OEUVRES COMPLÈTES
DE
SAINT BERNARD

TRADUCTION PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER

VIVÈS, PARIS 1866

 

 

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

 

 

 

 

SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX

 

 

 

 

Temps de Noel

 

 

 

 

OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT BERNARD *

SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX *

VEILLE DE NOËL *

PREMIER SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Sur ces paroles du martyrologe : Jésus-Christ, fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda (*). *

SECOND SERMON POUR LA VEILLE DE NOEL. Sur ces paroles : " O Juda! et vous Jérusalem, ne craignez point, demain vous sortirez, et le Seigneur sera avec vous (II Paral. XX, 17). " *

TROISIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Sur ces paroles : " Et vous verrez demain matin éclater la gloire du Seigneur, car vous saurez que le Seigneur va venir aujourd'hui même. (Exod. XVI, 7). " *

QUATRIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Le remède se trouve dans la main gauche du Très-Haut, et sa droite est pleine de délices. *

CINQUIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. *

SIXIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. *

JOUR DE NOËL *

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Les fontaines du Sauveur. *

DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE NOEL. Les trois principales œuvres de Dieu et ses trois mélanges. *

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL, Sur le lieu, le temps et les autres circonstances de la naissance de notre Seigneur. *

QUATRIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Les bergers trouvèrent Marie, Joseph et l'enfant : celui-ci était placé dans une crêche. *

CINQUIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Sur ces paroles de l'Apôtre : "Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans tous nos maux (II Cor. I, 3 et 4). " *

LES SAINTS INNOCENTS *

SERMON UNIQUE POUR LE JOUR DES SAINTS INNOCENTS. Sur les quatre fêtes successives de Noël, de Saint Etienne, de Saint Jean et des saints Innocents. *

CIRCONCISION *

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur ce passage de l'Evangile : " Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus (Luc. II, 21). " *

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE- *

SEIGNEUR. Sur les différents noms de Notre-Seigneur. *

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE SEIGNEUR. Sur le huitième jour. *

ÉPIPHANIE *

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur ces paroles de l'Apôtre : " La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans le monde (Tit. III, 4) : " et sur les trois apparitions de Jésus-Christ. *

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur les Mages, à l'occasion de ce passage du Cantique des cantiques " *

Sortez de vos demeures, filles de Sion, et voyez le roi Salomon (Cant. III, 10). " *

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE SEIGNEUR. Sur ce passage de l’Évangile : " Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ( Matt. II, 2) ? " *

SERMON UNIQUE POUR LE JOUR DE L'OCTAVE DE L'ÉPIPHANIE. Sur la circoncision, sur le baptême et sur ces paroles de Notre-Seigneur à saint Jean ; " C’est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice (Matt. III, 15). *

PREMIER SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS *

L'OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE. Sur le miracle de Cana et sur ces paroles de Notre-Seigneur : "Et vous, soyez semblables à ceux qui attendent que leur maître revienne des noces (Luc. XII, 36). " *

DEUXIÈME SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L'EPIPHANIE. Sur les noces spirituelles désignées dans l’Evangile. *

 

 

 

 

VEILLE DE NOËL

 

PREMIER SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Sur ces paroles du martyrologe : Jésus-Christ, fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda (*).

1. Il a retenti une parole de bonheur sur notre terre, un mot d'allégresse et de salut dans la tente des pécheurs; une bonne parole de consolation, un mot plein de bonheur, digne d'être accueilli par tous. Montagnes tressaillez, éclatez en cantiques de louange, arbres des forêts applaudissez tous au Seigneur : il arrive. Cieux prêtez l'oreille, terre écoutez avec attention; que toute créature, mais que l'homme surtout soit transporté d'admiration, éclate en louanges; "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " Quel homme au coeur de pierre ne sentira point son âme se fondre à ces mots? Quelle plus douce nouvelle pouvait-on nous annoncer? De quelles plus grandes délices pouvions-nous être inondés? A-t-on jamais rien entendu de pareil, et le monde a-t-il jamais rien appris de semblable ? " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " Quelques mots à peine pour rendre l'abaissement du Verbe, mais de quelles célestes douceurs ils sont remplis ! On voudrait pouvoir exprimer plus longuement cet océan de. douceurs comparables au miel, mais les expressions font défaut : telle est la grâce de ce peu de mots, que vouloir .y ajouter un seul iota serait en diminuer à l'instant le charme. " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " O naissance d'une inviolable sainteté! honorable aux yeux du monde entier, aimable à tout homme par la grandeur du bienfait qu'elle lui apporte, incompréhensible aux anges même, à cause de son excellence et de sa nouveauté. sans exemple, car on n'en vit point de semblable avant elle, et on n'en verra pas une seconde après elle. O enfantement qui seul ne connut point la douleur, qui seul n'a point connu la honte et seul est

(*) Ces mots se lisent dans le martyrologe d'Usuard, dont toutes, ou presque toutes les églises de France, et même celle de Rome, faisaient usage à cette époque.

demeuré pur de toute corruption! qui seul a fermé, au lieu de l'ouvrir, le sanctuaire d'un sein virginal! O naissance qui surpasse la nature par sa merveilleuse excellence et qui la sauve par sa vertu mystérieuse! O mes frères, qui est-ce qui pourra raconter cette naissance? Un ange est le messager qui l'annonce, la vertu du Très-Haut la couvre de son ombre, et le Saint-Esprit est survenu pour la consommer. Une vierge croit, par la foi une vierge conçoit, une vierge enfante et demeure toujours vierge : n'y a-t-il point là de quoi s'étonner ? Le Fils du Très-Haut, un Dieu engendré de Dieu avant tous les siècles vient au monde ; le Verbe naît enfant; qui pourrait ne point être frappé d'admiration?

2. Mais cette naissance n'est point oiseuse, ni cette grâce de la majesté divine, inutile. " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " O vous qui êtes couchés dans la poussière, réveillez-vous et louez Dieu. Voici le Seigneur qui vient avec le salut, il vient plein d'onction, il vient environné de gloire. Car Jésus ne peut venir sans le salut, ni le Christ sans onction, ni le Fils de Dieu sans gloire, puisqu'il est lui-même le salut, l'onction et la gloire, selon qu'il est écrit : " Un fils sage est la gloire de son père (Prov. X, 1). " O heureuse l’âme qui, après avoir goûté au fruit du salut, se sent attirée et court dans l'odeur de son parfum, elle verra sa gloire, la gloire du Fils unique du Père. Respirez, ô vous qui êtes perdus, car Jésus est venu sauver ce qui avait péri. Malades, revenez à la santé, le Christ est venu mettre le baume de sa miséricorde sur les plaies de vos cœurs. Tressaillez de joie et de bonheur, vous tous qui aspirez à de grandes destinées; le Fils même de Dieu est descendu à vous pour faire de vous des cohéritiers de son royaume. Oui, Seigneur, je vous en conjure, guérissez-moi et je serai guéri; sauvez-moi et je serai sauvé; glorifiez-moi et je serai vraiment dans la gloire. Oui, que mon âme bénisse le Seigneur et que tout ce qui est en moi loue son saint nom (Psalm. CII, 1), quand il se sera offert en victime pour mes iniquités, qu'il aura cicatrisé toutes mes plaies et qu'il aura comblé tous mes veaux de bonheur. Voilà, mes très-chers frères, les trois avantages que je trouve dans la naissance de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Pourquoi l'appelons-nous Jésus, si ce n'est parce que " c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Matth. I, 21)? " Pourquoi a-t-il voulu que nous lui donnions, nous, le nom de Christ, sinon parce que " son huile fera éclater notre joug (Is. X, 27) ? " Pourquoi enfin le Fils de Dieu s'est-il fait homme, si ce n'est pour faire l'homme enfant de Dieu? Or, qui est-ce qui a jamais résisté à sa volonté? Quand Jésus nous justifie, qui est celui qui nous condamnera? Si c'est le Christ qui nous guérit, quel est celui qui pourra nous faire des blessures? Enfin si c'est le Fils même de Dieu qui nous élève, où est celui qui pourra nous abaisser?

3. C'est la naissance de Jésus : que celui donc que les péchés condamnaient au fond de sa conscience, à la damnation éternelle, se réjouisse; car la charité de Jésus dépasse de beaucoup le nombre et l'étendue de nos crimes. C'est la naissance de Jésus : réjouissez-vous, qui que vous soyez, vous que des vices anciens accablent, car, avec l'onction du Christ, il n'est pas de maladie de l'âme qui puisse durer, quelque invétérée qu'elle soit. C'est la naissance du Fils de Dieu; que ceux qui aspirent à de grandes destinées soient dans l'allégresse, car un grand distributeur de titres, de grandeurs, nous est né. Mes frères, celui qui vient de naître est l'héritier du Père; faisons-lui bon accueil, et son héritage est à nous; car celui qui nous a donné son propre Fils pourra-t-il bien ne nous point donner tout avec lui (Rom. III, 12) ? Point de doute, point d'hésitation, notre garant est bien sûr. Le Verbe de Dieu s'est fait chair et il a habité parmi nous (Joan. I, 14). Le Fils unique de Dieu a voulu avoir des frères en grand nombre pour être leur aîné ; et il s'est fait homme, fils et frère de l'homme, pour que la faiblesse et la fragilité de l'homme ne soient retenues par rien. Si vous hésitez à croire que cela soit possible, ouvrez les yeux et vous croirez.

4. Jésus-Christ naît à Bethléem de Juda. Quelle faveur pour cette cité! Ce n'est point à Jérusalem, la ville des rois de Juda, mais à Bethléem, la moindre de toutes les villes de Juda. O Bethléem, tu es bien petite, mais le Seigneur t'a bien grandie maintenant! Oui, celui qui, de grand qu'il est, a voulu naître petit dans tes murs, t'a comblée de gloire. Réjouis-toi donc, ô Bethléem, et que l'Alléluia de fête retentisse dans tes carrefours aujourd'hui. Quelle cité au monde, en apprenant cette nouvelle, ne t'enviera point cette précieuse étable, et la gloire de ta crèche? Déjà ton nom est célèbre dans toute la terre; toutes les nations te proclament bienheureuse. On dit de toi des choses glorieuses, ô cité de Dieu (Psal. LXXXVI, 2). Partout on chante ces paroles : Un homme est né dans cette ville, et le Très-Haut lui-même l'a fondée (Psal. rxgxvi, 5). Oui, partout on dit, partout on répète : " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est né à Bethléem de Juda. " Il ne faut pas regarder comme inutile ce mot même, de Juda; car il nous fait souvenir de la promesse faite aux patriarches - " Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de la postérité, jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé et qui sera l'attente des nations, soit venu (Gen. LXIX, 10). " En effet, le salut doit venir des Juifs et, de chez eux, se répandre au bout du monde. " Juda, dit le Patriarche, tes frères te loueront, et ta main fera peser le joug sur tes ennemis (Ibid. VIII), " et le reste, qui ne s'est jamais accompli en Juda, mais qui l'est sous nos yeux, un Jésus-Christ. C'est lui, en effet, qui est ce Lion de la tribu de Juda, dont il a été dit : " Juda est un jeune lion; tu t'es levé, mon fils, pour saisir ta proie (Gen. XLIX, 9). Ce grand ravisseur, " qui se charge des dépouilles de la Samarie, avant même de savoir nommer son père et sa mère (Isa. VIII, 4), " n'est autre que le Christ, car c'est lui qui, en s'élevant en l'air, a emmené avec lui, comme en triomphe, une grande multitude de captifs; ou plutôt non, il ne nous a rien ravi. tout au contraire, il a comblé les hommes de ses dons. Ces mots " Bethléem de Juda, " me rappellent donc à l'esprit ces prophéties et plusieurs autres semblables qui se sont accomplies en Jésus-Christ à qui elles se rapportaient; aussi n'y a-t-il pas à rechercher pour nous s'il peut venir quelque chose de bon de Bethléem.

5. Mais pour ce qui nous concerne, nous voyons par là comment veut être reçu par nous celui qui a voulu naître à Bethléem. Le roi de gloire pouvait sans doute penser qu'il lui convenait de rechercher des palais magnifiques, où il fût reçu avec gloire; mais ce n'est pas pour cela qu'il était descendu de son. trône royal : " Il a la longueur des jours dans sa main droite, et dans sa gauche il a les richesses et la gloire (Prov. III, 17). " Il possédait toutes ces choses en abondance dans les cieux, mais parmi elles il ne trouvait point la pauvreté, tandis que sur la terre cette richesse était partout en abondance, mais les hommes en ignoraient le prix. Voilà pourquoi le Fils de Dieu, qui l'aime, descendit du ciel et la choisit en partage, afin de nous la faire apprécier par l'estime qu'il en fait lui-même. O! Sion, parez votre lit nuptial, mais parez-le d'humilité et de pauvreté; car il se complaît dans ses langes, et, selon le témoignage même de Marie, voilà les soieries dont il veut être enveloppé. Immolez donc à votre Dieu les abominations des Egyptiens.

6. Remarquez donc bien que le Christ naît à Bethléem, de Juda, et efforcez-vous de devenir une autre Bethléem, de Juda, si vous voulez qu'il vous fasse la grâce de le recevoir aussi en vous. Or, Bethléem signifie la maison du pain, et Juda, la confession. Pour vous donc, si vous nourrissez votre âme du pain de la parole divine; si, tout indignes que vous soyez, vous recevez avec toute la foi et la piété dont vous êtes capables ce pain qui est descendu du ciel et donne la vie au monde, je veux dire le corps du Seigneur Jésus, en sorte que cette nouvelle chair de résurrection répare et fortifie la vieille outre de votre corps , en resserre le tissu et la rende capable de supporter le vin nouveau dont elle est remplie; si enfin vous vivez de la foi et ne gémissez point pour avoir oublié de manger votre pain, vous êtes une autre Bethléem, et il ne vous manque plus que la confession pour être tout à fait digne de recevoir le Sauveur. Que la Judée soit donc votre sanctification. Revêtez-vous de la confession et de la beauté, qui sont le plus beau vêtement que le Christ recherche avant tout dans ses ministres. D'ailleurs l'Apôtre vous les recommande l'une et l'autre en deux mots, quand il dit : " On croit de coeur pour obtenir la justice, et on confesse de bouche pour obtenir le salut (Rom. X, 10). " Or, la justice dans le coeur, c'est du pain dans la main; car la justice est un pain selon ces paroles : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (Matth. V, 6)." Que votre coeur possède donc la justice, mais cette justice qui vient de la foi, car il n'y a que celle-là qui soit en honneur auprès de Dieu. Mais en même temps que votre bouche la confesse pour obtenir le salut, après cela vous pouvez en toute sécurité recevoir celui qui naît à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu.

 

 

 

SECOND SERMON POUR LA VEILLE DE NOEL. Sur ces paroles : " O Juda! et vous Jérusalem, ne craignez point, demain vous sortirez, et le Seigneur sera avec vous (II Paral. XX, 17). "

1. Ces paroles s'adressent aux véritables Juifs, à ceux qui sont tels en esprit, non pas selon la lettre seulement, à la vraie race d'Abraham, qui s'est multipliée selon la promesse qu'elle avait reçue; car il ne faut regarder comme étant nés de lui que les enfants de la promesse, non point ceux de la chair et du sang. De même il ne s'agit point ici de la Jérusalem qui tue les prophètes, pourquoi consolerions-nous, en effet, la Jérusalem sur laquelle le Seigneur même a versé des larmes (Luc. XIX, 41), et qui a été renversée de fond en comble? C'est à la Jérusalem nouvelle, à celle qui descend du ciel, que nous nous adressons, quand nous disons : " O Juda, et vous Jérusalem, ne craignez point. " Non, ne craignez point, vous qui êtes de vrais confesseurs , qui confessez le Seigneur, non-seulement de bouche, mais de tout votre être, et qui faites de la confession comme votre vêtement, disons mieux, vous dont tout l'intérieur, les os mêmes disent : " Seigneur, qui est semblable à vous (Psal. XXXIV, 10)? " Mais ces paroles ne s'adressent point à ceux " qui confessent de bouche le Seigneur et le renient dans leurs couvres (Tit. I, 16). " Vous ne confesserez véritablement le Seigneur, mes frères, que si toutes vos actions sont faites pour lui et le confessent; or, il faut qu'elles confessent le Seigneur de deux manières, et que vous soyez revêtus comme d'un double vêtement par la confession de vos péchés et par la confession du Seigneur, qui consiste à chanter ses louanges. Vous serez donc de vrais Juifs, si toute votre vie confesse que vous êtes pécheurs et dignes des plus grands châtiments, et que Dieu est souverainement bon, puisqu'il vous permet de racheter les supplices éternels que vous avez mérités, par des peinés légères et de courte durée. Quiconque n'est point consumé par le plus ardent désir de faire pénitence, semble dire, par ses couvres, ou qu'il n'a pas besoin de pénitence et néglige ainsi de confesser sa faute, ou que la pénitence est inutile, et alors il ne confesse point que le Seigneur est bon. Si donc vous voulez être sans crainte, soyez de véritables Juifs, une vraie Jérusalem. Jérusalem signifie vision de la paix. Qui dit vision, ne dit point possession; or, le Seigneur a établi la paix à ses confins, non à l'entrée, ni même au sein de Jérusalem. Si donc vous n'avez point la paix, ou plutôt comme vous ne sauriez avoir une paix parfaite en ce monde, jetez du moins les yeux sur elle, regardez-la, considérez-la, appelez-la de tous vos voeux. Que les yeux de votre coeur soient tout entiers fixés sur elle, que toutes vos pensées soient tournées de son côté, et faites toutes vos actions pour obtenir cette paix qui surpasse tout sentiment (Philipp. IV, 7). En toutes choses, ne vous proposez point d'autre but que de vous réconcilier avec Dieu et d'être en paix avec le Seigneur.

