COMMENTAIRE SUR ISAIE.

Tome VI, p. 336-399

 

 

 

COMMENTAIRE SUR ISAIE. *

PRÉFACE. *

CHAPITRE PREMIER. VISION D'ISAIE. *

CHAPITRE DEUXIÈME. PAROLE QUI PUT ADRESSÉE A ISAIE, FILS D'AMOS. *

CHAPITRE TROISIÈME. 1. " VOICI QUE LE MAÎTRE, LE SEIGNEUR DES ARMÉES, VA ENLEVER DE LA JUDÉE ET DE JÉRUSALEM " L'HOMME FORT ET LA FEMME FORTE. " *

CHAPITRE QUATRIÈME. " EN CE JOUR-LÀ SEPT FEMMES PRENDRONT UN HOMME ET ELLES LUI DIRONT : NOUS NOUS NOURRIRONS NOUS-MÊMES ET NOUS NOUS ENTRETIENDRONS NOUS-MÊMES DE VÊTEMENTS. AGRÉEZ SEULEMENT QUE NOUS PORTIONS VOTRE NOM ET DÉLIVREZ-NOUS DE NOTRE OPPROBRE. " *

CHAPITRE CINQUIÈME. 1. " JE CHANTERAI A MA VIGNE BIEN-AIMÉE LE CANTIQUE DE MON BIEN-AIMÉ. ". *

CHAPITRE SIXIÈME. 1. " ET IL ARRIVA L'ANNÉE QUE MOURUT OZIAS. " ANALYSE. *

CHAPITRE SEPTIÈME. 1. " ET IL ARRIVA PENDANT LES JOURS D'ACHAZ, FILS DE JOATHAN, FILS D'OZIAS, ROI DE JUDA. " *

CHAPITRE HUITIÈME. 1." ET LE SEIGNEUR ME DIT : PRENDS UN LIVRE DE PAPIER NEUF, GRAND, ET ÉCRIS-Y EN CARACTÈRES CONNUS, QU'IL FAUT SE HATER DE PRENDRE LE BUTIN ET LES DÉPOUILLES. — 2. VOICI LE TEMPS : PRENDS-MOI POUR TÉMOINS DES HOMMES FIDÈLES, URIE LE PRÈTRE ET ZACHARIE, FILS DE BARACHIE. — 3. JE ME SUIS APPROCHÉ DE LA PROPHÉTESSE ET ELLE CONÇUT ET ELLE ENFANTA UN FILS. ET LE SEIGNEUR ME DIT : APPELLE-LE : HATEZ-VOUS DE PRENDRE LES DÉPOUILLES ET DE PARTAGER LE BUTIN. — 4. CAR AVANT QUE L'ENFANT SACHE NOMMER SON PÈRE ET SA MÈRE, ON EMPORTERA LA PUISSANCE DE DAMAS ET LES DÉPOUILLES DE SAMARIE DEVANT LE ROI DES ASSYRIENS. " *

 

 

 

 

PRÉFACE.

Eloge du prophète Isaïe. — Que les saints et les prophètes sont animés d'un grand amour envers les peupler.

Le mérite excellent de ce prophète se voit très-bien dans ses oeuvres, mais ce qui le fait voir non moins parfaitement, c'est le témoignage qu'en rend celui qui, plus que tout autre, était capable d'apprécier ses qualités. Je veux dire saint Paul dont l'Esprit-Saint lui-même dictait les paroles. Le langage franc d'Isaïe, sa pensée toujours libre, ses sentiments élevés, la clarté de ses prophéties sur le Christ, toutes ses qualités, l'Apôtre nous les montre par un seul mot, en disant: "Isaïe ne craint pas de dire. j'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas. " Sa compassion pour les maux de ses frères est bien grande aussi. il ne s'est pas seulement élevé contre la folie du peuple, il n'a pas seulement, dans un langage libre et avec une pensée élevée, annoncé aux Juifs les châtiments qui les puniraient, mais quand ce qu'il avait prédit est arrivé il souffre, il est tourmenté non moins que ceux que le malheur opprime et il gémit plus douloureusement que ces infortunés. C'est là du reste ce que presque tous les prophètes et les saints ont fait : leur affection pour ceux qu'ils étaient chargés de conduire surpassait la tendresse des pères pour leurs enfants ; la nature est moins forte que n'était leur charité. Il n'est point, non, il n'est point de père qui soit embrasé d'amour pour ses enfants comme ceux-là pour le peuple qu'ils dirigeaient: car pour lui ils étaient disposés à mourir, gémissant, se lamentant, partageant leur captivité et leurs infortunes, faisant et (338) souffrant tout, pour mettre fin à la colère du ciel et aux malheurs qu'ils éprouvaient. Il n'y a rien qui nous rende plus aptes à commander que d'avoir une âme pleine de sagesse et de miséricorde. Aussi le grand Moïse ne fut placé par Dieu à la tête du peuple juif qu'après avoir manifesté par ses actions combien il aimait ce peuple, et plus tard il lui dit: " Si vous leur pardonnez leur faute, pardonnez-la leur ; sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit. " Et Isaïe lui-même voyant les Juifs périr s'écrie: " Laissez-moi aller, je répandrai des larmes amères ; ne vous mettez pas en peine de me consoler sur la ruine de la fille de mon peuple. " Jérémie fit entendre de longs gémissements, quand la ville eut été renversée. Ezéchiel partit avec les Juifs, regardant comme moins pénible d'habiter sur une terre étrangère que dans sa patrie, et trouvant que le plus grand adoucissement à ses maux c'était d'être auprès des malheureux et de diriger leurs affaires. Et Daniel pour obtenir leur retour resta sans manger pendant vingt jours et plus et montra tout son amour pour eux en suppliant Dieu de les délivrer de cette captivité. C'est par là en un mot que brillent tous les saints. Par exemple, quand David voit la colère du ciel fondre sur le peuple, c'est sur lui-même qu'il veut appeler ce fléau, disant : " C'est moi pasteur qui ai péché, c'est moi pasteur qui ai fait le mal, et ceux-ci, qui sont mon troupeau, qu'ont-ils fait ? Que votre main s'appesantisse sur moi et sur la maison de mon père. " Et Abraham, loin de tout danger, n'ayant pas à craindre de partager la punition des Sodomites, se mit, comme s'il avait été au milieu du péril, à invoquer et à supplier Dieu, et il n'aurait pas cessé d'employer et actions et paroles pour détourner ce terrible embrasement, si Dieu, après l'avoir congédié, n'était enfin parti. Les saints du Nouveau Testament montrèrent encore plus de vertu, parce qu'ils avaient reçu plus de grâces et qu'ils étaient appelés à de plus longs combats. C'est pour ce motif que Pierre, en entendant dire au Christ qu'il est bien difficile aux riches d'entrer dans le royaume des cieux, était dans l'anxiété, et tremblait et adressait cette question: " Qui peut donc être sauvé " ? Et cependant, pour ce qui le concernait, il devait être plein de confiance. C'est que ces saints considéraient moins leur intérêt propre qu'ils ne s'occupaient de toute la terre. Et saint Paul, dans tout le cours de ses épîtres, nous montre la même préoccupation, lui qui à la vision du Christ préférait le salut des hommes : " Mourir et être avec Jésus-Christ est le meilleur, mais rester dans ma chair est plus nécessaire à cause de vous. " (Phil. I, 23, 24.) C'est cette même vertu que montre le Prophète quand il expose les révélations de Dieu avec tant de franchise, quand il adresse ses reproches aux pécheurs, quand, dans des circonstances fréquentes et par de longs discours, il tâche d'apaiser Dieu irrité contre les Juifs: ce que l'on peut voir surtout à la fin de la prophétie. Mais enfin abordons le commencement de la prophétie.

 

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. VISION D'ISAIE.

ANALYSE.

1. Le Prophète nomme sa prédiction une vision, pour signifier que c'est une vue anticipée des événements.

2. Le Prophète laissant de côté les hommes adresse la parole aux éléments : c'est une marque de l'indignation qui anime le Prophète et c'est en même temps un moyen d'inspirer aux hommes de la honte de ce qu'étant doués de raison, ils se sont ravalés par le péché au-dessous des créatures privées de sentiment.

3 et 4. Tableau de l'ingratitude et de la dépravation des Juifs. Dieu, par la bouche du Prophète, leur adresse de vifs reproches, où se remarque encore de la tendresse ; c'est le langage d'un ami outragé, mais qu'aucun outrage ne rebute. Les sacrifices de . l'Ancien Testament n'étaient pas agréables à Dieu par eux-mêmes. Raison de leur institution. Pourquoi l'ancienne loi permettait le divorce.

5. La prière ne sert de rien an pécheur qui reste dans son péché.

6 et 7. Pouvoir du libre arbitre, il est la condition essentielle de la vertu.

8. on pèche non pas seulement en faisant le mal, mais encore en omettant de faire le bien. — Réponse à une objection des Juifs. Turpitude et vanité de l'idolâtrie.

1. Il appelle sa prophétie vision soit parce qu'il avait sous les yeux beaucoup d'événements futurs, et c'est ainsi que Michée vit la dispersion du peuple, Ezéchiel la captivité et la prévarication de ceux qui adoraient le soleil et Thamuze ; soit parce que, les choses que les prophètes entendaient leur venant de Dieu, elles n'avaient rien de moins sûr que la vision elle-même et produisaient une certitude égale, ce qui ne saurait avoir lieu en dehors de l'intervention divine. Ils entendaient autrement que le reste des hommes, car Isaïe dit : " Il m'a ajouté une oreille pour entendre. " (Isaïe, L, 4.) En appelant sa prophétie " vision, " il rend son récit plus digne de foi, il excite l'attention de l'auditeur et il le fait penser à l'auteur de la vision. Tous ceux qui nous apportent des oracles de la part de Dieu ont soin avant tout de bien établir ce point, qu'ils ne disent rien qui soit tiré de leur fonds propre, mais que leurs paroles ne sont que des révélations divines, que des écrits descendus du ciel. Ainsi David disait: " Ma langue, c'est la plume d'un écrivain qui écrit rapidement. " (Ps. XLIV, 2.) N'allez donc pas croire que les lettres viennent de la plume, mais de la main qui la tient, c’est-à-dire non de la langue de David, mais de la grâce qui la meut. Un autre prophète voulant montrer la même chose dit: " J'étais un chevrier, arrachant des sycomores. " (Amos, VII, 14.) De sorte que nous ne devons pas juger ces paroles selon les règles de la sagesse humaine. Et cette parole même ne lui suffisait pas, il a ajouté celle-ci : " L'Esprit du Seigneur m'a rempli de force, de jugement et de puissance. " (Mich. III, 8.) Car la grâce les a rendus non-seulement sages, mais forts non selon le corps, mais selon l'âme. Comme ils devaient s'adresser à un peuple audacieux et impudent, altéré du sang des prophètes, se plaisant à massacrer les saints, ils avaient certes besoin de beaucoup de force pour ne pas redouter sa colère. C'est pourquoi le Seigneur dit à Jérémie : " Je t'ai placé comme nue cotonne de fer et comme un mur d'airain ; " et à Ezéchiel " Tu habites au milieu des scorpions, ne crains pas devant eux et ne les redoute pas. " Et quand Moïse fut envoyé, ce n'est pas seulement à mon avis parce qu'il redoutait Pharaon qu'il voulait refuser sa mission, mais parce qu'il craignait le peuple juif. C'est pourquoi en s'entretenant avec Dieu, sans même songer au roi, il s'enquiert avec beaucoup de soin de ce qu'il devra dire à ceux qui ne voudront pas le reconnaître pour envoyé de Dieu, et ce fut pour les convaincre qu'il reçut le pouvoir des miracles; et c'était avec raison. Car si un seul d'entre eus qui avait même été sauvé par lui l'effraya jusqu'à lui faire prendre la fuite, que ne devait-il pas éprouver en pensant à tout ce peuple si turbulent? Aussi outre l'Esprit de sagesse, reçut-il encore l'Esprit de force, comme un autre prophète le disait de lui-même. " L'Esprit du Seigneur m'a rempli de force, de jugement et de puissance (Mich. III, 8); " et un autre " La parole de Dieu se fit entendre à Jérémie, fils de Chelcias (Jérém. I, 1) ; " et un autre encore: " Inspiration contre Ninive : livre de la vision de Nahum d'Elcesaï. " (Nahum.) Celui-ci, tout en se servant d'un autre terme, fait entendre la même chose que les premiers: il appelle inspirés ceux dont l'Esprit s'est emparé. C'est parce qu'en parlant ainsi ils étaient dominés par le Saint-Esprit qu'il a appelé inspiration l'opération de la grâce. C'est pour la même raison que saint Paul place en tête de toutes ses épîtres son titre d'apôtre; ce que faisaient les prophètes en se servant des mots vision, discours, inspiration, parole; il le fait en se servant du mot d'apôtre. Si celui qui dit vision, parole de Dieu, n'annonce rien qui vienne de lui, celui qui s'appelle apôtre, c’est-à-dire envoyé, n'enseigne pas non plus une doctrine qui lui soit propre, mais la doctrine de Celui qui l'a envoyé. La fonction d'apôtre, consiste précisément à ne rien donner qui vienne de soi. C'est pourquoi le Christ dit : " N'appelez personne votre maître sur la terre, un seul est votre Maître, et il est dans les cieux (Matth. XXIII, 10) ; " il nous montre par là que ce que nous enseignons a son commencement et sa racine en notre Maître céleste, bien que les ministres de la parole soient des hommes. " Que vit Isaïe? " Comment les prophètes perçoivent-ils ce qu'ils voient, ce n'est pas à nous de le dire : notre parole est impuissante à expliquer le mode de leur vision ; celui-là seul le connaît qui l'a éprouvé. Si (340) notre nature, soit qu'elle agisse, soit qu'elle reste passive, a des secrets dont nul ne saurait rendre compte, comment pourrions-nous expliquer la manière d'opérer du Saint-Esprit? Si toutefois il faut par des images obscures essayer de la montrer non dans une claire lumière, mais comme dans des énigmes, il me semble que les prophètes éprouvent quelque chose d'analogue à ce qui se fait dans une eau pure que viennent illuminer les rayons du soleil, que leurs âmes purifiées d'abord par leurs propres vertus, et aussi rendues aptes à refléter la divine lumière, reçoivent ensuite la grâce du Saint-Esprit, et avec elle la connaissance de l'avenir.

" Fils d'Amos. " Pourquoi mentionne-t-il son père? C'est pour prévenir les équivoques qui résulteraient des homonymies, ou bien pour nous apprendre que la bassesse du père n'offusque pas le mérite du fils : car la noblesse ne consiste pas à être né de parents illustres, mais à se rendre illustre soi-même. Quoique d'une naissance obscure, Isaïe ne laissa pas que de devenir plus illustre entre tous, grâce à l'éclat singulier de son propre mérite : " Qu'il a vue au sujet de la Judée et de Jérusalem. "

Pourquoi nomme-t-il l'un et l'autre lieu séparément? Parce que les châtiments devaient être distincts et infligés en des temps différents; Dieu, en réglant les choses ainsi, avait montré sa sagesse ; il ne voulait pas les faire périr tous d'un seul coup, mais lentement et peu à peu afin que le malheur de ceux qui seraient emmenés captifs inspirât le repentir à ceux qui restaient. Que s'ils ne profitèrent pas du remède comme ils auraient dû, la l'auto en est à ces malades et non pas au divin Médecin. Dieu tient la même conduite en toute circonstance et dans tous les temps, et jamais il ne punit du même coup tous ceux qui ont commis les mêmes crimes; car autrement il y a longtemps que toute notre race aurait disparu ; mais il punit les uns ici-bas, et par là il leur adoucit à eux-mêmes le châtiment de l'autre vie, tandis qu'il donne à ceux qui sont témoins de leur punition, une admirable occasion de se convertir; quant à ceux que ni leur propre nature, ni la sagesse de cette conduite ne peut ramener au bien, il les réserve pour le jour inévitable et terrible du jugement. " Sous le règne d'Ozias et de Joathan et d'Achar et d'Ezéchias qui régnèrent en Judée. " Il a bien fait de mentionner le temps, puisqu'il appelle ainsi l'attention du lecteur studieux sur l'histoire des événements antérieurs. La prophétie n'en sera que plus intelligible et plus claire : car sachant quel était l'état des choses et ce qu'il y avait de mal chez les Juifs, nous jugerons mieux des remèdes que les prophètes y ont apportés. " Ecoute, ciel, et toi, terre, prête l'oreille : car c'est le Seigneur qui a parlé (2). " Ce début est plein de colère ; car s'il n'avait pas été emporté par une indicible fureur, comment aurait-il laissé les hommes pour s'adresser aux éléments? II ne le fait pas seulement pour montrer qu'il est irrité, mais aussi pour couvrir de honte ceux qui devaient l'entendre, en leur montrant que, honorés de la raison, ils se sont cependant dégradés au-dessous des éléments insensibles. C'est là du reste une chose habituelle aux autres prophètes. Ainsi le Prophète envoyé vers Jéroboam, au lieu de s'adresser à celui qu'il vient reprendre, s'adresse à l'autel. Et Jérémie apostrophe la terre en disant : " Terre, terre, terre, écris que cet homme est proscrit. " Et un autre dit encore . " Ecoutez, abîmes, fondements de la terre; j'ai engendré des fils. " Il ne parle pas ici d'un bienfait qu'il a accordé à tous les hommes, celui d'exister, mais d'un bienfait particulier aux Israélites, celui d'en avoir fait ses enfants. Partout le Seigneur commence par des bienfaits ; quand il a créé l'homme, il a comblé d'honneur celui qui n'existait pas encore, en disant: " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. " Sous le Nouveau Testament il fait plus encore : car ce ne sont pas des hommes qui n'ont rien fait, mais des hommes qui ont commis une infinité de péchés, qu'il régénère dans les eaux du baptême ; ici vous voyez la même chose, puisqu'il honore de son adoption des hommes qui non-seulement n'ont rien fait de bien, mais encore qui étaient tombés dans le mal, et cependant s'il les honore avant qu'ils aient pu mériter, ce n'est pas qu'il les prive de récompense quand ils ont mérité ; c'est alors au contraire qu'il leur accorde de plus grandes récompenses. "Et je les ai élevés. " Les bienfaits accordés en Egypte, les bienfaits accordés dans le désert, les bienfaits accordés dans la Palestine, il rappelle tout d'un seul mot ; car c'est la coutume de Dieu, dont les bienfaits sont si nombreux de s'abstenir de les rappeler longuement et (341) minutieusement. " Et ils m'ont méprisé. " Ils ont, veut-il dire, transgressé ma loi, abandonné mes préceptes. " Le boeuf connaît celui à qui il appartient et l'âne l'étable de son maître (3). "

Les comparaisons, celles surtout qui sont prises de choses inférieures, ne fout que rendre l'accusation plus vive; c'est ainsi que le Christ dit : " Les Ninivites se lèveront au jugement avec cette génération et ils la condamneront;" et en un autre endroit : " La reine du midi se lèvera au jugement avec cette génération et la condamnera, parce qu'elle vint des extrémités de la terre entendre la sagesse de Salomon. " (Luc, XI, 31-32. ) Et Jérémie dit encore : " Allez aux îles de Céthim et jetez les yeux sur Cédar. Envoyez-y pour savoir si ces nations changeront jamais leurs dieux ; mais mon peuple a changé sa gloire et cela ne lui servira de rien. " (Jérém. II,10-11.) II montre que la loi n'est pas dure et combien peu elle exige des hommes, elle que les animaux privés de raison et les plus stupides des animaux observent facilement. — Mais, direz-vous, c'est la nature qui opère en eux. — Ce que la nature accomplit en eux, la volonté libre peut le faire en nous. " Le boeuf connaît celui à qui il appartient. " Ce n'est pas sur l'excellence de ses dons mais sur l'excès de leur malice qu'il fonde son accusation. De même qu'il s'est adressé pour leur confusion à des éléments, de même ce n'est pas à des hommes, mais à des animaux et aux plus stupides des animaux qu'il les compare et il les trouve inférieurs à eux.

3. Ainsi fait Jérémie, lorsqu'il appelle la tourterelle et l'hirondelle (Jérém. VIII, 7), et Salomon lorsqu'il renvoie le paresseux tantôt à la fourmi, tantôt à l'abeille. (Prov. VI, 6.) " Israël ne m'a pas connu. " Le crime s'aggrave lorsque ce sont des amis intimes, comblés de faveurs, qui, tous ensemble, se précipitent dans le mal. Il ne dit pas Jacob, mais " Israël, " afin que ce nom qui rappelle la vertu du patriarche inspire à ses descendants plus de confusion. A celui-là, sa vertu valut la bénédiction qu'exprime son nom, et ceux-ci par leur malice la rejettent. " Et mon peuple ne m'a pas compris, " moi, dit-il, plus éclatant que le soleil. " Malheur ! nation pécheresse (4). " C'est encore là l'habitude des prophètes, de pleurer sur les hommes atteints de maux incurables. Ainsi fait Jérémie en un grand nombre d'endroits; ainsi le Christ quand il dit: " Malheur à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïde ! " (Matth. XI, 21.) C'est encore là une manière d'instruire : car celui que la raison n'a pu ramener, souvent les larmes le ramènent. " Peuple rempli d'iniquités. " Voici qui rend l'accusation plus grave; ils ont péché tous et jusqu'aux derniers excès. " Race méchante. " Ce n'est pas qu'il leur reproche leur origine, ruais il montre que depuis leur premier âge ils sont pécheurs. Lorsque Jean dit

" Serpents, race de vipères (Matth. III, 7), " il n'accuse pas leur nature : car il ne leur eût pas dit : "Faites donc de dignes fruits de pénitence, " s'ils avaient été méchants par nature de naissance. De même, en disant ici " race méchante, " le Prophète ne leur reproche pas leur naissance. " Fils sans loi ; " il ne dit pas " transgresseurs, " mais " sans loi, " qui ne valent pas mieux que s'ils n'avaient jamais reçu la loi. Il note ainsi la corruption (1) de la volonté. " Vous avez abandonné le Seigneur et vous l'avez irrité. " Il parle ainsi par emphase , car le nom seul de Dieu suffisait pour justifier l'accusation. Jérémie fait le même reproche en ces termes : " Parce qu'ils se sont éloignés de lui et qu'ils se sont attachés aux " démons. " (Bar. IV, 7, 8.)

" Le saint d'Israël." Voici encore qui aggrave l'accusation , c'est qu'ils le connaissaient bien comme le Maître de toutes choses. " Ils se sont retournés en arrière (5). Pourquoi vous frapper encore, vous qui ajoutez sans cesse à vos prévarications? " Quel triste état lorsque les châtiments mêmes ne rendent pas meilleur ! Certes, c'est une des formes du bienfait que la punition. Ils ne pourront pas dire qu'il ne leur a accordé que des honneurs et des biens, et que, quand ils ont péché, il les a abandonnés; mais par les honneurs il les a attirés, par la crainte des punitions il a voulu les amener à la pénitence, et dans l'un et l'autre cas ils se sont montrés incorrigibles. Il a employé tous les traitements, il a taillé, il a brûlé, et la maladie n'a pas disparu ; ce qui montre que la maladie est incurable , c'est qu'elle soit rebelle aux remèdes. " Toute tête est malade et tout coeur rempli de tristesse (6). Depuis les pieds jusqu'à la tête il n'y a rien de sain en lui, ni blessure, ni tumeur, ni plaie enflammée. " Il rappelle ensuite les punitions

1 Le texte grec parait ici altéré : au lieu de diaphoran le sens demanderait diaphthoran corruption.

342

et les châtiments ; car ce n'est pas là une petite marque de l'amour qu'il leur porte et de l'honneur qu'il leur fait. Je les ai tous frappés, dit-il, je les ai tous accablés de douleur. Si a toute tète est malade, " comment n'y a-t-il ni blessure, ni tumeur? La blessure ne parait-elle que quand le reste d u corps est sain ; mais s'il est couvert de blessures , on ne pourra plus en distinguer une en particulier. Cela veut donc dire que tout le corps est couvert d'ulcères, qu'il n'y a pas un endroit sain à côté d'un autre malade , mais que tout est enflammé, que tout n'est qu'une tumeur. " On ne peut y appliquer rien d'adoucissant. " Voici qui est plus grave encore. Il est bien moins fâcheux d'être malade seulement que de ne pouvoir, étant malade , subir de traitement, surtout lorsque le médecin est si grand. " Ni huile, ni bandes. " C'est pour parler par emphase qu'il continue la métaphore; c'est là le mérite de cette figure. " Votre terre est déserte (7). " Ces événements, il ne les raconte pas comme passés, il les annonce comme futurs, bien qu'il emploie le temps du passé. Les prophètes en usent ainsi et pour effrayer l'auditeur et pour montrer combien ce qu'ils prédisent est certain. De même que les choses passées ne peuvent pas ne pas avoir existé, de même les choses que les prophètes ont annoncées devoir exister, ne peuvent pas ne pas arriver, à moins que par hasard ceux qui devaient être punis ne se repentent. " Vos villes sont incendiées. " Il ne les a pas détruites entièrement, il a permis que des ruines échappées aux flammes des barbares restassent debout, parce qu'elles toucheraient davantage ceux qui les verraient. " Des étrangers dévorent votre pays sous vos yeux, et il est désert parce a qu'il a été ravagé par des peuples étrangers. " C'est le comble du malheur pour des hommes d'être spectateurs de maux qui les atteignent, au lieu de les apprendre par la renommée seulement. " La fille de Sion demeura abandonnée comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres (8). "

4. Les images font beaucoup , surtout celles de la sainte Ecriture, pour rendre plus frappant ce qu'on dit. Le Prophète appelle Jérusalem fille de Sion parce qu'elle est placée au pied de cette montagne. " Comme une tente dans une vigne et comme une cabane dans un champ de concombres. " Le fruit une fois enlevé, et les vignerons emmenés, à quoi servent les bâtiments de la ville? " Comme une " ville assiégée. " Cette expression figurée marque leur faiblesse et leur abandon. Car n'ayant plus personne qui vint à leur secours, ils étaient dans la nécessité de rester enfermés dans l'enceinte de leurs remparts qui faisaient maintenant toute leur sûreté. " Et si le Seigneur des armées n'en avait laissé quelques-uns de notre race, nous aurions été comme Sodome, et nous serions devenus semblables à Gomorrhe (9). " C'est une habitude constante des prophètes de dire non-seulement ce que les pécheurs vont souffrir de maux, mais encore ce qu'ils mériteraient de souffrir afin que dans le temps même de leur châtiment ils rendent à Dieu de fréquentes actions de grâces de ce qu'il rie leur inflige qu'une punition fort inférieure à leurs crimes. C'est ce qu'Isaïe dit ici , que leurs péchés auraient mérité non les maux qu'il vient de rappeler, mais l'extinction complète de toute la race, comme il était arrivé à Sodome. Mais la miséricorde de Dieu ne l'a pas permis, elle n'a envoyé qu'une punition bien inférieure aux fautes. Et comme il y a beaucoup de rapport entre l'Ancien et le Nouveau Testament, saint Paul a usé du même moyen, et avec plus de raison que le prophète. Car de même qu'en ce temps-là, sans la miséricorde de Dieu, tous auraient péri, de même au temps du Christ, sans la charité, tous les hommes périssaient d'une manière encore plus affreuse. " Il nous en a laissé quelques-uns de notre race." Il parle de ceux qui furent sauvés de la captivité. " Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome ; faites attention à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe (10). " Après avoir dit qu'ils étaient dignes du châtiment de Sodome, il montre que leurs crimes n'ont pas été moins audacieux que ceux de Sodome c'est pourquoi il les comprend avec eux dans une seule et même apostrophe. C'est bien là ce que veut dire le Prophète, autrement sa parole serait sans à propos. Par ce nom de princes de Sodome ce ne sont pas les habitants de cette dernière ville , mais les Juifs qu'il veut désigner; ce qui va suivre l'indique clairement. Il parle de sacrifices, d'oblations, de tout ce culte légal, dont il n'y avait pas trace chez les Sodomites. Ces mots : la loi de notre Dieu, prouvent que tel est le sens.

" Qu'ai-je à faire de la multitude de vos (343) sacrifices? dit le Seigneur. J'ai assez des holocaustes de vos béliers; la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs, je n'en veux plus (11). " Le psaume XLIX tout entier ressemble à ces passages; les termes diffèrent, mais les pensées sont les mêmes. Car ce verset du psaume, " Il appellera le ciel d'en-haut et la terre pour juger son peuple, " ressemble à celui-ci : " Ecoute, ciel, et toi, terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé; " et le reste ne se ressemble pas moins. Si David dit: " Je ne vous reprendrai point pour vos sacrifices, car vos holocaustes sont toujours devant moi, " Isaïe dit de même: " Qu'ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices? dit le Seigneur. " David dit encore : " Je ne recevrai point avec plaisir de votre maison les veaux, ni de vos troupeaux les boucs. " Et Isaïe : " Les holocaustes des béliers, la graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs , je n'en veux plus. " Comme on leur reprochait continuellement de manquer de vertu , et qu'ils répondaient pour toute justification qu'ils offraient continuellement des sacrifices, ces deux prophètes, ou plutôt tous les prophètes leur ôtent ce moyen de défense. D'où il est évident que ces sacrifices étaient institués non pour eux-mêmes, mais pour conduire les hommes à d'autres oeuvres de vertu. Mais parce qu'ils négligeaient les choses nécessaires pour s'arrêter à ces observances, Dieu déclare qu'il ne les acceptera plus. " Pas même lorsque vous viendrez en ma présence (12). " Lorsque vous viendrez au temple, veut-il dire. " Car qui a réclamé ces choses de vos mains? " Et cependant tout le Lévitique roule là-dessus et règle ce qui regarde les sacrifices. Et dans le Deutéronome comme en bien d'autres livres, on trouve çà et là .quantité de lois sur ce sujet. Comment peut-il donc dire: " Quia réclamé ces choses de vos mains ? " C'est pour vous apprendre que Dieu n'avait pas fait cette législation pour ce qu'elle valait par elle-même, mais pour condescendre à la faiblesse des Juifs. De même qu'il ne voulait pas que la femme, une fois unie à l'homme, pût être répudiée, et qu'il le permit cependant pour éviter de plus grands maux, pour empêcher que les hommes ne tuassent leurs femmes, si, tout en les haïssant, ils étaient obligés de les garder chez eux; de même ici, pour empêcher que les Israélites ne sacrifiassent aux démons, il voulut bien recevoir ce qui ne lui plaisait pas, afin que ce qui lui plaisait se fit. C'est ce que le prophète Amos nous montre par ces paroles : " M'avez-vous offert des sacrifices et des victimes pendant les quarante ans du désert ? " Jérémie dit aussi : " Ce n'est pas là ce que j'ai commandé à vos pères. "

5. Comme c'est de cette manière qu'on honorait les démons, c'est pour ôter aux faibles tout sujet de scandale qu'il parle ainsi par tous les prophètes. Les démons se fâchaient contre ceux qui ne leur offraient pas ces sacrifices, et toujours on nous les représente demandant la graisse et la fumée et disant : " C'est l'honneur qui nous est attribué (1). " Dieu au contraire ne demanda point dans le principe ces sacrifices, et quand il les ordonna, il fit voir que ce n'était pas pour lui-même qu'il les permettait, et une autre preuve encore , c'est qu'il y mit bientôt fin et que quand on les lui offrait, il ne les acceptait pas; en un mot, il nous montra par tous les moyens possibles que ce mode d'adoration était indigne de la grandeur de son culte. Il nous veut donc dire maintenant: J'ai toléré ces choses à cause de vous, mais je n'en avais pas besoin. " Vous ne viendrez plus fouler mes parvis. " Ou bien il prédit la captivité, on bien il leur défend d'entrer clans ses parvis, parce qu'ils ne le faisaient pas avec un coeur droit. " Si vous m'offrez de la farine, c'est inutile (13). " Car parmi les commandements, les uns ont leur raison d'être en eux-mêmes, les autres en d'autres choses; par exemple, connaître Dieu, ne pas tuer, ne pas commettre d'adultère , etc., tous ces commandements nous sont ordonnés pour eux-mêmes et pour l'utilité qu'ils renferment; au contraire, offrir des sacrifices, apporter de l'encens, garder le sabbat et autres choses semblables, tous ces commandements ne furent pas donnés simplement et absolument pour les choses qu'ils prescrivaient, mais pour que leur observation éloignât les Israélites du culte des démons. Mais puisqu'ils gardaient ces derniers préceptes sans en recueillir le fruit et qu'ils n'en étaient pas moins attachés aux démons, c'est avec raison que Dieu rejette ces observances; car c'est avec raison que l'on abat un arbre, qui se charge de feuilles et de branches, mais qui ne porte point de fruits. Car si le cultivateur donne ses soins à un arbre, ce n'est pas

1. To gar lukhomen geras emeis (Homère, IV, 49.)

344

pour l'écorce et le bois, mais pour le fruit qu'il en attend. " Votre encens m'est en abomination. " Le voyez-vous ? Il se réjouit moins de la nature de ce qu'on lui apporte que des dispositions de ceux qui offrent. Aussi il appelle la fumée et l'odeur qui s'élevaient du sacrifice de Noé un agréable parfum, et ici il donne à l'encens le nom d'abomination. Car comme je le disais, il regarde moins à la nature des dons qu'aux dispositions de ceux qui donnent. " Vos néoménies et vos sabbats " (14). " Remarquez qu'il ne rejette rien de ce qui est nécessaire, mais seulement ces rites que le Christ descendu parmi nous a fait disparaître. Aussi saint Paul, qui parlait avec véhémence lorsqu'il combattait les Juifs, rappelle non-seulement ces choses, mais d'autres encore, et il dit que ceux qui n'ont en eux-mêmes aucune vertu, gardent inutilement ces observances. " Si tu portes le nom de juif et que tu te reposes sur la loi, et que tu te glorifies en Dieu, et que tu connaisses sa volonté; et que, instruit par la loi, tu saches a discerner ce qui est utile. " (Rom. II, 17, 18). Et encore : " A la vérité, la circoncision est utile si tu observes la loi; mais, si tu la violes , ta circoncision devient incirconcision. " (Ibid. 25.) Et il dit que, si la loi leur a été confiée, leur incrédulité n'en sera pas pour cela moins punie ; c'est aussi ce que David fait entendre en ces termes : " Dieu dit au pécheur : Pourquoi racontes-tu mes justices ? " (Ps. XLIX, 16.) Les voyant s'enorgueillir d'entendre lire la loi, eux qui étaient vides de toute bonne oeuvre, saint Paul abat leur orgueil en disant : " Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis donc pas toi-même ! Toi qui cries aux autres de ne pas voler, tu voles ! " ( Rom. II, 21. ) De même David quand il dit : " Si vous voyiez un voleur, vous couriez avec lui et vous faisiez alliance avec les adultères. " (Ps. XLIX, 18.) " J'ai en abomination vos grands jours, " La Pentecôte, veut-il dire, la fête des Tabernacles,. la Pâque et les autres fêtes. " Vos jeûnes, votre repos, vos fêtes, mon âme les hait. " Il leur parle comme le ferait un homme. " Vous m'êtes devenus à charge, " un objet de dégoût, de haine. Voyez son indicible longanimité, de les avoir supportés malgré leurs nombreux péchés et de ne s'être vengé que quand ces pécheurs l'eurent provoqué par l'excès de leurs iniquités. " Je ne pardonnerai plus vos péchés. " Je ne les souffrirai plus. David dit la même chose : " Vous avez fait ces choses et je me suis tu. "(Ps. XLIX, 21.) " Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point (15). " D'où il est évident que la prière ne sert de rien, quelque longue qu'elle soit, si celui qui prie reste dans ses péchés. Rien n'est égal à la vertu et au témoignage que rendent les couvres. " Vos mains sont pleines de sang, " c'est-à-dire meurtrières; mais au lieu de meurtrières , il a dit pleines de sang, pour montrer qu'ils font de l'iniquité leur occupation et toujours avec ardeur.

6. C'est encore une preuve de sa douceur, de le voir donner la raison de ces menaces; car il dit pour quelles causes il regrette la prière. " Lavez-vous, soyez purs (16). " Comment, après avoir dit : " Je ne pardonnerai plus vos péchés, " donne-t-il ce conseil et comment, après leur avoir montré qu'ils sont incorrigibles , demande-t-il qu'ils se corrigent? Dieu, quand il menace, fait désespérer du salut, afin d'augmenter la crainte, et loin de garder le silence, ensuite, il tâche de rendre l'espérance pour amener ainsi au repentir. Partout on peut voir la même conduite. A l'égard des Ninivites, il fit la même chose non point par les paroles, mais par les effets. Dans ses paroles il n'avait rien promis de bon, au contraire, il n'avait laissé voir après la menace que le seul châtiment ; et quand ces barbares eurent donné ce qu'ils pouvaient, sa colère s'apaisa bientôt. C'est ce que dit encore David dans le psaume XLIXe ; car j'ai dit plus haut que ce psaume ressemble entièrement à ce début d'Isaïe; et de même qu'Isaïe dit après avoir rappelé les menaces du Seigneur. " Lavez-vous, soyez purs, " de même David, après avoir dit : " Je vous reprendrai, je placerai devant vous vos iniquités, " ajoute : " Le sacrifice de louange m'honorera et c'est la voie par laquelle je leur montrerai le salut de Dieu (Ps. XLIX, 21, 23), " appelant louange la gloire qu'on lui rend par les couvres et la connaissance des choses divines.

