HOMELIES TOME 4

 

 

HOMELIES TOME 4 *

HOMÉLIE SUR LA PARABOLE DU DÉBITEUR DES DIX MILLE TALENTS *

HOMÉLIE. MON PÈRE, S'IL EST POSSIBLE, QUE CE CALICE PASSE *

LOIN DE MOI : TOUTEFOIS, NON MA VOLONTÉ, MAIS LA VOTRE (MATTH. XXVI 39). *

HOMÉLIE SUR LE PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT. *

HOMÉLIE SUR LA NÉCESSITÉ DE RÉGLER SA VIE SELON DIEU. SUR LE TEXTE : LA PORTE EST ÉTROITE. Explication de l'Oraison Dominicale. *

HOMÉLIES SUR L'INSCRIPTION DES ACTES. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. *

TROISIÈME HOMÉLIE *

QUATRIÈME HOMÉLIE. *

 

HOMÉLIE SUR LA PARABOLE DU DÉBITEUR DES DIX MILLE TALENTS

Inhumanité de ce débiteur qui, ayant obtenu de son créancier la remise totale de sa dette, exigea impitoyablement de son compagnon le payements fuse dette de cent deniers ; et que le ressentiment des injures est pire que tout péché. (Matth. XIII, 23 et suiv.)

Tome IV, p. 1

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

Deux circonstances marquées par l'orateur dans cette homélie permettent d'en fixer l'époque d'une manière précise : 1° Pendant tout le carême précédent, saint. Chrysostome avait parlé contre les jurements et les serments; or, dans toutes les exhortations des 21 homélies sur les statues, prononcées dans le carême de 387, l'orateur s'attaque à cette mauvaise habitude. 2° L'homélie sur le débiteur des dix mille talents est la première qu'il prononça après une maladie dont il parle encore dans l'homélie faite aux paysans le dimanche avant l'Ascension. L'homélie sur la parabole des dix mille talents fut donc prononcée entre Pâques et l'Ascension de l'année 387; et même entre la maladie que saint Chrysostome fit après Pâques de l'année 387 et l'Ascension de la même année ; et comme cette maladie parait avoir été assez longue, après une longue absence, dit l'orateur, il s'ensuit que l'époque à laquelle appartient l'homélie suivante, se trouve fixée à quelques jours près.

1° Saint Chrysostome se réjouit de revoir son cher auditoire après une longue maladie. — 20 Après avoir employé tout le carême à déraciner la mauvaise habitude des jurements, il convient de passer à un autre vice, et d'attaquer la passion de la colère et le ressentiment des injures; c'est ce que l'orateur va faire par l'explication de la parabole du serviteur qui devait dix mille. talents. — 3° Jésus-Christ voulait, par cette parabole, apprendre à ses disciples à retenir les saillies de la colère; c'est ce que prouve la question que saint Pierre adresse à ce sujet an Sauveur. Il faut pardonner, non pas soixante-dix-sept fois, comme l'interprètent quelques-uns, mais quatre cent quatre-vingt-dix fois, c'est-à-dire un nombre infini de fois. — 4° Le compte que ce Roi demandera sera rigoureux pour tous les âges , les sexes et les conditions. — 5° Ce que signifient ces paroles : Il n'avait pas de quoi payer. — 6° Comment le serviteur, sur le point d'être condamné, obtient la remise de sa dette par la prière. — 7° Dieu, qui avait pardonné les offenses commises contre lui-même, ne pardonna pas celle dont le serviteur se rendit coupable envers son compagnon. Dieu ne hait rien tant que le ressentiment.

1. Ce que j'éprouverais en vous revoyant enfin après un long voyage, je l'éprouve aujourd'hui. Pour des hommes qui aiment, s'ils ne peuvent se trouver au milieu. de ceux qu'ils aiment, que leur sert de n'en être pas éloignés ? Aussi, bien que présent dans la ville, je n'étais pas moins triste qu'un exilé, moi qui, depuis quelque temps, ne pouvais plus vous adresser mes instructions ; mais pardonnez-le moi : la faiblesse, non la paresse, était la cause de ce silence. Vous vous réjouissez donc de ce que la santé m'est revenue ; pour moi, je me réjouis parce que je vous ai retrouvés, vous, mes bien-aimés. Car, pendant ma maladie, ce qui m'affligeait plus que le mal lui-même, c'était de rie pouvoir participer à cette chère assemblée ; et maintenant que la convalescence me rend peu à peu mes forces, ce m'est un plus grand bien que la santé de pouvoir jouir en- toute sécurité de l'amour de ceux que je chéris. La (2) fièvre en effet allume dans le corps un feu moins violent que ne fait dans l'âme la séparation d'avec ceux que nous aimons; et si les fiévreux recherchent les boissons, les liqueurs, les eaux froides, c'est avec, autant d'ardeur que les amis séparés recherchent la vue de ceux qu'ils ont perdus. Ceux qui savent aimer comprennent bien ce que je dis.

Courage donc ! puisque la maladie m'a quitté, rassasions-nous les uns des autres, s'il est possible de nous rassasier jamais ; car l’amour ne connaît point la satiété, et plus il jouit de ceux qu'il aime, plus il s'allume et s'enflamme. L'élève de la charité , saint Paul, le savait bien, lui. qui disait : Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer mutuellement. (Rom. XIII, 8.) C'est là en effet la seule dette que l'on contracte sans cesse, que l'on n'acquitte jamais. Il est beau et louable de devoir toujours de ce côté. S'agit-il des biens 'matériels, nous louons ceux qui ne doivent rien; s'agit-il de l'amour, nous approuvons et nous admirons ceux qui doivent toujours. Si c'est d'une part de l'injustice, c'est de l'autre la marque d'une belle âme de ne jamais acquitter entièrement la dette de l'amour. Recevez avec bienveillance, malgré sa longueur, l'instruction que je vais vous adresser; car je veux vous apprendre à jouer admirablement .de la lyre, non pas d'une lyre morte, mais d'une lyre qui a pour cordes les récits de l'Ecriture et les commandements de Dieu. Les maîtres de lyre prenant les doigts de leurs disciples, les conduisent lentement sur les cordes, leur apprennent à les toucher avec art et à faire sortir d'instruments muets les sons les plus agréables et les plus doux; je veux les imiter, me servant de votre âme comme de doigts, je l'approcherai des commandements de Dieu, et lui apprendrai à ne les toucher qu'avec art, et cela pour exciter la joie, non d'une assemblée d'hommes, mais du peuple des anges. Il ne suffit pas d'étudier les divins oracles; il faut encore les pratiquer et les représenter dans sa conduite, l'accomplir par des actes. Les cordes d'une lyre, l'artiste les louche, l'ignorant les touche aussi ; mais tandis que celui-ci ne fait que choquer l'auditeur, celui-là l'enlève et l'inonde de délices, et pourtant ce sont les mêmes doigts, les mêmes cordes, l'art seul diffère; de même pour les divines Ecritures; beaucoup les parcourent, mais le profit, mais le fruit, tous ne le retirent pas, et la cause en est que tous n'approfondissent pas cette parole, qu'ils ne touchent pas cette lyre avec art; et. effet, ce qu'est fart à la citharodie, la pratique l'est à la loi de Dieu. Nous n'avons touché qu'une seule corde pendant tout le carême; je ne vous ai développé que la loi du serment, et, par la grâce de Dieu, beaucoup de mes auditeurs ont compris combien il était beau de l'observer; aussi, quittant une habitude détestable, au lieu de jurer par le Seigneur, on n'entend plus sortir de leur bouche en toute conversation , que oui, non, croyez-moi; et quand même mille affaires pressantes viendraient les accabler, ils n'oseraient aller plus loin.

2. Mais comme il ne suffit pas pour le salut de n'observer qu'un précepte, je veux aujourd'hui vous en enseigner un second ; car bien que tous n'observent pas encore la loi dont j'ai parlé en premier lieu, et que quelques-uns soient en retard, ils voudront néanmoins, à mesure que le temps s'avancera, atteindre ceux qui les ont devancés. J'ai en effet remarqué que le zèle pour ce précepte est aujourd'hui si grand que tous, dans les occupations domestiques comme dans les repas, hommes et femmes, libres et esclaves, luttent à qui l'observera mieux; et je ne puis m'empêcher de féliciter ceux qui se conduisent ainsi pendant leurs repas. Car quoi de plus saint qu'une table d'où l'ivresse , la gourmandise et la débauche, quelle qu'elle soit, sont bannies pour faire place à une admirable rivalité touchant l'observation des lois de Dieu , où l'époux observe son épouse et l'épouse son époux, de peur que l'un d'eux ne tombe dans l'abîme du parjure où une peine sévère est établie contre l'infracteur, où le maître ne rougit pas, soit d'être repris par ses esclaves, soit de reprendre lui-même ceux qui habitent sa maison? Serait-ce se tromper que d'appeler cette maison l'église de Dieu ? Car là où règne une telle sagesse, que même à table, dans le moment qui semble autoriser la licence, on se préoccupe de la loi de Dieu et où tous luttent et rivalisent à l'envi à qui l'observera mieux, il est évident que le démon, que l'esprit mauvais ne s'y trouve plus, et que le Christ y règne, félicitant ses serviteurs de leur sainte émulation et leur distribuant toute faveur. Je laisserai donc un précepte dont l'observance , grâce à Dieu, et grâce à vous qui avez si chaudement entrepris et déjà si (3) résolument commencé à le suivre, ne tardera pas à se répandre dans toute la ville, et je passerai à un autre, je veux dire à la colère qu'il faut savoir mépriser et dompter.

Car de même que sur une lyre une seule corde ne peut produire de mélodie, mais qu'il faut les parcourir toutes avec le rythme convenable; de même, quant à la vertu que doit posséder notre âme, il ne suffit pas pour le salut de n'observer qu'une loi, ce que j'ai déjà dit, mais il faut les garder toutes avec exactitude, si nous voulons produire une harmonie plus suave et plus utile que toute harmonie. Votre bouche a appris à ne plus jurer, votre langue à ne dire, en toute circonstance, que oui et non; apprenez de plus à éviter toute parole injurieuse et à apporter à l'observation de ce commandement d'autant plus d'ardeur qu'elle requiert plus de travail. Pour le serment, il ne s'agissait que de vaincre une habitude; pour la colère, il faut de plus grands efforts. C'est une passion tyrannique qui entraîne ceux mêmes qui sont en garde contre elle et les précipite clans le gouffre de la perdition. Sachez donc supporter la longueur de mon discours. Ce serait de la déraison, pour nous qui sommes blessés chaque jour sur la place publique, dans nos maisons, par nos amis. par nos proches, par nos ennemis, par nos voisins, par nos serviteurs, par nos épouses, par nos tout petits enfants, par nos propres pensées, de ne pas vouloir nous occuper, même une fois la semaine, de guérir ces blessures, sachant surtout que le traitement ne nous coûtera ni argent ni souffrance. Car, voyez, je ne tiens pas de fer à la main; je ne me sers que d'un discours, mais plus tranchant que le fer, qui enlèvera toute la corruption et qui ne causera aucune douleur à quiconque subira cette opération. Je ne tiens pas de feu à la main; mais j'ai une doctrine plus forte que le feu, une doctrine qui ne vous brûlera point, mais qui empêchera les ravages de l'iniquité et qui, au lieu de douleur, ne causera que de la joie à celui qui sera délivré du mal.

Il n'est pas besoin ici de temps, pas besoin de travail, pas besoin d'argent; il suffit de vouloir, et ce qu'exige la vertu est accompli; et si vous réfléchissez à la majesté du Dieu qui ordonne et qui a porté cette loi , ne sera-ce pas assez pour vous éclairer et vous déterminer? Car ce ne sont pas mes propres pensées que je vous expose, je ne veux que tous vous conduire au grand législateur. Suivez-moi donc et écoutez la loi de Dieu. Où est-il question de la colère et du désir de la vengeance ? Dans des passages nombreux et divers, mais particulièrement dans cette parabole que Jésus adressa à ses disciples en leur disant : C'est pour cela que le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Et lorsqu'il, eut commencé à le faire, on lui en présenta un qui lui devait dix mille talents. Et comme il n'avait pas de quoi les rendre, soit maître ordonna qu'on le vendit, lui, sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait, pour acquitter la dette. Mais, se jetant à ses pieds, le serviteur le suppliait en disant : Ayez patience à mon égard, et je vous rendrai tout. Alors le maître ayant pitié de ce serviteur le renvoya et lui remit sa dette. Mais ce serviteur étant sorti rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent deniers; et l'ayant saisi il l'étouffait, disant : Rends-moi ce que tu me dois. Et se jetant à ses pieds, son compagnon le suppliait, disant : Aie patience à mon égard, et je te rendrai tout. Mais lui ne voulut pas, et il s'en alla et le fit mettre en prison jusqu'à ce qu'il payât sa dette. Les autres serviteurs le voyant, furent indignés; ils vinrent et racontèrent à leur maître ce qui s'était passé. Alors le maître l'appela et lui dit : Méchant serviteur, je t'ai remis ta dette parce que tu m'en as prié. Ne fallait-il pas que tu eusses pitié de toit compagnon, comme j'ai eu pitié de toi? Et il le livra aux bourreaux, jusqu'à ce qu'il payât toute sa dette. C'est ainsi que vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de soit coeur. (Matth. XVIII.)

3. Voilà la parabole; or il faut dire pourquoi il la proposa, en en indiquant la cause; car il ne dit pas simplement : Le royaume des cieux est semblable, mais bien c'est pour cela que le royaume des cieux est semblable. Pourquoi donc la cause s'y trouve-t-elle? Il parlait à ses disciples de la patience, il leur apprenait à maîtriser leur colère, à ne faire pas grande attention aux injustices qu'ils pouvaient éprouver de la part des autres, et il leur disait : Si votre frère a péché contre vous, allez et reprenez-le entre vous et lui seul; s'il vous écoute, vous aurez gagné votre frère. (Matth. XVIII, 15.)

Pendant que le Christ disait ces choses et autres semblables à ses disciples et leur enseignait à régler leur vie Pierre, le premier (4) du collège apostolique, la bouche des disciples, la colonne de l'Eglise, le pilier de la foi, celui avec lequel tous doivent penser, dans les filets duquel tous doivent se jeter, qui de l'abîme de l'erreur nous a ramenés vers le ciel, qu'on retrouve partout rempli de charité et de liberté, mais plus encore de charité que de liberté, Pierre, dis-je, tous les autres se taisant, s'avance vers le Maître et lui dit : Combien de fois, mon frère péchant contre moi, lui pardonnerai-je? (Matth. XVIII, 21.) Il interroge et déjà il fait voir qu'il est prêt à tout; il ne connaît pas encore la loi, et il se montre plein d'ardeur à l'accomplir. Car sachant bien que la pensée de son Maître penche plutôt vers la clémence, et que celui-là lui sera le plus agréable qui se montrera le plus facile à pardonner au prochain et qui ne recherchera pas avec aigreur les fautes des autres, voulant plaire au Législateur, il lui dit : Pardonnerai-je jusqu'à sept fois ? Mais ensuite, pour apprendre ce que c'est que l'homme et ce que c'est que Dieu et comment la bonté de l'homme, comparée aux infinies richesses de la miséricorde de Dieu, est au-dessous de l'extrême pauvreté, et que ce qu'est une goutte d'eau à la mer immense, notre charité l'est auprès de l'indicible charité de Dieu, pendant que Pierre demande s'il faut pardonner jusqu'à sept fois? et qu'il pense se montrer ainsi très-large et très-libéral, écoutez ce que le Seigneur lui répond : Je ne dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois. Quelques-uns prétendent que cela veut dire septante fois et sept fois; mais il n'en est pas ainsi et il faut entendre près de cinq cents fois : car sept fois septante font quatre cent quatre-vingt-dix. Et ne pensez pas, mes chers auditeurs, que ce précepte soit difficile à observer. Car si vous pardonnez à celui qui pèche contre vous une, deux ou trois fois par jour, quand même il aurait un coeur de pierre, quand même il serait plus cruel que tous les démons, il ne sera certainement pas insensible au point de retomber toujours dans les mêmes fautes, mais touché de ce pardon si fréquemment accordé, il en deviendra meilleur et moins intraitable; et vous de votre côté, si vous êtes disposés à pardonner tant de fois las injustices que vous éprouverez, quand vous aurez fait grâce une, deux ou trois fois, ce vous sera une habitude et vous n'aurez aucune peine à persévérer dans cette conduite, parce qu'ayant pardonné si souvent vous ne serez plus touchés des injustices des autres.

Pierre entendant cela demeura stupéfait, pensant non-seulement à lui, mais à tous ceux qui devaient lui être confiés; et de peur qu'il ne fit ce qu'il avait coutume de faire pour les autres commandements, Notre-Seigneur prévint toute interrogation. Que faisait Pierre en effet quand il s'agissait d'un précepte? Quand Notre-Seigneur avait imposé une loi qui paraissait offrir quelque difficulté, Pierre, s'avançant, lui posait des questions, demandait des explications sur cette loi. Par exemple, lorsque le riche interrogea le Maître sur la vie éternelle, et qu'après avoir appris ce qui le conduirait à la perfection, il s'en alla triste parce qu'il avait de grandes richesses , Notre-Seigneur ayant ajouté qu'il était plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux, alors Pierre , bien qu'il se fît dépouillé de tout, qu'il n'eût pas même gardé son hameçon, qu'il eût abandonné sa profession et son bateau, s'avança et dit au Christ : Et qui peut donc être sauvé? (Marc, X, 26.) Et ici remarquez la conduite louable du disciple et son zèle. D'un côté, il ne dit pas: vous commandez l'impossible, ce précepte est violent, cette loi est dure ; de l'autre côté, il ne garde pas non plus le silence , mais il montre l'intérêt qu'il porte à tous et rend à Notre-Seigneur l'honneur qu'un disciple doit à son Maître, en lui disant : Et qui peut donc être sauvé? Lui qui n'était pas encore pasteur avait déjà le zèle du pasteur, lui qui n'était pas encore établi chef montrait déjà la sollicitude du chef et pensait à toute la terre. S'il avait été riche, possesseur d'une grande fortune, on aurait peut-être dit que c'était non en considération des autres, mais dans son propre intérêt et pour lui-même qu'il faisait cette question; mais sa pauvreté écarte ce soupçon et fait voir que la sollicitude qu'il éprouvait pour le salut des autres était la seule cause de ses soucis, de son anxiété, et le portait seule à demander au Maître la route du salut. Aussi Notre-Seigneur lui inspirant de la confiance, lui dit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Ne pensez pas, veut-il dire, que vous resterez seuls et abandonnés : je mettrai avec vous la main à cette oeuvre, moi, par qui les choses difficiles deviennent aisées et faciles. De même quand Notre-Seigneur, parlant du mariage et de la femme, disait que quiconque renvoie sa (5) femme hors le cas d'adultère, la rend adultère, et donnait ainsi à entendre que les époux doivent supporter toutes les fautes de leurs épouses, hors le cas d'adultère, Pierre, tous les autres se taisant, s'avance et dit au Christ : Si telle est la condition de l'homme à l'égard de sa femme, il n'est donc pas avantageux de se marier. (Matth. XIX, 9, 10.) Remarquez comment, en cette circonstance encore, il garde envers son Maître le respect qu'il lui doit et ne laisse pas que de se préoccuper du salut des autres, sans faire aucun retour sur ses propres intérêts. C'est donc pour prévenir quelque observation de ce genre, c'est pour couper court à toute réplique, que Jésus propose la parabole. Voilà pourquoi l'évangéliste dit : c'est pour cela que le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs, nous montrant par là que cette parabole a pour but de nous apprendre que, quand même nous aurions pardonné soixante-dix fois sept fois par jour à notre frère nous n'aurions encore rien fait de très-grand, nous serions encore bien loin de la clémence de notre Dieu, et nous n'aurions pas encore donné autant que nous avons reçu.

4. Voyons donc cette parabole : car, bien qu'elle paraisse assez claire en elle-même , elle renferme cependant tout un trésor, trésor caché et ineffable , de pensées précieuses à recueillir. Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Ne passez pas légèrement, sur cette parole ; représentez-vous ce tribunal et, descendant dans votre conscience, rendez-vous compte de ce que vous avez fait pendant toute votre vie : figurez-vous que les serviteurs soumis à cette reddition de compte, ce sont et les rois et les généraux et les éparques, et les riches et les pauvres, et les esclaves et les personnes libres; car tous nous devons comparaître devant le tribuna. du Christ. (II Cor. V, 10.) Si vous êtes riche, pensez que l'on vous demandera compte de la manière dort vous aurez employé vos richesses pour entretenir des courtisanes ou pour subvenir aux besoins des pauvres, pour nourrir des parasites et des flatteurs ou pour secourir des indigents, au libertinage ou à la charité, à la débauche, à la prodigalité, à l'ivresse, ou à secourir ceux qui étaient dans la tribulation. On vous demandera compte, encore de la manière dont vous aurez acquis votre bien, si vous le devez à des travaux honnêtes, ou à la rapine et à la fraude; si vous l'avez reçu de votre père en héritage, ou si vous ne le possédez qu'aux dépens des orphelins dont vous avez ruiné les maisons, aux dépens des veuves dont vous avez pillé la fortune. Et de même que nous, nous faisons rendre compte à nos serviteurs, non-seulement de leurs dépenses, mais encore de leurs recettes, et que nous leur demandons d'où ils ont reçu tel bien, de qui, comment, en quelle quantité, Dieu aussi voudra savoir non-seulement comment nous aurons employé notre fortune, mais encore comment nous l'aurons acquise. Et si le riche rend compte de ses richesses, le pauvre rendra compte de sa pauvreté, s'il l'a supportée avec courage et sans répugnance, sans murmure, sans impatience, s'il n'a pas accusé la divine Providence, en voyant tant d'autres hommes plongés dans les délices et les prodigalités, tandis qu'il est, lui, accablé par le besoin. Le riche rendra compte de sa miséricorde et le pauvre de sa patience, et non-seulement de sa patience, mais encore de sa miséricorde : car l'indigence n'empêche pas de faire l'aumône, témoin cette veuve qui jeta dans le tronc deux petites pièces, et à qui sa faible aumône valut plus de mérites qu'aux autres leurs, riches offrandes. Et ce ne seront pas seulement les riches et les pauvres, mais encore les dépositaires du pouvoir et de la justice, dont la conduite sera scrutée avec rigueur, et à qui l'on demandera s'ils n'ont pas corrompu la justice, si ce n'est pas la bienveillance ou la haine de l'homme privé qui a guidé l'homme public dans ses décisions, s'ils n'ont pas, pour gagner les bonnes grâces de quelqu'un, donné leur suffrage contre le droit, s'ils n'ont pas, par esprit de vengeance, sévi contre des innocents.

Et, avec le pouvoir séculier, ce sera aussi le pouvoir ecclésiastique qui rendra compte de sa gestion, et c'est ce dernier surtout qui sera soumis à un examen sévère et terrible. Pour celui qui a reçu le ministère de la parole, on examinera rigoureusement si, par paresse ou par haine, il n'a pas passé sous silence une chose qu'il fallait dire, si par ses œu ires il n'a pas démenti sa parole, s'il n'a rien caché de ce qui était utile. Quant à l'évêque, plus sa charge est élevée, plus on lui demandera un compte sévère et sur l'instruction qu'il aura donnée à son peuple, et sur la, protection qu'il aura (6) accordée aux pauvres, et surtout sur l'examen de ceux qu'il aura promus aux ordres et sur mille autres choses. C'est pour cela que saint Paul écrivait à Timothée (I Tim. V, 22) : N'imposez légèrement les mains à personne et ne participez en rien aux péchés des autres. Et aux Hébreux, en parlant de leurs chefs spirituels,il écrivait ces paroles effrayantes : Obéissez à vos préposés et soyez-leur soumis; car ce sont eux qui veillent sur vos âmes comme devant en tendre compte. (Hébr. 13, 17.) Et, après nos actions, il faudra rendre compte de nos paroles. Car de même que quand nous avons confié de l'argent à nos esclaves, nous voulons connaître l'emploi qu'ils en ont fait , ainsi Dieu qui nous a confié la parole nous demandera comment nous l'aurons employée. Il examinera, par des informations sévères, si nous n'avons pas dépensé ce talent inutilement et en vain : l'argent qui passe en folles dépenses est moins nuisible que des paroles vaines, inutiles et sans but : car l'argent inutilement employé porte préjudice le plus souvent, il est vrai, à la fortune; mais une parole irréfléchie renverse des maisons entières, perd et paralyse les âmes; et d'ailleurs la perte de la fortune peut se réparer; une parole une fois lancée vous ne pouvez la rappeler.

Oui, nous rendrons compte de nos paroles; écoutez ce que déclare le Seigneur : Je vous dis que toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée sur cette terre, ils en rendront compte au jour du jugement : car c'est par vos paroles que vous serez justifiés, et par vos paroles que vous serez condamnés. (Matth. XII, 36-37.) Nous rendrons compte et de ce que nous aurons dit et de ce que nous aurons entendu; par exemple, si nous avons écouté, sans nous y opposer, une calomnie dirigée contre notre prochain : car, dit l'Ecriture, n'acceptez point les paroles du menteur. (Exod. XXIII, 1.) Et si ceux qui acceptent ces paroles ne doivent pas trouver grâce, quelles causes allégueront les médisants et les calomniateurs?

5. Et, que dis-je, ce que nous aurons dit et entendu? Bien plus, nous rendrons compte même de nos pensées. C'est ce que saint 'Paul nous montre par ces paroles : C'est pourquoi ne jugez pas avant le temps , jusqu'à ce que vienne le Seigneur qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les pensées secrètes des coeurs (I Cor. IV, 5) ; et le Psalmiste par celles-ci : La pensée même de l'homme servira à votre gloire. (Ps. LXXV, 11.) Que veut-il dire par ces mots : la pensée même de l'homme servira à votre gloire? Oui, elle y servira si vous n'adressez à votre frère que des paroles feintes et pleines de malignité, si votre bouche et votre langue le louent, tandis que, au fond de votre coeur, vous ne pensez de lui que du mal et ne lui portez que de la haine. Le Christ, voulant nous faire entendre que nous rendrons compte de nos actions, et aussi de nos pensées, nous dit : Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matth. V, 28 .) Son péché n'a pas passé jusqu'à l'acte; il n'est encore que dans la pensée et cependant celui-là même n'est pas sans faute, qui considère la beauté d'une femme, afin que le désir de l'impureté s'allume en lui. Aussi lorsque vous entendez dire que le Maître veut faire rendre compte à ses serviteurs, ne passez pas légèrement sur cette parole, mais pensez qu'elle embrasse toute dignité, tout âge, tout sexe, et les hommes et les femmes : songez quel sera ce tribunal, et repassez dans votre esprit toutes les fautes que vous avez commises. Car, si vous les avez oubliées, Dieu ne les oubliera pas; mais il vous les remettra toutes devant les yeux, si, devançant ce terrible moment, vous ne les anéantissez- par la pénitence, la confession et le pardon des torts qui vous sont faits. Mais pourquoi le Maître se fait-il rendre compte? Ce n'est pas qu'il ignore nos oeuvres, lui qui connaît toutes choses avant même qu'elles arrivent; il veut montrer à ses esclaves que leurs dettes sont des dettes véritables et justes ; il veut le leur faire reconnaître et aussi leur apprendre à s'acquitter. C'est dans ce but qu'il envoyait le Prophète rappeler aux Juifs leurs iniquités : Va redire ses iniquités à la maison de Jacob et ses péchés à la maison d'Israël (Is. LVIII , 1) , non-seulement pour qu'ils les entendent, mais pour qu'ils s'en corrigent.

Quand il eut commencé à se faire rendre compte, on lui amena un serviteur qui lui devait dix mille talents. Quelle somme confiée ! quelle somme dissipée ! Quelle énorme dette ! Combien n'en avait-il pas reçu, lui qui en a tant dépensé! Il est lourd, le poids des dettes ; mais ce qu'il y a de plus fâcheux , c'est que ce serviteur fut conduit à son maître le premier. Car si beaucoup (7) de débiteurs capables de payer l'avaient précédé , il n'eût pas été trop étonnant que le roi ne se fût pas fâché : la solvabilité des premiers aurait dû le disposer à la bienveillance pour ceux qui ensuite n'auraient pu payer. Mais que le premier soit insolvable, et pour une dette si importante, et qu'il n'en éprouve pas moins la clémence de son maître, voilà qui est bien étonnant et extraordinaire. Les hommes, en effet, quand ils ont découvert un débiteur, non moins que s'ils avaient trouvé une proie, se réjouissent et s'agitent de toute manière -pour lui faire payer sa dette entière; et si la pauvreté des débiteurs ne le permet pas , ils font retomber leur colère sur le corps des pauvres malheureux, les tourmentant, les frappant, leur infligeant mille maux. Dieu au contraire met tout en oeuvre et en mouvement pour délivrer ses débiteurs de leurs dettes. L'homme s'enrichit à exiger son dû, et Dieu à le remettre. Quand nous avons reçu ce qu'on nous devait, nous sommes dans une abondance plus grande : Dieu, au contraire, plus il remet les dettes contractées envers lui, plus il s'enrichit. Car la richesse pour Dieu, c'est le salut des hommes, comme le dit saint Paul : Riche pour tous ceux, qui l'invoquent. (Rom. X, 12.) Mais, me direz-vous, si le maître veut pardonner au serviteur et lui remettre sa dette, pourquoi ordonne-t-il qu'on le vende ? C'est là précisément ce qui montre le mieux sa charité. Toutefois, ne nous pressons pas et suivons avec ordre le narré de la parabole

Comme il n'avait pas de quoi payer, dit l'Evangéliste. Qu'est-ce que cela veut dire Comme il n'avait pas de quoi payer? Voici qui aggrave l'iniquité. Dire qu'il n'avait pas de quoi payer, c'est dire qu'il était vide de bonnes oeuvres, qu'il n'avait fait aucun bien qui pût lui être compté pour le pardon de ses fautes. Car nos bonnes œuvres nous sont comptées, oh! oui, elles nous sont comptées pour la rémission de nos péchés, comme la foi pour la justification. A celui qui ne fait pas les oeuvres, mais qui croit en Celui qui justifie l'impie, sa foi est imputée à justice. (Rom. V, 5.) Et pourquoi parler seulement de la foi et des bonnes oeuvres, puisque les afflictions mêmes nous sont comptées pour le pardon de nos fautes? C'est ce que le Sauveur nous montre par la parabole de Lazare, où il nous représente Abraham disant au riche que Lazare n'a reçu sur cette terre que des maux, et que c'est pour cela qu'il est consolé dans l'autre vie. C'est ce que nous montre aussi saint Paul, écrivant aux Corinthiens (I Cor. V, 5) au sujet du fornicateur, en leur disant : Livrez cet homme à Satan pour que sa chair soit châtiée et son esprit sauvé. Et, en consolant d'autres pécheurs, il leur adresse ces mots : C'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de languissants et que beaucoup s'endorment. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés; et lorsque nous sommes jugés, c'est par le Seigneur que nous sommes repris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde (I Cor. XI, 30-32.) Mais si les afflictions, les maladies, la mauvaise santé, les maux que notre corps peut éprouver, toutes choses que nous ne support tons que malgré nous et que nous sommes loin de nous procurer, nous sont comptées pour la rémission de nos fautes, à combien plus forte raison les bonnes œuvres auxquelles nous nous portons dé nous-mêmes et avec zèle ! Ce serviteur au contraire n'avait rien de bon; il n'avait qu'un poids accablant de péchés ! C'est pourquoi l'Evangéliste dit : Comme il n'avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu'il fû. vendu. (Matth. XVIII, 25.) C'est là le trait qui nous peint le mieux la clémence du Maître, de lui avoir fait rendre compte et d'avoir ordonné de le vendre : car, en faisant ces deux chose, il ne voulait qu'empêcher qu'il fût vendu. — Qu'est-ce qui le prouve? — La fin de la parabole : car, s'il avait voulu le faire vendre, qui s'y serait opposé? qui l'aurait empêché ?

6. Pourquoi donc l'a-t-il ordonné, s'il n'avait pas l'intention de le faire ? — Pour imprimer à l'esclave plus de crainte : et il lui voulait, au moyen de sa menace, imprimer plus de crainte, afin de l'amener à supplier, et il voulait l'amener à supplier, afin d'en prendre occasion de pardonner. Il pouvait, même avant toute supplication, lui pardonner, et c'est pour ne pas le rendre pire qu'il ne l'a pas fait. Il aurait pu lui pardonner avant toute reddition de comptes; mais alors, l'esclave, ignorant la grandeur de sa dette, n'en eût été que plus inhumain et plus cruel envers ses frères: c'est pourquoi le roi lui fait connaître d'abord la grandeur de sa dette et ensuite la lui remet tout entière. C'est après la reddition des comptes où on lui avait fait voir quelle était sa dette, c'est après qu'on l'a menacé et qu'on lui a montré la peine qu'il était juste de lui infliger, c'est (8) alors, dis-je, qu'il se montre si impitoyable et si inhumain pour son compagnon. Si ces précautions n'avaient pas été prises, à quel degré de cruauté ne serait-il pas descendu? Dieu en tout cela n'a eu d'autre but que d'adoucir ce caractère si emporté, et si rien n'a servi, ce n'est pas sur le maître, mais sur cet incorrigible que retombe la faute. Voyons cependant comment il traite cette maladie : S'étant donc jeté à ses pieds, le serviteur le conjurait en disant : Ayez patience, et je vous rendrai tout. Il ne dit pas qu'il n'avait pas de quoi rendre; mais les débiteurs promettent toujours, quand même ils n'ont rien à donner, afin d'échapper aux dangers présents.

Apprenons, nous qui avons si peu d'ardeur pour la prière, quelle est la force des supplications. Ce serviteur n'avait à présenter ni jeûnes, ni pauvreté volontaire, ni rien de semblable : mais lui qui n'avait aucune vertu se met à conjurer son maître, et sa prière a tant de force qu'elle l'entraîne à la clémence. Ne désespérons donc jamais dans nos prières. Car peut-il se trouver un plus grand pécheur que celui qui, accablé sous le poids de tant de crimes, n'avait à présenter aucune bonne oeuvre, ni grande , ni petite ? Et cependant il ne se dit pas à lui-même : Je n'oserais parler, je suis rempli de honte : comment pourrais-je approcher de mon maître? Comment pourrais-je le supplier? Et c'est pourtant ce que disent beaucoup de pécheurs, poussés par la honte que le démon leur inspire. Vous n'osez parler? C'est précisément pour cela qu'il vous faut approcher, pour que votre; confiance s'augmente. Celui qui va vous pardonner est-il donc un homme, pour que vous rougissiez, accablé par la honte? Non, c'est Dieu, Dieu qui désire vous pardonner plus,que vous ne désirez être pardonné. Vous ne désirez pas votre bonheur comme il désire votre salut; et c'est ce qu'il nous a fait voir par bien des exemples. Vous n'avez pas de confiance? Et c'est là précisément ce qui doit vous en donner : car c'est un grand sujet de confiance que de croire n'y avoir pas droit, comme aussi c'est un grand sujet de honte que d'oser se justifier en face du Seigneur. C'est se rendre criminel, quand même on serait d'ailleurs le plus saint des hommes, comme aussi celui-là est justifié qui se' croit le dernier de tous, témoin le pharisien et le publicain. Donc, quand nous avons péché, ne perdons ni l'espoir, ni la confiance, mais approchons-nous de Dieu, prosternons-nous devant lui, conjurons-le, comme a fait ce serviteur qui, en cela du moins, était inspiré d'un bon sentiment. Ne pas désespérer, ne pas perdre confiance, confesser ses péchés, demander quelque délai, quelque retard, tout cela est beau, tout cela est d'une âme contrite et d'un esprit humilié. Mais ce qui va suivre est loin dé ressembler à ce qui a précédé : ce que ses supplications lui ont fait gagner, la colère où il va entrer contre son compagnon le lui fera bientôt perdre. Voyons, en attendant, comment il obtient son pardon : voyons comment son maître le renvoie libre et ce qui l'a porté à cette détermination : Le Roi ému de pitié, dit l'Evangéliste, le renvoya et lui remit sa dette. L'esclave avait demandé un délai, le maître lui accorde son pardon, de sorte qu'il obtient plus qu'il n'avait demandé. Aussi saint Paul nous dit que Dieu est assez puissant pour tout faire au delà de ce que nous demandons ou concevons. (Eph. III,20.) Car vous ne pourrez jamais imaginer tout ce qu'il a résolu de vous donner. Donc pas de défiance, pas de honte : ou plutôt rougissez de vos iniquités, mais ne désespérez pas, n'abandonnez pas la prière: allez, quoique vous ayez péché, apaiser votre Maître, et lui donner occasion d'exercer sa clémence en vous pardonnant vos fautes : car, si vous n'osez pas approcher, vous mettez obstacle à sa bonté et vous l'empêchez, autant qu'il est en vous, de montrer combien son coeur est généreux. Ainsi, pas de découragement, pas de langueur dans nos prières. Quand nous serions tombés dans le gouffre du vice, il peut nous en retirer bien vite. Personne n'a autant péché que le mauvais serviteur: il avait épuisé toutes les formes du vice; c'est ce que montrent les dix mille talents : personne ne peut être plus vide de bonnes oeuvres que lui : aussi nous dit-on qu'il ne pouvait rien payer. Et cependant ce criminel que tout conspirait à accuser, la prière est si puissante qu'elle l'a délivré. La prière est-elle donc si efficace qu'elle puisse soustraire à la punition et au châtiment celui qui, par ses actions et ses oeuvres mauvaises, s'est rendu coupable envers le Maître? Oui, elle le peut, ô homme. Elle n'est pas seule en effet dans son entreprise : elle a l'aide et le soutien le plus fort, la miséricorde de ce Dieu à qui s'adresse la prière : c'est la miséricorde qui fait tout et qui donne à la prière sa puissance. C'est pour faire entendre cette vérité que (9) l'Evangéliste dit : Son maître, ému de compassion, le renvoya et lui remit sa dette; nous faisant voir qu'avec la prière et avant la prière, c'est la miséricorde du Maître qui a tout fait. Ce serviteur étant sorti rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent deniers; et l'ayant saisi, il l'étouffait, disant : Rends-moi ce que tu me dois. Mais que peut-il y avoir de plus' infâme? La parole du pardon retentissait encore à ses oreilles, et déjà il a oublié la miséricorde de son Maître.