2. C'est à ceux-là que je dis : " Ne craignez point. " Ce sont eux que je console, non pas ceux qui ne connaissent point le chemin de la paix. En effet, dire à ces derniers " demain vous sortirez, " ce n'est point les consoler, mais c'est leur faire une menace; il n'y a que ceux qui voient la paix et qui savent que si cette maison de terre où ils habitent, comme dans une tente, vient à se dissoudre, Dieu leur en donnera une autre dans le ciel, ceux qui désirent être dégagés des liens du corps et soupirent après leur départ d'ici-bas, non pas ceux qui ont la folie d'aimer leurs chaînes. D'ailleurs; pour ceux qui meurent dans ces dispositions, on ne saurait dire qu'ils sortent, il faut dire qu'ils entrent; car ce n'est point dans la lumière et en liberté qu'ils vont, mais ils tombent dans les ténèbres; ils vont en prison, ils descendent dans l'enfer. Mais c'est à vous qu'il est dit : " Ne craignez point, demain vous sortirez d'ici (II Paral. XX, 17), et il n'y aura plus de place pour la crainte dans le lieu de votre séjour. Vous comptez, il est vrai, de nombreux ennemis; d'abord votre propre chair, c'est votre plus proche ennemi; puis ce siècle pervers, au milieu duquel vous vivez ; enfin, les princes des ténèbres, qui, placés en embuscade dans les airs, assiègent votre route. Néanmoins, je vous dis : Ne craignez point, demain, c'est-à-dire bientôt, vous sortirez d'ici . car le mot demain signifie bientôt. Voilà pourquoi le saint homme Jacob disait : " Demain, mon innocence me rendra témoignage (Gen. XXX, 33.) " Il y a trois époques dont on lit : " Dans deux jours le Seigneur nous rendra la vie, et le troisième jour il nous ressuscitera (Ose. VI, 3). " La première est sous Adam, la seconde dans le Christ, et la troisième avec le Christ. Voilà pourquoi le Prophète ajoute : " Nous entrerons alors dans la science du Seigneur, et nous le suivrons pour le connaître (Ibid). " Or, c'est de cette époque-là qu'il est dit: " Demain vous sortirez d'ici, et le Seigneur sortira avec vous. " Car ces paroles s'adressent à ceux qui ont réduit leurs jours de moitié, pour qui n'est plus le jour qui les vit naître, le jour d'Adam, le jour du péché que Jérémie maudissait en ces termes : " Maudit soit le jour de ma naissance (Jerem. XX, 14). " C'est enfin le jour dans lequel nous sommes tous nés. Ah! périsse pour nous tout ce jour de brouillards et d'obscurité, ce jour de ténèbres et de tempêtes que nous a fait Adam, et qui nous vient de l'ennemi qui nous a dit : " Vos yeux s'ouvriront (Gen. III, 5 ). "

3. Or, le jour nouveau de notre rédemption vient de se lever pour nous, ce jour d'une antique réparation, d'une éternelle félicité. Voici maintenant le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous à son éclat, soyons pleins d'allégresse (Psalm. CXVII, 24), car demain nous sortirons d'ici. D'où sortirons-nous? du séjour de ce siècle, de l'étroite prison de notre corps, des étreintes de la nécessité, de la curiosité, de la vanité, de la volupté, qui entravent même malgré nous les pieds de notre affection. Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre la terre et notre âme? Pourquoi ne désire-t-elle point les choses spirituelles, pourquoi ne les recherche-t-elle point, ne les goûte-t-elle point? O mon âme, puisque vous êtes d'en haut, qu'avez-vous donc de commun avec ce qui est placé si bas? " Recherchez donc uniquement ce qui est dans le ciel, où Jésus est assis à la droite de Dieu : n'ayez de goût que pour les choses du ciel, non pour celles de la terre (Coloss. III, 4). " Mais " le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit par la multiplicité des soins que réclament sans cesse son attention et sa pensée (Sap. IX, 45). " Oui, une multitude de nécessités corporelles nous absorbent et nous retiennent, tous ces mauvais désirs, toutes ces délectations terrestres sont comme une glu qui embarrasse ses ailes et l'empêche de voler, et qui la fait bien vite retomber sur la terre, si par hasard elle parvient quelquefois à prendre son essor. Mais soyez sans crainte, demain vous sortirez d'ici, de cet abîme de misère, de la boue profonde où vous vous trouvez; car, pour vous en tirer, le Seigneur s'y est plongé profondément lui-même. Ne craignez donc plus, vous sortirez demain même de ce corps de mort et de toute la corruption du péché. Passez ce jour en Jésus-Christ, et vivez comme il a vécu; " car celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher comme Jésus-Christ (I Joan. II, 66). — Ne craignez donc point, car demain vous sortirez d'ici, " et alors vous serez pour toujours avec le Seigneur. Peut-être ces mots, " et le Seigneur sera avec vous, " doivent-ils s'entendre en ce sens particulier que tant que nous serons dans notre corps, nous pouvons être avec le Seigneur, c'est-à-dire être unis de volonté avec lui, mais non pas en ce sens que lui-même il fera ce que nous voulons. En effet, ce que nous voudrions maintenant, ce serait d'être enfin délivrés de notre corps; ce que nous souhaiterions le plus ardemment ce serait d'en voir les liens se briser; le plus vif de nos désirs serait de nous voir partir d'ici : mais, pour certaines causes, il tarde encore à les satisfaire. Or demain nous sortirons d'ici et le Seigneur sera avec nous, et tout ce que nous voudrons il le voudra comme nous, sa volonté et la nôtre seront dans un complet accord.

4. Ne craignez donc point, Juda, ni vous, Jérusalem, si vous ne pouvez point encore être en possession de sa protection que vous désirez acquérir; mais que l'humilité de la confession supplée à ce qui manque à la perfection de votre vie, car cette imperfection n'a point échappé aux regards de votre Dieu. S'il a prescrit que ses commandements fussent exactement gardés, c'est afin que, voyant notre constante imperfection et notre impossibilité d'acquérir par nous-mêmes ce qui nous manque, nous recourions à sa miséricorde et nous nous écriions : " Votre miséricorde, Seigneur, est préférable à toutes les vies (Psal. LXII, 4), et que, ne pouvant nous montrer parés d'innocence et de justice, nous nous montrions du moins couverts du manteau de la confession; car il est dit : " La confession et la beauté sont devant ses yeux (Psal. XCV, 6). " Ce qui n'est pas vrai, toutefois, comme nous l'avons dit plus haut, si ce n'est pas de nos lèvres seulement, mais de tout notre corps qu'elle procède; si nos os eux-mêmes s'écrient: Qui est semblable à vous, Seigneur? et si nous ne nous exprimions ainsi qu'en vue de la paix et dans le seul désir d'être réconciliés avec Dieu; car il n'y a qu'à ceux qui sont dans ces dispositions, qu'il est dit: " O Juda et vous, Jérusalem, ne craignez point; demain, vous sortirez d'ici; " c'est-à-dire, bientôt votre âme quittera son corps; toutes ses affections, tous ses désirs, qui, comme autant de liens qui l'attachaient à tout ce qui est dans ce monde, se rompront; elle s'envolera, les ailes dégagées, de cette espèce de glu, et le Seigneur sera avec vous. Mais peut-être ce temps vous semble-t-il encore bien long, si vous ne considérez que vous, non point ce qui a rapport à vous. Mais n'est-ce pas l'attente du monde entier? La créature est sujette à la vanité, car à la chute de l'homme que son Seigneur avait établi pour gouverner sa maison et pour régir tous ses biens, l'héritage entier s'est trouvé détérioré, l'air a connu les intempéries, la terre a été maudite dans les œuvres d'Adam, et tout s'est trouvé soumis à la vanité.

5. Mais l'héritage ne sera restauré que lorsque les héritiers seront revenus eux-mêmes à leur premier état; mais, jusqu'à ce moment là, dit l'Apôtre, " toutes les créatures soupirent et sont comme dans les douleurs de l'enfantement (Rom. VIII, 22). " Or, ce n'est pas seulement aux yeux de ce monde, que nous sommes exposés en spectacle, mais nous le sommes aussi aux yeux des Anges et des hommes. En effet, dit le Prophète . " Les justes mêmes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez Psal. CXLI, 8). " Et lorsque les martyrs appelaient de leurs voeux le jour du jugement dernier, non point dans le désir de se voir vengés, mais dans la pensée d'obtenir enfin la félicité parfaite qui leur est assurée, ils reçurent de Dieu cette réponse : " Attendez en repos encore un peu de temps, jusqu'à ce que le nombre de vos frères soit complet (Apoc. vi, 11). " Ils ont, en effet, reçu chacun une robe, mais ils ne recevront la seconde que lorsque nous la recevrons nous-mêmes. Nous en avons pour gages leurs corps mêmes qui nous sont restés en otages, sans lesquels ils ne peuvent être consommés dans la gloire, et qu'ils ne reprendront que lorsque nous reprendrons nous-mêmes les nôtres. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre en parlant des patriarches et des prophètes . " Dieu a voulu, par une faveur singulière qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur bonheur (Hebr. XI, 40). " O si nous pouvions connaître l'ardeur de leur attente et de quels voeux ils appellent notre arrivée parmi eux ! Avec quelle sollicitude ils s'enquièrent, et avec quel bonheur ils sont informés du bien que nous faisons!

6. Mais qu'ai-je besoin de parler de ceux qui ont appris la compassion à l'école de leurs propres souffrances, quand les saints anges eux-mêmes désirent notre venue? N'est-ce point, en effet, ces pauvres vers de terre, cette vile poussière qui doit servir à la restauration des murs de la Jérusalem céleste? Or, vous faites-vous une idée de l'ardeur avec laquelle les citoyens de la céleste patrie désirent voir se relever les ruines de la cité sainte? Pouvons-nous concevoir avec quelle sollicitude ils attendent l'arrivée des pierres vivantes qui doivent entrer avec eux dans la construction de ces murs? Quels rapides messagers ils font entre nous et Dieu, portant fidèlement à ses pieds nos gémissements et nos larmes, et nous rapportant sa grâce avec un zèle admirable? Certes, je ne pense point qu'il leur répugne un jour d'être confondus avec ceux dont ils sont maintenant les ministres, car tous les anges sont des esprits qui tiennent lieu de serviteurs et de ministres, et qui sont envoyés en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (Hebr. I, 14). Hâtons-nous donc, mes bons amis, hâtons-nous, je vous y engage, car toute la cour céleste nous attend. Les anges ont tressailli d'allégresse quand nous avons fait pénitence; avançons maintenant et empressons-nous de mettre, en ce qui nous concerne, le comble à leur joie. Ah! malheur à vous, qui que vous soyez, qui songez encore à retourner à votre bourbier, à revenir à votre vomissement! Pensez-vous vous rendre ainsi favorables au jour du jugement celui que vous privez d'une joie si grande et si vivement désirée? Ils ont tressailli de bonheur quand nous avons fait pénitence, parce qu'il leur semblait nous voir revenir des portes mêmes de l'enfer. Quelle ne sera pas maintenant leur affliction, s'ils voient s'éloigner des portes du ciel et faire un pas en arrière ceux qui avaient déjà un pied. dans le paradis? car, si par le corps nous sommes sur la terre, par le cœur, nous sommes déjà dans les cieux.

7. Courez donc, mes frères, courez vite; non-seulement les anges vous attendent, mais le créateur même des anges vous désire. Le festin des noces est prêt, mais il s'en faut bien que la salle soit remplie; on attend encore des convives pour occuper toutes les places. Dieu le Père nous attend donc et nous désire, non-seulement à cause de l'amour infini qu'il nous porte, comme le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous en a donné l'assurance en disant: Mon Père vous aime (Joan. XXI, 27), mais pour lui-même, selon le langage que lui prête le Prophète. " Ce n'est pas pour vous, mais pour moi, que je ferai ce que je dois faire (Ezech. XXXVI, 22). " Or, qui peut douter qu'il accomplisse un jour la promesse qu'il a faite à son Fils, en disant : " Demandez-moi les nations pour votre héritage, et je vous les donnerai (Psal. II, 8). " Et encore: "Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied (Psal. CIX, 1). " Or, ses ennemis ne seront point réduits tant qu'ils nous attaqueront encore, nous qui sommes ses membres; et cette promesse ne recevra point son accomplissement tant que la mort, notre dernière ennemie, ne sera point terrassée. Quant au Fils, qui ne sait combien ardemment il désire recueillir les fruits de sa naissance, de la vie entière qu'il a passée sur la terre, le fruit enfin de sa croix et de sa mort, le prix de son précieux sang? Ne doit-il point remettre entre les mains de Dieu son Père le royaume qu'il s'est conquis? N'est-ce pas lui qui doit lui racheter ses créatures pour lesquelles le Père l'a envoyé sur la terre? Mais le Saint-Esprit nous attend aussi, car il est la bonté et la charité, qui nous a prédestiné de toute éternité; or, on ne saurait douter qu'il ne veuille voir sa prédestination s'accomplir.

8. Eh bien donc! puisque le festin des noces est prêt, et que toute la cour céleste nous désire et nous attend, courons vite, mais ne courons point au hasard; courons par nos désirs, courons en faisant des progrès dans la vertu; progresser, c'est partir. Disons tous : " Regardez-moi, Seigneur, et ayez pitié de moi; selon le jugement de ceux qui aiment votre nom (Psal. CXVIII, 132), " oui, ayez pitié de moi, mais selon ce que ceux-ci ont décidé, non point selon ce que j'ai mérité. " Ecrions-nous encore : " Que votre volonté se fasse comme dans le ciel (I Mac. III, 60), " ou bien tout simplement: "que votre volonté se fasse (Matth. VI, 10), " car il est écrit, nous le savons : " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (Rom. VIII, 34)? " et encore : " Qui osera se lever contre les élus de Dieu? Ne m'est-il point permis de faire ce que je veux (Matth. XX, 45)? " Que ces paroles soient notre consolation, mes bien chers frères, en attendant que nous quittions ce monde, et que le Seigneur soit avec nous; qu'ainsi, par sa grande miséricorde, il nous conduise à cette heureuse sortie, à ce brillant jour de demain; qu'il daigne, dans ce demain auquel nous touchons, nous visiter et être avec nous. Que ceux qui peuvent se trouver retenus encore dans les liens de la tentation s'en voient enfin dégagés par la miséricorde de celui qui est venu annoncer leur délivrance aux captifs; enfin, recevons dans une joie salutaire, la couronne de notre Roi enfant, recevons-la, dis-je, des mains de celui qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

TROISIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Sur ces paroles : " Et vous verrez demain matin éclater la gloire du Seigneur, car vous saurez que le Seigneur va venir aujourd'hui même. (Exod. XVI, 7). "

1. Habitants de la terre, enfants des hommes, écoutez : Vous qui dormez dans la poudre, éveillez-vous et chantez les louanges de Dieu, car un médecin va venir visiter ceux qui sont malades; un Rédempteur, ceux qui sont vendus, ceux qui se sont égarés du droit chemin, ceux qui sont morts à la vie. Oui, voici venir celui qui va jeter tous nos péchés au fond de l’abîme, guérir toutes nos infirmités, nous charger sur ses épaules et nous ramener à notre propre et originelle grandeur. Sa puissance est grande, mais sa miséricorde est plus admirable encore, puisque celui qui pouvait nous secourir a daigné venir comme il fa fait. " Aujourd'hui, dit l'auteur sacré, aujourd'hui même, le Seigneur va venir (Exod. XVI, 6). " Ces paroles se trouvent à leur place et dans leur temps, dans la sainte Ecriture, mais l'Eglise notre mère a pu les entendre de la veille de la naissance du Seigneur. L'Eglise, dis-je, que son époux et son Dieu assiste de ses conseils et de son esprit, sur le sein de laquelle le Bien-aimé aime à se reposer, qu’il possède uniquement, et dont il s'est fait un trône pour son coeur. On peut dire, en effet, qu'elle l'a blessé au coeur, et qu'elle plonge l'œil de sa contemplation jusqu'au plus profond abîme des secrets de Dieu, en sorte qu'elle lui fait dans son propre coeur et se prépare à elle-même dans le coeur de son époux une demeure éternelle. Aussi, quand il lui arrive de changer de place ou de sens, les paroles de la sainte Ecriture, l'emploi qu'elle en fait est préférable (a) au sens et à l'ordre primitif du texte sacré; peut-être même est-il permis de dire que son sens l'emporte sur le sens littéral, autant que la vérité l'emporte sur les figures, la lumière sur l'ombre, la maîtresse sur la servante.

2. " Vous saurez donc qu'aujourd'hui même le Seigneur va venir. " A mon avis ces paroles nous donnent bien clairement l'idée de deux sortes de jours; le premier a commencé à la chute du premier homme et se continue jusqu'à la fin du monde; c'est le jour que les saints sont souvent chargé de leurs malédictions. C'est qu'en effet Adam a été chassé par ce jour du jour de splendide lumière dans lequel il avait été créé; et, précipité dans le triste réduit des choses de ce monde, il s'est trouvé au milieu d'un jour ténébreux, et presque privé de tous les rayons de la vérité. Nous venons tous au monde dans ce jour-là, qui ne mériterait même point le nom de jour, mais plutôt de nuit, si l'infatigable miséricorde de Dieu ne nous avait point laissé la lumière de la raison comme une faible étincelle. Le second jour sera celui des saints pendant d'interminables éternités, alors que se lèvera ce demain d'une infinie sérénité, ce demain qui n'est autre que la miséricorde qui nous a été promise, lorsque la mort sera vaincue dans sa propre victoire, quand, à la place des ombres et des ténèbres, on ne verra plus partout, en haut et en bas, au dedans et au dehors, qu'une splendide et véritable lumière. Aussi un saint a-t-il dit : " Faites-moi sentir ce matin même votre miséricorde (Psal. CXLII, 8), et, dès le matin nous avons été comblés de votre miséricorde (Psal. LXXXIX, 14). " Mais revenons à notre jour à nous, à ce jour qui est comparé à une veille de la nuit, à cause de sa brièveté, et que l'organe ordinaire du Saint-Esprit appelle un rien, un néant, quand il s'écrie : " Nos jours se sont évanouis (Ibid.), — mes jours se sont évanouis comme la fumée dans l'air (Ibid.), — nos jours ont passé comme une ombre (Psal. CI, 12). — Tous les jours de ma vie sont en petit nombre et bien mauvais (Gen. XLVII, 9), " s'écriait le saint patriarche qui avait vu Dieu face à face et s'était entretenu familièrement avec lui. Or, dans ce jour, Dieu donne à l'homme la raison, il lui laisse l'intelligence, mais il faut qu'au sortir de ce monde il l'illumine lui-même de la lumière de la science; car s'il sortait dans l'obscurité complète de la prison où il

a Telle était l'estime de saint Bernard pour les décisions de l'Eglise catholique qu'il accordait à sa manière d'entendre le sens accommodatice des saintes Ecritures, une autorité que 1'Eglise elle-même est loin d'exiger qu'on y attache.

habite maintenant, et des ombres de la mort, il ne pourrait plus être éclairé de toute l'éternité. Voilà pourqnoi le Fils unique de Dieu, le Soleil de justice, tel qu'un flambeau d'une lumière aussi répandue qu'éclatante, a été allumé et projette sa lumière dans la prison de ce monde. Maintenant, tous ceux qui veulent être éclairés doivent s'approcher de lui, se réunir à lui et ne permettre que rien ne se place entre eux et lui. Or ce qui peut nous séparer de Dieu, ce sont nos péchés qu'ils disparaissent et nous sommes éclairés de la vraie lumière, nous nous rapprochons tellement d'elle que nous ne devons plus faire qu'un corps avec elle. Ainsi rapproche-t-on, sans intermédiaire étranger, un flambeau éteint de celui qui brûle encore, pour le rallumer; cet exemple, tiré des choses visibles, nous donne une idée de ce qui se passe dans le monde des choses invisibles.

3. Suivons donc le conseil du Prophète (Ose. X, 12, juxta LXX.), allumons-nous, le flambeau de la science à cet astre si grand et si brillant, avant de sortir des ténèbres de ce monde, de peur que nous ne passions des ténèbres aux ténèbres, mais à des ténèbres éternelles. Mais de quelle science parlé je? De celle qui consiste à savoir que le Seigneur viendra, quoique nous ne puissions savoir quand il viendra. Voilà tout ce qui nous est demandé. Vous me direz peut-être que tout le monde aujourd'hui a cette science-là; quel homme, en effet, ne fut-il même chrétien que de nom, ignore que le Seigneur doit venir un jour et qu'il viendra en effet, pour juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses oeuvres? Non, mes frères, tout le monde ne sait point cela, ce n'est même su que de peu d'hommes, puisqu'il y en a si peu de sauvés. Pensez-vous, par exemple, que ceux qui sont heureux quand ils ont mal fait, et se réjouissent des pires choses (Prov. II, 14), sachent ou se rappellent qu'un jour le Seigneur viendra? S'ils l'affirmaient eux-mêmes, gardez-vous de les croire, car " celui qui dit qu'il le connaît et ne garde point ses commandements est un menteur, dit l'Apôtre (I Joan. II, 4). — Ils font profession, dit saint Paul, de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres, (Tit. I, 16) — attendu, continue saint Jacques, que la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jac. II, 20). " En effet, ils ne se souilleraient point de tant d'impuretés s'ils savaient que le Seigneur doit venir, et s'ils redoutaient sa venue; au contraire, ils veilleraient sur eux, et ne laisseraient pas le mal faire de tels ravages dans leur âme.