Et afin que par cet mots " lavez-vous, soyez purs, " ils n'entendent point leurs purifications habituelles, il ajoute: "Otez de devant mes yeux la corruption de vos âmes, et corrigez , " vous de vos péchés. " Il montre par là que la vertu est facile et que la volonté est libre, (345) puisqu'il était en leur pouvoir de se convertir. " Apprenez à faire le bien (17). " Ainsi leur malice était si grande qu'ils ne connaissaient même plus la vertu. C'est ainsi que David dit: " Venez , enfants ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. " (Ps. XXXIII, 12.) De toutes les sciences c'est la plus sublime et celle qui demande le plus d'application , parce qu'elle a à surmonter bien des obstacles, les résistances de la nature, la torpeur de la volonté, les embûches du démon et le tumulte des affaires. Baruch dit de même : " Celui-ci est notre Dieu ; nul ne lui est comparable; il a trouvé toutes les voies de la science. " " Recherchez la justice (Baruch, III, 36, 37); " c'est-à-dire à venger ceux qui éprouvent des injustices, ce qui demande beaucoup de soins et une âme vigilante. C'est pourquoi il dit : " Recherchez. " Il y a bien des choses qui obscurcissent le droit , par exemple, les dons, l'ignorance, la puissance, la honte, la peur, l'acception des personnes : aussi faut-il beaucoup de vigilance, " Délivrez l'opprimé. " Ceci enchérit sur ce qui précède; il demande non-seulement qu'on se propose, mais qu'on exécute ce qui est juste. " Jugez l'orphelin, et faites justice à la veuve. " Dieu prend soin que personne ne soit maltraité, particulièrement parmi ceux qui, outre ces mauvais traitements, ont à supporter un autre malheur. La veuve et l'orphelin sont bien infortunés ; mais quand ils sont maltraités par les autres, c'est comme un double naufrage : " Venez et entrons ensemble en discussion; dit le Seigneur (18)." II est remarquable que partout dans les prophètes, Dieu ne cherche rien tant qu'à venger les opprimés. Il en est ainsi autre part encore que dans Isaïe, par exemple dans Michée, lorsque les Juifs disent : " Lui sacrifierai-je pour mon impiété mon premier-né, et pour l'iniquité de mon âme, le fruit de mon sein?" Le prophète ajoute : " Je vous dirai, ô homme, ce qui est bon, et ce a que le Seigneur attend de vous, rien autre chose que d'agir selon la justice et d'aimer la miséricorde et d'être prêt à suivre le Seigneur votre Dieu. " Et le prophète David dit aussi : " Je chanterai devant vous la miséricorde et la justice , Seigneur. "

" Venez. " Ce n'est qu'après les avoir munis des moyens de se justifier, qu'il les entraîne au tribunal, et qu'après leur avoir appris comment ils peuvent se dépouiller de leurs crimes, qu'il leur fait rendre compte, de peur que les trouvant sans excuse il ne soit obligé de les condamner. " Et entrons en discussion ; " comme s'il disait, commençons le jugement. Ce bon juge se fait avocat et médecin. Ensuite pour montrer que, quelles que soient nos bonnes actions, nous avons cependant toujours besoin de sa charité pour être délivrés de nos péchés, il dit : " Quand vos péchés seraient comme l'écarlate; je vous rendrai blancs comme la neige; " vous le voyez, il prend des qualités diamétralement opposées, et promet de changer l'une en l'autre. " Et quand " ils seraient comme du vermillon, je les rendrai blancs comme la laine. " Elle est donc bien méritoire la protection que l'on accorde aux veuves puisque d'une âme si corrompue qu'elle est comme teinte de l'iniquité elle fait une âme non-seulement pure, mais brillante à ce point. " Si vous voulez m'écouter, vous mangerez les biens de la terre (19), et si vous ne voulez pas m'écouter, l'épée vous dévorera : car c'est le Seigneur qui l'a prononcée de sa bouche (20). " Parce que ces hommes grossiers regardaient comme moins désirable et moins doux de se délivrer de leurs péchés que de jouir des prétendus biens de la vie présente, avec la première chose il promet la seconde, et fait dépendre celle-ci de celle-là.

7. Ensuite pour montrer combien la vertu est facile, il la place dans la volonté seule. Mais comme l'espérance de ces biens aurait pu amollir les esprits, il termine par des choses effrayantes pour rendre plus frappante la puissance de celui qui a fait ces révélations. " Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle de Sion (21) ? " Cette question montre et la douleur de celui qui la fait et l'insensibilité des Juifs et ce qu'il y a d'inattendu dans cet événement. Saint Paul fait aux Galates une question analogue : " Je m'étonne que vous changiez si vite, " ce qui est comme une accusation et une exhortation pour porter à la vertu. Cette parole étonne sans doute: mais, comme elle est entremêlée de louanges, une nouvelle accusation vient fortifier l'autre. Nous ne cherchons pas tant à corriger ceux qui ne valent rien; qui n'ont jamais mené qu'une vie abjecte, que ceux qui, après s'être montré d'abord vertueux , se sont ensuite tournés vers le mal. Il l'appelle prostituée, non qu'il veuille parler de la prostitution du corps , (346) mais de l'ingratitude de l'âme, ce qui est bien pire que l'autre prostitution. Là c'est sur l'homme, ici sur Dieu que retombe l'injure. Et si Isaïe et les autres prophètes parlent ainsi, c'est que Dieu avait daigné se laisser regarder comme l'époux de cette ville pour montrer son ineffable charité pour les Juifs, et les prophètes parlent souvent du Seigneur et de Jérusalem comme d'un époux et d'une épouse, non pas pour abaisser leur discours jusqu'à la grossièreté humaine, mais pour amener les Juifs par des exemples familiers à la connaissance de l'amour de Dieu; en même temps ils voulaient, par cette appellation honteuse de prostituée, les porter à rougir d'eux-mêmes. " Fidèle, " c'est-à-dire religieuse et pleine de vertu : ce qui montre encore qu'il ne parle pas de la prostitution des corps, puisque autrement il aurait dû dire la ville chaste; car ce mot eût été opposé à prostituée; mais pour montrer que par prostitution il voulait désigner l'impiété, il se sert du mot opposé, la foi. " Pleine d'iniquité, " c'est-à-dire de justice. Voici encore une bien grande accusation portée contre ce peuple , non-seulement il s'était précipité dans toute sorte d'iniquités, mais il avait abandonné toutes les vertus, ce trésor précieux de tous les biens qu'il tenait dans ses mains, il l'avait rejeté pour se réduire aux plus affreuses misères. " Dans laquelle " habitait la justice. " Elle y restait, dit-il, elle y demeurait, c'est-à-dire, elle y était plantée, enracinée, et les citoyens mettaient toute leur ardeur à la garder. En insistant sur les louanges du passé, il fait mieux ressortir ce que, le changement avait de coupable, il rend en même temps de l'espoir puisqu'il montre aux pécheurs qu'il serait facile de regagner ce qu'ils ont perdu. " Et maintenant c'est la demeure des meurtriers; " des homicides, veut-il dire. " Votre argent est impur (22), " c'est-à-dire de faux aloi, altéré, mélangé. " Vos marchands mélangent leur vin d'eau. " Couine dès l'abord il n'a pas signalé leur méchanceté dans chacune de ses espèces, mais qu'il leur a dit, d'une manière générale, qu'ils sont des contempteurs, une race perverse, dés fils impies, termes qui ressemblent plus à des injures qu'à une accusation, il indique ici les diverses espèces de leurs crimes, et place en premier lieu ce qui est au commencement, au milieu et à la fin des péchés, l'amour de l'argent et la fraude dans les contrats. Quelques-uns ne comprenant pas l'ineffable charité de Dieu, ont pris ce terme dans le sens apagogique. Jamais, disent-ils, le grand, le sublime Isaïe n'aurait parlé des tromperies des banquiers, des ruses des cabaretiers ; mais il appelle argent les oracles de Dieu, et vin sa doctrine qu'ils mélangeaient de leurs commentaires. Pour moi, sans rejeter cette interprétation, je dis que l'autre est plus vraie. Non-seulement il n'est pas indigne d'un prophète de parler de ces choses, mais cela est très-digne et de lui et de la charité de Dieu. Et pourquoi m'étendre sur ce point? Lorsque le Fils unique de Dieu vint nous apporter ses enseignements sublimes et implanter sur notre terre la vie pure des anges , il parla bien souvent des mesures, et de choses qui paraissent plus petites encore, des salutations, de la place du milieu, du premier rang. Ces choses qui paraissent petites, si elles sont négligées, deviennent la source de grands péchés. Mais si toutes ces choses devaient être réglées dans le Nouveau Testament , à plus forte raison dans l'Ancien , alors que les auditeurs étaient plus grossiers, et que toute leur vie se bornait à suivre ces lois, puisqu'ils avaient été instruits surtout à s'éloigner de toute injustice, à ne faire aucun tort au prochain , à ne pas écraser la pauvreté des indigents par les mélanges frauduleux.

8. Le mépris de ces lois fut cause que souvent des villes furent renversées , des rois précipités du trône , des guerres implacables allumées, et leur observation amena plus d'une fois la paix, l'ordre et la sécurité nécessaire à la vertu. " Vos princes sont indociles (23). " C'est une preuve que la maladie , que la perversité est bien grande , quand les médecins même travaillent à l'augmenter. C'est aux rois de réprimer les mauvais instincts de leurs peuples, de les diriger vers le bien, et de les rendre soumis aux lois; mais quand eux-mêmes les premiers ils les enfreignent, comment peuvent-ils enseigner aux autres la soumission? En disant " sont indociles , " il veut dire, n'obéissent pas à la loi , rejettent le joug des préceptes ; c'est aussi ce que leur reproche saint Paul en disant: "Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ? " (Rom. II, 2-1.) Quand donc la racine est corrompue, qu'attendre de bon des rameaux? " Ils sont les " complices des voleurs. " Voici qui aggrave la faute, c'est que, loin d'empêcher les crimes, ils les favorisent; loin de faire la guerre aux voleurs , ils sont de connivence avec eux , et courent à une perversité entièrement opposée à la vertu des princes. " Aiment les présents. " Voici encore un nouveau vice engendré par l'amour de l'argent, vice qui, sous une apparence honnête, sous les dehors de la bienveillance, cache l'avarice la plus sordide. " Ne cherchent que le gain. " Gardent rancune à leurs ennemis, s'empressent de rendre le mal pour le mal , espèce de péché très-grave. Aussi et le Nouveau et l'Ancien Testament mettent-ils tous leurs soins à le réprimer. " Que nul , est-il dit, ne forme dans son coeur de mauvais desseins contre son frère. " (Zac. VII, 10.) Car il faut que le peuple et à plus forte raison le prince soit pur de toute inimitié, lui qui doit avertir ses sujets de déposer en justice toute haine privée, de peur que le port ne devienne un écueil. " Ne rendent point justice aux orphelins. " C'est-à-dire ne les aident pas à obtenir justice. " Et la cause de la veuve n'a point d'accès auprès d'eux. "

Remarquez que le Prophète signale comme un mal non-seulement de faire de mauvaises actions, mais encore de ne pas en faire de bonnes, doctrine que nous retrouvons dans le Nouveau Testament. Car ceux qui n'ont pas nourri le pauvre dévoré par la faim , quoiqu'ils n'aient pas enlevé le bien d'autrui, mais uniquement parce qu'ils n'ont pas donné leurs biens à ceux qui étaient dans le besoin, sont envoyés au feu de l'enfer; de même le Prophète blâmé les princes de Sion non de ce qu'ils sont ou avares ou tyrans, mais de ce qu'ils n'accordent pas leur protection à ceux qui en ont besoin. " Aussi voici ce que dit le Maître , le Seigneur des armées, le Fort d'Israël (24) , " c'est-à-dire du peuple. Ce n'est pas sans motif qu'il emploie ce terme, le Fort, mais bien pour leur rappeler les bienfaits qu'ils ont obtenus contre toute espérance et les châtiments terribles qu'ils ont endurés; comme après avoir souvent et beaucoup péché, après avoir éprouvé la longanimité de Dieu, ils sont tombés dans la mollesse , il veut leur montrer que Dieu peut se venger quand il lui plaît, qu'il n'a pas besoin de temps favorables, de circonstances opportunes , que tout est sous sa main et à sa disposition. " Malheur à ceux qui commandent en Israël ! ma fureur contre mes ennemis n'aura pas de fin. " Quoi de plus malheureux que ceux qui ont Dieu pour ennemi ! " N'aura plus de fin , " dit-il , non qu'il veuille les jeter dans le désespoir , mais pour qu'une crainte plus fortement imprimée les amène au repentir. Car ces mots " ma fureur n'aura point de fin , " sont moins terribles que ceux-ci, " contre mes ennemis. " Il n'y a rien qui irrite Dieu, comme l'injustice faite aux pauvres. " Malheur à ceux qui commandent ! " dit-il, non pour condamner tout pouvoir, mais le pouvoir qui fait le mal. La force dont il parle ici ce n'est pas la force du corps, mais la force que donnent les circonstances. " Et je ferai justice de mes adversaires. " Je punirai mes ennemis: il appelle ses ennemis les ennemis des pauvres, ceux qui les maltraitent; et il se sert de cette expression pour montrer la grandeur du méfait. " D'appesanti" rai ma main sur vous et je vous purifierai par le feu (25). " Apprenez de là que la colère et la vengeance de Dieu, quelles qu'elles soient, n'ont pas pour but le mal et la punition, mais l'amendement de ceux même qui sont châtiés. " Et je vous purifierai, dit-il, par " le feu. " Ce n'est donc pas quand nous sommes punis, c'est quand trous péchons qu'il faut pleurer, puisque dans le second cas nous nous souillons , tandis que dans le premier nous nous purifions. Quelle est la vertu de cette purification? De faire qu'il n'y ait plus en vous trace de souillure; car ce que le feu est à l'or, la punition l'est aux pécheurs. " Ceux qui désobéiront , je les perdrai , j'enlèverai du milieu de vous tous les impies et j'humilierai tous les superbes. " Les incorrigibles, veut-il dire, et ceux qui ne céderont pas auto châtiments, je les perdrai. Que sert qu'ils vivent puisqu'ils n'emploient leur vie qu'à procurer le mal et d'eux-mêmes et des autres? Et ceux que le châtiment de ces endurcis pourra rendre meilleurs resteront. Il me semble qu'il fait ici allusion à la captivité. " Et je rétablirai vos juges comme ils étaient autrefois, et vos conseillers comme ils étaient dans le principe."

9. Ici il annonce le retour. Quand les incorrigibles auront disparu, et que ceux qui sont capables de s'améliorer seront devenus meilleurs, il montre (et c'est le moment) comment il achèvera la guérison; ce sera en donnant de bons chefs et de bons conseillers, afin que, tout le corps ayant ressenti l'effet des remèdes et de bons médecins continuant leurs soins , tous les membres reviennent de toutes parts à la santé. Ce n'est pas un léger bienfait que de (348) procurer de bons princes. " Et après cela vous serez appelée la cité de la justice et Sion la ville fidèle. " Et cependant nous ne trouvons nulle part que ce nom ait été donné à la ville de Jérusalem. Que dirons-nous donc? Que le Prophète le lui donne à cause des faits dont elle sera témoin.

Ceci ne nous sera pas peu utile , quand les Juifs nous demanderont l'interprétation du nom d'Emmanuel. Comme Isaïe a prédit que le Christ s'appellerait ainsi et que nulle part il n'a reçu ce nom, nous leur dirons qu'il appelle " nom " l'événement lui-même, comme dans le passage que nous examinons. " C'est par la justice et la miséricorde qu'elle sera délivrée de sa captivité (27)." — " Par la justice, " c’est-à-dire par la punition, le châtiment et la persécution que lui feront souffrir ses ennemis. " Par la miséricorde, " c'est-à-dire par la charité. Il leur promet deux grandes faveurs, que captifs il seront punis et qu'ils jouiront ensuite d'une grande paix, deux choses dont une seule suffirait par elle-même à rendre très-heureux , et qui réunies donnent une joie inénarrable. Et pour montrer encore d'une autre manière qu'après cette longue captivité , ils devraient leur retour non à ce qu'ils auraient par un châtiment proportionné, expié leurs fautes , mais à sa seule bonté, que leur salut serait l'oeuvre de sa bonté et non le résultat d'une compensation et d'une sorte d'échange, il ajoute :"par la miséricorde. " — " Les méchants et les pécheurs seront brisés à la fois. " Troisième bienfait: il ne restera personne pour les séduire et les entraîner, les docteurs d'iniquité auront disparu. " Et ceux qui auront abandonné le Seigneur périront entièrement. " Ces impies, veut-il dire.

" Car ces idoles qu'ils ont recherchées seront leur confusion (29). " Il y en a qui s'efforcent d'adapter ces paroles au temps présent; pour moi , sans m'arrêter à les réfuter, je poursuis. C'est là ce qu'il prédit devoir arriver lors de l'incursion des ennemis. Et lorsque des barbares parcourront leurs pays, assiégeront leurs villes, les tiendront tous comme pris dans un filet, tandis que personne ne viendra les secourir et mettre fin à cette tempête parce qu'ils seront abandonnés de Dieu , c'est alors que la seule expérience couvrira de honte les serviteurs des idoles. " Qu'ils ont recherchées; " pour lesquelles ils ont montré tant de zèle.

" Et ils rougiront de ces statues, " qu'ils ont faites. Pour accuser, il lui suffit de raconter. Car il suffisait même avant que les malheurs fussent venus instruire ces impies, il suffisait pour les confondre de leur montrer que ces idoles sont l'ouvrage des hommes. Quoi de plus honteux en effet que de se faire un dieu ! " Et ils rougiront des jardins où ils se rendaient avec tant d'empressement. " Non-seulement ils adoraient des statues, mais même des arbres dans les jardins. " Ils seront comme le térébinthe qui a perdu ses feuilles (30)." Ces idoles ou ceux qui habitent la ville. Il emprunte sa comparaison à cet arbre , parce qu'il croît dans ce pays et qu'il n'y est pas rare parce qu'il a beaucoup de fleurs et de feuillages dans la saison favorable, et qu'il est très-laid au contraire quand il a perdu ses feuilles. " Et comme un jardin sans eau. " Cette deuxième image est plus claire que la première et vient confirmer ce que j'ai dit touchant celle-là. Car il n'y a rien de plus agréable qu'un jardin verdoyant, et il n'y a rien de plus triste qu'un jardin dépouillé : or la ville de Sion a été dans ces deux conditions. De tout temps elle avait été bonne, brillante, ornée de mille beautés; et elle est devenue plus vile, plus déshonorée que toute autre, ayant perdu tout d'un coup tant d'ornements. " Et leur force sera comme l'étoupe sèche (31). " Ses précédentes images ont montré la laideur, celle-ci la faiblesse , toutes sont bien énergiques, bien claires et bien frappantes. " Comme l'étoupe sèche, " c'est-à-dire faible. " Et leurs oeuvres comme une étincelle de feu. " Ici il montre que leurs maux viennent d'eux, qu'ils ont eux-mêmes attiré sur leurs têtes la captivité, qu'ils ont allumé eux-mêmes le feu qui les dévore. De même que des étincelles allument un incendie là où elles tombent, ainsi leurs péchés, à force de s'accumuler, ont enflammé la colère de Dieu. " Les méchants et les pécheurs brûleront ensemble sans qu'il y ait personne pour éteindre le feu. " S'il semble encore leur ôter tout espoir de salut, c'est toujours pour la même raison , non pour qu'ils désespèrent , mais pour que frappés d'une vive crainte, ils secouent leur mollesse. Et de là nous pouvons retirer une autre leçon, c'est qu'on ne peut vaincre sa puissance, et que, quand il punit et châtie, personne ne peut s'opposer à lui et faire cesser les maux.

 

 

 

 

 

CHAPITRE DEUXIÈME. PAROLE QUI PUT ADRESSÉE A ISAIE, FILS D'AMOS.

ANALYSE.

1. Dans ce chapitre le prophète prédit la vocation des Gentils, la diffusion de la vérité évangélique dans le monde, et la paix qui régnera alors. Si en parlant de l'établissement de l'Eglise il prononce encore les noms de Judée et de Jérusalem, il ne faut pas s'en étonner, c'est l'Eglise elle-même que ces expressions désignent; c'est ainsi que beaucoup de prophéties concernant les patriarches ne se sont réalisées que bien longtemps après eux dans la personne de leurs descendants.

2. Ce qu'il faut entendre par ces mots : Dans les derniers jours. La montagne du Seigneur, c'est l'Eglise.

3. De ces mots : Et toutes les nations viendront à elle, l'orateur tire contre le judaïsme un argument difficile à réfuter.

4. Antre argument puissant contre les Juifs, tiré de ces paroles : Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur.

5. Etat de l'empire à l'époque où saint Chrysostome parlait. De la guerre chez les anciens peuples.

6. Le Prophète reproche aux Juifs leur impiété.

7. Ils ont violé leur loi sur tous les points, ils ont poussé la démence jusqu'à adorer des idoles, oeuvres de leurs mains.

8 et 9. La vengeance de Dieu s'appesantira sur Jérusalem.

1. Ce titre nous apprend avec évidence que les prophètes n'ont pas donné d'un seul coup leurs prophéties, mais qu'inspirés en des temps divers, ils ont publié, à plusieurs reprises, différentes parties qui réunies ensuite ont formé tout le livre qui porte leur nom. C'est pourquoi Isaïe commence comme nous venons de voir. Ce n'est pas du reste la seule preuve qui nous rende ce que nous avançons, clair et évident; le Prophète nous l'indique encore en faisant mention des temps, disant tantôt: "L'année où Nathan vint à Azoth (Isaïe, CCI) ; " tantôt: " Et il arriva, l'année où mourut le roi Ozias, que je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime. " (Isaïe, VI, 1.) Car si les épîtres de saint Paul et les évangiles ont été composés d'un seul jet, il n'en est pas de même des prophéties, mais, comme je viens de le dire, elles ont été faites en divers temps. Aussi le Prophète commence-t-il son récit par un autre titre. Une nouvelle preuve que ce sont des parties détachées, c'est que ce dont il va parler est bien éloigné de ce qu'il a dit plus haut et bien plus sublime. La vocation des gentils, l'éclat de la prédication, la connaissance de la religion répandue par toute la terre, la paix régnant ici-bas, voilà son sujet. Et si tout en se disposant à traiter cette matière, il fait mention de la Judée et de Jérusalem, il ne faut pas vous en étonner, ses paroles étaient une prophétie déguisée sous ces noms. De même David , se mettant à composer le psaume LXXl, lui donna pour titre, Sur Salomon, ce qui ne l'empêche pas plus loin de parler de choses si sublimes qu'elles ne peuvent convenir à Salomon ni même à aucun homme. Ces expressions, " son nom a existé avant le soleil, son trône a existé avant la lune (Ps. LXXI, 17, 15), " et autres semblables , personne, quelque insensé qu'il soit, ne les appliquera à un homme. De même Jacob: quand il annonça ce dont Isaïe va nous parler ici, et d'autres événements plus grands encore, puisque, outre la vocation des Gentils, il prédit la passion, la résurrection et le temps de l'avènement du Messie, il ne le fit pas d'une manière ouverte, mais en cachant ces choses sous le nom de son fils, comme s'il n'eût fait qu'annoncer ce qui devait arriver à Juda; mais, comme le prouva l'événement, il prophétisait des choses qui ne regardaient que le Christ. En effet Juda ne fut pas l'attente des nations, sa tribu ne brilla pas quand la nation juive perdit l'indépendance ; mais tout cela se réalisa par la venue du Christ.

Que si les Juifs avaient l'impudence de (350) rejeter cette interprétation des prophéties, ce qui vient d'être dit suffirait à les réfuter; qu'on explique avec soin les prophéties, qu'on en pèse tous les termes avec l'attention convenable, et que l'on compare la prédiction avec l'événement. Et afin d'apporter plus de preuves qu'il n'en faut pour leur fermer la bouche, choisissant mes exemples dans ce qui a été prédit non du Christ, mais de leurs patriarches, je m'efforcerai de leur démontrer clairement que la plupart des prophéties ont été faites sous le nom des chefs de tribu et qu'elles ne se sont réalisées que dans leurs descendants. Et quand j'aurai rapporté un ou deux témoignages, j'aurai atteint mon but. Quand Jacob, ayant appelé Siméon et Lévi, leur annonça ce qui devait leur arriver, il dit: " Siméon et Lévi, frères (Genés. XLIX, 5 ) ; " puis, après leur avoir reproché leur iniquité, et l'injuste massacre des Sichémites , il continue en ces termes : " Je les diviserai en Jacob et les disperserai en Israël (7). " Cela ne s'est certes point réalisé pour Siméon et Lévi , mais bien pour les tribus qui descendirent d'eux. Car la tribu de Lévi fut dispersée de telle sorte que chacune des autres tribus en eut le dixième; il en fut presque de même de la tribu de Siméon qui fut dispersée au milieu des autres, et qui n'obtint pas comme elles un territoire compacte. Jacob, qui avait reçu des bénédictions de son père, ne vit se réaliser sur lui-même aucune d'elles. Son père lui avait prédit une longue prospérité, une domination perpétuelle sur Esaü; et cependant il manquait des choses nécessaires, il vivait dans la domesticité, et loin qu'il dominât sur son frère, il courut les plus grands dangers, et une fois l'ayant rencontré, il fut saisi d'une telle crainte qu'il s'estima trop heureux d'avoir pu lui échapper. Que répondrons-nous à cela? Que la prophétie n'est qu'un mensonge? Non, mais qu'elle attribue ordinairement à certaines personnes ce qui doit arriver à d'autres et qu'elle change les noms. C'est ce qui eut encore lieu pour Chanaan. Nous ne le voyons nulle part esclave de ses frères ; et cependant loin que la malédiction fût retirée, elle s'accomplit dans les Gabaonites, descendants de Chanaan. Les paroles de Noé étaient une prophétie sous la forme d'une malédiction.

2. Quand donc tant et de si grands exemples nous montrent que bien des choses prédites pour ceux-ci, se sont accomplies en ceux-là, et que les prophètes changent les noms, qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'Isaïe, quoique parlant de la Judée et de Jérusalem, n'ait en vue que l'Eglise ? Comme il s'adressait à des ingrats qui tuaient les prophètes , brûlaient leurs livres, renversaient les autels, c'est avec raison qu'un voile leur couvrait les yeux, lorsqu'ils lisaient l'Ancien Testament, comme le dit saint Paul. Car ils auraient anéanti la Bible, s'ils avaient compris la force des prophéties qui concernaient le Christ. Si, malgré sa présence, ses miracles, les preuves évidentes de sa puissance, de son union et de son intimité avec le Père, ils ne surent pas le vénérer, s'ils ne cessèrent de le poursuivre jusqu'à ce qu'ils l'eussent crucifié, auraient-ils donc épargné ceux qui parlaient de lui et que, même sans ce motif, ils tourmentaient continuellement ? Aussi, c'est sous des noms qui étaient familiers et connus de tous, qu'ils cachaient leurs prophéties. Que les prophéties ne se rapportent pas à la Judée et à Jérusalem, c'est ce que nous démontrerons parfaitement, en examinant chaque expression. " Dans les derniers jours la montagne du Seigneur se manifestera à tous les regards (2). " Voyez l'exactitude du Prophète qui, ne se contentant pas d'annoncer l'événement, en prédit même le temps. Ce que dit saint Paul " Quand vint la plénitude des temps (Galat. IV, 4), " et encore en un autre endroit, " dans la dispensation de la plénitude des temps (Ephés. I, 10), " c'est ce que le Prophète exprime en ces termes " dans les derniers jours. " La montagne désigne l'Eglise et ses dogmes invincibles. Quand même des armées sans nombre s'attaqueraient à une montagne, dardant des flèches, lançant des javelots, manoeuvrant des machines de guerre, à quoi aboutiraient tous ces efforts qu'à une retraite honteuse de ces armées après le complet épuisement de leurs forces ? Ainsi en a-t-il été de tous ceux qui ont déclaré la guerre à l'Eglise, ils ne l'ont pas ébranlée, et après la perte de leur puissance ils se sont retirés couverts de confusion, épuisés par les coups qu'ils portaient, affaiblis par les traits qu'ils lançaient, vaincus, eux qui exerçaient la persécution par ceux qui la souffraient : victoire étrange, impossible aux hommes et qui n'est donnée qu'à Dieu seul.

Ce qu'il y a d'admirable, ce n'est pas que l'Eglise ait vaincu, mais qu'elle ait vaincu de cette manière. Poursuivie, traquée, frappée de (351) mille manières, non-seulement elle ne s'affaiblissait pas, mais elle prenait de nouveaux accroissements, et sa patience seule abattait ses adversaires; c'est ce que le diamant fait art fer : frappé, il brise celui qui le frappe; c'est ce que fait l'aiguillon aux récalcitrants; il ne s'émousse pas, triais ensanglante les pieds dé, celui qu'il atteint. Voilà pourquoi l'Eglise est appelée une montagne. Si le juif ne veut pas admettre cette métaphore, qu'il soit encore confondu par lui-même. Le Prophète dit que les loups et les agneaux auront des pâturages communs, que Dieu appellera d'un coup de sifflet les mouches et les abeilles, qu'il fera tomber sur les Juifs les violentes eaux d'un fleuve parce qu'ils ont rejeté l'eau de Siloë. (Isaïe, XI, 6 ; LXV, 25 ; VII, 18 ; VIII, 6.) Ces paroles prises à la lettre n'ont rien d'intelligible; mais attachez-vous à ce qu'elles signifient, et c'est alors que vous comprendrez toit différemment la suite des pensées. Que, signifient-elles donc ? Par les loups et les agneaux le Prophète entend les caractères des hommes, les uns cruels, les autres pleins de douceur; par les mouches, l'impudence des Egyptiens; par le fleuve, la violence de l'armée barbare; par la fontaine de Siloë, la clémence et la modération du chef du peuple du Roi des Juifs. Personne, quelqu'insensé qu'il soit, ne nous contredira sur ce point. Donc de même qu'il désigne toutes ces choses sous des noms étrangers, il a aussi exprimé allégoriquement par ce mot de " montagne " la stabilité, la force invincible, la hauteur, l'inexpugnable , l'indomptable puissance de l'Eglise. Un autre prophète aussi compare à une montagne ceux qui croient en Dieu pour montrer qu'ils sont invincibles. " Se manifestera à tous les regards." Nos paroles sont inutiles pour expliquer ces mots, car l'état même des choses fait entendre une voix plu., éclatante que celle de la trompette pour publier la gloire de l'Eglise ; le soleil et sa lumière sont moins visibles qu'elle. " La maison de Dieu sera établie sur le sommet des montagnes. "

3. Comment un juif va-t-il interpréter cela? Car le temple n'est pas sur la cime des montagnes. Mais la puissance de l'Eglise s'élève jusqu'aux cieux, et de même qu'une maison établie sur le sommet d'une montagne peut être aperçue de tous, de même à bien plus forte raison l'Eglise est-elle visible à tous les regards. " Et elle s'élèvera au-dessus des collines. " Voici encore une, circonstance qui n'a jamais été applicable au temple de Jérusalem, même au moment de sa plus grande splendeur. Comment l'appliquer à un temple que les Juifs eux-mêmes ont souvent déshonoré et que les mains des barbares ont détruit? Mais notre puissante Eglise a été bien plus souvent et plus terriblement éprouvée ; cependant elle n'a jamais cédé aux attaques de ses ennemis et leurs efforts mêmes n'ont servi qu'à la relever et à la rendre plus visible. Alors des légions de martyrs, des multitudes de confesseurs se rencontrèrent, âmes plus dures que le fer et surpassant en éclat les astres: leurs corps étaient mis en pièces, mais leur âme, loin d'être vaincue, triomphait et était couronnée. Qui a jamais vu, qui a jamais entendu dire que des hommes qui recevaient la mort reçussent une couronne , que des hommes égorgés remportassent la victoire et qu'une armée devenait d'autant plus illustre , que les ennemis lui avaient tué plus d'hommes ?

" Et toutes les nations viendront à elle. " A mesure qu'il avance le Prophète devient plus explicite, il révèle plus complètement sa pensée, tient un langage plus clair et plus propre à fermer la bouche aux Juifs. Car , quelle que soit leur impudence, ils ne peuvent appliquer ces paroles à leur temple. En effet, il était défendu , et cette défense était parfaitement suivie , de recevoir les nations dans ce temple. Et que dis-je, de recevoir les nations dans le temple ? Quant aux Juifs eux-mêmes la loi interdisait sous les menaces les plus graves tout commerce avec les nations et punissait sévèrement les transgresseurs ! Le prophète Aggée n'a que ce seul but dans toute sa prophétie, de blâmer, de reprendre, de juger ces alliances illicites. Mais pour nous il n'en est pas ainsi; l'Eglise ouvre son sein avec la plus grande facilité, et elle reçoit à bras ouverts chaque jour toutes les nations de la terre. Car les premiers maîtres de notre doctrine ont reçu cet ordre du Fils, et c'est (le sa bouche qu'ils ont entendu cette parole: " Allez et enseignez toutes les nations. " (Matth. XXVIII , 19.) Voyez aussi comme le Prophète parle non-seulement de la vocation des Gentils, mais encore de leur obéissance prompte et empressée. Il ne dit pas "seront amenées , " mais " viendront; a vérité qu'un autre prophète nous montre en (352) des termes plus clairs encore. " Le concitoyen n'enseignera plus son concitoyen , ni le frère son frère , en disant: Apprends à connaître le Seigneur , parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand. " Pour les Juifs les éléments changeaient leur nature; c'étaient des menaces continuelles, des châtiments qui se répétaient sans cesse, des prodiges fréquents, des prophètes qui avertissaient, la crainte du législateur, des guerres imminentes, les incursions de barbares, la colère de Dieu qui se manifestait, des fléaux envoyés par le ciel ; et ils n'en demeuraient pas moins durs de tête et incirconcis de coeur, comme dit saint Etienne, obstinés et entêtés, tandis que pour les nations il suffit d'un mot, d'une parole et toutes accourent à l'Église. C'est ce qu'indique David par ces paroles: " Le peuple que je ne connaissais pas s'est fait mon serviteur " (Ps. XVII, 45). Et admirant son obéissance , il ajoute: " A peine m'eut-il entendu qu'il m'obéit. " Jacob indique aussi la même chose sous cette figure : " Il liera à la vigne son ânon, et au sarment le petit de son ânesse. " Qui a jamais lié à un sarment, et attaché à une vigne un ânon qui n'endommageât pas le fruit? Chez les bêtes cela n'arrive pas , mais chez les hommes cela se fait souvent. Les Juifs, que mille chaînes assujettissaient, secouèrent le joug, brisèrent le lien, comme dit le Prophète; mais les nations qui ne connaissaient point cette nécessité écoutèrent avec docilité, comme un ânon lié au sarment, sans que les préceptes leur parussent à charge; loin de là, elles se tenaient près de la vigne et montraient une admirable docilité. " Beaucoup de peuples viendront et diront: Allons, montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob (3). " Voyez-les se livrant à leurs fêtes, tenant leurs assemblées, s'excitant les uns les autres et devenant tous les docteurs les uns des autres ; voyez non pas un, ni deux, ni trois, mais un grand nombre accourant ensemble. Car, dit-il, il viendra beaucoup de peuples et de pays différents, ce qui n'est nullement arrivé pour les Juifs; si quelques-uns sont venus, ce n'était qu'un petit nombre de prosélytes , obtenus avec de grandes difficultés; ce n'étaient pas les nations qui étaient appelées., mais les prosélytes: " Des prosélytes viendront à toi et seront tes serviteurs. " (Isaïe, LIV, 15.) Si le Prophète continue la même métaphore et appelle montagne la maison du Dieu de Jacob, ne vous en étonnez pas. Car, comme je l'ai dit, il rend sa prophétie tantôt plus claire tantôt plus obscure; plus obscure, pour donner aux plus intelligents le moyen de comprendre ce que l'on dit; plus claire, pour réprimer le mécontentement et les troubles que voudraient exciter les ingrats; c'est ainsi que partout il varie son langage.