7. Voyez-vous comme il est bon de se souvenir de ses péchés? Si celui-là se les était toujours rappelés, il n'aurait pas été si cruel et `si .inhumain. Aussi je vous le répète continuellement et je ne cesserai de vous redire qu'il est très-utile, qu'il est nécessaire que nous nous souvenions sans cesse de toutes nos iniquités rien ne rend l'âme si sage, si douce, si indulgente que le souvenir continuel de ses fautes. Aussi saint Paul se souvenait non-seulement des péchés qui avaient suivi, mais encore de ceux qui avaient précédé son baptême, bien qu'ils fussent tout à fait effacés. Et si cet apôtre se souvenait même des péchés commis avant le baptême, combien plus ne devons-nous pas nous souvenir de ceux qui ont suivi notre régénération. Car, non-seulement leur souvenir nous portera à en faire une plus grande pénitence, mais encore il nous donnera plus de douceur à l'égard du prochain, nous inspirera pour Dieu notre maître plus de reconnaissance, en nous remettant sans cesse devant les yeux son indicible miséricorde. C'est ce que ne fit pas ce mauvais serviteur; mais, loin de là, oubliant la grandeur de sa dette, il oublia aussi la grandeur du bienfait; oubliant le bienfait, il agit méchamment envers son compagnon, et cette mauvaise action lui fit perdre tout ce que lui avait accordé la miséricorde de Dieu. L'ayant saisi, il l'étouffait, disant: Rends-moi ce que tu me dois. Il ne dit pas Rends-moi cent deniers (il aurait rougi de la futilité de cette dette), mais bien: Rends-moi ce que tu me dois. Et celui-ci se jetant à ses pieds le conjurait, disant : prends patience et je te rendrai tout. Se servant des paroles mêmes qui avaient valu au méchant serviteur son pardon, il espérait bien être sauvé. Mais ce cruel, emporté par son inhumanité, restait insensible à ces paroles et ne pensait plus qu'elles l'avaient sauvé. Et pour lui cependant, pardonner, ce n'était plus de la. clémence, mais une dette et une obligation. Car si ç'eût été avant la reddition des comptes, avant sa condamnation, avant cette grâce extraordinaire, qu'il eût pardonné, c'eût été un effet de sa propre générosité. Mais après avoir reçu un si grand bienfait et le pardon de tant de fautes, c'était pour lui une nécessité , c'était s'acquitter d'une dette que d'avoir pitié de son compagnon. Et pourtant il fut loin de le faire et de considérer quelle différence il y avait entre la grâce qu'il venait d'obtenir et celle qu'il aurait dû accorder à son compagnon. Cette différence ressort et de la somme due des deux parts, et de la position respective des personnages et aussi de la manière dont la chose se passe. D'un côté, c'étaient dix mille talents, et de l'autre cent deniers; d'un côté, c'est un esclave qui agit envers son maître d'une manière outrageante , de l'autre c'est un compagnon de servitude qui a contracté une dette envers un compagnon de servitude. Traité si généreusement, le serviteur devait à son tour faire grâce; le maître, au contraire, remit toute la dette, quoique le débiteur ne l'eût mérité par aucune bonne oeuvre, grande ou petite. Mais sans réfléchir à rien de tout cela , entièrement aveuglé par sa colère, il saisit son débiteur à la gorge et le jette en prison. A cette vue les autres esclaves, ajoute l'Evangéliste, s'indignent, et avant même que le maître ait rien prononcé, ils le condamnent : preuve nouvelle de la bonté du roi. Son maître l'ayant appris le fait appeler, le soumet à un nouveau jugement, et, même en ce moment, il ne le condamne pas sans formes, mais il lui fait voir que la conduite qu'il va tenir est justifiée par le droit; aussi que dit-il? Méchant serviteur, je t'avais remis toute ta dette.

Quoi de meilleur que ce maître? Lorsque son esclave lui devait dix mille talents, il ne lui adresse pas une parole de reproche, ne l'appelle pas même méchant, mais ordonne seulement de le vendre; et cela, pour avoir occasion de lui remettre sa dette. Quand ensuite cet esclave tient envers son compagnon une conduite indigne, alors le maître se fâche et s'emporte pour nous apprendre qu'il pardonne plus facilement les péchés qui l'atteignent lui-même que ceux qui atteignent le prochain. Et ce n'est pas seulement en cette occasion qu'il tient cette conduite, c'est encore en d'autres circonstances : Si vous présentez votre offrande à l'autel, et que là. vous vous souveniez que (10) votre frère a quelque chose contre vous, allez, réconciliez-vous d'abord avec votre frère, et alors revenant, vous offrirez votre don. (Matth. V, 23, 24.) Voyez-vous comme partout il place nos intérêts avant les siens et comme il ne met rien au-dessus de la paix et de la charité envers le prochain? En un autre endroit, il dit encore : Quiconque renvoie sa femme, hors le cas d'adultère, la rend adultère. (Ibid. 32.) Mais voici la loi qu'il établissait par l'organe de saint Paul: Si un homme a une femme infidèle, et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne se sépare point d'elle. (I Cor. VII, 12.) Si elle s'est rendue adultère, dit-il, chassez-la; si elle est infidèle, ne la chassez pas; si elle pèche contre vous, renvoyez-la; si elle pèche contre moi, gardez-la. De même en cette circonstance, des péchés graves ont été commis contre le Maître, et ce bon Maître pardonne; mais dès qu'il s'agit des fautes commises contre un frère, quoique plus légères et moins fréquentes que celles par lesquelles le Maître a été offensé, alors le Maître ne pardonne plus, au contraire, il sévit : il appelle le coupable méchant, tandis que dans le premier cas il ne lui a pas même adressé une parole de reproche. C'est encore pour faire mieux ressortir cette leçon que l'Evangéliste ajoute qu'il fut livré aux bourreaux. Lorsqu'il lui demanda compte des dix mille talents, il ne fit rien de tel. Nous apprenons ainsi que la première sentence n'était pas une sentence de colère, mais de miséricorde, et d'une miséricorde qui cherchait une occasion de pardonner. Au contraire, la dernière action l'a irrité. Qu'y a-t-il donc de plus mauvais que le désir de la vengeance, puisqu'il force Dieu à révoquer les effets de sa clémence et que ce que les péchés n'ont pu le contraindre de faire, le ressentiment contre le prochain le force à le faire ? Certes il est écrit que les dons de Dieu sont sans repentance. (Rom. XI, 29.) Pourquoi donc, après avoir accordé un tel bienfait, montré une telle clémence, Dieu a-t-il ici révoqué son propre jugement? Parce que le serviteur a voulu se venger. Aussi ce n'est passe tromper que de regarder ce péché comme le plus grave de tous les péchés; tous les autres ont pu trouver grâce; pour celui-là seul il n'y a pas de pardon, et bien plus, il fait revivre ceux même qui sont effacés.

Le désir de la vengeance est donc un double mal, parce qu'il,est inexcusable auprès de Dieu et parce que, par ce péché, les autres fautes, même pardonnées, revivent et se représentent devant nous, comme il est arrivé en cette circonstance. Car il n'y a rien, rien , dis-je, qui offense et irrite Dieu comme de voir un homme animé de l'esprit de vengeance et de ressentiment. C'est ce que nous apprennent le passage que je viens de commenter et la prière dans laquelle le Christ nous a ordonné de dire : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Matth. VI, 12.) Sachant toutes ces choses, gravant dans notre coeur la parabole que nous avons méditée, lorsque nous penserons à ce que nos frères nous ont fait souffrir, pensons à ce que nous avons fait contre Dieu et la crainte de nos propres fautes aura bientôt réprimé la colère que les offenses reçues ont pu nous inspirer; s'il y a des péchés dont nous devions nous souvenir, ce sont les nôtres seulement; si nous nous souvenons des nôtres, nous aurons bientôt oublié ceux d'autrui, et si, au contraire, nous oublions les nôtres, ceux d'autrui se présenteront bientôt à notre pensée. Si ce mauvais serviteur avait songé aux dix mille talents qu'il devait, il aurait oublié les cent deniers; mais, ayant oublié sa dette, il exigea de son compagnon ce qui lui était dû, et voulant recouvrer une petite somme, non-seulement il ne l'obtint pas, mais il attira sur sa tête le poids des dix mille talents. Aussi vous dirai-je sans crainte que l'esprit d'inhumanité et de vengeance est le plus grave de tous les péchés, ou plutôt ce n'est pas moi qui vous le dis, c'est le Christ, en se servant de la parabole que j'ai développée. Car si ce crime n'était pas plus grave que les dix mille talents, c'est-à-dire que des péchés innombrables, il n'aurait pas fait revivre les fautes déjà pardonnées. Aussi que notre principale étude soit de réprimer en nous tout sentiment de colère et de nous réconcilier avec nos ennemis, certains que ni prière, ni jeûne, ni aumône, ni participation aux mystères, aucun acte de piété, en un mot, ne pourra, si nous gardons quelque rancune, nous être utile au grand jour des révélations, tandis qu'au contraire, si nous nous dépouillons entièrement de ce vice, fussions-nous mille fois pécheurs, nous pourrons obtenir quelque pitié. Et ce n'est pas moi qui vous le dis, c'est le Dieu qui viendra nous juger. Voyez la parabole que je viens d'expliquer : C'est, ainsi que vous traitera mon Père si chacun de vous ne (11) pardonne du fond de son coeur; et en un autre endroit : Si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous remettra les vôtres. (Matth. VI, 14.) Afin donc de mener ici-bas une vie douce et tranquille et d'obtenir là-haut pardon et miséricorde, il faut mettre tous nos soins, tous nos efforts à nous réconcilier avec les ennemis que nous pouvons avoir; par là, notre Maître, l'eussions-nous mille fois outragé, sentira sa colère désarmée et nous obtiendrons les récompenses éternelles; puissions-nous en être tous jugés dignes par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE. MON PÈRE, S'IL EST POSSIBLE, QUE CE CALICE PASSE LOIN DE MOI : TOUTEFOIS, NON MA VOLONTÉ, MAIS LA VOTRE (MATTH. XXVI 39).

Contre les Marcionites et les Manichéens ; — qu'il ne faut pas s'exposer au danger , mais préférer la bonté de Dieu à tout le reste.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

L'homélie suivante ne nous fournit aucun indice d'où l'on puisse connaître en quel lieu et en quel temps elle a été prêchée. Il parait seulement, qu'outre les Marcionites et les Manichéens, saint Chrysostome y combat les Anoméens; ce qu'il a fait plusieurs fois en leur présence, n'étant que prêtre à Antioche.

1° Puisque les prophètes n'ont pas ignoré les circonstances de la passion de Jésus-Christ, à plus forte raison ne les a-t-il pas ignorées lui-même. — 2° Il n'est pas permis non plus de dire que Jésus-Christ ait refusé de se soumettre à sa passion; voyez, en effet, la sévère réprimande qu'il fait à saint Pierre qui voulait l'en détourner. Un moment avant d'être crucifié ne disait-il pas à son Père : L'heure est venue, glorifiez votre Fils, comme si de la croix devait sortir toute sa gloire. Merveilles opérées parla croix. — 3° C'est à tort que les Anoméens et les Ariens se servent de ce texte : Mon Père, s'il est possible, etc., pour soutenir leurs erreurs. Les demandes que Jésus-Christ faisait à son Père, il les faisait comme homme et non comme Dieu. Le Père et le Fils n'ont qu'une seule et même volonté. — Enseignement sur l'Incarnation. — Comme ce mystère est au-dessus de la portée de l'esprit humain, Dieu, pour le rendre croyable, l'a fait annoncer par ses prophètes. Il a paru lui-même dans le monde, et afin qu'on ne le prît pas pour un fantôme, il a prouvé qu'il était vraiment homme, en souffrant toutes les vicissitudes et toutes les incommodités attachées à la nature humaine, en subissant enfin le supplice de la croix. — 4° Si tous ces signes n'ont pu empêcher Marcion, Valentin, Manès et tant d'autres hérésiarques, de révoquer en doute le mystère de l'Incarnation, que serait-il arrivé si Jésus-Christ exit été affranchi des infirmités humaines? N'aurions-nous pas vu de plus grands excès encore?

1. Si nous avons naguère traité durement ces hommes cupides qui ravissent le bien d'autrui et ne se lassent pas d'entasser vol sur vol, ce n'est pas pour les blesser, mais pour les guérir; ce ne sont pas les personnes que nous haïssons, mais les vices. Le médecin, lui aussi, ouvre la plaie, non pour nuire au corps malade, mais au contraire, pour le défendre contre le mal, contre le fléau. Aujourd'hui toutefois donnons-leur un peu de repos, afin qu'ils puissent respirer et de peur qu'un traitement trop énergique et trop continu ne les empêche de rechercher nos soins. C'est ce que font aussi les médecins; sur la plaie qu'ils ont ouverte, ils appliquent des préparations médicales et laissent passer quelques jours pendant lesquels ils s'efforcent d'apaiser la douleur. Pour les imiter, recherchons comment nous pourrons rendre cette instruction utile aux pécheurs dont nous nous occupions, et ne traitant que le dogme, suivons la lecture de ce jour. Car beaucoup, je pense, se demandent avec étonnement comment le Christ a pu parler ainsi. Les hérétiques, ici présents, pourraient aussi s'emparer de ces paroles pour dresser un piège aux plus faibles d'entre nos frères. Pour repousser leurs attaques et délivrer les fidèles de toute agitation, de toute inquiétude, je veux étudier ces paroles, les exposer longuement et descendre au fond des choses. Car de quoi servirait la lecture sans l'intelligence de ce qu'on lit? L'eunuque de la reine Candace aussi lisait, mais jusqu'à ce qu'il eût trouvé quelqu'un pour lui expliquer ce qu'il avait lu, il n'en avait point retiré grand (13) profit. (Act. VIII, 27.) Afin qu'il n'est soit pas de même de vous, appliquez-vous a ce que je vais vous dire, prêtez-moi un esprit attentif et désireux de s'instruire, employez toute la pénétration, réunissez toutes les forces de votre intelligence ; que votre âme se détache de tout ce qui touche à la terre, afin que la parole ne tombe ni au milieu des épines; ni sur la pierre, ni le long de la route, mais que, rencontrant une terre fertile et cultivée profondément, elle produise une moisson abondante. (Luc, VIII, 5, 8.) Si ma parole vous trouve dans ces dispositions, vous allégerez ma tâche et vous faciliterez vos propres recherches.

Qu'est-ce donc qu'on a la? Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi; toutefois non ma volonté, mais la vôtre. (Matth. XXVI, 39.) Que veut dire par là notre Sauveur? Car c'est une interprétation exacte qui nous donnera la solution. Il dit : Mon Père, si c'est possible, éloignez de moi la croix. Quoi donc I ignore-t-il si cela est possible on non? qui l'oserait dire ? Et pourtant ses paroles ont la forme du doute; l'emploi du mot si semble indiquer le doute. Mais, comme je l'ai déjà dit, il faut s'attacher, non aux paroles, mais aux pensées, voir le but que Jésus se proposait, la cause, le temps, et après avoir recueilli toutes ces circonstances, rechercher la pensée que ces paroles contiennent. La sagesse ineffable, ce Fils qui connaît le Père comme le Père connaît le Fils, a-t-il pu ignorer cela? Après tout, la connaissance de sa passion n'est pas quelque chose de plus grand que la connaissance de cette nature divine que seul il connaît exactement: Comme mon Père me connaît, dit-il, moi-même je connais mon Père. (Jean, X, 15.) Non le Fils unique de Dieu n'a pas ignoré qu'il devait souffrir, que dis-je, les prophètes eux-mêmes non plus ne l'ont pas ignoré; ils en ont eu une connaissance complète, ils ont annoncé et surabondamment affirmé que cela arriverait et qu'il en serait ainsi infailliblement. Voyez comme tous, quoique de diverses manières, ont annoncé la croix? Le premier, le patriarche Jacob, en s'adressant au Christ s'écrie : C'est d’un bourgeon, mon Fils, que vous êtes sorti, entendant par ce bourgeon la Vierge , la pure Marie. Puis désignant la croix : Vous vous êtes couché et vous avez dormi comme le lion et comme le petit du lion; qui le réveillera? (Gen. XLIX, 9.) Il parle de sa mort comme d'un repos, comme d'un sommeil, et à cette mort il joint la résurrection lorsqu'il ajoute : Qui le réveillera ? Personne; il se ressuscitera lui-même. C'est pourquoi le Christ dit : J'ai le pouvoir de déposer ma vie et j'ai le pouvoir de la reprendre (Jean, X, 18); et encore : Détruisez ce temple, et, en trois jours, je le relèverai. (Id. II,19.) Que veut dire le patriarche par ces mots: Vous vous êtes couché, et vous avez dormi comme un lion? C'est que de même que le lion est terrible, non-seulement quand il est éveillé, mais encore quand il dort , de même Notre-Seigneur, et avant sa passion, et sur sa croix, et jusque dans la mort, a été terrible et a opéré de grandes merveilles, puisque le soleil recula, que les rochers se fendirent, que la terre trembla, que le voile se déchira, que la femme de Pilate fut saisie de frayeur et Judas déchiré de remords. Car c'est alors qu'il dit : J'ai péché en livrant un sang innocent. (Matth. XXVII, 4.) Et la femme de Pilate envoyait dire à ce proconsul : Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste, car j'ai beaucoup souffert dans un songe ci cause de lui. (Ibid. 29.) Alors les ténèbres se répandirent sur toute la terre et la nuit se fit au milieu du jour; alors la mort fut vaincue et son joug brisé, car beaucoup de justes, morts depuis quelque temps, ressuscitèrent. C'est là ce que le patriarche voyait de loin, et, c'est pour montrer que, même sur la croix, le Christ sera terrible, qu'il dit : Vous vous êtes couché et vous avez dormi comme un lion. Et il ne dit pas : Vous vous coucherez, mais : Vous vous êtes couché, pour faire voir la certitude de la prophétie. Car souvent les prophètes parlent de l'avenir comme s'il était déjà passé. S'il n'est pas possible que ce qui est passé n'ait pas existé, il n'est pas possible non plus que ce qui est prédit n'existe pas un jour. Aussi les prophètes annoncent le futur sous la forme du passé, pour marquer que les événements prédits arriveront nécessairement et infailliblement. C'est ainsi que David disait en parlant de la croix : Ils ont percé mes pieds et mes mains (Ps. XXI,17); non pas: Ils perceront, mais : Ils ont percé. Ils ont compté tous mes os. Et outre cela, il prédit encore ce que feront les soldats : Ils se sont partagé mes vêtements, et, sur ma robe, ils ont jeté le sort. Et il annonce encore qu'ils le nourriront de fiel et l'abreuveront de vinaigre : Ils m'ont donné, dit-il, pour ma nourriture, du fiel, et, pour apaiser ma soif, ils m'ont présenté du vinaigre. (Ps. LXVIII, 22.) Un autre parlant du coup de lance : Ils porteront (14) leurs regards, dit-il, sur celui qu'ils ont transpercé. (Zach. XII, 10.) Isaïe, parlant aussi de la croix, dit : Comme une brebis, il a été mené à la boucherie, et, comme un agneau sans voix devant celui qui le tond, il n'ouvre pas la bouche. Il est resté humilié pendant qu'on le jugeait. ( Is. LIII, 7, 8.)

2. Remarquez avec moi que chacun de ces prophètes parle de ces événements comme de choses passées, et montre par la forme même du langage qu'ils arriveront certainement , infailliblement. David aussi décrivant le jugement, disait : Pourquoi les nations ont-elles frémi ? et les peuples médité des choses vaines? Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ. (Ps. II, 1-2.) Outre le jugement, la croix, ce qui se passa sur la croix, il annonce encore que le traître qui livrera le Christ vivait avec lui et mangeait à la même table : Celui qui mangeait mon pain s'est élevé orgueilleusement contre moi (Ps. LX, 40.) Il prédit même la parole que le Christ prononcera sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Ps. XXI, 2.) Il parle aussi de son sépulcre : Ils m'ont placé au fond d'un tombeau, dans les ténèbres, dans les ombres de la mort (Ps. VII, 6) ; de sa résurrection : Vous ne me laisserez point dans les enfers et vous ne permettrez point que votre Saint voie la corruption (Ps. XV, 10); de son ascension : Dieu s'est élevé aux acclamations de joie : le Seigneur est monté au son de la trompette. (Ps. XLVI, 6.) Il siégera à la droite de son Père : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds. (Ps. CIX, 1.) Isaïe nous donne la cause de ses souffrances, en disant : C'est pour les péchés de mon peuple qu'il est conduit à la mort. (Is. LIII, 8.) C'est parce que tous se sont égarés comme des brebis errantes qu'il a été immolé. Et voici le bien qui en résulte : Sa blessure nous a guéris. (Ibid. 5.) Et encore : Il a expié les péchés de tous. Ainsi les prophètes ont connu d'avance la passion, sa cause, les biens qui en découleraient pour nous, la sépulture, la résurrection, l'ascension, la trahison; le jugement, et ils ont fait de tout une description exacte; et celui qui les a envoyés, qui leur a fait annoncer ces choses, les aurait lui-même ignorées ! Quel homme sensé pourrait le dire ? Vous voyez qu'il ne faut pas s'attacher simplement aux paroles.

Mais ce n'est pas la seule chose difficile à expliquer; ce qui suit ne l'est pas moins. Car que dit-il ? Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi. Vous voyez non-seulement qu'il ignore, mais encore qu'il refuse le crucifiement : car voici ce qu'il dit : S'il est possible, que je ne sois pas crucifié, que je ne sois pas mis à mort : et cependant lorsque Pierre, le chef des apôtres, dit : A Dieu ne plaise, Seigneur! cela ne vous arrivera point, il le reprit si fortement qu'il lui dit : Retire-toi de moi, Satan : tu es un scandale pour moi, parce que tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes (Matth. XVI, 29) ; et cela , bien qu'un peu auparavant il l'eût appelé bienheureux. Ainsi il lui paraissait si extraordinaire de n'être pas crucifié, qu'à celui qui avait reçu du Père une révélation spéciale, à celui qui avait été proclamé bienheureux, à celui qui avait pris en main les clefs des cieux, il donne le nom de satan, de pierre de scandale, et le réprimande comme ne goûtant pas les choses de Dieu, pour lui avoir dit : A Dieu ne plaise, Seigneur! il ne vous arrivera pas d'être crucifié. Eh bien ! après avoir ainsi repris son disciple, après s'être ainsi indigné contre lui jusqu'à l'appeler satan malgré les éloges qu'il venait de lui donner, et tout cela pour lui avoir dit : Vous ne serez pus crucifié, comment en arrive-t-il lui-même à ne vouloir plus être crucifié ? Comment, en outre, faisant le portrait du bon pasteur, dit-il que la plus grande preuve de sa vertu c'est de s'immoler pour ses brebis ? Car voici ses paroles : Moi, je suis le bon pasteur : le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Et il ne s'en tient pas là; il ajoute : Mais le mercenaire et celui qui n'est point pasteur, voyant le loup venir, laisse là les brebis et s'enfuit. (Jean, X, 11.) S'il est d'un bon pasteur d'endurer même la mort, et d'un mercenaire de ne pas vouloir s'y exposer , comment, tout en disant qu'il est le bon pasteur , demande-t-il à n'être pas immolé? Comment peut-il dire : Je donne ma vie de moi-même? (Ibid. 18.) Si c'est de vous-même que vous la donnez , pourquoi demandez-vous à un autre de rie pas la donner ? Comment saint Paul trouve-t-il en cela matière a le louer? disant : Qui étant en la forme de Dieu, n'a pas truque ce fût pour lui une usurpation de se faire égal à Dieu, mais il s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu (15) pour homme par les dehors. Il s'est humilié lui-même, s'étant abaissé jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (Philip. II, 6-8.) Et c'est de Jésus-Christ lui-même que viennent ces autres paroles : Et si mon Père m'aime, c'est parce que je quitte ma vie pour la reprendre. (Jean, X, 17.) Mais si, loin de suivre en cela sa propre volonté, il demande le contraire à son Père, comment son Père peut-il l'aimer précisément à cause de cela? Car nous n'aimons que ce qui est conforme à nos désirs. Comment donc saint Paul peut-il dire encore : Aimez-vous les,uns les autres, comme le Christ nous a aimés et s'est. livré lui-même pour nous ? (Ephés. V, 2.) Et le Christ lui-même, sur le point d'être crucifié, disait : Mon Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils (Jean, XVII, 1), appelant gloire sa croix. Et pourquoi tantôt la rejette-t-il, tantôt la demande-t-il? Que la croix soit une gloire, il suffit pour vous en convaincre d'écouter l'Evangéliste : L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. (Ibid. XVII, 39.)

Ce qu'il veut dire par là, le voici : La grâce n'avait pas encore été donnée, parce que la haine de Dieu n'était pas encore dissipée, la croix n'ayant pas encore été dressée. Car la croix a mis fin à la colère de Dieu contre les hommes, elle a réconcilié le Créateur avec la créature, fait de la terre un ciel, élevé les hommes au rang des anges, détruit l'empire de la mort, énervé la puissance du démon, brisé la tyrannie du péché, délivré la terre de toute erreur, ramené la vérité, chassé les démons, renversé les temples, anéanti les autels, fait évanouir la fumée des sacrifices, propagé le règne de la vertu et enraciné l'Eglise. La croix, c'est la volonté du Père, la gloire du Fils, la joie du Saint-Esprit; c'est en la croix que saint Paul se glorifiait: Pour moi, disait-il, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Gal. VI,14.) La croix, elle est plus brillante que le soleil, plus éclatante que ses rayons. Lorsque le soleil s'obscurcit elle brille, et s'il est obscurci, ce n'est pas qu'il soit anéanti, mais sa splendeur est effacée par celle de la croix. La croix a déchiré la cédule de notre dette, elle a rendu inutile la prison de la mort, elle nous a montré jusqu'où allait l'amour divin : Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point. (Jean, III, 16.) Et de nouveau saint Paul: Nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils. (Rom. V, 10.) La croix, c'est un rempart inexpugnable, une armure invincible, la sûreté des riches, la richesse des pauvres, une protection contre les embûches, un bouclier contre les ennemis, la destruction des passions, la possession de la vertu, le miracle étonnant et singulier entre tous : Cette génération demande un miracle, et il ne lui sera donné d’autre miracle que celui du prophète Jonas (Matth. XII, 39) ; et encore saint Paul : Car les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse; et nous, nous prêchons le Christ crucifié. ( I Cor. I, 22.) La croix a ouvert le paradis, y a introduit le bon larron et conduit vers le ciel le genre humain qui allait périr certainement et qui n'était même plus digne de la terre. Eh quoi ! tant de biens ont découlé et découlent encore de la croix, et Jésus-Christ ne veut pas être crucifié, croyez-vous? Mais qui pourrait parler ainsi? S'il ne l'avait pas voulu, qui l'aurait forcé? qui l'aurait contraint? Comment aurait-il envoyé des prophètes pour annoncer son crucifiement, s'il ne devait pas être crucifié et ne le voulait pas? Pourquoi appelle-t-il la croix un calice, si ce n'est parce qu'il doit être crucifié? Ce mot ne peut qu'indiquer quel était son désir. Ceux qui ont soif se réjouissent quand ils pensent qu'ils sont sur le point de boire, et lui se réjouit en pensant que le moment approche où il sera crucifié. C'est pourquoi il dit : J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous. (Luc, XXII, 15.) Ce n'est pas sans intention qu'il parle ainsi, mais parce que le lendemain la croix l'attendait.

3. Mais comment, après avoir appelé gloire sa passion, après s'être fâché contre le disciple qui voulait le détourner de la croix, après avoir proclamé que le caractère distinctif d'un bon pasteur c'était de se faire immoler pour ses brebis, après avoir dit qu'il désirait sa passion d'un grand désir et avoir couru vers elle de lui-même, comment, dis-je, peut-il demander qu'elle n'arrive pas? S'il ne le voulait pas, était-ce difficile à lui d'empêcher ceux qui venaient le prendre ? Voyez plutôt comme il vole au-devant de son supplice. Lorsqu'ils furent arrivés à lui, il leur dit : Qui cherchez-vous? Et ils répondirent : Jésus. Il leur dit alors: C'est moi, et ils furent renversés, et ils tombèrent parterre. (Jean, XVIII, 6.) Après les avoir aveuglés et leur avoir montré qu'il aurait pu s'enfuir, il se livra à eux pour nous (16) apprendre que ce n'est ni la nécessité, ni la force, ni la violence des ennemis qui l'a réduit en cet état, mais qu'il a tout supporté parce qu'il l'a voulu, qu'il l'a choisi, et que depuis longtemps il l'avait ainsi réglé. C'est pour cela que les prophètes l'avaient précédé, que les patriarches avaient prophétisé, et que tant de prédictions en paroles et en figures avaient annoncé la croix. Le sacrifice d'Isaac nous avait figuré la croix; aussi Jésus-Christ a dit : Abraham, votre père, a tressailli pour voir ma gloire; il l'a vue et il s'est réjoui. (Jean, VIII, 56.) Ainsi le patriarche se serait réjoui en voyant l'image de la croix, et Jésus voudrait éloigner cette croix ! Si Moïse vainquit Amalec, c'est parce qu'il préfigura la croix; parcourez l'Ancien Testament et vous verrez la croix annoncée de mille manières. Comment en eût-il été ainsi, si Celui qui devait être crucifié ne l'avait pas voulu ? Mats ce qui suit est encore plus difficile à expliquer. Après. avoir dit : Que ce calice passe loin de moi, il ajoute: Non ma volonté, mais la vôtre. (Matth. XXVI, 39.) Ces mots, à les prendre littéralement, nous indiquent, deux volontés opposées entre elles, le Père voulant que le Fils soit crucifié, et le Fils ne le voulant pas. Partout cependant nous voyons le Fils préférant et voulant les mêmes choses que son Père. En effet, lorsqu'il dit : Faites-leur cette grâce que, comme vous et moi nous sommes uns, ils soient aussi une seule chose en nous (Jean, XVII, 11), il fait entendre clairement que le Père et le Fils n'ont qu'un même vouloir. Et dans cet autre passage : Les paroles que je vous dis, ce n'est pas moi qui les dis; mais mon Père qui demeure en moi fait lui-même ce que je fais (Jean, XIV, 10), c'est la même vérité qui ressort. Et lorsqu'il dit : Je ne suis point venu de moi-même (Ibid. VII, 28), ou encore : Je ne puis rien faire de moi-même (Ibid. V, 30), il ne veut pas faire entendre qu'il soit privé du pouvoir ou de parler ou d'agir, loin de là, mais il veut montrer combien leurs volontés sont en harmonie, combien dans les paroles, dans les actions, partout enfin, la volonté du Père est la même que celle du Fils, ce que du reste j'ai déjà montré bien des fois. Ces mots : Je ne parle pas de moi-même, montrent non pas l'impuissance, mais le parfait accord. Comment donc expliquer ce passage: Non ma volonté,mais la vôtre?

Nous sommes arrivés à une grande difficulté; mais attention ! j'ai été long, sans doute, mais je sais que votre zèle ne se lasse pas, et je me hâte d'arriver à la solution. Pourquoi ces paroles? Appliquez-vous de toutes vos forces. Ce dogme de l'Incarnation est bien difficile à croire. Cet amour immense, ces abaissements incompréhensibles nous remplissent d'étonnement, et pour les admettre, nous avons besoin de nous y préparer longtemps. Voyez donc ce que c'est que d'entendre et que d'apprendre que Dieu, l'Ineffable, l'Incorruptible, l'Incompréhensible, l'Invincible, Celui qui tient dans ses mains la terre entière (Ps.XCXIV. 4), qui regarde la terre et elle tremble, qui touche les montagnes et elles s'embrasent (Ps. CIII, 32), dont la majesté, lors même qu'elle se tempère, accable les chérubins qui se couvrent de leurs ailes à sa vue, Celui qui surpasse toute intelligence, qui défie toute pensée, qui s'élève bien au-dessus des anges, des archanges, de toutes les puissances célestes, que Celui-là, dis-je, ait consenti à se faire homme, à se revêtir de cette chair formée de terre et de boue, à descendre dans le sein d'une vierge, à y demeurer captif pendant neuf mois, à se nourrir de lait, en un mot, à agir en tout comme les hommes. Or comme cette chose était si extraordinaire que, même après l'événement, beaucoup refusent de la croire, il a envoyé d'abord des prophètes pour l'annoncer. C'est ce que prédisait le Patriarche quand il s'écriait : C'est d'un bourgeon, mon Fils, que vous êtes sorti. Vous vous êtes couché et vous avez dormi comme le lion. (Gen. XLIX, 9.) Voici que la vierge, dit Isaïe, concevra et enfantera un fils dont le nom sera Emmanuel. (Is. VII. 12.) Et en un autre endroit : Nous l'avons vu comme un enfant, comme une racine dans une terre desséchée. (Ib. LIII, 2.) La terre desséchée, c'est le sain de la Vierge qui n'avait rien reçu de l'homme, mais qui avait enfanté son fils en dehors des lois de la nature. Un enfant, ajoute-t-il, nous est né, un fils nous a été donné. (Is. IX, 6,) Et encore: Il sortira une tige de la racine de Jessé et une fleur s'élèvera sur cette tige. (Is. XI, 1.) Et Baruch, dans Jérémie : C'est notre Dieu ; tout autre disparaîtra auprès de lui; il a trouvé la véritable vie, la véritable science, et il l'a communiquée à Jacob son serviteur et à Israël son bien-aimé. Ensuite il a apparu sur cette terre et il a conversé avec les hommes. (Bar. III, 36-38.) David prédisait aussi qu'il viendrait revêtu de notre chair : Il viendra comme la rosée sur la toison, comme une goutte d'eau (17) tombant sur la terre, pour marquer qu'il est descendu sans bruit et sans agitation dans le sein d'une vierge.

4. Cela toutefois ne lui a pas suffi : descendu parmi nous, de peur qu'on ne croie à une illusion, non-seulement il se fait voir, mais il se fait voir longtemps et passe par toutes les vicissitudes que subissent les hommes. Ce n'est pas tout d'un ; coup qu'il arrive à l'état d'homme complet et parfait, mais il descend dans lie sein d'une vierge, il est porté dans ses chastes entrailles, il est mis au monde, nourri de lait, il grandit afin que la longueur de l’épreuve et les changements successifs que le temps a menés nous soient un témoignage irrécusable : bien plus, il ne se contente. pas même de cette preuve; mais revêtu de notre chair, il permet que son humanité ne soit pas étrangère aux faiblesses de notre nature, à la faim, à la soif, au sommeil, à la fatigue; enfin, il la laisse à mesure qu'il avance vers la croix, éprouver ce qu'éprouvent les autres hommes. De là cette sueur qui découle de tout son corps, cet ange qui vient le fortifier, cette anxiété , cette affliction. Car avant de prononcer les paroles qui nous occupent, il avait dit : Mon âme est troublée, et elle est triste jusqu'à la mort. (Matt. XXVI, 38.) Si donc, après tout cela, l'esprit exécrable de Satan, par l'organe de Marcion du Pont, de Valentin, de Manichée le Perse et de tant d'autres hérétiques, a voulu nier la vérité de l'Incarnation et a fait retentir cette parole infernale que Jésus ne s'était pas incarné, qu'il n'avait pas revêtu notre chair, que tous ces dires n'avaient pas de base solide, que ce n'était qu'illusion et apparence, et cela malgré le témoignage éclatant que rendaient la vie de Jésus, ses souffrances, sa mort, son tombeau, sa faim, que serait-ce si ce témoignage avait manqué et combien le démon n'aurait-il pas répandu avec plus de succès ces détestables blasphèmes de l'impiété? C'est pourquoi, de même qu'il a été soumis et à la faim, et au sommeil, et à la fatigue, et à la soif, de même quand il voit la mort, se présenter, Jésus demande qu'elle s'éloigne, montrant par là qu'il a pris l'humanité, et avec elle les faiblesses de notre nature, qui ne peut sans douleur souffrir la destruction de la vie présente. Si Jésus n'avait pas prononcé les paroles gué j'essaye de vous expliquer, c'est alors que le démon aurait pu dire : s'il était homme, il aurait dû éprouver ce qu'éprouvent les hommes, c'est-à-dire, à la vue de la croix être saisi de crainte et de terreur, ne pas rester sans gémir en se voyant arracher à la vie de ce inonde : car l'amour des choses présentes est naturel en nous. Aussi voulant nous assurer qu'il avait pris notre chair, et confirmer la réalité de son incarnation, il met dans la plus grande évidence les douleurs qu'il souffre.