4. Or, cette science, au premier degré, opère dans l'âme un sentiment de pénitence et de douleur qui change les rires en pleurs, les chants en gémissements, la joie en tristesse, et fait que tout ce qui vous plaisait le plus auparavant commence à vous déplaire, et que tout ce dont vous aviez d'abord le plus d'horreur commence à avoir des charmes pour vous. Il est écrit, en effet : " Plus on a de science plus on a de peine (Eccli. I, 18). " La conséquence de la sainte et vraie science est donc la douleur. Au second degré, elle opère la correction en tant que vous cessez, à ce degré de science, de faire servir vos membres à l'iniquité : vous réprimez la gourmandise, vous étouffez la luxure, vous abaissez l'orgueil, voue contraignez votre corps à devenir un instrument de sainteté comme il l'avait été de l'iniquité auparavant. A quoi bon, en effet, le repentir sans la correction? A rien; car, selon le mot du Sage : " Si l'un bâtit et que l'autre détruise que gagneront-ils autre chose que de la perte? Si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix? Si celui, qui se lave après avoir touché un mort, le touche de nouveau, de quoi lui sert-il de s'être lavé (Eccli. XXXIV, 26)? " Ne doit-il pas craindre au contraire, selon la parole même du Sauveur, qu'il ne lui arrive quelque chose de pire (Joan. V, 14)? Mais comme on ne peut se tenir dans ces deux degrés pendant bien longtemps si l'esprit n'est dans une vigilance et une circonspection continuelle, il s'ensuit que la science au troisième degré produit la sollicitude, et fait que l'homme commence à marcher avec ce sentiment inquiet avec son Dieu, exclut toute chose en tous sens, dans la crainte de choquer, même dans les moindres choses, les regards de sa redoutable majesté. Ainsi le repentir l'enflamme, la correction le brûle, la sollicitude l'éclaire, en sorte qu'il est un homme nouveau aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.

5. Mais alors il commence à respirer un peu des tribulations et de la douleur que les péchés lui ont causées; une joie spirituelle tempère l'excès de sa crainte, et l'empêche de succomber à la tristesse, à la pensée de l'énormité de ses fautes. Aussi, d'un coté, s'il craint son Juge, de l'autre il espère en son Sauveur, et lorsque la crainte et la joie marchent au-devant l'une de l'autre dans son coeur elles finissent par se rencontrer. S'il arrive encore que la crainte soit plus forte que la joie, souvent aussi la joie triomphe de la crainte, et l'enferme dans ses prisons secrètes. Heureuse la conscience où ces deux sentiments se livrent sans relâche cette sorte de combat, jusqu'à ce que ce qui est mortel soit absorbé par la vie, que ce qui reste de crainte s'évanouisse et cède la place à la joie, ce qui est la perfection même; car sa crainte ne saurait être éternelle tandis que sa joie le sera. Mais pour être ainsi allumée et éclairée, elle ne doit pas encore se croire dans la maison où l'on a coutume de porter des flambeaux allumés sans craindre le souffle des vents, il faut qu'elle se rappelle qu'elle est toujours en plein air, qu'elle s'applique à protéger de ses deux mains la lumière qu'elle porte, et qu'elle se défie des vents, lors même que l'air lui semble tranquille; car il peut changer tout-à-coup, à l'heure où elle y pensera le moins, et si elle cesse un seul instant d'être sur ses gardes, elle verra sa lumière éteinte. S'il lui arrive dans l'ardeur de sa marche de se brûler les mains, comme il arrive quelquefois, qu'elle supporte la douleur plutôt que de les éloigner de la flamme qu'elles protègent, car en un instant, en un clin d'oeil, elle peut être soufflée. Ah! si nous étions déjà dans cette demeure qui n'est point faite de main d'homme, dans la demeure éternelle du ciel, où nul ennemi ne peut entrer et dont aucun ami ne peut sortir, il n'y aurait rien à craindre; mais maintenant nous sommes exposés au souffle des trois vents les plus mauvais et les plus forts, aux vents de la chair, du diable et du monde qui ont conjuré ensemble d'éteindre la lumière de notre conscience, en soufflant dans nos cœurs, de mauvais désirs et des mouvements déréglés, et de soulever en nous tout-à-coup une telle tourmente, que nous ne puissions plus distinguer ni d'où nous venons ni où nous allons. Deux de ces vents contraires cessent quelquefois de souffler, mais personne n'a jamais obtenu de trêve du troisième. Voilà pourquoi je vous dis que nous devons protéger notre âme, des deux mains de notre coeur et de notre corps, de peur que le flambeau, qui y est enfin allumé, ne vienne à s'éteindre ; il ne faut ni céder à la tempête, ni reculer devant elle, quand le souffle des passions ébranle trop violemment le double état de l'homme, mais il faut nous écrier avec un saint: " Mon âme est toujours entre mes mains (Psalm. CXVIII, 109). " Oui, mieux vaut nous brûler les mains que céder à l'orage. Et de même qu'on ne peut facilement oublier ce qu'on porte dans ses mains, ainsi nous ne saurions oublier l'affaire de nos âmes, et le soin qu'elles réclament de nous, doit être la principale affaire de nos cœurs.

6. Quand nos reins seront ceints et que nous aurons en main nos lampes allumées, il nous faudra veiller sur la troupe de nos pensées et de nos actions, afin que le Seigneur nous trouve prêts, qu'il vienne à la première, à la seconde ou à la troisième veille de la nuit. La première veille n'est autre chose que la régularité de nos actions, et consiste, par conséquent, dans les efforts que nous devons faire pour régler notre vie tout entière selon la règle que nous avons fait voeu de suivre, et de ne point franchir les limites que nos pères ont tracées pour tous les exercices de ce genre de vie, sans incliner ni à droite ni à gauche. La seconde consiste dans la pureté d'intention, si notre oeil est sain tout notre corps sera éclairé; par conséquent, il faut que nous fassions toutes nos actions pour Dieu, et que la grâce que nous recevons retourne à sa source pour en revenir de nouveau. Enfin, la troisième veille consiste à conserver l'union et à nous faire préférer quand nous sommes dans une congrégation, la volonté des autres à la nôtre, en sorte que nous vivions avec tous nos frères, non-seulement sans divisions, mais encore en bonne intelligence, nous supportant tous mutuellement et priant les uns pour les autres, de façon qu'on puisse dire de chacun de nous "C'est un véritable ami de ses frères et du peuple d'Israël, c'en est un qui prie beaucoup pour son peuple et pour toute la cité sainte (II Macchab. XV, 14). " Voilà donc comment ce jour-là la venue du Fils unique de Dieu allume en nous le flambeau de la véritable science, de ce savoir qui nous apprend que le Seigneur doit venir, et qui est le fondement inébranlable et perpétuel de nos moeurs.

7. " Et demain matin, dit l'écrivain sacré, vous verrez sa gloire. " O quel matin! ô jour meilleur dans les parvis du Seigneur que mille autres passés ailleurs! Quand verrons-nous ce mois succéder au mois, ce sabbat succéder au sabbat, la splendeur de la lumière et l'ardeur de la charité éclairer les habitants de la terre jusque dans ces sublimes merveilles ! Qui osera, je ne dis pas présumer assez de ses forces pour en parler, mais même pour y penser seulement? Mais en attendant, mes frères, édifions notre foi de manière à pouvoir du moins contempler quelque peu les merveilles qui s'accomplissent pour nous sur la terre s'il ne doit pas nous être donné de voir dès maintenant celles qui nous sont réservées dans les cieux. Or la toute-puissante majesté de Dieu a fait trois choses, trois mélanges, en prenant notre chair, mais trois choses si uniquement admirables et si admirablement uniques, qu'il ne s'est jamais fait et ne se fera jamais plus rien de semblable sur la terre. En effet, on a vu s'unir étroitement ensemble, Dieu et l'homme, la maternité et la virginité, 1a foi et un cœur d'homme. Ces mélanges sont admirables, mais ce qui dépasse toute merveille, c'est de voir comment des choses si diverses, si opposées entre elles, ont pu se réunir l'une à l'autre.

8. Et d'abord, considérez la création, la position et la disposition des choses. Quelle puissance a éclaté dans la création, quelle sagesse dans la disposition, quelle bonté dans la composition. Dans la création, voyez combien grandes et nombreuses sont les choses créées par la puissance, dans la position avec quelle sagesse elles ont été disposées; et dans la composition avec quelle bonté les choses les plus élevées ont été unies aux choses les plus humbles par les liens d'une si aimable et si admirable charité. En effet, au limon de la terre il a uni, dans les arbres, par exemple, une force vitale qui donne la beauté au feuillage, l'éclat aux fleurs, la saveur et leurs propriétés médicinales aux fruits. C'est peu; le Créateur a mis dans notre limon une autre force encore, la force sensible qu'on voit dans les animaux qui non-seulement ont la vie, mais encore sont doués de sensibilité, dont le siège repose dans cinq organes différents. Dieu voulut combler ensuite notre limon d'un nouvel honneur, et il lui donna la force raisonnable que nous voyons dans l'homme qui, non-seulement vit et sent, mais encore discerne entre ce qui convient et ce qui ne convient pas, entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux. Il voulut après cela élever notre bassesse à de plus hautes destinées encore, et sa grandeur se fit petite afin d'unir à notre limon ce qu'il y a de plus grand en lui, c'est-à-dire lui-même, et de ne plus faire qu'une seule et même personne de Dieu et de notre être de boue, d'une si grande majesté et d'un pareil néant, d'une telle grandeur et d'une semblable bassesse. En effet, il n'y a rien au-dessus de Dieu ni au-dessous de la boue; et pourtant Dieu daigna si bien descendre dans cette boue, et cette boue se trouva élevée si haut vers Dieu, que tout ce que Dieu fit dans notre limon, la foi nous dit que c'est notre limon même qui l'a fait; tout ce que notre limon a souffert nous disons que c'est Dieu même qui l'a enduré en lui, par un mystère non moins ineffable qu'incompréhensible. Mais remarquez encore que de même que dans cette unique divinité subsiste la Trinité des personnes, en même temps que l'unité de substance, ainsi dans ce mélange tout particulier, il y a trinité de substance et unité de personne : si dans l'une, les trois personnes ne détruisent point l'unité, de même que l'unité ne fait point disparaître la Trinité, ainsi dans le mélange dont nous parlons, l'unité de personne n'est point la confusion des substances, non plus que le nombre des substances n'empêche point l'unité de personne. Voilà l'œuvre admirable, l'oeuvre unique entre toutes et qui les dépasse toutes, que la suprême Trinité nous a montrée, cette Trinité où le Verbe de Dieu, l'âme et le corps, forment une seule personne; ces trois ne font qu'un et cet un fait trois, sans confusion de substances mais par l'unité de personne. Voilà le premier et surexcellent mélange, il est le premier des trois. Mais, ô homme, n'oublie pas que tu n'es que boue et ne te laisses point aller à l'orgueil; que tu es uni à Dieu, ne te montre point ingrat.

9. Le second mélange est celui d'une vierge-mère; il est admirable et sans exemple; jamais on n'a entendu parler d'une vierge qui fût mère et d'une mère qui fût vierge; jamais, dans le cours ordinaire des choses, la virginité ne se rencontre là où est la fécondité, ni la fécondité là où se trouve la virginité. Il n'y a que dans ce mélange que la virginité et la fécondité se sont rencontrées; là seulement s'est fait ce qui ne s'était jamais vu auparavant, et ne se renouvellera plus jamais dans la suite; car ce mélange est sans exemple avant lui et ne se répètera plus. Le troisième mélange est celui de la foi et du coeur de l'homme; il est sans doute bien inférieur aux deux premiers mélanges, mais peut-être n'est-il pas moins fort. Est-il, en effet, rien d'aussi surprenant que de voir comment le coeur de l'homme a ajouté foi aux deux premiers mélanges, au point de croire que Dieu fût homme, et qu'une vierge mère fût demeurée vierge? De même que le fer et l'argile ne peuvent s'unir, ainsi ces deux choses ne peuvent se fondre en une si l'esprit même de Dieu n'en fait le mélange. Faut-il donc croire que celui qui est déposé dans une crèche, qui vagit dans des langes, et ressent les mêmes nécessités que les autres enfants, qui est flagellé, conspué, crucifié, mis dans un sépulcre et renfermé entre deux pierres, soit le Dieu grand et immense? Sera-ce une vierge que cette femme qui allaite son enfant, et dont un mari partage la couche et la table? qu'il accompagne lorsqu'elle va en Egypte et quand elle en revient, et fait seul avec elle un voyage si long et si solitaire? Comment a-t-on pu faire croire cela aux hommes, le faire accepter de l'univers entier? Et pourtant cela s'est cru avec une telle facilité et une telle force, que moi-même je me sens porté à le croire, à cause de la multitude de ceux qui le croient. Des jeunes gens et des jeunes filles, des vieillards et des enfants ont préféré souffrir mille morts plutôt que de douter un seul instant de ces merveilles.

10. Oui, le premier mélange est excellent, mais le second l'est davantage, et le troisième l'est bien plus encore. Le premier, l'oreille l'a entendu, mais l'oeil ne l'a point vu. Eu effet, on a entendu prêcher et on a su d'un bout du monde à l'autre ce grand mystère d'amour; mais l'œil de l'homme n'a point vu, il n'y a que vous, ô mon Dieu, qui ayez vu, comment vous vous êtes uni à un corps semblable au nôtre dans l'étroit espace du sein d'une vierge. Quand au second mélange, l'oeil de l'homme l'a vu; car cette reine unique, qui conservait soigneusement le souvenir de toutes ces merveilles et les repassait dans son coeur, sut qu'elle était en même temps vierge et féconde; et Joseph, qui ne fut pas moins le témoin que le gardien d'une telle virginité, en eut aussi connaissance. Enfin, le troisième a trouvé place dans le coeur de l'homme, qui a cru ce qui a été fait, comme il a été fait; qui tient pour certain et croit très-fermement, non parée qu'il J'a vu, mais parce qu'il l'a entendu prêcher, ce qui s'est fait, et lui a été annoncé. Or, voyez dans le premier mélange ce que Dieu vous a donné; dans le second, par quel moyen il vous l'a donné; et dans le troisième, pour quel motif il vous l'a donné. Il vous a donné le Christ par Marie, pour vous guérir. Dans le premier mélange est un remède, un cataplasme fait de Dieu et de l'homme pour guérir toutes nos infirmités. Ces deux espèces se sont trouvées mélangées dans le sein de la Vierge, comme dans un mortier, le Saint-Esprit fut le pilon qui les mêla avec douceur. Mais, comme tu étais indigne, ô homme, de le recevoir directement, il fut donné à Marie, afin que tu reçusses d'elle tout ce que tu peux avoir; et Marie, en tant qu'elle est mère, 'a donné pour toi le jour à Dieu, et en tant qu'elle est vierge elle a mérité d'être exaucée dans ta cause, dans la cause du genre humain tout entier. Si elle n'était que mère, il lui suffirait d'être sauvée en mettant des enfants au monde; si elle n'était que vierge, elle se suffirait à elle-même ainsi; mais le fruit béni de ses entrailles ne serait point le prix du genre humain. Ainsi, dans le premier mélange se trouve le remède, dans le second il nous est appliqué; car Dieu a voulu que nous n'eussions rien qui ne nous vînt par Marie; mais dans le troisième se trouve le mérite, attendu que nous ne pouvons croire, avec une ferme foi, toutes ces choses, sans acquérir par là un mérité; or, dans la foi se trouve la guérison, puisqu'il est dit . " Celui qui croira sera sauvé (Marc. XVI, 16). "

 

 

 

QUATRIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Le remède se trouve dans la main gauche du Très-Haut, et sa droite est pleine de délices.

1. La coutume de notre ordre n'exige point de sermon aujourd'hui; néanmoins, comme la célébration des messes doit nous prendre demain plus de temps qu'à l'ordinaire, et nous en laisser trop peu pour un sermon d'une certaine étendue, j'ai pensé que je devais préparer dés aujourd'hui vos coeurs à cette grande solennité, surtout en considérant la profondeur et l'incompréhensible hauteur de ce mystère, qu'on pourrait comparer à une source d'eau vive, qui serait d'autant plus abondante qu'on y puise davantage, en sorte qu'on ne saurait l'épuiser. D'ailleurs, je connais toutes vos tribulations pour Jésus-Christ, Dieu inouïe ! une Vierge enfante et reste immaculée après son enfantement, possédant ainsi la fécondité du sexe et l'intégrité de la chair; la joie de la mère et l'honneur de la vierge. J'attends maintenant, avec confiance, la gloire promise de mon incorruptibilité dans ma chair, puisqu'il a conservé cette incorruptibilité dans sa mère. Il sera facile en effet, à celui qui laissa sa Mère immaculée dans l'enfantement, de me rendre incorruptible en me ressuscitant.

5. Mais il y a de plus grandes richesses encore et une gloire plus complète que ces richesses et cette gloire-là. C'est une femme devenue mère sans rien perdre de sa virginité, et un fils exempt de toute souillure du péché. Si la malédiction d'Eve n'atteint point cette mère, l'enfant, né d'elle, échappe aussi au sort commun de tous ceux dont le Prophète a dit : " Nul n'est exempt de souillure, pas même l'enfant qui n'a encore vécu qu'un jour sur la terre (Job XV, 14). " Voilà cet enfant sans souillure, seul vrai entre tous les hommes, disons mieux, la Vérité même. "Voilà l'Agneau sans tache, l'Agneau qui ôte les péchés du monde (Joan. I, 29). " Qui est-ce qui peut, en effet, mieux ôter les péchés du monde que celui en qui il n'y a point place pour le péché? Oui, celui-là peut me purifier qui est lui-même exempt de toute souillure. Que sa main, la seule que la poussière n'ait point salie. vienne enlever la boue dont mes yeux sont couverts; puisqu'il n'a point de poutre dans l'oeil, qu'il vienne ôter la paille qui se trouve dans le mien; bien plus, comme il n'a pas même le plus petit grain dé poussière dans le sien, qu'il débarrasse le mien de la poutre qui l'offusque.

6. Nous avons vu quelles sont ces richesses de salut et de vie, nous avons vu sa gloire, la gloire qui convient au Fils unique du Père. Si vous me demandez de quel Père, je vous répondrai par ces mots " Il sera appelé le Fils du Très-Haut (Luc. I, 32). " Tout le monde sait quel est ce Très-Haut, mais pour qu'il ne reste aucun doute sur ce point, l'ange Gabriel dit lui-même à Marie : "Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Ibid. 35): " O fruit véritablement saint, Seigneur, vous ne souffrirez point que votre saint, qui a exempté sa mère de toute corruption, éprouve lui-même la corruption (Ps. XV, 10). Les miracles s'accroissent, les richesses se multiplient, les trésors s'ouvrent. Celle qui enfante est mère et vierge, celui qui est enfanté est Dieu et homme. Maïs les choses saintes seront-elles données aux chiens et les perlés jetées aux pourceaux? Cachons notre trésor dans le champ et renfermons notre argent dans notre bourse. Que les fiançailles de la mère dérobent aux regards une conception à laquelle l'homme demeure étranger, que le vagissement et les cris de l'enfant nouveau-né donnent le change sur cet enfantement sans douleur; voilez, ô Marie, voilez l'éclat de ce soleil levant; déposez votre enfant dans une crèche, enveloppez-le de langes, car ces langes sont eux-mêmes toute notre richesse. En effet, les langes du Sauveur sont plus précieux que la pourpre, cette crèche est plus glorieuse que les trônes dorés des rois, la pauvreté de Jésus-Christ plus riche que toutes les richesses et que tous les trésors. Où trouver, en effet, quelque chose de plus riche et de plus précieux que l'humilité qui sert à acheter le ciel et à acquérir la grâce? car il est écrit : " Bien heureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux leur appartient (Matth. V, 3), et l'Apôtre nous assure que " Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). " Vous voyez combien l'humilité nous est recommandée dans la naissance du Sauveur qui, en venant au monde, s'est anéanti lui-même, a pris la forme et la nature de serviteur, et a passé pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors.

