COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES.

Tome V. p. 523-603 ; Tome VI p. 1-311

 

 

 

 

COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES. *

EXPLICATION DU PSAUME XLIV. CHANT TRIOMPHANT POUR LES FLEURS DES FILS DE CORÉ. — SUIVANT UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE AU SUJET DES LIS DES FILS DE CORÉ. AU LIEU DE LIS, LE TEXTE HÉBREU DIT : AL SOSANIM, CANTIQUE D'INTELLIGENCE POUR LE BIEN-AIMÉ. — D'APRÈS UN AUTRE : CHANT D'AMITIÉ DU SAVANT. — D'APRÈS UN AUTRE : EN HÉBREU, IDITHOTH. — LES SEPTANTE DISENT : " POUR LA FIN, POUR CEUX QUI SERONT CHANGÉS, INTELLIGENCE AUX FILS DE CORÉ , CHANT POUR LE BIEN-AIMÉ. MON COEUR A BONNE PAROLE. — SUIVANT UN AUTRE : S'EST ÉCHAPPÉ. — SUIVANT UN *

AUTRE : MON COEUR A ÉTÉ REMUÉ PAR UNE BONNE PAROLE." *

EXPLICATION DU PSAUME XLV. 1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ, POUR LES SECRETS. — SELON UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE D'ENTRE LES FILS DE CORÉ. — SELON UN AUTRE : CHANT POUR LES JEUNESSES. — 2. DIEU EST NOTRE REFUGE ET NOTRE FORCE, IL EST NOTRE AUXILIAIRE PUISSANT DANS LES AFFLICTIONS QUI NOUS ONT VISITÉS. — SELON UN AUTRE : AUXILIAIRE TROUVÉ DANS NOS AFFLICTIONS. — 3. C'EST POURQUOI NOUS NE SERONS POINT SAISIS DE CRAINTE, QUAND LA TERRE SERAIT BOULEVERSÉE ET QUE LES MONTAGNES SERAIENT TRANSPORTÉES AU COEUR DES TIERS. *

EXPLICATION DU PSAUME XLVI. 1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ. — UN AUTRE : A CELUI QUI A *

FAIT REMPORTER LA VICTOIRE AUX FILS DE CORÉ. — 2. VOUS TOUTES, O NATIONS, APPLAUDISSEZ AVEC LES MAINS. — UN AUTRE : AVEC LA MAIN. TÉMOIGNEZ A DIEU VOTRE ALLÉGRESSE PAR DES CRIS. — UN AUTRE : TÉMOIGNEZ VOTRE ALLÉGRESSE PAR VOS LOUANGES. — 3. CAR LE SEIGNEUR EST LE TRÈS-HAUT, LE DIEU TERRIBLE, IL EST LE GRAND ROI QUI RÈGNE SUR TOUTE LA TERRE. *

EXPLICATION DU PSAUME XLVII. 1. PSAUME POUR SERVIR DE CANTIQUE AUX ENFANTS DE CORÉ. — 2. LE SEIGNEUR EST GRAND ET DIGNE DE TOUTE LOUANGE DANS LA CITÉ DE NOTRE DIEU, SUR SA SAINTE MONTAGNE. 3. DONT IL ÉTABLIT BIEN LES RACINES A LA JOIE DE TOUTE LA TERRE. — UN AUTRE INTERPRÈTE DIT: QUI S'EST ÉLEVÉE COMME UNE BELLE TIGE A L'ALLÉGRESSE DE TOUTE LA TERRE. — UN AUTRE : A LA SPLENDEUR DE TOUTE LA TERRE, SPLENDEUR DÉTERMINÉE DÈS LE PRINCIPE. *

EXPLICATION SUR LE PSAUME XLVIII. 1. POUR LA FIN, AUX ENFANTS DE CORÉ. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE TRIOMPHE. — 2. PEUPLES, ÉCOUTEZ TOUTES CES CHOSES. — UN AUTRE : ÉCOUTEZ CECI. PRÊTEZ L'OREILLE, VOUS TOUS QUI HABITEZ *

LA TERRE. — UN AUTRE : L'OCCIDENT. ON LIT DANS LE TEXTE HÉBREU, OLD. — 3. ET CEUX QUI SONT NÉS DE LA TERRE ET CEUX QUI SONT FILS DES HOMMES. — UN AUTRE : ET L'HUMANITÉ, ET EN OUTRE LES FILS DE CHAQUE HOMME, LE RICHE EN MÊME TEMPS QUE LE PAUVRE. UN AUTRE : (LE RICHE ET LE PAUVRE) ENSEMBLE. *

EXPLICATION DU PSAUME XLIX. LE DIEU DES DIEUX, LE SEIGNEUR A PARLÉ, ET IL APPELLE LA TERRE DEPUIS L'ORIENT JUSQU'A L'OCCIDENT. *

EXPLICATION DU PSAUME CVIII. " 2. O DIEU, NE TAISEZ PAS MA LOUANGE, PARCE QUE LA BOUCHE DU PÉCHEUR, LA BOUCHE DU FOURBE S'EST OUVERTE CONTRE MOI. 3. ILS ONT PARLÉ CONTRE MOI AVEC UNE LANGUE PERFIDE, ILS M'ONT INVESTI DE PAROLES DE HAINE, ILS M'ONT COMBATTU SANS MOTIF. 4. AU LIEU DE M'AIMER, ILS SE SONT. FAITS MES DÉTRACTEURS ET MOI JE VOUS INVOQUAIS. 5. ILS M'ONT RENDU LE MAL POUR LE BIEN ET LA HAINE POUR L'AMOUR, 6. ÉTABLISSEZ L'IMPIE SUR MON ENNEMI ET QUE LE DIABLE SE TIENNE A SA DROITE. 7. LORSQU'ON LE JUGERA, QU'IL SORTE CONDAMNÉ ET QUE SA PRIÈRE MÊME DEVIENNE UN CRIME. *

8. QUE SES JOURS SOIENT ABRÉGÉS ET QU'UN AUTRE REÇOIVE SA MISSION. 9. QUE SES ENFANTS DEVIENNENT ORPHELINS, QUE SA FEMME DEVIENNE VEUVE. 10. QUE SES ENFANTS NE CONNAISSENT PLUS LE REPOS, QU'ILS SOIENT VAGABONDS, MENDIANT LEUR PAIN, QU'ILS SOIENT CHASSÉS DE LA DEMEURE QUI LEUR APPARTIENT. 11. QUE " L'USURIER DÉVORE TOUTE SA FORTUNE ET QUE DES ÉTRANGERS S'EMPARENT DU FRUIT DE SES TRAVAUX. " *

EXPLICATION DU PSAUME CIX. 1. " LE SEIGNEUR DIT A MON SEIGNEUR : ASSEYEZ-VOUS A MA DROITE. " *

EXPLICATION DU PSAUME CX. 1. " SEIGNEUR, JE VOUS RENDRAI HOMMAGE DE TOUT MON COEUR. " *

EXPLICATION DU PSAUME CXI. 1. " HEUREUX L'HOMME QUI CRAINT LE SEIGNEUR. " *

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLIV. CHANT TRIOMPHANT POUR LES FLEURS DES FILS DE CORÉ. — SUIVANT UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE AU SUJET DES LIS DES FILS DE CORÉ. AU LIEU DE LIS, LE TEXTE HÉBREU DIT : AL SOSANIM, CANTIQUE D'INTELLIGENCE POUR LE BIEN-AIMÉ. — D'APRÈS UN AUTRE : CHANT D'AMITIÉ DU SAVANT. — D'APRÈS UN AUTRE : EN HÉBREU, IDITHOTH. — LES SEPTANTE DISENT : " POUR LA FIN, POUR CEUX QUI SERONT CHANGÉS, INTELLIGENCE AUX FILS DE CORÉ , CHANT POUR LE BIEN-AIMÉ. MON COEUR A BONNE PAROLE. — SUIVANT UN AUTRE : S'EST ÉCHAPPÉ. — SUIVANT UN AUTRE : MON COEUR A ÉTÉ REMUÉ PAR UNE BONNE PAROLE."

ANALYSE.

1. Les juifs et les païens confondus par l'Ancien Testament. — Différence des prophètes et des devins profaner.

2. Explication de la parole d'Isaïe : Il n'avait pas de beauté.

3. Miracles de l'Esprit-Saint : ses dons divers. — Différence du langage des Prophètes et de celui des Evangéli tes.

4. Deux langages, suivant que le Prophète considère la divinité en elle-même, ou comme incarnée. — Malédiction assumée par le Christ.

5. Figures, expressions de condescendance.

6. Union de la douceur et de la vérité : Exemple de Moïse et de David.

7. Comment le Prophète s'y prend pour atténuel la grossièreté nécessaire de son langage.

8. Diversité de méthode chez les Evangélistes : accord. quant au but.

9. Que la curiosité humaine serait mieux employée à l'enquête, sur soi-même qu'à des questions téméraires touchant les desseins de Dieu. — De l'onction en Jésus-Christ.

10. Gloire de l'épouse.

11. Signification mystique de ce passage.

12. Bonheur de la vierge , même ici-bas.

13. Royauté des apôtres : actions de grâces.

1. Je voudrais voir dans cette assemblée tous les Juifs et tous les païens , et recevoir de la main des Juifs le saint livre où je dois lire ce psaume. En effet, vous n'ignorez pas sans cloute que devant les tribunaux et partout, les témoignages les moins suspects sont ceux qui sont rendus par des ennemis. Or l'Ancien Testament nous fournit aujourd'hui un témoignage propre à confondre païens et juifs : les Juifs qui le lisent sans le comprendre: les païens qui nous voient emprunter nos livres à nos ennemis. Comment prétendre après cela., que nous les avons fabriqués, quand nous tenons d’autrui , et de ceux-là mêmes qui ont crucifié le Christ, les livres qui proclament sa puissance. Mais en leur absence comme en leur présence, remplissons notre tâche , et arrivons à l'interprétation. C'est au Christ qu'est dédié ce psaume; de là ces titres: " Pour le bien-aimé, pour ceux qui seront changés. " En effet , le Christ a opéré un grand changement en nous, une grande révolution . un grand bouleversement dans le monde. C'est à ce changement que Paul faisait allusion, en disant: " Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est une créature nouvelle. " (II Cor. V, 17.) Voilà pourquoi le Psalmiste ne dit pas tout d'abord: mon coeur a dit. Comme ces paroles n'avaient rien d'humain , qu'il allait être question de choses célestes et spirituelles , non point inventées par (37) l'homme mais inspirées par la divinité il emploie: le mot de Renvoi pour exprimer cela. C'est là en effet un accident involontaire, à la différence de la parole humaine qu'on profère, qu'on articule, ou qu'on revient à sa fantaisie. Voulant donc montrer que les paroles dont il s'agit ne proviennent point d'un effort humain, usais de l'ébranlement produit par l'inspiration divine, il applique ce mot de Renvoi à la prophétie. Si l'odeur exhalée par notre bouche participe à la qualité des aliments que nous avons mangés, on peut en dire autant de l'enseignement spirituel. Telle nourriture, telle odeur. Voyez comment un antre prophète exprime par une image sensible cette opération ultérieure il mange un livre, et il le mange avec délices " Et il fut dans ma bouche, " dit-il," comme un miel agréable. " Ainsi, ceux qui recevaient la grâce de l'Esprit, en exhalaient l'odeur. Il ne s'agit pas ici de ce renvoi que produisent les aliments, ni de rien de sensible. Ecoutez plutôt de quel genre est l'odeur, et d'où elle sort. Ce n'est pas de l'estomac , qui reçoit les aliments, c'est du coeur. " Mon coeur a eu un renvoi. " Et l'odeur qui en sort, quelle est-elle? ni celle d'un mets, ni celle d'un breuvage, mais celle que peut laisser un pareil festin , à savoir une bonne parole, une parole au sujet du Fils unique , de ce qu'il y a de meilleur; n'a-t-il pas dit en effet: " Je suis venu non pour juger le monde, mais pour sauver le monde?" (Jean, XII, 47.) Tout ici respire la douceur, la clémence, mais pareille odeur ne peut sortir que d'un coeur à l'avance purifié. Ainsi qu'un estomac chargé de sucs immondes exhale une odeur analogue, tandis qu'un estomac sain rend une odeur correspondante à son état: ainsi le coeur du prophète, une fois délivré de ses péchés , reçut la grâce de l'Esprit, et en révéla la présence par une bonne parole. Par là nous pouvons apprendre encore une chose, c'est que les prophètes n'étaient point comme les devins. Chez les devins le démon, du moment où il a pénétré dans l'âme , aveugle la pensée, troublé la raison: et c'est sous cette influence qu'ils prédisent l'avenir à l'insu de leur propre intelligence , à la manière d'un instrument inanimé qui rend des sons. C'est ce qu'un philosophe païen exprime en ces termes: " De même que les diseurs d'oracles et les devins inspirés disent beaucoup de choses sans rien comprendre à ce qu'ils disent (1). " Ce

1. Plat. Ap. Socrat. p. 22; et Men. p. 99. D.

n'est pas ainsi qu'agit l'Esprit-Saint; il permet au coeur de connaître les paroles proférées par la bouche. Sinon, comment le Prophète aurait-il pu dire : " Une bonne parole? " Le démon, comme un ennemi armé en guerre, livre combat à la nature humaine. L'Esprit-Saint, au contraire, dans sa bienfaisance et sa sollicitude,.communique sa pensée à ceux qui le reçoivent, et leur permet d'avoir conscience de ses révélations. " Je dis mes ouvrages au Roi: " .suivant un autre, " Mes œuvres. " De quels ouvrages s'agit-il? De la prophétie. De même que c'est l'ouvrage d'un forgeron de fabriquer des cognées, l'ouvrage d'un architecte de bâtir, l'ouvrage d'un constructeur de vaisseaux de façonner des charpentes de navire: de même c'est l'ouvrage d'un prophète de prophétiser. C'est bien un ouvrage en effet: écoutez plutôt ce que le Christ dit des apôtres: " L'artisan mérite son salaire. " (Luc, X, 7.) Et Paul " Surtout ceux qui travaillent à la parole et à la doctrine. " (I Tim. V, 17.) Si ce n'était pas un ouvrage, comment serait-il question de travail? Et quel ouvrage est plus honorable ou plus utile que celui-là? Point d'industrie qui ne lui soit inférieure. Eh bien ! quel est donc cet ouvrage , qu'il dit au Roi ? Entendez cet hymne, cette prophétie. Il ne dit pas quel est ce Roi : Par là il montre qu'il s'agit du Dieu de l'univers. Quand nous voulons parler du roi des Perses, nous ne disons pas simplement le roi , mais bien le roi des Perses; et de même pour le roi des Arméniens : mais quand nous parlons du monarque qui nous gouverne, ce nom seul nous suffit pour le désigner. De même le Prophète, voulant parler du roi véritable se contente de dire: " Le Roi. " Ainsi qu'en disant le Tout-Puissant nous disons assez pour nous faire entendre, vu qu'il n'y a pas deux Tout-Puissants : de même il suffit ici de dire le Roi, parce qu'il n'y a pas d'autre roi qui soit Dieu. Aussi bien celui qui parlait était-il roi lui-même. D'où il résulte qu'il ne veut point parler en cet endroit d'un homme, ruais bien du Dieu de l'univers. Voilà pourquoi il ne dit pas aux rois, mais au roi ; l'adjonction de l'article fait voir de quelle souveraineté il s'agit.

2. Après cela , voulant montrer encore que ces paroles ne proviennent point d'une pensée humaine , d'un travail , d'une méditation, mais de la grâce de Dieu , et que;.pour sa part il n'a fait que prêter sa langue, il ajoute: " Ma (38) langue est la plume d'un écrivain alerte. " La plume écrit ce que lui commandent les doigts qui la tiennent. pourquoi: " Alerte? " Afin de montrer ici encore l'opération de la grâce. Celui qui parle en son propre nom est lent; il perd du temps à réfléchir, à composer; l'ignorance, l'inexpérience l'entravent et le retardent: mille choses mettent obstacle à la rapidité du discours. Mais quand l'Esprit-Saint agit sur une intelligence, rien ne vient ralentir son action : comme un fort courant d'eau s'élance avec fracas, la grâce de l'Esprit court avec une incomparable vitesse, aplanissant, unissant tout sur son passage. Puis revenant sur ses paroles pour les purger de ce qu'elles peuvent. avoir d'humain , il ajoute: " Autrement beau que les fils des hommes."

Quelques-uns font rapporter ceci à la langue, croient que cette beauté est celle de la plume. Moi, je crois que le Psalmiste a maintenant en vue le Christ : de là cette traduction d'un autre interprète : " Vous avez été paré de beauté par les fils des hommes. " Dans sa ferveur, dans la violence de son amour, il apostrophe subitement le Christ, ainsi que Jacob dit : " Tu es sorti du germe, mon fils. " Tu t'es couché et endormi comme un lion. " Saisi d'enthousiasme, c'est au Christ désormais qu'il s'adresse. Ne voyez-vous pas ici une comparaison? il ne dit pas a plus beau, " mais autrement, beau que les fils des hommes. " Ce sont, veut-il dire, des beautés différentes. Considérez maintenant comment, tout en commençant ; il aborde le mystère de l'incarnation. C'est ce que 1a suite rend manifeste. Car, après avoir dit : " Autrement beau que les fils des hommes, " il ajoute : " la grâce a été répandue sur vos lèvres. " Dieu n'a pas de lèvres : ce langage suppose l'Incarnation. Un autre interprète a rendu la chose encore plus claire, en disant : " La grâce est remontée sur tes lèvres. " Que signifie, en effet, cette expression, est remontée, sinon en d'autres termes : la grâce qui était- en toi a jailli au dehors? Comment donc un autre prophète peut-il dire " Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat, ni beauté : mais son apparence était humble, inférieure à celle des fils des hommes? " (Is. LIII , 2, 3.) Ce n'est point la laideur, à Dieu ne plaise ! qu'il veut désigner par là, mais la bassesse de condition. Une fois qu'il eut consenti à devenir homme, il vécut sans cesse dans l'abaissement : il ne voulut point d'une reine pour mère , d'une couche dorée pour berceau; il naquit dans une crèche; il fut élevé non pas dans un palais magnifique, mais dans l'humble échoppe d'un artisan. Puis quand il choisit des disciples, ce ne furent point des rhéteurs, des philosophes, des rois, mais des pécheurs et des publicains : telle est l'humble existence qu'il rechercha, sans maison, sans riches vêtements, sans table somptueuse, vivant aux dépens d'autrui, insulté, dédaigné, chassé, persécuté. Par là il se proposait de mieux abattre l'orgueil humain. C'est donc parce qu'il écartait de lui toute pompe, tout appareil, parce qu'il n'avait ni suivants, ni satellites, que même il allait quelquefois seul comme un homme du vulgaire, qu'Isaïe a dit : " Nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat, ni beauté, " tandis que le Psalmiste dit : " Autrement beau que les fils des hommes, " par allusion à la grâce, à la sagesse qui étaient en lui, à sa doctrine, à ses miracles. Puis il ajoute, pour donner une idée de cette beauté : " La grâce a été répandue sur vos lèvres. " Voyez-vous qu'il s'agit de l'incarnation? Mais de quelle grâce est-il question ici? De celle qui inspirait la prédication de Jésus et ses miracles. Il parle ici de la grâce descendue dur la chair : " Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre comme une colombe et se reposer c'est celui-là qui baptise. " (Jean, I, 33.) Car il n'est pas de grâce qui n'ait été répandue dans ce temple. L'Esprit-Saint ne lui mesure pas ses dons : " Nous, nous avons reçu de sa plénitude (Jean, I, 16); " mais ce temple-là reçut la grâce sans restriction. Isaïe a exprimé la même chose en disant: " L'Esprit de sagesse et d'intelligence se reposera sur lui, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété, l'Esprit de la crainte de Dieu le remplira. " (Isaïe, XI, 2, 3.) Mais en lui la grâce est complète; chez les hommes, il n'en existe qu'une goutte, une parcelle. Aussi n'est-il pas écrit: je donne l'Esprit, mais bien: " Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. " (Joël, II, 28.)

3. C'est, en effet, ce qui arriva. Toute la terre entra en participation de cet Esprit. Le bienfait commença par la Palestine : il passa de là en Egypte, en Phénicie, en Syrie, en Cilicie, dans la région de l'Euphrate, ta Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie, la Thrace, la Grèce, la Gaule, l'Italie, la Libye (39) entière, l'Europe, l'Asie, jusqu'à l'Océan. Et à quoi bon cette longue énumération? Tous les lieux qu'éclaire le soleil furent visités par cette grâce : il suffit de cette goutte, de cette parcelle de l'Esprit, pour répandre la doctrine dans l'univers entier. Par elle se montrèrent des signes, par elle lés péchés de tous furent rachetés. Néanmoins cette grâce distribuée dans tant de climats n'est qu'une partie, et pour ainsi dire, un arrhe du présent total : " Donnant, est-il écrit, les arrhes de l'Esprit dans nos coeurs. " (II Cor. 1, 22.) C'est l'opération, ici, qui est dite partielle : car le Paraclet est indivisible. Mais voyez quelle source inépuisable : " A l'un est donnée par l'Esprit, la parole de sagesse; à un autre la parole de science selon le même Esprit; à un autre la foi; à un autre la grâce de guérir; à un autre la vertu d'opérer des miracles dans le même Esprit; à un autre la prophétie; à un autre, le discernement des esprits; à un autre, le don des langues diverses. " Voilà les grâces innombrables que la grâce du baptême a répandues parmi tant de nations, sur toute la terre : tout cela est l'oeuvre de cette goutte tombée de l'Esprit. C'était bien une goutte en effet : c'est ce que prouve l’expression : " Je répandrai de mon Esprit, " et cette autre : " Les arrhes. " De là il résulte clairement qu'une faible partie du tout, seulement, a été donnée. Voilà pourquoi Jean a dit, faisant voir la même chose : " Nous avons tous reçu de sa plénitude : " en d'autres termes,. de ce qui déborde, du trop plein de ce qui tombe du vase. Songez donc combien elle est inépuisable cette grâce de l'Esprit, qui suffit durant tant d'années à tout ce vaste univers : et elle ne se trouve point par là réduite ni tarie : elle comble tous les hommes de trésors et de grâces, sans jamais s'épuiser. Ensuite, comme ce mot Esprit s'applique à beaucoup de choses, aux anges, aux âmes, aux vents, et à d'autres objets encore, le Psalmiste a soin de dire mon Esprit. L'esprit de l'homme tient à l'homme même : il en est de même de l'Esprit de Dieu, malgré la distinction des personnes. De là ces mots de Paul : " Qui des hommes sait ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme, qui est en lui? Ainsi, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît que l'Esprit de Dieu (I Cor. II,11) :" il ne confond pas les personnes, à Dieu ne plaise ! mais il fait voir la noblesse de l'Esprit.

Aussi grand est l'accord de l'âme avec elle-même, aussi grande la parenté de l'Esprit avec le Père. En conséquence, de même que le Fils est appelé Verbe, non qu'il ne soit pas une personne, mais afin de montrer sa parenté avec le Père : de même l'Esprit de Dieu porte le simple nom d'Esprit, tout en restant une Personne. Et, ainsi que le Fils, en sa qualité de Fils par naissance, fait de nous des fils par adoption : de même l'Esprit, comme étant de substance divine, nous octroie les grâces. Si un homme peut tracer une image d'homme, n'est-ce point comme étant homme lui-même? " A cause de cela Dieu vous a béni pour l'éternité. Pour cela, " dit un autre.

Voyez-vous comment, dans sa ferveur, il continue de s'adresser à lui. C'est par le même motif qu'ailleurs il revêt sa prophétie des formes du reproche, par exemple quand il dit : " Pourquoi les nations ont-elles frémi, les peuples ont-ils médité des choses vaines (Psal. II, 1) ? " il dit ici : " A cause de cela Dieu vous a béni pour l'éternité. " Sans avoir rien dit de sa naissance, de son éducation, des autres événements de sa vie, il se met brusquement à parler de lui. Pourquoi cela? Parce que raconter les faits dans leur ordre, c'est l'affaire des évangélistes. Voilà pourquoi le Prophète leur réserve ces sujets, qui appartiennent à leur relation. Quant à la prophétie, son rôle est de détacher certaines parties et de s'y arrêter. Aussi les prophètes font-ils partout de même; ils s'emparent de quelques faits historiques, en tracent une esquisse, et passent. C'est pourquoi le Psalmiste se borne à dire : " Dieu vous a béni pour l'éternité, " indiquant ainsi la grâce infinie qui remplissait ses paroles. Observez maintenant le pouvoir de la grâce : " Jésus marchait un jour sur le rivage de la mer; il trouve Jacques et Jean, et leur dit : Venez derrière moi, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. " (Matth. IV, 21,22.) Et eux, ayant laissé leur père et leurs filets, ils le suivirent. Une autre fois, il dit à tous ses disciples : " Est-ce que vous voulez, vous aussi, vous en aller? " Pierre lui répondit . Seigneur, vous avez des paroles de vie éternelle, et nous avons cru, et nous avons connu que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant; et à qui irions-nous? " (Jean, VI, 68, 74). — Et pourquoi citer les disciples? Les pharisiens mêmes ayant envoyé des archers, en reçurent cette réponse : " Jamais homme n'a parlé (40) comme cet homme." ( Ib. VII, 46.) Et d'autres encore disaient: " Jamais rien de semblable ne s'est vu dans Israël. Et ils étaient dans l'admiration, parce qu'il les instruisait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et les pharisiens. "

4. Que si vous voulez connaître la grâce par vous-mêmes, écoutez ses préceptes, pesez-les, et vous verrez la force de la grâce : " Si quelqu'un ne renonce pas à tout, et, en outre, s'il ne hait pas sa propre âme, il n'est pas digne de moi. " (Luc, XIV, 33.) Néanmoins, cette parole fut accomplie, tant il possédait de grâce. Et pourtant quoi de plus intime que l'âme? Eh' bien ! l'âme même, on la méprise pour obéir au précepte du Christ. Mais vous, en entendant ces mots " Dieu vous a béni, " n'allez point vous scandaliser ni concevoir aucune basse pensée. Comme je l'ai dit plus haut, il s'agit de la chair, de cette chair qui a des lèvres, qui reçoit la grâce, qui reçoit la bénédiction. Quant à Dieu, il n'a besoin ni de bénédiction, ni de grâce, attendu que rien ne manque à la divinité. Il est écrit: " Comme le Père réveille les morts et les rend à la vie, ainsi le Fils vivifie ceux qu'il veut. " (Jean, V, 21.) Et encore : " Les oeuvres que le Père fait, le Fils les fait pareillement. " (Ib. V. 19.) Et encore : " Comme mon Père me connaît, moi aussi, je connais mon Père: " (Ib. X, 15.) Ces mots : Ainsi, Pareillement, Comme, excluent toute idée de différence. Mais ici, il s'agit de l'Incarnation. Lui-même, il dit ailleurs : " Si mon Père m'aime, c'est que je donne ma vie pour mes brebis. " (Ib. X, 17.) Est-ce donc que son Père ne l'aimait pas auparavant? Alors comment expliquer ces paroles : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé? " (Matth. III,17.) II ne s'est exprimé, comme nous venons dé voir, que pour manifester la grandeur d'une telle oeuvre. Si la comparaison de ces passages donne lieu à quelques explications, il n'en est pas besoin à l'égard de celui qui nous occupe. Si le Psal1niste a commencé par dire.: " Autrement beau que les fils des hommes, et la grâce a été répandue sur vos lèvres, " et encore : " Pour cette raison, Dieu vous a béni pour l'éternité, " par allusion à l'Incarnation, c'est afin que vous ne vous scandalisiez pas, lorsqu'il viendrait parler du Fils en termes moins dignes de sa majesté, et que vous voyiez bien de quoi il s'agit. — De même Jacob, prédisant l'Incarnation, disait après beaucoup d'autres choses : " Ses yeux sont brillants comme le vin, et ses dents blanches comme le lait. " (Gen. XLIX, 12.) La divinité n'a point de dents. Un autre Prophète dit encore : " Il frappera la terre par la parole de sa bouche, et exterminera les impies avec le souffle de ses lèvres." (Isaïe, XI, 4.) En cela il se rencontre avec Paul qui dit: " Que le Seigneur détruira par le souffle de sa bouche, et exterminera par la manifestation de sa présence. " (II Thess. II, 8.)

Afin que ces paroles ne vous inspirent point de mépris, le Psalmiste vous montre la puissance de la divinité. Car il ne sépare pas la chair de la divinité, ni la divinité de la chair, non qu'il confonde les substances (à Dieu ne plaise !) mais afin d'en montrer l'union. De là ces paroles : " Dieu vous a béni pour l'éternité. " Comment s'opère cette bénédiction ? par les louanges des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, toute la terre, d'un bout à t'autre, rend gloire et hommage au Dieu fait chair. Adam, le premier homme, fut chargé d'imprécations; celui-ci, au contraire, est chargé de bénédictions. Au premier, il fut dit : " Tu es maudit dans tes oeuvres, " et ses enfants furent frappés à leur tour de semblables malédictions : " Maudit celui qui fait négligemment les oeuvres du Seigneur; maudit celui qui ne reste pas fidèle à toutes les choses écrites dans ce livre; maudit celui qui est pendu au bois. " (Gen. III, 17; Jér. XLVIII, 10; Deut. XXVII 26; Ib. XXI, 26.) Voyez-vous que de malédictions ? Le Christ nous en délivra, en les assumant sur sa tête. De même qu'il s'est humilié pour nous relever, qu'il est mort pour vous rendre immortels; de même il a assumé les malédictions afin que vous fussiez comblés de bénédictions. Qu'y a-t-il de comparable à une bénédiction achetée au prix d'une malédiction? Le Christ n'avait pas besoin de bénédictions pour lui-même; c'est pour vous qu'il les a gagnées. Quand je dis qu'il s'est humilié, je rie parle pas d'un changement réel, je fats seulement allusion à la condescendance de l'Incarnation; de même, quand je dis qu'il a été béni, je n'entends pas indiquer qu'il eût besoin de bénédiction; je désigne encore par là la condescendance de son incarnation. La nature humaine, donc, a été bénie. Le Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus, n'est plus en butte à la malédiction, ou plutôt il n'y était pas davantage en butte auparavant; il s'en est (41) seulement chargé, afin de vous en délivrer. " Ceignez votre épée sur votre cuisse, puissant, dans voire jeunesse et votre beauté (4). " D'après un autre : " Votre louange et votre dignité. " Suivant un autre : " Dans votre gloire et votre majesté. " Que signifie ce changement de ton et de langage ? Tout à l'heure il parlait d'un docteur; c'est ce que veut dire, en effet : " La grâce a été répandue sur vos lèvres;" et voici que subitement il nous dépeint un roi en armes, et cela non plus en forme de prophétie, mais en forme de supplication. Il ne dit pas, en effet : il ceindra son épée; il demande : " Ceignez, dit-il, votre épée. " Ensuite, il revient à la beauté, et nous dépeint son héros, tantôt comme un guerrier, tantôt comme un beau jeune homme : " Dans votre jeunesse et votre beauté. " Puis, comme un archer : " Vos traits sont aiguisés, puissant. " Ensuite, comme un vainqueur, un triomphateur : " Les peuples tomberont sous vous, au coeur des ennemis du roi. " Enfin, il nous montre les parfums que répand sur son corps ce guerrier, ce roi, cet archer, ce vainqueur : " La myrrhe, l'aloès et la cannelle parfument vos habits. "

5. Quel rapport entre ces armes et ces odeurs, ces parfums et cette épée, entre l'enseignement et la guerre, les flèches et la beauté? D'une. part, des symboles de paix; de l'autre des emblèmes de guerre et de combat. Qui est-ce donc, qui est fait à la fois pour la paix et pour la guerre? qui exhale l'odeur des parfums, et se revêt d'une -armure; qui habite des palais d'ivoire, et extermine des milliers d'ennemis? Comment venir à bout de cette difficulté? En considérant qu'il est ici question du Père en même temps. — Ailleurs encore le Prophète le montre armé, lorsqu'il dit, par exemple : " Si vous ne vous convertissez pas, il fera briller son glaive; il a tendu son arc, il l'a préparé, et y a disposé les instruments de mort. " (Ps. XVI, 3.) Et ailleurs encore: " Il revêtira la cuirasse de l'équité." (Sag. V, 19.) Observez que c'est toujours de son propre mouvement qu'il agit. De même qu'il est dit dans un de ces passages : " Il fera briller son glaive, " sans que personne l'y pousse lui-même de son plein gré: de même on lit ici : " Les traits du puissant ont été aiguisés, les peuples tomberont sous vous au coeur des ennemis du roi. " Puis afin de montrer que Dieu n'obéit en cela à aucune impulsion étrangère, le Psalmiste ajoute : " Votre main vous guidera miraculeusement. " C'est comme s'il disait: Ce n'est pas d'autre part que vous recevez l'impulsion; vous vous suffisez à vous-même. — Ecoutez encore le Dieu de paix parler ainsi à ses disciples : " Je ne suis pas venu jeter la paix sur la terre, mais le glaive. " (Matth. X, 34.) Et encore : " Je suis venu jeter un feu sur la terre ; et qu'est-ce que je veux, sinon qu'il s'allume ? " Notre Psalmiste parlant également de celui qui doit venir, prédit comment il viendra: " Il descendra comme une pluie sur une toison, et comme une goutte qui tombe sur la terre." (Ps. LXXI,6.) Je vous entretiens de ces choses, afin d'éveiller votre attention, et de vous exciter à chercher en vous-mêmes la solution, et le sens enfermé sous l'apparence des mots. Ces mots sont destinés à exprimer les opérations de la puissance divine. De même ici, quand vous entendez ces mots: " Ceignez votre épée sur votre cuisse; " voyez là un mot destiné à marquer le pouvoir : de même pour l'arc et les flèches. Ainsi que l'Ecriture dit de Dieu qu'il se met en colère, non qu'elle lui attribue une passion, mais afin de représenter par là le pouvoir de punir qui lui appartient, et de frapper l'esprit des hommes grossiers: ainsi elle parle ici d'armes, toujours dans le même but. En effet, comme les hommes pour se venger empruntent le secours de certains instruments, l'écrivain sacré, voulant montrer la puissance vengeresse de Dieu, a recours à des noms qui nous sont familiers, non pas pour que nous nous représentions le Seigneur en armes, mais pour que nous soyons plus, effrayés de ses châtiments. Mais beaucoup d'hommes, dira-t-on, ont trouvé là un sujet de scandale: c'est un simple effet de leur déraison, de leur étourderie : car, ait seul nom de Dieu, ils auraient dû comprendre que ces expressions étaient figurées. Et d'ailleurs l'Ecriture, en d'autres endroits, ne se fait pas faute de témoigner par son langage de l'impassibilité divine. Ecoutez comment ailleurs apparaît la facilité avec laquelle Dieu punit: " Que Dieu se lève, que ses ennemis soient dissipés. " (Ps. LXVII, 2.) Est-il besoin d'armes? est-il besoin d'épée ? Qu'il se lève, cela suffit. Mais ceci même est encore un peu grossier: de là ces expressions plusieurs fois répétées: " Celui qui regarde sur la terre, et qui la fait trembler. " Et encore: " Par son aspect fut ébranlée la terre. " Mais ici même il reste de (42) la grossièreté. Ecoutez un langage plus relevé " Il a fait tout ce qu'il a voulu. " (Ps. CXXXIV, 6.) C'est qu'il lui suffit de vouloir: observez d'ailleurs comment, même quand son langage s'abaisse, l'Ecriture atteste l'absolue plénitude de la nature divine. La mention des armes n'arrive qu'après l'appellation de Puissant et après l'énumération des armes, c'est au bras de Dieu seul, qu'est attribuée la victoire, en d'autres termes, à sa nature, à sa puissance: ce qu'un autre prophète indique en disant : " Son pouvoir est sur son épaule. " (Isaie, IX, 6.) Noir pour que vous vous représentiez une épaule véritable, à Dieu ne plaise ! mais pour que vous sachiez que Dieu n'a pas besoin de l'assistance d'autrui. " Ceignez votre épée sur votre cuisse, puissant, dans votre jeunesse et votre beauté. " Que veut-il dire ici? Il emploie ces expressions peu relevées pour faire voir la puissance avec laquelle Dieu a gouverné le monde, mis fin à la guerre, et consommé son triomphe. C'était une guerre en effet, une guerre affreuse, la plus cruelle de toutes: il n'avait point à lutter contre une armée de barbares, mais contre les. piéges des démons qui corrompaient l'univers entier. De là ces paroles d'Isaïe : " Il partagera les dépouilles des forts (Isaïe, LIII, 12) ; " et encore a l'Esprit de Dieu est sur moi : pour cette raison il m'a oint, m'a envoyé annoncer la " bonne nouvelle aux pauvres, proclamer la " délivrance des captifs. " (Ib. LXI,1.) C'est encore pour cela que Paul écrit en général au commencement de ses épîtres: " Grâce à vous et paix par Dieu notre Père. " Et ailleurs : " Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule."(Ephés. II, 14.) Mais, afin que ces mots " Ceignez votre épée," ne vous fassent pas croire qu'il s'agit d'une épée sensible, écoutez ce qui suit: " Dans votre jeunesse , " poursuit-il, et, " dans votre beauté. " L'épée, la voilà: c'est sa jeunesse, sa beauté, sa majesté, sa grandeur, sa magnificence. En effet, son essence n'a besoin de rien pour accomplir ses desseins, puisque rien ne lui manque. Le Prophète l'invoque donc, le pousse à la guerre dans l'intérêt de l'univers. Puis de ces sublimités il redescend à un langage plus humble; après avoir dit l'épée,, la cuisse, il avait haussé le ton, et nommé la jeunesse , de là il redescend à des objets plus charnels, et reprend: "Tends, dirige et règne." — Par ce mot tends, il nous rappelle l'arc et la flèche. Mais aussitôt et après, voulant nous montrer que Dieu n'a pas besoin d'armes, il ajoute: Dirige et règne. " — Avance, suivant un autre interprète. Quant à la royauté dont il parle ici, c'est celle que le Rédempteur, après sa venue, a exercée dans les derniers temps, celle qui résulte de l'union intime et de la doctrine.

6. Ces paroles attestent admirablement le désir allumé chez le Prophète par la vue des victoires futures et du inonde amené à la vérité. Voilà pourquoi il emploie les formes de l'exhortation. Les petits emploient de pareilles expressions vis-à-vis des grands, quand ils sont transportés de zèle pour eux. " A cause de la vérité, de la douceur et de la justice. " Il ajoute ce mot " vérité. " Voyez-vous comment l'Ecriture s'explique elle-même , et montre qu'il s'agit d'une victoire purement intelligible et spirituelle? Comment ce même auteur qui parlait tout à l'heure d'armes, de glaive et d'arc, peut-il ici nommer la douceur? qu'y a-t-il de commun entre la douceur et la guerre, entre la clémence et le combat? Le rapport est grand , si l'on y fait attention. David et Moïse étaient doux. L'Ecriture dit du premier: " Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. " (Ps. CXXXI, 1); et de Moïse: Moïse était le plus doux de tous les hommes qui sont sur la terre. (Nomb. XII, 3.) Néanmoins ces hommes si doux savaient punir mieux que personne. Mais parlons d'abord , si vous le voulez, de leur douceur. Plusieurs fois David avait tenu Saül en son pouvoir; il aurait pu le tuer; il ne porta pas la main sur lui, en dépit des conseils d'autrui, il l'épargna et dompta sa propre colère. Quand Séméi l'abreuvait d'outrages et insultait à son infortune, quand ses généraux voulaient courir sus à ce furieux, et lui donner la mort, quelle n'est pas la sagesse de ses paroles ! Voyez encore comment il recommande à ses généraux un fils parricide et perverti.: " Epargnez , " leur dit il, " mon enfant Absalon. " Et tout au commencement, quand il répond à ses frères envieux et jaloux de sa future victoire, rappelez-vous quelle est la douceur de son langage: " N'est-il pas permis de parler? " dit-il. (I Rois, XVII, 29.) Et Moïse? Ecoutez comment il plaide la cause de ceux qui avaient tenté de le lapider, et l'auraient tué, s'il n'avait tenu qu'à eux: " Si vous leur remettez leur péché, remettez-le:" sinon, " rayez-moi aussi du livre que vous avez écrit." (43) (Exod. XXXII, 31, 32.) Une autre fois, on l'excitait à la jalousie , on cherchait à provoquer son indignation: il ne répondit que ces sages paroles: " Qui fera que tout ce peuple soit prophète du Seigneur? " (Nomb. XI, 29.) Sa soeur elle-même l'insulte : avec quelles instances ne prie-t-il pas poutrelle? En bien d'autres choses on peut voir paraître sa douceur, par exemple lorsque repoussé de la Terre promise, et se voyant refuser l'entrée de la Palestine , il s'entretient si paisiblement avec les Juifs. Cependant ce même homme, si plein de douceur, demanda que Dathan, Abiron et Coré, fussent engloutis sous la terre le jour où ils usurpèrent le sacerdoce, et que les autres fussent brûlés, en punition de ce qu'ils avaient offert le feu d'autrui. Ce David si clément tua Goliath, repoussa son armée, et remporta la victoire. En effet, ce qui caractérise par-dessus tout la douceur, c'est le pardon des injures dont on a été victime soi-même, en même temps que l'assistance prêtée aux opprimés. Telle fut la conduite du Christ lui-même, qui disait sur la croix: " Mon père, pardonnez-leur , car ils ne savent ce qu'ils font. " (Luc, XXIII, 34.) Puis il ajoutait, pleurant sur Jérusalem : " Combien de fois j'ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu : voici que votre maison est laissée déserte. " (Matth. II, 3, 37, 38.) Souffleté, au lieu de rendre l'affront, il s'excusait à l'insolent: traité de démoniaque, il chassait les démons; appelé charlatan , ennemi de Dieu , il acheminait vers le Royaume ceux qui l'injuriaient ainsi. Il ne cessait de recommander à ses disciples de se laisser fouetter, persécuter, proscrire, et de rechercher la dernière place: " Que celui qui veut être le premier parmi vous, " dit-il, " soit votre serviteur. " (Matth. XX, 26.) Et se prenant lui-même pour exemple, il ajoutait: " Comme le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner son. âme en rançon pour plusieurs. " (Ib. 28.) S'il chasse les démons, s'il fait la guerre aux diables, s'il ruine l'erreur, c'est encore un trait de mansuétude que de guérir tous les vices et d'affranchir ainsi les pécheurs, que de réprimer les entreprises des démons, et de tirer de peine les persécutés. Mais qu'est-ce à dire : " A cause de la vérité , de la douceur et de la justice? " Il a parlé de la guerre, du combat, il a montré le guerrier: il parle maintenant des exploits de son règne, de l'espèce de trophée qu'il a élevé , de la (43) nature de sa victoire. Ici-bas, tous les rois font la guerre ou pour des villes, ou pour de l'argent, ou par haine, ou par vanité: rien de pareil chez lui : il combat pour la vérité afin de l'implanter sur la terre; pour la douceur, afin d'adoucir des êtres plus farouches que des bêtes sauvages, et pour la justice, afin de rendre justes les âmes soumises à la tyrannie de l'iniquité, de les rendre justes d'abord par la grâce, ensuite par les bonnes oeuvres. " Et votre main vous guidera miraculeusement. " Suivant un autre : " Et votre main vous éclairera sur les choses terribles. " D'après un autre encore : " Et votre main vous montrera des choses terribles (7). " Voyez-vous comment ici encore, il nous fait entrevoir la majesté propre à l'auteur de tant d'exploits? De même que, plus haut, après avoir parlé d'armes et d'épée, il était revenu à la jeunesse, et avait ainsi élevé ses auditeurs aux pures contemplations de l'esprit : de même ici, après être descendu à ce détail grossier d'arc et de flèches, il relève peu à peu notre pensée, en nous exposant les, motifs de cette guerre, à. savoir la vérité, la douceur, la justice. Après cela il nous fait connaître la manière dont la victoire a été remportée. " Et votre bras vous guidera miraculeusement. " Voici le sens de cette phrase: Sa nature se suffit à elle-même , sa puissance n'a pas besoin d'aide pour voir ce qu'il faut faire , et pour l'accomplir.

7. Un autre dit fort bien : " Votre bras est terrible. " Rien de plus terrible en effet, de plus effrayant que ces exploits : la mort vaincue, les portes de l'enfer forcées, le paradis, le ciel ouvert, les démons bâillonnés, les choses d'en-haut mêlées à celles d'ici-bas, un Dieu fait homme, un homme assis sur le trône royal ; espérances de résurrection , attentes immortelles, jouissance de biens ineffables, que sais-je encore? autant de fruits de sa venue. De là ces mots : " Votre main vous guidera vers les choses terribles; " il veut montrer que la nature de ce Sauveur, que sa puissance lui suffit pour former, pour accomplir ses desseins. Les Septante traduisent : " Votre main vous guidera miraculeusement, " c'est-à-dire qu'il ne faut pas admirer seulement ces effets, mais la façon miraculeuse dont ils se sont produits. Une mort a vaincu la mort, une malédiction a anéanti la malédiction et y a substitué la bénédiction : un aliment nous avait fait exclure autrefois, un aliment nous (44) vaut notre rappel. Une vierge nous avait fait chasser du paradis, une vierge nous procure la pie éternelle. Ce qui nous avait fait condamner nous fait couronner. — Voilà ce que le Prophète a en vue, lorsqu'il dit : " Votre main vous guidera merveilleusement. " A quoi bon des armes, une épée, un arc, des flèches? voyez-vous que sa nature , sa puissance se suffisent à elles-mêmes? Mais voici que pareil à un bon danseur, il quitte les hauteurs pour descendre à des choses plus humbles. " Vos traits dont aiguisés, puissant. Les peuples tomberont sous vous au coeur des ennemis du roi (6). " Un autre dit : " Dans le coeur, les ennemis du roi. "

Considérez comment, en faisant mention des traits, il a soin de nommer " Puissant " celui à qui il s'adresse, afin de vous faire comprendre que les traits lui sont inutiles. Qu'il se suffit à lui-même. Voici la suite des idées ; " Vos traits sont aiguisés , puissant, dans le cœur des ennemis du roi. " Quant au membre de phrase : " Les peuples tomberont sous vous, " c'est une parenthèse. Je vois deux manières d'expliquer ce passage, ou bien il s'agit de l'asservissement des Juifs, de la prise et de la ruine de leur capitale, ou bien les traits sont une figure pour désigner le pouvoir de la parole. La parole, en effet, plus vite que la flèche , a fait le tour de l'univers entier, elle a frappé au coeur ceux qui jusque-là avaient été les ennemis du Roi, non pour les faire périr, mais pour les gagner : c'est ce qui arriva pour Paul. Car ce ne serait point se tromper que d'appeler trait cette parole qui, lancée du ciel, toucha ce coeur jusqu'alors hostile, et le rendit ami: " Les peuples tomberont sous cous. "Voyez-vous le succès de la guerre, la soumission des révoltés, la prédication, l'initiation? Car telle est la soumission dont il s'agit ici : être soumis à Dieu, c'est le fondement et le principe de toute élévation. Ainsi donc, il les a délivrés de tout orgueil, de toute vaine gloire, des' erreurs suggérées Par les démons, et se les est soumis. C'est dans le même sens qu'un autre prophète nous le l'ait voir ensanglanté : voici ses paroles : Quel est cet homme qui arrive d'Edon ? la " rougeur de ses vêtements vient-elle de Boror ? " (Isaïe, LXIII, 1) Point d'armes ici, d'arc, de flèches, mais des vêtements. L'expression est grossière encore , moins cependant que l'autre : et cependant jusque dans l'insuffisance de ce langage le Prophète trouve moyen d'élever notre pensée peu à peu aux choses incorporelles. En effet, à cette question, d'où vient la rougeur de ses vêtements, voici la réponse : " J'ai foulé un pressoir tout seul. " C'est indiquer la facilité de la victoire, l'absence de tout auxiliaire, la force suffisante que le combattant a trouvée en lui-même. De même qu'il dit ici : " Votre bras vous guidera miraculeusement, " de même en cet endroit : " J'ai foulé un pressoir tout seul. " Autant il est facile, en effet, à un vendangeur d'écraser des raisins, autant il est aisé à Dieu d'accomplir ses volontés : ou plutôt, cela lui est beaucoup plus aisé. " Votre trône, Seigneur, subsistera éternellement. Le sceptre de votre règne est un sceptre de droiture (7) " Vous " avez aimé la justice et haï l'iniquité. C'est " pour cela que Dieu, votre Dieu vous a oint d'une huile de joie entre tous ceux qui y ont part avec vous (8). " Un autre traduit : " Votre trône, ô Dieu est éternel, et au delà. " Le texte hébreu pour " Dieu , votre Dieu " pour Eloïm, Eloach. A cela que peut objecter le Juif? A qui s'appliquent ces paroles? Et l'hérétique? Prétendra-t-il que c'est (lu Père qu'il est dit : " Votre trône, ô Dieu, subsiste éternellement. " Mais alors comment accorder avec cela ce, qui suit : " Pour cette raison, Dieu, votre Dieu vous a oint? " Le Père n'est pas oint, il n'est pas oint comme le Christ. Il est donc évident qu'il s'agit ici du Fils unique, à qui s'applique déjà ce qui précède. C'est la même pensée qu'Isaïe exprime en disant : " Son règne n'aura pas de fin. " (Isaïe, IX, 7.)

8. Mais peut-être demandera-t-on comment il se fait que le prophète parle ici de la Divinité même, lui qui précédemment ne parlait que de la Divinité incarnée? Saint Matthieu "ne fait pas autrement. Il commence suivant la chair, et voici son début: " Livre de la généalogie de Jésus-Christ. " De même saint Luc et saint Marc; saint Jean seul procède autrement : il commence par placer sur le terrain de la Divinité : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. " Puis il ajoute : " Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous (14). " S'il s'y est pris autrement que ses autres dans la rédaction de l'Evangile, cela ne l'a pas empêché de se montrer tout à fait d'accord avec eux. Et comment, dira-t-on, peut-il y avoir (45) accord, là où il existe contradiction ? Est-ce que vous ne savez pas que manger est le contraire de ne point manger, boire de ne pas boire, donner de ne pas donner ? Pourtant il arrivé souvent qu'un médecin a recours successivement à ces moyens divers ; non qu'il se contredise : il est au contraire parfaitement d'accord avec lui-même, car il ne vise qu'à un but, la guérison du malade: C'est la même chose pour les évangélistes; l'été est le contraire de l'hiver, cependant il conspire à un même huit, la maturité des fruits, l'abondance. Le monde tout entier est composé de contraires mais il montre un parfait accord pour aider à notre vie. Le Christ lui-même suivit une voie opposée à celle de Jean : il mangeait, tandis que Jean ne mangeait pas. " Jean est venu, qui ne mangeait, ni ne buvait, et l'on dit : il a un démon en lui. Le Fils de l'homme est venu, qui mange et boit, et l'on dit: c'est un homme de bonne chère, et qui aime le vin. " (Luc, VII, 33, 34.) Mais malgré cette différence de conduite; l'un et l'autre conspiraient à un même but, à savoir le salut de ceux qui devaient être pêchés. — De même pour l'ordre oit sont placées la Divinité et l'Incarnation : Jean s'accorde avec les autres, bien qu'il prenne une voie contraire. Comment? je vais le dire. Au commencement, quand la parole n'était pas encore répandue, il était naturel d'insister sur l'In car nation,.et de consacrer tous ses efforts à établir ce dogme, en préludant parce qu'il y avait de plus matériel et de plus accessible aux sens. Mais une fois que la doctrine fut enracinée, quand les hommes eurent reçu la nouvelle, alors il devint à propos de remonter plus haut. Voilà pourquoi les prophètes, quand ils viennent à parler du Christ commencent, débutent par l'Incarnation. Voyez par exemple comment Michée prend les choses du plus bas : " Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es aucunement petite parmi les princes de Juda. " De toi, en effet, sortira le chef qui sera pasteur de mon peuple Israël. " (Mich. V, 2.) Cependant ce qui devait sortir de Bethléem, ce n'était point la divinité, mais la chair. Mais il ne s'en tient pas là, il remonte jusqu'à la divinité, en disant : " Et sa sortie est du commencement des jours de l'éternité. " Isaïe dit aussi : " Voici que la vierge concevra, et enfantera un fils, et on l'appellera de son nom Emmanuel, ce qui veut dire Dieu avec nous. " (Isaïe, VII, 1,4.) Voyez-vous comment Isaïe aussi remonte de la chair à la divinité? Ailleurs, c'est encore la même chose; il dit : " Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, et il est appelé de son nom Ange de grand conseil, admirable conseiller, Dieu fort, puissant, prince de paix, père du siècle futur. " (Is. X, 6.) Il a commencé par l'enfance, par l'incarnation, et voici que, montant par degrés il arrive à la divinité. C'est ainsi que le père s'était révélé d'abord par la création : " Ses perfections invisibles, " dit Paul, " rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles. " (Rom. I, 20.) Aussi se représente-t-il souvent lui-même sous des apparences sensibles, afin d'amener peu à peu le genre humain à la conception des choses incorporelles. Et pourquoi vous étonner de retrouver dans les dogmes cette marche que sa Providence suit dans les préceptes qu'elle nous donne ? Voilà pourquoi le Prophète parle ici comme il fait, s'élevant de la chair à la divinité (car les lèvres sont de la chair,) et redescendant après cela de la divinité à la chair: la diversité de son langage n'est qu'un moyen dont il se sert pour le salut de ceux qu'il instruit. " Votre trône, ô Dieu, subsiste éternellement : " trône en cet endroit ne signifie point ce qu'on entend généralement par là, mais la royauté. Ici, ce trône est qualifié d'éternel, ailleurs de sublime : " J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime. " (Is. VI, 1.) Et ailleurs : " Parce que votre trône est sublime. " Un autre prophète voit Dieu assis sur un trône de gloire. David montre que c'est aussi un trône de bonté : " Miséricorde et jugement sont le redressement de son trône. " (Ps. XCVI, 2.)

9. Tout cela doit être entendu de la royauté c'est elle qui est impérissable sans fin, glorieuse, sublime, forte et solide. De plus elle n'a pas eu de commencement, comme le prouvent ces mots: "Votre royauté est une royauté de tous les siècles. " (Ps. CXL,V, 13.) Si le trône est un emblème de la royauté, le sceptre symbolise à la fois la royauté et le pouvoir judiciaire. Delà ces mots: " Le sceptre de votre " royauté et un sceptre de droiture. " — Là haut, en effet, la justice est toute pure, la droiture sans déviation : ce ne sont plus, comme ici-bas, de simples esquisses. Ecoutez, insensés, écoutez, misérables fous, si toutefois c'est assez dire. De qui veux-je parler ? De ceux qui accusent la Providence et disent . Pourquoi ceci (46) et cela ? Si l'on se trouve auprès d'un menuisier, qu'on le voie rompre et scier du bois, on ne va pas lui demander compte ni raison de ce qu'il fait; ni les assistants ni le malade lui-même ne vont importuner ère questions le médecin qui porte le fer et le feu dans les plaies, qui enferme son client, qui lui impose le tourment de la faim : un pilote petit tendre ses cordages, déployer ses voiles, laisser l'eau pénétrer dans les flancs de son navire, sans être assiégé de questions oiseuses et fatigantes: on se tait, on reste en repos, quelques fautes que ces gens puissent commettre contre les règles de leur art : et cette sagesse ineffable, cette ineffable bonté, cette sollicitude infinie, il ne serait" pas absurde d'en scruter les desseins avec une indiscrète curiosité ? Quelle démence ! on ne se chargerait pas volontiers de porter secours aux opprimés, de sacrifier de l'argent pour les pauvres: mais on ne cesse de se demander pourquoi un tel est pauvre, pourquoi un tel mendie, pourquoi tel autre est riche. Mauvais esclave sans raison, au lieu de courber la tête, de t'accuser toi-même, de mettre un frein à ta langue, de maîtriser tes pensées, et de reporter sur un autre objet, sur ta propre vie, cette inquiétude de ton esprit? Abaisse tes regards sur tes actions, sur l'océan de tes péchés : et si tu es curieux, si tu aimes à questionner, demande-toi compte à toi-même des paroles, des actions, dont ta conduite est souillée ! Mais non : tu renonces à t'examiner toi-même, en dépit du châtiment qui menace ton insouciance, du salut qui serait la récompense d'une pareille enquête, et tu préfères ajouter à tes péchés en citant Dieu devant ton tribunal ! N'entends-tu pas le prophète qui lui dit : " Le sceptre de votre royauté est un sceptre de droiture? " Et cet autre qui parle ainsi : " Son jugement sortira comme une lumière. " (Osée, VI, 5.) Si tu ne sais pas tous les secrets de ton maître, eh bien ! c'est une raison de plus pour toi de le glorifier, de l'adorer : il n'en est pas de plus forte que son ineffable grandeur, que l'incompréhensibilité de son essence, que l'inépuisable industrie de sa sollicitude. " Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité. " Après avoir rappelé plus haut les succès, les victoires, les trophées, le salut donne au monde, la vérité, la mansuétude, la justice répandue, dans l'univers entier, voulant montrer que ces événements n'ont rien d'inexplicable, il se met à faire ressortir la grandeur du conquérant : c'est un Dieu, c'est un roi, un être immortel, un juge incorruptible, un ami zélé des hommes justes, un ennemi des méchants : et c'est parce qu'il est tel qu'il a remporté de pareils succès. Ainsi que personne ne se laisse aller à l'incrédulité. Tant de victoires témoignent et de la puissance et de la volonté du vainqueur. Après avoir énuméré les titres éminents de la divinité, il redescend à la chair et dit : " Aussi Dieu, votre Dieu vous a oint. " Un autre dit: " Vous a oint pour cela, " c'est-à-dire pour remporter tous ces succès dont il a été question, bannir l'iniquité, implanter la justice, faire enfin ce que vous avez fait. Mais vous, n'allez pas vous déconcerter en entendant le Prophète attribuer ces oeuvres au Père... Il ne s'exprime pas ainsi pour en ôter l'honneur au Fils, mais pour associer le Père à la gloire du Fils, de la même façon que l'Ecriture attribue au Fils ce qui appartient à son Père : " Tout ce qui est à moi " est à toi, tout ce qui est à toi est à moi. " (Jean, XVII, 10.) Paul dit en parlant de la résurrection : " Dieu l'a réveillé d'entre les morts (I Cor. VI, 14) ; " et Jean : " Ouvrez ce temple et dans trois jours je le réveillerai. " (Jean, II, 19.) Mais que signifie cette expression " Huile de joie ? " Le Christ n'a pas été oint d'huile, il l'a été par le Saint-Esprit. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute: " Entre ceux qui y ont eu part avec vous, " faisant voir justement par là que l'onction n'a pas été la même. — Il y avait eu beaucoup d'oints avant lui, mais pas un seul n'avait été oint de la même manière : de même qu'il y avait eu beaucoup d'agneaux, mais aucun qui l'égalât, beaucoup de fils, avant qu'il fût le Fils unique. Tout en lui est exceptionnel, non pas seulement ce qui tient à la divinité, mais encore ce qui procède de l'Incarnation : car personne n'avait été oint par un pareil esprit. Que si l'huile est nommée ici, ne vous en étonnez pas : notre écrivain est un prophète, il parle un langage énigmatique. — Et ce mot de " Joie " vient ici à merveille : en effet " le fruit de l'Esprit est amour, joie, paix. " Un autre dit : " D'une huile de beauté. " Le texte hébreu porte " Sason, " c'est-à-dire beauté, gloire, parure. D'ailleurs, s'il faut lire, " De joie, " le sens n'est pas moins satisfaisant. Ainsi donc qu'en lisant les mots épée, traits, arc, vous n'allez point penser à une épée, à un arc, à des traits, mais à la puissance qui a opéré tant de merveilles, de même ce mot " huile n ne doit pas vous représenter de l'huile proprement parler, mais une onction. Car l'huile était un emblème de l'Esprit, et l'Esprit était ici la chose principale et nécessaire.