Voilà ma première réponse ; en voici une autre qui n'est pas moins forte. Ecoutez : Le Christ, descendu parmi nous, voulait nous enseigner toute vertu; mais tout maître enseigne aussi bien par ses actions que par sa parole c'est même là le meilleur moyen d'instruire. Le pilote fait asseoir son élève auprès de lui, lui montre comment il faut tenir le gouvernail et joint la parole à l'exemple, il ne se contente point de parler, il ne se contente point d'agir uniquement. Le maçon qui veut enseigner à un apprenti comment on bâtit un mur, l'instruit par la parole, l'instruit par l'action. Il en est de même du tisserand, du tapissier, de l'orfèvre, de tout art en un mot: partout on enseigne et par la parole et par l'action. Donc, comme Jésus était venu pour nous apprendre toute vertu, non content de nous dire ce qu'il faut faire, il le fait lui-même. Celui qui fera et enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. (Matth. V, 19.) Voyez ! il nous a ordonné d'être humbles et doux; il nous l'a enseigné par ses paroles, remarquez comme il nous l'enseigne aussi par ses actions. C'est en disant: Bienheureux les simples d'esprit, bienheureux ceux qui sont doux (Matth. V, 3, 4), qu'il nous en a donné le précepte. Comment l'a-t-il pratiqué? Ayant pris un linge il s'en ceignit et lava les pieds de ses disciples. (Jean, XIII, 4, 5.) Que pourra-t-on trouver de comparable à cette humilité? Ce n'est donc pas seulement par la parole qu'il enseigne cette vertu, c'est encore par l'action. Il nous montre aussi par ses actions qu'il faut être doux et ne point garder de rancune. Comment cela? Ayant reçu un soufflet d'un des esclaves du grand prêtre, il se contente de lui dire : Si j'ai mal parlé, rends témoignage du mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? (Jean, XVIII, 23.) II nous a commandé de prier pour nos ennemis; il nous l'enseigne aussi par ses actes ; élevé sur la croix, il dit : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XVIII, 34.) (18) C'est parce qu'il nous a ordonné de prier pour nos ennemis qu'il prie lui-même pour eux, bien qu'il pût leur pardonner de son propre chef. Il nous a encore commandé de faire du bien à ceux qui nous haïssent et nous affligent (Matth. V, 44); il l'a fait lui-même en maintes circonstances; il délivrait du démon les Juifs, les Juifs qui l'appelaient possédé du démon; il faisait du bien à ses persécuteurs, il nourrissait ceux qui lui dressaient des embûches, et à ceux qui voulaient le crucifier il ouvrait son royaume. Il disait à ses disciples : Ne possédez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures (Matth. X, 9), et les exhortait par là à la pauvreté; il nous enseigne ce précepte aussi par ses actions : Les renards, disait-il, ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. (Matth. VIII, 20.) Il n'avait ni table, ni maison, ni rien de semblable, non qu'il ne pût s'en procurer, mais parce qu'il voulait nous apprendre à suivre cette voie. C'est de la même manière qu'il nous a appris à prier. Les apôtres lui disaient : Enseignez-nous à prier. (Luc, XI, 1.) Et il prie pour qu'ils apprennent à prier. Mais il fallait leur enseigner, outre la nécessité de prier, la manière de le faire. Aussi leur donna-t-il une prière ainsi conçue: Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour et pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons â ceux qui nous ont offensés, et ne nous induisez point en tentation (Luc, XI, 2, 4), c'est-à-dire, en péril, en embûches. Comme donc il leur avait enseigné cette prière, ne nous induisez point en tentation, il la leur enseigne encore par son exemple, quand il dit : Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi; et il leur montre que les saints ne provoquent pas les dangers, qu'ils ne s'y précipitent pas; que, quand les dangers arrivent, ils restent fermes, à la vérité, et déploient fout leur courage, mais qu'ils ne s'y jettent pas et ne les affrontent pas d'eux-mêmes. Quoi encore ? il veut nous enseigner l'humilité et nous délivrer de la présomption. C'est pour cela qu'il est dit au même endroit: S'étant avancé, il pria; et qu'après sa prière il dit à ses disciples : Vous n'avez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez afin que vous n'entriez point en tentation. Vous le voyez, il ne se contente pas de prier, il exhorte encore : car, dit-il, l'esprit est prompt, mais la chair est faible. (Matth. XXVI, 39, 41.) Il le fait pour chasser de leur âme l'orgueil et la vanité, pour les rendre humbles et modestes. Donc, la prière qu'il voulait leur enseigner, lui-même la pratiqua, humainement sans doute et non comme Dieu (la Divinité étant impassible et immuable), mais seulement comme homme. Il pria pour nous apprendre à prier et à demander toujours que les dangers s'éloignent de nous, et, si cela ne nous est pas donné, à nous soumettre avec amour au bon plaisir de Dieu. C'est pour cela qu'il dit : Non ma volonté, mais la vôtre, non que sa volonté diffère de celle de son Père, mais pour apprendre aux hommes que, dans leurs appréhensions, leurs craintes, au milieu du danger, et même quand ils se voient arracher à la vie présente, ils doivent toujours préférer à leur propre volonté la volonté de Dieu. Saint Paul, voulant nous apprendre les mêmes choses, nous en donna l'exemple par ses actions ; d'abord il demande que les dangers s'éloignent de lui : C'est pour cela, dit-il, que j'ai prié trois fois le Seigneur (II Cor.X, 2); et comme Dieu ne voulut pas le délivrer, il ajoute : Je me glorifierai encore plus dans mes faiblesses, dans les outrages, dans les persécutions. Ce que j'ai dit est-il obscur? je vais le rendre plus clair. Saint Paul était environné de dangers et il demandait à en être délivré. Il avait entendu le Christ lui dire : Ma grâce te suffit; car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse. Lorsqu'il vit que telle était la volonté de Dieu, il lui sacrifia sa volonté propre. Il nous apprit donc par sa prière ces deux choses: d'abord à ne pas courir au-devant du danger, et à demander d'en être délivré, ensuite, s'il arrive, à le supporter avec courage et à préférer à sa propre volonté la volonté de Dieu. Nous qui connaissons toutes ces choses, prions donc pour ne jamais entrer en tentation, et, si nous y entrons, supplions notre Dieu de nous donner patience et courage, et préférons toujours la volonté de Dieu à notre volonté. Par là nous achèverons dans la tranquillité notre vie terrestre et nous posséderons un jour les biens éternels; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, soient gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LE PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT.

Qu’il est différent de celui dont parle saint Jean, et de l'égalité du Père et du Fils.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

Dans l'exorde de cette homélie, saint Chrysostome dit qu'il avait fait depuis peu un discours sur le paralytique de trente-huit ans; ce qui désigne, sans aucun doute, la douzième homélie contre les Anoméens (voyez tome II), dans laquelle il prouve, par la guérison miraculeuse de ce paralytique, que le Fils est égal au Père en puissance. Il fit, comme l'on croit. cette homélie en 398, étant déjà évêque de Constantinople; ainsi il faut rapporter vers le même temps l'homélie sur le paralytique descendu par le toit.

1° Nature des richesses spirituelles, elles ne s'épuisent jamais. L'histoire du paralytique nous apprend à supporter les épreuves de la vie. — 2° Dieu est toujours père et médecin soit qu'il use dg sévérité, soit qu'il use d'indulgence. Le secours de la grâce divine est nécessaire. — 3° L'orateur passe au second paralytique. Les Evangélistes ne se contredisent pas. — 4° Différences des deux paralytiques. — 5° Grande foi du paralytique. — 6° Le Christ démontre sa divinité. — 7° La rémission des péchés.

8° Exhortation à la patience dans les peines.

1. Quand nous avons dernièrement parlé du paralytique qui gisait dans son lit auprès de la piscine, nous avons trouvé un grand et magnifique trésor, non en creusant la terre, mais en examinant les sentiments de ce malade; nous avons trouvé un trésor, non d'or, d'argent et de pierres précieuses, mais de force, de sagesse, de patience, d'espoir en Dieu : ce qui vaut mieux que l'or et la richesse. La richesse matérielle vous expose aux embûches des voleurs, à la langue des calomniateurs, aux attaques des brigands, aux crimes de vos propres esclaves, et si vous évitez tout cela, elle ne vous en causera pas moins les plus grands malheurs en attirant sur vous les regards de l'envie et vous suscitant mille tempêtes. La richesse spirituelle échappe à tous ces périls, nul accident ne peut l'atteindre dans la haute région où elle est placée, elle se rit des voleurs, des brigands, des envieux, des calomniateurs, et même de la mort. La mort ne la sépare pas de celui qui la possède; au contraire, c'est après la mort surtout qu'elle lui est assurée, qu'elle le suit, qu'elle habité avec lui dans la vie future, qu'elle plaide puissamment en sa faveur et lui rend le juge propice.

Nous avons trouvé ces richesses cachées en abondance dans l'âme du paralytique. Je vous en atteste, vous qui avez mis toute votre ardeur à creuser cette mine, sans l'épuiser toutefois. Car telle est la nature de la richesse spirituelle; elle est comme l'eau qui coule sans tarir, elle est plus abondante encore : car elle croît à mesure qu'augmente le nombre de ceux qui viennent puiser à ses sources. Elle entré dans l'âme de chacun et se communique sans se diviser ni s'amoindrir, elle se donne tout entière, et elle reste tout entière sans pouvoir être jamais épuisée, sans pouvoir jamais manquer : c'est ce qui est arrivé en cette circonstance. Vous vous êtes jetés en foule sur ce trésor, chacun de vous y a puisé largement selon ses forces; et que parlé-je de vous, c'est depuis Notre-Seigneur que des milliers et des milliers d'hommes s'y enrichissent, et néanmoins il (20) de traitement pour procurer au corps sa santé; et pour leur âme qui languit, ils n'éprouveront nul souci, ils ne feront rien pour recouvrer une santé si précieuse, quoiqu'ils sachent bien que le corps doit mourir et disparaître, qu'il est passager comme les fleurs du printemps, que comme elles il se fane, se flétrit, se corrompt; que l'âme au contraire est immortelle, qu'elle a été faite à l'image de Dieu, et que c'est elle qui a mission de gouverner ce corps animal. Ce qu'est le cocher au char, le pilote au navire, le musicien à l'instrument, le Créateur a voulu que l'âme le fût à ce corps de boue. C'est elle qui tient les rênes, qui dirige le gouvernail, qui touche les cordes, et lorsqu'elle s'acquitte bien de sa fonction, il en résulte comme un harmonieux concert de vertu ; lorsqu'au contraire elle fait vibrer les cordes ou trop faiblement ou plus fort qu'il ne faut, art et harmonie, tout disparaît. Voilà cette âme que négligent la plupart des hommes, qu’ils ne jugent pas digne d'un moment d'attention, tandis que toute leur vie sera employée à s'occuper du corps; les uns embrassent la carrière maritime, ils vont combattre contre les flots et les tempêtes, portant partout avec eux la vie et la mort, confiant à un fragile bois à toutes les espérances de leur salut; d'autres se vouent au pénible soin de cultiver la terre, tantôt la remuant profondément avec la charrue, tantôt l'ensemençant puis moissonnant; tantôt plantant puis recueillant, et leur vie se passe tout entière dans ces accablants travaux. Celui-ci se livre au commerce aussi voyagera-t-il et sur terre et sur mer ; à son pays il préférera les pays étrangers, il quittera patrie, famille, amis, parents, enfants même, pour aller chercher un peu d'argent sur une terre inhospitalière. Et pourquoi énumérer les professions nombreuses que les hommes n'ont inventées que pour les besoins de leur corps dans lesquelles ils s'emploient , et le jour et la nuit pour soigner ce qu'il y a en eux de moins noble, tandis que, pour leur âme, ils la laissent abandonnée à la faim, à la soif, à la misère la plus sordide et la plus repoussante, en proie à mille maux divers? Et après ces travaux, après toutes ces peines, ils n’y auront pas rendu supérieur à la mort leur corps . mortel, mais ils auront précipité dans des supplices sans fin et le corps mortel et l'âme immortelle.

2. Aussi, . déplorant l'aveuglement qui s'est emparé de ces hommes, je voudrais, pour dissiper les ténèbres épaisses qui les entourent, m'élever en un lieu d'où j'apercevrais toutes les générations des hommes, je voudrais être doué d'une voix qui pénétrât jusqu'aux extrémités de la terre, d'une voix qui se fit entendre de tous, pour proclamer et faire retentir partout cette parole de David : Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, recherchez-vous le mensonge (Ps. IV. 3), et préférez-vous aux choses célestes les choses qui passent ? Jusques à quand aurez-vous les yeux fermés et les oreilles closes pour ne pas entendre cette voix qui vous crie chaque jour : Demandez et il vous sera donné; cherchez et vous trouverez; frappez et il vous sera ouvert; car quiconque demande reçoit; et qui cherche trouve, et à qui frappe il sera ouvert ? (Matt. VII, 7, 8.) Mais comme il y en a qui mènent une vie imparfaite, se précipitent vers les choses du temps, se plaisent dans les pensées de la chair, ne savent pas prier convenablement, notre commun Maître a voulu enseigner la manière de prier, disant : Quand vous prierez, ne parlez pas beaucoup comme les païens; ils s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés. (Matth. VI, 7.) Il veut empêcher cette abondance qui se répand en paroles et qui ne sert à rien.

Par ce flux d'inutiles paroles qu'il défend, le Seigneur nous donne à entendre que dans la prière il ne faut pas demander les choses passagères et périssables. Ne demandez donc pas la beauté du corps que le temps flétrit, que la maladie enlève, que la mort fait disparaître car telle est la beauté du corps. C'est une fleur éphémère, qui paraît dans le printemps de la jeunesse et qui bientôt se fane sous l'action du temps. Et si vous voulez voir ce qui la soutient, vous aurez bientôt appris à la mépriser C'est l'humeur, le sang, le suc de la nourriture que nous avons prise : voilà ce qui circule dans les yeux, les joues, le nez, le front, les lèvres, en un mot dans le corps tout entier, et sucette circulation disparaît, la beauté du visage disparaît aussi. Ne demandez pas l'abondance des richesses, des richesses qui, comme les eaux d'un fleuve, s'écoulent et s'enfuient, qui passent tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, qui échappent à leurs possesseurs, qui ne peuvent rester à ceux qui les aiment, qui amènent avec elles des envieux, des (21) voleurs, des calomniateurs, toute sorte de maux, incendies, naufrages, attaques, séditions, infidélités même dans notre maison, vols de créances, faux en écritures, et tous ces accidents auxquels ceux qui aiment les richesses sont exposés par leur fortune même. Ne demandez pas les dignités : car elles aussi amènent mille maux, soucis redoutables, insomnies continuelles, piéges de la part des envieux, machinations perfides de la part des ennemis, sophismes des rhéteurs qui sous leurs beaux discours déguisent la vérité et la rendent presque insaisissable, grave péril pour les juges. Il en est dont les prières se répandent en paroles nombreuses et inutiles pour demander au Dieu tout-puissant ces choses et autres semblables, tandis qu'ils n'attachent aux biens réels aucun intérêt. Ce n'est,pas le malade qui apprend au médecin l'utilité de tel ou tel remède ; il n'a qu'à se soumettre à ceux qu'on lui donne, quelque pénible que doive être le traitement. Ce ne sont pas les passagers qui disent au pilote comment il faut tenir le gouvernail et diriger le navire; mais, restant sur le pont, ils se fient à son expérience, non-seulement quand la navigation est heureuse, mais encore quand ils se voient exposés à des dangers extrêmes. C'est seulement lorsqu'ils ont affaire à Dieu, qui sait pourtant ce qu'il leur faut pour leur bonheur, que les hommes ont l'esprit assez mal fait pour ne pas s'en rapporter entièrement à lui ; mais ils demandent comme utile ce qui leur serait. nuisible, semblables à un malade qui prierait le médecin de lui donner non ce qui peut faire disparaître la maladie, mais ce qui en entretiendrait et en nourrirait la cause. Le médecin se garderait d'écouter la demande du malade , même quand il le verrait pleurer et gémir; il ne suivrait que sa science, et cette insensibilité, nous l'appellerions non cruauté, mais humanité; s'il obéissait au malade et lui fournissait ce qu'il demande, il agirait envers lui comme un ennemi : mais en lui résistant et combattant ses désirs, il ne montre pour bi que de la bienveillance et de la charité : de même le médecin de nos âmes ne saurait écouter des demandes qui tourneraient au détriment de ceux, qui les font. Les pères qui. aiment leurs enfants ne leur fournissent, quand ils sont encore jeunes, ni épées ni charbons de feu; ils savent bien que. ce leur serait un funeste présent. Et il y en a cependant qui sont assez insensés pour demander à Dieu non-seulement la beauté corporelle, la richesse, la puissance, mais encore la malédiction et des châtiments terribles pour leurs ennemis, et ce Dieu dont ils recherchent la faveur et les bonnes grâces, ils appellent ses colères et ses sévérités sur leurs ennemis. Le Seigneur les blâmant par avance nous ordonne de ne pas parler longtemps dans nos prières; il nous enseigne ce qu'il y faut dire, et en peu de paroles il nous instruit de toutes les vertus : ces paroles ne nous apprennent pas seulement à bien prier, mais elles suffisent pour régler toute notre vie.

3. Quelles sont-elles et quel en est le sens? voilà ce qu'il nous faut rechercher avec soin, pour les observer fidèlement comme des lois divines. Notre Père qui êtes aux cieux. (Matth. VI, 9 et suiv.) Quel excès de charité! Quelle sublime élévation ! Par quelles paroles dignement remercier Celui qui nous a comblés de tant de biens ! Considérez, mes chers auditeurs, la bassesse de notre commune nature, examinez notre origine et vous n'y trouverez rien que boue, que cendre, que poussière; formés de terre, nous retournerons en terre après notre mort. Puis, admirez l'insondable abîme de la bonté de Dieu qui veut que nous lui donnions le nom de Père, nous terrestres à lui qui habite le ciel, nous mortels à lui immortel, nous corruptibles à lui incorruptible, nous qui passons à lui qui demeure, nous qui ne faisons que de sortir de la boue à lui qui est Dieu de toute éternité. Toutefois, s'il vous permet de prononcer ce nom, il ne veut pas que ce soit en vain, mais bien afin que, respectant le nom de Père que lui donne votre bouche, vous imitiez sa bonté, comme il dit en un autre endroit : Devenez semblables à votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes; (Matth. V, 45.) Vous ne pouvez appeler votre Père, le Dieu de toute bonté, si vous gardez un coeur cruel et inhumain; car, dans ce cas, vous n'avez plus en vous la marque de bonté du Père céleste ; mais vous êtes descendus au rang, des bêtes féroces, vous êtes déchus de votre noblesse divine, vous êtes dégénérés selon cette parole de David : L’homme n'a pas compris la gloire à laquelle il était élevé ; il est devenu comparable aux animaux privés de raison, et il s’est fait semblable à eux. (Ps. IV; VIII, 21.) Quoi ! cet homme s’élance comme le taureau, frappe (22) du pied comme l'âne, garde rancune comme le chameau, s'emplit le ventre comme l'ours, dérobe comme le loup, pince comme le scorpion, est rusé comme le renard, hennit après les femmes comme le cheval après les cavales, et il pourrait faire entendre la parole des enfants et appeler Dieu du nom de Père ! Mais comment faudrait-il l'appeler lui-même ? Bête féroce? Mais de tous les vices que je viens d'énumérer les animaux n'en ont qu'un, et celui-ci les réunit tous et il a moins de raison que les animaux mêmes. Que dis-je, bête féroce? Mais il est pire que les animaux. Ceux-ci, quoique féroces par nature, peuvent, par le soin de l'homme, s'apprivoiser. Mais celui qui 'est homme, et qui change la férocité naturelle des animaux en une douceur qui ne leur est pas naturelle, quelle excuse aura-t-il donc, lui qui change la douceur qui lui est naturelle en une férocité qui ne lui est pas naturelle, lui qui peut rendre doux ce qui est cruel par nature et qui se rend cruel lorsque, par nature, il est doux, lui qui apprivoise le lion et le rend docile, et qui change son propre coeur en un coeur plus cruel que celui du lion ! Il y a deux obstacles à vaincre chez le lion, puisqu'il est privé de raison et qu'il est le plus féroce des animaux; et pourtant la sagesse que Dieu nous a donnée dompte cette nature rebelle. Et celui qui triomphe de la nature des animaux va perdre l'avantage que la nature lui a donné ! le lion, il le fait homme, et il lui est indifférent de faire de lui-même un lion ! Au lion il donne ce qui est au-dessus de sa nature, et à lui-même il refuse ce qui est de sa nature ! Comment donc pourrait-il appeler Dieu son Père? Un homme plein de bonté et de charité pour son prochain, un homme qui, loin de se venger des injures reçues, ne rend que le bien pour le mal, celui-là seul peut sans crainte appeler Dieu son Père. Voyez maintenant et saisissez toute la force de ces paroles : elles nous font une loi de nous aimer les uns les autres, elles nous resserrent tous dans le lien d'une charité mutuelle. Le Seigneur ne nous a pas commandé de dire, mon Père qui êtes aux cieux, mais bien notre Père qui êtes aux cieux, afin que, sachant que nous avons un Père commun, nous éprouvions les uns pour les autres un amour fraternel. Ensuite pour nous apprendre à nous détacher de la terre et des choses de la terre, à ne pas nous courber sans cesse vers elle, mais à saisir les ailes de la foi, à prendre notre essor, à traverser les airs, à passer au delà des régions éthérées, à chercher celui que nous appelons notre Père, il nous a ordonné de dire : Notre Père qui êtes aux cieux, non que Dieu ne se trouve que dans les cieux, mais pour que nous qui sommes actuellement attachés à la terre, nous levions les yeux au ciel, et qu'admirant la beauté des biens qui nous y attendent, nous aspirions vers eux de tout notre coeur.

4. Telle est la première parole; écoutez maintenant la seconde : Que votre nom soit sanctifié. Ce serait une folie de croire qu'il demande pour Dieu un accroissement de sainteté, par ces paroles: Que votre nom soit sanctifié, car il est saint, tout à fait saint, saint par excellence. Et les séraphins, dans des chants continuels, lui adressent cet hymne : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées; le ciel et la terre sont remplis de sa gloire. Comme ceux qui, acclamant les monarques, les appellent rois et empereurs, n'ajoutent rien à leurs prérogatives, mais ne font que proclamer celles qu'ils possèdent; de même nous ne donnons pas à Dieu une sainteté qu'il n'aurait pas, lorsque nous lui disons : Que votre nom soit sanctifié; nous proclamons seulement celle qu'il a : car, l'expression qu'il soit sanctifié, se dit au lieu de : qu'il soit glorifié. Cette parole nous apprend à diriger notre vie dans le chemin de la vertu, afin qu'en nous voyant, les hommes glorifient notre Père céleste, selon ce qui est dit en un autre endroit de l'Evangile : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres e’ qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 16.) Puis Jésus-Christ nous enseigne à dire : que votre règne arrive. Tyrannisés par les concupiscences charnelles, assaillis de mille tentations, nous avons besoin du règne de Dieu, de peur que le péché ne règne dans ce corps mortel et ne le rende esclave des passions, de peur encore que nos membres ne deviennent des instruments d'iniquité pour le péché, mais afin qu'ils soient des instruments de justice aux mains de Dieu et que nous nous rangions dans l'armée du Roi des siècles. Cette parole nous apprend encore à ne pas trop nous attacher à cette vie mortelle, mais à fouler aux pieds les choses présentes, à désirer les choses futures comme étant seules stables, à rechercher le royaume du ciel et de l'éternité, à ne pas mettre notre (23) bonheur dans les choses qui peuvent nous plaire ici-bas, ni dans la beauté des corps, ni dans l'abondance des richesses, ni dans les grandes possessions, ni dans le luxe des pierreries, ni dans la magnificence des maisons, ni dans les dignités et les honneurs, ni dans la pourpre et le diadème, ni dans les festins, dans les mets exquis, dans les plaisirs quels qu'ils soient, mais à répudier avec mépris ces faux biens, pour tendre de tous nos efforts vers le seul règne de Dieu. Après nous avoir enseigné le détachement du monde, le Seigneur ajoute: Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel; il nous a inspiré l'amour des biens à venir, il nous les a fait désirer avec ardeur, et quand il a jeté cette flamme dans notre coeur, il dit : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, comme s'il disait : O vous, notre Roi, accordez-nous de vivre comme ceux qui sont au ciel, afin que ce que vous voulez nous le voulions aussi. Secourez notre volonté qui faiblit, qui voudrait accomplir vos préceptes, mais qui en est empêchée par la fragilité du corps. Tendez-nous une main secourable, à nous qui voudrions courir et qui ne pouvons que nous traîner. Notre âme a des ailes, mais alourdies par la chair; elle s'élance vers le ciel, mais la chair la fait retomber lourdement sur la terre; avec votre secours tout lui deviendra possible, même ce qui est impossible. Que votre volonté donc soit faite sur la terre comme au ciel.

5. Comme il vient de nommer la terre, et qu'à des créatures, sorties de la terre, vivant sur la terre, portant un corps formé de la terre, il faut un aliment conforme à leur nature, Jésus-Christ devait nécessairement ajouter: Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance. Il veut que nous demandions le pain nécessaire à notre subsistance, non le superflu, mais le nécessaire, ce qui suffit à réparer les pertes que le corps subit sans cesse et à l'empêcher de mourir de faim, non des tables voluptueuses, non des mets variés, non des festins préparés avec une savante industrie, non des pâtisseries délicates, non des vins aux parfums de fleurs, et tous ces autres raffinements qui flattent le palais, mais qui accablent l'estomac, qui appesantissent l'esprit, qui font que le corps se révolte contre l'esprit, semblable à un cheval rebelle au frein comme à la voix de son cavalier. Ce n'est pas là ce que la parole de Dieu nous enseigne à demander, mais le pain nécessaire à notre subsistance , c'est-à-dire qui s'assimile au corps et le fortifie. Et ce pain, il ne nous ordonne pas de le demander pour un grand nombre d'années, mais seulement pour le jour présent. Ne soyez pas inquiets, nous dit-il, pour le lendemain. (Matth. VI, 34.) Pourquoi vous inquiéteriez-vous du lendemain, vous qui ne verrez pas le lendemain, qui travaillerez sans recueillir les fruits de votre travail? Confiance en ce Dieu qui donne à toute chair sa nourriture ! (Ps. CXXXV, 25.) Celui qui vous a donné votre corps, qui d'un souffle de sa bouche a créé votre âme, qui vous a doué de raison, qui, même avant votre création, vous avait préparé tant de biens, vous abandonnera-t-il après votre création, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et sur les injustes? (Matth. V, 45.) Placez donc en lui votre confiance, ne lui demandez que la nourriture du jour présent, lui laissant le soin du lendemain, comme disait le bienheureux David : Abandonne au Seigneur le soin de ta personne et il te nourrira. (Ps. LIV, 23.)

Après nous avoir enseigné dans les paroles précédentes la plus sublime philosophie, sachant qu'il est impossible qu'étant hommes et revêtus d'un corps mortel nous ne tombions pas, il nous a appris à dire: Et pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Cette demande renferme trois préceptes salutaires: à ceux qui sont parvenus à un haut degré de vertu Jésus-Christ apprend qu'ils ne doivent pas cesser d'être humbles, ni se confier en ce qu'ils ont fait de bien, mais craindre et trembler et se souvenir de leurs iniquités passées, comme le faisait le grand Paul qui, après tant de bonnes oeuvres, disait : Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (I Tim. I, 15) : il ne dit pas j'étais, mais je suis, montrant par là que le souvenir du passé lui était sans cesse présent. A ceux donc qui sont arrivés à la perfection, Notre-Seigneur par ces paroles indique que l'humilité doit être leur sauvegarde. A ceux qui sont tombés après la grâce du saint baptême, loin de les laisser désespérer de leur salut, il apprend à demander au médecin des âmes le pardon qui les guérira. En outre il nous donne à tous une leçon de charité. Il veut que nous soyons indulgents pour les coupables, sans ressentiment contre ceux qui nous ont (24) offensés : si nous pardonnons, on nous pardonnera, et c'est nous qui fournissons la mesure du pardon qui nous sera accordé. Car nous demandons d'obtenir autant que nous aurons accordé, nous demandons une indulgence proportionnée à celle que nous aurons eue nous-mêmes. Après cela, Jésus-Christ nous ordonne de dire: Et ne nous induisez pas en tentation; mais délivrez-nous du mal. Il nous arrive bien des maux causés par les démons, bien des maux causés par les hommes, soit qu'ils nous tourmentent ouvertement, soit qu'ils nous tendent des piéges cachés. Le corps, s'il se soulève contre l'âme, nous cause un grave dommage; s'il tombe dans les innombrables maladies qui nous assiègent, il ne nous amène que douleurs et afflictions. Puis donc que de toutes parts nous sommes exposés à des maux si nombreux et si divers, Notre-Seigneur nous apprend à demander au Dieu tout-puissant d'en être délivrés. Car devant celui qu'il protège, la tempête s'apaise, les flots redeviennent tranquilles, le démon s'enfuit confus, comme autrefois quand, se retirant des hommes, il entra dans le corps des pourceaux; ce que même il n'osa pas faire sans permission. S'il n'a pas même de pouvoir sur des pourceaux, en aura-t-il sur des hommes vigilants et humbles, gardés par le Dieu qu'ils adorent comme leur maître et leur roi? Aussi à la fin de cette prière nous montre-t-il qu'à Dieu appartiennent la royauté, la puissance et la gloire, en disant: A vous sont la royauté, la puissance et la gloire pour toute l'éternité (1) : Ainsi soit-il. Comme s'il disait : je vous demande tout cela parce que je vous reconnais comme le Maître universel de toutes choses, comme ayant une puissance qui ne finira jamais, pouvant tout ce que vous voulez, possédant une gloire qu'on ne peut vous ravir. Pour tous ces motifs, rendons grâces à Celui qui a daigné nous accorder tant de biens, et proclamons qu'à Lui convient toute gloire, tout honneur et toute puissance; à Lui, dis-je, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1 Cette conclusion de l'oraison dominicale se trouve dans les bibles grecques, mais non dans la Vulgate.

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LA NÉCESSITÉ DE RÉGLER SA VIE SELON DIEU. SUR LE TEXTE : LA PORTE EST ÉTROITE. Explication de l'Oraison Dominicale.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

1° et 2° Dans cette homélie, l'orateur, après avoir montré combien les fidèles doivent être attentifs aux oracles de 1'Evangile; après avoir fait voir, en citant ces passages : La porte de la vie est étroite..... La parte de la perdition est large....., combien peu de chrétiens sont occupés de leur âme et des objets célestes, combien au contraire sont livrés aux soins du corps et aux objets terrestres; l'orateur, dis-je, après ces réflexions préliminaires, passe à la prière, comme au sujet qu'il veut traiter. Il reproche à la plupart des hommes de demander à Dieu des biens fragiles et périssables, la beauté, les richesses, les honneurs, et de ne pas s'en rapporter à lui pour les biens qui leur sont vraiment utiles; il s'élève contre ces rimes vindicatives qui prétendent intéresser dans leur vengeance , le Ciel même qui condamne la vengeance. — 3° 4° et 5° Jésus-Christ nous apprend comment nous devons prier. Un éloge de l'Oraison Dominicale est suivi de l'explication de cette excellente prière , dont tous les articles sont expliqués et enchaînés avec beaucoup d'art et de naturel.

On ne peut pas fixer la date de cette homélie. Quelques savants doutent qu'elle soit de saint Jean Chrysostome. L'éditeur bénédictin pense le contraire; il juge avec raison qu'elle est vraiment digne de cet orateur, soit pour le fond des choses, soit pour la beauté du style.

1. La lecture de l'Écriture sainte est toujours pour ceux qui la font avec attention une leçon de vertu; mais les Evangiles surtout renferment, dans leur texte vénéré, la doctrine la plus sublime ; les paroles qu'ils contiennent sont les oracles mêmes du grand Roi. Aussi menace-t-il d'un châtiment terrible ceux qui ne mettent pas tous leurs soins à garder ses commandements. Si, pour enfreindre les ordres d'un prince de la terre, on encourt une punition inévitable, combien plus des tourments intolérables accableront-ils celui qui aura violé les ordres du Maître des cieux ! Puis donc que la négligence nous expose à de tels dangers, appliquons-nous avec plus de soin que jamais à comprendre les paroles qui viennent d'être lues, paroles tirées de l'Évangile. Or, quelles sont-elles? Combien est étroite la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie, et qu'il en est peu qui la trouvent! et encore Large est la porte et spacieuse la voie qui mène à la perdition, et nombreux sont ceux qui la suivent. (Matth. VII, 14.) Pour moi qui entends fréquemment ces paroles et qui vois combien les hommes s'empressent à des soins inutiles, la vérité de ces sentences me jette dans la stupéfaction. Tous marchent dans la voie spacieuse, tous courent après les choses présentes sans s'occuper le moins du monde des choses futures; ils se plongent sans cesse dans les jouis. sauces de la chair et pour leurs âmes ils les laissent s'abîmer dans la fange; ils reçoivent chaque jour mille blessures et n'ont même pas le sentiment des maux qui les dévorent : leur corps est-il blessé, ils font en toute hâte chercher le médecin, l'appellent chez eux, lui donnent un salaire aussi grand qu'ils le peuvent, supportent tout avec patience, se soumettent à un difficile (26) meure dans son intégrité. Ne nous lassons donc pas de puiser à cette source intarissable de richesses spirituelles; venons encore aujourd'hui y remplir nos âmes; contemplons la charité du Maître et la patience de l'esclave. Affligé depuis trente-huit ans d'une maladie incurable, tourmenté continuellement, il ne se plaignit pas, il ne fit pas entendre une parole répréhensible, il n'accusa pas Celui qui l'avait ainsi traité, mais il supporta ce malheur avec courage et patience. — Et comment le savez-vous? me dira-t-on; la sainte Ecriture ne nous a rien appris de sa vie antérieure ; elle nous a dit seulement que sa maladie durait depuis trente-huit ans; mais qu'il n'y ait eu chez lui ni plainte, ni emportement, ni colère, elle ne l'a pas ajouté. — C'est cependant ce qu'elle vous montrera avec évidence, si vous voulez lire avec une attention sérieuse et non superficielle et momentanée. En le voyant en présence du Christ qui vient le trouver, qui ne lui est pas connu, qu'il ne croit encore être qu'un homme, en le voyant, dis-je, si réservé dans son langage, n'en pouvez-vous pas conclure quelle a été sa conduite antérieure? Car, à cette question : Voulez-vous être guéri ? il ne répond pas comme on aurait pu s'y attendre Vous me voyez gisant ici paralytique depuis tant d'années; et vous Me demandez si je veux être guéri? Vous êtes donc venu insulter à mes souffrances, vous en moquer et mire de mon malheur? Il ne dit rien de semblable; mais avec une parfaite tranquillité d'âme : Oui, Seigneur, répond-il. Mais si après trente-huit ans il était si calme, si paisible, alors- que toute force d'âme devait être brisée chez lui, figurez-vous quelle devait être sa patience au commencement de sa maladie. Car, tout le monde sait que les malades ne sont pas aussi moroses au début de leurs maladies que lorsqu'il y a déjà longtemps qu'ils souffrent : ils deviennent très-difficiles, lorsque leur maladie traîne en longueur; ils deviennent parfois insupportables. Celui-ci donc qui après tant d'années se montre si calme et répond avec tant de patience, a dû évidemment supporter antérieurement avec reconnaissance ce mal qui lui était envoyé de Dieu.

Stimulés par cet exemple, imitons la patience de notre frère; sa paralysie sera pour nos âmes un principe de force; quel homme sera si indolent, si lâche, qu'à la vue de ce malheur, il ne se sente disposé à supporter avec courage même les choses les plus intolérables? Ce n'est pas son état de santé, c'est sa maladie qui nous est d'une grande utilité; car sa guérison a fait, il est vrai, louer le Seigneur par ceux qui l'ont entendu raconter; mais sa maladie et son infirmité nous sont une leçon de patience, nous provoquent à l'imiter et nous fournissent une nouvelle preuve de la charité de Dieu pour nous. Lui avoir envoyé une maladie et si grave et si longue, c'est déjà une preuve d'amour. L'orfèvre jette l'or dans le creuset et l'y laisse éprouver par le feu, jusqu'à ce qu'il soit devenu plus pur : de même pour les âmes des hommes, Dieu les laisse éprouver par le malheur, jusqu'à ce qu'elles soient devenues pures et brillantes, jusqu'à ce qu'elles aient retiré de cet état de grands avantages : ainsi cette infirmité était un premier bienfait de Dieu.

2. Donc pas de trouble, pas de désespoir quand il nous arrive des épreuves. Si l'orfèvre sait après combien de temps il faut retirer du feu l'or qu'il y a mis et ne le laisse pas brûler et se consumer, Dieu le sait bien mieux encore, et quand il nous verra devenus plus purs, il saura bien faire disparaître les épreuves, de peur qu'accablés par des maux trop nombreux nous ne chancelions et ne tombions. Pas de découragement, pas de défaillance, si nous sommes surpris par quelque malheur; mais laissons Dieu qui s'y entend, laissons-le, dis-je, purifier notre âme; il n'agit que dans l'intérêt et pour le plus grand avantage de ceux qu'il éprouve. Aussi un auteur sage nous adresse-t-il cet avis : Mon fils, lorsque vous entrerez au service du Seigneur, préparez votre âme à l'épreuve; que votre coeur soit plein de droiture et de force, et ne vous hâtez pas dans le temps de la tentation. (Eccl. II, 1,2.)