7. Mais voulez-vous des richesses plus précieuses et utile gloire plus excellente encore? Vous avez sa charité dans sa passion.; car " personne ne peut avoir un, plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13). " Ces richesses de salut et cette gloire ce sont le précieux sang par lequel nous avons été rachetés, et la croix du Seigneur dans laquelle nous mettons toute notre gloire, comme l'Apôtre qui disait : " Pour moi, Dieu me préserve de me glorifier en quoi que ce soit, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Gal. VI,14), " et qui s'écriait encore : " Je n'ai point fait profession de savoir autre chose, parmi vous, que Jésus-Christ crucifié ( I Corinth. II, 2). " La gauche de Dieu c'est donc Jésus-Christ, mais Jésus crucifié, et la droite c'est encore Jésus-Christ, mais Jésus glorifié : a Je ne connais, disait-il, que Jésus et Jésus crucifié. " Peut-être bien est-ce nous qui sommes nous-mêmes la croix de Jésus, à laquelle on rapporte qu'il a été attaché, car l'homme représente en lui la forme de la croix, comme on peut le voir lorsqu'il étend les bras. En effet, le Christ dit par la bouche du Psalmiste : " Je me trouve plongé dans le limon de l'abîme (Psal. LXVIII, 3). " Or, évidemment ce limon n'est autre chose que nous-mêmes, attendu que nous avons été faits de limon; mais celui qui a servi à nous faire était le limon du paradis terrestre, et maintenant nous sommes le limon de l'abîme. "Je suis plongé, " dit-il, non pas j'ai passé par le limon où j'en suis sorti. " Je suis avec vous jusqu'à la consommation, du siècle (Matth. XVIII, l0). " Attendu qu'il est Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. Il est donc avec nous, mais par sa main gauche. Ainsi voyons-nous qu'autrefois, quand Thamar enfanta, Zara la première montra, hors du sein de sa mère, une main à laquelle fut lié un fil d'écarlate, symbole de la passion du Seigneur.

8. Nous tenons donc maintenant la main gauche, mais il nous faut encore crier : " Seigneur, tendez votre droite à l’ouvrage de vos mains (Job XIV, 15), " car " elle est pleine de délices pour nous jusqu'à la fin des siècles (Psal. XV, 12). " Seigneur, tendez-nous la main droite et cela nous suffit. " La gloire et les richesses sont dans sa demeure, dit le Psalmiste (Psal. CXI, 3), " sans doute dans la demeure de celui qui craint le Seigneur; mais dans la vôtre, Seigneur, qu'y a-t-il? Des actions de grâces et des paroles de louanges. " Bienheureux, en effet, sont ceux qui demeurent dans votre maison, etc. (Psal. LXXXIII, 5). " Car l'œil n'a point vu l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (I Corinth. II, 9). " C'est une lumière inaccessible, une paix qui surpasse tout sentiment, une source qui, au lieu de jaillir en haut, jaillit en bas. L'oeil de l'homme n'a point vu la lumière inaccessible, et son oreille n'a point entendu la paix incompréhensible. Il est vrai, les pieds de ceux qui portent la bonne nouvelle de la paix sont beaux (Rom. X, 15), mais quoique leur, voix ait retenti dans le monde entier, cependant bien loin de faire entendre aux oreilles des hommes cette paix qui surpasse tout sentiment, ils n'ont pas pu l'entendre. En effet, saint Paul lui-même dit : "Mes frères, je ne crois pas l'avoir comprise (Philip. III, 13). La foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu, parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée (Rom, X, 17) ; " remarquez, la foi non la vue; la promesse non le don de la paix. Il y a bien une paix dès maintenant sur la terre pour les hommes de bonne volonté; mais qu'est-ce que cette paix-là comparée à la plénitude et à la surexcellence de cette autre paix? Voilà pourquoi le Seigneur a dit lui-même : " Je vous laisse, je vous donne ma paix (Joan. XIV, 27), " comme s'il avait dit Vous n'êtes pas encore capables dé goûter ma paix, cette paix qui surpasse tout sentiment et qui est une paix dans la paix même. Voilà pourquoi je vous donne la patrie de la paix et vous laisse, en attendant, le chemin de la paix.

9. Mais pourquoi ces paroles : " Le coeur de l'homme n'a point conçu? " Sans doute, c'est parce que c'est une source qui ne jaillit point en haut. Nous savons, en effet, qu'il est dans la nature des sources d'aimer le creux des vallées et de fuir les hauteurs escarpées ides montagnes, selon ce qui est écrit : "Vous conduisez les fontaines dans les vallées et vous faites couler les eaux entre les montagnes (Psal. CIII, 10). " Voilà pourquoi je rappelle si souvent à vos charités que " Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). " Les sources ne remontent point, de quelque lieu qu'elles jaillissent. On pourrait croire à la première vue que, suivant cette règle, les voies de la grâce ne sont point fermées à l'orgueil, d'autant plus que le premier orgueilleux que l'Ecriture appelle le roi des enfants de l'orgueil n'a point dit, selon les Saintes Lettres : Je serai plus haut, mais " je serai semblable au Très-Haut (Is. XIV, 14). " Cependant l'Apôtre n'a point avancé un mensonge quand il a dit : " Il s'élève au-dessus de tout ce qui est cru et adoré comme Dieu (II Thess. II, 4). " L'homme ne peut entendre cette parole sans frémir d'horreur. Plaise à Dieu que son âme frémisse d'une égale horreur à ces pensées et à ces sentiments mauvais. Car je vous dis, moi aussi, que non-seulement le démon mais tout orgueilleux s'élève au-dessus de Dieu même. En effet, Dieu veut qu'on fasse sa volonté, et l'orgueilleux veut aussi qu'on fasse la sienne; il vous semble que jusque-là les choses sont égales, mais remarquez combien les rapports sont disproportionnés. Dieu, il est vrai, veut que sa volonté soit faite, mais seulement dans les choses que la raison approuve; l'orgueilleux, au contraire, veut que la sienne se fasse, qu'elle soit conforme ou non à la raison. Voyez-vous comme il se tient sur les hauteurs et comment les ruisseaux de la grâce ne peuvent remonter jusqu'à lui? " Si vous ne vous convertissez, dit le Sauveur, et si vous ne devenez comme un petit enfant. — Il voulait parler de lui en qui habite et d'où s'épanche la plénitude de toutes les grâces, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. XVIII, 3). " Creusez donc des canaux, aplanissez ces montagnes de pensées terrestres et orgueilleuses, devenez semblables au Fils de l'homme, non point au premier homme, attendu que la source de la grâce ne saurait remonter jusque dans le coeur de l'homme charnel et terrestre; purifiez aussi votre oeil, si vous voulez voir la plus pure des lumières; inclinez votre oreille à l'obéissance si vous voulez parvenir un jour au repos éternel et à la paix dans la paix. C'est une lumière à cause. de sa sérénité; c'est une paix pour sa tranquillité et une source pour son éternel épanchement. La source ce sera le Père, de qui naît le Fils et procède le Saint-Esprit; la lumière ce sera le Fils qui est la splendeur de la vie éternelle, la vraie lumière éclairant tout homme venant en ce monde: la paix ce sera le Saint-Esprit qui se repose sur les coeurs humbles et pacifiques. Mais si je parle ainsi ce n'est point pour dire que ces choses soient propres à chacune des trois personnes de la Trinité; car le Père est aussi lumière, puisque le Fils est lumière de lumière; le Fils est aussi paix, car il est notre paix celui qui a réuni les deux en un; le Saint-Esprit également est une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle.

10. Mais quand y arriverons-nous? Seigneur, quand me remplirez-vous de la joie de voir votre face? Nous nous réjouissons déjà en vous parce que vous nous avez visités comme un soleil levant qui nous vient du haut des cieux; nous nous réjouissons de nouveau dans la bienheureuse espérance de votre second avènement. Mais quand goûterons-nous la plénitude de la joie, non par un effet de notre souvenir, mais par suite de votre présence ? Non dans le bonheur de l'attente, mais dans le charme de la claire vue? " Que votre modestie, disait l'Apôtre, soit connue de tous les hommes, le Seigneur est proche (Philip. IV, 5). " N'est-il pas juste, en effet, que notre modestie soit connue comme celle du Seigneur l'est de tous les hommes? Est-il rien de plus inconvenant que de voir l'homme agir sans modestie, l'homme, dis-je, qui rie peut ignorer sa faiblesse, quand le Seigneur de majesté s'est montré modeste au milieu des hommes? " Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de coeur (Matth. XI, 29), " afin que votre modestie puisse aussi être connue des autres. Par ces paroles qui suivent, " le Seigneur est proche, " il faut entendre sa main droite, attendu que lorsqu'il parle de sa gauche il dit lui-même : " Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (Matth. XXVIII, 20). " Oui,mes frères, le Seigneur est proche, ne vous mettez plus en peine de rien; il est là tout prêt et ne peut tarder à paraître. Ne vous laissez aller ni à la fatigue ni à la défaillance; cherchez-le pendant qu'on peut encore le trouver, invoquez-le tandis qu'il n'est pas loin. " Le Seigneur est tout près des coeurs qui sont dans les épreuves et la tribulation (Psal. XXXII, 19). " Il est tout proche de ceux qui l'attendent, mais de ceux qui l'attendent en vérité. D'ailleurs, voulez-vous savoir combien il est proche, écoutez les chants de l'Épouse quand elle parle de l'Époux : "Le voici, dit-elle,, qui se tient derrière la muraille (Cant. II, 9). " Or, par cette muraille c'est votre corps qu'il faut entendre, car il n'y a que lui qui vous empêche de le voir, quoiqu'il soit près de vous. Aussi saint Paul s'écriait-il : "Je voudrais être débarrassé des liens de ce corps et me trouver avec le Christ (Philip. I, 23). " Ailleurs il disait en gémissant " Malheureux homme que je suis, qui donc me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24)." Tel aussi le Psalmiste s'écriait : " Tirez mon âme de sa poison. afin que je bénisse votre nom (Psal.. CXLI, 8). "

 

 

 

CINQUIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL.

Sur ces paroles : " Sanctifiez-vous, aujourd'hui et tenez-vous prêts; car demain vous verrez la majesté de Dieu en vous.

1. Sur le point de célébrer l'ineffable mystère de la naissance de Notre-Seigneur, c'est avec raison que nous sommes avertis, mes frères, de nous sanctifier et de nous tenir tout prêts. Car c'est le Saint des saints qui approche, c'est celui qui a dit : " Soyez saints parce que je suis saint, moi qui suis le Seigneur votre Dieu (Levit. XIX, 1). " Autrement comment le saint pourrait-il être, donné aux chiens et les perles jetées aux pourceaux, s'ils ne commencent point à se purifier les uns de leurs iniquités et les autres de leurs criminelles voluptés, pour fuir ensuite, avec toute la sollicitude possible, les premiers leur vomissement, et les seconds leur bauge fangeuse? Jadis les Israélites charnels, pour participer aux choses saintes, commençaient par se purifier selon la chair, par diverses ablutions, par des offrandes et par des sacrifices qui n'avaient point la vertu de, purifier la conscience, esclave du péché. Mais toutes ces purifications ont fait leur temps, car elles ne devaient durer que jusqu'aux jours de la délivrance qui sont arrivés maintenant. C'est donc bien à propos qu'on nous fait un devoir d'une justification parfaite, d'une purification intérieure, d'une pureté toute spirituelle, selon ces paroles du Seigneur ; " Bienheureux sont ceux qui ont le eceur pur parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8). " C'est dans ce but que nous vivons, mes frères,, c'est pour cela que nous sommes nés, pour cela que nous avons été appelés, pour cela enfin que le jour d'aujourd'hui a lui sur nos têtes. Il n'y avait que nuit et ténèbres dans le monde entier avant le lever de la lumière véritable, avant la naissance du Christ. Bien plus, chacun de nous était aussi dans les ténèbres de la nuit avant sa conversion et sa régénération intérieure.

2. N'est-il pas vrai que la face de la terre était plongée dans la nuit la plus sombre et dans les plus épaisses ténèbres, alors que nos pères adoraient des dieux fabriqués de leurs mains, et, par une sacrilège folie, décernaient les honneurs divins à des divinités de pierre ou de bois? Et nous-mêmes n'étions-nous point dans les plus profondes ténèbres quand nous vivions dans le siècle, comme si nous n'avions point eu de Dieu, quand nous étions traînés à la remorque de toutes nos passions, attirés par tous les appâts de la chair et soumis en esclaves à tous les désirs du siècle; quand nos membres donnaient des armes au péché, et que l'iniquité passée était pour nous un pas vers une iniquité nouvelle; quand enfin nous étions adonnés aux oeuvres de ténèbres dont nous rougissons à présent? Or, l'Apôtre a dit : " Ceux qui dorment, dorment pendant la nuit, et ceux qui s'enivrent le font aussi la nuit (Thes. V, 7). " Vous avez été tels autrefois, mais vous avez secoué votre sommeil, mais vous vous êtes sanctifiés, si toutefois vous êtes des enfants de lumière, des fils du jour, non de la nuit ni des ténèbres. En effet, le héraut du jour a dit : " Soyez sobres et vigilants (Pet. V, 8) : " et, en parlant aux Juifs des autres apôtres, le jour de la Pentecôte, il leur demandait: "Comment ceux-ci pouvaient être ivres puisqu'on n'était encore qu'à la troisième heure du jour (Act. II, 15). " Au langage de Pierre se rapporte ce que disait son collègue en apostolat: "La nuit est avancée et le jour approche. Quittons donc les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière, puis marchons avec bienséance et honnêteté, comme on doit marcher durant le jour (Rom. XIII, 12). " Renonçons, dit-il, aux oeuvres des ténèbres, c'est-à-dire au sommeil et à l'ivresse, car, ainsi que je l'ai dit plus haut, ceux qui dorment, dorment pendant la nuit et ceux qui s'enivrent le font aussi durant la nuit, cessons de dormir puisque le jour est levé, et marchons comme on doit marcher dans le jour, c'est-à-dire avec honnêteté, non point comme des gens que l'ivresse fait chanceler. Apercevez-vous un homme dont l'âme, engourdie pour le bien, sommeille? Il est encore plongé dans les ténèbres. En apercevez-vous un autre enivré d'absinthe s'élever au-dessus de ce qu'il doit dans les sentiments qu'il a de lui-même, dont l'oeil n'est jamais rassasié de ce qu'il a vu, ni l'oreille satisfaite de ce qu'elle a entendu, qui éprouve pour l'argent, et pour ce qui y ressemble, une faim insatiable et une soif aussi longue que celle de l'hydropique? C'est un enfant de ténèbres, un fils de la nuit. D'ailleurs, ces deux vices vont rarement l'un sans l'autre, car l'Ecriture a dit : " L'homme oisif est rempli de désirs, c'est-à-dire, tout homme qui sommeille est plongé dans l'ivresse. Sanctifions-nous donc aujourd'hui et tenons-nous prêts, mais aujourd'hui même, en secouant le sommeil de la nuit; dissipons aussi, car le jour a lui, l'ivresse de la nuit, pour nous sanctifier, et mettons un frein à la fureur des mauvais désirs. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux mots : Nous éloigner du mal et faire le bien.

3. Mais il faut que ce soit aujourd'hui, car le jour de demain ne se passera ni en sanctification ni en préparation, mais sera pris tout entier par la vision de la majesté de Dieu. " Demain, est-il dit, vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous. " C'est ce que dit aussi le patriarche Jacob quand il s'écrie: " Demain mon innocence me rendra témoignage devant vous (Gen. XXX, 33). " Aujourd'hui on pratique le justice, mais demain elle doit rendre témoignage pour nous; aujourd'hui on la cultive trais demain elle doit porter des fruits. Comment d'ailleurs pourrait-on moissonner là où on n'a point semé? Aussi celui qui maintenant méprise la sainteté, ne verra point alors la majesté; celui pour qui le soleil de justice ne se sera point levé, ne verra point non plus le soleil de gloire se lever à ses yeux, et le joui de demain ne luira pas pour lui, si le jour d'aujourd'hui a été pour lui sans lumière, car celui qui aujourd'hui a été fait notre justice, par Dieu le Père, est le même qui demain apparaîtra comme notre vie, afin que nous soyons avec lui dans la gloire. S'il naît aujourd'hui tout petit enfant, c'est afin que nul n'ose s'enorgueillir, mais que nous nous convertissions et devenions aussi nous-mêmes comme de petits enfants. Demain donc se montrera le grand Dieu, le Seigneur digne de toutes louanges, afin que nous recevions aussi louanges et grandeur le jour où chacun recevra de Dieu la gloire qu'il mérite. Ainsi le jour de demain glorifiera ceux que le jour d'aujourd'hui aura justifiés, et la vision de la majesté divine succédera à la consommation de la sainteté. Or, ce n'est pas d'une vaine vision qu'il est ici question, puisqu'elle consiste dans la similitude; en effet, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est; voilà pourquoi il est dit non pas seulement, " vous verrez la majesté de Dieu, " mais, " vous la verrez en vous. " C'est qu'en effet si aujourd'hui nous ne nous voyons en lui que comme dans un miroir, parce que maintenant c'est lui qui reçoit de nous, demain nous le verrons en nous, parce que c'est nous qui recevrons de lui, quand il se montrera à nous et nous attirera: à lui. C'est là ce qu'il a promis de nous servir en passant (Luc. XII, 37); mais en attendant nous recevons de sa plénitude non pas gloire pour gloire, j'en conviens, mais grâce pour grâce, selon ces paroles du Psalmiste : " Le Seigneur nous donnera la grâce et la. gloire (Psal. LXXXIII, 13). " Gardez-vous donc bien de faire peu de cas du premier de ces dons, si vous désirez recevoir le second, de dédaigner les. premiers morceaux, si vous voulez goûter aux suivants, et de refuser de prendre ce qu'on vous sert, pour le plateau sur lequel on vous le sert. Car notre pacifique Sauveur s'est fait plateau incorruptible en se donnant un corps inaccessible à la corruption, dans lequel il nous servît les mets du salut. Il est dit, en effet : " Vous ne souffrirez point que votre Saint éprouve la corruption (Psal. XV, 11). " Or il est certainement question en cet endroit de celui dont parlait Gabriel quand il disait à Marie : " Le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Luc, I, 35). "

4. Soyons donc sanctifiés aujourd'hui par ce Saint-là, afin que nous voyions sa majesté lorsque le jour aura lui; car il n'y a encore que le jour de la sanctification, le jour du salut qui a lui pour nous, non point le jour de gloire et de félicité. D'ailleurs, tant qu'il n'est encore question que de la passion du Saint des saints qui souffrit le jour du Parasceve, c'est-à-dire le jour de la préparation, il est juste qu'on nous dise à tous : " Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts. " Oui, sanctifiez-vous en marchant tous les jours de vertu en vertu, et tenez-vous prêts à persévérer. Mais en quoi nous sanctifierons-nous? J'ai lu de quelqu'un, dans l'Ecriture, que le Seigneur " l'a sanctifié dans sa foi et dans sa douceur (Eccli. XLV, 4). " Il est, en effet, aussi impossible de plaire aux hommes sans la douceur que d'être agréable à Dieu sans la foi. Il est donc bien à propos que nous soyons avertis de nous tenir prêts dans les choses par lesquelles nous plairons à Dieu dont nous devons voir la majesté et mutuellement à nous autres hommes aussi, afin que nous la voyions en nous tous également. Nous devons donc faire provision de vertus, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes pour être agréables en même temps à notre Roi et à nos concitoyens qui sont aussi nos compagnons d'exil.