Puisqu'il en est ainsi, n'hésitez pas à lui donner ce nom de Christ ou d'oint qu'ont porté avant lui Abraham et les prophètes, bien qu'ils n'eussent pas tous reçu l'onction de l'huile. Par exemple, il est écrit : " Ne touchez pas à mes oints, et ne faites pas de mal à mes prophètes." (Ps. CIV,15.) Mais quand donc le Christ a-t-il reçu l'onction ? Quand l'Esprit descendit sur lui sous la forme d'une colombe. Par ces mots " Ceux qui y ont eu part, " entendez tous les hommes spirituels. Jean dit de même : " Nous avons tous reçu de sa plénitude ; " et en parlant de Jésus : " Dieu ne lui mesure pas le don de l'Esprit. " (Jean, I, 16, et III, 34.) Ailleurs il dit : " Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. " Mais en cette occasion ce n'est pas une effluve de l'Esprit, c'est tout l'Esprit, qui est descendu; d'où ces paroles : " Dieu ne lui mesure pas le don de l'Esprit. La myrrhe, l'aloès et la cannelle parfument vos vêtements (9). " Suivant un autre: " coulent sur vos habits;" un autre traduit: " tous vos vêtements. "

10. Quelques-uns prétendent que le Prophète , par là , désigne allégoriquement la sépulture ; d'autres y voient une allusion au changement survenu dans l'onction. En effet, ce n'étaient pas ces parfums, mais d'autres, que les anciens employaient pour oindre. Afin de montrer que le mode d'onction est différent, le Psalmiste a déguisé, sous une diversité de substances, une différence d'opération. Quant à ces mots " Vos vêtements, " ils signifient que les vêtements mêmes du vainqueur étaient tout pleins de grâce. C'est ainsi que l'hémorrhoïsse n'eut qu'à toucher la frange du vêtement de Jésus pour arrêter ses pertes de sang. — Rien n'empêche d'adopter ou ce sens ou l'autre; je les juge également acceptables. — En conséquence, ainsi qu'en entendant parier d'arc et d'épée (pourquoi craindre de le redire ?) ou d'autres choses pareilles, vous ne vous arrêtez pas à la lettre : de même ici, sous ces mots " myrrhe et cannelle " cherchez un sens mystique, au lieu de vous figurer des réalités : sensibles. " Vos palais d'ivoire, ce qui a engagé des filles de rois à vous procurer de la joie dans l'éclat de votre gloire. " Suivant un autre : " Dans votre illustration. "

Il a dit ses victoires : il dit maintenant les honneurs qui s'ensuivent: il sera honoré dans des temples magnifiques. Autrefois l'ivoire était la matière la plus précieuse et la plus recherchée ; d'où ce cri d'un autre prophète : " Malheur à vous qui dormez sur des lits d'ivoire ! " (Amos, VI, 4.) Et il montre ensuite que la bonne nouvelle n'arrivera pas seulement aux simples particuliers, niais amènera des royaumes entiers à la soumission, et que des palais précieux seront élevés pour le triomphateur. Toutes ces prédictions sont aujourd'hui réalisées. Voulant montrer la puissance de la révélation, le Prophète dit comment elle conquit, subjugué hommes, femmes, pauvres, riches, rois au front ceint du diadème, reines, et les détermina à bâtir de toutes parts des temples à Dieu. Une fois engagé dans ce propos, il s'y étend, et s'arrête à décrire les serviteurs de Dieu et ses suppliants. Pour montrer comment les peuples se soumirent à lui, comment il toucha leur coeur, comment il triompha de ses ennemis, vit son bras partout victorieux, implanta partout vérité, douceur et justice , il recourt encore une fois au langage métaphorique, et trace une figure de l'Eglise conforme à ce que les apôtres en ont dit plus tard, l'un d'eux, par exemple, dans ce passage: " Je vous ai fiancés à cet unique époux qui est Jésus-Christ, pour-vous présenter à lui comme une vierge pure. " (I Cor. II, 2.) Un autre dit : " Celui qui a l'épouse est l'époux. " (Jean, III, 29.) Un autre : " Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. " — Le Prophète prédit ici la même chose en faisant paraître à la fois une fiancée et une reine : de là ces mots : " La reine s'est tenue debout à votre droite. " Suivant urne autre version, " a été comme une colonne, " en d'autres termes, s'est tenue immobile, sans bouger, de même que le Christ dit ailleurs : " Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. " (Matth. XVI,18.) Voyez-vous cet excès d'honneur ? cette majesté ? Celle qui était foulée aux pieds, traînée dans la boue, il l'élève si haut, qu'elle se tient debout à ses côtés : cette captive, cette esclave, cette prostituée, cette impure, voyez-vous à quelle dignité la voilà parvenue ? Elle est debout auprès du trône avec les puissances chargées du service céleste. Pendant que le Fils, comme égal au Père en dignité est assis à la droite, elle se tient là debout. Car toute reine qu'elle est, elle (48) n'en est pas moins de substance créée. Comment donc Paul petit-il dire : " Il nous a ressuscités avec lui et fait asseoir dans les cieux en Jésus-Christ? " Veuillez faire attention. Il ne se borne pas à dire : " Il nous a ressuscités et fait asseoir ; " il ajoute : " En Jésus-Christ, " c'est-à-dire par l'entremise du Christ. Puisque notre tête est là-haut, nous qui sommes le corps, nous n'en participons pas moins aux honneurs, bien que restant debout. Enveloppée d'un vêtement enrichi d'or et diversement parée. " — D'après un autre : " Avec un diadème d'or de Suphir. "

Si, quand il était question du roi, il ne fallait pas nous figurer un arc et des flèches, de même ici n'allez pas vous figurer des vêtements de fiancée : ne voyez dans ces expressions que des symboles matériels recouvrant des idées dignes de Dieu. — Pour prévenir une pareille erreur, le Prophète lui-même a soin d'ajouter : " Toute la gloire de la fille du roi lui vient du dedans (4). " Or les vêtements sont ce qu'il y a au monde de plus extérieur, de plus visible, du moins les vêtements du corps: mais quand il s'agit de choses spirituelles, c'est au dedans qu'il faut porter les regards de son esprit. Ce vêtement est l'ouvrage du roi, c'est lui qui en a revêtu la fiancée par le baptême:. " Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. " (Gal. III, 27.) Avant cela, elle était nue; repoussante, offerte en spectacle à tous les passants. Mais du jour où elle a revêtu cet habit, elle est montée à ce degré d'élévation, elle a été jugée digne de se tenir à la droite. — C'est à propos aussi qu'il parle de parure diverse. Le vêtement, en,.effet, n'est pas uni. Le salut ne vient pas seulement de la grâce : il nécessite aussi la foi, et après la foi, la vertu. Mais ici il ne s'agit pas de vêtements. L'Esprit s'inquiétait peu de décrire les habits dorés d'une femme. Si Isaïe s'élève contre les femmes parées, si toute l'Ecriture proscrit le luxe comment le Psalmiste aurait-il pu. ici faire l'éloge d'une femme parée ? " Ecoute; ma fille, et vois; incline ton a oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père (12). Et le roi désirera ta beauté, " ou " afin que le roi désire. Parce qu'il est ton Seigneur; " suivant un autre " car il est ton Seigneur. Et ils l'adoreront. " Un autre traduit : " Et adore-le. Et la fille de Tyr avec des présents (13). " — D'après un autre : " Et la fille forte apportera des présents. Les riches du peuple supplieront ton visage. "

11. Rien ici de sensible, vous le voyez, rien de matériel ; font s'adresse a l'esprit seuil. Comment s'expliquer en effet cette fiancée, fille de son fiancé, cette fille fiancée de son père ? Au point de vue de la chair cela est impossible, les deux choses ne s'accordent point; mais au point de vue de la divinité, elles sont conciliables. Celui qui lui a donné par le baptême une vie nouvelle, est aussi celui qui l'a prise pour fiancée. "Ecoute, ma fille, et vois. " Elle lui doit deux choses, l'enseignement par l'entremise de la parole, et la vue par l'entremise des miracles et de la foi ; elle a reçu de lui et des dons et des promesses. Ecoute donc fines paroles, vois mes miracles et mes oeuvres et reçois patiemment mes exhortations. Et voyez par quelle exhortation préalable il commence : " Oublie ton peuple et la maison de ton père." Comme il l'a prise parmi les Gentils, il commence par lui prescrire de renoncer à ses habitudes d'enfance, de les chasser de son souvenir, de les bannir de sa pensée; il ne veut pas seulement qu'elle les fuie, il lui défend même d'en garder le souvenir. Et oublie ton peuple et la maison de, ton père. En disant le peuple et la maison, il désigne tout ce qui occupe les Gentils, leur vie comme leurs doctrines. " Et le roi désirera ta beauté. " Vous voyez qu'il n'est pas question de beauté corporelle; si tu agis ainsi, lui dit-il, alors tu seras belle, alors le Roi désirera ta beauté. Or ce n'est pas là ce qui fait la beauté corporelle. Elle se rencontre chez les infidèles et il va de belles femmes qui sont païennes. Mais pour mieux vous convaincre qu'il n'est pas question de beauté sensible, le Prophète fait consister dans l'obéissance la beauté dont il parle ; or, l'obéissance ne produit pas la beauté du corps, mais celle de l'âme. Si tu agis ainsi, alors tu seras belle, tu deviendras un objet d'amour pour ton époux. " Parce qu'il est ton Seigneur. " Voici que le père se révèle comme époux et maître. Après avoir enjoint à la jeune femme de renoncer à ses parents, d'oublier son peuple, de renoncer à ses habitudes, il fait voir que l'a raison de ces préceptes est des plus fortes, que son langage se suit parfaitement, que l'obligation d'y obéir est impérieuse. En effet, si ton père est en même temps ton époux et en même temps ton maître, tu dois renoncer à tout pour te consacrer uniquement à lui. Et il ne dit point, parce qu'il est ton père, mais bien " parce qu'il est ton (49) Seigneur, " afin de la toucher davantage; c'est lui ton seigneur, ton maître, ton père, (lui a voulu en outre devenir ton époux, ou plutôt ce fait seul d'être devenu son seigneur atteste une sollicitude et une bonté infinies, puisqu'il a fallu l'arracher au joug des démons et à la tyrannie de l'erreur pour l'attacher à son service. Mais il n'en a pas fait seulement sa servante, il en a fait sa fille et sa femme. " Oublie ton peuple et la maison de ton père. " Car tu ne vas pas habiter chez un étranger, tu ne fais que retourner chez celui qui t'a engendrée, qui te touche de plus près que, personne, qui veille sur toi et te protége. Car il est à la fois ton maître, ton père et celui à qui tu dois tout. " Et ils l'adoreront, et la fille de Tyr avec des " présents. " - Quelle suite y a-t-il entre ces idées? Une suite parfaite. Il n'y a pas de meilleure méthode pour exhorter. Approche, dit-il, car sa puissance est grande et tous lui obéiront: Et omettant de parler de l'univers, le Prophète désigne seulement une ville voisine, alors plongée dans l'impiété, vraie citadelle du diable, grandement renommée pour son luxe; c'est la partie prise pour le tout.

Il me semble aussi désigner par là en général la débauche et l'impiété . car l'Ecriture est dans l’usage de caractériser la conduite humaine par des noms de ville. C'est ainsi qu'elle dit, par exemple : " Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome : ayez la loi de votre Dieu, peuple de Gomorrhe. " (Isaïe, I, 10.) C'est aux Juifs que parle Isaïe : mais comme leur conduite rappelait Sodome, il leur applique le nom de cette ville. Et faut-il s'étonner qu'il leur attribue ainsi fine patrie , quand ailleurs de la même façon on leur prête des parents . " Ton père est Amorrhéen, et ta mère Hettéenne. " (Ezéch. XVI, 3.) Et là ne s'arrête point l'invective : quelquefois des, noms d'animaux leur sont appliqués, comme dans ce passage du Nouveau Testament : " Serpents, progéniture de vipères (Luc, III, 7) ; ",et dans l'Ancien : " Ils ont brisé des oeufs d'aspics, et ils tissent une toile d'araignée." (Isaïe, LIX, 5.) Ailleurs il est dit : ".N'êtes-vous pas pour moi comme des fils d'Ethiopiens ? " (Amos, IX, 7.) C'est ainsi que dans l'endroit qui nous occupe, sont désignés par le nom de Tyriens ceux qui passent leur vie dans l'incontinence et l’impiété: Mais je triompherai de ces hommes, dit-il, je les vaincrai, je les forcerai d'adorer, et non pas seulement d'adorer, mais encore d'offrir des présents et des prémices, ce qui est le culte par excellence, et la marque d'une obéissance sans limites. Les riches du peuple supplieront ton visage. Qu'est-ce à dire, Supplieront? C'est-à-dire, les grands, les puissants d'aujourd'hui. t'honoreront, te glorifieront. C'est ainsi, en effet, que les choses se passent dans l'Eglise : les plus riches, les plus élevés en dignité honorent, cultivent les hommes vertueux. Car la vertu est au-dessus de tous les trésors.

12. Vous avez sous les yeux l'Eglise, objet d'hommages universels. " Ton visage " est mis là fort à propos pour signifier ta gloire, ta beauté. Puis, de peur que quelque esprit grossier n'aille interpréter dans un sens matériel ce qu'il a dit du visage, des vêtements, de la beauté, il ajoute : " Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans. " C'est comme s'il disait : Entre dans son âme, contemples-en la beauté : voilà ce dont je parle, en dépit de ces expressions, Vêtements, Beauté, Or, Franges, Broderies, que sais-je encore? C'est du coeur qu'il est question, c'est au sujet de l'âme que je vous instruis, c'est de la vertu que je parle, de la gloire intérieure. Aussi revient-il avec confiance aux images matérielles , une fois qu'il a redressé expressément l'erreur des esprits grossiers. " Environnée de franges d'or, diversement parée. " Suivant un autre : " Au moyen d'agrafes d'or revêtue d'habits de plusieurs couleurs. — Ici encore l’or signifie la vertu. — C'est ainsi que Paul a dit : " Si quelqu'un, bâtit sur ce fondement, or, argent, pierres précieuses , bois, foin, roseaux (I Cor. III, 12) : " ces noms de matériaux divers représentent ici le vice et la vertu. — En effet, craignant que vous ne voyiez dans ces choses le trésor qui, en réalité, est intérieur, le Prophète ne souffre pas que votre imagination s'égare sur les choses du dehors, et il la rappelle vers le dedans. Car la vertu embellit l'âme qu'elle revêt comme ces ornements embellissent le corps qui en est couvert. " Des vierges seront amenées au roi derrière elle (15). " Un autre dit " Suivront. " Un autre : " Seront présentées. Ses proches vous seront amenées. Elle seront amenées en joie et en allégresse. Elles seront conduites dans le temple du Roi (6). " Voyez-vous ces vêtements ornés de franges? voyez-vous cette robe dorée , cette fleur de virginité? C'est le vêtement de l'Eglise ; et veuillez considérer la précision avec laquelle (50) s'exprime le Prophète. Ce n'est pas tout d'abord, ni dès la formation de l'Eglise que fleurit la virginité, c'est plus tard et après un certain intervalle de temps. En conséquence, le Prophète n'en parle qu'après avoir parlé du reste, après avoir dit qu'elle a oublié le peuple et la maison de son Père, qu'elle s'est revêtue de cette parure, qu'elle a resplendi de beauté. De lit cette phrase : " Derrière elle ses proches et seront amenées. " Ses proches, non-seulement par le lieu, mais encore par le caractère, celles dont les doctrines répondent aux siennes. Les vierges qui sont parmi les hérétiques ne sont pas des vierges, à dire vrai : car elles ne sont pas proches de la reine. " Elles seront amenées en joie et en allégresse. " — Ici l'on entrevoit une maxime apostolique derrière les expressions transparentes du Prophète. Quelle est cette maxime : La voici : " Les épouses auront tribulation dans leur chair. " (I Cor. VII, 28.) Si les épouses ont en partage la tribulation, les vierges ont pour lot la joie et le contentement. L'une en effet , trouve mille sujets de soucis dans ses enfants, son mari, sa maison, ses serviteurs, ses parents, ses alliés, ses petits enfants, dans sa stérilité ou sa fécondité trop grande : ce n'est pas le moment de décrire ici tous les fléaux du mariage. La vierge crucifiée, détachée du monde, élevée au-dessus des préoccupations charnelles, une fois qu'elle a franchi le détroit, et qu'elle n'a plus de regards que pour le ciel, jouit de l'allégresse de l'Esprit, et vit au sein d'un bonheur sans mélange. Et ce n'est pas seulement la vie présente, c'est encore la vie future que le Prophète désigne allégoriquement, le jour où les vierges, portant dans leurs mains des torches éclatantes, iront au-devant de l'époux afin de lui faire accueil. Il emploie ici l'expression " temple du Roi " pour désigner le palais. " Pour remplacer tes pères des fils te sont nés " (17). Te naîtront, " d'après un autre. Il a été question plus haut de son peuple et de ses pères : " Oublie ton peuple et la maison de ton père : " S'il ajoute ce qui précède; c'est pour montrer qu'en ce point encore son bonheur sera parlait : elle était stérile, et la voilà mère d'enfants innombrables. — Peu importe, par conséquent, qu'elle ait été enlevée à ses parents. Elle aura autour d'elle une troupe d'enfants si illustre et si glorieuse, que toute la terre en sera couverte.

13. Si je ne me trompe, il s'agit ici des apôtres, qui furent ses docteurs. Ensuite dépeignant leur force, leur puissance et leur gloire, il dit : " Tu les établiras princes sur toute la terre. " Ces paroles ont-elles besoin d'explication? Ne le pense pas; la lumière du soleil, dans tout son éclat, n'est pas plus claire que ces mots. En effet, les apôtres ont visité toute la terre, ils ont été des princes plus puissants que les plus augustes monarques. Les rois dominent de leur vivant, et perdent leur pouvoir avec la vie. — Mais la mort des apôtres n'a fait qu'ajouter à leur empire. Les décrets des rois sont sans force hors de leur royaume; les préceptes donnés par ces pécheurs se sont répandus sur toute la surface de la terre. L'empereur des Romains ne saurait imposer des lois aux Perses, ni le roi de Perse aux Romains: les habitants de la Palestine ont imposé les leurs aux Perses, aux Romains, aux Thraces, aux Scythes, aux Indiens, aux Maures, au monde entier: et ces lois sont restées en vigueur non-seulement tant qu'ils ont vécu, mais encore après leur mort: et ceux qui y sont assujétis aimeraient mille fois mieux perdre la vie que d'en secouer l'autorité. " Je me souviendrai de votre nom dans la suite de toutes les races : et c'est pour cela que les peuples publieront vos louanges, dans les siècles des siècles (18). " Un autre traduit " Je rappellerai votre nom à chaque génération. Et c'est pour cela que les peuples vous " célébreront éternellement. " Il a fait voir la grandeur de cette puissance d'après l'étendue de la terre, les dimensions du monde, le nombre des peuples qui y seront soumis: — Il se fonde maintenant sur une autre considération pour en montrer la majesté: c'est qu'elle s'étendra non-seulement sur toute la terre, mais encore dans tous les siècles. Votre mémoire sera éternelle, dit-il, en tant qu'elle sera consignée dans nos livres, lisible dans notre conduite, inscrite dans nos maximes. Voyez comment il prédit en même temps la durée de sa propre prophétie, en disant: " Je me souviendrai de votre nom dans la suite de toutes les races. " — Quand je serai mort, je chanterai vos louanges jusque dans le sein de la mort. Car si le corps se dissout, l'Ecriture subsiste, et la loi dure. " C'est pour cela que les peuples publieront vos louanges. " Il finit par où il a commencé, à savoir, par un hommage au Christ. Qu'est-ce à dire pour cela? Entendez : parce que vous vous êtes (51) signalé par de si grands bienfaits; parce que vous avez donné au monde de pareils chefs, parce que vous avez chassé le vice, implanté la vertu, que vous vous êtes fiancé notre nature; que vous avez répandu ici-bas tant de biens ineffables. Voilà pourquoi le monde entier vous rendra hommage, non pas durant un espace de temps limité, durant dix, ou vingt, ou cent années; non pas dans une région seulement de la terre : mais la terre et la mer, les déserts et les pays habités vous chanteront durant l'éternité entière, et vous rendront grâces pour les bienfaits dont vous les avez comblés. Et nous aussi remercions de tout cela la bonté du Christ, par qui et avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit , maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. X***.

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLV. 1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ, POUR LES SECRETS. — SELON UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE D'ENTRE LES FILS DE CORÉ. — SELON UN AUTRE : CHANT POUR LES JEUNESSES. — 2. DIEU EST NOTRE REFUGE ET NOTRE FORCE, IL EST NOTRE AUXILIAIRE PUISSANT DANS LES AFFLICTIONS QUI NOUS ONT VISITÉS. — SELON UN AUTRE : AUXILIAIRE TROUVÉ DANS NOS AFFLICTIONS. — 3. C'EST POURQUOI NOUS NE SERONS POINT SAISIS DE CRAINTE, QUAND LA TERRE SERAIT BOULEVERSÉE ET QUE LES MONTAGNES SERAIENT TRANSPORTÉES AU COEUR DES TIERS.

ANALYSE.

1-2. Qu'il ne faut pas se fier aux ressources humaines qui ne sont rien , mais a Dieu qui fait tout ce qu'il lui plaît avec la plus grande facilité. — La bonté de Dieu est comme un grand fleuve qui verse ses eaux sur le monde.

3. De la paix apportée sur la terre par le Christ. — La colère de Dieu désignée par le feu.

1. Le prophète use de la méthode qui lui est familière, il détourne l'auditeur des choses de cette vie, et il l'élève à l'espérance des biens supérieurs. Ne me parlez ni d'armes, ni de remparts, ni de fossés, dit-il, ni de vos richesses surabondantes, ni de votre habileté dans l'art de la guerre, ni de la multitude de vos chevaux, ni de vos ares, de vos flèches, dé vos cuirasses, de vos nombreux auxiliaires, de vos superbes phalanges, de vos corps robustes, de votre expérience, des forces de l'ennemi. Tout

cela n'est qu'une toile d'araignée, une ombre, moins encore. Voulez-vous que je vous montre une puissance inexpugnable, un refuge imprenable, une forteresse inviolable, une tour inébranlable? recourez à Dieu, assurez-vous sa protection puissante. Elle est belle et juste l'expression : " Dieu est notre refuge et notre force, " elle montre que c'est tantôt en fuyant, tantôt en résistant et en combattant que nous remportons la victoire. C'est qu'en effet il faut faire ces deux choses suivant l'occasion, (52) et marcher en avant et battre en retraite. Saint Paul agissait de la sorte : tantôt il cédait à ses adversaires, tantôt il leur résistait et marchait contre eux armé de la parole de vérité. Le Christ lui-même en usait ainsi pour notre instruction. Faisons de même nous aussi, sachons discerner avec exactitude l'opportunité des temps, craignons la tentation, et pour n'y pas entrer, faisons la prière qui se trouve dans l'Evangile; mais, une fois la tentation venue, plus de faiblesse, mais une résistance généreuse. " Notre auxiliaire puissant dans les afflictions qui vous ont visités. " Ce que j'ai déjà dit bien souvent, je le répète encore : Dieu ne nous préserve pas toujours des assauts des tribulations, mais dès qu'elles nous assaillent, il nous assiste pour nous donner une fermeté dans le bien qui soit à toute épreuve. Quant au mot du texte qui signifie " puissamment, " c'est à " Auxiliaire " qu'il faut le joindre. En effet, ce n'est pas un secours tel quel qu'il nous prête, c'est un secours surabondant, un secours qui nous procure plus de consolations que les afflictions ne nous apportent de peine. Il ne proportionne pas strictement son aide à la gravité de nos périls, il dépasse toujours cette mesure. " C'est pourquoi nous ne serons pas saisis de crainte, " dit le Prophète, " quand la terre serait bouleversée. " Voyez-vous comment le secours accordé surpasse l'épreuve soufferte, avec quelle surabondance il arrive? Le Psalmiste ne dit pas seulement : nous échapperons au danger, nous ne périrons pas, mais : nous n'éprouverons pas même ce qui. semble le propre de la nature, je veux dire la terreur et la crainte. D'où vient cela? — de la surabondance de secours qui nous arrive.

Par ces mots de " terre, " de " montagnes, " de " coeur des mers, " le Psalmiste ne veut pas parler proprement des éléments, ce sont des expressions figurées pour dire des dangers insurmontables. Quand même, dit-il, nous aurions devant nos yeux une confusion , un bouleversement universels, immenses, des événements tels que le monde n'en vit jamais, une collision formidable éclatant au sein de la créature divisée, la nature troublée; ses limites déplacées, les fondements du monde ébranlés, les éléments rentrant dans le chaos, en un mot la perturbation la plus effrayante qui se puisse imaginer, non-seulement nous serions sauvés, mais nous ne craindrions pas même pour notre salut. Et pourquoi? — parce que le Maître de toutes choses nous donne son recours, nous tend la main, nous assiste. Si la menace de semblables catastrophes ne saurait nous faire céder et faiblir, combien moins le pourraient des ennemis s'avançant contre nous, même en bataille rangée. " Leurs eaux ont fait un grand bruit et ont été agitées. Les montagnes ont été ébranlées dans sa force (4). " Selon un autre interprète : " Le bruit et le tumulte des eaux et l'ébranlement des montagnes se font dans la glorification de Dieu. " Après avoir dit qu'ils ne craindraient pas même au milieu d'une collision de tous les éléments, le Psalmiste parlé de la puissance de Dieu, et dit que rien ne résiste à sa force. C'est comme s'il disait : nous avons raison de ne rien craindre, car ce qu'il fait maintenant ne diffère pas de ce qu'il fait toujours, c'est-à-dire qu'il publie sa puissance par les phénomènes de la création comme par les événements de l'histoire:

Ce que dit le Psalmiste revient à ceci : il secoue, il agite, il transforme tout, comme il lui plaît; tellement tout. lui est aisé et facile. Et il me semble qu'il a en vue, quand il parle ainsi, des multitudes de vaillants hommes, des ennemis de haute puissance, des adversaires disposant d'un peuple innombrable. Telle est la puissance de Dieu, veut dire le Psalmiste, qu'il n'a simplement qu'à vouloir pour que toutes ces choses existent. Comment donc pourrions-nous craindre, ayant un tel maître? " Changement de rhythme (1). " Un autre interprète met : " Toujours. — Le cours impétueux (5); " suivant un autre : " les divisions du fleuve ; " suivant l'hébreu : " phalagau, a réjouissent la cité de Dieu; le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. " Suivant un autre

" sanctuaire de l'habitation du Très-Haut. — " Dieu est au milieu d'elle; elle ne sera point ébranlée; Dieu la protégera dès l'aube du jour (6) ; " suivant un autre: " dès l'aurore; " suivant un autre : d au premier signe du ma" tin. " Après avoir parlé de la puissance de Dieu, dé sa force irrésistible, de la facilité avec laquelle il fait toutes choses, l'auteur passe à la protection dont sa providence couvre les Juifs, et en peu de mots il nous met sous les yeux les biens qu'il leur a départis. Comme s'il

1 Les Septante, Théodotion et Symmaque traduisent par diapsatma (qua vote designari volunt canendi vices aut flexus, dit Bossuet, dissert. de Psal.), et Aquila par ‘Aei , le mot hébreu Sela que l'on trouve souvent au milieu et quelquefois à la fin des psaumes.

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disait: or ce Dieu si puissant, si fort, si redoutable, qui porte et conduit tout, qui secoue, remue tout, a comblé notre cité de mille bienfaits. Car le mot " fleuve " est mis ici pour exprimer l'abondance des largesses d'en-haut et leur inépuisable épanchement. Tous les biens, semble-t-il dire, coulent sur nous comme de sources intarissables. De même qu'un fleuve divisé en mille canaux arrose les contrées subjacentes, ainsi la bonté de Dieu s'épanche de toutes parts sur nous, à flots abondants et tumultueux, remplissant tout de ses ondes bienfaisantes. Avec une entière sûreté, un secours incessant, elle nous procure encore une grande joie spirituelle; ce que le Psalmiste veut dire par les mots : " Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. " Et ce n'est pas là le moindre des bienfaits pour une ville, qu'elle soit appelée le tabernacle de Dieu.

2. Et l'expression de " Très-Haut" n'est pas mise là au hasard, elle fait entendre que celui qui est élevé, celui qu'aucun lien ne peut contenir, que la substance illimitée ! a daigné appeler la ville des Juifs son sanctuaire et qu'il l'embrasse de toutes parts. C'est ce que veulent dire ces mots: " Au milieu d'elle , " ainsi que ceux-ci qu'on lit ailleurs: " Voici que je suis avec vous. " (Matth. XXVIII, 20.) Il l'enveloppe de toutes parts; c'est pourquoi, non seulement elle ne souffrira aucun dommage, mais elle ne sera pas même ébranlée, la raison en est qu'elle peut compter sur le secours le plus prompt, son protecteur étant toujours disposé et prêt à agir. Car voilà le sens de ces mots, " Dès l'aube du jour; " ils marquent qu'il s'agît d'un protecteur qui n'est jamais en retard, qui ne vient point avec lenteur, dont la force est toujours jeune, vigoureuse, et qui ne manque jamais quand l'heure est venue. — " Les nations ont été troublées (7); " un autre " les nations se sont rassemblées. Les royaumes ont penché. Le Très-Haut a fait entendre sa voix; la terre a été ébranlée. "

Ici le Psalmiste montre l'énergie des secours. Il ne s'agit pas d'assaillants tels quels; mais des rois, des nations se liguent de toutes parts pour bloquer, pour assiéger une seule ville, et celle-ci non-seulement ne souffre aucun dommage, mais elle surmonte, elle dompte et renverse les assaillants. C'est ce que veut dire ce passage : " Les royaumes ont penché , le Très" Haut a fait entendre sa voix. " Comme si on

1 Je lis aphraktos , au lieu d’ aphrastos.

disait : le seul son de sa voix prend les villes; expression grossière et plus digne de l'homme à qui elle s'adresse que de Dieu, à qui, elle s'applique. Dieu n'a pas besoin de voix ni de cri pour vaincre mais seulement de sa volonté. Cependant cette dernière manière de parler de Dieu succède à de plus grossières encore, et c'est pour élever les esprits à de plus hautes conceptions que le Psalmiste l'emploie. Ayant partout représenté Dieu comme un guerrier couvert de ses armes, il veut montrer que ce ne sont là que des métaphores, des figures, des façons de parler appropriées à la faiblesse humaine. (Dieu n'a pas besoin d'armes) , et c'est pour cela qu'il ajoute: " qu'il a fait entendre sa voix et que la terre a été ébranlée;" ce qui signifie qu'il ébranle les villes, les nations et les contrées et jusqu'aux éléments. Par la terre l'Ecriture a aussi coutume de désigner les multitudes qui l'habitent, comme lorsqu'elle dit: " Et toute la terre était une seule langue (Gen. II, 1.) — Le Seigneur des puissances est avec nous ; le Dieu de Jacob est notre défenseur. " Au lien de: "Des puissances, " l'hébreu dit Sabaoth (8).

Voyez comment le Psalmiste passe de la terre au ciel et comment il élève subitement sa parole jusqu'aux peuples innombrables des anges, aux nations des archanges, aux puissances d'en-haut. Que me parlez-vous encore et d'armées, et de barbares, et d'hommes mortels ? semble dire le Psalmiste. Pour vous faire une idée de la force de Dieu, songez à la royauté qu'il exerce , et aux armées innombrables des puissances invisibles qui sont rangées sous son commandement dans les cieux. Et ce terme de " puissances , " est très-bien choisi pour exprimer la force de ces habitants du ciel. Le Psalmiste l'emploie encore dans un autre endroit, disant: " Les puissants par la force, ceux qui exécutent sa volonté. " (Ps. CII, 20.) Les anges en effet sont très-forts, puisqu'un seul d'entre eux étant sorti des rangs de l'armée du ciel tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes. — Que nous fait, direz-vous, la force de Dieu , s'il ne veut pas nous tendre la main? C'est pour que vous n'ayez pas cette crainte que le Psalmiste ajoute :: " Notre défenseur. " Donc il a non-seulement le pouvoir mais encore la volonté de nous secourir. — Mais peut-être n'en sommes-nous pas dignes? — Ne craignez rien, sa bienveillance est. un héritage que nous ont laissé nos pères; c'est ce que le Psalmiste (54) insinue par les mots: " le Dieu de Jacob; " comme s'il disait: c'est son habitude constante, dès la plus haute antiquité, dès l'origine. — " Changement de rhythme ; " un autre: " Toujours. — Venez et voyez les couvres de Dieu, qu'il a fait paraître comme des prodiges sur la terre (9) , en abolissant les guerres jusqu'aux extrémités de la terre (10). Il rompra l'arc, il brisera l'arme (un autre dit: il a brisé), et il brûlera les boucliers dans le feu. " Un autre dit: " il consumera les chars dans le feu. "

Le Psalmiste a parlé de la terre, de la mer, des montagnes, de la joie céleste descendue. dans les âmes, du secours d'en-haut, et maintenant il s'adresse aux spectateurs eux-mêmes, il les prend comme sujet de son discours, et pour les remplir de joie en même temps que pour exciter leur amour envers le Seigneur, il mentionne les trophées, il célèbre les victoires qu'il a remportées pour eux. Et il a eu raison de dire " prodiges, " au lieu de trophées et de victoires. Car les faits qu'il rappelle ne s'étaient pas accomplis selon les lois de la nature; le sort du combat n'avait été décidé ni par les armes, ni par la forée du corps, mais paria seule volonté de Dieu, que la voix des . événements eux-mêmes désignait clairement comme le général de son peuple.. Puisque les faibles triomphaient des forts, une poignée d'hommes, d'une multitude, ceux qui étaient assujettis de ceux qui les tenaient sous le joug, le Psalmiste a bien raison de nommer de tels événements, des prodiges, puisqu'ils s'étaient accomplis d'une manière surprenante, et qu'ils s'étaient étendus jusqu'aux extrémités de la terre.

3. On ne se tromperait pas non plus si l'on voulait prendre ces choses dans le sens anagogique, et les appliquer au temps présent. Et en effet, Dieu a mis fin â une grande guerre, celle des démons, et il a étendu partout sur la terre le règne de la paix, il n'y a pas jusqu'à la guerre sensible et proprement dite qu'il n'ait apaisée. C'est ce qu'Isaïe annonçait en disant : " Ils convertiront leurs épées en charrues, et leurs lances en faux; et une nation ne tirera pas l'épée contre une nation, et ils ne s'exerceront plus à la guerre. " (Isaie, II, 4.) Avant la venue du Christ en effet, tous les hommes portaient les armes, il n'y en avait point qui fussent exempts de cette charge,.et les villes combattaient contre les villes, ce n'étaient partout que guerres et conflits sanglants. Aujourd'hui la plus grande partie de la terre est en paix, la grande majorité du genre humain vit dans la sécurité, s'occupant des arts, cultivant la terre, et parcourant la mer. La milice n'occupe plus qu'un petit nombre d'hommes chargés de porter les armes pour les autres. Ce petit nombre serait même inutile, si notre conduite était ce qu'elle devrait être, si nous n'avions pas besoin des avertissements, des calamités. Par " le feu, " le Psalmiste entend ici la colère de Dieu; et il parle d'un fait qui s'est passé réellement, savoir que les Israélites, ayant vaincu. leurs ennemis, brûlèrent leurs armes et leurs chars; Ezéchiel en parle aussi (Ezéch. XXXIX, 10), et tous les hommes instruits savent cette histoire. — " Reposez-vous et connaissez que je suis Dieu. Je serai élevé au milieu des nations, je serai élevé au milieu de toute la terre (44). " Un autre dit " Soyez guéris et connaissez; " un autre : " Cessez, afin que vous connaissiez; " l'hébreu dit : " Ouarpthou ouadou. "

Ici l'auteur me semble s'adresser aux gentils et leur dire ceci : connaissez la force de Dieu, et sa puissance qui s'étend sur toute la terre mais pour cela vous avez besoin de repos, vous avez besoin d'une âme saine. La leçon " Cessez, etc., "donne le même sens : abandonnez l'erreur, défaites-vous de vos mauvaises habitudes ; levez un peu la tête au-dessus de l'obscurité dans laquelle vous tient courbés la pratique de tous les vices, respirez un instant, afin que, guidés par le lumineux enseignement des prodiges, et jouissant du calme de l'âme, vous appreniez à connaître le Dieu dé l'univers. Les miracles ne suffisent point quand l'âme n'est pas bien disposée. Les Juifs ont vu des miracles, et ils n'en ont retiré aucun profit pour leur salut. De même que les rayons du soleil ont besoin pour opérer la vision, de tomber dans des yeux limpides et sains, ainsi les miracles ne peuvent rien sans la disposition de l'âme. Voilà pourquoi, après avoir parlé des miracles, le Psalmiste exhorte ceux qui veulent en recueillir quelque avantage, à se débarrasser des maux qui les enveloppent pour arriver à la connaissance de Dieu, souverain maître de toutes choses. " Reposez-vous et connaissez que c'est moi qui suis Dieu, " et non pas vos simulacres et vos statues. " Reposez-vous " donc et je vous présenterai de nombreuses preuves. Voilà en effet ce que (55) signifie ce passage : " Je serai élevé parmi les nations, je serai élevé au milieu de la terre; " c'est-à-dire, par mes oeuvres, vous seront manifestées mon élévation et ma grandeur. Car l'élévation est le propre de cette nature sans mélange et ineffable. Mais puisqu'elle vous est cachée, je vous la montrerai par mes oeuvres, non-seulement à Jérusalem et dans la Palestine, mais jusque parmi vous, les gentils. Il s'élève donc en les domptant, en les subjuguant par les miracles qu'il opère partout, miracles à Babylone, miracles en Egypte, miracles dans le désert, afin de les amener à la connaissance de lui-même. — " Le Seigneur des puissances est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur (12). " Ainsi donc ce Dieu, qui est partout grand, partout élevé, un tel Dieu est avec nous. Ne craignez donc pas, ne vous troublez pas, ayant avec vous un si invincible Maître, à qui convient tout honneur et toute gloire, avec le Père qui est sans commencement, et avec son Esprit vivificateur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. Jeannin

 

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLVI. 1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ. — UN AUTRE : A CELUI QUI A FAIT REMPORTER LA VICTOIRE AUX FILS DE CORÉ. — 2. VOUS TOUTES, O NATIONS, APPLAUDISSEZ AVEC LES MAINS. — UN AUTRE : AVEC LA MAIN. TÉMOIGNEZ A DIEU VOTRE ALLÉGRESSE PAR DES CRIS. — UN AUTRE : TÉMOIGNEZ VOTRE ALLÉGRESSE PAR VOS LOUANGES. — 3. CAR LE SEIGNEUR EST LE TRÈS-HAUT, LE DIEU TERRIBLE, IL EST LE GRAND ROI QUI RÈGNE SUR TOUTE LA TERRE.

ANALYSE.

1. Comme doit être entendu, en particulier, le texte ci-dessus, et en général l'Ecriture sainte.

2. Jésus-Christ a vaincu le diable ; comparaison des bienfaits accordés aux Juifs avec ceux dont les Chrétiens ont été comblés ; réfutation des Anoméens.

3. La toute-puissance de Jésus-Christ éclate dans les moyens qu'il a pris pour subjuguer le monde. — S'il ne descendit pas de la croix, ce fut pour rendre son triomphe plus glorieux.

4. Ce qu'il faut entendre par ces mots Eligit nobis hereditatem suam Jacob, quam dilexit; et Ascendit Deus in jubilo.

5. Cette trompette dont il est ici parlé n'est autre que la commune voix des Apôtres. — Siéger, pour Dieu, est la même chose que régner et régner saintement.

1. Ce psaume traite aussi le même sujet, car il célèbre les victoires remportées et les tropliées conquis sur l'ennemi, il invite la terre tout entière à bénir ces heureux événements. Mais peut-être quelques personnes trouverontelles que c'est là pour des exhortations parties

du Saint-Esprit un exorde peu convenable, peu convenable aussi cette invitation qu'il nous fait d'applaudir à grand bruit, et de pousser des cris retentissants. En effet, te dira-t-on, cela n'est guère digne de ceux qui se réunissent dans cette enceinte pour y recevoir (56) un auguste enseignement: applaudir et claquer des mains, c'est plutôt le fait d'un habitué de théâtre ou de banquets, tandis que ce qui convient à des hommes élevés dans la grâce du Saint-Esprit c'est le calme et la décence. Quel est donc le sens, de cette parole, de quels cris, de quels applaudissements veut donc parler le Prophète ? Car c'est là l'habitude des soldats qui entrent en ligne de bataille et se préparent à combattre, je parle de ces cris et de ce grand bruit qu'ils font entendre pour intimider l'ennemi, tumulte bien étranger à la sérénité de l'âme chrétienne. Or le psaume nous commande de faire ces deux choses, d'applaudir et de crier. Que signifie cela? Ce n'est pas autre chose qu'une démonstration de joie, qu'un symbole de victoire. Ailleurs le prophète ne nous montre-t-il pas aussi les fleuves applaudissant ? " Les fleuves," dit-il., " battront des mains à cette vue. " ( Ps. XCVII , 9. ) Isaïe en dit autant des arbres (Isaïe, LV, 12 ) ; il nous représente aussi les collines et les montagnes bondissant ( Ps. CXIII, 4), non pas pour nous faire croire que les collines et les montagnes bondissent, ou due les fleuves applaudissent et qu'ils ont des mains (ce serait le comble de la sottise), mais pour nous peindre une joie excessive. C'est ce qu'on peut voir même chez les hommes. Et pourquoi n'a-t-il pas dit : Réjouissez-vous et bondissez, mais : Battez des mains, et poussez des cris de joie ? Parce qu'il nous fait comprendre que c'est le signe d'une joie extrême. De même que le Christ, quand il dit ( Matth. VI,17) : " Mais vous, lorsque vous jeunez, parfumez votre tête, et lavez, votre visage, " ne nous invite pas à faire usage es essences ( car nul parmi nous n'a cette habitude), mais à témoigner que nous sommes dans la joie et que la gaîté règne dans notre ceèur (il veut en effet qu'on jeûne non pas avec la tristesse, mais avec la joie peinte sur le visage), de même en cette circonstance on nous ordonne, non pas de battre des mains, mais de montrer notre joie et notre bonheur en chantant le psaume. Il serait juste de rechercher plutôt dans ce psaume le sens anagogique , en se mettant au-dessus du fait historique. Car s'il commence et s'il débute par des images sensibles, il mène cependant l'auditeur dans les régions de l'idée pure.

Ce que j'ai dit plus haut, je vais le répéter il est des expressions qu'on doit prendre au

pied de la lettre, il en est d'autres qu'on ne doit admettre qu'avec un sens différent du sens littéral; comme dans ce cas-ci : " Les loups et les brebis paîtront ensemble. " (Isaïe, II, 6.) Nous n'irons pas croire qu'il s'agisse en réalité de loups et dé brebis, pas plus que de paille, de boeufs ou de taureaux. C'est une image qui, par la comparaison avec les animaux, nous sert à caractériser les moeurs des hommes. D'autres passages ont une double acception, une sensible pour l'imagination, et une intelligible pour l'entendement : comme nous faisons quand nous interprétons dans le sens mystique ce qui concerne le fils d'Abraham. Nous savons qu'il fut offert en sacrifice (Gen. XXII), et dans ce sacrifice du Fils notre esprit distingue un sens caché, il devine qu'il s'agit de la Croix. De même l'immolation de l'agneau pascal en Egypte est pour nous une image de la Passion. (Exod. XII.) C'est aussi ce que nous devons faire dans la circonstance présente. Car on ne parle pas seulement des Arabes et des peuples voisins, c'est un appel qui s'adresse à toutes les nations : " Parce que le Seigneur est le Très-Haut, celui qu'on doit redouter, parce qu'il est le grand Roi qui règne sur toute la terre. " Dès le début l'attention de l'auditeur s'éveille à l'annonce de tant de biens, et devant cette convocation solennelle de la terre entière, devant cette fête à laquelle Dieu et le Saint-Esprit prennent part, pour ainsi dire, devant cette sainte doctrine qui descend des cieux vers nous. Aussi nous dit-on " Applaudissez " c'est-à-dire " réjouissez-vous, bondissez de joie. " Telle est en effet l'invitation que nous adresse l'Evangile quand il dit : " Bondissez de joie. "(Luc, VI, 23.) En réalité il ne nous invite pas à sauter, à bondir (ce serait une inconvenance) : il nous peint la joie dans toute sa vivacité. Et certes l'événement dont il s'agit mérite qu'on s'en réjouisse beaucoup. Car toutes les terres que voit le soleil, l'Evangile les a parcourues, et l'univers a été sauvé, et ceux qui auparavant étaient les esclaves de l'erreur ont suivi une religion supérieure au culte des Juifs. " Vous toutes, ô nations, battez des mains !" Que ces mains, dit-il, ces mains impures, sacrilèges, que souillait chaque jour le sang répandu dans d'immondes sacrifices, ces mains avec lesquelles vous avez immolé des enfants, ces mains qui n'ont pas reculé devant l'infamie, qui ont violé la nature elle-même, que ces mains applaudissent aujourd'hui. (57) " Témoignez à Dieu votre allégresse par des cris ! " Que cette langue qui a servi à vos impuretés, qui a prononcé des blasphèmes, que cette langue répète avec des cris de joie l'hymne du triomphe. Les soldats , quand ils voient plier les bataillons ennemis, ont coutume non pas de continuer à combattre corps à corps, mais d'élever la voix tous ensemble pour achever d'abattre par leurs cris de victoire le courage de leurs ennemis, déjà ébranlé. Terminer la guerre en cessant d'employer la force, en se contentant de pousser des cris sans se servir de ses bras et de ses armes, n'est-ce pas la meilleure preuve d'une brillante victoire et du triomphe ?

2. C'est donc le Christ qui a tout fait: il a mis fin à cette guerre redoutable, il a enchaîné le puissant ennemi, il lui a ravi ses armes. Et comme il aime les hommes, il permet à ceux qui n'ont pas été à la peine de jouir des fruits de sa victoire et de ses trophées, il veut qu'ils se préparent à chanter l'hymne du triomphe comme ceux qui ont coopéré à la victoire. Ecrions-nous donc de notre voix la plus éclatante : "ô mort, où est ton aiguillon? Enfer, où est ta victoire? " (I Cor. XV, 55.) Et. " Dieu est monté au ciel au milieu des cris d'allégresse (6). " Ainsi s'exprime notre psaume. Et ailleurs . " Tu remontas sur les hauteurs du ciel , tu as fait la captivité captive ; tu as reçu des présents parmi les hommes. " (Ps. LXVII, 49 ; Eph. IV, 8). Les Juifs eux aussi entonnèrent jadis un chant de triomphe quand l'armée des Egyptiens fut submergée : " Chantons le Seigneur, "disaient-ils, " car il a fait éclater sa gloire. " (Exod. XV, 1. ) Mais notre chant de triomphe est bien au-dessus du leur; il célèbre non pas la chute des Egyptiens engloutis sous les flots, mais celle des démons, non pas la défaite de Pharaon, mais celle du diable : ce ne sont pas des armes sensibles qui ont été prises, mais c'est le mal' qui a péri, non dans les vagues de la mer Rouge, mais dans les eaux du baptême où l'on prend une nouvelle vie : ce ne sont pas des Juifs qui se dirigent vers la Terre promise, mais des Chrétiens qui quittent la terre pour le ciel, ils ne mangent pas la manne (Exod. XVI, 14), mais ils se nourrissent du corps de leur Seigneur (Jean, VI, 31 ), ils boivent, non pas l'eau qui coule du rocher, mais le sang qui jaillit du côté du Sauveur. (Exod. XVII, 6.) Aussi est-il dit : " Battez des mains " parce que, débarrassés de votre prison de pierre et de bois, vous avez porté vos pas dans les cieux et dans les cieux des cieux, que vous vous êtes ténus debout devant le trône même du roi. " Poussez donc des cris d'allégresse " en l'honneur de Dieu c'est-à-dire, à lui vos actions de grâce, à lui tout l'honneur de la victoire, à lui tout l'honneur du triomphe ! Ce n'était pas une guerre semblable à celle que se font les hommes entr'eux, ce n'était pas un combat sensible, ce n'était pas une lutte entreprise pour conquérir des choses nécessaires à la vie du corps, c'était une lutte qui avait pour objet la conquête du ciel lui-même, la conquête des biens que contient le ciel. C'est lui qui dirigeait cette guerre, c'est lui qui nous permet de prendre part à sa victoire. " Car le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu terrible, le grand Roi qui règne sur toute la terre. "

Où sont-ils maintenant ceux qui veulent détruire la gloire du Fils unique ? Voici qu'on dit du Fils ce qui a été dit du Père, on l'appelle grand roi: " Ne jurez pas, " est-il dit, " ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu, ni par Jérusalem, parce que c'est là ville du grand roi. " (Matth. V, 34, 35.) Et ailleurs : " Il est le Dieu fort, le Dieu puissant. " (Isaïe, IX, 6.) Ce qui se dit d'un roi. Quand donc vous entendrez dire que votre Seigneur a été mis en croix, qu'il a été enseveli, qu'il est descendu aux enfers, ne soyez pas abattus, ne vous désespérez pas: car il est très-élevé, il est très-élevé de sa nature. Or ce qui est naturellement élevé ne saurait déchoir de son élévation,, et devenir bas et rompant: au milieu même de son abaissement, son élévation subsiste et se fait voir. Car c'est précisément après sa mort qu'il a montré surtout combien il était puissant contre la mort. " La lumière brille dans les ténèbres, " est-il dit, "et les ténèbres ne l'ont pas comprise." (Jean, I, 5.) De même son élévation a brillé dans son abaissement. Voyez-le en effet ébranlant le monde du fond des enfers. Alors le soleil détourne ses rayons, les rochers se fendent, le voile du temple se déchire, la terre tremble, Judas se pend, Pilate et sa femme sont saisis d'effroi, le juge lui-même cherche à s'excuser. Quand donc vous entendrez dire qu'il a été lié et fouetté, ne rougissez pas : voyez plutôt comme il fait éclater sa force au milieu des fers. "Qui cherchez-vous?" (Jean, XVIII, 4.) Il dit, et sa parole les renverse à ses pieds. Voyez-vous combien il est redoutable, lui (58) dont la voix et le geste font de tels prodiges? Quand donc vous le verrez mort, représentez-vous la pierre du sépulcre soulevée, les anges debout avec crainte autour de son tombeau, les barrières de l'enfer brisées, la mort anéantie, les prisonniers délivrés, et alors vous comprendrez combien il est redoutable. S'il a fait, au jour de son humiliation, des choses si extraordinaires au ciel, sur la terre et dans les enfers, que ne fera-t-il pas le jour où il doit nous apparaître ? Ecoutez ce que disent, au temps de son humiliation, ces démons qui écumaient de rage, qui brisaient tous les liens, qui rendaient impraticable la route où ils avaient fixé leur séjour: " Fils de Dieu, qu'y a-t-il entre vous et nous ? Etes-vous venu ici avant le temps pour nous tourmenter? " (Matth. VIII, 29. ) S'ils ont parlé ainsi dans ce temps-là, que diront-ils quand il apparaîtra, quand les puissances des cieux seront ébranlées, que le soleil rentrera dans les ténèbres, que la lune refusera sa lumière ?(Math. XXIV, 29. ) Aussi est-il appelé " le Très-Haut, le redoutable. " Ce n'est pas tout: quelle parole sera digne de raconter ce grand jour, quand il enverra ses anges sur toute la surface de la terre, quand tout chancellera, quand la terre tremblante s'ouvrira pour rendre les morts déposés dans son sein, quand les corps se dresseront par milliers, quand le ciel se repliera sur lui-même comme un tapis qu'on enroule, quand on établira le redoutable tribunal, quand on verra couler les fleuves de feu, quand les registres seront ouverts, quand ce que chacun a fait dans les ténèbres paraîtra au grand jour, quand les pécheurs commenceront à subir leurs peines, leurs supplices épouvantables, quand viendront les puissances au front menaçant, quand les longues épées effilées seront tirées du fourreau, quand les coupables seront entraînés vers la géhenne, quand tous, rois, chefs d'armées, consuls, gouverneurs de provinces seront payés suivant leurs mérites, quand s'avancera le peuple innombrable des anges, quand les martyrs, les prophètes, les apôtres, les pontifes, les moines s'avanceront par troupes, quand seront distribuées ces récompenses ineffables, ces prix, ces couronnes, ces biens que l'esprit ne peut concevoir? (Dan. VII, 9. )

3. Quelle parole pourra reproduire ce tableau ! Si le Prophète qui a entrepris de raconter la création s'est avoué vaincu et a reculé devant sa tâche en disant : " Qu'ils sont grands tes ouvrages, ô Seigneur (Ps. XCI, 5) ! si saint Paul, ne considérant la Providence que sous un seul aspect, s'est écrié : " O profondeur des trésors (Rom. II, 33) ! " que dira celui qui voudra peindre ce grand jour? Le Prophète ayant prévu tout cela, disait : " Le Seigneur est très-haut, il est redoutable, il est le grand roi qui règne sur toute la terre, " faisant allusion à la délivrance universelle. Sans doute avant ce moment-là il n'en était pas moins le grand roi, mais on ne le savait pas. Car " le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu." (Jean, I, 10. ) Aujourd'hui il a mis ordre à cela, et c'est en nous unissant à lui qu'il s'est fait reconnaître pour le grand roi. Comment ne serait-il pas le grand roi, lui qui prit de pauvres pêcheurs, dépourvus d'instruction, sans éducation, au nombre de onze, tous gens obscurs, sans patrie, plus muets que leurs poissons, qui ne portaient qu'un seul vêtement, n'avaient point de chaussures, étaient nus, et les envoya aux quatre coins du globe (Matth. X, 9 ; Luc, X, 4), et qui soumit l'univers comme s'ils n'avaient eu qu'à donner des ordres ? En vérité voici encore qui est le fait d'un grand roi: il a purgé la terre de l'erreur, en un instant il a ramené la vérité, il a détruit la tyrannie du diable, lui qui, même avant d'avoir des sujets, était un grand roi sans avoir besoin d'exercer sa puissance sur des esclaves, sans avoir besoin de revêtir un brillant costume : il était grand roi par sa propre nature. " Moi, " dit-il, "je suis né pour cela. " (Jean, XVIII , 37.) Voici encore qui révèle un grand roi: sa majesté n'est pas une majesté empruntée, il n'a besoin de personne pour être roi, il fait tout ce qu'il veut. " Allez, " dit-il, " et " instruisez toutes les nations (Marc, XVI, 15), " et l'effet a suivi sa parole. " Je le veux, sois purifié. (Math. VIII, 3.) Je te le dis, démon " sourd, retire-toi de lui. Tais-toi, ferme la bouche. (Marc, IX, 24 ; et IV, 39.) Allez au feu qui a été préparé pour le diable. — Avancez-vous, et recevez pour votre part la royauté qui vous était destinée avant que les fondements du monde fussent jetés. " (Matth. XXV, 41 et 31.) Voyez-vous comme son pouvoir, comme sa toute puissance éclatent de toutes parts? Il a su si bien se rendre maître de ses sujets qu'il leur a persuadé qu'il vaut mieux sacrifier sa vie que de lui désobéir. Un roi se fait honorer par ses sujets, lui comble ses sujets d'honneurs. Aussi les autres rois ne sont-ils rois que de nom, (59)

tandis qu'il est roi en réalité. Il est un grand roi lui qui a fait descendre le ciel sur la terre, qui des barbares a fait des philosophes et leur a inspiré le désir d'imiter les anges. " Il nous a assujetti les peuples, et a mis les nations sous nos pieds. " O prodige ! à ceux qui l'ont mis en croix, il a persuadé qu'ils devaient l'adorer, à ceux qui l'insultaient, qui le blasphémaient, qui étaient attachés à des idoles de pierre, il a enseigné qu'il fallait sacrifier leur vie pour ses doctrines. Si les apôtres ont réussi, ils l'ont dû non pas à eux-mêmes mais à celui qui leur ouvrait le chemin, et qui donnait l'élan à leur âme. Et comment le pêcheur ou le faiseur de tentes auraient-ils changé la face de ce globe immense, si sa parole n'avait supprimé les obstacles? Magiciens, tyrans, orateurs, philosophes, en un mot tous leurs adversaires étaient devant eux comme de la poussière et comme de la fumée qu'ils ont dispersées et dissipées: c'est ainsi qu'ils ont semé la lumière de la vérité, sans avoir recours aux armes ou aux richesses, et en se servant de la parole toute seule; ou plutôt leur parole n'était pas toute seule, elle était plus puissante que toute action. Et comment ? Ils invoquaient le nom du Crucifié et la mort disparaissait, et les démons prenaient la fuite, les maladies cessaient, les infirmes recouvraient la santé, le mal était chassé, les dangers supprimés, les éléments confondus.

