille parfaitement, il plaide ta cause de son mieux, mais avant que la sentence soit rendue, tu apprends que cet avocat va être nommé ton juge :quelle joie d'avoir pour juge celui qui vient de te défendre ! Maintenant même c'est Jésus-Christ qui prie pour nous, qui intercède pour nous ; c’est lui que nous avons pour avocat, et nous craindrions de l'avoir pour juge? Ah! plutôt, puisque nous l'avons envoyé devant nous pour nous servir d'avocat et nous rassurer, espérons qu'il reviendra pour être notre juge.

6. Nous avons parcouru dans le Symbole ce qui a rapport à Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu et notre Seigneur. On y dit ensuite : " Et au Saint-Esprit ", pour compléter ce qui concerne la Trinité, père, Fils et Saint-Esprit. S’il a été parlé plus longuement du Fils, c'est que le Fils s'est fait homme, c'est que le Fils, le Verbe, s'est fait chair, et non pas le Père ni

1. I Jean, I, 8-11, 2.

l'Esprit-Saint, quoique l'humanité du Fils soit 1'oeuvre de la Trinité tout entière, attendu que les oeuvres de la Trinité sont inséparables. Croyez donc, en entendant parler ici du Saint-Esprit, qu'il n'est inférieur ni au Fils, ni au Père; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la . Trinité tout entière, ne font qu'un seul Dieu. Il n'y a entre eux ni différence, ni variété, ni infériorité, ni opposition ; mais égalité, perpétuelle , invisibilité et immuabilité dans le Père, le Fils et l'Esprit-Saint: Ah ! daigne cette auguste Trinité nous délivrer de la multitude de nos péchés !

7. C'est à nous que se rapporte ce qui vient ensuite : " La sainte Eglise " ; car c'est nous qui sommes la sainte Eglise. Or, en disant nous, je ne veux pas que vous entendiez seulement ceux qui sont ici, ceux qui m'écoutent, ceux qui par la grâce de Dieu sont chrétiens et fidèles ici, dans cette église, dans cette ville; mais encore tous ceux qui sont dans cette contrée, dans, cette province, au-delà même de la mer et.dans tout l'univers habité; car d u levant au couchant on bénit le nom du Seigneur (1). C'est là l'Église catholique , notre mère véritable et la véritable épouse de ce divin Époux. Honorons-la, puisqu'elle est la Dame d'un si grand Seigneur. Que dirai-je encore? Son Epoux a daigné faire pour elle d'incomparables merveilles : il l'a rencontrée prostituée et il l'a rendue vierge. Peut-elle nier ses prostitutions sans oublier la miséricorde de son Libérateur? Comment dire qu'elle n'était pas prostituée, quand- elle se souillait avec les idoles et les démons? Tous les hommes, hélas ! étaient adultères de coeur; peu l'étaient de corps, mais tous l'étaient de coeur. Le Christ donc est venu et il a rendu vierge son Eglise.

Elle est vierge par sa foi. Elle compte en petit nombre les vierges. proprement dites , consacrées à Dieu; mais sous le rapport de la foi tous en elle doivent être vierges , les hommes comme les femmes; car tous doivent être chastes, purs, saints. Voulez-vous savoir combien l'Église est vierge? Écoutez l'Apôtre saint Paul, cet ami zélé pour l'Epoux et non pour lui-même. " Je vous ai parés, dit-il, pour l'Époux unique ". Ainsi parlait-il à l'Eglise; et à quelle Eglise? A toute l'Église qui pouvait recevoir ses lettres. " Je vous ai parés

1. Ps. CII, 3.

214

comme une vierge chaste pour vous présenter au Christ votre unique Epoux. Mais je crains, poursuit-il, que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce ". Ce serpent fit-il perdre à Eve sa chasteté corporelle? Non, mais il corrompit en elle la virginité du coeur. " Je crains que vos âmes ne se flétrissent et ne perdent la chasteté qu'on trouve dans le Christ (1) ". Ainsi l'Eglise est vierge; oui, elle est vierge et qu'elle reste vierge. Qu'elle prenne garde au séducteur, pour ne trouver pas en lui de corrupteur. L'Eglise est vierge.

Tu vas me dire : Si elle est vierge, comment met-elle au. monde des enfants? Et si elle n'en met pas ait monde, comment nous sommes-nous enrôlés afin de trouver dans son sein une nouvelle naissance? — Je réponds : L'Eglise est vierge et mère en même temps. En cela elle imite Marie, la Mère du Seigneur. Est-ce que la sainte Vierge Marie n'est pas devenue Mère, tout en restant Vierge? Ainsi en est-il de l'Eglise, vierge et mère tout à la fois. A voir même de près, elle aussi est mère du Christ, puisque ceux qui reçoivent le baptême sont ses membres. " Vous êtes, dit l'Apôtre, le corps et les membres du Christ (2) ". Si donc l'Eglise enfante ainsi les membres du Christ, n'a-t-elle pas avec Marie la plus grande ressemblance ?

8. " La rémission des péchés ". Si cette grâce n'était dans l'Eglise, il faudrait désespérer; on ne pourrait espérer ni la vie future, ni l'éternelle délivrance, s'il n'était pas possible dans l'Eglise d'obtenir la rémission des péchés. Grâces donc au Seigneur qui a accordé cette faveur à son Eglise.

Vous allez approcher des fonts sacrés, être purifiés par le baptême, recevoir une vie nouvelle dans le bain salutaire de la régénération; et en sortant vous serez sans péché. Tous les péchés qui vous menaçaient y auront disparu; ils ressembleront aux Egyptiens qui s'élancèrent contre les Israélites et qui les poursuivirent jusqu'à la mer Rouge seulement (3). Jusqu'à la mer Rouge? Qu'est-ce à dire? Jusqu'aux fonts consacrés par la croix et par le sang du Christ: En effet ce qui est rouge est ce qui parait tel. Or, ne vois-tu pas comme semble rouge tout ce qui appartient au Christ? Ouvre les yeux. de la foi. En regardant la croix, n'y vois-tu pas du sang ? Peux-tu contempler

1. II Cor. XI, 2, 3. — 2. I Cor. XII, 27. — 3. Exod. XIV.

Celui qui y est suspendu sans penser en même temps à ce qu'il y a versé, quand son côté fut ouvert avec une lance et que notre rançon en découla (1) ? Voilà pourquoi on marque du signe, de la croix le baptême, c'est-à-dire l'eau qui sert à l'administrer, et c'est ainsi que vous traversez en quelque sorte la mer Rouge. Vos péchés sont comme vos ennemis; ils vous poursuivent, mais jusqu'à la mer seulement; et lorsque vous y serez entrés, vous en sortirez, mais eux y resteront : c'est ainsi que les Israélites traversant la mer à pieds secs, les Egyptiens furent engloutis sous les eaux. Que dit l'Ecriture? " Il n'en resta pas un seul (2) ". Tes péchés sont-ils en grand ou en petit nombre, graves ou légers? Il n'en reste pas un seul.

Cependant, comme il nous faut vivre dans ce monde, où nul n'est exempt de péché, les péchés ne se remettent pas seulement aux fonts sacrés du baptême, mais encore ils s'effacent par la prière dominicale et quotidienne qu'on vous apprendra dans huit jours. Elle sera pour vous comme un baptême quotidien, et vous rendrez sûrement grâces à Dieu d'avoir donné à son Eglise cette faveur que nous reconnaissons dans le Symbole, lorsqu'après avoir dit : " La sainte Eglise ", nous ajoutons : " La rémission des péchés ".

9. Vient ensuite " La résurrection de la chair ", et c'est la fin. Mais ce sera une fin sans fin que la résurrection de la chair. Il n’aura plus alors pour cette chair ni mort, ni angoisses, ni faim, ni soif, ni affliction, ni vieillesse, ni lassitude. Ne redoute donc pointa résurrection de la chair. Vois les biens dont jouira cette chair et oublie les maux qu'elle souffre. Non, il n'y aura plus rien alors des misères dont elle se plaint aujourd'hui. Nous serons éternels, les égaux des anges de Dieu (3); nous formerons avec ces saints anges une même société ; Dieu nous possédera, nous serons son héritage et lui-même sera le nôtre; aussi lui disons-nous dès maintenant: " Le Seigneur est ma portion d'héritage (4)"; et lui-même a dit de nous à son Fils : " Demande-moi, et je te donnerai. les nations pour héritage (5) ".. Ainsi nous serons à la fois propriétaires et propriété, nous retiendrons et on nous retiendra.

Aujourd'hui même ne sommes-nous pas

1. Jean, XIX, 34. — 2. Ps. CV, 11. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Ps. XV, 5. — 5. Ib. II, 8.

215

cultivés en même temps que nous cultivons? Mais nous cultivons comme on peut cultiver Dieu, tandis que. que nous sommes cultivés comme un champ peut l'être. Voulez-vous vous assurer que nous sommes cultivés? Ecoutez le. Seigneur: " Je suis la vraie vigne, dit-il, vous êtes les sarments et mon Père le cultivateur (1). " Si le Père est cultivateur, c'est qu'il cultive; quel champ? c'est nous. Un cultivateur de cette terre où tombent partout nos regards, peut bien labourer, bêcher, planter, arroser même s'il trouve de l'eau mais peut-il donner l'accroissement, diriger le germe vers l'intérieur de la terre, y fixer la racine, élever la tige, fortifier les rameaux, les charger de fruits, les embellir de feuilles ? Un cultivateur peut-il cela? Mais le divin Cultivateur de nos âmes, Dieu le Père peut faire en nous tout cela. Pourquoi te peut-il ? Ne croyons-nous pas en Dieu le Père tout-puissant?

Retenez bien ce que nous venons de vous dire, et comme Dieu nous a fait la grâce de vous l'expliquer.

1. Jean, XV, 1, 5.

 

 

 

SERMON CCXIV. EXPLICATION DU SYMBOLE. III.

ANALYSE. — Ce discours est évidemment un des premiers qu'ait prononcés saint Augustin lorsqu'il eut quitté la retraite studieuse où il avait demandé à son évêque de pouvoir s'enfermer pour se préparer au ministère de la parole (1). Aussi le, style et les idées présentent-ils ici une plus grande ressemblance que dans ses autres discours, avec le style et les idées de ses ouvrages philosophiques, composés vers la même époque; cette explication du Symbole s'attache plus aussi à dilucider et à approfondir les idées dogmatiques qu'à en tirer des conclusions morales. Le lecteur ne pourra qu'être frappé de la justesse et de l'élévation de doctrine où le saint Docteur était déjà parvenu, si peu de temps après sa conversion, quatre années seulement; car ce discours se rapporte à l'an 391.

1. Déjà ministre de l'autel dont vous allez vous approcher, nous ne pouvons vous refuser le ministère de notre parole, tel que notre faiblesse pourra; le remplir à un âge si peu avancé, à rentrée d'une carrière que nous apprenons seulement à fournir et où toutefois nous sommes, soutenus par notre affection pour vous.

" Si tu confesses de bouche, dit l'Apôtre, que Jésus est le Seigneur, et si tu crois dans ton coeur que le Seigneur l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé; car on croit de coeur pour être justifié et en confesse de bouche pour être sauvé (2) ". C'est le Symbole qui met en vous ce que, pour être sauvés, vous devez croire et confesser. Il est vrai, ce que vous allez entendre en peu de mots pour le confier à votre mémoire et pour le confesser de bouche, ne sera pour vous ni nouveau ni inouï. Les saintes Ecritures et les

1. Voir lett. 21, tom. I. — 2. Rom. X, 9, 10.

discours ecclésiastiques vous le présentent habituellement sous différentes formes. Pour vous le faire apprendre, toutefois, on en a fait un recueil abrégé et disposé avec ordre; moyen d'éclairer en vous la foi, et de vous préparer à la confesser, sans vous charger la mémoire. Voici donc ce que vous devez retenir et réciter par coeur.

Après ce début il faut réciter le Symbole en entier, sans y mêler aucune réflexion : " Je crois en Dieu le Père tout-puissant ", et le reste. Vous savez qu'on n'a pas l'habitude d'écrire ce Symbole. On fera suivre ces mots du discours suivant.

2. Vous devez, non-seulement croire, mais encore retenir mot à mot et répéter les vérités que vous venez d'entendre en si peu de paroles. Il faut de plus les défendre contre ceux qui les combattent, contre les esclaves du démon qui attaquent perfidement la foi en s’opposant à notre salut. En croyant donc que Dieu est tout-puissant , souvenez-vous de (216)

croire aussi qu'il n'est absolument aucune nature qu'il n'ait formée; et s'il punit le péché qu'il n'a pas fait, c'est parce que le péché souille la nature qu'il a faite. Par conséquent toutes, les créatures visibles et invisibles : soit celles dont l'âme raisonnable peut connaître l'immuable vérité, comme les anges et les hommes; soit celles qui ont la vie et le sentiment, mais sans avoir l'intelligence, comme tous les animaux qui se meuvent sur la terre, au milieu des eaux et dans l'air, quadrupèdes, reptiles, poissons, oiseaux; soit celles qui sont privées d'intelligence et de sens, mais non d'une vie telle quelle, comme les plantes qui fixent en terre leurs racines pour s'élever en germant et s'épanouir dans les airs; soit celles qui se bornent à occuper quelque espace , comme les pierres, comme les éléments que nous pouvons voir ou toucher dans, ce monde matériel; toutes enfin ont été créées par le Tout-Puissant, qui a eu soin d'unir entre eux les extrêmes par des milieux et de faire apparaître chacune de ses œuvres à la place et au temps qui leur conviennent.

Mais il ne les a pas formées d'une matière préexistante dont il ne serait pas l'auteur; il n'à point travaillé sur un fonds étranger, il a tout fait dans ses oeuvres. Prétendre qu'il n'a pu faire rien avec rien, serait-ce croire qu'il est tout-puissant? C'est sûrement le nier, que de croire, a'il n'aurait pu former le monde sans une matière préexistante. Quelle toute-puissance en effet, quand il y aurait eu en lui tant de faiblesse, que pareil à un artisan vulgaire il n'aurait pu produire son oeuvre sans le concours d'une matière qui ne lui devrait -pas l'existence ? Bannis donc de ton esprit ces idées vaines et mensongères, toi qui crois en Dieu tout-puissant. D'ailleurs cette matière qu'on appelle informe et qu'on dit susceptible de prendre des formes diverses et de servir aux desseins du Créateur, peut réellement se prêter à toutes les modifications qu'il voudra lui imprimer. Dieu, pour créer le monde, ne l'a point rencontrée comme un être qui lui fût coéternel; il l'a tirée entièrement du néant, aussi bien que ce qu'il a fait avec elle. Elle n'a point précédé les œuvres qu'elle a servi à former; aussi le Tout-Puissant, dès l'origine, a tiré tout de rien, la matière première, comme le reste. Si donc le ciel et la terre ont été créés au commencement, cette matière dont ils ont été formés a été créée en même temps qu'eux. Non, Dieu n'a rien trouvé sous sa main pour faire ce qu'il a fait dès le principe ; il ne l'a pas moins fait, parce qu'il est . tout-puissant, pour y mettre ensuite l'ordre; la perfection et la beauté; et sa toute-puissance éclate, non-seulement parce qu'il a fait de rien ce qu'il a fait au commencement, mais encore parce qu'il a pu faire tout ce qu'il a voulu avec ce qu'il a créé d'abord.

3. Si les impies agissent souvent à l'encontre de la volonté divine, qu'ils n'en concluent pas que Dieu n'est point tout-puissant. S'ils font ce qu'il ne veut pas, lui fait d'eux ce qu'il veut, et jamais ils ne changent ni ne maîtrisent la volonté du Tout-Puissant; toujours cette volonté s'accomplit, soit dans la juste condamnation, soit dans la délivrance miséricordieuse de l'homme. Ainsi rien n'est impossible au Tout-Puissant,. que ce qu'il ne veut pas. Il fait servir les méchants, non pas aux desseins de leur volonté dépravée, mais aux vues de sa volonté toujours droite. De même que les méchants font un usage mauvais de leur nature bonne, c'est-à-dire de ce que Dieu a. fait bon ; ainsi la Bonté divine fait un bon usage de leurs oeuvres perverses, et sous aucun rapport la volonté du Tout-Puissant n'a le dessous. S'il n'avait dans sa bonté même le moyen de faire servir les méchants à la justice et au bien, il ne les laisserait assurément ni naître ni vivre. Ce n'est pas lui sans doute qui les a rendus méchants, il n'en a fait que des hommes, en créant, non pas le mal qui est en eux contre nature, mais leur nature même; cependant il n'a pu dans sa prescience ignorer ce qu'ils deviendraient, et s'il a su le mal que feraient ces méchants, il a su. aussi le bien que lui-même ferait d'eux.

Qui pourrait développer, qui pourrait célébrer dignement combien nous sommes redevables à la passion du Sauveur, qui, a versé son sang pour la rémission des péchés? Toutefois ces biens immenses ont eu pour instrument la malice du démon, la malice des Juifs, la malice, du traître Juda. Et ce n'est pas à eux qu'on doit rendre hommage du bien que Dieu, et non pas eux, a voulu par eux faire aux hommes ;.au contraire ils sont justement tourmentés pour avoir voulu leur nuire. Si ce fait que nous citons prouve avec éclat comment Dieu a. fait servir à notre rédemption et à notre salut les crimes mêmes des juifs et du traître Judas; Dieu ne voit-il pas, dans ces mystérieuses (217) profondeurs de toute créature où nous ne saurions plonger ni de l'oeil ni de la pensée, comment lui-même emploie le mal pour procurer le bien, et comment s'accomplit, dans tout ce qui naît et se gouverne au monde, la volonté du Tout-Puissant ?

4. J'ai dit qu'au Tout-Puissant rien n'est impossible que ce qu'il ne veut pas ; et on pourrait m'accuser peut-être de témérité pour avoir dit que quelque chose est impossible au Tout-Puissant. Mais l'Apôtre le dit. aussi: " Si nous ne croyons pas, a-t-il écrit, lui n'en reste pas moins fidèle, il ne saurait se nier lui-même (1)". Ajoutons que s'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas non plus, car il ne peut vouloir. La justice peut-elle vouloir faire ce qui est injuste ? La sagesse peut-elle se livrer à rien d'insensé? ou la vérité chercher ce qui est faux ? C'est assez pour nous donner à entendre que non-seulement le Tout-Puissant " ne saurait se nier lui-même ", comme s'exprime l'Apôtre, mais qu'il est encore beaucoup d'autres choses qu'il ne peut faire. Ainsi je l'ose dire, je l'ose dire, appuyé sur sa vérité même et sans oser dire le contraire: Malgré sa toute-puissance, Dieu ne peut ni mourir, ni changer, ni se tremper, ni devenir malheureux, ni être vaincu. Que le Tout-Puissant est éloigné d'avoir un semblable pouvoir ! Aussi non-seulement la vérité même démontre qu'il est tout-puissant pour ne pouvoir rien de pareil; elle contraint même de reconnaître que a'il avait ce pouvoir il ne serait pas tout-puissant. En effet, quand Dieu veut, c'est tout qui veut en lui; c'est l'éternel, c'est l'immuable, t'est l'infaillible, c'est le bienheureux, c'est l’invincible qui veut. De là il suit que s'il ne peut tout ce qu'il veut, c'est qu'il n'est pas tout-puissant. Mais il l'est; donc tout ce qu'il veut, il le peut, et ce qu'il ne veut pas ne saurait être. Sa toute-puissance consiste à pouvoir tout ce qu'il veut. " Au ciel et sur la terre, est-il dit dans un psaume, il a fait tout ce qu'il a voulu (2) " .

5. Ce Dieu tout-puissant, qui a fait tout ce u'il a voulu, a engendré aussi son Verbe unique, par lequel tout a été fait ; mais il ne l'a pas tiré du néant, c'est de lui-même, et pour motif il n'est pas dit qu'il l'a fait, mais qu'il a engendré. " Au commencement, est-il écrit, il a fait le ciel et la terre (3) " ; mais il n'a point

1. II Tim. II, 13. — 2. Ps. CXXXIV, 6. — 3. Gen. I, 1.

fait son Verbe au commencement, car " au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (1) ". Ce Verbe est Dieu de Dieu, taudis que le Père est bien Dieu, mais non pas Dieu de Dieu. Il est aussi le Fils unique de Dieu, parce que Dieu n'a aucun autre Fils qui soit formé de sa substance, qui soit coéternel et égal au Père. Ce Verbe est Dieu: il ne ressemble donc pas à cette parole humaine dont la pensée, se représente le bruit et dont, la bouche peut le faire entendre; ce " Verbe était Dieu " ; voilà ce qui se peut dire de plus court et de plus clair à son sujet. " Il était Dieu ", demeurant immuablement dans le sein de son Père, et, comme son Père, immuable lui-même. C'est de lui que l'Apôtre parle ainsi: " Il avait la nature de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant égal à Dieu " ; car cette égalité vient de sa nature même et ne lui est pas étrangère. Voir dans quel sens nous croyons en Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu le Père, Notre-Seigneur.