4. Ne vous étonnez pas, mon cher frère, de ce qu'il a dit " Dieu de Jacob; " car le Fils unique de Dieu était Dieu de Jacob. C'est lui qui a donné la loi et qui a fait tous les miracles que virent les descendants de Jacob ; c'est ce qu'il est facile de voir dans l'Ancien Testament : car pour le Nouveau les Juifs n'en tiennent aucun compte. Jérémie le dit : " Je ferai avec eux une nouvelle alliance, mais non selon l'alliance que je fis avec leurs pères (Jérém. XXXI, 31, 32), " montrant par là qu'il était l'auteur de l'une comme de l'autre loi. Il ajoute qu'il les a délivrés de la servitude d'Égypte : " Au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Égypte . " Si c'est lui qui les a fait sortir de l'Égypte , c'est encore lui qui a opéré tant de merveilles et dans l'Égypte et dans le désert. — " Il nous fera connaître sa voie et nous y marcherons. " Voyez-vous comme ils demandent une autre loi ? Car la sainte Écriture appelle ordinairement voie les commandements de Dieu ; s'il avait voulu parler de l'Ancien Testament, il n'aurait pas dit: " Il nous fera connaître ; " car cette loi ancienne, tous la connaissaient manifestement, pleinement.

Ce ne sont pas là des sophismes, mais bien des preuves solides, faites pour convaincre même les plus obstinés. Non content de mentionner seulement cette voie nouvelle, il dit encore de quelle voie il veut parler et indique bien des signes qui la distinguent. Car il poursuit en ces termes: " La loi viendra de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem. " A cela les juifs les plus impudents ne sauraient que répondre. En effet, que ces paroles aient été dites du Nouveau Testament; c'est ce qu'indiquent avec évidence et le lieu et le temps et la condition de ceux qui reçurent la loi et les événements . qui la suivirent. Et d'abord le lieu, la montagne de Sion. La loi de Moïse a été donnée aux ancêtres des Juifs sur le Sinaï. Comment ici peut-il donc dire " de Sion ?" Et (353) sans se contenter du lieu, il fait encore mention du temps, car il ne dit pas : " La loi est sortie, " mais " la loi sortira, " ce qui regarde le temps futur et non un événement passé. Or quand le Prophète parla ainsi, la loi était donnée depuis bien des années, et le Nouveau Testament ne devait être donné que longtemps après. Aussi ne dit-il pas : " Est sortie , " mais " sortira, " c'est-à-dire dans la suite des temps. Il revient de nouveau sur la mention du lieu et dit: " Et la parole du Seigneur sortira de Jérusalem. " C'est ici surtout qu'il nous indique clairement un des caractères distinctifs du Nouveau Testament. Tantôt c'était assis sur la montagne que Notre-Seigneur dictait des préceptes sublimes et dignes des cieux , tantôt c'était à Jérusalem qu'il le faisait. Après l'indication du lieu et du temps, le Prophète donne celle des personnes qui devaient recevoir la loi nouvelle, et il ferme ainsi absolument et de toute manière la bouche aux contradicteurs. Quels sont donc ceux qui devaient être les disciples de l'Évangile? Le peuple hébreu, les enfants des Juifs? Non, mais les nations. Aussi il ajoute " Il exercera son jugement au milieu des nations (4)." L'essence de la loi, c'est surtout de condamner ceux qui la combattent. Or il n'est pas ici question de la loi ancienne; c'est ce que montrent les choses mêmes. Nous ne gardons ni le sabbat, ni la circoncision, ni les fêtes, rien enfin de tout ce que les Juifs observaient. Nous avons entendu Paul nous dire: " Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (Galat. V, 2); " et encore: " Vous observez certains jours, certains mois, certains temps et certaines années; je crains d'avoir travaillé en vain parmi vous. " (Galates, IV, 10. ) Il est donc évident qu'il parle de la loi nouvelle , puisqu'il exercera son jugement parmi les nations, selon ce que dit encore saint Paul: "Au jour où Dieu jugera ce qu'il y a de caché dans les hommes. " (Rom. II, 16 .) Comment jugera -t- il , dites-moi ? selon l'Ancien Testament? Non , mais " selon mon Evangile. " Voyez-vous que, si les paroles sont différentes , tes pensées sont les mêmes? Isaïe dit : " Il exercera son jugement au milieu ries nations. " Saint Paul dit : " Il jugera selon mon Evangile. " " Et il convaincra une grande multitude , " ses adversaires, ceux qui auront transgressé la loi. C'est ce que le Christ nous apprend en ces termes : " Je ne vous jugerai pas; mais la parole que j'ai annoncée sera votre juge. " (Jean, XII, 48.)

" Et ils forgeront de leurs épées des socs de charrue et de leurs lances des faux. Un peuple ne tirera plus l'épée contre un autre peuple, et ils ne s'exerceront plus aux combats. " Le Prophète ne s'est pas contenté des premiers indices; comme la vérité est riche en témoignages qui la font connaître , Isaïe nous signale encore le Nouveau Testament par une autre marque, mais si éclatante que toute la terre a pu l'observer. Quelle est cette marque? La paix et la cessation des guerres. Quand ces choses arriveront, dit-il, le monde sera dans une telle tranquillité, que des arrhes de guerre on forgera des instruments d'agriculture. Chose qu'on ne voit nulle part dans l'histoire des Juifs ; loin de là, pendant tout le temps de leur existence comme nation, ils n'ont jamais cessé soit de porter la guerre au dehors, soit de la recevoir cirez eux, et sans cesse ils étaient harcelés par des ennemis, tantôt plus, tantôt moins longtemps. Et les peuples mêmes de la Palestine les attaquaient souvent avec tant de force qu'ils leur firent courir les plus grands dangers.

5. C'est ce que nous attestent les livres des Rois qui ne contiennent que des récits de guerres; c'est ce que nous attestent les prophètes, soit quand ils racontent l'histoire du passé, soit quand ils prédisent les événements futurs; en un mot, depuis ce jour où ils secouèrent le joug des Egyptiens, leur histoire tout entière ne fut qu'une guerre. Mais aujourd'hui il n'en est plus de même; sur toute la terre règne la paix. S'il se fait encore quelques guerres, elles ne ressemblent pas à celles d'autrefois. Alors on allait se briser villes contre villes, pays contre pays, peuples contre peuples ; une même nation se voyait divisée en un grand nombre de partis. Lisez le livre de Josué et des Juges, et vous verrez que de guerres la Palestine eut à soutenir en peu de temps. Quelque chose de plus fâcheux encore, c'est que la loi ordonnait à tout le monde de prendre les armes et que personne n'était exempt de ce devoir. Et ce n'était pas chez les Juifs seulement que cette coutume existait, mais bien par toute la terre ; les rhéteurs mêmes et les philosophes qui ne possédaient que leur manteau, se couvraient, quand la guerre les appelait, du bouclier, et marchaient dans les rangs de l'armée, et ce philosophe (354) d'Athènes si paisible et si sage, Socrate, fils de Sophronique, parut ,jusqu'à deux fois sur les champs de bataille. Et le plus illustre de leurs orateurs, Démosthènes, descendit bien souvent de la tribune pour aller combattre. Mais si la loi n'exemptait ni les orateurs ni lus philosophes, il n'y en avait clone guère qui jouissent de cette exemption. Aujourd'hui vous ne voyez plus les mêmes faits se produire. Depuis que le Soleil de justice a brillé sur nous , cités, peuples, nations, tous sont tellement éloignés de la guerre et de ses dangers qu'ils ne savent plus manier les armes ; mais tranquilles au sein de leurs villes et sous la protection de leurs murs, ils entendent raconter les guerres lointaines, tout le peuple vit en paix, n'ayant plus à s'occuper de ce terrible devoir. S'il y a encore aujourd'hui des guerres , c'est aux extrémités de l'empire romain, et non plus, comme autrefois , dans chaque ville , dans chaque province. Alors, comme je l'ai dit, dans une même nation il y avait continuellement des séditions nombreuses et des guerres de partis; mais maintenant tout ce que le soleil éclaire, depuis le Tigre jusqu'aux Iles Britanniques, et en outre, la Libye, l'Egypte , la Palestine, en un mot tout ce qui est soumis au sceptre des Romains vit en paix; vous savez que les villes jouissent d'une profonde tranquillité et qu'elles ne connaissent plus la guerre que pour en entendre parler. Le Christ pouvait faire disparaître ces derniers restes de guerre; mais il a permis, pour le châtiment des ces indolents que la paix endormirait, il a permis, dis-je, les incursions des barbares. Les paroles du Prophète, pour ceux qui les comprennent bien, annoncent (je l'ai déjà dit) qu'il n'y aura plus que des séditions de peu d'importance. Car il n'a pas dit : " Il n'y aura plus " de guerre ; " mais: " Un peuple ne tirera plus l'épée contre un autre peuple, " et il montre ensuite combien les peuples seront libres, " ils ne s'exerceront plus aux combats, " sauf quelques hommes Noués, à cette profession. " Et maintenant, maison de Jacob, viens et marchons dans la lumière du Seigneur (5.) " Il a rejeté son peuple, la maison de Jacob (6). " Après avoir achevé sa prophétie sur l'Eglise il revient à l'histoire, comme pour reprendre la suite de ses paroles. Car c'était la coutume des prophètes d'envelopper d'ombre les prophéties soit par les termes dont ils se servaient, soit en passant brusquement d'un sujet à un autre . Ainsi interrompant tout à coup sa prophétie, et sans transition, comme s'il continuait le même sujet, Isaïe en vient à donner des avertissements aux Juifs: " Maintenant, maison de Jacob , viens et marchons dans la lumière du Seigneur, " c'est-à-dire, dans ses commandements, dans sa loi : car " le précepte de la loi est une lampe, une lumière, la vie, une réprimande et une discipline (Prov. VI, 23) ; " David dit aussi : " Le précepte du Seigneur est rempli de lumière, il éclaire les yeux (Ps. XVIII, 9) ; " et encore: " Votre loi est une lampe qui éclaire mes pieds et une lumière dans mes sentiers. " (Ps. CXVIII , 105.) Partout vous verrez ce même nom donné à la loi. C'est ainsi que saint Paul dit : " Tu te flattes d'être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants." (Rom. II, 19, 20.) Les rayons du soleil n'éclairent pas les yeux de notre corps comme les préceptes de la loi illuminent les yeux de notre âme.

6. Pour montrer que même avant la récompense, avant le jour des rémunérations, les préceptes apportent leur récompense, dans le temps même où on les accomplit, il les appelle lumière. Car de même que l'oeil se fortifie par cela seul qu'il est éclairé, de même notre âme, par cela seul qu'elle obéit à ta loi, en retire le plus grand fruit; elle y est purifiée, éloignée du mal et portée à la vertu. Et au contraire les prévaricateurs, . même avant le jour des vengeances , sont punis par cela seul qu'ils prévariquent, puisqu'ils sont dans une pire condition que des hommes plongés dans les ténèbres, qu'ils sont remplis de crainte, de frayeur, de remords, qu'en plein midi ils craignent tout le monde , ceux qui connaissent leur péché, comme ceux qui ne le connaissent pas. "Il a rejeté son peuple, la maison de Jacob, " c'est-à-dire, il l'a laissé aller, l'a abandonné, méprisé, privé de sa bienveillance. Ensuite, après les avoir effrayés, il leur dit la cause de cet abandon, afin qu'ils corrigent ce qu'ils ont fait de mal. Quelle est cette couse? " Parce que leur terre, comme la terre des étrangers, est couverte de leurs augures. " En premier lieu il leur a reproché leur fraude, leur avarice, leur mépris des veuves; il leur reproche ici leurs croyances mauvaises et ces restes d'impiété qui les entraînaient peu à peu au faux culte des démons. Ensuite, dans (355)l'intention de les tancer fortement, il dit non-seulement qu'ils se livrent aux augures, mais que "leur pays en est rempli. " Leur malice s'est accrue dans la plus large mesure, veut-il dire; tout à l'heure il disait peuple, non-seulement pécheur, mais plein de péchés, de même ici il dit terre " remplie d'augures. " Ensuite pour faire ressortir l'opprobre de leur conduite, d'une manière plus frappante encore, il ajoute: " Comme dès le commencement. " Dès le commencement ? Quand donc? Quand ils ne connaissaient pas encore le Seigneur, n'avaient pas encore reçu sa loi , ou éprouvé ses bienfaits, quand ils étaient encore au milieu des nations: voilà leur grand crime, de n'être pas devenus, après tant de soins et de bonté, meilleurs qu'ils n'étaient avant d'avoir reçu ses bienfaits. Et sans s'arrêter là, il ajoute, pour les effrayer, " comme la terre des étrangers, " et par cette comparaison il aggrave l'accusation. C'est ce que fait continuellement saint Paul, par exemple, quand il dit: " Je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme font tous les autres qui n'ont point d'espérance (I Thess. IV, 72); " et encore : " Que chacun de vous sache posséder son corps saintement et honnêtement, et non dans la passion de la convoitise. " (Ibid. 4. ) Et sans se contenter de cela, il ajoute ces mots: " Comme les autres nations qui ne connaissent pas Dieu. " (Ibid. 5.) Car ce reproche pique ordinairement même ceux qui sont tombés bien bas.

Mais si les Juifs essuient ces reproches, quelle indulgence, quelle excuse trouverons-nous, nous qui, comblés de tant de grâces , revêtus de tant d'honneur, ayant reçu des espérances éternelles, sommes tombés dans les mêmes misères qu'eux? beaucoup, aujourd'hui encore, travaillés par cette maladie, ruinent eux-mêmes leur existence eu s'abandonnant à la folie des augures; outre qu'ils offensent Dieu, ils ne gagnent que des douleurs qu'ils eussent pu éviter et perdent toute la vigueur nécessaire aux combats de la vertu. Car le démon s'efforce par tous les moyens de persuader à ces insensés qu'il ne dépend pas d'eux d'être vertueux ou vicieux, qu'ils n'ont pas été doués du libre arbitre, et cela pour obtenir ces deux choses effrayantes, qu'ils reculent devant les luttes qu'exige la vertu et qu'ils abandonnent leur liberté, une de leurs plus belles prérogatives. C'est là le funeste résultat que , par les augures, par les présages, par l'observance de certains jours , par la détestable croyance au destin et par bien d'autres pratiques, il a déjà atteint: il a tout bouleversé. C'est là l'objet des véhémentes objurgations du prophète qui veut arracher la racine du mal. " Et bien des fils étrangers leur sont nés. "

7. Qu'est-ce à dire, " des fils étrangers ? " Dieu leur avait défendu, à cause de leur inconstance et de leur fragilité, d'avoir des relations avec le reste des hommes, de peur que par ce commerce ils ne se laissassent entraîner à l'idolâtrie. Comme bien éloignés de pouvoir redresser les autres, ils n'étaient pas même capables de résister à l'entraînement du mauvais exemple. Dieu établit une loi pour les protéger, il les éloigne d'abord du commerce des autres nations, et ainsi séparés du reste du monde il s'applique à les diriger et à les former. Il eût été à souhaiter, qu'avec toutes ces mesures, ils pussent conserver la discipline à laquelle Dieu les avait soumis. S'ils méprisèrent les autres préceptes, ils ne respectèrent pas plus celui-ci, ils entrèrent en relation avec les peuples voisins, prirent des femmes chez les Moabites, les Ammonites, et les autres nations idolâtres, et étant entrés dans leur parenté, ils admirent au milieu d'eux des docteurs d'iniquité et perdirent leur grandeur et leur pureté. " Leur terre fut remplie d'or et d'argent et leurs trésors étaient infinis (7). " Leur pays fut rempli de chevaux et leurs chars étaient innombrables (8). " Mais que signifie donc, pourrait-on dire, ce reproche d'avoir des richesses, de posséder des chevaux, surtout pour ce peuple qui n'était pas encore appelé à une vie si parfaite? Que répondre à cela? Que ce n'est pas l'usage qu'il blâme, mais leur intention qui n'était pas droite. De même que, quand il dit : " Malheur aux puissants (Is. I, 24) ! " ce n'est pas l'autorité qu'il attaque, mais ceux qui s'en servent mal ; de même ici il blâme les juifs non de ce qu'ils avaient des trésors, mais de ce qu'ils en amassaient de superflus, et bien au delà de ce qui était nécessaire. "Leurs trésors, " dit-il, " étaient infinis." Et en outre, il les blâme de ce qu'enorgueillis de leurs richesses et de la multitude de leurs chevaux, ils apprenaient peu à peu à ne plus mettre leur espérance en Dieu ; c'est aussi ce que dit un autre prophète: " Malheur à ceux qui se confient dans leur force et qui se (356) glorifient dans l'abondance de leurs richesses! " (Ps. XLVIII, 7.) Et en un autre endroit: " Ce n'est point dans sa grande puissance qu'un roi trouvera son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire. " (Ps. XXXII, 16.) Et dans un autre psaume il est dit encore : " Il n'aime point qu'on se fie à la force du cheval, et il ne lui plaît point que l'homme s'assure en l'agilité de ses jambes. Le Seigneur regarde avec plaisir ceux qui le craignent. " (Ps. CXL, 10.)

" Leur pays s'est rempli d'idoles, exécrables ouvrages de leurs mains, et ils ont adoré ce qu'ils avaient formé de leurs doigts. " Comme un habile médecin, le Prophète indique la cause et la source de la maladie. Comme il allait leur reprocher leur impiété, il vient d'indiquer la source de leur maladie, l'avarice, les excès de tout genre, les alliances illicites, et leur montre qu'ils ont ainsi glissé peu à peu jusqu'au fond de l'abîme et fini par adorer les idoles. Ensuite pour se railler de leur culte il ajoute " ouvrages de leurs mains. " Car que peut-il y avoir de plus ridicule que de voir l'homme créateur d'un Dieu? Souvent l'Ecriture appelle les idoles abomination; delà vient qu'elle appelle abomination de la désolation l'idole placée dans le temple: " Quand vous verrez l'abomination de la désolation se tenant dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. " (Matth. XXIV, 15.) Après les avoir détournés des choses sensibles, il leur défend de faire aucune image; et il donne à cela le nom d'abomination pour les éloigner de (impiété. Car avoir une chose en abomination, c'est la détester avec force, comme impure, comme exécrable. Ce qui est haïssable et digne d'exécration, l'Ecriture l'appelle abomination. Or il en est ainsi de toute idole. " Ils ont adoré ce qu'ils avaient formé de leurs doigts (9). " Et ils se sont abaissés et des hommes se sont humiliés." Car si l'adoration de Dieu relève, celle des idoles abaisse et humilie. Quoi de plus bas que l'homme déchu de la route du salut, ayant Dieu pour ennemi, se prosternant devant des choses inanimées et adorant des pierres ! Dieu nous a appelés à un tel honneur, qu'il nous a élevés au- dessus du ciel; mais le démon rabaisse ses serviteurs jusqu'à les rendre plus insensés que les choses insensibles. Aussi le Prophète dit: " Des hommes se sont humiliés. " Ce seul reproche suffit à guérir ceux qui ont encore quelque bon sens. Mais comme la plupart des hommes craignent moins le péché que les châtiments, il annonce en ces termes la punition : " Je ne leur pardonnerai pas. Ils n'auront pas à espérer d'indulgence, de pardon ou de négligence à punir; ils rendront un compte sévère de leurs crimes, ils les expieront. " Et maintenant entrez dans les cavernes, cachez-vous dans la terre pour ne pas voir la face terrible du Seigneur (10). " Après s'être assez moqué de la folie des idolâtres, avoir montré et leur démence et la vanité des idoles, puisqu'elles sont l'ouvrage des hommes, il vient de nouveau les attaquer par ces paroles, et laissant à l'expérience le soin de justifier ce qu'il a dit, il ajoute : Il ne suffisait d'avoir montré l'erreur et la folie des idolâtres, par cela seul que les idoles sont fabriquée; mais puisque, appesantis et aveuglés par l'impiété comme par une sorte d'ivresse, ils n'aperçoivent pas les choses les plus claires et les plus manifestes, tant de calamités vont fondre sur la ville que les plus stupides apprendront combien ils sont insensés et combien grande est la puissance de Dieu.

8. Aussi avant de parler de la guerre, il, en indique les conséquences; leur dit d'entrer dans les cavernes, de se cacher même sous la terre, et pourquoi? Pour leur apprendre combien sera implacable alors la colère de Dieu. " Cachez-vous, dit-il, dans le sein de la terre pour ne pas voir la face terrible du Seigneur, ni la gloire de sa puissance, lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre. " Il ne dit pas simplement devant sa grande puissance, mais devant la gloire de sa puissance, tant ses actions, ses victoires seront grandes ! tant elles auront d'éclat et de splendeur ! Il me semble qu'il indique ici la victoire d'Ezéchias, qu'il entend par la terre, la multitude des hommes qui l'habitaient, par la terre frappée leur ruine, par résurrection le secours par lequel Dieu sauva son peuple. Car David dit : " Que Dieu se lève et que ses adversaires soient mis en déroute (Ps. LXVII, 2) ! " et encore : " Lève-toi, ô Dieu, juge la terre " (LXXXI, 8), " passage où il exprime les actes de Dieu par des images empruntées aux hommes. — " Les yeux du Seigneur sont élevés et l'homme n'est rien (11). " Et afin qu'aucun de ses auditeurs ne refuse d'ajouter foi à ses paroles (car pour beaucoup cet événement était inespéré et tout à fait inattendu), le Prophète rappelle la puissance de Celui qui agit et la faiblesse de celui qui subit. Il n'y a, dit-il, (357) rien de plus élevé que Dieu, rien de plus bas que l'homme. Ne vous étonnez donc pas qu'étant si grand et si fort il puisse humilier à ce point des hommes si faibles. Et c'est avec raison qu'il dit: "Les yeux glu Seigneur sont " élevés ; " il n'a pas dit la puissance, mais les yeux du Seigneur, parce que sa vue seule suffit pour faire disparaître tous les obstacles c'est ce que David dit en d'autres termes " Celui qui regarde la terre et elle tremble " (Ps. CIII, 32) ; " et un autre prophète encore: " Je le regarderai et je triompherai de lui. " (Osée, XI, 4.)

" La grandeur de l'homme sera abaissée et le Seigneur seul sera exalté en ce jour. " Après cette victoire inattendue, ce triomphe si éclatant et si admirable, les démons furent vaincus, les idoles abattues, les faux prophètes eurent la bouche fermée, les barbares virent leur tyrannie brisée et toute bouche ennemie de Dieu fut fermée. C'est pourquoi il dit: "Le Seigneur seul sera exalté en ce jour. " Désormais il n'y aura ni contradiction ni doute sur la puissance de Dieu, quand les événements l'auront mis en une si grande évidence. Par elle-même elle est élevée, sa grandeur n'a pas en de commencement, elle existe toujours, et si l'on dit qu'elle est exaltée, c'est dans la pensée des hommes, parce que les ennemis et les contradicteurs, se rendant à l'évidence des faits, la reconnaîtront humblement et la béniront comme il convient. " Le jour du Seigneur des armées va éclater sur tous les superbes et les hautains, sur tous les insolents et les hommes altiers, et ils seront humiliés (12). Il va éclater sur ceux des cèdres du Liban qui sont grands et élevés et sur tous les chênes de Casan (13), sur toutes les montagnes et les murailles élevées (14), sur toute tour élevée (15), sur tous les vaisseaux et sur ce qui fait la beauté des navires (16). Et la grandeur de l'homme sera abaissée, et le Seigneur seul sera exalté en ce jour-là (17)." Par murailles, par cèdre, par colline, par chêne, il entend les puissants, et par la hauteur de ces arbres il désigne métaphoriquement leur puissance; et en parlant de navires et de ce qui fait la beauté des vaisseaux, ce sont les plus riches d'entre le peuple qu'il entend.

9. Ce qu'il veut dire, le voici : C'est que tout grand, tout puissant, tout général, tout riche, tout homme, pour ainsi dire, revêtu de puissance et de dignité, disparaîtra en ce temps et s'évanouira, et dans toutes ces grandeurs rien ne pourra soustraire qui que ce soit à la colère de Dieu, ni la force du corps, ni l'habileté militaire, ni l'abondance des richesses, ni la possession du pouvoir, ni la force d'une grande armée, ni quoi que ce soit de semblable. Il les appelle cèdres du Liban soit parce que ces arbres croissent en abondance sur cette montagne, soit parce que les événements annoncés arriveront bientôt ; par les ornements des navires, il entend la grandeur que donnent aux généraux leurs richesses, leurs armes, leurs satellites. Il me paraît indiquer aussi que l'invasion des barbares sera de longue durée. " Et ils cacheront toutes leurs idoles (18) ; ils les porteront dans les cavernes et les fentes des rochers, dans les antres de la terre, pour les faire disparaître de devant la face terrible du Seigneur, de devant la gloire de sa puissance, lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre (19). " Bien loin, veut-il dire, que les dieux apportent aux hommes quelque secours, ils auront eux-mêmes besoin du secours des hommes et de cachettes retirées pour disparaître " de devant la face terrible du Seigneur, de devant la gloire de sa puissance, quand il se lèvera pour frapper la terre. " Car, de peur qu'on n'attribue ces choses à l'incursion des barbares et qu'on ne croie que cette crainte est l'effet de leur puissance, il remonte jusqu'au Dieu de l'univers, disant que c'est lui qui dirige cette guerre et que c'est sa puissance qui, s'appesantissant sur lés pécheurs, les met en ce danger. " En ce jour l'homme rejettera ses abominables idoles d'argent ou d'or qu'il s'était faites pour adorer des choses vaines et des chauves-souris (20), et ils entreront dans les fentes des pierres et les cavernes des rochers pour ne pas voir la face terrible du Seigneur et la gloire de sa puissance lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre (21). " Il les a assez raillés, en leur montrant qu'ils se sont cachés avec leurs dieux, qu'ils ont pénétré dans le sein de la terre, que la richesse de la matière de leurs idoles ne les a détendus en rien entre le malheur qui les accablait. Il a appelé leurs idoles chauves-souris, soit à cause de leur faiblesse, soit à cause des ténèbres de l'erreur, soit parce que les démons ne sont rien que dans l'obscurité. Car de même que les chauves-souris détestent le soleil et la lumière, tandis qu'elles aiment les ténèbres, de (358) même les démons et ceux qu'ils ont entraînés aiment et recherchent le vice et tout ce qui est contraire au bien, tandis qu'ils détestent la vertu et les oeuvres de lumière, et quand celles-ci brillent, ils se cachent au plus tôt, tandis que celui qui aime la vertu n'éprouve aucune gêne, aucune fatigue. Il lui suffit de paraître pour dissiper ces ombres. " Cessez d'espérer dans l'homme dont la vie n'est qu'un souffle, " et quel cas en ont-ils fait (22) ? " Ici, il me semble qu'il désigne Ezéchias que la crainte et la terreur avaient réduit à n'avoir plus qu'un souffle de vie. Les barbares l'ayant pris comme dans un filet, croyaient déjà tenir leur proie et regardaient le siège et la prise de la ville comme ne devant leur coûter aucun effort, et il arriva précisément le contraire. C'est pourquoi le Prophète dit : " Cessez de mettre votre espérance dans l'homme dont la vie n'est qu'un souffle, et quel cas en ont-ils fait? " C'est-à-dire, ils n'en out fait aucun cas. Car ils croyaient tout enlever comme à la course, et c'est précisément le contraire qui arriva, et celui qui, parmi nous, ne paraissait plus rien et qu'on croyait facile à attaquer, brilla plus que tous les autres, parce qu'il était appuyé par la puissance de Dieu.

 

CHAPITRE TROISIÈME. 1. " VOICI QUE LE MAÎTRE, LE SEIGNEUR DES ARMÉES, VA ENLEVER DE LA JUDÉE ET DE JÉRUSALEM " L'HOMME FORT ET LA FEMME FORTE. "

ANALYSE.

1. Le Prophète continue d'énumérer les châtiments qui éclateront en punition de la corruption et du luxe. Le Seigneur des armées va ôter de Jérusalem et de Juda le courage et la vigueur.

2. Il en ôtera aussi les prophètes et les sages.

3. Il leur donnera pour les conduire des jeunes gens sans prudence.

4. Il n'y aura plus de respect parmi le peuple. Les jeunes gens mépriseront les vieillards , et les hommes obscurs les plus hauts personnages.

5. Les méchants baissent la vertu, et ne supportent qu'avec peine sa présence.

6. Le Prophète nous représente Dieu sous la figure d'un juge assis sur son tribunal.

7 et 8. Le luxe des femmes de Jérusalem au temps d'Isaïe.

9. Dévergondage des femmes au temps de saint Chrysostome; ces chrétiennes sont plus coupables que les femmes qui vivaient avant l'Evangile.

10. L'orateur développe cette idée que plus on aura reçu de grâces, plus le compte qu'on rendra de ses péchés sera rigoureux.

1. De même qu'un habile médecin, soit en brûlant, soit en tranchant, soit en donnant des remèdes amers, ne cherche que la santé des malades qu'il soigne, de même notre Dieu, dans sa charité, relevant par des châtiments divers les juifs inconstants et pécheurs, tantôt effraye ces ingrats par l'invasion des barbares, tantôt avant cette invasion même les arrête par d'autres menaces, pour entretenir en eux une crainte toujours nouvelle en leur montrant toujours de nouvelles calamités qui allaient les frapper. Maintenant donc il les menace de l'infirmité de la famine, de la sécheresse, de la privation non des choses nécessaires, mais de celles qui sont néanmoins utiles pour la conservation de la vie. La famine n'est pas le seul mal à craindre, il n'est pas moins funeste de n'avoir personne à la tête des affaires : car alors l'abondance même des choses est plus triste que la famine. Que sert-il que tout coule comme de source, s'il s'élève des guerres civiles, si la mer s'agite et qu'au milieu de la furie des flots il n'y ait ni commandant ni pilote, personne enfin pour apaiser la tempête et rendre le calme? Lorsque la faim vient s'ajouter à cela, voyez l'excès du mal. Dieu menace de toutes ces calamités, et la première est aussi la plus grave. " Voici que le Maître, le Seigneur des armées. " Les prophètes se servent constamment du mot " voici " quand ils veulent pleinement certifier à l'auditeur la vérité de ce qu'ils disent. Ce n'est pas seulement ici, mais précédemment, et même dès le commencement qu'on a pu voir que l'infirmité du corps n'était souvent que la punition des fautes, par exemple pour Caïn; comme il fit de sa force un usage contraire à la raison , c'est avec raison qu'elle lui fut retirée. De même du paralytique de la piscine; que ses péchés aient été la cause de sa paralysie , le Christ l'affirme : " Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. " (Jean, V, 14.) Et Paul dit : "Aussi y en a-t-il parmi vous beaucoup qui sont infirmes. " (I Cor. XI, 30.) Ils avaient en effet péché en apportant à la participation des mystères une conscience impure. Et il livre à l'infirmité du corps le fornicateur à qui il avait annoncé que ce serait là un châtiment de ses crimes. Cependant ce n'est pas partout le résultat du péché; c'est quelquefois une épreuve qui plus tard sera couronnée, comme il arriva à Lazare et à job. Ce n'est pas seulement l'infirmité, ce sont encore les autres maux du corps qui nous surviennent à cause de nos péchés, comme la lèpre d'Ozias à cause de son impudence, la paralysie de la main du roi Jéroboam à cause de son arrogance et de son orgueil. Et la langue de Zacharie, pourquoi fut-elle enchaînée, sinon pour le péché qu'il avait commis en son âme ? Comme donc la santé, la force, du corps et la prospérité devenaient pour les Juifs une occasion de s'enorgueillir, le Seigneur coupe le mal dans sa racine en les avertissant, les rendant meilleurs et leur donnant des biens plus grands que ceux qu'il leur enlève. Quel mal y a-t-il à ce que le corps souffre si l'âme en est portée à la vertu ? Et pour qu'ils ne pussent regarder cette infirmité comme une chose naturelle, le Prophète l'a prédite; et ce n'est pas aux hommes seulement que s'adresse cette menace : le châtiment s'étend jusqu'aux femmes, puisque l'un et l'autre sexe se sont souillés , et dans la suite il s'adresse aux femmes à cause de l'excès de leurs fautes , et il leur reproche des crimes qui ont renversé la ville de fond en comble. Aussi il les menace également de la peste, car c'est la peste qu'il me semble indiquer par ces mots: " Je vais enlever l'homme fort et la femme forte, " ou quelque autre infirmité du corps qui ne cédera point à l'art de la médecine. Car tels sont les fléaux envoyés par Dieu. " La force du pain et la force de l'eau. " C'est un bien terrible châtiment que de voir disparaître, non pas la substance, mais la force qu'elle contenait, de sorte que la vue même nous punit puisque notre faim ne peut se rassasier et nous montre que c'est bien là un effet de la colère divine. " Le géant et le puissant. " L'Ecriture appelle ordinairement géant tout homme fort ou qui surpasse les autres par la proportion de ses membres. En effet lorsqu'elle dit, dans le récit de la création : " C'étaient des hommes appelés géants (Gen. VI, 4), " ce n'est pas qu'elle nous fasse voir en eux une autre race , mais elle nous les montre forts , robustes et vigoureux. " L'homme de guerre et le juge. " C'est un châtiment insupportable , c'est la marque d'une ruine complète ; les murailles et les tours sont debout, et cependant la ville pourrait tomber avec ses habitants entre les mains des ennemis! Car la sûreté des villes ne réside pas dans les pierres, dans le bois, dans les murs d'enceinte, mais dans la sagesse de leurs habitants, et quand ils sont tels, ils seront, en présence des ennemis, le meilleur rempart de leur patrie ; quand au contraire ils sont dépourvus de sagesse, ils rendent, même en l'absence de tout ennemi, la cité plus malheureuse que si elle était assiégée.

2. Aussi, pour ces pécheurs et pour tous ceux qui l'entendront, c'est une grande leçon de sagesse que donne le Prophète, en enseignant qu'il ne faut pas mettre sa confiance dans la grandeur d'une ville , dans les fossés et les machines qui la défendent, mais dans la vertu des gens de bien. Il leur dit donc pour les effrayer que le Seigneur leur enlèvera cep qui les protégé , non-seulement les hommes qui savent combattre, mais même les juges (360) qui ne sont pas moins utiles aux Etats que les gens de guerre, puisqu'ils veillent à la conservation de la paix et que souvent ils détournent des guerres imminentes. Comme en effet les iniquités tendent continuellement à produire ces guerres, il est possible aux gardiens des lois, aux hommes qui connaissent parfaitement le droit, d'ôter toute cause de guerre en ré; rimant la plupart des péchés? Pourquoi donc Dieu les enlève-t-il aux Juifs? Parce que ceux-ci ne les ont pas écoutés. Ses enseignements sont très-utiles à ceux qui les écoutent, mais quand il s'adresse aux Juifs, il répand sur ses paroles une sorte d'obscurité, puisqu'ils ne les écoutaient pas avec attention : c'est ainsi que ces dons excellents et qui nous apportent le salut, ils les retirent souvent lorsque ceux à qui il les a départis n'en profitent point. " Le Prophète et le devin. " Ce n'est pas un faible indice de colère que de voir cesser les prophéties. Lorsque Dieu prit en haine le peuple juif à cause des péchés des enfants d’Hélie et de la perversité de la multitude, la prophétie cessa " La parole du Seigneur était précieuse ; on ne connaissait plus de vision. " (I Rois, III, 1. ) Précieuse , c'est-à-dire rare. La même chose arriva sous Ozias; ils auraient pu, s'ils avaient voulu, retirer de cette circonstance (le grands biens. En effet, apprendre à connaître les choses de Dieu, se prémunir contre les dangers futurs, s'instruire de ce qui est obscur, quand il faudra ou attaquer les ennemis ou se reposer, comment ils pourraient chasser les maux qui les accablaient, tout cela leur donnait, pour se procurer le salut, une grande facilité. Mais comme ils ne mettaient pas en pratique ce qu'ils avaient appris, il leur ôta les moyens de l'apprendre encore ; ceci montre bien la charité de Dieu, de ce Dieu qui connaît l'avenir et qui sachant comment les Juifs useraient de ses dons les leur accordait néanmoins. Avec le Prophète il dit qu'il leur enlèvera encore le devin.

Ici il me semble qu'il appelle devins ces hommes qui, par leur sagesse et leur expérience, pénètrent dans l'avenir. Autre chose est la parole du devin, autre chose celle du Prophète; l'un parle inspiré parle Saint-Esprit et ne profère rien de son propre fond ; l'autre, prenant pour point de départ les événements passés et n'ayant pour guide que son intelligence , prévoit bien des événements futurs, comme il est naturel qu'un homme intelligent les prévoie. Mais de l'un à l'autre il y a bien de la distance, toute la distance qui existe entre l'intelligence humaine et la grâce divine. Et afin de rendre ceci plus clair par un exemple , représentons-nous Salomon et Elisée : tous les deux firent connaître les choses cachées, tous les deux dévoilèrent des secrets, mais non par les mêmes moyens ; l'un ne se serait que de son intelligence et jugeait des courtisanes d'après ce qu'il connaissait de la nature; l'autre sans avoir recours au raisonnement (et quel raisonnement aurait pu lui révéler le vol de Giési? ), éclairé par la grâce voyait ce qui se passait loin de lui : — " Le vieillard et le chef de cinquante hommes. " Puis il ajoute qu'il enlèvera aussi les vieillards et les chefs de cinquante hommes. Par vieillards il n'entend pas simplement ceux qui sont parvenus à un âge avancé, mais ceux qui à des cheveux blancs unissent la sagesse qui convient aux cheveux blancs. Et en parlant, du chef de cinquante hommes, il ne désigne pas seulement les chefs de cinquante hommes, mais les chefs quels qu'ils soient. Il n'y a rien, rien de plus terrible que l'anarchie, comme il n'y a rien de plus dangereux qu'un navire sans pilote. Et sans s'arrêter, il les menace encore de leur enlever une dernière protection, les hommes de bon conseil , qui ne sont pas moins utiles aux États que les affinées. " J'enlèverai, dit-il, ces sages admirables qui donnent de bons conseils et les architectes experts, " non pas ceux qui construisent des maisons, mais ceux qui ont l'expérience des affaires, une science vaste et qui pourraient administrer l'État avec intelligence.