Quand donc on nous dira : Pourquoi ne s'est-il pas secouru lui-même sur la croix? répondons que ceci même est plus admirable. Car les conséquences n'auraient pas été les mêmes s'il était descendu de la croix , au lieu d'y rester pour qu'ensuite son nom eût le pouvoir de ressusciter un si grand nombre de morts. Ce qui prouve qu'alors, s'il resta sur la croix , ce fut de sa propre volonté, ce sont les événements qui suivirent. Celui qui arracha à la mort ceux dont elle s'était emparée avait encore plus la: puissance de la chasser avant qu'elle se fût abattue sur lui: lui, qui donna la vie aux autres, pouvait encore plus se la donner à lui-même, ce qu'il fit lorsque trois jours après il usa de sa toute-puissance pour se ressusciter. Et cela il l'a prouvé par ce qui suivit, puisque son nom, lorsqu'il s'est agi du corps des autres, a eu assez de pouvoir pour mettre la mort en fuite quand on l'a invoqué, on ne saurait mettre en doute que, quand il s'est agi de lui-même, il aurait pu déployer sa puissance et dompter la mort. " Il nous a assujetti les peuples et a mis les nations sous nos pieds. " Voyez la sagesse du Prophète qui dit tout avec exactitude. Car cette réflexion des apôtres : " Pourquoi nous regardez-vous, comme si c'était par notre puissance ou par notre piété que nous avons fait marcher ce boîteux (Act. III, 12) ? " nous la retrouvons longtemps auparavant chez le Prophète. Ces mots " sous nos pieds " montrent l'assujettissement, ou plutôt un grand assujettissement. Et si vous voulez savoir la mesure de cet assujettissement, écoutez : " Tous ceux qui se trouvaient posséder des champs ou des maisons, les vendaient et en apportaient le prix qu'ils déposaient aux pieds des apôtres. " (Act. IV, 34.) D'autres sacrifièrent et leurs richesses et leur vie. Car il est dit: " Ils ont exposé leur tête pour me sauver la vie. " (Rom. XVI, 4.) Dans une autre épître il est encore dit : " Vous étiez prêts, si cela eût été possible , à vous arracher les yeux pour me les donner. " (Gal. IV, 15.) En écrivant aux Corinthiens le même saint Paul leur disait

" Considérez coin bien cette tristesse, selon Dieu, que vous avez ressentie, a produit en vous non-seulement de soin et de vigilance, mais de satisfaction envers vous-mêmes, d'indignation contre cet incestueux, de crainte de la colère de Dieu, de désir de nous revoir, de zèle pour nous défendre, d'ardeur à venger ce crime. " (II Cor. VII, 11.) Tellement on craignait, on redoutait les apôtres ! Saint Luc lui aussi écrivait : " Aucun des autres n'osait se joindre à eux, mais le peuple leur donnait de grandes louanges. " (Act. V, 13.) Ailleurs, il est dit : " Que voulez-vous? Irai-je vers vous la verge à la main, ou avec un esprit de douceur et de charité ? " (I Cor. IV, 21.)

4. Avez-vous vu l'autorité et la puissance des apôtres? Or tout cela était l'oeuvre des paroles qu'il avait prononcées en les congédiant : " Je suis avec vous. " (Matth. XXVIII, 20.) C'était lui qui marchait devant eux et détruisait les obstacles, c'était lui qui apprivoisait tous les coeurs et qui changeait la résistance en docilité. Cependant la guerre régnait partout , ce n'étaient partout qu'écueils et que précipices, on ne savait où appuyer le pied, où se tenir ferme. Tous les ports étaient fermés, toute maison close, toutes les oreilles sourdes. Cependant à peine s'étaient-ils avancés et avaient-ils parlé qu'ils avaient renversé les remparts élevés par (60) leurs ennemis à qui ils persuadaient de sacrifier leur vie et de braver désormais tous les dangers pour la doctrine qu'ils venaient leur enseigner. " Il a choisi dans nous son héritage; savoir, la beauté de Jacob qu'il a aimée. " Un autre dit " la glorification de Jacob. " Voyez combien cette prophétie est exacte. Plus haut il a été dit : " Il nous a assujetti les peuples et les nations. " D'abord en effet les Juifs se sont approchés, d'abord au nombre de trois mille, puis au nombre de cinq mille, ensuite est venu le tour des nations. Car Jésus disait aussi : " J'ai d'autres brebis, et il me faut les amener, et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur. " (Jean, X, 16.) Ensuite pour que ces mots : " Il a choisi dans nous son héritage, " ne vous troublent ni ne vous inquiètent, et ne vous donnent pas l'idée de vous écrier : Comment donc se fait-il que les Juifs soient encore incrédules ? il y a joint un correctif destiné à vous sortir d'embarras. Quant à lui c'était surtout les Juifs qu'il avait en vue, et, en ce qui le concerne, il n'en a laissé aucun. Si vous voulez connaître toute sa pensée, écoutez ce qui suit immédiatement, car il ajoute " à savoir la beauté de Jacob, qu'il a aimée . " Par ces mots il me semble désigner les fidèles, comme saint Paul lorsqu'il disait : " Ce n'est pas que la parole de Dieu soit tombée, hors du sillon : car tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas pour cela Israélites; mais Isaac sera ton fils. C'est-à-dire que les enfants selon la chair ne sont pas pour cela les enfants de Dieu; mais que ce sont les enfants de la promission qui sont comptés au nombre de ses enfants. " (Rom. IX, 6-8 (1).) On peut dire que les fidèles sont la beauté du peuple. En effet, quoi de plus beau que ceux qui ont cru ?

Il appelle une nation son héritage, non qu'il ait jamais négligé les autres, mais il veut montrer l'intensité de son amour pour ce peuple, son désir de se l'attacher, la façon particulière dont il se l'était approprié, et la providence spéciale qui s'étendait sur lui. Et pour mieux vous rendre compte de la véracité du Prophète, voyez comme il se sert du langage populaire, de ce langage usité dans les marchés. Bien souvent ceux qui viennent acheter appellent " beaux " les objets qui sont de meilleure qualité que les autres.

1 Saint Jean Chrysostome a passé quelques mots de l'épître aux Romains.

C'est donc pour montrer que tous ne seront pas sauvés qu'il dit " à savoir la beauté de Jacob. " Pensée qu'on découvre encore dans les Evangiles à travers mille paraboles. Dieu " est monté au milieu des cris de joie (6). " On n'a pas dit Dieu a été enlevé, mais " est monté : " montrant par là qu'il n'a pas eu besoin d'une main étrangère pour s'élever en haut, mais qu'à lui seul il a su se frayer sa route. Elie qui eut moins de chemin à parcourir que le Christ, fut entraîné par une force autre que la sienne. (IV Rois, II, 11.) Car il n'était pas au pouvoir d'un simple mortel de se transporter sur une route interdite à tous les hommes. Le Fils unique est monté par l'effet de sa propre puissance. C'est ce qui fait dire à saint Luc : " Et ils le regardaient fixement pendant qu'il s'élevait vers les cieux. " (Act. I, 10.) Il n'a pas dit : pendant qu'on l'enlevait ou pendant qu'on l'emportait, car il s'élevait tout seul. Et si, avant qu'il fût mis en croix, les eaux l'ont porté quand il était encore enfermé dans un corps lourd et sur lequel avaient prise les maux de l'humanité, quoi d'extraordinaire s'il a fendu les airs quand il n'avait gardé que la partie incorruptible de son être ?

Mais pourquoi ces mots : " Au milieu des cris de joie? " Est-ce qu'on a poussé des cris de joie quand il est monté? Tout s'est passé en silence, et il n'y avait de présents que ses onze disciples. Vous voyez bien qu'il ne faut pas prendre les Ecritures au pied de la lettre, il faut encore comprendre le sens caché qu'elles renferment. Ce que je disais, en commençant l'explication de. ce psaume que cette expression : " cris de joie, " désignait quelque autre chose, à savoir la victoire et le triomphe, je dois le répéter à l'occasion de ce passage, où il est dit, qu'il monta " au milieu des cris de joie, " c'est-à-dire au sein de la victoire, après avoir terrassé la mort, renversé le péché mis les démons en fuite, banni l'erreur, après avoir tout changé pour tout améliorer, après avoir rendu à l'humanité son ancienne patrie, ou plutôt une patrie bien plus belle. Quand il s'est montré, rien ne lui a résisté, ni la tyrannie du péché, ni là puissance de la mort, ni la force de la malédiction, ni l'intensité de la corruption et du mal, ni aucune des choses semblables; mais il a brisé tout cela comme une toile d'araignée , et les phalanges des démons , et les efforts du diable, il a tout vaincu et ne s'en est allé qu'après avoir mené (61) à bonne fin tout ce qu'il avait entrepris.

5. C'est pourquoi saint Paul, racontant le triomphe du Sauveur, disait : " Ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par sa croix. " (Coloss. II, 15.) Et ailleurs : " Il a effacé par son sang la cédule qui s'élevait contre nous dans ses décrets ; il a entièrement aboli cette cédule qui nous était contraire, il l'a abolie en l'attachant à sa croix. (Ibid. 14.) Et le Seigneur dans " la voix de la trompette. " C'est toujours la même figure, on veut parler d'une brillante victoire. Ici il faut ajouter quelque autre chose à l'expression, une idée de bruit, d'éclat, d'évidence. Cependant, quand cet événement eut lieu, nul ne s'en aperçut, mais il se manifesta plus tard avec tant d'éclat, qu'on eût dit le son d'une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car cet événement, si secret alors, a été connu de presque tous ceux qui habitent la terre, et il s'est si bien révélé par la force des choses, qu'on eût dit le son d'une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car les sons de la trompette n'auraient pas été aussi puissants pour appeler tous les hommes à ce spectacle, que le fut plus tard la voix même des choses quand elle fit connaître l'ascension du Sauveur; ce miracle, elle le proclama avec un bruit plus éclatant que tous les bruits de la foudre. La terre n'aurait pas entendu le tonnerre aussi distinctement que la proclamation de ce miracle se fit entendre de ceux qui vivaient alors, aussi distinctement qu'elle se fera entendre de ceux qui vivront plus tard. Le tonnerre ne se fait entendre que dans le moment présent, tandis que la voix des choses a transmis le souvenir de ce miracle à toutes les générations avec plus d'éclat que la trompette, avec plus de retentissement que le tonnerre.

On ne se tromperait pas si l'on disait que la bouche des apôtres était une trompette, non pas une trompette d'airain, mais une trompette plus précieuse que l'or, plus précieuse que les diamants. Pourquoi cette expression : " Dans la voix de la trompette? " C'était pour montrer son esprit de concorde, comme le témoigne aussi saint Paul : " Ainsi, soit que ce soit moi, ou eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons. " (I Cor. XV, 11.) Et ailleurs : " Toute la multitude de ceux qui croyaient n'avait qu'un coeur et qu'une âme. " (Act. IV, 32.) Le son de cette trompette n'appelait pas les hommes au combat, mais il leur annonçait le triomphe et la bonne nouvelle. Dans les armées, quand on part pour la guerre, les trompettes avec les étendards donnent le signal et la direction de la marche; les soldats présents dans le rang sont animés et parce qu'ils voient et par ce qu'ils entendent : c'est aussi ce qui se passait alors. Dans chaque ville où pénétraient les apôtres, leur trompette retentissait et tous accouraient pour entendre. " Chantez à la gloire de notre Dieu; chantez, chantez à la gloire de notre Roi, chantez (7). Chantez avec sagesse, parce que Dieu est le roi de toute la terre (8). Dieu a régné sur les nations (9). " Après avoir décrit la grandeur du triomphe, l'auteur du psaume invite la terre à témoigner sa joie et son zèle : aussi répète-t-il deux fois le même mot. Il ne dit pas simplement de chanter, il dit aussi : " Chantez avec beaucoup de sagesse. " Que faut-il entendre par ces mots : " Chantez avec sagesse? " C'est-à-dire après avoir pris connaissance des faits, et compris la grandeur des événements. Pour moi, je crois que ces mots : " avec sagesse, " cachent encore une autre signification : ce n'est pas seulement notre voix, ce n'est pas seulement notre langue , mais aussi nos actions et notre vie qui doivent chanter à la gloire de Dieu. Car Dieu, dit-il, " a régné sur les nations, " et comme dit un autre : " Au-dessus des nations. " De quelle royauté veut-il parler là? non pas de cette royauté qui appartient à Dieu par le droit de la création, mais de cette royauté qui lui appartient pour l'avoir appelé à lui. Auparavant sans doute il régnait sur toutes choses, puisqu'il a fait et créé toutes choses : mais aujourd'hui il règne sur des sujets dociles et reconnaissants. Ce qui doit surtout provoquer nos actions de grâces et exciter notre admiration, c'est que celui qui, auparavant, était insulté par les Juifs, a opéré dans le monde un tel changement, qu'on le chante en tous lieux, et que ceux qui n'ont pas lu les prophètes, qui n'ont pas été élevés dans la Loi, qui vivaient à la manière des bêtes sauvages, ont été changés tout d'un coup, ont rejeté toutes les séductions de l'erreur et se sont soumis. Et ce n'est pas deux ou trois, ou quatre nations. ni dix, qui (62) se sont ainsi converties, c'est toute la terre.

" Il est assis sur son trône! " Oui, il règne, il commande. Et le Psalmiste a bien dit sur son saint trône. Car, il ne règne pas seulement, il règne aussi avec sainteté? Qu'est-ce à dire , il règne avec sainteté ? Oui , avec pureté. Les hommes qui parviennent à la royauté, usent de leur puissance même pour commettre l'injustice; mais sa royauté à lui est exempte de telles souillures, elle est pure, elle est sainte. Ni la tromperie, ni rien de pareil ne corrompt ni ne circonvient son tribunal qui est sans tache, qui est pur d'une rayonnante pureté, qui défie toute comparaison et qui brille d'une gloire ineffable. " Les princes des peuples se sont assemblés et unis avec le Dieu d'Abraham, parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés (10). "

6. Dans ce passage on nous montre tout l'essor de l'Evangile qui ne s'est pas adressé seulement aux particuliers , mais encore à ceux-là même qui portent le diadème et qui sont assis sur le trône royal. Ensuite pour nous montrer qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu pour l'Ancien comme pour le Nouveau Testament, il est dit " avec le Dieu d'Abraham, " pour : avec le Dieu de vos pères, avec celui qui leur a donné la loi. C'est pourquoi Jérémie a dit : " Je vais faire une nouvelle alliance avec vous, non selon l'alliance que je fis avec vos pères, en ce jour où je les pris par la main pour les emmener hors de la terre d'Egypte (Jér. XXXI, 31, 32), " montrant par là que l'ancienne et la nouvelle loi n'ont qu'un seul et même auteur qui est notre Dieu. Baruch lui aussi a dit : " Celui-ci est notre Dieu, on n'en comptera pas d'autre après lui. Il a trouvé toutes les voies de la science et il a guidé Jacob, son fils, et Israël, son bien-aimé; après cela il a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes (Baruch. III, 36-38), " montrant par là que Celui qui a donné la loi est le même qui s'est fait chair et que Celui qui s'est fait chair est aussi le même qui a donné la loi. Le Prophète dit encore ceci "Ils se sont assemblés et unis avec le Dieu d'Abraham. " Le texte hébreu, au lieu de "avec le Dieu d'Abraham, " porte : " Em Elôï Abraam. " Et comment cela s'est-il fait ? " Parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés. " Quels sont ceux qui représentent la puissance de Dieu ? Ne sont-ce pas les apôtres , s'il est vrai que de tous les hommes ils ont fait des fidèles (1) ? Puisqu'il est dit que leur puissance a brillé d'un tel éclat et qu'ils ont tout vaincu. Et c'est avec raison qu'ils sont appelés puissants. Comment ne le seraient-ils pas, eux qui ont livré bataille à la terre entière, aux démons, au diable, aux cités, aux nations, aux tyrans, aux châtiments, aux supplices, aux grils (2), aux fournaises, aux coutumes, à la tyrannie de la nature (3), qui ont tout vaincu, qui se sont élevés au-dessus de tout et n'ont été arrêtés par rien ? Comment ne le seraient-ils pas, eux qui même après leur mort ont déployé une si grande force ? Comment ne le seraient-ils pas, eux dont les paroles plus fermes que le diamant, loin de céder sous les efforts du temps, vont gagnant du terrain de jour en jour, répandant la bonne nouvelle partout, et dans toutes les directions, et jusqu'aux extrémités de la terre habitée ? Pour toutes ces choses, rendons grâces à Dieu qui aime les hommes, car c'est à lui qu'appartiennent la gloire et la puissance, et maintenant et toujours , et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Passage controversé. La traduction latine , quinam sunt autem Dei fortes, nisi apostoli, fidèles omnes ? ne rend pas le et du grec et semble ranger tous les fidèles au nombre de ceux qui représentent la puissance de Dieu.

2. Il y a dans le texte poêle à frire. Comme il s'agit du supplice du feu, j'ai cru pouvoir y substituer le mot gril.

3. Un manuscrit ajoute aux princes, aux rois, à la faim et à la soif, à la mort.

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLVII. 1. PSAUME POUR SERVIR DE CANTIQUE AUX ENFANTS DE CORÉ. — 2. LE SEIGNEUR EST GRAND ET DIGNE DE TOUTE LOUANGE DANS LA CITÉ DE NOTRE DIEU, SUR SA SAINTE MONTAGNE. 3. DONT IL ÉTABLIT BIEN LES RACINES A LA JOIE DE TOUTE LA TERRE. — UN AUTRE INTERPRÈTE DIT: QUI S'EST ÉLEVÉE COMME UNE BELLE TIGE A L'ALLÉGRESSE DE TOUTE LA TERRE. — UN AUTRE : A LA SPLENDEUR DE TOUTE LA TERRE, SPLENDEUR DÉTERMINÉE DÈS LE PRINCIPE.

63

ANALYSE.

1. Explication littérale des versets 1-3 du psaume.

2. Explication des versets 4-9.

3. Explication des versets 10-15. — La justice attribut nécessaire de Dieu.

4. Exhortation.

1. Ici encore il s'agit de populations délivrées de la guerre, délivrées des combats. Car les Juifs, revenus de Babylone et arrachés à leur longue captivité, après avoir recouvré la terre de leurs aïeux et échappé à tant de guerres, chantent des cantiques d'actions de grâces en l'honneur de Celui qui est l'auteur de tous ces biens, et disent : " Le Seigneur est grand et digne de toute louange.. " Ils disent qu'il est " grand, " mais non pas combien, car nul ne le sait. C'est pourquoi le Psalmiste ajoute " et digne de toute louange. " Sa grandeur n'a pas de limites. Ce qui revient à dire : Il faut nous contenter de le glorifier et de le louer, et cela sans mesure ; il faut le louer, et pour sa grandeur même qui est infinie et qu'on ne peut concevoir, et pour l'immensité des bienfaits dont il nous a comblés. Il a voulu et il a pu ce qu'il a voulu. et Dans la cité de notre " Dieu, sur sa sainte montagne. " Que dis-tu, ô Psalmiste! Tu enfermes l'éloge de Celui qui est infiniment grand et digne de louanges , dans une ville et sur une montagne ? — Non, répond-il, ce n'est pas là ce que je veux dire, mais bien que c'est nous qui l'avons connu avant les autres hommes (1) . — Est-ce encore pour cela qu'il a dit " dans la cité de notre Dieu, " ou bien veut-il nous montrer par là que les prodiges opérés dans cette ville ont témoigné de la grandeur et de la gloire de Dieu , que ces Juifs naguère prisonniers, délaissés, méprisés, enfermés sur une terre ennemie comme dans un tombeau, ont été tout à coup entourés par lui d'un tel éclat, qu'ils se sont mis au-dessus de leurs vainqueurs, sont revenus d'exil, ont recouvré leur sécurité première et retrouvé leur patrie dans sa splendeur d'autrefois? Ce que nous voyons, dit-il, des oeuvres de Dieu est si grand, qu'il n'en faut pas plus pour nous prouver son existence. Mais comme autrefois les Juifs n'étaient pas assez intelligents pour le comprendre , il se fit mieux connaître d'eux en les aidant contre leurs ennemis, en leur donnant la victoire, en leur procurant constamment ces triomphes extraordinaires, en tournant à leur profit toutes leurs révolutions, en faisant pour eux des prodiges

1. Le traducteur latin lit pro ton allon touto … ce qui est en effet la leçon de deux manuscrits , et rend le tout par quod nos auto alia hoc cognoverimus : J'aime mieux lire avec Savile et Morel : pro ton allon touton.

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au-dessus de tout espoir et de toute attente. Le Psalmiste appelle cette ville la ville de Dieu, non pas qu'il prive les autres villes de sa protection, mais il montre que les Juifs possédaient quelque chose de plus que les autres peuples, par rapport à la connaissance de Dieu. Les autres villes ne pourraient être appelées villes de Dieu, que parce qu'il les a créées, tandis que celle-ci a droit à ce titre non-seulement pour ce motif , mais encore parce qu'elle est intimement unie à Dieu et que c'est là qu'il a fait tous ses miracles. Alors on disait (,u'elle était la ville de Dieu, aujourd'hui c'est nous tous qui sommes appelés les fils de Dieu. " Ceux qui sont à Jésus-Christ, dit l'Apôtre , ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés. " (Gal. V, 24.) Voyez-vous toute la force de la vertu? C'est pour cela que cette montagne était appelée la montagne de Dieu, parce que Dieu y était honoré.

" Dont il établit bien les racines à la joie de toute la terre. " Voilà une expression bien obscure, aussi devons-nous y donner notre attention. A la simple lecture elle nous embarrasse, mais si on l'examine avec soin, on verra 1a suite et l'exacte enchaînement des idées. Le Psalmiste s'exprime en ces termes : " Le Seigneur est grand dans la cité de notre Dieu, sur sa sainte montagne dont il établit bien les " racines, " c'est-à-dire qu'il donne à sa ville de belles racines, de beaux fondements, une belle base- avec la joie et dans l'allégresse de toute la terre.. Un autre interprète le donne à entendre lorsqu'il dit: a Dont il établit bien " les racines à la splendeur déterminée de toute " la terre, " Car Dieu a fait de cette ville la splendeur et la joie du monde entier. Là était la source de la piété, là prit racine, là prit naissance la notion du vrai Dieu. Telle était donc cette ville dont il avait établi les racines, qu'il avait posée sur de beaux fondements, pour l'ornement de la terre, pour sa joie et pour son bonheur. Car. Jérusalem était alors l'école de la terre , et ceux qui voulaient connaître la joie, embellir et parer leur âme, y venaient puiser les connaissances dont ils avaient besoin. C'est encore dans le même sens qu'il a dit: " dont il établit bien les racines, " et non pas seulement; " dont il établit les racines. " Si de plus vous voulez prendre cette expression dans le sens mystique, vous reconnaîtrez la justesse et la vérité de la prédiction. C'est de là que l'allégresse, c'est de là que la joie et le bonheur sont descendus partout sur la terre; c'est là qu'étaient les sources de la sagesse, dans cette ville où le Christ fut crucifié, d'où les apôtres prirent leur essor. " Car de Sion viendra la loi, et le Verbe du Seigneur viendra de Jérusalem (Mich. IV, 2), " et cette joie repose sur des racines éternelles. " Monts de Sion, flancs de l'Aquilon. " Un autre dit: " Monts de Sion, croupes de l'Aquilon ; " et le texte hébreu : " Ar Sion jerchthé Saphoun. " Dans quel but, dites-moi, parle-t-il maintenant de l'Aquilon , et nous fait-il la description de ces lieux? Comme c'était toujours de ce côté-là que la guerre venait les assaillir, et que les peuples étrangers faisaient irruption, les prophètes se servent toujours de ces mêmes termes, et appellent cette guerre la guerre qui vient de l'Aquilon (Jér. I, 13, 14), et représentent Jérusalem comme un bassin que le feu chauffe toujours de ce côté. C'est en effet par là que les frontières de la Perse et de la Palestine se touchent. Le Psalmiste admirait donc ces événements, et il ajoutait ces mots pour montrer que Dieu avait rendu imprenable cette cité constamment attaquée par les peuples venant du nord. C'est comme si l'on disait en parlant du corps : ce membre était faible, tu l'as rendu plus fort; tel est aussi le sens caché de ses paroles dans ce même passage. Le plaisir et la sécurité règnent en ces lieux, d'où nous venaient la désolation et les larmes, et qui étaient pour nous un objet d'affliction. Il n'y a que joie et bonheur là où nous ne connaissions que les menaces, la crainte et les dangers, et désormais nul ne redoute les nations du nord , nul ne s'abat, nul ne s'inquiète, mais tous sont heureux et satisfaits , parce que tu as établi ses racines dans la joie. " La cité du grand Roi. Dieu sera connu dans ses maisons, lorsqu'il prendra sa défense (4). " Un autre dit , " fut connu; " un autre, " Dieu dans les palais de sa cité sera connu pour un rempart; ",un autre, " Dieu dans les maisons de sa cité fut reconnu pour être capable de la tirer du danger. "

2. L'auteur du psaume proclame la majesté de Jérusalem , il la comble de louanges, il la couronne en disant: " La cité du grand Roi. " Ensuite, montrant comment elle est la cité du grand Roi, il ajoute " il sera connu dans ses a maisons. " C'est nous faire voir combien il en prend soin puisqu'il la sauve tout entière (65) sans en rien excepter, et que , non content de la protéger dans son ensemble , il étend ses soins prévoyants à chacune de ses maisons. Pour nous nous n'avions pas besoin de cela pour le connaître, mais il a profité de cette occasion pour faire éclater sa force aux yeux de ses ennemis. Sous le règne d'Ezéchias les peuples étrangers s'étaient abattus autour de Jérusalem comme un nuage , et l'avaient enfermée comme dans un filet, ils se retirèrent après avoir perdu la plus grande partie de leurs soldats. Bien des fois encore d'autres peuples marchèrent contre elle, qui durent s'éloigner couverts de confusion. Tous ces succès, dit le Psalmiste, on les doit à la Providence divine, et Jérusalem lui doit son éclat. Et sa grandeur ne lui vient pas seulement de son éclat, mais encore de la façon dont elle a conquis cet éclat. " Voici que les rois de la terre se sont assemblés, et ont conspiré unanimement contre elle (5) ; " un autre dit: " Voici que les rois se sont mis en ordre de bataille. Mais l'ayant vu, ils ont été tout étonnés, tout remplis de trouble, et d'une émotion extraordinaire (6) : le tremblement les a saisis; ils ont ressenti alors les douleurs que sent la femme qui est en travail d'enfant (7), dans le souffle d'un vent impétueux (8). " Un autre dit, " par un vent impétueux; " un autre, " par une fièvre ardente. Tu briseras les vaisseaux de " Tharsis. " Un autre, " tu broieras. " Dans le texte hébreu on lit " Tharsis. " Dans ce passage le Psalmiste nous explique que c'était une guerre redoutable, une vaste coalition, et que la victoire n'en fut que plus brillante. Car après nous avoir dit que Dieu défend Jérusalem et qu'il la couvre de sa puissante protection , il nous montre ensuite comment il s'y prit pour la défendre. Des milliers de peuples étaient accourus (c'est ce qu'il nous fait comprendre en nous parlant du grand nombre de leurs rois), et ce n'était pas une simple incursion, ils s'étaient coalisés et avaient uni leurs troupes : mais ils rencontrèrent des obstacles si extraordinaires qu'ils se retirèrent frappés d'étonnement: Telle fut l'issue de cette guerre ils battirent en retraite, pleins de stupeur et d'effroi. Profondément troublés ils s'enfuirent tout tremblants, devant un petit nombre d'ennemis, eux si nombreux, devant quelques bataillons disséminés; eux qui avaient uni leurs armées, et ils ne se sentaient pas plus d'énergie qu'une femme qui est en travail d'enfant. Ce qui prouve bien qu'une intervention surhumain avait conduit cette guerre , que c'était Dieu qui avait dirigé les armées, qu'il avait non-seulement abattu l'orgueil des ennemis, mais aussi troublé leur esprit, et mis dans leur âme les douleurs que ressent la. femme dans l'enfantement , et frappé leur coeur d'une indicible épouvante. Il arriva la même chose que si une flotte nombreuse se réunissait, et qu'un vent violent, se déchaînant sur elle , brisait tous les navires , submergeait les galères, et y jetait tout à coup le plus affreux désordre. Car cet exemple me semble montrer que la victoire fut facile, et le désordre extrême. Embarqués sur une flotte, et venus de régions lointaines, tous périrent: la colère de Dieu les renversa, comme eût fait un tourbillon impétueux. C'est pour cela que voulant indiquer d'où ils étaient venus, le psaume ajoute le nom de Tharsis. Car c'est ce que veut dire le texte hébreu par le mot que nous avons mis , à cause de vous, à la suite de notre citation. Voilà ce que l'on peut dire: oit bien on peut répéter ce que je disais plus liant, à savoir que Dieu mit le désordre au milieu de cette multitude d'ennemis, comme les vents violents qui souvent s'abattent sur les vaisseaux de Tharsis et les brisent.

" Nous avons vu dans la cité du Seigneur des armées, dans la cité de notre Dieu, ce que nous avons entendu annoncer (9). " Voyez-vous comme ils s'expliquent ces mots que nous avons vus plus haut : " Dont Dieu établit bien les racines, " c'est-à-dire dont Dieu prend toujours soin, qu'il protégé toujours, qu'il munit toujours de remparts? Car après avoir raconté lés événements de ce temps-là, le Psalmiste ramène son récit aux événements du temps passé, et nous montre la parenté qui les unit. Ce que nous avions vu écrit, dit-il, nous l'avons vu réalisé, nous avons vu les victoires, les trophées de Dieu, sa protection et ses magnifiques miracles. Car Dieu n'a pas cessé d'en faire, et c'est bien lui qui nous sauve des dangers, qui nous mène par la main à la connaissance de sa divinité. C'est par un heureux à-propos que le Prophète a fait mention de ces événements arrivés longtemps auparavant, puisqu'il instruit ses concitoyens et par le récit des anciens miracles, et par celui des miracles nouveaux, si bien que ceux dont l'esprit est le plus épais croient, en voyant ce qui vient de se passer, à ce qui s'est passé (66) autrefois, y trouvent deux fois leur profit, et voient de leurs propres yeux ce qu'ils ne connaissaient que pour l'avoir entendu dire. "Dieu l'a fondée et affermie pour toute l'éternité. Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton peuple (10). " Un autre dit: " Nous avons apprécié, ô Dieu, ta miséricorde a au milieu de ton peuple (1), " — et dans le texte hébreu on lit : " Echalach demmenu. Comme la gloire de ton nom, ô Dieu, s'étend jusqu'aux extrémités de la terre, votre louange s'y étend de même (11). "

3. Après avoir dit : nous avons vu ce dont nous avions entendu parler, le Psalmiste raconte aussi et ce dont il savait entendu parler, et ce qu'il a vu. De quelle chose donc avait-il entendu parler, et qu'a-t-il vu ? Que la faveur de Dieu fait sa cité plus forte, et la rend indestructible. Voilà ses fondements, voilà sa force, voilà ce qui la rend imprenable, plutôt que l'alliance et l'aide naturelle des hommes, plutôt que la force des armes, plutôt que les tours et que les remparts. Mais quoi? Dieu la tient sous sa domination. Voilà surtout l'idée avec laquelle ils devaient se familiariser, l'idée que le Prophète ne cesse de leur suggérer. " Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton peuple. " Que signifient ces mots : " Nous avons a reçu?" que nous avons espéré, que nous avons attendu, que nous avons connu ton amour pour nous. Car. après avoir dit: Dieu a jeté les fondements, a établi les racines, a élevé les remparts de Jérusalem, le Prophète, pour montrer que tant de bienfaits n'ont pas été provoqués par les mérites de ceux qui en ont été l'objet, mais qu'ils sont uniquement l'effet de Celui qui en est l'auteur, voulant en même temps rabattre l’orgueil des Juifs, le Prophète tient à peu près de langage: nous sommes redevables de ces heureux événements à ta miséricorde, à ta gloire, à ta bonté. Et c'est pour cela qu'il a ajouté: " Comme la gloire de ton nom, ô Dieu, s'étend jusqu'aux extrémités de la terre, ta louange s'y étend de même. C'est ta louange, " dit-il, qui a produit des succès si considérables et si étonnants, si grands et si glorieux. Car tu n'as mesuré tes bienfaits ni à la grandeur de ceux que tu as obligés, ni à leurs mérites, mais à ta propre grandeur. C'est donc ta louange, c'est-à-dire, le concert d'éloges auquel ont donné lieu tes actes, qui a répandu au loin le bruit de ce succès. Bien que

1 Le véritable texte donne naou (temple), et non laou (peuple).

ces événements se soient passés en Palestine, ils étaient si grands et si considérables, que la renommée les a fait connaître jusqu'aux extrémités de la terre, et que les contrées lointaines en ont été informées. Ce qui s'était passé en Egypte n'était-il pas plus exactement connu de la prostituée de Jéricho que de ceux qui étaient présents? (Josué, II, 10.) A son tour la Palestine a vu les événements survenus au milieu de son peuple , proclamés parmi ceux qui habitent la Perse. Enfin les Persans ont vu ce qui était arrivé chez eux parvenir aux derniers confins de la terre. C'est ainsi que le grand roi envoya par toute la terre des lettres qui publiaient le miracle de la fournaise. (Dan. III, 98.) C`est ainsi que le Prophète, après avoir dit: " Et ta louange a pénétré aux extrémités de la terre, " ajoute : " Ta droite est pleine de justice, " fidèle, dans ce passage, à son invariable habitude de remonter des objets sensibles aux qualités inhérentes à la nature de Dieu. Ce n'est pas qu'il veuille nous faire croire qu'on puisse ajouter à Dieu ou qu'en en puisse retrancher quelque chose (loin de lui cette pensée!), mais comme la parole de l'homme et sa langue sont faibles, il faut ajouter au langage une interprétation qui convienne à la majesté de Dieu.

Par les qualités inhérentes à la nature de Dieu, le prophète entend celles qui sont inséparables de son essence. Or quelles sont-elles? " Ta droite, " dit le Prophète, " est pleine de " justice. " Il montre par là qu'en accordant ses bienfaits, il y a été sollicité non par les mérites de ceux qui en étaient l'objet, mais par sa propre essence, puisqu'il est dans son essence qu'il se complaise dans la justice, qu'il se complaise à aimer les hommes. Tel est son but, telle est sa coutume, et c'est ce qui explique pourquoi les Juifs ont reçu de lui tant de bienfaits. De même que la chaleur est le propre du feu, et la lumière le propre du soleil , de même, et bien plus encore, la bienfaisance est le propre de Dieu. C'est ce qui fait dire au Prophète : " Ta droite est pleine a de justice, " pour signifier qu'elle déborde chez lui, qu'elle fait corps avec lui.

" Que le mont de Sion se réjouisse, et que les filles de Juda soient dans des transports de joie à cause de tes jugements, " Seigneur (12). " Un autre dit : " à cause de tes décisions. Environnez Sion, et embrassez-la ; racontez toutes ces choses du haut de ses tours (13). " Un autre dit: " Comptez le (67) nombre de ses tours; " un autre : " Faites son éloge. Appliquez-vous à considérer sa force (14). " Un autre: " à considérer son enceinte. " Un autre : " sa richesse. Et faites la distribution de ses maisons. " — Un autre: " Mesurez ses palais afin que vous en "fassiez le récit à une autre génération. " — Un autre : " à la génération qui va suivre. Car c'est là le vrai Dieu, notre Dieu, pour tous les siècles et pour toute l'éternité; et il régnera sur vous dans tous les siècles (15)." Pourquoi donc cet ordre d'aller autour de la ville, d'en compter les tours, d'en remarquer les édifices, de nous rendre compte de sa beauté, de calculer l'étendue de ses enceintes et de ses murs, de mesurer ses palais et ses maisons? Ces paroles n'ont pas besoin de nos commentaires , elles sont assez claires par elles-mêmes, car nous pouvons en lire la cause immédiatement après. Cette cause quelle est-elle? " Afin d'en faire le récit, " dit-il, " à une autre génération. "Ce qui peut se ramener à ceci : Soyez contents, réjouissez-vous, bondissez de joie. Rendez-vous nettement compte de sa puissance, que ce ne soit pas une simple appréciation, comme s'il s'agissait du premier objet venu. Car après avoir été un amas de décombres, après avoir été arrachée jusque dans ses. racines, après que le sol même où elle s'élevait eût été presque détruit, et qu'on eût désespéré de la voir jamais se relever, au point que le Prophète disait : " Nos os sont devenus tout secs, notre espérance est perdue, nous sommes anéantis (Ezéch. XXXVII, 11 ), " et comme on ne s'attendait plus à la recouvrer, leur patrie leur fut rendue, non pas telle qu'ils l'avaient perdue, mais bien plus belle et plus brillante, plus illustre, plus grande; plus riche, plus forte, avec des maisons plus spacieuses, des marchés plus vastes, avec une puissance plus considérable et des ressources bien supérieures. " La gloire de cette dernière maison, " dit en effet le Prophète, " sera encore plus grande que celle de la première. " (Agg. II, 10. ) Il s'adresse au peuplé et voici à peu près le langage qu'il lui tient : Cette ville à laquelle vous renonciez, sur laquelle vous ne fondiez plus aucun espoir, cette ville qui n'était qu'une ruine, comment a-t-elle recouvré un éclat plus brillant que son éclat d'autrefois? Rendez-vous donc bien compte de tout cela, de sa reconstruction, de son éclat, de sa gloire, afin de vous bien pénétrer de la puissance de Dieu qui a relevé cette ville, détruite même dans votre espérance, et qui l'a relevée pour la faire plus grande, afin de raconter à vos descendants le pouvoir de ce Dieu, et son infatigable protection, en ajoutant qu'il a toujours veillé sur nous comme un prince, comme un pasteur. Ces récifs seront, même pour ceux qui viendront plus tard, un sujet de sages réflexions, une occasion de bien connaître Dieu, et de s'appliquer à la vertu. Voilà pourquoi le Prophète invite ses concitoyens à faire le tour de Jérusalem: il veut qu'ils donnent de bons enseignements à leurs descendants.

4. Ainsi donc, nous aussi, ayons . dans l'esprit notre cité de Jérusalem, pour la contempler toujours et sans relâche , pour nous représenter sans cesse ses beautés ; cette Jérusalem, la capitale du Roi des siècles, où sont les esprits des justes, où sont les choeurs des patriarches, des apôtres et de tous les saints : où tout est immuable, où rien ne passe, où sont ces beautés incorruptibles que nul n'a viles, que ceux-là seuls peuvent posséder qui ont complètement oublié ces biens périssables et passagers qui sont le souci de notre vie d'ici-bas, je veux parler de la fortune, des délices et des funestes plaisirs qui nous viennent du diable. — Contemplons-la pour devenir chaque jour plus affectueux envers nos frères, hospitaliers envers les indigents, plus charitables envers notre prochain et plus disposés à pardonner du fond du coeur à ceux qui nous ont offensés, afin que, vivant vertueusement et selon la volonté de Dieu, nous héritions du royaume des cieux, en Jésus-Christ, notre Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, en compagnie du Père et du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous lés siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME XLVIII. 1. POUR LA FIN, AUX ENFANTS DE CORÉ. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE TRIOMPHE. — 2. PEUPLES, ÉCOUTEZ TOUTES CES CHOSES. — UN AUTRE : ÉCOUTEZ CECI. PRÊTEZ L'OREILLE, VOUS TOUS QUI HABITEZ LA TERRE. — UN AUTRE : L'OCCIDENT. ON LIT DANS LE TEXTE HÉBREU, OLD. — 3. ET CEUX QUI SONT NÉS DE LA TERRE ET CEUX QUI SONT FILS DES HOMMES. — UN AUTRE : ET L'HUMANITÉ, ET EN OUTRE LES FILS DE CHAQUE HOMME, LE RICHE EN MÊME TEMPS QUE LE PAUVRE. UN AUTRE : (LE RICHE ET LE PAUVRE) ENSEMBLE.

ANALYSE.

1. Ls Prophète adresse son enseignement à tous les hommes sans distinction aucune.

2. Versets 4 et 5. — Ce n'est pas de lui-même, mais de Dieu que le Prophète tire l'enseignement qu'il va publier.

3. L'obscurité de l'Eeriture excite l'attention du lecteur. — R est nécessaire de discerner ce qui est à craindre de ce qui ne l'est pas : le péché seul est terrible et à craindre.

4. Qui craint le péché ne craint rien autre chose. — Versets 7-9.

5. Prières des saints. — Dignité de l'âme. —Nécessité des oeuvres- La mort ne détruit pas la substance. — Résurrection universelle.

6. Faste inutile des tombeaux. — La vertu procure l'immortalité. — Le pêcheur Pierre s'est emparé de Rome.

7 et 8. Que la nature de l'homme est glorieuse. — Dignité de l'âme. — L'homme comparé aux brutes.

9. Ce qu'il faut entendre par ces mots : l'âme périra. — Châtiment des avares.

10. Que la vertu est libre et le vice esclave. — Le luxe des monuments accuse les morts.

11. Les puissants de ce monde ne sont pas à craindre. — La vertu est la gloire de l'homme.

1. Le Prophète va nous révéler d'importants secrets. Car il n'aurait pas convoqué les hommes, de tous les points de la terre, pour venir l'entendre, il ne les aurait pas invités à venir s'asseoir comme dans un théâtre, s'il n'avait à nous raconter quelque chose de grand, d'éclatant, quelque nouvelle digne d'une si vaste assemblée. Car il ne parle plus comme s'il ne voulait prophétiser que pour les Juifs, pour les habitants de la Palestine. On dirait un apôtre, un évangéliste qui adresse ses paroles à tout le genre humain. La loi ne formait qu'un peuple, dans un coin reculé de la terre, mais la parole évangélique a retenti de la Judée sur toute la surface du globe, elle s'est étendue, et a parcouru autant de pays que le soleil en éclaire. La première était comme une institution d'enfants, un règlement élémentaire, un ministère de condamnation et de mort: la seconde n'est que grâce et que paix. Puisqu'il a convoqué tout le genre humain pour l'écouter, approchons, nous aussi, et voyons ce que veut nous dire le Psalmiste, qui préside cette immense réunion de tout le genre humain: As-tu invité tous les hommes à venir, sans te préoccuper de savoir s'il y en a parmi eux qui soient d'origine étrangère, s'il y en a d'instruits, s'il y en a d'ignorants? — Oui, tous. Et c'est pour cela qu'il a dit dès le début : " Peuples, écoutez tous, " et qu'il ai nsisté encore en ces termes: " et ceux qui sont nés de la terre, et ceux qui sont fils des hommes; " adressant son appel à l'humanité tout entière. Oh ! quel enseignement ! Comme il est fait pour tous, commun à (69) tous ! Aussi ce n'est pas un simple appel fait à tous les hommes, il les invite encore à écouter ses paroles avec beaucoup de zèle et de recueillement. Car il ne s'est pas contenté de dire

" Peuples, écoutez toutes ces choses : Prêtez " l'oreille, " ajoute-t-il. Or, prêter l'oreille, ce n'est pas autre chose que d'écouter avec recueillement, et avec une attention soutenue. Car prêter l'oreille se dit spécialement de ceux qui se parlent à l'oreille, et font grande attention, l'un à ce qu'il dit, l'autre à ce qu'il entend " Prêtez l'oreille , vous tous qui habitez la " terre, " et s'il y en a parmi vous qui ne sont pas comptés au rang des nations, qui vivent pêle-mêle ou dispersés par tribus comme les nomades, ceux-là aussi je les convoque pour venir entendre mes paroles.

Voyez comme l'orateur est habile. Tout d'abord il éveille l'attention des auditeurs, et les tient en suspens par cet appel en masse. Après quoi il les humilie afin de prévenir le sentiment d'orgueil qui pourrait s'élever chez eux, à la vue de leur grand nombre. Voilà surtout les auditeurs qu'il faut à celui qui va parler le langage de la sagesse, des auditeurs contrits et humiliés, dépourvus d'orgueil et d'arrogance. Comment donc a-t-il rabattu leur orgueil? en leur rappelant ce qu'ils sont. Car après avoir dit " Peuples, " il ajoute : " et ceux qui sont nés de la terre, et ceux qui " sont les fils des hommes, " nommant ainsi la substance de laquelle nous tirons notre origine, rappelant que la terre est notre mère commune à tous. Pourquoi cette expression " ceux qui sont les fils des hommes? " Après avoir prononcé ces mots " ceux qui sont nés " de la terre, " il ajoute " et ceux qui sont les " fils des hommes, " afin qu'on n'aille pas croire avec les mythologues païens que les hommes ont pris naissance dans la terre comme les plantes, explication donnée par quelques-uns d'entre eux qui ont imaginé une certaine race d'hommes nés d'une semence jetée en terre. Les hommes sont vos pères, mais eux et vous, vous avez pour origine la terre. " Pourquoi " donc " la terre et la cendre s'enorgueillissent-elles? " (Eccli. X, 9.) Songe à ta mère, et humilie-toi, foule aux pieds ton arrogance; " Songe que tu es terre et que tu retourneras en terre (Gen. III, 19), " et rejette tout sentiment d'orgueil. Voilà l'auditeur qu'il me faut. Je te soumets à cette préparation, afin de te rendre propre à recevoir mes paroles. " Le riche en même temps que le pauvre. " Voyez combien l'Eglise est généreuse ! Comment en effet ne serait-elle pas généreuse elle qui admet ses auditeurs sans distinction de rang, qui donne tous ses enseignements avec une égale libéralité, qui fait asseoir à la même table et le riche et le pauvre? Le Prophète, en disant que nous sommes nés de ta terre et que nous sommes fils des hommes, signale l'unité de notre race, et de plus, fait ressortir que nous sommes tous de même nature. S'il fait intervenir cette différence, et cette inégalité qui résultent de nos conditions, c'est pour dire qu'il l'exclut, puisqu'il nous convoque tous sans exception, car tous sans exception nous sommes de même nature. Je vous convoque tous indistinctement, parce que nous sommes tous citoyens d'une même patrie qui est la terre habitée. (Act. XVII, 26.) Mais vous songez encore à la différence que mettent entre les hommes la richesse et la pauvreté, et vous faites intervenir l'inégalité. Eh bien ! je ne veux pas non plus de cela. On ne me verra pas admettre les riches et rebuter les pauvres, ou bien appeler les pauvres et repousser les riches. Loin de là ! qu'ils viennent les uns et les autres; et je ne dis pas seulement les uns et les autres, faisant entre ceuxci les premiers, et ceux-là les derniers, ou bien au contraire faisant entrer ceux-ci les derniers et ceux-là les premiers; non, non, qu'ils viennent en même temps. Qu'il n'y ait de distinction ni dans l'assemblée, ni dans mon langage, ni dans l'auditoire. Quoique riche tu es sorti de la même argile que le pauvre, tu es venu au monde de la même manière, tu as la même origine. Tu es fils d'un homme, et lui aussi.

2. Puisque vous êtes égaux sur les points essentiels, et qu'il n'est pas dû plus d'honneurs à l'un qu'à l'autre, pourquoi t'enfler de je ne sais quelle vaine et chimérique supériorité, pourquoi diviser ce qui est commun, d'après des distinctions qui ne reposent sur rien ? Tout est commun entre vous : nature, origine, parenté. Pourquoi donc ces costumes destinés à marquer la distinction des rangs? Voilà ce que je ne tolère pas. C'est pour cela que je t'appelle avec le pauvre en disant : " le riche en même temps que le pauvre. " Pour toute autre chose on ne saurait voir réunis le riche et le pauvre : on ne les voit ensemble, ni dans les tribunaux, ni dans la cour des rois, ni sur (70) les places publiques, ni dans les banquets : à l'un les honneurs, à l'autre le mépris; à l'un pleine liberté de parole, à l'autre la réserve timide, " car la sagesse du pauvre est comptée pour rien, et ses discours ne sont pas écoutés. " (Ecclé. IX, 16.) Le riche parle, et on l'approuve : le pauvre ouvre la bouche, et on ne lui permet pas de parler. Mais ici il n'en est pas de même. Je ne tolère pas dans l’Eglise ces folles prétentions, mon enseignement est commun à tous.

Voyez l'habileté du Prophète, comment, avant même de commencer sa harangue, il fait pressentir par son seul appel, la vaste étendue de ses enseignements. Car en appelant tous les hommes ensemble, il ne permet ni à l'un de s'enorgueillir, ni à l'autre de s'humilier, mais il leur montre que la richesse n'est pas plus un bien que la pauvreté n'est un mal, mais que ce sont des accessoires empruntés au monde extérieur. Et que m'importe que tu sois ceci ou cela. Je ne vois pas que toi, riche, tu aies plus que le pauvre, et que le pauvre ait moins que toi. Mais peut-être dira-t-on. Et toi qui n'es qu'un homme et qui participes de la, même nature que nous, d'où vient que tu as de toi une si bonne opinion que. tu.t'imagines être capable d'instruire toute, la terre, et que tu appelles à toi tous les hommes des extrémités de ta terre ? Tes paroles sont-elles donc dignes d'une telle assemblée? — Oui, répond-il. Car après avoir convoqué tous les hommes, écoutez ce qu'il dit pour qu'on ajoute foi à ses paroles : " Ma bouche proférera des paroles de Sagesse, et la méditation de mon cœur des paroles de prudence (4). " Un autre: " et mon cœur fredonnera des paroles de prudence, " ce que le texte hébreu rend par " ovagith. " Voyez-vous comme son discours va droit au but? Je ne parlerai ni des richesses, dit-il, ni des dignités, ni de la puissance, ni de la force du corps, ni d'aucune autre chose périssable c'est de la sagesse que je vais parler, j'en parlerai consciencieusement, et non pas à la légère, en homme qui ne la connaît que d'hier. " Je prêterai l'oreille pour entendre la parabole (5). " Un autre: "Je prêterai l'oreille à la parabole, " ce que le texte hébreu rend par " Lamasal. Je découvrirai sur la harpe ce que j'ai à proposer. " Un autre : " l'énigme que j'ai à proposer; — Idathei, " en hébreu.

Comment relier ces phrases aux précédentes? Ce n'est plus un maître, c'est un disciple que je vois. Tu nous as appelés, ô Prophète, pour nous faire entendre d'utiles leçons, et après que nous sommes tous arrivés, que nous sommes tous réunis, après nous avoir prévenus que tu allais prononcer de sages paroles, voilà que tu quittes, sans avoir rien dit encore, le rôle de maître pour celui de disciple. — N'a-t-il pas dit en effet : " Je prêterai l'oreille pour entendre la parabole ? " Pourquoi cela? — Pourquoi? parce qu'il est vraiment habile, et qu'il veut mettre de la suite entre ses paroles. Après avoir dit: " Je proférerai des paroles de sagesse, " afin qu'on ne croie pas que ses paroles sont simplement celles d'un homme, et : " la méditation de mon cœur des paroles de prudence, " afin qu'on ne le soupçonne pas d'avoir inventé ce qu'il veut avancer, il montre par ces réflexions que ses paroles viennent de Dieu, qu'il ne dit rien qui lui appartienne en propre, et qu'il ne fait que répéter ce qu'il a entendu dire. J'ai prêté l'oreille, dit-il, aux paroles de Dieu, je les ai entendues, et je ne fais que vous révéler la communication qui m'est venue d'en-haut. Ce qui faisait dire à Isaïe : " Le Seigneur me donne une langue savante quand je dois parler: de plus il m'a donné des oreilles capables de l'entendre. " (Isaïe, L, 4. ) Paul à son tour a dit: " La foi vient de ce qu'on a ouï; et on a ouï parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée. " (Rom. X, 17.) Vous le voyez, il a été disciple avant d'enseigner. Aussi un autre interprète a-t-il dit: " et mon cœur fredonnera. " Que signifie ce mot fredonnera ? Il chantera, il récitera un psaume inspiré par le Saint-Esprit. S'il parle de méditation, n'en soyez pas troublé: il a constamment médité et repassé en lui-même les paroles de l'Esprit-Saint, et ce n'est qu'après cela qu'il les a communiquées aux autres hommes. Pourquoi parle-t-il de parabole? Voilà un mot qui a bien des significations. La parabole est une causerie, un exemple, un reproche, comme quand on dit: " Tu nous as fait devenir la fable des nations, et les a peuples secouent la tête en nous regardant. " (Ps. XLIII, 15. ) La parabole est encore un discours énigmatique, ce que beaucoup appellent une question à deviner, qui contient bien un sens, mais dont les paroles sont obscures et renferment une pensée cachée, comme lorsque Samson dit : " La nourriture est sortie de celui qui mangeait, et la douceur est sortie du fort (Juges, XIV, 14) , " et Salomon : " Il (71) pénétrera les paraboles et leur sens mystérieux. " (Proverb. I, 6. ) La comparaison s'appelle aussi parabole : " Il leur proposa une autre parabole, en disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait " semé de bon grain dans son champ. " (Matth. XIII, 214. ) On dit aussi qu'il y a parabole quand on parle par figures : " Fils de l'homme, dis-leur cette parabole : un grand aigle à la vaste envergure. " (Ezéch. XVI, 1, 3. ) Par l'aigle c'est le roi qu'on désigne. La parabole est encore une figure et une image comme le montre saint Paul par ces paroles : "C'est par la foi qu'Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu le voulut tenter; car c'était son fils unique qu'il offrait, celui qui avait reçu les promesses de Dieu. C'est pourquoi il le recouvra en parabole (Héb. XI, 17,19 ), " c'est-à-dire en figure et en image (de la résurrection).

3. Que vient donc faire ici la parabole? Il me parait bon de vous l'expliquer. Si le Prophète se sert d'un langage énigmatique et difficile à entendre, n'en soyez pas troublés : il agit ainsi pour éveiller l'auditeur, car souvent une trop grande facilité énerve l'attention, et voilà pourquoi il parle par paraboles. D'ailleurs le Christ parlait souvent par paraboles, puis il les expliquait à ses disciples quand il était seul avec eux. La parabole sert à faire distinguer celui qui est digne de celui qui ne l'est pas celui qui est digne en effet cherche à trouver le sens des paroles qu'on lui adresse, celui qui est indigne passe à côté et les néglige. C'est ce qui arrivait alors. Les difficultés que contenaient les paraboles imaginées par le Christ ne réveillaient pas l'esprit des Juifs, et ne les amenaient pas à lui faire des questions, tellement ils écoutaient peu ce qu'il leur disait. Cependant il y a de quoi éveiller l'esprit de recherche, là où l'on peut distinguer une esquisse. C'est ce que faisait alors Jésus-Christ, et il parlait par paraboles, pour exciter les Juifs et les réveiller de leur engourdissement et de leur assoupissement; mais ils n'en étaient pas plus attentifs, tandis que ses disciples s'attachaient à lui quoiqu'ils ne comprissent pas, et restaient à ses côtés précisément parce qu'ils ne comprenaient pas. Aussi, quand il était seul avec eux, leur expliquait-il ses paraboles. Voilà ce qui fait dire au Psalmiste : " Je prêterai l'oreille pour entendre la parabole ; je découvrirai sur la harpe ce que j'ai à proposer. " Ce qu'il veut proposer est une question obscure et énigmatique, c'est ainsi qu'il dit ailleurs : " Je vous parlerai en énigmes de ce qui s'est fait depuis la création du monde." (Psal. LXXVII, 2. ) Voilà pourquoi il annonce qu'il proférera des paroles de sagesse, car il est plein de confiance dans la révélation divine; voilà pourquoi il dit : " Je découvrirai sur la harpe ce que j'ai à vous proposer," afin de montrer que sa doctrine lui a été inspirée par le Saint-Esprit, et qu'elle lui vient d'en-haut, et voilà pourquoi il présente ses conseils sous forme de chant, afin de donner plus de douceur à ses paroles.