6. Mais lui, qui dans sa nature divine n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu, lui par qui nous avons été créés, " il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave, il est devenu semblable aux hommes et a été reconnu pour homme par les dehors (2) " ; afin de chercher et de sauver ce qui était perdu : aussi croyons-nous encore qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Ses deux naissances, divine et humaine , sont admirables. Dans l'une il a un Père sans avoir de mère, et dans l'autre une Mère, sans avoir de père ; dans l'une il est en dehors du temps, et dans l'autre il est né en temps convenable ; l'une est éternelle, l'autre temporelle ; l'une ne lui donne point de corps dans le sein de son Père, l'autre lui donne un corps sans altérer la virginité de sa Mère; l'une a lieu en dehors de tout sexe, l'autre a lieu sans l'union des sexes. Et si nous disons qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, c'est que la Sainte Vierge ayant demandé à l'ange : " Comment cela se fera-t-il ? " l'ange lui répondit : " L'Esprit-Saint descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre " ; puis il ajouta : " C'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu (3) ". L'ange ne dit pas : Ce qui naîtra de vous sera appelé le Fils

1. Jean, I, 1. — 2. Philip. II, 6, 7. — 3. Luc, I, 34, 35.

218

de Dieu. C'est que toute l'humanité que s'est unit le Verbe, à savoir l'âme raisonnable et le corps, pour ne former qu'un même Christ, qu'une même personne divine, qu'un seul Fils de Dieu, tout en n'étant pas seulement le Verbe, mais le Verbe et son humanité, tout est en même temps Fils de Dieu le Père comme Verbe, et fils de l'homme comme homme. Comme Verbe, ; il est égal au Père ; comme homme, il lui est inférieur. Uni à son humanité il est Fils de Dieu , mais à cause du Verbe qui s'est uni à elle, et uni au Verbe il est fils de l'homme, mais à cause de l'humanité que le Verbe s'est unie. En considération de sa conception toute sainte dans le sein de la Vierge, conception qui n'a pas été due aux ardeurs de la concupiscence, mais à la ferveur d'une charité pleine de foi, nous disons encore qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, l'un de ces deux noms désignant, non pas Celui qui a engendré, mais Celui, qui a sanctifié, et l'autre s'appliquant à Celle qui l'a conçu et mis au monde. " C'est pourquoi, disait l'ange, ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu ". Il est saint, voilà pourquoi : " Du Saint-Esprit " ; il naîtra de vous, voilà pourquoi : " De la Vierge Marie" ; il sera appelé le Fils de Dieu; voilà pourquoi : " Le Verbe s'est fait chair (1) "

7. Il fallait qu'en se faisant homme, non-seulement l'invisible se montrât et que, coéternel au Père il naquit dans le temps; il fallait encore que l'insaisissable fût saisi, que l'invincible fût suspendu au, gibet, que là vie; que l'immortalité même mourût sur la croix et fût ensevelie dans un tombeau : eh bien ! tout cela s'est vu dans le Fils de Dieu, dans Jésus-Christ Notre-Seigneur. Aussi devons-nous croire de coeur, pour être justifiés et confesser de bouche, pour être sauvés, que ce même Fils de Dieu, que ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur n'est pas seulement né, comme homme, de sa Mère, mais encore qu'il a souffert jusqu'à sa mort et sa sépulture ce que peuvent endurer les hommes. Car ce Fils unique de Dieu, ce Jésus-Christ Notre-Seigneur étant à la fois le Verbe et son humanité, c'est-à-dire le Verbe, son âme et son corps, s'il est dit que son âme fut triste jusqu'à la mort (2), cette tristesse se rapporte à toute la personne; et c'est le Fils unique de Dieu, c'est Jésus-Christ

1. Jean, I, 14. — 2. Matt. XXVI, 38.

qui fut triste ; s'il est dit que comme homme seulement il fut crucifié, cela se rapporte à toute la personne aussi, et c'est le Fils unique de Dieu, c'est Jésus-Christ qui a été crucifié, s'il est dit que son corps seulement a été enseveli, cela se rapporte aussi à toute la personne. Depuis en effet que nous avons commencé à dire que nous croyons en Jésus-Christ, son Fils unique; Notre-Seigneur, dans tout ce que, nous ajoutons ensuite relativement à lui, il ne faut jamais sous-entendre que ces mots; Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Pourquoi vous en étonner? Ne pouvons-nous dire que le Fils unique de Dieu, que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été enseveli, quoique sa chair seule l'ait été; comme nous disons, par exemple, que l'Apôtre saint Pierre gît aujourd'hui dans son tombeau, bien que nous puissions affirmer aussi, conformément à la plus exacte vérité, qu'il jouit avec le Christ du repos et de la joie? N'est-ce pas à nos yeux le même Apôtre? Pierre n'est pas deux, il est un; et c'est du même que nous disons qu'avec son corps seul il est dans le sépulcre pet qu'avec son seul esprit il partage le bonheur du Christ.

Nous ajoutons : " Sous Ponce-Pilate ", soit pour donner un moyen de s'assurer de l'époque, soit pour faire mieux ressortir l'humilité du Christ, qui a tant souffert pour avoir été jugé par un homme, lui qui doit venir avec tant à puissance pour juger les vivants et les morts,

8. Il est ressuscité ensuite le troisième jour, avec son corps véritable, mais pour être désormais et toujours exempt de la mort. La disciples s'en sont assurés non-seulement en le regardant; mais encore en le touchant; la Bonté même n'a pas pu se jouer de leur bonne foi, ni la Vérité les induire en erreur. Pour être plus court on ajoute aussitôt qu' " il est monté au ciel " ; quoiqu'il ait demeuré quarante jours avec ses disciples, pour ne pas donner lieu, en les quittant trop tôt, de considérer comme une illusion cet important miracle de sa résurrection. Là maintenant " il est assis à la droite du Père ". Nous devons joindre ici la prudence à la foi et ne pas nous représenter le Fils de Dieu comme fixé sur un siège sans pouvoir faire aucun mouvement, sans pouvoir marcher ni même se tenir debout. Si saint Étienne a affirmé qu'il le voyait debout (1); il

1. Act. VII, 55.

219

ne faut pas croire qu'il s'est trompé ou qu'il ait démenti ce passage du Symbole. Loin de nous de penser ou de parler ainsi ! C'est pour indiquer qu'il demeure au sein d'une félicité sublime et ineffable qu'il est dit de lui, qu'il est assis à la droite du Pète. Aussi nomme-t-on parmi nous les habitations des siéges : quand nous demandons où est quelqu'un : Dans ses siéges, répond-on ; et des serviteurs de Dieu surtout on dit très-fréquemment : Un tel s'est assis, sedit, tant d'années dans tel ou tel monastère; ce qui signifie qu'il s'y est arrêté, qu'il y a demeuré, qu'il l'a habité. Cette manière de parler n'est pas, inconnue dans les saintes Ecritures. Lorsque le, roi Salomon eut commandé au fameux Séméi de demeurer à Jérusalem, en le menaçant, s'il en sortait, des châtiments qu'il méritait, l'Ecriture dit qu'il y fut assis, exathise, trois ans (1), ce qui signifie qu'il y resta cet espace de temps. Quant à la droite du Père, on ne doit pas se 1a représenter matériellement, ni croire que le Père occupe la gauche du Fils dès que-le Fils est à la droite du Père. La droite de Dieu est mise ici pour désigner l'ineffable degré de gloire et de bonheur où le Fils est élevé. Dans. le même sens il est dit de la Sagesse : " Sa gauche est sous ma tête, et de sa droite elle m'embrasse (2) ". C'est qu'en laissant au-dessous de soi les commodités de la terre, on est comme embrassé par la félicité éternelle qui est bien an dessus.

9. C'est donc de cette haute demeure des cieux, où maintenant même son corps est déjà immortel , que Jésus-Christ Notre-Seigneur viendra juger les vivants et les morts. C'est l'assurance formelle qu'ont donnée les anges et qu'on lit aux Actes des Apôtres. Comme en effet les disciples regardaient le Seigneur monter au ciel et qu'ils le conduisaient d'un oeil fort attentif, ils entendirent des anges qui leur disaient: " Hommes de Galilée; pourquoi vous tenez-vous là? Ce même Jésus qui s'éloigne de vous, reviendra de la même manière que vous l'avez vu aller au ciel (3) ". Combien de suppositions de tout genre soustraites à la présomption humaine ! Le Christ pour nous juger aura la même nature que quand il fut jugé.; car c'est avec cette même forme humaine que les Apôtres le voyaient monter au ciel, quand ils apprirent qu'il en

1. III Rois, II, 38, sel. LXX. — 2. Cant. II, 6. — 3. Act. I, 11.

219

reviendrait de la même, manière. Son humanité frappera donc les regards des vivants et des morts, des bons et des méchants ; soit que par vivants nous entendions ici les bons et par morts, les méchants; soit que les vivants désignent ceux qui n'auront pas atteint encore le terme de leur vie lorsqu'aura lieu son avènement, et les morts ceux qu'il ressuscitera, car lui-même s'exprime ainsi dans son Evangile : " Viendra l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront; ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation (1)". Les uns donc verront dans son humanité Celui en qui ils ont cru, et les autres Celui qu'ils ont méprisé. Quant à sa nature divine, qui le rend égal à son Père, les impies ne la verront pas. " L'impie sera enlevé, dit un prophète, pour qu'il ne voie point la beauté de Dieu (2) ". Il est dit encore : " Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (3)" . Contentons-nous de ces aperçus sur le Fils unique de Dieu, sur Jésus-Christ Notre-Seigneur.

10. Car nous croyons également au Saint-Esprit, qui procède du Père (4), sans être son Fils; qui repose sur le Fils (5), sans être son Père; qui reçoit du Fils (6), sans pourtant être son Fils; mais il est l'Esprit du Père et du Fils, l'Esprit-Saint, une des personnes divines. Si effectivement il n'était pas Dieu, il n'aurait pas un temple comme celui dont parle l'Apôtre: " Ignorez-vous, dit-il, que vos corps sont le temple, de l'Esprit-Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu (7) ? " Ce n'est pas la créature, c'est le Créateur qui doit avoir un temple. Loin de nous d'être le temple d'une créature ! " Car le temple de Dieu est saint, dit encore l'Apôtre, et c'est vous qui êtes ce temple (8)".

Il n'y a dans cette Trinité adorable ni supérieur ni inférieur, aucune distinction dans les oeuvres, aucune différence dans la nature. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, l'Esprit-Saint est Dieu. Toutefois le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu, sans que le Père soit le Fils, sans que le Fils soit le Père et sans que l'Esprit-Saint soit le Père ou le Fils; car le Père est Père du Fils, le Fils est Fils dit Père, et l'Esprit-Saint,

1. Jean, V, 28, 29. — 2. Isaïe, XXVI, 10, sel. LXX. — 3. Matt. V, 8. — 4. Jean, XV, 26. — 5. Ib. I, 32. — 6. Ib. XVI, 14. — 7. I Cor. VI, 19. — 8. Ib. III, 17.

220

l'Esprit du Père et. du Fils; chacun deux est Dieu et tous trois ne sont qu'un seul Dieu. Pénétrez vos coeurs de cette croyance et qu'elle inspire votre profession de foi. En entendant ce mystère, croyez-le pour arriver à le comprendre , car en progressant vous pourrez comprendre réellement ce que vous croyez..

11. Pour la sainte Eglise, votre mère, laquelle est comme la Jérusalem céleste, la cité sainte de Dieu, honorez-là, aimez-là, louez-là. C'est elle qui porte des fruits et qui se développe dans le monde entier en y répandant cette foi que je viens d'expliquer (1). C'est l'Église dû Dieu vivant, la colonne et l'appui de la vérité (2); laquelle néanmoins souffre, que les méchants, dont elle est séparée par la différence des moeurs et qui seront à la fin séparés complètement d'elle, participent aux sacrements. En faveur du froment qui gémit dans son sein au milieu de la paille et qui au moment où apparaîtra le grand Vanneur , se montrera si digne d'être placé au grenier, elle a reçu les clefs du royaume des cieux, afin de pouvoir, par les mérites du sang de .Jésus-Christ et par l'opération de l'Esprit-Saint, remettre les péchés: Dans cette Église pourra donc revivre l'âme a qui le péché avait donné la mort, pour ressusciter avec Jésus-Christ, dont la grâce fait notre salut.

12. Nous ne devons pas douter non plus que cette chair mortelle elle-même ne doive ressusciter

1. Coloss. I, 6. — 2. I Tim. III, 15.

à la fin des siècles. " Il faut, en effet, ça que ce corps corruptible se revête d'incorruptibilité, et que mortel il se revête d'immortalité. On le sème dans la corruption, il lèvera dans l'incorruption ; on le sème dans l'abjection, il lèvera dans la gloire; on le sème corps animal, il lèvera corps spirituel (1) ". Telle est la croyance chrétienne, la croyance catholique, la croyance apostolique. Ayez foi au Christ quand il vous dit: " Pas un cheveu ne tombera de votre tête (2) " ; et repoussant toute idée, de doute, songez plutôt combien vous valez. Qu'est-ce en effet que notre Rédempteur pourrait dédaigner de ce qui nous appartient, quand il ne saurait être indifférent à un seul de nos cheveux? Comment encore pourrions-nous hésiter de croire qu'il communiquera a notre âme et à notre corps l'éternelle vie, quand pour l'amour de nous il a pris une âme et un corps afin de pouvoir mourir, quand il a quitté son corps en mourant et qu'il l'a repris pour ôter à la mort ses terreurs?

Je viens, mes frères, d'exposer à votre charité, dans la faible mesure de mes forces, ce qui est contenu dans le Symbole. Ce pont dé. signe le pacte sur lequel est établie notre société, et en le professant on donne un signe qui fait reconnaître qu'on est chrétien et fidèle. Ainsi soit-il.

1. I Cor. XV, 53, 42, 43. — 2. Luc, XXI, 18.

 

 

 

 

 

 

 

SERMON CCXV. EXPLICATION DU SYMBOLE. IV.

ANALYSE. — Environ huit jours après avoir donné le Symbole à apprendre aux Catéchumènes, on les réunissait pour le faite réciter à chacun d'eux, en particulier. C'est dans une de ces assemblées que saint Augustin prononça le discours suivant. Le lecteur remarquera que le grand Docteur s'attache moins à expliquer chaque détail du Symbole qu'à faire sentir la beauté et la vérité de ce qu'il contient.

1. Le Symbole du saint témoignage qui vous a été donné à tous ensemble et que vous avez récité aujourd'hui chacun en particulier, est l'expression de la foi de l'Église notre mère,

foi établie solidement sur le fondement inébranlable, sur Jésus-Christ Notre-Seigneur. " Nul en effet ne saurait poser d'autre fondement que le fondement établi, le Christ (221) Jésus (1)". On vous a donc donné à apprendre et vous avez récité ce que vous devez avoir toujours dans l'âme et dans le coeur, répéter sur votre couche, méditer sur les places publiques, ne pas oublier en prenant votre nourriture, murmurer même intérieurement durant votre sommeil. Car en renonçant au démon, en dérobant à ses pompes et à ses anges votre esprit et votre âme, vous contractez l'obligation d'oublier le passé, de mépriser votre ancienne vie et de mener, par la sainteté de vos moeurs, une vie nouvelle comme l'homme nouveau que vous revêtirez; ou, comme s'exprime l'Apôtre, oublier ce qui est en arrière et vous élancer vers ce qui est en avant, afin d'atteindre à la palme céleste où vous appelle la vocation de Dieu (2), croire enfin ce que tu ne vois pas pour mériter de posséder ce que tu crois. " Qui, en effet, espère ce qu'il voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, c'est que nous l'attendons avec patience (3)" .

2. Notre foi, notre règle de salut consiste doue à croire en Dieu, le Père tout-puissant; le Créateur de toutes choses, le Roi des siècles, Roi immortel et invisible. Il est le Dieu tout-puissant, attendu que dès l'origine du monde il a tout créé de rien et qu'antérieur à tous les siècles il a formé et gouverne les siècles. Car il ne grandit pas avec le temps, il ne s'étend pas dans l'espace, il n'est circonscrit par rien de matériel; c'est l'éternité même demeurant en soi pleine et parfaite, sans qu'aucune pensée humaine soit capable de la comprendre et aucune langue de l'expliquer. D'ailleurs si l'oeil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le coeur de l'homme n'a point pressenti la récompense qu'il promet à ses saints ; comment l'esprit pourrait-il concevoir,comment le coeur pourrait-il se représenter l'Auteur même de cette promesse, et comment la langue pourrait-elle en parler dignement ?

3. Nous croyons également en Jésus-Christ, son Fils et Notre-Seigneur, Dieu vrai de vrai Dieu, Fils divin de Dieu son Père, sans qu'il y ait deux dieux. Car le Père et lui sont un (4); il l'insinuait d'ailleurs quand il disait à son peuple par la bouche de Moïse : " Ecoute Israël, aces préceptes de vie; Le Seigneur ton Dieu a n'est qu'un Dieu (5) ".

Si maintenant tu cherches à te représenter comment le Fils éternel est né avant tous les

1. I Cor. III, 11. — 2. Philip. II, 13. — 3. Rom. VIII, 24, 25. — 4. Jean, I, 30. — 5. Deut. VI, 4.

temps de son Père éternel, attends-toi à ce reproche d'un prophète : " Qui expliquera sa génération (1) ?" Tu ne saurais donc ni te figurer, ni expliquer comment un Dieu naît d'un. Dieu; il t'est seulement permis de le croire afin de pouvoir arriver au salut; aussi l'Apôtre dit-il: " Il faut, pour approcher de Dieu, croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent (2) "..Veux-tu savoir encore comment il est né après avoir daigné prendre un corps pour notre salut? Ecoute et crois qu'il est né de la Vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit. Et toutefois qui pourrait expliquer aussi cette seconde naissance elle-même? Qui pourrait en effet se représenter convenablement comment un Dieu a voulu naître pour sauver les hommes, comment une Vierge l'a conçu sans connaître aucun homme, comment elle l'a mis au monde sans corruption et comment elle est demeurée Vierge après être devenue Mère? Car il est bien vrai que Jésus-Christ Notre-Seigneur a daigné entrer dans le sein d'une Vierge, pénétrer sans aucune souillure dans le corps d'une femme, féconder sa Mère sans aucune altération, sortir de ses entrailles après s'être formé lui-même, et en les conservant dans toute leur pureté ; unissant ainsi, dans celle qu'il a daigné choisir pour Mère, les honneurs de la maternité à la sainteté de la virginité. Mais qui pourra concevoir, expliquer un tel mystère? Qui pourra donc expliquer aussi cette seconde naissance? Quel esprit en effet pourrait comprendre, quelle langue serait capable d'expliquer, non-seulement comment le Verbe était dès le principe sans que sa naissance eût jamais commencé ; mais encore comment ce Verbe s'est fait chair (3), choisissant une Vierge pour en faire sa Mère, et la rendant Mère pour la conserver Vierge; comment il est Fils de Dieu sans avoir été conçu par une Mère, et comment il est fils de l'homme sans, avoir été engendré par un Père; comment, en venant en elle, il apporte la fécondité à une femme, sans lui ôter son intégrité lorsqu'il la quitte ? Quelles merveilles l Qui peut en parler? Qui peut s'en taire ? Chose étonnante ! en effet. Nous.ne saurions parler et il ne nous est pas permis de nous taire; nous publions au dehors, et nous ne pouvons comprendre au dedans. Ah ! si nous ne pouvons parler d'un tel bienfait de Dieu, c'est que nous

1. Isaïe, LIII, 8. — 2. Héb. XI, 6. — 3. Jean, I, 1,14.

222

sommes trop petits pour en montrer la grandeur; et si nous nous centons contraints de l'en bénir, c'est que nous ne voulons point rester avec, l'ingratitude du silence. Grâce à Dieu, toutefois, puisque nous pouvons croire fidèlement ce que nous ne saurions dignement expliquer.

4. Ainsi nous croyons en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, lequel est né, par l'opération du Saint-Esprit, de la Vierge Marie. Cette Vierge bienheureuse a effectivement conçu par la foi Celui qu'avec foi elle amis au monde. Lorsqu'un fils lui eût été promis, elle demanda comment il naîtrait d'elle, qui ne connaissait point son mari, attendu qu'elle ne savait point d'autre manière de concevoir et d'enfanter que par le rapprochement des sexes, non qu'elle l'eût expérimenté jamais, mais la nature le lui montrait souvent dans les autres femmes. L'ange alors lui répondit., : " L'Esprit-Saint descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu ". Et lorsque l'Ange eut ainsi parlé, pleine de foi et recevant le Christ dans son âme avant de le recevoir dans son sein . " Voici, dit-elle, la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole (1) ". Que sans le concours de l'homme je conçoive en restant Vierge ; que du Saint-Esprit et d'une Vierge naisse Celui en qui l'Église renaîtra vierge du. Saint-Esprit: Que ce Saint,. qui. naîtra d'une Mère sans avoir de père, se nomme le Fils de Dieu ; car c'est Celui qui est né de Dieu son Père sans avoir de mère, qui a dû se faire fils de l'homme, prendre un corps qui lui permette, à sa naissance, de sortir d'un sein fermé, et plus tard, à sa résurrection, d'entrer dans une demeure fermée également. Ces choses sont merveilleuses parce qu'elles sont divines ; ineffables, parce qu'elles sont incompréhensibles ; et si la bouche humaine ne peut les expliquer, c'est que le cœur de l'homme ne saurait les pénétrer.