Laissez-le, nous veut-il dire, entièrement maître; il sait bien le moment où il faudra nous retirer de ces maux qui sont comme la fournaise où nous sommes purifiés. Il faut le laisser faire partout, lui rendre grâces de tout, témoigner notre reconnaissance pour tout, soit qu'il nous comble de biens, soit même qu'il nous frappe: car c'est là aussi un bienfait. Le médecin n'est pas médecin seulement quand il fait prendre des bains, ordonne une nourriture substantielle et veut que le malade se promène dans des jardins fleuris, mais aussi quand il brûle et qu'il coupe; le père n'est pas (27) père seulement quand il caresse son fils, mais aussi quand il le chasse de la maison, qu'il le réprimande, qu'il le châtie; il n'est pas moins père alors que quand il récompense. Aussi sachant que Dieu nous aime mieux que tous les médecins, ne vous inquiétez pas, ne lui demandez pas compte des moyens qu'il emploie; mais qu'il veuille user d'indulgence ou de sévérité, abandonnons-nous à lui; par l'un comme par l'autre de ces moyens, c'est toujours pour nous sauver, pour nous unir à lui qu'il agit; il sait ce dont chacun alesoin, ce qui est utile à chacun, comment et de quelle manière chacun se sauvera et c'est dans cette route qu'il nous conduit. Marchons donc où il veut nous mener, marchons sans hésitation, que la route soit douce et facile ou bien rude et âpre, tout comme a fait ce paralytique. Le premier bienfait que Dieu lui accorda, ce fut de purifier par une si longue maladie son âme qu'il jetait en quelque sorte dans un creuset où le feu des tentations devait la dépouiller de toute souillure. Un second, non moindre que celui-là, ce fut de lui être présent dans ses épreuves et de lui procurer de vives consolations. C'est lui qui le soutenait et le dirigeait, qui lui tendait une main secourable sans jamais le laisser tomber. Et en entendant dire que Dieu lui venait ainsi en aide, n'allez pas retirer votre admiration ni à ce paralytique ni à tout autre qui dans l'épreuve montre de la force. Car fussions-nous mille fois parfaits, fussions-nous plus forts et plus puissants que tous les hommes, si le bras de Dieu nous abandonne, nous ne pourrons plus résister à la première tentation venue. Et que parlé je de nous, faibles et pauvres? Quand ce serait un autre Pierre, un autre Paul, un autre Jacques, un autre Jean, si Dieu ne vient à son secours, il est facile de l'attaquer, de l'ébranler, de le terrasser. Et à ce propos, je vous rappellerai une parole du Christ; il dit à Pierre : Voici que Satan a demandé de vous cribler comme le froment; et j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point. (Luc, XXII, 31-32.)

Qu'est-ce à dire, vous cribler? C'est vous entraîner, vous agiter, vous précipiter, vous tourmenter, vous frapper, vous torturer, comme ce qui passe au crible; mais, ajoute-t-il, je l'ai empêché : je savais que vous n'auriez pu supporter cette épreuve. car dire pour que ta foi ne défaille point, c'est montrer que, s'il l'avait permis, sa foi aurait défailli. Mais si Pierre qui a tant aimé le Christ, qui a exposé mille fois sa vie pour lui, qui était toujours plus ardent que les autres apôtres, qui a été appelé bienheureux par le Maître et surnommé Pierre, parce qu'il avait une foi inébranlable et invincible, eût succombé et renié la foi, en supposant que le Christ eût permis au démon de le tenter autant qu'il le voulait, quel autre pourra résister sans le secours du ciel? Aussi saint Paul dit: Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces; mais il vous fera tirer profit de la tentation même afin que vous puissiez. persévérer. (I Cor. X,13.) Non-seulement il ne permettra pas, dit-il, que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, mais même quand la tentation est proportionnée à nos forces, il est près de nous, nous soutenant, combattant avec nous, pourvu que nous apportions à la lutte ce qui dépend de nous, comme le zèle, l'espérance en lui, la reconnaissance, la force, la patience. Car ce n'est pas seulement dans les périls qui excèdent nos forces, mais encore dans celles qui ne les dépassent pas que nous avons besoin du secours d'en-haut, si nous voulons résister avec courage. Ailleurs le même apôtre dit: Comme les souffrances du Christ abondent en nous, c'est aussi par le Christ que notre consolation abonde, afin que nous puissions nous-mêmes, par l'encouragement que Dieu nous donne, consoler aussi ceux qui sont sous le poids de toute sorte de maux. (II Cor. IV, 5.) En sorte que celui qui a consolé le paralytique, c'est celui-là même qui avait permis qu'il fût éprouvé. Mais voyez, après la guérison, quelle sollicitude il lui; montre. Il ne le renvoie pas pour ne plus s'en occuper, mais le rencontrant dans le temple il lui dit: Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus de peur qu'il ne vous arrive encore pis. (Jean, V, 14.) Si c'eût été par haine qu'il, eût permis la tentation, il ne l'aurait pas délivré, il ne l'aurait pas prémuni. pour l'avenir; car lui dire de peur qu'il ne vous arrive encore pis, c'est vouloir prévenir les maux futurs. Il a mis fin à la maladie, mais non au combat; il a chassé l'infirmité, mais non banni la crainte, afin que le bienfait ne fût pas oublié. Il est. d'un médecin soigneux de ne pas seulement guérir les maux présents, mais de prémunir coutre les maux à venir; c'est ce que fait le Christ, en fortifiant l'âme du paralytique par le souvenir du passé. Car, comme d'ordinaire nos maux (28) disparaissent de notre mémoire presque aussitôt qu'ils nous ont quittés, c'est pour perpétuer ce souvenir, que le Christ dit: Ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive encore pis.

3. La sollicitude et la douceur du Seigneur ne se montrent pas moins dans l'espèce de reproche qu'il adresse au paralytique, que dans la précaution qu'il prend de l'avertir. Car il ne divulgue pas ses péchés, il lui dit seulement que ce qu'il souffre, il le souffre à cause de ses péchés; quels sont ces péchés, il ne l'a pas dit; il n'a pas dit: tu as commis telle et telle faute, telle et telle iniquité, mais après l'avoir indiqué par ce simple mot: Ne péchez plus, et lui avoir dit une parole dont le souvenir le rendrait plus circonspect, il nous montre sa patience, son courage, sa vertu, en le mettant dans la nécessité de dévoiler tout son malheur et de parler de sa constance: car, dit-il, tandis que je viens, un autre descend avant moi; mais quant à ses péchés, Jésus-Christ ne les découvre pas. Si nous voulons cacher nos iniquités, Dieu le désire bien plus encore que nous la guérison, c'est en public qu'il l'opère; l'exhortation et le conseil, c'est en particulier qu'il les donne; jamais il ne découvre nos fautes, à moins que quelquefois il ne nous y voie insensibles. Car lorsqu'il dit: Vous avez vu que j'avais faim et vous ne m'avez point donné à manger, que j'avais soif et vous ne m'avez point donné à boire (Matth. XXV, 42), il le dit dans le temps présent pour que nous n'ayons pas à l'entendre dans le temps futur. Il menace, il démasque aujourd'hui afin de n'avoir rien à dévoiler au jugement, comme il a menacé de ruine la ville de Ninive précisément afin de prévenir cette ruine. S'il voulait publier nos péchés, il n'aurait pas annoncé qu'il les publierait; mais s'il l'annonce, c'est pour que la crainte de la manifestation, sinon celle de la punition, nous ramenant à de sages sentiments, nous les effacions tous. C'est ce qui arrive au baptême; il admet l'homme à ce bain salutaire sans faire connaître ses iniquités à personne, il ne rend public que le pardon, et quant aux péchés, personne ne les connaît que lui et celui à qui ils sont remis. C'est ce qui est arrivé en cette circonstance: il blâme le paralytique quand il n'y a pas de témoin; ou plutôt ce n'est pas un blâme, c'est presque une apologie pour lui donner la raison dé cette longue affliction, lui dire et lui montrer que ce n'est pas en vain qu'il a voulu le faire si longtemps souffrir, il le fait souvenir de ses fautes et lui dit la cause de sa maladie: L'ayant trouvé dans le temple, dit l'Evangéliste, Jésus lui dit: Ne péchez plus de peur qu'il ne vous arrive encore pis.

Puisque nous avons retiré tant de profit de l'histoire de ce premier paralytique, allons nous instruire auprès de l'autre, celui dont parle saint Matthieu. (Matth. IX.) Car, dans les mines, c'est aux endroits où l'on a déjà trouvé de l'or qu'on va plutôt fouiller de nouveau. Je sais que plusieurs de ceux qui lisent sans beaucoup réfléchir, pensent qu'il ne s'agit dans les quatre évangélistes que d'un seul et même paralytique, mais cela n'est pas. Renouvelez ici votre attention. Ce n'est pas ici une recherche inutile; une solution convenable nous sera une arme de plus contre les Gentils, contre les Juifs et contre la plupart des hérétiques. Car tous reprochent aux évangélistes de n'être pas d'accord entre eux. Mais grâce à Dieu, ce reproche est entièrement faux; si les auteurs sont différents, la grâce du Saint-Esprit est une, cette grâce qui a dirigé les évangélistes: or là où est la grâce du Saint-Esprit, là est l'amour, la charité, la paix, et non la guerre, la discorde, la lutte et le combat. Comment montrerons-nous que ce n'est pas du même paralytique qu'il s'agit? Par bien des arguments tirés du lieu, du temps, des circonstances, du jour, enfin de la manière dont la guérison s'est opérée, dont le médecin est arrivé, dont le malade gisait abandonné. — A quoi bon cette démonstration, me dira-t-on? N'y a-t-il pas beaucoup de miracles qui sont rapportés différemment par les divers évangélistes? — Sans doute, mais autre chose est de parler d'une manière différente, autre chose de parler d'une manière contradictoire; des différences ne sont pas des démentis: au contraire, dans ce que nous examinons, il n'y a que contradictions, si l'on n'admet pas que le paralytique de saint Matthieu n'est pas celui dont ont parlé les trois autres évangélistes. Et afin que vous compreniez mieux que parler d'une manière différente n'est pas parler d'une manière contraire, citons des exemples. Un évangéliste dit que Jésus porta sa croix, un autre que ce fut Simon le Cyrénéen, et il n'y a pas la de désaccord, pas d'opposition. — Mais ne sont-ce pas deux choses évidemment contraires que porter et ne pas porter? — Non; l'une a eu lieu aussi bien que l'autre. Quand on sortit du (29) prétoire, Jésus portait sa croix; plus loin, Simon la lui prit et la porta. De même pour les larrons, celui-ci dit que tous deux blasphémèrent contre Jésus, celui-là que l'un blâma les injures que vomissait l'autre. Et cependant il n'y a là rien de contradictoire. Pourquoi? Parce que ces deux choses eurent lieu: au commencement tous deux insultaient Jésus; mais quand il s'opéra de grandes merveilles, que la terre trembla, que les rochers se fendirent, que le soleil s'obscurcit, l'un des larrons se convertit, il devint meilleur, reconnut le Crucifié et confessa qu'il était Roi. Et afin de ne pas nous laisser croire que c'est par une nécessité, par une force intérieure qu'il agit ainsi, afin de ne pas laisser place au doute, l'Evangile nous le montre conservant jusque sur la croix sa méchanceté première, pour nous faire reconnaître que c'est de lui-même et de son propre mouvement qu'il change et que c'est la grâce de Dieu qui le rend meilleur.

4. Il y a, dans les évangiles, bien de ces passages qui paraissent opposés sans l'être en effet; les faits rapportés par l'un se sont passés aussi bien que ceux qui sont racontés par l'autre; seulement ils ne parlent pas du même moment: l'un dit ce qui a eu lieu d'abord, l'autre ce qui a eu lieu ensuite. Mais ici rien de semblable, et le grand nombre de circonstances rapportées ne permet pas même après l'examen le plus superficiel de douter que ces deux paralytiques ne soient différents. Ce serait un rude travail que de montrer, dans l'hypothèse opposée, l'accord complet des évangélistes entre eux; s'il n'y a qu'un malade, tout est contradictoire : si vous en admettez deux, tout se concilie facilement.

Exposons donc les motifs qui nous font dire qu'il y a deux paralytiques différents. Quels sont-ils? C'est à Jérusalem que l'un est guéri, l'autre à Capharnaüm : l'un près de la piscine, l'autre dans 'une petite maison, voilà pour le lieu; le premier en un jour de fête, voilà le moment précisé; l'un était malade depuis trente-huit ans, de l'autre il n'est rien dit de semblable, voilà pour le temps; l'un en un jour de sabbat, voilà pour le jour; et si le second avait été guéri un jour de sabbat, saint Matthieu n'aurait pas manqué de le dire, ni les Juifs présents d'en faire la remarque: car si déjà ils s'indignèrent d'une guérison qui cependant n'avait pas été faite un jour de sabbat, que n'eussent-ils pas dit s'ils avaient pu saisir ce prétexte pour accuser Notre-Seigneur? Le dernier est apporté à Jésus-Christ, le premier c'est Jésus-Christ qui va le trouver, et il n'avait personne pour le secourir: Seigneur, dit-il, je n'ai personne (Jean, V, 7), tandis que le second avait beaucoup de parents qui le descendirent même par le toit. Pour le premier, Jésus-Christ guérit son corps avant son âme car c'est après l'avoir délivré de sa paralysie qu'il lui dit: Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. Pour le second, il n'en est pas de même: il guérit d'abord son âme, car il lui dit: Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Matth. IX, 2), et ensuite il le délivre de sa paralysie.

Maintenant que nous voyons avec évidence qu'il y en a deux, il nous reste à reprendre la narration tout entière, à voir comment s'est opérée la guérison de l'un, comment celle de l'autre, pourquoi toutes deux d'une manière différente, l'une le jour du sabbat, l'autre un autre jour, pourquoi Jésus vient vers l'un, tandis qu'il se laisse apporter l'autre, pourquoi dans un cas c'est le corps, dans l'autre l'âme qu'il guérit d'abord. Ce n'est pas sans motif qu'il agit ainsi, lui qui sait et prévoit tout. Attention donc et voyons d'abord quel est le médecin ! Si, lorsque les médecins doivent se servir du fer ou du feu pour quelque opération difficile, lorsqu'ils ont à pratiquer une incision ou une amputation sur un membre blessé ou infirme, si, dis-je, en pareil cas l'on s'empresse avec un intérêt curieux autour de l'opérateur et du patient, combien plus devons-nous le faire ici, puisque le médecin est plus grand, le mal plus grave, et que ce n'est pas l'art des hommes, mais la grâce de Dieu qui opère la guérison? Là vous voyez la peau coupée, le pus qui coule, la pourriture qui sort; quelle répulsion n'inspire pas un tel spectacle l quelle peine et quelle douleur cause non-Seulement la vue des blessures, mais la vue des souffrances des personnes ainsi traitées ! (Car qui serait assez insensible pour qu'en présence de pareils maux et au; milieu de tant de gémissements, il ne fût. Pas ému, n'éprouvât pas de compassion et ne sentît pas son âme attristée?) et cependant la curiosité nous fait supporter ce spectacle: ni rien de semblable; on ne voit ni fer, ni feu, ni sang qui coule, ni malade qui souffre et gémisse; la seule chose qu'il y ait, c'est là sagesse du médecin qui n'a pas. Besoin de ces secours extérieurs et qui se (30) suffit à elle-même. Elle se contente de commander et tout danger disparaît.

Et si vous trouvez admirable que la guérison s'opère avec tant de facilité, il est plus étonnant encore qu'elle se fasse sans douleur, sans que les malades éprouvent aucune souffrance. Puis donc que le miracle est plus grand, la guérison plus entière et le plaisir des spectateurs exempt de toute tristesse, examinons de près, nous aussi, le Christ opérant cette guérison : Jésus étant monté dans une barque, traversa la mer et vint dans sa ville. Et voilà que des gens lui présentaient un paralytique gisant sur un lit, et Jésus voyant leur foi, dit à ce paralytique : Mon fils ayez confiance, vos péchés vous sont remis. (Matth. IX, 1, 2.) Leur foi le cède à celle du centurion, mais l'emporte sur celle du paralytique de la piscine. Le centurion n'attira pas le médecin chez lui, il ne lui amena pas non comme le malade, mais s'adressant à lui comme à Dieu, il lui dit : Prononcez seulement une parole et mon serviteur sera guéri. (Luc, VII, 75.) Les gens du paralytique de Capharnaüm n'attirèrent pas non plus le médecin chez eux, et en cela ils sont égaux au centurion; mais ils amenèrent le malade au médecin, et en cela ils lui furent inférieurs, parce qu'ils ne dirent point : Prononcez seulement une parole. Toutefois ils l'emportent encore sur le paralytique de Jérusalem; celui-ci dit en effet : Seigneur, je n'ai personne qui, lorsque l'eau est agitée, me jette dans la piscine. (Jean, V, 7.) Quant aux premiers, ils savaient que le Christ n'a nullement besoin d'eau, de piscine ou d'autre chose semblable. Et cependant le Christ rendit la santé non-seulement au serviteur du centurion, mais encore aux deux derniers, et il ne leur dit point Quoique vous ayez montré moins de foi, vous n'en serez pas moins guéris; seulement, il comble celui qui en a montré plus de louanges et de félicitations en disant : Je n'ai point trouvé en Israël même une telle foi. (Luc, VII, 9.) Pour celui qui en montra moins, il se contenta de ne pas le louer, et ne refusa pas de le guérir, ni lui ni même celui qui ne montra aucune foi. Mais de même que les médecins, pour avoir guéri la même maladie, reçoivent des uns cent pièces d'or, des autres cinquante, de ceux-ci moins encore, de ceux-là rien; de même le divin médecin reçut, pour ses honoraires, du centurion une foi grande et qu'on ne peut trop louer, du paralytique de Capharnaüm une foi moindre, de l'autre malade nulle foi, et ils n'en furent pas moins guéris tous trois. Pourquoi Jésus accorda-t-il ce bienfait à celui qui n'avait rien donné ? Parce que ce n'est point la négligence, ni l'indifférence, mais l'ignorance où il était à l'égard du Christ dont il n'avait entendu raconter aucune action ni grande, ni petite, qui lui fit montrer si peu de foi. Voilà pourquoi il n'en reçut pas moins un grand bienfait. C'est ce que l'Evangéliste nous indique par ces mots : Il ne savait pas qui il était (Jean, V, 13), il ne le reconnut à la vue seule, que, quand il le rencontra pour la seconde fois.

5. Quelques-uns disent qu'il fut guéri, bien que ceux qui l'apportèrent eussent seuls la foi, mais il n'en est pas ainsi : Voyant leur foi, dit l'Evangile, tant de ceux qui l'apportèrent que de celui qui fut apporté. — Mais la foi de l'un ne peut-elle pas obtenir la guérison de l'autre, me direz-vous ? - Je ne le crois pas, à moins qu'un âge très-avancé ou une faiblesse extrême n'empêche de croire. — Comment donc, dans l'histoire de la Chananéenne, voyons-nous la mère qui croit et la fille qui est guérie, et dans celle du centurion le serviteur privé de la foi, guéri et sauvé par la foi de son Maître? – Parce que les malades ne pouvaient avoir la foi. Ecoutez les paroles de la Chananéenne : Ma fille est cruellement tourmentée par le démon, tantôt elle tombe dans le feu, tantôt dans l'eau. (Matth. XV, 22.) Comment une fille qui était sous l'empire des ténèbres et (lu démon, qui ne s'appartenait pas, qui n'avait pas même la santé du corps, comment, dis-je, aurait-elle pu avoir la foi ?

Ce qui était arrivé à la Chananéenne arriva au centurion: son serviteur était couché dans sa maison; ne connaissant pas le Christ, ne sachant pas qui il était, comment aurait-il pu croire à celui qu'il ne connaissait pas, de l'existence duquel il n'avait jamais eu le moindre soupçon? Mais ici on ne peut pas dire la même chose, car le paralytique crut. — Et qu'est-ce qui le prouve? — Ce fait seul, qu'il fut amené à Jésus. Ne vous contentez pas de savoir qu'il fut descendu par le toit ; mais pensez au sacrifice d'un malade qui consent à cela. Car vous savez combien les malades sont difficiles et chagrins, jusqu'à refuser les soins qu'on leur donne même sur leurs lits, jusqu'à préférer endurer toujours les douleurs de la maladie plutôt que de supporter les douleurs d'un (31) moment que les remèdes entraînent après eux. Mais pour ce paralytique, il consentit à sortir de sa maison, à se laisser porter en public, à se montrer à une foule de spectateurs. On voit des malades qui aiment mieux mourir que de découvrir leurs maux. Il n'en est pas ainsi de ce malade; il voit la foule rassemblée,

. les entrées inabordables; eh bien! il se laissera descendre par le toit. Tant l'amour est habile, tant la charité est féconde en expédients ! Celui qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Il ne dit pas à ses proches : Qu'est-ce donc? Pourquoi cette agitation, cet empressement? Attendons que la maison soit vide, que la foule se soit écoulée. Rassemblés maintenant, ces hommes se disperseront tout à l'heure, nous pourrons voir en secret le prophète et le consulter sur cette maladie. Faut-il aux yeux de tous étaler mon malheur, me descendre par le toit malgré les souffrances que cela me causera? Il ne fait aucune de ces réflexions, ni en lui-même, ni à ceux qui le portent, mais il regarde comme une gloire d'avoir tant de témoins de sa guérison. Et si cela nous montre sa foi, les paroles du Christ nous la montreront aussi. Quand il fut descendu du toit et introduit dans la maison, le Christ lui dit: Confiance, mon fils; vos péchés vous sont remis. En entendant ces mots, il ne se fâche point, ne s'irrite point, ne dit pas à son médecin: Que me dites-vous? Ne venais-je pas chercher une autre guérison que celle que vous m'offrez? Mensonge que tout cela, dissimulation! ce n'est qu'un prétexte pour déguiser votre impuissance. Vous remettez les péchés, parce que c'est chose qu'on ne voit pas. Sans rien dire, sans rien penser de tout cela, il reste, permettant ainsi à son médecin de le guérir par le moyen qu'il voudrait employer. Et si le Christ ne l'alla pas trouver, mais le laissa venir à lui, c'était encore afin de montrer son courage et l'ardeur de sa foi. De même qu'il alla trouver celui qui était paralytique depuis trente-huit.ans, parce qu'il n'avait personne pour le secourir, de même il attendit que le paralytique de Capharnaüm, parce qu'il avait beaucoup de parents, vînt le trouver, voulant, par cette conduite différente, manifester la foi de celui qui fut apporté et l'abandon de celui qu'il alla trouver, le courage de l'un et la patience de l'autre, et il en agit ainsi surtout pour les spectateurs. Car les Juifs ne voyaient qu'avec peine et jalousie les bienfaits que recevait leur prochain, et ils blâmaient ces miracles tantôt à cause du jour de sabbat où ils étaient opérés, tantôt à cause de la vie des personnes qui en étaient l'objet. Si celui-ci était prophète, il saurait bien quelle est la femme qui le touche (Luc, VII, 39); ils parlaient ainsi, ne sachant pas que c'est le devoir du médecin de rechercher les malades et de les approcher, sans jamais les fuir ni les abandonner. C'est le reproche que Jésus leur adresse: Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais les malades. (Matth. IX, 12.) Pour leur ôter tout prétexte, il commence par montrer combien sont dignes de guérison ceux qui viennent le trouver, à cause de la foi qu'ils manifestent. C'est par ce motif qu'il fait voir de l'un la résignation, de l'autre la foi bouillante et l'ardeur; c'est pour cela encore qu'il guérit l'un un jour de sabbat, l'autre un autre jour, afin que voyant les Juifs accuser et blâmer le Christ sans avoir ce prétexte du sabbat, nous apprenions que ce n'était pas le zèle pour la loi qui les faisait parler, mais l'excès de leur haine. Mais pourquoi, sans commencer par guérir le paralytique, lui dit-il: Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis? Admirez sa sagesse. Les médecins ne commencent pas par traiter la maladie elle-même, mais par en enlever la cause. Si par exemple les yeux sont remplis d'humeur et de pus, le médecin, laissant là la pupille, s'occupe de la tête où est l'origine, la source du mal; le Christ en agit de même et enlève d'abord la racine du mal. L'origine, la raison, la source du mal, c'est le péché. C'est le péché qui paralyse les corps, c'est le péché qui amène les maladies; aussi Jésus-Christ dit en cette circonstance : Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis; et en une autre occasion: Vous voilà guéri, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive encore pis, montrant ainsi que c'est le péché qui enfante les maladies. Au commencement, à l'origine de la création, c'est par suite du péché que la maladie se saisit du corps de Caïn. Car, après son fratricide, après ce grand crime, la paralysie s'empara de son corps: qu'était-ce que le tremblement qu'il éprouvait si ce n'est la paralysie? Quand en effet la force qui réside dans le corps est devenue trop faible et ne peut plus soutenir tous les membres, elle les abandonne, et les membres tremblent et sont agités.

6. Saint Paul aussi nous enseigne cette vérité. Après avoir parlé aux Corinthiens d'un (32) certain péché, il dit: c'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de languissants. Ainsi le Christ fait d'abord disparaître la cause des maux, et par ces mots: Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis, il relève le malade et réveille son âme engourdie: car sa parole est suivie d'effet; elle pénètre jusqu'à la conscience, atteint l'âme, et lui rend une parfaite tranquillité. Car rien ne cause tant de joie, ne rend tant de confiance que de n'éprouver aucun remords. Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. Là où les péchés sont pardonnés, il n'y a plus que des enfants d'adoption. C'est ainsi que nous ne pouvions pas appeler Dieu notre Père, avant que l'eau régénératrice n'eût lavé nos souillures, et quand nous avons reparu après l'immersion, ayant déposé ce fardeau, alors nous avons dit: Notre Père qui êtes aux cieux. Mais pourquoi, à l'égard de l'autre paralytique, n'en a-t-il pas agi de même et a-t-il commencé par guérir son corps? Parce que la longue durée de sa maladie avait expié ses péchés: une grande épreuve peut nous délivrer du fardeau de nos iniquités : de Lazare il est dit qu'il a reçu les maux ici-bas et que dans le sein d'Abraham il est dans la joie; et ailleurs nous lisons: Consolez mon peuple, parlez au coeur de Jérusalem, lui disant qu'elle a reçu de la main du Seigneur le double de ses péchés. (Isaïe, XL, 1-2.) Et le Prophète dit encore: Seigneur, donnez-nous la paix; car vous n'avez rien laissé impuni (Isaïe, XXVI, 12), montrant par là que les punitions et les châtiments nous obtiennent le pardon de nos péchés, vérité que bien des preuves nous démontrent.

Pour le paralytique de la piscine, Jésus-Christ ne lui a pas remis ses péchés, il l'a seulement prémuni pour l'avenir, parce que, ce me semble, ses péchés avaient déjà été pardonnés en considération de sa longue maladie; ou, si ce n'est pas là le vrai motif, au moins dirai-je que, comme il n'avait pas une foi bien grande au Christ, Jésus commença par un prodige moindre, mais éclatant et visible, c'est-à-dire par lui rendre la santé du corps. Avec l'autre malade il n'agit pas de même; mais comme il avait une foi plus grande, une âme plus élevée, il lui parle d'abord d'une maladie plus grave, pour les motifs que j'ai indiqués et en outre pour se déclarer l'égal du Père en dignité. De même qu'il ne guérit à Jérusalem un jour de sabbat que pour détourner les spectateurs de l'observance judaïque et afin que les accusations des Juifs lui fournissent l'occasion de se montrer égal à son Père, de même prévoyant en la circonstance présente ce qu'ils allaient dire, il parla comme il le fit pour en prendre occasion de montrer que sa dignité est égale à celle du Père. C'est une tout autre chose de tenir ce langage de lui-même sans que personne le blâme ni ne l'accuse, ou bien de le faire pour se défendre, quand les autres lui en fournissent le prétexte. La première manière eût choqué les auditeurs, la seconde excitait moins de haine, s'admettait plus facilement et c'est ainsi du reste que nous le voyons agir toutes les fois que, par ses paroles ou par ses oeuvres, il se déclare l'égal de son Père. C'est ce que nous indique l'Évangéliste (Jean, V, 16) en nous disant que les Juifs le blâmèrent non-seulement de ce qu'il avait violé le sabbat, mais encore de ce qu'il appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu, ce qui était bien plus grave: c'est ce qu'il montrait moins par ses paroles que par ses oeuvres. Pourquoi donc ces méchants, remplis de haine et d'envie, cherchent-ils partout l'occasion de le confondre? Celui-ci blasphème, se disent-ils? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. (Marc, II, 7.) Là, ils le blâment d'avoir violé le sabbat, et leurs accusations lui donnant occasion, pour se défendre, de se déclarer égal à son Père, il leur dit : Ce que mon Père fait, je le fais aussi. De même ici, leurs critiques lui sont un sujet de se montrer égal à son Père. Car que disent-ils? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. Ils ont eux-mêmes tracé cette limite, assigné cette règle, dicté cette loi; il va les convaincre par leurs propres paroles. Vous avez dit que c'était le propre de Dieu de remettre les péchés: vous proclamez ainsi manifestement l'égalité du Christ avec Dieu. Ils ne sont pas du reste les seuls qui l'aient proclamé; déjà le Prophète avait dit: Qui est Dieu comme vous? puis il montre ce qui est propre à Dieu, en disant : Vous effacez les iniquités et faites disparaître les injustices. (Mich. VII, 18.) Si donc vous voyez quelqu'un qui fait la même chose, il est Dieu, Dieu comme le premier.

Mais voyons comme le Christ les confond, avec quelle douceur, quelle modestie, quelle charité ! Et voici que quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : celui-ci blasphème. (Matth. IX, 3.) Ils n'avaient pas prononcé une parole, pas dit un mot, mais leur critique était encore cachée au fond de leur âme. Que fait le Christ ?

33

Il révèle publiquement leurs pensées secrètes; avant de se montrer Dieu par la guérison du paralytique, il veut par un autre moyen leur faire voir la puissance de sa divinité. Dieu seul en effet peut révéler les pensées secrètes : Vous seul, dit le Prophète, connaissez les cœurs. Et voulez-vous voir que ce mot seul n'exclut pas le Fils? Si le Père seul connaît les coeurs, comment le Fils pourrait-il pénétrer le secret des pensées? Or il est dit qu'il, savait par lui-même ce qu'il y avait dans l'homme (Jean, II, 25); et saint Paul, pour montrer que c'est le propre de Dieu de connaître les choses cachées au fond de la pensée, dit: Celui qui scrute les coeurs (Rom. VIII, 27), montrant que c'est la même chose que de scruter les coeurs ou de s'appeler Dieu. Quand je dis Celui qui fait pleuvoir, je ne désigne que Dieu, et cela par une de ses œuvres; quand je dis Celui qui fait lever le soleil, sans ajouter le mot Dieu, je n'en désigne pas moins Dieu par son oeuvre : de même quand saint Paul dit Celui qui scrute les cœurs, il montre que ce ne peut être l'oeuvre que de Dieu seul. Car si cette péri phrase n'avait pas pour nous désigner Dieu la même force que le mot propre, il ne l'eût pas employée seule. Si cet attribut lui était commun avec la créature, nous ne saurions pas qui il a voulu désigner; la confusion aurait régné dans l'esprit des auditeurs. Afin donc de montrer que ce qui est propre au Père, appartient aussi au Fils, et que par conséquent tous deux sont égaux„ le Seigneur dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? Lequel est le plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, on de dire : Levez-vous et marchez? (Matth. IX, 4, 5.)

7. Voici qu'il donne une seconde preuve que les péchés sont remis. II est bien plus grand de remettre les péchés que de guérir les corps, d'autant plus grand que l'âme est au-dessus du corps : si la paralysie est une maladie du corps, le péché est une maladie de l'âme; mais si le premier miracle est plus grand, il n'est pas visible ; le second est plus petit, mais il se voit. Jésus va se servir du plus petit pour faire croire au plus grand, et afin de montrer que c'est par condescendance pour leur faiblesse qu'il en agit ainsi, il dit : Lequel est le plus facile de dire: Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez? pourquoi, Seigneur, passez-vous d'un plus grand miracle à un plus petit? Parce qu'un miracle: visible leur sera une démonstration plus claire qu'un miracle invisible. Aussi ne guérit-il pas le malade avant de; leur avoir dit : Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés: Levez-vous, dit-il alors ait paralytique, et marchez (Matth. IX, 6); comme s'il disait : Pardonner les péchés est une merveille plus grande, mais à cause de vous j'en ajoute une moindre, puisque vous regardez celle-ci- comme preuve de celle-là. Dans une autre circonstance, il loua ces paroles du centurion : Dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri; car je dis ci celui-ci: va, et il va, et â celui-là viens, et il vient (Matth. VIII, 8, 9.) Il le rassura par ses éloges; dans une autre circonstance encore, il reprit les Juifs qui le critiquaient à propos du sabbat, lui reprochant de le violer, et il leur montra qu'il avait le pouvoir de changer les lois; de même en celte occasion, lorsque les Juifs eurent dit-il se fait égal à Dieu, il s'attribue ce qui n'appartient qu'au Père, il les blâme, les réprimande, leur montre par ses oeuvres qu'il ne blasphème point, et ainsi il nous fournit une preuve irrécusable qu'il a la même puissance que son Père. Mais remarquez comment il veut établir ce point fondamental que ce qui appartient au Père seul lui appartient aussi, à lui. Il ne se contente pas de guérir le paralytique, il dit en même temps : Afin que vous sachiez, que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés; tant il met de soin et d'attention à montrer qu'il a la même puissance que son Père.

8. Tous ces enseignements, ceux que nous avons reçus hier et avant-hier, retenons-les avec soin, prions pour qu'ils se gravent inaltérables dans nos âmes, apportons-y tous nos efforts et attachons-nous Fans cesse à ces leçons. C'est ainsi que nous garderons ce que nous avons acquis déjà et que nous acquerrons plus encore; et si quelque chose nous échappe parla suite, une instruction assidue nous le fera recouvrer. Et non-seulement notre intelligence ne sera nourrie que de doctrines saines et pures , mais nous surveillerons nos actions avec plus de soin et nous pourrons achever la vie présente dans la joie et la paix. Car toutes les souffrances qui agitent notre âme se calmeront facilement puisque le Christ est là et que celui qui l'approche avec foi obtient sans peine sa guérison. Souffrez-vous d'une faim continuelle, êtes-vous privé du nécessaire, êtes-vous (34) quelquefois forcé de prendre votre repos avant d'avoir apaisé votre faim? Venez ici, entendez saint Paul, nous disant qu'il a vécu dans la faim, la soif, la nudité, non un jour, ni deux, ni trois, mais toute sa vie (c'est en effet ce que signifient ces paroles: Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim, la soif, la nudité). (I Cor. IV, 11.) Vous vous sentirez assez consolé en voyant dans mes instructions que, si Dieu vous laisse souffrir de la faim, ce n'est pas qu'il vous haïsse ou qu'il vous abandonne. Si c'était un effet de sa haine il ne l'aurait pas fait supporter à saint Paul, celui des hommes qu'il chérit le plus : il n'agit ainsi que par intérêt, par bienveillance, pour nous porter à une perfection plus grande. Votre corps est-il assiégé par la maladie et par mille autres maux, vous serez consolé en voyant ces deux paralytiques, et avec eux le grand, le noble disciple de saint Paul, qui vécut dans de continuelles infirmités, à qui la maladie ne laissa pas un instant de relâche, comme saint Paul nous l'apprend par ces paroles : Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes infirmités (I Cor. IV, 11), fréquentes, nous dit-il. Votre honneur est-il attaqué publiquement par la calomnie, et ses attaques sont-elles assez vives pour agiter et tourmenter votre âme, venez et écoutez: Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous maudissent et disent faussement toute sorte de mal de vous; réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est grande dans les cieux (Matth. V, 11, 12); et alors votre tristesse disparaîtra et vous serez comblés de joie : Réjouissez-vous et tressaillez, lorsqu'ils vous injurieront. (Luc, VI, 22, 23.) Voilà comme il console ceux qui sont calomniés et voici comme il enraye les calomniateurs : Toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée, ils en rendront compte (Matth. XII, 36), qu'elle soit bonne ou mauvaise. Avez-vous perdu votre épouse, votre fils, un de vos parents, entendez saint Paul gémissant sur la vie présente, appelant de tous ses voeux la vie future, affligé de se voir retenu ici-bas, et vous sentirez votre peine adoucie par ces mots : Je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui .dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font tous les autres qui n'ont pas d'espérance (I Thess. IV, 12.) Il ne dit pas touchant ceux qui sont morts, mais ceux qui dorment, pour montrer que la mort n'est qu'un sommeil. Lorsque nous voyons quelqu'un dormir, nous restons sans trouble, sans abattement, parce que nous savons qu'il se réveillera; de même, lorsque nous voyons quelqu'un mort, nous n'éprouvons pas de trouble, pas d'abattement; ce sommeil, pour être long, n'en est pas moins réellement un sommeil. Par ce mot de sommeil, il console les fidèles affligés et répond aux accusations des infidèles. Si vous pleurez d'une douleur inconsolable celui qui vous a quitté, vous ressemblez à cet infidèle qui ne croit pas à la résurrection. C'est avec raison qu'il pleure puisqu'il ne trouve dans l'avenir rien qui le rassure; mais pour vous que tant de preuves ont dû convaincre de la réalité d'une vie future, pourquoi tomber dans le même découragement? C'est pour cela qu'il dit : Je ne veux pas que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres qui n'ont pas d'espérance.

Ce n'est pas seulement le Nouveau, c'est encore l'Ancien Testament qui nous présentera de douces consolations. En voyant Job après la ruine de sa fortune, la perte de ses troupeaux, la mort, non d'un, ni de deux, ni de trois de ses enfants, mais de tous, enlevés à la fleur de l'âge, en le voyant, dis-je, montrer tant de courage, fussiez-vous le plus pusillanime des hommes, il vous sera facile de maîtriser votre douleur et de la supporter. Car, vous, vous avez assisté à la dernière maladie de votre enfant, vous l'avez vu reposant sur son lit, vous avez entendu ses dernières paroles, recueilli son dernier soupir, fermé ses yeux et sa bouche. Et ce patriarche ne vit pas l'agonie de ses enfants, n'assista pas à leurs derniers instants; tous ils n'eurent qu'un même tombeau, leur propre maison, et sur la même table ce fut un mélange informe de têtes brisées, de sang répandu, de poutres, d'argile, de poussière, de chairs broyées. Et pourtant après une si grande épreuve, il ne se laisse aller ni aux gémissements, ni au désespoir; mais que dit-il? Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, la volonté du Seigneur s'est accomplie : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles! (Job, I, 21.) Que ces paroles soient les nôtres en toute circonstance; quelque malheur qui nous arrive, perte de biens, maladies, épreuves, calomnies, affliction quelle qu'elle soit, disons toujours : Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, la volonté du Seigneur s'est accomplie; que le nom dit Seigneur soit béni dans toits les siècles ! Si telle est notre (35) sagesse, nous ne souffrirons aucun mal, quand même nous endurerions mille tourments; mais le gain nous sera plus grand que la perte, les biens que les maux; par ces paroles nous nous rendrons Dieu propice et nous éloignerons notre ennemi : car, aussitôt que ces paroles sont prononcées, le démon s'enfuit, et, quand il s'enfuit, tout nuage de tristesse se dissipe, et en même temps toutes les pensées qui vous affligent s'évanouissent, et, en outre, vous vous assurez et les biens de la terre et ceux du ciel, témoin Job, témoins les apôtres qui, ayant méprisé pour Dieu les maux d'ici-bas, jouissent des biens éternels. Résignation donc ! en tout événement réjouissons-nous, rendons grâce à la bonté de Dieu, afin que nous passions dans la paix la vie présente et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire, honneur, puissance à jamais, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR L'INSCRIPTION DES ACTES.