Voyez-vous quel est son exorde ? Il a convoqué toute la terre , il a exclu l'inégalité qui règne ici-bas, il nous a fait ressouvenir de notre nature, il a rabattu notre orgueil, il a promis de dire quelque chose des grand et de généreux, il a déclaré que ses paroles ne lui appartenaient point, qu'il n'était que l’écho de Celui qui règne dans les cieux, il nous a fait entendre que son langage serait très-obscur, afin de nous rendre plus attentifs : il a promis de ne nous enseigner que des principes de sagesse inspirés par le Saint-Esprit, et qu'il n'avait cessé de méditer. Ecoutons-le donc, et ne soyons pas inattentifs. Car si sa parole est sage, qu'il s'agisse de parabole ou de question à deviner, il faut que notre intelligence se tienne en éveil. Quel est donc ce conseil, quelle est cette question, quelle est cette parabole, quelle est cette sagesse qui lui vient d'en-haut? " Quel sujet aurai-je de craindre au jour mauvais? " (6). " Un autre: " aux jours du méchant, " ce que le syriaque, rend parce mot " Rha. Ce sera si je me trouve enveloppé dans l’iniquité de mon talon. " Un autre : " de mes pas. " Ce que le texte hébreu rend par " Aon acoubbei isoubboundi. " Voyez-vous comme il présente sa question, son exigence, combien son langage est obscur et mystérieux? Mais, si vous le voulez bien, sachons d'abord ce qu'il entend par ce jour mauvais. Que désigne ordinairement l'Ecriture par ce jour mauvais? Elle désigne le jour des malheurs, le jour des châtiments, le jour des épreuves. C'est aussi ce que le Psalmiste dit ailleurs : " Heureux celui qui a l'intelligence du pauvre et de l'indigent ! Dieu le sauvera au jour mauvais." (Ps. XL, 1.) Le jour mauvais, c'est ce jour terrible, redoutable, ou on fera le compte des péchés. Avez-vous vu d'abord les limites précises posées par cette philosophie venue (72) d'en-haut, comme la parole du Prophète définit heureusement ce qui doit exciter la crainte, ce qui mérite condamnation? Si l'on ne fait pas cette distinction essentielle, on est réduit à errer comme dans une obscurité profonde, et dans un véritable chaos.

Faute de distinguer ce qu'il faut craindre et ce qu'il faut mépriser, notre vie sera exposée à bien des erreurs et à bien des dangers. Car s'il est d'une souveraine démence de craindre ce qui n'est pas redoutable , il en est de même quand on se rit de ce qu'il faut craindre. Les hommes diffèrent des enfants en ce que ceux-ci, à cause de l'imperfection de leur intelligence , ont peur des masques et des hommes qui s'affublent d'un sac, tandis qu'ils s'imaginent que ce n'est rien d'insulter son père ou sa mère ; ils mettent les pieds dans le feu et sur les lampes allumées, et craignent certains bruits qui n'ont rien de redoutable, toutes choses qui ne font même pas tourner la tête à un homme. C'est donc parce qu'il y a beaucoup d'hommes qui ont moins de bon sens que les enfants, que le Prophète fait cette distinction, et qu'il nous dit ce que nous devons craindre. Il ne veut point parler de ce qui paraît redoutable au vulgaire, c’est-à-dire de la pauvreté , de l’humilité, de la maladie, choses que la plupart trouvent non-seulement redoutables, mais encore pesantes et intolérables, il ne parle de rien de tout cela, c'est le péché seul qu'il désigne. Tel est le sens de ces mots : " Je me trouverai enveloppé dans l'iniquité de mon talon. " Tel est le sens de cette parole énigmatique, de cette figure neuve et singulière. Car ce doit être bien neuf et bien singulier pour le vulgaire que de dire qu'il ne faut rien craindre de ce qui attriste là vie d'ici-bas. Que craindrai-je donc, dit-il, dans le jour mauvais ? Une seule chose, c'est que je ne sois enveloppé dans l'iniquité de ma voie et de ma vie. Car l'Ecriture, par le talon, désigne la tromperie. " Celui qui mangeait mon pain, dit-elle, a levé le talon contre moi." Esaü dit de Jacob : " Voilà la seconde fois qu'il me supplante comme avec le talon. " (Gen. XXVII, 36.) Tel est le péché, il est trompeur et sait s'emparer des hommes. Voilà ce que je crains, dit le Psalmiste, le péché qui me trompe, qui m'enveloppe.

4. C'est pourquoi saint Paul appelle le péché (Hébr. XII, 1) d'un nom qui signifie qu'il nous entoure constamment, aisément, facilement. Dans les tribunaux d'ici-bas les hommes redoutent bien des choses, l'influence de la richesse, la puissance des grands, l'insulte, la fraude. Là rien de pareil : le péché seul est à redouter, car il enveloppe de tous côtés ceux dont il s'empare, et sa puissance est plus irrésistible que celle des armées. Il faut donc tout faire pour ne pas nous laisser envelopper par lui. Quand nous voyons qu'il veut nous circonvenir, il faut éviter de lui donner prise, comme font les bons soldats. S'il nous a saisis, il faut le combattre sans hésiter, ce que fit David qui brisa sa puissance par la force de son repentir. (II Rois, XII, 13.) Il avait été enveloppé par lui , mais il sut lui échapper promptement. Celui qui a cette crainte, ne craindra jamais autre chose : il se rira des biens de la vie présente, méprisera les ennuis qu'elle recèle et ne laissera son âme accessible qu'à la crainte du péché. Il n'y a plus rien, rien de redoutable pour celui qui possède cette crainte, pas même la mort; ce résumé de toutes les épouvantes : il ne craindra que le péché. Comment cela ? Parce que c'est le péché qui nous livre à la géhenne, qui nous envoie subir lès peines éternelles. Si au contraire nous le combattons avec succès, ce triomphe amène toutes les vertus à sa suite. Songez combien il est beau de ne pas s'enorgueillir de ses avantages, de n'être pas humilié de ses malheurs, de ne tenir aucun compte des choses présentes, de ne regarder que l'avenir, d'attendre le grand jour et de vivre avec cette crainte. Ce sera un ange qu'un tel homme , qui n'aura craint que le péché, sans se préoccuper du reste. Car il ne craindra rien autre chose, s'il craint seulement ce qu'il faut craindre ; au contraire celui qui n'éprouvera pas cette crainte-là , sera exposé à bien des dangers redoutables. " Ceux qui mettent leur confiance dans leurs propres forces, et qui se glorifient de la grandeur de leurs richesses. " Un autre : " Ceux qui se vantent (7). Le frère ne rachètera pas "son frère, l'homme ne rachètera pas l'homme, il ne pourra se rendre Dieu favorable (8), ni payer la rançon de son âme (9). "

Mais où est la suite des idées ? dira-t-on. Ces idées ont beaucoup de suite, une suite non interrompue, elles se rattachent étroitement à ce qui précède. Comme le Prophète parle du tribunal suprême, du compte redoutable qu'il faudra rendre de ses actions, de la justice incorruptible de Dieu, et que, dans les tribunaux (73) d'ici-bas, on a bien souvent corrompu la justice, acheté les juges, échappé au. châtiment, il proclame bien haut que la justice divine est incorruptible; en ajoutant ces paroles, il augmente la crainte dont il nous parlait d'abord, et il montre par là qu'il avait raison de dire que nous n'avons à craindre que le péché, et pas autre chose. Là, il n'est pas possible de corrompre la justice à prix d'argent, ni de s'arracher aux tourments de la géhenne en prodiguant les Présents; il n'y a plus ni protection, ni plaidoirie, ni rien de semblable qui puisse nous sauver. Soyez riche, soyez puissant, soyez connu, tout cela est vain et inutile. Là, chacun est puni ou couronné selon ses actes. Le riche qui vivait du temps de Lazare était bien riche, à quoi lui a servi sa richesse? (Luc, XVI.) Les vierges folles étaient connues des vierges sages (Matth. XXV), eh bien ! ces relations ne leur ont été d'aucune utilité; là, en effet, on ne demande qu'une chose. Vous donc, dit le Prophète, qui êtes fiers de votre richesse, qui êtes puissants, vous vous enorgueillissez en pure perte; car rien de tout cela ne vous suivra par devant l'auguste tribunal, ni l'immensité de vos richesses, ni votre puissance. II n'y aura ni alliance de famille, ni parenté, ni rien de pareil qui puisse vous délivrer du danger. Là on ne peut se sauver ni en prodiguant l’argent, ni en achetant la miséricorde de Dieu, ni en payant la rançon de son âme. Que dit donc l'Écriture? " Servez-vous de l'inique Mammon pour vous faire des amis, afin qu'il vous fasse recevoir dans les tentes éternelles. (Luc, XVI, 9.) Quel est le sens de ces paroles? Il n'est nullement contraire, nullement opposé à ce qui précède: loin de là, il s'y rapporte parfaitement. Dans la vie présente, il faut se faire des amis en donnant de l'argent, en dépensant sa fortune pour ceux qui sont dans le besoin. Dans ce passage, l'Évangéliste n'a donc en vue que l'aumône et la libéralité. De sorte que si vous vous en allez dans l'autre monde sans avoir rien fait de tout cela, nul ne vous protégera. Car ce n'est pas l'amitié de ces gens-là qui peut vous protéger, mais bien le fait même d'avoir employé l'inique Mammon à vous procurer des amis. C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute ces mots " se servir de l'inique Mammon pour acquérir des amis, " voulant vous faire entendre que vous serez protégé par vos propres actions, par vos aumônes, par votre amour pour vos semblables, par votre empressement à secourir ceux qui sont dans le besoin. Pour preuve que la parenté, que les alliances de famille ne peuvent rien sans les actes, écoutez ce que dit le Prophète. " Quand même Noë, Job et Daniel, se tiendraient là en personne, ils ne délivreraient ni leurs fils, ni leurs filles. " (Ezéch. XIV, 14-18.) Et que parlé-je de la vie future, lorsque l'amitié ne sert de rien, même dans la vie présente ? Combien Samuel n'a-t-il pas pleuré, n'a-t-il pas gémi, sans pouvoir arracher Saül à sa condamnation? Combien Jérémie n'a-t-il pas prié pour les Juifs, et ses prières n'ont pas eu d'autre effet que de lui attirer les reproches du Seigneur? Et pourquoi vous étonner si Jérémie n'a pu rien faire, lui qui avoue que Moise lui-même, s'il eût vécu à cette époque, indurait pas été assez puissant pour sauver les Juifs d'alors, tellement ils s'étaient laissé dominer, absorber par le péché? (Jér. XV, 1.)

5. Combien saint Paul n'a-t-il pas déploré le sort des Juifs, lui qui disait : " Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon coeur une grande affection pour leur salut, et que je le demande à Dieu par mes prières ! " (Rom. X, 1.) Ces prières, quel résultat ont-elles eu ? Aucun. Que dis-je ? des prières ! Il souhaitait même d'être anathème pour leur salut. (Rom. IX, 3.) Quoi donc ? Les instances des saints sont donc superflues? Non pas. Elles ont au contraire une singulière efficacité quand on leur vient en aide soi même. C'est ainsi que Pierre ressuscita Tabitha, résurrection opérée non-seulement parses prières, mais aussi par les aumônes de cette femme. (Act. IX, 36, et suiv.) C'est ainsi que les saints en protégèrent d'autres par leurs prières. Et cela a lieu ici-bas, dans le séjour du travail et de la lutte ; mais là-haut rien de pareil, les actes seuls peuvent contribuer au salut. Il me semble que le Prophète poursuit de ses railleries ceux qui sont riches sur cette terre, et ceux qui sont fiers. Car il ne dit pas ceux qui ont de la fortune, ou bien ceux qui possèdent une grande puissance, mais " ceux qui se confient dans l'étendue de leur richesse, et qui sont fiers de leur puissance. " Il se moque d'eux et s'attaque à eux parce qu'ils mettent leur confiance dans des ombres, et qu'ils s'enorgueillissent pour de la fumée. Il a dit avec raison : " Il ne donnera pas la rançon de son âme, " car le monde entier ne suffirait pas pour payer cette rançon. Aussi est-il dit : " Et que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme ? " (74) (Matth. XVI, 26.) Afin de comprendre que le monde entier n'est pas suffisant pour payer la rançon de l'âme, écoutez ce que dit saint Paul de quelques autres saints : " Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne. " (Hébr. XI, 37 et 38.) Le monde est fait pour l'âme. De même qu'un père ne préférerait pas sa maison à son fils, dé même Dieu ne préfère pas le monde à l'âme : ce qu'il faut, c'est agir, et bien agir. Voulez-vous savoir ce que valent nos âmes ? Le Fils unique, quand vint le moment de les racheter, ne donna ni 1e monde, ni un homme, ni la terre, ni la mer, mais son sang, ce sang si précieux. Ce qui a fait dire à saint Paul : " Vous avez été achetés d'un grand prix ; ne vous rendez pas esclaves des hommes. " (I Cor. VII, 23.) Vous voyez combien l'âme est précieuse. Quand donc vous aurez perdu cette âme achetée si cher, comment désormais pourrez-vous la racheter ? "Car le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus. " (Rom. VI, 9.) Vous avez vu tout ce que coûte l'âme, vous avez vu tout ce qu'elle vaut. Ne la méprisez donc pas, ne la laissez pas au pouvoir de l'ennemi. "L'homme se consume dans des travaux sans fin, et il vivra jusqu'à la fin (10). " Un autre interprète dit : " Il s'est reposé pour toujours… " Un autre dit : " Il s'est reposé dans ce temps-ci, et il a continuera de vivre pendant les siècles. "

Après avoir parlé des riches, après avoir parlé des puissants, et montré qu'il n'y a rien à gagner aux richesses ni à la puissance, il ne s'adresse plus qu'à ceux qui ont vécu dans la vertu, à ceux qui sont dans la peine. et dans la misère, pour les préparer air combat comme lés athlètes de la philosophie. N'allez pas m'objecter, dit-il, qu'il n'y a là que fatigues et travaux : songez au résultat, songez que l'homme devient immortel, qu'une vie éternelle le recevra; une vie qui n'a pas de fin. Combien n'est-il pas préférable, après avoir souffert un peu ici-bas, de jouir d'un délassement perpétuel, plutôt que dé s'exposer à vivre toujours dans les tourments pour avoir eu la faiblesse de céder un instant à ses passions ? Ensuite montrant que ce n'est pas seulement là-haut que se trouve ce qui concerne les récompenses et les couronnes, mais que dès cette vie on peut y préluder, voici ce qu'il ajoute : " Il ne verra pas l'oeuvre de la mort, quand il verra les sages trépasser (11). " Ne me dites pas : Tu parles seulement des choses futures. Je vous donne sur cette terre le gage de la couronne à venir, ou plutôt je vous donne les arrhes mêmes et les récompenses. Comment, et de quelle manière? Parce que celui qui pratique cette philosophie, et qui s'appuie sur l'espérance de la vie future, ne croira même pas que la mort soit la mort. En voyant étendu sous ses yeux le corps d'un homme qui vient d'expirer, il n'éprouvera pas les mêmes impressions que la foule : il songera aux couronnes, aux prix décernés au vainqueur, à ces biens ineffables que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, à cette rie de bonheur passée en compagnie des anges. De même que le laboureur en voyant le grain se dissoudre, loin de tomber dans l'abattement se réjouit surtout alors et se félicite, parce qu'il sait que cette dissolution est le principe d'une reproduction nouvelle et meilleure, et le point de départ d'une récolte plus abondante, de même le juste, fier de ses bonnes actions, attendant chaque jour le royaume des cieux, ne se décourage pas, comme le vulgaire, ne s'émeut pas, ne se trouble pas en présence de la mort. Il sait que, pour ceux qui ont bien vécu, la mort est un acheminement à une vie meilleure, un départ pour un pays plus beau, une course triomphale pour aller recevoir la couronne. De quels sages est-il question? Non pas des vrais sages, mais de ceux qu'on regarde comme tels. Il me semble que le Psalmiste désigne les sages selon le monde, et qu'il se moque d'eux précisément parce qu'avec leur prétendue sagesse ils n'ont été que des insensés qui n'ont jamais pris la résurrection pour sujet de leurs méditations philosophiques. (Rom. I, 22).

Quand donc l'homme dont nous parlons verra mourir ces philosophes, qu'il les verra porter au tombeau avec des lamentations, des larmes et des plaintes, il n'éprouvera aucune de ces tristes impressions. Il sera au-dessus de telles atteintes, parce qu'il s'appuie sur de solides et bonnes espérances et qu'il sait que cette destruction du corps n'est pas celle de la substance même, mais que c'est la dissolution de la partie mortelle, la suppression de la partie corruptible. Cette mort ne détruit pas le corps, elle n'en détruit que la partie périssable, si bien que la substance reste pour ressusciter avec une gloire plus grande, ce qui toutefois (75) n'aura pas lieu pour tous. Sa résurrection s'étendra bien à tous, mais la résurrection glorieuse rie sera le partage que de ceux qui auront bien vécu. " L'homme sans raison et l'homme sans intelligence périront en même temps, et ils laisseront leurs richesses à des étrangers. Leur sépulture sera leur demeure de siècle en siècle, et ils avaient appelé leurs terres de leur nom (12). " Un autre dit, " l'intérieur de leurs maisons de siècle en siècle. " Un autre, " leurs demeures de génération en génération, et ils ont appelé la terre de leur nom. " Ce que l'hébreu rend par ces mots " ale adomoth. "

6. Avez-vous vu comme il nous éloigne du vice et de la cupidité, et nous conduit vers la vertu , non-seulement en nous parlant des avantages de la vie future, mais encore en faisant ressortir les avantages de la vie présente, en éteignant notre folle passion pour les richesses, en traitant d'insensés ceux qui n'ont d'yeux que pour les biens d'à présent, et en le prouvant par des faits? Quoi de plus insensé, dites-moi, qu'un homme qui se fatigue et se tourmente, et amasse tant de richesses, pour qu'un autre jouisse du fruit de ses peines? Quoi de plus triste que cette inutile dépense de travail ? Cet homme, après avoir versé sa sueur et supporté tant de fatigues, s'en va de ce monde, et laisse à d'autres la jouissance de ses biens, non pas toujours à ses parents et à ceux qu'il connaît, mais bien souvent à ses adversaires, à ses ennemis ! Aussi le Prophète n'a-t-il pas dit : Ils laisseront leurs biens à d'autres, mais : " Ils laisseront leurs biens à des étrangers. " Que veut-il dire par ces mots - " L'homme sans raison et l'homme sans intelligence périront en même temps? " Ces paroles, sont une suite de ce qui précède. il me paraît que dans ce passage il fait allusion aux impies, à ceux qui n'ont d'yeux que pour les biens présents, qui ne songent pas à l'avenir et qu'il appelle pour cela des insensés. Si vous croyez, qu'il n'y a plus rien après cette vie, pourquoi vous fatiguer et vous rendre malheureux pour amasser de tous côtés d'immenses richesses, pourquoi supporter les travaux, et ne pas jouir des résultats qu'ils amènent? "Et leurs tombeaux seront leurs demeurés de siècle en siècle. " Le Psalmiste, en parlant ainsi, ne fait qu'exprimer, la secrète pensée de ces hommes-là. " Ce sera leur séjour de génération en génération : ils ont appelé leurs terres de leur nom. " Quelle pire folie que de nous dire qu'on tombeau sera notre demeure éternelle, et de mettre notre amour-propre à nous élever de beaux monuments funèbres !

Bien des hommes se sont fait construire des tombeaux plus magnifiques que des maisons. En faisant ces dépenses, qui ne sont pas nécessaires, ils se fatiguent et se donnent de la peine soit pour leurs ennemis, soit pour les vers et pour la poussière. Telles sont les préoccupations de ces hommes qui n'espèrent pas en la vie future. Et à ce propos, l'idée me vient de déplorer le sort de ce grand nombre d'hommes qui, tout en conservant l'espoir d'une vie future, imitent en cela ceux qui ne partagent nullement le même espoir, et se montrent pires qu'eux en bâtissant des tombeaux, en faisant construire de superbes monuments, en enfouissant de l'or, et en transmettant leurs biens à d'autres hommes. Celui qui n'attend plus rien après cette vie, s'il se donne de la peine pour les biens de ce monde, agit déraisonnablement sans doute, mais agit conformément à sa croyance qui lui interdit l'espoir d'une autre vie. Mais toi, ô homme, qui connais la vie future , et ces biens ineffables qu'annonce l'Évangile lorsqu'il dit que " les justes alors brilleront comme le soleil (Matth. XIII, 43), " sur quel pardon comptes-tu, sur quelle excuse? Que! châtiment ne mériterais-tu pas, toi qui dépenses toute ton énergie pour de la poussière, pour de la cendre, pour des tombeaux, pour des adversaires, pour des ennemis?

" Ils ont appelé leurs terres de leur nom. " Voici un autre genre de folie : ils donnent leur nom à des maisons, à des propriétés, à des salles de bains, et croient gagner à cela un beau sujet de satisfaction, et poursuivent l'ombre à la place de la vérité. Si tu désires laisser une mémoire durable, ne donne pas ton nom à des maisons, ô homme, mais dresse un trophée de bonnes actions, qui protégeront ton nom dès cette vie, et qui te procureront la vie future avec un repos éternel. Si tu tiens à laisser ton souvenir, je vais t'enseigner la vraie route et la plus facile à suivre : pratique la vertu. Bien ne rend notre nom immortel comme la vertu. Et pour preuve, vois les martyrs, vois les reliques des apôtres, vois quels souvenirs ont laissés ceux qui ont bien vécu. Que de rois ont fondé des villes, creusé des ports, et s'en sont allés après leur avoir donné leur nom? Ils n'y ont rien gagné, le silence et l’oubli ont dévoré (76) leur mémoire. tandis que le pêcheur Pierre, qui n'avait rien fait de tout cela, s'empare de la reine des villes, et brille, même après son trépas, d'une lumière plus vive que celle du soleil, parce qu'il se mit à la recherche de la vertu, ta conduite est ridicule et honteuse. Car tes monuments funèbres, loin de te rendre fameux, feront de toi un objet de ridicule, et provoqueront le rire de tous les hommes. Le temps aurait pu livrer ta cupidité à l'oubli, mais partout s'élèvent tes vastes constructions comme des colonnes et des trophées de ton avarice. — " Mais l'homme , au milieu de sa grandeur, ne l'a pas comprise : il s'est ravalé au rang des animaux privés de raison, et s'est fait semblable à eux (13). "

Il me paraît que dans ce passage le Prophète ne songe plus qu'à déplorer le malheur de cet être doué de raison, aux mains duquel est confiée la royauté de la terre, et qui s'abaisse au niveau de la bête de somme en s'épuisant à d'inutiles travaux, en produisant des oeuvres contraires à son salut, en poursuivant la vaine gloire, en recherchant avidement les richesses, en se livrant à des efforts sans résultat. Ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est la vertu, c'est la faculté de méditer l'avenir, c'est de faire toutes choses en vue de la vie future, c'est de mépriser les choses présentes. Pour les animaux, la vie ne dépasse pas le cercle de la vie présente, tandis que nous, notre vie d'ici-bas n'est qu'un passage à une autre vie meilleure et qui n'a pas de fin. Ceux qui ne savent rien des choses futures sont au-dessous de la brute, et non-seulement ceux-là, mais encore ceux qui vivent dans la corruption ; ce sont des serpents, des scorpions et des loups pour la méchanceté, des boeufs pour la stupidité, des chiens pour l'impudeur.

7. Quoi de plus stupide, dites-moi, que de passer son temps à s'occuper de tombeaux et de mausolées, que de rester bouche béante en apprenant que d'autres hommes ont donné leur nom à ces monuments ! Si notre mémoire reste, nous le devrons à la vertu seule, et non à des maisons, à des statues, à des enfants ni à rien de pareil. Les maisons sont l'oeuvre d'un architecte, un produit de son habileté, les statues sont l'oeuvre du statuaire, et les enfants sont du fait de la nature : dans tout cela tu n'as nul souvenir à revendiquer. Aussi le Prophète traite-t-il d'insensé l'homme qui a de telles pensées ; et qui, après avoir plié sa tête sous le joug de la stupidité, se conduit avec moins d'intelligence encore que la brute. La brute du moins est utile et sert pour l'agriculture, mais l'homme, en s'abandonnant à la stupidité, est en cela même devenu l'inférieur de la brute. Le Prophète, après avoir dit plus haut combien était épaisse, grossière et basse, l'intelligence de ces hommes, après avoir dit combien était inutile la peine qu'ils prenaient pour acquérir des richesses, le Prophète, voulant rendre encore plus accablantes les charges qui pèsent sur eux, place en regard les bienfaits de Dieu. Ce que font souvent les prophètes. Ainsi Isaïe, au moment d'accuser les Juifs, dit d'abord que Dieu les a comblés d'honneurs, et voici en quels termes : " J'ai nourri des enfants, je les ai élevés, et ils m'ont méconnu. " (Isaïe,1, 2.) Et dans ce passage de notre psaume, le Prophète, voulant montrer en un seul mot les bienfaits que Dieu a accordés aux hommes de son propre mouvement, dit : " L'homme, au milieu de sa grandeur, ne l'a pas comprise. " Quelle est cette grandeur? Ecoutez ce qu'il dit dans un autre psaume : " Vous l'avez mis un peu au-dessous des anges, vous l'avez couronné de gloire et d'honneur. " (Ps. VII, 6.) Ensuite, décrivant ces honneurs, il ajoute : " Vous avez tout mis à ses pieds, les brebis, les boeufs, le bétail qui paît dans les plaines; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer et tout ce qui parcourt les sentiers de la mer. " (Ps. VII, 78.) C'était là le plus grand honneur qu'on pût faire à l'homme que de lui confier le sceptre et de lui soumettre tout ce que l'œil peut voir, et cela sans qu'il y eût encore droit par ses mérites. Car Dieu, avant de créer l'homme, a dit : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. " (Gen. I, 26.) Ensuite le Prophète explique cette expression " à notre " image " en ajoutant ces mots : " Que les hommes commandent aux poissons de la mer, aux animaux de la terre, aux oiseaux du ciel. "

Et cet avorton, haut de trois coudées, qui est si inférieur aux autres animaux pour la force du corps, il l'a mis au-dessus de tous en lui donnant la raison, en daignant lui accorder une âme raisonnable, ce qui est la plus grande marque d'honneur. Par la raison, l'homme a bâti des villes, a traversé les murs, a embelli la terre , a fait des milliers d'inventions, a dompté les animaux les plus sauvages, et ce qu'il y a de plus grand, de plus beau, il a connu Dieu , son créateur, il n'a eu qu'à se laisser conduire comme par la main pour arriver à la vertu, il a eu la connaissance de ce qui est bien, et de ce qui ne l'est pas. Seul de tous les êtres que nous voyons, il adore Dieu, il est aussi le seul qui jouisse de ses révélations, il a été initié à des mystères, et il est instruit des choses du ciel. C'est pour lui que la terre, pour lui que le ciel, pour lui que le soleil et les astres ont été faits; c'est pour lui que la lune suit son cours, que les différentes saisons et les solstices se succèdent; c'est pour lui que les fruits, que les végétaux, que les innombrables espèces des animaux se reproduisent; c'est pour lui qu'ont été faits le jour et la nuit; c'est pour lui que les apôtres et les prophètes, pour lui que les auges ont été souvent envoyés. A quoi bon entrer dans tant de détails? Les faire connaître tous est impossible. C'est pour lui que Dieu le Fils unique s'est fait homme, qu'il a été crucifié, qu'il a été mis au tombeau, et les effrayants prodiges qui ont suivi la Résurrection, c'est pour lui qu'ils ont eu lieu. C'est pour lui que la loi, pour lui que le paradis ont été faits, pour lui que le déluge a eu lieu. Et ceci même est un des plus grands honneurs qu'on pût lui faire, que de travailler à sa perfection par les bienfaits et par les châtiments. C'est pour lui que pendant tous les siècles antérieurs la Providence divine s'est déployée à l'infinie. Il n'y a pas jusqu'au jugement dernier qui ne soit une marque d'honneur pour lui. Ce qui fait dire à Job : " Qu'est-ce que l'homme pour que tu aies daigné le soumettre à un jugement?" (Job, XIV, 3.) C'est aussi ce que dit ailleurs le même Psalmiste : " Qu'est-ce que l'homme pour que tu te sois souvenu de lui ? " (Ps. VIII, 5. ) C'est encore pour lui que le Fils unique viendra les mains pleines de biens infinis. De ces biens il nous a déjà donné une partie par la grâce du baptême, par les mystères et les autres cérémonies du culte, et il a rempli la terre de beaucoup d'autres merveilles : il a promis de nous donner l'autre, le royaume des cieux, et la vie éternelle, il a promis de nous laisser son héritage, et de nous faire régner avec lui. Aussi saint Paul a-t-il dit . " Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui. " (II Tim. II, 12. ) C'est à tout cela que songe le Prophète quand il compare aux brutes ceux qui renient la noblesse de leur origine pour se livrer au vice, et qui désertent leur poste pour vivre de la vie des bêtes. Procédé familier à d'autres prophètes qui veulent confondre par ces comparaisons l'impudence de leurs auditeurs. L'un dit : " Les voilà devenus comme des étalons en rut. " (Jér. V, 8. ) L'autre : " Le boeuf reconnaît celui à qui il appartient, l’âne reconnaît la crèche de son maître (Isaïe , I , 3), " et ses paroles sont encore plus amères que celles de David : " Il est tombé au rang des animaux privés de raison, et il est devenu semblable à eux, " car il dit que les hommes sont devenus plus stupides que ces animaux qui, eux du moins, reconnaissent leur maître, " tandis qu'Israël " ne me reconnaît pas, " dit le Seigneur.

8. Ailleurs un autre sage voulant montrer que le fainéant, l'homme abattu, flétri par la paresse, est inférieur même à la fourmi, le renvoie auprès d'elle pour apprendre à aimer le travail : " Va, " dit-il, " paresseux, vers la fourmi, et prends-la pour modèle. " (Prov. VI, 6, 8.) " Car celle-ci, sans avoir de terre à cultiver, sans que personne la force, sans avoir " à obéir à aucun maître, prépare sa nourriture durant l'été, et pendant la moisson met " de côté d'abondantes provisions. " Il lui recommande encore de se rendre auprès de l'abeille : " Va auprès de l'abeille, et apprends combien elle est bonne ouvrière : son fruit l'emporte sur les fruits les plus doux : les princes et les simples particuliers recherchent pour leur santé le produit de ses travaux. " (Eccl. XI, 3.) Un autre dit : " Tes princes sont comme des loups d'Arabie. " (Sophron. III, 3.) Un autre encore : " Tu es resté assis dans le désert, comme une corneille. " (Jér. III, 2.) Et le fils de Zacharie s'écrie : " Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui doit tomber sur vous ? " (Matth. III, 7.) Un autre dit encore: " Ils ont brisé les oeufs d'aspic, et ourdi des toiles d'araignée. " (Is. LIX, 5.) Le même Psalmiste a dit ailleurs : " Le venin de l'aspic dégoutte de leurs lèvres. " (Ps. CXL, 3.) Et ailleurs encore : " Leur colère est comme celle des serpents. " (Ps. LVII, 5.) Telle est la puissance du vice : cet homme si grand, si noble, au front chargé de diadèmes, il le ravale au niveau des êtres privés de raison. C'est pour cela que dans le présent psaume, le Prophète, après avoir choisi deux sortes de vices, et avoir laissé aux auditeurs le soin de réfléchir sur les autres, stigmatise ainsi ceux qui se laissent (78) prendre à leurs pièges. Quoi de plus insensé que l'homme qui, en pure perte et pour le malheur de sa tête, parcourt toute la terre, et amasse d'immenses richesses, non pas pour lui-même, mais pour d'autres qu'il ne connaît pas, et souvent pour ses ennemis, pour ceux qui trament sa ruine ! Oui, il a eu raison de dire : " Ils laisseront leurs biens à des étrangers. " Quoi de plus insensé que de s'exposer aux fatigues et aux péchés qui sont la suite de la poursuite des richesses, pour laisser à d'autres la jouissance de ces mêmes richesses !

Ensuite le Psalmiste, en même temps que leur cupidité; met en scène leur amour de la vaine gloire qu'il stigmatise avec une grande véhémence en disant : " Ils ont appelé leurs terres de leur nom. " Quoi de plus stupide que ces gens qui confient leur mémoire à des. pierres, à des poutres, à la matière inanimée, qui leur remettent le soin de leur propre gloire ! Ces mêmes hommes ont renversé des familles de fond en comble, ont dépouillé des veuves, pillé des orphelins afin de bâtir pour les vers une superbe demeure, et de construire pour la pourriture et pour la corruption de superbes enceintes, et tout cela dans l'idée que ces monuments rendront leur mémoire éternelle, monuments qui n'ont pas même pu arrêter un instant la dissolution de leur corps ! — Leur propre voie est un scandale pour eux, (14). "

Quelle est cette voie, dites-moi ? C'est l'empressement que l’on met à s’occuper de pareilles choses, c'est ce travail inutile, c'est cette ardente passion des richesses et cette soif insatiable de gloire. De là, dit le Prophète, du scandale et des empêchements pour eux dès cette vie, en attendant le châtiment que leur réserve l'avenir. Cette voie n'est donc pas un petit scandale, un petit empêchement, un petit obstacle pour la pratique de la vertu. Aussi le Prophète dit-il : " Leur voie est un scandale pour eux. " Et il a bien fait d'appeler leur voie, un scandale. Ils s'enchaînent eux-mêmes, ils se mettent eux-mêmes des entraves : " Et après cela leur bouche répétera leurs propres louanges. " Ces paroles nous signalent la plus fâcheuse des inconséquences humaines, celle qui entraîne tous les autres maux à sa suite. En effet, ceux qui commettent une telle erreur, qui commettent un tel péché et tombent dans une telle observation, se félicitent; s'admirent eux-mêmes, se posent comme des modèles à imiter; et se complaisent dans leurs actions : or, songez quelle excitation c'est pour les mauvais désirs, que de voir le vice vanté par ceux qui s'y livrent. Si le vice honni, insulté, confondu, si le vice flagellé, déchiré, détesté par la conscience de ceux qui sont encore un peu maîtres d'eux-mêmes, s'épanouit avec tant d'impudeur et s'il grandit de jour en jour : dans quels excès les hommes dont nous parions ne tomberont-ils pas, quand ils verront que, bien loin d'opposer comme une digue aux débordements du vice, les reproches, le témoignage de la conscience, le blâme, le repentir, la honte, le désir de se soustraire aux regards, les gémissements, les plaintes, ceux qui se livrent au vice font tout le contraire, qu'ils se comblent eux-mêmes de louanges, qu'ils se prétendent par leurs vices mêmes supérieurs aux autres hommes, et qu'ils se vantent de ce qu'ils ont fait, car tel est le sens de cette parole : " Et après cela leur bouche répétera leurs propres louanges, " ces hommes-là, je le répète, dans quels excès une tomberont-ils pas ? Car ils sont tellement dévoyés, ils ont si bien perdu tout sens moral-, que même après avoir assouvi leurs désirs; dans de moment, où voyant le mieux leur crime, ils devraient rougir, ils sont tout fiers, portent la tête haute et se complaisent dans ce qu'ils ont fait. Tel est le péché : avant l'action il se dissimule sa propre laideur, et l'ivresse du plaisir fait disparaître ce qu'il a de repoussant; après l'action, quand le plaisir que nous causent nos désirs satisfaits va s'affaiblissant peu à peu, que la conscience commence à: se faire . entendre, et qu'elle flagelle nos sophismes réduits à leurs seules forces, alors surtout nous voyons les funestes conséquences. du péché. Mais eux ne sentent rien de tout cela, même après que leurs désirs sont satisfaits. Loin de là, c'est précisément après avoir vu leurs richesses s'accumuler, leurs tombeaux s'élever, leurs vaines et fastueuses constructions s'achever, lorsqu'ils .devraient s'attrister et gémir, c'est alors, c'est après tout cela, après l'action, après la satiété qu'ils sont plus malades encore. Ainsi donc puisqu'il n'y a plus rien de sain chez eux, il ne reste plus qu'à laisser intervenir la Providence.

9. Si ceux qui se condamnent eux-mêmes pour les fautes qu’ils ont commises, préviennent ainsi la justice de Dieu, comme l'a dit saint Paul : " Si nous, nous jugions nous-mêmes, (79) nous ne serions pas jugés " (I Cor. XI, 31), ceux qui ont la maladie du péché au point de ne s'en pas repentir, et qui ne se reprochent pas leurs erreurs, ne font qu'attirer sur eux-mêmes , et bâter la vengeance du Seigneur. Puisque ces hommes, tout en pillant les biens d'autrui , ou en prodiguant les leurs qu'ils devraient employer à secourir les pauvres, ne dépensent que pour des tombeaux, pour les vers et la corruption, et que loin de se repentir de ce qu'ils font ils continuent d'être malades, d'une maladie incurable, écoutez quelles sont les conséquences de leur aveuglement. — Ces conséquences, quelles sont-elles donc ? — Ils sont livrés à la vengeance de Dieu ; aussi le Prophète a-t-il ajouté : " Ils seront entassés comme des brebis, la mort sera leur pasteur (15). " S'il les compare à des brebis, ce n'est point à cause de leur douceur (quoi de plus féroce que ces hommes qui voient d'un oeil sec la nudité des pauvres, et leur ventre creusé par la faim, et qui embellissent leurs tombeaux , séjour de la corruption, des vers et de la pourriture !), c'est parce que leur ruine sera facile, parce qu'ils seront anéantis tout à coup , et qu'ils offrent une proie facile aux embûches de leurs ennemis. Rien de plus faible en effet que l'homme qui vit dans le péché. Telle sera aussi leur condition : ils seront frappés, ils seront anéantis aussi complètement, ils seront précipités en enfer avec autant d'aisance , de facilité, de promptitude , avec aussi peu de peine que des brebis qu'on immole. Ce sera la mort , où plutôt quelque chose de bien plus redoutable que la mort qui les frappera. Car après cette fin, une mort immortelle s'emparera d'eux, ils ne reposeront jamais dans le sein d'Abraham, et on ne lés verra jamais aller ailleurs que dans l'enfer, ce séjour des vengeances, des châtiments et de l'extermination. Ici-bas leur fin aura été vile, méprisable, et là-haut ils ne connaîtront que les châtiments. On a coutume de dire : on l'a égorgé comme un mouton, quand on veut parler d'un homme facile à tuer. Après avoir vécu comme des brutes, ils périssent comme des brutes sans l'espoir consolant de la vie future, et ce ne sera pas tout, " la mort sera leur pasteur ! "

Il me semble que dans ce passage le Prophète, en parlant de la mort, veut parler des châtiments et de l'extermination qui attendent le coupable là-bas; c'est ainsi qu'il dit ailleurs : " L'âme qui pèche, périra elle-même (Ezéch. XVIII, 20), " pour nous faire comprendre, non

qu'elle sera détruite en réalité, mais qu'elle sera punie. C'est une suite de là même figuré, car après avoir parlé des brebis, il nous montre leur pasteur. Quel est-il ce pasteur ? C'est le ver venimeux, ce sont les ténèbres sans fin, les chaises qui ne se délient jamais, les grincements de dents. Voyez que de châtiments les pressent de toutes parts ! Dans cette vie, ils ne peuvent arriver à la vertu, ils sont les esclaves, les captifs du péché, ils se livrent à des travaux vains et ridicules : à la fin de cette vie, ils meurent comme la première brute venue après la lin de cette vie, ils sont voués pour toujours à l'extermination: " Et, quand le jour se lèvera; il seront dominés par les justes. " Comme beaucoup; parmi ceux qui ont l'esprit le plus épais et dont l'insensibilité égale presque celle des pierres, n'ont aucune idée nette et précise de la vie future .qu'ils doivent espérer, et qu'ils restent bouche béante à admirer les biens présents, les biens qu'ils voient, il cherche à les épouvanter par le sens caché de ses reproches. Ensuite, après avoir en quelques mots, fait allusion à ce que l'avenir leur réserve, il insiste de nouveau sur le mépris et sur les châtiments qui les atteignent dès cette vie, et il fait cela pour leur montrer combien ils sont faibles, vils et méprisables, et que, fussent-ils dix mille fois plus riches, hissent-ils au comble de la puissance, ils n'en sont pas moins de véritables esclaves à côté de ceux qui suivent les traces de la vertu. Aussi dit-il : " Et, quand le jour se lèvera, ils seront dominés par les justes, " c'est-à-dire, les justes les domineront immédiatement, et toujours, et pour cela ils n'auront besoin ni dé faire un effort , ni d'attendre longtemps , ni même d'attendre un instant. Car telle est la nature des choses, le vice est l'esclave de la vertu, il la craint, il là redoute, malgré son fard et tous ses brillants. déguisements, et quoique la vertu toute nue ne combatte qu'avec ses seules forces. Et cependant nous voyons le contraire, dit-on, nous voyons les méchants dominer les bons. Mais ne nous en rapportons pas à l'erreur du Vulgaire, erreur née d'un faux jugement.. Examinons les choses suivant la droite raison et vous verrez se réaliser ce que j'ai avancé. Supposons un maître pervers avec un esclave vertueux : ou plutôt, si vous l'aimez mieux, choisissons un exemple plus relevé. Supposons (80) un roi qui soit pervers et un de ses sujets qui soit vertueux, et voyons quel est celui qui est le maître, quel est celui des deux chez qui éclate le signe de la domination, quel est le supérieur, quel est l'inférieur. Comment donc nous en assurer? Supposons que le roi ordonne à son sujet de faire quelque chose de mal, de commettre un péché : que va faire ce sujet vertueux et fidèle? Non-seulement il ne cédera pas, non-seulement il n'obéira pas, mais il essayera même de faire revenir le prince sur son ordre, et cela au péril de sa vie. Quel est donc l'homme vraiment libre, de celui qui ne fait que ce qu'il veut et qui ne craint pas son roi, ou de celui qui voit ses ordres méprisés par son sujet ? Et, pour ne pas nous borner à une vague supposition, cette égyptienne, la femme de Putiphar, n'était-ce pas une reine ? Ne commandait-elle pas à toute l'Egypte ? N'avait-elle pas un roi pour époux ? N'était-elle pas environnée d'une grande puissance ? Or qu'était Joseph ? N'était-ce pas un esclave, un captif? N'était-ce pas un serviteur acheté à prix d'argent? Ne vint-elle pas attaquer ce jeune homme avec toutes ses armes, et non par procuration, mais par elle-même ? Eh bien ! qui des deux était libre ou esclave? Celle qui était forcée de prier, de faire des avances et de supplier, celle qui était l'esclave non d'un homme, mais d'une, passion détestable, ou celui qui méprisait et diadème, et sceptre, et manteau de pourpre, et tout cet attirail de la royauté, et qui brisait les artifices de cette femme ? L'une ne se retira-t-elle pas avec la honte d'un échec, et dominée par une nouvelle passion, par la colère aveugle, par le désir du meurtre, tandis que l'autre sortait de cette épreuve la tête couverte de mille et mille couronnes, après avoir montré que la servitude même ne faisait que rehausser davantage la fierté de l'homme libre ?

10. Il n'y a rien de plus libre que la vertu, rien de moins libre que le vice. Aussi est-il dit ailleurs : " Le serviteur sage dominera les maîtres insensés. " (Prov. XVII, 2.) Le captif, eût-il des richesses infinies, n'en serait que plus près de tomber au pouvoir de tous les autres hommes; il en est de même de celui qui est subjugué par les passions, il est plus vil que l'araignée. Dans la guerre, ne voyons-nous pas que ce sont les hommes sages qui triomphent ? Quand il faut agir ou délibérer, la raison n'est-elle pas toujours de leur côté, même quand nul ne les écoute? Et après cette vie, n'avons-nous pas vu le riche demander une goutte d'eau comme un mendiant, sans pouvoir l'obtenir? Le pauvre au contraire, après avoir vécu sagement et vertueusement, n'a-t-il pas obtenu le bonheur suprême, n'a-t-il pas partagé le sort d'Abraham ? Et si nous nous reportons au temps des apôtres, tout enchaînés, tout flagellés qu'ils étaient et quoique soumis à des supplices de toutes sortes, n'étaient-ils pas supérieurs à ceux qui les traitaient ainsi ? Songez combien ils avaient frappé l'esprit de leurs persécuteurs pour les avoir amenés à dire : " Que faire à de tels hommes? " (Act. IV, 16.) Et ces hommes, ils les tenaient enchaînés, ils les tenaient sous leur main, en plein tribunal ! D'un côté des juges et des princes, de l'autre des accusés, et pourtant ce sont ceux-ci qui out vaincu. Partout, si nous voulions entrer dans le détail, nous verrions l'homme vertueux supérieur au méchant , supérieur de cette vraie supériorité et non de cette supériorité menteuse et selon les idées du vulgaire, supériorité fausse et facile à confondre, supérieur de cette supériorité solide que rien ne peut ébranler. " Et leur puissance vieillira dans l'enfer, " c'est-à-dire s'affaiblira. Voici ce que signifient ces paroles : non-seulement ils seront ici-bas faciles à vaincre, car nul ne prendra leur défense, nul ne leur tendra la main, et ils seront exposés aux attaques de tous, mais, ce qu'il y a de plus terrible, ils ne trouveront là-bas personne pour les assister, personne pour les secourir, personne pour leur tendre la main, personne pour adoucir leurs châtiments par des paroles de consolation. C'est ainsi que les vierges sages n'ont été d'aucun secours aux vierges folles, Abraham d'aucun secours au mauvais riche, Noé, Job et Daniel d'aucun secours à leurs fils et à leurs filles. " Leur puissance vieillira, " cela veut dire qu'elle s'affaiblira, qu'elle disparaîtra. " Ce qui passe et vieillit, est près de sa fin. Ils ont été précipités hors de leur gloire. " (Hébr. VIII, 13.)

L'objet de leurs plus vifs désirs, l'objet de tous leurs efforts et de toutes leurs préoccupations, c'était de jouir d'une gloire durable après leur mort parle moyen de leurs richesses, de leurs vastes constructions, de leurs tombeaux et de leurs noms qu'ils y faisaient inscrire : voici que cette gloire même ils ne l'obtiendront pas, dit le Prophète , et c'était ce qui excitait le (81) plus leurs soucis tandis qu'ils vivaient, parce qu'ils savaient cela. Ces constructions sont des accusations contre ceux qui ne sont plus. Et même, si le corps est caché sous terre, les pierres du tombeau prennent une voix pour accuser chaque jour leur cruauté, leur impudeur, pour les dénoncer comme des ennemis publics, pour appeler sur eux les imprécations, les plaintes et les insultes des passants. Quelle est donc cette gloire qui consiste à laisser après soi ces monuments accusateurs qui, loin de garder le silence, appellent la parole sur les lèvres de tous ceux qui les voient et qui semblent solliciter les parents à s'indigner coutre ceux qui les ont fuit bâtir? Où trouver une folie égale à celle de ces hommes qui font tout ce qu'il faut pour être châtiés, pour être couverts de confusion, pour se susciter des accusateurs, pour s'exposer à voir leur sépulture violée ; qui font tout pour accumuler sur eux les imprécations, les insultes, les plaintes sans nombre, et cela non-seulement de la part de ceux à qui ils ont fait du mal, mais encore de la part de ceux à qui ils n'en ont pas fait? " Mais Dieu rachètera mon âme des mains de l'enfer, lorsqu'il me recevra (16). "

Après avoir dit le salaire des méchants et le prix dont on payera leurs péchés, il parle des récompensés réservées aux hommes vertueux. C'est son habitude et c'est aussi celle des autres prophètes, afin que l'auditeur puisse peser sa décision en se rendant compte et du châtiment destiné au péché, et des récompenses promises à la vertu. Voici la part des pécheurs, dit le Prophète : le déshonneur, les vains travaux, la stupidité, le ridicule, la honte, l'extermination, la mort, le châtiment , les vengeances éternelles, la faiblesse qui expose aux mauvais traitements, la privation de la gloire et de la sécurité, les insultes, les accusations, l'absence de toute consolation au milieu de leurs maux soit pendant cette vie, soit après. Pour nous ce sera tout le contraire, noua n'aurons pas de châtiments à craindre, notre âme sera libre, en sûreté, glorieuse et Honorée. Tout cela en effet est sous-entendu dans ces paroles : " Cependant Dieu rachètera mon âme des mains de l'enfer lorsqu'il me recevra. " Par l'enfer, il désigne les châtiments, les supplices terribles de la vie future. Or jugez quels honneurs nous attendent non-seulement d'après cela, mais encore d'après ce qui suit. Quand Dieu m'aura reçu, dit-il, je le verrai plus distinctement que je ne fais aujourd'hui. Aujourd'hui c'est la foi qui dirige nos pas, et non la vue même de la divinité alors nous verrons Dieu face à face. ( I Cor. XIII, 12.) On payera la rançon de mon âme, et mon corps jouira du même privilège. " Ne craignez pas l'homme quand il aura multiplié ses richesses et étendu la gloire de sa " maison (17). " Puisqu'il en est ainsi, dit le Prophète, pourquoi craindre les choses présentes, pourquoi vous soucier de la pauvreté? pourquoi avoir peur de celui qui est riche? On vous a enseigné tout ce qui a trait à la résurrection et à la répartition des biens éternels, et au châtiment des pervers; pourquoi donc ensuite trembler devant des chimères? Les seuls biens stables et solides, ce sont ceux-là : les autres, les biens de la terre, sont semblables à des fleurs qui se flétrissent. Aussi le Prophète, lassant de côté tout le reste, s'est élancé contre la citadelle de tous les maux, contre la passion des richesses : celle-là détruite, tout le reste tombe en même temps.

11. Et comment n'aurais-je pas peur, dit l'homme, devant ceux qui disposent d'une telle puissance? — La puissance est le jouet du sort, la force ne dure qu'un instant, la prospérité ne fait que passer, les richesses, la fortune et ces grands honneurs, tout cela ressemble à des ombres, à des rêves. Aussi le Prophète dit-il encore : " Parce qu'à sa mort il n'emportera pas ses richesses, et que sa gloire ne descendra pas avec lui dans le tombeau (18), " — nous donnant ainsi un motif de ne pas craindre ce qui dure si peu. La mort est venue, dit-il, elle a coupé la racine, et voilà que ses feuilles tombent, voilà que sa maison devient une proie offerte à qui veut la prendre. Les brebis et les chèvres portent la dent sur l'arbre qu'on vient de couper et qui est étendu par terre, il en est de même des riches dont nous parlons: parmi leurs ennemis, parmi leurs amis et parmi ceux à qui ils ont rendu service, combien ne s'en trouve-t-il pas qui viennent prendre part à la curée? Et cet homme environné d'une si grande puissance, qui possédait tant d'échansons, de cuisiniers, de cratères d'or et d'argent, tant et tarit d'arpents de terre, qui avait des maisons, des esclaves, des chevaux, des mules, des chameaux, des armées de serviteurs, il s'en va seul, nul ne l'accompagne, et il n'emporte même pas ses vêtements. avec lui. Plus est grand le luxe qui l'entoure, (82) plus sera riche le festin que sa mort prépare aux vers, plus il excitera les convoitises des malfaiteurs qui violent les sépultures, plus il provoquera de mauvais desseins contre ses restes infortunés. Toute cette magnificence ne sert qu'à l'exposer plus encore aux outrages, en appelant, en armant contre lui les mains de ceux qui ouvrent les tombeaux pour leur reprendre le dépôt qui leur a été confié. — Et qu'est-ce que cela ? dira-t-on. Il n'en triomphe pas moins ici-bas, et il jouira de son triomphe jusqu'à sa mort. — Dites plutôt que beaucoup n'en jouiront pas même jusqu'à leur mort: exposés sans cesse aux mauvais desseins, ils sont mille fois plus malheureux que les condamnés, quand on leur ravit leurs richesses, quand ils retombent dans une honteuse obscurité, quand ils sont jetés en prison. Tel trônait hier sur un char, qui est aujourd'hui dans les fers: tel était hier courtisé par des flatteurs, qui se voit aujourd'hui entouré de bourreaux: tel exhalait l'odeur des parfums, qui est souillé de son propre sang: tel s'étendait sur une couche délicate, qui se voit jeté sur la dure: tel était adulé de tous, qui se voit méprisé de tous. — Mais, dira-t-on encore, à sa mort même on l'entoure d'une pompe magnifique. — Et que lui fait cela, à lui qui ne le sent plus? La mauvaise odeur qu'il exhale, l'horreur, qu'il inspire, la haine qu'il excite font plus d'impression sur les assistants que ces pompes brillantes; car ce faste et ces dépenses lui attirent immédiatement et pour toujours la haine de ses enfants. Voyez combien est juste l'expression dont se sert le Prophète, et combien sa sagesse est profonde. Non content "'intimider le riche en lui montrant qu'il n'emportera rien avec lui; il le dépouille dès cette vie de tout cet imposant appareil, et lui prouve que sa richesse n'existe pas, même lorsqu'il la possède et qu'il en jouit. Car, il ne dit pas: " Quand il aura étendu sa gloire, " mais bien, " quand il aura étendu la gloire de sa maison. " Car toutes ces choses que j'ai énumérées, ces fontaines, ces promenades, ces bains, cet or et cet argent, ces chevaux et ces mules, ces tapis, ces étoffes, font la gloire de la maison et non celle de l'homme qui l'habite.

La vertu est la gloire de l'homme, aussi accompagne-t-elle celui qui la possède, tandis que la gloire de la maison reste, ou plutôt elle ne reste même pas, mais disparaît avec la maison, sans avoir servi de rien à celui qui l'habitait, car cette gloire ne lui appartient pas en propre. " Parce que son âme sera bénie pendant sa vie (19). " Après avoir parlé de sa richesse et de sa gloire, il passe à ses flatteurs. Ce que recherchent surtout les riches, ce sont les flatteries de la place publique, les hommages du peuple, les louanges décernées par la multitude, et les éloges menteurs, et ils regardent comme un grand bien d'être accueillis par des applaudissements au théâtre, dans les banquets et dans les tribunaux, d'entendre leur nom répété par toutes les bouches, de se croire un objet d'envie pour les autres: aussi voyez comme il leur ravit encore cette jouissance en en limitant la durée. " Pendant sa vie ", dit-il, c'est-à-dire, ces hommages, ces bonnes paroles qu'on lui adresse ne dureront pas plus que la vie d'ici-bas: cela périra en même temps que le reste, comme tout ce qui relève du temps et de la fortune. Bien plus, lorsqu'il cessera de pouvoir mettre à contribution le zèle de ses flatteurs, après sa mort, ce sera le contraire qui aura lieu, car sa présence n'intimidera plus personne. " Il te rendra hommage quand tu lui auras fait du bien. " Voyez comme il critique la bienfaisance des gens riches. Toi, tu flattes et tu fais des avances, feignant une bienveillance menteuse et de courte durée : mais celui auquel tu t'adresses, dit-il, quand même il se déclarerait ton obligé, ne te sera reconnaissant qu'autant qu'il aura acheté de toi, et cela bien cher, le droit de te faire faire ce qui lui convient. Car " il te rendra hommage, " remarque bien cela, " quand tu lui auras fait du bien. " Il ne dit pas, quand tu lui auras été utile, quand ta loi aura rendu service, mais : quand tu lui auras procuré ce qui lui fait plaisir, ce qui lui convient. Le Prophète montre ainsi que cette bienfaisance est pernicieuse à deux points de vue, et parce qu'elle provoque de fausses démonstrations de reconnaissance, et parce qu'elle nous attache des serviteurs dangereux. " Il ira rejoindre les générations de ses pères, il cessera de voir la lumière pendant l’éternité (20). Et l'homme, au milieu de sa grandeur, ne l'a pas comprise : il s'est ravalé au niveau des animaux privés de raison, et s'est fait semblable à eux. Il ira rejoindre ses pères (21), " autrement dit, il les imitera, et étant fils de pervers, il héritera de leur perversité; ou bien encore c'est comme si l'on disait: s'il n'a fait aucun bien, il se trouvera (83) que sa richesse lui a été inutile: ceux qui sont morts avant lui il les laissera couchés dans la poussière, jusqu'au Jour du jugement, sans pouvoir même contempler la lumière suivant la loi de la nature. Ensuite le Prophète se répète en disant: " Et l'homme, au milieu de sa grandeur, ne l'a pas comprise; il s'est ravalé au niveau des animaux privés de raison et s'est fait semblable à eux. " Cet homme, dit-il, cet homme qui est mort de la sorte, et qui n'a pas usé de ses richesses comme il devait le faire, ne différera en rien de la brute, car il n'a pas connu l'honneur que Dieu lui a fait, et il s'est rendu semblable aux bêtes, pour qui la vie n'a d'autre but et d'autre fin que la mort. Puissions-nous tous être délivrés de ces erreurs, et ceux qui s'instruisent et ceux qui enseignent, en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLIX. LE DIEU DES DIEUX, LE SEIGNEUR A PARLÉ, ET IL APPELLE LA TERRE DEPUIS L'ORIENT JUSQU'A L'OCCIDENT.

ANALYSE.

1. Des diverses acceptions du mot Dieu dans la sainte Ecriture. — Ce psaume semble au commentateur une suite du précédent. Il a été aussi compose pour confondre les pécheurs. — Dans le précédent, le Prophète avait invité la terre à venir l'entendre, dans celui-ci, il adresse son appel aux éléments.

2. et 3. — Des deux avènements du Fils de Dieu, l'un simple et humble, l'autre terrible et éclatant.

4. Comment l'on doit adorer Dieu : Pourquoi les sacrifices ont été permis aux Juifs.

5. Quel est le sacrifice qui plait à Dieu.

6. Comparaison des afflictions de la vie avec les maux de la vie future.

7. et 8. Louer le vice est un péché : il faut s'indigner contre ces pécheurs.