Marie crut donc et ce qu'elle crut s'accomplit en elle. Croyons aussi afin de pouvoir en profiter nous-mêmes. Si merveilleuse que soit à son tour cette seconde naissance, songe, ô homme, à ce que ton Dieu, a fait pour toi, à ce que le Créateur a entrepris pour sa créature c'est Dieu qui tout en demeurant dans le sein

1. Luc, I, 34-48.

de Dieu, c'est l'Éternel qui tout en vivant avec l'Éternel; c'est le Fils qui tout en restant l'égal de son Père , n'a pas dédaigné de se revêtir d'une nature d'esclave, en faveur de ses esclaves, coupables et pécheurs. Ah ! ce n'est point ce que méritaient les hommes. Nos iniquités appelaient plutôt la. vengeance sur nos têtes; mais si Dieu y avait eu égard, qui serait resté debout? C'est donc pour ses esclaves impies et pécheurs que :le Seigneur a daigné se faire homme, naître du Saint-Esprit et de la Vierge Marie.

5. Semblera-t-il peu de chose que pour des hommes; pour des pécheurs, pour des coupables, pour des captifs et pour des esclaves; Dieu même, le Juste, l'Innocent, le Roi suprême, le Maître souverain, soit venu parmi nous revêtu d'un corps humain, se soit montré sur la terre et ait vécu parmi les mortels ? Mais, de plus, il a été crucifié, il est mort et a été enseveli. Ne le crois-tu tuas ? Demandes-tu à quelle époque ? Le voici : c'est sous Ponce-Pilate. Pour écarter de toi tout doute, au sujet même de l'époque, on a eu soin de te faire connaître dans ce Symbole le nom propre du juge. Crois donc bien que sous Ponce-Pilate : le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli.

" Il n'y a point, dit-il, de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis (1) ". Est-ce absolument vrai ? Ne peut-on rien de plus ? Non, Jésus-Christ l'a dit. Toutefois, interrogeons l'Apôtre, il ne dédaignera point de nous répondre à son tour. " Le Christ, dit-il, est mort pour les impies ". Il ajoute : " Que nous étions ses ennemis, nous avons été conciliés avec Dieu par la mort de son Fils ". N'est-ce point dans le Christ une charité plus grande, attendu qu'il a donné sa vie, non pour des amis, mais pour ses ennemis? Quel n’est donc pas l'amour, quel n'est pas l'attachement de Dieu pour les hommes, puisqu'il affectionne les pécheurs jusqu'à mourir pour eux ! " Ce qui montre sa charité envers nous, dit aussi l'Apôtre, c'est que dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous (2) ". Crois-le aussi; toi, et pour assurer ton salut ne rougis pas de le confesser : " car on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (3) " Aussi, pour éloigner de toi l'hésitation et la confusion, dès que tu as commencé à croire

1. Jean, XV, 13. — 2. Rom. V, 6, 10, 8. — 3. Ib. X, 10.

223

as reçu le signe de la croix sur le front, comme sur le siége de la pudeur. Pense à ton front, pour n'avoir pas peur de la langue d'autrui. " Celui qui aura rougi de moi devant les hommes, dit le Seigneur lui-même, le Fils de l'homme rougira de lui devant les anges de Dieu (1) ". N'aie donc pas honte de l'ignominie de cette croix dont Dieu même n'a pas hésité de se charger pour toi, et dis avec l'Apôtre : " Loin de moi la pensée de me glorifier, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (2)". Le même Apôtre te répondra encore : " J'ai estimé ne savoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (3) ". Ah ! Celui qu'un peuple a attaché à là croix est maintenant fixé au coeur de tous les peuples.

6. Pour toi, qui que tu sois, qui préfères mettre ta gloire dans la puissance plutôt que dans l’humilité, console-toi, tressaille d'allégresse. Après avoir été, sous Ponce-Pilate, crucifié et enseveli, il est le troisième jour, ressuscité d'entre les morts. Tu doutes encore ? Tu crains encore ? Quand on te disait : Crois qu'il est né, crois qu'il a souffert, qu'il a été crucifié, mort et enseveli, tu croyais plus facilement, parce qu'il ne s'agissait .en quelque sorte que d'un homme ; maintenant qu'on ajoute : Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts, tu doutes, mon ami ? Je pourrais te donner beaucoup de preuves, en voici une seulement : Pense à Dieu, songe qu'il est tout-puissant, et ne doute plus. S'il a pu te former du néant, lorsque tu n'existais pas; pourquoi n'aurait-il pu ranimer au milieu des morts cette humanité qu'il avait prise ? Croyons donc, mes, frères ; il ne faut pas un long discours, quand il s'agit de la foi. Or, c'est cette foi seule qui sépare, qui distingue les chrétiens des autres hommes. Qu'il soit mort et qu'il ait été enseveli, c'est ce que croient aujourd'hui les païens mêmes, c'est ce que virent les Juifs alors ; mais ni les païens ni les Juifs n'admettent que le troisième jour il soit ressuscité d'entre les morts. C'est ainsi que cette résurrection d'entre les morts distingue notre. foi toute vivante de l'incrédulité morte. Aussi l'apôtre saint Paul écrivant, à Timothée lui dit : " Souviens-toi que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts (4).". Croyons donc, mes frères, et espérons que s'accomplira en nous ce que nous voyons accompli

1. Marc, VIII, 38. — 2. Gal. VI, 14. — 3. I Cor. II, 2. — 4. II Tim. II, 8.

dans le Christ. C'est Dieu qui nous en a fait la promesse, et Dieu ne trompe point.

7. Après sa résurrection d'entre les morts, il est monté aux cieux et il est assis à la droite de Dieu le Père. Ici peut-être tu ne crois pas encore. Ecoute l'Apôtre : " Celui qui est descendu, dit-il, est Celui-là même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour finir toutes choses (1) ". Ne crains-tu pas d'être châtié par Celui que tu refuses de croire ressuscité ? Carne, pas croire, c'est être déjà jugé (2). Il siège donc aujourd'hui; pour nous servir d'avocat, à la droite du Père, et c'est de là qu'il viendra juger les vivants et les morts. Croyons donc, afin qu'à la vie et à la mort nous soyons au Seigneur (3).

8. Croyons également au Saint-Esprit; car il est Dieu, puisqu'il est écrit : " L'Esprit est Dieu ". C'est par lui que nous recevons la rémission de nos péchés ; par lui que nous croyons à la résurrection de la chair; par lui que nous espérons l'éternelle vie.

Prenez garde toutefois de tomber dans l’erreur en calculant, de croire que j'ai nommé trois dieux en nommant un Dieu pour la troisième fois. Dans là Trinité, il n'y a qu'une seule nature divine; qu'une seule puissance, qu'une même vertu, qu'une seule majesté, qu'un seul nom adorable. C'est ce qu'enseignait à.ses disciples le Christ lui-même, lorsqu'il leur dit, après .sa résurrection d'entre les morts : "Allez, baptisez les nations ", non pas aux noms, au pluriel, mais, au singulier, " au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (4) ". En croyant ainsi à la divine Trinité et à l'unité des trois personnes divines, prenez garde, mes biens-aimés, de vous laisser séduire et entraîner hors de la foi et de l'unité, de l’Eglise catholique. " Si on vous prêche l'Evangile autrement que vous l’avez entendu, qu'on soit anathème ". Vous voyez ici non pas moi, mais l'Apôtre qui a dit encore: " Que ce soit nous ou un ange qui vous prêche l'Evangile autrement que vous l'ayez ouï, anathème (5) ! "

9. Vous reconnaissez donc clairement, mes bien-aimés, que jusque, dans les paroles du Symbole, on a fait intervenir la sainte Église comme la sanction et le complément des articles de notre foi. Par conséquent fuyez de toutes vos forces ces séducteurs de tout genre

1. Ephés. IV, 10. — 2. Jean, III, 18. — 3. Rom. XIV, 8. — 4. Jean, IV, 24. — 5. Matt. XXVIII, 19. — 6. Gal. I, 9, 8

224

dont les sectes et les noms se trouvent trop nombreux, pour qu'on puisse les énumérer. Nous avons encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n'êtes pas maintenant capables d'en supporter le poids (1). Il est une chose que je vous recommande d'obtenir par vos prières, c'est de détourner absolument l'esprit et l'oreille de celui qui n'est pas catholique, afin de pouvoir arriver à la rémission de vos péchés, à. la résurrection de la chair et à la vie éternelle, par le moyen de l'unique véritable et sainte Église catholique, où on apprend à connaître un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. A lui l'honneur et la gloire durant les siècles des siècles.

1. Jean, XVI, 12.

 

SERMON CCXVI. AUX POSTULANTS .

ANALYSE. — On sait que les Catéchumènes, c'est-à-dire ceux qui se disposaient à recevoir le baptême, étaient divisés en plusieurs classes. L'une de ces classes comprenait ceux que nous nommons ici Postulants , en latin Competentes . Ces Postulants étaient ceux qui demandaient à recevoir prochainement le baptême et dont l'instruction religieuse était ou paraissait suffisante. C'est à ces postulants que s'adresse ici saint Augustin, encore au début de son ministère sacerdotal, comme il le dit au commencement de son discours. Ce discours est consacré à leur donner plusieurs avis sur les dispositions avec lesquelles ils doivent se présenter au baptême, et on peut réduire ces dispositions au nombre de sept. Ils doivent donc : 1° renoncer au siècle pour ne s'attacher qu'à Dieu et à 1a vie, future 2° mortifier courageusement leurs passions; 3° lutter contre le démon auquel ils renoncent; 4° se confier à l'Église qui détermine l'époque de leur baptême ; 5° estimer considérable ment la vie nouvelle qui leur sera donnée ; 6° se préparer à en parcourir les degrés parla pratiqué de toutes les vertus et la fuite de tous les vices; 7° enfin s'attacher à Dieu invinciblement et recourir à lui dans tous leurs besoins avec une confiance que rien n'ébranle.

1. Il faut aider par la prière les débuts de notre ministère et le moment où vous commencez à être conçus dans le sein de la foi, pour être engendrés par la grâce, il faut obtenir que notre parole vous soit salutaire et que votre dessein devienne pour nous une source de consolations saintes. Si nous vous instruisons de vive voix, c'est à vous d'avancer en vertu ; si nous semons en vous les enseignements sacrés, c'est à vous de produire les oeuvres de la foi ; et tous; selon la vocation où Dieu nous a conviés, courons dans ses voies et ses sentiers, que nul ne regarde derrière. La Vérité même, qui, ne trompe et ne saurait tromper jamais, ne dit-elle pas expressément : " Nul ne sera propre au royaume des cieux, si mettant la main à la charrue il regarde derrière (1) ? " Or, c'est ce royaume que vous convoitez, c'est à lui que vous aspirez de toutes les forces de votre âme, comme l'indique votre nom même de postulants, competentes. Que signifie effectivement

1. Luc, IX, 62.

ce terme de competentes, sinon ceux qui postulent ensemble. De même qu'on dit condocentes, concurrentes, concidentes pour désigner ceux qui instruisent ensemble, qui courent et sont assis en même temps; ainsi le terme de compétentes ne s'applique qu'à ceux qui demandent, qui aspirent ensemble à un même but: Et quel est ce but unique auquel vous tendez, auquel vous voulez atteindre, sinon le but que proclame avec intrépidité ce grand coeur qui a foulé aux pieds les désirs charnels et triomphé des vaines terreurs du siècle. " Quand des armées camperaient autour de moi, s'écrie-t-il, mon coeur n'aurait pas de crainte; quand le signal du combat serait donné contre moi, je tressaillerais d'espérance ". Et pourquoi ? qu'a-t-il en vue ? Il l'exprime aussitôt: " J’ai demandé une grâce au Seigneur et je la lui demanderai encore; c'est d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ". Mais quelle est la félicité de cette habitation, de cet heureux séjour ? Il le montre sans différer : " Pour contempler, (225) poursuit-il, les joies du Seigneur, pour être à l'abri dans son sanctuaire (1) ".

2. Voyez-vous, mes compagnons d'apprentissage, à quelle félicité divine vous parviendrez en rejetant les plaisirs du siècle ? Si vous méprisez le monde, vous n'aurez plus le cœur immonde, et vous verrez l'Auteur du monde, et par sa grâce vous triompherez du monde comme il en a triomphé. Oui, vous le vaincrez bientôt et vous le foulerez aux pieds, pourvu que vous comptiez, non pas sur vos forces, mais sur le secours miséricordieux du Seigneur. Ah ! ne vous dédaignez point, car on ne voit pas encore ce que vous serez; sachez seulement que quand Dieu se montrera vous lui serez semblables, et ce que vous devez être se verra alors. Sachez que vous le verrez, non point tel qu'il est venu parmi nous dans la plénitude des temps, mais tel qu'il était en nous créant et qu'il sera toujours (2). Dépouillez-vous du vieil homme et vous revêtez de l'homme nouveau (3). Le Seigneur veut faire un pacte avec vous. Vous avez vécu pour le siècle, en vous livrant à la chair et au sang et en portant l'image de l'homme terrestre. De même donc que vous avez porté l'image de cet homme sorti de terre, portez ainsi désormais l'image de Celui qui est descendu du ciel (4). " C'est parler humainement ", car si le Verbe s'est fait chair, "c'est pour vous porter à faire maintenant servir vos membres d'instruments à la justice, comme auparavant vous faisiez de vos corps des instruments d'iniquité pour commettre le péché (5)". Pour vous donner la mort, votre ennemi s'armait contre vous de vos propres traits; pour vous donner la vie, il faut qu'à son tour votre défenseur trouve des armes dans vos membres. Le premier ne pourra vous nuire si vous vous arrachez à lui sans qu'il puisse vous retenir; et le second vous abandonnera justement si vos voeux, si voire volonté ne s'accorde pas avec la sienne.

3. Voici à quelle condition, à quel prix on propose à votre foi de vous vendre le royaume des cieux: regardez avec soin, amassez tous les biens de votre âme, réunissez, sans rien oublier, toutes les richesses de votre coeur. Et toutefois vous achetez gratuitement, si vous reconnaissez la grâce toute gratuite qui s'offre à vous. Vous ne déboursez rien, et vous

1. Ps. XXVI, 3, 4. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Colos. III, 9, 10. — 4. I Cor. XV, 49. — 5. Rom. VI, 19.

acquérez beaucoup. Pourquoi vous avilir à vos propres yeux, quand le Créateur de tout l'univers et le vôtre vous estime à un si haut prix, que, pour vous, il fait couler chaque jour le sang adorable de son Fils unique? Or, vous ne vous avilirez point, si vous savez distinguer ce qui est précieux de ce qui est vil; si vous ne servez pas la créature moins le Créateur; si vous ne vous laissez point maîtriser par ce qui est au-dessous de vous, vous conservant ainsi purs de tout péché grave et mortel; si en recueillant la semence de la divine parole que maintenant même répand dans vos coeurs le laboureur céleste, vous ne la laissez point fouler aux pieds par les indignes qui passent dans le chemin, ni dessécher follement quand elle germe déjà, comme si elle n'avait trouvé que des pierres dans votre conscience endurcie, ni étouffer enfin au milieu des épines et du mouvement funeste de vos passions. En évitant avec horreur d'être stériles comme cette terre ingrate et vouée à la malédiction, vous rencontrerez un terrain riche et fertile où avec une joie immense vous représenterez au divin Semeur, qui vous aura en même temps arrosés, sa semence multipliée au centuple, ou bien, si vous ne pouvez aller jusque là, vous lui rendrez soixante pour un; il se contentera même de trente, si vous ne pouvez atteindre à soixante (2); puisque tous seront reçus dans les greniers célestes, admis à l'éternel repos. Ce pain céleste du bonheur sera formé du travail de tous les élus; et chacun des ouvriers qui travaillent loyalement à la vigne du Seigneur en recevra largement et s'en rassasiera avec joie. N'est-il pas vrai que Celui qui sème, qui fait pleuvoir, qui arrose et qui, tout à la fois, donne encore l'accroissement, fait briller partout sa gloire à l'aide de la prédication évangélique?

4. Approchez donc de lui avec un cœur brisé, car il est près de tous ceux qui se brisent le coeur; soyez humbles d'esprit et il vous sauvera (3). Approchez à l'envie pour être éclairés, car vous êtes encore au milieu des ténèbres, ces ténèbres vous pénètrent même. Vous serez alors lumière dans le Seigneur, lequel " éclaire tout homme venant en ce monde (4) ". Vous avez l'esprit du siècle, reformez-vous sur l'Esprit de Dieu. Prenez enfin à dégoût la captivité de Babylone. Voici Jérusalem, voici

1. Ps. XVIII, 14. — 2. Matt. XIII, 1-23. — 3. Ps. XXXIII, 19. — 4. Jean, I, 9.

226

votre céleste mère qui vient à votre rencontre; elle vous invite avec joie, elle vous presse de rechercher la vie, et d'aimer à voir ces jours heureux que vous n'avez pas eus encore et que jamais vous n'aurez dans ce siècle. Là, en effet, vos jours s'en allaient comme la fumée, car ils ne peuvent augmenter sans diminuer, croître sans décroître, ni monter sans s'évanouir. Vous qui avez vécu dans le péché durant des années si multipliées et si malheureuses, aspirez à vivre en Dieu, non pas durant de longues années, puisqu'après tout elles auront un terme et qu'elles courent toutes pour s'anéantir dans l'ombre de la mort, mais durant les années heureuses qui ne se séparent point parce qu'elles sont éclairées par la Vérité même et qu'on y jouit de la vie qui ne s'épuise point. Là, vous n'éprouverez ni faim, ni soif, ni fatigue, parce que la foi sera votre nourriture et la sagesse votre breuvage. Car, si par la foi, maintenant, vous bénissez le Seigneur au sein de son Eglise, en le contemplant alors face à face, vous vous abreuverez abondamment aux fontaines d'Israël.

5. En attendant, toutefois, que vos larmes vous servent de pain la nuit et le jour dans ce pèlerinage, pendant que chaque jour on vous demande : Où est votre Dieu (1) ? sans que vous puissiez montrer à ces hommes charnels ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce que n'a point pressenti le coeur de l'homme (2); gardez-vous de déchoir jusqu'au moment où vous arriverez, où vous vous montrerez en présence de votre Dieu; car il viendra lui-même accomplir ces promesses, lui qui spontanément s'est fait votre débiteur, lui qui n'a rien emprunté à personne et qui a daigné s'obliger à vous devoir. C'est nous qui lui devions, et nos dettes égalaient nos péchés. Lui est venu sans rien devoir, puisqu'il n'avait pas fait le mal; il nous a trouvé sous le poids d'une créance ruineuse et coupable, et rendant ce qu'il n'avait pas dérobé, il nous a déchargés dans sa miséricorde d'une dette éternelle. Nous avions commis la faute et nous ne pouvions qu'en attendre le châtiment; lui, saris être complice de cette faute, a voulu en porter la peine et nous remettre ainsi la peine avec la faute. C'est lui effectivement qui délivrera de leurs dettes et

1 Ps. XLI, 4. — 2. I Cor. II, 9.

de leurs iniquités les âmes de ceux qui croies et qui disent du fond du coeur, chacun particulier : " Je compte voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants (1) ". Or; cette terre, il faut y aspirer, non pas d'un manière morte et toute terrestre, mais avec un coeur céleste en quelque sorte et tout vivant. Aussi est-ce d'elle que parle en chantant avec allégresse dans un autre psaume, un coeur tout épris d'amour pour elle: " Vous êtes mon espoir, mon partage dans la terre des vivants (2) ".

On marche à sa conquête, lorsque sur cette terre on mortifie vigoureusement ses membres, non pas les membres dont la réunion forme le corps humain, mais les membres qui malheureusement affaiblissent l’énergie de l'âme. Ce sont ceux que fait connaître clairement et que nomme l'apôtre saint Paul, et vase d'élection, quand il dit: " Mortifiez vos membres qui sont sur la terre, la fornication, l'impureté, le trouble, la convoitise coupable et l'avarice qui est une idolâtrie (3) ". Voilà ce que vous devez mortifier sur cette terre de mourants, si vous désirez vivre sur cette autre terre, la terre des vivants. Devenez ainsi les membres du Christ, mais non pour prendre ces membres et en faire les membres d'une prostituée. Est-il en effet prostituée plus ignominieuse et plus vile que la fornication, nommée en premier lieu, et que l'avarice en dernier? C'est avec raison que cette avarice est traitée d'idolâtrie, car il faut éviter non-seulement la dissolution du corps mais encore la perte du sentiment dans l'âme pour ne pas tomber sous la menace du chaste Epoux, du juge sévère, à qui il est dit: " Vous avez fait périr quiconque se prostitue loin de vous ". Ah ! qu'il est bien mieux, qu'il bien plus avantageux pour chacun de vous lui crier avec un coeur chaste: " Mon bonheur est de m'attacher à Dieu (4) ". Cet attachement intime est produit par l'amour dont il est dit également: " Aimez sans dissimulation, abhorrant le mal et vous unissant au bien (5) ".

6. Voilà, voilà l'arène où vous devez combattre à la lutte, poursuivre à la course, frapper au pugilat. Voulez-vous étouffer dans vos bras cet ennemi funeste qui lutte contre votre foi ? Foulez aux pieds le mal, embrassez le bien. Voulez-vous atteindre à la course? Fuyez l'iniquité,

1. Ps. LXXI, 14; XXVI, 13. — 2. Ps. CXLI, 6. — 3. Col. III, 5. — 4. Ps. LXXII, 27, 28. — 5. Rom. XII, 9.

227

poursuivez la justice. Voulez-vous, non pas frapper l'air avec le poing, mais abattre vigoureusement votre adversaire? Châtiez votre corps et le réduisez en servitude, en vous abstenant de tout et en combattant loyalement; pour recevoir en triomphe la récompense céleste et la couronne qui ne se flétrit point.