 

 

 

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE.

A ceux qui ont déserté l'assemblée sainte; — qu'il ne faut pas passer légèrement sur les titres des Saintes Ecritures ; — sur l’inscription de l'autel; — Aux nouveaux baptisés.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

Saint Chrysostome prononça cinq homélies sur ce sujet; la première traite du titre du livre, la seconde de l'auteur, la troisième du commencement du livre et de la différence entre un acte et un miracle, la quatrième, de l'utilité de la lecture des saintes Ecritures; la cinquième de la raison pour laquelle on lit les Actes des Apôtres à la Pentecôte. La seconde ne nous est!parvenue que défigurée d'interpolations indignes de notre grand orateur ; c'est pourquoi l'éditeur bénédictin l'a renvoyée à la fin de son troisième volume.

Dans la trente-troisième homélie sur la Genèse, saint Chrysostome reprenant, après une assez longue interruption, ce commentaire qu'il avait poursuivi durant tout le carême précédent et expliquant à ses auditeurs quels sujets l'avaient obligé d'interrompre le cours de ses homélies sur la Genèse, s'exprime ainsi : Sur cette table de la doctrine, il `allait servir des mets appropriés aux temps; et c'est pourquoi, quand est venu le jour de la Trahison et de la Passion, interrompant la série de nos instructions, et nous accommodant aux nécessités du moment, nous avons tiré le glaive de la parole contre le Traître; ensuite nous avons dit quelques mots sur la croix ; puis l'aurore du jour de la résurrection est venue nous avertir d'entretenir votre charité de la résurrection du Seigneur; les jours suivants il convenait de démontrer la vérité de la résurrection par les miracles qui ont eu lieu après; enfin nous avons pris les Actes des Apôtres et nous en avons donné plusieurs repas spirituels pour vos âmes; en même temps nous avons donné plusieurs avertissements aux nouveaux baptisés.

Vous voyez là, dit l'éditeur bénédictin, une longue série d'homélies; cependant, chose étonnante, on ne trouve pas dans toutes ces homélies un seul mot qui permette de calculer exactement l'année à laquelle elles appartiennent. Stilting les rapporte à l'année 388. Observons encore que les homélies sur les Actes des Apôtres dont il est question dans le passage précédent sont bien nos cinq homélies sur le commencement des Actes, qu'il n'y a pas moyen de les confondre avec le long commentaire sur tout le livre des Actes, commentaire qui fut fait à Constantinople, tandis que les homélies que l'on va lire ont été prononcées à Antioche lorsque le saint Docteur n'était encore que prêtre, ainsi que toute la série annuelle dont elles font partie.

1° L'orateur se plaint de ce que l'église, toute remplie le dimanche précédent, était déjà presque déserte, et surtout de ce qu'on y voyait peu de personnes riches. Il préfère le petit nombre de pauvres qui assistaient ce jour-là à son sermon. Sortie contre les spectacles. — 2° L'abus des richesses est condamnable, et non les richesses elles-mêmes. Ceux qui manquent aux offices de l'église sont pires que les Juifs. — 3° Il ne faut pas négliger les titres mêmes de l'Ecriture, puisque saint Paul, étant à Athènes, se servit si avantageusement de l'inscription d'un autel profane. Pourquoi donc ce titre : Les Actes des Apôtres ? — 4° Saint Paul a combattu le paganisme de la même manière que David a combattu le géant philistin. — 5° Quel est le vrai néophyte.

1. Eh quoi ! plus nous avançons dans la série des fêtes, moins nos réunions sont fréquentées ! Oh ! ne nous relâchons pas, nous du moins qui sommes venus; si l'Eglise a moins de monde aujourd'hui, elle n'a rien perdu quant au zèle : inférieurs par le nombre, nous sommes supérieurs par la charité; nous sommes moins nombreux, mais on verra quels sont les chrétiens éprouvés, nous saurons ceux qui n'assistent à nos fêtes annuelles que par habitude et ceux au contraire qui y sont attirés par le désir d'entendre la parole de Dieu, de (38) recevoir des leçons de vertu. Dimanche dernier, toute la ville était ici, les galeries étaient remplies de monde et ressemblaient aux flots ondulants de la mer; mais, pour moi, ces flots me font moins de plaisir que le calme actuel, je préfère au bruit et au tumulte la tranquillité d'aujourd'hui. C'étaient des corps que nous comptions alors, aujourd'hui ce sont des âmes remplies de piété. Si on voulait peser dans la balance ces deux assemblées, l'une peu nombreuse et presque entièrement composée de pauvres, l'autre nombreuse et presque entièrement composée de riches, peut-être trouverait-on que la vôtre l'emporte. Inférieurs en nombre, vous l'emportez en vertu; la même chose se reproduit du reste quand on pèse des objets matériels. Mettez dans un des plateaux d'une balance dix statères d'or et dans l'autre cent statères d'airain, ceux-ci entraîneront la balance avec eux, et cependant les dix statères d'or l'emportent par leur matière bien plus précieuse; ils ont plus de poids et de valeur, si vous tenez compte de la substance. Ainsi, quoique inférieurs par le nombre, nous pouvons être plus précieux et plus utiles que de grandes multitudes. Mais pourquoi emprunter des comparaisons aux usages ordinaires de la vie, lorsque je puis apporter le témoignage même de Dieu? Voyons ce qu'il dit : Un seul juste qui accomplit la volonté de Dieu vaut mieux que mille prévaricateurs. (Eccl. XVI, 3.) Il y a, oh ! oui, il y a bien des hommes qui valent mieux que mille autres, et que dis-je? mieux que mille autres; je devrais dire mieux que la terre entière; car ils sont plus précieux et pus nécessaires. J'en atteste saint Paul et je produis son témoignage. Parlant d'hommes misérables, traqués partout, tourmentés, persécutés, voici ce qu'il dit : Ils ont couru ça et là revêtus de peaux de brebis et de peaux de chèvres, dans le besoin, dans l'angoisse, dans l'affliction, eux dont le monde n'était pas digne. (Hébr. XI, 37, 38.) Eh quoi ! ces hommes accablés par le besoin, l'angoisse, l'affliction, ces hommes qui n'avaient plus de patrie, le monde n'en était pas digne? Mais voyez ce que vous comparez ! je le vois, dit-il, et c'est pourquoi je dis que le monde n'en est pas digne ; car je connais fort bien la valeur de ces pièces de monnaie. Prenez la terre, la mer, les rois, les éparques, en un mot tous les hommes, et mettez-les en face de deux ou trois de ces pauvres, je dirai sans crainte que ces pauvres l'emportent. S'ils étaient bannis de leur patrie, ils avaient pour patrie la Jérusalem d'en-haut. Ils ont vécu dans la pauvreté? mais leur vertu les faisait riches. Les hommes les haïssaient? mais Dieu les aimait. Qui sont-ils? Elie, Elisée et ceux qui les ont imités. Ce qu'il faut considérer, c'est non pas qu'ils manquèrent des aliments nécessaires, mais que la bouche d'Elie ferma et ouvrit le ciel, et que son manteau arrêta le cours du Jourdain.

Quand je pense à toutes ces choses, je me réjouis et je m'afflige. Je me réjouis à cause de vous qui êtes présents, je m'afflige à cause de ceux qui sont absents; oh ! oui, je m'afflige, je suis plongé dans la douleur, j'ai le coeur brisé. Qui serait assez insensible pour ne pas souffrir envoyant que l'on met plus de zèle au service du démon qu'au service de Dieu ? Pour y apporter un zèle égal, on est déjà indigne de pardon et d'indulgence: mais lorsque nous en mettons plus, comment pourrons-nous nous défendre? Les théâtres nous appellent chaque jour,, et pour eux on ne connaît plus ni paresse ni lenteur, on ne prétexte plus la multitude des affaires; mais tous y courent comme affranchis et délivrés de tout souci; le vieillard ne pense plus à ses cheveux blancs, le jeune homme à la fougue de son âge et de ses passions, le riche au respect qu'il doit à son élévation ; mais faut-il venir à l'église, alors, comme s'il fallait descendre d'une haute position, d'une sublime dignité, on ne ressent que répugnance et torpeur, et on s'en fait ensuite un mérite, comme si l'on avait rendu service à Dieu; et quand il faut courir au théâtre, entendre des paroles impures et voir des spectacles lascifs, on ne pense pas à la honte dont on couvre et sa personne et ses richesses et sa noblesse. Je voudrais savoir où sont maintenant ceux qui étaient venus nous troubler dimanche dernier, car n'était-ce pas une cause de trouble que leur seule présence ? je voudrais savoir ce qu'ils font, quelle occupation plus utile que la nôtre les retient. Ce ne sont pas les affaires, c'est l'orgueil qui les retient. Qu'y a-t-il de plus insensé que cette conduite? Pourquoi, ô homme, t'enorgueillis-tu? pourquoi penses-tu nous faire une grâce quand tu viens ici et que tu écoutes les vérités qui pourraient sauver ton âme ? Dis-moi donc pourquoi tu es si fier? A cause de tes richesses, peut-être de tes habits de soie ? Mais ne sont-ce pas des vers qui les ont filés et des barbares (39) qui les ont apportés? Et ceux qui s'en servent, ne sont-ce pas des courtisanes, des débauchés, des effracteurs de tombeaux, des brigands? Apprécie tes richesses à leur juste valeur et quitte ces pensées aussi vaines que superbes ; vois la bassesse de ta nature. Tu n'es que terre et poussière, une cendre, une fumée, une ombre, un brin d'herbe, une fleur de ce brin d'herbe. Et c'est là ce qui t'enivre d'orgueil, dis-moi? Et quoi de plus ridicule ! Tu commandes à un grand nombre d'hommes ? Et quel avantage de commander à des hommes et d'être le sujet et l'esclave de tes passions? Ne ressembles-tu pas à cet homme qui, dans sa maison, aurait reçu de ses esclaves des coups et des blessures et qui, en public, n'en serait pas moins fier de commander aux autres? La vaine gloire te blesse, la luxure te frappe, tu es l'esclave de tes passions et tu te vantes de dominer sur tes semblables! Plût are ciel que tu domptasses les unes et que tu fusses de même rang que les autres !

2. Ce n'est pas contre les riches que je parle, mais contre ceux qui usent mal de leurs richesses. Ce n'est pas un mal que la richesse, pourvu que nous nous en servions pour le bien; le mal, c'est la vanité, c'est l'arrogance. Si les richesses étaient un mal, nous ne désirerions pas nous reposer dans le sein d'Abraham, d'Abraham qui eut trois cent dix-huit esclaves nés dans sa maison. Les richesses ne sont donc pas un mal; le mal, c'est leur usage illégitime. De même qu'en parlant dernièrement de l'ivresse, je n'ai pas parlé contre le vin, puisque tout ce que Dieu a créé est bon, que, loin de rien rejeter, nous devons tout recevoir avec reconnaissance, de même aujourd'hui je ne parle pas contre lesbiens, contre les richesses, mais contre leur mauvais emploi, contre les richesses dépensées pour notre perte. Nous les appelons biens, khreamta, parce que nous devons nous servir d'elles, khrestai, et non elles de nous; nous les appelons possessions, non afin qu'elles nous possèdent, mais afin que nous les possédions. Pourquoi faire de l'esclave le maître ? Pourquoi renverser l'ordre des choses?

Mais je voudrais savoir ce que font ceux qui ont abandonné nos assemblées et à quoi ils s'occupent. Ils jouent ou ils sont tout entiers aux choses de la vie, choses qui n'amènent après elles que le trouble. Ici, ô homme, tu serais dans le calme du port; un intendant ne

viendrait pas te troubler, un fermier t'interpeller, un esclave t'embarrasser de soins terrestres, un autre te mécontenter; tu goûterais en paix la parole divine. Ici, point d'agitations, point de tempêtes, rien que bénédiction, que prières, que leçons de la vie spirituelle, qu'aspirations vers le ciel, et tu ne sortirais d'ici qu'après avoir reçu le gage de ta royauté céleste. Pourquoi donc, délaissant cette riche table, cours-tu vers une table funeste? Pourquoi échanges-tu la tranquillité du port contre le tumulte de la tempête? Que des pauvres qui étaient venus dimanche dernier soient absents aujourd'hui, cela m'effraye ; mais qu'il n'y ait pas de riches, cela m'effraye plus encore. Pourquoi ? parce que les pauvres ont des occupations nécessaires, le souci du travail quotidien et de la nourriture qui ne leur peut venir que de là; ils pensent à la nourriture de leurs enfants, de leurs femmes; s'ils ne travaillent, ils ne peuvent vivre. Ce n'est pas que je les excuse, mais je veux montrer que les riches sont plus coupables. Moins ils ont de souci, plus leur châtiment sera terrible; ils n'ont rien qui les retienne.

Voyez-vous les Juifs, ces hommes rebelles contre Dieu, ces hommes qui résistent an Saint-Esprit, ces hommes intraitables ? Eh bien! ceux qui n'assistent pas à nos assemblées sont pires qu'eux. Les Juifs, si leurs prêtres leur ordonnaient de cesser tout travail pendant sept,.dix, vingt, trente jours, obéiraient sans résistance; et pourtant qu'y a-t-il de plus gênant que leur repos? Ils ferment leur porte, n'allument pas de feu, ne transportent pas d'eau, s'abstiennent de toutes les occupations ordinaires de la vie-, ce repos est une véritable captivité, et ils s'y soumettent sans murmure. Et moi, je ne vous dis pas : cessez tout travail pendant sept jours, dix jours ; mais donnez-moi deux heures de ce jour et gardez le reste, et vous ne m'accordez pas même cette faible part! Ou plutôt, ce n'est pas pour moi que je demande ces deux heures, c'est pour vous, afin que vous veniez vous consoler en récitant ces prières que vos pères ont récitées avant vous, afin que vous ne vous retiriez que comblés de bénédictions, afin que vous sortiez d'ici l'âme en paix, afin que revêtus des armes spirituelles, vous deveniez invincibles et indomptables à l'enfer. Qu'y a-t-il de plus doux, dites-moi, que die rester ici? S'il fallait y passer les jours entiers, (40) quoi de plus beau? Quoi de plus sûr que ce lieu où sont déjà tant de nos frères, où est le Saint-Esprit, où se trouve Jésus et son Père? Où trouverez-vous une semblable société, un semblable conseil, une pareille assemblée? Quoi! tant de délices à la sainte Table, dans les bénédictions, dans les prières, dans la seule réunion de tant de frères, et vous cherchez d'autres occupations1 Quelle indulgence méritez-vous? Ce n'est pas pour vous que je dis ces choses; vous n'avez pas besoin de remèdes, vous qui par vos actes prouvez votre santé, vous dont l'obéissance et la charité nous sont si connues ; mais c'est à vous que je parle afin que les absents entendent par vous. Ne dites pas seulement que j'ai blâmé les absents, mais rapportez-leur tout mon discours depuis le commencement. Rappelez-leur les Juifs, rappelez-leur ce que sont les choses de la vie ; dites-leur combien il est doux de faire partie de nos réunions, combien ils sont zélés pour les choses périssables, combien l'assiduité aux réunions de l'église assure de belles récompenses. Si vous dites seulement que j'ai blâmé, vous excitez la colère, vous ouvrez une blessure sans y porter le baume; mais si vous leur apprenez que j'ai accusé non comme un ennemi, mais comme un ami dans la douleur, si vous leur faites comprendre que les blessures des amis sont préférables aux baisers spontanés des ennemis (Prov. XXVII, 6), ils écouteront sans peine mon accusation; ils regarderont, non à mes paroles, ruais à mon intention.

C'est ainsi que vous guérirez vos frères; je rendrai compte de votre salut, vous qui êtes présents, et vous, du salut des absents. Je ne puis leur parler par moi-même, je leur parlerai par vous, par votre charité éclairée : que votre zèle me soit comme un pont pour arriver jusqu'à eux; que par votre bouche mes paroles parviennent jusqu'à leurs oreilles. Peut-être ce que j'ai dit suffira-t-il et ne faudra-t-il rien ajouter; j'en pourrais dire plus; mais afin de ne pas employer tout le temps à blâmer, ce qui vous est inutile à vous qui êtes présents, je vais vous apporter comme une nourriture nouvelle et étrangère; nouvelle et étrangère, non pas quant à la doctrine en elle-même, mais nouvelle encore pour vos oreilles.

3. J'ai expliqué, les jours précédents, quelques paroles des apôtres et des évangélistes, en vous parlant de Judas, quelques-unes aussi des prophètes : aujourd'hui je veux parler des

Actes des Apôtres. C'est pourquoi j'ai dit une nourriture nouvelle. Elle n'est pas nouvelle cependant. Elle n’est pas nouvelle puisque c'est la suite des saintes Ecritures ; elle est nouvelle, parce que vous n'y êtes pas accoutumés : car beaucoup ne connaissent pas même ce livre, et beaucoup le méprisent parce qu'ils le trouvent trop simple . ainsi les uns le négligent parce qu'ils le connaissent, les autres parce qu'ils ne le connaissent pas. Aussi pour apprendre, et à ceux qui ne le connaissent pas et à ceux qui croient le connaître, qu'il renferme bien des pensées profondes, il nous faut attaquer aujourd'hui leur négligence. Il faut d'abord leur apprendre quel est l'auteur de ce livre. C'est là une méthode excellente de voir d'abord qui a écrit le livre, si c'est un homme ou si c'est Dieu. Si c'est un homme nous rejetterons son couvre : N'appelez personne votre maître sur la terre (Matth. XXIII, 8) ; si c'est Dieu, nous le recevrons; c'est d'en haut que vient notre doctrine: telle est en effet notre dignité, que nous ne recevons rien des hommes, mais tout de Dieu par le moyen des hommes.

Recherchons donc qui a écrit ce livre, à qu’elle époque, sur quelle matière et pourquoi il nous a été ordonné de le lire en cette fête, la seule fois peut-être que vous l'entendiez lire de toute l'année; cette question a aussi son importance; nous rechercherons ensuite pourquoi il est intitulé : Actes des Apôtres. Car il ne nous faut pas passer légèrement sur les titres, ri nous jeter de suite sur le commencement du livre , mais en examiner l'inscription. De même qu'en nous la tète fait connaître mieux le reste du corps et que la vue de la partie supérieure le manifeste davantage, ainsi le titre placé à la tête d'un livre, avant le texte, rend plus clair tout ce qui suit. Ne voyez-vous pas que dans les tableaux qui représentent les rois, àla partie supérieure se trouve le portrait du monarque avec son nom, et plus bas ses trophées, ses victoires, ses belles actions? Il en est de même des Ecritures. Le portrait du roi se trouve en haut, et plus bas vous voyez ses trophées, ses victoires, ses belles actions. Nous faisons de même lorsque nous recevons une lettre ; avant de dénouer l'attache et de lire le contenu, nous parcourons la suscription qui se trouve au dehors pour savoir de suite qui a écrit et qui doit recevoir la lettre. Et ne serait-ce pas une inconséquence que d'en user ainsi dans les choses ordinaires de la vie, de faire (41) chaque chose en son temps, sans s'agiter, sans se troubler, et au contraire, quand il s'agit des Ecritures, de se jeter de suite sur le commencement? Voulez-vous savoir quelle est l'utilité d'un titre, sa valeur, sa force, surtout dans la sainte Ecriture? Ecoutez et apprenez à ne pas rejeter dédaigneusement le titre des saints Livres. Un jour saint Paul entra à Athènes (c'est le livre même dont nous commençons l'explication qui rapporte ce fait) : il trouva dans la ville non un livre divin, mais un autel d'idoles, avec cette inscription : Au Dieu inconnu ; et loin de rejeter ce titre, il s'en servit pour renverser l'autel. Paul le saint, Paul rempli de la grâce du Saint-Esprit, ne méprisa pas l'inscription de l'autel, et vous, vous regardez avec indifférence le titre des Livres divins ! Paul s'empare de ce qu'avaient écrit les Athéniens idolâtres, et vous, vous ne regardez pas comme nécessaire ce qu'a écrit l'Esprit-Saint! Mais quelle excuse trouverez-vous ? Voyons quel avantage il a su tirer de cette inscription, et quand vous aurez vu tout ce qu'elle renfermait, vous apprendrez à estimer bien plus les titres des saints Livres. Saint Paul entra dans la ville, il y trouva un autel qui avait pour inscription : Au Dieu inconnu. Que faire? Tous étaient païens, tous impies. Que faire? S'appuyer dans son discours sur l'Evangile ! Mais ils s'en seraient moqués. Sur les prophètes et les commandements rte la loi'? Mais ils n'y auraient pas cria. Que fait-il alors? Il a recours à l'autel et va chercher parmi les ennemis des armes contre eux-mêmes. C'est bien là ce qu'il dit : Je me suis fait tout et tous, je me. suis fait comme Juif avec, les Juifs, avec ceux qui étaient sans loi comme si j'eusse été sans loi. (I Cor. IX, 21.) Il vit l'autel, il vit l'inscription, il se leva sous l'inspiration du Saint-Esprit. Car telle est la grâce du Saint-Esprit : pour ceux qui l'ont reçue, tout devient une occasion de gain; telles sont nos aunes spirituelles : Réduisant en servitude, dit-il, toute intelligence sous l'obéissance du Christ. (II Cor. X, 5.) Il voit l'autel et, loin de craindre, il s'en empare : ou plutôt il laisse là l'inscription matérielle et en saisit le sens. Si, dans une bataille, un général voyant dans l'armée ennemie un vaillant soldat, le prenait par la tête, l'attirait dans ses rangs et le faisait combattre pour lui , il agirait comme saint Paul; voyant en effet que cette inscription était, pour ainsi dire, dans les rangs ennemis, il l'attira à lui de sorte qu'elle fut du côté de saint Paul contre les Athéniens, et non du côté des Athéniens contre saint Paul. C'était un glaive pour les Athéniens, une épée pour les ennemis que cette inscription ; mais le glaive même des ennemis servit à leur trancher la tête. Il eût été moins étonnant qu'il les eût abattus avec ses propres armes, parce que ainsi se passent ordinairement les choses. Ce qu'il y a d'étrange et d'insolite, c'est qu'il tourne contre les ennemis les armes dont ils se servaient; qu'il les blesse à mort avec l'épée qu'ils portaient contre nous.

4. Telle est la puissance du Saint-Esprit ; c'est ainsi que David fit autrefois; il sortit sans armes, afin que la grâce du Saint-Esprit parût tout entière : car, dit-il, qu'il n'y ait rien d'humain là où Dieu combat pour nous. Il marcha donc sans armes et il abattit ce géant. Puis, comme il n'avait pas d'armes, il courut, saisit l'épée de Goliath et coupa la tête du barbare. Saint Paul fit de même avec l'inscription de l'autel. Et pour que vous sachiez bien comment a été remportée cette victoire, je vous montrerai la puissance de cette inscription. Saint Paul trouva donc à Athènes un autel où il était écrit Au Dieu inconnu. Quel était ce Dieu inconnu , sinon le Christ? Voyez-vous comment il s'empare rte cette inscription, non pour la ruine de. ceux qui l'avaient écrite, mais pour leur, bien et leur salut? Quoi clone ! les Athéniens avaient mis cette inscription pour le Christ ! — S'ils l'avaient mise pour le Christ, il n'y aurait ici rien d'étonnant; ce qui m'étonne, c'est qu'ils l'ont écrite pour une fin et que saint Paul a pu la taire servir à une autre. Il me faut d'abord dire pourquoi les Athéniens avaient écrit . Au Dieu inconnu. Pourquoi l'avaient-ils écrit ? Ils avaient beaucoup de dieux, ou plutôt de démons : car tous les dieux des nations sont des démons. (Ps. XCV, 5.) Ils en avaient d'indigènes et d'étrangers. Vous voyez quelle dérision ! Si c'est un dieu, il n'est pas étranger, car il est maître de la terre tout entière. Les uns, ils les avaient reçus de leurs pères, les autres des nations voisines , des Scythes, des Thraces, des Egyptiens. Si vous étiez instruits de la science profane, je pourrais vous raconter toutes ces histoires. Mais comme loin d'exister tous dès le principe, ces dieux n'avaient été introduits que peu à peu, ceux-ci dans l'antiquité, ceux-là tout récemment, les Athéniens se rassemblèrent et se dirent les uns aux autres : En voici que nous ignorions (42) d'abord, que nous n'avons appris que bien tard à connaître et à adorer. Mais il y en a un autre que nous ignorons, qui est vraiment Dieu, mais que nous ne connaissons pas; cette ignorance est cause que nous le négligeons et que nous ne l'adorons pas. Que faire pour lui rendre nos devoirs? Alors ils lui élevèrent un autel et v placèrent pour inscription : Au Dieu inconnu, afin que, s'il y a un Dieu, dirent-ils, que nous ne connaissions pas encore, nous le servions cependant. Voyez quel excès de superstition ! Aussi saint Paul leur dit dès l'abord: Athéniens, je vous vois, en toutes choses, religieux, mais jusqu'à l'excès. (Act. XVII, 22.) Vous honorez non-seulement les dieux que vous connaissez, mais même ceux que vous ne connaissez pas encore. Voilà pour quelle raison ils avaient écrit au Dieu inconnu, et saint Paul l'interprète autrement. Ils l'avaient écrit des autres faux dieux, saint Paul l’interprète du Christ, s'emparant de leur pensée et la tournant contre eux : Celui que vous adorez sans le connaître, Je vous l'annonce (Act. XVII, 28), dit-il, car ce Dieu inconnu c'est autre que le Christ. Et voyez la prudence de l'Apôtre ! Il n'ignorait pas que les Athéniens l'accuseraient de leur faire entendre des dogmes étrangers, de leur apporter des nouveautés, de leur présenter un Dieu qu'ils ne connaissaient pas. Pour réfuter d'avance cette accusation de nouveauté et montrer que, loin de prêcher un Dieu étranger, il annonce Celui qu'ils ont prévenu de leurs honneurs, il poursuit et il dit : Celui que vous adorez sans le connaître, moi je vous l'annonce : vous m'avez devancé, leur dit-il; vos adorations ont prévenu ma prédication. Ne dites donc pas que j'apporte un nouveau dieu; j'annonce Celui que, sans le connaître, vous honoriez déjà, non d'une manière digne de lui, il est vrai, mais enfin que vous honoriez. Au Christ, ce n'est pas cet autel qu'il faut dresser, mais un autel vivant et spirituel : de celui-là cependant je puis vous conduire à celui-ci. Autrefois les Juif. servaient Dieu comme vous; riais ils ont abandonné le culte du corps pour passer à celui de l'âme, ceux du moins qui se sont convertis. Voyez-vous la sagesse de Paul, sa prudence? Voyez-vous comment il les confond, non lias en s'appuyant sur l'Évangile, ni sur les prophètes, mais sur leur inscription? Ainsi, mes chers frères, ne passez pas légèrement sur le titre des Livres divins. Pour peu que vous soyez attentifs et appliqués, vous trouverez hors du texte sacré bien des choses utiles. Celui qui sait amasser trouve toujours à gagner; celui qui ne le sait pas, trouvât-il un trésor, n'aura jamais rien.

Voulez-vous un autre exemple d'une parole prononcée pour une fin, mais dont l'Evangéliste s'est servi pour une fin bien différente? Ecoutez avec attention, et vous verrez que lui aussi a réduit toute intelligence sous l'obéissance du Christ (II Cor. X, 5), et que si nous pouvons ainsi réduire en captivité ce qui est en dehors de nous, à plus forte raison pouvons-nous le faire, et plus complètement encore, pour ce qui est en nous. Caïphe était le grand prêtre de cette année-là. C'était là une coutume introduite par la corruption des Juifs ; ils déshonoraient jusqu'au sacerdoce et rendaient vénale la dignité de grand prêtre. Autrefois, il n'en était pas ainsi : la mort seule mettait un terme au souverain pontificat; mais en ces temps plus modernes, ils étaient privés de leur charge, même pendant leur vie. Caïphe donc, grand prêtre pour cette année-là, excitait les Juifs contre le Christ et leur disait : Il faut qu'il meure, et pourtant il n'avait rien à lui reprocher; seulement l'envie le rongeait. Voilà le caractère de cette passion, voilà comme elle récompense les bienfaits. Aussi quel prétexte pouvait-il donner à ses accusations? Il est avantageux qu'un seul homme meure et que toute la nation ne périsse pas. (Jean, II, 50.) Et voyez comment toute la force de cette parole tourne à notre avantage ! Cette parole qui sortait de la bouche du grand prêtre était susceptible d'un sens spirituel qu'il ne comprenait pas. Il est avantageux qu'un seul homme meure, et que toute la nation ne périsse pas. Or il ne dit pas cela de lui-même, ajoute saint Jean, mais, pontife de cette année-là, il prophétisa que le Christ devait mourir, non-seulement pour les Juifs, mais pour toute la nation, c'est-à-dire pour toute la race des hommes; c'est pour cela qu'il dit : Il est avantageux qu'un seul homme meure et que la nation ne périsse pas toute entière. Voyez-vous la puissance de Dieu, et comme il force la langue de ses ennemis à rendre témoignage à la vérité ?

5. Vous ne devez donc pas négliger les titres des divines Ecritures; ce que j'ai dit suffira si vous le gravez dans vos mémoires. J'aurais voulu vous faire voir encore qui a composé ce livre, quand et pourquoi il l'a été ; mais bornons-nous à la question que nous avons traitée (43) et remettons le reste à l'instruction prochaine, si Dieu le permet. Car je désire m'adresser maintenant aux néophytes. J'appelle néophytes, ceux qui ont été baptisés, non-seulement il y a deux, trois, dix jours, mais ceux qui l'ont été il y a un an ou plus, ce nom leur doit convenir encore s'ils montrent un grand soin de leur âme; ils peuvent, après dix ans, s'appeler néophytes s'ils gardent la fleur de jeunesse que leur a donnée le baptême. Qu'est-ce qui fait le néophyte? Ce n'est pas le temps, mais la pureté des moeurs. Celui qui n'y donne pas ses soins peut, au bout de deux jours, perdre son nom et sa dignité. Je vous montrerai, par un exemple, comment un néophyte perd, au bout de deux jours, la grâce et l'honneur qu'il a reçus. Je vous en donne un exemple pour que, voyant la chute d'un autre, vous vous affermissiez dans le salut. Car si la vue de ceux qui restent fermes nous est un encouragement, la vue de ceux qui tombent doit aussi nous préserver de toute chute, de tout mal. Simon le Magicien s'était converti et, après avoir reçu le baptême, il s'était attaché à Philippe dont il voyait les miracles; mais peu de jours s'étaient écoulés qu'il retombait dans ses vices, voulant acheter à prix d'argent la grâce de Dieu. Aussi que dit saint Pierre à ce néophyte? Je vois que tu es dans un fiel d'amertume et dans des liens d'iniquité; aussi prie Dieu, et peut-être que ce péché te sera pardonné. (Act. VIII, 23.) Il n'a pas encore combattu et déjà il est tombé dans une faute impardonnable. Or de même qu'on peut au bout de deux jours tomber et perdre le nom de néophyte avec la grâce reçue, de même on peut conserver dix ans, vingt ans et jusqu'au dernier jour de la vie, ce nom et cette dignité si illustres, si vénérables; témoin l'apôtre saint Paul dont la vieillesse surtout fut glorieuse. Car cette jeunesse , ce n'est pas la nature qui nous la donne; mais le choix est en nos mains de vieillir ou de garder notre jeunesse. Pour le corps, quand vous emploieriez toutes les sollicitudes, que vous dépenseriez tous vos soins, que, de peur de le briser, vous resteriez toujours dans l'intérieur de vos appartements, que vous lui épargneriez et les travaux et les occupations continuelles, il subira la loi de la nature , la vieillesse l'atteindra. De l'âme, il n'en est pas ainsi ; si vous ne la brisez pas, que vous ne la plongiez pas dans les sollicitudes terrestres et les préoccupations mondaines, elle gardera intacte sa jeunesse. Voyez-vous ces astres suspendus aux cieux? Ils brillent depuis six mille ans déjà, et aucun d'eux n'a vu diminuer son éclat. Si la nature est assez puissante pour conserver la lumière sans altération, la volonté ne pourra-t-elle pas à plus forte raison la faire subsister dans toute son intégrité et telle qu'elle a brillé dès le commencement? Ou plutôt, non-seulement, si nous voulons, elle gardera son premier éclat, mais elle deviendra de plus en plus brillante jusqu'à rivaliser avec les rayons du soleil. Voulez-vous savoir comment on peut, après bien des années, être encore néophyte ? Ecoutez saint Paul s'adressant à des chrétiens, baptisés depuis longtemps : Vous brillez comme des astres dans le monde, gardant la parole de vie pour ma gloire. (Philip. II, 15, 16.) Vous avez dépouillé le vêtement antique et lacéré, vous avez été parfumés d'un parfum spirituel, tous, vous êtes devenus libres ; que personne ne retombe dans la servitude d'autrefois : c'est pour l'éviter qu'il faut la guerre et le combat.

Aucun esclave n'est admis à combattre , aucun n'est soldat; si on en découvre un dans l'armée, on le châtie et on le raye de la liste des combattants. Ce n'est pas seulement dans notre milice qu'il en est ainsi, mais même aux jeux d'Olympie. Car après avoir passé dans cette ville trente jours, on vous conduit aux portes, et là, quand les spectateurs sont assis, le héraut crie : S'élève-t-il quelque grief contre ce lutteur? et, quand tout soupçon sur sa liberté est ainsi dissipé, alors on le conduit dans l'arène. Mais si le démon n'admet pas d'esclaves pour ses combats, oserez-vous, esclave du péché, combattre les combats du Christ? A Olympie, le héraut crie : S'élève-t-il quelque grief contre ce lutteur ? ici le Christ ne parle pas de même. Quand tous s'élèveraient contre vous avant votre baptême, ils ne l'empêcheront pas de dire : Je le recevrai pour mon disciple, je le délivrerai de la servitude, et après l'avoir rendu libre, je l'admettrai à combattre. Voyez quelle est sa charité ! Sans rechercher ce qui s'était passé auparavant, il ne demande compte que de ce qui a suivi. Lorsque vous étiez esclaves, vous aviez mille accusateurs, votre conscience, le péché, tous les démons. Rien de tout cela, dit-il, ne m'a irrité contre vous, je ne vous ai pas regardé comme indigne d'entrer dans les rangs de mes soldats; je vous ai choisi pour combattre mes combats, non par votre (44) mérite, mais par ma grâce. Restez donc et luttez, soit à la course, soit au pugilat, soit au pancrace, sans crainte, sans témérité, du mieux que vous pouvez. Ecoutez ce qu'a fait saint Paul. A peine sortait-il de l'eau régénératrice, aussitôt après son baptême, il se met à combattre, il annonce que Jésus est le Fils de Dieu; dès le premier jour, il confond les Juifs. Vous ne pouvez pas prêcher, vous n'avez pas la parole de la doctrine ! Mais vous pouvez enseigner par vos oeuvres, par votre conduite, par vos belles actions : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. IV, 5, 6.) Vous ne pouvez pas confondre les Juifs par votre parole ? Confondez-les par votre conduite; que les Gentils même soient frappés de cette conversion. Lorsqu'ils vous verront, vous, autrefois impies, méchants, paresseux, corrompus; lorsqu'ils vous verront, dis-je, convertis à la foi, convertis aux bonnes moeurs, ne seront-ils pas confondus et ne se diront-ils pas, comme autrefois les Juifs à propos de l'aveugle-né : C'est lui, ce n'est pas lui, c'est lui-même. (Jean, IX, 8, 9.) Ce sont là les paroles de gens confondus ; ils ne sont plus sûrs de ce qu'ils connaissent, ils se partagent d'avis, ils n'en croient plus ni leur esprit ni leurs yeux. Ce Juif venait d'être guéri de la cécité du corps, vous de la cécité de l'âme; il pouvait regarder ce soleil matériel, vous, le soleil de justice. Vous avez reconnu votre Maître : que vos oeuvres répondent à cette connaissance, afin que le royaume des cieux soit votre partage, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit au Père gloire, honneur, puissance, ainsi qu'à l'Esprit saint et vivificateur, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE.

Prononcée dans la vieille église où il n'y avait pas eu de réunion depuis longtemps ; — que la vie vertueuse vaut mieux que les miracles et les prodiges ; — sur la différence qu'il y a entre la bonne vie et les miracles.

ANALYSE.

1° Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes. de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Tel est le rempart de l'Eglise contre lequel sont venus se briser tous les efforts de la gentilité et de l'hérésie. — 2° L'Eglise a été bâtie par les mains des apôtres sur le fondement des prophètes. Pourquoi ce titre : Actes des Apôtres, plutût que tout autre ? — 3° Différence entre les actes et les miracles. Les actes viennent de la volonté et de la grâce ; les miracles de la grâce seulement; ce sont les actes et non les miracles qui ouvrent le ciel. — 4° Ce qui fait les apôtres c'est la charité et non les miracles. — 5° L'orateur poursuit sa thèse tout en commentant le miracle du boiteux guéri par saint Pierre à la porte du temple. — 6° Résumé et exhortations.