3. Et avec ceux-là, " Le sage auditeur. " Si cette seule chose manque, même au milieu de l'abondance de toutes les autres, les cités n'en retireront aucun avantage; qu'il y ait des prophètes, des conseillers, des puissants, s'il n'y a pas d'auditeurs, tout sera vain et inutile. Et ici ce mot j'enlèverai me semble signifier je laisserai, j'abandonnerai, comme saint Paul dit: "Il les a livrés à un sens réprouvé (Rom. 1, 28)," non qu'il les ait précipités dans la démence, mais il les a laissés et abandonnés dans la démence où ils étaient. " Je leur donnerai des " jeunes gens pour princes. " Voici qui est pire encore et plus fâcheux que l'anarchie. Celui qui n'a pas de chef est privé de conducteur ; mais celui qui en a un mauvais n'a qu'un conducteur qui le précipitera dans les abîmes. (361) S'il dit : " Jeunes gens, " ce n'est pas pour mépriser la jeunesse, mais pour mieux montrer la folie de ces chefs. Certes on voit des ' jeunes gens sages, comme aussi des vieillards insensés ; mais parce que cela n'a lieu que rarement et que le contraire arrive bien plus souvent, il se sert de ce nom pour désigner des insensés. Timothée, encore jeune, gouverna des églises avec plus de sagesse que ne l'eussent fait des milliers de vieillards; Salomon, âgé seulement de douze ans, parlait à Dieu, jouissait d'un grand crédit, fut proclamé et couronné roi, eut pour admirateurs de sa sagesse même des barbares qui vinrent le contempler, non-seulement des hommes, mais encore des femmes accourues de loin, dont le voyage n'avait eu que ce seul but, d'entendre et d'apprendre quelque chose de sa bouche; puis, devenu vieux, perdit beaucoup de sa vertu. Et son père, le bienheureux David, ne commit ce crime désastreux ni dans son enfance ni dans sa jeunesse; il avait dépassé cet âge lorsqu'il pécha. Il n'était encore qu'un petit enfant lorsqu'il remporta cette admirable victoire, qu'il terrassa le barbare, qu'il montra tant de sagesse, et sa jeunesse n'empêcha nullement ses belles actions. Et quand Jérémie voulut s'excuser à cause de son âge, Dieu n'admit point cette raison ; mais il l'envoya vers le peuple juif et lui dit que sa jeunesse ne lui serait pas un obstacle, pourvu qu'il fût doué de fermeté. C'est à cet âge ou plutôt à un âge bien plus tendre encore que Daniel jugea les vieillards. Josias n'avait pas encore douze ans accomplis lorsqu'il monta sur un trône royal ; et à cet âge il se montrait sage, mais par la suite une négligence qui s'aggravait continuellement corrompit dans son âme toute vertu. Que dire de Joseph? N'est-ce pas dans sa jeunesse, et encore, dans une extrême jeunesse qu'il eut à soutenir ce rude combat, non contre les hommes, mais contre la tyrannie de la nature, et qu'il sortit du milieu des flammes et d'une fournaise ardente plus terrible que la fournaise assyrienne, sans en avoir rien ressenti et aussi intact que les trois enfants. Le corps de ceux-ci n'avait pas été endommagé, pas même leurs cheveux, on aurait cru qu'ils sortaient de l'eau plutôt que du feu ; de même celui-là échappé aux mains ennemies de l'Égyptienne se retira sans que son innocence eût souffert ni de l'attouchement, ni des paroles, ni de la vue, ni des vêtements, ni des parfums qui allument l'incendie des passions, incendie plus terrible que celui des sarments et de la poix, ni enfin de son jeune âge, comme il arrive trop souvent aux hommes. Et -ces trois jeunes gens à la fleur de leur âge surent maîtriser la gourmandise, fouler aux pieds la crainte de la mort, mépriser une armée si nombreuse et un roi dont la colère était plus terrible que ces flammes, et sans s'en effrayer, ils gardèrent toujours une âme libre. Ce n'est donc pas pour mépriser la jeunesse qu'il parle ainsi , car saint Paul, quand il dit: " Non un néophyte, de peur qu'enflé d'orgueil il ne tombe. dans la condamnation du diable (I Tim. III, 6), " n'entend pas désigner une personne jeune encore quant à l'âge, mais plantée, c'est-à-dire, instruite depuis peu de temps; car planter, dans son langage, c'est instruire et enseigner, comme lorsqu'il dit: " J'ai planté, Apollon a arrosé. " (I Cor. III, 6. ) Et le Christ appelle aussi cela planter: " Toute plante que n'a point plantée mon Père céleste, sera arrachée. " ( Matth. XV, 13. ) Du reste si par ce mot " Néophyte " il eût entendu un jeune homme, il n'aurait pas élevé Timothée jeune encore et si jeune qu'il lui dit: " Que personne ne méprise ta jeunesse " (I Tim. IV, 12 ), " il ne l'aurait pas, dis-je, élevé à cette dignité et ne lui aurait pas confié le soin de tant d'églises.

" Et des moqueurs les domineront. " Vous le voyez, ce n'est pas le jeune âge qu'il méprise, mais la perversité. Ce seul mot ajouté rend sa pensée plus claire. Car par moqueurs il entend ici des trompeurs, des railleurs, des flatteurs, tous ceux enfin qui par leurs paroles se livrent au démon. " Tout le peuple se précipitera, homme contre homme, voisin contre voisin (6). " Car de même que, quand les poutres qui soutiennent une construction sont pourries ou qu'on les a retirées, les murs s'écroulent nécessairement puisque rien ne les retient plus, de même après la disparition de tous ceux que le Prophète vient de rappeler, chefs, conseillers, juges, prophètes, il n'y aura plus rien qui empêche la nation de tomber en dissolution, d'être livrée à une immense ruine.

4. " L'enfant se lèvera audacieusement contre le vieillard et les derniers du peuple contre les nobles. " Le jeune homme, veut-il dire, se soulèvera contre le vieillard, le méprisera, le dédaignera. Voilà ce qui, même (362) avant 'l'arrivée des ennemis, est plus terrible que la guerre. Quand en effet la vieillesse est méprisée par la jeunesse, et que les hommes vils et abjects foulent aux pieds ceux qui étaient honorés de tous, la ville où se passent ces choses n'est pas dans de meilleures conditions que si elle était abandonnée aux augures. " Chacun ira trouver son frère ou celui qui habite tous le même toit que son père, et lui dira : tu as un vêtement; sois notre chef et que nous vivions sous ta domination (6). " Il répondra alors, et dira : " Je ne serai pas votre chef, car il n'y a dans ma maison ni pain ni vêtement. Je ne serai pas le chef de ce peuple (7). " Ici il me semble qu'Isaïe prophétise ou bien un siège terrible qui réduira les habitants aux dernières extrémités, ou, s'il n'y a pas de siège, une famine intolérable, et un manque presque absolu des choses nécessaires. II a eu recours au langage populaire : De même que beaucoup disent : Si on offrait de vendre toute la ville pour une obole, elle ne trouverait point d'acheteur, de même, pour montrer la misère extrême dans laquelle elle était tombée, le Prophète dit : Si on offrait de vendre les dignités pour un vêtement ou un pain, il n'y aurait pas d'acheteur, tant est grande la disette des choses nécessaires ! " Parce que Jérusalem tombe en dissolution (8), ", c'est-à-dire a été délaissée, désertée ; la providence de Dieu l'a abandonnée. " Et la Judée tombe; " elle est remplie de troubles, de tumulte, de confusion et de désordre. " Et leurs langues pécheresses refusent d'obéir aux ordres du Seigneur. " Ici il indique la cause de leurs maux, l'intempérance de leur langue. C'est aussi ce qu'Osée leur reproche en ces termes : " Ephraïm a été; anéanti au jour de son châtiment; j'ai fait voir dans les tribus d'Israël la vérité de mes menaces. " (Os. V, 9.) Malachie dit aussi la même chose : " Les prophètes blâment ceux qui par leurs paroles irritent Dieu. Et vous avez dit : En quoi l'avons-nous irrité? En ce que vous avez dit : Tous ceux qui font le mal passent pour bons aux yeux du Seigneur et il se complaît en eux. Où est donc le Dieu de la justice? " (Mal. II, 17.) Dans ce reproche, il leur adresse deux accusations; c'est qu'ils ne se contentent pas de désobéir et de transgresser la loi; ils devraient rougir de cela et en avoir honte, se cacher et s'humilier; loin de là, ils ajoutent à leurs premières fautes, et après avoir enfreint les préceptes, ils ajoutent à leur désobéissance des paroles impudentes, comme un méchant serviteur qui, laissant sans les accomplir les ordres de son maître, ajouterait à cela l'insolence. " Aussi dans sa gloire elle a été humiliée et la confusion de son visage a rendu témoignage contre eux (9). "

Il parle du futur comme d'un passé, selon l'habitude des prophètes. Il appelle la captivité l'humiliation de sa gloire. Car ce n'est pas une faible humiliation pour ceux qui étaient comptés parmi les rois de la terre de se voir asservis à des hommes profanes et barbares. Il entend ici par confusion du visage celle que fait naître le péché. Telle était leur vie. Comme ils s'étaient les premiers couverts de honte par les actions, Dieu, pour les en punir, les privait de leur gloire, les livrant ainsi à un châtiment moindre que celui qu'ils s'étaient eux-mêmes infligé. Car ils n'étaient pas couverts de honte sur la terre étrangère comme lorsqu'habitant leur patrie ils multipliaient leurs iniquités. Là leur perversité était réprimée : ici elle s'augmentait sans cesse. Le Prophète leur donne donc une bien grande leçon quand il leur apprend à ne pas attendre le châtiment pour fuir le vice, à s'humilier et à rougir, non pas lorsque les barbares les emmènent captifs, mais lorsque la tyrannie du péché les retient esclaves. " Ils ont publié leur péché, comme dans Sodome, et ils ne l'ont point caché. " Ce que j'ai dit souvent, je le répète encore, c'est pour montrer la clémence divine que le Prophète annonce non ce qu'ils souffriront, mais la punition qu'ils méritaient. Leurs crimes ont égalé ceux de Sodome, mais leur châtiment a été bien plus faible. Le Seigneur ne les a pas détruits entièrement, n'a pas renversé leur ville de fond en comble, n'a pas fait disparaître les restes de leur nation. Ces mots : " Ils ont publié, ils n'ont point caché, " le Prophète s'en sert pour parler la langue des hommes. Dieu, en effet, n'attend pas que le crime se fasse pour le connaître (car ne connaît-il pas toutes choses, avant qu'elles se fassent?) ; mais Isaïe parle ainsi pour montrer la grandeur du mal.

5. De même que lorsque Moïse dit : " Le cri de leur iniquité est monté jusqu'à moi (Gen. XVIII, 20), " ce n'est pas qu'il relègue Dieu loin des hommes ni qu'il l'enferme dans le ciel, mais c'est qu'il veut montrer la grandeur (363) leur péché; de même ici, ces mots: "Ils ont annoncé, " ont pour but de faire voir l'excès de leur malice. En effet les péchés légers peuvent échapper à la connaissance du prochain, tandis que les plus grands et les plus énormes sont connus et manifestes pour tous, quand même il n'y aurait personne pour en faire l'objet d'une accusation, d'un blâme. Ils s'annoncent, ils se découvrent eux-mêmes. Aussi comme le Prophète veut montrer ici la grandeur des fautes, il dit: " Ils ont publié, ils n'ont point caché, " comme s'il disait: c'est avec audace, avec insolence qu'ils ont péché, sans honte, sans rien déguiser, mais faisant du mal leur étude.

" Malheur à eux, parce qu'ils se sont nui à eux-mêmes, en disant : Enchaînons le juste parce qu'il nous incommode (10) ! " C'est le comble du malheur de voir non pas des hommes qui non-seulement pèchent, qui pèchent avec audace, mais encore qui chassent ceux qui pourraient les reprendre. Ceux que la frénésie emporte, bien souvent frappent le médecin : de même si des pécheurs montrent qu'ils sont incorrigibles, c'est surtout en chassant les justes. Car telle est la vertu ; sa seule vue suffit à affliger le méchant. Telle est la méchanceté; sans même avoir été blâmée souvent, elle ne peut supporter la présence de ceux qui font le bien. Mais c'est un double crime que d'enchaîner le juste et de l'enchaîner comme incommode. Aussi le Prophète, voyant qu'ils ont porté l'iniquité à ses dernières limites, commence par les plaindre, non par les accuser ou les reprendre, et il dit: " Malheur à eux ! " et il ajoute habilement " parce qu'ils se sont nui à eux-mêmes. " Au premier abord, cette machination paraît tramée contre le juste; mais en considérant la chose avec plus de soin, nous verrons que ce n'est pas celui qui la subit qui en souffre, mais ceux qui la font. Apprenons de là que le juste, même en étant soumis à mille maux, ne souffre aucun dommage de la part de ceux qui l'attaquent; mais ceux-ci se transpercent eux-mêmes d'une épée , comme le faisaient les Juifs dont parle Isaïe. Ils n'ont pas nui au juste en l'enchaînant; mais ils se sont précipités eux-mêmes dans une plus grande obscurité, puisqu'ils ont rejeté la lumière. " Aussi ils mangeront le fruit de leurs oeuvres. " Car telle est la méchanceté ; elle trouve en elle-même son châtiment. Ce qu'il dit, le voici: Ils jouiront des fruits de leurs oeuvres, en se plaçant dans une solitude plus grande et se préparant plus de précipices. " Malheur à l'impie ! il lui arrivera des maux proportionnés aux oeuvres de ses mains (11). " Voyez-vous que nous donnons nous-mêmes la mesure et que nous posons la cause de notre châtiment? Aussi le Prophète recommence-t-il ses plaintes, ses gémissements et ses larmes parce que les Juifs se nuisaient à eux-mêmes et compromettaient leur salut plus que n'auraient pu le faire leurs plus acharnés ennemis; et quoi de plus malheureux que cela? " Mon peuple, les exacteurs te dépouillent (12). " Il est d'un bon maître d'apporter dans ses paroles de la variété, de ne pas toujours irriter, de ne pas non plus montrer toujours de l'indulgence, mais d'employer tantôt l'un, tantôt l'autre moyen pour que la variété amène mieux l'utilité. C'est pour cela que le Prophète n'accuse pas toujours, mais gémit quelquefois, manière d'accuser qui n'en est que mieux sentie, tout en causant moins de douleur, et ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'une blessure plus profonde cause moins de douleur. Et non-seulement il gémit, mais encore il guérit, autre manière non moins étonnante d'instruire. En quoi consiste-t-elle ? A ne pas blâmer tout le monde ensemble, mais à séparer le peuple de ses chefs et à accumuler les accusations sur la tête de ceux-ci. Ce moyen est si utile que Moïse l'a employé très-souvent. Bien que l'accusation dût retomber sur tous, cependant il ne la dirige que contre les chefs; en effet, Moïse voyant que le peuple surtout était coupable de la prévarication et qu'Aaron ne méritait pas tant de blâme, laisse de côté ceux qui étaient les plus coupables, et s'adresse à celui qui l'était moins, laissant à la conscience de ceux-là le soin de se juger eux-mêmes d'après les reproches faits à celui-ci, et de se condamner à un châtiment plus grand ; et c'est ce qui arriva. Il n'eut plus besoin de parler au peuple ; mais il suffit de ce peu de paroles qu'il avait adressées à Aaron pour contenir, comme un seul homme, une si grande multitude, et. pour l'amener de tant d'audace à une humilité et à une crainte extrêmes. C'est ce que prévoyait Moïse, et c'est pourquoi, à peine descendu de la montagne, il jette les tables de la loi et crie à Aaron : " Que t'a donc fait ce peuple pour que tu en aies fait la joie de ses ennemis? " (Exod. XXXII, 21.)

6. Le prophète Isaïe fait de même et imite (364) ce saint de deux manières. Moïse n'alla pas simplement accuser; il prit l'extérieur d'une personne affligée et c'est ainsi qu'il accusa. Isaïe l'imite en ces deux choses quand il dit: " Mon peuple, les exacteurs te dépouillent. " Il les accuse et c'est pour paraître témoigner au peuple de la compassion qu'il parle ainsi. Par collecteurs il. paraît désigner les usuriers ; pour moi, je croirais volontiers qu'il indique les voleurs et les avares, ou, si ce n'est pas ce sens, les receveurs des impôts. Remarquez ici sa prudence. Ce n'est pas qu'il blâme la chose, mais l'abus de la chose. Il ne dit pas en effet exigent ton bien, mais te dépouillent, c'est-à-dire te ravissent ce que tu as, te privent de tout sous prétexte d'impôts. C'est aux moissonneurs qu'il a emprunté cette métaphore. Dépouiller complètement un champ, c'est recueillir après la moisson les épis qui ont échappé aux ouvriers; c'est ne rien laisser sur ce champ. Or, c'est ce que faisaient alors les collecteurs d'impôts, puisqu'ils enlevaient tous les biens et renvoyaient les citoyens dépouillés. " Et les receveurs dominent sur vous. " Et ce qu'il y a de pis, c'est qu'ils ne se sont pas montrés seulement avides de biens, mais qu'ils out porté plus loin leur tyrannie en soumettant à la .servitude les hommes libres. " Mon peuple, ceux qui vous flattent vous trompent. " Ici Isaïe me semble indiquer les faux prophètes, ou ceux qui parlent pour se rendre agréables: ce qui devient la causé d'une corruption extrême. Aussi pour montrer combien cela est nuisible, il ajoute : " Ils rompent le chemin par où vous devez marcher; " c'est-à-dire, ils ne vous laissent pas marcher droit, parce qu'ils vous font dévier, vous découragent et vous ôtent la vigueur. " Mais le Seigneur est prêt à venir vous juger, et c'est son peuple qu'il appellera au jugement; le Seigneur entrera en jugement avec les anciens de son peuple et leurs princes(13)."

Il continue d'employer la même espèce d'accusation, la dirigeant non contre le peuple, mais contre les anciens et les chefs et rendant sa parole plus effrayante. D'un autre côté c'est Dieu qu'il montre jugeant, condamnant, et accusant des maux qu'ils avaient faits au peuple ceux qui lui ont nui. C'est pour cela qu'il dit: "Mais le Seigneur est prêt à venir juger." Comme il a parlé en vain pour accuser puisqu'il s'adressait à des gens qui regardent l'accusation comme chose peu grave et ne se laissent effrayer que par les peines, il dit qu'on ne se bornera pas à accuser, mais qu'un châtiment est réservé au péché ; celui qui condamnera, châtiera lui-même et jugera les prévaricateurs. Ceci nous montre combien Dieu est rempli de charité, puisqu'il consent à entrer en jugement avec eux et qu'il cherche à les confondre, ce qui doit certes causer une grande douleur aux hommes qui auraient conservé leur bon sens. Ce n'est pas seulement pour le motif dont j'ai parlé pins haut qu'il s'adresse aux princes et aux anciens, mais aussi pour apprendre à tous que le jugement des chefs sera plus sévère que celui des sujets. Ceux-ci ne répondront que pour eux-mêmes, ceux-là répondront et pour eux-mêmes et pour le peuple dont ils ont pris la direction ; et ce n'est pas sans raison que les anciens seront soumis à un jugement aussi rigoureux. Car ce que fait l'autorité chez les chefs, l'âge le fait chez les vieillards. Certes le jeune homme qui pèche gravement mérite un châtiment; mais celui à qui l'âge a apporté plus de came, qui m'est plus assiégé par des passions furieuses, mais pour qui il est facile de vivre en sage, et qui peut s'abstenir des choses du siècle, sera justement puni avec plus de sévérité s'il. montre dans un âge avancé la même licence que les jeunes gens. " Mais vous, pourquoi avez-vous incendié ma vigne, et pourquoi vos maisons sont-elles remplies de la dépouille du pauvre? " Partout Dieu montre le soin qu'il prend des opprimés, soin non moins grand que quand il s'agit de péchés commis contre lui ; bien plus il punit quelquefois plus gravement les fautes contre le prochain. Une femme est-elle adultère, il permet à son mari de la renvoyer: est-elle infidèle, il ne le permet pas, et cependant la faute d'infidélité est dirigée contre lui, tandis que l'autre n'est dirigée que contre un homme. Si votre sacrifice est prêt, il vous ordonne de le laisser là et de ne pas l'offrir avant que vous ne soyez réconcilié avec votre frère, si vous l'avez offensé. Et quand il juge celui qui devait dix mille talents, après avoir rappelé par combien de fautes il avait été offensé, il ne l'appelle pas même méchant, loin de là il se réconcilie aussitôt avec lui et lui remet toute sa dette; mais pour les cent deniers exigés de son compagnon, il l'appelle méchant serviteur, le livre aux bourreaux et, dit-il, il ne le relâchera que quand il aura payé toute la dette.

7. Et lorsque le Christ lui-même reçut un soufflet, loin de rien faire à l'esclave qui l'avait ainsi frappé, il se contenta de lui répondre avec douceur : " Si j'ai mal parlé, rendez témoignage du mal, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? " (Jean, XVIII, 23.) Et lorsque Jéroboam voulut saisir le prophète qui le réprimandait, le Seigneur lui paralyser la main, nous enseignant que nous devons lui rendre la pareille, c'est-à-dire supporter avec douceur les injures qui nous sont faites et punir avec force celles qu'on dirige contre Dieu. Aussi, bien que dans sa loi il ait mis en second lieu l'amour du prochain, il le déclare semblable au premier et s'il se montre sévère à exiger l'un, il ne l'est pas moins à exiger l'autre. De l'un il dit : " De tout votre coeur et de toute votre âme ; " de l'autre, " comme vous-même. " (Mattb. XXII, 37, 39.) Et d'autre part vous pouvez voir en bien des endroits avec quel soin Dieu demande que nous rendions aux autres ce que nous leur devons. Voyez donc ici comme il presse avec force , comme il accuse avec véhémence , comme il recourt à des paroles tres-sévères. " Mais vous, dit-il, pourquoi avez-vous incendié ma vigne? " Ce qu'auraient fait quelques ennemis barbares et cruels, vous l'avez fait à vos propres concitoyens. Il appelle le peuple sa vigne, parce qu'il l'a beaucoup soigné et entouré de sa divine protection. Et, pour renforcer l'accusation, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous ruiné vos compagnons d'esclavage, votre prochain, vos frères ; mais : pourquoi avez-vous ruiné mes biens et les avez-vous dissipés ? Ensuite pour montrer de quelle espèce d'incendie il est question, il ajoute : " Pourquoi vos maisons sont-elles remplies de la dépouille du pauvre ? " La grêle ne ravage pas les vignes, comme l'injustice fait l'âme du malheureux et du pauvre qu'elle remplit d'une douleur plus insupportable que la mort. Le vol est toujours un mal, mais surtout quand celui qui en est l'objet se trouve dans la dernière misère. Ce n'est pas seulement pour les blâmer qu'il parle ainsi, riais pour les corriger, en leur mettant sous les yeux le spectacle du vol. Car après ces paroles c'est la vue de la chose mise sous les yeux par une vive peinture qui est le plus propre à pénétrer de componction un pécheur qui n'aurait pas perdu tout sentiment. " Pourquoi opprimez-vous mon peuple (15)? " Il persévère dans le même chef d'accusation , en disant plus haut ma vigne et ici mon peuple. " Pourquoi oeuvrez-vous de confusion la face des humbles? "

Ceux que vous deviez corriger, vous les repoussez; ceux que vous deviez relever, vous les brisez. Car tout en les volant, ils méprisaient les humbles et ils les traitaient plus indignement que des esclaves, joignant l'orgueil à l'avarice et perdant toute prudence par cela seul qu'ils avaient acquis des richesses injustes. A l'avarice vient se joindre la maladie de l'orgueil, et plus on amasse de richesses, plus cette maladie s'accroît. " Voilà ce que dit le Seigneur, le Seigneur, le Seigneur des armées. " De quelles armées est-il question ? Des anges, des archanges, des puissances, et ainsi il élève l'auditeur de la terre au ciel, le fait penser à sa grande puissance, afin que frappé de ce spectacle il produise des oeuvres de sagesse et qu'il voie bien que la patience divine est l'effet non de l'impuissance, mais de la longanimité. " Voici ce que dit le Seigneur : " Parce que les filles de Sion se sont enorgueillies, qu'elles ont marché la tête haute, faisant des signes des yeux et mesurant leurs pas, traînant leurs tuniques en même temps qu'elles frappaient du pied en cadence. Et Dieu humiliera les princesses de Sion et le Seigneur les démasquera en ce jour. Et le Seigneur fera disparaître la gloire de leurs vêtements, leurs parures, leurs tresses de cheveux et leurs rubans de tète, leurs croissants, leurs colliers, les ornements de leurs visages et l'arrangement d'un ornement de gloire , leurs bracelets, leurs anneaux, leurs réseaux, leurs bagues et leurs bracelets du bras droit, leurs pendants d'oreilles , leurs robes de pourpre, leurs manteaux pour la maison, leurs crêpes de Laconie, leurs tissus de lin, leurs étoffes de couleur de jacinthe ou d'écarlate parsemées d'or et de pierres précieuses et leurs vêtements d'été rehaussés d'or. Et au lieu d'un agréable parfum il n'y aura plus que de la poussière et tu te ceindras non d'une ceinture, mais de jonc, et tes cheveux frisés disparaissant ne laisseront qu'une tête chauve à cause de tes oeuvres et au lieu d'une tunique couleur de pourpre tu te couvriras d'un cilice. Telle sera la punition de ton luxe. Et le plus beau de tes fils, celui que tu aimes tombera par le glaive et les puissants d'entre vous tomberont parle glaive et seront humiliés. Et les vases où sont (366) renfermés les fards dont tu relèves ta beauté pleureront et on te laissera seule et tu seras a étendue par terre (16-26). " C’est une chose insolite que le Prophète a fait ici en s'adressant si longtemps aux femmes, ce que nous ne remarquons dans aucun autre endroit des Ecritures. Quelle en est donc la cause?

8. Il me semble qu'en ce temps-là la mollesse des femmes était grande et qu'elles n'ont pas peu contribué à la malice des hommes. C'est pour cela qu'il s'adresse à elles en particulier pour leur reprocher leurs grands crimes, et lorsqu'il commence à leur parler, c'est encore au nom de Dieu. " Voici ce que dit le Seigneur : Parce que les filles de Sion se sont enorgueillies, qu'elles ont marché la tête haute. " Le premier des vices dont il les reprenne, c'est l'orgueil et l'arrogance. Certes ce vice est bien grave partout où il se rencontre, mais surtout quand ce sont des femmes qui s'en rendent coupables. Une femme altière, par cela même qu'elle est plus légère et moins raisonnable, se laisse entraîner facilement, se submerge et fait naufrage, parce que, comme un vent violent, la fierté et l'arrogance la précipitent dans l'abîme. Le Prophète paraît s'adresser aux femmes de Jérusalem; aussi il dit: les filles de Sion. " Elles ont marché la tête haute. " Ici il les raille, en montrant l'orgueil des femmes qui, ne pouvant contenir ceste passion en elles-mêmes, la laissent échapper au dehors et la font paraître dans l'attitude de leur corps. Et cet orgueil ne les rend pas seulement fières, mais encore impures; ce qu'Isaïe va dire et montrer dans ce qui suit. Car il ajoute : " Faisant des signes des yeux; " c'est le propre des femmes qui veulent se faire rechercher de tourner les yeux çà et là, montrant ainsi leur mollesse et leur mauvaise passion : il n'y a pas d'indice plus grand de la mollesse et de l'impureté. " Mesurant leurs pas et traînant leurs tuniques. " Cette accusation est sérieuse bien que peut-être elle ne le paraisse pas; c'est en effet la marque d'une extrême corruption, de la mollesse, de l'impureté, de la dissolution que de traîner sa tunique. C'est ce qu'un écrivain profane reprochait à son adversaire en disant: " Laissant tomber ton manteau jusqu'à tes talons. "

" Frappant ensemble du pied en cadence. " C'est encore la même indécence qui se manifeste. Car il n'est rien, ni les yeux, ni les vêtements, ni les pieds, ni la démarche, rien, dis-je, qui ne puisse manifester soit la vertu, soit le vice. Car les sens sont comme les hérauts de l'âme qui habite en nous. Et de même que les peintres en mélangeant quelques couleurs dessinent toutes les images qu'ils veulent, de même les mouvements des membres de notre corps expriment au dehors et rendent sensibles aux regards les sentiments de l'âme. C'est pourquoi un autre sage dit: " Le vêtement de l'homme, le ris des dents et sa démarche me font connaître quel il est. " (Eccl. XIX, 27.) " Et Dieu humiliera les princesses de Sion et le Seigneur les démasquera en ce jour, et le Seigneur fera disparaître la gloire de leurs vêtements. " A ces deux passions, l'orgueil et l'impureté, il oppose les deux remèdes qui leur conviennent, à l'orgueil l'humiliation , à la recherche de la beauté des habits leur anéantissement. Une guerre arrivera, dit-il, et tout disparaîtra. Les femmes hautaines et orgueilleuses, tout à coup frappées par la crainte, se verront délivrées de leur maladie; quant à celles que la mollesse et le désordre corrompaient, quand elles seront tombées sous le joug de la servitude , elles se délivreront de leur impureté.

Pour donner à sa parole plus de gravité et frapper davantage l'esprit de ses auditeurs, il indique successivement tous ces ornements de femmes, ornements pour les yeux, ornements pour toutes les parties du corps. Il passe ensuite à l'ornementation de leurs maisons. Car non contentes d'orner leurs corps, elles portaient leur honteuse passion jusqu'à orner les murs, et employaient ainsi leurs richesses en dépenses inutiles, elles qui frisaient leurs cheveux, voulaient étendre partout les filets de leur coquetterie. C'est ce qu'il leur reproche en disant qu'il " fera disparaître la gloire de leurs vêtements, leurs parures, leurs tresses de cheveux et leurs grappes. " Leurs grappes, c'est ou bien un ornement de la tête ou bien la forme qu'affectait ce ruban qui retenait les cheveux. " Leurs croissants " :c'était un ornement ressemblant à la lune et qu'on plaçait autour du cou. " Et leurs colliers. " Peut-être désigne-t-il des ornements en forme de faucille. " Et les ornements de leurs visages. " Ici je crois qu'il veut indiquer le fard et les couleurs. " Et l'arrangement d'un ornement de gloire, " c'est-à-dire enchâssé dans l'or. " Et leurs bracelets, " les bijoux en or qui entouraient leurs bras. " Leurs anneaux, " placés (367) autour du poignet. " Leurs réseaux d'or, " autour de la tête. " Leurs bagues et leurs bracelets du bras droit, " ceux qu'on appelle dexiaria. " Leurs pendants d'oreilles, leurs robes de pourpre, leurs manteaux pour la maison, leurs crêpes de Laconie." Telle était leur fureur de libertinage qu'elles ne se contentaient pas de ce que produisait leur pays, mais qu'elles allaient chercher des ornements étrangers et qu'elles les faisaient venir d'au-delà des mers. Car entre la Palestine et la Laconie il y a une grande distance, une mer immense.

9. Ce n'est pas sans raison qu'il a désigné le pays sans indiquer le nom des ornements pour faire voir combien leur luxe dépassait les bornes. " Leurs tissus de lin, leurs étoffes de couleur de jacinthe ou d'écarlate, leurs tissus de lin parsemés d'or et de pierres précieuses et leurs vêtements d'été rehaussés d'or. " Il n'y a rien, soit dans les vêtements, soit dans le reste de la toilette, qui leur ait échappé ; elles avaient épuisé tout luxe, emportées par cette passion tyrannique de l'impureté effrénée.

Mais si, avant les temps de la grâce et de notre religion si parfaite, ces choses étaient déjà blâmées, quel pardon obtiendront ces femmes qui appelées au ciel, à de plus longs combats, à l'imitation des anges, surpassent de beaucoup cette licence et celle même des courtisanes de théâtre? Et ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'elles ne croient pas pécher. Ainsi il nous faut les combattre avec la parole du Prophète. Ce n'est pas seulement contre les juives, mais contre les femmes d'aujourd'hui que sera prononcée cette parole : " Au lieu d'un agréable parfum, il n'y aura plus que de la poussière. " Voyez-vous comment il condamne les parfums et comment il annonce que cette recherche sera punie ? La poussière dont il parle ici, c'est celle que soulevèrent le renversement de la ville et l'incursion des barbares. Ceux-ci détruisirent la ville par le fer et le feu, renversant certaines parties et brûlant les autres. C'est ce que le Prophète prédit en ces termes: " Au lieu d'un agréable parfum il n'y aura plus que de la poussière et tu te ceindras non d'une ceinture, mais de jonc; " leur mettant sous les yeux le spectacle de la captivité et leur transmigration dans pays des barbares. " Et tes cheveux frisés disparaissant ne laisseront qu'une tête chauve," que leurs cheveux soient tombés par suite de cette catastrophe, ou que l'ennemi les ait fait couper, ou qu'elles se les soient coupés elles-mêmes. Car c'était autrefois la coutume dans le deuil et le malheur de se raser et de se couper les cheveux. Job, par exemple, se fit raser la tête en apprenant le malheur de ses enfants. Et plus loin le Prophète dit qu'elles se revêtiront d'un cilice, et qu'elles gémiront en se coupant les cheveux. Un autre dit aussi : " Arrachez-vous les cheveux, coupez-les entièrement pour pleurer vos enfants qui vivaient dans les délices. " — " Et au lieu d'une tunique de pourpre tu te couvriras d'un cilice." Ne sont-ce pas là des choses terribles et insupportables? Mais pour nous le châtiment ne s'arrêtera pas là; le ver empoisonné, et les ténèbres sans fin nous atteindront. Ces juives endurèrent la captivité, la servitude et des maux extrêmes pour leur parure : car que ce fût là la cause de leur punition et le péché que Dieu poursuivait particulièrement, Isaïe nous l'apprend quand lui-même, après cette énumération, dit, en indiquant la cause: " Telle sera la punition de ton luxe. " Si, dis-je, les juives, pour s'être parées, subirent une telle punition qu'elles virent leur patrie renversée de fond en comble, et qu'après avoir connu de telles délices elles tombèrent dans l'esclavage, la servitude et l'exil, qu'elles furent emmenées sur une terre étrangère, qu'elles périrent par la famine, la peste et mille autres genres de mort, ne voyez-vous pas avec évidence que les mêmes fautes nous attireront des châtiments bien plus graves? Car si nous recevons des honneurs plus grands, nous recevrons aussi des supplices plus graves.