9. C'est un devoir de s'occuper du salut du prochain.

10. Que les réprimandes soient faites en particulier et jamais en public.

1. Le même Psalmiste a dit ailleurs: " Dieu a pris séance dans l'assemblée des dieux; " et un peu plus loin : " J'ai dit, vous êtes des dieux. " (Ps. LXXXI, 1 et 6.) Et saint Paul : " Car encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux, et qu'il y ait plusieurs seigneurs. " (I Cor. VIII, 5.) Et Moïse : " Tu ne parleras point mal des dieux. " (Exod. XXII, 28.) — Et ailleurs : " Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. " (Gen. VI, 2.) Le même Moïse a dit encore : " Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché, celui qui se servira du nom du Seigneur, sera lapidé. " (Lévit. XXIV, 15, 16.) Il a été dit ailleurs : " Que les dieux qui n'ont point fait le ciel et la terre périssent sous le ciel. " (Jér. X,19 .) Quel sens faut-il donner à ce mot dans ces différentes citations, et de quels dieux s'agit-il ici ? On veut parler des princes. Aussi après ces mois: " Tu ne parleras point mal des dieux, " Moïse ajoute-t-il aussitôt " et tu ne médiras point de Celui qui commande à ton peuple. " (Exod XXII, 28.) Il s'agit des descendants d'un homme vertueux. Car Enos, pour avoir montré une (84) grande vertu, fut appelé du nom de Dieu : ses descendants et ceux de son frère s'unirent par des mariages. Le Prophète appelle enfants de Dieu les enfants de l'homme vertueux. " Ils commencèrent, " dit-il, " à être appelés du nom de bien. " (Gen. IV, 26.) Il désigne aussi le peuple juif, qu'il honore de cette appellation, dans la phrase suivante : " Je l'ai dit: vous êtes des dieux, et vous êtes les fils du Très-Haut. " (Ps. LXXXI, 6.) Il appelait ainsi ce peuple par suite de l'affection particulière qu'il avait pour lui. C'est ainsi que s'expliquent encore ces mots: " Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché, " ce qui revient à dire : celui qui médira du prince, commettra un péché. " Celui qui se servira du nom du Seigneur sera lapidé, " c'est-à-dire celui qui donnera le nom du vrai Dieu aux dieux qui n'existent pas. La preuve, c'est que ce péché est considéré comme indigne de tout pardon, et qu'on inflige la peine la plus terrible à celui qui s'en rend coupable. On appelle encore dieux, les dieux des gentils, mais ce n'est ni pour les honorer, ni par déférence, c'est pour signaler l'erreur de ceux qui les appelaient ainsi. Voilà pourquoi saint Paul a dit : " Car encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux ( I Cor. VIII, 5), " pour montrer qu'il n'admet ni leur existence, ni l'honneur qu'on leur fait en leur donnant ce nom. De qui donc le Psalmiste, dont nous expliquons en ce moment les paroles, parle-t-il, quand il dit : " Le Dieu des dieux? " Il me semble qu'il désigne les dieux des païens, non parce qu'ils existent, mais parce que les peuples voués à l'erreur se sont imaginé qu'ils existaient. Comme les Juifs étaient encore trop grossiers, qu'ils n'avaient pas coin piétement rompu avec leurs habitudes d'idolâtrie, que les idoles leur en imposaient toujours, et qu'il y avait chez eux beaucoup de restes de l'ancienne iniquité, il en profite pour purger leur esprit de ces erreurs, en leur montrant que Dieu est le maître même de ces faux dieux. Dieu est aussi le maître des démons, mais il n'est leur maître qu'en ce qui concerne leur substance même, car leurs pensées et leur perversité tout entière leur appartiennent en propre. Il me semble que ces paroles du prophète sont une suite du psaume précédent. Car celui-ci également a été écrit pour confondre et pour accuser les pécheurs : dans l'autre, le Prophète invite la terre entière à venir l'entendre, dans celui-ci il adresse son appel aux éléments mêmes répandus sur toute la terre. Voici un autre théâtre, et un autre auditoire : là nous avons vu comparaître les nations, les enfants de la terre, le pauvre et, le riche : ici c'est la terre et le ciel, c'est Dieu lui-même qui se présente à nous pour être jugé, Dieu qui prononce sa défense devant le peuple des Juifs. Aussi notre attention doit-elle redoubler. Un autre prophète a fait de même, il nous montre Dieu se soumettant à un jugement, et il place au rang des juges les abîmes et les fondements de la terre. " Écoutez, " dit-il, " abîmes et fondement, de la terre, car Dieu va débattre son procès contre son peuple et avec son peuple." (Mich. VI, 2.) On lit ailleurs : " Il plaidera contre vous et contre vos pères. " (Jér. II, 9.) On peut voir cette figure répétée en beaucoup d'endroits de l'Écriture, elle est vraiment imposante et digne de l'affection de Dieu pour les hommes. Elle nous montre son inexprimable bonté, en nous le faisant voir qui s'abaisse jusqu'à venir se soumettre au jugement des hommes. — " C'est de Sion qu'il fera briller la splendeur de sa gloire (2). " Expression qui se ressent de l'enthousiasme prophétique, mais qui est d'accord aussi avec la vérité de l'histoire. C'est là en effet que. même du temps de l'ancienne loi, brilla la gloire de Dieu. Car c'est là que s'élevait le temple et le saint des saints, que s'observaient les cérémonies religieuses et les lois politiques établies par l'Ancien Testament, que se réunissait la foule des prêtres, que se faisaient les sacrifices et les holocaustes, que se chantaient les hymnes sacrés et les psaumes; tout était là, et c'est encore là que furent écrites les prophéties qui annonçaient les événements de l'avenir. Et quand parut enfin la vérité, c'est là qu'elle prit naissance. C'est de là due la croix resplendit sur le monde, c'est là que s'accomplirent les innombrables triomphes de la religion nouvelle. Ce qui faisait dire à Isaïe, lorsqu'il parla dans ses prophéties de la loi du Nouveau Testament: " C'est de Sion que viendra la loi, et le Verbe du Seigneur viendra " de Jérusalem, et il rendra ses jugements au " milieu des nations. " (Is. II, 3, 4.) par Sion il désigne ici tout le territoire avoisinant,ainsi que la ville qui s'étendait à ses pieds, Jérusalem, la capitale des Juifs. C'est de là que, comme de la barrière d'un hyppodrome, les apôtres, ces coursiers aux jambes agiles, (85) s'élancèrent à la conquête du monde : c'est là qu'ils commencèrent à donner des signes de leur mission : là, eurent lieu la résurrection et l'ascension ; là, fut l'exorde et le commencement de notre salut: c'est là que l'on commença à prêcher les saints mystères. Là pour la première fois le Père se révéla, le Fils unique se fit connaître, l'Esprit répandit sa grâce sur les hommes. C'est là que les apôtres parlèrent des aloses incorporelles, des grâces, des puissances, et des biens qui nous étaient promis pour l'avenir. Le Prophète songeait à tout cela quand il appelait Sion la splendeur de Dieu. Car ce qui fait la beauté et la splendeur de Dieu, c'est sa bonté, son amour pour les hommes, sa bienveillance répandue sur tous. " Dieu, notre Dieu, viendra manifestement, et il ne gardera pas le silence (3.) "

Voyez-vous comme le langage du Prophète devient de plus en plus clair, comme il nous découvre le trésor de ses secrets, et comme il darde des rayons plus brillants quand il prononce ces mots : " Dieu viendra manifestement? " Quand donc est-ce qu'il n'est pas venu manifestement? Quand ? La première fois qu'il vint ici-bas, car il vint sans bruit alors, sans être vu du plus grand nombre et pendant longtemps sans en être reconnu. Que dis-je, du plus grand nombre? La vierge même qui l'enfanta ignorait le secret du mystère(1), ses frères mêmes ne croyaient pas en lui, celui qui paraissait être son père ne se doutait nullement de sa grandeur.

2. Et pourquoi parlé-je des hommes? Il ne fut même pas reconnu du diable, car s'il avait su qui il était, il ne lui aurait pas dit sur la montagne : " Si tu es le Fils de Dieu, " et ces paroles il les prononça une et deux et trois fois. (Matth. IV, 3, 6.) Aussi Jésus lui-même dit-il à Jean qui commençait à découvrir ce qu'il était : " Cesse immédiatement ( Matth. III , 15) ; " c'est-à-dire, tais-toi maintenant, le moment n'est pas encore venu de découvrir le secret de mon incarnation, je veux continuer d'échapper aux regards du diable; tais-toi donc, dit-il : " Car il nous convient qu'il en soit ainsi. " Et en descendant de la montagne il recommandait à ses disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ. (Matth. XVII, 9.) Car il allait alors comme le pasteur qui cherche sa brebis errante et qui tend des piéges à la bête

1 Il y a lieu de s'étonner de ce que dit ici saint Chysostome, la Vierge connaissait le mystère puisque l'ange le lui avait révélé.

indocile pour s'en emparer ; aussi s'enveloppait-il des ombres du mystère. Comme le médecin qui évite tout d'abord d'effrayer le malade, il ne voulut pas se manifester dès le début, mais insensiblement et peu à peu. Ce qui fait dire plus loin au même prophète, quand il veut taire allusion au peu de bruit de son arrivée : " Il descendra comme la pluie sur la toison et comme la goutte d'eau sur le sol." (Ps. LXXl , 6.) Il est venu sans bruit, sans troubler, sans agiter la terre, sans lancer d'éclairs, sans ébranler le ciel, sans se faire accompagner du peuple des anges, sans briser le firmament parle milieu pour descendre eusuite porté par les nuages. Non, il est venu en silence, conçu par une vierge, porté neuf mois dans son sein, il naît dans une étable comme le fils d'un simple artisan, dans ses humbles langes il est exposé aux complots, il fuit avec sa mère en Egypte. Ensuite il revient, après la mort de celui qui avait commis toutes ces impiétés et il continue d'aller et de venir sous l'apparence d'un homme du peuple; humbles étaient ses vêtements, plus humble était sa table, il marchait, il marchait sans cesse au point d'en être fatigué. Mais au jour marqué par le Prophète, il ne viendra pas ainsi, il viendra si manifestement qu'il n'aura pas besoin d'un héraut pour annoncer sa venue. Aussi, pour faire comprendre l'éclat de sa présence, disait-il lui-même : " Si l'on vous dit : Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, n'y entrez point. Si l'on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez point pour y aller. Car, comme un éclair qui sort de l'Orient et paraît tout d'un coup jusqu'à l'Occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme." (Matth. XXIV, 26, 27.) Il se montrera et s'annoncera lui-même. C'est ce qui a lieu quand l'éclair paraît et nous n'avons pas besoin qu'on nous l'annonce. Au moment même où il se montre il est vu de tous et de tous à la fois. C'est ainsi que saint Paul dit : " Car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel. " (I Thess. IV, 15.) Le Prophète le voyait ainsi porté par les nues, avec le torrent qui roule devant lui, avec le terrible tribunal où chacun doit rendre de sa vie un compte inévitable. C'est alors, alors que viendra l'heure du jugement et des débats, aussi apparaîtra-t-il non plus comme un médecin, mais comme un juge. Aussi Daniel (86) voit-il son trône, le torrent qui roule au pied de son tribunal et tout lui apparaît en feu, et le char et les roues. (Dan. VII, 9, 10.) Mais au commencement et quand il parut pour la première fois il ne découvrit aux regards ni le feu, ni le torrent, ni rien de tout cela : on ne vit qu'une étable , une auberge, une chaumière, une mère dans la pauvreté. Par là, Daniel nous montre son inflexibilité et son immutabilité. Car après avoir dit que celui qui était assis sur leur trône avait les cheveux blancs comme de la laine et que ses vêtements étaient éclatants comme la neige, non pour nous faire croire qu'il s'agisse en réalité de cheveux et de vêtements, mais pour nous montrer rayonnant partout un feu pur et éclatant, il ajoute : " Le feu brûlera sur sa face et au" tour de lui tourbillonnera une tempête violente. " (Dan. VII, 9.) Par ces images il nous fait comprendre que le Seigneur ne change pas, qu'il est inflexible, qu'il brille comme la lumière et qu'il est inaccessible. Il ne s'en tient lias au feu, mais pour montrer l'impétuosité de sa vengeance, il ajoute ces mots : " une tempête violente. " Par ce mot kataigis ( tempête ) nous entendons soit une masse énorme de neige qui en tombant entraîne et renverse tout sur son passage, soit un tourbillon, une trombe qui produit les mêmes ravages et à laquelle rien ne résiste. C'est donc pour nous figurer l'irrésistible impétuosité de la colère divine qu'il s'est servi de ces images. — " Il appellera les cieux et la terre pour juger son peuple (4). "

Il parle encore des éléments, source de tant de biens pour la race humaine, non-seulement en ce qui concerne la vie du corps et sa formation, mais encore en ce qui concerne la connaissance de Dieu. Car la beauté et la grandeur de la création, la manière dont elle a été conçue, les substances d'où se sont formés les éléments et ce que les éléments ont produit et produisent à leur tour, soit de tout temps et en général, soit de temps en temps et en particulier, tout cela nourrit et entretient le corps, et nous amène à reconnaître Celui qui a tout fait. C'est ce qui fait dire à saint Paul : " Car les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, sont devenus visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent. " (Rom. I, 20.) Et ailleurs : " Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l'avait point connu dans les ouvrages de la sagesse divine (I Cor. 1, 21) ; " c'est-à-dire n'avait tu as reconnu la sagesse qui éclate dans la création, ce qui cependant n'est pas un petit, mais un très-grand et très-intelligible enseignement. Et les résultats de cette même création qui se produisent tous les jours, bien que paraissant n'être qu'une conséquence des lois de la nature, proclament aussi l'existence du Créateur. Car le Créateur est le maître de la nature.

3. Ne vous étonnez pas s'il s'adresse spécialement aux Juifs, en parlant du jugement universel. C'est de la même manière que saint Paul a dit: " La fureur et la colère, l'affliction et le désespoir se répandront sur l'âme de tout homme qui fait le mal : du juif premièrement et puis du gentil. " (Rom. II, 8, 9.) Et ailleurs: " Et ainsi tous ceux qui ont péché sans avoir reçu la loi , périront aussi sans être jugés par la loi : et tous ceux qui ont péché étant sous la loi seront jugés par la loi. " (Ibid. 12.) " Rassemblez autour de lui ses saints, tous ceux qui ont contracté avec lui une alliance scellée par le sacrifice (5). " Pourquoi donc, ceux qu'il va mettre en accusation, qu'il va condamner, les appelle-t-il ici des saints? C'est pour donner plus de force à l'accusation , pour rendre la punition plus éclatante par les honneurs rendus à l'accusé. De même nous, quand nous voyons quelques personnes qui ont fait le mal, et que nous voulons leur rendre nos reproches plus sensibles , nous les appelons par leurs qualités, rie manière à donner plus de poids à l'accusation, disant: appelle le diacre, ou bien, appelle le prêtre, puisqu'ils avaient le titre de prêtres du Roi des rois, de peuple privilégié, et qu'ils en étaient fiers, il prend pied là-dessus pour donner plus d'étendue à ses reproches. " Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par le sacrifice. " Comme après avoir osé mille et mille infamies, fait le mal de toutes les manières, après avoir dérobé, cherché à s'approprier le bien d'autrui , après avoir tué, commis l'adultère, répandu des flots de sang, ils pensaient s'être bien conduits, et ne s'être pas écartés de la loi et de l'alliance jurée, pourvu qu'ils sacrifiassent des brebis et des veaux, il prend acte de toutcela pour leur lancer l'outrage et la raillerie en disant: " Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par les sacrifices, " c'est-à-dire ceux qui croient (87) qu'il suffit pour leur salut de sacrifier quelques animaux. — " Et les cieux annonceront sa justice (6). "

Dans ce passage encore, voulant nous faire sentir combien sa justice est éclatante, combien elle est brillante, évidente, indiscutable, combien elle est reconnue de tous, il nous la montre proclamée par les éléments insensibles, employant ainsi la même figure qu'auparavant. " Car Dieu est juge, " il veut dire que Dieu détermine avec justice ce qui revient à chacun. Il n'a pas voulu par là nous apprendre simplement que Dieu exerce les fonctions de juge, mais bien nous faire entendre qu'il est juste , et qu'il se montre tel envers tous. Ce mot de " juge, " en parlant de Dieu, est synonyme de juste, et saint Paul s'en estservi clans le même sens quand il a dit. " Car comment Dieu jugera-t-il le monde ? " (Rom. III, 6.) Ce qui fait un vrai jugement, ce qui fait le vrai juge ce n'est pas simplement de prononcer un arrêt, mais de le prononcer avec équité. Les Juifs seront jugés, et les Juifs d'alors , et ceux qui venus après eux, et contemporains du Nouveau Testament, se seront livrés au péché. Ceux-là auront à répondre de leurs infractions aux lois de la nature et à la loi de Dieu, ceux-là verront en outre s'élever contre eux les bienfaits mêmes de Jésus-Christ. Que pourront-ils dire, quel motif, pourront-ils donner pour excuser leur incrédulité? Mais, je vous en prie, méditez avec soin ces paroles, afin de pouvoir vous en servir pour fermer la bouche à ceux qui soutiendraient le contraire. Car il vaut mieux qu'ils soient vaincus par nous et qu'ils reviennent de leur erreur, que de leur laisser croire qu'ils sont victorieux et que de les laisser partir ainsi pour l'autre vie où ils se verraient condamner par le commun Juge de la terre. Que pourraient répondre les Juifs? Pourquoi ont-ils fait périr le Christ? Quel reproche, grave ou non, avaient-ils à lui faire ? — Il se faisait passer pour Dieu, dira-t-on. — Cependant ce n'était pas leur langage au moment où ils le mettaient en croix; il était tout autre. Car ils ne disaient pas, celui qui se fait passer pour Dieu , mais : " Celui qui se fait passer pour roi, n'est pas ami de César. " (Jean, XIX,12.) Souvent on voulut le proclamer roi , mais il fuyait cet honneur. — Mais auparavant, dira-t-on, on lui reprochait de se faire passer pour Dieu. Eh bien ! que signifie cette objection? Si c'était une prétention injuste et mensongère, et sans rien de fondé, ce reproche aurait une raison d'être : mais si elle était légitime, il fallait l'adorer et non le mettre en croix. Voyons donc s'il se faisait passer pour Dieu, sans l'être réellement, c'est-à-dire s'il montrait, s'il manifestait sa divinité. A quoi recourir pour le savoir? Aux événements qui se passèrent alors? à ceux qui se passent aujourd'hui. Aux circonstances qui accompagnèrent son enfantement? Qui donc est jamais né d'une vierge? Qui fit paraître comme lui une étoile dans le Ciel? Qui fit faire à des mages une route aussi longue, et cela non par force ni contrainte, mais par persuasion et par le simple effet de la révélation? Voyez-vous la création qui tout entière reconnaît son maître? La nature cède la première, ne résiste point et ne dit pas: Je ne veux pas laisser l'enfantement s'accomplir, je n'ai pas appris à faire naître un enfant d'une mère restée vierge, je ne sais pas rendre une femme mère sans union charnelle. Elle fut déconcertée et se laissa écarter de ses limites propres, car elle avait reconnu son maître. Après sa naissance les anges apparurent pour indiquer que celui qui habite dans les cieux était sur la terre, et la terre devint le ciel, puisque le Roi avait établi sa demeure ici-bas, et les mages, venus de si loin, se prosternèrent devant lui. Cet enfant gisait sur une crèche en Palestine, et ces hommes appartenant à une terre étrangère , le comblaient d'autant d'honneurs et d'hommages qu'on en doit à Dieu. (Matth. II, 2.) Mais peut-être n'admettra-t-on pas ces preuves et en demandera-t-on d'autres que la génération présente puisse vérifier par elle-même. Nous ne serons pas embarrassés pour en trouver. Telle est la nature de la vérité, qu'elle ne manque jamais de moyens de justification. Et, dans le cas présent, nos contradicteurs n'ont pas même l'ombre d'une objection à mettre en avant. Car si vous n'étiez pas présent lorsque Jésus-Christ est né d'une vierge , il fallait vous en rapporter au Prophète qui disait: " Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel. " (Isaïe, VII, 14.) Si vous n'étiez pas présent lorsqu'il allait et venait sur terre sous la forme humaine, et qu'on voyait le Maître vivre au milieu de ses esclaves, consultez Jérémie qui vous répondra ces paroles: " C'est lui qui est notre Dieu, et nul autre ne sera devant lui. C'est lui qui a trouvé toutes les voies de la sagesse, et qui les a découvertes à Jacob son serviteur, à Israël (88) son bien-aimé. Après cela, il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. " (Baruch, III, 36. 37, 38.)

4. Quant aux autres preuves vous verrez que les Prophètes dont vous avez feuilleté et fatigué inutilement les livres jusqu'à ce jour, proclament bien haut tout ce qui peut rendre certaine cette conjecture. Bien souvent déjà nous avons soutenu de pareilles discussions contre ces contradicteurs, et nous en soutiendrons bien souvent encore: mais en attendant restons attachés à notre sujet. "Et les cieux annonceront sa justice, parce que Dieu est juge. " Il me semble qu'ici le Prophète désigne par ce mot de justice son infatigable bienveillance, son affection pour nous, son active prévoyance qui s'adresse à tous les hommes sous tant de formes et de tant de manières, et qui se manifeste par l'oeuvre même de la création, par l'établissement de sa loi, par le don de sa grâce, par tout ce que nous voyons comme par ce que nous ne voyons pas, par les prophètes, par les anges, par les apôtres, par les châtiments dont il nous frappe, par ses bienfaits, par ses menaces, par ses promesses, par l'ordre même des temps. " Ecoute, mon peuple, et je parlerai; Israël, je te rendrai témoignage (7). "

Voyez dès le début quelle complaisance et quelle douceur. De même qu'un homme dirait à un autre homme. qui le troublerait et ferait du bruit : si tu veux m'entendre , je parlerai si tu veux m'écouter, je t'adresserai la parole, — de même notre Maître dit à nous, ses esclaves : si vous voulez m'entendre, je vous parlerai. Car ils n'avaient plus ni ressort, ni énergie, et ils ne pouvaient même pour un instant écouter avec recueillement la lecture de la loi.. C'est à cela que faisait allusion le prophète qui se trouvant en Perse disait: " Je serai pour eux comme la voix de l'harmonieux, psaltérion. " (Ezéch. XXXIII, 32.) Ils ne cessaient de recommander aux prophètes de ne plus prophétiser (III Rois, XIX, 10), bien plus ils les repoussaient comme s'ils eussent été importunés par eux. (Zach. VII, 11.) Nous voyons même un roi faire des menaces à un prophète et lui enjoindre de ne plus l'importuner. (Amos, VII, 13.) "Je suis le Dieu, ton Dieu. " Ce n'est pas sans raison que le Prophète se sert deux fois de la même expression. Comme il s'adressait à des gens insensibles, endurcis et peu disposés à l'écouter, il se mit à parler de la souveraineté de Dieu, trouvant ainsi un exorde excellent pour l'explication qui allait suivre, et faisant comprendre à ses auditeurs qu'ils doivent à Dieu leur liberté, et qu'il serait juste qu'ils lui fussent attachés comme l'esclave à son maître, comme la créature au Créateur, eux qui ont reçu tant de bienfaits, qui ont reçu tant d'honneurs. " Je ne t'accuserai point sur tes sacrifices et sur tes holocaustes; ils sont toujours présents à mes yeux (8). "

C'est là le reproche que les autres prophètes adressent aux Juifs qui, négligeant ce qu'il y avait de plus important dans la vertu, mettaient leur espoir de salut dans ces holocaustes, et étaient toujours prêts à dire pour leur défense : nous offrons des sacrifices, nous offrons des holocaustes. Mais je ne suis pas venu pour vous juger là-dessus, répond le Seigneur, ni pour vous reprocher d'avoir négligé les sacrifices. Isaïe les atteint plus directement quand il dit : " Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes? J'en suis rassasié. Je ne veux plus de vos holocaustes, de la graisse de vos animaux, du sang de vos génisses, des agneaux et des boucs. Qui vous a demandé d'apporter ces offrandes? " (Isaïe, I, 11,12.) Certes Dieu leur avait parlé souvent de sacrifices, mais, s'il en était question dans la loi qu'il leur donnait, ce n'était pas qu'il y tînt essentiellement, c'était pour condescendre à leur faiblesse. Jérémie dit aussi : " Pourquoi " m'apportez-vous l'encens de Saba et les par" fums des terres les plus éloignées? (Jér. VI, 20.) Et tous les prophètes, pour ainsi dire, affirment que c'est là une chose de peu d'importance. Aussi le Seigneur commence-t-il en ces termes : " Je suis le Dieu , ton Dieu, " montrant par là que cette manière de l'adorer n'est pas digne de lui. Il faut adorer Dieu non en faisant fumer l'encens ou brûler la chair des victimes, mais par une vie vertueuse, par une vie tonte selon l'esprit et non selon le corps. Les démons qu'adorent les nations étrangères ne veulent pas de ce culte et préfèrent l'autre. Nous en trouvons le témoignage dans ces paroles d'un poète grec : To gar lakhomen geras emeis. Telle est la part que le destin nous a faite. (Iliade Alpha, v. 49, Oméga, v. 98.)

Il n'en est pas de même de notre Dieu. Les démons altérés du sang des hommes, et (89) voulant les amener peu à peu à souiller leurs mains par le carnage, exigeaient constamment d'eux ce genre de sacrifices. Dieu au contraire désirant leur faire perdre peu à peu l'habitude d'immoler les animaux a cru y arriver par cette condescendance, et il leur a permis les sacrifices pour les supprimer un jour. " Je n'accepterai point les veaux de la maison, ni les boucs de tes troupeaux (9). Car toutes les bêtes des forêts sont à moi, et celles de la montagne , et les boeufs ( 10). Je connais tous les oiseaux du ciel, et ce qui fait la beauté des champs m'appartient (11 ). "

Voyez-vous comme peu à peu il les écarte de ces préoccupations grossières, comme il entr'ouvre l'enveloppe durcie où leur esprit s'est enfermé, et comme il leur montre que s'il leur a enjoint de lui offrir des sacrifices, ce n'est pas qu'il en eût besoin, et que s'il ratifie cet usage dans la loi qu'il leur adonnée, ce n'est pas qu'il l'approuve. Si je tenais à être adoré, de la sorte, dit-il, moi qui possède tout ce qui est. sous le soleil, et qui suis le Créateur de toutes choses, je pourrais me procurer d'abondants sacrifices. Ensuite mêlant l’ironie au reproche afin de les frapper davantage , il ajoute : " Si j'avais faim je n'irais pas te le dire, car toute la terre est à moi avec ce qu'elle renferme (12)." Comme il ne leur avait fait cette concession que pour les amener peu à peu à laisser tomber ces sacrifices en désuétude, et qu'ils ont persisté à suivre cette déplorable coutume sans tirer aucun profit de sa condescendance, il leur parle en termes plus vulgaires comme ferait un homme s'entretenant avec un autre homme: " Si j'avais faim, je n'irais pas te le dire, " c'est-à-dire, je n'ai pas faim ( car Dieu ne peut connaître ni la faim, ni aucun besoin physique), et si je voulais d'un culte semblable, je ne serais pas embarrassé en fait de sacrifices et d'holocaustes. J'ai tout à ma disposition, et je puis en user largement. Je suis le Seigneur et Maître de toutes choses, et cependant je veux bien recevoir de toi ce qui m'appartient, afin de t'amener par ce moyen à m'aimer et à renoncer à ces vaines habitudes.

5. Puis ramenant l'homme à des sentiments plus élevés il dit : " Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs (13)?" " Non-seulement, dit-il, je n'ai pas prescrit aux hommes une pareille coutume, mais même j'ai prononcé de très-forts châtiments contre ceux qui se nourrissent de sang. Comment donc aurais-je besoin du sang versé, moi qui détourne mes esclaves de cette nourriture ! — Après avoir rejeté tout cela, et montré que c'était indigne de lui, et mêlé beaucoup d'ironie à ses reproches, il ne s'en est point tenu là, il leur indique un autre genre de sacrifice. C'est là le fait d'un très-habile médecin, qui non content d'écarter les remèdes inutiles, applique sur la plaie ceux qui peuvent être efficaces. Après avoir réglé ce point-là, il dit : " Offre à Dieu un sacrifice (14). " Et quel sacrifice? dira-t-on. — Un sacrifice non sanglant : c'est le sacrifice qui convient le mieux à Dieu. Aussi, après ces. mots, " offre à Dieu un sacrifice, " ajoute-t-il " un sacrifice de louanges, " c'est-à-dire un sacrifice d'actions de grâces, d'hymnes sacrés, de glorifications par les actes. Son langage revient à ceci : Vis de manière à glorifier ton maître. C'est aussi ce que le Christ nous enseignait par ces paroles : " Que votre lumière luise devant les hommes , afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. " (Matth. V, 16.) Louer quelqu'un n'est pas autre chose que faire son éloge, le glorifier et le célébrer. Que votre vie soit donc telle que votre maître en soit glorifié, et vous aurez offert un sacrifice parfait. C'est aussi le sacrifice qu'exige saint Paul : " Offrez à Dieu vos corps, " dit-il, " comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. " (Rom. XII, 1.) Ailleurs le même Psalmiste s'exprime en ces termes : " Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai dans mes louanges : ce sacrifice sera plus agréable au Seigneur que l'immolation des jeunes taureaux dont la corne commence à paraître et dont le sabot s'élargit. " (Ps. LXVIII, 31, 32.)

Voilà le sacrifice offert par Job, quand après le coup terrible et extraordinaire qui l'avait frappé, il rendait des actions de grâces au Seigneur et prononçait ces paroles : " Le Seigneur a donné, le Seigneur a retiré : comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles. " Et offre au très-Haut les prières que tu lui dois. " (Job, I, 21.) Il parle ici des supplications, et nous conseille de prier sans relâche, et de nous empresser de tenir nos engagements. Et il a eu raison de dire : " Offre ce que tu dois. " Car après avoir promis il ne (90) reste plus qu'à tenir. C'est ainsi qu'Anne livra son fils, considérant cela comme une dette essentielle. (I Rois, I, 28.) Vous aussi, si vous vous êtes engagé soit à faire l'aumône, soit à mener une vie chaste, soit à quelque autre chose de semblable, hâtez-vous de payer cette dette. Bien plus, à y regarder de près, on doit payer à Dieu la dette de la vertu, quand même on ne s'y serait pas engagé. C'est à quoi faisait allusion le Christ en disant, " ce que nous devions faire, nous l'avons fait. " (Luc, XVII, 10.) Puis il racontait la pan;1ole de l'esclave à qui on donnait l'ordre peu pénible d'aller faire son service avant de se mettre à table. Ailleurs nous lisons ces mots : " Ne tarde pas à payer la dette de ton voeu. " (Ecclésiaste, V, 3.) Tu as promis, paie, de peur que la mort ne survienne et ne t'arrête brusquement. En quoi cela me regarde-t-il ? dira quelqu'un : je ne suis pas le maître de mon existence. Raison de plus pour ne pas tarder, puisque tu reconnais que tu ignores le moment précis où tu partiras, puisque tu n'es pas maître de ton existence, et que l'heure de ton départ ne dépend pas de toi. Ainsi ce que tu prenais pour un argument en ta faveur se retourne contre toi, et si tu n'as pas payé, ce n'est pas la faute de la mort, mais la faute de ta lenteur et de tes hésitations. — " Et invoque-moi au jour de ton affliction, et je te délivrerai, et tu me glorifieras (15). "

Voyez-vous comme il récompense généreusement nos hommages? Où trouver rien qui égale une si grande bonté, car il ne se contente pas d'accorder des récompenses à notre vertu, récompenses bien au-dessus de nos travaux et qu'il nous donne au moment le plus opportun. — Mais pourquoi dit-il : " Invoque-moi ? " Pourquoi attend-il d'être invoqué par nous? — Il veut se rapprocher de nous plus intimement et rendre plus vive notre affection pour lui en nous comblant de ses présents, en recevant les nôtres, en se laissant invoquer. La vertu nous fait vivre dans l'intimité de Dieu; la fidélité à tenir nos engagements envers lui produit le même résultat, et la prière à son tour affermit cette intimité. Voilà pourquoi il dit: " Donne-moi et je te donnerai. " (Matth. XIX, 13.) Et en réalité tout en donnant c'est toi qui reçois, car lui-même n'a nullement besoin de ces choses-là. Sois doux, sois modeste et sois chaste, tu n'ajoutes rien à Dieu, mais tu t'honores toi-même et tu te rends meilleur. Et cependant c'est cela même qu'il récompense en toi avec tant de générosité, comme s'il t'en avait quelque obligation. Avant de recevoir cette récompense tu jouis d'un plaisir bien doux, tu as conscience; d'avoir bien fait, et tu as bon espoir pour l'avenir. Par ces mots " dans le jour de ton affliction " il ne veut parler ni du jour des malheurs, ni du jour des revers, il veut dire que si le péché vous fait la guerre, si le diable assiége votre âme en lui inspirant de mauvais désirs, vous trouverez en lui un allié puissant et dévoué. " Et je t'en tirerai, et tu me glorifieras. " Il nous montre encore une fois qu'il n'a pas besoin d'être glorifié par nous (et quel besoin en pourrait-il avoir étant le Dieu de gloire?) S'il y tient c'est pour que l'hymne d'actions de grâces nous soit une occasion de nous rappeler ses bienfaits et de nous attacher davantage à lui, et avant tout de rendre notre vie sainte et heureuse.

6. On ne s'écarterait pas d'une interprétation légitime en disant que par le jour de l'affliction le Prophète a eu aussi en vue la vie future, car ce jour-là commence l'ère de l'éternelle affliction. Ici-bas en effet la mort qui survient met fin à nos malheurs, les amis nous consolent, ainsi que l'idée que cela doit finir un jour; souvent on espère un revirement de fortune, souvent le temps adoucit nos souffrances, le temps, et la vue des malheurs d'autrui. Car bien des personnes se consolent presque de leurs malheurs en apprenant qu'elles ont des compagnons d'infortune, et en voyant beaucoup d'exemples de ce qui leur arrive. Là-bas rien de pareil: les coupables ne trouveront personne pour les consoler, et ils seront tous dépourvus d'amis. Le temps n'adoucira point leurs souffrances (comment cela se pourrait-il puisqu'ils seront consumés sans relâche par les flammes?) ils ne pourront espérer d'y échapper, car leur supplice durera autant que l'éternité ; ils ne pourront compter sur la mort, car leur châtiment sera immortel, et leur corps sera immortel aussi pour le subir toujours. Ils n'auront pas même , ce qui pour beaucoup est une consolation, la satisfaction de voir les autres châtiés comme eux. Et d'abord, ils ne pourront voir le supplice de leurs compagnons, au milieu des ténèbres qui arrêteront leurs regards, comme un rempart impénétrable, ensuite l'excès de leur souffrance ne leur permettrait pas de jouir de cette espèce de consolation. Le riche n'y pourra rien (91) trouver qui puisse le consoler, pas plus que ceux qui grincent des dents. — " Dieu a dit au pécheur : pourquoi te mêles-tu de publier mes décrets? "

Avez-vous remarqué la suite et l'accord des pensées ? Ne dirait-on pas une lyre , une cithare très-bien faite et qui habilement maniée produit différents sons qui forment un accord parfait? Cette pensée, on peut la retrouver chez les apôtres et chez les autres prophètes. C'est aussi ce que dit saint Paul quand il démontre qu'il ne sert de rien d'instruire les autres, quand on n'a pas commencé par s'instruire le premier. Comme les Juifs, outre qu'ils tiraient vanité de leurs sacrifices, étaient fiers de leur loi, et de leur titre d'instituteurs des nations, il leur prouvait qu'ils ne gagnaient pas grand chose à tout cela, puisqu'ils ne s'instruisaient pas eux-mêmes, et il les attaquait très-vivement en ces termes : " Et cependant vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Vous qui publiez qu'on ne doit point voler, vous volez. Vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges. Vous qui vous glorifiez dans la foi, vous déshonorez Dieu par le violement de la loi. " (Rom. II, 21-23.) Aussi dit-il ailleurs en parlant de lui-même : " Je crains qu'après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même. " (I Cor. IX, 27.) Voilà comme il rabat l'orgueil de ceux qui sont fiers d'instruire les autres, et qui eux-mêmes ne pratiquent pas la vertu. C'est le même raisonnement, présenté sous une autre forme, qu'il emploie contre les Juifs quand il dit : " Lors donc que les Gentils qui n'ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande; n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi. " (Rom. II, 14.) Et, plus haut . " Car ce ne sont point ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu; mais ce sont ceux qui gardent la loi qui seront justifiés. " (Ibid. V, 43.) Le Prophète dit aussi : " Ceux qui tenaient la loi dans leurs mains ne m'ont pas connu. " (Jérém. II, 8.) Et ailleurs . " La main menteuse des scribes a gravé le mensonge. " (Ibid. VII, 8.) Et pourquoi? — " Parce que la tourterelle et l'hirondelle et le moineau des champs ont connu le temps de leur passage, et que mon peuple n'a point connu mes jugements. " (Ibid. 7.) Or celui qui parle ainsi déclare que, non-seulement celui qui ne recherche pas la vertu, ne gagne rien à enseigner les autres, mais qu'il se rend par cela même indigne de ces nobles fonctions. Si dans les tribunaux du monde on punit et on flétrit celui qui a mal agi en le privant de la parole, comment permettre à celui qui aura à rendre compte de ses péchés de prendre la parole dans l'enceinte où l'on instruit le peuple, dans celle enceinte encore plus respectable que les tribunaux profanes? Là les coupables subissent les châtiments qu'on leur a infligés; ici tout est disposé en vue non de punir les coupables, mais d'effacer leurs fautes par le repentir. Dans la cour des rois on ne saurait être admis à l'honneur d'interpréter la parole royale si l'on était convaincu d'avoir une mauvaise vie. Pourquoi publies-tu mes décrets et les enseignes-tu aux autres, tandis que tu fais le contraire de ce qu'ils commandent, que ta vie n'est pas d'accord avec tes paroles, et que tu détournes de toi ceux qui étaient disposés à te prêter leur attention? Tes paroles ne les instruisent pas autant que tes actions les détournent. Aussi le Christ nous vante-t-il le maître dont l'enseignement est parfait, parce qu'il s'appuie sur les paroles et sur les actes. " Celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. " (Matth. V, 19.)

Que la vie ait donc une voix retentissante qui enseigne les mêmes choses que ta bouche, et quand même tu la tiendrais fermée , tu surpasseras les sons éclatants de la trompette, tu seras entendu et de ceux qui sont près do toi, et de ceux qui sont au loin. C'est ainsi que les cieux racontent, la gloire de Dieu. Ils n'ont ni bouche ni langue pour parler, ni poitrine pour respirer, mais ils sont beaux et en les voyant l'homme s'émerveille et songe à la puissance du Créateur. Que la vertu soit pour ton âme, ce qu'est là-haut pour le ciel le beau spectacle qu'il nous offre. Mais si tout souillé de crimes, en butte à mille accusations et surtout aux accusations de ta propre conscience, tu t'efforces de prendre possession de la chaire du Maître, en faisant le procès aux vices, c'est toi-même que fui accuses tout autant que les autres hommes. " Et pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance? " C'est avec raison que le Prophète a dit " ta bouche, " car le coeur de l'impie n'a point goûté le fruit de la, parole de Dieu, et ses lèvres s'agitent en vain, et seulement pour l'accuser pendant,qu'il parle. Et à bien examiner cette pensée, on verrait crue Dieu (92) traite comme un ennemi celui qui ne met pas les actes d'accord avec ses paroles. — " Tu hais l'ordre et tu as rejeté ma parole derrière toi (17). " Par l'ordre, il veut ici parler de la discipline établie par la loi qui met l'âme dans un juste équilibre, qui chasse le vice, qui fait mûrir les germes de vertu. Comment donc se fait-il que tu la manies, cette discipline, que tu la distribues aux autres, sans en rien garder pour ta conduite ? " C'est que tu as rejeté, " dit-il, " ma parole derrière toi. "

7. Non-seulement tu n'as rien pris pour toi de la discipline de la loi, mais encore tu as mutilé ce que la nature t'en avait donné. Car nous faisons naturellement la distinction de ce qu'il faut et de ce qu'il ne faut pas faire. Mais toi tu as rejeté ces préceptes de la nature, et tu n'en as plus gardé le souvenir. — " Quand tu voyais un voleur tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l'adultère avec le séducteur (18). " Il n'est pas possible de trouver un homme pur de tout péché, ce qui a fait dire à quelqu'un : " Qui se vantera d'avoir le coeur pur, ou quel homme osera affirmer qu'il est exempt de tout péché? " (Prov. XX, 9.) Et à saint Paul : " Ma conscience ne me reproche rien, mais, " ajoute-t-il, " je n'en suis pas plus justifié par cela. " (I Cor. IV, 4.) " Le juste, dès qu'il parle, commence par s'accuser lui- même (Prov. XVIII, 17) , " c'est-à-dire par accuser ses propres péchés; or, afin qu'on ne puisse dire : si tous sont en état de péché et que Dieu défende au pécheur de publier ses décrets, qui les publiera? Pour prévenir cette objection, le Prophète énumère les différentes sortes de péchés. " Il y a le péché " mortel (Jean, v, 16), " comme celui que signale Héli : " Lorsqu'un homme offensera un homme, le prêtre priera pour lui; mais s'il offense Dieu, qui priera pour lui ? " (I Rois, II, 25.) Aux yeux de la loi, certains péchés étaient irrémissibles et entraînaient la mort, d'autres étaient faciles à réparer. Par exemple, le Christ dit, dans le Nouveau Testament: " Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute en particulier entre vous et lui. S'il ne vous écoute point, prenez encore avec vous deux personnes. S'il ne les écoute pas plus que vous, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain. " (Matth. XVIII,15.) Cependant Pierre a dit ailleurs: "Combien de fois, si mon frère pèche envers moi, lui remettrai-je son péché? " Et il lui est répondu : " Jusqu'à soixante-dix fois sept fois (Ibid. XXI), " tandis que dans le passage précédent on dit de s'arrêter après deux tentatives de réconciliation, parce que le péché, passé ce délai, est grave, et qu'on n'est plus obligé de persister dans les avances qu'on a faites. Quoi! il y a donc contradiction? Non, non; mais il a été dit: "Jusqu'à soixante-dix fois sept fois," c'est avec cette restriction, pourvu qu'il se repente. Comment remettre un péché à celui qui ne veut ni le confesser, ni s'en repentir? Au moins, quand nous demandons des remèdes au médecin, nous lui montrons nos plaies. Quel est donc le pécheur dont il est question dans ce passage de l'Ecriture? Ecoutons scrupuleusement, car elle nous le dépeint par ce qui suit : " Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l'adultère avec le séducteur. Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies (19). Tranquillement a assis tu parlais contre ton frère: tu couvrais d'opprobre le fils de ta mère (20). " Voyez-vous, comme dans un tableau, la peinture du vice, et comme le vice a fait du méchant une brute, et comme il lui a fait perdre les nobles sentiments qu'il tenait de la nature? Mais ne tiens contentons pas de passer devant ce tableau, examinons-le au contraire avec soin et dans tous ses détails. " Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui. "

Voilà la cause de tous nos maux : voici surtout ce qui nous éloigne de la vertu, ce qui chez le plus grand nombre détruit l'amour du bien, lorsque, loin de blâmer ceux qui font mal, on se réjouit avec eux. Et cette complaisance est aussi coupable que le péché lui-même. Ecoutez ce que dit saint Paul : " Non-seulement ils font ces choses, mais encore ils approuvent ceux qui les font. " (Rom. I, 32.) Ce n'est pas un péché sans grièveté que de se réjouir avec ceux qui font le mal, quand même on ne le ferait pas soi-même. Celui qui a péché peut prétexter la nécessité, rejeter ses torts sur sa pauvreté, excuses mal fondées du reste; mais toi, d'où vient que tu approuves son action, toi qui n'en retires ni plaisir, ni profit? Lui se repentira peut-être : mais toi, tu te fermes cette porte, tu te prives de ce remède, tu obstrues de tes propres mains la voie qui pourrait te conduire au port du repentir. Quand il te verra, toi qui ne pèches pas et qui devais lui faire des reproches, non-seulement (93) ne pas lui en faire, mais encore le protéger de ton silence, et non-seulement le protéger de ton silence, mais encore te faire son complice, que pensera-t-il de lui-même? de son péché? La plupart du temps, la plupart des hommes ne s'inspirent pas seulement de leur propre pensée pour décider ce qu'ils doivent faire, mais ils se laissent corrompre par les préférences des autres hommes. Si le pécheur voit tous les hommes se détourner de lui, il pensera qu'il a commis une très-mauvaise action. Niais s'il voit que loin de nous indigner et de lui témoigner notre mécontentement, nous nous montrons doux et bien disposés pour lui, le tribunal de sa conscience achèvera de le corrompre, puisque sa propre corruption trouvera un stimulant de plus dans l'approbation du plus grand nombre, et alors que n'osera-t-il pas? Quand se condamnera-t-il lui-même et cessera-t-il de pécher sans scrupule? Aussi ou doit quand on fait mal se condamner soi-même, car c'est le moyen de rompre avec le mal, et, quand on ne fait pas ce qui est bien, on doit louer ce qui est bien, car le zèle est un acheminement à l'action. Dans le cas présent, comme celui dont nous parlons approuve ce qui se fait, il est naturel que le Prophète le flétrisse de toutes ses forces. Car si le vice, tout omis qu'il est, est si puissant, et si la vertu, malgré les éloges dont on l’honore, décide si peu de personnes à endurer les fatigues qu'elle leur offre, qu'arrivera-t-il si cet état de choses vient à changer? Et cependant voilà ce qu'on peut voir souvent dans le corps des prêtres. Or si cela est mal chez le disciple, combien plus chez le maître !

8. O homme, que fais-tu? La loi a été violée, la chasteté méprisée, et tous ces crimes sont le fait de quelqu'un de ceux qui occupent les fonctions sacerdotales, en un mot c'est un véritable chaos, et tu ne frémis pas? Le Prophète s'adresse même aux éléments insensibles pour qu'ils déplorent avec lui la corruption générale: " Le Ciel a été dans la stupeur, " dit-il, " et la terre a frissonné d'horreur. " (Jér. II, 12.) Et ailleurs il est dit: " On verra le Carmel s'attrister, le vin s'attrister, et s'attrister la vigne. " (Isaïe, XXIV, 7.) Ce qui est sans vie s'afflige, gémit et, s'indigne avec le souverain Maître, et toi, l'être doué de raison, tu n'éprouves aucune douleur? Bien loin d'éclater eu reproches, de te constituer le vengeur terrible des lois de Dieu, tu partages le crime ! Et quel espoir de pardon peux-tu avoir? — Dieu a-t-il donc besoin qu'on lui prête main-forte? Lui faut-il des aides? — Non, mais il veut. taire de toi !'exécuteur de sa justice, afin que tu ne tombes point dans la même faute, que tu deviennes meilleur en t'indignant contre les vices d'autrui, et que ce soit pour toi une occasion de lui témoigner ton amour. Quand tu passes à côté de celui qui fait mal sans le blâmer, sans montrer ton chagrin, tu diminues la vigueur de ton âme, tu l'exposes à tomber, et spécialement à tomber dans les mêmes fautes que tu ne songes pas à reprendre. Et par ton indulgence déplacée, tu ne nuis pas peu à cet homme en chargeant le compte qu'il aura à rendre un jour, et en l'affaiblissant pour les luttes de cette vie. Ces paroles n'ont pas trait seulement au vol, mais encore à toute sorte de péchés : le Prophète a cité d'abord ce péché le moindre de tous, pour que vous sachiez que si celui qui le commet n'obtient pas son pardon, il sera bien plus difficile de l'obtenir pour tout autre péché. Ecoutez donc ce qu'il dit aussitôt après : " Et tu partageais l'adultère avec le séducteur, " passant à un péché plus grand encore, car le vol est de beaucoup moins grave que l'adultère. L'examen et la comparaison de ces péchés a suggéré la réflexion suivante : " Il n'est pas étonnant qu'un homme ait été pris à voler, car il vole pour rassasier son âme qui a faim. " (Prov. VI, 20.) Si donc ce péché est indigne de pardon, l'adultère le sera bien plus encore. Ici le Prophète, par l'adultère, entend la fornication. Si donc vous voyez l'un de ceux qui sont réunis avec vous se livrer à la fornication, et s'approcher des sacrements, dites à celui qui les administre : Un tel est indigne des sacrements, arrête ses mains profanes. Car s'il n'est pas même digne de publier les décrets de Dieu, songe jusqu'où ira la vengeance de Dieu sur lui; lorsqu'il aura touché la sainte table, et non-seulement sur lui, mais encore sur celui qui l'a protégé de son silence. Car le Prophète n'a pas dit : Et tu commettais l'adultère, mais, " tu partageais l'adultère avec le séducteur. " Hélas ! quel péché c'est donc que de cacher la pourriture des autres, puisqu'on nous dit qu'en agissant ainsi nous mériterons de partager la veine réservée au péché lui-même et cela tout autant que celui qui l'a commis. Lui peut du moins alléguer l'emportement de la passion, quoique ce soit une (94) excuse sans valeur, comme le voleur peut alléguer la faim; mais toi tu n'as pas même cette ressource. Pourquoi donc, si tu ne retires du péché aucun avantage, prendre la part du châtiment? C'est ainsi que les juges punissent non-seulement ceux qui ont osé commettre l'adultère, mais aussi les serviteurs qu'ils savent avoir eu connaissance du fait, et volontiers leurs maîtres, en les livrant à la justice, boiraient leur sang et mangeraient de leur chair, car ils les rendent responsables de l'accomplissement de l'adultère, tout autant que la femme infidèle. En n'écartant pas les voiles qui cachaient le couple adultère, ils lui ont rendu le crime plus facile : ils se sont mal conduits à l'égard de la femme coupable et du mari déshonoré, à l'égard du séducteur lui-même. S'ils avaient dénoncé, dévoilé ce qui se passait, ils auraient prévenu toute tentative de ce genre. De même que celui-là surtout attire le gibier dans les filets qui, tranquillement assis à côté, les cache à ceux qui vont s'y faire prendre, emploie tous les moyens pour qu'ils ne s'aperçoivent pas de la ruse, et ne fait aucun bruit ni rien qui puisse faire fuir sa proie: de même, si vous restez tranquillement assis à côté des filets tendus par le diable, et que, sachant que l'adultère va tomber, vous ne cherchiez pas à lui faire peur par vos cris, c'est vous surtout qui serez l'auteur de sa perte.

Ne me répondez point par ces paroles qui ne respirent que l'égoïsme et l'apathie : qu'est-ce que cela me fait? Je ne me soucie que de ce qui me regarde. Mais c'est précisément vous occuper de vos intérêts que de vous occuper de ceux de votre prochain. Ce qui faisait dire à saint Paul : " Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres. " (I Cor. X, 21.) Si tu veux trouver ton propre bien, dit-il, cherche celui des autres. " Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies. Tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d'opprobre le fils de la mère." N'allez pas dire : ce que j'en fais, c'est par pure affection. Par pure affection, quand vous ne voulez ni arrêter, ni retenir celui qui va tomber dans l'abîme? quand vous vous montrez indulgent pour des plaisirs défendus? quand vous voyez d'un oeil indifférent le malheureux qui boit le poison? Non, non, vous ne sauriez dire cela . Car ce qui proue que ce n'est pas là de l'affection, mais de l'apathie, de la négligence et du manque de coeur..... comment se fait-il que, laissant là celui qui vous a fait du tort, vous médisiez de votre frère qui ne vous en a fiait aucun? Comment se tait-il que vous ayez de mauvais desseins contre celui qui ne vous a fait aucun tort et qui ne vous a manqué en rien? Voyez jusqu'où, de chaque côté, peut aller le vice celui qu'enivre la passion, vous ne cherchez pas à le réveiller de son ivresse pour lui rendre son bon sens, et celui qui ne vous a fait aucun tort, vous le frappez. " Car, tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d'opprobre le fils de ta mère. "

9. Voyez comme ce reproche devient plus accablant à mesure qu'on l'examine. Celui qui a causé les mêmes douleurs à la mère qui vous a enfanté, dit le Prophète, celui qui a été porté dans le même sein que vous, celui qui s'est assis à la même table et qui a vécu dans la même maison, celui qui est une des tiges du même tronc qui vous a porté, celui qui a grandi avec vous, vous en faites l'objet de vos médisances. Puis, non-content de cela, vous formez de mauvais desseins et vous les exécutez, car tel est le sens de ces paroles " tu le couvrais d'opprobre. " Si vous ne devez pas médire de celui qui est votre frère selon la nature, combien plus ne devez-vous pas médire de votre frère en Jésus-Christ? Ne laissez donc p;as tomber dans le péché celui qui va le commettre, et ne calomniez ni n'injuriez celui qui ne vous a fait aucun tort : d'un côté, ce serait pécher par envie, de l'autre, par apathie : oui, c'est de l'apathie que de ne pas retenir celui qui va tomber, c'est de l'envie que de chercher à faire tomber celui qui se tient droit. Et voyez comme le Prophète ne se contente pas de faire simplement allusion à celui qui dit du mal des autres, mais bien à celui qui n'agit ainsi que par ruse et par animosité " Tranquillement assis, dit-il, tu parlais contre a ton frère. " Caïn du moins, quand il tua son fière, ne priva qu'un seul homme de la vie d'ici-bas, mais ceux-là, avec leurs médisances, en perdent des milliers, et eux-mêmes tout d'abord. Car ils ne nuisent pas seulement à celui dont ils médisent, mais à d'autres encore, ou plutôt ils ne nuisent qu'à ceux qui les écoutent. En effet, celui qui est l'objet de médisances quai ne reposent que sur le mensonge, non-seulement n'éprouve aucun tort, mais encore a droit aux plus grandes (95) récompenses. Ce n'est pas celui qui supporte, mais c'est celui qui tait le mal, c'est celui-là qui mérite d'être puni; il en est de même de celui qui inédit et de celui de qui on médit, pourvu que ce dernier n'ait pas donné sérieusement prise à la médisance. Ne nous préoccupons donc pas d'éviter la médisance, c'est impossible, et c'était ce que pensait le Christ, lorsqu'il disait : " Malheur à vous, lorsque les hommes diront du bien de vous! " (Luc, VI, 26), mais préoccupons-nous de ne pas lui donner prise. Celui qui veut que tout le monde dise du bien de lui s'expose à perdre souvent son âme parce qu'il aime la gloire humaine, qu'il s'entremêle de choses qu'il devrait laisser de côté, qu'il cherche à plaire là où il ne le faut pas, afin de s'attirer la bienveillance de l'un et de l'antre. Celui qui prend le contre-pied et dédaigne de s'acquérir une bonne réputation, se perd lui aussi. De même qu'il est impossible que l'homme vertueux jouisse de l'approbation universelle, de même il est impossible que l'on ne finisse point par être l'objet de la médisance universelle à force de lui prêter le flanc. Si tout en vivant de manière à n'offenser personne, vous vous trouvez en butte aux attaques des médisants, la récompense qui vous est destinée n'en sera que plus belle.

C'est ce qui arriva du temps des apôtres et du temps de ces généreux martyrs. Il faut bien que nous sachions que, si l'on nous critique pour une action que notre conscience ne nous reproche pas, nous ne devons pas pour cela faire fi du médisant, à cause du mal qu'il fait, mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, sans toutefois compromettre notre salut, pour lui ôter tout prétexte même mal fondé. C'est pour cela que saint Paul faisait distribuer l'argent des aumônes aux pauvres par beaucoup de personnes, il donne la raison de sa conduite en ces termes : " Et notre dessein en cela a été d'éviter que personne ne nous puisse rien reprocher sur le sujet de cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. " (II Cor. VIII, 20.) Il vit qu'on allait peut-être se scandaliser, et, quoique ce fût à tort, il ne négligea ni ne méprisa ces symptômes, mais comme il ne tenait qu'à lui d'arrêter le scandale, il se préoccupa de ceux-là même, de ceux qui se scandalisaient. Ailleurs il dit : " Si donc ce que je mange scandalise mon frère , je ne mangerai plutôt jamais de chair de toute ma vie, pour ne pas scandaliser mon frère. " (I Cor. VIII, 13.) Ces choses n'ont aucune importance, mais du moment qu'elles occasionnent du scandale, dit il, quand bien même il n'en résulterait pour moi aucun dommage, je ne fais pas fi du salut de ceux qui se scandalisent. Mais si le dommage qu'il te cause avait plus d'importance que son salut, fais fi de celui qui se scandalise ; dans le cas contraire, n'en fais pas fi. Telle devait être notre règle générale de conduite, savoir quand il faut mépriser ceux qui se scandalisent et quand il ne faut pas les mépriser. Par exemple, les Juifs se scandalisaient de ce que saint Paul n'observait pas leur loi, il en résultait que des milliers de personnes abandonnaient la loi de Dieu et n'avaient plus qu'une foi douteuse. Que fait-il donc? Voulant remédier au scandale (car le salut de tant de personnes l'emportait sur toute autre considération), voulant aussi rétablir la foi ébranlée et chancelante, il ne se pressa point de faire savoir qu'il n'observait pas la loi, et il réussit, ce qui était le point le plus important. Ils se scandalisaient encore de ce qu'il prêchait au nom du Crucifié, mais dans cette circonstance, il ne tint aucun compte de ceux qui se scandalisaient, car les avantages qu'il retirait de cette prédication étaient plus importants que tout le reste. (I Cor. I, 23.) C'est ainsi qu'agit le Christ. Comme il s'entretenait avec les mêmes Juifs de leur genre de nourriture et qu'ils se scandalisaient de ce qu'il avait dit : " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais c'est ce qui sort de la bouche de l'homme qui le souille (Matth. XV, 11), " il répondit : " Laissez-les, toute plante que mon Père céleste n'a point plantée sera arrachée. " (Ibid. 13.) Une autre fois comme ils lui demandaient de payer le tribut , quoiqu'il sût qu'il ne devait pas le payer, il pensa que la circonstance n'exigeait pas qu'il révélât sa majesté et dit : " Afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetez votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l'eau, prenez-le et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez une pièce d'argent de quatre drachmes que vous prendrez et que vous leur donnerez pour moi et pour vous. " (Matth. XVII, 26.) Comme il apportait aux Juifs sa loi si pleine de sagesse et qu'il les voyait livrés à un aveuglement incurable, il cessa naturellement de se préoccuper d'eux, et viola leur loi pour y substituer la sienne. D'un autre côté comme ils n'étaient pas encore en état de comprendre la grandeur de sa mission, il était naturel qu'il se mît à leur niveau et qu'il dissimulât sa divinité en consentant à payer le tribut. "Tranquillement assis tu parlais contre ton frère. " Mais c'était pour le corriger, diras-tu.