1. Nous voici donc rassemblés de nouveau dans cette église notre mère, cette église si chère à nos coeurs, cette église notre mère et mère de toutes les églises. Mère, non pas seulement parce qu'elle a été bâtie il y a Ion, temps, trais parce qu'elle a été fondée par les mains des apôtres. C'est pour cela que, renversée souvent en haine du nom du Christ, elle a toujours été relevée par la puissance du Christ. Et ce ne sont pus seulement les mains des apôtres qui l'ont fondée , mais le Maître des apôtres l'a édifiée d'une manière nouvelle et inouïe. Il n'a pas rassemblé, pour la bâtir, du bois et des pierres, ni creusé un fossé pour en marquer l'enceinte, ni enfoncé des pieux, ni élevé des tours; il n'a prononcé que deux paroles et. elles lui ont tenu lieu de rempart, de tour, de fossé et de tout autre moyen de défense. Et quelles sont les paroles qui ont produit un si grand effet? Sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. ( Matth. XVI , 18.) Voilà le rempart, le mur d'enceinte, la défense, le port, le refuge. Jugez combien ce mur est inexpugnable. Jésus-Christ n'a pas dit seulement que les ruses des hommes ne prévaudraient pas contre elle, mais même les machinations de l'enfer : Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Il n'a pas dit : " ne l'attaqueront pas, " mais ne prévaudront pas contre elle; elles l'attaqueront, mais ne la vaincront pas. Et qu'est-ce donc que les portes de l'enfer? Car peut-être le sens de ce mot ne vous est pas bien connu. Voyons ce que c'est que la porte d'une ville et nous saurons ce que c'est que la porte de l'enfer. La porte d'une ville, c'est l'entrée qui y conduit : donc, la perte de l'enfer, c'est le danger (45) qui y mène. Voici donc en d'autres termes ce que dit Notre-Seigneur : Quand même mon Eglise serait attaquée , assiégée par des épreuves capables de la précipiter en enfer, elle n'en restera pas moins immobile. Il pouvait ne pas permettre qu'elle fût exposée au danger : pourquoi donc l'a-t-il permis? Parce que c'est la marque d'une bien plus grande puissance de permettre que les épreuves vous assiègent sans pouvoir vous vaincre que de les empêcher de vous assiéger. Aussi a-t-il permis que son Eglise fût soumise à toutes les épreuves afin qu'elle en devînt plus illustre. La tribulation produit la patience; la patience, l'épreuve. (Rom. V, 3-4). Et pour montrer sa force avec plus d'évidence encore, il retire son Eglise des portes mêmes de la mort. C'est pour cela qu'il permet la tempête et qu'il ne permet pas que la barque soit submergée : car nous admirons un pilote, non pas lorsque, naviguant par un temps favorable ou le vent en proue, il conduit son vaisseau sain et sauf; mais lorsque, la mer étant orageuse, les flots irrités, la tempête déchaînée, il oppose son art à l'impétuosité du vent et sauve son vaisseau du milieu des périls. Ainsi fait le Christ. En plaçant, comme un navire sur la mer, son Eglise sur la terre, il n'a pas enchaîné la tempête, mais a sauvé l'Église de la tempête ; il n'a pas empêché la mer de s'irriter, mais il a assuré !e salut du navire. Les peuples s'élèveront de toutes parts comme les flots en fureur, les esprits mauvais l'attaqueront comme des tempêtes déchaînées, l'envelopperont comme un ouragan, le Christ veille à la conservation de l'Église. Et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la tempête non-seulement n'a pas été maîtresse du vaisseau, mais encore a été vaincue par le vaisseau. Les persécutions continues, loin de vaincre l'Église, ont été vaincues par elle. — Comment, d'où, de quelle manière? — Parce que ces paroles se sont réalisées : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.

Que n'ont pas fait les Gentils pour donner à cette parole un démenti, pour rendre cette promesse impuissante ! et ils n'y sont point parvenus : car c'était la parole de Dieu. Voyez cette tour bâtie de blocs de granit, solidement revêtue de fer : les ennemis, l'attaquant de tous côtés, n'en ébranlent pas la structure, n'en désorganisent pas l'arrangement, mais se retirent la laissant intacte, sans aucun dommage, n'ayant ruiné que leurs propres forces de même cette parole, comme une tour inexpugnable, bâtie avec solidité au milieu de la terre, a été de tous côtés attaquée par les Gentils, mais ils n'ont abouti qu'à rendre sa force plus évidente, qu'à briser leur puissance, et ils sont morts ! Quelles trames n'ont-ils pas ourdies contre cette promesse? Ils ont levé des troupes, saisi leurs armes, les rois se sont préparés à la guerre, les peuples se sont levés, les villes se sont agitées, les juges se sont irrités et ont employé tous les. genres de supplices; aucune espèce de peine n'a été omise feu, fer, dents des bêtes féroces, précipices, submersions, gouffres, bois, croix, fournaises ardentes, tous les tourments imaginables, tout a été employé; ils ont employé des menaces incroyables, d'incroyables promesses pour effrayer les uns, pour séduire et attirer les autres. Ruse et violence, tout a été tenté. Les pères ont livré leurs enfants, les enfants ont renié leurs pères, les mères oubliaient ceux qu'elles avaient portés dans leurs entrailles, les lois de la nature étaient méconnues. Et pourtant ces assauts n'ont pas ébranlé les remparts de l'Église, et ses propres enfants ont levé l'étendard de la révolte, sans que la guerre ait porté aucune atteinte à la solidité de ses murs, à cause de cette parole : Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Songez que ce n'était pas une parole quelconque, mais la parole de Dieu. D'une parole Dieu fonda le ciel, d'une parole il affermit la terre sur les eaux (Ps. CIII, 5), il fit soutenir cet élément solide et pesant par un élément léger et fluide; et cette mer à la violence irrésistible, aux flots gigantesques, la parole de Dieu lui a donné pour rempart un fragile grain de sable. Mais si d'une parole Dieu a fondé le ciel, affermi les fondements de la terre, donné des bornes à la mer, vous étonnerez-vous que par une parole il ait entouré comme d'un rempart inexpugnable son Eglise bien plus noble que le ciel, la terre et la mer?

2. Mais l'édifice étant si solide, le rempart si inexpugnable, voyons comment les apôtres en ont jeté les fondements, à quelle profondeur ils ont creusé pour élever une construction aussi inébranlable. Ils n'ont pas eu besoin de creuser profondément, de se livrer à un grand travail. Pourquoi? C'est qu'ils ont trouvé un premier fondement déjà ancien, celui des prophètes. Un homme qui, sur le point de bâtir (46) une grande maison, trouverait un ancien fondement ferme et solide, se garderait bien de le bouleverser, d'en remuer les pierres, mais le laissant tel qu'il le trouverait, il élèverait là-dessus son nouvel édifice; de même les apôtres, pour bâtir ce grand édifice de l'Eglise qui embrasse la terre entière, n'ont pas creusé profondément; mais, ayant trouvé un fondement ancien, celui des prophètes, ils ne l'ont pas bouleversé, n'ont pas renversé cette construction, cette doctrine, mais la laissant intacte, ils ont élevé par-dessus leur propre doctrine et la foi nouvelle de l'Eglise. Et si vous voulez être bien certains qu'ils n'ont pas renversé le fondement premier, mais qu'ils ont bâti dessus, écoutez saint Paul, ce sage architecte, nous rendant un compte exact de cette construction; c'est le sage architecte qui dit lui-même: J'ai, comme un sage architecte, posé le fondement. (I Cor. III, 10.) Voyons comment il l'a posé. Sur un autre fondement plus ancien, celui des prophètes. D'où le savez-vous? Vous n'êtes plus des hôtes et des étrangers, dit-il, mais les concitoyens des saints, bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes. (Ephés. II, 19, 20.) Vous voyez deux fondements, celui des prophètes, et au-dessus celui des apôtres. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que les apôtres ne suivirent pas immédiatement les prophètes et qu'il y eut entre eux un grand intervalle. Pour quelle raison? C'est ainsi que font les meilleurs architectes; après avoir posé le fondement, ils n'élèvent pas de suite l'édifice de peur qu'étant trop peu solide et trop récent, il ne puisse porter le poids des murs. Ils laissent au contraire les pierres s'affermir par le temps, et quand ils les voient solidement reliées entre elles, ils construisent les murs. Le Christ a fait de même; il a laissé le fondement des prophètes s'affermir dans l'esprit des auditeurs, leur doctrine s'y solidifier, et quand cette première construction fut devenue inébranlable, que ces saints enseignements eurent pénétré assez profondément pour pouvoir supporter la loi nouvelle, alors il envoya les apôtres pour élever sur le fondement des prophètes les murs de l'Eglise. Mais voyons comment ils furent bâtis.

Qui nous l'apprendra ? Qui, sinon le livre des Actes dont je vous ai parlé, les jours précédents ? Et peut-être ai-je par suite de cela contracté à votre égard une dette que je veux acquitter aujourd'hui. Quelle dette ? Efforçons-nous d'expliquer le titre du livre. Car il n'est pas aussi simple, aussi clair que beaucoup le croient; il réclame notre sagacité. Quel est le titre de ce livre ? — Actes des Apôtres. — N'est-ce pas clair, évident, à la portée de tous? — Oui; mais si vous examinez ce qui est rapporté dans le livre, vous verrez combien ce titre est profond. Pourquoi ne pas dire Merveilles opérées par les apôtres? Pourquoi ne pas dire Miracles des apôtres ou encore Puissance et prodiges des apôtres? Pourquoi préférer Actes des apôtres? Ce n'est pas la même chose de dire Actes ou Miracles, Actes ou prodiges, Actes ou Puissance : il y a entre ces termes une grande différence. Un acte c'est le produit de notre propre volonté, un miracle c'est un don de la grâce divine. Voyez-vous la différence de l'acte et du miracle? Un acte, c'est l'effet du travail de l'homme, un miracle, de la libéralité divine; un acte a pour principe notre propre volonté, un miracle la grâce de Dieu; l'un vient du secours d'en-haut, l'autre d'une volonté d'ici-bas. Un acte se compose de deux éléments, de notre activité et de la grâce divine; un miracle ne montre que la grâce divine et ne requiert pas notre coopération. C'est un acte que d'être homme, sage, modeste, que de dompter la colère, de combattre ses passions, d'exercer sa vertu ; c'est un acte, un travail. C'est un miracle au contraire que de chasser les démons, de rendre la vue aux aveugles, de purifier le corps des lépreux, de rendre la vigueur aux membres paralysés, de ressusciter les morts et le reste. Voyez quelle différence entre les actes et les miracles, la sage conduite et les prodiges, notre activité et la grâce de Dieu !

3. Voulez-vous que je vous 1rtontre une autre différence ? car je n'ai d'autre but dans cette instruction que de vous apprendre ce qu'est le miracle, le prodige. Le miracle est par lui-même quelque chose de grand, d'étonnant, quelque chose qui surpasse notre nature. L'action, la sage conduite est moins remarquable que le miracle, mais elle nous est plus avantageuse et plus utile : c'est le fruit de nos travaux et de nos sueurs. Et pour vous donner une preuve que l'action est plus avantageuse et plus utile que le prodige, sachez qu'une bonne action, même sans miracles, conduira au ciel celui qui l'a faite, tandis que les prodiges et les miracles sans les bonnes oeuvres ne peuvent conduire à ce royal séjour. Comment (47) cela? Je vais vous le montrer. Voyez comme les actions sont placées en première ligne quand il s'agit de récompenser; comme les prodiges, seuls et par eux-mêmes, sont impuissants à sauver ceux qui les font; comme au contraire l'action seule et par elle-même, sans avoir besoin d'autre chose, procure le salut à ceux qui l'ont opérée. Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom ? Voilà un prodige, un miracle. En votre nom n'avons-nous pas chassé les démons et opéré bien des merveilles ? ( Matth. VII, 22.) Vous ne voyez partout que des prodiges et des miracles, et aucune bonne oeuvre. Mais comme les miracles sont seuls et qu'il n'y a pas de bonnes œuvres. Retirez-vous de moi, dira le Seigneur, je ne vous connais pas, vous qui opérez l'iniquité! ( Matth. VII, 22-23.) Si vous ne les connaissez pas, comment savez-vous qu'ils opèrent l'iniquité? C'est que cette parole, je ne vous connais pas, ce n'est pas l'ignorance qui la fait prononcer, mais la haine et l'aversion. Je ne vous connais pas; et pourquoi donc, dites-moi? En votre non n'avons-nous pas chassé les démons? C'est précisément pourquoi je vous hais et vous déteste; car mes dons ne vous ont pas rendus meilleurs, et revêtus de tant d'honneur vous avez pu rester dans vos iniquités. Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas!

Quoi donc! ils en étaient indignes, ceux qui anciennement recevaient ces faveurs ! Ces thaumaturges menaient une vie corrompue, et enrichis des dons de Dieu, ils ne s'occupaient pas de rendre leur vie parfaite ! S'ils étaient enrichis, cela leur venait de l'amour de Dieu, non de leur propre mérite. Il fallait que partout se répandît la doctrine du salut, puisque c'était le commencement et comme le premier âge de la religion nouvelle. Lorsqu'un habile cultivateur -vient de confier à la terre un arbre encore frêle, il lui prodigue au commencement des soins empressés, le protége de toutes parts, l'entoure et de pierres et d'épines, afin qu'il ne soit ni renversé par le vent, ni maltraité par les bestiaux, qu'il ne soit, en un mot, exposé à aucune injure; mais quand il est devenu fort et qu'il commence à s'élancer, il enlève toutes ces défenses : car l'arbre peut par lui-même se suffire; il en fut ainsi de la religion. Lorsqu'elle ne faisait que de naître, qu'elle était encore tendre, qu'elle jetait ses premières racines dans les coeurs des hommes, elle exigeait de grands soins; mais quand elle fut profondément enracinée et qu'elle eut pris tout son développement, lorsqu'elle eut rempli toute la terre, le Christ enleva tout ce qui l'entourait et la protégeait. Voilà pourquoi au commencement ces faveurs furent accordées même à des indignes: pour que la foi s'établit, elle avait besoin de ces secours; aujourd'hui des hommes, même qui en sont dignes, ne reçoivent plus ces grâces : la foi est assez forte pour s'en passer. Et afin que vous sachiez que ces hommes dont parle l'Évangile ne mentaient pas, mais qu'ils opéraient réellement des miracles, que ce don avait été accordé à des indignes, et aussi pour que ces mêmes hommes, né se bornant pas aux miracles, perfectionnassent leur vie et que, respectant la grâce de Dieu, ils rejetassent leurs iniquités, Dieu permit que Judas, l'un des douze, opérât, de l'aveu de tous, des prodiges, chassât des démons, ressuscitât des morts, purifiât des lépreux, lui qui cependant perdit le royaume du ciel. Ses miracles ne purent le sauver parce que c'était un scélérat, un voleur, et qu'il trahit le Maître.

Ainsi les miracles ne peuvent sauver s'ils ne sont accompagnés d'une conduite parfaite , d'une vie pure et sans tache; je viens d'en donner les preuves. Oui, une bonne conduite qui n'est pas soutenue de ces faveurs extraordinaires, qui n'est point aidée par ce don des miracles, mais qui est livrée à elle-même, peut se présenter avec confiance au royaume des cieux; écoutez ces paroles du Christ: Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. (Matth. XXV, 34.) Et pourquoi? Parce qu'ils ont ressuscité des morts, purifié des lépreux, chassé des démons? Non; mais pourquoi donc? "Vous m'avez vu épuisé par la faim, dit-il, et vous m'avez nourri; par la soif, et vous m'avez donné à boire; privé de vêtements, et vous m'en avez fourni; d'asile, et vous m'avez recueilli." Vous ne voyez pas de miracles, rien que de bonnes actions. D'un côté il n'y a que des miracles, et la punition n'est pas moins terrible parce qu'il n'y a pas de bonnes oeuvres; de l'autre côté, il n'y a que des bonnes oeuvres, pas de miracles, et néanmoins le salut est accordé; ce qui montre que par elle seule une conduite parfaite procure le salut. Voilà pourquoi le saint, l'illustre, l'admirable Luc intitula son livre Actes des Apôtres et non Miracles des apôtres, bien que les apôtres aient fait des miracles. Mais ceux-ci (48) ont duré un moment et ils sont passés; ceux-là devront être pratiqués pendant tous les siècles par ceux qui veulent se sauver. Et c'est parce que nous devons imiter non les miracles, mais les actes des apôtres qu'il a donné ce titre à son livre. Et afin que vous ne disiez pas ou plutôt afin que les lâches ne disent pas, quand nous leur proposons l'imitation des apôtres , quand nous leur répétons: Imitez Pierre, faites comme Paul, agissez comme Jean, suivez Jacques; afin, dis-je, qu'ils ne nous objectent pas: Mais nous ne pouvons, ils ont ressuscité des morts, purifié des lépreux, Luc rejette cette excuse impudente et leur dit . Silence, taisez-vous : ce ne sont pas les miracles, mais les actes qui conduisent au ciel.

Imitez donc la conduite des apôtres et vous n'obtiendrez pas moins qu'eux. Ce qui les a faits apôtres, ce ne sont pas les miracles, mais la sainteté de leur vie. C'est là le signe qui distingue les apôtres et qui caractérise les disciples : écoutez à ce sujet la parole du Christ. Lorsqu'il veut tracer le portrait de ses disciples et montrer quelle est la marque distinctive des apôtres, il dit : C'est à ce signe que toits reconnaîtront que vous êtes mes disciples. (Jean, XIII, 35.) A ce signe, à quoi? A faire des miracles, à ressusciter des morts? Non ; à quoi donc? C'est à ce signe que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. L'amour n'est pas un miracle, mais une oeuvre : L'amour, c'est la plénitude de la loi. Voyez-vous quelle est la marque des disciples, le signe des apôtres, leur forme, leur type? Ne cherchez rien de plus; le Maître nous a révélé que la charité doit être le caractère propre de ses disciples. Si donc vous avez la charité, vous êtes apôtre et le premier des apôtres.

4. Voulez-vous retirer d'un autre passage le même enseignement? s'adressant à Pierre, le Christ dit : Pierre, m'aimez-vous plus que ceux-ci? (Jean, XXI, 17.) Il n'y a rien qui nous fasse obtenir le royaume du ciel comme d'aimer le Christ autant qu'il le faut. Et lui-même a dit quelle était la marque de cet amour. Quelle est-elle? Que ferons-nous pour l'aimer plus que les apôtres? Sera-ce en ressuscitant des morts ou en faisant quelque autre miracle? Non ; que ferons-nous donc ? Ecoutons le Christ, celui-là même que nous devons aimer: Si vous m'aimez, dit-il, plus que ceux-ci, paissez mes brebis. Vous le voyez, c'est la conduite qui paraît ici encore. Car le zèle, la compassion, le soin, tout cela ce sont des actes, non des miracles ni des prodiges. Mais, direz-vous, s'ils sont devenus tels, c'est à cause de leurs miracles. Ce n'est pas à cause de leurs miracles, mais à cause de leurs actes, et ceux-ci les. ont rendus bien plus illustres. C'est pourquoi il leur dit : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient, non vos miracles, mais vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 16.) Ne voyez-vous pas partout qu'il n'y a de louange que pour la conduite vertueuse et la vie sainte? Voulez-vous que je vous montre Pierre lui-même, Pierre, le chef des apôtres, qui mena une vie si parfaite et qui opéra des merveilles si grandes qu'elles dépassent tout pouvoir humain? voulez-vous, dis-je, que je vous montre et les miracles et les actes comparés ensemble, et Pierre retirant plus d'honneur de ses actes que de ses miracles?

Ecoutez ce récit : Pierre et Jean montaient au temple pour la prière de la neuvième heure. (Act. III, 1.) Ne passez pas trop légèrement sur ce récit; mais arrêtez-vous dès le commencement et voyez quelle était leur affection, leur union, leur accord, combien tqut était commun entre eux, comme ils étaient liés en tout par le lien de la charité divine, comment on les trouvait ensemble soit pendant les repas, soit pendant la prière, soit pendant les voyages, soit en toute autre circonstance. Mais si ces colonnes, ces tours de l'Eglise, ces hommes qui avaient auprès de Dieu un si libre accès, avaient besoin du secours l'un de l'autre, et retiraient un grand avantage de cette assistance mutuelle, combien plus nous , si faibles , si malheureux, si vils, n'avons-nous pas besoin d'être aidés les uns par les autres? Le frère qui est soutenu par son frère est comme une ville fortifiée (Prov. XVIII, 19); et en un autre endroit: N'est-il pas bien beau et bien agréable pour des frères d'habiter ensemble? (Ps. CXXXII,1.) Pierre et Jean étaient ensemble et ils avaient Jésus au milieu d'eux : Là où deux ou trois, dit-il, sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. (Matth. XVIII, 20. ) Voyez comme il est beau d'être réunis ! Mais ils n'étaient pas seulement réunis; nous aussi nous sommes tous réunis maintenant; mais il faut être unis par le lien de la charité, par une affection volontaire. Mais de même que nos corps sont près les uns des autres et se tiennent mutuellement, il faut (49) aussi que nos coeurs se tiennent les uns les autres: Pierre et Jean montaient au temple. Le voile est déchiré, le saint des saints désert, on adore Dieu bien ailleurs que dans le temple de Jérusalem, saint Paul crie : En tout lieu levez des mains pures, pourquoi courent-ils donc au temple pour prier? Retournaient-ils donc au vain culte des Juifs? Non, non t Mais ils condescendaient à leur faiblesse et accomplissaient la parole de saint Paul qui disait : Je me suis fait comme juif avec les juifs. (I Cor. IX, 20.) Ils ont de la condescendance pour les faibles afin que cette faiblesse disparaisse.

D'ailleurs toute la ville se portait encore là; et de même que les pêcheurs les plus habiles recherchent les endroits des fleuves où tous les poissons se rassemblent, afin de réussir mieux et plus facilement dans leurs travaux; de même les apôtres, ces pêcheurs spirituels, se rendaient à cet endroit où toute la ville se réunissait, afin d'y tendre le filet de l'Evangile et de faire une pêche plus abondante. En cela ils imitaient leur Maître. Car le Christ dit : Tous les jours j'étais assis au milieu de vous dans le temple (Matth. XXVI, 55.) Pourquoi dans le temple? Pour attirer ceux qui s'y trouvaient. De même les apôtres s'y rendaient pour prier, et surtout pour y répandre leur doctrine: Dans le temple, pour prier, à la prière de la neuvième heure. Ce n'est pas sans motif qu'ils ont choisi ce temps : car je vous ai souvent parlé de cette heure, et je vous ai dit qu'à ce moment le paradis avait été ouvert, que le bon larron y était entré, que la malédiction avait cessé, quela victime du genre humain avait été immolée, que les ténèbres avaient disparu, que la lumière avait brillé, aussi bien la lumière sensible que la lumière spirituelle,. De la neuvième heure Ainsi au moment où tant d'autres, quittant le manger et le boire vont se livrer, à un sommeil profond, ceux-ci, à jeun, éveillés, animés par le zèle, courent se livrer à la prière. (tais s'ils avaient besoin de la prière, d'une prière si continue, d'une prière si parfaite, eux qui avaient tant de motifs d'être complètement rassurés, eux qui n'avaient rien à se reprocher, que ferons-nous, nous couverts de mille blessures, et qui n'y appliquons pas le baume de la prière? C'est une armure solide que la prière. Voulez-vous savoir combien c'est une armure solide? Les apôtres abandonnaient le soin des pauvres pour se livrer complètement à la prière : Choisissez , dit saint Pierre, parmi vous sept hommes de bon témoignage; pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. (Act. VI, 3.)

5. Mais, comme je le disais (car il ne faut pas nous éloigner de notre sujet, savoir que saint Pierre accomplit des actes de vertu, qu'il fit aussi des miracles, et que ses actes lui attirent plus de gloire), il alla au temple pour y prier, et voilà qu'on apportait à la porte d u temple un homme boiteux dès le sein de sa mère. C'est dès le sein de sa mère que sa constitution était défectueuse et l'art de la médecine ne pouvait rien sur cette maladie, afin que la grâce de Dieu parût dans un plus grand éclat. Ce boiteux était placé à la porte du temple, et voyant ces hommes qui entraient, il se tourna vers eux, leur demandant l'aumône, et Pierre lui dit : Regarde-nous. A le voir, on pouvait juger de sa pauvreté; il n'est pas besoin ni de discours, ni de démonstration , ni de réponse , ni de preuve; son habit seul nous fait voir en lui un pauvre. L'oeuvre apostolique par excellence c'est de parler au pauvre, de ne pas le délivrer de sa pauvreté seulement, de lui dire : Tu verras une richesse autre et plus grande que celle de ce monde : De l'argent, dit-il, et de l'or, je n'en ai pas; mais ce que j'ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche! (Act. III, 6.) Voyez-vous la pénurie et la richesse, pénurie d'argent, richesse de grâces ? Il n'a pas fait disparaître la pénurie d'argent, mais bien le défaut de la nature.

Voyez l'affabilité de saint Pierre : Regarde-nous. Il ne lui adresse ni injures, ni insultes, ce que nous faisons bien souvent aux personnes qui viennent nous supplier, leur reprochant leur oisiveté. Avez-vous reçu cette mission , dites-moi? Dieu ne vous a pas commandé de reprocher à votre frère pauvre sa paresse, mais de soulager sa détresse; il a voulu que vous fussiez non l'accusateur de ses vices, mais le médecin de ses infirmités; non que vous lui reprochiez sa lâcheté, mais que vous lui présentiez une main secourable; non que vous blâmiez ses moeurs, mais que vous soulagiez sa faim. Et nous, nous faisons tout le contraire; au lieu de consoler par nos dons ceux qui viennent nous supplier, nous irritons leurs blessures par nos reproches intempestifs. Mais saint Pierre s'excuse auprès du pauvre et lui parle avec modestie : Prêtez sans peine votre oreille à la demande du pauvre et répondez-lui avec douceur et miséricorde. (Eccl. IV, 8): De l'argent et de (50) l'or, je n'en ai pas; mais ce que j'ai je te le donne : au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche! Il y a là un acte et un miracle. Un acte : De l'argent et de l'or, je n'en ai pas. C'est une vertu que de fouler aux pieds les choses de la terre, de rejeter ce que l'on possède, de mépriser la vanité présente. C'est un miracle que de guérir le boiteux, que de redresser ses membres affligés. Voilà donc un acte et un miracle. Voyons de quoi saint Pierre se glorifie. Qu'a-t-il. dit? Qu'il a fait des miracles? Et pourtant il en avait fait; mais il ne dit pas cela : que dit-il donc? Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre. (Matth. XIX, 27.) Voyez-vous qu'à côté du miracle, la vertu seule est couronnée? Que fit le Christ? Il l'exalta et le loua : Je vous disque vous qui avez quitté vos maisons, etc. Il ne dit pas, qui avez ressuscité des morts, mais vous qui avez abandonné vos biens, vous serez assis sur douze trônes (Matth. XIX, 29), et quiconque abandonne tout ce qu'il possède jouira de la même gloire. Vous ne pouvez redresser un boiteux, comme l'a fait saint Pierre? Vous pouvez du moins dire comme lui : De l'argent et de l'or, je n'en ai pas. Si vous le dites, vous voilà l'égal de saint Pierre, ou plutôt non pas si vous le dites, mais si vous le faites. Vous ne pouvez guérir une main paralysée? Mais vous pouvez faire que votre main paralysée par inhumanité s'étende par charité : Que votre main ne soit pas ouverte pour prendre et fermée pour donner. (Eccl. IV, 36) Vous le voyez, ce n'est pas la paralysie, mais l'inhumanité qui resserre votre main. Etendez-la pour la charité et l'aumône Vous ne pouvez chasser les démons? Mais chassez le péché et votre récompense sera bien plus grande. Voyez-vous comme partout la conduite vertueuse et les bonnes oeuvres obtiennent plus de louanges et une plus belle récompense que les miracles ? Si vous voulez, examinons un autre passage d'où nous recueillerons la même doctrine : Les soixante-dix disciples revinrent vers leur Maître avec joie et lui dirent : Seigneur, en votre nom les démons même nous sont soumis. Et il leur dit : Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. (Luc, X, 17, 20.) Voyez-vous partout la vertu louée et admirée ?

6. Mais reprenons ce que nous avons dit ci-dessus : C'est en ceci que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns pour les autres. Ce sont les vertus, et non les miracles qui seront, dit-il, le signe distinctif de ses disciples: Pierre, m'aimez-vous plus que ceux-ci ? Paissez mes brebis. Voilà un second signe, et c'est encore la vertu qui le fournit. En voici un troisième : Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. C'est encore là un acte de vertu. Voulez-vous voir une quatrième preuve? Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes couvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Là encore on ne voit que des actes. Et quand il dit: Quiconque a quitté ou maison ou frères ou scours à cause de moi, recevra le centuple et aura pour héritage la vie éternelle. Ce sont les actes qu'il loue et la perfection de la vie. Vous voyez que la marque des disciples, c'est de s'aimer les uns les autres : que celui des apôtres qui aime le Christ plus que les autres montre son amour en ce qu'il paît ses frères; que l'on doit se réjouir non de ce que l'on chasse les démons, mais de ce qu'on a son nom écrit dans les cieux; que ceux qui veulent glorifier Dieu doivent le faire par l'éclat de leurs oeuvres; que ceux qui ont pour héritage la vie éternelle et qui sont récompensés au centuple sont ainsi traités pour avoir méprisé tous les biens présents. Imitez-les tous et vous pourrez être disciples, vous pourrez être comptés au nombre des amis de Dieu, glorifier Dieu et jouir de la vie éternelle; ce ne vous sera pas un empêchement pour jouir de tous les biens que de ne pas faire de miracles, si vous avez une conduite parfaite. Si cet apôtre lui-même fut appelé Pierre, ce ne fut pas à cause de ses miracles et de ses prodiges, mais à cause de son amour et de sa remarquable charité. Ce n'est pas après avoir ressuscité des morts ni après avoir guéri un boiteux qu'il reçut ce nom, mais c'est après avoir énergiquement confessé sa foi : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. (Matth. XVI, 18.) Pourquoi? Parce qu'il le reçut non pour avoir fait des miracles, mais pour avoir dit Vous êtes le Christ, le Fils dit Dieu vivant. Vous voyez que s'il est appelé Pierre, cela vient non de ses miracles, mais de son ardente charité. Mais en parlant de Pierre, il me vient en pensée un autre Pierre (1), notre père, notre maître commun qui, héritier de sa vertu, a aussi hérité

1. L'évêque Flavien.

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de son siège. Car c'est là le plus beau titre de gloire de notre cité d'avoir eu pour maître dès l'origine le prince même des apôtres. Il convenait que la ville qui avant tout le reste de la terre, mit sur son front comme un diadème le nom de chrétien, eût pour pasteur le premier des apôtres. Mais après l'avoir eu pour maître, nous ne l'avons pas gardé jusqu'à la fin, nous l'avons cédé à la ville reine du monde, à Rome; ou plutôt nous le gardons jusqu'à la fin; le corps de Pierre, nous ne l'avons pas, mais la foi de Pierre, nous la gardons comme si c'était Pierre ; et ayant la foi de Pierre, nous avons Pierre lui-même. Aussi en voyant l'héritier de son esprit, nous croyons le voir en personne; le Christ a donné à Jean le nom d'Elie , non que Jean fût Elie, mais parce qu'il avait l'esprit et la vertu d'Elfe. De même donc que Jean, parce qu'il avait l'esprit et la vertu d'Elie, était appelé Jean, de même ce prélat, parce qu'il est en communauté de foi avec Pierre, semble mériter ce nom. La similitude de vie produit la similitude des noms. Demandons tous pour qu'il arrive à un âge aussi avancé que Pierre; car l'Apôtre parvint à la vieillesse avant de voir la mort : Quand tu seras vieux, dit le Christ, on te ceindra et on te conduira où tu ne voudras pas. (Jean, XXI,18). Demandons pour notre chef une longue vie; car plus sa vieillesse sera de longue durée, plus elle vivifiera, plus elle fera fleurir notre jeunesse spirituelle : puissions-nous la garder cette jeunesse, grâce aux prières de notre père, aux prières de Pierre, grâce surtout à l'amour et à la charités de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire et puissance, avec le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

TROISIÈME HOMÉLIE

Qu’il est utile de lire la sainte Ecriture ; — quelle délivre de la servitude et rend invincible à toutes les tribulations celui qui les lit attentivement; — que le nom d'apôtre résume en lui plusieurs titres de gloire; — que les Apôtres sont plus grands que les rois ; — au nouveau baptisés.

ANALYSE.

1° Exorde d'un caractère poétique dans lequel l'orateur loue ses auditeurs de leur zèle à entendre la parole de Dieu, et compare la sainte Ecriture à une prairie délicieuse et à une source intarissable. — 2° L'homme qui lit tous les jours l'Ecriture est comme un arbre planté au bord d'une eau courante. Je vous explique lentement la sainte Ecriture, dit l'orateur, afin que tombant sur vos âmes comme une douce pluie elle les pénètre mieux. — 3° Résumé des homélies précédentes et sujet du présent discours : ce que c'est qu'un Apôtre. — 4° La grâce de l'apostolat comprend en soi la plénitude des grâces. Un Apôtre c'est un conseil de l'ordre spirituel. — 5° Comparaison entre l'Apôtre et le magistrat. — 6° Exhortation aux nouveaux baptisés.

1. Quand je considère mon peu de génie, je me sens comme anéanti et je n'ose m'adresser à tout un peuple assemblé pour m'entendre; mais quand je vous vois si remplis d'ardeur, si insatiables d'instructions, la confiance et le courage me reviennent, et je me prépare à entrer généreusement dans cette carrière, dans ce ministère de la parole; à votre vue une âme de pierre deviendrait plus légère que l'oiseau, tant vous apportez, à écouter, de zèle et d'ardeur. De même que les animaux qui vivent dans des tanières ont coutume, après être restés blottis tout l'hiver au fond de leurs cavernes, de quitter ces retraites quand le printemps parait, pour se mêler aux autres animaux et prendre leurs ébats avec eux; ainsi mon âme (52) 'retirée dans la conscience de sa faiblesse comme dans une caverne , ne peut pas , en voyant l'ardeur de votre charité, ne pas quitter sa retraite, se mêler à vous et parcourir joyeusement avec vous la sainte Ecriture, cette prairie spirituelle et divine, ce paradis des saints Livres. C'est une prairie spirituelle, c'est un jardin de délices que la lecture des divines Ecritures, un paradis de délices bien supérieur au paradis terrestre. Dieu a placé ce paradis non sur la terre, mais dans les âmes des fidèles; non dans l'Eden ni vers le couchant, le resserrant dans une seule contrée, mais il l'a étendu par toute la terre , et jusqu'aux extrémités du Inonde habité. Oui, il l'a étendu sur toute la terre; écoutez à ce sujet le Prophète: Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles ont été jusqu'aux extrémités du monde habité. (Ps. XVIII, 5; Rom. X,18.) Que vous alliez dans l'Inde, chez ces peuples que le soleil à son lever visite les premiers, ou vers l'Océan jusqu'aux Iles Britanniques, ou vers le Pont-Euxin, ou dans les contrées septentrionales, partout vous entendrez les hommes répétant les sages maximes de l'Ecriture, avec un accent étranger sans doute, mais avec une même foi , dans une langue différente, mais avec une même pensée. Le son des paroles change, mais la religion ne change pas; barbares par la langue, ces ,hommes sont sages par la pensée, et les solécismes de leur bouche n'empêchent pas la pureté de leur vie.

Voyez-vous la grandeur de ce paradis étendu jusqu'aux extrémités de la terre? Là il n'y a pas de serpents, les bêtes féroces ne s'y trouvent pas, et la grâce du Saint-Esprit protège cette heureuse région. Dans ce paradis comme dans l'autre se trouve une source, une source d'où sortent des milliers de fleuves, et non quatre seulement. Ce n'est pas au Tigre, à l'Euphrate, au Nil, au Gange, mais à des milliers de fleuves que cette source donne naissance. Qui le dit? Dieu lui-même qui, dans sa bonté, nous a donné ces fleuves: Celui qui croit en moi, dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein. (Jean, VII, 38 .) Voyez-vous qu'il sort de cette source, non quatre fleuves, mais des fleuves innombrables? Et ce n'est pas l'abondance seulement, mais aussi la nature des eaux qui rend cette source admirable; car ce ne sont pas des eaux qui coulent, mais les grâces du Saint-Esprit. Cette source se communique à chaque âme fidèle et se partage entre elles sans jamais s'amoindrir, se partage sans jamais tarir, se divise sans diminuer; elle est tout entière en toutes et tout entière en chacune. Car telle est la grâce du Saint-Esprit. Voulez-vous savoir combien ces eaux sont abondantes? Voulez-vous connaître la nature de ces eaux et apprendre qu'elles ne ressemblent pas aux nôtres, qu'elles sont bien supérieures, bien plus admirables? Ecoutez les paroles de Jésus à la Samaritaine, pour comprendre combien cette source est abondante : L'eau que je donnerai, dit-il, au fidèle, deviendra en lui une fontaine d'eau jaillissante dans la vie éternelle. (Jean, IV, 14.) Il n'a pas dit sortante, il n'a pas dit coulante, mais jaillissante, pour marquer qu'elle est inépuisable. Ces eaux qui jaillissent d'une fontaine et se répandent de tous côtés sont celles que la fontaine ne peut plus contenir dans son sein, mais qu'un courant continu force à jaillir. Aussi pour marquer l'abondance de ces eaux, il a dit : non pas qu'elles sortent, mais qu'elles jaillissent.