Que si votre toilette ne vous a pas encore attiré ces maux, n'en soyez pas plus fiers. Car voici ce que Dieu fait ordinairement: il châtie un ou deux prévaricateurs pour montrer aux autres quels fléaux les attendent. Et pour rendre plus clair ce que je dis, les habitants de Sodome commirent autrefois d'horribles péchés; ils subirent aussi un épouvantable châtiment quand le feu du ciel les frappa, que leurs villes, les habitants et la terre elle-même furent consumés avec leurs corps. Mais quoi? N'y en a-t-il pas encore après eux qui osèrent commettre les mêmes péchés? Oui, il y en a eu beaucoup et par toute la terre. Pourquoi donc ne furent-ils pas punis de même? Parce qu'ils sont réservés pour une autre punition plus sévère. Dieu n'a pas renouvelé ce châtiment afin que ceux qui auront la même (368) audace, quand même ils n'en subiraient pas la peine ici-bas, sachent bien qu'ils n'échapperont pas. Serait-il raisonnable en effet que ceux qui, avant le temps de la grâce, de la loi, des prophètes, ont péché, souffrissent tant de maux, tandis que les pécheurs qui les ont suivis, après avoir été l'objet d'un si vif amour sans qu'un tel exemple les ait rendus plus sages, ce qui certes aggrave leur péché, éviteraient le châtiment réservé à leurs fautes? Pourquoi donc n'ont-ils pas encore été punis? Pour vous apprendre qu'ils sont réservés à un châtiment bien plus terrible. ,

10. Qu'il y ait des châtiments plus terribles que ceux de Sodome, le Christ nous l'apprend en ces termes : " Il y aura moins à souffrir pour Sodome et pour Gomorrhe au jour du jugement que pour cette ville. " Donc, que les femmes qui se parent aujourd'hui, si elles ne souffrent pas ce que souffrirent les femmes qui se paraient alors, n'en soient pas plus frères. La patience et la longanimité préparent un feu plus ardent et une flamme plus grande. C'est ce qui arriva à Ananie et à Saphire. C'est au commencement de cette époque où l'Evangile se répandit que, coupables de mensonges, ils moururent immédiatement, tandis que par la suite beaucoup qui commirent le même crime ne souffrirent rien. Pourrait-on donc expliquer comment un juge si juste et qui use envers tous de la même mesure punirait ceux qui sont moins coupables, tandis qu'il laisserait échapper ceux qui ont péché plus grièvement? N'est-il pas évident que, puisqu'il a fixé un jour où il doit juger l'univers, il ne retarde le châtiment de ces derniers qu'afin que tant de patience tes rende meilleurs ou que, s'ils persévèrent dans les mêmes fautes, ils n'en soient que plus terriblement châtiés? Lors donc qu'après nos péchés nous ne sommes pas punis comme ceux qui autrefois commirent les mêmes fautes et en subirent la peine, n'en soyons pas plus tranquilles, mais au contraire que notre crainte augmente. C'est pour ainsi dire la promulgation d'une loi de Dieu que leur supplice : il nous avertit tous st nous dit : J'ai puni celui qui a péché dès le principe afin que, si tu pèches après lui, tu saches ce qui t'attend, tu te convertisses et deviennes meilleur. Car aux mêmes fautes sont réservés les mêmes châtiments, bien qu'ils ne suivent pas immédiatement. Ce n'est pas sans motif que je me suis arrêté sur ce passage : car ce mal effrayant a pénétré dans nos maisons, grâce à la mollesse des femmes, je veux dire les raffinements de la toilette qui augmentent les dépenses, qui précipitent dans des prodigalités inopportunes, qui deviennent chaque jour l'occasion de luttes, de discordes, de procès, qui font mourir de faim les pauvres. Car lorsque l'épouse a forcé soir époux à dépenser tout son avoir et même plus pour la honte de son corps (car cet or qui brille sur elles, c'est leur honte), la main ne peut plus s'ouvrir pour l'aumône. Et de là bien d'autres espèces de péchés; mais laissons cela pour que l'expérience l'apprenne à ceux qui s'exposent à ces maux, et parlons de ce qui suit.

Après avoir dit quelle sera la captivité et avoir déclaré qu'elle ne venait que pour punir le luxe effréné ses femmes, il achève la peinture du malheur en disant : " Et le plus beau de tes fils, celui que tu aimes, tombera par le glaive, et les puissants d'entre vous tomberont par le glaive. " Voilà qui est plus effrayant que la captivité : car il est des cas où la vie est plus dure que la mort. Lorsque, outre la captivité, ils auront encore à gémir sur des morts prématurées, imaginez vous quel sera leur malheur, puisqu'une série non interrompue de maux vient ajouter souffrances sur souffrances. S'il n'y avait que la servitude, ce serait déjà un mal insupportable, et lorsqu'un tel malheur arrive à des hommes qui vivaient libres, c'est une vie plus cure que la mort. Mais voici, dit-il, que les deux choses seront réunies. Mais plutôt ne faut-il pas dire que c'est un double, un triple, un quadruple malheur quand c'est un fils, le plus beau d'entre tous, le plus chéri qui meurt, et cela de la main des barbares et non par la loi commune de la nature? Et ajoutez que tous ceux du même âge périront aussi; de sorte qu'ils n'ont plus d'espoir, quant à ce qui regarde du moins le secours et l'aide des hommes. " Et ils seront humiliés. Et les vases où sont renfermés les fards dont tu relèves ta beauté pleureront, et on te laissera seule et tu seras étendue par terre. " Autant de traits qui complètent ce lugubre tableau, inspire la crainte, et rendent plus vive l'anxiété. Le Prophète met sous les yeux les malheurs, il fait la peinture des fléaux, allant partout et recueillant les détails de cette calamité, et cela, à cause de l'insensibilité des auditeurs. Il eût été (369) désirable que, touchées de ces menaces, les filles de Sion se fussent relevées courageusement, pressentant les calamités qui allaient fondre sur elles. Aussi ajoute-t-il (ce qui certes doit faire comprendre leur malheur), qu'elles verront vicies les vases d'or, souvenir de leur ancienne prospérité, afin que cette vue vienne sans cesse leur rappeler leur malheur. Car les malheurs nous font sentir surtout leur aiguillon lorsque nous les mettons en parallèle avec notre félicité d'autrefois, et cette comparaison rend la blessure plus profonde. C'est ce qu'autrefois disait Job dans ses douleurs : " Qui me donnera d'être comme aux jours d'autrefois? " (Job, XXIX, 2.) Et il fait l'énumération de toutes ses richesses, des biens qui affluaient vers lui de toutes parts, des honneurs, des revenus, de tout l'éclat dont il jouissait, afin que cette comparaison montre mieux la gravité des malheurs qui l'accablent. C'est ce que fait le Prophète, quand il parle de ces vases, et que non content d'en parler, il ajoute qu'ils pleurent. Rien de plus éloquent que jette manière de parler qui personnifie les objets inanimés. Déjà il fait voir les vignes et le vin gémissant, pour mieux toucher ses auditeurs et piquer leur insensibilité. Qu'est-ce à dire : " On te laissera seule? " Tu seras privée, veut-il dire, du secours de tes alliés et de la bienveillance de Dieu, dénuée de toute ta splendeur, entourée de tous côtés par tes ennemis, cernée au milieu des barbares. Ensuite, pour montrer l'excès de son humiliation, il dit : " Et tu seras étendue par terre. " Il ne dit pas, Tu tomberas, ni, Tu seras précipitée, mais c'est à un terme bien plus propre à montrer toute l'étendue de son humiliation qu'il a eu recours.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE QUATRIÈME. " EN CE JOUR-LÀ SEPT FEMMES PRENDRONT UN HOMME ET ELLES LUI DIRONT : NOUS NOUS NOURRIRONS NOUS-MÊMES ET NOUS NOUS ENTRETIENDRONS NOUS-MÊMES DE VÊTEMENTS. AGRÉEZ SEULEMENT QUE NOUS PORTIONS VOTRE NOM ET DÉLIVREZ-NOUS DE NOTRE OPPROBRE. "

ANALYSE.

Continuation des vengeances de Dieu. Consolante assurance de l'avènement du Messie.

Il veut montrer combien par l'effet de la guerre les hommes seront devenus rares et à quel petit nombre sera réduit le peuple juif. Car ces femmes ne disent pas qu'elles ont besoin de l'assistance que les femmes reçoivent ordinairement des hommes, elles ne demandent simplement qu'à être délivrées de la viduité, et elles seront contentes. C'est ce que signifie : " Délivrez-nous de notre opprobre. " Car autrefois on considérait la viduité comme un opprobre. " En ce jour Dieu brillera dans le conseil avec gloire sur la terre pour exalter et glorifier ceux d'Israël qui auront été sauvés (2). " Après les avoir effrayés par la menace de malheurs, avoir suffisamment représenté leurs infortunes, et longuement détaillé ces maux terribles, il en vient désormais il parler de choses meilleures. Il est d'un bon médecin non-seulement de couper et de brûler , mais aussi d'adoucir par des remèdes convenables les douleurs que ces opérations ont causées : c'est ce que fait Isaïe. Il ne dit pas que toute cette histoire aboutira à un triste dénouement, mais que quand les maux auront disparu, les biens viendront à leur tour; et non-seulement les maux cesseront, mais un grand éclat et une grande gloire entourera les survivants d'Israël. C'est ce qu'il entend par " le Seigneur brillera, " sa lumière fera disparaître les ténèbres de la tristesse; ramènera le (370) jour dans tout son éclat, et rendra les Juifs illustres. Ces mots " dans le conseil " nous montrent qu'il le fera avec intelligence, avec la sagesse qui lui convient " Alors tous ceux qui seront restés dans Sion et qui seront demeurés dans Jérusalem seront appelés saints, eux qui auront été écrit, en Jérusalem parmi ceux auxquels Dieu veut conserver la vie (3). "

Pour que vous sachiez que ceux qui ont échappé au danger ne doivent pas leur salut à un pur hasard, mais à la volonté divine qui les a protégés et qui ne les a pas laissés périr au milieu des dangers, il dit : " Ils seront appelés saints tous ceux qui auront été écrits en Jérusalem parmi ceux auxquels Dieu veut conserver la vie; " ceux qui ont été séparés, choisis, marqués pour ne souffrir aucun mal. Ce n'est pas sans motif qu'il les appelle saints, il veut montrer que ce qui les a sauvés, ce n'est pas simplement le choix qui a été fait d'eux, ni simplement la volonté de Dieu, mais aussi leur vertu, soit celle qui a précédé, soit celle qui devait suivre ces calamités. Quoique quelques-uns fussent déjà bons et vertueux, néanmoins ces événements devaient les rendre meilleurs et plus vigilants encore. Car de même que l'or jeté au feu perd toute souillure, de même les justes deviennent plus justes dans les épreuves, parce qu'ils y laissent tout ce qui pouvait leur rester de tiédeur. " Parce que le Seigneur lavera les souillures des fils et des filles de Sion, et les purifiera du sang qui est au milieu d'eux, par un esprit de justice et par un esprit d'ardeur (4). "

Isaïe me paraît indiquer ici une double purification : d'abord ils seront punis pour leurs péchés, et ensuite ce châtiment les rendra plus parfaits pour l'avenir. J'appelle sang de Jérusalem, les meurtres, les injustes massacres. Puis, pour aggraver l’accusation, il dit : " Qui est au milieu d'eux. " Car ce n'était pas en cachette qu'ils répandaient le sang, mais ils dépassaient en cruauté les brigands, et ceux qui tendent leurs embûches sur les grandes routes. Ceux-ci choisissent pour leurs forfaits l'obscurité de la nuit et un lieu désert; mais ceux-là commettaient leurs iniquités sur les places publiques, au milieu de la ville, dans les tribunaux mêmes. Mais cette souillure, dit-il, la guerre l'enlèvera. Dans le temps de la prospérité il justifie les malheurs passés, envoyés, dit-il, pour laver, pour purifier, pour brûler et faire disparaître toute tache, pour les relever de la honte que faisaient peser sur eux tant de fautes et de meurtres. Mais que veulent dire ces mots : " Par un esprit de justice et par un esprit d'ardeur? " Il continue la métaphore des métaux soumis à l'action du feu. De même que dans cette opération l'air entrant avec force dans le creuset excite la flamme, donne aux charbons plus d'activité et ôte ainsi toute souillure aux métaux; de même la colère divine et l'incursion des ennemis a été pour la ville comme un feu, non comme un feu qui fait périr, mais un feu qui brûle, qui purifie, qui châtie, qui corrige. Car ces mots : " esprit de justice, " veulent dire esprit de punition, de châtiment, de vengeance. — " Et le Seigneur viendra. " Par sa présence, il entend son action. " Et voici que la montagne de Sion tout entière, " avec tout ce qui l'entoure, sera couverte d'une nuée pendant le jour, et pendant la nuit comme d'une fumée et de la lumière d'un feu qui brûle ; car Dieu protégera ce lieu de toute sa gloire. Ce sera une ombre qui défendra contre la chaleur pendant le jour, ce sera une retraite et un lieu caché pour mettre à couvert des tempêtes et de la pluie (5, 6). "

Ce qu'il désigne par nuage, c'est ce bien-être que procure la cessation des maux; par le feu il entend la présence de Dieu et la consolation qu'elle apportera. En effet, ce qu'est un nuage dans la chaleur, un feu brillant l'est dans l'ombre et l'obscurité d'une nuit profonde. L'un fait disparaître la chaleur, l'autre l'obscurité. Aussi le Prophète compare la gloire de Dieu à l'éclat du feu et la cessation des maux à l'ombre d'un nuage. Puis pour montrer que ce n'est pas peu à peu et à mesure que les maux disparaîtront, mais que ce changement aura lieu tout à coup, au moment où les dangers seront le plus pressants, pour que cette circonstance même leur apprentie que ce n'est pas le hasard quia produit cette amélioration, mais la puissance d'en-haut, il ajoute: "Comme un feu qui brûle pendant la nuit, ainsi se fera le changement. Ce sera comme une ombre pendant le jour. " Quelle ombre sera-ce? le secours et l'aide de Dieu. qui, comme une ombre dans la chaleur, comme un toit ou sine caverne pendant un violent orage, met à l'abri : quiconque s'y réfugie : la protection de Dieu ne permet pas que ceux-là souffrent aucun mal, même pendant une guerre aussi désastreuse, ceux-là, dis-je, que dès le principe elle aura voulu sauver.

 

 

 

 

 

CHAPITRE CINQUIÈME. 1. " JE CHANTERAI A MA VIGNE BIEN-AIMÉE LE CANTIQUE DE MON BIEN-AIMÉ. ".

ANALYSE.

1. Comparaison d'Israël avec une vigne stérile. Le prophète intitule sa prophétie cantique, bien qu'il n'ait que des reproches à faire, des menaces à lancer; pourquoi cela ?

2. Dieu énumère, en manière de reproche, les bienfaits dont il a comblé son peuple.

3 et 4. Le Prophète dénonce les malheurs qui fondront sur les Juifs pour châtier leur ingratitude.

5. Malheur à ceux qui s'enivrent !

6. Malheur aux pécheurs endurcis, aux menteurs, aux contempteurs, à ceux qui appellent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien !

7 et 8. Malheur à ceux qui se font à eux-mêmes leur religion, leur morale et leur justice !

1. Après avoir effrayé les Juifs par la menace d'affreux malheurs, les avoir réjouis par l'annonce de grands biens, et avoir usé envers eux de divers traitements, le Prophète recommence son discours, et cela d'une manière qui ressemble au début de la prophétie. De même que dans ce début, il a rappelé les bienfaits de Dieu à leur égard, en disant : " J'ai engendré des fils et je les ai élevés; " et que leur remettant devant les yeux les iniquités qu'ils ont osé commettre, il ajoute . " Ils m'ont méprisé; " et encore : " Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris ; " de même ici, en termes différents, il est vrai, mais avec des pensées identiques, Isaïe nous montre la même chose que d'abord. Mais pourquoi, puisqu'il va accuser, appelle-t-il cantique son accusation? Moïse a eu raison de donner ce nom au chant qu'il avait compost; avec Marie, puisque c'était un chant de victoire; il a eu raison de commencer en ces termes : " Chantons un hymne au Seigneur, parce qu'il a fait éclater sa grandeur et sa gloire, en précipitant dans la mer le cheval et le cavalier. " (Exod. XV, 1.) Et Débora, après cette merveilleuse victoire et ce triomphe inattendu, eut raison de faire entendre ce chant de triomphe et de rapporter à Dieu toute la gloire. (Jug. V.) Mais Isaïe va accuser, office qui réclame un langage véhément, un ton ferme et sévère, et cependant il nous

annonce qu'il va chanter, et il intitule cantique ses reproches. Mais il n'est pas le seul à agir ainsi : Moïse, le grand Moïse, qui avait composé un cantique triomphal, composa aussi, pour reprendre les Juifs, ce long cantique rempli de reproches, où il est dit : " Est-ce là ce que vous rendez au Seigneur? Ce peuple est fou et insensé (Deut. XXXII, 6) ; " puis il accumula les accusations et ordonna que le peuple le chanterait, et nous aussi nous le chantons encore à présent.

Pourquoi donc ont-ils avec des reproches composé un cantique ? Ils ont en cela fait preuve de sagesse spirituelle, et ils voulaient procurer un grand bien aux âmes de leurs auditeurs. Car comme il n'y a rien de si utile que le souvenir continuel de ses péchés, et que rien ne produit un souvenir aussi durable que le chant, voulant éviter que des accusations trop souvent répétées ne décourageassent les Juifs et ne les portassent à fuir le souvenir continuel de leurs iniquités, le Prophète a déguisé la honte de ce souvenir sous le chant de l'hymne ; pour adoucir cette douleur qu'ils n'auraient pu supporter, il a composé des cantiques afin que forcés par leur désir de chanter, forcés, dis-je, de les répéter sans cesse, ils s'en souvinssent sans cesse et que le souvenir continuel de leurs péchés leur fût comme une leçon continuelle de vertu. Vous savez que la (372) plupart des hommes ne connaissent pas même de nom le reste des saints Livres, tandis que tous ont sans cesse à la bouche et le livre des psaumes et les cantiques dont nous parions: ainsi l'expérience même nous montre combien les chants sont utiles. C'est pourquoi le Prophète dit ici : " Je chanterai à ma vigne bien-aimée le cantique de mon bien-aimé. A ma vigne bien-aimée le cantique, " je chanterai au sujet de mon bien-aimé. Je chanterai pour lui, dit-il, et je prendrai pour sujet de mes chants ou lui-même ou ce qui se rapporte à lui. Comment se fait-il qu'étant sur le point d'accuser ce peuple, il l'appelle une vigne chérie et bien-aimée ? Ne vous en étonnez pas. Certes, il ne saurait débuter par une accusation plus grave que de leur reprocher de n'être pas devenus meilleurs , après avoir reçu de Dieu tant de marques d'affection. C'est ce qu'un autre prophète donne à entendre en ces termes: " J'ai trouvé Israël comme des grappes de raisin dans le désert et leurs pères comme les premières figues sur un figuier (Osée, IX, 10); " il indique par le choix de ces fruits combien ils étaient aimables et remplis de bonnes qualités, non sans doute par leur propre vertu, mais par la bonté de Dieu. Ce qu'il dit, le voici en d'autres termes: Je l'ai aimé, comme celui qui trouve une grappe de raisin dans le désert, ou une figue de prémices sur un figuier. Ces comparaisons, il est vrai, ne sont pas dignes de Dieu, mais elles sont bien appropriées à leur gourmandise. " Et pour eux, ajoute-t-il, pour eux qu'il poursuivait de tant d'amour, ils se sont détournés de lui et ont été trouver Béelphégor. " C'est en ces termes qu'il s'adresse à ce peuple chéri et bien-aimé, montrant aux Juifs que Dieu a tout fait pour eux, sans même qu'ils eussent commencé les premiers, Dieu les ayant encore prévenus. Et loin de se montrer ensuite dignes de ce bienfait, leurs œuvres n'ont montré que leur ingratitude. " Mon bien-aimé avait une vigne plantée comme sur une corne , en un lieu fertile. " Par ce mot de vigne il montre toute sa sollicitude et ses soins pour eux.

2. Et sans s'arrêter là, il énumère tous les bienfaits dont ils les a comblés; il commence par indiquer le choix du lieu : " Comme sur une corne, en un lieu fertile, " indiquant par le second mot la nature du terrain et par le premier sa position; c'est aussi ce que David, dans ses psaumes dit de Jérusalem : " Jérusalem est environnée de montagnes et le Seigneur est autour de son peuple. " (Ps. CXXIV, 2. ) il l'a fortifiée, veut-il dire, par le choix même du lieu, mais, sans se contenter de cela, il est devenu lui-même sa principale défense : il indique en effet par ce mot, comme sur une corne, que ce lieu est inexpugnable ; mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'il indique la protection divine par la métaphore dont il se sert, métaphore empruntée à la corne d'un boeuf. C'est un proverbe dont on se sert communément en parlant de ceux qui se sont réfugiés en un lieu sûr. Comme en effet le taureau est le plus fort des animaux et qu'en lui la partie la plus forte est la corne, dont il se sert comme d'une arme, beaucoup se servent de cette figure, et l'Ecriture désigne souvent par keras monokerotos, ceux qui sont en sûreté. Ces mots: " Sur une corne " signifient donc, en sûreté, en un lieu élevé: ce qui revient à ce qui est dit dans le premier chapitre: " J'ai engendré des fils et je les ai élevés. " — " En a un lieu fertile, " ou comme dit Moïse, " dans une terre où coulent le lait et le miel. " (Exod. III, 8.) " Je l'ai entourée d'une haie et d'une palissade. " La haie, c'est ou un rempart, ou la loi, ou la Providence; car la loi était pour eux la plus forte des murailles. " Je l'ai entourée d'une palissade, " c'est-à-dire je lui ai donné un rempart assuré; car, comme il est souvent facile de franchir le mur d'une ville, je les ai entourés, dit-il, d'un autre moyen de défense. " Et je l'ai plantée de sorec. " Il continue sa métaphore, qu'il ne nous faut pas interpréter mot à mot, mais dont nous devons nous contenter de voir le but. Par sorec il désigne ici une vigne franche et de bonne race, dont le plant est choisi, éprouvé et d'excellente qualité, car il y a bien des sortes de vignes. " J'ai bâti une tour et fait un pressoir au milieu. "

Quelques-uns entendent par là le temple et par le pressoir le sanctuaire , parce que là étaient recueillis les fruits de la vertu de chacun, les offrandes et tous les sacrifices ; pour moi, comme je l'ai déjà dit et le répète encore, je ne m'attache qu'au but de l'allégorie. Par tous ces détails il ne veut faire entendre qu'une chose ; c'est qu'il les a comblés de tous ses bienfaits, et qu'il leur a montré, en tout, son amour. Je ne les ai pas écrasés de travaux, je ne les ai pas accablés de fatigues, je ne les ai (373) fait ni bâtir, ni creuser la terre, ni planter; je leur ai au contraire livré l'ouvrage entièrement achevé. Et sa charité ne s'est pas bornée à cela, mais " j'ai attendu qu'elle produisît des raisins, " et j'ai attendu avec bien de la patience le temps où elle porterait des fruits. J'ai usé de patience , ce mot : " J'ai attendu " le marque assez. " Elle n'a porté que des épines. " Il montre leur vie stérile, désolante et sans vertu. De quelle indulgence seront-ils donc dignes ceux qui cultivés avec tant de soins ne donnent que ces fruits ? " Et maintenant, homme de Juda et habitants de Jérusalem, soyez les juges entre moi et ma vigne (3). " Il faut avoir un droit bien assuré pour établir les coupables même juges de ce qu'ils ont fait. " Et maintenant; " je ne parle pas de choses anciennes, c'est aujourd'hui que je suis prêt à me soumettre à votre jugement, car je ne cesse de vous combler de bienfaits, et jamais vous ne remplissez vos devoirs. " Que ferai-je de plus à ma vigne? Car j'ai attendu qu'elle produisît des raisins et elle n'a produit que des épines (4). " La construction de cette phrase peut paraître un peu obscure : aussi il faut la rendre plus claire. Voici ce qu'il veut dire: Que fallait-il faire que je n'aie pas fait? C'est-à-dire, quel motif leur ai-je donné de pécher ainsi? Que peuvent-ils prétexter? Peuvent-ils prétendre qu'ils ont péché parce qu'on les oubliait en certaines choses? " Que ferai-je de plus à ma vigne que je n'aie fait ? Ce que j'ai fait, le voilà, dit-il; cependant je ne me contente pas du témoignage des faits ni même de celui de rua parole; mais si je n'ai pas fait tout ce qu'il y avait à faire, je vous demande de me le dire, je vous en fais juges vous qui avez joui de ces bienfaits, vous qui en êtes témoins, vous qui les avez connus par expérience , vous qui n'êtes pas étrangers et pour qui ce ne sont pas des choses inconnues. — " Maintenant donc je vais vous annoncer ce que je ferai à ma vigne (5). " Comme il a remporté la victoire, gagné sa cause et démontré leur ingratitude, il porte maintenant sa sentence, il dit ce qu'il va faire, non simplement pour les condamner, mais pour que la crainte de ces menaces les rende plus modérés. "J'en arracherai la haie et elle sera exposée au pillage; je détruirai sa muraille et elle sera foulée aux pieds. "

3. Je la priverai de mon aide, de mon secours, je ne leur accorderai plus ma bienveillance, et l'expérience du contraire leur apprendra de quels biens ils jouissaient autrefois; ils le sauront, quand ils seront exposés au pillage. — " J'abandonnerai ma vigne; elle ne sera ni taillée ni labourée (6)." Je répète qu'il se sert de la même métaphore. Cependant en cherchant avec plus de soin, on voit qu'il parle de la doctrine et des commandements. Ils ne jouiront plus des mêmes biens qu'auparavant, ils n'auront plus de docteurs, de chefs, de prophètes pour les corriger et prendre soin d'eux. Car de même que ceux qui soignent une vigne creusent, taillent, de même ceux qui dirigent les âmes menacent, effrayent, enseignent, accusent; mais, dit-il, ils seront privés de tout cela, transportés sur une terre étrangère. " Et les ronces la couvriront comme une terre abandonnée, et je commanderai aux nuages de ne plus répandre leur pluie sur elle." Il veut indiquer soit la désolation de la ville, soit l'abandon où ils seront eux-mêmes, où sera leur âme à chacun; par les nuages quelques-uns entendent les prophètes qui apportent la pluie d'en-haut et transmettent au peuple ce qui leur a été révélé. Mais ceux-là, dit-il, ne rempliront plus leur ministère habituel. S'il y en eut un ou deux qui les accompagnèrent dans leur exil, du moins la foule des prophètes se taisait.

" La vigne du Seigneur des armées, c'est la maison d'Israël et les hommes de Juda sont le plant qui fait ses délices. J'ai attendu qu'Israël fit des actions justes, et il a fait l'iniquité ; au lieu de la justice, il n'a produit que l'injustice criante (7)." Comme ces noms présentent des métaphores nombreuses, vignes, tours, pressoir, haie, sillon, taille de la vigne, de peur que quelqu'insensé de ce temps-là ne crût qu'il s'agît en effet d'une vigne, le Prophète a eu soin de donner à .la fin l'interprétation de tout. " La vigne du Seigneur des armées c'est la maison d'Israël." Je ne parle pas de plantes, veut-il dire, d'une créature inanimée, de pierres, de murailles, mais de notre peuple. C'est pour cela qu'il a ajouté : " Et les hommes de Juda sont le plant qui fait ses délices; " car Juda surpassait les dix tribus; le temple et tout ce qui servait au culte était là; il florissait plus que le reste d'Israël, et cette tribu était plus royale et plus puissante. Il s'est servi du mot " qui fait ses délices " pour leur adresser un nouveau reproche, de ce qu'ils s'étaient montrés tels envers celui qui les aimait tant. (374) En effet quand des personnes s'aiment, elles ne peuvent pas, même dans des reproches, cacher l'excès de leur amour. Ceci nous fait découvrir un second enseignement qui n'est pas à dédaigner. Quel est-il? C'est de savoir quand et four quels endroits de l'Ecriture on peut se servir de l'interprétation allégorique ; qu'il n'est pas en notre pouvoir de régler cette manière à notre gré, qu'il faut avant tout nous attacher à la pensée même des Ecritures, et n'user de l'interprétation allégorique qu'autant que nous y serons autorisés par le texte sacré lui-même.

Ce que je veux dire, le voici. L'Ecriture se sert des termes de vigne, de haie, de pressoir; et, au lieu de laisser l'auditeur libre d'appliquer ces figures aux choses ou aux personnes qu'il voudrait, elle en indique elle-même par avance l'interprétation, en disant: " La vigne " du Seigneur des armées, c'est la maison d’Israël. " Quand Ezéchiel parle d'un aigle énorme, aux grandes ailes, qui se dirige vers le Liban et qui enlève l'extrémité des branches d'un cèdre (Ezéch. XVII, 3), il ne laisse pas à l'auditeur le soin d'interpréter cette allégorie, mais il indique lui-même ce qu'il veut désigner par cet aigle et par ce cèdre. Notre prophète, un peu plus loin, parle d'un fleuve qui se répand avec violence sur la Judée , et ne voulant pas laisser à chacun la liberté d'appliquer cette figure selon sa guise à qui il voudrait, il déclare quel est le roi qu'il désigne par ce fleuve. Et telle est la pratique constante des saintes Ecritures, qu'à l'allégorie se trouve jointe son interprétation, de peur que l'imagination déréglée des chercheurs d'allégorie n'aille à tout propos et sans motif s'égarer et se précipiter à l'aventure. Et vous étonnerez-vous si les prophètes l'ont fait, quand l'auteur des Proverbes n'a pas agi autrement? Après avoir dit, " qu'une biche chérie, qu'un faon de délices soit avec vous; que la source de cette eau soit pour vous seul (Prov. V, 19), " il indique à qui s'appliquent ces paroles, à une épouse légitime et libre, et non à une femme de fornication, à une adultère. De même Isaïe déclare ici qui cette vigne représente. Puis après avoir rappelé les crimes, il annonce le châtiment; et à la fin il dit encore pour expliquer sa conduite : " J'ai attendu qu'ils fissent des actions justes et je ne vois qu'iniquité, et qu'ils portassent des fruits de justice et ils ne produisent que l'injustice criante. " C'est avec justice , veut-il dire , que je les punirai. Car j'ai attendu qu'ils fissent des actions justes , c'est-à-dire pleines d'équité ; et ils n'ont produit que le contraire, l'impiété, l'injustice, de criantes iniquités. Par ces iniquités criantes, il entend la passion des richesses, la colère injuste, les fureurs insensées , les luttes, les disputes. " Malheur à ceux qui joignent maison à maison, qui ajoutent terre à terre , pour enlever quelque chose à leur voisin (8) ! " Après avoir dit qu'ils se rendent coupables d'iniquités criantes parla passion des richesses, il indique une espèce de péché qui renferme une iniquité monstrueuse. Et il recommence ses gémissements, pour montrer combien sont grandes leurs fautes et incurables leurs maladies.

4. Ces crimes, nous les voyons encore maintenant commis par ceux qui abusent de leurs richesses, qui veulent s'emparer des possessions de leurs voisins, non pour se mettre en sûreté, mais pour nuire aux autres et qui, semblables à un feu envahisseur, ruinent tous leurs voisins. " Habiterez-vous donc seuls sur la terre? Tout cela est monté aux oreilles du Seigneur des armées. " Ce qui veut dire que leurs efforts seront vains, inutiles et sans résultat. Comme en effet les châtiments et-les fléaux sont moins propres à convertir ces pécheurs, que de savoir qu'ils ne jouiront pas de leurs rapines, le Prophète leur adresse cette menace et leur dit qu'ils travaillent, qu'ils se rendent malheureux, qu'ils accumulent injustice sur injustice, mais que la jouissance de leurs crimes leur sera ravie. Car, veut-il dire, cet œil qui ne connaît pas le sommeil ne se fermera pas sur leurs fautes. Ce mot " est monté " ne marque pas que les crimes viennent d'être manifestés à Dieu, mais bien que le châtiment est proche, qu'ils vont recevoir leur récompense. " S'ils ont beaucoup de maisons, toutes grandes et toutes belles qu'elles seront, elles deviendront désertes, sans qu'un seul homme y habite. "

Voilà l'effet de la passion d'amasser; lorsqu'elle apporte des richesses nouvelles, elle fait négliger les premières. C'est ce qu'Isaïe indique en disant: Lorsque vous élèverez de splendides édifices et que vous acquerrez les biens des autres, vous perdrez les vôtres. Elles seront debout, ces maisons que personne n'habitera, mais qui accuseront si clairement les ravisseurs, car leur solitude même , si grande et si prolongée, sera comme un monument de (375) leur péché. " Car dix arpents de vigne rempliront à peine un petit vase de vin, et celui qui aura semé six mesures n'en recueillera que trois (10). " De la désolation de la ville il passe à celle de la campagne, afin de faire sur l'auditeur plus d'impression. Car, dit-il, les maisons auront perdu leurs habitants, et la terre sa force productive. Au commencement, en punition de la faute d'Adam , elle porta des ronces et des épines, et ensuite, à cause du crime de Caïn, elle ne donna que des produits disproportionnés avec la culture qu'elle recevait et la fertilité native qui lui restait. Il y a encore bien d'autres circonstances où l'on peut voir la terre châtiée à cause des crimes des hommes. Et pourquoi vous étonner de ce que l'iniquité des hommes empêche sa fécondité et sa fertilité, quand vous savez que par nous elle est devenue corruptible et que par nous elle deviendra incorruptible? Car puisqu'elle n'existe qu'à cause de nous et pour nous servir, les modifications de son existence lui viennent aussi du même principe.

Il en arriva de même sous Noé. Quand la malice des hommes fut arrivée à son dernier terme, tout se corrompit, semences, plantes, animaux, terre, mer, air, montagnes, forêts, collines, villes, remparts, maisons, tours, et tout fut recouvert par ce terrible déluge. Et quand le genre humain dut se multiplier de nouveau, la terre rentra dans l'ordre ancien et recouvra sa beauté première. Tous ces événements eurent lieu à cause des hommes, comme il est facile de le voir. Caria mer se retira et elle apparut ensuite, le soleil et la lune s'arrêtèrent et quittèrent leur course accoutumée , le feu reçut les mêmes propriétés que l'eau , la terre que la mer, la mer que la terre; tout enfin, pour le dire en un mot, se transforme pour s'accommoder aux besoins de l'homme. Aussi l'homme étant plus précieux que tout le reste et tout n'existant que pour lui , aujourd'hui que le peuple juif a péché, Dieu arrête la fertilité de la terre, et, malgré les fatigues et les travaux réitérés, il ne laisse pas ses entrailles donner leur produit habituel , afin qu'on sache que ce n'est pas l'art de la culture, ni les boeufs et la charrue , ni rien de semblable , mais le Maître de toutes ces choses qui répand les biens d'une main libérale et qui, quand il le veut, arrête le cours de ces largesses. — " Malheur à ceux qui se lèvent le matin pour courir après le vin de palmier et qui restent jusqu'au soir, en sorte que le vin les échauffe ! Le luth et la harpe, les flûtes et les tambours ne manquent pas dans leurs orgies; mais ils n'ont aucun égard à l'ombre du Seigneur, et ils ne considèrent point les ouvrages de ses mains (11 et 12.) " En leur reprochant leur orgueil, il indique la source du mal. C'est l'ivrognerie, mère de mille maux, surtout quand elle est audacieusement portée jusqu'à un tel excès.

5. Voyez avec quel soin il formule ses reproches. C'est tout le jour, dit-il, qu'ils emploient à cela. Ce n'est pas seulement pendant les repas nécessaires qu'ils le font ; mais toute heure est pour eux une heure d'ivresse; dès le commencement du jour, alors surtout qu'ils devraient faire un retour sur eux-mêmes, ils s'abandonnent au vin, et qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas, ils demeurent jusqu'au soir rivés à cette chaîne. Quant une fois ils se sont enfoncés dans l'abîme de l'ivresse, qu'ils ont perdu leur raison, qu'ils ont réduit leur âme sous le dur esclavage de cette passion, semblables à un navire sans lest, privé de pilote et de matelots, qui erre ça et là, que le courant des eaux emporte partout, le gouffre de l'ivresse les engloutit. C'est pourquoi le Prophète dit : " Malheur à ceux qui se lèvent le matin pour courir après le vin de palmier !" Ils ne satisfaisaient pas à un besoin, ils n'attendaient pas que la nécessité se fit sentir, mais c'était leur unique affaire et leur occupation que de s'enivrer sans cesse. C'est pour cela qu'il dit : " Pour courir après le vin de palmier. " Le vin de palmier , c'est le suc qu'on extrait du fruit de cet arbre, en l'écrasant et le pilant, suc qui a la nature du vin. Il est soporifique et produit l'ivresse. Mais sans faire attention à rien de tout cela, ils poursuivaient toujours leur plaisir et restaient jusqu'au soir. "En sorte que le vin les échauffe. " Telle est en effet la nature de l'ivresse; plus on la satisfait, plus elle augmente, et plus la soif qu'elle produit est difficile à supporter. Puis il leur adresse une seconde accusation qui n'est pas moindre que la première. " Le luth et la harpe, les flûtes et les tambours ne manquent pas dans leurs orgies. " C'est ce qu'un autre prophète leur reproche en ces termes : " Vous buvez le vin purifié, vous vous parfumez des huiles les plus précieuses, vous accordez vos voix avec le son des instruments de musique. Vous regardez cette vie comme (376) stable et comme ne devant point finir. " (Amos, VI, 6, 5.) C'est la marque d'une extrême folie et d'une âme sans vigueur que de faire de sa maison un théâtre et de se livrer à de tels chants. Si l'ivresse obscurcit, la musique affaiblit la vigueur de l'esprit, elle brise la force de l'âme et la porte aux dernières iniquités.