5. Mais ce qu'il faut chercher avant tout, c'est la foi dont il est dit " Il a purifié leur coeur par la foi (Act. XV, 9). " En effet, bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8). Abandonnez-vous donc à Dieu, confiez-vous à lui, jetez en lui toutes vos pensées, il vous nourrira et vous pourrez vous écrier : "Le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXIX, 18). " Voilà ce que ne goûtent point ceux qui aiment leur propre personne, ces demi-savants toujours inquiets pour eux-mêmes, qui accomplissent tous les désirs de la chair, et sont sourds à la voix de celui quia dit: " Jetez dans son sein toutes vos inquiétudes et vos peines parce qu'il a soin de vous (I. Petr. V, 7). " Car mettre la confiance en soi, ce n'est pas de la confiance, c'est de la trahison, avoir foi en soi, c'est se défier, non se confier. Le vrai fidèle est celui qui ne croit point en soi, n'espère point en soi, est à ses yeux comme un vase fêlé, et perd son âme; mais de manière à la garder pour l'éternité. Or, il n'y a qu'un cœur plein d'humilité qui puisse faire cela, qui empêche l'âme fidèle de compter sur soi, et la force à se quitter elle-même pour s'élever enfin comme du désert, appuyée sur son bien-aimé et par conséquent inondée de délices.

6. Mais pour que notre sanctification soit parfaite, il faut encore que nous apprenions du Saint des saints la mansuétude et la grâce de la vie en commun, selon ces propres paroles du maître : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI, 29). " Qu'est-ce qui nous empêche de dire que celui qui est doux, plein de mansuétude et de miséricorde, qui s'est fait enfin tout à tous, qui répand sur tous ses semblables l'huile de sa douceur et de sa mansuétude, dont il est lui-même si pénétré, si arrosé et si ruisselant, qu'il semble la laisser couler de tout son être, est effectivement inondé de délices? Heureux celui qui s'est préparé par cette double sanctification, et peut dire : " Mon cœur est tout prêt, Seigneur, mon cœur est tout prêt (Psal. LVI, 8). " Il a en effet produit aujourd'hui son fruit dans la sanctification, et demain il aura pour fin la vie éternelle, car il verra la majesté de Dieu, ce qui n'est autre chose que posséder la vie éternelle, selon ce mot de la vérité même : " La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que vous avez envoyé (Joan. XVII, 3). " Le juste juge lui donnera ce jour-là une couronne de justice que nulle antre ne remplacera plus jamais. Il verra alors et nagera dans la joie, il sera dans l'admiration et son coeur se dilatera de bonheur. Mais jusqu'où se dilatera-t-il ?Jusques au point de voir la majesté de Dieu: en soi. Ne pensez pas, mes frères, qu'il me soit possible de vous expliquer cette promesse par des paroles.

7. Sanctifiez-vous donc aujourd'hui et tenez-vous prêts, demain vous verrez et vous serez dans la joie, mais ans une joie qui remplira tout votre coeur. En effet que ne pourrait remplir une pareille majesté? Elle le remplira donc par dessus les bords au point de le faire déborder lorsque " on versera dans votre sein une bonne mesure, bien pressée et bien entassée, qui se répandra par-dessus les bords Luc. VI, 36). " La mesure sera tellement comble qu'elle surpassera en hauteur, non-seulement vos mérites, mais nos veaux mêmes, car Dieu peut faire bien plus que nous ne saurions comprendre et espérer. En effet, tous nos veaux semblent se rapporter à ces trois choses : l'honnête, l'utile et l'agréable; oui, là se bornent tous nos désirs; voilà ce que nous souhaitons tous avoir, avec cette seule différence que les .uns désirent plus une chose et les autres une autre. Ainsi, tel homme est tellement adonné au plaisir qu'il ne songe même plus ni à ce qui est honnête, ni à ce qui est utile; tel autre, au contraire, est si avide de biens qu'il ne voit ni ce qui est honnête, ni même ce qui est agréable; et ce troisième, se mettant aussi peu en peine de l'utile que de l'agréable, ne songe avant tout qu'à ce qui lui fait honneur. Tous ces veaux n'ont rien de répréhensible, et si nous recherchions l'objet de ces désirs en Dieu, nous l'y trouverions certainement, attendu que là où ils sont en effet, ils ne font qu'un; car le souverain bien n'est autre chose que ce qui est souverainement honnête, utile et agréable. Or, c'est là précisément, autant toutefois que notre esprit peut le comprendre, l'objet de notre attente et la promesse qui nous est faite de voir la majesté de Dieu en nous, en sorte que Dieu sera tout en tous, c'est-à-dire sera tout à la fois pour nous, l'agréable, l'utile et l'honnête.

 

 

 

 

 

SIXIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL.

L'Annonciation de Jésus-Christ.

1. Nous avons entendu un mot plein de grâce,une parole vraiment digne d'être bien reçue : "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. n Mon âme s'est fondue d'aise en l'entendant, mon coeur est embrasé dans ma poitrine, il a hâte de vous faire part de son bonheur et de son allégresse, et de répondre ainsi à vos désirs habituels. Jésus signifie Sauveur: Est-il rien de plus nécessaire qu'un Sauveur à des hommes qui sont perdus, de plus désirable à des gens dans le malheur et de plus utile à quiconque est dans un état désespéré. En effet, sans lui d'où attendre le salut, ou plutôt comment en concevoir même la plus faible espérance sous la loi du péché, dans ce corps de mort, dans ces jours mauvais et dans ce séjour d'affliction, si elle ne renaît inopinément pour nous ? Ainsi peut-être désirez-vous faire votre salut, mais, pénétrés de la gravité du mal qui vous ronge et de votre délicatesse, vous avez peur que le remède soit trop pénible à supporter. Ne craignez plus, le Christ est on ne peut plus doux et aimable, il est plein de miséricorde, et Dieu l'a sacré d'une huile de joie en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à sa gloire, c'est-à-dire que ceux qui recevront au moins une partie de sa plénitude, sinon la plénitude même de l'huile de son sacre. Mais en m'entendant dire qu'il est doux, n'allez pas croire qu'il est inefficace, car le Sauveur est en même temps le Fils de Dieu. Or, tel Père tel Fils, il n'a qu'à vouloir pour pouvoir. Ou bien peut-être encore à ce mot d'un Sauveur aussi utile qu'aimable, murmurez-vous je ne sais quoi et parlez-vous de condescendance. Pour ce qui vous regarde, vous êtes heureux d'avoir un Sauveur, parce que vous êtes cloués par la paralysie sur votre grabat, ou même étendus à demi-mort au milieu de la route qui va de Jérusalem à Jéricho; vous vous sentez même d'autant plus heureux que ce médecin est doux, ne fait point usage de médecines difficiles à prendre ; autrement, peut-être auriez-vous mieux aimé demeurer toujours malades que de vous voir guérir en peu de temps, mais à condition de suivre un traitement bien pénible. Car il y en a beaucoup de nos jours qui périssent parce qu'ils fuient le médecin; ils ne le connaissent que sous le nom de Jésus, mais ne savent point qu'il est le Christ et ne jugent de la difficulté du remède qui leur est préparé que par le sentiment qu'ils ont du nombre et de la malignité des maladies dont ils sont atteints.

2. Mais si vous êtes sûr d'avoir un Sauveur et si vous savez en même temps qu'il est Christ, et ne se sert point de caustique, mais de baume, non du feu, mais de l'huile; je crois qu'il peut encore y avoir une préoccupation dans l'esprit d'une créature de noble origine, c'est que peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise, la personne de ce Sauveur ne soit pas digne d'elle. Mais je ne puis croire que vous soyez assez ambitieux, assez vaniteux, ni assez soucieux du point d'honneur pour ne vouloir point au besoin être guéri, même par un de vos compagnons d'esclavage s'il pouvait vous rendre la santé. Si c'était un ange, un archange ou quelqu'un des esprits célestes d'un, rang plus élevé encore, peut-être votre vanité ne trouverait-elle plus rien à dire. Recevez donc ce Sauveur avec d'autant plus d'empressement que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, a reçu un nom plus grand que tous les autres noms. Voyez, en effet, si ce ne sont pas là les trois choses que l'ange qui parla aux bergers de Bethléem, leur recommande clairement, quand, en leur annonçant la bonne et grande nouvelle, il leur dit : "Il vous est né aujourd'hui un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (Luc. II, 11)." Réjouissons-nous donc, mes frères, félicitons-nous vivement de cette naissance, que signalent d'une manière si éclatante à nos yeux, l'utilité que nous en tirons pour notre salut, la douceur du remède qui consiste en une onction et la majesté du Fils même de Dieu, et qui nous donne tout ce que nous pouvons souhaiter le plus ardemment, l'utile, l'agréable et l'honnête. Oui, réjouissons-nous, vous dis-je, repassons en nous-mêmes et redisons-nous mutuellement cette suave parole, ce mot plein de' douceur : "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda.

3. Et que personne ne me dise avec aussi peu de piété que de reconnaissance et de religion : cela n'est pas nouveau; c'est jadis que cette parole s'est fait entendre, il y a bien longtemps qu'on l'a dite pour la première fois, et que le Christ est né. Je suis de votre avis; il y a longtemps qu'on l'a prononcée, elle l'a été bien avant nous, ne vous étonnez pas de m'entendre dire qu'il y a bien1ongtemps, et qu'elle a été prononcée bien avant nous, car je me rappelle ces paroles du Prophète : " Elle est de toute éternité et depuis plus longtemps encore (Exod. XX, 18). " Oui, le Christ est né, non pas seulement avant ce siècle où nous vivons, mais avant tous les temps, sa naissance se perd dais la nuit des temps, ou plutôt dans la lumière inaccessible, dans le sein du Père, sur une montagne couverte d'ombre et de ténèbres épaisses. Or, c'est pour se faire connaître qu'il est né, mais qu'il est né dans le temps, de la chair et dans la chair, que le Verbe s'est fait chair. Faut-il s'étonner après cela qu'aujourd'hui encore l'Eglise, en parlant de celui dont il était dit si longtemps avant sa naissance . " Un enfant nous est né ( Isa. IX, 6), " dise aussi il est né? Cette parole a retenti autrefois à l'oreille des saints qui ne se sont -jamais lassés de l'entendre. D'ailleurs il s'agit de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, hier, aujourd'hui et toujours. C'était sans doute pour exprimer ce grand mystère que l'Apôtre nous a plus tard. si clairement montré dans le Christ et son Eglise, que le premier homme, notre père à tous, a dit : " L'homme abandonnera son père et sa mère, pour s'attacher à sa femme, et de deux qu'ils étaient ils deviendront une seule chair (Ephes. V, 31 et Gen. II, 24)."

4. Mais voilà aussi pourquoi Abraham, le père des croyants, a vivement désiré voir ce jour et l'a vu en effet (Joan. VIII, 56). Et quand il ordonna à son serviteur de placer sa main sous sa cuisse et de lui faire serment au nom du Dieu du ciel, certainement il prévoyait que ce Dieu du ciel devait naître de lui un jour. Ce même Dieu qui, en disant à l'homme selon son coeur. " J'établirai sur votre trône le fruit de votre ventre (Psal. CXXXI, 11), " faisant avec serment une promesse pleine de vérité, dont il ne devait point être frustré, avait initié David au secret de ses desseins, et c'est évidemment pour l'accomplissement des promesses faites à nos pères que, selon ce que l'ange annonce, il est né à Bethléem de Juda, la cité de David. Il avait été annoncé autrefois à nos pères et aux prophètes, en diverses occasions et de diverses manières, qu'il en serait ainsi. Loin de nous la pensée que ces oracles aient été froidement entendus par les amis de Dieu. Certainement, celui qui s'écriait: "Envoyez, Seigneur, celui que vous devez nous envoyer (Exod. IV, 13), " ne les avait point entendus d'une oreille distraite; et celui, qui disait: " O Seigneur, si vous vouliez ouvrir les cieux et eu descendre (Is. LXIV, 1), " ne les avait point non plus entendus avec indifférence. Je pourrais en dire autant de beaucoup d'autres encore. Vinrent ensuite les apôtres qui virent de leurs yeux, entendirent de leurs oreilles, et touchèrent de leurs mains le Verbe de vie, qui leur disait avec raison: Bienheureux les yeux qui voient ce qu'il vous est donné de voir (Matth. XIII, 16). " Enfin, les mêmes merveilles nous ont été réservées à nous autres chrétiens, mais dans les trésors de la foi, et c'est pour nous qu'il a dit encore. " Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (Joan. XX, 29). " Voilà notre part dans la parole de vie. N'allez point la trouver méprisable, car c'est de la foi qu'on vit, et c'est par elle qu'on vainc le monde; il est dit en effet, le juste vit de la foi (Abac. II, 4), et la victoire par laquelle le monde est vaincu, n'est le fait que de notre foi (I. Joan. V, 4). Oui, semblable à l'éternité, elle renferme dans les vastes replis de son sein, le passé, le présent et l'avenir, en sorte que pour elle, rien n'est passé, rien ne passe, rien ne la dépasse.

5. C'est donc avec raison qu'en témoignage de votre foi, dès que cette nouvelle retentit à vos oreilles, vous avez tressailli d'allégresse, vous vous êtes répandus en actions de grâce, vous vous êtes prosternés jusqu'à terre tous ensemble, comme pour vous réfugier, pleins d'espérance, à l'ombre de ses ailes, et vous cacher jusque dans ses plumes. En apprenant que le Sauveur est né, ne vous êtes-vous point écriés tous au fond de vos coeurs : "Pour moi, mon bonheur est de demeurer attaché a Dieu (Psal. LXXII, 28) ? " Ou plutôt, n'avez-vous point dit avec le prophète : " O mon âme, soyez soumise à votre Dieu (Psal. LXI, 6) ? " O que je plaindrais ceux qui ne se prosternant qu'en apparence, ont abaissé leur corps eu conservant leur coeur toujours orgueilleusement levé, car " Il y en a qui s'humilient malicieusement et qui ont le fond du coeur plein de tromperie (Eccli. XIX, 23). " Je les plaindrais, parce que ceux qui n'ont point suffisamment arrêté leurs regards sur leur misère, sentent moins vivement leurs maux, redoutent moins le danger qui les menace, ont recours avec moins de piété, aux remèdes que leur assure le Sauveur en naissant, se soumettent avec moins d'amour à Dieu et chantent avec une foi moins vive: " Seigneur, vous êtes notre refuge (Psal. LXXXIX, 1), " leurs hommages sont moins agréables, leurs prosternements moins sincères, leurs humiliations moins humbles, leurs victoires moins complètes et leur foi beaucoup moins vive. Mais pourquoi dit-il : " Bienheureux ceux qui n'ont point vu et ont cru (Joan. XX, 29). " Est-ce que croire n'est pas une manière de voir? Remarquez bien à quiet dans quelle circonstance il parlait ainsi; c'était à l'Apôtre qui n'avait cru que parce qu'il avait vu. Il est évident qu'il y a une différence, entre croire parce qu'on a vu, et voir en croyant. D'ailleurs, de quelle manière faut-il penser que votre père Abraham a vu le jour du Seigneur, si ce n'est par la foi ? Mais comment faut-il aussi entendre ces paroles que vous chantiez cette nuit: "Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts, car demain vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous, " si ce n'est pas synonyme de voir en esprit, de se représenter par la piété et la dévotion, d'honorer, par une foi non feinte, ce grand mystère de charité de Jésus-Christ, qui s'est manifesté dans la chair, a été justifié dans l'esprit, a apparu aux anges, a été prêché aux nations, a été cru de l'univers et s'est élevé au ciel plein de gloire.

6. Ce qui renouvelle sans cesse nos pensées est toujours nouveau, et ce qui ne cesse de porter ses fruits sans jamais se faner, n'est jamais vieux. Or, tel est le saint auquel il est donné de ne point connaître la corruption, tel est l'homme nouveau qui, bien loin d'être capable de vieillir, rend une vraie jeunesse pleine de vie, à ceux-mêmes, qui ont vieilli jusque dans la moëlle de leurs os. Voilà pourquoi, dans la joyeuse nouvelle qui nous est annoncée aujourd'hui, il est dit, si vous l'avez remarqué, non pas il est né, mais il naît : " Jésus-Christ, le fils de Dieu, naît à Bethléem, de Juda. " De même que tous les jours, il s'immole encore d'une certaine manière, tant que nous annoncions sa mort, ainsi semble-t-il naître tant que nous représentons, parla foi, sa naissance. Demain donc, nous verrons la majesté de Dieu, mais en nous, non pas en lui: c'est-à-dire, sa majesté dans l'humilité, sa force dans la faiblesse, Dieu dans l'homme; car il est l'Emmanuel; en d'autres termes, le Dieu en nous. Mais écoutez encore, les mots sont plus clairs : " Le Verbe, est-il dit, s'est fait chair, et il a habité parmi nous (Joan. I, 14). " Aussi, depuis lors et toujours, nous avons vu sa gloire, mais une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Ce n'est pas la gloire de la puissance ou de la splendeur du Père. Mais la gloire de la bonté du Père, la gloire de la grâce que nous avons vue, cette gloire dont l'Apôtre a dit: " Afin que la louange en soit donnée à la gloire de sa grâce (Ephes.1,6). ".

7. Ainsi donc il naît; mais où pensez-vous que ce soit? " A Bethléem de Juda (Luc. II,15), " il ne faut pas en effet chercher ailleurs, car les bergers ne disent point: allons au-delà de Bethléem, mais "passons à Bethléem. " Eh quoi, n'est-ce point une pauvre petite bourgade ? N'est-ce point la moindre des villes de Juda 2 Oui, mais il n'y a rien là d'indigne de celui qui de riche s'est fait pauvre pour nous, de Seigneur plein de grandeurs et de gloire est devenu pour nous un tout petit enfant ; de celui enfin qui disait : "Bienheureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux est à eux (Matth. V, 3), " et " si vous ne vous convertissez et ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. XVIII, 8)." Aussi fit-il choix d'une étable et d'une crèche, d'une maison de terre, d'un abri construit pour des animaux, afin que nous sachions bien qu'il est celui qui élève le pauvre de dessus son fumier, et qui sauve les hommes et les bêtes.