10. Il ne fallait pas le critiquer en te cachant de lui, mais, comme le voulait le Christ, le prendre en particulier et le corriger. Les reproches publics ne font souvent que rendre les coupables plus éhontés, souvent les pécheurs, quand ils voient qu'ils peuvent le faire sans attirer l'attention , se décident facilement à rentrer dans la bonne voie, mais quelquefois aussi, quand ils savent qu'ils ont perdu l'estime générale, ils tombent dans le désespoir et se laissent aller à l'effronterie. Sans doute il t'avait fait quelque tort. Et pourquoi donc t'en faire à toi-même? Car celui qui se venge se frappe de la même épée que sa victime. Si tu veux te rendre service à toi-même et te venger en même temps de celui qui t'a fait quelque tort, dis du bien de lui. En agissant ainsi tu lui créeras une foule d'accusateurs qui sauront bien remplir ta place, et tu recevras plus tard une belle récompense, tandis que si tu médis de lui, on ne te croira pas, on te soupçonnera d'y mettre de l'animosité , et de cette manière ton désir de vengeance se retournera contre toi. En voulant détruire sa réputation tu provoques précisément un résultat contraire, car on atteint le but que tu poursuis par la modération dans les paroles et non par la médisance. Je te le répète, faire autrement c'est arriver à un résultat tout à fait contraire : tu te couvres encore plus de honte, sans pouvoir atteindre ton rival des traits que tu lui décoches. Quand ceux qui nous entendent comprennent que c'est la haine qui nous fait parler, ils cessent d'être attentifs à ce que nous leur disons, et il se passe alors la même chose que dans les tribunaux quand se présente ce que les légistes appellent le cas d'exception : alors toute l'affaire reste suspendue. Il en est de même dans la circonstance présente, on te soupçonne de vouloir satisfaire une rancune personnelle, et ce soupçon empêche la justice de suivre son cours. Ne va donc pas dire du mal d'autrui, pour ne pas te souiller toi-même, ne salis pas tes mains à manier la boue, l'argile et la brique; tresse plutôt des couronnes avec la rose, la violette et d'autres fleurs ; ne porte pas l'ordure dans ta bouche, comme fait l'escarbot (c'est aussi ce que font les médisants qui sont les premiers victimes de leur propre infection) , portes-y plutôt des fleurs, comme l'abeille, et tires-en du miel, et sois doux et affable pour tout 1e monde. Tous se détournent du médisant comme d'une bête immonde et infecte, et parce qu'à l'exemple de la sangsue qui se gorge de sang, et de l'escarbot (1) qui se repaît d'ordure, il se nourrit des maux d'autrui, tandis que celui dont la bouche ne prononce que de bonnes paroles se voit accueilli de tous comme un membre de la famille commune, comme un véritable frère, comme un fils, comme un père. Et pourquoi parler des choses présentes et des opinions des hommes? Songe au jour redoutable, au tribunal incorruptible, songe que si tu mens tu combleras la mesure de tes péchés. " Je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu'ils auront dite. " (Matth. XII, 36.) Et quand même ces paroles inutiles ne seraient pas mensongères, dit. le Sauveur, même dans ce cas, vous n'échapperiez pas à la condamnation , pour avoir publié les misères de votre prochain et l'avoir couvert d'opprobre. Pensez au pharisien. Il n'était pas publicain, et cependant il devint plus coupable plue le publicain, pour avoir médit du publicain. Le publicain n'était pas pharisien , et cependant il devint plus vertueux que le pharisien , parce qu'il avait reconnu ses péchés. — " Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ! ton iniquité " m'a jugé semblable à toi: je t'accuserai, je te mettrai face à face avec tes péchés (21). "

41. Voyez-vous l'ineffable bienveillance du Seigneur? voyez-vous son infinie bonté? Voyez-vous quel inépuisable trésor de patience? Car silence est ici synonyme de patience. Après tous les crimes que tu as osé commettre, dit-il, je ne t'ai point puni , j'ai tout supporté , tout enduré et je t'ai donné le temps de revenir à résipiscence. Et toi , loin de profiter du répit que je t'accordais, tu es devenu encore plus pervers. Non-seulement tu n'as pas changé, non-seulement tu n'as pas rougi, non-seulement tu ne t'es pas condamné toi-même pour les péchés que tu avais commis, mais encore tu as cru que moi qui ai montré tant de longanimité , tarit de patience , moi qui me suis tu , qui ai supporté tous tes méfaits, tu as cru que j'en agissais ainsi avec toi non par patience

1 escarbot : Nom donné à divers coléoptères, tels que bousier, cétoine, hanneton, ténébrion.

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et dans un esprit de douceur, ruais parce que je ne voulais pas te reprendre et que je ne trouvais rien à redire à tes actions. — " Comprenez maintenant, vous qui oubliez le Seigneur (22). "

Que devons-nous comprendre? — Ce que je viens de dire, répond le Prophète. Que signifie ce mot: " comprenez? " — C'est comme s'il y avait " méditez. " Mais qu'y a-t-il d'obscur dans ces paroles? Est-il besoin de les creuser longtemps? Ce qu'il y a de plus saillant, c'est que la manière même de son enseignement nous prépare à un changement qui doit s'opérer dans la religion. Parle peu de cas qu'il fait des sacrifices il se fait l'introducteur de la loi évangélique. D'ailleurs voyant les hommes engloutis par l'impur amas de leurs péchés, et voulant, pour ainsi dire, les retirer des fanges du vice, et écarter d'eux l'habitude de suivre cette route qui les conduisait au mal, comme on écarte la chassie des yeux malades , il cherche à réveiller chez eux la mémoire de leurs méfaits, afin qu'ils n'aillent pas les laisser tomber dans l'oubli et perdre ainsi le fruit de l'expérience. C'est que l'habitude du péché rend notre âme aveugle, fait de nous des insensés, et obscurcit le regard pénétrant de notre intelligence. " De peur qu'il ne vous saisisse, et qu'il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses étreintes (22). " O bienveillance ineffable ! C'est là le langage d'une mère affectueuse ou plutôt c'est le langage d'une bonté infiniment supérieure à l'affection maternelle. Celui qui a dressé la liste si longue de nos péchés, celui qui a montré tant de courroux cherche à nous en préserver. Celui qui a dit : " Je t'accuserai, et je te mettrai face à face avec tes péchés, " et qui a prononcé notre condamnation, le voilà qui, revenant sur sa décision, ne veut plus nous livrer aux vengeances de sa justice, et qui nous traite comme s'il devait nous ramener au bien à force de conseils et d'exhortations , en nous rendant sages par la peur du châtiment, et en disant " de peur qu'il rie vous saisi se comme un lion dévorant, et qu'il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses étreintes. — Le sacrifice de louange et le culte qui m'honore , c'est la voie que j'indiquerai à l'homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu (23). "

Après nous avoir témoigné sa bienveillance, après avoir eu recours aux exhortations, aux conseils , aux menaces, après avoir employé la crainte, suspendu sur nos têtes les supplices dans toute leur horreur , après s'être encore remis à nous donner des conseils, il nous indique aussi de quelle manière nous pouvons effacer nos fautes, en disant: " Le sacrifice de louange est le culte qui m'honore, " c'est-à-dire , non-seulement le sacrifice de louange dissipera ma colère et effacera votre condamnation, mais encore je le considérerai comme un culte qui m'honore. Voyez quelle grande chose c'est que de revenir au bien, puisque Dieu lui-même s'en tient pour honoré. " C'est la voie que j'indiquerai à l'homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu." O récompense ineffable ! O bienveillance infinie ! Il promet de montrer à ceux qui font le bien la voie qui mène à Dieu, la voie qu'il faut suivre pour être réellement sauvés en Dieu ! Croyons donc en ses promesses, et glorifions le Seigneur par la pureté de notre vie, et par le sacrifice de louanges, puisque ce genre de sacrifice est la voie qui nous conduit au salut. Et puissions-nous tous y arriver , par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, car c'est à lui qu'appartient la gloire et la puissance , et maintenant , et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME CVIII. " 2. O DIEU, NE TAISEZ PAS MA LOUANGE, PARCE QUE LA BOUCHE DU PÉCHEUR, LA BOUCHE DU FOURBE S'EST OUVERTE CONTRE MOI. 3. ILS ONT PARLÉ CONTRE MOI AVEC UNE LANGUE PERFIDE, ILS M'ONT INVESTI DE PAROLES DE HAINE, ILS M'ONT COMBATTU SANS MOTIF. 4. AU LIEU DE M'AIMER, ILS SE SONT. FAITS MES DÉTRACTEURS ET MOI JE VOUS INVOQUAIS. 5. ILS M'ONT RENDU LE MAL POUR LE BIEN ET LA HAINE POUR L'AMOUR, 6. ÉTABLISSEZ L'IMPIE SUR MON ENNEMI ET QUE LE DIABLE SE TIENNE A SA DROITE. 7. LORSQU'ON LE JUGERA, QU'IL SORTE CONDAMNÉ ET QUE SA PRIÈRE MÊME DEVIENNE UN CRIME. 8. QUE SES JOURS SOIENT ABRÉGÉS ET QU'UN AUTRE REÇOIVE SA MISSION. 9. QUE SES ENFANTS DEVIENNENT ORPHELINS, QUE SA FEMME DEVIENNE VEUVE. 10. QUE SES ENFANTS NE CONNAISSENT PLUS LE REPOS, QU'ILS SOIENT VAGABONDS, MENDIANT LEUR PAIN, QU'ILS SOIENT CHASSÉS DE LA DEMEURE QUI LEUR APPARTIENT. 11. QUE " L'USURIER DÉVORE TOUTE SA FORTUNE ET QUE DES ÉTRANGERS S'EMPARENT DU FRUIT DE SES TRAVAUX. "

ANALYSE.

1. et 2. Le psaume CVIII est une prophétie sous forme d'imprécation, à la persécution que les Juifs devaient faire souffrir à Jésus-Christ et de la punition terrible du peuple déicide. — Le Prophète y prédit aussi la trahison de Judas. — Ces prophéties, sous forme d'imprécation, ne sont pas rares dans l'Écriture. — Il ne faut pas s'insurger contre ces prêtres de Dieu. — Le nom de Fils est souvent employé dans l'Écriture pour exprimer une parenté morale.

3. Les péchés de malice et de propos délibéré offensent beaucoup plus Dieu que ne le font les péchés de faiblesse.

4. Les méchants qui persécutent les justes non-seulement ne se rendent pas lorsqu'ils voient ces justes ne leur opposer que la piété, mais même ils se moquent d'eux en les insultant avec outrage.

1. Pour bien comprendre ce psaume, il nous faut faire appel à toute notre sagacité. Car ces paroles, à ne les considérer que comme on les entend prononcer tout d'abord, jettent le trouble dans l'âme de ceux qui écoutent et ne réfléchissent pas. Ce psaume n'est rempli que d'imprécations, et d'un bout à l'autre c'est le même style: on y sent bouillonner, brûler la colère, et celui qui parle nt s'arrête pas à la personne de l'ennemi dont il a à se plaindre , mais il poursuit de sa vengeance et ses enfants, et son père et sa mère : il ne se contente pas d'une seule victime, il les entasse les unes sur les autres. Voyez que de souhaits de vengeance : " Etablissez l'impie sur mon ennemi, et que le diable se tienne à sa droite. " C'est-à-dire, qu'il soit accusé, accablé par des hommes pervers et acharnés à sa perte, et qu'il ne puisse triompher d'eux, souhait qui se retrouve dans ces paroles : " Lorsqu'on le jurera qu'il sorte condamné." Cette vengeance ne lui suffit pas; après qu'on l'aura condamné, il désire qu'un autre lui succède dans sa charge et dans ses honneurs: " Qu'un autre, " dit-il, " reçoive sa mission. " Il ne s'en tient même pas là, mais pour lui fumier le seul port qui lui restât, il demande qu'il ne puisse obtenir la bienveillance de Dieu, et il dit: " Et que sa (99) prière même devienne un crime. " Et cependant il demande aussi qu'il meure avant l'âge: " Que ses jours soient abrégés." Il ne s'en tient même pas là, et cependant rien que ces malédictions auraient dû lui suffire. Il y ajouts encore, ce qui est la marque d'une âme profondément irritée. Un ou deux châtiments , ce n'est pas assez pour lui, voilà pourquoi il en demande un si grand nombre. Ce qui suit est encore pire, car il souhaite aux enfants d'être orphelins, à la mère d'être veuve. Et pourtant il est nécessaire que tout cela leur arrive du moment que le chef de la famille s'éloigne pour toujours. Néanmoins , dans le feu de sa colère, il formule une imprécation pour chacune de ces conséquences inévitables. Ce n'est iras assez pour lui que les enfants de son ennemi deviennent orphelins; même après avoir accumulé sur eux tant de malheurs il va plus loin, et rend leur infortune plus terrible, en souhaitant qu'ils soient réduits à errer et à faire le métier de vagabonds. " Que ses enfants ne connaissent plus le repos, " dit-il, " qu'ils soient vagabonds, qu'ils demandent l'aumône. " C'est-à-dire qu'ils errent sans jamais s'arrêter, qu'ils ne puissent se procurer le nécessaire, qu'ils ne cessent de changer de lieu, chassés, poursuivis sur toute la terre, et sans trouver nulle part une place où s'arrêter. Avec cela il souhaite qu'ils soient dans la pauvreté, dans une pauvreté extrême et intolérable, au l'oint de ne pas obtenir l'aide de leurs parents, qu'ils aillent çà et là quêtant l'assistance des étrangers et des inconnus. Écoutez en quels ternies il fait connaître sa pensée; après avoir dit: " Que ses fils soient vagabonds et qu'ils mendient, " il ajoute : " Qu'ils soient chassés de la demeure qui leur appartient; que l'usurier dévore toute sa fortune , et que des étrangers s'emparent du fruit de ses travaux." Voilà que sa vengeance se présente sous une autre forme: il livre leurs biens à la rapacité des étrangers, il les expose aux empiètements de l'usure, il les accable de dommages de toute sorte et, ce qu'il y a de plus terrible, il les laisse sans protecteur au milieu de tant de maux. Tel est en effet le voeu qu'il fait entendre : " Que nul ne lui vienne en aide (12). "

Ces malheurs par eux-mêmes sont accablants, combien plus encore pour ceux qui ne trouvent personne pour les protéger ! " Que nul n’ait pitié de ses orphelins. " O ciel ! quel excès de colère ! mais quoi! il ne se (99) contente pas de priver ces enfants, devenus orphelins avant le temps, des douceurs de la compassion, que dis-je de la compassion? Il les précipite dans la misère la plus profonde. " Que ses enfants, " dit-il en effet, " soient voués à l'extermination. Que son nom soit effacé en mue seule génération (13). " Voyez-vous la colère qui déborde dans ses paroles et qui ne s'arrête nulle part? Il souhaite qu'ils vivent en proie à toutes sortes de misères, qu'ils soient livrés à l'extermination, et qu'ils périssent sans que leur nom leur survive. Et comme si le malheur des enfants ne lui suffisait pas, il ajoute encore : " Que l'iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point effacé (14). Que leurs péchés soient " toujours devant le Seigneur, et que leur sou" venir disparaisse de dessus la terre (15)." Voilà bien le fait d'un homme profondément irrité, d'appeler d'abord sur la tête de son ennemi tous les malheurs à la fois, puis de les citer en détail et d'y revenir avec insistance. " Que l'iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur, " et il ajoute, " et qu'elle ne soit pas effacée, " ce qui revient au même, mais la colère l'emporte et le fait se servir des deux expressions à la fois. Ce qu'il veut dire, le voici : Seigneur, tuez-le, égorgez-le, faites-le disparaître. Que de malédictions ! Mais, si vous le voulez bien, je vais revenir sur mes pas et les énumérer de nouveau. Qu'il tombe au milieu d'hommes pervers, dit-il, qu'il soit accusé, qu'il soit vaincu par eux, qu'il soit condamné, qu'il meure avant l'âge, qu'il soit dépouillé de ses honneurs, qu'il les voie transmis non pas à ses descendants, mais à d'autres, que sa femme périsse, que ses enfants soient pauvres, orphelins, que leur vie soit celle des mendiants, qu'ils soient condamnés, qu'ils soient chassés de partout, que nul ne vienne à leur aide, qu'ils cessent même d'avoir part à la bienveillance de Dieu, qu'il n'y ait pour eux ni port, ni asile où ils puissent se réfugier, que son nom soit effacé de dessus la terre, qu'il périsse et que son nom ne lui survive pas, que son père, que sa mère soient punis pour tes péchés qu'ils ont commis, après cela qu'ils périssent, qu'ils disparaissent complètement et sans laisser de traces.

2. L'auditeur qui entend ces paroles n'est-il pas frappé d'épouvante ? Ne désirez-vous pas savoir quel est celui qui est l'objet de telles (100) imprécations ? Quand nous entendons un homme en accabler un autre d'injures, nous ne manquons pas de demander aux assistants quel est celui qu'on insulte. Quand donc nous entendons le Psalmiste proférer ces malédictions, nous devons bien plus encore demander, et demander avec terreur, avec une âme toute contristée, quel est celui qui s'est attiré une colère si terrible, quel est celui qui a offensé le Saint-Esprit, au point de s'exposer à tant de si redoutables représailles. Els bien ! s'il vous plaît, reprenons le psaume et donnons-y beaucoup d'attentions. Que nul ne se trouble. Je déduirai mes explications avec toute l'exactitude désirable, du moins autant que je le puis. Car il n'est pas sans importance l'objet de nos recherches. Une chose en premier lieu mérite explication : pourquoi les enfants du pécheur, de cet homme si décrié, pourquoi ses enfants, pourquoi sa femme, pourquoi ses parents sont-ils châtiés avec lui? En second lieu, quel est-il ce maudit? En troisième lieu, comment le prince des apôtres prouve-t-il que ce psaume s'adresse à Judas Iscariote, ou plutôt non pas le psaume tout entier, mais une partie du psaume? " Car, " dit-il, " il est écrit dans le livre des Psaumes: Que sa demeure devienne déserte : qu'il n'y ait personne qui l'habite. " (Act. I, 20.) Mais voilà qui nous donne un autre sujet de recherches, car ces deux phrases ne se trouvent pas dans ce psaume. Aussi n'a-t-il pas indiqué celui-ci, il a parlé du livre des Psaumes en général. L'expression: " Que sa demeure devienne déserte " se lit dans un autre psaume, et cette expression : " Qu'un autre reçoive sa mission " est tirée du psaume que nous lisons en ce moment. Mais l'apôtre Pierre les a réunies toutes deux pour en former un seul témoignage. C'est ce que saint Paul fait en toute occasion, comme quand il dit: " Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l'impiété de Jacob. (Rom. XI, 26 ; Isaïe, LIX, 20.) Et ceci sera pour eux mon testament, quand je retrancherai leurs péchés." (Isaïe, XXVII, 9.)

Mais comment qualifier ces paroles? Est-ce une prophétie, ou une imprécation? C'est une prophétie sous forme d'imprécation. Nous trouverons cela autre part encore ; Jacob s'est, lui aussi, servi du même procédé. Comme il faut que les auditeurs fassent leur profit des malheurs qui ont frappé d'autres hommes, il arrive que les prophètes adoptent pour énoncer leurs prédictions, des figures de style telles, que les enseignements qu'elles contiennent nous trouvent plus respectueux et plus craintif. Car ce n'est pas la même chose que de dire: tel ou tel sera puni, ou de proférer les mêmes menaces avec le ton de la colère et de l'indignation. Et pour prouver que ce ne sont pas là des explications irréfléchies, je vais vous citer les paroles mêmes des prophètes. Jacob, sur son lit de mort, dit à ses fils : " Venez ici et je vais vous dire ce qui doit vous arriver dans les derniers jours. " (Gen. XLIX, 1.) Et le voilà gui, au moment de prophétiser, se laisse emporter, pour ainsi dire, par le bouillonnement de sa colère, et qui, dès les premiers mots, éclate en imprécations : " Ruben, " mon premier-né, toi qui es dur à supporter, " dur et intraitable, tu m'as outragé, puisses" tu ne pas croître comme l'eau." (Gen. XLIX, 3.) Il prophétise sa ruine sous forure de malédiction. Par contre, lorsqu'il annonce d'heureux événements, c'est sous forme de souhait : " Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre. " (Ibid. XXVII, 28.) Ces paroles contiennent encore une prophétie. Il est évident que ce n'est pas là l'expression de la colère d'un homme, car à l'égard de Chanaan, son père fait de même et dit: " Chanaan sera ton esclave (Ibid. IX, 25), " afin que vous sachiez que Dieu se tient devant ceux qui sont en butte aux outrages, et qu'il marche contre leurs agresseurs. Le Christ use aussi du même procédé, il prophétise, quand il dit avec l'accent de la douleur et du regret : " Malheur à toi, Chorozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïda ! " (Luc, X, 13.) Ou bien encore, quand il s'écrie : " Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes ! " Quel est donc l'objet de ce psaume? Il concerne en partie Judas, car le Saint-Esprit prophétisait par la bouche de David, et, pour le reste, il s'adresse à d'autres. Ceci encore est une manière d'agir familière aux prophètes. Nous la trouverons employée plus d'une fois

Le début s'adresse à une personne, le reste à une autre. Et pour vous en assurer une seconde fois, vous remarquerez que, après l'entrée des Juifs dans la terre promise, le fils de Navé reçoit de Dieu l'ordre de diviser les douze tribus en douze parties différentes, et de le faire en bénissant les unes, en maudissant les autres. Ces bénédictions et ces malédictions n'étaient que l'annonce de ce qui devait arriver. Il disait : " Sois maudit dans la ville, sois (101) maudit dans tes champs. " (Deut. XXVIII, 16). Et ces nombreuses malédictions adressées aux tribus forment une très-longue tirade.

Ce que nous pouvons dire du présent psaume, c'est que la malédiction cache une prophétie, qu'elle annonce, qu'elle proclame à l'avance les malheurs qui doivent frapper Judas, ensuite elle retombe sur d'autres personnes et s'adresse à certains hommes qui s'étaient révoltés contre l'autorité sacerdotale. C'est pour nous apprendre combien il est mal de résister aux prêtres de Dieu, et d'employer contre eux la ruse et l'iniquité. Car le psaume ne fait pas autre chose que de nous instruire des châtiments destinés à ceux qui maltraitent le prochain, à ceux qui, pleins de ruse et de corruption, se lèvent contre les hommes qui ne leur ont fait aucun mal. S'il demande que les enfants soient punis, n'en soyez point trop étonné, mon cher frère: par les enfants du pécheur il entend ceux qui ont partagé son crime. Car l'Écriture reconnaît une filiation du vice comme une filiation du sang, et même, en l'absence de tout lien naturel, elle emploie cette expression de fils, comme lorsqu'elle dit : " Vous, vous êtes les fils du diable. " (Jean, VIII, 44.) Comment des êtres de chair pourraient-ils être les fils d'un être incorporel ! Mais la parenté du vice a remplacé pour eux les liens du sang. C'est ainsi que Jésus les rejette encore du sein d'Abraham, en disant." Si vous étiez les enfants d'Abraham, vous feriez ce qu'a fait Abraham. " (Jean, VIII, 39.) Que le fils ne doit pas être puni pour les fautes du père, pas plus que le père pour celles du fils, cela ne fait de doute pour personne. C'est aussi ce que déclare la loi, il n'y a d'exception que dans le cas où le père aurait mal élevé son fils : même alors il n'est pas puni pour son fils, mais pour sa propre faiblesse. Héli en est un exemple. (I Rois, III, 13.)

3. Si vous le jugez convenable, reprenons le psaume : " O Dieu, ne taisez pas ma louange." Ce qu'un autre interprète ainsi : " O Dieu, ne soyez pas sourd pour mon éloge, " et un autre : " Ne gardez pas le silence, " c'est-à-dire, ne négligez pas de me venger, réprimez le crime. Car c'est vous qui êtes le Dieu glorieux, le Dieu grand, et vous pouvez arrêter ces excès. " Parce que la bouche du pécheur, la bouche du fourbe s'est ouverte contre moi. Ils ont parlé contre moi avec une langue perfide, ils m'ont investi de paroles de haine, ils m'ont combattu sans motif. Au lieu de m'aimer, ils se sont faits mes détracteurs, et moi je vous invoquais. "

Voyez-vous cet excès de perversité ? cet accord pour le mal ? cette préparation au crime? C'est là ce qui irrite le plus Dieu, quand ceux qui cherchent à faire le mal y apportent de la réflexion, de la préméditation et s'y exercent à l'avance. Autre chose est de se laisser aller au vice par entraînement et par séduction, autre chose de le pratiquer, autre chose encore, et c'est le cas le plus grave, de se montrer méchant à l'égard de celui qui ne l'est pas. Ces paroles, " au lieu de m'aimer, ils se sont faits mes détracteurs, " prouvent que les méchants dont il est question avaient affaire à un bienfaiteur, à un homme digne d'être aimé, digne d'être payé de ses bons services, et qu'ils ne lui ont témoigné que de l'ingratitude. " Et moi je vous invoquais. " Voyez-vous sa sagesse, sa modération, sa douceur ? Voyez-vous sa piété ? Je n'ai pas pris les armes, dit-il, je ne les ai pas combattus, mais je me suis réfugié auprès de vous: j'ai invoqué votre alliance, votre intervention, et votre irrésistible protection, qui était mon aune la plus redoutable. Ensuite, après avoir dit ce qui concerne Judas, comment il se condamna lui-même, comment il porta contre lui-même un arrêt de mort, comment il se pendit, comment son apostolat fut confié à un antre, il revient à son premier objet. C'est encore là une des formes de la prophétie, s'interrompre, introduire un épisode, le développer, puis, après cela, revenir à ce qui a été dit au début. C'est l'inintelligence des Juifs qui forçait le prophète à envelopper sa pensée.

Il fait allusion, comme je l'ai déjà dit, à certain personnage qui, vers l'époque où les Juifs revinrent de la captivité de Babylone, forma de mauvais desseins contre l'autorité sacerdotale. C'est un fait connu des hommes studieux qui ont lu l'histoire. Il lui prophétise de grands malheurs, et qu'il sera privé de tout appui. Il demande qu'on lui ferme tout refuge, qu'il n'obtienne de Dieu ni délai, ni bienveillance, ni pardon. Ceci, comme je l'ai dit plus haut, et comme je ne cesserai de le dire, semble être une imprécation et ce n'est qu'une prophétie qui nous montre combien Dieu s'irrite quand on forme de mauvais desseins contre l'autorité sacerdotale. Ensuite il entre dans le détail des châtiments qu'il (102) souhaite à son ennemi et dit : " Parce qu'il ne s'est pas souvenu de faire miséricorde (16), et qu'il a poursuivi un homme pauvre, mendiant, au coeur contrit et mortifié (17). " Former de mauvais desseins et surtout les former contre l'homme qui devrait, au contraire, exciter notre compassion et notre sympathie, voilà le dernier degré de la cruauté, le comble de l'inhumanité. Un tel homme a pris les sentiments de la bêle féroce, ou plutôt il est devenu plus cruel encore que la bête féroce , chez qui la férocité est un instinct, tandis que lui, qui a eu l'honneur de recevoir la raison en partage. a prostitué au vice sa noble nature. La bête féroce montre une certaine affection, une certaine douceur pour celles qui sont de son espèce et de sa famille, mais ces gens-là, loin de respecter cette loi commune établie par la nature, attaquent et renversent celui dont ils devraient avoir pitié, qu'ils devraient aider et redresser. " Et il a aimé la malédiction, et elle le frappera, et il n'a pas recherché la bénédiction, et elle s'éloignera de lui (18). " Après lui avoir souhaité beaucoup de malheurs, il montre qu'il faut en rapporter la cause première non pas à lui-même, mais à son ennemi, à celui qui, par ses actions, s'est privé de la faveur de Dieu et s'est exposé aux coups de sa vengeance. " Et il s'est revêtu de la malédiction comme d'un vêtement, et elle a pénétré dans ses entrailles comme de l'eau, elle a pénétré dans ses os comme de l'huile. " Le Prophète s'exprime ainsi pour nous faire comprendre que le pécheur sera frappé d'un coup terrible et qu'il s'expose à d'éternels châtiments, et il nous fait voir que tous les hommes doivent leurs malheurs à eux-mêmes et à leur propre volonté, puisque par leurs actions et leur conduite ils éloignent d'eux les biens qui les attendaient, pour attirer sur leur tête la vengeance de Dieu. " Qu'elle soit comme le vêtement dont il se couvre, et qu'elle soit a comme une ceinture dont il sera toujours enveloppé (19). "

Ce qu'il dit est pour nous montrer l'indicible colère de Dieu s'attachant à de tels hommes, et peut se ramener à ces termes : le malheur s'en emparera si bien qu'ils ne pourront pas même changer leur condition, il les pénétrera profondément, il y demeurera indestructible. Ensuite, afin de nous prouver que c'est la méchanceté qu'il châtie et le vice qu'il redresse, et que ce n'est pas seulement contre l'homme dont il a à se plaindre, mais encore contre ceux qui ont à rendre compte de semblables méfaits, que sera portée cette condamnation : il ajoute : " Tel est le salaire réservé à ceux qui se font mes détracteurs par-devant le Seigneur (20). " C'est-à-dire, voilà le châtiment, voilà la condamnation réservée à ceux qui s'élèvent contre moi, à ceux qui me tendent des embûches, à ceux qui me combattent comme un ennemi, " et à ceux qui blasphèment contre mon âme. " Les paroles sont donc punies, et punies très-rigoureusement.

4. Après avoir terminé ce qu'il avait à dire sur son ennemi, il se réfugie de nouveau auprès de Dieu pour invoquer sa protection. Il ne se contente pas d'indiquer le châtiment destiné à ceux qui le poursuivent de leurs mauvais desseins; il montre aussi que les victimes des méchants ont un vengeur et qu'une protection puissante leur est assurée, et il ajoute . " Et vous, Seigneur, agissez pour moi à cause de votre nom (21). " Voyez sa pitié et sa reconnaissance, voyez son humilité. Et cependant il avait dans ses souffrances un motif légitime à taire valoir pour obtenir l'assistance divine : en effet, on peut voir en plusieurs endroits de l'Ecriture que ceux qui ont été injustement maltraités par les hommes ont plus de droits à réclamer la protection de Dieu. Mais lui néglige cet avantage, n'a recours qu'à la bonté de Dieu, et dit : " Agissez pour moi, à cause de votre nom. " C'est presque comme s'il disait : non pas parce que je le mérite, mais à cause de vous-même. parce que vous êtes clément et miséricordieux. C'est pourquoi il ajoute : " Parce que votre miséricorde est pleine de douceur. " Il n'en est pas souvent ainsi de la miséricorde des hommes : il arrive parfois qu'elle nuit à ceux qui en sont l'objet et qu'elle est la cause de leur perte. La miséricorde de Dieu, au contraire, s'exerce toujours à notre avantage. " Délivrez-moi, car je suis pauvre et mendiant, et mon coeur est troublé au dedans de moi (22). " Le voyez-vous encore qui demande à être sauvé, non parce qu'il en est digne, non parce que c'est juste, mais parce qu'il est tout à fait abattu, qu'il est accablé, qu'il a eu mille et mille maux à supporter? " Et mon coeur est troublé au dedans de moi. " Telle est la puissance du malheur non-seulement il a prise sur notre corps, mais encore il porte le trouble dans notre (103) âme. — " Comme l'ombre, qui décline, j'ai passé; j'ai été agité comme les sauterelles (23). " Il parle de la violence de ses persécuteurs, de leur inexprimable perversité, et de sa piété toujours forme au milieu des malheurs. — " Mes genoux sont affaiblis par le jeûne, et ma chair, privée de nourriture, s'est desséchée (24). " Voyez-vous quelles armes puissantes il a su se procurer pour repousser les embûches et le mauvais vouloir de ses ennemis? " Je suis devenu pour eux un opprobre; ils m'ont regardé, et ils ont secoué la tête (25). " Voilà bien le caractère du méchant : non-seulement il ne cède point, quand il voit le juste lui opposer sa piété, mais encore il l’outrage, il le raille, il l'attaque. Que fait le juste alors? Il a recours à l'alliance irrésistible, à la protection toujours victorieuse, et dit : " Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, et sauvez-moi selon votre miséricorde (26) ! Et qu'ils sachent que votre main est. là, et que c'est vous, Seigneur, qui m'avez délivré (27). " Que signifient ces mots : " Qu'ils sachent que votre main est là? " C'est-à-dire, qu'ils sachent que c'est vous qui combattez pour moi, que c'est vous qui me protégez. Je ne veux pas seulement être sauvé, je veux encore qu'ils sachent par qui je l'ai été, afin de doubler le prix de ma victoire, de doubler le prix de ma couronne, et d'augmenter ma gloire. " Ils me maudiront, et vous, vous me bénirez. Que mes ennemis soient confondus, tandis que votre serviteur sera dans l'allégresse (28). " Il y a là, pour l'auditeur, un enseignement philosophique. Le Prophète lui prouve que, fût-il en butte à toutes sortes de malédictions, il n'en éprouvera aucun dommage, si Dieu le bénit , et que la honte et l'insulte retomberont non sur lui, mais sur ceux qui voulaient l'en accabler. " Tandis que votre (103) serviteur sera dans l'allégresse à cause de vous. " Ce n'est pas sans raison qu'il ajoute ces mots " à cause de vous, " montrant que c'est de Dieu que lui vient son allégresse , puisque c'est Dieu qui lui a dispensé ces biens. Désormais aucun événement fâcheux ne saurait me troubler; mon allégresse venant de vous restera toujours entière. — " Que mes ennemis soient revêtus d'ignominie, que leur honte les recouvre comme un manteau (29). " Voyez encore comme il appelle sur eux non-seulement le châtiment. mais encore la honte et l'ignominie, afin qu'ils y puisent un enseignement pour venir à résipiscence, et qu'ils en prennent occasion pour changer et devenir meilleurs. — " Ma bouche rendra au Seigneur de solennelles actions de grâces, et je chanterai ses louanges au milieu d'une assemblée nombreuse (30). " Parce qu'il s'est assis à la droite du pauvre, pour sauver mon âme de la main de ses persécuteurs (31). " Pour remercier Dieu de tous ces biens, il le chante dans ses hymnes, il lui rend des actions de grâces, il célèbre ses louanges, il annonce à tous son intervention victorieuse, il s'avance comme au milieu d'un théâtre, et se fait le héraut de ses bienfaits. Voilà le sacrifice, voilà les présents qui conviennent à Dieu; il faut garder de ses bienfaits un souvenir éternel, il faut les graver dans sa pensée, les avoir toujours sur les lèvres, et les raconter à de nombreux auditeurs. De la sorte, celui qui a profité du bienfait, sera payé de sa gratitude, et augmentera encore l'affection que Dieu lui porte : et puis, ceux qui en seront informés deviendront plus pieux au souvenir de ce qui est arrivé à d'autres, et la vue des bienfaits accordés au prochain ne fera que stimuler leur zèle pour la vertu.

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME CIX. 1. " LE SEIGNEUR DIT A MON SEIGNEUR : ASSEYEZ-VOUS A MA DROITE. "

ANALYSE.

1. Saint Chrysostome va montrer que ce psaume sape par la base les fausses doctrines des Juifs, de Paul de Samosate, d'Arias, de Marcion, des Manichéens et de ceux qui ne croient pas à la résurrection. — Les premières paroles du psaume affirment l'existence et la divinité du Fils.

2. Le Juif, en refusant de croire aux prophéties qui concernent le Christ, renversa la plus grande partie de l'Ancien Testament. La parole : Ex utero ante luciferum genui te, fait tomber les hérésies de Paul de Samosate et d'Arias.

3. et 4. Explication du verset : Virgam vtrtutis tuca emittet Dominus ex Sion. La croix est la venge de la puissance du Christ.

5. Tecum principium in die virtutis viae : Le Christ possède la toute-puissance qui ne saurait lui être enlevée.

6. Puissance du Christ et gloire des saints au dernier jour du monde.

7. Ante Luci ferum genui te.

8. et 9. Explication du 4° verset. — Melchisédech figure de Jésus-Christ. — Il boira en passant l'eau du torrent. — La vie simple et frugale du Christ doit étre le modèle de la nôtre.

1. Je vous en prie, que votre esprit s'éveille et demeure attentif. Car le psaume nous entretient aujourd'hui des plus sublimes spéculations, et il se tient prêt a confondre l'hérésie; et non pas une seule hérésie, mais l'hérésie sous toutes ses formes. Il combat en effet les Juifs, Paul de Samosate, les disciples d'Arius, ceux de Marcion, les Manichéens, et tous ceux qui ne croient pas à la résurrection. Puisque la lutte est engagée contre tant d'adversaires, il nous faut regarder de tous nos yeux, afin d'apprécier exactement le mérite des combattants. Dans les autres luttes, quand un détail échappe au spectateur, il n'en éprouve aucun dommage , car l'assemblée dont il fait partie s'est réunie non pour profiter d'un enseignement, mais pour satisfaire sa curiosité. Mais maintenant, si vous n'examinez pas avec une scrupuleuse attention, comment l'adversaire engage la lutte, et comment nous repoussons son attaque, ce ne sera pas un dommage ordinaire que vous aurez à éprouver. Pour éviter donc ce fâcheux inconvénient, que votre intelligence s'éveille, que votre attention soit vive et soutenue. C'est aux Juifs que nous nous attaquons d'abord et contre eux que nous entrons en ligne, et nous faisons combattre avec nous le Prophète en lui empruntant ses propres paroles. Nous disons, nous, qu'il fait manifestement allusion au Christ, tandis qu'ils n'admettent pas notre explication et en imaginent une autre. Commençons par détruire leurs arguments, et après nous développerons les nôtres. Et, en attendant, demandons-leur quel est celui que le juste appelle son Seigneur quand il s'exprime ainsi. " Le Seigneur dit à mon Seigneur." (105) Il ne parle pas ici d'une seule personne, mais de deux personnes dont l'une adresse la parole à l'autre. Quelle est, d'après eux, celle qui a pris la parole ? C'est Dieu. Et celle qui écoute? C'est Abraham. D'autres disent due c'est Zorobabel, et d'autres encore indiquent une autre personne. Ils sont comme des gens ivres qui parlent sans pouvoir s'entendre , ou plutôt comme des gens qui marchent dans les ténèbres, et qui se heurtent les uns les autres. Comment donc, dites-moi, Zorobabel serait-il le seigneur David ? Et comment pourrait-on raisonnablement expliquer qu'il ait tenu à grand honneur d'être appelé David ? La suite prouve jusqu'à l'évidence, qu'il ne s'agit nullement ici ni de Zorobabel, ni de David ; ni l'un ni l'autre n'ont eu les honneurs du sacerdoce. Or il est ici question d'un personnage qui exerce un sacerdoce nouveau et merveilleux. " Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (4). " Cependant développons le point que nous avons à traiter maintenant. Ils avancent d'autres raisons encore plus faibles que celles-là, ils disent que ces paroles s'adressent au peuple Juif. Mais ce peuple n'a pas été prêtre, et ce qui suit ne peut pas davantage se rapporter à lui. Ainsi donc laissons cet argument de côté, il est sans valeur et ne mérite pas les honneurs d'un siège en règle, et produisons une autre de leurs objections. Que disent-ils encore ? Que c'est l'esclave d'Abraham qui parle ainsi de son Seigneur. Mais en vérité quoi de plus absurde ? Que vient faire ici l'esclave d'Abraham? Comment son Seigneur aurait-il été prêtre, lui gui avait recours à Melchisédech, comme au prêtre de Dieu, et qui lui demandait sa bénédiction ? Comment expliquer raisonnablement que les paroles qui suivent ont trait à Abraham, " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore? " Et comment les rapporter soit à David, soit à Zorobabel, soit au peuple Juif? Ces paroles ne conviennent qu'à un être d'une nature supérieure. Et cette expression, " asseyez-vous " à ma droite, " comment s'explique-t-elle si elle s'adresse aux personnages qu'on vient de supposer ? Elle ne s'explique pas. Comment Dieu irait-il dire à Abraham : " Asseyez-vous à ma droite , " quand ce même Abraham se regarde comme très-honoré de pouvoir se tenir debout à côté des anges. Mais enfin nos adversaires doivent avoir quelque objection spécieuse à nous faire, quelle est-elle donc? La voici: Eh quoi ! disent-ils, vous faites intervenir un autre Seigneur, quand l'Ecriture a déclaré ouvertement que " le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur, et que vous n'adorez que lui , et que, hors de lui il n'y a pas de Dieu ? " (Deut. VI, 4, 43 ; et IV, 35. ) A qui donc s'adressent ces paroles, dites-moi ? A qui. si ce n'est surtout à votre intelligence, ô Juif? Pourquoi n'a-t-on rien dit de pareil ni à Abraham, ni à Isaac, ni à Jacob, ni à Moïse, mais à vous seul, et cela quand, après la sortie d'Egypte, vous adoriez le veau d'or? Pourquoi donc, dites-le moi?

Peut-être êtes-vous embarrassé sur ce que vous avez à dire: eh bien ! moi je vais répondre pour vous. Comme, après votre sortie d'Egypte, vous aviez fait un veau d'or, et que vous l'aviez adoré, que vous vous étiez fait initier au culte de Belphégor (Nomb. XXV), que la multitude des dieux des païens vous en imposait, et que vous adoptiez cette foule de dieux, quoique cela fût contraire à la loi; c'est pour arrêter les progrès de votre maladie, et pour arrêter aussi cette invasion des faux dieux que le Prophète ajouta ce mot " un seul, " et non pour nier l'existence du Fils unique. Pourquoi en effet est-il dit au commencement de l'Ecriture : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance? " (Gen. 1, 26.) Et une autre fois : " Venez, descendons et mettons le désordre dans leur langage. " (Gen. II, 7.) Et David dit aussi : " C'est pourquoi Dieu, votre Dieu, a sacré d'une onction de joie, qui vous élève au-dessus de ceux qui doivent la partager. " (Ps. XLIV, 8.) Si Moïse se sert de ces expressions, " Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur, " c'est à cause de votre faiblesse d'esprit. Et pourquoi vous étonnez-vous que cela ait eu lieu pour le dogme, puisque Dieu, quand il s'est agi de la morale s'est départi de la règle parfaite pour une moins parfaite, afin de condescendre à notre faiblesse? Ainsi, il a permis le divorce, quoiqu'il eût dans l'origine porté une loi tout autre. Il a établi beaucoup de distinctions pour les animaux, quoique au commencement il eût pris une décision contraire, puisqu'il disait : " Je vous ai donné toutes choses comme les légumes d'un jardin. " (Gen. IX, 3.) Il a aussi porté plusieurs lois concernant le lieu où il voulait être adoré et n'a pas permis qu'on lui offrit partout ses prières, et cependant il n'avait pris dans le principe aucune mesure à ce (106) sujet. Car il apparut à Abraham dans la terre des Perses, et en Palestine et partout, et plus tard il se montra à Moïse dans le désert.

2. Eh quoi! dira-t-on, l'Ecriture est donc en contradiction avec elle-même? Loin de nous une pareille supposition. Dieu règle chaque chose à propos et suivant l'utilité, afin de remédier à la faiblesse de chaque génération. C'est pour cela qu'il vous a été dit, ô Juifs: " Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur." Quant à son Fils, les Prophètes ont témoigné qu'il existait et la Bible garde le dépôt de leur témoignage, mais ils ne l'ont pas déclaré ouvertement, pour ne lias heurter votre faiblesse d'esprit, ils ne l'ont pas caché non plus, afin que vous puissiez plus tard venir à résipiscence, et recueillir dans cette Bible, votre livre national, les dogmes de la religion vraie. C'est pair là surtout que nous pourrons prouver aux Gentils, quand nous discuterons contre eux, que les Prophètes étaient vraiment Prophètes, et c'est par là que nous démontrerons que l'Ancien Testament est tout à fait digne de foi. Mais si vous supprimez cette preuve, comment fermer la bouche aux Gentils? Que leur direz-vous, en effet? Leur citerez-vous la sortie d'Egypte, et les prophéties qui vous concernent? Mais certainement ils n'admettront rien de tout cela. Tandis que si vous leur racontez ce qui a été dit du Christ dans l'Ancien Testament, et que Nous leur montriez que les événements sont venus témoigner en faveur des prophètes, ils ne pourront pas même essayer de résister. Si vous critiquez nos dogmes, ô Juifs, comment ferez-vous pour défendre votre Ancien Testament. ? Et si l'on vous dit, prouvez-moi que Moïse a dit vrai, que répondrez-vous? Que vous croyez en ces paroles. Notre Nouveau Testament est donc beaucoup plus authentique , puisque nous aussi nous y croyons. Or vous, vous ne formez qu'une seule nation, tandis que nous, nous représentons tous les habitants de la terre, de plus, la parole de Moïse n'a pas eu sur vous autant d'action qu'en a eu sur nous celle de Jésus-Christ, votre puissance n'est plus, et la nôtre subsiste encore. Aurez-vous recours aux prédictions? Mais nous en avons bien plus. Ainsi donc en supprimant nos dogmes, vous obscurcissez les vôtres. Aurez-vous recours aux miracles? Eh bien ! montrez-nous un miracle de Moïse vous ne le pouvez, puisqu'il n'existe plus, tandis que nous, nous pouvons montrer encore les miracles si nombreux et si divers que le Christ opère encore aujourd'hui, et ses prédictions plus éclatantes que le soleil. Aurez-vous recours à votre loi? Mais la nôtre est d'une perfection beaucoup plus haute. Mais. quoi ! Vous êtes sortis d'Egypte malgré les Egyptiens! Peut-on comparer ce triomphe remporté sur les seuls Egyptiens à la conquête de la terre entière ameutée contre nous ? Et si je dis cela, ce n'est pas pour mettre en lutte l'Ancien et le Nouveau Testament : le ciel m'en préserve. Non, mais c'est pour fermer la bouche à l'ignorance juive. C'est Dieu, le même Dieu, qui nous a donné, qui a fait l'un et l'autre. Ce que je veux prouver c'est que le Juif en détruisant les prophéties qui concernent le Christ, ruine presque toutes les prophéties, et qu'il ne saurait prouver la noble origine de l'Ancien Testament, s'il n'admet le Nouveau. La preuve que Dieu né s'adresse pas à un homme, c'est qu'il lui dit: "Asseyez-vous à ma droite, " et que celui auquel il parle est appelé " Seigneur " comme lui, et qu'il l'a engendré de son sein avant l'aurore, et qu'il était son prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et que le Seigneur s'exprime en ces termes, la domination est avec vous. Voilà qui est d'une éclatante évidence pour ceux qui sont dans leur bon sens.

Si un autre Juif, portant le masque du chrétien, s'élève contre nous, je veux parler de Paul de Samosate, nous pourrons le confondre même en nous servant du Nouveau Testament. Cependant, afin de ne point paraître abandonner le sujet que nous traitons en ce moment pour changer de tactique, repoussons ce nouvel adversaire avec les mêmes armes. Que dit-il donc celui-là? Que Jésus-Christ n'était qu'un homme, et qu'il n'a commencé d'être que du jour où il est né de Marie. Que répondras-tu donc, dis-moi, à cette parole du psaume : " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore? " Ce que nous avons déjà dit contre les Juifs, il nous faut le répéter contre cet homme et contre ses sectateurs. Et la faute n'en est pas à nous, mais à eux qui ont emprunté une si grande partie de leurs croyances aux Juifs : ce qui fait que nous nous servirons des mêmes armes pour les combattre. Car ceux qui nous attaquent de la même manière, nous devons les frapper des mêmes traits.

Pourquoi donc le Prophète nous (107) représente-t-il Dieu et son interlocuteur assis sur le même trône? C'est pour nous montrer qu'il y a entre eux égalité d'honneur, ce qui suffit à fermer la bouche aux partisans d'Arius. Aussi Jésus répondait-il aux Juifs, qui disaient que le Christ était fils de David : " Comment donc David l'appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite?" (Matth. XXII, 43, 44.) Plus tard saint Paul ayant à parler de la mission de Jésus-Christ, donne de ce passage une explication très-claire, et qui porte un coup mortel à Marcion, et à Manichéus, et à tous ceux qui sont malades de la même maladie; car il explique avec nue sagesse tout à fait à la hauteur de son sujet comment Jésus a été prêtre selon l'ordre de Melchisédech.

Pour nous, revenons encore au texte déjà cité : " Le Seigneur a dit à mon Seigneur : "Asseyez vous à ma droite. " Voyez-vous l'égalité d'honneur? Car le trône est le symbole de la royauté, et s'il n'y a qu'un seul trône, c'est que la royauté a été partagée entre ceux qui s'y sont assis. Ce qui a fait dire à saint Paul : " Il se sert des esprits pour en faire ses anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres. Mais il dit à son Fils : Votre trône, ô Dieu, sera un trône éternel. " (Hébr. I, 7, 8.) C'est ainsi que Daniel voit la création tout entière debout autour du Seigneur, avec les anges et les archanges, pendant que le Fils de l'homme s'avance sur les nuées et s'approche de l'ancien des jours. (Dan. VII.) Si cette manière de parler scandalise quelques personnes, qu'elles se rappellent qu’il a été dit : " Asseyez-vous à ma droite, " et elles cesseront de se scandaliser. De même que nous ne disons pas qu'il est plus grand que son Père, parce qu'il est assis à sa droite, c'est-à-dire à la place d'honneur, de. même ne dites pas qu'il est moindre que son Père et qu'il lui est inférieur, mais dites qu'ils sont égaux. Ce qui est prouvé par ce fait qu'ils partagent le même siège. " Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied." Et quels sont ces ennemis? Ecoutez les paroles de saint Paul : " Jésus-Christ le premier, comme les prémices de tous; puis ceux qui sont à lui, qui ont cru en son avènement. Et alors viendra la consommation de toutes choses. Car Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous les pieds. " (I Cor. XV, 23, 25.)

3. Avez-vous remarqué l'accord qui règne entre les paroles du Prophète et celles de l'Apôtre ? L'un a dit : " Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied, " et l'autre, " Jusqu'à ce qu'il lui ait pris tous ses ennemis sous les pieds. " Mais pas plus chez l'un que chez l'autre ce terme de " Jusqu'à ce que " ne désigne une limite de temps. Autrement, que deviendrait cette parole du Prophète : " Sa puissance est une puissance éternelle, et sa royauté est une royauté qui ne périra jamais, et sa royauté n'aura pas de fin, " s'il ne devait régner que jusqu'à cette époque-là? Voyez-vous bien qu'il ne faut pas prendre simplement les textes au pied de la lettre, ruais qu'il faut en approfondir le sens ? En entendant le Prophète dire que le l'ère place les ennemis de son Fils sous ses pieds, ne vous troublez pas. S'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il regarde le Fils comme dépourvu de vigueur. Saint Paul prétend que c'est lui-même qui met ses ennemis sous ses pieds : " Il doit régner jusqu'a ce qu'il ait mis ses ennemis sous ses pieds. " (I Cor. XIV, 25.) Et de nouveau il met tout à ses pieds, quand il dit : " Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père, lorsqu'il aura anéanti toute puissance et tout empire. " (I Cor. XV, 24.) C'est-à-dire, quand il mettra le bon ordre dans son royaume. il fera cesser toute puissance. Tel est le sens du mot katarkhesei. En disant que tout lui appartient, le Prophète ne sépare pas son Père de lui, pas plus que du père il ne sépare le Fils. Ce qui appartient à celui-là , appartient à celui-ci, et ce qui appartient à celui-ci appartient à celui-là. Aussi est-il dit: " Tout ce qui est à moi, est à toi, tout ce qui est à toi, est à moi. " (Jean, XVIII, 10.) Quand donc vous entendrez dire que le Père a soumis les ennemis du Fils, n'allez pas croire que le Fils soit étranger à ce succès, et si vous comprenez que c'est le Fils qui les a soumis, ne dites pas que le Père n'y est pour rien. Leurs succès sont communs comme toutes leurs actions. — " Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance (2). "

La verge de sa puissance, c'est sa puissance elle-même. Le Prophète parle de Sion, parce que c'est là que le Christ a commencé le cours de ses triomphes. C'est là qu'il a donné sa loi, là qu'il a fait ses miracles; c'est de là qu’est partie la bonne nouvelle pour s'étendre sur toute la surface de la terre. Si vous voulez (108) dégager de ces paroles le sens élevé qu'elles renferment, écoutez saint Paul : " Mais approchez-vous de la montagne de Sion, et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et de l'Eglise des premiers-nés. Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance. " ( Hébr. XII, 22.) C'est tantôt la verge qui punit et récompense, tantôt la verge qui console, et c'est le symbole de la royauté. Et pour vous assurer qu'elle est tantôt l'une et tantôt l'autre, écoutez ces paroles du Prophète : " C'est ta verge et ton bâton qui m'ont consolé. " (Ps. XXII, 4.) Et autrefois : " Vous les gouvernerez avec une verge de fer : vous les briserez comme des vases de terre. " (Ps. II, 9.) Saint Paul dit aussi : " Que voulez-vous? que j'aille vers vous avec la verge, ou bien avec l'esprit de douceur et de charité ? " (I Cor. IV, 21.) Avez-vous vu comme la verge peut servir à instruire ? Voyez maintenant comment elle peut servir à gouverner. Car Isaïe a dit : " Il sortira une verge de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de la même racine (Isaïe, II, 1) , " — et David : " Votre trône, ô Dieu, est éternel : c'est une verge d'équité que la verge de votre royauté. " (Ps. XLIV, 7.) Ici le Prophète parle de cette verge avec laquelle les disciples parcoururent la terre, corrigeant les moeurs des hommes, et les ramenant du vice et de l'abrutissement à un genre de vie plus conforme à la nature et à. la raison. Allez, dit le Sauveur, " et enseignez toutes les nations. " (Matth. XXVIII, 19.) Moïse aussi avait une verge, avec laquelle, grâce à l'intervention divine, il accomplissait toutes sortes de prodiges. Celle-ci divisait les eaux des fleuves, celle-là, celle des apôtres, brisait le joug de l'impiété sur toute la surface de la terre. On pourrait, non sans raison, appeler la croix du Christ la verge de sa puissance. Car c'est cette verge qui a bouleversé la terre elles mers, et quia donné aux apôtres tant de puissance. C'est avec cette verge qu'ils se mirent à parcourir toute la terre et qu'ils accomplirent ces fameux prodiges. C'est en portant cette verge qu'ils vinrent à bout de toutes leurs entreprises, et cela tri commençant par Jérusalem. — " Soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. "

Remarquez cette prophétie plus éclatante que le soleil. Quel est le sens de ces mots " Au milieu de vos ennemis ? " C'est-à-dire au milieu des Gentils, au milieu des Juifs? Et c'est ainsi que nos Eglises ont pris racine et se sont développées au milieu même des villes païennes, c'est ainsi qu'elles out vaincu et triomphé. Quelle plus éclatante preuve de victoire, que d'élever des autels au milieu même de ses ennemis, que d'être au milieu d'eux comme la brebis au milieu des bêtes féroces, comme l'agneau au milieu des loups? C'est ce que Jésus leur disait en ces termes: " Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups (Matth. X, 16): " prodige néanmoins admirable que le premier. Il n'est pas moins beau d'être comme les brebis au milieu des loups, que de vaincre les ennemis au milieu desquels on se trouve. Mais c'est encore bien plus beau d'avoir, au nombre de douze, soumis toute la terre par la force de la persuasion. " Et soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. " Il n'a pas dit, soyez vainqueur au milieu de vos ennemis , mais, " soyez maître, " voulant montrer que ce n'est pas un triomphe obtenu par la force des armes, mais une autorité qui n'a besoin que de s'affirmer pour se faire obéir. Car les apôtres vainquirent, en ayant le Christ avec eux, comme s'ils n'avaient eu qu'a donner des ordres. C'est pourquoi toute maison leur était ouverte, les fidèles leur obéissaient avec plus d'empressement que des esclaves, leur livraient leurs biens, déposaient leurs honneurs aux pieds des apôtres, et n'osaient rien prendre sur ce qui leur appartenait pour satisfaire leurs besoins. La majesté des apôtres leur imposait tellement qu'ils n'osaient se joindre à eux.