" Ils n'ont aucun égard à l'oeuvre du Seigneur et ils ne considèrent point les ouvrages de ses mains. " Il entend par là ou ses miracles ou le spectacle de la nature. Comment pourraient-ils le contempler, eux qui font du jour la nuit, et qui la nuit ressemblent à des cadavres? Comment pourraient-ils voir le lever du soleil, l'éclatante beauté du ciel, la variété - des astres qui brillent le soir, l'ordre et la subordination qui règnent dans toute la création, eux qui ont perdu la vue extérieure et la vire intérieure? C'est donc un grand crime qu'ils ont commis de passer leur vie sans contempler les merveilles que Dieu a produites, et de consumer leur temps dans les ténèbres de l'ivresse. " Mon peuple est devenu esclave, parce qu'il n'a pas connu le Seigneur (13). " Il parle de l'avenir comme d'un passé et il annonce le châtiment de ce crime. L'ivresse seule peut déjà tenir lien de châtiment, puisqu'elle remplit l'âme de trouble, et l'intelligence de ténèbres, qu'elle la rend captive, qu'elle lui cause mille maladies et au dedans et au dehors. Paul savait bien que la malice seule est un châtiment ; c'est pour cela qu'il dit: " Recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement. " (Rom. I, 27.) Mais comme leur insensibilité était portée à ce point qu'ils étaient punis et ne le sentaient pas, qu'ils étaient malades et ne le savaient pas, il ajoute la menace d'un châtiment corporel : " Mon peuple a été emmené captif, parce qu'il n'a pas connu le Seigneur. Et une foule d'hommes moururent par la faim et le manque d'eau. "

Remarquez que l’ordre même de ses menaces est un avertissement, et qu'il n'inflige pas (le suite le plus grave châtiment. Ce n'est pas la captivité qui les punit d'abord, mais la faim et la soif, afin qu'ils restent chez eux en devenant meilleurs et que leurs vices incorrigibles n'attirent pas l'armée des barbares. Mais comme ils n'ont cédé en rien et qu'ils n'ont point profité de ce délai, il leur inflige enfin le dernier châtiment. Et pourtant, avant d'en arriver là, il dépeint en termes vifs et énergiques le supplice de la faim : " L'enfer, " dit-il, " a élargi son âme; " non que l'enfer ait une âme, mais le Prophète use d'une prosopopée pour mieux menacer, il veut rendre sa parole expressive et jeter une vive crainte dans l'esprit des auditeurs. Aussi il ajoute dans le même but : " Et il a ouvert sa gueule pour ne plus la refermer, " comme s'il parlait de quelque monstre et qu'il leur mit sous les yeux le châtiment qui les attendait. Et ce qu'il v a de plus grave, c'est qu'il ne se contente pas d'ouvrir la gueule, mais qu'il la tient toujours béante, sans jamais être rassasié partout ce qui y tombe. " Et tous y descendront, illustres, grands, riches, ceux qui sont la peste d'Israël (14). " — Et pour nous apprendre que ce n'est pas le cours de la nature qui amènera cet événement, mais que ce fléau viendra de Dieu, que ce châtiment sera envoyé par le ciel, le Prophète annonce qu'il atteindra les illustres, les puissants , ceux qui bouleversent tout, qui jettent la confusion dans la nation juive.

6. Il appelle la " peste " d'Israël ceux qui, loin de conserver en eux-mêmes leur méchanceté, la communiquent aux autres. Tel est en effet le caractère de la peste. Dès qu'elle est sortie d'un corps, elle se répand parmi les autres. " Et ceux qui s'y réjouissent. " Celui qui vit dans les délices et la joie, qui croit être à l'abri de tout événement, celui-là même tombera et sera captif. " L'homme sera humilié, les grands seront méprisés et les yeux dus superbes seront abaissés. Et seul, le Seigneur des armées sera glorifié par ce jugement (15, 16). " Voyez encore comme Dieu cherche leur bien. Il ne cherche pas leur ruine complète, il ne veut pas que tout le peuple périsse, mais il en laisse quelques-uns, pour que la vue du châtiment de ceux qui ont été exterminés les rende meilleurs. C'est ce qu'il donne à entendre en disant : " L'homme sera humilié, " c'est-à-dire celui qui restera, qui demeurera. " Et le Seigneur des armées sera glorifié par ce jugement, et le Dieu saint sera glorifié dans la justice. " il indique deux biens qui en résulteront, à savoir, que les hommes se dépouilleront de leur orgueil et deviendront meilleurs, et que Dieu sera pour tous un sujet d'admiration ; car, s'il est " exalté et glorifié, " ce sera par cette punition, par ce châtiment. Que veut dire ce mot " par (377) ce jugement? " C'est-à-dire par cette vengeance.

" Et ils paîtront dispersés comme des taureaux, et les agneaux se nourriront dans les déserts qu'ils auront quittés (17). " Il indique par là le petit nombre de ceux qui resteront, et l'immense désolation du pays. " Malheur à vous qui tirez comme avec une corde vos iniquités et comme avec une courroie vos péchés; qui dites : Arrive bientôt ce que Dieu doit faire afin que nous le voyons; que les projets du saint d'Israël se réalisent afin que nous les connaissions (18, 19). " Les prophètes avaient beau menacer continuellement et prédire des choses terribles, les faux prophètes qui ne parlaient que pour être agréables, et qui ôtaient au peuple toute énergie, disaient que ceux-là trompaient, et qu'eux-mêmes étaient seuls dans la vérité. Beaucoup, séduits parleurs mensonges, ne croyaient pas. D'ailleurs les prophéties ne se réalisant pas au moment où elles, étaient annoncées, puisque le propre de la prophétie est. d'annoncer les événements longtemps à l'avance, comme les prophètes menaçaient sans cesse de famines, de pestes, de guerres, sans pouvoir jamais les montrer, beaucoup prenaient de là occasion de n'y pas traire et disaient : Vienne ce que vous annoncez; si vous dite: vrai, que vos paroles se réalisent; montrez-nous dans les événements actuels la volonté de Dieu. Puis donc qu'ils se faisaient de la patience divine un prétexte pour ne pas croire et qu'à leurs péchés ils en ajoutaient deux autres, d'abord l'incrédulité, puis l'indifférence qu'amenait cette incrédulité, c'est avec raison que le Prophète gémit sur eux en disant: Vous attirez sur vous comme par une longue corde la colère de Dieu et vous aggravez votre malice. Puisque vous n'ajoutez pas foi à nos paroles, il ne vous reste qu'à subir l'épreuve des événements. Ainsi c'est vous qui vous attirez des maux, en refusant de croire à nos paroles. C'est pourquoi il dit : " Malheur à vous qui tirez comme avec une corde vos iniquités! " c'est-à-dire le châtiment de vos iniquités. Vous attirez de loin, veut-il dire, comme avec une corde la punition que vos péchés ont méritée, comme avec la courroie qui fixe une génisse sous le joug, marquant ainsi le zèle et l'ardeur qu'ils mettent à pécher. Vous ressemblez à celui qui traîne un fardeau au moyen d'une forte courroie , et c'est ainsi que par votre incrédulité vous attirez sur vous la colère de Dieu. Il indique ensuite comment ils l'attirent: "Arrive bientôt ce que Dieu doit faire, afin " que nous le voyions ! " C'est ce qu'un autre prophète leur reproche en ces termes: " Malheur à vous qui désirez voir le jour du Seigneur. De quoi vous servira-t-il, ce jour? Il n'est que ténèbres sans lumière, qu'obscurité sans clarté. " (Amos, V,18, 19.) Ces incrédules aussi disaient : " Quand viendra le jour du châtiment et de la vengeance? Malheur à vous qui appelez le mal bien et le bien mal, qui changez la lumière en ténèbres et les ténèbres en lumière, qui transformez la douceur en amertume et l'amertume en douceur (20). " C'est toujours la même pensée. Après leur avoir reproché d'insulter les prophètes et de les appeler trompeurs, d'honorer les faux prophètes et de renverser l'ordre des choses, il les appelle encore malheureux parce que leurs jugements sont corrompus. " Malheur à vous qui appelez le mal bien (il désigne par là les paroles des faux prophètes), et le bien mal ( les paroles des prophètes), qui changez la lumière en ténèbres et les ténèbres en lumière, qui transformez la douceur en amertume et l'amertume en douceur ! " Les paroles des prophètes sont dures, il est vrai, mais il n'y a rien de plus doux qu'eux, puisque leurs menaces doivent détourner les événements fâcheux. Les paroles des faux prophètes sont douces : mais il n'y a rien de plus amer qu'eux, puisque ces paroles agréables amèneront des punitions trop réelles.

7. Voyez avec quelle sagesse le Prophète a montré la fausseté de leurs jugements. Comme ils s'éloignaient des uns, parce que leurs paroles étaient dures et qu'ils se rapprochaient des autres, parce qu'ils montraient plus de douceur et de complaisance, il leur fait voir que c'est tout le contraire, que les prophètes n'ont que de la douceur et les faux prophètes que de l'amertume. Nous raisonnerons de même sur la lumière et l'obscurité. Les uns conduisaient à l'erreur, les autres à la vérité; les uns, leur liant pour ainsi dire les mains, les livraient enchaînés à l'obscurité de l'esclavage; les autres n'omettaient rien pour les amener à la lumière de ta liberté. Comme donc les Juifs avaient de ceux-ci une opinion fausse et défavorable, c'est avec raison qu'il les reprend en disant: " Malheur à ceux qui font de la lumière les ténèbres et des ténèbres la lumière ! (378) Malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux a et prudents devant eux-mêmes (21) ! " Ce n'est pas un léger défaut que de se croire sage et de ne savoir pas contenir ses pensées. C'est de là que vient ce qu'il reproche, je veux dire d'appeler le mal bien et le bien mal, etc. C'est aussi ce que Paul reproche aux philosophes profanes " En se disant sages, ils sont devenus fous. " (Rom. I, 22.) Et les Proverbes disent encore : " J'ai vu un homme qui se croit sage; il y a plus à espérer de celui qui n'a point de sens. " (Prov. XXVI,12.) C'est ce que Paul rappelle encore en ces termes : " Ne soyez point sages à vos propres yeux (Rom. XII, 16) ; " et encore : " Si quelqu'un de vous paraît sage selon ce siècle, qu'il devienne fou pour être sage. " (I Cor. III, 18.) Qu'il ne se confie pas, veut-il dire, à sa propre sagesse ni en ses propres pensées, mais qu'il les rejette et qu'il livre son âme aux leçons de l'Esprit-Saint. Puis donc qu'il y avait parmi les Juifs des hommes qui méprisaient les prophètes, parce que ceux-ci étaient bergers et chevriers, des hommes qui ne voulaient tirer leur sagesse que d'eux-mêmes, marque évidente de leur folie, et qui rejetaient la parole prophétique, c'est avec raison qu'Isaïe gémit sur eux en disant: " Malheur à ceux qui sont prudents en eux-mêmes et sages à leurs propres yeux ! Malheur à ceux d'entre vous qui sont forts et qui boivent le vin, qui sont puissants et, qui s'enivrent du vin de palmier (22). "

Ne vous étonnez pas de ce qu'après avoir tant parlé de l'ivresse un peu plus haut, il revienne de nouveau sur le même sujet. Car comme cette blessure est grave et difficile à fermer, il faut la laver souvent. Elle est grave et difficile à fermer, parce que la plupart ne la regardent pas comme un péché, bien qu'elle soit le plus grave de tous les péchés, et qu'elle amène à sa suite mille dérèglements. C'est pour cela qu'il dit: " Qui buvez le vin, qui êtes puissants et qui vous enivrez du vin de palmier. " C'est un double danger que la tyrannie de l'ivresse et l'excès de la puissance, Tous les hommes ont besoin de garder leur présence d'esprit, mais surtout ceux qui sont revêtus de dignités et d'une grande puissance. afin de ne pas être emportés dans le précipice par le poids de leur charge comme par un irrésistible courant d'eaux furieuses. " Qui, pour des présents, justifient l'impie et qui ravissent au juste sa propre justice (23). " C'est un double crime que d'absoudre le coupable et de condamner l'innocent, et ce double crime vient d'une même origine, les présents. " C'est pourquoi comme la paille se consume par le feu et est dévorée par la flamme ardente... " La punition sera prompte et la vengeance facile; cette image montre bien que leur ruine sera complète.

8. C'est ce que signifient et le feu et la flamme, et la paille, et tout le reste. " Leur " racine sera réduite en cendres et leur fleur tombera comme la poussière. " f e qui est solidement fixé périra, ce qui est brillant sera flétri, ce qui est beau passera et s'écoulera. " Car ils n'ont pas voulu observer la loi du Seigneur des armées et ils se sont indignés contre la parole du saint d'Israël. " Cette parole, c'est la loi. " Et le Seigneur des armées s'est irrité contre son peuple; il a étendu sa main contre eux et il les a frappés; il s'est irrité contre les montagnes et leurs cadavres ont été jetés comme du fumier au milieu de la route. Et tout cela n'a pas satisfait sa colère, " mais son bras est encore levé (25.) " Le Prophète indique par là une guerre terrible où il ne leur sera pas permis d'ensevelir les cadavres, non que Dieu veuille se venger sur les morts, mais pour que le châtiment d'autrui apprenne aux vivants à se corriger. Et voyez comme ce langage est sévère. Il ne dit pas qu'ils seront privés de sépulture, mais que les morts seront jetés avec plus de mépris que le fumier, ce qui est pour les vivants le spectacle le plus terrible, plus terrible même que la mort. Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est que tous ces châtiments ne les ont pas rendus meilleurs et qu'ils ont persévéré dans la même conduite., Puis donc qu'ils ne sont pas devenus meilleurs, il les menace de nouveau du plus grave fléau, des barbares. C'est pour cela qu'il ajoute : " Donc il élèvera son étendard parmi les nations éloignées (26.) " De peur que la longueur de la route ne laisse les coupables dans leur indifférence, il ajoute que Dieu amènera les barbares aussi facilement que celui qui, levant l'étendard, est aussitôt suivi par des gens armés et équipés : il en est de même pour des chevaux dressés au combat. Car aussitôt que l'étendard est levé pour le départ, ils se précipitent hors des barrières. Le Prophète fait donc entendre deux choses, qu'il est facile aux barbares de venir à l'appel de Dieu, et que depuis longtemps ils seraient (379) accourus, si sa longue patience ne les avait retenus.

Puis il continue et leur montre que cela est plus facile encore : " D'un coup de sifflet il les appellera des extrémités de la terre. " Ne vous étonnez pas si, parlant de Dieu, il se sert de paroles si grossières; il proportionne son langage à la stupidité des auditeurs, et ne veut qu'une chose, leur faire comprendre que cela est facile à Dieu et qu'ils n'échapperont pas à la punition ; aussi ajoute-t-il : " Et aussitôt ces nations accourront avec rapidité; elles ne " sentiront ni faim ni fatigue; elles ne dormiront point. " Ce langage est hyperbolique. Comment ces étrangers pouvaient-ils échapper à la faim et au sommeil, puisqu'ils étaient hommes, et soumis aux misères communes de notre nature? Mais comme je l'ai dit plus haut, il ne veut par tous ces détails que montrer la promptitude de l'armée d'invasion, sa facilité, sa rapidité. Ils ne quitteront pas les baudriers dont leurs reins sont ceints et les cordons de leurs soulier ne se rompront pas. Leurs flèches sont aiguës et leurs arcs toujours tendus. Les pieds de leurs chevaux sont durs comme le rocher et les roues de leurs chars rapides comme la tempête. Ils se précipitent comme des lions et se présentent comme les petits du lion. Ils saisiront leur proie en criant comme une bête féroce, et l'emporteront sans que personne la leur puisse ôter. En ce jour-là ils s'élanceront sur Israël avec des cris semblables au bruissement des flots de la mer. Ils jetteront les yeux en haut vers le ciel, en bas vers la terre, et il n'y aura qu'obscurité profonde dans leur désolation (27-30.)

Le Prophète emploie tous ces détails pour rendre son langage plus imposant, et la terreur plus forte, en parcourant successivement chaque partie, d'abord la résolution, puis la force, les armes, les chevaux, les chars ; il veut par cette longue énumération imprimer une crainte plus profonde, et par ces images frappantes mettre la chose sous les yeux. Aussi compare-t-il les envahisseurs à des lions, et sans s'arrêter là il fait entendre le rugissement, montre la colère du monstre; il continue la métaphore et n'emploie que des figures. De là il passe à la mer, disant qu'il y aura un bruit, un tumulte, comme quand la mer est en fureur et que ses flots sont soulevés; en un mot, il a recours à tout pour augmenter la frayeur et faire que ces événements funestes soient évités. Et ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que ces malheureux ne trouveront aucun secours ni sur la terre ni dans le ciel, mais privés de toute aide d'en-haut, de toute aide d'en-bas, ils deviendront la proie de leurs ennemis. Leur malheur sera pour eux une affreuse obscurité , non que le soleil disparaisse à leurs yeux, mais parce qu'en plein midi leur disposition d'esprit leur fait trouver les ténèbres au lieu de la lumière : effet que l'affection et la douleur produisent souvent en nous. Et pour vous apprendre que cette obscurité vient, non de l'air, mais de la disposition d'esprit des Juifs, le Prophète ajoute : " Obscurité profonde dans leur angoisse. "

 

 

 

 

 

CHAPITRE SIXIÈME. 1. " ET IL ARRIVA L'ANNÉE QUE MOURUT OZIAS. " ANALYSE.

1. Vocation et consécration d'Isaïe pour te ministère prophétique. Comment il faut entendre ces mots : je vis Dieu.

2. Office des puissances célestes.

3. Les séraphins ne peuvent supporter la vue de Dieu ; quelle n'est donc pas la démence des hérétiques anoméens qui se vantent de contempler Dieu à leur aise et de le connaître parfaitement!

4. Du grand, avantage qu'on retire de la confession.

5. Disposition excellente d'Isaïe pour le ministère prophétique : Me voici, Seigneur, envoyez-moi.

6. Message qu'Isaïe reçoit de Dieu pour les Juifs.

1. Pourquoi le Prophète qui désigne ordinairement les armées parla vie des rois, désigue-t-il celle-ci par la mort d'Ozias? Car il ne dit pas " Il arriva pendant la vie d'Ozias, " ni " sous le règne d'Ozias, " mais bien " Lorsqu'il mourut. " Pourquoi en agit-il ainsi en cet endroit? Ce n'est pas sans raison ni motif, mais par un dessein caché. Quel est-il? Cet Ozias que sa bonne fortune avait exalté, que sa prospérité avait enivré, était devenu trop orgueilleux. Parce qu'il était roi, il avait cru pouvoir sacrifier, il s'était jeté dans le temple, avait pénétré dans le saint des saints, et bien que le grand prêtre voulût l'en empêcher et lui défendre l'entrée du sanctuaire, il n'en avait pas tenu compte, et persistant dans sa folle entreprise, il avait rejeté les paroles du pontife. Pour le punir de cette impudence, Dieu l'avait frappé de lèpre sur le front. Pour avoir voulu usurper l'honneur d'autrui il avait perdu le sien. Car non-seulement il n'obtint pas le sacerdoce, mais devenu impur, il fut chassé du palais, et il passa le reste de sa vie, caché dans une maison, ne pouvant supporter sa honte. Le peuple tout. entier fut aussi puni, parce qu'il avait méprisé les lois du Seigneur et qu'il n’avait pas vengé l'honneur du sacerdoce outragé. Et comment fut-il puni? Par la cessation du ministère des Prophètes : Dieu dans sa colère ne leur répondit plus rien à quoi que ce fût. Il ne le fit cependant pas pour toujours, mais il assigna pour terme à cette punition le terme de la vie du roi. Quand celui-là fut sorti de la vie, Dieu sortit aussi de sa colère et ouvrit en quelque sorte de nouveau les portes de la prophétie. C'est pour nous faire souvenir de cela que le Prophète rappelle l'année de la mort du roi. Voici le commencement de sa prophétie : " Il arriva que, l'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis. " Et cependant le Christ dit : " Personne n'a jamais vu le Père; le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui l'a fait connaître. " (Jean, II, 18.) Et encore : " Non que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu , car celui-là a vu le Père. " (Jean, vil, 46.) Et il dit lui-même à Moïse : " Personne ne pourra voir ma face et vivre encore. " Comment donc Isaïe peut-il dire qu'il a vu le Seigneur? " J'ai vu," dit-il, " le Seigneur. " Il n'a rien dit de contraire aux paroles du Christ, rien qui ne leur fût conforme. Le Christ parle en effet d'une vue claire, telle que personne ne l'a eue; or nul autre que le Fils n'a vu cette nature divine à découvert et sans ombre, et le Prophète dit qu'il en a eu une vue conforme à sa propre nature. Il n'a pas vu ce que Dieu est, mais il l'a vu comme en figure, et Dieu avait bien voulu s'abaisser autant que le demandait la faiblesse du Voyant. Que ni lui ni les autres prophètes n'aient vu la divinité à découvert, leurs paroles le montrent clairement. " J'ai vu, e dit-il, " le Seigneur assis. " Priais Dieu ne s'assied point ; c'est une figure empruntée au corps. Et non-seulement " assis, " mais " sur un trône. " Or, rien ne peut contenir Dieu comment pourrait-il être contenu quelque part, Celui qui est présent partout, qui remplit tout, " dans la main duquel sont les limites de la terre? " (Ps. XCIV, 4.) Ce qui montre que si cette vision avait lieu, c'est parce que Dieu s'abaissait. C'est ce qu'indique encore un autre prophète, parlant au nom de Dieu : " J'ai multiplié les visions (Osée, XII, 10) ; " c'est-à-dire, je me suis laissé voir de diverses manières. Si c'était sa substance pure que l'on eût découverte, on ne l'eût pas vu de diverses manières. Mais pour marquer que c'était par condescendance qu'il se laissait voir aux prophètes, tantôt de cette manière, tantôt de cette autre, conformant ces visions aux diverses circonstances, il dit : " J'ai multiplié les visions, et les prophètes m'ont représenté à vous sous des images différentes. " Je n'ai pas paru comme j'étais, veut-il dire, mais je me suis conformé à la faiblesse de ceux qui me regardaient. Aussi vous le voyez, tantôt assis, tantôt armé, tantôt couvert de cheveux blancs, tantôt au grand air, tantôt dans le feu, tantôt st; détournant, tantôt sur les chérubins, tantôt enfin, plus éclatant que les métaux les plus brillants. Dire pourquoi il apparaît tantôt armé et couvert de sang, tantôt dans le feu, tantôt se détournant, tantôt dans le ciel, tantôt sur un trône, tantôt sur les chérubins, ce n'en est pas ici le lieu, de peur que le hors-d'oeuvre n'absorbe l'oeuvre. Cependant la vision présente demande que (381) nous l'examinions. Pourquoi donc apparaît-il assis sur un trône, et entouré de séraphins? Il emprunte les usages des hommes, parce qu'il s'adresse à des hommes. Comme il allait parler de grandes choses qui concernaient soit toute la terre, soit Jérusalem en particulier, il rend une double sentence, l'une par laquelle il annonce un grand châtiment à la capitale et à la nation tout entière, l'autre par laquelle il promet à la terre un grand bienfait, de grandes espérances et un honneur immortel.

2. Quand on rend une sentence, il est d'usage de ne pas le faire en secret, mais de s'asseoir sur une tribune élevée, de se faire entourer de tous et d'ouvrir les rideaux. C'est pour imiter ces juges de la terre que Dieu se fait entourer de séraphins, et qu'il s'assied sur un trône élevé pour prononcer son arrêt. Et pour vous montrer que ceci n'est pas une conjecture, mais que c'est la coutume du Seigneur d'agir ainsi, je veux vous faire voir la même chose dans un autre prophète. Quand, dans le prophète Daniel, il est sur le point de rendre une sentence importante au sujet des châtiments et des punitions, que se sont attirés les Juifs et des grands biens qui vont être donnés à la terre, nous voyons là aussi un trône éclatant et splendide, des légions d'anges qui l'entourent, des multitudes d'archanges, le Fils unique assis à côté du Père, des livres qui sont ouverts, des fleuves de feu qui roulent leurs ondes terribles, tout l'appareil enfin d'un redoutable tribunal. Et notre passage est tout à fait semblable à celui-là, ou plutôt celui-là est plus clair encore, les temps étant devenus plus proches et la prophétie étant arrivée à sa fin. Mais laissons aux hommes studieux le soin de comparer ces prophéties, d'en saisir la ressemblance, hâtons-nous de revenir à la première, et arrêtons-nous à chaque mot autant qu'il est possible. C'est ainsi que tout ce que nous avons dit deviendra plus clair et pour vous et pour nous. Que dit donc le Prophète ? " J'ai vu le Seigneur assis. " S'asseoir sur un trône, c'est toujours la marque d'un juge, selon cette parole de David : " Vous vous êtes assis sur un trône, vous qui jugez les justices; " et celle-ci de Daniel : " Les trônes furent apportés et les juges s'assirent." Cet état seul d'être assis marque encore autre chose, selon le même prophète. Quoi donc? La fixité, ta fermeté, la solidité, l'éternité, la vie sans fin. C'est pourquoi il est dit : Vous êtes assis pour l'éternité, et nous, nous périssons (1). Vous, vous demeurez, vous êtes, vous vivez, vous restez toujours le même. Il ne parle pas du siège, le membre opposé le montre bien. Il ne dit pas en effet, nous sommes debout, mais bien nous périssons. S'asseoir sur un trône, c'est donc juger; c'est pourquoi le Prophète voit Dieu assis sur un trône haut et élevé; peut-être que la signification de ces deux mots n'est pas la même. Le trône était haut, c'est-à-dire grand, très-long; élevé, c'est-à-dire placé à une hauteur indicible. " Et la maison était " remplie de sa gloire. " Quelle maison? Dites-moi. Le temple. Comme de là provenait le sujet de sa colère, il était juste que ce fût là qu'il se montrât en cette admirable vision. Ce qu'il appelle sa gloire, c'est cette splendeur, cette lumière inaccessible que , désespérant de pouvoir rendre par la parole, il appelle gloire, et non-seulement gloire, mais gloire de Dieu. " Des séraphins se tenaient encerclé au" tour de lui. " Qu'appelle-t-il séraphins? Ces puissances incorporelles et célestes , dont le nom seul indique la vertu et le bonheur. Car ce mot de la langue hébraïque s'interprète par bouches de feu.

Que nous apprend cette circonstance? La pureté de cette nature, sa vigilance, sa diligence, son agilité, sa force, sa simplicité. De même le prophète David, pour montrer combien le ministère des puissances d'en-haut est prompt, rapide, actif, dit : " Qui vous servez des vents pour en faire vos envoyés, et des flammes brûlantes pour en faire vos ministres (Ps. CIII, 4) ; " paroles par lesquelles il nous montre leur vélocité, leur légèreté, leur rapidité. Il en est de même de ces puissances qui, par des chants purs, louent le Seigneur, remplissent continuellement cet office, lui offrant sans cesse leurs louanges et leurs hommages. Ce qui montre leur dignité , c'est qu'elles sont placées près du trône. De même qu'au service des rois de la terre, ceux qui sont plus élevés en dignité, se tiennent près du trône ; ainsi ces puissances célestes, à cause de leur vertu supérieure, entourent le trône d'en-haut, jouissant sans cesse d'un bonheur indicible, et faisant éternellement leurs délices de ce sublime ministère. " L'un avait six ailes et l'autre six, de deux ils voilaient leurs pieds, de, deux ils se voilaient la face, et des deux autres ils volaient. Ils criaient l'un à l'autre

1 Ces paroles qui ont l'air d'une citation. ne se trouvent nulle part dans la sainte Ecriture.

382

et ils disaient: Saint, Saint, Saint est le Seigneur des armées. La terre est pleine de sa " gloire. " (Is. III.) Que nous indiquent, que signifient ces ailes? Ces puissances n'ont pas d'ailes puisqu'elles n'ont pas de corps; mais par ces figures sensibles, le Prophète veut nous faire comprendre des choses cachées, il condescend par là à la faiblesse de ceux qui l'écoutaient, et cependant, par cette condescendance il nous fait entendre excellemment des pensées qui surpassent toute intelligence.

3. Que signifient donc ces ailes? La nature élevée et sublime de ces puissances. Ainsi nous montre-t-on Gabriel volant et descendant des cieux, pour nous apprendre sa promptitude et sa légèreté. Et vous étonnerez-vous si le Prophète se sert de ces expressions en parlant des puissances qui servent Dieu, quand il n'a pas dédaigné de s'abaisser à ce moyen, en parlant de Dieu même, du Dieu de l'univers ? Car, voulant montrer soit son incorporéité, soit la rapidité avec laquelle il est présent partout, David dit : " Celui qui marche sur les ailes des vents (Ps. CIII , 3) ; " les vents n'ont cependant pas d'ailes, et Dieu ne marche pas sur leurs ailes. Comment, en effet, cela se ferait-il, puisqu'il est présent partout? Mais, comme je l'ai déjà dit, le Prophète condescend à la faiblesse des auditeurs et se sert de choses qu'ils peuvent comprendre pour élever leur pensée. C'est encore ainsi que, pour montrer le secours qu'il reçoit et la sûreté que ce secours lui procure, il se sert des mêmes expressions, disant " Vous me protégerez à l'ombre de vos ailes. " (Ps. XVI, 8.) Ici le Prophète ne veut pas seulement, au moyen de ces ailes, nous faire comprendre l'élévation et la sublimité de ces puissances, mais encore une autre chose qui doit nous frapper de terreur. Il nous montre que, bien que, cette vision ne fût qu'une ombre, un acte de condescendance, cependant les puissances célestes elles-mêmes étaient incapables de s'élever jusqu'à cette hauteur de Dieu qui s'abaissait. Car si elles se cachaient les pieds et le dos, c'est qu'elles étaient effrayées, .qu'elles redoutaient la splendeur, qu'elles ne pouvaient supporter l'éclat qui sortait du trône. Aussi se faisaient-elles comme un rempart de leurs ailes pour assombrir l'éclat de cette vision; elles éprouvaient ce que nous éprouvons quand le tonnerre gronde et que les éclairs brillent, et que nous nous inclinons vers la terre.

Or, si les séraphins, ces grandes et admirables puissances, ne pouvaient regarder qu'avec tremblement Dieu assis et assis sur un trône, s'ils se cachaient la face et les pieds, qui dira la folie de ceux qui se vantent de parfaitement connaître Dieu et qui font sur cette nature immortelle des recherches curieuses? " Des deux autres ils volaient, et ils criaient. " Qu'est-ce que ce vol et que veut-il signifier? Qu'ils sont sans cesse autour de Dieu, qu'ils ne s'éloignent pas de lui, que leur office est toujours le même, chanter sans cesse auprès de lui et louer continuellement leur Créateur. Car il n'a pas dit: " Ont crié, " mais "criaient, " c'est-à-dire qu'ils remplissent sans cesse ce devoir. " L'un à l'autre et ils draient : Saint, Saint, Saint. " Ceci marque que leur entente était parfaite et leur accord à louer Dieu complet. Ce chant n'est pas seulement une louange, mais une prophétie des biens que recevra la terre et une très juste expression du dogme. Mais pourquoi, après avoir dit " Saint " une fois, ne faisaient-ils pas silence? pourquoi ne s'arrêtaient-ils pas même après l'avoir dit deux fois? pourquoi le répétaient-ils trois fois de suite avant de faire une pause? N'est-il pas évident que c'est parce qu'ils chantaient un hymne à la Trinité? Aussi saint Jean applique-t-il cet hymne au Fils, saint Luc au Saint-Esprit, et le Prophète au l'ère. Et le reste exprime la même pensée. Car après ce chant ils ajoutent : " Toute la terre est remplie de sa gloire. " Ces paroles sont une prophétie exacte ; elles prédisent la connaissance future qui devait remplir toute la terre de la gloire de Dieu, tandis qu'au contraire, dans l'antiquité et au moment même où ces paroles étaient prononcées, toute la terre, et même la Judée, était remplie d'iniquité, et personne ne glorifiait Dieu. Et le Prophète en rend témoignage, lui qui dit : " A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. " (Ps. LII, 5.) Quand donc la terre a-t-elle été remplie de sa gloire? Quand cet hymne a été apporté sur la terre, quand les hommes ont chanté avec les puissances célestes, qu'ils n'ont plus fait entendre qu'un même chant, retentir qu'une même louange. (lue si un juif impudent refuse de me croire, qu'il me montre quand la terre a été remplie de la gloire de Dieu, de cette gloire qui vient de la connaissance , mais jamais il ne pourrait me le montrer, quand il me démentirait mille fois. " Le dessus de la (383) porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri. " Voyez-vous la clarté de la prophétie et comme les choses se suivent? Quand ce chant eut retenti et que la terre eut été remplie de la gloire de Dieu, la nation juive disparut, ce qu'indique le dessus de la porte ébranlé.

4. En effet, c'est un signe que le temple sera abandonné et renversé ; or le temple étant renversé, tout le reste disparaîtra. Et pour vous apprendre que le Nouveau Testament a abrogé l'Ancien, le Prophète dit : " Le dessus de la porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri , " c'est-à-dire que quand cet hymne de louange se fit entendre, quand la grâce brilla, quand la gloire de Dieu se répandit sur toute la terre, les ombres s'évanouirent. " Et la maison fut remplie de fumée. " A mon sens, ceci prophétise la ruine qui l'atteindra, le feu que les étrangers y mettront, et l'incendie qui la dévorera. "Alors je dis: Malheureux que je suis ! mon affliction est grande, moi qui suis homme, qui ai des lèvres impures, qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures, et qui ai vu de mes yeux le Seigneur des armées (5) ! " Cette vision a terrifié, stupéfié le Prophète ; elle lui a imprimé une vive crainte, elle lui fait faire des aveux, et grâce à elle, il connaît mieux là faiblesse de sa nature. " C'est ainsi que sont tous les saints; plus ils sont honorés et plus ils s'humilient; Abraham, quand il parle à Dieu, s'appelle terre et poussière,; Paul, après avoir été jugé digne de cette admirable vision, s'appelle avorton ; de même Isaïe déplore sa condition, d'abord à cause de sa nature : " Malheureux que je suis ! Mon affliction est grande, moi qui suis homme ; " puis à cause de ses dispositions: " Moi qui aides lèvres impures." Il appelle ses lèvres impures relativement, me semble-t-il, aux langues enflammées de ces puissances excellentes , relativement aussi à leurs hommages si parfaits. Puis, sans s'arrêter là, il fait d'humiliants aveux au nom de tout le peuple, et ajoute : " Moi qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures. " Pourquoi accuse-t-il ici leurs lèvres? Pour marquer qu'il n'ose pas parler. Les trois enfants dans la fournaise se servirent presque des mêmes expressions : " Il ne nous est pas permis d'ouvrir la bouche. " Et lorsque le temps était venu de chanter et de louer, qu'il voyait les anges accomplir cet office, ce n'est pas sans raison qu'il parle des lèvres, puisque c'était à elles surtout de remplir ce ministère. Voilà pour quel motif il appelle ses lèvres impures; et s'il appelle aussi impures celles du peuple, ce n'est pas pour la même raison, mais parce que le peuple était adonné à l'iniquité. " Et j'ai vu de mes propres yeux le Roi, le Seigneur. " Voilà ce qui me fait gémir et pleurer; c'est que j'ai été jugé digne de cet honneur, moi qui en suis indigne, de cet honneur qui surpasse à la fois et mes mérites et ma nature. Et lorsqu'il dit : "J'ai vu, " il n'entend pas parler d'une vue complète, mais de celle qui lui était possible.

Et voyez comme ses aveux sont récompensés. Il s'est accusé et aussitôt il a été purifié ; car, quand il eut prononcé ces paroles, " un des séraphins, dit-il, fut envoyé vers moi ; il avait dans sa main un charbon qu'il avait pris avec des pincettes de dessus l'autel. Et m'en ayant touché la bouche, il me dit : Voilà que ce charbon a touché tes lèvres, qu'il a enlevé tes péchés et purifié tes iniquités (6, 7.) " Quelques-uns disent que c'étaient là des symboles des mystères futurs: l'autel, le feu qui y brûlait, les serviteurs, cette bouche purifiée par le feu, et ces péchés effacés; pour nous, attachons-nous au récit, et disons pourquoi cela est arrivé. Le Prophète va être envoyé au peuple juif pour lui annoncer des choses terribles et affreuses. Des séraphins lui sont envoyés pour le remplir de crainte et de franchise. Et afin qu'il n'aille pas prétexter, comme Moïse, qu'il avait une voix grêle, ou comme Jérémie qu'il était trop jeune et dire qu'il avait des lèvres impures, qu'il ne pouvait exécuter l'ordre qu'il avait reçu , les séraphins viennent effacer ses péchés, non par leur propre puissance (cela n'appartient qu'au Père, au Fils et au Saint-Esprit) , mais par la mission qu'on leur avait donnée et les charbons qu'ils lui apportent. Car le séraphin ne dit pas " j'efface, " mais " voici que ce charbon efface tes péchés et purifie tes iniquités." par le commandement de Celui qui m'a envoyé. Pourquoi le séraphin, pour prendre ce charbon, se sert-il d'une pincette? Une puissance incorporelle ne peut craindre de se brûler avec un charbon. Pourquoi cela arrive-t-il ? C'est encore une nouvelle condescendance. Aussi va-t-il le prendre sur l'autel là où on offrait des sacrifices d'adoration et d'expiation. Si vous demandez pourquoi la bouche du (384) Prophète n'a point été brûlée, je vous répondrai d'abord que ce feu n'était pas un feu sensible, bien qu'il en eût les apparences, ensuite que quand Dieu opère quelque chose , il ne faut pas faire sur son opération des recherches curieuses et difficiles.