Voulez-vous savoir quelle est la nature de cette eau? Voyez à quoi elle sert. Elle est utile non pour la vie présente, mais pour la vie éternelle. Restons dans ce jardin, asseyons-nous près de la source, ne faisons pas comme Adam pour ne pas être comme lui chassés de ce lieu. Ne nous laissons pas entraîner par de funestes suggestions, par les mensonges de Satan; restons dans le paradis, nous y trouverons la sûreté ; continuons de nous adonner à la lecture des Ecritures. Ceux qui sont assis à côté d'une fontaine, qui jouissent de la fraîcheur qu'elle procure, qui, pour se protéger contre la chaleur, baignent souvent leur visage dans les eaux, se guérissent facilement de la soif, s'ils viennent à l'éprouver, par ce qu'ils trouvent le remède dans la source : ainsi celui qui est assis auprès de la fontaine des saintes Ecritures, s'il est tourmenté par l'ardeur d'une passion insensée, s'en délivre facilement en baignant son âme dans ces eaux; si la colère s'allume en lui et fait bouillonner son coeur comme la chaleur fait bouillonner un vase, qu'il y jette un peu de cette eau spirituelle et cette passion impudente sera bientôt comprimée. En un mot, la lecture des Livres saints nous délivre de toute pensée mauvaise, comme de flammes dévastatrices.

2. C'est pourquoi David, ce grand prophète qui connaissait l'utilité de la lecture des saints Livres, compare celui qui s'applique aux (53) Ecritures et qui passe sa vie avec elles, le compare, dis-je, à un arbre toujours verdoyant, planté sur le bord d'une rivière : Heureux l'homme qui n'a pas été dans l'assemblée des impies, qui ne s'est point arrêté dans la route des pécheurs, qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence, mais qui place ses affections dans la loi du Seigneur et la médite jour et nuit, il sera comme un arbre planté près d'un cours d'eau. (Ps. I, 1 - 3.) L'arbre planté près d'un cours d'eau, croissant au bord même d'une rivière, jouit sans cesse d'une humidité convenable et brave impunément toutes les intempéries de l'air; il ne craint pas les ardeurs desséchantes du soleil, ni l'air enflammé; ayant en lui-même une sève abondante, il se défend contre la chaleur extérieure et la repousse: de même une âme qui se tient près des eaux de la sainte Ecriture, qui s'en abreuve continuellement, qui recueille en elle-même cette rosée rafraîchissante de l'Esprit-Saint, devient supérieure à toutes les attaques des choses humaines, que ce soit la maladie, la médisance, la calomnie, l'insulte, la raillerie ou tout autre mal; oui, quand toutes les calamités de la terre fondraient sur cette âme, elle se défend facilement contre toutes ces attaques, parce que la lecture de l'Ecriture sainte lui fournit des consolations suffisantes. Ni la gloire au loin répandue, ni la puissance bien établie, ni l'assistance d'amis nombreux, aucune chose humaine enfin, ne peut consoler un homme affligé, comme la lecture de la sainte Ecriture. Pourquoi donc? Parce que ces choses-là sont périssables et corruptibles, et que les consolations qu'elles donnent périssent aussi, la lecture de l'Ecriture sainte, c'est un entretien avec Dieu, et quand Dieu console un affligé, qui pourra le rejeter dans l'affliction?

Appliquons-nous donc à cette lecture, non pas seulement pendant ces deux heures (cela ne suffirait pas pour nous sauver), mais toujours; que chacun rentré chez soi prenne en main les Livres divins et qu'il réfléchisse sur les pensées qu'ils renferment, s'il veut retirer de l'Ecriture sainte un secours continuel et suffisant. Cet arbre planté sur le bord de l'eau n'y reste pas seulement deux ou trois heures, mais tout le jour, mais toute la nuit. Aussi ses feuilles sont abondantes, ses fruits nombreux, et cependant nul homme ne l'arrose; mais placé près d'une rivière, ses racines attirent l'humidité et la communiquent comme par certains canaux à tout le tronc qui en profite: de même, pour celui qui lit continuellement la sainte Ecriture et qui se tient auprès de ces eaux, n'eût-il aucun commentateur, la lecture seule, comme une espèce de racine, lui en fait retirer une très-grande utilité. Ah! je sais vos soucis, vos occupations, vos nombreux travaux : aussi ce n'est que doucement et peu à peu que je vous amène à réfléchir sur l'Ecriture, et la lenteur de mon interprétation en rendra le souvenir plus durable. Un orage tombant par torrents impétueux n'agit que sur la surface de la terre et reste inutile pour les couches inférieures; mais une pluie qui tombe doucement et peu à peu, comme de l'huile, pénètre plus profondément au moyen de certains vaisseaux, de certains canaux, remplit d'eau les cavités qu'elle rencontre et rend la terre bien propre à porter des fruits. Et nous aussi, nous faisons tomber doucement cette pluie spirituelle dans vos âmes. L'Ecriture, c'est un nuage spirituel, ses paroles et ses pensées c'est une pluie bien supérieure à la pluie matérielle; et cette pluie spirituelle, nous la faisons tomber lentement sur vos âmes, afin que nos paroles pénètrent jusqu'au fond. Aussi depuis quatre jours que cette interprétation est commencée, nous n'avons encore pu aller plus loin que le titre ; nous en sommes encore occupés. Il vaut bien mieux ne travailler qu'un petit champ, le remuer profondément et y, trouver en abondance les choses nécessaires que de travailler superficiellement de grandes: étendues de terrain et de n'aboutir qu'à se fatiguer en vain, sans profit, sans résultat. Je sais que cette lenteur déplait à beaucoup; mais ce n'est pas de leurs blâmes, c'est de votre utilité que je me soucie. Que ceux qui peuvent aller plus vite attendent leurs frères plus lents; ils peuvent bien les attendre, mais leurs frères plus faibles ne sauraient les atteindre. Aussi saint Paul nous recommande, à nous, de ne pas presser inopportunément les faibles qui ne peuvent arriver à la perfection des forts, et aux forts de supporter l'impuissance des faibles. (I Cor. VIII, 9.) C'est de votre utilité que je me soucie, non du vain renom d'éloquence; c'est pourquoi les mêmes pensées me retiennent si longtemps.

3. Le premier jour j'ai dit qu'il ne fallait pas passer sur les titres sans s'y arrêter, et c'est alors que je vous ai lu l'inscription de l'autel et que je vous ai montré la sagesse de saint, Paul qui, (54) prenant pour ainsi dire un soldat étranger du milieu des ennemis, l'a fait passer dans sa propre armée. A cela s'est bornée notre instruction du premier jour; ensuite, le deuxième jour, nous avons recherché quel était l'auteur du livre et nous avons trouvé par la grâce de Dieu que c'était Luc l'évangéliste; nous avons établi ce point par bien des preuves qui demandaient, les unes plus, les autres moins de sagacité. Je sais que beaucoup de mes auditeurs n'ont pas suivi mes dernières déductions. ce qui ne m'empêchera pas de rechercher encore ces preuves plus difficiles à saisir. Les pensées qui frappent au premier abord serviront aux faibles, celles qui sont plus profondes plairont et seront utiles à ceux qui ont de la pénétration. Il faut que nous servions un repas varié et multiple, car les convives ont des goûts variés et multiples. Nous avons donc traité le premier jour du titre, le second de l'auteur, le troisième, c'est-à-dire hier, du commencement du livre et nous avons montré (nos auditeurs le savent bien) ce, que c'est qu'un acte, ce que c'est qu'un miracle, ce que c'est que la bonne conduite, ce que c'est qu'un prodige, qu'un signe, qu'une puissance, quelle différence il y a entre eux, comment l'un est plus grand, l'autre plus utile, comment l'acte vertueux conduit par lui seul au royaume des cieux, comment le miracle séparé `de l'acte vertueux est banni du paradis. Aujourd'hui il nous faut achever l'interprétation du titre et montrer ce que c'est que ce nom d'apôtres. Car ce n'est pas un nom sans signification; c'est le nom d'une autorité, de l'autorité la plus grande, de l'autorité la plus spirituelle, de l'autorité céleste. Attention donc. Dans le siècle, il y a bien des autorités de rangs divers, les unes sont plus hautes, les, autres moins : par exemple, pour commencer par les dignités inférieures, il y a le procureur de la ville, au-dessus de lui le gouverneur de la province, après celui-ci une autorité plus grande encore; dans la hiérarchie militaire, il y a le maître des soldats, puis le préfet, plus haut encore la dignité de consul. Ce sont là autant d'autorités, mais de degrés différents: il en est de même dans l'ordre spirituel, on y remarque aussi beaucoup de dignités de divers degrés; mais la plus élevée de toutes, c'est la dignité d'apôtres.

Je me sers de cette comparaison pour vous faire passer des choses visibles aux choses invisibles. C'est ainsi que fait le Christ; pour parler du Saint -Esprit , il emprunte des figures à l'eau : Quiconque boit de cette eau aura encore soif, dit-il, au contraire qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif. (Jean, IV, 13.) Voyez-vous comme des choses visibles il conduit aux invisibles? C'est ainsi que nous faisons et nous marchons de bas en haut, afin que notre parole en soit plus claire. Parlant d'autorités, nous avons indiqué des autorités non spirituelles, mais temporelles, pour vous conduire des unes aux autres. Avezvous entendu combien j'ai énuméré d'autorités visibles, les unes plus grandes, les autres moins, et combien la dignité de consul est au-dessus de toutes comme la tête et le sommet? Voyons quelles sont les dignités spirituelles. C'est une dignité spirituelle que celle de prophète; en voici d'autres, celles d'évangéliste, de pasteur, de docteur; les uns ont le don des miracles, les autres des guérisons, d'autres encore de l'interprétation des langues. Ces noms sont des noms de grâces, mais ces grâces ont donné naissance dans l'Église à des fonctions, à des dignités. Le prophète est un dignitaire; l'exorciste un dignitaire; chez nous, le pasteur et le docteur sont des dignitaires spirituels; mais par dessus toutes ces dignités se trouve la dignité d'apôtre. Et comment le voyez-vous? C'est qu'un apôtre est avant tous ceux-là, et ce qu'est le consul dans les dignités de ce monde, l'apôtre l'est dans les dignités spirituelles : il y tient le premier rang. Écoutez saint Paul énumérant ces dignités et plaçant au degré le plus élevé celle d'apôtres. Que dit-il donc? Dieu a établi dans l'Église, premièrement des -apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs et des pasteurs, ensuite le don des guérisons.

Voyez-vous quelle est la charge la plus sublime ? Voyez-vous l'apôtre assis au premier rang, n'ayant personne au-dessus de lui, plus élevé que lui? Saint Paul place au premier lieu les apôtres,, au second les prophètes, au troisième les docteurs et les pasteurs, ensuite ceux qui possèdent la grâce des guérisons, ceux qui soignent les malades, les directeurs,, ceux qui ont le don des langues. Mais la dignité d'apôtre n'est pas seulement la tête des autres dignités, elle en est encore la base et la racine. La tête,.placée au-dessus du corps, n'en est pas seulement la maîtresse et la dominatrice, mais encore, si j'ose le dire, la racine : car les nerfs qui pénètrent dans toutes les parties (55) du corps sortent d'elle, du cerveau, et recevant d'elle les esprits animent tout le corps; de même la dignité d'apôtre, maîtresse et dominatrice des autres, non-seulement les surpasse, mais contient en elle-même la racine de toutes les autres. Le prophète peut ne pas être apôtre et prophète ; mais l'apôtre est nécessairement prophète, il a le don des guérisons, des langues et de l'interprétation; ainsi cette dignité est la source et la racine des autres.

4. Oui, il en est ainsi, j'en atteste saint Paul. Mais disons d'abord ce que c'est que le don des langues Qu'est-ce donc que le don des langues? Autrefois celui qui avait été baptisé et qui croyait parlait diverses langues quand le Saint-Esprit était descendu sur lui. Comme les chrétiens d'alors étaient. encore faibles et qu'ils ne pouvaient voir des yeux du corps les grâces spirituelles, il leur était accordé une grâce sensible pour que ce qui était spirituel leur devînt évident, et le baptisé se mettait à parler notre langue, celle des Perses, celle des Indiens, celle des Scythes pour apprendre aux infidèles qu'il avait reçu l’Esprit-Saint. C'était là un miracle sensible, je veux dire ce don des langues; c'était un des sens du corps qui le percevait; quant à la grâce du Saint-Esprit, grâce spirituelle et invisible, ce signe sensible la rendait manifeste. Voilà en quoi consistait le don des langues. Cet homme qui naturellement ne connaissait qu'une langue, en parlait plusieurs que lui avait enseignées' la grâce; on voyait un homme un par le nombre, mais multiple par la grâce , ayant plusieurs bouches et plusieurs langues. Voyons comment l'Apôtre posséda ce don ainsi que tous les autres. De celui-ci il dit: Je parle plus de langues que vous tous. (I Cor. XIV,18.) Vous voyez comme on retrouve en lui cette diversité des langues; et non-seulement on l'y retrouve, mais avec plus de variété que dans tout autre fidèle , car il ne dit pas seulement : Je puis parler vos langues, mais je parle plus de langues que vous tous. Quant au don de prophétie qu'il avait, voici comme il le manifeste : l'Esprit dit clairement que dans les derniers jours viendront des temps périlleux. (I Tim. IV, 1.) Que ce soit une prophétie que d'annoncer ce qui arrivera à la fin des siècles, tout le monde le voit. Et en un autre endroit: Or sachez qu'à la fin des jours viendront des temps périlleux (II Tim. III, 31) ; et en un autre encore: Je vous affirme, sur la parole du Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont déjà endormis. (I Thess. IV, 14.) C'est là encore une prophétie. Voyez-vous qu'il a le don des langues et celui de prophétie? Voulez-vous voir qu'il a la grâce de guérir? Mais les preuves ne sont-elles pas inutiles ici, puisque nous voyons ce don de guérison appartenir, non-seulement aux apôtres, mais encore à leurs vêtements? Qu'il ait été le docteur des nations, il le dit partout, et il ajoute qu'il embrassa dans sa sollicitude la terre entière: et qu'il gouverna les Eglises. Ainsi quand vous entendez énumérer les diverses dignités et dire: premièrement les apôtres, secondement les prophètes, troisièmement les pasteurs et les docteurs, ensuite ceux qui possèdent le don de guérison, d'assistance, de direction, le don des langues, sachez que la réunion de tous ces dons se trouve dans la dignité d'apôtre comme dans la tête. Pensiez-vous que le nom d'apôtre fût sans signification? Vous savez maintenant tout ce qu'il renferme de grandeurs. Et si nous avons traité cette matière ce n'est pas pour faire parade de notre science, car ces paroles sont moins les nôtres que les paroles de l'Esprit-Saint dont la grâce excite les plus négligents et ne leur laisse rien omettre.

Ce ne serait pas sans raison que nous appellerions un apôtre consul dans l'ordre spirituel. Les apôtres, ce sont des magistrats choisis par Dieu, magistrats non préposés à telle nation, à telle ville, mais désignés pour prendre tous ensemble soin de toute la terre. Oui, ce sont des magistrats spirituels, et je vais essayer de vous le montrer, afin qu'après cette démonstration vous sachiez que les apôtres sont aussi élevés au-dessus des magistrats. de l'ordre temporel que ceux-ci le sont au-dessus d'enfants qui se livrent aux jeux de leur âge. La magistrature spirituelle est bien plus- grande que la magistrature temporelle et plus nécessaire à notre vie : quand elle disparaît, tout tombe et se dissout. Quel est le caractère distinctif du magistrat? Qui faut-il regarder comme revêtu de cette dignité? Celui qui est maître de la prison, qui peut enchaîner les uns, relâcher les autres, renvoyer ceux-ci; enfermer ceux-là, ou encore remettre- les dettes, acquitter certains débiteurs et en forcer d'autres à payer, envoyer à la mort et rappeler de la mort : ou plutôt ce n'est pas là le pouvoir d'un magistrat, mais d'un roi, et encore ce pouvoir (56) n'appartient-il pas tout entier même aux rois. Car ils ne- peuvent rappeler de la mort celui qui a quitté la vie, mais celui seulement qu'on conduit à la mort; ils peuvent annuler une sentence, mais rappeler proprement de la mort, ils ne le peuvent; le pouvoir qu'ils ont est bien petit et le pouvoir le plus grand, ils en sont privés. De plus, nous reconnaissons un magistrat à sa ceinture, à la voix du héraut, aux licteurs qui l'accompagnent, à son chariot, à son épée :car ce sont là les marques du pouvoir. Voyons si la dignité d'apôtre a les mêmes insignes; non, ce ne sont pas les mêmes, mais des insignes bien supérieurs. Comparons-les, pour vous montrer que d'un côté il n'y a que des noms, et que de l'autre sont les réalités; pour vous montrer que la différence qu'il y a entre les magistrats civils et les apôtres est la même à peu près qu'entre les enfants qui jouent aux magistratures, et les hommes qui exercent ces magistratures, et, si vous le voulez, commençons par le pouvoir'de dispenser de la prison. Nous avons dit que le magistrat peut relâcher ou enchaîner. Voyez si les apôtres n'ont pas le même pouvoir: Tous ceux que vous lierez sur la terre seront liés dans les cieux, et tous ceux que vous délierez sur la terre seront déliés dans les cieux. (Matth. XVIII, 18.) Vous voyez des deux côtés autorité sur la prison; le nom est le même, mais que la chose est différente ! Il y a liens et liens, mais les uns sur la terre, les autres dans le ciel . car c'est le ciel qui est la prison sur laquelle les apôtres ont puissance. Voyez donc combien leur pouvoir est grand habitant notre terre, ils portent leur sentence, et cette sentence est assez puissante pour pénétrer dans les cieux. Des rois assemblés en une même ville portent des décrets et des lois, qui se font respecter par toute la terre: de même les Apôtres assemblés en un seul lieu portèrent des lois, et telle a été l'efficacité de ces lois qu'elle s'est fait sentir non-seulement par toute la terre, mais qu'elle a pénétré jusqu'àu plus haut des cieux. Vous voyez deux prisons, l'une sur la terre, l'autre dans le ciel; l'une pour les corps, l'autre pour les âmes, ou plutôt à la fois pour les âmes et pour les corps; leurs liens n'étreignent pas seulement les corps, mais aussi les âmes.

5. Voulez-vous voir comment ils avaient la puissance de remettre les dettes ? Ici encore vous apercevrez une grande différence; ils remettaient, non l'argent, mais les péchés : Ceux à qui vous remettrez les péchés, dit Jésus-Christ, ils leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. (Jean, XX, 23.) Est-il besoin de vous montrer après cela qu'ils envoyaient à la mort et qu'ils rappelaient de la mort, non-seulement après la sentence, non-seulement au moment du supplice, mais qu'ils ressuscitaient ceux qui étaient déjà morts et corrompus? Mais où ont-ils condamné à mort? Où ont-ils délivré de la mort? Ananie et Saphire furent convaincus de sacrilège; quoiqu'ils n'eussent caché qu'un argent qui était le leur, ce n'en était pas moins un attentat sacrilège : cette somme, après la promesse qu'ils avaient faite, ne leur appartenait plus. Que fit donc l'apôtre? Ecoutez et vous verrez que, assis en quelque sorte sur un tribunal, il cite le sacrilège, interroge comme fait le juge et ensuite prononce la sentence. Un interrogatoire en effet précéda la condamnation. Le crime, il est vrai, était patent; mais pour faire voir à ceux qui n'étaient pas présents la justice de sa sentence, il interroge en ces termes : Pourquoi Satan s'est-il emparé de ton coeur jusqu'à te faire mentir à l'Esprit-Saint et frauder sur le prix de ton champ ? Restant entre tes mains, ne demeurait-il pas à toi? Et vendu n'était-il pas encore en la puissance ? Ce n'est pas aux hommes que tu as menti, mais à Dieu. (Act. V, 3, 4.) Et quel effet produisirent ces paroles sur Ananie? Il tomba et il expira. Voyez-vous que les apôtres ont le pouvoir du glaive? Quand vous entendez dire à saint Paul : Prenez en toutes circonstances le glaive de l'Esprit qui est la parole de Dieu (Eph. VI, 17), souvenez-vous de cette sentence, souvenez-vous que frappé non par l'épée, mais par la parole, le sacrilège est tombé. Voyez-vous ce glaive aiguisé, ce glaive nu? Il n'y a pas de lame, pas de poignée, pas de mains; mais, au lieu de mains, c'est la langue, au lieu d'une lame, ce sont des paroles qui ont mis à mort le coupable Ananie.

Après lui vint sa femme; l'Apôtre voulait lui présenter une occasion de se mettre hors de cause, de se rendre digne de pardon, et pour cela il lui demanda encore : Dites-moi si vous avez vendu le champ ce prix-là. Il savait bien qu'on ne l'avait pas vendu ce prix-là; mais c'était pour l'amener à résipiscence par son interrogation, pour lui faire reconnaître sa faute, pour lui accorder son pardon, qu'il lui parlait ainsi; et cette femme persista dans son (57) impudence: aussi partagea-t-elle le châtiment de son mari. Voyez-vous le pouvoir de disposer de la prison? Voyez-vous comme les apôtres peuvent envoyer à la mort? Mais voyons un pouvoir plus grand encore, celui de rappeler de la mort. Tabithe, une chrétienne célèbre par ses nombreuses aumônes, était morte, et on avait couru aussitôt vers les apôtres ; car on savait qu'ils avaient. pouvoir de vie et de mort; on savait que ce pouvoir était venu du ciel sur la terre. Que fit Pierre lorsqu'il fut arrivé? Tabithe, levez-vous (Act. IX, 40), dit-il. Il ne lui fallut ni grands apprêts, ni serviteurs, ni ministres; il lui suffit d'une parole pour la ressusciter; la mort entendit cette voix et elle ne put retenir sa victime. Voyez-vous combien est puissante la voix de ces juges? Celles de nos juges sont bien faibles : qu'ils commandent et s'il n'y a pas de serviteur pour leur obéir, rien ne s'exécute; mais là il n'est pas besoin de ministres; l'apôtre parle et aussitôt la chose se fait. Vous avez vu la prison dont ils disposent et qui est le signe caractéristique de leur puissance ; vous les avez vus remettre les péchés, chasser la mort, rappeler à la vie. Voulez-vous voir quelle est leur ceinture? Le Christ les a envoyés ceints, non de cuir, mais de vérité; ceinture vénérable et spirituelle; aussi dit-il Ceignant vos reins de la vérité. (Ephés. VI,14.) Leur autorité est spirituelle et elle n'a besoin de rien de sensible : Toute la gloire de la fille du roi est à l'intérieur. (Ps. XLIV, 14.)

Mais quoi ! voulez-vous voir leurs bourreaux? Les bourreaux sont ceux qui châtient les coupables, les suspendent au gibet, leur déchirent les flancs, les tourmentent, les punissent. Voulez-vous les voir? Ce ne sont pas des hommes que les apôtres ont pour bourreaux, mais le diable lui-même et ses démons; oui, quoique revêtus de chair et d'un corps, les apôtres avaient pour les servir des puissances spirituelles. Entendez avec quelle autorité saint Paul leur donnait ses ordres: écrivant au sujet du fornicateur, il dit : Livrez-le à Satan pour la mort de sa chair. (I Cor. V, 5.) Au sujet de quelques blasphémateurs il en usa de même : Je les ai livrés, dit-il, à Satan, pour qu'ils apprennent à ne point blasphémer. (I Tim. I, 20.) Que me reste-t-il à vous montrer? Qu'ils ont des chars? Je puis vous montrer même cela. Comme Philippe, après avoir baptisé l'eunuque et l'avoir initié aux saints mystères, avait besoin de s'en retourner, l'Esprit l'enleva et il se trouva transporté du désert à Azot. (Act. VIII, 39, 40.) Voyez-vous ce char rapide, cet attelage plus prompt que le vent? L'apôtre devait monter jusque dans le paradis, quelle distance ! quel intervalle ! Enlevé tout à coup, il y fut transporté sans aucun effort et en un instant. (II Cor. XII, 2.) Voilà le char des apôtres; la voix de leur héraut est digne de leur autorité. Ce n'est pas un homme qui, marchant devant eux, élevait la voix, mais la grâce de l'Esprit-Saint, l'éclat des miracles qui a une voix plus retentissante que la trompette; voilà comme l'Esprit-Saint leur ouvrait la route. Si les chefs des peuples paraissent dans un tel éclat que leurs sujets n'osent facilement les aborder, il en fut de même des apôtres. Parmi les autres aucun n'osait se joindre à eux; mais le peuple les exaltait. (Act. V, 13.) Vous voyez qu'ils peuvent jeter en prison, remettre les dettes, qu'ils ont le glaive, qu'ils portent une ceinture, qu'ils voyagent sur un char, qu'une voix plus retentissante que la trompette les devance, qu'ils se montrent environnés d'un grand éclat.

6. Il faut maintenant vous montrer toutes leurs belles actions, vous faire voir combien ils ont été utiles à la terre : car les chefs ne sont pas seulement chefs pour recevoir des honneurs, mais surtout pour déployer en faveur de leurs sujets une grande sollicitude, une grande affection. Toutefois, comme mon discours est déjà plus long qu'il ne faut, renvoyant ce sujet à une autre réunion, j'essayerai de m'adresser maintenant aux néophytes. Et ne regardez pas cette pensée comme hors de saison. J'ai déjà dit que l'on peut encore être appelé néophyte non pas dix et vingt jours, mais dix et vingt ans après avoir reçu le baptême, pourvu que l'on soit vigilant et sage. Quelle est la meilleure exhortation que je puisse leur adresser? Ce sera de leur rappeler leur naissance, la première et la seconde, celle du corps et celle de l'âme, et de leur montrer la différence entre les deux. Ou plutôt ce n'est pas de nous qu'ils doivent apprendre cela, le fils du tonnerre leur parlera lui-même, le disciple bien-aimé du Christ, saint Jean. Que dit-il? A tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu (Jean, II, 12) ; puis leur rappelant leur première naissance, et par cette comparaison leur montrant la grandeur de la grâce qu'ils avaient reçue, il dit : Qui ne sont point nés dit sang, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. (Jean, I, l3.) Une seule (58) parole suffit pour leur faire voir leur noblesse. O chaste enfantement ! ô naissance spirituelle ! ô nouvelle vie ! Conception et pas d'entrailles, naissance et pas de sein, enfantement en dehors de toute oeuvre de la chair, enfantement par la grâce et la charité de Dieu, enfantement où il n'y a que joie et allégresse ! Le premier ne ressemble pas à celui-ci, il commence par les gémissements. L'enfant sortant du sein de sa mère fait entendre un premier cri mêlé de larmes, comme le dit un auteur : Son premier cri, comme celui de tous les autres, fut un cri de douleur. (Sag. VII, 3.) Gémissements à l'entrée de la vie, larmes au début de la carrière, c'est ainsi que la nature nous présage dès le commencement un avenir douloureux. Pourquoi l'enfant pleure-t-il en naissant à la lumière ? Le voici : avant le péché, Dieu dit : Croissez et multipliez (Gen. I, 28), c'était une bénédiction : mais: tu enfanteras dans la douleur (Gen. III,16), dit-il après le péché : Voilà le châtiment. Et à notre naissance, il n'y a pas seulement des larmes, mais aussi des langes et des liens, des larmes à la naissance, des larmes à la mort, des langes à la naissance, des langes à la mort, pour que vous compreniez que la vie finit par la mort et trouve là son terme. Mais il n'en est pas de même de cette seconde naissance. Pas de larmes, pas de langes; en naissant on est affranchi et déjà prêt au combat ; les mains et les pieds sont libres pour courir et lutter; là, pas de gémissements, pas de larmes: il n'y a que des embrassements, des caresses, des témoignages d'amitié de frères qui reconnaissent un de leurs propres membres, qui retrouvent un frère revenant d'un lointain voyage. Car, avant le baptême, le néophyte était l'ennemi; après le baptême il est devenu l'ami de notre commun Maître; aussi nous nous réjouissons tous; c'est pourquoi le baiser s'appelle paix pour nous apprendre que Dieu a mis fin à la guerre et que nous sommes rentrés en grâce avec lui. Gardons-la toujours, cette paix, conservons-la, faisons durer cette amitié, afin de mériter les tabernacles éternels, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soient au, Père, gloire, honneur, puissance, ainsi qu'à l'Esprit saint et vivificateur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

QUATRIÈME HOMÉLIE.

Qu'il n'est pas sans péril de taire te qu'on entend à l'église. — Pourquoi les Actes des Apôtres se lisent à la Pentecôte ? — Pourquoi le Christ ne s'est-il pas montré à tous les hommes après sa résurrection ! — Que les miracles opérés par les Apôtres donnèrent une démonstration plus claire de sa résurrection que n'aurait fait sa vie elle-même.

ANALYSE

1°, 2°, 3° Long exorde dans lequel l'orateur insiste sur le devoir que ceux qui entendent la parole sainte à l'Eglise ont de la répandre au dehors. Tout chrétien peut et doit être docteur au moins dans sa maison. — 4° Admirable condescendance des Apôtres et en particulier de saint Paul se faisant tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. — 5° Les Apôtres n'ont commencé à prêcher et à faire des miracles qu'après la Pentecôte, pourquoi ne pas attendre ce temps pour faire lecture du livre des Actes. — 6° On lit les Actes des Apôtres immédiatement après la résurrection parce que les miracles opérés par les Apôtres au nom de Jésus-Christ sont la meilleure preuve de la résurrection. — 7°, 8°, 9° Oui, les miracles opérés par les Apôtres sont une preuve irréfragable de la résurrection de leur Maître; démonstration étendue et éloquente.

1. La plus grande partie de la dette que m'avait fait contracter ce titre d'Actes des apôtres, je l'ai acquittée les jours précédents; et le peu qui vous reste dû je viens le payer aujourd'hui. Conservez-vous avec soin les leçons que vous avez entendues et mettez-vous votre zèle à les garder? Interrogez-vous sur ce point, vous qui avez reçu une somme d'argent et (59) qui devrez en rendre compte au Maître en ce jour où ceux à qui on aura confié des talents seront appelés pour rendre leurs comptes, où le Christ redemandera à ces banquiers le capital et les intérêts. Il te fallait, dit-il, remettre mon argent aux banquiers, et de retour je l'aurais redemandé avec les intérêts. (Matth. XXV, 27.) O grande et indicible charité de notre Maître ! Il défend aux hommes de prêter à usure et il prête lui-même à usure. Pourquoi? Parce que la première usure est mauvaise et digne de blâme, tandis que la seconde est bonne et digne d'éloges. La première usure, je veux dire celle de l'argent; ruine et celui qui prête et celui qui emprunte; elle perd l'âme de celui qui reçoit l'usure et écrase la pauvreté de celui qui la donne. Quoi de plus triste que de voir un homme spéculer sur la pauvreté de son prochain et faire commerce du malheur de ses frères ! Il porte une figure humaine et n'a rien que d'inhumain dans sa conduite; il devrait tendre la main à son frère et il précipite dans l'abîme celui qui a besoin de secours. Que fais-tu, ô homme? Le pauvre ne va pas chez toi pour que tu augmentes sa pauvreté, mais pour que tu la soulages, et ta conduite ne diffère pas de celle des empoisonneurs. Ceux-ci cachent leurs embûches secrètes dans les mets habituels de leurs victimes, et ceux-là, cachant sous un air d'humanité leur usure fatale ne laissent pas apercevoir le mal à ceux qui doivent prendre ce breuvage mortel. Aussi il est bon de rappeler ce qui a été dit du péché, et à ceux qui prêtent à usure, et à ceux qui empruntent ainsi. Or, qu'a-t-il été dit du péché ? Pour un peu de temps, il plaît au palais; mais ensuite il est plus amer que le fiel et plus pénétrant qu'une épée à deux tranchants. (Prov. V, 3, 4.) Voilà ce qu'éprouvent les emprunteurs; dans votre détresse vous prenez l'argent qu'on vous prête, vous vous procurez ainsi une consolation, mais bien petite et de courte durée; et ensuite lorsque les intérêts s'accumulent et que le fardeau dépasse vos forces, cette douceur qui flattait le palais devient plus amère que le fiel, plus perçante qu'une épée à deux tranchants, et vous êtes forcés d'abandonner en toute hâte le bien de vos pères.

2. Mais des choses sensibles passons aux choses de l'esprit . Il fallait, dit-il, remettre mon argent aux banquiers, et par les banquiers chargés de le faire valoir c'est vous qu'il entend : vous, à qui s'adressent ces paroles: Et pourquoi Dieu vous appelle-t-il banquiers? Pour vous apprendre à peser toutes paroles avec le même soin que les banquiers mettent à l'examen et à l'admission des monnaies. De même que les banquiers refusent une pièce de monnaie altérée ou mal frappée, tandis qu'ils reçoivent celle qui est bonne et sans défaut; de même, suivant cet exemple, n'acceptez pas toute parole, rejetez celle qui est impure et corrompue, mais admettez dans votre souvenir celle qui est bonne et salutaire. Oui, oui, vous avez des plateaux, vous avez une balance non d'airain ni de fer, mais de sainteté et de foi: or, c'est avec cette balance que vous devez peser toute parole, C'est pourquoi on vous dit : soyez d'excellents banquiers, non pour que, vous établissant sur une place publique vous comptiez de l'argent, mais pour que vous soumettiez les paroles à une épreuve rigoureuse; c'est pourquoi saint Paul dit: Eprouvez tout, ne retenez que ce qui est bon. (I Thess. V, 21.) De plus, ce nom de banquiers nous fait entendre qu'il faut non-seulement que nous éprouvions, mais encore que nous distribuions les richesses. Si les banquiers, se contentant de recevoir l'argent, l'enfermaient chez eux sans le mettre en circulation, leur gain serait nul : il en est tout à fait de même des auditeurs de la parole divine, Si, vous contentant d'entendre une instruction, vous la gardez en vous sans la communiquer aux autres, tous vos soins n'aboutiront à rien. Dans les maisons de banque nous voyons sans cesse entrer et sortir : qu'il en soit de même pour nos instructions. Chez les banquiers, vous voyez les uns peser l'argent, les autres, le prendre et l'emporter aussitôt, et cela dure tout le jour. Aussi, bien qu'ils n'aient rien en propre, néanmoins comme ils se servent des richesses d'autrui pour des choses nécessaires, elles leur rapportent un grand profit. Faites de même. Ce ne sont pas, il est vrai, vos paroles, mais celles de l'Esprit-Saint : toutefois, si vous les employez pour un bon usage, vous en retirerez un grand profit spirituel : voilà pourquoi Dieu vous appelle banquiers.

Et pourquoi donne-t-il à la parole le nom d'argent? Le voici : de même que l'argent doit porter comme signe distinctif l'effigie du roi sans laquelle la monnaie, loin d'être valable, est regardée comme fausse, de même la doctrine de la foi doit être marquée au coin parfait du Verbe. En outre, l'usage de l'argent (60) c'est, pour ainsi dire, notre vie, l'argent est la condition de tous les contrats ; achats ou ventes, c'est par lui que tout se fait. Il en est de même de la doctrine de la foi; cette monnaie spirituelle est la condition et la base de tous les contrats spirituels : par exemple, si nous voulons acheter quelque chose à Dieu, nous employons comme monnaie le langage de la prière et nous obtenons ce que nous demandons. Si nous voyons notre frère plongé dans l'indifférence et le vice, nous gagnerons son salut, nous achèterons sa vie, en employant comme monnaie la parole doctrinale.

Aussi devons-nous mettre tous nos soins à garder et à retenir les enseignements de la chaire pour en faire part aux autres : car on nous redemandera les intérêts de cet argent. Appliquons-nous à recevoir cette monnaie afin de pouvoir la communiquer aux autres : car chacun, s'il le veut, peut enseigner. Vous ne pouvez adresser des reproches à une grande assemblée ; mais -vous pouvez donner un avis à votre femme. Vous ne pouvez parler à une si grande foule; mais vous pouvez adresser à votre fils des paroles sages. Vous ne pouvez enseigner à cette multitude la doctrine du salut; mais vous pouvez rendre meilleur votre serviteur. Cette réunion de disciples ne dépasse pas vos forces; cette manière d'enseigner ne dépasse pas votre intelligence; bien plus, il vous est plus facile qu'à moi de travailler à l'amendement de ces personnes. Pour moi, je ne me trouve avec vous le plus souvent qu'une ou deux fois la semaine, et vous, vous avez continuellement dans votre propre maison les disciples dont je vous parle, votre femme, vos enfants, vos serviteurs, au foyer, à la table : aussi vous pouvez à tout instant du jour les reprendre. Et, d'un autre côté, les soins à donner vous sont plus faciles: pour moi, qui m'adresse à une foule aussi nombreuse, je ne sais pas quelle est la passion qui trouble votre âme, et à chaque réunion je suis forcé d'indiquer tous les remèdes; pour vous, vous pouvez agir tout autrement et avec bien moins de peine opérer la guérison : car vous connaissez parfaitement les fautes de ceux qui habitent sous le même toit que vous : aussi vous pouvez y apporter un remède plus prompt.

3. Donc, mes chers Frères, ne soyons pas insouciants du salut de ceux qui habitent avec nous : Si quelqu'un, dit saint Paul, n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison,

il a renié la foi et il est pire qu'un infidèle. (I Tim. V, 8.) Vous voyez comment saint Paul traite ceux qui négligent les gens de leur maison; et c'est avec raison : car celui qui ne prend pas soin des siens, dit-il, comment s'occupera-t-il des étrangers? Cette exhortation, direz-vous, n'est pas nouvelle dans ma bouche, c'est vrai, néanmoins je ne cesserai pas de vous la répéter, bien que je sois innocent désormais de la négligence des autres : Il le fallait, dit le Seigneur, remettre mon argent aux banquiers, et c'est la seule chose qu'il demande. Pour moi j'ai remis l'argent et je n'ai plus de compte à rendre; cependant, bien que ma responsabilité soit dégagée, et que je n'aie pas de châtiment à redouter, j'agis comme si j'étais encore responsable et exposé à la punition, tant je crains et je tremble pour votre salut.