8. Plaise à Dieu que nous soyons la Bethléem de Juda et que le Seigneur nous fasse la grâce de naître en nous et de nous dire : " Puisque vous craignez le Seigneur, le Soleil de justice naîtra au milieu de vous (Malach. IV, 2) ! " Peut-être les paroles que nous citions plus haut signifient-elles que pour voir la majesté de Dieu en nous, nous avons besoin en même temps de nous sanctifier et de nous tenir prêts. En effet, selon le prophète " la Judée devint sa sanctification (Psal. CXIII, 2), " attendu que la confession purifie tout. Quant au nom de Bethléem, qui veut dire la maison du pain, il me semble qu'il est mis là pour signifier la préparation. En effet, comment celui, qui dit " Je n'ai pas de pain à la maison (Is. XXXI, 7), " serait-il prêt pour recevoir un ami? N'est-ce point parce qu'il n'était pas prêt que l'homme de l'Évangile fut contraint d'aller au milieu de la nuit frapper à la porte de son ami en disant : " Un de mes amis qui est en voyage vient de m'arriver et je n'ai rien à lui donner (Luc. XI, 6) . " C'était sans doute du juste que parlait le Prophète, quand il disait : " Il a toujours le coeur prêt à espérer dans le Seigneur; et comme il est fortement affermi dans cette espérance, il ne sera point ébranlé (Psal. CXI, 8). " On ne peut donc pas regarder comme étant prêt, un coeur qui a oublié de manger son pain, il n'a même plus de sang; au contraire, celui qui oublie le passé pour ne plus songer qu'à ce qui est placé devant ses yeux et au but auquel il tend, est vraiment tout prêt, il n'est point troublé et peut garder les commandements qui donnent la vie. Vous voyez qu'il y a deux oublis, l'un qu'on doit fuir, et l'autre qu'on doit désirer, de même que s'il y eut une partie de la tribu de Manassé qui passa le Jourdain, il y en eut une aussi qui resta sur la rive opposée. Il y en a qui oublient le Seigneur qui les a créés, et il y en a qui l'ont sans cesse présent aux yeux de leur pensée, oubliant leur peuple et la maison même de leur père; les premiers oublient le ciel, les seconds, la terre; ceux-là, le présent, ceux-ci, l'avenir; les uns ce qui se voit, les autres les choses invisibles; enfin, les premiers s'oublient eux-mêmes, les seconds oublient Jésus-Christ. Ce sont les deux demi-tribus de Manassé, ayant l'une et l'autre chacune son oubli, mais fane oublie Jérusalem, l'autre, Babylone; l'une oublie ce qui peut la retenir, elle est prête; l'autre au contraire oublie ce qui peut lui être utile et dont elle ne devrait jamais perdre le souvenir; celle-là n'est pas prête pour voir la majesté de Dieu en soi. Car ce n'est point la maison du pain où le Sauveur doit naître, et ce n'est pas le Manassé à qui doit apparaître celui qui est le chef d'Israël, et qui s'assied sur les Chérubins (Psal. LXXIX, 2), selon ces paroles du Prophète : " Apparaissez, Seigneur, devant Ephraïm, Benjamin et Manassé (Ezech. XIV. 14). " Je pense que ces trois tribus représentent ceux qui sont sauvés, les mêmes qu'un autre prophète désigne sous les noms de Noé, Daniel et Job, et que rappellent ces trois bergers à qui l'ange annonça la grande et bonne nouvelle de la naissance de l'Ange du grand conseil.

9. Peut-être aussi les trois mages signifient-ils aussi ceux qui viennent non plus seulement de l'Orient, mais aussi de l'Occident, pour s'asseoir avec Abraham, Isaac et Jacob. En effet, ce n'est peut-être point s'éloigner du sens des mots que de rapporter Ephraïm, qui signifie fructification, à l'offrande de l'encens, attendu que c'est à ceux que Dieu a établis pour aller et pour produire des fruits, c'est-à-dire aux pasteurs de l'Eglise, d'offrir de l'encens pour être un holocauste d'agréable odeur. Quant au mot Benjamin, le fils de la droite, il doit offrir l'or, c'est-à-dire la substance de ce monde, en sorte que le peuple fidèle, placé à la droite du juste juge, s'entende dire de sa bouche : " J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, etc. (Matth. XXV, 35). " Pour ce qui est de, Manassé, si toutefois il veut être celui à qui Dieu apparaît, il offrira la myrrhe de la mortification, qui, selon moi, est particulièrement le fruit de notre profession. Ce que je dis, afin que nous n'appartenions point à cette demi-tribu de Manassé, qui s'est fixée au-delà du Jourdain, et qu'oubliant ce qui est derrière nous, nous dirigions toutes nos pensées et tous nos efforts vers le but qui est placé devant nous.

10. Mais revenons à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Comme je vous l'ai déjà dit, Bethléem signifie la maison du pain, il est donc bon pour nous de nous y trouver. Là où est le Verbe de Dieu, ne peut manquer de se trouver en même temps le pain qui fortifie le coeur, selon ces paroles du Prophète: " Fortifiez-moi par vos paroles (Psal. CXVIII, 28). " Après tout, l'homme vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, il vit en Jésus-Christ et Jésus-Christ vit en lui. C'est là qu'il vit, là qu'il se manifeste ; or il n'aime point les coeurs inconstant et peu fermes, il n'aime que les coeurs solides et stables. Quiconque murmure, hésite, chancelle, songe à retourner à sa bauge et à son vomissement, quiconque nourrit la pensée de renoncer à ses voeux et à ses engagements, celui-là n'est pas une Bethléem, n'est pas la maison du pain; car il n'y a que la famine la plus intense qui puisse ainsi pousser un homme à descendre en Egypte, à faire paître les pourceaux et à envier les cosses dont on les nourrit, parce qu'il est loin de la maison de son père, loin de la maison du pain, de la maison où les mercenaires mêmes reçoivent du pain à discrétion. Le Christ ne naît donc point dans ces coeurs-là; ils manquent d'une foi forte qui est le vrai pain de vie, selon ces paroles de la sainte Ecriture : " Le juste vit de la foi (Abac. II, 4), " attendu que la vraie vie, qui n'est autre que Jésus même, n'habite que par la foi dans nos coeurs. D'ailleurs, comment Jésus peut-il naître en eux, comment le salut se lèverait-il pour eux, s'il est incontestablement vrai que celui-là seul qui " persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Matth. X, 32) ? " Evidemment, on ne saurait trouver le Christ en eux et ce n'est pas d'eux qu'il a été dit : " Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint-Esprit (Joan. LXVI, 2). " On le voit bien à ce que leur coeur s'est desséché depuis le moment où ils ont oublié de manger leur pain. Mais ils ne con viennent pas davantage au Fils de Dieu qui est tel que son esprit n'a les yeux que sur les gens humbles, pacifiques et craignant ses paroles; il ne peut y avoir d'alliance possible entre l'éternité et une pareille inconstance, en celui qui est par excellence et celui qui n'est pas deux instants de suite dans le même état. Mais d'ailleurs quelque fermes et quelque forts que nous soyons dans la foi, quelque bien disposés et quelque pourvus de pains que nous nous trouvions, grâce à celui à qui nous disons tous les jours . " Donnez-nous aujourd'hui :notre pain de chaque jour (Matth. VI, 14), " nous devons encore ajouter à notre prière, " pardonnez-nous nos offenses " car si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (I. Joan. I, 8). " Or la vérité c'est précisément celui-là même qui naît non pas simplement à Bethléem mais à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu.

11. Hâtons-nous donc de nous présenter devant le Seigneur pour confesser ses louanges, de nous sanctifier et de nous tenir prêts, afin d'être trouvés des Bethléems de Juda et de mériter de voir naître le Seigneur en nous. Mais s'il se trouve une âme, ce qui nous intéresse beaucoup, une âme, dis-je, qui en soit venue au point d'être une vierge féconde, une étoile de la nuit; une âme pleine de grâce, sur laquelle le Saint-Esprit descende, je pense que le Christ daignera naître non-seulement en elle mais d'elle. Sans doute nulle âme ne peut penser cela de soi, à moins qu'il ne l'ait comme désignée lui-même du doigt, en disant. " voici quelle est ma mère, et quels sont mes frères (Matt. XII, 49). " Mais écoutez pourtant un de ceux que le Sauveur désignait en parlant ainsi; " Mes petits enfants, dit-il, vous pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Gal. IV, 19). " Si le Christ semblait naître en eux, quand le Christ était formé en eux, comment pourrait-on dire qu'il ne naît pas de même de celui qui, en un certain sens, sentait de nouveau les douleurs de l'enfantement en eux? Mais toi-même, Synagogue impie, c'est toi qui nous as mis cet enfant au jour, sinon avec les sentiments du moins avec la fécondité d'une mère. Tu l'as rejeté de ton sein, tu l'as fait sortir de tes murs, et, l'élevant entre le ciel et la terre, il semble que tu as dit à l'Eglise des nations et à l'Eglise des premiers nés qui sont dans le ciel : ni vous, ni moi ne l'aurons, qu'on le coupe par la moitié, ou plutôt qu'on le partage non pas pour que- nous en ayons chacun notre part, mais pour que nous en soyons également privées. En effet, après l'avoir chassé de ton sein, tu l'as ensuite pris en tes mains et élevé en l'air; mais tu ne l'as éloigné et élevé que dans la mesure nécessaire pour qu'il ne fût plus dans ton enceinte, et qu'il ne touchât plus à la terre; puis tu l'as environné de fer, pour l'empêcher de s'écarter d'un côté ou de l'autre. Tu voulus que, séparé de toi, il n'appartint ni à l'une ni à l'autre Eglise. O mère cruelle, tu as voulu qu'il fût comme un enfant né avant le terme, en empêchant que personne le reçût à sa naissance. Eh bien, vois maintenant à quoi tu as réussi, ou plutôt vois que tu n'as réussi à rien. Toutes les filles de Sion sortent de leur demeure pour voir leur roi Salomon couronné du diadème que tu lui as mis sur la tête. Et lui, quittant sa mère, il s'est attaché à son épouse, pour ne plus faire qu'un avec elle en une seule chair. Chassé de ton enceinte et élevé de terre, il attire tout à lui, car il est le Dieu béni par dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.

 

 

 

 

JOUR DE NOËL

 

 

 

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Les fontaines du Sauveur.

1. C'est un grand jour, mes frères, que le jour de la naissance de Notre-Seigneur, mais il est plus court que les autres et me force de vous parler moins longuement. Ne vous étonnez pas que j'abrége mes paroles quand Dieu le Père a lui-même diminué son Verbe. Voulez-vous savoir combien était grand celui qu'il a fait petit ? écoutez comment ce Verbe parle de lui-même a Je remplis le ciel et la terre (Jerem. XXIII, 24). " Or, aujourd'hui il s'est fait chair, et on l'a déposé dans une étroite étable. "Vous êtes Dieu, lui dit le Prophète, vous l'êtes dès le commencement des siècles, et vous le serez jusqu'à la fin (Psal. LXXXIX, 29), " et voilà qu'il est devenu un enfant d'un jour.. Dans quel but, mes frères, pourquoi s'est-il anéanti, s'est-il humilié, s'est-il rapetissé de la sorte, lui le Seigneur de toute majesté, sinon pour que vous fissiez de même? Il commence dès maintenant à prêcher d'exemple ce qu'il doit plus tard enseigner de bouche, et à dire : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Matt. XI, 29). " En sorte que celui qui a dit que "Jésus a commencé par agir avant d'enseigner (Act. X, 1)," se trouve n'avoir rien dit que de vrai. Je vous en prie donc de toutes mes forces, mes frères, ne permettez pas qu'un si précieux modèle se soit en vain placé sous vos yeux, façonnez-vous sur lui, et renouvelez-vous au fond même de votre âme (Eph. IV, 23). Livrez-vous à l'étude de l'humilité, qui est le fondement et la gardienne de toutes les vertus; marchez sur ses pas, elle seule peut sauver vos âmes. D'ailleurs, est-il rien de plus indigne, rien de plus détestable et qui mérite de plus grands châtiments que d'entreprendre de s'élever sur la terre, quand on voit le Dieu même du ciel devenu tout petit Enfant ? il est d'une intolérable impudence, pour un misérable ver de terre, de s'enfler et de se grandir quand la majesté de Dieu même se réduit à néant.

2. Voilà donc pourquoi, il s'est anéanti en prenant la forme de l'esclave, lui qui était par sa forme égal à Dieu le Père; mais s'il s'est anéanti, c'est comme puissance et comme majesté, non point en tant que bon et miséricordieux. En effet, que dit l'Apôtre? " La bonté et l'humanité de Dieu, notre Sauveur, a paru dans le monde ( Tit. III , 4). " La puissance avait paru dans la création du monde, sa sagesse dans la manière dont il est gouverné, mais c'est surtout aujourd'hui dans son humanité que sa bonté et sa miséricorde se montrent à nous. Les Juifs avaient vu sa puissance éclater dans les prodiges et dans les miracles, aussi lisons-nous dans la loi ces paroles : " C'est moi qui suis le Seigneur, oui, c'est moi. " Les philosophes ont pu aussi par leurs propres yeux constater bien souvent quelle est sa majesté, car l'Apôtre a dit : " Ils ont connu ce qui peut se découvrir de Dieu (Rom. I, 19)." Mais d'un côté les Juifs tremblaient à la pensée de sa puissance, et les philosophes étaient écrasés, dans leurs études sur Dieu, par le poids de sa gloire. La puissance commande la soumission; la majesté, l'admiration; ni l'une ni l'autre ne commandait l'imitation. Montrez-nous donc, Seigneur, votre bonté que l'homme créé à votre image puisse imiter, car nous ne pouvons point imiter et ne devons pas vous envier votre majesté, votre puissance et votre sagesse. Jusques à quand votre miséricorde demeurera-t-elle à l'étroit au milieu des anges, et n'avez-vous que votre justice à montrer au genre humain tout entier ? "Seigneur, votre miséricorde est grande dans les cieux, et votre vérité l'est de la terre jusqu'aux nues (Psal. XXXV, 6), " et condamne également la terre tout entière et toutes les puissances de l'air. Que votre miséricorde étende son empire, qu'elle porte plus loin les pieux et les colonnes de la vérité, qu'elle agrandisse son bien et qu'elle atteigne d'un bout du monde à l'autre, avec force et dispose tout avec douceur. Seigneur, votre sein est resserré par le jugement, dénouez votre ceinture, et venez à nous ruisselant de miséricorde et débordant de charité.

3. Que crains-tu, ô homme, pourquoi trembles-tu à la pensée de la présence du Seigneur qui vient ? S'il vient, ce n'est pas pour te juger, mais pour te sauver. Jadis un de ses esclaves infidèles te persuada de lui dérober furtivement sa couronne et de ceindre ton front de son diadème. Pris sur le fait, tu avais tout à craindre, tu devais chercher à te soustraire à sa vue, d'autant plus que peut-être déjà le glaive flamboyait dans sa main. Mais aujourd'hui, dans le lieu de ton exil, là même où tu manges un pain arrosé de tes sueurs, un cri a retenti dans toute la contrée, le dominateur arrive. Où fuir le souffle de ses lèvres, où te cacher de sa présence ? Non, non, ne t'enfuis point, n'aie pas peur. Il ne vient pas les armes à la main, il ne veut point te punir, mais te sauver. Bien plus, pour que tu ne puisses dire encore : "J'ai entendu votre voix et je me suis caché (Gen. III, 10), " il vient aujourd'hui sous les traits d'un tout petit enfant qui, bien loin de parler, ne fait entendre que des vagissements plus touchants que terribles, du moins pour toi, sinon pour tout autre. Il s'est fait tout petit enfant, une Vierge mère enveloppe ses membres délicats de langes, peux-tu trembler encore ?Reconnais du moins à ces signes qu'il est venu, non pour te perdre, mais pour te sauver, non pour te garrotter, mais pour t'arracher à tes chaînes. Déjà même il lutte contre tes ennemis, déjà, cet enfant, qui n'est rien moins que la vertu et la sagesse de Dieu, foule de son pied le cou des grands et des superbes.

4. Tu comptes deux ennemis, la mort et le péché; c'est-à-dire la mort du corps et celle de l'âme. II vient pour les terrasser tous les deux et pour te délivrer de leurs mains, n'aie donc point peur. Et d'abord, il a commencé par vaincre le péché dans sa propre personne, en prenant la nature humaine sans en prendre la souillure. Le péché subit une éclatante défaite et se vit en effet complètement terrassé le jour où la nature humaine, qu'il se glorifiait d'avoir asservie et infectée tout entière de sa présence, se trouva, dans le Christ, complètement soustraite à son empire. Dès ce moment-là le Christ s'est mis à la poursuite de tes ennemis, et s'est rendu maître d'eux, et il ne s'est donné de cesse qu'il les ait anéantis. Ainsi il s'est attaqué au péché dans toute sa conduite, le harcelant par ses paroles et par ses exemples; il l'a chargé de chaînes dans sa passion, comme le fort armé de l'Evangile, et jeté au vent tout ce qui est à lui. Puis, continuant ses triomphes, il vainc la mort en lui-même d'abord, le jour où il ressuscite le premier de ceux qui dorment dans le sépulcre, le premier né d'entre les morts; ensuite il se prépare à la terrasser également en nous tous, le jour où il rappellera nos corps mortels à la vie, et portera le dernier coup à la mort elle-même. Voilà pourquoi il se revêtit de gloire en ressuscitant, non plus de langes comme il en avait pris à sa naissance. Voilà pourquoi celui qui commença par laisser flotter les pans de sa miséricorde et ne jugea personne, les releva à sa résurrection, et semble les avoir serrés contre lui en se ceignant les reins de la ceinture de la justice ; c'est que maintenant il se prépare au jugement qui doit avoir lieu le jour de notre résurrection. Il a donc commencé à venir sous les traits d'un tout petit enfant pour prodiguer la miséricorde, il voulait qu'elle devançât le jugement dernier, afin d'en tempérer la sévère justice.

5. Mais s'il vient à nous sous la forme d'un petit enfant, il ne s'en suit point qu'il ne nous apporte et ne nous donne rien que de petit. Si vous me demandez ce qu'il nous apporte, je vous répondrai qu'avant tout, il vous apporte la miséricorde par laquelle, selon l'Apôtre, " Il nous a sauvés ( Tit. III, 5). " Car il ne fit pas de bien seulement à ceux qu'il trouva sur la terre quand il y arriva, mais, semblable à une fontaine qu'on ne peut jamais épuiser, Jésus-Christ, Notre-Seigneur, est pour nous une source où nous sommes lavés, comme il est écrit: " Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés dans son sang (I Apoc. I, 5). " Mais l'eau ne sert pas seulement à laver nos souillures, elle étanche aussi notre soif; voilà pourquoi le sage après avoir dit: " Heureux l'homme qui demeure appliqué à la sagesse et qui s'exerce à pratiquer la vertu (Eccl. XIV, 22), ajoute-t-il : Elle lui fera boire l'eau du salut (Ibi. XV, 2)," car la sagesse de la chair est une mort et celle du monde est ennemie de Dieu; il n'y a que la sagesse de Dieu qui soit salutaire et qui, selon saint Jacques, "d'abord est chaste, et en second lieu amie de la paix ( Jac. III, 17). " Au contraire, la sagesse de la chair est amie du plaisir et n'a rien de modeste; celle du monde aime le tumulte et n'a rien de pacifique. Quant à la sagesse qui vient de Dieu, elle est chaste avant tout, ne recherche point son avantage, mais les intérêts de Jésus-Christ, et ne porte point les hommes à faire leur volonté, mais à considérer quelle est celle de Dieu; ensuite elle est pacifique, c'est-à-dire que, bien loin d'abonder dans son propre sens, elle préfère se ranger à la manière de voir et aux conseils d'autrui.