5. Que dis-je, on a parfois vu un feu ardent et sensible reproduire l'effet qui lui est propre sur des corps qu'on lui livrait. Si donc dans cette fournaise remplie de sarments et de poix la flamme oublia sa propre nature, pourquoi vous étonner que dans une circonstance si extraordinaire, le feu, loin de consumer, n'ait servi qu'à purifier? " J'entendis la voix du Seigneur qui disait: Qui enverrai-je et qui ira vers ce peuple (8) ? " Voyez-vous ce qu'a produit la vision , le bien que la crainte a opéré? La même chose est arrivée à Moïse. S'il ne vit ni les séraphins ni Dieu assis sur un trône, le spectacle qui lui apparut n'était pas moins étrange, il était même si étonnant que personne n'eût pu le contempler. Car " le buisson brûlait., sans se consumer. " (Exod. III, 2.) Et pourtant après ce grand prodige et bien que Dieu l'eût beaucoup encouragé , le grand Moïse hésitait , il imaginait mille prétextes pour se soustraire à sa mission: " J'ai, " dit-il, " la voix grêle et la langue embarrassée." (Exod. IV, 10, 13.) Un autre prophète dit . " Choisissez-en un autre, Seigneur, pour l'envoyer. " C'est Jérémie qui parle ainsi en alléguant sa jeunesse (Jérém. I, 16.) Ezéchiel, bien qu'il eût reçu un ordre précis, reste encore sept jours auprès du fleuve, rempli d'hésitation et ne se sentant point la force d'accomplir sa mission. Aussi Dieu lui dit-il encore : " Je t'ai établi pour surveiller la maison d'Israël ; " et encore : " Je te redemanderai leur âme " (Ezéch. III, 17, 18.) Jonas fit plus que de refuser, il s'enfuit. Quoi donc ! Isaïe est-il plus hardi qu'eux tous, plus hardi que le grand Moïse? Qui oserait le dire? Pourquoi donc l'un hésite-t-il après avoir reçu l'ordre , tandis que l'autre, sans un commandement évident, embrasse avec ardeur cet office de prophète? Dieu ne lui dit pas: Va , mais il dit seulement: " Qui enverrai-je? " et Isaïe part aussitôt. Quelques-uns disent qu'après avoir péché en ne reprenant pas Ozias de son audace sacrilège, il voulut réparer sa faute, en acceptant avec empressement la mission que lui. donnait Dieu , afin de l'apaiser: c'est pour cela que ses lèvres, disait-il, étaient impures, parce qu'il n'avait pas parlé avec franchise. Mais je ne saurais me ranger à cet avis ; Paul est plus digne de foi , lui qui appelle Isaïe homme sans crainte : " Isaïe ne craint pas de dire. " (Rom. X, 20.) C'est peur cela qu'il ne termina pas sa vie par une mort naturelle, mais les Juifs lui infligèrent le dernier châtiment, parce qu'ils ne pouffaient supporter son tannage énergique. D'ailleurs l'Ecriture ne dit nulle part qu'il fût présent quand Ozias montra son audace, ni que le voyant il se soit tu : ceux qui l'affirment ne font qu'une conjecture sans fondement. Que dirons-nous donc ? Que le ministère de Moïse et celui – ci ne se ressemblent pas. L'un est envoyé clans un pays étranger et barbare , à un roi furieux et insensé , l'autre est envoyé vers ses compatriotes, qui avaient souvent entendu les prophètes et reçu longtemps leurs instructions l'obéissance de l'un n'exigeait pas le même courage que celle de l'autre. Quelques-uns disent encore que ce fut une autre cause qui lui donna cette hardiesse. Comme il avait fait des aveux en son nom et au nom du peuple, et qu'un séraphin avait été envoyé vers lui pour purifier ses lèvres , il espérait que la même faveur serait accordée au peuple et qu'il serait député pour le lui annoncer: telle serait la raison pour laquelle il aurait montré tarit d'empressement. Si les saints aiment Dieu , ils sont aussi ceux qui aiment le plus les hommes. Aussi comme Isaïe espérait qu'il aurait à annoncer au peuple le pardon de ses péchés, il s'empressa de s'écrier: " Me voici : envoyez-moi. "

D'ailleurs il avait une âme hardie contre le danger, c'est ce que nous montre tout son ministère. Comme, après sa promesse, il n'osait plus refuser, il reçut son triste message. Mais voyez avec quelle sagesse Dieu le manie ! Il ne lui dit pas dès l'abord : Va et dis, mais il le tient un instant en suspens avant de lui révéler quel ordre il va lui donner, quelle mission il doit lui confier. Puis, quand il le voit disposé à obéir, il lui déclare les maux qui vont foudre sur les Juifs. Quels sont-ils? " Va et dis à ce peuple: Vous entendrez et vous ne comprendrez pas; vous regarderez et vous ne verrez pas. Car le coeur de ce peuple est endurci, ses oreilles sont bouchées, et ses yeux fermés, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leurs coeurs ne comprennent, qu'ils ne se convertissent (385) et que je ne les guérisse (9, 10)." Tout commentaire est inutile, puisque ce passage a eu des interprètes si éminents, je veux dire, Jean, le fils du tonnerre, et Paul,qui connaissait si bien l'Ancien et le Nouveau Testament. Celui-ci, s'adressant à Rome à des personnes qui l'avaient écouté, mais qui ne pouvant supporter sa doctrine s'étaient éloignées, leur disait : " Le Saint-Esprit a bien dit : Vous entendrez et ne comprendrez pas. " (Act. XXVIII, 23, 26.) Quant au fils du tonnerre, comme les Juifs- voyaient des miracles et ne croyaient pas, entendaient la doctrine et ne l'embrassaient pas, ils avaient vu Lazare ressuscité et ils voulaient, tuer le Christ qui l'avait rendu à la vie; Jésus avait chassé les démons et ils l'appelaient possédé du démon; il les avait offerts à son Père et ils l'appelaient séducteur; ils adoptaient à son sujet des opinions contraires à la vérité. Jean leur rappelait cette prophétie dans les termes suivants: " Le prophète Isaïe l'a bien dit: Vous entendrez et ne comprendrez pas; vous verrez et ne discernerez pas. " (Jean, XII, 38, 40.)

6. Comme en eux les yeux intérieurs de l'âme étaient aveuglés, il ne leur servait de rien d'avoir les yeux du corps ouverts, si leur jugement était corrompu. Voilà pourquoi ils entendaient sans comprendre et voyaient sans discerner; et le Prophète en indique la cause qui résidait non dans la corruption de leurs sens, ni dans la dépravation de leur nature, mais dans l'aveuglement de leur coeur. " Le coeur de ce peuple est endurci ; " or cet endurcissement est causé par les péchés et les passions. C'est de lui que saint Paul dit : " Je ne pouvais pas vous parler comme à des hommes spirituels; vous n'auriez pas pu supporter ce langage et vous ne le pouvez pas encore. " (I Cor. III, 1.) Et il en indique la cause en ces termes: " Puisqu'il y a entre vous des procès, de la jalousie, des rivalités, " n'êtes-vous pas des hommes charnels ? " (Ibid. 3.) Ceux-là aussi , aveuglés par la haine et l'envie, en proie à mille autres passion,-, avaient comme perdu l'œil de leur intelligence et ne pouvaient plus avoir des choses une vue claire: aussi leurs pensées, au sujet des choses qu'ils voyaient, s'éloignaient-elles de la vérité et se contredisaient-elles. Le prophète, qui connaissait parfaitement leur état, découvrit par avance la cause du mal. Mais voyez à qui sont confiées les deux prophéties! ce sont les séraphins qui manifestent celle qui regarde l'Eglise et les biens promis à la terre, en disant : " Saint, saint., saint est le Seigneur des armées, toute la terre est remplie de sa gloire ; " quant à celle qui regarde la captivité et les châtiments des Juifs; ils la laissent au Prophète et nous apprennent ainsi la supériorité de l'Eglise.

" Et je dis : Jusques à quand, Seigneur ? " Voyez-vous que nos conjectures étaient bien fondées, quand nous disions que le Prophète avait montré beaucoup d'empressement à obéir? Après avoir appris des choses fort contraires à celles qu'il attendait, je veux dire des fléaux, des désastres, il veut savoir jusqu'oit ira la punition; car il n'ose pas entreprendre de détourner d'eux toute la colère du Seigneur, parce que Dieu lui avait montré d'abord que leurs péchés ne méritaient pas de pardon. Leur crime, en effet, ce n'était ni le vol ni l'esprit de rapine, mais une désobéissance affectée, un esprit de contradiction qui s'opposait par système et de parti pris à ce que Dieu faisait. C'est ce que le Prophète indique en ces termes : " De peur que leurs yeux ne voient, que leur coeur ne comprenne, qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. " Comme s'ils craignaient, veut-il dire, d'apprendre ce qu'il faudrait savoir, ils ont mis tous leurs soins à aveugler leur intelligence. Comme le crime était grave et la punition inévitable, le Prophète désire apprendre ce qu'il en ignore encore; mais tout en voulant s'en instruire il supplie. Comme il n'osait pas faire voir manifestement qu'il suppliait, il imagine d'interroger sous prétexte d'apprendre : " Jusques à quand, Seigneur?" et il dit : "Jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui y demeure; et la terre sera déserte. Et ensuite Dieu bannira les hommes loin de leur pays, et ceux qui auront été laissés sur la terre se multiplieront: car il en demeurera un dixième. Et cette partie même sera frappée, et elle deviendra comme le fruit du térébinthe ou comme le gland sorti de son enveloppe, et la race qui en naîtra sera sainte (11-13). " Après cette prophétie, il revient de nouveau au récit, prédit la défaite des dix tribus, puis la patience dont Dieu, à cause de cette captivité, usera envers les deux tribus; puis comment ces dernières seront emmenées , à leur tour parce qu'elles n'auront (386) retiré de la patience céleste aucun profit, comment enfin leurs débris refleuriront. Lorsqu'il dit en effet " jusqu'à ce que leurs villes soient désertes et privées d'habitants, " il annonce la ruine des dix tribus. En effet tous, tous, je le répète, avaient disparu, et violemment enlevés, tous avaient été emmenés dans un pays étranger, de sorte que toutes les villes étaient désertes et que personne n'était plus là pour faire produire à la terre les fruits nécessaires à ceux qui étaient restés. En disant donc "jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui les habite, " il annonce la captivité. Et lorsqu'il dit: " Ensuite Dieu bannira tes hommes loin de leur pays," il annonce ou un bonheur complet pour tous, ou la prospérité des deux tribus après le départ des dix autres. Et en effet, après avoir été délivrés de Sennachérib et de l'armée des barbares, après avoir obtenu cette victoire inespérée, ils virent leur nombre s'accroître prodigieusement, et leur vie se prolonger, parce qu'aucune guerre ne les troublait plus. Puis en disant " il s'éloigna, " il veut parler des hommes ou des armées. Et pour vous faire voir qu'il parle des deux tribus, il ajoute, " il en demeurera un dixième," appelant dixième ce qui dépasse dix, ce qui est au-dessus de dix, c'est-à-dire les deux tribus. C'est ainsi que Paul dit " plus de cinq cents frères (I Cor. XV,10), " c'est-à-dire un nombre plus grand que cinq cents. " Et cette partie même sera frappée, et a elle deviendra comme le térébinthe, " c’est-à-dire les deux tribus. " Ou comme le gland sorti de son enveloppe. " De même que ce fruit, une fois sorti de son enveloppe, est désagréable à voir, de même ils seront un objet de raillerie et de moquerie, lorsqu'ils seront bannis de leur ville et privés de leur gloire. " Et la race qui en naîtra sera sainte. " Ces maux, veut-il dire, ne seront ni sans guérison ni sans terme; leur race sera sainte et elle demeurera, c'est-à-dire elle sera ferme, fixe, immobile, et elle pourra attendre que la face des événements change. Il est vrai qu'ils perdront leur prospérité ; mais ils n'auront pas à subir les maux extrêmes ; ils demeureront et resteront jusqu'à ce qu'ils reviennent à leur première manière de vivre et à leur première sainteté.

 

 

 

 

 

CHAPITRE SEPTIÈME. 1. " ET IL ARRIVA PENDANT LES JOURS D'ACHAZ, FILS DE JOATHAN, FILS D'OZIAS, ROI DE JUDA. "

ANALYSE.

1. Dieu se sert des prophéties déjà accomplies pour faire croire à celles qui ne recevront que dans un temps éloigné leur accomplissement. Quelquefois, comme dans le Nouveau Testament, il unit un miracle et une prophétie, afin que ceux qui voient le miracle ajoutent foi à la prophétie, et que ceux qui seront témoins de la réalisation de la prophétie croient aussi au miracle opéré en union avec la prophétie.

2 et 3. Prédiction de la ruine d'Ephraim et de la Syrie.

4-7. Promesse de l'Emmanuel : C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voici que la Vierge concevra dans son sein et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, etc. Commentaire très-intéressant de cet important passage.

8-9. Prédiction de l'invasion des Assyriens.

1. Je répéterai ici ce que j'ai déjà dit bien des fois, que le but des prophéties n'était pas seulement d'apprendre aux Juifs l'avenir, mais de faire en sorte que cette connaissance leur fût avantageuse, que la crainte causée par les menaces les rendît plus sages, que l'espoir des récompenses les rendît plus zélés pour la vertu et qu'ils connussent par là quelle est la puissance et quelle était la providence de Dieu sur eux. Telle est la raison de l'espèce de prologue qui ouvre cette prophétie ; c'était pour empêcher de croire que ces événements arrivaient (387) au hasard et sans règle, d'après le cours de la nature ou un certain ordre des choses, et apprendre aux Israélites qu'ils étaient dirigés d'en-haut et par la volonté de Dieu, ce qui devait singulièrement les aider à connaître Dieu. Mais comme, ce que du reste j'ai déjà dit plus haut, la prophétie n'avait pas sa preuve au moment même et que les paroles précédaient de beaucoup les événements, de sorte que, quand ils arrivaient, quelques-uns étaient déjà morts et ne pouvaient pas juger de la vérité de ce qu'ifs avaient entendu, voyez ce que Dieu fait et quel moyen il prend. Il joint prophétie à prophétie, les plus rapprochées aux plus éloignées, montrant ainsi par celles dont la génération actuelle verra la réalisation, la foi qu'il faut accorder à celles qui n'arriveront que beaucoup plus tard. Dans l'Evangile, c'est par un autre moyen qu'il arrive au même but; là il lie les miracles aux prophéties et confirme les unes par les autres. Voici ce que je veux dire: un lépreux s'approche de Jésus et il est purifié; puis le serviteur du centurion est délivré de sa maladie; c'étaient là de grands miracles ; mais sans s'arrêter aux miracles, il y joint une prophétie. Car lorsque le centurion eut montré cette foi si vive, si admirable, par laquelle il mérita que son serviteur fût guéri, le Christ ajouta: " Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les enfants du royaume en seront bannis. " (Matth. VIII, 11.) Par ces paroles, Jésus prophétise la vocation des Gentils et la réprobation des Juifs, événements qui maintenant sont des réalités et sont aux veux de tous plus clairs que le soleil; mais alors ils étaient obscurs et les incrédules refusaient de les admettre ; aussi le Christ, par le miracle qu'il fit alors, amena ses auditeurs à croire fermement ce qu'il annonçait pour un temps plus éloigné, de même qu'en voyant aujourd'hui l'accomplissement de la prophétie, nous en croyons plus fermement le miracle qui eut lieu alors. Que pourrait répondre l'incrédule? Que le lépreux n'a pas été purifié ? Qu'il voie la vérité de la prophétie et que celle-ci le fasse croire au miracle. Qu'auraient pu répondre les Juifs contemporains ? Que ce qu'il annonçait n'était pas vrai? Mais ils n'avaient qu'à voir le lépreux purifié, et apprendre, d'après ce qui s'était opéré sur lui, à ne pas refuser de croire ce qu'ils ne voyaient pas; pour les assurer de la prophétie ils avaient le miracle, comme ceux d'aujourd'hui ont la prophétie pour les assurer du miracle. Voyez-vous comme une chose confirme l'autre?

La même conduite se voit dans l'Ancien Testament. Quand Jéroboam se laissa aller à ces excès de folie et qu'il eut élevé ces veaux d'or, un prophète vint pour lui annoncer l'avenir et en arrivant il fit un miracle, pour que personne ne refusât de croire à des choses qui ne devaient arriver qu'au bout de trois cents ans; il brisa l'autel, jeta la graisse des sacrifices et paralysa la main du roi, donnant ainsi, par les prodiges de ce moment, une preuve évidente de la réalité des choses qui devaient arriver longtemps après. Telle a été souvent la conduite (le Dieu dans l'Ancien et le Nouveau Testament, de Dieu qui, par ces moyens divers, pourvoyait à notre salut. C'est ce qui arrive ici et même d'une manière plus extraordinaire; au lieu d'un miracle seulement, il fit et une prophétie et un miracle. Mais pour mieux interpréter ce récit, parcourons-le avec attention. " Il arriva au temps d'Achaz, fils de Joathan, fils d'Ozias, roi de Juda; il arriva, dis-je, que Basin, roi de Syrie, et Phacée, fils de Romélie, roi d'Israël, se portèrent sur Jérusalem pour l'attaquer et ils ne purent la prendre, et l'on vint dire à la maison de David qu'Aram s'était ligué avec Ephraïm (1, 2). " C'est un récit que ces paroles, une exposition de faits; mais pour celui qui a de l'intelligence, de la pénétration, il y a là beaucoup à recueillir; il verra la sagesse de Dieu et sa providence sur les Juifs. Il ne réprima pas cette guerre dès son origine, et il ne permit pas aux ennemis de s'emparer de la ville ; mais, tout en faisant des menaces, il en empêcha l'effet, car il voulait seulement réveiller les Juifs, les faire sortir de leur torpeur et montrer sa puissance, puisque, même quand le danger est devenu imminent, il peut en délivrer aussi facilement que si ce même danger était encore à naître, chose que vous pouvez remarquer en bien des circonstances , par exemple, dans la fournaise de Babylone, dans la fosse aux lions et en raille autres occasions. Ces rois vinrent, ils assiégèrent la ville, mais tous leurs efforts n'aboutirent qu'à attaquer des murailles et à effrayer les assiégés.

2. Et ceci nous fait voir que le crime des dix tribus ne fut pas seulement d'avoir allumé une guerre civile et d'avoir pris les armes (389) contre leurs frères, mais encore de s'être liées avec ales peuples issus d'une autre famille, d'une autre race, d'avoir pris pour alliées des nations avec lesquelles toute communication leur était interdite, d'avoir placé leur camp à côté d'elles et d'avoir avec elles assiégé la ville. Car ils firent marcher Basin , un étranger, contre, leur métropole. Et les forces des combattants étaient inégales. Chez les uns, une multitude innombrable, des villes, des nations, des peuples; chez les autres, rien de tout cela, mais une seule ville, la capitale, afin que la force de Dieu parût avec plus d'éclat. Personne, en effet, ne leva les armes contre ces ennemis, personne ne les attaqua, personne ne les inquiéta, et pourtant leurs efforts pervers n'aboutirent à rien. " Car, dit le Prophète, ils ne purent la prendre. " Et qu'est-ce donc qui les en empêchait? Rien que la main de Dieu, qui les repoussait invisiblement. Toutefois, comme je l'ai dit, il fit disparaître le mal sans faire disparaître aussitôt la crainte. " Et l'on vint dire à la maison de David, qu'Aram s'était ligué avec Ephraïm. Et le cœur du roi et le cœur de son peuple furent saisis. " Quand Dieu se prépare à faire quelque chose d'étonnant, il n'opère pas aussitôt le prodige, mais il laisse d'abord sentir à ceux qui doivent en recueillir le fruit, combien leurs maux sont graves, afin qu'après leur délivrance, ils se gardent bien de montrer la moindre ingratitude. Comme, en effet, la plupart des hommes, soit par orgueil, soit par négligence, oublient leurs maux quand ils en sont délivrés, ou, s'ils ne les oublient pas, s'attribuent à eux-mêmes toute la gloire, Dieu les laisse d'abord sentir leurs maux et les délivre ensuite de leurs ennemis, ce qu'il fit particulièrement en cette circonstance. Il laissa la crainte s'emparer des coeurs, il les livre en proie à un grand abattement, et ensuite il envoie la délivrance. C'est ce qui est arrivé au grand David. Le Seigneur devait le conduire au combat et élever par ses mains un brillant trophée; mais il ne le fit pas dès le commencement de la guerre; il laissa d'abord les Israélites en proie à la crainte pendant quarante jours, et lorsqu'ils regardèrent leur salut comme désespéré, que le barbare Goliath leur lançait mille injures sans que personne osât se lever et marcher contre lui; alors, dis-je, alors qu'ils avouaient eux-mêmes leur défaite et que leur impuissance était devenue évidente, il envoya à la guerre ce tout jeune homme et lui fit remporter cette étonnante victoire. Et si après tout cela, après une telle preuve d'impuissance, Saül, quand il fut délivré, se laissa aller à la haine et à la jalousie, et dressa des embûches à David ; s'il se laissa vaincre par sa passion et se montra ingrat. envers son bienfaiteur, que n'aurait-il pas fait si lui, si son armée n'avaient pas avoué si hautement leur lâcheté ?

Vous verrez Dieu agir ainsi en beaucoup d'autres circonstances, et surtout en celle-ci. Il se proposait de délivrer les Israélites de cette guerre et d'éloigner d'eux tout danger; mais il les laisse d'abord sentir leurs maux. " Le coeur du roi et le cœur de son peuple furent saisis et tremblèrent, comme tremblent les arbres des forêts agités par le vent. " C'est le propre de la prophétie de révéler les choses cachées. Elle nous montre la disposition d'esprit de chacun et, pour plus de clarté, elle ajoute une image pour faire voir combien cette crainte était extrême. Leur coeur, dit-elle, était agité ; ils étaient dans une entière prostration, ils désespéraient de leur salut, ils pensaient être dans un danger extrême, ils n'attendaient plus rien de bon, tous étaient trahis par leurs propres pensées. Que fait Dieu? Il prédit leur délivrance, et aussitôt il l'opère, afin qu'ils ne puissent attribuer à aucun autre la levée du siège, et il envoie son prophète pour annoncer l'avenir. " Le Seigneur dit à Isaïe: Va au-devant d'Achaz, toi et Jasub ton fils qui t'est resté, à la piscine qui se trouve au haut du champ du Foulon, et tu lui diras : Ne sois ni dans l'agitation ni dans la terreur, et que ton âme ne tombe pas dans l'abattement et n'aie aucune crainte de ces deux bouts de tisons fumants; car lorsque ma colère sera montée, je vous sauverai encore (3, 4). " Qu'est-ce à dire : " Va au-devant? ". Le roi, agité pair la crainte et la frayeur, n'était pas tranquille, il ne pouvait rester dans son palais; mais, chose que les assiégés font ordinairement, il sortait continuellement pour visiter les remparts, les portes, courant de tous côtés, sens cesse dans l'agitation pour savoir où en étaient les ennemis; c'est pourquoi il lui dit : "Va au-devant. " Qu'est-ce à dire: " Toi et Jasub ton fils qui t'est resté?" Jasub, en langue hébraïque, veut dire conversation et manière de vivre. C'est ainsi que Jessé en envoyant David lui dit : " Tu connaîtras leur état, " c'est-à-dire tu (389) m'annonceras comment ils se portent et ce qu'ils font.

3. Et ici encore, me semble-t-il, le Prophète reçoit l'ordre de prendre un grand nombre de témoins, afin qu'après l'événement le roi ne puisse pas se montrer ingrat, comme si le prophète ne lui avait rien annoncé. Voici donc ce qu'il veut dire : Va au-devant, toi et ceux qui sont avec toi, ceux du peuple qui sont restés. Ne vous étonnez pas s'il appelle le peuple son fils; car il a dit auparavant: " Me voici, " moi et les enfants que Dieu m'a donnés " (Isaïe, VIII, 18.) Et certes les saints se montraient vraiment pères et surpassaient, par leur charité et leur amour pour ce peuple, tous ceux à qui la nature fait donner le nom de père. Il dit : " qui sont restés, " parce que la guerre en avait enlevé beaucoup, " sur le chemin du champ du Foulon. " Ceci rie paraît bien difficile à expliquer, que des assiégés enfermés dans leur ville et n'osant même regarder au delà des murs, se soient montrés hors des portes, car aujourd'hui ce chemin est situé hors des portes. Quelle est donc la solution de cette difficulté ? C'est qu'autrefois la ville avait un second mur; elle avait deux enceintes de fortifications, et vous le verrez facilement par les paroles d'un autre prophète, si vous voulez y faire attention. Ce prophète sort donc pour relever ces courages abattus et il tâche de leur rendre bon espoir pour l'avenir. Sois tranquille, dit le Seigneur, et ne crains pas; il appelle tisons ces deux rois; et ainsi il marque d'un seul trait et leur force et leur faiblesse. Car il ajoute " fumants, " c'est-à-dire près de s'éteindre. Ensuite, pour montrer que ce n'était pas par leur puissance, mais par la permission de Dieu qu'ils étaient venus attaquer la ville, il dit: " Lorsque ma colère sera montée, je vous sauverai encore. Le fils d'Aram et le fils de Romélie, unis dans un dessein funeste ainsi qu'Ephraïm ont dit contre toi : " Nous monterons vers la Judée et nous la ravagerons; agissant d'un commun accord, nous la ferons tomber dans nos piéges et nous y établirons pour roi le fils de Tabéel. Voici ce que dit le Seigneur des armées : Ces pensées ne subsisteront pas et n'auront pas d'effet. Damas demeurera la capitale de la Syrie et Basin régnera dans Damas, et dans soixante-cinq ans, Ephraïm cessera d'être au rang des peuples. Samarie sera la capitale d'Ephraïm, et le fils de Romélie règnera dans Samarie. Et si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (5, 9). "

Ici encore, le Prophète donne de sa prophétie une excellente confirmation. Après qu'il a excité la crainte, mis sous les yeux des maux imminents, fait espérer des biens encore fort éloignés et surpassant toute attente, comme les auditeurs n'étaient pas très-fermes dans leur foi, voici le moyen qu'il emploie : Il donne, de la réalité des événements futurs, la preuve la plus frappante, en faisant connaître les desseins mêmes des ennemis. Il fait connaître la pensée qu'ils avaient en marchant sur la ville, ce qu'ils se disaient les uns aux autres, le pacte qu'ils avaient fait avant de partir et il montre ou que c'était une trahison (agissant d'un commun accord, nous la ferons tomber dans nos piéges), ou qu'un orgueil insensé s'était emparé d'eux, puisqu'ils croyaient n'avoir besoin ni d'armes, ni de lutte, ni de combat pour prendre la ville. Il nous suffit de nous montrer, de parler; nous les prendrons tous et nous nous en irons. Puis, comme il arrive souvent aux fanfarons, enflés d'orgueil par cette espérance même, ils pensent à un roi, comme si déjà la ville était prise, et ils cherchent quel maître il faudra donner à cette capitale. Voilà, dit-il, ce qu'ils font; mais Dieu va confondre ces projets. C'est pourquoi il dit: " Voici ce que dit le Seigneur, " et sans s'arrêter là, il ajoute : " des armées. " Lorsqu'en effet il veut annoncer quelque chose de grand, il rappelle la puissance de Dieu, sa domination sur toutes choses, cette force étonnante et admirable. Que dit Dieu ? " Ces pensées ne subsisteront pas et n'auront pas d'effet : Damas demeurera capitale de la Syrie. " Sa puissance, veut-il dire, son autorité se bornera à Damas et n'ira pas plus loin. " Et Basin régnera dans " Damas, " et Basin continuera d'être le roi de Damas, c'est-à-dire il restera dans ses possessions actuelles, sans acquérir une puissance plus grande. " Et dans soixante ans Ephraïm cessera d'être au rang des peuples. "

4. C'est une bien grande preuve de la vérité que de voir les prophètes assigner d'avance l'époque précise, et donner ainsi à ceux qui le désirent le moyen de s'assurer de la valeur de la prophétie. Pour aujourd'hui, dit-il, ils ne feront que se retirer de devant la ville; mais dans soixante-cinq ans le royaume d'Israël périra; les ennemis les prendront et les emmèneront tous. Mais jusqu'à cette ruine ils ne (390) posséderont rien de plus que ce qu'ils ont actuellement. Ces paroles sont dites pour rassurer entièrement Achaz. En effet si le Prophète se fût contenté de dire : dans soixante-cinq ans vos ennemis périront, le roi peut-être se serait dit en lui-même : Mais quoi ! s'ils ne doivent périr qu'après nous avoir vaincus, quel avantage nous en reviendra-t-il ? Sois tranquille , dit Isaïe , même pour le moment présent; plus tard ils périront entièrement, et pour le moment actuel ils ne pourront s'agrandir. Mais Samarie sera la capitale d'Ephraïm, c'est-à-dire des dix tribus (là était leur gouvernement), et ils ne s'étendront point au delà ; et le roi d'Israël régnera dans Samarie : il répète ici ce qu'il a dit de Damas, pour montrer qu'ils ne posséderont rien de plus que ce qu'ils ont actuellement. Puis , comme les choses qu'il venait d'annoncer surpassaient toute intelligence humaine et toute espèce de raisonnement, il a raison d'ajouter. " Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. " Ne cherche pas, veut-il dire, comment ni de quelle manière ces choses arriveront ; car c'est Dieu qui les fera, il ne faut que croire et penser à la puissance de celui qui agira : voilà toute la preuve de ce que j'ai annoncé. C'est aussi pour cela que le prophète David dit : "J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. " (Ps. CXV, 10.) Et Paul s'emparant, non sans raison , de cette parole , lui donne encore une plus grande signification, en disant : " Ayant le même esprit de foi , comme il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, et nous aussi nous croyons et c'est " aussi pourquoi nous parlons. " (II Cor. IV, 13.) En effet, si la foi était nécessaire pour ces choses anciennes, aussi éloignées de celles du Nouveau Testament que la terre est éloignée du ciel, combien plus n'est-elle pas nécessaire pour ces vérités si élevées et qu'aucune intelligence n'a jamais comprises. C'est ce qu'indique l'Apôtre dans ce qui suit: " Ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui n'est point monté dans le coeur de l’homme, voilà ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. " (I Cor. II, 9.)

" Et le Seigneur parla encore à Achaz et il dit : Demandez au Seigneur votre Dieu qu'il vous fasse voir un prodige ou au fond de la terre ou au plus haut des cieux. Et Achaz dit: Je n'en demanderai point et je ne tenterai point le Seigneur. Et Isaïe dit : Ecoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, sans lasser celle de Dieu. Aussi le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe. Voilà que la Vierge concevra et elle enfantera un fils qu'on appellera Emmanuel " (10 - 14.) Grande est la condescendance de Dieu et grande aussi l'ingratitude du roi. Celui-ci devait, en entendant le Prophète, ne plus douter de ses paroles; que s'il conservait du doute, il aurait dû, à la vue d'un miracle , le chasser comme firent beaucoup de Juifs. Car Dieu, dans son amour pour les hommes, n'a pas refusé des prodiges à ces hommes grossiers, rampants et attachés à la terre; c'est ce qui arriva, par exemple, à Gédéon (1). Comme Achaz était très-grossier, très-incrédule, voyez combien Dieu montre de condescendance. Lui- même l'attire et l'excite à lui demander un miracle ; certes ce n'était pas déjà un petit prodige que d'avoir révélé ses secrets, d'avoir dévoilé toutes ses pensées, d'avoir manifesté toute son hypocrisie. Quand le Prophète lui eut dit : Demande un miracle, cet impie fit le croyant et dit: Je n'en demanderai pas et je ne tenterai pas le Seigneur; voyez avec quelle véhémence le Prophète le reprend ; et c'est à bon droit qu'après avoir montré son hypocrisie, il l'accuse avec plus de sévérité. C'est pourquoi il ne le juge même pas digne d'une réponse et s'adressant au peuple il dit : " Ecoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, sans lasser celle de Dieu ? " Et comment lassez-vous celle de Dieu ? Cela est obscur; aussi faisons tous nos efforts pour éclaircir ce mot. Voici donc ce qu'il veut dire: sont-ce mes paroles? Sont-ce mes pensées? Si c'est une faute digne de blâme que de refuser sans aucun motif, sans aucune raison, de croire les hommes, combien plus de croire Dieu ! Lasser la patience, ce n'est donc pas autre chose qu'être incrédule. Est-ce là, dit-il, un faible crime ? Est-ce une légère faute que de refuser de croire les hommes ? Mais si cela est grave, combien plus de refuser de croire Dieu !

5. Le Prophète a parlé ainsi pour apprendre à tous qu'il n'avait pas été trompé, et qu'il jugeait non d'après les paroles qu'il avait entendues, mais d'après les pensées d'Achaz. C'est ce que le Christ a fait bien souvent aussi dans l'Evangile. Avant de se manifester par des miracles, il reproche aux Juifs leur méchanceté

1. Il manque ici quelque chose très-probablement.

391

bien qu'ils ne l'eussent pas encore montrée au dehors: c'est ce qui arriva par exemple lors de la guérison du paralytique. En effet, après lui avoir dit: " Mon fils, aie confiance; tes péchés te sont remis, " comme ils disaient en eux-mêmes: " Celui-ci blasphème ", le Christ, avant de raffermir le paralytique, leur adresse ces paroles : " Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? " (Matth. IX, 2, 3, 4.) Il leur donne ainsi de sa divinité la preuve la plus grande en leur montrant qu'il connaît les pensées secrètes. " Car il est écrit, seul vous connaissez les cours. " (III Rois, VIII, 39.) Et David dit encore: " Dieu qui scrute les coeurs et les reins. " (Ps. VII, 10.) Dieu donna souvent cette connaissance aux prophètes pour montrer que leurs paroles n'avaient rien d'humain, mais qu'elles leur venaient d'en-haut, du ciel. C'est pourquoi cet Isaïe à la grande voix, après avoir montré tant de douceur en parlant au roi, l'avoir retiré du danger, l'avoir rassuré pour le présent, et lui avoir donné pour gage de la vérité de sa prophétie la révélation des desseins formés par l'ennemi , la découverte d'une trahison, l'annonce d'une ruine entière et absolue pour Israël , la détermination précise de l'époque, Isaïe, dis-je, sans se contenter de cela, va plus loin encore, il n'attend pas que le roi lui demande un miracle, il l'y exhorte malgré son excessive incrédulité; bien plus, il le laisse maître du choix: il ne lui dit pas " tel ou tel miracle, " mais bien " celui que tu veux. " Le Maître est riche, son pouvoir infini, sa force indicible. Le veux-tu dans le ciel, rien ne s'y oppose ; sur la terre , aucun obstacle. C'est ce que signifient ces mots " ou au fond de la terre ou au plus haut des cieux. " Comme cela même ne le décidait pas, le Prophète, loin de se taire, ajoute un blâme sévère, et cela, pour convertir le roi, pour lui montrer qu'il n'avait pas réussi à tromper, à donner le change sur ses sentiments , et il annonce un événement ineffable, il prophétise le salut de la terre et la rénovation de toutes choses, et il dit que ce signe ne sera pas pour le seul Achaz, mais pour tout le peuple.

Au commencement il adressait la parole au roi; mais quand il eut dévoilé son indignité, il parla à tout le peuple: " Aussi, dit-il, il donnera un signe, non pas à loi, mais à vous. " A vous, à qui donc? A vous qui êtes dans la maison de David. C'est de là comme d'une tige que sortira ce signe. Et quel signe? " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. " Il faut observer, comme je l'ai dit plus haut, que ce n'est plus à Achaz qu'est donné ce signe. Ce n'est pas là une conjecture : car voyez les accusations et les blâmes du Prophète: " Est-ce peu pour vous que de lasser la patience des hommes?" et il ajoute : " C'est pourquoi le Seigneur vous donnera un signe. Voici que la vierge concevra. " Si elle n'eût pas été vierge, ce n'eût pas été un signe. Car un signe doit sortir de l'ordre habituel des choses, du cours ordinaire de la nature, avoir quelque chose d'insolite, d'étrange même, pour être remarqué par chacun de ceux qui le voient et l'entendent. C'est pour cela qu'on l'appelle signe, parce qu'il signifie. Or il ne signifierait pas, s'il restait caché dans l'ordre habituel des choses. Aussi si le Prophète avait parlé d'une femme enfantant selon le cours ordinaire de la nature , pourquoi appeler " signe " une chose qui arrive tous les jours ? Aussi il ne dit pas au commencement, voici qu'une vierge, mais " voici que la vierge ", voulant marquer par l'addition de l'article que cette vierge était remarquable et seule entre toutes. Que cette addition ait bien la signification indiquée, nous pouvons le voir dans l'Evangile. Lorsqu'en effet les Juifs envoyèrent demander à Jean : " Qui es-tu ? " ils ne lui dirent pas: " Es-tu Christ, " mais bien: " Es-tu le Christ? " Ils ne dirent pas: " Tu es prophète, " mais: " Es-tu le Prophète ! " (Jean, I, 19-25.) C'est-à-dire le Christ, le Prophète par excellence. Saint Jean ne dit pas en commençant sors Evangile: "Au commencement était un Verbe," mais: " Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu. " (Jean, I, 1.) De même ici, Isaïe ne dit pas: Voici qu'une vierge, mais " Voici que la vierge, " et il met en tête, comme il était digne d'un prophète de le faire, " Voici que. " Ces événements en effet, il les voyait presque, il se les représentait par l'imagination, ils étaient pour lui évidents. tes prophètes voyaient les événements futurs plus clairement que nous ne voyons ce qui se passe sous nos yeux. Nos sens peuvent se tromper; la grâce de l'Esprit-Saint les éloignait de toute erreur.