4. Et cette puissance , ils l'exerçaient, non-seulement sur les fidèles, mais encore sur les infidèles. A quoi reconnaît-on l'esclave, dites-moi ? N'est-ce pas à le voir faire tout ce que son maître lui ordonne ? Et à quoi reconnaît-on le maître ? N'est-ce pas à le voir obtenir de ses esclaves tout ce qu'il lui plaît de recommander ? Quels sont donc ceux qui ont obtenu alors tout ce qu'ils voulaient sous la domination des rois et des gouverneurs ? Ne sont-ce pas les apôtres? Oui, sans doute. Car les rois et les gouverneurs voulaient retenir la terre sous le joug de l'impiété, et ordonnaient aux hommes d'adorer les démons : tandis que les apôtres ordonnaient le contraire, et c'est leur volonté qui s'est accomplie. Si vous me parlez de la prison, du fouet, des tourments, vous ne faites que montrer davantage la puissance de ces hommes. Et comment ? Parce que leur volonté (109) a triomphé malgré ces mêmes obstacles. Car leur domination repose non sur la loi des maîtres de la terre, mais sur la vertu, elle n'a besoin d'aucun secours étranger, bien plus elle brille d'autant plus qu'elle trouve plus d'adversaires. Souvent les maîtres d'ici -bas ont vu leur puissance détruite par les complots de leurs esclaves, car cette puissance est vile et sans force réelle, tandis que tous leurs efforts n'ont rien pu contre la puissance des apôtres, et n'ont servi qu'à la rendre plus éclatante. Quel est donc le maître le plus glorieux, de celui qui a besoin de beaucoup d'aides pour maintenir ses esclaves dans l'obéissance, ou de celui qui, sans tout cet appareil, dispose à son gré de ceux qui lui sont soumis ? N'est-il pas évident que c'est celui-ci ? Bien souvent ces maîtres-là auraient perdu la puissance qu'ils exercent sur de nombreux esclaves, s'ils n'avaient eu pour eux l'aide des lois et le séjour des villes où leur répression est aisée et même ils auraient perdu à la fois la puissance et la vie : Paul au contraire faisait éclater sa puissance partout et jusque dans le désert. Voulez-vous vous assurer de vos propres yeux que sa dénomination était plus glorieuse que celle des rois ! Il fit admettre ses lois par toute la terre , et partout les hommes laissant de côté celles des rois venaient se conformer aux injonctions qu'il leur faisait par écrit. Les rois étaient maîtres des corps, les apôtres étaient maîtres des âmes. Quel est l'esclave qui obéissait à son maître, le sujet qui obéissait à son roi avec autant de bonne volonté que les fidèles à saint Paul, seulement an reçu de ses lettres ? Comment exprimer l'attachement, le dévouement de ces pommes qui étaient prêts à s'arracher les yeux pour lui ? Qui jamais posséda d'aussi fidèles serviteurs ? C'est en voyant tout cela, en les voyant se faire obéir si facilement des fidèles, se rendre si redoutables aux infidèles qu'ils chassaient et repoussaient comme un vil troupeau, en voyant le Christ triompher si glorieusement par eux, que le Prophète au lieu de dire simplement, " soyez maître au milieu de vos ennemis, " a dit, "soyez maître souverain au milieu de vos ennemis, " montrant ainsi toute l'étendue de sa domination. Voilà ce que virent les ennemis des apôtres, et ils ne purent rien faire contre eux, quoiqu'ils eussent pour eux et lois, et bourreaux et puissance sans limites. Les apôtres étaient encore plus puissants grâce à celui qui habitait en eux. Le Christ a été maître souverain par eux, et il n'a pas été simplement maître, il a été encore maître souverain, car sa victoire était complète. Animé par celui qu'ils portaient en eux, les fidèles bravaient et le feu, et les bêtes féroces et tous !es autres supplices. C'est que le Christ était avec eux dans toutes leurs épreuves : aussi luttaient-ils contre les supplices comme si leur corps eût appartenu à d'autres, et dégagés de tout souci terrestre, ils étaient dans la joie et dans l'allégresse, ne reconnaissaient que l'autorité du Christ, et n'épargnaient ni leur fortune, ni leur corps, ni leur vie d'ici-bas. Voilà ce que faisaient ceux qui jadis avaient été les adversaires et les ennemis du Christ qui, non content de leur faire sentir son irrésistible puissance et d'étouffer leur haine, leur inspira cet attachement, ce dévouement extraordinaire. Ainsi donc, quand on dit que le Père place ses ennemis sous ses pieds, on ne le dit pas, comme je l'ai déjà fait remarquer, pour faire croire que le Fils n'a pas de puissance par lui-même, mais, comme j'en ai fait plus haut l'observation, c'est pour qu'on pense que le Père et le Fils sont un seul Dieu en deux personnes distinctes, et pour qu'on ne pense pas qu'il y ait dans le monde deux êtres incréés. Pour bien comprendre que la victoire remportée par le Fils sur ses ennemis lui appartient tout entière, rappelez-vous ses autres triomphes, et n'allez pas prendre les paroles du psaume dans leur sens vulgaire : autrement on n'aboutirait qu'à des absurdités. Afin de vous en convaincre écoutez ce que je vais dire : Les uns, d'ennemis qu'ils étaient, sont devenus les amis du Christ, les autres furent et sont encore ses ennemis. D'ailleurs saint Paul lui aussi indique que de ses ennemis il fera ses amis quand il dit: Lorsqu'il remettra son royaume à Dieu son Père. " (I Cor. XXV, 21.) C'est à quoi fait encore allusion le Sauveur lorsque, s'adressant à son Père lui-même, il lui dit : " Je vous ai glorifié dans le monde, j'ai terminé la tâche que vous m'aviez confiée. " (Jean, XVII , 4.) Quant à la soumission de ses ennemis, ç'a été l'oeuvre du Père. Et ce qu'a fait le Fils est encore plus grand. Car ce n'est pas la même chose de châtier ceux qui persistent dans leur inimitié, ou de changer leurs sentiments de haine en sentiments d'amour. Mais tout cela ne fait pas que le Fils soit inférieur au Père, ou que le Père soit inférieur au Fils. Pour vous (110) convaincre que l'une et l'autre chose sont autant l'oeuvre du Père que l'oeuvre du Fils, écoutez ces paroles : " Eloignez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel qui est préparé pour le diable et pour ses anges. " (Matth. XXV, 41.) Et celui qui envoie ses anges pour recueillir la mauvaise herbe, c'est le Fils unique, et nous le voyons en toute circonstance punir le diable. Et cela , les démons eux-mêmes le reconnaissent quand ils disent : " Venez-vous ici avant le temps pour nous tourmenter? " (Matth. VIII, 29.) Preuve que c'est lui qui doit les tourmenter un jour. Voyez-vous bien que, quand on dit que c'est le Père qui a fait triompher le Fils , il faut entendre en même temps que le Fils, lui aussi, a pris part au triomphe? Mais ce qui prouve encore que ce qui appartient au Père appartient aussi au Fils, ce sont ces paroles du Fils : " Nul ne vient à moi, s'il n'est amené par mon Père. " (Jean, VI, 41.) Et celles-ci . " Personne ne vient au Père que par moi. " (Jean, XIV, 6.) Il ne faut donc pas prendre ces paroles dans le sens vulgaire, et l'on ne doit pas croire que par cette expression "vos ennemis " on ne désigne que les ennemis du Fils seul, car il dit : " Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père. " (Jean, V, 23.)

5. Ainsi les Juifs étaient non-seulement les ennemis du Fils, mais encore les ennemis du Père. C'est pourquoi il les a frappés d'une ruine complète, a renversé leur ville, et n'en a fait qu'un amas de décombres. Et s'il ne s'est pas vengé aussitôt après avoir é'é mis en croix, c'est qu'il leur donnait ainsi le temps de se repentir s'ils en avaient la volonté, et il leur envola les apôtres afin qu'en apprenant par eux quelle était sa puissance, ils pussent quoique bien tard revenir à de meilleurs sentiments. Mais comme ils étaient atteints d'une maladie incurable, il mit le comble à leurs malheurs, ce qui était un autre moyen de les rappeler au repentir et de les faire renoncer à l'ancienne loi, en les amenant, par la force même des choses, à reconnaître la vérité, dont ils ne devraient plus douter en voyant adoré partout celui qu'ils avaient insulté, en voyant leur puissance entièrement détruite. Mais comme ils n'en ont lias profité pour devenir meilleurs, ils se sont rendus indignes de pardon et seront voués aux châtiments éternels. Quand on nous parle de marche-pied, n'allez pas croire qu'il s'agisse d'un objet sensible et matériel, le Prophète se sert de ce mot pour exprimer l'assujettissement des ennemis du Christ. La preuve qu'il les tient assujettis, c'est que là où il n'y a qu'un trône, il n'y a aussi qu'un marche-pied. — " La domination est avec vous au jour de votre puissance (3). "

Comme le Prophète a dit plus haut: "Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied, " et qu'il ne veut pas qu'on se figure que le Fils est sans force et qu'il a besoin d'être aidé, comme si c'était un simple apôtre, écoutez comme il détruit à l'avance ce soupçon, lorsqu'il dit: " La domination est avec vous au jour de votre puissance. " Quel est le sens de ces mots: " la domination est avec " Nous? " En vous, dit-il, est la domination, elle n'y est pas survenue plus tard, mais elle est en vous de toute éternité. C'est aussi ce qu Isaïe voulait exprimer quand il disait: " Qui porte sa domination sur son épaule (Isaïe, IX, 6), " c'est-à-dire qui la porte en lui-même, dans son essence, dans sa nature, ce qui n'a pas lieu pour les rois (car leur domination à eux repose sur la multitude de leurs années), ce qui n'avait pas lieu non plus pour les apôtres (car leur domination à eux aussi ne pouvait se passer d'un appui étranger, de l'appui du Christ), tandis que le Christ possédait la domination par sa propre nature, par essence, et ce n'est pas plus tard, après sa naissance, qu'il a acquis cette domination. Ce n'est pas chez lui une chose venue du dehors, il est né tel aussi: comme on l'interrogeait sur sa royauté, il répondit,: " C'est pour cela que je suis né, et que je suis venu dans le monde (Jean, XVIII, 37.) " La domination est avec vous au jour de votre puissance." Ces paroles: " La domination est avec vous " n'ont pas que ce sens-là, elles en ont encore un autre, non-seulement elles indiquent que la domination du Christ vient de lui et non d'un autre, mais encore qu'elle dure et durera toujours. Les hommes perdent souvent leur puissance, même de leur vivant, et si ce n'est pas de leur vivant, ils la perdent toujours au moment où ils meurent : ou plutôt la domination n'est pas avec eux-mêmes, quand ils vivent, elle est, comme je viens de le dire, dans leurs armées, dans leurs gardes du corps, dans leurs grandes richesses, dans les fortifications dont ils s'entourent, elle est en un mot dans tous les moyens dont ils usent pour la conserver. Il n'en est pas ainsi pour Dieu, sa domination est en lui, elle y est (111) perpétuellement et sans interruption; et de mène qu'il est impossible qu'il n'existe pas, de même il est impossible qu'il ne soit pas le maître souverain. " Au jour de votre puissance. " On peut entendre par là soit le jour où sa puissance s'est déjà montrée, soit le jour où elle se montrera encore. A chaque fois il fera éclater souverainement sa puissance. Ne croyez-vous pas que ce soit une preuve extraordinaire de puissance, que d'anéantir la mort par sa propre mort, de briser les portes d'airain , d'effacer le péché, de supprimer la malédiction originelle, de détruire tout ce triste héritage de maux et de vices, qui nous avait légué le temps passé, et d'introduire à la place de nouveaux biens et de nouvelles vertus? Quoi d'égale à cette puissance, soit que l'on considère les prodiges par elle accomplis, soit que l'on considère le succès final? Les morts ressuscitaient, les lépreux étaient guéris, les démons chassés, la mer était enchaînée, les péchés effacés, les paralytiques recouvraient leurs forces, le paradis était ouvert, les rochers se fendaient, le voile du temple se déchirait, les rayons du soleil se détournaient et les ténèbres voilaient la face de la terre, les saints endormis du sommeil de la mort se réveillaient, l'ennemi du genre humain reprenait le chemin de son ancienne demeure, la voûte du ciel s'entrouvrait et s'élargissait, la nature humaine si longtemps foulée aux pieds s'élevait par-dessus les cieux jusqu'aux plus sublimes hauteurs, et, ce qu'il y avait de plus merveilleux, prenait place sur le trône royal, et voyait debout à ses côtés les anges et les dominations : tous les vices étaient mis en fuite, la vertu était ramenée, le Saint-Esprit répandait sa grâce ; des pêcheurs, des publicains et des faiseurs de tentes fermaient 1a bouche aux philosophes et aux orateurs, et détruisaient la tyrannie des démons ; ils détruisaient les autels, les temples, les fêtes elles solennités des païens ; ils supprimaient de vive force et l'odeur de la graisse des victimes, et la fumée de l'encens offert aux dieux, et les sacrifices impurs; ils mettaient en fuite et les devins, et les quêteurs de la grande déesse, et toute la cohue de ces serviteurs du diable: sur toute la surface de la terre s'élevaient des églises, se fortifiaient des groupes de vierges, des troupes de moines ; la piété régnait sur les villes et dans les campagnes, et les choeurs des justes et des saints mêlés à la foule des anges et des dominations unissaient leurs voix pour chanter avec eux les louanges du Seigneur; partout se propageait la race des martyrs et des confesseurs de la foi, partout régnait une vertu douce et séduisante; les tribus barbares s'instruisaient à la sagesse chrétienne, et ces hommes, naguère plus féroces que les bêtes sauvages, mettaient toute leur ardeur à se conformer aux enseignements du Christ, et la divine parole parcourut autant de pays que le soleil en éclaire, après que le Sauveur eut été mis en croix et qu'il eut ressuscité. Le Prophète avait devant les yeux ce magnifique spectacle quand il disait : " La domination est avec vous au jour de votre puissance. "

6. Si vous voulez vous représenter le dernier jour, et comprendre comment ce jour-là, lui aussi, est le jour de sa puissance, songez quel imposant spectacle ce sera, que de voir le ciel se replier lui-même, de voir la nature entière se relevant enfin de sa longue corruption ; de voir, sur un signe du Christ, tous les morts apparaître, de voir le diable confondu, les démons humiliés, les justes couronnés, tous les hommes rendant compte de leurs péchés ou recevant le prix de leurs bonnes actions; et quel imposant spectacle que de voir enfin commencer une autre vie ! Alors plus de mort, de vieillesse, ni de maladie, plus de pauvreté, de mauvais traitements, ni d'embûches, plus de maisons, de villes, de métiers , ni de voyages sur mer, plus de vêtements pour se couvrir le corps, plus de nourriture, ni de boissons, ni de toits, ni de lits, ni de tables, ni de lampes, plus d'embûches, de combats, ni de tribunaux, plus de mariages, de douleurs d'enfantement, ni d'accouchements. Tout cela se dissipe et disparaît comme de la poussière. A la vie d'ici-bas succède une vie meilleure, notre corps devient incorruptible, immortel et très-robuste. C'est à quoi font allusion ces paroles de saint Paul : " Car la figure de ce monde passe. " (I Cor. VII, 31.) Si vous ne croyez pas aux choses qu'on vous dit, parce que vous lie les voyez pas se réaliser maintenant, représentez-vous, d'après ce que vous voyez dès cette vie, ce qui aura lieu plus tard. Parcourez en esprit tous les pays habités, et les terres et les mers, la Grèce et les contrées étrangères, les pays habités et ceux qui ne le sont pas, les villes du continent et les îles, de la mer, les montagnes et les lacs, et en voyant éclater partout la puissance du Christ, en entendant son nom glorieux répété par toutes les (112) bouches, dites-vous à vous-même que celui qui a pu tant de choses, a fait des promesses qui se réaliseront.

Si vous voulez une preuve tirée d'un fait particulier, demandez-vous pourquoi de tous les points de la terre habitée les hommes accourent en foule pour voir un tombeau vide, quelle est cette puissance qui attire les voyageurs des extrémités du monde pour voir le lieu où il est né, le lieu où il a été enseveli , le lieu où il a été mis en croix: représentez vous cette croix elle-même, et demandez-vous de quelle puissance elle est le signe. Car avant que le Christ y pérît, on regardait la croix comme un instrument de supplice abominable, comme le plus ignominieux, comme le plus infâme. Mais voilà que ce genre de mort est devenu plus honorable que la vie elle-même, voilà que cette croix est devenue plus glorieuse que les diadèmes, voilà que tous les hommes en portent le signe sur leur front, et qu'ils s'en parent, bien loin d'en rougir. Et ce ne sont pas seulement les simples particuliers qui en agissent ainsi, ceux-là même dont le front est couronné portent la croix au-dessus de leur diadème, et ce n'est pas à tort: la croix en effet ne vaut-elle pas mieux que dix mille diadèmes? Car si le diadème pare notre tête, la croix sauve notre âme. Voilà notre défense contre les démons, voilà le diadème qui préserve notre âme de la maladie du péché, voilà notre arme invincible et notre rempart inexpugnable, voilà ce qui nous protége infailliblement contre tous les assauts, et qui non-seulement nous met à l'abri des invasions des barbares et des incursions des ennemis, mais encore nous défend contre les phalanges des démons acharnés à notre perte. — " Au milieu des splendeurs des saints, " un autre, " au milieu de la gloire du saint, " un autre " au milieu de la gloire des saints. "

Ici encore le Prophète parle du jour de la puissance, et de celui que nous voyons, et de celui qui viendra plus lard: pour lui la splendeur des saints, c'est leur beauté. Quelle splendeur peut rivaliser avec celle de saint Paul, quelle gloire, avec celle de saint Pierre? Les hommes qui ont parcouru la terre, en jetant plus d'éclat que le soleil, en semant les germes de la piété ! Comme des anges descendus du ciel, ils intimidaient les hommes qui n'osaient, les approcher. C'est ce que nous fait entendre celui qui a composé le livre des Actes des Apôtres, quand il dit: " Nul n'osait se joindre à eux. " (V, 13.) Leurs vêlements mêmes étaient pleins d'une grâce efficace, et l'ombre de leur corps faisait des miracles. " (Act. des Ap. V, 15 ; XIX, 12.) Si sur cette terre ils se révélaient avec tant d'éclat, représentez-les vous tels qu'ils seront, quand viendra le grand jour, quand ils auront an corps incorruptible, un corps immortel, et d'un éclat supérieur à tout ce qu'on voit ici-bas, représentez-les-vous eux et ceux qui leur ressemblent, prophètes, apôtres, justes, martyrs et confesseurs, et tous ceux qui se sont conformés à la vraie loi en vivant dans la foi du Christ. Représentez-vous ces peuples de bienheureux, ces clartés, ces rayons, cette gloire, ces belles et sereines et solennelles magnificences. Qui peindra ce tableau ? La parole ne le peut, ceux-là seuls qui sont clignes de le contempler pourront se figurer toutes ces splendeurs. Selon moi, ce sera quelque chose de pareil à ce qui arriverait si le ciel était illuminé par plusieurs soleils ou par de continuels éclairs : ou plutôt, pour en revenir à ce que j'ai dit, j'ai beau m'efforcer de peindre avec la parole cet imposant spectacle, je ne pourrais jamais le faire en termes dignes du sujet. Toutes ces images sont prises dans le monde sensible, mais cette splendeur, cette gloire qui doivent alors éclater dans le ciel, seront d'une beauté bien supérieure à tout ce que je viens de décrire, car le corps des bienheureux ne sera pas seulement incorruptible et immortel, il sera aussi revêtu d'une gloire ineffable. " Au milieu des splendeurs des saints. " Pour ne pas se borner à nous représenter le Christ dans ce qu'il a de terrible, il nous le montre doux et bienfaisant, et dit: " Au milieu de la splendeur des saints. " Ceci est encore une marque de sa puissance, que de donner une telle splendeur aux saints, et c'est aussi ce que signifient ces paroles de saint Paul : " Qui transformera notre corps, tout vil et abject qu'il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux " (Philip. III, 21).

7. Puis, après avoir signalé cette grande et sublime métamorphose, il ajoute : " Selon cette " vertu efficace par laquelle il peut s'assujettir toutes choses. " (Ibid.) Ne cherchez point, dit-il, comment, ni de quelle manière. Car il peut tout ce qu'il veut. Pourquoi le Prophète n'a-t-il pas dit au milieu de la splendeur, mais: " Au milieu des splendeurs des saints? " Parce que les récompenses éternelles, en quoi (113) consistent ces splendeurs, sont nombreuses et de différentes sortes. " Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur : et, entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre. Il en arrivera de même dans la résurrection des morts. " (I Cor. XV, 41, 42) Le Christ a dit aussi : " Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. " (Jean, XIV, 2.) C'est pourquoi cette splendeur n'a pas de fin. Elle ne cède ni à la nuit, ni aux ténèbres, mais elle est grande et indescriptible, elle surpasse de beaucoup celle que nous voyons, et, ce qu'il y a de plus admirable en elle, c'est. qu'elle est sans limites. C'est aussi en quoi se manifeste l'ineffable puissance du Roi des cieux qui donne à des corps faibles et sujets à la corruption une telle force et une telle puissance. Puis, après avoir peint. à grands traits ce sublime spectacle, après avoir enlevé les auditeurs sur l'aile de l'espérance, il prouve que ces merveilles doivent naturellement avoir lieu, puisque celui qui les accomplit est si grand. Quel est-il donc celui qui les accomplit? C'est Celui qui est consubstantiel au Père; aussi le Prophète ajoute-t-il : " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. "

Ceux qui forcent le sens de ces paroles pour les rendre conformes à leur opinion, disent qu'il s'agit de la génération selon la chair. Et alors, dites-moi , pourquoi cette expression " avant l'aurore? " — Le Prophète veut dire qu'il a été engendré la nuit, et qu'il est né avant le matin. — Mais si c'était là ce que voulait dire le Prophète, l'expression aurait trahi sa pensée, et puis le Prophète né parlait pas avec la précision de l'historien, autrement on ne pourrait plus dire que ce que les Evangélistes ont enseigné, d'une manière exacte, les Prophètes l'avaient annoncé à l'avance, mais en le laissant suivant leur coutume enveloppé de certaines ombres. En se servant de cette expression : " Avant l'aurore, " le Prophète a donc voulu dire non pas avant le lever de l'aurore, mais avant la nature, avant l'existence de l'aurore. C'est là une distinction que l'Écriture ne manque pas de faire, et elle dit avant la nature, tantôt avant la fonction , comme par exemple-: " On doit avancer le matin pour vous rendre grâces, et venir à vous avant le lever de la lumière. " (Sagesse, XVI, 28.) Ici le Prophète veut parler du matin. Il a dit : " avant le lever du soleil; " et non avant le soleil, ou avant la nature du soleil, parce qu'il n'existait rien ici-bas avant la nature du soleil : il a dit : " avant le lever du soleil, " afin de bien montrer qu'il s'agit ici du matin. Ailleurs lorsqu'il s'agit de !a nature du soleil, l'Écriture ne dit pas avant le lever du soleil, mais : " Avant le soleil , " ainsi : " Son nom subsiste avant le soleil et avant la lune, pendant les générations des générations. " (Ps. LXXI, 17-5.) De même que cette expression : " Avant le soleil, " et celle-ci : " Avant le lever du soleil " offrent un sens différent, car l'une nous représente la fonction du soleil, et désigne le matin, tandis que l'autre désigne la nature de cet astre; de même, si, dans ce passage, le Prophète avait voulu désigner la nuit, il n'aurait pas dit " avant l'aurore. " mais avant le lever de l'aurore. Du reste, le Christ n'interprétait pas ce passage dans le sens de la génération selon la chair, mais dans le sens de la. génération selon l'Esprit. " Que vous semble du Christ, " disait-il aux juifs : " et de qui est-il fils? " Comme ils répondaient : " Il est fils de David, " il leur citait ce psaume et disait : " Comment se fait-il que David dise : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma, droite? — Si donc celui auquel Dieu s'adresse est le Seigneur de David, comment se fait-il que vous disiez qu'il est le fils de David? " (Matth. XXII, 42-45.) Dans quel but Jésus-Christ parlait-il ainsi? Pour montrer qu'il était bien le Fils de Dieu.

Quoi donc? Est-ce qu'il n'a pris naissance qu'avant l'aurore ? nullement. Car il est dit autre part : " Son trône existe avant la lune. " Et ce n'est pas seulement avant la lune, puisque le Prophète dit du Père: " Avant que les montagnes fussent créées ; avant que la terre fût formée, avant qu'elle fût habitée , et depuis le commencement des siècles vous existez, et vous existerez tant que les siècles dureront." (Ps. LXXXIX, 2.) Cependant Dieu n'existe pas seulement depuis le commencement des siècles, mais il existait encore avant eux, et son existence ne dure pas seulement autant que celle des siècles , car elle dure infiniment. N'allez donc pas vous déconcerter à la lecture des textes sacrés, et sachez leur donner l'interprétation qui convient à la majesté de Dieu. Remarquez aussi l'habileté du Prophète: il n'a point commencé le psaume par ces mots: " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. " Il nous montre d'abord le Christ dans son triomphe, il le célèbre par ses oeuvres, (114) puis au moment opportun, il nous dévoile sa divine majesté. C'est encore ainsi que le Christ lui-même disait: " Si je ne fais pas les œuvres de mon Père , ne croyez pas en moi; mais si je les fais, quand même vous ne croiriez pas en moi, croyez en mes oeuvres." (Jean, X, 37.) Il parlait ainsi afin qu'en apprenant que celui qui est assis à la droite du Père , que celui qui est appelé Seigneur comme le Père, que celui qui partage sa royauté, que celui qui l'exerce avec tant d'éclat, que celui qui est maître souverain des nations, afin qu'en entendant dire que celui-là est le fils de Dieu et qu'il existe avant toute la création, vous n'alliez pas vous étonner et vous troubler. Il faut encore admirer le Prophète pour l'art avec lequel tantôt il fait parler Dieu en personne, tantôt il parle en sort propre nom. Ces expressions : " Asseyez-vous à ma droite, " et: " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore, " qui sont les plus majestueuses, il les met dans la bouche du Seigneur; dans le reste du psaume, c'est lui-même qui parle. Examinez aussi comme il se sert de l'expression propre. Il lui suffisait. de dire : " Je vous ai engendré; " mais pour se mettre à la portée de ceux qui rampent sur cette terre, et pour leur faire comprendre que le Christ est vraiment le fils de Dieu, il complète cette expression en disant. " Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. " De même que s'il parle de la main de Dieu, ce n'est pas pour nous faire croire qu'il s'agisse réellement d'une main , mais pour nous donner une image de, la puissance créatrice ; de même il ne parle du sein de Dieu que pour nous faire connaître que Jésus est bien son fils.

8. Ensuite voulant donner à sa prophétie la solennité d'un arrêt rendu par un juge, il s'adresse à Dieu lui-même, ce qui dénote un amour bien vif et une joie extrême, et ce qui est la marque d'une, âme toute pleine de l'esprit de Dieu (4.) " Le Seigneur a juré, et il ne s'en repentira pas: vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech. " Voyez-vous comme il revient à prendre un ton moins élevé, suivant qu'il parle de ce qui entre dans les attributs de Dieu ou de ce qui entre dans les attributs de l'homme ? C'est aussi ce que font les évangélistes, afin de conserver intact le dogme sous ses deux aspects. Pourquoi ces mots: " Selon l'ordre de Melchisédech ? " Par allusion aux mystères, car celui-ci porta le pain et le vin à Abraham , et parce que ce sacerdoce est en dehors de la loi, et parce qu'il n'a ni commencement ni fin, comme le remarque saint Paul. Car Melchisédech n'avait que l'ombre, tandis que Jésus possède la réalité: même ressemblance pour les noms, si les noms de Jésus et de Christ annonçaient la mission du Sauveur; le nom même de Melchisédech annonçait aussi la sienne (1). On ne connaît ni le commencement, ni la fin de la vie de Melchisédech, non qu'il n'ait eu ni commencement ni fin, mais cela vient de ce qu'on n'a pas sa généalogie. De même Jésus n'a ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, non pas seulement comme Melchisédech, mais sa durée n'a réellement et absolument parlant, ni commencement ni fin. L'un était l'ombre, l'autre est la réalité. Quand vous entendez prononcer ce nom de Jésus, vous ne vous représentez que la signification qui lui est propre, sans rien chercher de plus et sans vous figurer que Jésus est réellement là; de même quand vous entendez dire que Melchisédech n'a eu ni commencement ni fin, n'allez pas vous le représenter ainsi dans la réalité , contentez-vous de lui appliquer, cette épithète , et gardez ce qu'elle a de réel pour Jésus. Quand vous entendrez dire que Dieu a prononcé un serment, ne le croyez pas. La colère de Dieu n'est ni de la colère., ni de la passion, ce que nous appelons ainsi n'est chez lui que la volonté de punir : il en est de même du serment. Car Dieu ne jure pas, il dit seulement: " Cela sera. "

Après avoir parlé de la splendeur des saints, après avoir mis les ennemis du Seigneur sous ses pieds, et nous avoir annoncé le jour de sa puissance, le Prophète ne fait plus que prédire ce que nous voyons se réaliser aujourd'hui. Remarquez dans quel ordre il dispose ses paroles pour manier plus facilement l'intelligence rebelle de l'auditeur. Il l'effraye d'abord en lui parlant du jugement, et le fait se relâcher de son indocilité, puis il arrive à parler des événements présents. C'est ainsi que s'explique ce mélange de styles différents. Voyez plutôt: " Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marche-pied. " Ceci a rapport aux choses à venir. Puis il arrive aux événements présents : " Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance.

Soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. " Après quoi il revient aux événements à venir : " La domination est avec vous

1 Voir l'explication qu'en donne saint, Paul. (Hébr. V, 2.)

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au jour de votre puissance, et dans les splendeurs des saints. " Ensuite il parle de nouveau des événements présents, et ce n'est plus dans un esprit de sévérité, mais dans un esprit de douceur: " Vous êtes le prêtre éternel a selon l'ordre de Melchisédech, " ce qui est le signal de la délivrance du péché et du retour à Dieu. Après avoir insisté là-dessus autant qu'il le jugeait à propos, il nous entretient encore de la mission du Christ, prend un ton moins élevé et s'exprime ainsi : " Le Seigneur est assis à votre droite (6). " Cependant il a dit plus haut que c'était lui qui était assis à la droite du Seigneur. Voyez-vous comme il faut se garder de lire à la légère les textes sacrés? Qu'est-ce donc que cette expression. " le Seigneur est assis à votre droite? " Comme il vient de toucher au mystère de l'incarnation , la liaison des idées l'amène à parler de la chair et des secours qu'elle reçoit, car il voit le Sauveur dans l'agonie, dans la sueur, et dans une sueur de sang, il le voit aussi qui reprend ses forces. (Luc, XXII, 44.) Telle est en effet la nature de la chair.

" Il écrasera les rois au jour de sa colère. " On pourrait avec raison appliquer ces paroles à ceux qui sont présentement en révolte contre l'Eglise, et à ceux qui auront un jour à rendre compte de leurs péchés et de leurs impiétés. — " Il jugera parmi les nations, il multipliera ses coups. " Quel est le sens de ces mots: " Il jugera parmi les nations ! " C'est-à-dire il fera le procès des démons et les condamnera. Et pour preuve qu'il les a jugés, écoutez ces paroles du Christ: " C'est maintenant que le monde va être jugé, c'est maintenant que le prince de ce monde va être chassé dehors. " (Jean, XII, 31.) Et celles-ci : " Et pour moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tout à moi. " (Ibid. 32.) S'il se sert d'une image un peu matérielle, n'en soyez pas étonne c'est là une habitude des saintes Ecritures : " Il brisera sur le sol la tête de beaucoup. " Si vous vouliez prendre ces paroles dans leur sens élevé, on pourrait vous dire que cela signifie qu'il détruira l'orgueil des insensés; mais si vous préférez n'y voir que l'expression d'un fait sensible, on pourra vous dire qu'il s'agit des malheurs du peuple juif, qu'il a complètement détruit et frappé d'un coup terrible. — " En passant, il boira l'eau du torrent (7). " Ces paroles du Prophète nous montrent combien le Christ était simple et modeste dans sa manière de vivre, qu'il n'affichait aucun faste, qu'il n'avait point de gardes, qu'il ne s'entourait point d'un appareil imposant pendant qu'il accomplissait ses prodiges, qu'il recherchait au contraire la simplicité au point de boire de l'eau du torrent. Il était aussi frugal pour sa boisson que pour sa nourriture : il mangeait du pain d'orge, et l'eau du torrent était sa boisson. Il est venu pour nous enseigner ce genre de vie qui convient aux amis de la sagesse, pour nous apprendre à être maîtres de notre estomac, à fouler aux pieds le faste, à fuir l'orgueil. Ensuite le Prophète, pour nous montrer ce qu'on gagne à vivre ainsi, ajoute: " C'est pourquoi il lèvera la tête. " Tel est le fruit qu'on retire d'une vie humble et austère.

9. Ceci s'applique non à la divinité, mais à la chair qui boit de l'eau du torrent, et qui se relève. Car cette simplicité loin de lui faire tort ne fait que la grandir extraordinairement. Vous donc, mon cher frère, grâce à ces exemples méprisez le luxe et la magnificence, recherchez un genre de vie modeste et facile, si vous voulez devenir vraiment grand et illustre. Votre maître est venu pour cela, pour vous tracer cette route. C'est pour cela que le Prophète, après avoir dit les triomphes du Christ, ajoute ces paroles qui peuvent presque se traduire' ainsi : Parce que vous avez entendu parler de victoires et de trophées, ne vous attendez pas à voir des armes et des soldats, des chars, des chevaux et des cavaliers, des hoplites, des mêlées bruyantes et tumultueuses. Ce triomphateur est si modeste, si humble qu'il boit l'eau du torrent; et cependant c'est lui qui accomplira tous ces prodiges. Qu'ils écoutent ces enseignements ceux qui ont des tables aussi richement servies que celles des Sybarites, qui ne rêvent que plats, que desserts de toute sorte , qui rassemblent de tous côtés des cuisiniers de spécialités différentes, qui enrégimentent à leur service marins, pilotes et rameurs pour se faire apporter des pays étrangers des vins, des essences et tout l'attirail de la gourmandise, pour se précipiter eux-mêmes dans l'abîme et tomber au dernier degré de l'abjection. Nous ne sommes pas plus haut parce que nous avons beaucoup de besoins, que nous ne sommes plus bas parce que nous en avons peu. Et, si vous le voulez bien, représentons-nous l'une et l'autre condition : supposons un homme qui (116) entretienne partout une foule de personnes chargées de subvenir à ses besoins, des marins, des pilotes, des artisans, des serviteurs, des tisseurs et des brodeurs, des bouviers et des bergers, des écuyers et des palefreniers, qu'il ait en un mot pour accomplir tous ses ordres un nombreux personnel : supposons en regard un autre homme qui ne jouisse d'aucun de ces avantages, qui se contente de pain et d'eau, qui ne porte qu'un vêtement très-simple. Quel est celui qui est au-dessus de l'autre, quel est celui qui est au-dessous ? N'est-il pas évident que le plus grand est celui qui n'a qu'un seul vêtement. Lui, pourra mépriser même le roi sur son trône, tandis que l'autre est l'esclave de ceux qui lui procurent tous ces biens, il s'incline devant eux, il leur adresse des paroles flatteuses, car il craint, en perdant leurs bons offices, d'éprouver un dommage considérable. Rien ne nous rend esclaves comme d'avoir beaucoup de besoins; de même aussi rien ne nous rend libres comme de n'avoir besoin que d'une seule chose. C'est ce qu'on peut voir même chez les animaux. Que gagne un âne à porter des fardeaux considérables, dût-il en jouir mille et mille fois? Où est le dommage pour celui qui est débarrassé de tous ces fardeaux, s'il peut compter sur la nourriture nécessaire ? C'est pourquoi le Christ voulant faire de ses disciples des hommes supérieurs aux autres, car ils allaient parler devant la terre entière, les débarrassa de toutes ces préoccupations, leur donna des ailes, leur donna des mœurs plus rigides que l'acier. Rien ne fortifie l'âme, comme de la dégager de ces entraves, et rien ne l'affaiblit, comme de ne pas l'en dégager. Dans le premier cas nous ne sommes pas plus exposés à rencontrer la douleur, que nous ne le sommes, dans le second, à rencontrer le plaisir. De ces deux hommes, en effet, l'un a des maîtres et des maîtresses nombreux, difficiles et cruels, l'autre n'est l'esclave de personne et est le maître de tous, et cela en toute sécurité il jouit de la lumière du soleil, est insensible aux intempéries de l'air, et ne connaît nulle contrariété. La colère ne le surexcite pas, la haine, la jalousie, les soucis ne rident pas son front, ni ces passions, ni aucune autre de ce genre. Son âme est aussi calme qu'une rade aux eaux paisibles où ne pénètre pas la tempête, et il suit d'un pas tranquille le chemin qui le conduit vers le ciel, sans se laisser détourner par les biens d'ici-bas. Afin donc que nous aussi nous jouissions de cette sécurité, et de ce calme inaltérable pendant la vie présente, et que nous franchissions le grand passage avec autant de sérénité, efforçons-nous de nous conformer à ce genre de vie, c'est ainsi que nous jouirons des biens éternels, de ces biens qui défient toute description, qui surpassent notre imagination et notre intelligence, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel appartiennent la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME CX. 1. " SEIGNEUR, JE VOUS RENDRAI HOMMAGE DE TOUT MON COEUR. "

ANALYSE.

1. L'action de grâces est ce que Dieu exige surtout de nous.

2. La mort est utile; quelle est celle qui est mauvaise, quelle est celle qui est bonne.

3. Il est utile de contempler la création. Toutes les oeuvres de Dieu doivent éveiller en nous le désir de lui rendre grâces.

4. Si Dieu punissait les péchés à mesure qu'ils se commettent, il y a longtemps que le genre humain aurait cessé d'exister. Dieu fait encore des miracles.

5. Misericors et miserator Dominus escam dedit timentibus se. Virtutem operum suorum annuntiavit populo suo. Opera manuum ejus veritas et judicium.

6. Il y a différents genres de préceptes. Les lois humaines sont passagères et obscures, les lois divines sont claires et permanentes.

7. Quel est le principe de la sagesse. Définition de la sagesse. Il est nécessaire de joindre les oeuvres à la foi.

1. Pourquoi ces mots " de tout " mon coeur? c'est-à-dire avec tout le zèle possible , avec force, sans se préoccuper des soucis de cette vie, en élevant son âme à Dieu, en la tenant détachée des liens du corps. " De coeur, " c'est-à-dire non pas seulement des paroles, de la langue, et de la bouche, mais aussi de la pensée. C'est ainsi que Moïse, lorsqu'il formulait ses lois, a dit : " Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme. " (Deut. VI, 5.) Il me semble qu'ici hommage est synonyme d'actions de grâces. Je chanterai des hymnes, dit le Prophète, je rendrai grâces au Seigneur. C'est à cela en effet qu'il a consacré sa vie entière, c'est par là qu'il débute, c'est par là qu'il finit : c'était sa préoccupation continuelle que de rendre grâces à Dieu tant pour les bienfaits qu'il en avait reçus que pour ceux qui avaient été accordés à d'autres hommes. Il n'y a rien à quoi Dieu tienne tant c'est le sacrifice, c'est l'offrande qu'il préfère, c'est la marque d'une âme reconnaissante, et c'est un coup sensible porté au diable : c'est par là que le bienheureux Job a mérité sa couronne et sa gloire, parce qu'il ne se laissa point déconcerter ni par les nombreux malheurs dont il fut frappé, ni par les conseils pernicieux de sa femme, et qu'il persista à rendre grâces au Seigneur pour tout ce qu'il faisait, et non-seulement alors qu'il était riche, mais encore au moment même où il était plongé dans la pauvreté: non-seulement alors qu'il était bien portant, mais encore au moment même où il était frappé dans sa chair : (118) non-seulement dans le cours de sa prospérité, mais encore au milieu du terrible orage qui fondit sur toute sa maison , et sur la nature même de son corps. C'est là le principal témoignage de reconnaissance que de remercier Dieu avec effusion au milieu de ses afflictions et de ses adversités , et de persister quand mémo à lui rendre grâces : pensée qui est aussi celle du Prophète , et qu'il nous fait entendre par ce qui suit. Comme beaucoup parmi les hommes rendent grâces au Seigneur quand ils sont dans la prospérité, pour s'irriter contre lui quand leur fortune, change, et que quelques-uns vont jusqu'à critiquer ses actes, le Prophète, pour nous montrer que cette conduite n'est pas une suite naturelle des événements, mais bien le fait d'une âme pervertie, ajoute ces paroles : "Dans le conseil des " justes et dans leur assemblée les oeuvres de Dieu sont grandes (2). " Il parle ainsi pour nous faire comprendre que pour un juge intègre, pour un tribunal incorruptible, il est évident que les oeuvres de Dieu sont grandes et pleines de merveilles. Elles sont grandes par elles-mêmes, mais elles ne peuvent paraître telles qu'à celui dont le jugement est sain. Ainsi, le soleil est brillant et lumineux par lui-même, et il éclaire de ses rayons la terre tout entière, et. cependant pour ceux dont les yeux sont malades, le soleil n'a rien de tout cet éclat. Est-ce la faute du soleil, ou n'est-ce pas plutôt celle de la maladie qui a affaibli leurs organes? Lors donc que vous verrez un homme blâmer les oeuvres de Dieu, que la perversité, de cet homme ne vous induise pas à les calomnier vous aussi, mais représentez-vous la grandeur et la providence de Dieu, et alors vous ne verrez dans les paroles de cet homme qu'un exemple remarquable d'inintelligence. Celui qui reproche au soleil d'être ténébreux, ne fait pas le procès à cet astre, mais bien à sa propre infirmité dont il donne une preuve évidente : celui qui se plaint de l'amertume du miel ne peut nous faire douter que le miel ne soit doux, mais en parlant ainsi il fait le procès à la maladie qui a dépravé chez lui le sens du goût : il en est de même de celui qui critique les oeuvres de Dieu. De même que les paroles de cet homme-là n'ont de prise ni sur les oeuvres de Dieu, ni sur l'idée qu'on s'en fait, et qu'elles ne servent qu'à faire ressortir son inintelligence, de même ceux qui ne jugent pas sainement des oeuvres de Dieu, ne reconnaissent même pas les merveilles qui s'offrent à leurs regards, tandis qu'une âme droite et non pervertie sera étonnée devant les prodiges que recèlent même les choses qui nous paraissent le plus pénibles. Et en effet, dans tout ce que fait Dieu, qu'y a-t-il qui ne soit merveilleux? Si vous le voulez, laissons de côté tout le reste pour ne nous occuper que de ce qui paraît aux hommes pénible et fâcheux, de la mort, de la maladie, de la pauvreté et des autres choses de ce genre. Eh bien! pour un coeur droit, il n'y a là rien qu'il ne doive approuver, admirer. Si la mort est le fruit du péché originel, cependant la puissance de Dieu, -sa bonté, sa providence sont telles qu'il a su la tourner à l'avantage du genre humain. Qu'a la mort de si pénible, dites-moi? Ne nous délivre-t-elle pas de nos peines? ne nous débarrasse-t-elle pas de nos soucis ! ne savez-vous pas que Job en fait l'éloge et qu'il dit : " La mort est le moment du repos pour l'homme, et ses voies lui sont cachées (Job, III, 23)? " N'est-ce pas l'écueil du vice? En effet, si un homme est pervers, les oeuvres de sa perversité sont interrompues par sa mort: " Car celui qui est mort, est délivré du péché (Rom. VI, 7), " c'est-à-dire il ne commet plus de péchés. Si c'est un homme de bien qui quitte cette vie, les oeuvres de sa vertu seront pour toujours en sûreté et conservées dans un asile inviolable. La mort, dites-moi, ne rend-elle pas les vivants plus sages et plus humains? N'avez-vous pas souvent observé ces riches si fiers dont le sourcil est relevé, quand ils rencontrent un convoi funèbre, et qu'ils voient étendu ce corps muet et immobile, qu'ils voient les enfants orphelins, la femme dans le veuvage, les amis dans le chagrin, les esclaves en vêtements noirs, et tout ce sombre attirail d'une maison en deuil? comme ils rentrent en eux-mêmes! comme ils s'humilient! comme ils sont contrits l Eux qui ont entendu tant de fois prêcher la sainte parole sans en tirer aucun profit, les voilà devenus sages tout d'un coup à la vue de ce spectacle : ils comprennent combien est peu de chose et combien est peu durable cette nature humaine, combien est vermoulue et peu stable cette puissance dont ils sont fiers, et dans les malheurs qui frappent les autres, ils voient les changements qui les attendent eux-mêmes.

2. La mort est là, et cependant que de rapines, quelle cupidité . ne dirait-on pas que (119) c'est comme chez les poissons où le plus fort dévore le plus faible ? Eh bien ! que serait-ce si la mort n'était pas prête à nous frapper? Où s'arrêterait la cupidité ? Si tes hommes, sachant qu'ils ne jouiront pas du fruit de leurs rapines et qu'ils devront bon gré mal gré le laisser en d'autres mains, n'en sont pas moins en proie à ce vertige et à cette rage, comment pourrait s'éteindre la flamme de leurs mauvais désirs, s'ils pouvaient les satisfaire en toute sécurité? Eh quoi ! Les couronnes du martyre, n'est-ce pas la mort qui les tresse ? Et saint Paul, ne s'est-il pas élevé d'innombrables trophées, lui qui disait: " Il n'y a point de jour que je ne meure, j'en atteste la gloire que je reçois de vous? " (I Cor. XV, 31. ) La mort n'est pas un mal, ce qui est un mal c'est la mauvaise mort. Aussi le Prophète dit-il : " La mort de ses saints est précieuse devant Dieu (Ps. CXV, 15), " et ailleurs : " La mort des pécheurs est mauvaise, " appelant mauvaise la mort de ceux qui sortent de la vie avec une mauvaise conscience, une conscience qu'accablent le poids et le souvenir de nombreux péchés. Tandis que celui dont la conscience est pure, en sortant de cette vie court s'emparer des récompenses et de la couronne qui lui sont réservées. Afin de comprendre que ce n'est pas la nature même des choses, ruais l'opinion des hommes, qui nous trouble lorsque nous songeons à la mort, écoutez ce que dit saint Paul quand il s'occupe de ce sujet " Car tandis que nous sommes dans cette tente nous gémissons, attendant l'effet de l'adoption divine, la rédemption et la délivrance de nos corps. " (II Cor. V, 1; Rom. VIII, 23.) C'est pour nous prouver la même chose qu'il dit ailleurs : " Mais quand même je devrais répandre mon sang sur la victime et le sacrifice de votre foi , je m'en réjouirais en moi-même, et je m'en conjouirais avec vous tous: et vous devriez aussi vous en réjouir, et vous en conjouir avec moi. " (Philip. II, 17, 18.) Si la mort loin d'être un objet d'horreur, est désirable pour ceux qui vivent vertueusement, combien plus doit-il en être de même de la pauvreté et de tout le reste. " Les oeuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés. " Un autre, " ont été soignées. "

Ici le Prophète me semble parler des créatures, et proclamer la sagesse de Dieu. Plus haut il nous parlait des actes de sa Providence quoique nous ayons, pour nous mettre à la portée de la faiblesse d'esprit de ceux qui nous écoutaient, donné encore un autre sens à ses paroles) il nous parlait des prodiges, des merveilles, qu'il a si souvent accomplis dans le gouvernement de la race humaine. Quel est le sens de ces paroles : " Ses oeuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés? " Elles sont faites avec soin, comme le dit un autre interprète, elles sont préparées, agencées, elles sont faites, complétées, de manière à satisfaire pleinement ses volontés, de manière à pro .ver sa puissance, elles rie sont pas imparfaites, elles ne sont pas au-dessous de leur fin qui est de concourir à l'accomplissement de ses ordres. C'est aussi ce que le Prophète dit ailleurs : " Le feu, la grêle, la neige, les vents et les tourbillons, tout sert à l'exécution de ses plans (Ps. CXLVIII, 8), " c'est-à-dire à l'exécution de ses ordres. C'est encore dans te même sens qu'il a dit : " Il a fait la lune pour marquer les temps, le soleil connaît l'heure de son coucher : vous amenez les ténèbres, et la nuit se fait. " (Ps. CIII, 19-20.) Dieu ne s'est pas contenté d'organiser .toutes choses pour suivre immuablement l'ordre que nous leur voyons observer : même quand il leur ordonne le contraire, elles lui obéissent docilement. Il donne un ordre à la mer, et la voilà qui, non-seulement n'engloutit pas les Juifs, comme il eût été dans sa nature de le faire, mais qui étend et aplanit ses vagues, présente une surface plus solide que la pierre et les transporte sur la rive opposée. (Exode, XIV, 22.) Non-seulement la fournaise ne brûla pas, mais encore elle produisit de la rosée avec des sifflements. (Dan. III, 24) Non-seulement les bêtes féroces ne dévorèrent pas Daniel , mais encore elles lui servirent de gardes du corps. (Id. 22.) Non-seulement la baleine ne dévora pas Jonas, mais encore elle le conserva sain et sauf comme un dépôt qui lui aurait été confié. (Jon. II.) Non-seulement la terre refusa de porter Dathau et Abiron, mais encore elle se montra plus terrible que la ruer lorsqu'elle s'ouvrit pour les engloutir et les dévorer et les faire disparaître devant le peuple assemblé. (Nombres, XVI, 32.) On pourrait encore voir bien d'autres merveilles dans la création, et qui devraient convaincre ceux qui sont assez insensés pour défier la Nature, que la création n'obéit pas fatalement à ses lois , mais que tout cède et fléchit devant la (120) volonté de Dieu. La nature est l'oeuvre de cette même volonté qui dispose et organise toute la création à son gré, et qui, tantôt conserve immobile les limites qu'elle lui a posées, tantôt les déplace facilement, selon qu'il lui plaît, et renverse l'ordre naturel des choses. " Les oeuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés, " c'est-à-dire de manière à réaliser tous ses ordres et tous ses commandements, et non-seulement de manière à réaliser ses commandements, mais encore de manière à le faire connaître des hommes, car c'est là l'objet de sa volonté, c'est surtout dans ce but qu'il a fait tout cela. Ce que dit le Prophète revient donc à ceci, que les oeuvres de Dieu sont disposées de telle sorte que les hommes attentifs et de bon sens reconnaissent qu'elles révèlent avec beaucoup de netteté, d'évidence et de clarté l'existence de Dieu à l'intelligence humaine. C'est surtout dans ce but que Dieu a disposé toutes choses dès le principe, afin qu'en voyant la grandeur, la beauté et l'ordre de la création, en voyant marcher et fonctionner toutes choses avec régularité, l'âme du spectateur s'émût, et que son intelligence s'éveillât à la recherche du Créateur et de l'architecte suprême, à la recherche de Dieu, et qu'elle adorât celui qui a fait ces choses, et qu'elle lût le secret de son existence dans la création, comme dans un livre. Le spectacle de la création nous est très-utile non-seulement pour arriver à la connaissance de Dieu, mais encore pour régler notre conduite. L'homme cupide, en voyant le jour céder la place à la nuit, et le soleil à la lune, aura honte de ne pas imiter le bon ordre qui règne parmi les éléments, et, fût-il le plus fort, il ne convoitera pas les biens de ceux qui sont plus faibles : l'adultère et le débauché, en voyant la mer d'abord furieuse se calmer en approchant du rivage, rougiront à leur tour de ne pas imiter le bon ordre qui règne parmi les flots , ils pourront refréner promptement l'excès de leur passion, arrêter par la crainte du Christ l'élan qui les emporte, dissiper toute cette écume des désirs impurs, et se soumettre au frein de la chasteté. Si nous jetons les yeux sur la terre ferme, nous pourrons y trouver facilement d'utiles sujets de méditation, surtout pour ce qui concerne le mystère de la résurrection , et nous pourrons admettre ce qu'on en dit. Voyons le sol recevoir un grain de blé : ce grain est dur, bientôt après il se dissout. et se pourrit pour produire d'autres grains bien plus beaux encore. Voyons la vigne en hiver : elle n'a ni feuilles, ni vrille, ni raisins, ce n'est que du bois tout sec, on dirait un squelette; mais vienne le printemps, et la voilà qui reprend toute sa beauté. C'est ainsi qu'en voyant la mort et la vie se succéder dans le corps des végétaux et dans les semences, nous pourrons faire de sages méditations sur la résurrection de la chair. La fourmi nous enseignera l'amour du travail, l'abeille, l'amour du beau et les avantages de l'association, comme dit le proverbe : " Paresseux, va vers la fourmi, cherche à imiter ses voies, et deviens plus sage qu'elle. Car sans avoir de laboureur à ses côtés, sans y être obligée par personne, sans obéir à un maître, elle prépare sa nourriture pendant l'été, et durant la moisson se fait une réserve abondante. Ou bien va trouver l'abeille, et apprends d'elle ce que c'est que de travailler ; le fruit de ses travaux est recherché pour la santé et par les rois et par les simples particuliers. Son corps est faible, mais comme elle honore la sagesse, elle surpasse les autres êtres. " (Prov. VI, 6-8.)

3. Et l'abeille même s'entretiendra avec vous, elle vous dira de ne pas admirer à première vue la beauté du corps , quand la vertu ne s'y joint pas, et de ne point mépriser la laideur , quand l'âme est belle. C'est aussi la même recommandation que nous fait l'auteur des Proverbes, lorsqu'il dit: " L'abeille est petite entre tout ce qui vole, et son fruit l'emporte sur les fruits les plus doux. " (Eccli. II, 3.) Observez les oiseaux, et ce spectacle vous offrira aussi d'utiles enseignements. Ce qui, faisait dire au Christ: " Considérez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, et votre Père céleste les nourrit. " (Mat. VI, 26.) Si des êtres privés de raison ne s'inquiètent pas de leur nature, quelle excuse aurez-vous à présenter, vous qui ne montrez pas, pour les choses de ce monde, autant de dédain que les oiseaux? Si vous voulez vous habituer à mépriser la parure , les fleurs des champs vous enseigneront le goût de la simplicité. C'est ce que le Christ nous montre par ces paroles : " Considérez les lis des champs; ils ne travaillent point, ils ne filent point; et cependant je vous le dis en vérité , Salomon même dans toute sa gloire n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux. " (Matth. VI, 28, 29.) Lors donc (121) que vous vous préoccuperez de la beauté de vos vêtements, songez que, malgré tous vos efforts , vous trouverez parmi l'herbe des champs, des fleurs qui feront pâlir votre luxe, et avec lesquelles vous ne pourrez rivaliser. Laissez donc de côté cette absurde passion. Nous pourrions trouver bien d'autres sujets de méditation en considérant soit les animaux, soit les fleurs, soit les semences. " Il faut rendre hommage à la magnificence de l’oeuvre de Dieu (2). "

C'est-à-dire , à la magnificence de chacune de ses oeuvres, car il ne s'agit point ici d'une œuvre seulement. Un autre interprète a dit : " Il faut louer et célébrer ses oeuvres, " et le premier: " Il faut rendre hommage, " c'est-à-dire, il faut rendre grâces à Dieu et le glorifier. Chacune des choses que nous voyons suffit à éveiller en nous le désir de lui rendre grâces, de lui chanter des hymnes, de le bénir et de le glorifier. Il n'est pas permis de dire: Pourquoi ceci? à quoi bon cela? Les ténèbres et le jour, la disette et l'abondance, le désert et les pays inhabitables, les terres grasses et profondes, la vie et la mort, en un mot tout ce que nous voyons suffit pour exciter, chez ceux qui savent s'en rendre bien compte, le désir de rendre grâces au Seigneur. C'est ce que Dieu lui-même nous démontre lorsque, parlant par la bouche d'un de ses prophètes, il fait voir que ses vengeances sont autant de bienfaits: " Je les ai détruits, comme Dieu a détruit Sodome et Gomorrhe; je les ai frappés de fièvres brûlantes et de maladies de foie. " (Amos, IV, 11.) Dans une autre circonstance, il s'exprime ainsi par la bouche d'un autre prophète : " Je les ai ramenés de la terre d'Egypte, et je les ai rachetés de la maison de la servitude (Mich. VI, 4) ; " et montre le bienfait caché sous le châtiment. Il en est de même de ce que nous voyons : c'est autant de bienfaits pour nous , autant de sages et instructifs enseignements destinés à combattre le vice. Les hommes agissent tantôt pour faire du bien aux autres, tantôt dans un esprit de haine et d'aversion tandis que Dieu fait tout dans un esprit de bienveillante, ainsi ce fut pour son bien qu'il plaça le premier homme dans le paradis terrestre , pour son bien aussi qu'il l'en chassa : ce fut pour le bien des hommes qu'il fit le déluge, et pour leur bien qu'il lança sur Sodome le feu qui la consuma. Considérez chacune de ses actions, et vous verrez qu'il a tout fait en vue du bien. C'est pour notre bien qu'il nous a menacés de la géhenne: si les pères, lorsqu'ils frappent leurs enfants, sont tout aussi bien leurs pères que lorsqu'ils les caressent, et tout aussi bons pères dans un cas que dans l'autre, pourquoi n'en serait-il pas de même de Dieu? Ce qui faisait dire à saint Paul: " Quel est le fils que son père ne châtie pas? " (Héb. XII, 7.) Et à Salomon : " Le Seigneur châtie celui qu'il aime, il corrige avec le fouet tous ceux de ses enfants qu'il veut instruire. Sa justice subsiste dans les siècles des siècles. " (Prov. III, 12.)