Ce que nous faisons en vous en adjurant au nom de votre Rédempteur, achevez-le en examinant et en secouant votre coeur. C'est en priant Dieu et en maudissant le vieil ennemi que flous résistons à ses desseins perfides; pour vous, employez avec persévérance la contrition et les désirs du coeur pour vous arracher à la puissance des ténèbres, et pour parvenir au royaume où brille la gloire de Dieu. Telle est, pour le moment, votre oeuvre, telle votre application. Nous jetons sur cet esprit coupable les anathèmes que méritent ses oeuvres perverses; livrez-lui plutôt un glorieux combat en vous éloignant de lui et en le reniant comme le veut la religion. Il faut abattre, enchaîner et bannir cet ennemi de Dieu, de vous et surtout de lui-même; car si sa haine s'élève avec insolence contre Dieu et contre vous avec rage, â lui elle est fatale. Qu'il soit partout altéré de sang, qu'il tende des piéges, qu'il aiguise toutes les langues perfides qui lui obéissent, rejetez de vos coeurs son venin en invoquant le nom du Sauveur.

7. Bientôt va ressortir, bientôt va être mis à nu tout ce qu'il se proposait par ses inspirations criminelles, par ses honteux appas. A bas les chaînes tyranniques par lesquelles il vous retenait captifs; à bas le joug qu'il faisait peser cruellement sur vous, et qui va être replacé sur sa tête ; seulement, pour obtenir votre délivrance, donnez votre assentiment à votre Rédempteur , et confiez-vous en lui. Assemblée du peuple nouveau, peuple naissant qu'a formé le Seigneur, aide à ton enfantement et ne deviens pas un avorton misérable. Vois le sein de ta mère, la sainte Eglise, vois comme elle travaille et gémit pour te mettre au jour, pour te produire à la lumière de la foi. Ah! prenez garde d'imprimer par votre impatience de trop fortes secousses aux entrailles maternelles et de rendre plus étroite la porte par où vous devez passer à la vie. Loue ton Dieu, peuple naissant, loue ton Seigneur, loue-le, toi que Dieu crée. Loue-le parce qu'il te donne du lait ; loue-le parce qu'il te nourrit, et puisqu'il te donne des aliments célestes, avance en sagesse et en âge. N'a-t-il pas connu ces progrès dans sa croissance temporelle Celui qui ne meurt pas quand le temps lui manque, et qui ne grandit pas quand il s'allonge, attendu qu'il a banni de son éternité toute fin et toute espèce de temps ? " Gardez-vous, comme le disait à son élève un bienveillant précepteur, de devenir enfants par l'intelligence ; mais soyez petits enfants en malice et hommes faits en intelligence (1) ". Postulants, grandissez avec ardeur en Jésus-Christ, afin d'atteindre dans la jeunesse les proportions de l'homme parfait. Par vos progrès dans la sagesse, faites, comme il est écrit, la joie de votre père, et abstenez-vous d'être, par votre relâchement, la tristesse de votre mère (2).

8. Aimez ce que vous devez être; car vous devez être les fils de Dieu, ses fils adoptifs incomparable privilège qui vous sera accordé gratuitement et dont vous jouirez d'autant plus amplement que vous montrerez plus de gratitude à Celui qui en est la source. Courez donc à lui, car il sait ceux qui lui appartiennent, et il ne dédaignera pas de vous voir au nombre de ces derniers, si en invoquant son nom vous renoncez à toute injustice (3). Les parents que vous avez ou que vous aviez dans le monde, vous ont engendrés pour le travail, pour la souffrance et pour la mort; mais comme, heureusement orphelins, chacun de vous peut dire : " Mon père et ma mère m'ont abandonné (4) " ; ô chrétien, reconnais pour Père Celui qui en leur absence te recueille quand tu quittes le sein de ta mère et à qui disait fidèlement un de ses enfants fidèles : " Du sein de ma mère, vous êtes mon appui (5) ". Ce Père est Dieu même, et l'Eglise est cette mère.

Que la vie qu'ils vous donnent est différente de la vie que vous avez reçue de vos premiers parents ! Ce n'est pas en effet pour le travail, pour la misère, pour les pleurs, pour la mort qu'ils vous enfantent ; mais pour l'aisance, pour la félicité, pour la joie, pour la vie. La naissance que donnent les uns est digne de lamies, celle qui vient des autres est digne d'ambition. Par suite de l'ancien péché les premiers nous engendrent pour la peine éternelle; les seconds nous régénèrent pour abolir et la peine et la faute. Ainsi sont régénérés

1. I Cor. XIV, 20. — 2. Prov. X, 1 ; XV, 20. — 3. II Tim. II, 19. — 4. Ps. XXVI, 31. — 5. Ps. XXI, 11.

228

ceux qui cherchent Dieu, ceux qui aspirent à voir la face du Dieu de Jacob (1) ". Cherchez ce bonheur avec humilité, car en le trouvant vous parviendrez à une grandeur qui n'expose à aucun danger.

L'enfance consistera pour vous dans l'innocence, le premier âge dans le respect, l'adolescence dans la patience, la jeunesse dans la force, l'âge mûr dans le mérite, et votre vieillesse ne sera autre chose qu'une sereine et sage intelligence. En traversant ces parties ou plutôt ces degrés de la vie tu n'as point à changer de place , tu te renouvelles en occupant toujours la même. On ne voit point le second âge pousser le premier pour lui succéder, le troisième se lever pour abattre le second, ni naître le quatrième pour donner la mort au troisième ; le cinquième ne porte point envie au quatrième pour pouvoir subsister, et te sixième n'ensevelira point le cinquième. Quoique tous ces âges n'arrivent pas en même temps, rien n'empêche qu'ils demeurent tous en paix dans une âme pieuse et justifiée, et c'est ainsi qu'ils te conduiront au septième, c'est-à-dire au repos et à la paix éternelle. Délivré jusqu'à six fois des misères de l'âge funeste, au septième âge, est-il écrit, le mal ne pourra plus t'atteindre (2). Comment attaquerait-il , puisqu'il n'existera plus ? et comment triompherait-il , puisqu'il n'osera même pas se montrer? Alors donc on jouira d'une immortalité paisible et d'une paix immortelle.

9. Et d'où viendra cette félicité, sinon du changement imprimé par la droite du TrèsHaut, du Très-Haut qui bénira tes fils dans ton enceinte et qui te donnera la paix pour frontières (3) ? Soyez donc remplis d'ardeur pour l'obtenir, vous qui êtes à la fois unis et séparés, unis aux bons et séparés des méchants, élus, bien-aimés, prédestinés, appelés, mais qui avez besoin d'acquérir encore la sainteté et la gloire ; croissez, grandissez, vieillissez dans la foi et dans la maturité des forces ; il n'est pas question ici de l'affaiblissement du corps, mais d'une vieillesse pleine de vigueur, et annoncez en paix les oeuvres du Seigneur qui a fait pour vous de grandes choses, qui est tout-puissant, dont le nom est grand et dont la sagesse est incommensurable. Vous cherchez la vie ? Courez à Celui qui en est la

1. Ps. XXIII, 6. — 2. Job. V, 19. — 3. Ps. CXLVII, 14.

source, et après avoir dissipé les ténèbres pro. duites par la fumée de vos passions, vous contemplerez la lumière à la lumière du Fils unique du Père, de votre Rédempteur plein de clémence, du brillant soleil de justice. Vous cherchez le salut ? Espérez en Celui qui sauve ceux qui se confient en lui (1). Il vous faut de l'ivresse et des délices ? Il ne vous les refusera même pas ; seulement venez et adorez, prosternez-vous et gémissez devant Celui qui vous a créés (2) ; c'est ainsi qu'il vous enivrera de l'abondance de sa maison, et qu'il vous abreuvera au torrent de ses délices (3).

10. Mais prenez garde que le pied du superbe ne vous heurte; ayez soin que la main des pécheurs ne vous ébranle pas (4). Pour échapper au premier malheur, priez Dieu de vous purifier de vos péchés secrets; et pour n'être ni renversés ni abattus par le second, demandez d'être préservés de la malice des étrangers (5); âmes tombées, levez-vous; levez-vous pour vous tenir debout; tenez-vous debout pour résister ; et résistez avec persévérance. Au lieu de porter le fardeau plus longtemps, rompez leurs chaînes et secouez leur joug (6), et ne vous laissez plus imposer de servitude. " Le Seigneur est proche, ne vous inquiétez de rien (7)". Mangez maintenant le pain de la douleur ; viendra le moment où après avoir mangé ce pain de douleur vous recevrez en partage le pain de la joie. Mais pour mériter l'un il faut d'abord manger l'autre avec patience. C'est en te détournant et en t'éloignant de Dieu que tu as mérité ce pain de larmes; reviens avec componction sur tes pas et te rapproche de ton Seigneur. A qui revient à lui avec componction, il est prêt à donner de nouveau le pain de la joie ; mais n'use pas de dissimulation et ne diffère pas dans ta misère de demander avec larmes pardon de ta fuite, Au milieu d'afflictions si multipliées, revêtez vous du cilice et par le jeûne humiliez vos âmes. L'humilité recouvre ce qu'a perdu l'orgueil. Il est vrai pourtant, au moment de votre examen, quand au nom tout-puissant et redoutable de l'auguste Trinité, des imprécations méritées étaient lancées sur ce transfuge qui entraîne à la fuite et à la désertion, vous n'étiez pas couverts du cilice : mais vos pieds marchaient en quelque sorte sur lui.

11. Il faut en effet fouler aux pieds les vices,

1. Ps. XVI, 7. — 2. Ps. XCIV, 6. — 3. Ps. XXXV, 9. — 4. Ib. 12. — 5. Ps. XVIII, 13, 14. — 6. Ps. II, 3. — 7. Philip. IV, 5, 6.

229

dont les peaux de chèvres sont le symbole mettre en lambeaux ces vêtements des boucs de la gauche. Comme de lui-même le Père des miséricordes viendra à votre rencontre, vous rendant votre robe première, se hâtant même de faire immoler le veau gras afin de repousser la faim funeste qui vous mène à la mort (1) ! Vous mangerez sa chair et vous boirez son sang, ce sang dont l'effusion efface nos péchés, acquitte nos dettes et fait disparaître nos souillures. Mangez en esprit de pauvreté, et vous serez rassasiés, et vous aussi vous pourrez compter au nombre de ceux dont il est dit: " Les pauvres mangeront et ils seront rassasiés (2) ". Ainsi rassasiés heureusement par lui, vantez son pain et publiez sa gloire ; courez à lui et renoncez au passé. N'est-ce pas lui en effet qui rappelle ceux qui s'éloignent, qui poursuit les fuyards, qui retrouve ceux qui sont perdus, qui humilie les superbes, qui nourrit les affamés, qui délivre les captifs , qui éclaire les aveugles, qui purifie les impurs, qui délasse les fatigués, qui ressuscite les morts et qui arraché aux esprits du mal ceux qu'ils ont saisis et qu'ils retiennent dans les fers? Mais nous avons constaté que vous n'êtes point sous l'empire de ces esprits: donc, en vous félicitant, nous vous engageons à conserver dans vos coeurs l'exemption du mal que nous avons vue dans vos corps.

1. Luc, XV, 11-32. — 2. Ps. XXI, 27.

 

 

 

 

 

SERMON CCXVII. VERS LA FIN DU CARÊME. LE CHEMIN DU CIEL (1).

ANALYSE. — Jésus-Christ, comme homme, demande à son Père de nous placer au ciel avec lui. Mais pour arriver à cet heureux séjour, il faut pratiquer le bien sur cette terre de souffrances. Les jours de pénitence sont l'emblème de cette vie, comme la jours de réjouissance figurent les joies de l'autre monde.

1. Le Christ Notre-Seigneur nous exauce avec son Père; pour nous cependant il a daigné prier son Père. Est-il rien de plus sûr que notre bonheur, quand il est demandé par Celui qui le donne? Car Jésus-Christ est en même temps Dieu et homme; il prie comme homme, et comme Dieu il donne ce qu'il demande. S'il attribue au Père tout ce que vous; devez conserver de lui, c'est que le Père ne procède pas de lui, mais lui du Père. Il rapporte tout à la source dont il émane, quoique en émanant d'elle il soit source aussi, puisqu'il est la source de la vie. C'est donc une source produite par une source. Oui, le Père qui est une source produit une source; mais il en est de ces deux sources comme du Père et du Fils qui ne sont qu'un seul Dieu. Le Père toutefois n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père et l'Esprit du Père et du Fils n'est ni le Père ni le Fils; mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un seul Dieu. Appuyez-vous sur cette unité pour ne pas tomber en désunissant.

2. Vous avez vu ce que demandait le Sauveur, ou plutôt ce qu'il voulait. Il disait donc : " Je veux, mon Père, que là où je suis soient aussi ceux que vous m'avez donnés ". Oui, " je veux que là où je suis ils soient aussi avec moi ". Oh ! l'heureux séjour ! Oh ! l'inattaquable patrie ! Elle n'a ni ennemi ni épidémie à redouter. Nous y vivrons tranquilles, sans chercher à en sortir; nous ne trouverions point de plus sûr asile. Sur quelque lieu que se fixe ton choix ici-bas, sur la terre, c'est pour craindre, ce n'est point pour y être en sûreté. Ainsi donc, pendant que tu occupes

1. Jean, XVII, 24.

230

cette résidence du mal, en d'autres termes, pendant que tu es dans ce siècle, dans cette vie pleine de tentations, de morts, de gémissements et de terreurs, dans ce monde réellement mauvais, fais choix d'une autre contrée pour y porter ton domicile. Mais tu ne saurais le transporter au séjour du bien, si tu n'as fait du bien dans ce pays du mal. Quelle résidence que cette autre où personne ne souffre de la faim? Mais pour habiter cette heureuse patrie où la faim est inconnue; dans la patrie malheureuse où nous sommes partage ton pain avec celui qui a faim. Là nul n'est étranger, chacun est dans son pays. Veux-tu donc habiter ce séjour heureux où il n'y a point d'étranger? dans ce séjour malheureux ouvre ta porte à celui qui est sans asile. Donne l'hospitalité, dans ce pays du malheur, à l'étranger, afin d'être admis toi-même sur la terre fortunée où tu ne pourras la recevoir. Sur cette terre bénie, personne n'est sans vêtement, il n'y a ni froid ni chaleur excessifs; à quoi bon des habitations et des vêtements. Au lieu d'habitation on y trouve la protection divine; on y trouve l'abri dont il est dit : " Je me réfugierai à l'ombre de vos ailes (1) ". Ici donc reçois dans ta demeure celui qui n'en a pas, et tu pourras parvenir au lieu fortuné où tu trouveras un abri qu'il ne te faudra point restaurer, attendu que la pluie ne saurait le détériorer. Là jaillit perpétuellement la fontaine de vérité; eau féconde qui répand la joie et non l'humidité, source de véritable vie. Que voir en effet dans ces mots : " En vous est la fontaine de vie (2) "; sinon ceux-ci : " Le Verbe était en Dieu (3)? "

3. Ainsi donc, mes bien-aimés, faites le bien dans ce séjour du mal, afin de parvenir au séjour heureux dont nous parle en ces termes Celui qui nous le prépare : "Je veux que là où

1. Ps. LVI, 2. — 2. Ps. XXXV,10. — 3. Jean, I, 14.

je suis ils soient aussi avec moi". Il est monté pour nous le préparer, afin que le trouvant prêt nous y entrions sans crainte. C'est lui qui l'a préparé; demeurez donc en lui. Le Christ serait-il pour toi une demeure trop étroite? Craindrais-tu encore sa passion? Mais il est ressuscité d'entre les morts, et il ne meurt plus, et la mort n'aura plus sur lui d'empire (1). Ce siècle est à la fois le séjour et le temps du mal. Faisons le bien dans ce séjour du mal, conduisons-nous bien dans ce temps du mal; ce séjour et ce temps passeront pour faire place à l'éternelle habitation et aux jours éternels du bien, lesquels ne seront qu'un seul jour. Pourquoi disons-nous ici des jours mauvais ? Parce que l'un passe pour être rem. placé par un autre. Aujourd'hui passe pour être remplacé par demain, comme hier a passé pour être remplacé par aujourd'hui. Mais où rien ne passe on ne compte qu'un jour. Ce jour est aussi et le Christ et son Père, avec cette distinction que le Père est un jour qui ne vient d'aucun jour, tandis que le Fils est un jour venu d'un jour.

Ainsi donc Jésus-Christ Notre-Seigneur, par sa passion, nous prêche les fatigues et les accablements de ce siècle; il nous prêche, par sa résurrection, la vie éternelle et bienheureuse du siècle futur. Souffrons le présent,, ayons confiance dans l'avenir. Aussi le temps; actuel que nous passons dans le jeûne et dans des observances propres à nous inspirer la contrition, est-il l'emblème des fatigues du siècle présent; comme les jours qui se préparent sont l'emblème du siècle futur, où nous ne sommes pas encore. Hélas ! oui, ils en sont l'emblème, car nous ne le tenons pas. La tristesse doit durer en effet jusqu'à la passion; après la résurrection, les chants de louanges

1. Rom. VI, 9.

 

 

 

SERMON CCXVIII. POUR LE VENDREDI-SAINT. DES MYSTÈRES DE LA PASSION (1).

231

ANALYSE. —Tout ayant été permis volontairement par Jésus-Christ dans sa passion, ce n'est pas sans des raisons mystérieuses qu'il a porté sa croix, qu'il a été crucifié sur le Calvaire, avec deux larrons à ses côtés, avec le titre de Roi des Juifs gravé au-dessus de sa croix, gravé en trois langues; ce n'est pas sans raison non plus que Pilate a refusé de modifier ce titre, que les habits du Sauveur ont été partagés en quatre , que sa robe a été tirée au sort et sa mère recommandée à saint Jean ; que du vinaigre lui a été présenté au bout d'une éponge, qu'il est mort en parlant et en inclinant la tête, que les jambes furent rompues aux larrons et non pas à lui, que le sang et l'eau coulèrent de son côté, qu'enfin il fut enseveli par Joseph et Nicodème. Raisons mystérieuses de cas quatorze circonstances.

1. On lit solennellement et solennellement on honore la passion de Celui dont le sang a effacé nos péchés, afin que ce culte annuel ranime plus vivement nos souvenirs et que le concours même. des populations jette plus d'éclat sur notre foi. Cette solennité exige donc que nous vous adressions sur la passion du Seigneur le discours qu'il lui plait de nous inspirer. C'est sans doute afin de nous aider à faire notre salut et à traverser utilement cette vie, que le Seigneur a daigné nous.donner un grand exemple de patience en souffrant ce qu'il a souffert de la part de ses ennemis, et afin de nous disposer à souffrir, s'il le voulait, de semblables douleurs pour l'honneur de l'Evangile. Cependant comme il n'y a pas eu de contrainte et que tout a été volontaire dans ce qu'il a enduré en sa chair mortelle, on croit avec raison que dans les circonstances de sa passion dont il a fait consigner le récit dans l'Evangile, il a voulu encore indiquer autre chose.

2. D'abord, si après avoir été condamné à être crucifié, il a porté lui-même sa croix (2), c'était pour nous apprendre à vivre dans la réserve et pour nous montrer, en marchant en avant, ce que doit faire quiconque veut le suivre. Du reste il s'en est expliqué formellement. "Si quelqu'un m'aime, dit-il, qu'il a prenne sa croix et me suive (3) ". Or, c'est en quelque sorte porter sa croix que de bien gouverner cette nature mortelle.

3. S’il a été crucifié sur le Calvaire (4), c'était

1. Jean, XIX, 17-42. — 2. Jean , XIX , 17. — 3. Matt. XVI , 24. — 4. Jean, XIX, 17-18

pour indiquer que par sa passion il remettait tous ces péchés dont il est écrit dans un psaume : " Le nombre de mes iniquités s'est élevé au-dessus des cheveux de ma tête (1)".

4. Il eut à ses côtés deux hommes crucifiés avec lui (2) ; c'était pour montrer que des souffrances attendent et ceux qui sont à sa droite, et ceux qui sont à sa gauche; ceux qui sont à sa droite et desquels il dit : " Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (3) " ; ceux qui sont à sa gauche et dont il est écrit : " Quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien (4) ".

5. En permettant qu'on plaçât au-dessus de sa croix le titre où il était désigné comme " Roi des Juifs (5), il voulait montrer que même en le mettant à mort les Juifs ne pouvaient empêcher qu'il fût leur Roi : aussi viendra-t-il avec une grande gloire et une puissance souveraine leur rendre selon leurs pauvres; et c'est pourquoi il est écrit dans un psaume : " Pour moi, il m'a établi Roi sur Sion, sa montagne sainte (6) ".

6. Ce titre fut écrit en trois langues, en hébreu, en grec et en latin (7) ; c'était pour signifier qu'il régnerait non-seulement sur les Juifs mars encore sur les Gentils. Aussi après ces mots qui désignent sa domination sur les Juifs : " Pour moi, j'ai été établi Roi sur Sion, sa montagne sainte " ; il ajoute aussitôt, pour parler de son empire sur les Grecs et sur les Latins : " Le Seigneur m'a dit : Vous êtes

1. Ps. XXXIX, 13. — 2. Jean, XIX, 18. — 3.Matt. V, 10. — 4. I Cor. XIII, 3. — 5. Jean, XIX, 19. — 6. Ps. II, 6. — 7. Ib. 20.