Que personne donc n'apporte à écouter ces instructions de l'insouciance, de la négligence; ce n'est pas en vain, ce n'est pas sans motif que je fais de si longs exordes; c'est pour que vous preniez plus de soin de ce dépôt de la parole que je vous confie, et empêcher que vous ne retourniez chez vous sans profit, n'étant venus à l'église que pour vous dissiper et nous donner de vains applaudissements. Ce ne sont pas vos louanges que je recherche, mais votre salut. Ceux qui luttent au théâtre attendent et reçoivent du peuple cette récompense; nous, ce n'est pas pour cela que nous combattons, mais bien pour obtenir du Maître la récompense qu'il a promise. Aussi je reviens souvent sur ces pensées, afin que répétées fréquemment elles descendent jusqu'au fond de votre âme. Les arbres qui ont jeté de profondes racines sont inébranlables aux assauts des tempêtes: de même les pensées qui ont pénétré profondément dans l'âme résistent plus facilement à la dissipation qu'apportent les affaires. Dites-moi, mon cher auditeur, si vous voyiez votre enfant mourir de faim, pourriez-vous rester insensible à sa détresse et ne vous exposeriez-vous pas à tout pour apaiser sa faim? Eh bien ! vous feriez cela pour un enfant qui manque de pain, et pour celui qui manque de la doctrine du salut vous seriez insensible ! Seriez-vous encore digne d'être appelé père ? Et pourtant cette faim est d'autant plus funeste que l'autre, qu'elle conduit à une mort bien plus triste : aussi demande -t-elle de notre part une pitié plus grande : Nourrissez vos enfants, est-il dit, dans la discipline et la correction du (61) Seigneur. (Ephés. VI, 4.) C'est là la plus belle occupation des pères, le plus noble souci des parents. Car voici le signe auquel je reconnais un naturel noble, c'est à voir donner plus de soin aux choses spirituelles qu'aux temporelles. Mais en voilà assez pour l'exorde; il faut maintenant payer notre dette; si je vous ai adressé cette longue exhortation, c'est pour que vous recueilliez avec soin ce que je vais vous payer. Quelle est la dette que j'ai contractée envers vous, il y a quelques jours? L'avez-vous si vite oubliée? Il faut donc que je vous la rappelle et d'abord que je vous relise ce titre sur lequel j'ai déjà versé un premier à-compte, que je vous redise ce que je vous ai payé et que nous voyons enfin ce qui nous reste. Qu'ai-je donc payé en premier lieu? J'ai dit qui avait écrit le livre des Actes, qui en avait été le père ou plutôt le ministre; ce n'est pas saint Luc qui a fait les actes qu'il raconte, il n'a été que le ministre de la parole.

Au sujet des Actes eux-mêmes, j'ai dit ce que signifie ce nom; j'ai parlé aussi de cette appellation d'apôtre. Il faut dire maintenant pourquoi nos pères ont réglé que ce livre des Actes serait lu au jour de la Pentecôte. Peut-être vous souvenez - vous que j'avais aussi promis d'en donner la raison. Ce n'est pas sans motif et sans cause que nos pères ont fixé ces temps; ils ont agi en cela guidés par de sages raisons, non dans le dessein de soumettre notre liberté à la loi des temps, mais par condescendance pour les pauvres et les faibles, et afin de les enrichir des fruits de la science et de les fortifier par l'aliment de la sagesse. Et pour vous persuader que, s'ils ont observé les temps, ce ne fut point pour s'assujettir à une observance rigoureuse, mais par condescendance pour les faibles, écoutez ce que dit saint Paul : Vous observez certains jours, certains mois, certains temps, certaines années. Je crains d'avoir travaillé en vain parmi vous. (Gal. IV, 10, 11.) Et vous, grand Apôtre, est-ce que vous n'observez pas certains jours, certains temps, certaines années? Eh quoi ! Mais, à voir celui qui défend d'observer les jours, les mois, les temps, les années ; à le voir, dis-je, les observer lui-même, que penserons-nous, dites-moi? Qu'il est en contradiction, en lutte avec lui-même ? Non, certes, mais que voulant aider la faiblesse de ceux qui observaient les temps, il s'est soumis pour eux à cette observance. Les médecins font de même, lorsqu'ils goûtent les premiers les mets préparés pour leurs malades, non qu'ils en aient besoin, mais par condescendance pour ces infirmes. C'est ainsi que fit saint Paul; sans avoir besoin d'observer les temps, il les a observés pour délivrer ceux qui les observaient de cette vaine pratique. Et quand est-ce que saint Paul a observé les temps? Attention, je vous prie : Le lendemain, nous arrivâmes par mer à Milet. Car Paul s'était proposé de passer Ephèse sans y prendre terre, de peur d'éprouver quelque retard en Asie; il se hâtait afin d'être, s'il lui eût été possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem. (Act. XX, 15, 16.) Vous voyez que celui qui avait dit : N'observez ni les jours, ni les mois, ni les temps, observe lui-même le jour de la Pentecôte.

4. Et il n'observe pas seulement le jour, mais le lieu; il ne se hâtait pas seulement pour passer le jour de la Pentecôte, mais pour le passer à Jérusalem. Que faites-vous, ô bienheureux Paul? Jérusalem est détruite, la malédiction divine a rendu désert le saint des saints, la religion d'autrefois est abolie; vous-même vous criez aux Galates : Vous qui espérez d'être justifiés par la loi, vous êtes déchus de la grâce (Gal. V, 4), et pourquoi nous ramenez-vous de nouveau sous le joug de la loi ? Cette question n'est pas légère, de savoir si saint Paul se contredit lui-même. Ce ne sont pas seulement les jours que saint Paul observe, mais encore les autres préceptes de la loi, et c'est lui qui crie aux Galates : Voici que moi, Paul, je vous dis que, si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. (Gal. V, 2.)

Ce Paul qui disait: Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (Act. XVI,1-3), a circoncis lui-même Timothée. Paul, dit l'Ecriture, ayant trouvé à Lystre un jeune homme, fils d'une femme juive fidèle et d'un père gentil, le circoncit. Ils ne voulait pas confier la mission d'enseigner à un incirconcis. Pourquoi en agissez-vous ainsi, ô bienheureux Paul? Par vos paroles vous détruisez la circoncision et par vos actes vous la ramenez? — Non, répond-il, je ne la ramène pas, je la détruis, au contraire, par mes actes. Car Timothée était fils d'une femme juive fidèle, mais d'un père infidèle : il était donc d'une race incirconcise. Mais comme saint Paul allait l'envoyer pour servir de maître aux Juifs, il ne voulut pas leur envoyer un incirconcis de peur qu'ils ne refusassent d'entendre sa parole. C'est donc pour préluder à la destruction de la (62) circoncision et ouvrir la route à l'enseignement de Timothée qu'il le circoncit, afin de détruire la circoncision. Aussi dit-il: Je me suis fait comme juif avec les juifs. (I Cor. IX, 20.) Ce n'est pas pour devenir juif que saint Paul parle ainsi, mais pour amener à renoncer au judaïsme ceux qui étaient restés juifs; c'est pour le même motif qu'il circoncit Timothée, c'est-à-dire pour détruire la circoncision. Il se servait donc de la circoncision contre la circoncision. Timothée reçut la circoncision pour avoir accès auprès des Juifs et les éloigner peu à peu de cette pratique. Voyez-vous pourquoi Paul observa et la circoncision et la Pentecôte? Voulez-vous que je vous le montre observant d'autres points de la loi? Faites attention. Il monta un jour à Jérusalem, et les Apôtres le voyant lui dirent: Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru. Or, ils ont ouï dire que tu portes par tes enseignements à abandonner la loi. Que faire donc ? Fais ce que nous te disons. Nous avons ici des hommes liés par un voeu; prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, fais-leur raser la tête, afin que tons sachent que ce qu'ils ont entendu dire de toi est faux, mais que toi aussi tu observes la loi de Moïse. (Act. XXI, 20-24.) Voyez-vous cette condescendance admirable? Il observe les temps pour faire disparaître l'observance des temps; il emploie la circoncision pour abolir la circoncision; il offre un sacrifice pour détruire les sacrifices. C'est bien pour cela qu'il l'a fait; écoutez ses paroles : Je me suis conduit avec, ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi; pour gagner ceux qui étaient sous la loi, et bien que je fusse libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous. (I Cor. IX, 21.) Et en agissant de la sorte saint Paul imitait son Maître. Etant dans la forme de Dieu, il n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même prenant la forme d'esclave (Philip. II, 6-7), et bien qu'il fût libre, il se fit esclave. De même saint Paul, lorsqu'il était libre à l'égard de tous, se fit néanmoins l'esclave de tous pour les gagner tous. Notre Maître prenant notre nature se fit esclave afin de nous affranchir. Il a incliné les cieux et il est descendu (Ps. XVII, 10), afin de conduire au ciel les hommes d'ici-bas. Il a incliné les cieux; il ne dit pas: il a quitté les cieux et il est descendu, mais il a incliné, afin de vous rendre plus facile la route du ciel. Saint Paul l'imita autant qu'il le put; c'est pour cela qu'il dit : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ. (I Cor. IV, 16.)

Et comment, bienheureux Paul, êtes-vous devenu l'imitateur du Christ? Comment? En ne recherchant jamais ma propre utilité, mais celle du grand nombre afin qu'ils soient sauvés, en me faisant, bien que libre à l'égard de tous, l'esclave de tous les autres. Il n'y a donc rien de meilleur que cette servitude, puisqu'elle devient pour les autres la cause de leur liberté. Saint Paul était un pêcheur spirituel : Je vous ferai, dit Jésus-Christ, pêcheurs d'hommes. (Matth. IV, 19.) Là est toute la raison de sa conduite. Les pêcheurs, quand ils voient un poisson avaler l'hameçon, se gardent bien de le tirer aussitôt, mais ils le laissent aller longtemps et le suivent attendant que l'hameçon soit bien fixé, afin de pouvoir amener leur prise en toute sûreté. Les Apôtres en agissaient de même; ils jetaient l'hameçon de la doctrine dans l'âme des Juifs; ceux-ci se rejetaient en arrière et se rattachaient à la circoncision, aux fêtes, à l'observance des temps; au sacrifice, aux pratiques nazaréennes et autres choses semblables; les apôtres les suivaient partout sans résister: vous cherchez, disait Paul, la circoncision, je ne m'y oppose pas, je vous suis; vous demandez un sacrifice, je sacrifie; vous voulez que je me rase, moi qui ai abandonné votre culte, je fais ce que vous ordonnez; vous me commandez d'observer la Pentecôte, je ne dispute pas; partout où vous me mènerez, je vous suivrai, et en restant près de vous je laisserai l'hameçon de la parole pénétrer plus profondément, afin qu'ensuite je puisse avec sûreté retirer toute votre nation de votre culte et de votre religion première. Voilà pourquoi je suis venu d'Ephèse à Jérusalem. Voyez-vous avec quelle obséquiosité saint Paul pêchant des poissons pour le Christ savait faire céder la parole? Voyez-vous comment l'observance des temps, de la circoncision, des sacrifices avait pour but, non de ramener à l'ancienne religion, mais d'attirer à la vérité ceux qui étaient encore attachés aux figures? Celui qui est assis sur une hauteur ne peut pas, s'il y reste toujours, faire monter ceux qui sont en bas; il. faut qu'il s'abaisse lui-même pour élever les autres jusqu'à lui. C'est ainsi que les apôtres descendirent des hauteurs de la religion évangélique pour y attirer ceux qui étaient encore dans les basses régions du judaïsme.

5. Cette observance des temps, cette (63) condescendance aux rites extérieurs, tout cela a été utile et avantageux, vous venez de le voir : recherchons maintenant pourquoi ce livre des Actes des Apôtres est lu au temps de la Pentecôte. En toutes ces recherches, nous n'avons voulu qu'une chose, vous montrer qu'en voyant les apôtres observer les temps vous ne devez pas croire qu'ils regrettent la religion judaïque; mais accordez-moi, je vous prie, une grande attention; c'est une question difficile que je vais vous exposer. Au jour de la croix nous avons lu ce qui regardait la croix; au grand samedi, la trahison, le crucifiement de Notre-Seigneur, sa mort selon la chair, sa sépulture: pourquoi donc ne pas lire après la Pentecôte les Actes des Apôtres, puisque c'est alors qu'ils eurent lieu, qu'ils commencèrent? Je sais que beaucoup l'ignorent : il est donc nécessaire de leur montrer d'après le livre même des Actes que les Actes des Apôtres commencent non à la Pentecôte, mais dans les jours qui suivent cette fête. Aussi ce serait avec raison qu'on rechercherait pourquoi il nous est ordonné de lire ce qui regarde la croix au jour de la Croix et de la Passion, tandis que pour la lecture des Actes des Apôtres nous n'attendons pas les jours, le temps où ils ont eu lieu, mais que nous les devançons. Ce ne fut pas immédiatement après la résurrection que les Apôtres firent des miracles ; Jésus resta sur la terre avec eux pendant quarante ,jours. Pourquoi passa-t-il avec eux quarante jours sur la terre? je le montrerai une autre fois; pour aujourd'hui, marchons toujours vers le but que nous nous sommes proposé, et montrons que le Christ n'est pas monté aux cieux aussitôt après sa résurrection, mais qu'il passa sur la terre quarante jours avec ses disciples, qu'il les passa en se trouvant au milieu d'eux, en partageant leur nourriture, en conversant avec eux ; qu'après ces quarante jours il monta vers son Père dans les cieux; que pendant tout ce temps les Apôtres n'opérèrent aucun prodige, que quand dix jours se furent encore passés, et que les jours de la Pentecôte furent accomplis, le Saint-Esprit fut envoyé, qu'ils reçurent des langues de feu et qu'ils commencèrent à faire des miracles. Tous ces faits, mes chers frères, nous sont certifiés par les Ecritures, par exemple, que Jésus resta quarante jours avec ses disciples, que quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, le Saint-Esprit descendit, qu'alors les Apôtres reçurent des langues de feu et qu'à partir de ce moment ils commencèrent à opérer des miracles.

Qui rapporte tout cela? Le disciple de Paul, l'illustre et vénérable Luc, en commençant ainsi son livre : J'ai fait mon premier récit, ô Théophile, sur tout ce que Jésus-Christ a fait et enseigné depuis le commencement jusqu'à jour où il fut enlevé au ciel, après avoir donné, par l'Esprit-Saint, ses commandements aux Apôtres qu'il avait choisis et auxquels, après sa passion, il se montra vivant par beaucoup de preuves, leur apparaissant pendant quarante jours et leur parlant du royaume de Dieu: Ensuite, se trouvant avec eux, il leur commanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem. (Act. I, 1-4.) Voyez-vous qu'après sa résurrection le Seigneur resta sur la terre quarante jours, parlant du royaume de Dieu et se trouvant au milieu de ses Apôtres? Voyez-vous qu'il partageait leur repas? Et il leur commanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père, que vous avez, dit-il, ouïe de ma bouche : car Jean a baptisé dans l'eau, mais vous, vous serez baptisés dans l'Esprit-Saint, sous peu de jours. (Act. I, 4, 5.) Voilà ce que disait le Sauveur pendant ces quarante jours. Ceux donc qui se trouvaient là assemblés l'interrogeaient, disant : Seigneur, est-ce en ce temps que vous rétablirez le royaume d'Israël ? Et il leur répondit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a réservés en sa puissance; mais vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui viendra sur vous, et vous serez témoins pour moi, â Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre. Et quand il eut dit ces choses, en leur présence, il s'éleva et une nuée le déroba ci leurs yeux. (Act. I, 6-9.) Vous voyez que pendant quarante jours le Christ demeura avec eux sur la terre. et qu'après ces quarante jours il fut enlevé au ciel. Voyons maintenant si au jour de la Pentecôte l'Esprit-Saint fut envoyé. Et quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, il se fit soudain un bruit venant du ciel comme celui d'un vent impétueux qui arrive : alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partagèrent, et le feu se reposa sur chacun d'eux. (Act. II,1-3.) Vous le voyez, n'est-il pas bien prouvé que pendant quarante jours le Christ resta sur la terre et que les Apôtres ne firent aucun miracle? Comment auraient-ils fait des miracles, eux qui n'avaient pas encore reçu la grâce de l'Esprit saint et vivificateur.

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Ne voyez-vous pas qu'au bout de quarante jours Jésus fut enlevé au ciel? Ne voyez-vous pas encore que dix jours après les Apôtres firent des miracles? Car lorsque les jours de la Pentecôte furent accomplis le Saint-Esprit fut envoyé. Il nous reste donc à chercher pourquoi c'est au jour de la Pentecôte que nous lisons les Actes des Apôtres. Si les Apôtres commencèrent alors à opérer des prodiges, alors, je veux dire à la résurrection du Seigneur, c'est alors aussi qu'il fallait lire ce livre. De même que nous lisons ce qui regarde la Croix au jour de la Croix, ce qui regarde la résurrection, ce qui regarde chaque fête au jour commémoratif de ces événements, on devrait lire les miracles des Apôtres au jour de ces miracles.

6. Si vous voulez savoir pourquoi nous ne les lisons pas alors, mais immédiatement après la Passion et la Résurrection, écoutez-en toute la raison. Après la Passion nous annonçons de suite la Résurrection du Christ, mais la preuve de la Résurrection du Christ ce sont les miracles des Apôtres et c'est le livre des Actes qui nous rapporte ces miracles. Ce récit qui, mieux que tout le reste, confirme la résurrection de notre Maître, c'est immédiatement après la passion et la résurrection vivificatrice que nos pères ont ordonné de le lire. Voilà pourquoi, mes chers frères, aussitôt après la passion et la résurrection nous lisons les miracles des apôtres; c'est afin d'avoir de cette résurrection une preuve évidente et péremptoire. Vous ne le voyez pas ressuscité des yeux du corps, mais vous le voyez ressuscité des yeux de là foi. Ce n'est pas de ces yeux matériels, que vous le voyez ressuscité, mais grâce à ces miracles vous le voyez ressuscité : car la vue de ces miracles vous conduit à la foi. Aussi le voir ressuscité est de sa résurrection une preuve moins grande et moins évidente que de voir des miracles se faire en son nom. Voulez-vous voir comment ces miracles confirment mieux sa résurrection que s'il eût apparu visible à tous les hommes? Ecoutez bien; car beaucoup font cette demande : Pourquoi ressuscité n'apparut-il pas aux Juifs ? Parole vaine et inutile. Si cela avait dû les amener à la foi, il n'aurait pas demandé mieux que de leur apparaître à tous après sa résurrection; mais ce prodige ne les eût pas amenés à la foi ; c'est ce qu'il nous montre en Lazare. Il ressuscita cet homme mort depuis quatre jours, sentant déjà, déjà corrompu, il

le fit sortir malgré les bandelettes qui le liaient, et cela, sous les yeux de tous, et ce prodige, loin de les attirer à la foi, ne fit qu'exciter leur colère : car ils résolurent de le faire périr à cause de cela. (Jean, XII, 10.) Si la résurrection d'un autre ne les amena pas à la foi, sa propre résurrection, s'il leur était apparu, ne les eût-elle pas encore irrités contre lui ? Bien que leurs efforts dussent rester impuissants, ils n'en auraient pas été moins exécrables.

Aussi voulant apaiser cette colère inutile, il se cacha; il les eût rendus plus inexcusables et plus dignes de châtiment, en leur apparaissant après sa passion. Ainsi c'est dans leur intérêt qu'il dérobe sa personne à leurs regards, mais il se montre par des miracles. Le voir ressuscité, est-ce donc une chose plus grande que d'entendre dire à saint Pierre : Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche? (Act. III, 6.) Oui, c'est là la plus belle preuve de sa résurrection, une preuve plus persuasive qu'une apparition; les hommes devaient se sentir plus attirés à la foi en voyant des miracles faits en son nom qu'en le voyant ressuscité, et voici ce qui le prouve. Le Christ ressuscité se montra à ses disciples; et cependant il se trouva, même parmi eux, un incrédule, Thomas appelé Didyme, qui eut besoin de porter sa main aux endroits des clous; qui eut besoin de sonder la plaie du côté. (Jean, XX, 24.) Et si ce disciple qui avait passé trois ans avec le Maître, partagé sa table, vu ses prodiges et ses miracles, entendu sa parole, si, dis-je, ce disciple le voyant ressuscité refusa de croire jusqu'à ce qu'il eût vu la place des clous et la blessure faite par la lance, comment toute la terre aurait-elle cru, dites-moi, en voyant Jésus ressuscité? Qui oserait le dire? Mais ce n'est pas ce fait seulement, il y en a encore d'autres qui prouvent que les miracles ont plus amené d'hommes à la foi que n'eût fait la vue de Jésus ressuscité. Quand la foule entendit saint Pierre dire au boiteux, au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche, trois mille hommes, puis cinq mille crurent en Jésus-Christ; et quand un disciple le voit ressuscité, il refuse de croire. Voyez-vous que les miracles sont une meilleure preuve de la résurrection que les apparitions? Celles-ci ne purent convaincre même un disciple; ceux-là amenèrent à la foi même les ennemis qui les virent : tant cette seconde preuve l'emporta (65) sur la première pour attirer et amener à la foi de la résurrection ! Et pourquoi parler r le Thomas? Les autres disciples ne crurent pas non plus à la première apparition, sachez-le bien. Mais n'allez pas les accuser, mes chers auditeurs; si le Christ ne les accusa pas, ne les accusons pas non plus : c'était un spectacle nouveau et bien étrange pour les disciples que devoir le premier-né d'entre les morts ressuscité; onces grands spectacles surprennent au premier abord, jusqu'à ce que par le temps ils s'affermissent dans les âmes de ceux qui y croient : voilà ce qui arriva aux disciples en cette circonstance. En effet lorsque le Christ ressuscité d'entre les morts leur dit : Paix à vous ! troublés et épouvantés , ils croyaient voir un esprit, et Jésus leur dit : pourquoi êtes-vous troublés? Ensuite il leur montra ses mains et ses pieds, et comme transportés d'admiration et de joie, les Apôtres ne croyaient pas encore, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger (Luc, XXIV, 36, 38, 41) ? voulant par là les convaincre de sa résurrection. Mon côté, semble-t-il dire, et mes blessures ne vous persuadent pas ; en me voyant prendre de la nourriture, vous serez persuadés.

7. Et pour que vous sachiez bien qu'en disant : Avez vous ici quelque chose à manger ? il leur voulait persuader que ce n'était ni une vision, ni un esprit, ni un fantôme, mais un homme véritablement et réellement ressuscité, écoutez comme saint Pierre se sert de tous ces faits pour confirmer la croyance en la résurrection. Lorsqu'il dit : Dieu l'a ressuscité et lui a donné de se manifester aux témoins préordonnés de Dieu, à nous, il ajoute la preuve de la résurrection, à nous, qui avons mangé et bu avec lui. (Act. X, 40 , 41.) C'est une preuve dont le Christ usa lui-même lorsque, ayant ressuscité la jeune fille, il voulut convaincre les assistants du-, la vérité de cette résurrection, et il dit : Donnez-lui à manger. (Marc, V, 43.) Aussi, quand vous entendez dire qu'il se montra vivant pendant quarante jours leur apparaissant et restant au milieu d'eux, sachez pourquoi il prend aussi de la nourriture; ce n'est pas par besoin qu'il mange, mais parce qu'il veut raffermir la faiblesse des disciples : d'où il est évident que les prodiges et les miracles des Apôtres sont la grande preuve de la résurrection; aussi le Christ lui-même dit-il : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi, lui, les couvres que je fais et il en fera de plus grandes encore. (Jean, XIV, 12. ) Car, comme la croix avait été pour la plupart une cause de scandale , il fallait après cela des miracles plus grands. Mais si le Christ étant mort fût resté dans la mort et le tombeau, comme le disent les Juifs, et ne fût pas monté aux cieux, non-seulement les miracles n'auraient pas été plus grands après qu'avant la passion, mais ils auraient même complètement disparu. Ecoutez-moi maintenant avec beaucoup d'attention; c'est une preuve que la résurrection est indubitable que je viens de donner.: aussi je veux la répéter.

Avant sa passion, le Christ fit des miracles, ressuscita des morts, purifia des lépreux, chassa les démons; puis il fut crucifié, et, à ce que prétendent les Juifs impies, il n'est pas ressuscité d'entre les morts. Que leur répondrons-nous? Nous leur demanderons comment, s'il n'est pas ressuscité, il se fait en son nom de plus grands miracles. Aucun homme ne fait de plus grands miracles après sa mort que pendant sa vie: or ici il y eut des miracles plus grands et en eux-mêmes et par la manière dont ils se faisaient. En eux-mêmes: car jamais l'ombre du Christ n'a ressuscité les morts, et l'ombre des Apôtres a opéré bien des prodiges semblables. Par la manière dont ils se faisaient, les miracles des Apôtres étaient aussi plus grands; le Christ faisait ses miracles en commandant; après sa passion, ses serviteurs, en employant seulement son nom vénérable et saint, en faisaient de plus grands et de plus remarquables, de manière que sa puissance brillait d'un éclat plus vif et plus surprenant car que le Christ commande et opère des miracles, c'est là une chose bien moins étonnante que de faire des miracles semblables aux siens en se servant seulement de son nom. Voyez-vous, mes chers auditeurs, que les miracles des Apôtres étaient plus grands après la résurrection du Christ en eux-mêmes et par la manière dont ils se faisaient? C'est donc là une preuve irréfutable de la résurrection : car, comme je le disais et comme je le dirai encore, si le Christ mis à mort n'était pas ressuscité, tous les miracles auraient dû cesser et disparaître; mais, loin de disparaître, ils ont été ensuite plus éclatants et plus glorieux. Si le Christ n'était ressuscité, jamais d'autres n'eussent fait de telles oeuvres en son nom. C'était la même puissance qui agissait et avant et après la passion, avant par le Christ lui-même, après (66) par ses disciples ; et afin que la preuve de la résurrection devînt plus évidente et plus frappante, les miracles devinrent après la passion plus grands et plus remarquables. Mais, dira l'infidèle, quelle est la preuve que des miracles se firent alors? Quelle est la preuve que le Christ fut crucifié? Les divines Ecritures, répondrons-nous. Oui, des miracles se firent alors et le Christ fut crucifié, les saintes Ecritures nous l'attestent ; elles rapportent l'une et l'autre chose. Si notre adversaire nie que les Apôtres aient fait des miracles, il exalte d'autant plus leur puissance et la grâce divine, puisque sans miracles ils auraient converti la terre entière à la vraie religion : car c'est le plus grand des miracles et le plus étonnant des prodiges que des hommes pauvres, mendiants, méprisables, illettrés, bornés, abjects, aient, au nombre de douze, attiré à eux, sans le secours des miracles, tant de villes, de nations, de peuples, les empereurs, les rois, les philosophes, les rhéteurs et la terre presque tout entière. Voulez-vous voir maintenant les miracles qui ont eu lieu? Je vous en montrerai un plus grand que tous ceux qui ont précédé, non pas un mort ressuscité, non pas un aveugle guéri, mais le monde sortant des ténèbres de l'erreur, non pas un lépreux purifié, mais tant de nations qui dépouillent la lèpre du péché et que purifie le bain de la régénération. Quel prodige plus grand que ces prodiges me demandez-vous, ô homme, vous qui voyez sur la terre un si grand et si rapide changement.

8. Voulez-vous savoir comment le Christ a rendu la vue à tout le genre humain? Autrefois les hommes croyaient que le bois, que la pierre m'étaient pas du bois, de la pierre; ils appelaient dieux des choses insensibles, tellement ils étaient aveuglés ! Aujourd'hui ils voient ce qui est bois, ce qui est pierre, ils croient ce:, qui est Dieu. C'est par la foi seule qu'on peut contempler cette nature immortelle et bienheureuse. Voulez-vous une autre preuve de la résurrection? Le changement de la disposition d'esprit des disciples est un des plus grands miracles qui aient eu lieu après la résurrection. Tous reconnaissent et avouent qu'un homme bienveillant pour un autre pendant sa vie ne s'en souviendra pas après sa mort; mais un homme qui se montre ingrat envers un autre et le quitte pendant sa vie, l'oubliera à bien plus forte raison après sa mort. Aussi aucun homme , après avoir abandonné et délaissé son ami, son maître pendant sa vie, n'en fera grand cas après sa mort, surtout s'il voit que cette estime l'expose à mille dangers. Mais voici que ce qui n'est arrivé à personne est arrivé au Christ et à ses Apôtres, et ceux-ci, après avoir renié leur maître pendant sa vie, après l'avoir abandonné, l'avoir laissé aux mains de ses ennemis, s'être enfuis, sont tout à coup pénétrés d'un si grand amour pour celui qu'ils ont vu en butte à tant d'outrages et expirant sur une croix qu'ils ne craignent pas d'exposer leur vie pour l'annoncer et croire en lui. Si le Christ, une fois mis à mort, n'était pas ressuscité, pourrait-on expliquer que ceux qui pendant sa vie l'abandonnaient parce qu'ils le voyaient en danger, tout à coup, après sa mort, s'exposent pour lui à mille périls? Tous les autres s'étaient enfuis, Pierre l'avait renié avec serment par trois fois, et celui qui renia Jésus avec serment par trois fois et qui tremblait à la voix d'une vile servante, voulant, quand Jésus est mort, nous persuader par les faits mêmes qu'il l'a vu ressuscité , éprouve une conversion si prompte qu'il se rit du peuple entier, qu'il se précipite au milieu des Juifs assemblés et leur dit que ce Jésus crucifié et enseveli est ressuscité des morts le troisième jour, qu'il est monté aux cieux et qu'il est à l'abri de tout danger. D'où lui vient tant de hardiesse? Et d'où lui viendrait-elle sinon de l'entière conviction que la résurrection est vraie? Il l'avait vu, lui avait parlé; il avait écouté ses révélations sur l'avenir, et c'est pourquoi il s'exposait, comme pour un homme vivant, à tous les dangers; c'est là qu'il avait puisé la force et la hardiesse de marcher à la mort pour lui et de se laisser crucifier la tête en bas.

Lors donc que vous voyez des miracles plus grands, les disciples remplis d'amour pour celui qu'ils avaient abandonné, montrant plus de hardiesse, lorsque vous voyez un changement si éclatant en toutes choses, tout replacé dans un état meilleur et plus sûr, apprenez par les faits mêmes que la mort n'a pas anéanti Jésus, mais qu'il est ressuscité, qu'il vit et que ce Dieu crucifié reste continuellement immuable. Car s'il n'était pas ressuscité, s'il ne vivait pas, ses disciples n'eussent pas fait après sa mort de plus grands miracles qu'avant sa passion. Alors ses disciples l'abandonnaient, aujourd'hui toute la terre court à lui, et ce n'est pas seulement. Pierre, mais encore des milliers d'autres, (67) après Pierre, lesquels sans avoir vu le Christ ont donné leur vie pour lui, se sont laissé trancher la tête, ont souffert d'indicibles tourments, pour mourir en le confessant avec une foi pure et entière. Comment donc un homme mort et dans le tombeau, comme tu le dis, ô Juif, a-t-il montré dans tous ceux qui sont venus après les apôtres tarit de puissance et de forcé qu'il leur a persuadé de l'adorer seul, et de tout supporter et de tout souffrir plutôt que de perdre la foi en lui? Vois-tu en tout une preuve manifeste de sa résurrection, clans les miracles d'alors, dans ceux d'aujourd'hui, dans l'amour de ses disciples d'alors et de ceux d'aujourd'hui, dans les dangers que coururent toujours les fidèles? Veux-tu voir ses ennemis même redoutant sa force et sa puissance et redoublant leurs efforts après sa passion ? Ecoute ce qui est écrit sur ces choses : Voyant la constance de Pierre et de Jean, et ayant appris que c'étaient des gens sans lettres et du commun, les Juifs s'étonnaient (Act. IV, 13), et ils craignaient, non parce que ces hommes étaient illettrés, mais parce que, bien qu'illettrés, ils surpassaient tous les sages et que voyant près d'eux l'homme qui avait. été guéri, ils n'avaient rien à dire à l'encontre, et cependant avant cela ils contredisaient, malgré les miracles qu'ils voyaient. Comment se fait-il donc qu'en cette circonstance ils ne contredisent pas? C'est que la puissance invisible du crucifié a enchaîné leur langue, c'est lui qui leur a fermé la bouche, qui a arrêté leur audace; aussi ne trouvaient-ils rien à opposer. Et lorsqu'ils parlent, voyez comme ils avouent leur crainte : Voulez-vous, disent-ils, rejeter sur nous le sang de cet homme? (Act. IV, 28.) Et cependant, si ce n'est qu'un homme, pourquoi craignez-vous son sang? Combien n'avez-vous pas tué de prophètes, égorgé de justes, ô Juifs, et il n'y en a pas un dont vous craigniez le sang? Pourquoi donc ici craignez-vous? Oh ! c'est que le crucifié a remué leur conscience et ne pouvant cacher leurs combats intérieurs, ils confessent malgré eux leur faiblesse à leurs ennemis. Lorsqu'ils le crucifièrent ils criaient : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. (Matth. XXVII, 25.) C'est ainsi qu'ils témoignaient leur mépris pour ce sang. Mais après le crucifiement, voyant briller sa puissance, ils craignent, sont tourmentés et disent: Voulez-vous donc rejeter sur nous le sang de cet homme? Si c'était un séducteur et un ennemi de Dieu, comme vous le dites, Juifs impies, pourquoi donc craignez-vous son sang? Mais au contraire ce supplice vous est un titre d'honneur, si le supplicié était tel. C'est donc parce qu'il n'était pas tel que ses meurtriers tremblent.

9. Voyez-vous de toutes parts ses ennemis tourmentés et tremblants? Voyez-vous leur trouble? Apprenez de là quelle est la clémence du crucifié. Ils disaient, ces Juifs : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants; mais le Christ ne l'a pas voulu ainsi; il a supplié son Père en disant : Mon Père, pardonnes-leur , car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34.) Si son sang était retombé sur eux et sur leurs enfants, ce n'est pas parmi leurs enfants qu'il se fût trouvé des Apôtres; on n'y aurait pas converti d'un coup trois mille hommes, puis cinq mille. Voyez-vous comment ces hommes cruels et inhumains pour leurs enfants ont méconnu les lois de la nature, comment au contraire Dieu s'est montré plus clément que tous les pères, plus aimant que toutes les mères? Son sang est retombé sur eux et sur leurs enfants, non pas sur tous, mais sur ceux-là seulement qui ont imité l'impiété et l'iniquité de leurs pères, sur ceux qui se sont montrés leurs fils, non quant à la nature, mais quant à la volonté perverse, ceux-ci ont seuls supporté le châtiment.

Mais voyez une autre preuve de la bonté et de la charité de Dieu. Ce n'est pas immédiatement qu'il envoie sur eux la punition et le châtiment, mais il attend quarante ans et plus après le crucifiement. Car le Sauveur fut crucifié sous Tibère, et la ville ne fut prise que sous Vespasien et Titus. Pourquoi donc attendre si longtemps après la faute? Il voulait leur donner te temps de se repentir, afin qu'ils dépouillassent leurs iniquités et rejetassent leurs crimes. Mais quand laissant passer le temps du repentir, ils montrèrent qu'ils étaient incorrigibles, alors Dieu leur envoya la punition et le châtiment, et détruisant leur ville , il les en fit sortir, les dispersa sur toute la terre, agissant encore en cela par clémence. Car s'il les dispersa , c'est pour qu'ils vissent adoré par toute la terre ce Christ qu'ils avaient crucifié, et que, en le voyant adoré par tous et en apprenant sa puissance, ils reconnussent l'excès de leur propre impiété et qu'ensuite ils retournassent à la vérité. Ainsi leur captivité leur devenait une leçon et leur punition un avertissement; car s'ils étaient restés (68) en Judée, ils n'auraient pu constater la vérité des prophéties. Qu'avaient dit en effet les prophètes? Demandez-moi et je vous donnerai les nations pour héritage, et pour votre possession la terre jusqu'à ses dernières limites. (Ps. II, 8.) Il leur fallait donc aller jusqu'aux limites de la terre, pourvoir que la terre entière appartient au Christ. Un autre prophète dit encore : Et ils l'adoreront , chacun de son endroit. (Soph. II, 11.) Il leur fallait donc se disperser dans tous les endroits de la terre afin qu'ils vissent de leurs propres yeux chacun adorer de son endroit le Christ. Un autre a dit encore : La terre sera remplie de la connaissance dit Seigneur, comme la mer de l'abondance des eaux. (Héb. II, 14.) Il leur fallait donc s'en aller par toute la terre pour la voir remplie de la connaissance du Seigneur et vers les mers, c'est-à-dire vers ces Eglises spirituelles remplies des oeuvres de la piété. Voilà pourquoi Dieu les dispersa sur toute la terre ; car s'ils étaient restés en Judée, ils auraient ignoré tout cela. Il veut les convaincre par leurs propres yeux de la vérité des prophéties et de la grandeur de sa puissance, afin que, s'ils sont bien disposés, ce spectacle les conduise à la vérité, et que, s'ils restent dans leur impiété, ils ne puissent apporter aucune excuse au jour terrible du jugement. Il les a dispersés sur toute la terre pour nous aussi, pour que nous retirions quelque profit de cette situation : car voyant accomplies les prophéties qui concernaient leur dispersion, la prise de Jérusalem (Mal. I, 10), événements que prédit Daniel, en parlant de l'abomination et de la désolation (Dan. IX, 27), Malachie en disant : Vos portes seront fermées, David, Isaïe et d'autres encore, voyant, dis-,je, ceux qui maltraitèrent notre Maître ainsi châtiés, privés de la liberté que leur avaient léguée leurs pères, de leurs lois propres et des traditions de leurs ancêtres, nous apprendrons combien il est puissant, celui qui a annoncé tontes ces choses et qui les a réalisées, et ses ennemis, contemplant notre prospérité, verront combien il est fort; pour nous, que ce châtiment des Juifs nous apprenne la clémence indicible et la puissance de Dieu , vivons en le louant toujours, afin que nous obtenions les biens éternels et ineffables, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint et vivificateur soient honneur et puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.