4. Il me semble que dans ce passage Salomon s'adresse à ceux qui sont scandalisés à la vue des malheurs qui frappent ceux qu'on ne croirait pas devoir en être frappés, c'est à peu près comme s'il parlait en ces termes : ne vous troublez pas en voyant des hommes faussement accusés, à qui l'on nuit et que l'on maltraite sans qu'ils l'aient mérité: car il leur reste un tribunal incorruptible , il leur reste ur. juge intègre qui donne à chacun selon son mérite. Si maintenant vous voulez demander compte à ce juge de ses décisions, prenez garde d'attirer sur vous une sentence de condamnation. Car si , à chacun de nos péchés, Dieu devait répondre par un châtiment, si, à chacune de nos fautes il devait infliger la condamnation qu'elle mérite, il y a longtemps que le genre humain aurait disparu de dessus la terre. Et pourquoi parlé-je de tel ou tel? Pour vous prouver ce que j'avance, je vais amener devant vous cet homme supérieur à tous les hommes, ce Paul dont la voix a été entendue de toute la terre, qui fut ravi au troisième ciel, qui fut transporté dans le paradis, que Dieu a initié à ses mystères redoutables, ce vase d'élection, ce paranymphe du Christ, cet homme quia mené la vie d'un ange, qui est arrivé à un tel degré de perfection. Si Dieu n'avait pas voulu patienter avec lui , s'il n'avait pas voulu le supporter à l'époque de ses erreurs, de ses blasphèmes et de ses persécutions, et s'il l'eût arrêté dans sa course en le frappant de la condamnation qu'il méritait, ne l'eût-il pas privé dès l'abord de tout moyen de se repentir? Et saint Paul le savait bien, lui qui disait: " Je rends grâces à notre Seigneur Jésus-Christ, qui m'a fortifié, de ce qu'il ma jugé fidèle en m'établissant dans son ministère; moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur et un ennemi (122) outrageux. Mais j'ai reçu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fit éclater son extrême patience et que j'en devinsse comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui pour acquérir la vie éternelle. " (I Tim. XII, 13-16.)

Et la femme prostituée, s'il l'eût châtiée, quand aurait-elle changé? Et s'il avait puni le publicain Matthieu, à l'époque où il était encore publicain et où il ne s'était pas encore converti, ne lui aurait-il pas enlevé tout moyen de se repentir? Oh peut en dire autant du bon larron, autant des mages, autant de chacun de ces célèbres pécheurs. Dieu retient sa colère, il retarde la vengeance que demande sa justice pour appeler les hommes à la pénitence; que s'ils demeurent incorrigibles, ils subiront infailliblement la peine due à leurs péchés. Aussi le prophète, pour consoler ceux qui sont victimes de l'injustice, et pour imposer plus de réserve à Ceux qui la font, a-t-il ajouté : " Sa justice subsiste dans les siècles des siècles. " Ce qu'il veut nous faire entendre par ces paroles, le voici : O vous qui souffrez l'injustice, ne désespérez pas, si la mort vous frappe, d'obtenir la justice qui tous est due, car, après volve départ de ce monde, vous recevrez pleinement la récompense de vos peines, et vous, qui ravissez les biens des autres, qui vous les appropriez , qui semez partout le désordre, si vous venez à finir vos jours en paix, n'en soyez pas plus rassuré: car, après voire départ de ce mondé, vous rendrez compte de tout ce que vous avez fait, et vous subirez la peine due à votre perversité. Car Dieu subsiste toujours ainsi que sa justice dont rien, pas même la mort, n'interrompt le cours, pas plus quand il s'agit de récompenser les peines endurées par l'homme vertueux, que quand il faut infliger nu vice le châtiment qui lui est dû. " Il a perpétué la mémoire de ses merveilles (4). "

Quel est le sens de ces paroles, " il a perpétué la mémoire de ses merveilles ? " C'est-à-dire il n'a pas cessé. d'en faire, et il en fait toujours. Car ces mots " il a perpétué la mémoire," signifient qu'il n'a pas cessé, qu'il ne s'est pas désisté pendant toutes les générations de produire des merveilles, et de réveiller l'attention des esprits épais par la vue des prodiges qu'il opérait. L'homme sage et d'un esprit élevé n'aura pas besoin de miracles: " Bienheureux," en effet, " ceux qui n'ont pas vu et qui ont a cru ! " (Jean, XX, 29.) Comme Dieu se préoccupe non-seulement de ces hommes, mais encore de ceux dont l'intelligence est moins ouverte, il ne cesse pas de faire des miracles presque à chaque génération. La création telle que nous la voyous est déjà une merveille, cependant pour faire une plus vive impression sur l'esprit engourdi de la multitude il a produit beaucoup de miracles soit en public, soit en particulier, comme par exemple le déluge, la confusion des langues, la destruction de Sodome, ce qu'il a fait pour Abraham, pour Isaac, pour Jacob, pour les Juifs pendant leur séjour en Egypte, et pendant leur sortie de ce pays, pendant qu'ils étaient au désert, ce qu'il a fait pour eux en Palestine , à Babylone, au retour de la captivité, au temps des Macchabées, après que le Christ eut passé sur cette terre, et pendant qu'il y était, puis ce qu'il a fait jusqu'à nos jours, la ruine de Jérusalem, l'établissement de l'Eglise, le Verbe parcourant le monde, transporté sur les flots, propagé par la guerre, le peuple innombrable des martyrs, et tant d'autres miracles. On pourrait citer bien des miracles particuliers arrivés soit dans les maisons, soit dans les villes. Mais tenons-nous en aux miracles d'un caractère universel, à ceux qui sont évidents et qui sont connus de tous, et qui se produisent à chaque génération. Combien n'en a-t-on pas vu éclater au temps de Julien , ce prince des impies, alors que l'Eglise était en butte à ses attaques? Combien, du temps de Maximin? Combien, sous les rois qui l'avaient précédé? Si vous voulez vous reporter aux miracles arrivés en la génération présente, voyez ces croix gravées tout à coup sur les vêtements, le temple d'Apollon frappé de la foudre, le saint martyr Babylas transporté de Daphne dans un autre endroit, cette victoire éclatante sur le démon, la mort extraordinaire du gardien des trésors du roi, la mort violente du roi lui-même, de ce Julien , le prince des impies, la ruine et la fin de son oncle, les fontaines de vers, mille autres prodiges, la famine, la sécheresse, le manque d'eau qui en fut la suite et qui fit tant de ravages dans les cités, et mille autres prodiges arrivés par toute la terre.

5. Vous savez aussi ce qui se passa dans la Palestine à cette époque. Quand les Juifs voulurent relever ce temple que Dieu avait condamné à la destruction, le feu jaillissant des fondations, chassa tous les travailleurs, et le travail resté inachevé en est une preuve. " Le (123) Seigneur est plein de bonté et de miséricorde. Il a donné la nourriture à ceux qui le craignent (5). " Le Prophète, après avoir proclamé les bienfaits de Dieu, bienfaits manifestés par ses miracles et par ses oeuvres, après avoir dit le soin qu'il avait pris de nous, donne encore plus de poids à ses paroles en montrant que si Dieu a fait tant et de si grandes choses pour le salut des hommes, s'il a employé et s'il emploie tous les moyens pour former leur coeur et leur esprit et les préparer à le connaître et à pratiquer la vraie sagesse, s'il protège et soutient leur existence, il le fait non pas parce qu'il le doit, mais (ce qui doit porter au comble notre reconnaissance) par pitié pour nous et par bienveillance, non pas parce qu'il a besoin de le faire, mais par pure bonté. " Il a donné la nourriture à ceux qui le craignent. " Pourquoi parler ici de ceux qui le craignent? Ce ne sont pas ceux-là seuls qu'il nourrit. Car il dit dans l'Evangile " qu'il fait lever le soleil pour les bons et pour les méchants, qu'il fait pleuvoir pour ceux qui sont justes et pour ceux qui ne le sont pas. " (Matth. X, 45.) Comment donc le Prophète a-t-il pu dire " à ceux qui le craignent? " Il me semble qu'ici il parle non pas de ta nourriture du corps, mais de celle de l'âme. Aussi ne parle-t-il que de ceux qui craignent le Seigneur, car c'est à ceux-là qu'elle est destinée. L'âme veut sa nourriture comme le corps. Et pour preuve, écoutez ces paroles : " L'homme ne vivra pas seulement de pain, il vivra aussi de toute parole sortie de la bouche de Dieu. " (Matth. IV, 4.) C'est donc de cette nourriture que parle le Prophète, de celle que Dieu a donnée de préférence à ceux qui le craignent, il parle des enseignements du Verbe divin et de ses préceptes où se résume toute sagesse. " Il se souviendra toujours de son alliance. " Afin de rabattre le sot orgueil des Juifs, et de leur enlever tout sujet de vanité, surtout afin de montrer que tous les biens dont ils ont joui ils les ont dus, non à leurs propres mérites, mais à l'affection que Dieu avait pour leurs pères et à l'alliance qu'il avait contractée avec eux, il dit : " Il se souviendra toujours de son alliance. " Et c'était là suivant les recommandations de Moïse, ce que les Juifs devaient se répéter entre eux et ce qu'ils devaient méditer à l'époque où ils pénétraient dans la terre de promission. Car il disait : " Si tu viens à bâtir de belles villes, si tu viens à t'entourer de trésors, ne va pas dire : cela m'est arrivé à cause de ma justice, mais : cela m'est arrivé à cause de l'alliance contractée avec mes pères. " (Deut. IX, 4, 5.) Rien de pire qu'une folle présomption; aussi Dieu la frappe-t-il sans relâche, toujours, et de toute manière. " Il manifestera à son peuple la force de son bras (6), pour lui donner l'héritage des nations (7). "

De l'ensemble le Prophète descend aux détails : des événements qui intéressent l'univers, il descend à ceux qui ne concernent que les Juifs. Et cependant, à y regarder de près, on peut placer ceux-là au rang de ceux qui intéressent tout l'univers. Car les événements survenus chez eux étaient un enseignement pour les autres: leurs guerres, leurs trophées et leurs victoires suffisaient à tenir lieu de prédication pour ceux qui en auraient fait l'objet de leurs méditations. La succession de ces événements est en dehors et au-dessus de la logique humaine. Quelle explication logique donner de la chute des murs de Jéricho, quand sonnèrent les trompettes des Juifs ! des succès et du triomphe de cette femme qui commandait des armées ! de la victoire de ce petit garçon qui mit fin avec sa fronde aux attaques des ennemis ! et combien d'autres événements aussi extraordinaires ! C'est ainsi, c'est par une telle série de prodiges que les Juifs vainquirent leurs adversaires et les chassèrent de la Palestine. Lors donc que le Prophète dit : " Il manifestera à son peuple la force de son bras, pour lui donner l'héritage des nations, " il n'a en vue qu'une chose, c'est de montrer la puissance du Seigneur qui, non content de repousser les nations ennemies des Juifs, employait pour en arriver là des moyens tels que ce peuple ne pouvait manquer de connaître (et pour cela les événements antérieurs suffisaient déjà), que c'était le bras divin qui frappait les ennemis, et que c'était parce que Dieu se faisait leur général, que les Juifs triomphaient de leurs adversaires. Il les instruisait par des paroles et surtout par des laits, par leurs chaussures et leurs vêtements qu'il conservait, par la nourriture qu'il leur envoyait, par la nuée qui les éclairait la nuit et les guidait le jour, par les guerres, par la paix, par leurs victoires, par le labourage, par les pluies, en un mot, toute chose prenait une voix pour proclamer l'action du Maître suprême, et pour aiguillonner leur intelligence émoussée, et en (124) aucun temps Dieu ne cessa de leur donner des preuves de sa puissante protection. — " Les oeuvres de ses mains sont la vérité et la justice. "

Après avoir parlé de la puissance de Dieu, le Prophète nous entretient aussi de l'équité de ses jugements, car les actions du Seigneur témoignaient non-seulement de sa puissance, mais encore de sa justice. Il ne se contenta pas de chasser les nations des territoires où il voulait établir les Juifs, il se montra juste même en cela. Aussi Moïse dit-il autre part : " Les péchés des Amorrhéens n'ont pas encore comblé la mesure. " (Gen. XV, 16.) On peut dire cela non-seulement des Juifs et des événements qui les concernent, mais aussi de tous les autres événements en général. En toutes choses, Dieu procède suivant la vérité et avec discernement, c'est-à-dire avec justice. Bien souvent l'Ecriture célèbre son esprit de vérité et de bonté. Par là, elle veut dire que sa conduite à notre égard est un mélange de bonté et de justice. Car s'il n'eût fait que ce qui était juste, toutes choses auraient péri.

6. Aussi le même Prophète dit-il ailleurs : " N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, car nul homme, vivant ne sera justifié en votre présence (Ps. CXLII, 2), " et ailleurs encore : " Si vous tenez compte de toutes nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant vous? " (Ps. CXXIX, 3.) Justice et bonté, tels sont les deux principes, qui guident le Seigneur dans tout ce qu'il fait. S'il s'en fût tenu à la stricte justice, tout eût péri : s'il n'eût employé que la bonté, les hommes se seraient, pour la plupart, encore plus relâchés. Et c'est. afin de varier nos moyens de salut, et de nolisa mener au bien qu'il s'inspire à la fois de sa justice et de sa bonté. " Tous ses commandements sont fidèles (8). " Ici le Prophète, comme il l'a déjà fait souvent, part de la sagesse et du soin qui éclatent dans les merveilles si, diverses de la création, pour nous entretenir des lois que Dieu a établies et pour traiter encore de sa providence sous cet aspect particulier. Car ce n'est pas seulement par la manière dont il a disposé cette création si belle et si grande qu'il a fait le bonheur du genre humain, mais aussi par les lois qu'il lui a données. Dans le psaume XVIII, le Prophète, parlant du Seigneur à ces deux points de vue, commence par dire : " Les cieux racontent la gloire de Dieu; " arrivé au milieu du psaume, et après avoir décrit les splendeurs de la création, il ajoute : " La loi du Seigneur est irréprochable, elle convertit les âmes les commandements du Seigneur portent au loin la lumière, ils éclairent les yeux. " (Ps. XVIII, 8, 9.) De même après avoir, dans le présent psaume, dit les prodiges, les merveilles et les oeuvres de Dieu, il en vient à parler de ses commandements, et s'exprime ainsi: " Tous ses commandements sont fidèles, ils sont affermis à jamais, ils sont le résultat de la vérité et de la droiture. " Ce n'est pas sans intention qu'il se sert du mot " tous, " s'il emploie cette expression, c'est qu'il veut peindre les commandements du Seigneur dans toute leur variété. Car, parmi ces commandements, on peut distinguer ceux auxquels obéissent la création, le soleil et la lune, la nuit et le jour, et les étoiles, et la terre et la nature, ceux qu'il a imposés dès l'origine à la nature, lorsqu'il forma le genre humain, et c'est de ceux-là que saint Paul dit : " Lorsque les Gentils qui n'ont pas la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi (Rom. II, 14), " et qu'il dit ailleurs : " Car je me plais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur. " (Rom. VII, 22.)

Il y a de ces commandements qui sont écrits. Et tous ces commandements subsistent. S'ils ont changé, ce n a pas été en mal, mais en mieux. Ce commandement : " Tu ne tueras point " n'a pas été supprimé, mais étendu; et cet autre : " Tu ne commettras pas l'adultère " n'a pas été effacé, mais affirmé avec plus d'énergie. C'est ce qui a fait dire au Sauveur : " Je ne suis point venu pour détruire la loi ou les prophètes, mais pour les compléter. " (Matth. V,17.) Car celui qui s'abstient de se mettre en colère, s'abstiendra encore plus du meurtre, et celui dont les regards ne sont pas impurs est encore plus éloigné de commettre l'adultère. Le caractère essentiel de la loi de Dieu c'est l'éternelle durée, qu'il s'agisse de la création, de la nature, de la sagesse ou du Nouveau Testament. Aussi le Christ a-t-il dit : " Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point (Matth.V, 17), " montrant par là qu'elles sont inébranlables. Car tout ce que le Seigneur veut faire subsister subsiste sans interruption et sans que rien en interrompe la durée. " Ils sont le résultat de la vérité et de la droiture. " Qu'entend le (125) Prophète par ces mots : " le résultat de la vérité et de la droiture? " Dans ces commandements, dit-il, il n'y a ni ambages, ni faux-fuyants, ni obscurité, il n'y arien qui témoigne de la partialité ou de la haine, tous ils n'ont qu'un but, notre utilité et notre avantage. Ce n'est pas comme les lois des hommes qui durent si peu, qui sont si peu claires et qui se ressentent tant de leur origine. Car parmi ces lois, combien sont l'oeuvre des passions humaines! C'est pour se venger de ses ennemis ou pour complaire à ses amis que le législateur les a composées. Il n'en est pas ainsi des lois de Dieu, elles sont plus claires que le soleil, elles n'ont en vue que l'intérêt de ceux à qui elles s'adressent, elles les conduisent à la vertu, à la vérité et non à ces mensonges, je veux parler de la richesse et de la grandeur qui ne sont que mensonges, tandis que les oeuvres de Dieu ne sont que vérité ; elles apprennent non à s'enrichir, non à se procurer les biens d'ici-bas, mais à jouir des biens que nous réserve l'autre vie. Elles ne nous parlent, ces lois, que de la réalité, que de la vérité, de la vérité pure. " Tous ses commandements sont fidèles. " Comment " fidèles ? " Ils sont stables, durables. Si on les transgresse, le châtiment suit la désobéissance et on ne peut y échapper, et si les hommes négligent de les faire observer, Dieu est là prêt à les venger. N'allez donc pas dire que les paroles de Dieu ne sont que des menaces exagérées à dessein. Jamais un législateur ne se contente de menaces, il veut aussi corriger. Si vous ne croyez pas fermement à ce que l'avenir nous destine, songez aux événements passés et qu'ils vous servent de leçon. Le déluge de Noé, l'incendie de Sodome, Pharaon et son armée engloutis sous les eaux, les Juifs exterminés, leurs captivités, leurs guerres, étaient-ce là de simples menaces ou des menaces suivies d'effet? Si ces événements, qui ne sont qu'une image affaiblie de ceux que recèle la vie future se sont accomplis de la sorte, que sera-ce plus tard ? La réalité sera d'autant plus terrible que les hommes auront montré plus de perversité en se livrant au péché après avoir été l'objet de tant de soins et d'une protection si efficace. "Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple (9). "

Selon l'histoire, le Prophète parle de la délivrance des Juifs, selon le sens anagogique de la délivrance de l'univers, sens confirmé par ce qui suit : " il a conclu avec lui une alliance éternelle. " Il s'agit ici du Nouveau Testament. Il fait mention de ses commandements et de sa loi, mais comme elle a été violée et qu'un tel acte doit exciter la colère du Seigneur, il dit " qu'il a envoyé la rédemption à son peuple, " ainsi que le Seigneur l'a dit lui-même : " Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. " (Jean, XII, 47.) Puisque la loi transgressée frappe le coupable d'un châtiment, " c'est la loi, " dit-il, " qui provoque le châtiment, car là où il n'y a pas de loi, on ne transgresse pas la loi. " (Rom. IV, 15.) Et ailleurs : " Tous ont péché, et sont devenus indignes de la gloire de Dieu, mais il les justifie par un effet de sa grâce. " (Ibid. III, 23, 24.) Voilà pourquoi le Prophète s'exprime en ces termes : " Il a envoyé la rédemption à son peuple. "

7. Cependant il ne se contente pas de nous envoyer la rédemption, mais après la rédemption, la loi reprend son cours, afin que par notre conduite nous nous montrions dignes de la grâce dont nous avons été l'objet. " Son nom est saint et terrible (10). " Le Prophète, à la vue des preuves éclatantes que Dieu a données de sa protection et de sa providence soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament, soit par ses oeuvres, soit par ses commandements, soit par ses prodiges, soit par ses miracles, est saisi d'enthousiasme : il admire la grandeur de Dieu , il le glorifie et chante un hymne en l'honneur de Celui qui a fait toutes ces choses. " Son nom est saint et terrible, " c'est-à-dire son nom commande l'étonnement et l'admiration. Si cela est vrai de son nom, combien plus de Dieu lui-même? Comment son nom est-il saint et terrible ? Les démons le redoutent , les maladies en ont peur, c'est à lui, c'est à ce même nom que les Apôtres ont dû leurs succès sur cette terre. C'est à ce nom que David eut recours comme à une arme au moment de combattre, et il terrassa l'étranger qui menaçait sa patrie; ce nom a fait réussir mille et mille entreprises, c'est sous les auspices de ce nom que nous sommes initiés aux mystères sacrés. Le Prophète, après avoir repassé en lui-même tous les prodiges accomplis par ce nom, tous les bienfaits que nous lui devons, ses triomphes sur ceux qui le reniaient, sa protection efficace assurée à ceux qui le respectaient, après avoir médité ces événements supérieurs aux lois de la nature, (126) supérieurs même aux méditations de l'intelligence humaine, le Prophète dit : "Son nom est saint et terrible. " Or s'il est saint,il exige de ceux qui veulent le célébrer dans leurs hymnes, une bouche sainte, une bouche sainte et pure.

" La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. La véritable intelligence est en ceux qui l'éprouvent (10). " Que signifie ce mot " commencement ? " C'est-à-dire que la crainte du Seigneur est la source, est la racine, est la basé de la sagesse. Après avoir parlé avec tant de pompe et de solennité du Maître de la terre et montré combien il était frappé de crainte et de respect, le Prophète en vient naturellement à prononcer les paroles que je viens de citer, pour nous prouver que celui qui craint le Seigneur est rempli de toute sagesse et possède la véritable intelligence. Ensuite, afin qu'on ne croie pas qu'il suffit pour être sage de connaître Dieu, il ajoute : " La véritable intelligence est en ceux qui l'éprouvent. " La foi ne suffit point, si notre conduite n'est d'accord avec elle. Comment se fait-il que la crainte du Seigneur soit le commencement de la sagesse ? C'est qu'elle chasse de notre coeur tous les vices pour mettre à la place toutes les vertus. Par sagesse, le Prophète n'entend pas la sagesse des paroles, mais celle des actions, car ceux-là même qui n'appartiennent pas à l'Eglise ont défini la sagesse, la distinction des choses divines et des choses humaines. Cette distinction, la crainte de Dieu nous apprend à la faire, en éloignant le vice de notre âme, en y faisant germer la vertu à la place, en nous préparant à faire fi des biens présents, en tournant nos regards vers le ciel. Quoi de plus sage qu'une âme ainsi préparée !

Dans ce passage, ce que veut le Prophète, ce n'est pas seulement un auditeur, mais un homme qui pratique. " La véritable intelligence est en ceux qui l'éprouvent, " c'est-à-dire ceux qui pratiquent la sagesse et qui le montrent par leurs actions, ceux-là ont la véritable intelligence. " La bonne et véritable intelligence, " dit-il, car il y a la fausse et mauvaise intelligence, comme lorsqu'il lit : " Ils sont sages pour faire le mal, mais ne savent pas faire le bien. " (Jérém. IV, 22.) Ce qu'il veut, c'est que l'intelligence soit mise au service de la vertu.

" Sa louange subsiste dans les siècles des siècles. " En quoi consiste cette louange , dites-moi ? Elle consiste dans nos actions de grâces, dans sa glorification , glorification éternelle qui procède de ses oeuvres et qui même les précède, et qui est un de ses attributs essentiels. Car Dieu est éternel, et par lui-même infiniment louable, il est louable quand on considère sa grandeur et toutes ses autres qualités, il est louable aussi à cause de ses oeuvres, quand on sait distinguer sa sagesse dans le spectacle de la création. Si le Prophète parle ainsi, c'est pour nous exhorter à rendre à Dieu des actions de grâces, et pour nous montrer qu'ils sont indignes de tout pardon, même de ce pardon banal que l'on prodigue à toutes sortes de fautes, ceux qui murmurent contre ce qu'il fait. En effet, puisqu'il est si évident, si clair, si manifeste qu'il a droit à nos louanges, à nos actions de grâces et à nos hommages, puisque sa gloire est assise sur des fondements tellement solides, tellement inébranlables, qu'elle défie les atteintes de la mort et qu'elle ne connaît ni limites, ni fin, ne pouvons-nous pas dire de ceux qui osent blasphémer contre elle, qu'ils nient ce qui est plus évident que le soleil, et qu'ils se rendent volontairement aveugles. Car la gloire de Dieu n'est pas une gloire passagère qui puisse excuser leur ignorance, elle n'est ni douteuse, ni obscure : non, non, elle est manifeste, elle est durable, elle est immortelle et reste toujours immortelle, et n'aura jamais de fin.

Traduit par M. A. BOUCHERIE

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME CXI. 1. " HEUREUX L'HOMME QUI CRAINT LE SEIGNEUR. "

ANALYSE.

1. De l'amour pour les commandements de Dieu.

2. Bonheur du juste, même ici-bas.

3. La justice de Dieu. preuve de l'antre vie.

4. En quel sens il est écrit que le Juste ne sera pas ébranlé.

5. Fondement de la constance du Juste. Que l'aumône est un placement.

6. Condition terrestre du méchant opposée à celle de l'homme juste et charitable.

1. Le début de ce psaume me paraît se rattacher étroitement à la fin du précédent, de sorte que ces deux psaumes forment pour ainsi dire un seul corps et une suite non interrompue. Le Psalmiste dit dans le précédent: " La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. " Il dit ici: " Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur; " les mots sont différents, mais le sens reste le même c'est toujours un avertissement de craindre le Seigneur. Là, il donne à celui qui le craint le nom de sage: ici il l'appelle heureux : tel est le vrai bonheur, tandis que tout le reste n'est que vanité , ombres, futilités: tant les richesses que la puissance , tant la beauté que l'argent. On dirait des feuilles qui tombent, des ombres qui passent, des songes qui s'envolent. C'est dans la crainte de Dieu que consiste la vraie félicité. Puis attendu que les démons aussi craignent Dieu et le redoutent, le Psalmiste nous avertit de ne pas croire que cela suffise pour le salut, en faisant ici ce qu'il a fait plus haut. Après ces mots: " La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, " venaient les suivants: " Tous ceux qui agissent conformément à cette crainte sont remplis d'une intelligence salutaire; " c'est-à-dire pratique après la croyance: de même ici, après avoir parlé de la crainte , il montre qu'il ne s'agit pas seulement de la crainte qui vient à la connaissance, laquelle existe même chez les démons, en ajoutant ces paroles: " Et qui a une grande affection pour ses commandements. " Par là il exige une conduite parfaite et une âme éprise de la sagesse. Il ne dit pas: Qui accomplira ses commandements, mais : qui a de l'affection pour ses commandement c'est-à-dire qu'il réclame quelque chose de plus. Quoi donc? C'est de les accomplir avec empressement, avec zèle, d'être passionnés pour eux, de les exécuter ponctuellement : de les aimer, non pas en vue de la récompense promise à ceux qui s'y conforment, mais en vue de Celui qui les a promulgués; de (128) pratiquer la vertu avec délices, et non par crainte de l'enfer ni des châtiments qui menacent le vice, non dans l'espérance du royaume promis, mais pour l'amour du législateur. Il en est de même ailleurs encore. Le Psalmiste dit, pour exprimer la joie que lui causent les préceptes divins: " Que vos paroles sont douces à mon gosier ! elles sont au-dessus du miel pour ma bouche. " (Ps. CXVIII, 103.) Paul demande la même chose sous cette forme énigmatique : " Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'iniquité pour l'iniquité, ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification. " (Rom. VI, 19.)

C'est-à-dire mettez à rechercher la vertu tout l'empressement, toute l'ardeur que vous avez déployée dans la poursuite du vice, laquelle ne vous promettait pourtant, au lieu de couronnes, que des châtiments et des supplices. Néanmoins il prétend encore garder dans sa demande une juste mesure. Car il a soin de dire préalablement: "Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair, " faisant voir par là qu'il ne faut pas manifester moins de passion pour la vertu qu'on n'en manifeste généralement pour le vice; c'est comme s'il disait: quelle pourrait être l'excuse de ceux qui ne montreraient pas une vertu égale à leur iniquité passée, qui n'auraient pas même pour la vertu l'empressement qu'ils ont eu pour le vice ? Voilà pourquoi notre prophète a dit : " Qui a une grande affection pour ses commandements. " En effet l'homme qui craint Dieu comme il faut, accueillir ses ordres avec beaucoup d'empressement. L'amour qu'il a pour le maître lui fait aimer la loi , quelque rigoureuse qu'elle puisse paraître. Et que personne ne me fasse un crime d'employer ici cet exemple de l'amour. Paul lui-même s'en est servi en disant: " Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté, ainsi faites-les servir à la justice. " L'homme épris d'une courtisane, même insulté, injurié, battu, déshonoré, même chassé de sa patrie, exclu de l'héritage paternel et du coeur de son père , même en butte à des épreuves encore plus redoutables, endure tout avec délices par un effet de son amour déréglé.

Eh bien ! si l'on trouve du plaisir dans de telles humiliations, comment ne recevrait-on pas avec délices les ordres de Dieu, ces ordres salutaires et glorieux , qui nous inspirent la sagesse et améliorent. notre âme? Comment y trouverait-on quelque chose de rigoureux? Ce qui fait cette apparente rigueur, ce n'est point la nature même des préceptes , mais bien la tiédeur du vulgaire. Qu'on les reçoive au contraire avec ferveur,. on les trouvera commodes et légers. Aussi le Christ disait-il: " Mon joug est aimable, et mon fardeau est léger. " (Matth. XI, 30.) Et vous allez vous convaincre qu'en effet il en est comme je dis, que c'est la tiédeur du vulgaire qui lui rend pénibles des choses aisées, tandis que la ferveur facilite les plus pénibles. Quand les Juifs avaient la manne pour nourriture , ils se plaignaient, ils souhaitaient la mort: Paul au contraire, en proie à la faim, se réjouissait et tressaillait d'allégresse. Les Juifs disaient: " Notre vie est languissante à cause de la manne. " (Num. XI, 6.) " Nous avez-vous fait sortir pour nous tuer parce qu'il n'y avait pas de sépulcres en Egypte? " (Exod. XIV, 11.) Mais voici comment parlait Paul : " Je me réjouis dans mes souffrances, et accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ. " Dans quelles souffrances? La faim, la soif, la nudité et toutes les misères. " Qui a une grande affection pour ses commandements. " Comment cela peut-il se faire? Par une crainte parfaite et un parfait amour de Dieu; par une considération attentive de ce qu'est la vertu: avant d'être couronnée, elle trouve en elle-même sa récompense. Quand vous fuyez l'adultère , l'homicide, songez quel bonheur ce sera pour vous de n'être point condamné par votre conscience, de n'avoir point à rougir devant les autres, de pouvoir jeter sur tout le inonde des regards assurés. Il n'en est pas ainsi de l'adultère : tout le fait frémir et trembler , il redoute jusqu'aux ombres.

2. L'avare, l'envieux, subiront un châtiment pareil. Ce sera tout le contraire pour celui qui sera demeuré exempt de ces vices. "Sa postérité sera puissante sur la terre (2). " Par ce mot de postérité l’Ecriture désigne souvent non la succession par voie de génération, mais une transmission de vertu. — Aussi Paul expliquant la parole " je te donnerai cette terre à toi et à ta postérité, " disait-il " tous ceux qui sont issus d'Israël ne sont pas Israël, et ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas tous ses enfants: mais c'est en Isaac que sera ta postérité. " (Rom. IX, 6-7.) Ailleurs il dit: " Dans ta race seront bénies (129) toutes les nations. " (Gal. III, 8.) Qu'il ne s'agit pas ici des Juifs, c'est ce que les faits montrent clairement ; ces hommes chargés de malédictions, comment auraient-ils pu procurer des bénédictions à d'autres? Il est question de l'Église, qui joue ici le rôle de postérité comme ayant hérité de la foi. Tels sont les hommes vertueux ; tels sont les enfant, des hommes qui craignent Dieu. " Sa postérité sera puissante sur la terre. "

Pourquoi ce mot " sur la terre. " Pour montrer qu'il en sera ainsi même avant qu'ils partent d'ici-bas, avant qu'ils fassent l'expérience des biens d'en-haut. Car, ainsi que je l'ai dit précédemment, la vertu trouve sa récompense en elle-même, avant d'avoir obtenu sa couronne. Que l'homme dont nous parlons a une postérité puissante, due celui qui a la vertu pour rempart est plus fort que qui que ce soit, les apôtres l'enseignent, les prophètes le montrent. Et le Seigneur fait entendre la même chose en disant: " Quiconque entend mes paroles et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est descendue et les fleuves ont débordé, et les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, elle n'a pas été renversée, parce qu'elle était fondée sur la pierre. " (Matth. VII, 24-25). Combien de peuples ameutés, de tyrans furieux , combien d'épées, de lances, de traits, de fournaises, d'animaux dévorants, combien de précipices, de mers, combien de complots, de dénonciations, de fourberies n'eurent point à affronter les apôtres : néanmoins rien ne les ébranla, ils furent supérieurs à tout; leur essor les éleva au-dessus de la portée des flèches; ils réussirent même à attirer dans leurs rands ceux qui conspiraient leur perte. En effet, rien n'égale le pouvoir de la vertu ; ni la pierre n'en a la solidité, ni le bronze, la force: le vice, au contraire, est ce qu'il y a de plus vil et de plus faible au monde, quelle que puisse être l'opulence qui l'environne, et l'étendue de son pouvoir apparent. Que si telle est déjà leur force ici-bas, jugez quelle sera dans les cieux la puissance de ces justes. " La génération des hommes droits sera bénie. " La voyez-vous resplendir , trouver de toutes parts des hérauts, des panégyristes, des admirateurs? Et cela, non parmi les premiers venus, mais chez les hommes intelligents. Car pour ceux qui rampent à terre, ils ne sauraient comprendre ses mérites. Ceux qui la loueront, l'admireront, la célébreront principalement , ce seront ceux qui auront conservé un esprit sain. — Réfléchissez à ce que doit être un bien dont la possession vous rend l'égal des anges, des apôtres, des -rands hommes que l'on admire : en effet, si tels doivent être ceux qui le célèbrent, on petit juger par lit de ce qu'il est lui-même. " Gloire et richesse sont dans sa maison. " Voilà qu'il passe encore des choses sensibles à celles que l'intelligence peut seule apercevoir. Car l'Écriture appelle richesse la richesse qui consiste dans les bonnes oeuvres, lorsqu'elle dit par exemple : " Faire le bien. être riche de bonnes actions. " (I Tim. VI, 18. ) Telle est en effet la vraie richesse ; l'autre n'est qu'un vain nom sans réalité.

Toutefois, si c'est la richesse matérielle qu'on veut voir ici, nous ne serons pas pour cela réduits au silence. Qui fut jamais plus riche, même d'argent, que les apôtres chez qui les biens affluaient comme à torrents ? Tous ceux qui étaient possesseurs de terres ou de maisons les vendaient et en apportaient le prix qu'ils déposaient aux pieds des apôtres. Voyez-vous quelle opulence? les biens de tous étaient à eux, sans qu'ils eussent pour leur part aucun souci : ils en étaient les intendants plutôt que les maîtres. Ceux qui possédaient une propriété y renonçaient pour l'offrir aux apôtres : ils se chargeaient eux-mêmes de la vendre, d'en faire de l'argent, et leur laissaient pleins pouvoirs pour la distribution. De là ces mots de Paul : " Comme n'ayant rien et possédant tout. " (II Cor. VI, 10.) Ce qu'il y a d'admirable,c'est qu'au sein d'une pareille opulence, ils n'étaient point les esclaves de leurs trésors tant de biens n'avaient pas le pouvoir de les asservir. Voilà justement la richesse par excellence, celle qui consiste à n'avoir pas besoin de richesse. " Gloire et richesse sont dans sa " maison. " Il n'est plus besoin d'explication sur ce point. Leur gloire leur venait de Dieu. Car la gloire aussi les suivait selon la divine parole : " Cherchez le royaume de Dieu , et toutes ces choses vous seront données par surcroît. " ( Matth. VI, 33.) Qui jamais inspira plus de respect? On les accueillait comme des anges du Seigneur, on leur apportait des trésors qu on déposait à leurs pieds. Ils étaient plus illustres que ceux dont le front est ceint du diadème. Quel roi marcha jamais au milieu d'une pompe semblable à celle qui (130) accompagnait Paul, partout admiré quand il parlait, quand il ressuscitait les morts, guérissait les malades, mettait les démons en fuite, et cela par le simple contact de ses vêtements? Il faisait de la terre un autre ciel, et amenait tous les hommes à la vertu.

3. S'il en est ainsi sur la terre, songez à la gloire qui attend les mêmes hommes dans les cieux. Qu'est-ce à dire : " Dans sa maison ? " C'est-à-dire avec lui. Quant aux richesses mondaines, elles ne sont pas, à vrai dire, avec celui qui les possède, puisque la possession n'en est jamais assurée : elles sont entre les mains des sycophantes, des flatteurs des magistrats, des esclaves de la maison : voilà pourquoi on les répand de tous côtés, comme si l'on craignait de les garder chez soi : de là tant de surveillance, de précautions parfaitement inutiles, puisqu'il n'est pas de sentinelle qui puisse empêcher la fuite de pareils trésors. " Et sa justice subsiste dans les siècles des siècles. " Un autre traduit : " Et sa miséricorde subsiste dans les siècles des siècles. " Ou il parle ici de la vertu en général, ou, spécialement, de la vertu opposée à l'injustice ; ou encore, si l'on adopte l'autre interprétation, par miséricorde il faut entendre la bonté. Telle est la puissance de la miséricorde . c'est une chose immortelle, impérissable, quine saurait jamais s'éteindre. Toutes les choses humaines sont emportées par le temps : seul, le fruit de la miséricorde subsiste éternellement sans se flétrir : et il n'est pas de conjoncture fâcheuse qui puisse en avoir raison. En vain le corps se dissout, elle lui survit; elle part avant nous pour nous préparer ces gîtes dont parle le Christ en disant : " Dans la maison de mon Père j'ai des gîtes nombreux. " (Jean, XIV, 2.) De sorte qu'en cela encore elle domine de beaucoup les choses humaines, qui sont loin d'avoir la même perpétuité. Nommerez-vous la beauté? la maladie la flétrit, la vieillesse la consume. La puissance ? elle passe de main en main. La richesse, ou tout autre des avantages qui brillent d'un vif éclat dans la vie présente ? ou ils nous quittent de notre vivant, . ou ils nous abandonnent à l'instant de la mort. Il n'en est pas ainsi da fruit de la justice : le temps ne l'altère point, la mort ne le détruit pas; au contraire, il n'est jamais si bien en sûreté qu'une fois à l'abri dans ce port tranquille.

" La lumière s'est levée dans les ténèbres pour les hommes droits (4). " Voulant décrire la félicité de l'homme qui craint. Dieu, le Psalmiste énumère jusqu'aux avantages qu'il recueille dans cette vie : par exemple, en disant que ses biens sont impérissables, qu'il jouira de la gloire, qu'il sera supérieur à tous, qu'il verra résister à toutes les attaques ceux qui lui ressemblent par leur vertu et deviennent, à ce titre, ses enfants , qu'au milieu des plus grands embarras, il jouira d'une sécurité parfaite. Voilà ce qui signifie : " La lumière s'est levée dans les ténèbres pour les hommes droits. " Dieu fera briller la lumière au milieu de l'obscurité en faveur des hommes ainsi disposés, de ceux qui marchent droit. Qu'est-ce à dire dans les ténèbres ? Cela signifie que même dans les tribulations, la détresse, les tentations, Dieu les comblera subitement de joie. — C'est ce que Paul indique en disant : " Je ne veux pas que vous ignoriez, touchant la tribulation qui nous est survenue en Asie, que le poids en a été excessif et au-dessus de nos forces , au point que nous étions las de vivre. " Voilà les ténèbres. " Mais nous, nous avons reçu en nous-mêmes l'arrêt de la mort, afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts, qui nous a délivrés de si grands périls. " (II Cor. C, 8-10 .) Voyez-vous la lumière qui se lève ? Vous pouvez observer la même chose au sujet des trois enfants. Ils s'attendaient à être brûlés , et une rosée pure tomba sur eux. De même pour Daniel et les autres prophètes. Que si quelqu'un veut voir ici une autre figure, il la trouvera justifiée par ce qui s'est passé dans le monde. Les ténèbres couvraient la terre et l'océan, l’erreur était partout répandue : alors, d'en-bas se leva le Soleil de la justice. En effet, comme les hommes d'alors, oubliant le ciel, cherchaient Dieu sur la terre, c'est là qu'il leur apparut dans sa condescendance pour leur faiblesse, afin de les élever aux sublimes hauteurs.

" Le Seigneur Dieu est miséricordieux, compatissant et juste. " Il vient de dire que " la "justice de Dieu subsiste, " afin de nous consoler. Mais comme parmi les hommes miséricordieux et ceux dont la vie est droite, il en est beaucoup dont le sort ne répond pas à leur mérite, il ajoute ensuite cette autre consolation : " Le Seigneur est miséricordieux, compatissant et juste; " d'où l'on peut tirer une (131) double conclusion. En effet, si le Seigneur est miséricordieux, s'il accorde souvent aux pécheurs leur pardon, à plus forte raison ne souffrira-t-il pas que les justes s'en aillent sans couronne. Que s'il ne leur donne pas ici-bas leur récompense, il le fera certainement là-haut. Il ajoute " et juste " : s'il est juste, comme il l'est en réalité, il rendra à chacun selon ses oeuvres, quand bien même cette rétribution n'aurait pas lieu en ce monde: et c'est même la plus forte preuve que nous ayons de la résurrection. En effet, lorsque tant d'hommes de bien ont eu à endurer mille maux, lorsque tant de pervers ont vécu dans une complète impunité, que deviendrait cette justice promise à chacun sans une résurrection, sans une autre vie, un jugement, une rétribution? Ensuite, après avoir effrayé son auditeur par cette mention de la justice, lui avoir inspiré la crainte de voir ses péchés soumis à une enquête, il se hâte d'adoucir cette crainte, en ajoutant: " L'homme qui est sensible à la compassion et qui prête est bon: il réglera ses discours au jugement (5). "

4. Voyez quelles palmes il promet à l'homme charitable: le fruit de sa bonté est éternel ; les tentations ne l'assiégeront pas; il imitera Dieu qui est lui-même un Dieu de miséricorde : il recevra le pardon de ses péchés. Car c'est ce que signifie " il réglera ses discours au juge" ment. " C'est-à-dire il trouvera un avocat, il aura les moyens de se défendre. Il ne sera point frappé de condamnation, grâce à la miséricorde qui plaidera éloquemment pour lui. Un autre interprète dit: " Réglant ses affaires avec jugement. " Cela veut dire qu'il jouira d'une félicité parfaite, qu'il ne fera aucune entreprise coupable : tant sa conduite sera habile. — Tout au contraire l'homme cruel, inhumain, sans miséricorde, est tout à fait incapable de diriger ses affaires. En effet, quoi de plus triste que d'épargner son argent, quand on voit son âme en péril, et de ne pas songer à celle-ci ? Voilà pourquoi le Christ a loué cet intendant qui, se voyant en danger, diminua des créances. — Eh bien ! si lorsqu'il s'agit de la vie présente, on peut abandonner tous ses biens pour se racheter du péril, quand on est menacé du châtiment éternel, comment ne serait-il pas absurde de ne point recourir à la même précaution ? Voilà pourquoi le Psalmiste appelle bande économe l'homme compatissant qui donne peu pour avoir beaucoup, de l'argent pour avoir le ciel, qui sacrifie un vêtement pour obtenir un royaume, un pain et de l'eau fraîche, afin de participer aux biens de la vie future. En effet, conçoit-on une administration plus intelligente que celle qui abandonne des biens périssables, fugitifs, éphémères, pour entrer en possession d'impérissables trésors, et. par le même moyen, de la sécurité dans la vie présente ? De là ces paroles : " Il réglera ses discours au jugement; " ou suivant l'autre interprétation: " Réglant ses actions avec jugement. " De quel jugement est-il ici question ? Est-ce du jugement dernier ? Ou bien cela veut-il dire qu'il arrangera bien ses affaires, que nul désordre ne s'y fera remarquer, que chaque chose sera à sa place, que tout marchera en bon ordre et avec méthode, sans confusion, sans embarras, grâce au secours fourni par la miséricorde ? C'est ce qu'indique plus clairement le second interprète, en disant: " Réglant ses actions avec jugement. " En effet, c'est l'homme miséricordieux qui règle ainsi ses affaires ; tandis que l'autre est incapable d'administrer, de faire fortune. "Parce qu'il ne sera jamais ébranlé (6). " Que peut-on comparer à l'administration d'un homme qui trouve un pareil moyen de se mettre à l'abri des dangers imprévus, d'échapper aux orages de la vie, de se dérober à toutes les chances ordinaires de la condition humaine, ou, s'il y reste en butte, de ne pas y succomber ? Ce qu'il y a d'étonnant, en effet, c'est que l'assaut des tentations ne puisse l'abattre ni l'ébranler. Mais quoi ? N'a-t-on pas vu beaucoup d'hommes compatissants servir de jouets a la tempête ? Jamais. Ces hommes ont pu devenir pauvres, tomber au dernier degré de l'indigence, être précipités dans l'infortune : néanmoins ils n'ont pas succombé, parce qu'ils se sont rappelé leurs actions, parce qu'ils ont su attirer sur eux la protection et la faveur divines, parce qu'ils ont su trouver dans leur bonne conscience une ancre forte et assurée. Aussi le Psalmiste ne dit-il point qu'ils ne seront pas attaqués, mais bien qu'ils ne seront pas ébranlés. C'est ainsi que le Christ, en parlant de l'homme qui bâtit sur la pierre, ne dit pas qu'il ne sera point assailli par la tempête, mais seulement que les efforts mêmes de la tempête seront impuissants contre lui. Et ce qu'il y a justement d'admirable, c'est que sa sécurité, au lieu d'être due uniquement à l'absence de tentations, subsiste (132) invariablement au fort des artifices dirigés contre lui. Il est impossible qu'une âme riche de miséricorde soit jamais submergée par l'infortune. " La mémoire du juste sera éternelle (7). " — Voyez comment ce n'est pas durant sa vie seule, mais après sa mort même, qu'il instruit, qu'il catéchise les hommes. Comment donc pourrait-il jamais être à plaindre de son vivant, celui qui restera même après sa mort un maître de contentement pour autrui? C'est comme une preuve mise ici-bas sous les yeux des plus incrédules, qu'une récompense éternelle l'attend dans les cieux : son corps est déjà enseveli et confié à la terre, que son nom vole de bouche en bouche.

Tel est le pouvoir de la vertu. Le temps ne prévaut point sur elle; le nombre des jours ne saurait la flétrir. Ce privilège lui est accordé en vue du salut des méchants. Car les justes n'ont pas besoin de nos louanges : mais ces louanges sont nécessaires à ceux gui vivent dans l'iniquité afin que la renommée des bonnes oeuvres d'autrui les rendent plus sages et les guérissent de leur perversité. Où sont donc ces hommes qui élèvent des tombeaux magnifiques, et font sortir de terre de superbes monuments ? Qu'ils viennent apprendre le moyen d'immortaliser une mémoire. Ce ne sont point des constructions de pierre, des enceintes de murs, des tours : c'est le spectacle d'une vie de bonnes oeuvres. Le Psalmiste parle ici pour ces incrédules déterminés qui ne se préoccupent point de l'avenir: il parle des choses présentes, des choses sensibles pour les attirer vers les choses futures: avant tout, il montre que la vertu, comme je l'ai répété souvent, trouve en elle-même sa récompense, avant d'obtenir la palme qui lui est promise. " Une mauvaise nouvelle ne l'effrayera pas." — De même que plus haut il ne disait pas que cet homme ne serait point attaqué, mais qu'il ne serait pas ébranlé par les attaques: de même en cet endroit il ne dit pasque nulle mauvaise nouvelle n'arrivera jusqu'à ses oreilles, mais qu'aucune ne sera capable de l'effrayer.

5. Et d'où lui viendra cette sécurité? C'est en vain qu'il voit la guerre déchaînée, des villes renversées par des tremblements de terre, des pirates, des brigands livrer tout au pillage, des barbares envahir son pays, la maladie mettre ses jours en péril, la colère d'un juge menacer sa tète, que sais-je encore? il ne craint rien. C'est qu'il a eu soin de mettre

à l'avance ses biens en dépôt dans un inviolable asile : loin de trembler aux approches de la mort, il se hâte au contraire de partir pour le pays où il doit trouver son bénéfice. Car " où est le trésor de l'homme, là est son coeur. " (Matth. VI, 21.) Si des trafiquants, pour peu qu'ils aient envoyé dans leur pays quelques marchandises vénales, n'ont pas de repos qu'ils n'aient revu leur trésor : à plus forte raison notre juste, qui a mis en dépôt dans les cieux toutes ses épargnes, sera-t-il pressé de rompre tous les liens qui l'attachent à la terre pour s'élancer dans la vie future. Aussi rien n'est-il capable de l'effrayer. " Son coeur est préparé à espérer dans le Seigneur. " D'après un autre : " Son cœur est inébranlable, " c'est à dire la même chose en expliquant le mot " préparé. " Voici ce qu'il veut dire : rien n'est, capable de l'ébranler, ni de l'attacher aux choses d'ici-bas. Il est constamment et tout entier élevé vers Dieu voilà son espérance, l'attente dans laquelle il persévère invariablement, sans se laisser amollir ni distraire par aucune des choses d'ici-bas. Car tel est l'effet des soucis intéressés; ils partagent et dérangent l'esprit. Il faut donc redire cette maxime évangélique : " Où est le trésor de l'homme, là est son coeur. Son coeur est fixé, il ne sera point ébranlé (8). " Reconnaissez-vous l'homme quia bâti sa maison sur la pierre? Que pourrait craindre un homme nu et alerte qui ne donne prise d'aucun côté? que pourrait craindre celui que Dieu protège et favorise? Il est assuré de deux côtés, là-haut par la grâce de Dieu, ici-bas parla tranquillité de son âme; et rien ne peut l'ébranler, ni pertes d'argent, ni persécutions, ni calomnies. Il échappe à toutes les atteintes parce qu'il a quitté la terre pour chercher un abri dans les cieux, dans cet asile inaccessible à tous les complots des méchants. Car vous n'ignorez pas que tous ces complots ont pour cause et pour objet l'argent, que c'est l'argent qui excite tout l'empressement des hommes. " Jusqu'à ce qu'il méprise ses ennemis. " Qui sont-ils, ces ennemis, sinon les méchants démons, et le diable lui-même? — " Il a dissipé, il a donné aux pauvres : sa justice demeure éternellement (9). "

Il a parlé de l'aumône, de prêt, de miséricorde : mais il y a bien des degrés dans l'aumône : l'un donne moins, l'autre davantage; voyons quel homme charitable il a en vue, (133) celui qui retranche de son superflu pour donner, ou celui qui épuise ses ressources. Il est clair que c'est celui qui épuise ses ressources, celui qui n'épargne rien pour son oeuvre. C'est ce que Paul demande, lorsqu'il dit : " Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions. " (II Cor. IX, 6.) Voyez la justesse des termes employés par le Prophète. Il ne dit pas, a distribué, a répandu, mais " a dissipé, " indiquant par là en même temps et la prodigalité de celui qui donne, et le rapport de son oeuvre avec l'action de semer. Les semeurs pareillement dissipent ce qu'ils ont en réserve, et sacrifient un bien présent pour un bénéfice futur. Cela vaut mieux que d'amasser : on gagne moins à entasser qu'à prodiguer -de la sorte.. On dissipe de l'argent et on récolte de la justice; on dissipe des biens qui passent afin de se procurer les biens qui durent : ainsi font les cultivateurs. Seulement, les cultivateurs travaillent pour un profit incertain, car c'est la terre qui reçoit leurs graines : vous, au contraire, vous semez dans la main de Dieu, de façon que vous ne sauriez rien perdre. Ainsi quand vous trouverez que l'or est une belle chose, et que vous hésiterez à vous en défaire, songez aux semeurs, songez aux prêteurs, songez aux marchands, qui tous commencent par faire des frais et des dépenses; et encore leur placement est-il chanceux, car les flots, le sein de la terre, les créances, tout cela est incertain. — Il arrive souvent que celui qui a prêté perd jusqu'à son capital : mais celui qui ensemence le ciel n'a rien à craindre de semblable; il peut être rassuré et sur son capital et sur ses intérêts, s'il est permis d'appeler de ce nom ce qui dépasse le capital de beaucoup. Car le capital, c'est l'argent; les intérêts ici, c'est le royaume des cieux. Voyez-vous ce placement qui rapporte des intérêts supérieurs au capital? Voilà pour l'avenir; quant au présent, vous y jouirez d'une liberté complète. Vous serez à l'abri des complots; vous éteindrez la convoitise des sycophantes et des fourbes; vous passerez votre vie entière dans la sécurité; car, au lieu d'être torturé par les soucis au sujet de vos biens actuels , l'espérance vous donnera des ailes pour vous élever jusqu'aux choses futures. " Sa gloire sera exaltée. " Il revient souvent sur cette idée si chère aux hommes, de la gloire et des honneurs : la gloire attend les justes là-haut; et ici-bas même elle leur sera libéralement octroyée. Car il n'y a personne d'aussi glorieux, d'aussi illustre, que l'homme miséricordieux.

6. Considérez, si vous le voulez, ceux qui prodiguent inutilement leur argent dans les théâtres et les hyppodromes; amenez au milieu d'eux celui qui fait l'aumône, et vous verrez alors ce que rapportent à chacun ses dépenses. L'homme charitable, on ne cesse de lui applaudir unanimement, de l'admirer, de voir en lui un père commun, un refuge ouvert à tous; l'autre, quand on lui a prodigué pendant un jour des applaudissements excessifs et tumultueux, on le décrie ensuite comme un homme sans coeur, sans humanité, un vaniteux, un instrument de libertinage, un ministre de corruption. Dans les entretiens qui peuvent avoir lieu à ce sujet, on flétrit, on condamne les dépenses de l'un ; l'autre, au contraire, il n'est pas d'homme assez impudent, assez pervers, assez inhumain, pour lui marchander ses éloges et son admiration. C'est en effet le propre de la vertu que d'obtenir les hommages de ceux mêmes qui ne la pratiquent pas ; tandis que le vice est un objet d'horreur et de blâme, même pour ceux qui s'y adonnent. D'où il suit que ceux qui prodiguent leur argent en folles dépenses ne reçoivent pas même les éloges de ceux qu'ils enrichissent comme les prostituées, les conducteurs de chars, les danseurs, et sont même décriés par eux; l'homme charitable, au contraire, est célébré non-seulement par les pauvres qu'il secourt, mais encore par ceux mêmes qui ne profitent point de ses largesses. Tous l'admirent et l'ont en affection. " Le pécheur le verra, et il en sera irrité; il grincera des dents et séchera de dépit (10). " La vertu est, en effet, une chose incommode et importune au vice. De même que le feu consume les ronces, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains: ils y voient, en effet, comme un reproche, un blâme à l'adresse de leur méchanceté. Mais considérez comment jusqu'au milieu du dépit qui le ronge, le pécheur n'ose rétorquer l'accusation ni regarder en face le visage serein de la vertu; comment, dans la douleur qui dévore son âme et se manifeste au dehors par des grincements de dents, il n'ose élever la voix, et reste en proie. à une torture secrète.

Voilà ce que c'est que le, vice : même sur les degrés du trône, même aux côtés de ceux (134) qui portent le diadème, il reste ce qu'il y a au monde de plus faible et de plus vil : quelles que soient les apparences de pouvoir dont il est revêtu, ce n'est jamais que trouble, qu'orage, que tempêtes; tandis que c'est tout le contraire pour la vertu. Jusque dans l'extrême dénuement, jusque dans les cachots, elle efface l'éclat de la pourpre, elle jouit d'une sécurité parfaite, elle échappe aux orages comme dans l'abri d'un port paisible, non-seulement garantie contre les atteintes des méchants, mais capable encore de se venger d'eux dans son silence même, et de leur faire expier cruellement leur perversité. En effet, quoi de plus malheureux qu'un homme vicieux qui, esclave de l'argent, est en outre tourmenté par le spectacle des bonnes oeuvres d'autrui, qui trouve son châtiment dans la bonne renommée du prochain, qui se punit lui-même, en déchirant sa conscience, en tourmentant son coeur, en jouant vis-à-vis de lui-même le rôle de bourreau i Voyez-vous quel est le pouvoir incomparable de la vertu? Voyez-vous la faiblesse et la misère du vice? Et ce n'est pas seulement en cela que réside son infortune : on pourrait en citer bien d'autres marques. C'est ce que le Psalmiste lui-même indique en ajoutant : " Le désir des pécheurs périra. " Qu'est-ce à dire : " Le désir des pécheurs périra? " Cela signifie qu'il ne trouve pas où se fixer. En effet, comme les objets de ce désir sont fugitifs et périssables, le désir lui-même leur emprunte cette inconstance : il s'éteint, il meurt, il ne prend racine nulle part. Mais si telle est ici-bas la condition des pécheurs, songez à la destinée qui les attend dans la vie future. Afin d'échapper à un pareil sort, fuyons leurs traces; entrons et marchons résolument dans cette autre voie sûre, heureuse, glorieuse, qui nous conduit au ciel, qui nous assure en toutes choses la protection divine, qui nous prépare à la sagesse, et nous procure des biens si nombreux que la parole aurait peine à en faire le compte. Puissions-nous tous les obtenir, ces biens, par la grâce et la bonté, etc.