232

mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu'aux extrémités de l'univers (1) ". Ce n'est pas que les Gentils ne parlent que grec et latin ; c'est que ces deux langues l'emportent sur les autres : la langue grecque, à cause de sa littérature; la langue latine, à cause de l'habileté politique des Romains. Les trois langues annonçaient donc que toute la gentilité se soumettrait à porter le joug du Christ. Le titre néanmoins ne portait pas Roi des Gentils, mais Roi des Juifs : c'était afin de rappeler par ce nom propre l'origine même de la race chrétienne. " La loi viendra de Sion, est-il écrit, et de Jérusalem la parole du Seigneur (2) ". Quels sont d'ailleurs ceux qui disent avec un psaume : " Il nous a assujetti les peuples, il a mis à nos pieds les Gentils (3) " ; sinon ceux dont parle ainsi l'Apôtre : " Si les Gentils sont entrés en partage de leurs biens spirituels, ils doivent leur faire part à leur tour de leurs biens temporels (4) ? "

7. Quand les princes des Juifs demandèrent à Pilate de ne pas mettre, dans un sens absolu, qu'il était Roi des Juifs, mais d'écrire seulement qu'il prétendait l'être (5) ; Pilate fut appelé à figurer comment l'olivier sauvage serait greffé sur les rameaux rompus; car Pilate appartenait à la gentilité et il écrivait alors la profession de foi de ces mêmes Gentils dont Notre-Seigneur avait dit lui-même: " Le royaume de Dieu vous sera enlevé et a donné à une nation fidèle à la justice (6) ". Il ne s'ensuit pas néanmoins que le Sauveur ne soit pas le Roi des Juifs. N'est-ce pas la racine qui porte la greffe sauvage et non cette greffe qui porte la racine? Par suite de leur infidélité, ces rameaux sans doute se sont détachés du tronc; mais il n'en faut pas conclure que Dieu ait repoussé le peuple prédestiné par lui. " Moi aussi, dit saint Paul, je suis Israélite (7) ". De plus, quoique les fils du royaume se jettent dans les ténèbres pour n'avoir pas voulu que le Fils de Dieu régnât sur eux, beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident pour prendre place au banquet, non pas avec Platon et Cicéron, mais avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux (8).

1. Ps. II, 6, 7. — 2. Isaïe, II, 3. — 3. Ps. XLVI, 4. — 4. Rom. XV, 27. — 5. Jean, XIX, 21. — 6. Matt. XXI, 43. — 7. Rom. XI, 1, 2, 17. — 8. Matt. VIII, 11.

Pilate aussi écrivit Roi des Juifs, et non pas Roi des Grecs et des Latins, quoiqu'il dût régner sur les Gentils ; et ce qu'il écrivit, il l'écrivit sans consentir à le changer malgré les réclamations de ces infidèles (1) : c'est que bien longtemps auparavant il lui avait été dit au livre des psaumes : " N'altère point le titre, tel qu'il est écrit (2) ". C'est donc au Roi des Juifs que croient tous les Gentils; il règne sur toute la gentilité, mais comme Roi des Juifs. Telle a donc été la sève de cette racine, qu'elle a pu communiquer sa nature au sauvageon greffé sur elle, sans que ce sauvageon ait pu lui ôter son nom d'olivier véritable.

8. Si les soldats s'approprièrent ses vêtements, après en avoir fait quatre parts (3); c'est que ses sacrements devaient se répandre dans les quatre parties du monde.

9. S'ils tirèrent au sort, au lieu de la partager entre eux, sa tunique sans couture et d'un seul tissu, depuis le haut jusqu'en bas (4), ce fut pour démontrer clairement que tous, gons ou méchants, peuvent recevoir sans doute les sacrements extérieurs , qui sont comme les vêtements du Christ; mais que cette foi pure qui produit la perfection de l'unité et qui la produit par la charité qu'a répandue dans nos coeurs le Saint-Esprit qui nous a été donné (5), n'est pas le partage de tous, mais un don spécial, fait comme au hasard, par la grâce secrète de Dieu. Voilà pourquoi Pierre dit à Simon, qui avait reçu le baptême, mais non pas cette grâce : " Il n'y a pour toi ni a part, ni sort dans cette foi (6) ".

10. Du haut de la croix il reconnut sa Mère et la recommanda au disciple bien-aimé (7); c'était , au moment où il mourait comme homme, montrer à propos des sentiments humains; et ce moment n'était pas encore arrivé, quand sur le point de changer l'eau en vin, il avait dit à cette même Mère : " Que nous importe, à moi et à vous ? Mon heure n'est pas encore venue (8) ". Aussi n'avait-il pas puisé dans Marie ce qui appartenait à sa divinité, comme en elle il avait puisé ce qui était suspendu à la croix.

11. S'il dit : " J'ai soif ", c'est qu'il avait soif de la foi de son peuple; mais comme "en venant chez lui il n'a pas été reçu par les

1. Jean, XIX, 22. — 2. Ps. LVI, 1 ; LVII, 2. — 3. Jean, XIX, 23. — 4. Ib 23, 24. — 5. Rom. V, 5. — 6. Act. VIII, 21. — 7. Jean, XIX, 26, 27. — 8. Ib. II, 4.

233

siens (1) ", au lieu du doux breuvage de la foi, ceux-ci lui présentèrent un vinaigre perfide, et le lui présentèrent avec une éponge. Ne ressemblaient-ils pas eux-mêmes à cette éponge, étant, comme elle, enflés sans avoir rien de solide, et, comme elle encore, ne s'ouvrant pas en droite ligne pour professer la foi, mais cachant de noirs desseins dans leurs coeurs aux replis tortueux? Cette éponge était elle-même entourée d'hysope ; humble plante dont les racines vigoureuses s'attachent, diton, fortement à la pierre. C'est qu'il y avait parmi ce peuple des âmes pour qui ce crime devait être un sujet d'humiliation et de repentir. Le Sauveur les connaissait, en acceptant l'hysope avec le vinaigre ; aussi pria-t-il pour elles, au rapport d'un autre Evangéliste, lorsqu'il dit sur la croix : " Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (2) ".

12. En disant: " Tout est consommé, et en rendant l'esprit après avoir incliné la tête (3) ", il montra que sa mort n'était pas forcée, mais volontaire, puisqu'il attendait l'accomplissement de tout ce qu'avaient prédit les prophètes relativement à lui. On sait qu'une autre circonstance était prédite aussi dans ces mots: " Et dans ma soif ils m'ont donné à boire du vinaigre (4) ". Ainsi montrait-il qu'il possédait, comme il l'avait affirmé lui-même, " le pouvoir de déposer sa vie (5) ". De plus il rendit l'esprit avec humilité, c'est-à-dire en baissant la tête, parce qu'il devait le reprendre en relevant la tête à sa résurrection.

1. Jean, I, 11. — 2. Luc, XVIII, 34. — 3. Jean, XIX, 30. — 4. Ps. LXVIII, 22. — 5. Jean, X, 18.

Cette mort et cette inclination de tête indiquaient donc en lui une grande puissance ; c'est ce qu'annonçait déjà le patriarche Jacob en bénissant Juda. " Tu es monté, lui dit-il, en t'abaissant; tu t'es endormi comme un lion (1) " ; c'est que Jésus-Christ devait s'élever en mourant, c'est qu'il avait alors la puissance du lion.

13. Pourquoi les jambes furent-elles rompues aux deux larrons et non pas à lui, qu'on trouva mort ? L'Evangile même l'explique. C'était une preuve qu'au sens prophétique il était bien question de lui dans la Pâque des Juifs, où il était défendu de rompre les os de la victime.

14. Le sang et l'eau qui de son côté, ouvert par une lance, coulèrent à terre, désignent sans aucun doute les sacrements qui servent à former l'Eglise. C'est ainsi qu'Eve fut formée du côté d'Adam endormi, qui figurait le second Adam.

15. Joseph et Nicodème l'ensevelissent. D'après l'interprétation de plusieurs , Joseph signifie " accru, " et beaucoup savent que Nicodème, étant un mot grec, est composé de victoire, nikos, et de peuple, demos. Quel est donc Celui qui s'est accru en mourant, sinon Celui qui a dit: " A moins que le grain de froment ne meure, il reste seul; mais il se multiplie, s'il meurt (2) ? " Quel est encore Celui qui en mourant a vaincu le peuple persécuteur , sinon celui qui le jugera après s'être ressuscité ?

1. Gen. XLIX, 9. — 2. Jean, XII, 24, 25.

 

 

SERMON CCXIX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. I.

ANALYSE. — C'est une exhortation à garder et à sanctifier cette veillée , que les païens mêmes observent pour s’appliquer à blasphémer.

En nous excitant à l'imiter et en rappelant plusieurs preuves insignes de sa vertu, l'apôtre saint Paul dit qu'il veillait très-souvent (1). Avec quel empressement ne devons-nous donc pas observer cette veillée, laquelle est comme la mère de toutes les autres, puisque le monde entier est sur pied ? Je ne parle pas de ce monde dont il est écrit : " Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, est convoitise des yeux et ambition du siècle, ce qui ne vient pas du Père (2) ". Cette espèce de monde, effectivement, c'est-à-dire ces fils de la défiance, est gouvernée par le démon et par ses anges, par ces esprits contre lesquels nous avons à lutter, comme le dit encore saint Paul dans ce passage : " Notre lutte ne s'engage pas contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres (3) "; de ténèbres telles que nous avons été, nous qui sommes maintenant lumière dans le Seigneur, et qui, à la lumière de cette veillée, devons résister à ces chefs ténébreux. Ce n'est donc pas ce monde qui veille en cette nuit solennelle, c'est celui dont il est écrit : " Dieu était dans le Christ pour se réconcilier le monde et ne leur imputer pas leurs péchés (4) ".

Cependant la solennité de cette nuit est si éclatante par tout l'univers qu'elle force à veiller de corps ceux-là mêmes dont le coeur est, je ne dirai pas endormi , mais enseveli dans la sombre impiété de l'enfer. Oui, ceux-là mêmes veillent durant cette nuit où les yeux mêmes voient l'accomplissement de cette antique prédiction : " Et la nuit sera éclairée à l'égal du jour (5)". Ainsi sont éclairés les

1. II Cor. XI, 27. — 2. I Jean, II, 15, 16. — 3. Eph. VI, 42. — 4. II Cor. V, 19. — 5. Ps. CXXXVIII, 12.

coeurs pieux à qui il a été dit : " Vous étiez a autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1) ". Nos envieux jouissent aussi de cette lumière , en sorte qu'elle brille et pour ceux qui voient dans le Seigneur, et pour ceux qui portent envie au Seigneur.

Cette nuit donc veillent et le monde ennemi de Dieu, et le monde réconcilié avec lui, Celui-ci veille pour bénir le Médecin qui l'a sauvé ; celui-là veille pour outrager le Juge qui l'a condamné. Celui-ci veille avec la ferveur et la lumière dans l'âme ; celui-là veille avec la fureur et la rage dans les dents. Enfin, la charité de l'un, la haine de l'autre; l'ardeur chrétienne de l'un et l'envie diabolique de l'autre, ne, laissent dormir aucun d'eux pendant cette fête. Aussi bien nos ennemis eux-mêmes nous apprennent à leur insu et en veillant par haine contre nous, comment nous devons veiller par amour pour nous.

Parmi ceux en effet qui ne portent encore à aucun titre le nom du Christ, il en est beau coup que la douleur empêche de dormir cette nuit, il en est beaucoup aussi qui en sont empêchés par la honte; et ceux, en petit nombre, qui touchent à la foi, sont tenus en éveil par la crainte de Dieu. C'est donc pour différente motifs qu'on veille en cette solennité. Comment doit veiller dans la joie l'ami du Christ, quand son ennemi veille dans la douleur? Lorsque le Christ reçoit tant de gloire, avec quelle ardeur doit veiller le chrétien, quand le païen même rougirait de dormir? A celui qui est entré déjà dans la grande maison, comment n'est-il pas convenable de veiller en une telle fête, quand veille déjà Celui qui se dispose à y pénétrer ?

1. Eph. V, 8.

235

Veillons donc et prions, afin de sanctifier cette nuit extérieurement et intérieurement. Que Dieu nous parle en nous faisant lire sa parole; parlons à Dieu en lui adressant nos prières. Si nous entendons avec soumission sa parole, c'est qu'habite en nous Celui vers qui s'élèvent nos supplications.

 

 

 

SERMON CCXX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. II. POURQUOI CETTE SOLENNITÉ.

ANALYSE. — Jésus-Christ n'est mort et n'est ressuscité qu'une fois ; mais pour ne point laisser s'éteindre le souvenir de sa mort et de sa résurrection, on en renouvelle chaque année la mémoire par la célébration de cette fête.

1. La foi nous apprend, mes frères, et nous sommes fortement convaincus qu'un jour le Christ est mort pour nous, le Juste pour les pécheurs, le Maître pour des esclaves, le Libre pour des prisonniers, le Médecin pour ses malades, le Bienheureux pour les infortunés, le Riche pour les pauvres, pour les égarés Celui qui courait à leur recherche, le Rédempteur pour ceux qui s'étaient vendus, le Pasteur pour son troupeau, et, ce qui est plus admirable encore, le Créateur pour sa créature, ne perdant rien toutefois de ce qu'il est éternellement, tout en donnant ce qu'il s'est fait dans le temps; invisible comme Dieu et visible comme homme, donnant la vie à cause de sa puissance et acceptant la mort à cause de sa faiblesse, immuable dans sa divinité et paisible dans son humanité. Mais, comme s'exprime l'Apôtre : " S'il a été livré pour nos péchés, il est ressuscité pour notre justification (1) ".

Vous savez parfaitement que cela ne s'est accompli qu'une fois. Or, quoique toutes les voix de l'Écriture publient que cet événement ne s'est accompli qu'une fois, cette solennité le ramène, à des temps révolus, comme s'il avait lieu souvent. Toutefois il n'y a pas opposition entre la réalité et la solennité ; l'une ne dit pas vrai pour faire mentir l'autre , mais ce que l'une représente comme n'étant

1. Rom. IV, 25.

arrivé qu'une fois effectivement, l'autre le rappelle aux coeurs pieux pour le leur faire célébrer plusieurs fois. La réalité montre l'événement tel qu'il s'est fait; la solennité, sans l'accomplir, mais en en renouvelant la mémoire, ne laisse point passer ce qui est passé. Ainsi donc quand " le Christ, notre Agneau pascal, a été immolé (1) ", il n'a été mis à mort qu'une fois; il ne meurt plus désormais et la mort n'aura plus sur lui d'empire (2). Voilà pourquoi-nous disons, d'après la réalité, que cette immolation n'a eu lieu qu'une fois et qu'elle n'aura plus lieu jamais; tandis qu'au point de vue de la solennité, elle doit revenir chaque année.

C'est dans ce sens, me paraît-il, qu'on doit expliquer ces paroles d'un psaume : " La pensée de l'homme vous bénira, et ce qui restera de sa pensée vous célébrera une fête (3)". Si la pensée n'avait soin de confier à la mémoire ce qu'on lui apprend des faits accomplis dans le temps, elle n'en retrouverait ensuite aucune trace. La pensée donc bénit le Seigneur, lorsqu'elle est en face de la réalité; et ce qui reste de cette pensée dans la mémoire ne se lasse pas d'en renouveler la solennité pour détourner d'elle l'accusation d'ingratitude.

Voilà ce qui explique la brillante solennité de cette nuit. Nous y veillons comme pour

1. I Cor. V, 7. — 2. Rom. VI, 9. — 3. Ps. LXXV, 11.

236

renouveler la résurrection du Seigneur par. ce qui reste de notre pensée, tandis que réellement la pensée même nous la montre comme ne s'étant accomplie qu'une fois. Si donc en nous prêchant la vérité on nous a instruits, gardons-nous de manquer de religion en ne célébrant pas cette solennité. C'est elle qui dans tout l'univers rend cette nuit si éclatante; c'est elle qui met en relief la multitude des chrétiens, qui fait rougir les Juifs de leurs ténèbres et qui. renverse les idoles des païens

 

 

 

SERMON CCXXI. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. III. POURQUOI VEILLER CETTE NUIT.

ANALYSE. — Dans la Genèse, le jour se compte à dater du matin; mais depuis que l'homme s'est plongé dans les ténèbres du péché dont Jésus-Christ est venu le délivrer. Chaque jour commence avec la nuit. Donc, le jour où Jésus-Christ est ressuscité commence aussi à la nuit du jour précédent, le second de sa sépulture ; et comme il est ressuscité durant cette nuit, n'est-il pas convenable que durant cette nuit nous veillions aussi ?

Il faut expliquer pourquoi nous veillons avec tant de solennité durant cette nuit principalement.

Aucun chrétien ne met en doute que le Christ Notre-Seigneur soit ressuscité le troisième jour; et pourtant l'Évangile assure que cette résurrection s'est accomplie durant la nuit. C'est que le jour entier se compte à dater de la nuit précédente inclusivement. Ce n'est pas ainsi que se supputent les jours dans la Genèse, quoique là aussi les ténèbres aient précédé la lumière; puisque les ténèbres étaient sur l'abîme quand Dieu dit : " Que la lumière soit faite, et que la lumière fut faite ". Mais ces ténèbres n'étaient pas encore la nuit proprement dite; car le jour ne les avait pas précédées. Dieu en effet commença par diviser la lumière d'avec les ténèbres, puis il donna à la lumière le nom de jour, et aux ténèbres, ensuite, le nom de nuit; et c'est à dater de la formation de cette, jusqu'au matin suivant que s'étend le premier jour (1). Il est donc évident que chacun de ces jours a commencé avec l'aurore et que la lumière disparue, il ne s'est terminé qu'au matin suivant. Mais depuis que l'homme créé dans l’éclat de la justice, s’en est séparé pour

1. Gen. I, 3-5.

se plonger dans les ombres du péché dont la grâce du Christ travaille maintenant à le tirer, nous comptons les jours à dater de la nuit Ce n'est pas en effet pour passer de la lumière aux ténèbres, mais pour passer des ténèbres à la lumière que nous faisons tant d'efforts où nous espérons réussir par le secours du Seigneur. L'Apôtre ne dit-il pas dans ce sens : " La nuit est passée, mais aussi le jour approche; renonçons donc aux oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière (1) ? "

Par conséquent le jour de la passion du Sauveur, le jour où il fut crucifié, doit se joindre à la nuit précédente et il se termine au soir que les Juifs nomment la sainte Cène puisqu'ils commencent, dès le commencement de cette nuit, à observer le sabbat. Ensuite le jour du sabbat, qui commence avec cette nuit, finit le soir de la nuit suivante, laquelle appartient au jour que nous appelons le "dimanche ", dies dominicus, le jour du Seigneur, parce que le Seigneur se l'est consacrée par la gloire de sa résurrection.

Ainsi c'est le souvenir de cette nuit faisant la première partie du dimanche suivant, que nous solennisons en ce moment; c'est durant

1. Rom. XIII, 12.

237

la nuit où le Seigneur est ressuscité, que nous veillons et que nous nous occupons, de cette vie dont il vient d'être, question entre nous, de cette vie où l'on ne connaît ni mort ni sommeil et dont le Sauveur nous a donné un premier idéal dans sa chair en la ressuscitant d'entre les morts, en la préservant à jamais de la mort et en ôtant à la mort tout empire sur elle. Aussi, quand au point du jour, les amis du Sauveur arrivèrent au sépulcre pour y chercher son corps, ils ne l'y trouvèrent point, et des anges leur répondirent qu'il était déjà ressuscité; ce qui montre avec évidence que la résurrection eut lieu durant cette même nuit qui finissait avec le point du jour.

D'un autre côté, si pour chanter la gloire de sa résurrection nous veillons un peu plus longtemps, il nous accordera de régner avec lui en vivant éternellement. Supposez même que durant les heures où nous prolongeons cette veille, son corps fût encore dans le sépulcre, ne fût pas encore ressuscité, ne serait-il pas convenable également de veiller ? et Jésus-Christ ne s'est-il pas endormi pour nous obtenir de veiller, comme il est mort pour nous obtenir de vivre?

 

 

 

SERMON CCXXII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. IV. LES ESPRITS DE TÉNÈBRES.

ANALYSE. — En dissipant les ténèbres de cette nuit où nous veillons solennellement pour prier, rappelons-nous que nous devons lutter contre les esprits de ténèbres qui cherchent constamment à nous nuire.

Quoique la solennité même de cette sainte nuit vous excite à veiller et à prier, mes bien-aimés, nous ne devons pas moins sérieusement vous adresser la parole; c'est à la voix du pasteur d'éveiller le troupeau sacré pour le mettre en garde contre les bêtes nocturnes, contre les puissances ennemies et jalouses, contre les esprits de ténèbres. " Nous n'avons pas, dit l'Apôtre, à lutter contre la chair et le sang ", en d'autres termes, contre des hommes faibles et revêtus d'un corps mortel : " mais contre les princes, les puissances et les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans le ciel (1) ".