6. En troisième lieu, l'eau sert à l'arrosage, or ce dont les nouvelles plantations ont le plus besoin, c'est précisément d'être arrosées, car faute d'eau, où elles languissent, ou même elles périssent tout à fait de sécheresse. Que ceux donc qui ont semé la semence des bonnes oeuvres puisent de l'eau de la dévotion, s'ils veulent que leur jardin de la bonne vie, arrosé des eaux de la grâce, se fasse remarquer par sa verdure continuelle, au lieu d'être brûlé par la sécheresse. C'est pour eux que le Prophète fait cette prière : " Que votre holocauste soit gras (Psal. XIX, 4). " De même, c'est à la louange d'Aaron que nous voyons écrit dans les saintes Lettres, que le feu dévorait tous les jours son sacrifice. Or, toutes ces expressions ne signifient pas autre chose, sinon que toutes nos bonnes oeuvres doivent être assaisonnées d'une dévotion pleine de ferveur, et de la douceur de la grâce spirituelle. Pourrons-nous trouver la quatrième fontaine qui nous rendra ce paradis charmant que quatre sources arrosaient? Car, si nous avons perdu tout espoir de recouvrer le paradis de la terre, comment pourrions-nous conserver l'espérance de posséder celui du ciel? "En effet, si vous ne me croyez pas, est-il dit, lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai de celles du ciel. (Joan. III, 12)? " Or, puisque la vue des choses présentes vous fait espérer plus fermement les choses futures, nous avons un paradis bien meilleur et bien plus agréable que celui de nos premiers parents; car notre paradis à nous, c'est notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons déjà trouvé trois fontaines en lui; cherchons quelle est la quatrième Nous avons la fontaine de la miséricorde, dont les eaux de pardon lavent nos souillures; nous avons celle de la sagesse, dont les eaux de discrétion servent à étancher notre soif ; nous avons enfin celle de la grâce, dont les eaux de dévotion arrosent les plantes de nos bonnes oeuvres : cherchons maintenant de l'eau bouillante, les eaux du zèle, pour faire cuire nos aliments. Ce sont, en effet, les eaux bouillantes de la charité qui font cuire et assaisonnent nos affections. Voilà pourquoi le Prophète disait : " Mon coeur s'est échauffé au dedans de moi, et tandis que j'étais en méditation, il était embrasé par le feu (Psal. XXXVIII, 4). " Et encore : " Le zèle de votre demeure me consume (Psal. LX, 10). " En effet, quiconque est amené par la douceur de la dévotion à l'amour de la justice, est conduit par la ferveur de la charité à la haine de l'iniquité. Ne pensez-vous point que 'est de ces fontaines que parlait le Prophète quand il disait : " Vous puiserez de l'eau avec joie aux fontaines du Sauveur ( Isa. XII, 3)?" Si vous voulez vous convaincre qu'en cet endroit ses promesses ont rapport à la vie présente, non point à la vie future, veuillez remarquer la suite de son discours : " Et pleins de joie, dit-il, vous vous écrierez alors, chantez les louanges du Seigneur, et invoquez son nom ( Isa. XII, 4.)" En effet, l'invocation n'a rapport qu'au temps présent, selon ce qui est écrit : " Invoquez-moi au jour de la tribulation (Psal. XLIX, 15). "

7. De ces quatre fontaines (a), il y en a trois qui semblent convenir proprement aux trois ordres de l'Eglise. En effet, le premier état est commun à tous les fidèles; attendu que tous nous faisons encore bien des fautes et que tous, par conséquent, nous avons bien besoin des eaux de la fontaine de miséricorde pour nous purifier de la souillure de nos péchés. " Tous, dit en effet PAp8tre, nous sommes pécheurs et avons besoin de la gloire de Dieu (Rom. III, 23). " Oui, tous, tant que nous sommes, prélats, célibataires et hommes mariés, " Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes (I Joan. I, 8). " Mais si personne n'est exempt de souillure, tout le monde a donc besoin de miséricorde; aussi Noë, Daniel et Job, doivent-ils courir à cette fontaine avec la même ardeur ? Au reste, Job peut rechercher la fontaine de la sagesse, car il se douve au milieu des filets de l'ennemi, et il serait bien surprenant qu'il pût échapper à toute espèce de péchés. Quant à Daniel, c'est à la fontaine de la grâce qu'il doit courir, car il a besoin de la grâce de la dévotion. pour engraisser les couvres de pénitence et les fatigues de l'abstinence. Quant à nous, ce qui nous importe le plus, c'est de faire toutes nos actions en esprit de joie: "Car Dieu aime celui qui donne avec joie (II Cor. IX, 7)." Or, la terre où nous vivons est loin d'être fertile en cette sorte de moisson qu'on appelle une bonne vie; aussi se dessèche-t-elle bien vite, si on ne l'arrose souvent. Voilà pourquoi, dans l'Oraison dominicale, nous demandons cette grâce, sous le nom de notre pain quotidien. Et nous avons bien raison de le faire, si nous voulons échapper à cette terrible imprécation du Prophète "Qu'ils deviennent semblables à l'herbe qui pousse sur les toits et qui se sèche avant qu'on l'arrache (Psal. CXXVIII, 6). " Mais la fontaine du zèle convient plus particulièrement à Noë, parce que c'est aux prélats surtout qu'il appartient d'avoir du zèle.

8. Or, Jésus-Christ montre en lui ces quatre fontaines à tous ceux qui comptent encore au nombre des vivants. Quant à la cinquième, après laquelle le Prophète soupirait en ces termes: " Mon âme est dévorée du désir du Seigneur, comme par les ardeurs de la soif (Psal. XLI, 2), " c'est la fontaine de la vie que le Christ nous promet après la mort. Peut-être sont-ce ces- quatre fontaines que représentent les quatre plaies que le Sauveur reçut pendant qu'il était encore vivant sur la croix ; la cinquième serait figurée par le coup de lance qui lui perça le coeur après qu'il eût expiré. Il vivait encore quand on lui perça les pieds et les mains, pour nous ouvrir, pendant notre vie, quatre fontaines qui coulassent de lui: il reçut la cinquième plaie après avoir rendu le dernier soupir, afin de nous ouvrir en lui, après sa mort, une cinquième

a Consulter le quatre-vingt-seizième des Sermons divers, où saint Bernard donne une autre explication de ces quatre fontaines.

fontaine. Mais, pendant que nous approfondissons le mystère de la naissance du Sauveur, nous voilà conduits à parler de celui de la passion. Après tout, il n'y a rien d'étonnant que nous cherchions dans la passion ce qu'il nous a apporté dans sa naissance, car c'est alors que les cordons de la bourse qui renfermait le pria de notre rédemption, ayant été coupés, les trésors qu'elle renfermait se répandirent sur la terre.

 

 

 

DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE NOEL. Les trois principales œuvres de Dieu et ses trois mélanges.

1. " Les oeuvres du Seigneur sont grandes (Psal. CX, 2), " dit le prophète David. Il est vrai, mes frères, que ses oeuvres sont grandes, car il est grand lui-même ; mais celles de ses œuvres qui le sont davantage, sont celles qui ont rapport à nous; c'est ce qui fait dire au même Prophète : " Le Seigneur a fait pour nous de grandes choses (Psal. CXXV, 3). " Les plus belles et celles qui nous parlent le plus éloquemment, c'est, dans le principe, notre création; maintenant notre rédemption; et plus tard notre glorification. Ah ! Seigneur, que de grandes choses vous avez donc faites dans chacun de nous ! C'est bien à vous qu'il convient d'annoncer à votre peuple la vertu de vos œuvres ; pour nous, nous dirons à haute voix quelles sont ces oeuvres. Il faut remarquer, mes frères, un triple mélange dans ces trois merveilles d'une opération céleste et d'une vertu divine. Dans la première de ses oeuvres, qui est l'oeuvre de la création, Dieu a façonné l'homme du limon de la terre, et lui a soufflé sur la face un esprit de vie. Quel artisan est-ce là, quel ajusteur de choses différentes, qui a pu, à sa volonté, unir si étroitement entre eux le limon de la terre et un esprit de vie! Quant au limon, il était déjà créé auparavant, au moment où Dieu fit dès le principe le ciel et la terre: mais l'esprit, il n'a point été créé en commun avec le reste, il le fut à part : Il ne se trouve point compris dans la masse, mais il est inspiré par une sorte de particulière excellence. Reconnais, 8 homme, ta dignité, reconnais la gloire de ta condition d'homme. Tu as le corps de commun avec l'univers, car il convenait que celui qui fut établi sur toute la masse des choses corporelles eût avec elles quelque point de ressemblance; mais tu as quelque chose de plus élevé et qui ne permet pas de te confondre avec le reste des créatures. Tu es un composé, une alliance d'un corps et d'une âme; le premier a été pétri des mains de son auteur, l'autre a été inspirée de sa bouche.

2. Mais à qui importe ce mélange? A qui cette union profite-t-elle? Car, selon la sagesse des enfants du siècle, lorsque les rangs inférieurs de la société s'unissent aux rangs plus élevés, il n'y a que ceux qui sont au pouvoir qui profitent de cette alliance, ils font du bas peuple l'usage qui leur plaît. Le plus fort écrase celui qui l'est moins que lui, le savant se rit de l'ignorant, l'homme rusé se joue de l'homme simple, et le puissant u'a que du dédain pour le faible. Il n'en est pas ainsi dans ce que vous faites, ô mon Dieu, il n'y a rien de pareil dans vos rapprochements; ce n'est point pour cela, que vous avez uni l'esprit au limon, quelque chose de sublime à quelque chose de bien humble, une créature digne d'estime et excellente à la matière abjecte et inutile. Qui de vous, mes frères, ne sent combien l'âme l'emporte sur le corps? Est-ce que sans l'âme, le corps ne serait point un tronc insensible? C'est elle qui lui donne la beauté et l'accroissement; c'est par elle que l'œil voit, et que la langue profère des paroles; en un mot, l'âme est le siège de tous nos sens. Aussi ce que m'inspire une telle union, c'est la charité; l'obligation que je lis à la première page de notre propre condition, c'est la charité; ce que, dès le commencement, la main infiniment aimable du Créateur me place devant les yeux, c'est la charité.

3. Assurément, mes frères, c'était une admirable alliance que celle-là, mais il eût fallu qu'elle fût durable. Mais, hélas! quoique marquée du sceau de Dieu, car Dieu avait créé l'homme à son image et à sa ressemblance, le sceau est rompu, et cette union est dissoute. Un détestable brigand est venu, qui a brisé ce sceau, dont l'empreinte était chaude encore, et l'homme, dans son malheur perdant sa ressemblance avec Dieu, devint semblable aux bêtes de somme. Ainsi, le Seigneur a créé l'homme droit, selon ce qui est dit de cette ressemblance dans le Psalmiste : " Le Seigneur notre Dieu est plein de droiture, et il n'y a point d'iniquité en lui (Psal. XCI, 13). " Il le fit aussi juste et véridique, comme il est lui-même, justice et vérité, et cette union ne pouvait être rompue tant que le sceau en serait demeuré entier. Mais un faussaire est survenu, qui promit un sceau meilleur aux hommes ignorants, et, ô infortune, ô malheur, il a brisé le sceau imprimé de la main de Dieu même. "Vous serez, leur dit-il, comme des dieux, et vous saurez le bien. et mal (Gen. III, 5). " O méchant, ô pervers, pourquoi leur parler de cette ressemblance de savoir ? Qu'ils soient comme des dieux, droits et justes; qu'à l'exemple de Dieu, en qui il n'y a point de péché, ils soient pleins de véracité, car tant que ce cachet demeurera intact en eux, cette union persévérera. Nous savons malheureusement aujourd'hui, par notre propre expérience, ce que valent les conseils que la perversité du diable nous a donnés. Le sceau divin étant rompu, il s'en est suivi pour nous, une séparation pleine d'amertume, un divorce rempli de tristesse. Qu'est devenue aujourd'hui cette promesse : " Vous ne mourrez point? " Nous sommes tous sujets à la mort, et il n'y a pas d'homme qui vive et qui ne doive ressentir les atteintes du trépas.

4. Mais quoi, Seigneur Dieu, ne réparerez-vous jamais votre ouvrage, et ne lui sera-t-il jamais donné de se relever de sa chute? Il n'y a que celui qui a fait une chose qui puisse la refaire, aussi le Seigneur s'est-il écrié : je vais me lever maintenant à cause de la misère de ceux qui sont sans secours et à cause des gémissements des pauvres; je les sauverai et je les placerai en lieu sûr (Psal. XI, 6, 7), en sorte que son ennemi ne gagnera rien à l'attaquer, et le méchant ne pourra lui nuire (Psal. LXXXVIII, 23). Je vais donc faire un nouveau mélange, où j'imprimerai plus clairement et plus profondément mon cachet, ce cachet qui n'est pas seulement fait à mon image, mais qui est mon image même, la splendeur de ma gloire, la figure de ma substance, qui n'a point été créé, mais que j'ai engendré avant tous les siècles. N'ayez pas peur qu'il soit brisé comme l'autre l'a été, car le Prophète a dit : " Ma force s'est desséchée comme un tesson (Psal. XXII, 16), " mais comme un tesson que le marteau de l'univers entier ne saurait rompre. Mais si le premier mélange se compose de deux éléments, le second en compte trois, et nous rappelle ainsi qu'il a quelque rapport avec le mystère de la Trinité. Ce sont, le verbe qui dès le commencement était en Dieu et était Dieu ; l'âme, qui a été créée de rien, et qui n'était point avant d'être créée; le corps, tiré exempt de corruption par un art divin de la masse même de corruption, et tel que nul corps n'existait auparavant; voilà quels sont les éléments qui concourent à former une seule personne par des liens indissolubles. Or nous avons là trois actes distincts de puissance : ce qui n'était point a été créé; ce qui avait péri a été réparé; et ce qui était plus élevé que les anges mêmes s'est abaissé un peu au dessous d'eux. Voilà les trois mesures de farine de l'Evangile (Matt. XIII, 21), qui fermentent ensemble et deviennent le pain des anges dont l'homme se nourrit, le pain qui fortifie son cœur. Heureuse et bénie entre toutes les femmes, celle qui a mêlé à ces trois mesures de farine le levain de la foi; c'est en effet par la foi qu'elle a conçu et par la foi qu'elle a enfanté, selon ces paroles d'Elisabeth : "Vous êtes bienheureuse d'avoir cru, parce que les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur s'accompliront en vous (Luc. I, 45). " Ne soyez pas surpris si je vous dis que c'est par le moyen de sa foi que le Verbe s'est uni à un corps, puisque c'est du corps même de Marie qu'il a tiré le sien. Ce qu'on dit de la ressemblance du royaume des cieux, au sujet de ces trois mesures, n'empêche point que l'explication que j'en donne ici ne soit exacte; rien ne s'oppose évidemment à ce qu'on compare le royaume du ciel à la foi de Marie, puisqu'elle a servi à le réparer.

5. Il ne saurait exister de créature qui puisse rompre le lien de cette union, car le prince de ce mande ne peut rien sur le Christ, et saint Jean lui-même n'est point digne de dénouer les cordons de ses souliers. Et pourtant, il faudra un jour que ces liens soient brisés, sans cela ce qui est brisé maintenant ne saurait être réparé. A quoi peut servir un pain qui n'est point entamé, un trésor enfoui, une sagesse qui se cache ? Saint Jean avait bien raison de pleurer (Apoc. V), parce qu'il ne se trouvait personne pour ouvrir le livre et rompre les sceaux dont il était fermé, car tant qu'il demeure fermé, nul de nous ne saurait arriver à la science de Dieu. Mais ouvrez-le vous-même, Agneau de Dieu, vous qui êtes la vraie mansuétude: livrez aux Juifs vos pieds et vos mains pour qu'ils les ouvrent afin d'en faire tomber les trésors de salut et les richesses de rédemption qu'ils recèlent. Rompez, Seigneur, votre pain aux hommes qui en sont affamés; il n'y a que vous qui puissiez le rompre, vous qui seul êtes capable de tenir bon et de raffermir ce qui est rompu, seul vous avez le pouvoir, dans cette fraction, de déposer la vie pour la reprendre quand il vous plaira. Par un effet de votre miséricorde, renversez en quelque façon ce temple mais n'en dispersez point tout à fait les matériaux. Que le corps soit séparé de l'âme, mais que le Verbe conserve votre chair incorruptible et votre âme en pleine liberté, en sorte que seule, au milieu des morts, elle soit libre dans ses actions, tire de leur prison les âmes qui y sont enchaînées et emmène avec elle celles qui sont assises à l'ombre et dans les ténèbres de la mort. Que votre âme sainte se sépare de son corps immaculé, mais pour le reprendre trois jours après. Que le Christ meure pour faire mourir la mort même, et que la vie des hommes ressuscite ensuite avec lui quand il sortira lui-même du tombeau. C'est en effet ce qui a eu lieu, mes bien chers frères, et nous nous réjouissons qu'il en ait été ainsi. Cette mort a tué la mort, et nous renaissons à l'espérance de la vie après la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts.

6. Mais qui peut dire en quoi consistera le troisième mélange ? " L'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (I Corinth. II, 9). " Ce sera le comble de tout, quand le Christ remettra le royaume à Dieu son Père et qu'ils seront deux non pas en une seule chair mais en un seul esprit. Car, si en prenant un corps, le Verbe s'est fait chair, à plus forte raison ne fera-t-il plus qu'un seul et même esprit avec lui quand il se sera réuni à Dieu. Dans l'union présenté se montre l'humilité qui en est le moyen, et même une humilité on ne peut plus grande; mais dans celle que nous attendons et qui fait l'objet de tous nos soupirs, se trouve pour nous, si toutefois nous en sommes dignes, le comble de la gloire. Si nous ne l'avons pas oublié, dans le premier mélange d'un corps et d'une âme, d'où résulte un homme, c'est la charité qui nous est recommandée; dans la seconde, ce qui éclate le plus, c'est l'humilité; car il n'y a que la vertu de l'humilité qui puisse réparer les ruines de la charité. Mais l'union d'une âme raisonnable à un corps formé du limon de la terre, n'est pas tout entière le fait de l'humilité, car ce n'est pas par suite de sa volonté propre qu'elle se trouve unie à un corps, mais elle y est envoyée en même temps qu'elle est créée et elle est créée en même temps qu'elle y est envoyée. Il n'en fut pas de mémé de cet Esprit souverain et infiniment bon, il ne s'unit à la chair sans souillure que parce qu'il l'a voulu. C'est donc avec raison que la- gloire du ciel suit la charité et l'humilité, puisque, d'un côté, sans la charité, tout ne sert de rien, et qu'il n'y a que ceux qui s'abaissent qui seront élevés (Luc. XIV, 11).

 

 

 

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL, Sur le lieu, le temps et les autres circonstances de la naissance de notre Seigneur.