6. Et pourquoi ne pas ajouter que cette conception aurait lieu par la vertu de l'Esprit-Saint? C'était une prophétie et il fallait parler d'une manière obscure, comme je l'ai dit souvent, à cause de la grossièreté des auditeurs, de peur qu'une connaissance exacte des (392) choses ne les portât à brûler les Livres saints. S'ils n'ont pas épargné les prophètes, à plus forte raison n'eussent-ils pas épargné leurs livres. Ceci n'est pas une simple conjecture car un autre roi, du temps de Jérémie, déchire la Bible et la livre aux flammes (Jérémie, XXXVI, 23.) Voyez-vous cette folie intolérable, cette colère insensée? Il ne lui suffit pas de faire disparaître le livre, il le brûle pour satisfaire une passion délirante. Toutefois cet admirable prophète , même en restant obscur, a su tout indiquer. Une vierge , tout en restant vierge , comment peut-elle concevoir si ce n'est par la vertu de l'Esprit-Saint? Car enfreindre les lois de la nature ne saurait appartenir qu'à celui qui les a faites. Ainsi, en disant que la vierge enfantera, le Prophète a tout dévoilé. Après cet enfantement, il prédit le nom de l'enfant , non celui qui lui fut donné , mais celui qui lui convenait. De même qu'il appelle Jérusalem ville de la justice, non pas qu'elle ait jamais porté ce nom, mais parce que toutes les choses le lui donnaient, parce qu'elle devait se changer et devenir meilleure et accomplir toute justice, de même encore qu'il l'appelle prostituée, non qu'elle ait été ainsi désignée, mais parce que sa perversité lui méritait ce nom , comme sa vertu celui de ville de justice, de même, pour le Christ, il lui donne le nom que la nature des choses indiquait. Car c'est alors que Dieu fut avec nous, lorsqu'il parut sur la terre, conversant avec les hommes, et leur montrant la plus grande affection. Ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange qui se fait notre compagnon, mais c'est le Maître lui-même qui descend et vient tout redresser, qui parle aux courtisanes, qui mange avec les publicains, qui entre dans les maisons des pécheurs, qui permet tus larrons de lui parler avec confiance, qui attire à lui les mages, qui va partout et réforme tout, et s'unit notre nature. Or le Prophète annonce tout et cet enfantement et les biens ineffables, immenses, qui en découlent. En effet, lorsque Dieu est avec les hommes, il n'y a plus à craindre, à trembler, mais tout nous devient rassurant: c'est ce qui nous est arrivé. Ces maux anciens et inguérissables nous ont été enlevés, cette sentence portée contre tout le genre humain a été effacée, le péché a perdu toute force et le démon toute tyrannie; le paradis fermé à tous s'est ouvert pour la première fois à un meurtrier et à un brigand, les voûtes des cieux nous ont livré passage, l'homme s'est mêle; aux choeurs des anges, notre nature à été conduite jusqu'au trône du roi; la prison de l'enfer est devenue inutile; de la mort il n'est plus resté que le nom, la chose a disparu; les chœurs des martyrs, des femmes ont brisé l'aiguillon de l'enfer.

C'est dans la prévision de ces événements que le Prophète tressaillait de joie et d'allégresse, et d'une parole il nous indique tout, en nous annonçant l'Emmanuel. " Il mangera le beurre et le miel ; avant de connaître ou de choisir le mal, il choisira le bien. Car avant de distinguer le bien et le mal, l'enfant s'éloignera du mal, pour rechercher le bien (15, 16). " Comme cet enfant ne devait pas être simplement un homme, ni seulement un Dieu, mais un Dieu dans un homme, c'est avec raison que le Prophète présente la chose sous plusieurs faces, tantôt sous celle-ci, tantôt sous celle-là, et parle de choses étranges, de peur que la grandeur du miracle n'empêche d'y croire. Après avoir dit que la Vierge enfantera, ce qui déjà est au-dessus de la nature, que cet enfant sera appelé Emmanuel, ce qui est au-dessus de toute attente, il veut empêcher qu'en entendant ce mot Emmanuel, on n'aille embrasser sur l'Incarnation les erreurs de Marcion et de Valentin, et il donne de l'Incarnation la meilleure preuve, il la tire du besoin de nourriture auquel sera assujetti le Dieu homme. Que dit-il en effet? " Il mangera le beurre et le miel. " Cela ne convient pas à la divinité, mais bien à notre nature. C'est encore pour la même raison que le Verbe ne forma pas immédiatement un homme pour habiter en lui, mais qu'il se renferma dans le sein d'une femme, et cela pendant neuf mois, qu'il naquit, fut enveloppé de langes , fut nourri comme on l'est dans le premier âge, pour fermer la bouche à ceux qui essayeraient de nier l’Incarnation. Eclairé par la grâce divine, le Prophète voyait tout cela ; mais au lieu de parler seulement de cette naissance et de cet enfantement miraculeux, il parle de la nourriture que prendra l'homme-Dieu dans son premier âge, encore revêtu de ses langes, nourriture semblable à celle des autres hommes, et qui n'aura rien d'extraordinaire. En lui tout n'était pas différent de nous, mais tout n'y était pas semblable. Naître d'une femme, c'est notre condition; d'une vierge, c'est au-dessus de notre nature. Prendre de la nourriture (393) selon les lois ordinaires de la nature et la même nourriture que les autres hommes, c'est notre condition ; mais être étranger à tout vice, n'avoir jamais donné la moindre marque de perversité, voilà qui est extraordinaire, étonnant et qui ne convient qu'à lui. C'est pourquoi le Prophète mentionne l'une et l'autre chose. Ce n'est pas, dit-il, après avoir goûté le mal qu'il s'en éloigne, mais dès l'origine et parla vertu d'en-haut il a pratiqué toute vertu. C’est ce que le Christ a dit lui-même : " Qui de vous me convaincra de péché ? " et encore : " Le prince de ce monde vient et il n'a rien en moi. " (Jean, VIII, 46 et XIV, 30.)

7. Le Prophète même que nous expliquons n'a-t-il pas dit . " Il n'a point commis l’iniquité et le mensonge ne s'est point trouvé dans sa bouche? " (Isaïe, LIX, 9.) C'est aussi ce qu'il dit dans le passage actuel qu'avant même de connaître ou de choisir le mal, lorsqu'il sera encore dans cet âge de l'innocence, au commencement de sa vie, il embrassera la vertu et n'aura rien de commun avec le vice. " Car, avant de distinguer le bien et le mal, l'enfant s'éloignera du mal pour rechercher le bien. " Il répète dans les mêmes termes la même pensée et insiste sur la même idée. Comme ses paroles annonçaient une chose sublime, il s'efforce, en la répétant, de la faire croire. Ce qu'il a dit plus haut : avant de connaître ou de choisir le mal, c'est ce qu'il redit en ces termes : " L'enfant, avant de distinguer. " Et il insiste encore en disant : " Le bien et le mal, s'éloignera du mal pour rechercher le bien. " Ce fut là le caractère distinctif de l'enfant-Dieu. C'est celui que saint Paul fait continuellement remarquer, et saint Jean, en voyant le Christ, élève la voix pour crier : " Voici l'Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde. " (Jean, I, 29.) Mais celui qui enlève le péché des autres est à plus forte raison sans péché lui-même. C'est aussi ce caractère sur lequel, comme je l'ai dit plus haut, saint Paul insiste continuellement. Comme le Christ devait mourir, l'Apôtre, de peur qu'on ne crût que cette mort était la punition de son péché, rappelle sans cesse son innocence, pour montrer que sa mort était la rançon de notre péché. Aussi il dit : " Le Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus : car s'il est mort, c'est pour le a péché qu'il est mort. " (Rom. VI, 9, 10.) Et cette mort, veut-il dire, il ne l'a pas endurée comme y étant soumis et à cause de son péché, mais à cause des péchés de tous. Si donc il n'était pas soumis à la première, il est plus que démontré qu'il ne mourra plus.

" Le pays pour lequel tu trembles devant ces deux rois sera abandonné. " Ce que le Prophète fait en toute circonstance, il le fait ici encore. Après avoir annoncé les événements futurs, il revient aux présents. J'ai longuement montré qu'il en avait agi, à propos des séraphins, comme il agit ici. Il prophétise d'abord les biens que la terre entière devait recevoir, et ensuite il s'adresse au roi. C'est pourquoi il dit : " Le pays sera abandonné. " Qu'est-ce à dire, " abandonné? " Il ne sera pas attaqué, il sera libre, il n'aura rien à craindre, rien à souffrir des maux de la guerre. " Le pays pour lequel tu trembles, " pour lequel tu es dans la terreur et les angoisses " devant ces deux rois " de Syrie et d'Israël. Mais pour que l'annonce d'événements heureux n'amollisse pas le roi, et que la paix ne le rende pas indolent, le Prophète jette dans son âme une nouvelle inquiétude partes paroles : " Mais le Seigneur fera venir sur toi, sur ton peuple, sur la maison de ton père des jours tels qu'il n'y en a pas eu de semblables depuis qu'Ephraïm a fait venir de Juda le roi d'Assyrie (17). " Par là il indique cette invasion dans laquelle les barbares renversèrent la ville de fond en comble et enlevèrent tous les habitants captifs. Et il l'annonce, non pour qu'elle arrive, mais pour que la crainte les rendant meilleurs, ils éloignent ces maux de leur tête. Comme en effet rien n'avait pu les corriger, ni les biens qui leur avaient été départis sans aucun mérite de leur part (ce que montre la disposition d'esprit du roi et l'excès de son incrédulité), ni la menace de dangers effrayants, et qu'ils avaient résisté à ces deux remèdes salutaires, Isaïe annonce désormais un désastre plus profond, et cela pour retrancher toute corruption et guérir ces malades incurables. Que veulent dire ces mots, " depuis le jour où Ephraïm aura fait venir de Juda le roi d'Assyrie? " Les barbares vinrent dans le dessein d'enlever toute la nation; mais ils laissèrent Juda et ses deux tribus pour se jeter sur Israël. Voici donc ce que veut dire le Prophète : A partir du jour où les dix tribus attireront sur elles, par l'énormité de leurs fautes, l'armée des barbares qui sera venue d'abord contre vous, et où elles seront emmenées (394) captives, à partir de ce jour il vous faut craindre et trembler : car cette armée s'avancera et viendra contre vous, si vous ne changez. Et il dit : A partir de ce jour Dieu les amènera. Car ce ne fut pas en même temps que les Israélites que les deux tribus furent enlevées; mais l'intervalle ne fut pas long.

8. Voici donc ce qu'il dit : Ces jours étaient fixés; mais Dieu attendait, prenait patience bien que leurs fautes méritassent dès lors châtiment : souvent, quand le jour de la punition est fixé, Dieu attend, il temporise encore, preuve bien évidente de sa charité pour les hommes, signe bien manifeste contre ceux qui ne veulent pas profiter de sa longanimité. Déjà, dit le Prophète, la menace est faite, déjà la sentence est portée, déjà la colère de Dieu s'allume, il leur montre la vengeance, pour ainsi dire, à leurs portes, pour les exciter au repentir, les rendre meilleurs, leur imprimer une vive crainte par la ruine des autres, et pour empêcher qu'en se voyant épargnés par le châtiment qui en avait frappé d'autres ils ne devinssent encore plus négligents que par le passé.

" Et en ce jour-là, le Seigneur fera venir d'un coup de sifflet les mouches qui dominent sur l'extrémité du fleuve de l'Egypte (18). " Vous le voyez, j'avais raison en disant que c'est pour augmenter leur frayeur que Dieu leur fait dès ce jour ses menaces. Ce qui suit produit le même effet, il accroît par ses paroles leur terreur en leur montrant ces armées qu'ils redoutaient tant , cette invasion si facile (ce qui devait les épouvanter), le grand nombre de ces barbares, ce qui devait leur faire perdre toute assurance; toutes ces choses, il les indique dans ce qui va suivre. Voyez : " En ce jour-là le Seigneur fera venir d'un coup de sifflet les mouches. " Il appelle mouches les Egyptiens, à cause de leur impudeur et de leur effronterie, et aussi parce que repoussés continuellement ils revenaient continuellement à la charge, sans les laisser respirer, leur tendant mille piéges, les harcelant sans cesse dans l'infortune, comme les mouches s'attaquent aux blessures. Dieu, dit-il, les amènera. Mais au lieu de dire il les amènera, il dit : " Il les fera venir d'un coup de sifflet, " pour faire voir combien sera facile cette invasion, combien est invincible la puissance de Dieu, à qui il suffit de faire signe pour que tout le suive. Et c'est avec raison qu'il profite de cela pour les menacer des maux qu'ils ont éprouvés déjà. " Et l'abeille qui est au pays d'Assur. " Le syrien et l'hébreu lisent, diton, non pas les " abeilles, mais les guêpes. " Comme les Juifs ne connaissaient pas bien ces peuples, le Prophète leur imprime par cette figure une plus vive crainte, leur faisant voir par cet animal combien les ennemis seront terribles, effrayants, inévitables, combien leurs blessures seront profondes et leur présence soudaine.

" Ils viendront et se reposeront tous dans les gorges de ce pays, dans les creux des rochers, dans les cavernes, dans tous les trous, sur tous les arbres (19). " Après avoir annoncé combien la présence des ennemis sera effrayante et leur marche rapide, il dit quelle sera leur multitude. Il ne dit pas, ils camperont, mais " ils se reposeront, " non comme s'ils étaient venus dans un pays ennemi, mais comme s'ils habitaient leurs propres demeures, non comme s'il leur fallait travailler et combattre, mais comme s'ils couraient au-devant d'une victoire certaine et d'un butin assuré. C'est pour cela qu'il dit: " Ils viendront et se re" poseront, " ce qui ne convient qu'à des vainqueurs, à des hommes qui ont remporté une victoire, et qui reposent après des luttes et des fatigues nombreuses. Et ce ne sera pas dans les plaines seulement qu'ils se reposeront; mais comme cette multitude est innombrable et que le pays ne suffit pas à la contenir, abîmes, rochers, montagnes, forêts, tout, en un mot, est un asile pour ces barbares. Quand même les ennemis ne seraient pas si terribles ni les Juifs si faibles, il suffirait de ce grand nombre pour les effrayer; mais quand ces deux choses se trouvent réunies , la multitude et la puissance, quand (chose plus redoutable encore) c'est la colère de Dieu qui les conduit, quel espoir de salut peut-on conserver? Ces mots " dans tous les trous, sur tous les arbres" renferment une hyperbole : car ils n'allaient pas se reposer sur des arbres; mais, comme je l'ai indiqué plus haut, il y a tout à la fois hyperbole et continuation de la métaphore tirée des guêpes.

" En ce jour-là le Seigneur se servira comme d'un rasoir enivré (20). " Il vient d'imprimer une vive crainte de ces armées; il la renouvelle maintenant, en faisant agir le ciel même, en montrant que ce ne sont pas quelques barbares Egyptiens ou Perses , mais Dieu (395) lui-même qui combat contre les Juifs. Il appelle rasoir sa colère devant laquelle rien ne peut résister, que personne ne peut soutenir, qui s'avance et ruine tout sans éprouver la moindre difficulté. De même que les cheveux ne peuvent supporter le tranchant du rasoir, mais qu'ils cèdent et tombent aussitôt, de même les Juifs ne pourront nullement résister à la colère de Dieu.

9. Ce rasoir enivré désigne donc la colère d'un Dieu plein de fureur, prêt à se venger, une sentence qui va s'exécuter. " Au delà du fleuve du roi des Assyriens, " c'est-à-dire au delà de l'Euphrate, comme était la Judée et toute la Palestine par rapport à ceux qui viennent de la Perse. Tout cela, dit-il, sera détruit entièrement. Par ces mots tête, cheveux, barbe, pieds, il désigne tout le pays sous une métaphore empruntée du corps humain, et il embrasse dans ces paroles la contrée tout entière , comme il l'a fait au commencement lorsqu'il disait : " Toute tête est languissante et tout coeur abattu. Des pieds jusqu'à la tête, il n'y a rien d'intact en lui (Isaïe, I, 5, 6); " là il parlait non d'un homme, mais de tout le pays qu'il comparait à un seul corps. C'est encore ce qu'il veut dire ici, savoir que toute la terre aura à subir un châtiment exemplaire. Il emprunte d'un côté ses images à un rasoir, de l'autre côté au corps humain, pour montrer que l'arrêt porté par Dieu produira un effet plus terrible que le rasoir, qu'il fera disparaître les hommes et tout ce que porte la terre, pour la laisser déserte et inhabitée. Il se sert encore d'une autre image pour exprimer cette désolation. Il le fait pour que la crainte grandisse toujours et reste, et pour éviter que la terreur ne diminue par suite d'un si long discours. Il semble à quelques-uns que ces paroles renferment la promesse de certains biens; mais un examen plus profond fait voir qu'il n'y a que la description d'une désolation extrême. Que dit-il en effet? " En ce temps-là un homme nourrira une vache et deux brebis, et à cause de l'abondance de leur lait, il se nourrira de beurre; car tous ceux qui auront été laissés sur la terre mangeront le beurre et le miel (21, 22). "

Cela indique, comme je l'ai dit plus haut, une grande solitude. En effet, la terre qui produit du blé et de l'orge, étant dépourvue d'habitants fournira aux animaux une nourriture abondante et si abondante que deux brebis et une vache s'en nourrissant donneront à leur possesseur des fontaines de lait. Ainsi l'abondance de vivres pour les animaux est une marque évidente que les hommes auront disparu. Et voici ce qu'indique le miel; les abeilles aiment ordinairement à habiter dans les lieux déserts parce qu'elles y trouvent une nourriture abondante et que personne ne les trouble. Et pour mieux vous convaincre que le Prophète parle d'une solitude extrême, voyez la suite : " Et en ce temps, dans les lieux où l'on avait vendu mille pieds de vigne mille sicles, il ne croîtra que des ronces et des épines. On n'entrera qu'avec l'arc et les flèches , parce que les ronces et les épines couvriront toute la terre (23-24)." C'est la marque d'un grand malheur quand non-seulement les montagnes et les forêts, mais la terre arable elle-même et celle qui n'attend que la culture produit des ronces. Ce n'est pas sans raison qu'il a parlé du prix des vignes, c'est pour nous montrer la fertilité de la terre et les soins des cultivateurs. Eh bien ! dit-il , même ces lieux si fertiles, si dignes des soins des laboureurs seront tellement abandonnés qu'ils produiront au lieu de vignes des épines, et causeront à ceux qui les aborderont tant de terreur que nul n'osera y entrer sans défense et sans armes. Ces paroles marquent combien le lieu sera désert et comme les bêtes féroces y habiteront. Après avoir porté le trouble dans les âmes et jeté la crainte dans les coeurs, le Prophète s'adoucit un peu, pour annoncer aussi des événements heureux , la prospérité qui suivra, et faire comprendre par l'une comme par l'autre situation la puissance de Dieu. Mais il insiste suc les choses effrayantes et ne fait qu'effleurer les heureuses. Pourquoi cela ? Parce que c'était surtout par là réprimande que le peuple avait besoin d'être traité. à ce moment : aussi après avoir administré sans ménagement ce remède, voulant laisser respirer quelque peu les auditeurs et les exciter encore par là à la vertu, il annonce des événements heureux en disant: " Toute montagne sera cultivée par la charrue. " De même en effet que, pendant la colère de Dieu, même la terre arable a été abandonnée, de même quand il sera apaisé, la terre dure deviendra comme la terre meuble, et comme elle , sera labourée et ensemencée. Quand ces choses arriveront , leurs conséquences se produiront aussi, la paix, l'abondance, la confiance, la sécurité, en un mot, l'état d'autrefois, (396) " La crainte sera bannie. Cette terre infertile et couverte de ronces se changera en pâturages pour les brebis et sera foulée par les boeufs (25). " Par ces détails le Prophète indique encore l'abondance, comme il dira plus loin . " Heureux qui ensemence toutes les eaux et qui envoie le boeuf et l'âne dans ses pâturages. " (Is. XXXII, 20. ) En effet, de même que pour dépeindre la solitude, il parle de sirènes et d'onocentaures, de même, pour dépeindre la paix et la tranquillité, il ne parle que d'animaux domestiques et apprivoisés, propres au travail des champs; il les montre remplissant tous les lieux, pour faire entendre par là la culture et ses conséquences.

 

 

 

CHAPITRE HUITIÈME. 1." ET LE SEIGNEUR ME DIT : PRENDS UN LIVRE DE PAPIER NEUF, GRAND, ET ÉCRIS-Y EN CARACTÈRES CONNUS, QU'IL FAUT SE HATER DE PRENDRE LE BUTIN ET LES DÉPOUILLES. — 2. VOICI LE TEMPS : PRENDS-MOI POUR TÉMOINS DES HOMMES FIDÈLES, URIE LE PRÈTRE ET ZACHARIE, FILS DE BARACHIE. — 3. JE ME SUIS APPROCHÉ DE LA PROPHÉTESSE ET ELLE CONÇUT ET ELLE ENFANTA UN FILS. ET LE SEIGNEUR ME DIT : APPELLE-LE : HATEZ-VOUS DE PRENDRE LES DÉPOUILLES ET DE PARTAGER LE BUTIN. — 4. CAR AVANT QUE L'ENFANT SACHE NOMMER SON PÈRE ET SA MÈRE, ON EMPORTERA LA PUISSANCE DE DAMAS ET LES DÉPOUILLES DE SAMARIE DEVANT LE ROI DES ASSYRIENS. "

ANALYSE.

1. But du ministère prophétique. Précaution à prendre par le Prophète pour qu'on ne puisse révoquer en doute sa prophétie et pour lui assurer un caractère irréfragable d'authenticité.

2. Au premier signal que Dieu leur donnera, les Assyriens arriveront en foule comme des mouches.

3. Invasion d'Israël et de la Syrie.

1. D'après le sens littéral, il semble que ces prescriptions sont différentes et n'ont entre elles rien de commun; mais si vous voulez examiner les pensées, vous trouverez qu'elles se rapprochent et n'ont qu'un même but. Mais il faut dire d'abord dans quel dessein le ministère prophétique a été introduit dans le monde. Quelle est la mission de la prophétie; voilà ce qu'il faut dire. Ordinairement, Dieu est lent et tardif à punir les méchants, comme il est prompt à récompenser la vertu. Aussi les hommes doués de peu d'énergie se laissent-ils entraîner, en voyant que le châtiment ne suit pas immédiatement les fautes. Or, pour taire voir qu'il est patient et que l'on ne doit pas se faire de sa longanimité un prétexte pour le vice, Dieu se sert de la prophétie, non pour infliger des peines, mais pour apprendre aux pécheurs ce qui les attend, afin que la menace les rende meilleurs et leur fasse éviter des punitions réelles ; et c'est seulement lorsqu'ils restent insensibles qu'il finit par les châtier. Le démon , voyant ce dessein et sachant combien ce ministère est profitable aux hommes, envoie des faux prophètes , pour contredire ceux qui annoncent des famines, des pestes, des guerres, et pour prophétiser de grandes prospérités. Comme Dieu veut, en inspirant la crainte des paroles, faire éviter de réelles punitions, le démon s'efforce de faire le contraire; ses discours plaisent, ils amollissent les hommes et Dieu se voit dans la nécessité de leur (397) infliger des châtiments. Puis, lorsque ceux qui ont cru les faux prophètes, et qui, ne faisant aucun cas de la vertu, ont persévéré dans leurs fautes, se sont attirés de graves châtiments, et qu'enfin la vérité est mise en évidence tandis que le mensonge est confondu, le démon emploie d'autres piéges encore pour achever la ruine de ceux qui se laissent prendre. Il leur persuade à eux qui se laissent facilement tromper, qu'il faut attribuer ces événements fâcheux à la colère des démons rejetés et méprisés. C'est pour empêcher cette ruse que Dieu fait annoncer longtemps à l'avance aux hommes les maux qui leur arriveront ou plutôt qui les saisiront, pour qu'il ne soit pas possible à ceux qui trompaient les hommes, d'attribuer les événements à la colère des démons. Ce n'est pas par conjecture que je le dis : car entendez les paroles d'Isaïe : " Je sais que tu es dur, que ton cou est comme une barre de fer, que tu as un front d'airain. C'est pourquoi je t'ai parlé dès le commencement afin que tu ne dises pas: Ce sont mes idoles qui ont fait ces choses, ce sont mes images taillées et jetées en fonte qui me l'ont donné. Tu ne les as ni connues ni entendues. " (Isaïe, XLVIII, 4, 5, 8.)

Comme donc, selon ce que j'ai dit plus haut et ce qu'atteste ce passage, les Juifs opposaient les prophéties les unes aux autres, la vraie prophétie se hâte de remédier à cette erreur, en annonçant les événements longtemps à l'avance. Comme il était à présumer que les ingrats auraient dit : Vous ne l'avez pas prédit, nous ne l'avons pas entendu, vous forgez ces prophéties après l'événement : car vous ne connaissez pas l'avenir; comment saurons-nous que vous avez parlé d'avance? à ce langage, Dieu oppose une réponse péremptoire et ferme ces bouches impudentes. Il n'ordonne pas seulement à ses prophètes de parler, mais il ordonne d'écrire les prophéties sur le papier et non-seulement d'écrire, mais encore pour qu'on ne puisse pas dire que cela a été fait après coup, il ordonne de prendre pour témoins des hommes que leur dignité et leur conduite rendaient dignes de foi. " Prends-moi pour témoins, dit-il, des hommes fidèles, Urie le prêtre et Zacharie, " afin que, quand les événements se réaliseront et que les méchants diront : Ces choses n'ont pas été prédites par avance, le livre soit produit et que les hommes qui ont été témoins de sa composition ferment ces bouches impudentes. C'est pourquoi Dieu dit : " Prends-moi un livre de papier neuf, " afin qu'il ne périsse pas ait bout de quelque temps, mais qu'il reste longtemps et que ses caractères même accusent les détracteurs. "Et écris-y avec un style d'homme, avec une plume , ce qui doit arriver. Et que doit-il arriver? Il y aura guerre, victoire remportée par les barbares , partage des dépouilles, enlèvement du butin. Ecris, dit-il, toutes ces choses, qu'il faut se hâter de prendre le butin : car voici le temps. " Qu'est-ce à dire, " Voici le temps? " Cette parole nous fait entendre deux choses, que déjà la grandeur des fautes demandait châtiment, et que la punition est imminente. La patience de Dieu le fait temporiser : car il désire qu'ils se corrigent et rendent la punition inutile, et d'un autre côté il lui est facile par sa seule volonté de faire que tout s'exécute. En effet , lorsqu'il s'agissait des barbares qui devaient faire invasion , il dit : Ne pensez pas que la longueur de la route et la multitude de l'armée soient des causes de retard , comme il arrive souvent dans ce que font les hommes.

2. Mais pour Dieu, même ce qui est éloigné est présent, tant il lui est facile en un instant, en une seconde, d'amener et de faire arriver des extrémités de la terre même des multitudes innombrables. " Prends-moi pour témoins des hommes fidèles, Urie le prêtre et Zacharie, fils de Barachie. " Témoins de quoi ? De l'époque, afin que si l'on vient à récuser ces livres, les hommes qui auront assisté à leur composition et en connaissent par conséquent bien l'époque, puissent, lorsqu'il s'élèvera des contradicteurs impudents, leur fermer la bouche. Ce qui suit a le même but et contient une preuve plus manifeste encore. Comment et de quelle manière? " Il s'est approché , dit-il, de " la prophétesse. " Il appelle ainsi sa propre femme, peut-être parce qu'elle participait à l'esprit prophétique : car ce n'est pas seulement aux hommes que les grâces sont communiquées, mais aussi aux femmes. Ce n'est pas comme dans les choses temporelles où les sexes sont distingués, où les uns ont à remplir les devoirs des hommes, lés autres ceux des femmes, sans pouvoir changer de rôle; i1 n'en est pas ainsi dans les choses spirituelles; mais tout est commun, couronnes et combats. Volts verrez cela dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament et pour toutes les positions tic la vie. S'étant approché d'elle selon la loi du (398) mariage, il la rendit enceinte. Et lorsque cette femme eut mis au monde un fils, il lui donne un nom étrange, extraordinaire, un nom prophétique. Que dit-il en effet? " Appelle-le, hâtez-vous de prendre les dépouilles et de partager le butin, " afin que si l'on récuse le livre, du moins le nom même de l'enfant, nom prophétique , imposé bien avant la réalisation des événements , et depuis lors toujours en usage, fasse taire même les plus audacieux. Il sera évident que le Prophète ne l'a pas forgé après coup, mais qu'il avait prévu dès longtemps ces événements, et ceux même qui s'étudient à méconnaître les soins dont ils sont l'objet seront forcés de croire, puisque, même avant les événements , ils auront vu l'enfant porter ce nom , et par suite annoncer sans cesse les malheurs à venir.

Ensuite il précise le sens de la prophétie en indiquant avec exactitude l'époque de ces infortunes - " Car avant que l'enfant sache nommer son père et sa mère, on emportera la puissance de Damas et les dépouilles de Samarie devant le roi des Assyriens. " Voici ce qu'il veut dire : à l'époque où son âge sera bien peu avancé, où il ne pourra parler encore, la victoire sera remportée, les trophées seront élevés, non que cet enfant puisse lui-même ranger l'armée et vaincre les ennemis, mais dans ce temps, c'est-à-dire avant que l'enfant puisse parler; tout sera livré aux ennemis. " Le Seigneur me parla encore et me dit : Parce que ce peuple a rejeté les eaux de Siloë qui coulent doucement et qu'il a mieux aimé avoir pour roi Basin et le fils de Romélie, le Seigneur fera fondre sur lui le roi des a Assyriens, comme les grandes et violentes eaux d'un fleuve (5-7.) "

Dieu, le plus souvent, n'annonce pas seulement le châtiment, mais il en indique la cause pour l'instruction des auditeurs; c'est ce qu'il fait également ici. Après avoir parlé du pillage exercé par des étrangers et de l'invasion des barbares, il indique quelle est la cause de cette guerre. Quelle est-elle? L'ingratitude des habitants de la ville. Comme ils avaient, dit-il , un roi doux, facile, humain, et qu'ils s'en sont séparés pour appeler des tyrans, pour essayer de passer sous une domination étrangère, parce qu'ils étaient fatigués de leur bonheur, eh bien ! j'accomplirai surabondamment leur désir, en amenant au milieu d'eux un homme barbare et cruel. Il emploie des expressions métaphoriques pour dépeindre le caractère du roi indigène et la puissance du roi barbare; il en agit ainsi, comme je l'ai déjà dit, pour donner à sa parole plus de force et d'expression. C'est pour cela qu'il dit : " Parce que ce peuple a rejeté les eaux de Siloë, " passage où il n'entend pas parler de l'eau, mais où, pour faire comprendre le caractère doux et humain du roi, il le compare au courant toujours tranquille de cette source aux eaux paisibles et sans bruit, et il désigne le roi par le mot de Siloë, cause de sa douceur et de sa modération : grande leçon pour les sujets qui, n'ayant à supporter qu'un joug léger, voulaient se soulever et se donner à des rois étrangers. Puisqu'ils ne veulent pas, dit-il, d'un roi doux et humain, mais qu'ils demandent Basin et le fils de Romélie, je leur enverrai le roi de Babylone; et la violence de ,on armée, il la rend par l'image d'un fleuve aux eaux abondantes et impétueuses.

3. Puis, interprétant sa métaphore, il dit: " Le roi des Assyriens. " Voyez-vous combien est certain ce que j'ai dit plus haut, que partout l'Ecriture donnait elle-même la clef des métaphores qu'elle employait? C'est ce qu'elle fait encore ici. Elle a parlé d'un fleuve, mais, sans continuer sa métaphore, elle dit quel fleuve, " le roi des Assyriens, avec toute sa gloire. Il descendra dans toutes vos vallées et il entourera tous vos murs. Et il enlèvera de la Judée tous ceux qui peuvent lever la tête ou faire quelque chose. Et son armée sera si nombreuse qu'elle couvrira toute votre contrée. " Pour montrer que tout cela arrivera, non par la vertu de l'homme, mais à cause de la colère de Dieu, il ne le représente pas comme un ennemi qui a besoin de combattre en bataille rangée, mais comme un homme qui vient enlever un butin tout préparé. Il ne se tiendra pas sous les armes, il ne se mettra pas, dit le Prophète, en ordre de bataille; mais cette multitude couvrira la face de la terre et vaincra facilement. Puis, même au milieu de la colère, il y a encore de la clémence. Dieu ne menace pas les Juifs de la ruine de leur capitale, il leur annonce seulement l'exil et la captivité, voulant que le châtiment de ceux qui seront enlevés corrige ceux qui resteront. " Il enlèvera de la Judée tous ceux qui peuvent lever la tête. " Tous les puissants, veut-il dire, ceux qui pillent et emportent tout, ceux qui sont les fléaux du (399) peuple, il les jettera dans les fers et l'esclavage, afin que leurs sujets puissent respirer un peu et que la crainte qu'ils éprouveront en voyant emmener les autres ainsi que la conservation de leur propre liberté les rende meilleurs. C'est pourquoi il dit : " Qui peut faire quelque chose, " c'est-à-dire celui qui est fort, qui peut agir, qui est capable de quelque travail. Et avant même qu'ils soient enlevés, dit-il, peut-être serez-vous assez effrayés à la vue de ce barbare qui couvrira de ses troupes votre pays. C'est pourquoi il ajoute : " Son armée sera si nombreuse qu'elle couvrira toute votre contrée. Dieu est avec nous. Sachez-le, nations, et vous serez vaincues : entendez-le jusqu'aux extrémités de la terre, et malgré votre force vous serez vaincues; et si vous prévalez une seconde fois, vous serez vaincues une seconde fois. — Les desseins que vous aurez formés, le Seigneur les dissipera; les paroles que vous aurez dites n'auront point d'effet, parce que Dieu est avec nous (8-10). "

Il me semble prophétiser ici la victoire d'Ezéchias, ce brillant fait d'armes et sa cause. S'ils ont, semble-t-il dire, des armes, de nombreux soldats , l'expérience militaire , nous avons, nous, le plus puissant des auxiliaires, c'est-à-dire, Dieu. Le barbare vint, comme le Prophète en avait fait la menace, et il s'en alla après avoir pris beaucoup de villes; mais quand il revint de nouveau, il éprouva un sort tout contraire. C'est ce que le Prophète annonce, ainsi que la cause de cette victoire, et il s'adresse aux barbares eux-mêmes. Que cette première victoire, dit-il, ne vous enorgueillisse pas : car dans votre incursion présente nous avons un puissant auxiliaire. Sachez-le donc et retirez-vous: car vous entreprenez une chose impossible. Puis il montre la cause de cette victoire, il dit que la renommée publiera ces hauts faits jusqu'aux extrémités de la terre "Entendez-le jusqu'aux extrémités de la terre." Personne en effet n'a été sans apprendre ce qui s'est passé alors à Jérusalem; c'est pourquoi le Prophète dit : " Entendez-le jusqu'aux extrémités de la terre, malgré votre force vous serez vaincues. " Le barbare eut une grandi; renommée à cause de sa puissance. Or, en cet endroit il appelle forts non ceux dont le corps est robuste, mais ceux que l'abondance de leurs richesses et l'éclat de leur gloire font remarquer. " Et si vous prévalez une seconde fois vous serez vaincues une seconde fois. Les desseins que vous formerez, le Seigneur les dissipera ; les paroles que vous aurez dites n'auront point d'effet, parce que Dieu est avec nous. " Comme leurs desseins étaient mauvais, qu'ils se proposaient de ne retourner chez eux qu'après avoir renversé la ville de fond en comble, le Prophète parle de leurs projets et dit : Tout en restera aux parole; Puis comme les choses qu'il annonce dépassent la nature humaine, il a recours, afin de faire croire à sa parole, à la grandeur de celui qui accomplira tout, et répète souvent " parce que Dieu est avec nous, " et qu'il dissipera lui-même toutes ces machinations. Qu'à lui soit la gloire.

Traduit par M. FANIEN.