N'en concluez pas que le démon et ses anges, désignés par ces expressions de l'Apôtre, gouvernent le monde dont il est écrit : " Et le monde a été fait par lui (2) ". Car, après les avoir nommés les dominateurs du monde, lui-même a craint qu'on ne comprît ici le

1. Ephés. VI, 12. — 2. I Jean, I, 10.

monde désigné tant de fois dans l'Ecriture sous les noms du ciel et de la terre, et comme pour s'expliquer il a ajouté aussitôt : " de ténèbres ", autrement : d'infidèles. Aussi dit-il à ceux qui dès lors étaient devenus fidèles : " Autrefois vous étiez ténèbres , vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1) ". Si donc ces esprits de malice sont dans le ciel, ce n'est pas dans le ciel où brillent les astres qui y sont placés avec tant d'ordre et où demeurent les anges, mais dans la sombre habitation de cette basse atmosphère où s'épaississent les nuages, et dont il est écrit : " Il couvre le ciel de nuées (2) ". Là aussi volent les oiseaux, et on les appelle : " Les oiseaux du ciel (3) ". C'est donc dans ce ciel inférieur et non point dans la sereine tranquillité du ciel supérieur qu'habitent ces esprits de malice contre qui il nous est commandé de lutter, pour mériter, après avoir vaincu les mauvais anges, d'être associés au bonheur éternel des bons anges. Voilà

1. Eph. V, 3. — 2. Ps. CXLVI, 8. — 3. Ps. XLIX, 11.

238

pourquoi, en parlant ailleurs de l'empire ténébreux du diable, le même Apôtre dit : " Selon l'esprit de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, lequel agit maintenant dans les enfants de la défiance (1) ". Par conséquent, l'esprit de ce monde ne signifie autre chose que les dominateurs du monde; et de même que l'Apôtre indique ce qu'il entend par l'esprit de ce monde en ajoutant : " Les fils de la défiance ", ainsi explique-t-il aussi sa pensée en mettant : " De ténèbres ". A ces mots également : " Le prince des puissances de l'air ", il oppose ceux-ci : " Dans le ciel ".

Grâces donc au Seigneur notre Dieu qui nous a délivrés de cette puissance de ténèbres et qui nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour (2). Mais une fois séparés de ces ténèbres par la lumière de l'Evangile, et

1. Eph. II, 2. — 2. Colos. I, 12, 13.

rachetés de cette tyrannie au prix d'un sang divin, veillez et priez pour ne succomber pas à la tentation (1). Vous qui avez la foi agissant par la charité (2), de votre coeur a été expulsé le prince de ce monde (3); mais il rôde au dehors, comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer (4). Peu lui importe par où il entre; ne lui laissez donc aucune ouverture, et pour vous défendre, faites demeurer en vous Celui qui l'a expulsé en souffrant pour vous. Quand il vous dirigeait, " vous étiez ténèbres; mais vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ; vivez comme des enfants de lumière "; en garde contre les ténèbres et les puissances de ténèbres, veiller au sein de la lumière où vous venez de naître; et du sein de cette lumière qui est comme votre mère, implorez le Père des lumières.

1. Matt. XV, 41. — 2. Gal. V, 6. — 3. Jean, XII, 31. — 4. I Pierre, V, 3.

 

 

 

 

SERMON CCXXIII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. V. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS.

ANALYSE. — Puisqu'en recevant le baptême ils sont devenus des enfants de lumière, saint Augustin les exhorte à s'unir au vrais enfants de lumière, aux bous chrétiens, sans s'étonner de rencontrer des chrétiens mauvais, attendu que ce monde est comme l'aire où la paille se trouve mêlée au bon grain. Ils doivent. éviter aussi de s’attacher aux grains sortis de l'aire ; et quoi. qu'ils aient à souffrir des méchants, qu'ils n'oublient pas que la paille est incapable d'écraser jamais le bon grain.

1. L'Ecriture dit au livre de la Genèse : " Et Dieu vit que la lumière était bonne. Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres; et Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit (1) ". Mais si Dieu a donné à la lumière le nom de jour, il s'ensuit qu'on peut appeler jour ceux à qui l'apôtre Paul adresse ces paroles : " Vous étiez ténèbres , autrefois vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (2) "; car ils étaient éclairés par Celui-là même qui commanda à la lumière de jaillir des ténèbres (3).

Ces enfants (4), que vous voyez si blancs à

1. Gen. I, 4, 5. — 2. Eph. V, 8. — 3. II Cor. IV, 6. — 4. Nom donné à tous les nouveaux baptisés, quel que fût leur âge.

l'extérieur, à l'intérieur si purs, et qui témoignent, par la blancheur de leurs vêtements, de la candeur de leur âme, étaient ténèbres quand ils étaient plongés dans la nuit de leurs péchés. Maintenant donc qu'ils ont été purifiés dans le bain du pardon, arrosés de l'eau de la sagesse et qu'ils sont pénétrés de la lumière de justice : " C'est le jour qu'a fait le Seigneur; livrons-nous à la joie et à l'allégresse qu'il nous inspire (1) ". Prête donc l'oreille, jour du Seigneur, prête l'oreille, jour formé par le Seigneur, prête l'oreille et sois docile, afin de nous inspirer et joie et allégresse, notre joie

1. Ps. CXVIII, 24.

et notre couronne étant, comme dit l'Apôtre, que vous demeuriez fermes dans le Seigneur (1). Écoutez-nous, ô jeunes enfants d'une chaste Mère; ou plutôt écoutez-nous, enfants d'une Mère vierge. Puisqu'après avoir " été ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur, vivez comme des enfants de lumière "; attachez-vous aux enfants de lumière, et pour m'exprimer plus clairement, attachez-vous aux vrais fidèles; car, ce qui est affreux, il y en a de mauvais, il y en a qui portent le nom de fidèles sans l'être de fait; il yen a par qui sont outragés les sacrements du Christ, dont la conduite est une cause de perdition pour eux et pour autrui; pour eux, à cause de leur conduite coupable elle-même; pour autrui, à cause des exemples mauvais qu'ils donnent. Non, mes bien-aimés, ne vous liez pas avec ces mauvais fidèles; recherchez les bons , attachez-vous aux bons et soyez bons vous-mêmes.

2. Ne soyez pas étonnés, d'ailleurs, du grand nombre de ces mauvais chrétiens qui remplissent l'Église, qui participent aux dons de l'autel, qui applaudissent à haute voix les leçons de morale données par l'évêque ou par le prêtre, qui montrent enfin l'accomplissement de cette prophétie faite dans un psaume par Celui qui nous a appelés : " J'ai prêché, j'ai parlé, et ils sont devenus innombrables (2) ". Ils peuvent maintenant se trouver avec nous dans l'Église ; mais ils.ne pourront compter dans cette grande assemblée des saints qui suivra la résurrection des morts. L’Eglise, aujourd'hui, est en effet comme l'aire où le grain est mêlé avec la paille, les bons avec les méchants; mais après le jugement elle ne contiendra que les bons, pas un seul méchant. On voit sur cette aire la moisson qu'ont semée les Apôtres, que les fidèles docteurs qui les ont suivis ont arrosée jusqu'à cette époque, et que les ennemis n'ont, hélas ! que trop foulée; elle n'a plus à attendre que d'être nettoyée par le Vanneur suprême. Il viendra donc, car vous avez dit en répétant le Symbole : " Il en viendra juger les vivants et les morts ". D'ailleurs l'Évangile dit aussi : " Il aura son van à la main, et il nettoiera son aire, et il placera son froment au grenier, tandis qu'il brûlera la paille dans un feu inextinguible(3) ":

J'ai un avertissement aussi à donner aux

1. Philip, IV, 1. — 2. Ps XXXI, 6. — 3. Matt. III, 12.

239

fidèles plus anciens. C'est que le bon grain se réjouisse en tremblant, c'est qu'il reste dans l'aire sans la quitter. Qu'il ne se fie pas à son jugement pour essayer de se dépouiller en quelque sorte de la paille qui l'enveloppe; car en cherchant à se séparer de la paille, il ne pourrait rester sur l'aire; et comme le Juge qui ne se trompe jamais ne fera point monter au grenier ce qu'il ne trouvera point sur l'aire, c'est en vain que les grains éloignés maintenant de l'aire, répéteront qu'ils se sont formés sur l'épi, le grenier se remplira d'ailleurs, puis on le fermera. Aux flammes tout ce qui n'y sera point admis.

Donc, mes bien-aimés, c'est à celui qui est bon de tolérer celui qui est mauvais, et à celui qui est mauvais d'imiter le bon. Sur cette aire mystérieuse effectivement le bon grain peut dégénérer en paille, et la paille à son tour être changée en bon grain. Ceci arrive chaque jour, mes frères; la vie est pleine de ces chagrins et de ces consolations. On voit tomber et périr chaque jour ceux qui paraissaient bons; comme aussi on voit se convertir et ressusciter ceux qui paraissaient mauvais. " Car Dieu ne veut pas la mort de l'impie, mais son retour et sa vie (1) ".

A vous maintenant, bons grains; à vous qui êtes ce que je voudrais être, à vous donc, bons grains. Ne vous attristez point d'être mêlés à la paille; ce mélange ne sera pas éternel. Combien après tout pèse sur vous cette paille? Grâces à Dieu, elle est légère. Seulement soyons le bon grain, et si abondante que soit la paille, elle ne nous écrasera point. Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous procurera une issue durant la tentation même, afin que vous puissiez persévérer (2).

Un mot aussi à la paille; où qu'elle soit, qu'elle m'écoute. Je voudrais qu'il n'y en eût pas ici; parlons néanmoins, dans la crainte qu'il y en ait. Écoute-moi donc, paille ; mais en m'écoutant tu ne seras plus paille. Ecoute-moi : Profite de la patience de Dieu. Que le voisinage et les avertissements du bon grain te changent en bons grains. La pluie de la divine parole ne te fait pas défaut. Ah ! ne laissez point stérile le champ du Seigneur; reverdissez, grainez, mûrissez. Celui qui a vous semés entend trouver en vous des épis et non des épines.

1. Ezéch. XVIII, 23. — 2. I Cor. X, 13.

 

 

 

SERMON CCXXIV. POUR LE JOUR DE PAQUES. I. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. DES PÉCHÉS DE LA CHAIR.

240

ANALYSE. — Qui pourra dire la grâce incomparable que vous avez reçue en devenant chrétiens ? Profitez-en et gardez-vous d'imiter les exemples des chrétiens mauvais. Ils regardent comme légers les péchés de la chair. Mais 1° n'est-ce pas ainsi que le démon trompa nos premiers parents? 2° Un homme regarderait-il comme une faute légère l'infidélité de sa femme? 3° L'Apôtre enfin nous représente comme horribles les péchés de la chair. Donc au plus tôt qu'on s'en corrige; et vous, nouveaux baptisés, je vous en conjure au nom de ce que vous avez de plus cher, n'imitez point ceux qui s'y livrent.

1. Adressons-nous à ceux qui ont aujourd'hui reçu le baptême, et qui sont régénérés en Jésus-Christ; mais nous vous envisagerons en eux comme nous les envisagerons en vous.

Vous voilà devenus membres du Christ. Ah ! si vous songez au changement qui s'est fait en vous, tous vos ossements s'écrieront : " Qui vous ressemble, Seigneur (1)? " Non, on ne saurait se faire une idée assez haute de la bonté de Dieu; ni la parole ni la pensée humaines ne peuvent représenter cette grâce vraiment gratuite que vous avez reçue, puisqu'elle n'a trouvé en vous aucun mérite. Aussi est-ce de sa gratuité même que lui vient son nom de grâce. Quelle grâce ! d'être comme vous l'êtes, des membres du Christ, des enfants de Dieu, des frères du Fils unique ! Si le Fils de Dieu est Fils unique, comment pouvez-vous être ses frères, sinon parce qu'il est Fils unique par nature, et vous ses frères par grâce?

A vous donc qui êtes devenus ainsi les membres du Christ, je vais donner un avertissement. Je crains pour vous, moins encore de la part des païens, de la part des juifs, de la part des hérétiques, que de la part des mauvais catholiques. Dans le peuple de Dieu même, faites choix de ceux que vous avez à imiter. En voulant marcher sur les traces de la foule, vous ne serez pas du petit nombre qui suit la voie étroite (2). Eloignez-vous de la fornication, du vol, de la fraude, du parjure, de tout ce qui est interdit, des querelles; ayez horreur de l'ivresse; redoutez l'adultère comme

1. Ps. XXXIV, 10. — 2. Matt. VII, 14.

la mort, non pas comme la mort qui sépare l'âme du corps, mais comme la mort qui livre le corps et l'âme aux flammes éternelles.

2. Mes frères, mes fils et mes filles, mes soeurs, je sais que le démon joue son rôle et qu'il ne cesse de parler au coeur de ceux qu'il tient enchaînés; je sais qu'aux fornicateurs et aux adultères qui ne se contentent point da leur épouse, il dit secrètement : Ces péchés de la chair ne sont pas un grand mal. Ah ! contre cette insinuation perfide appelons à notre secours l'incarnation du Christ.

Voilà bien le moyen employé par l'ennemi pour entraîner les chrétiens aux jouissances charnelles, c'est de leur montrer comme léger ce qui est grave, comme aimable ce qui est affreux, comme doux ce qui est amer. Mais qu'importe que Satan représente comme léger ce que le Christ nous assure être grave? Est-ce d'ailleurs pour la première fois que le démon dit aux chrétiens : Il n'y a pas grand mal dans ce que tu fais? Tu pèches dans ton corps; est-ce dans ton âme? Les péchés de la chair s'effacent aisément, Dieu les remet facilement. — Pourquoi s'étonner de cela? N'est-ce pas le même artifice qu'il employa au paradis quand il disait : " Mangez et vous serez comme des dieux; vous ne mourrez pas? " Dieu avait dit : " Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort ". L'ennemi vint et dit au contraire. " Vous ne mourrez pas, mais vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux (1) ". On laissa de côté alors

1. Gen. II, 17; III, 5.

241

la défense de Dieu pour écouter l'insinuation du diable, et l'on reconnut combien l'une était vraie et combien l'autre était fausse. Et ensuite, je vous le demande, que servit-il à la femme de dire : " C'est le serpent qui m'a séduite? " Cette excuse fut-elle admise? Si elle le fut, pourquoi cette terrible condamnation qui suivit?

3. Voilà pourquoi, vous, mes frères et mes fils qui avez une épouse, je vous recommande de n'aller pas au delà. Quant à vous qui n'en avez pas et qui voulez en prendre une, conservez pour elle votre pureté, comme vous voulez que pour vous elle conserve la sienne. Et vous qui avez fait à Dieu le voeu de continence, évitez de regarder en arrière. Vous le voyez, je vous avertis, je crie a vos oreilles, ainsi je me dégage, car Dieu m'a chargé de départir et non de sévir. Et pourtant, lorsque nous le pouvons, lorsque s'en offre l'occasion, lorsque nous connaissons le mal, nous le reprenons, nous le reprochons, nous l'anathématisons, nous l'excommunions; mais, hélas ! nous ne le détruisons pas. — Pourquoi? C'est que " ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu qui donne l'accroissement (1) ". Maintenant donc que je vous parle, que je vous avertis, que faut-il, sinon que Dieu m'exauce et qu'il agisse en vous. c'est-à-dire dans vos coeurs ?

Voici quelques mots encore que je vous recommande : ils sont de nature à effrayer les fidèles et à vous porter au bien. Vous êtes des membres du Christ, écoutez donc, non pas moi, mais l'Apôtre : " Prendrai-je, dit-il, les membres du Christ, pour en faire les membres d'une prostituée (2)? " Mais, reprend je pesais qui, je n'ai point de prostituée, c'est une concubine. O saint évêque, irez-vous dire que ma concubine soit une prostituée? — Est-ce donc moi qui l'ai dit? C'est l'Apôtre qui le crie, et c'est moi que tu accuses? Je veux te guérir; pourquoi te jeter sur moi comme un furieux? Toi qui tiens ce langage, as-tu une épouse? — Oui.— C'est bien; par conséquent, comme je l'ai déjà dit, cette autre qui dort près de toi est une prostituée.

1. I Cor. III, 7. — 2. I Cor. VI, 15.

Va maintenant et dis à ton épouse que l'évêque vient de t'outrager. Oui, toi qui as une épouse légitime, si tu dors avec une autre femme, quelle qu'elle soit, c'est une prostituée. Mais ton épouse garde envers toi la fidélité, elle ne connaît que toi et ne cherche point à en connaître un autre. Puisqu'elle est chaste, pourquoi ne l'es-tu pas? Si elle n'a que toi, pourquoi en as-tu deux? — C'est ma servante, reprends-tu, qui me sert de concubine; croyez-vous que je cours à la femme d'un autre ou aux femmes publiques? Dans ma propre maison ne puis-je faire ce que je veux? — Non, te dis-je; et ceux qui le font se jettent en enfer, ils brûleront dans les flammes éternelles.

4. Qu'on me permette de dire au moins ceci encore. Je demande,qu'on se corrige de ces désordres pendant qu'on est encore en vie, dans la crainte que plus tard on ne le puisse tout en le voulant; car la mort vient soudain; il n'y a plus alors à se corriger, mais à se jeter au feu. Comment ! on ne sait à quel moment arrive la dernière heure et l'on dit : Je vais me corriger? Quand t'appliqueras-tu à te corriger ainsi, à changer? Demain, réponds-tu. Mais en disant : Demain, demain, cras, cras, tu fais le corbeau. Eh bien ! je te déclare moi que crier comme le corbeau c'est préparer ta perte. Ce corbeau dont tu imites la voix sortit de l'arche et n'y rentra pas (1). Pour toi, mon frère, rentre dans l'Eglise, dont cette arche était un symbole.

Mais vous, nouveaux baptisés, écoutez-moi; écoutez-moi, vous qui venez d'être régénérés par le sang de Jésus-Christ. Je vous en conjure donc par le nom que vous avez reçu, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par ces sacrements auxquels vous avez été admis, par Celui qui viendra juger les vivants et les morts; je vous en conjure, je vous adjure au nom de Jésus-Christ, n'imitez point ceux en qui vous reconnaissez une telle conduite. Ah ! conservez en vous la grâce du sacrement; si le Fils de Dieu n'a point voulu descendre de la croix, c'est qu'il voulait sortir vivant du tombeau,

1. Gen. VIII, 7.

 

 

 

SERMON CCXXV. POUR LE JOUR DE PAQUES. II. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LE HAUT PRIX DE LA GRÂCE.

242

ANALYSE. — Ce qui doit nous inspirer une estime singulière pour la grâce reçue par nous, c'est la grandeur incomparable du Fils de Dieu qui nous l'a accordée ; car il est vraiment éternel, il est le Verbe ou la Parole de Dieu par qui tout a été fait. Il est vrai, il s'est incarné dans le sein de la Vierge, par l'opération du Saint-Esprit, mais sans quitter le sein de son Père; de même que notre parole intérieure ou notre pensée demeure en nous, tout en se communiquant à autrui. Donc profitons de la grâce que nous avons reçue ; puisque cette grâce nous a faits lumière, de ténèbres que nous étions, vivons comme il convient de le faire au grand jour; et au lieu de nous laisser aller à la débauche des sens, livrons-nous à l’ivresse spirituelle qu'inspire l'amour de Dieu.

1. Ce qui doit nous inspirer l'estime la plus profonde pour la grâce divine, c'est que le Fils de Dieu est né du Père quand le temps n'existait pas encore.

Qu'était-il en effet avant de s'être uni à son humanité ? Supposez que vous lui adressiez cette question et qu'il vous réponde. Voyons, mes frères: avant de naître de la Vierge Marie, le Christ existait-il ou n'existait-il pas ? Supposons encore une fois que nous nous fassions cette question, quoique nous ne puissions avoir sur ce sujet le moindre doute. Eh bien ! le Seigneur y a déjà répondu. Comme on lui disait en effet : " Vous n'avez pas cinquante ans encore, et vous avez vu Abraham ? " il répliqua : " En vérité, en vérité je vous le déclare, avant qu'Abraham fût fait, je suis (1) ". Alors donc. il existait, mais sans être homme encore. Ainsi nul ne peut dire que l'Ange seulement existait alors, puisque le saint Evangile enseigne expressément que le Christ existait aussi. Mais qu'était-il ? demandez-vous. " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ". Voilà ce qu'il était ; " dès le commencement il était le Verbe ". Ce Verbe n'a pas été formé au commencement, mais " il était ". Quant à ce monde que dit l'Ecriture ? " Au commencement Dieu fit le ciel et la terre (2) ". Par quoi les fit-il ? " Au commencement était le Verbe ", par qui ont été faits le ciel et la terre. Ce Verbe n'a pas été fait, " il était ".

1. Jean, VIII, 57, 58. — 2. Gen. I, 1.

Mais enfin qu'était-il ? car nous aussi nous employons des verbes ou des paroles. En nous la pensée conçoit la parole, et la voix la met au jour: mais conçues et prononcées elles passent toutes. Et le Verbe de Dieu ? " il était en Dieu ". — Dis-nous où il était, dis-nous ce qu'il était. — C'est fait : le saint Evangile, n'a-t-il pas dit en effet : " Au commencement était le Verbe ? " — Mais ce n'est pas déclarer où il était ni ce qu'il était. — " Et le Verbe était en Dieu ". — Mais je t'ai demandé ce qu'il était. — Vous voulez donc savoir ce qu'il était? " Et le Verbe était Dieu ". Oh ! quel Verbe ! quel Verbe ! Qui pourra montrer ce qu'il y a dans ces mots. " Et le Verbe était Dieu? " — Pourtant n'a-t-il pas été fait par Dieu? — Nullement. Ecoute encore le saint Evangile: " Tout a été fait par lui (1) ". —Qu'est-ce à dire: " Tout ? " Tout ce que Dieu a fait, il l'a fait par lui. Comment donc aurait pu être fait Celui qui a tout fait ? Se serait-il fait lui-même ? S'il s'est fait, il existait donc pour pouvoir se faire; et s'il n'existait point pour pouvoir se faire, c'est que jamais il n'a été sans exister.

2. Comment ce Verbe divin est-il venu dans le sein de la Vierge Marie ? " Tout a été fait par lui ". Tout, c'est-à-dire que par lui a été lait tout ce que Dieu a fait. Garde-toi, mon frère, de ne pas associer à cette oeuvre immense de l'Incarnation, l'Esprit-Saint. Quelle oeuvre immense en effet ! Les anges ne sont

1. Jean, I, 1-3.

243

pas l'une des moindres oeuvres, mais l'une des grandes oeuvres de Dieu : eh bien ! les anges adorent la chair du Christ siégeant à la droite du Père ; et cette chair est surtout l’oeuvre du Saint-Esprit ; c'est lui qui figure pour en être l'auteur lorsqu'un ange annonça à la sainte Vierge qu'elle allait avoir un fils. La sainte Vierge avait résolu de conserver sa virginité; son mari devait, non l'en dépouiller, mais la lui garder ; ou plutôt, comme c'était Dieu même qui la lui gardait, son mari n'était que le témoin de sa pudeur virginale et devait éloigner d'elle tout soupçon d'adultère. Aussi, après avoir entendu les communications de Fange, " Comment cela se fera-t-il, demanda-t-elle, puisque je ne connais point mon mari ? " Si elle s'était disposée à le connaître, aurait-elle été embarrassée ? La preuve de son dessein est donc dans ces paroles d'étonnement: " Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas mon mari ? — Comment cela se fera-t-il ? " — " L'Esprit-Saint descendra en vous ", répliqua l'ange ; voilà comment s'accomplira cette oeuvre ; " et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; aussi ce qui naîtra saint de vous, sera appelé le Fils de Dieu (1) " . Que cette expression est juste: " Vous couvrira de son ombre (2) " C'est pour détourner de votre virginité l'ardeur de la passion. D'elle aussi il fut dit, pendant qu'elle était enceinte : " Il se trouva que Marie avait conçu par l'Esprit-Saint (3) ". Le Saint-Esprit a donc formé réellement le corps du Christ. Le Christ, le Fils unique de Dieu l'a formée également. Comment le prouver? C'est qu'il est dit à ce sujet dans l'Écriture : " La Sagesse s'est bâti une demeure (3) ".

3. Attention, maintenant. Comment un Dieu si grand, comment un Dieu qui habite le sein de Dieu, comment ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, peut-il s'enfermer dans le sein d'une femme ? Et d'abord, ce Verbe, pour y venir, a-t-il quitté le ciel ? A-t-il quitté le ciel pour être dans le sein de la Vierge ? Mais comment auraient pu vivre les anges, si le Verbe avait abandonné le ciel ? Il n'en est pas moins vrai que pour permettre à l'homme de manger le pain des anges, le Seigneur des anges s'est fait homme. Cherche donc encore, pensée humaine, cherche au milieu de tes nuages, épuise-toi, parle, découvre comment, sans

1. Luc, I, 34, 35. — 2. Matt. I, 18. — 2. Prov. IX, 1.

quitter les anges, sans quitter son Père, ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, a pu descendre dans le sein d'une Vierge ? Comment a-t-il pu s'y enfermer ? — Il a pu y descendre, mais non s'y enfermer. — Néanmoins, comment, étant si grand, a-t-il pu descendre en un lieu si étroit ? Ce sein virginal a-t-il pu contenir Celui que ne contient pas le monde ? Pourtant il ne s'est pas amoindri pour y descendre ; il y était avec toute sa grandeur, et quelle n'est point cette grandeur ? Que n'est-elle point ? Essaie d'en parler. " Et le Verbe était en Dieu ". Mais qu'était-il? " Et le Verbe était Dieu ".

Moi aussi, qui t'adresse la parole, je sais cela, et je ne le comprends pas. Cependant la réflexion tend en quelque sorte notre esprit, en le tendant elle l'élargit, et en s'élargissant il peut comprendre davantage. Admettons toutefois que malgré cette capacité nouvelle nous ne pourrons entièrement comprendre. Exercez-vous sur ma parole elle-même. Ce que je vous dis, ce que je vais vous dire encore, écoutez-le, comprenez-le; c'est ma parole, c'est une parole humaine. Or, si vous ne pouvez pas même la comprendre, combien n'êtes-vous pas éloignés de comprendre le Verbe de Dieu ?

Ce qui nous surprend, c'est que le Christ ait pris un corps et soit né de la Vierge, sans quitter son Père. Mais moi qui vous.parle en ce moment, j'ai réfléchi à ce que je vous dirais, avant de venir ici. Une fois fixé sur ce que je vous dirais, je possédais une parole en moi-même ; pourrais-je vous parler, si je n'y avais songé auparavant ? Puisque tu ès latin, j'ai dû te parler latin ; comme j'aurais dû te parler grec, te faire entendre des paroles grecques, si tu étais grec. Mais la parole que j'ai en moi n'est ni grecque ni latine; elle est, dans mon esprit, antérieure à ces formes de langage. Pour la produire je cherche des sons, je cherche comme un véhicule pour la conduire jusqu'à toi sans qu'elle me quitte. Eh bien ! ce qui était dans mon esprit n'est-il pas maintenant dans le vôtre ? Il est dans le vôtre et dans le mien tout à la fois ; vous le possédez sans que j'en aie rien perdu. De même donc que ma parole s'est comme revêtue d'un son, pour se faire entendre ; ainsi, pour se faire voir, le Verbe de Dieu a pris un corps.

J'ai dit ce que j'ai pu. Mais qu'est-ce que j'ai dit? Que suis-je d'ailleurs? Un homme qui a (244) cherché à vous parler de Dieu. Mais Dieu est si grand, il est de telle nature que nous ne saurions ni parler convenablement de lui, ni n'en parler point.

4. Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous connaissez, vous, ce que j'ai dit ou voulu dire. Si j'ai donné à mes compagnons dans votre service des miettes tombées de votre table ; vous, nourrissez et rassasiez intérieurement ceux que vous avez régénérés. Qu'a été cette multitude? " Ténèbres ; mais elle est maintenant lumière dans le Seigneur ". Car c'est à des hommes semblables à eux que disait l'Apôtre : " Autrefois vous étiez ténèbres; vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1) ". Vous donc qui venez d'être baptisés, " vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ". Si vous êtes lumière , vous êtes aussi jour, puisque le Seigneur a donné à la lumière le nom de jours. Vous étiez ténèbres, Dieu vous a faits lumière, il vous a faits jour, et c'est à vous que s'applique ce que nous venons de chanter: " Voici le jour qu'a fait le Seigneur, livrons-nous à l'allégresse, à la joie qu'il nous inspire (2) ". Ayez horreur des ténèbres.

L'ivresse est une oeuvre de ténèbres. Ne sortez point sobres d'ici pour y rentrer ivres ; car nous vous reverrons après-midi. Le Saint-Esprit a commencé d'habiter en vous, ne le faites pas sortir; gardez-vous de l'éloigner de vos coeurs. Hôte généreux, il vous trouve pauvres et il vous enrichit; il vous trouve avec la faim et il vous nourrit; avec la soif, et il vous

1. Ephés. V, 8. — 2. Gen.I, 5. — 3. Ps. CXVII, 24.

enivre. Oui, qu'il vous enivre, puisque l'Apôtre a dit : " Prenez garde à l'ivresse du vin, lequel allume la luxure ". Puis, comme pour nous enseigner de quoi nous devons nous enivrer : " Mais soyez remplis du Saint-Esprit, " continue-t-il;chantant entre vous des hymnes, des psaumes et des cantiques spirituels, louant Dieu du fond de vos coeurs (1) ". Or, se réjouir dans le Seigneur et chanter les louanges de Dieu avec une vive allégresse, n'est-ce pas une apparence d'ivresse ? J'aime cette ivresse : " Car c'est en vous, Seigneur, qu'est la source de vie, et c'est vous qui les abreuverez.au torrent de vos délices ". D'où vient donc cette ivresse ? " De ce qu'en vous, Seigneur, est la source de vie, et de ce qu'a votre lumière nous verrons la lumière (2) ".

Ainsi l'Esprit de Dieu est à la fois breuvage et lumière. Si tu découvrais une fontaine au milieu des ténèbres, pour t'en approcher, tu allumerais un flambeau. Point de flambeau pour aller à la source même de la lumière; elle suffit pour t'éclairer et diriger, ta marche vers elle. Veux-tu venir y boire ? Plus tu approches et mieux tu, vois. " Approchez-vous de lui, et vous êtes éclairés (3) ". Gardez-vous devons en éloigner; vous seriez replongés dans les ténèbres.

Seigneur mon Dieu, appelez, pour qu'on s'approche de vous ; fortifiez, pour qu'on ne s'en éloigne pas. Renouvelez vos enfants, rendez vieillards ces petits, mais ne faites pas mourir ces vieillards. On peut vieillir dans la divine sagesse, on n'y doit pas mourir.

1. Eph, V, 18, 19. — 2. Ps. XXXV, 9, 10. — 3. Ps. XXXIII, 6.

 

 

 

 

 

 

SERMON CCXXVI. POUR LE JOUR DE PAQUES. III. LE JOUR NOUVEAU.

ANALYSE. — Notre-Seigneur, étant l'éternelle lumière, est le jour éternel ; c'est lui encore qui a fait le jour créé au commencement du monde, et en nous appelant à la lumière de l'Evangile, il a fait de nous un jour nouveau. Donc conduisons-nous tomme des enfants de lumière.

Vous avez entendu prêcher, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu' " au commencement il était le Verbe, que ce Verbe était en Dieu et que ce Verbe était Dieu ! ". Car si ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur ne s'était humilié et avait voulu rester toujours dans sa grandeur, c'en était fait de l'homme. Nous reconnaissons donc que le Verbe est Dieu et demeure dans le sein de Dieu ; nous reconnaissons que Fils unique il est égal au Père, nous reconnaissons qu'il est lumière de lumière et jour issu du jour.

Il est le jour qui a fait le jour, sans avoir été fait, mais formé lui-même par le jour. Or, si ce jour issu du jour n'a pas été fait mais engendré, quel est le jour qu'a fait le Seigneur? D'abord pourquoi l'appeler jour? Parce qu'il est lumière, et que " Dieu a donné à la lumière le nom de jour".

Maintenant quel est le jour qu'a fait le Seigneur pour que nous nous y livrions à l'allégresse et à la joie? A propos de la première formation du monde, nous lisons que " les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et que d'Esprit de Dieu était porté sur l'eau, Dieu dit ensuite : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite. Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres; et il appela la lumière jour et les ténèbres nuit (1) ". Voilà bien le jour qu'a fait le Seigneur. Mais est-ce celui où nous devons nous livrer à l'allégresse et à la joie? Il est un autre jour, formé aussi par le

1. Gen. I, 2-5.

Seigneur, dont nous devons nous occuper davantage pour y exciter en nous la joie et l'allégresse. N'a-t-il pas été dit aux fidèles qui croient au Christ : "Vous êtes la lumière du monde (1) ? " S'ils sont lumière, ils sont jour, puisqu'à la lumière Dieu a donné le nom de jour. Hier donc encore l'Esprit de Dieu était ici même porté sur l'eau, et les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme, puisque ces enfants étaient chargés de leurs péchés. Aussi , quand ces péchés leur furent remis par l'Esprit de Dieu, ce fut alors que " Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite alors ".

Voilà donc " le jour qu'a fait le Seigneur; livrons-nous à l'allégresse et à la joie qu'il a nous inspire (2) ". Adressons-nous à ce jour avec les paroles mêmes de l'Apôtre : O jour qu'a fait le Seigneur, vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. Oui, dit l'Apôtre, " vous avez été ténèbres ". L'avez-vous été, oui ou non? Demandez à votre conduite passée si vous ne l'avez pas été, regardez dans vos consciences les oeuvres auxquelles vous avez renoncé. Eh bien! puisque vous étiez autrefois ténèbres et que maintenant vous êtes lumière (3) ". non pas en vous mais " dans le Seigneur, vivez comme des enfants de lumière (4) ".

Veuillez vous contenter de ces quelques mots, car nous avons à travailler encore et à traiter aujourd'hui même, devant les enfants, des sacrements de l'autel.

1. Matt. V,14. — 2. Ps. CXVII, 24. — 3. Ephés. V, 8.

 

 

 

 

 

SERMON CCXXVII. POUR LE JOUR DE PAQUES. IV. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. SUR L'EUCHARISTIE

246

ANALYSE. — Après avoir rappelé que l'Eucharistie est vraiment le corps et le sang de Jésus-Christ, saint Augustin veut montrer que ce sacrement est aussi un symbole d'union. Quelle union admirable entre les grains de blé qui composent le pain eucharistique ! Aussi en nous invitant solennellement à élever nos coeurs vers Dieu et à nous donner le saint baiser de paix, l’Eglise nous redit que nous devons être liés par la charité avec Dieu et avez nos frères. Prenons garde de profaner un sacrement si redoutable.

Je n'oublie point mon engagement. A vous qui venez d'être baptisés j'avais promis un discours sur le sacrement de la table sacrée, sacrement que vous contemplez en ce moment même et auquel vous avez participé la nuit dernière. Vous devez connaître en effet ce que vous avez reçu, ce que vous recevrez encore, ce que vous devriez recevoir chaque jour.

Ce pain donc que vous voyez sur l'autel, une fois sanctifié par la parole de Dieu, est le corps du Christ. Ce calice, ou plutôt ce que contient ce calice, une fois sanctifié aussi par la parole de Dieu, est le sang du Christ; et le Christ Notre-Seigneur a voulu par là proposer à notre vénération son propre corps et ce sang qu'il a répandu en notre faveur pour la rémission des péchés.

Mais si vous les avez bien reçus, vous êtes ce que vous avez reçu, sans aucun doute. " Si nombreux que nous soyons, dit en effet l'Apôtre, nous sommes tous un seul pain, un seul corps (1) ". Ainsi fait-il connaître la signification de ce sacrement, reçu à la table du Seigneur : " Nous sommes tous un seul pain, un seul corps; si nombreux que nous soyons ". Ce pain sacré nous apprend donc combien nous devons aimer l'union.

En effet, est-il formé d'un seul grain? N'est-il pas au contraire composé de plusieurs grains de froment? Ces grains, avant d'être transformés en pain, étaient séparés les uns des autres; l'eau a servi à les unir après qu'ils ont été broyés. Car si le froment n'est moulu, et si la farine

1. I Cor. X, 17.

ne s'imbibe d'eau, jamais on n'en fait du pain. C'est ainsi que durant ces jours passés vous étiez en quelque sorte écrasés sous le poids des humiliations du jeûne et des pratiques mystérieuses de l'exorcisme. L'eau du baptême est venue comme vous pénétrer ensuite, afin de faire de vous une espèce de pâte spi. rituelle. Mais il n'y a pas de pain sans la chaleur du feu. De quoi le feu est-il ici le symbole? Du saint chrême: car l'huile qui enta tient le feu parmi nous est la figure de l'Esprit-Saint. Soyez attentifs à la lecture des Actes des Apôtres; c'est maintenant, c'est aujourd'hui même qu'on commence à lire cet ouvrage, et quiconque veut faire des progrès dans la vertu, trouve là des moyens pour réussir. Quand vous venez à l'église, laissez de côté vos vains entretiens et appliquez-vous à étudier les Ecritures; nous sommes pour vous comme les livres qui les renferment. Remarquez donc et reconnaissez que le Saint-Esprit descendra le jour de, la Pentecôte. Comment viendra-t-il ?Comme un feu, puisqu'il s'est montré sous la forme de langues de feu. C'est lui en effet qui nous inspire la charité afin de nous, enflammer d'ardeur envers Dieu et de nous pénétrer de mépris pour le monde, afin encore de consumer en nous ce qui d comme la paille et de purifier notre cm comme on purifie l'or. Ainsi donc le Saint-Esprit viendra comme le feu après l'eau, et vous deviendrez un pain sacré, le corps de Jésus-Christ. N'est-il pas vrai alors que le sacrement de la table sainte nous rappel l'unité?

247

Voyez aussi comme les mystères du sacrifice se suivent naturellement.

Après avoir prié, on vous invite d'abord à porter votre coeur en haut. N'est-ce pas ce que doivent faire les membres du Christ ? Vous êtes devenus les membres du Christ; mais où est votre chef ? Des membres ont un chef, et si le chef ne marche en avant, les membres ne le suivront point. Où donc est allé votre chef? Qu'avez-vous répété dans le symbole ? " Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts; il est monté au ciel, il est assis à la droite du Père ". Ainsi notre Chef est au ciel. Voilà pourquoi, lorsqu'on vous invite à élever votre coeur, vous répondez : " Nous a avons le coeur près du Seigneur ". Il est à craindre toutefois que vous n'attribuiez à vos forces, à vos mérites, à vos travaux d'avoir élevé votre cœur près du Seigneur, tandis que vous ne le faites que par la grâce de Dieu. Aussi, quand le peuple a répondu : " Nous tenons notre cœur près du Seigneur ", l'évêque, ou le prêtre qui célèbre, continue, et dit : " Rendons grâces au Seigneur notre Dieu ", de ce que notre coeur, est près de lui. Rendons-lui grâces; car, sans lui, ce cœur serait à terre. Ç'est à quoi vous applaudissez en répondant encore: " Il est bien juste, et bien convenable " que nous rendions grâces à Celui qui nous accorde de tenir nos coeurs élevés vers notre Chef.

Ensuite, après la consécration du divin sacrifice, quand, afin de nous rappeler combien Dieu demande que nous soyons nous-mêmes un sacrifice pour lui, on a prononcé ces paroles: Sacrificium Dei et nos ; en d'autres termes : le sacrifice désigne ce que nous sommes; une fois donc la consécration achevée, nous disons l'oraison dominicale, celle qui vous a été enseignée et que vous avez répétée, puis, à la suite de cette oraison : " La paix soit avec vous ", et les chrétiens se donnent alors un saint baiser. Ce baiser est un symbole de paix; ce que témoignent les lèvres doit se passer dans le coeur. De même, donc que tes lèvres s'approchent des lèvres de ton frère, ainsi ton coeur ne doit pas s'éloigner du sien.

Quels grands, quels profonds sacrements ! Voulez-vous savoir l'idée que vous devez vous en former? " Celui, dit l'Apôtre, qui mange indignement le corps du Christ ou qui boit indignement le sang du Seigneur, se rend coupable contre le corps et contre le sang du Seigneur (1) ". Qu'est-ce que les recevoir indignement? C'est les recevoir avec dérision, avec mépris. Ne dédaigne point ce que tu vois. Ce que tu vois, passe sans doute; mais la réalité invisible ne passe pas, elle reste. On reçoit, on mange, on consume ; mais que consume-t-on? Est-ce le corps de Jésus-Christ? Est-ce son Église? — Est-ce ses membres? Nullement. Ses membres au contraire puisent là la sainteté pour recevoir ailleurs la. couronne. Voilà pourquoi l'invisible réalité subsistera éternellement, quoiqu'on voie passer les emblèmes sacrés. Recevez-les donc, mais avec recueillement, mais pour avoir l'union dans le cœur et pour tenir constamment votre cœur fixé au ciel. Oui, mettez vos espérances au ciel et non pas sur la terre; que votre foi en Dieu soit ferme, qu'elle soit agréable à Dieu. Car ce que vous croyez maintenant sans le voir, vous le verrez dans cette patrie où votre joie sera sans fin.

1. I Cor. XI, 27.

 

 

 

 

SERMON CCXXVIII. POUR LE JOUR DE PAQUES. V. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LES BONS EXEMPLES.

ANALYSE. — C'est une courte et vive exhortation adressée au peuple, pour le détourner de donner de mauvais exemples a nouveaux baptisés, et aux nouveaux baptisés pour les engager à ne pas perdre de vue les exemples de Jésus-Christ, à ne prendre modèle que sur les bons chrétiens, et à servir de modèles eux-mêmes.

1. Comme l'esprit est prompt, tandis que la chair est faible, je ne dois pas vous entretenir longuement, à cause des fatigues de la nuit dernière , et cependant je vous dois quelques mots.

Nous sommes en fête et dans la joie pendant les jours qui suivent la passion de Notre-Seigneur et où nous chantons l'alleluia pour louer Dieu, jusqu'au jour de la Pentecôte, où le Sauveur envoya du ciel le Saint-Esprit qu'il avait promis. Or, parmi ces cinquante jours, il en est sept où huit, et ce sont ceux qui s'écoulent maintenant, que nous consacrons aux sacrements reçus par ces enfants. Naguère nous les appelions postulants; enfants, aujourd'hui. On les nommait postulants, parce qu'alors ils secouaient en quelque sorte les entrailles de leur mère pour obtenir d'être mis au jour; on les nomme enfants , parce que, si antérieurement ils étaient nés pour le siècle, ils viennent seulement de naître pour le Christ, et la vie, qui doit être en vous déjà pleine de force, est en eux toute nouvelle.

Vous donc qui êtes fidèles avant eux, donnez-leur des exemples, non pour leur ôter cette vie, mais pour la développer-en eux. Ces nouveaux-nés observent leurs aînés, ils veulent savoir comment vous vivez. N'est-ce pas ce que font aussi les enfants d'Adam? Tout petits d'abord, sitôt qu'ils peuvent voir comment vivent les grands, ils les observent pour les imiter. Or, comme les plus jeunes marchent sur les traces des plus âgés, il est désirable que ceux-ci marchent dans la bonne voie, de crainte qu'en les suivant les plus jeunes ne périssent avec eux. Par conséquent mes frères , comme vous êtes en quelque sorte, vu l'époque de votre régénération, les parents de ces nouveaux baptisés, c'est à vous que je m'adresse, et je vous invite à mériter par votre conduite, non pas de périr, mais à jouir avec ceux qui vous imitent. Voici je ne sais quel fidèle en état d'ivresse; un enfant le remarque ; n'est-il pas à craindre qu'il ne dis : Quoi ! celui-là est fidèle, et il se livre à i tels excès ? Il en remarque un autre qui usurier, qui donne à regret, qui exige cruellement ce qui lui est dû; et il se dit : Je ferai comme lui. On lui répond : Tu es maintenais au nombre des fidèles , garde-toi d'agir ainsi tu es baptisé, tu es régénéré, tu as d'autre espérances, aie aussi d'autres moeurs. — Mai pourquoi, réplique-t-il, un tel et un tel sont-il aussi au nombre des fidèles ? — Je m'abstiens d'en dire davantage. Comment d'ailleurs ton rappeler ? — Ainsi donc, mes frères, si vous vous conduisez mal, vous qui comptez depuis plus longtemps parmi les fidèles, vous rendrez, Dieu, pour eux et pour vous, un compte funeste.

2. C'est à eux maintenant que je dirai d'être comme le bon grain sur l'aire, de ne pas suivre la paille qu'emporte le vent pour se perdre avec elle; et, pour arriver au royaume de l'immortalité , de se laisser retenir par le poids de la charité. Oui, mes frères, mes fils, plantes nouvelles de l'Eglise votre mère, je vous en conjure au nom de ce que vous avez reçu, ayez l'œil fixé sur Celui qui vous a appelés, qui vous a aimés, qui vous a cherchés quand vous étiez perdus et qui vous a éclairés (249) après vous avoir retrouvés: ne marchez pas sur les traces de ces hommes perdus en qui est si mal placé le nom de fidèles ; car on ne leur demandera pas quel nom ils portent, mais si leur conduite répond à leur nom. Si cet homme est régénéré, où est sa vie nouvelle ? S'il est fidèle, où est sa foi ? Il me parle du nom, je coudrais voir aussi la réalité. Choisissez-vous pour modèle des hommes qui craignent Dieu, qui entrent avec respect dans son église, qui entendent avec soin sa parole, qui en conservent le souvenir, qui la méditent et qui la pratiquent. Voilà les modèles que vous devez choisir.

Ne dites pas en vous-mêmes : Eh ! où en trouverons-nous de pareils? Soyez tels, et vous en trouverez de pareils. Les semblables s'attachent aux semblables; si tu vis dans la débauche, il ne s'unira à toi que des hommes débauchés. Commence à vivre saintement, et tu verras de combien d'amis tu seras environné, combien de frères feront ta joie. Quoi 1 tu ne trouves personne à imiter ? Eh bien ! mérite d'être imité.

3. Aujourd'hui encore nous devons adresser, de l'autel de Dieu, un sermon aux enfants sur le sacrement de l'autel. Nous leur avons parlé du sacrement du Symbole, ou de ce qu'ils doivent croire; du sacrement de l'oraison dominicale, ou de ce qu'il doivent demander; enfla du sacrement des fonts sacrés ou du baptême : ils ont entendu traiter de tous ces mystères, ils ont reçu tous ces enseignements. Mais ils n'ont rien appris encore du sacrement de l'autel, qu'ils ont vu aujourd'hui pour la première fois; je dois donc aujourd'hui les entretenir de ce sujet. Ainsi notre fatigue personnelle et l'édification de ces enfants demandent que ce discours ne se prolonge pas davantage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SERMON CCXXIX. POUR LE LUNDI DE PAQUES. EUCHARISTIE, SYMBOLE D'UNION.

ANALYSE. — Il ne nous reste de ce discours qu'un simple fragment, dont l'idée se trouve dans un des précédents discours (1).

Parce qu'il a souffert pour nous , il a recommandé à notre vénération son corps et son sang dans ce sacrement. D'ailleurs nous sommes nous-mêmes devenus son corps, et par sa miséricorde nous. recevons de lui ce que nous sommes. Rappelez vos souvenirs, car vous ne rayez pas toujours été. Vous avez donc reçu an être nouveau; on vous a apportés sur l'aire sacrée, vous y avez été foulés par les boeufs , en d'autres termes, par ceux qui annoncent l'Evangile ; pendant qu'on prolongeait votre catéchuménat, on vous conservait au grenier; après vous avoir fait inscrire, vous avez commencé en quelque sorte à être moulus sous le poids des jeûnes et des exorcismes ; puis vous

1. Ci-dev. Serm. CCXXVII.

vous êtes approchés de l'eau sainte, vous en avez été pénétrés et vous êtes devenus comme une pâte qu'a fait cuire ensuite la chaleur du Saint-Esprit, et c'est ainsi que vous êtes devenus un pain sacré. Voilà ce que vous avez reçu.

De même que vous voyez l'unité dans ce qui s'est accompli pour vous, ainsi soyez vin, en vous aimant, en conservant une même foi, une même espérance, une indivisible charité. Les hérétiques, en recevant ce mystère, reçoivent ce qui les condamne, puisqu'ils recherchent la division, au lieu que ce pain est un symbole d'unité. Ainsi en est-il du vin ;. malgré la multiplicité des raisins qui ont servi à le former, il est un aussi, il est un avec ses parfums dans le calice, après avoir été foulé (250) sous le pressoir. Vous également, après avoir passé par tant de jeûnes, par tant de travaux, par l'humiliation et le brisement du coeur, vous êtes comme entrés au nom du Christ dans le divin calice ; et vous êtes là, placés sur la table, contenus dans la coupe sainte; Vous y êtes avec nous, puisque nous mangeons et buvons ensemble, puisqu'ensemble nous vivons.

 

 

 

SERMON CCXXX. POUR LA SEMAINE DE PÂQUES. I. LE JOUR NOUVEAU (1).

ANALYSE. — Le jour nouveau qu'a fait le Seigneur n'est autre chose que la sainteté des fidèles qui correspondent à la grâce.

Accomplissons avec l'aide de notre Dieu, ce que nous avons chanté à sa gloire. Tous les jours, sans doute, ont été faits par le Seigneur; ce n'est pourtant pas sans motif qu'il est écrit de l'un d'eux en particulier : " Voici le jour qu'a fait le Seigneur".

Nous lisons qu'au moment où il. créait le ciel et la terre Dieu dit : " Que la lumière soit faite, la lumière fut faite alors; puis Dieu donna à la lumière le nom de jour et aux ténèbres le nom de nuit (2) ". Il est néanmoins un autre jour que celui-là, jour certain et qui doit nous être plus cher que tous les autres, c'est celui dont il est question dans ces mots de l'Apôtre : " Marchons avec décence, comme en plein jour " — Quant au jour vulgaire, il s'écoule chaque jour entre le lever et le coucher du soleil. Mais cet autre jour est celui qui fait briller la parole de Dieu dans le coeur des fidèles, et qui dissipe non pas les ténèbres matérielles, mais les ténèbres morales. C'est ce jour qu'il faut contempler, c'est en ce jour qu'il convient de -nous livrer à la joie. Ecoutons l'Apôtre : " Nous sommes, dit-il, des

1. Ps. CXVII, 24. — 2. Gen, I, 3, 5.

enfants de lumière et des enfants du jour; non, nous ne le sommes point de la nuit et des ténèbres (1). Marchons avec décence, comme en plein jour, non dans les excès de table et l'ivrognerie, non dans les dissolutions et les impudicités, non dans l'esprit de contention et d'envie; mais revêtez-vous de Jésus-Christ Notre-Seigneur, et ne chercher pas à contenter la chair dans ses convoitises (2) ".

Si vous agissez de la sorte, vous chantez de tout votre coeur: " Voici le jour qu'a fait le Seigneur " , car en vous conduisant bien vous chantez alors ce que vous êtes. Combien, hélas ! s'enivrent durant ces jours-ci Combien encore, non contents de s'enivrer, se livrent à des rixes non moins honteuses que cruelles ! Ceux-là ne chantent pas: " Voici le jour qu'a fait le.Seigneur ". Le Seigneur, d'un autre côté, leur répondrait : Vous n'êtes que ténèbres, ce n'est pas moi qui vous ai faits. Voulez-vous être le jour qu'a fait le Seigneur? Conduisez-vous bien; vous jouirez alors de la lumière de la vérité, qui ne s'éteindra jamais dans vos coeurs.

1. I Thess. V, 5. — 2. Rom. XIII, 13, 14

 

 

 

SERMON CCXXXI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. II. LA RÉSURRECTION SPIRITUELLE.

251

Analyse. — Rien de plus indubitable que la résurrection de Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ est ressuscité pour nous faire ressusciter spirituellement avec lui, comme il est mort pour nous obtenir de mourir au vieil homme. Entrons vivement dans ses desseins : c'est le seul moyen d'arriver au bonheur que nous convoitons tous avec une ardeur si persévérante ; car le bonheur n’est pas ici-bas, nous ne l'y trouverons pas plus que Jésus-Christ ne l'y a trouvé, et comme lui nous ne l'aurons qu'au ciel, si toutefois nous méritons d'y entrer.

1. Comme d'habitude, on lit durant ces jours la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ d'après tous les livres du saint Evangile. La lecture d'aujourd'hui nous montre comment à ses propres disciples, à ses premiers membres, à des hommes qui étaient toujours à ses côtés, le Seigneur Jésus reprocha de ne pas croire en vie Celui dont ils pleuraient la mort (1). Ainsi ces Pères de notre foi n'étaient pas fidèles encore; ces maîtres qui devaient amener l'univers entier à croire un enseignement pour lequel eux-mêmes devaient mourir, ne le croyaient pas encore. Ils avaient vu le ressusciter des morts, et ils ne croyaient pas qu'il fût ressuscité ! Ne méritaient-ils pas les reproches qui leur étaient adressés ? Le Sauveur voulait par là les faire connaître à eux-mêmes, leur montrer ce qu'ils étaient par eux-mêmes, et ce que par lui ils seraient à l'avenir. C'est ainsi que Pierre apprit à se connaître quand, aux approches de la passion et durant la passion même, il chancela si dangereusement. Il se vit alors tel qu'il était, il s'affligea, il pleura de ce qu'il était; puis il se tourna vers l’Auteur même de son être (2). Or les Apôtres ne croyaient pas même ce qu'ils avaient sous les yeux. Quelle grâce donc a daigné nous taire Celui qui nous a donné de croire ce que nous ne voyons pas ! Nous croyons sur leur témoignage, et ils n'en croyaient pas à leurs propres yeux !

2. Or cette Résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur est l'emblème de la vie nouvelle que doivent mener ceux qui croient en lui; et tel est l'enseignement mystérieux qui

1. Marc. XVI, 14. — 2. Matt. XXVI, 33-35, 69-75.

ressort de sa résurrection ainsi que de sa passion et que vous devez vous appliquer à approfondir et à pratiquer de plus en plus. Est-ce en effet sans motif que notre Vie s'est dévouée à la mort; que cette Source de vie, que cette Source où on boit la. vie, a bu ce calice qu'elle ne méritait pas, puisque le Christ ne méritait pas la mort ?

D'où vient la mort ? Rendons-nous compte de son origine. Le père de la mort est le péché, et sans le péché nul ne mourrait; car au premier homme avait été donnée la loi de Dieu, ou plutôt un commandement spécial avec cette condition expresse qu'il vivrait s'il l'observait et qu'il mourrait s'il venait à le violer. Mais lui, ne croyant pas qu'il pût mourir, fit ce qui lui mérita la mort, et il reconnut combien était vraie la menace de Celui qui avait établi la loi. De là nous viennent et la mort et la mortalité, et les fatigues, et les souffrances de tout genre; de là aussi la seconde mort après la mort première, c'est-à-dire la mort éternelle après la mort temporelle. Or, dès sa naissance, chacun de nous est assujetti à cet empire de la mort, à ces lois du tombeau; à l'exception toutefois de Celui d'entre nous qui s'est fait homme pour ne pas laisser périr l'homme ; car il n'est point né sous l'empire du trépas, et voilà pourquoi il est dit de lui dans un psaume qu'il était " libre parmi les morts (1) "; libre pour avoir été conçu sans mouvement de convoitise par une Vierge qui l'a mis au mondé Vierge et qui est restée toujours Vierge; pour avoir vécu sans tache, car il n'est point mort pour avoir péché; s'il a pris part à nos

1. Ps. LXXXVII, 6.

252

châtiments, il n'a pris aucune part à nos fautes. En effet la mort est le châtiment du péché; or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien venu mourir, mais il n'est pas venu pécher, et en partageant avec nous la peine sans avoir partagé la faute, il nous a déchargés de la faute et de la peine. De quelle peine nous a-t-il déchargés ? De celle qui nous attendait au-delà de cette vie.

Par conséquent il a été crucifié afin de nous montrer sur la croix comment doit mourir en nous le vieil homme; et il est ressuscité afin de nous donner dans sa vie nouvelle l'idéal de la nouvelle vie que nous devons mener. C'est aussi l'enseignement formel d'un Apôtre : " Il a été livré, dit-il, pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (1) ". C'est encore ce que figurait la circoncision donnée aux patriarches, l'obligation de la pratiquer le huitième jour (2). Si cette circoncision se faisait avec des couteaux de pierre, c'est que la Pierre était Jésus-Christ (3); de plus elle annonçait en se pratiquant le huitième jour, que la résurrection du Sauveur servirait à nous dépouiller de la vie charnelle. Effectivement, le septième jour de la semaine tombe un samedi. Or, le samedi, le septième jour de la semaine, le Seigneur resta dans le tombeau, et il en sortit le huitième jour. Donc, puisque sa résurrection doit nous donner une vie nouvelle, il nous circoncit en quelque sorte en ressuscitant ce jour-là; et nous vivons dans l'espoir de ressusciter comme lui.

3. Ecoutons l'Apôtre : " Si vous êtes ressuscités avec le Christ ", dit-il. Or, comment ressusciter, puisque nous ne sommes pas encore morts? Qu'a-t-il donc voulu dire par ces mots

" Si vous êtes ressuscités avec le Christ ? " Le Christ lui-même serait-il ressuscité s'il n'était mort auparavant ? Comment parler ainsi de résurrection à des hommes encore -vivants, à des hommes qui ne sont pas encore morts? Que prétend-il ? Le voici : " Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la terre; car vous êtes morts ". C'est l'Apôtre qui le dit, et non pas moi; mais il dit vrai, et voilà pourquoi je dis comme lui. Pourquoi dire comme lui ? " Je crois, de là vient que je parle (4)".

1. Rom. IV, 25. — 2. Gen. XVII, 12. — 3. I Cor. X, 4 ; Josué, V, 2. — 4. Ps. CXV, 5.

Ainsi donc, quand nous nous conduisons bien, nous sommes à la fois morts et ressuscités; et celui qui n'est ni mort ni ressuscité se conduit encore mal. En se conduisant mal, il ne vit pas. Qu'il meure donc pour ne pas mourir. Qu'il meure pour ne pas mourir? Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il change pour n'être pas condamné. " Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dirai-je de nouveau avec l'Apôtre, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non pas celles de la terre; car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (1)". Ainsi parle l'Apôtre. Meure donc celui qui n'est pas encore mort, et que celui qui se conduit encore mal, change; car il est mort s'il a renoncé à ses désordres, et s'il se conduit bien, il est ressuscité.

4. Mais qu'est-ce que se bien conduire? C'est goûter les choses d'en haut et non les choses de la terre. Jusques à quand resteras-tu terre, pour retourner en terre (2) ? Jusques à quand baiseras-tu la terre ? Car en l'aimant tu la baises en quelque sorte et tu deviens l'ennemi de Celui dont il est dit dans un psaume: " Et ses ennemis baiseront la terre (3) ". Qu'étiez. vous ? Des enfants des hommes. Qu'êtes-vous maintenant ? Des enfants de Dieu. " Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? " Quel mensonge recherchez-vous ? Je vais le dire.

Vous voulez être heureux, je le sais. Montrez-moi un larron, un scélérat, un fornicateur, un malfaiteur, un sacrilège, un homme souillé de tous les vices et chargé de, tous les forfaits, de tous les crimes, qui ne veuille vivre heureux. Je le sais, tous vous voulez vivre heureux ; seulement vous ne voulez pas rechercher ce qui fait le bonheur. Tu cours après l'or, parce que tu espères être heureux avec de l'or : ce n'est pas l'or qui rend heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge? Tu voudrais être honoré dans le monde; pour quoi ? Parce que tu comptes trouver le bonheur dans les dignités humaines et dans les pompes du siècle : mais ces pompes ne te rendent pas heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge ? Il en est ainsi de tout ce que tu

1. Coloss. III, 1-4. — 2. Gen. III, 19. — 3. Ps. LXXI, 9.

253

convoites ici-bas, de ce que tu convoites à la manière du siècle, en aimant la terre, en baisant la terre ; tu le recherches pour être heureux; mais rien sur la terre ne te saurait procurer le bonheur. Pourquoi donc ne pas cesser de rechercher le mensonge ? Où espères-tu trouver le bonheur? " Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? " Vous ne voulez pas qu'il le soit, et vous le chargez de terre ? Pendant combien de temps le coeur des humains a-t-il été appesanti? Il l'a été jusqu'à l'avènement du Christ, jusqu'à sa résurrection. " Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge? " Comment, vous recherchez, pour être heureux, ce qui doit vous rendre malheureux ? Vous êtes dupes de ce que vous convoitez; vous convoitez le mensonge même.

5.Tu voudrais être heureux? Je vais te montrer, si tu y consens, comment le devenir. Continue à lire : " Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge ? Sachez ". Quoi ? " Sachez que le Seigneur a glorifié son Saint (1) ". Le Christ est venu partager nos misères ; il a eu faim et soif, il a été fatigué et il a dormi ; on l'a vu faire des miracles et souffrir des indignités, flagellé, couronné d'épines, couvert à crachats, déchiré de soufflets, attaché à une croix, percé avec une lance, déposé dans un tombeau; mais il est ressuscité le troisième jour, après avoir fini ses travaux et donné la mort à la mort même. C'est là, c'est sur sa résurrection que je vous invite à tenir fixés vos regards. Dieu effectivement a glorifié son Saint jusqu'à le ressusciter d'entre les morts et lui faire l'honneur de s'asseoir à sa droite dans le ciel. Ainsi te montre-t-il ce que tu dois goûter si tu veux être heureux, puisque tu ne saurais l'être ici.

Non, tu ne saurais l'être ici, personne ne saurait l'être. Il est bon de chercher ce que tu cherches; mais ce que tu cherches n'est pas sur cette terre. Que cherches-tu ? La vie bienheureuse; Elle n'est pas ici. Si tu cherchais de l'or où il n'y en a pas, celui qui saurait qu'il n’y en a pas là ne te dirait-il point : Pourquoi creuser, pourquoi tourmenter la terre ? Tu

1. Ps. IV, 3, 4.

fais une fosse, mais c'est pour y descendre et non pour y rien trouver. A cet avertissement que répondrais-tu ? — Mais c'est de l'or que je cherche. — Soit, je ne prétends pas que ce n'est rien, mais il n'y en a pas où tu en cherches, te dirait-on encore. — De même, quand tu me cries : Je veux être bienheureux, je réplique : C'est bien, mais ce bonheur n'est pas ici. Si Jésus-Christ l'a trouvé ici, tu l'y trouveras. Or, dans ce pays où règne la mort qui t'attend, qu'a-t-il trouvé ? En venant de cet autre pays, qu'a-t-il rencontré dans celui-ci, sinon ce qui s'y rencontre si abondamment ? Il a mangé avec toi, mais ce que tu possèdes dans ta misérable cellule. C'est ici qu'il a bu le vinaigre, ici qu'on lui a donné du fiel. Voilà ce qu'il a trouvé chez toi.

Et cependant il t'a convié à son splendide banquet, au festin des Anges, au banquet du ciel où lui-même sert d'aliment. Ainsi donc, s'il est descendu: jusqu'à toi, si chez toi il a trouvé tant de souffrances, s'il n'a pas dédaigné de s'asseoir avec toi à une table pareille, c'était polir te promettre sa propre table. Que nous dit-il en effet ? Croyez, soyez sûrs que vous serez admis aux délices de ma table, puisque je n'ai point dédaigné les amertumes de la vôtre. Il a pris pour lui ton mal, et il ne te communiquerait pas ses biens ? N'en doute pas. Oui, il nous a promis de vivre de sa vie ; mais ce qu'il a fait est bien plus incroyable encore, puisque pour nous il a enduré la mort. Ne semble-t-il pas nous dire : Je vous invite à partager ma vie, dans ce séjour où personne ne meurt, où la vie est réellement bienheureuse, où les aliments ne s'altèrent point, où ils nourrissent sans, s'épuiser? Voilà à quoi je vous appelle, à habiter la patrie des Anges; à jouir de l'amitié de mon Père et de l'Esprit-Saint, à vous asseoir à un banquet éternel, à m'avoir pour frère, à me posséder enfin moi-même, à partager ma vie. Vous refusez de croire que je vous donne ma vie ? Acceptez-en ma mort pour gage.

Maintenant donc, pendant que nous vivons dans ce corps de corruption, mourons avec le Christ en changeant de moeurs, et vivons avec lui en nous attachant à la justice ; sûrs de ne trouver la vie bienheureuse qu'après être montés vers Celui qui est descendu jusqu'à nous, et qu'après avoir commencé à vivre avec Celui qui est mort pour nous.