1. Mes frères, je remarque dans la naissance de notre Seigneur deux (a) choses non-seulement diverses mais tout à fait différentes. D'abord l'enfant qui naît aujourd'hui est Dieu; sa mère est une vierge et une vierge qui enfante sans douleur. Une lumière toute nouvelle brille au ciel au milieu des ténèbres et un ange annonce une grande et joyeuse bonne nouvelle; l'armée céleste éclate en louanges; Dieu est glorifié et la paix est annoncée aux hommes de bonne volonté; des mages accourent à Bethléem et, trouvant que les choses sont comme on le leur a dit, ils vont les raconter à leurs compagnons; tous ceux qui en entendent parler sont dans l'admiration. Or, toutes ces choses, mes frères, et toutes celles qui ressemblent à celles-là, ne sont point le fait de la fragilité humaine, mais de la vertu de Dieu. Aujourd'hui les pauvres mêmes sont servis à la table du Seigneur, dans des vases d'or et d'argent, mais nous ne devons pas nous les attribuer, ce n'est pas pour nous, mais pour la nourriture et le breuvage qu'ils renferment que nous sommes servis dans des plats et dans des coupes d'or. Le sage nous dit : "faites bien attention, à ce qui vous est servi (Prov. XXIII, 1). " Pour moi, je regarde comme étant pour moi le temps et le lieu de la naissance du Sauveur„ la faiblesse de son corps enfantin, ses vagissements et ses larmes, de même que la pauvreté et les veilles des Mages à qui les premiers cette naissance est annoncée. Oui, tout cela est à moi, c'est pour moi qu'il en est ainsi, c'est à moi que ces choses sont servies, à moi quelles sont proposées à imiter. Le Christ est né en hiver, au milieu de la nuit. Dirons-nous que c'est par un effet du hasard que le maître de l'hiver et de l'été, le Seigneur du jour et de la nuit a voulu naître dans la plus inclémente des saisons et au milieu des ténèbres? Les autres enfants ne choisissent pas le moment de leur naissance, car à ce moment c'est à peine s'ils ont un souffle de vie; quant à la raison ils n'en peuvent faire usage, ils n'ont ni la liberté de choisir ni la faculté de délibérer. Mais pour Jésus-Christ, mes frères, quoiqu'il ne soit point (b) encore homme, cependant il était, dès le principe, en Dieu, il était Dieu, doué de la même sagesse et de la même puissance qu'aujourd'hui puisqu'il est la vertu et la sagesse même de Dieu. Or le fils de Dieu, qui était parfaitement le maître de choisir, pour naître, le moment qu'il voulait, préféra l'époque de l'année la plus dure pour un enfant qui vient au

a Le manuscrit français des Feuillants donne, de ce passage, une autre leçon plus juste, en substituant le mot trois au mot deux que nous avons ici.

b Dans quelques manuscrits, la locution adverbiale négative ne point manque en cet endroit ; mais il faut absolument l'y conserver, car le sens de la phrase cet que le Christ ne fut pas homme avant sa naissance, qu'il était seulement Dieu.

monde, et surtout pour l'enfant d'une femme pauvre, qui a à peine quelques langes pour envelopper ses membres et qui est forcée de le coucher dans une crèche. Dans un si grand dénuement, je ne vois pas qu'il ait été question de fourrures pour lui. Le premier Adam reçut un vêtement de peaux de bêtes, le second est enveloppé dans des langes. Ce n'est pas ainsi que le monde agit, il faut ou que Jésus se trompe ou que le monde soit dans l'erreur; mais comme on ne peut dire que la sagesse divine se trompe, il s'en suit que : " la prudence de la chair, qui n'est après tout qu'une véritable mort, est ennemie de Dieu (I Cor. III, 19), " et que la sagesse du siècle est bien nommée une folie. En effet, le Christ qui ne peut se tromper choisit ce qui mortifie le plus la chair : c'est donc ce qu'il y a de meilleur, de plus avantageux et de plus digne de nos préférences, et nous devons nous défier de toute personne qui nous enseignerait ou nous conseillerait le contraire, comme d'un véritable séducteur.

2. De plus il a voulu naître pendant la nuit. Où êtes-vous, ô hommes impudents, qui ne songez qu'à vous mettre en lumière? Le Christ a choisi ce qu'il trouve de plus salutaire, et vous, vous faites choix de ce qu'il réprouve. Qui de vous ou de lui est plus prudent? Qui a le jugement plus juste et plus sain? Le Christ garde le silence, il ne s'élève point, il ne s'exalte point, il ne se fait point valoir, mais un ange annonce sa naissance, et la troupe de l'armée céleste chante ses louanges. Pour vous , qui faites profession de suivre Jésus-Christ, cachez aussi le trésor que vous avez trouvé. Aimez à être ignoré, que votre louange sorte d'autres lèvres que des vôtres. De plus, le Christ vient au monde dans une étable. Or, n'est-ce pas celui qui a dit : " Toute la terre est à moi, avec tout ce qu'elle renferme (Psal. XLIX, 12)? " pourquoi donc fait-il choix d'une étable? Evidemment c'est pour condamner la gloire du monde, et réprouver la vanité du siècle. Sa langue ne peut pas encore proférer une parole, mais tout, en lui, crie, prêche, évangélise; il n'est point jusqu'à ses membres délicats, qui ne parlent bien haut; en tout, il blême, il renverse et réfute le jugement du siècle. En effet, quel est l'homme, si on lui donnait le choix, qui ne préférerait à la faiblesse de l'enfance, un corps plein de force et d'âge où l'intelligence est formée? O sagesse vraiment incarnée et voilée ! Et pourtant, mes frères, c'est là cet enfant promis jadis par Isaïe, qui sait rejeter ce qui est mal, et choisir ce qui est bon (Is. VII, 5). Les voluptés sensuelles sont donc un mal, et la mortification, un bien, puisque ce sage enfant, le Verbe enfant, réprouve les unes et choisit l'autre? Car le Verbe s'est fait chair, mais chair infirme, enfantine, délicate, impotente, enfin chair incapable de supporter la peine et la fatigue.

3. En effet, mes frères, le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous; dans le principe, lorsqu'il était en Dieu, il habitait au sein d'une lumière inaccessible (I Tim. VI, 1), et nul ne pouvait le contempler. Y a-t-il en effet personne qui ait pénétré les sentiments du Seigneur, et lui ait donné conseil (Is. XIV, 13) ? L'homme charnel ne saurait percevoir les choses de l'esprit de Dieu. Eh bien, qu'il les perçoive maintenant, car le Verbe s'est fait chair. S'il ne peut entendre que la chair, qu'il prête donc l'oreille à ce qu'il lui dit dans la chair, car le Verbe s'est fait chair. O homme, voilà que la sagesse s'est montrée dans la chair; elle était jadis cachée à tes regards, aujourd'hui elle sort de sa cachette et se met à la portée de tes sens de chair. Elle t'est annoncée d'une manière charnelle, si je puis m'exprimer ainsi : fuis le plaisir, car la mort (a) en garde le seuil; fais pénitence, car c'est par la pénitence que le royaume de Dieu s'approche de nous (Matth. III, 2). Voilà ce que te prêche cette étable, voilà ce que te crie cette crèche, voilà le langage que te font entendre les membres délicats d'un enfant, telle est la bonne nouvelle que t'annoncent ces vagissements et ces larmes. Car si Jésus-Christ verse des larmes, ce n'est point comme en versent les autres enfants ni pour la même raison. Chez eux,, c'est la souffrance qui les fait couler, chez lui, c'est l'amour. Ce sont des êtres passifs plutôt qu'actifs, car ils n'ont point encore l'usage de la volonté, et s'ils pleurent, c'est parce qu'ils souffrent; le Christ ne pleure que parce qu'il compatit; les autres enfants gémissent sous le poids du fardeau qui pèse sur tous les enfants d'Adam, Jésus pleure sur les péchés des enfants d'Adam, et un jour il répandra son sang pour ce qui fait aujourd'hui couler ses larmes. O dureté de mon coeur! oh! Dieu veuille que de même que le Verbe s'est fait chair, mon coeur devienne de chair! C'est d'ailleurs ce qu'il nous a promis par son Prophète en ces termes : " Je vous ôterai votre coeur de pierre et vous en donnerai un de chair (Ezech. XI, 19). "

4. Mes frères, les larmes du Christ me causent autant de honte que de douleur. Pendant que je prenais mes ébats dans la place publique, dans le secret de la chambre du Roi, j'étais frappé d'une sentence du mort. Son Fils unique l'entend et, déposant le diadème, il sort vêtu d'un sac, la tête couverte de cendre, et les pieds nus, pleurant et se lamentant de voir son esclave condamné à mort, je le vis tout-à-coup sortir de son palais, et, tout surpris de l'état nouveau pour moi où je l'aperçois, je lui en demande la cause, il me la dit. Que ferai-je ? continuerai-je à me livrer à mes jeux, insulterai-je ainsi à ses larmes ? Oui, c'est ce que je ferai, je ne me mettrai point à sa suite, et ne mêlerai point mes larmes aux siennes, si je ne suis qu'un insensé et un fou. Voilà pourquoi ses larmes me font rougir. Mais pourquoi m'inspireraient-elles de la crainte et de la douleur? C'est parce que je puis apprécier le degré de mon mal au prix du remède nécessaire pour le guérir. J'ignorais que je fusse malade, je me croyais même fort bien portant, et voilà qu'on envoie le Fils d'une Vierge, le Fils même du Très-Haut et qu'il est condamné à mort, pour que son précieux sang serve de baume

a L'auteur du deux cent quatre-vingt-douzième sermon de la nouvelle édition de saint Augustin, n. 3, cite comme étant extrait de l'Ecriture sainte ce même passage qui se lit mot pour mot dans la Règle de saint Benoit, chapitre VII, du premier degré de l'humilité.

à mes blessures. O homme ! reconnais là combien graves sont tes blessures, puisqu'il n'y a que celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui puissent les cicatriser. Assurément si elles n'eussent point causé ta mort et une mort éternelle, jamais le Fils de Dieu ne fût mort pour les guérir. Aussi ai-je honte, mes frères, de fermer les yeux sur ma propre douleur quand je vois que c'est à ce point que la majesté de Dieu y compatit elle-même. Oui, le Fils de Dieu compatit à tes maux, et pleure sur eux; et toi, ô homme, toi qui en es atteint, tu ris! Voilà comment le prix du remède met le comble à ma douleur et à ma crainte.

5. Mais si j'observe exactement la prescription du médecin qui doit me guérir, j'y trouverai aussi une source de consolation. En effet, si je reconnais la gravité de mon mal au prix du remède qu'il exige, je reconnais en même temps qu'il n'est pas incurable, car un aussi sage médecin ou plutôt un médecin qui est la sagesse même, ne recourrait point inutilement à l'emploi de substances si précieuses. Or, ce serait en faire mal à propos usage, non-seulement de les employer dans le cas où le mal peut facilement céder à d'autres remèdes, mais encore et surtout d'y recourir quand leur emploi ne peut rendre la santé. Il nous excite donc à la pénitence et l'espoir qu'il nous fait concevoir de la guérison, allume en nous un désir d'autant plus ardent de l'obtenir. A cette consolation, ajoutez encore la visite que les anges firent aux vigilants bergers de Bethléem, et les paroles qu'ils leur adressèrent. Ah! malheur à vous, riches, qui avez maintenant votre consolation et qui avez ainsi déjà perdu tout droit aux consolations du ciel. Que de nobles, selon la chair, que d'hommes puissants, que de sages, selon le monde, reposaient alors mollement sur une couche moëlleuse, et il ne s'en trouva pas un seul parmi eux qui fût trouvé digne de voir briller cette lumière nouvelle, d'apprendre cette grande nouvelle, et d'entendre les anges chanter dans les airs " Gloire à Dieu, au plus haut des cieux! " Apprenez donc par là que ceux qui ne participent point aux travaux et aux fatigues des hommes, ne sont pas dignes d'être visités par les anges. Apprenez, dis-je, combien le travail uni à ma pensée spirituelle est agréable aux citoyens du ciel, puisqu'ils honorent de leur entretien et d'un entretien si heureux, ceux mêmes qui ne travaillent que pour subvenir aux besoins de la vie et contraints par une pressante nécessité. C'est que les anges reconnaissent en eux des hommes soumis à l'ordre établi de Dieu même pour les hommes, quand il voulut qu'Adam ne se nourrît désormais que d'un pain arrosé de ses sueurs (Gen. III, 19).

6. Remarquez, je vous prie, mes bien chers frères, tout ce que Dieu a fait pour vous encourager et vous sauver, et qu'une parole si pleine de vie et d'efficacité, une visite si certaine et si digne d'être reçue avec une entière déférence, un langage si éloquent, sinon des lèvres du moins d'action ne soient point sans produire quelques fruits en vous (I Tim. I, 15). Pensez-vous, mes frères, que si les paroles que je vous adresse en ce moment, devaient demeurer stériles dans vos coeurs, je l'apprendrais sans en être vivement peiné? Et pourtant qui suis-je, moi, et que sont mes paroles? Si un homme de si mince valeur que moi, ou plutôt si un néant comme moi, éprouve de la peine à voir que le peu de mal qu'il se donne pour vous parler, il se le donne en pure perte, à combien plus forte raison le Seigneur de toute majesté devra-t-il être indigné, s'il voit que toute la peine qu'il prend est perdue pour nous, par notre négligence et notre endurcissement? Que celui qui, pour nous sauver, a daigné se revêtir de la forme d'un esclave, que le Fils unique du Père qui, est Dieu et béni par-dessus tout pendant les siècles des siècles, éloigne ce malheur de ses humbles serviteurs. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

QUATRIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Les bergers trouvèrent Marie, Joseph et l'enfant : celui-ci était placé dans une crêche.

1. Reconnaissez, mes frères bien-aimés, la grandeur de la solennité de ce jour, pour laquelle ce jour est trop court et la terre entière, trop étroite. Elle fait un emprunt au temps, un emprunt à l'espace, elle prend sur la nuit et remplit le ciel avant de remplir la terre. En effet, la nuit devint éclatante comme le jour, quand une lumière nouvelle resplendit tout à coup dans le ciel aux yeux des bergers, à l'heure des plus épaisses ténèbres. Mais remarquez en quel endroit la joie de cette solennité a commencé à éclater : c'est parmi les anges, car, selon leurs propres paroles, ce n'est que plus tard qu'elle sera partagée par le peuple tout entier, et aussitôt toute l'armée céleste fait retentir les airs de ses chants de gloire. Voilà pourquoi cette nuit est appelée solennelle entre toutes les nuits, dans nos chants, dans nos hymnes et dans nos cantiques spirituels. On ne saurait même révoquer en doute que pendant les veilles de cette nuit, ces esprits qui règnent dans les cieux, s'empressèrent de prévenir ceux qui se sont mêlés aux choeurs des chanteurs, au milieu des jeunes filles qui jouent du tambourin (Psal. LXXXIV, 2). Mais que d'or et de pierreries étincellent aujourd'hui sur nos autels! Que de riches tentures tapissent ces murailles! Les anges pourront-ils bien les dédaigner, leur préférer les haillons des pauvres? S'ils ne le faisaient pas, pourquoi auraient-ils apparu aux bergers plutôt qu'aux rois de la terre et aux prêtres du temple? Pourquoi le Sauveur lui-même, à qui l'or et l'argent appartiennent en propre, aurait-il préconisé la sainte pauvreté dans son corps ? Pourquoi enfin les anges ont-ils signalé cette pauvreté avec tant de soin ? Car ce n'est point sans quelque raison mystérieuse que le Sauveur est enveloppé de langes et déposé dans une crèche, puisque c'est le signe particulier que nous donne l'Ange quand il nous l'annonce : " Et voici la marque, dit-il, que je vous donne pour le reconnaître : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche (Luc. II, 12). " O Seigneur Jésus, vos langes sont une marque pour vous reconnaître, mais une marque qui manque aujourd'hui dans bien du inonde, car s'il y a beaucoup d'appelés, il y a bien peu d'élus, et par conséquent bien peu de marqués. Je reconnais, oui, je reconnais Jésus, le grand prêtre, sous les haillons qui le couvraient pendant qu'il luttait contre Satan (Zach. III, 1). Je parle à des hommes qui connaissent les saintes Écritures et sont au courant de la vision de Zacharie. Mais lorsque notre chef se fut élevé au-dessus de nos ennemis, il a déposé ses premiers vêtements pour prendre un vêtement de gloire et de lumière. Il nous a donné l'exemple, c'est à nous de faire ce qu'il a fait. D'ailleurs une cuirasse de fer vaut mieux dans la lutte qu'une robe de lin, bien que l'une soit plus lourde et l'autre plus belle. Un jour viendra, quand les membres auront suivi leur chef, que le corps tout entier chantera en esprit et dira : " Vous avez déchiré le sac qui me couvrait et vous m'avez revêtu d'un vêtement de joie (Psal. XXIX, 12)."

2. L'ange disait donc : "Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et posé dans une crèche. " Puis l' Evangile ajoute : "Ils vinrent en toute hâte et trouvèrent Marie et Joseph avec l'enfant posé dans une crèche (Luc. II, 12 et 16)." Qu'est-ce que cela signifie ? L'Ange semble ne recommander que l'humilité aux bergers, et ceux-ci trouvent quelque chose de plus. Peut-être l'Ange ne leur recommande-t-il d'une manière toute particulière que l'humilité, parce que tous les autres anges étant tombés par l'orgueil, lui n'était demeuré debout que par l'humilité, peut-être aussi tic vient-il du haut des cieux leur annoncer l'humilité que parce que c'est la vertu par laquelle nous devons plus particulièrement honorer la majesté de Dieu; mais les bergers ne la trouvent point seule, parce que Dieu accorde toujours sa grâce aux humbles. Ils trouvèrent donc Marie et Joseph avec l'enfant posé dans une crèche. Or, de même que l'enfance de Jésus-Christ, vous prêche l'humilité, ainsi la Vierge nous parle de continence et Joseph, l'homme juste de l'Evangile, nous rappelle la justice. La continence est une vertu qui a rapport au corps, tout le monde le sait; quant à la justice, elle a pour objet de rendre à chacun ce qui lui appartient et règle nos rapports, particulièrement envers le prochain. L'humilité nous réconcilie avec Dieu, nous rend soumis à Dieu, plait à Dieu en nous, comme la sainte Vierge en fait la remarque : " Il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante (Luc. I, 48). " Le fornicateur pèche contre son propre corps, l'homme injuste, contre le prochain, l'homme orgueilleux qui s'enfle et se grandit, pèche contre Dieu. Le fornicateur se déshonore; l'injuste blesse le prochain; l'orgueilleux déshonore Dieu autant qu'il est en lui; car le Seigneur a dit: "Je n'attribuerai ma gloire à personne (Isa. XI, 8). " Or, l'orgueilleux dit de son côté : mais moi je me l'attribuerai, quoique vous ne vouliez point la céder à personne. Aussi n'aime-t-il point le partage que fait l'Ange quand il dit : " Gloire à Dieu, paix aux hommes. " Il n'honore donc point Dieu, mais il s'élève contre lui comme un impie et un véritable infidèle. Qu'est-ce, en effet, que la piété, sinon de rendre à Dieu le culte qui lui est dû? et quel homme honore vraiment Dieu, sinon celui qui se soumet volontairement à lui et tient les regards de son coeur fixé sur le Seigneur, de même que les serviteurs ont les leurs attachés sur les mains de leurs maîtres (Psal. CXXII, 3).

3. Par conséquent, pour qu'on retrouve constamment en nous, Marie et Joseph avec l'enfant posé dans une crèche; il faut que nous vivions dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et avec piété (Tit. II, 12). C'est, en effet, à cette fin qu'est apparue la grâce de Dieu qui nous instruit, et c'est par ce moyen-là aussi que sa gloire apparaîtra. Voilà en effet ce que nous lisons : "La grâce de Dieu, notre Sauveur, a paru à tous les hommes, et elle nous a appris que, renonçant à la piété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et piété, demeurant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons et de l’avènement du grand Dieu (Tit. II, 11, 12, 13). " Or, la grâce s'est montrée à nous dans un enfant pour nous instruire, mais cet enfant "sera grand (Luc. I, 32)." Selon la parole de Gabriel à son sujet, ceux qu'il aura instruits, étant encore enfant, à être humbles et doux de coeur, il les glorifiera et les exaltera plus tard, lorsqu'il sera lui-même devenu grand et glorieux, lui qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

CINQUIÈME SERMON POUR LE JOUR DE NOËL. Sur ces paroles de l'Apôtre : "Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans tous nos maux (II Cor. I, 3 et 4). "

1. Béni soit celui qui, à cause de son excessif amour pour nous, nous a envoyé son Fils bien-aimé en qui il s'est complu et pour qu'il nous réconciliât, et nous fit rentrer en paix avec lui, et qu'il fût au milieu de nous le gage et le médiateur de notre réconciliation. Or, que pourrions-nous craindre, mes frères, avec un médiateur si charitable et que pouvons-nous appréhender avec un. ôtage si sûr. Peut-être me demanderez-vous quel peut être un médiateur qui vient au monde dans une étable et se trouve couché dans une crèche, qui est enfin enveloppé de langes, pleure et est étendu sur sa couche comme les autres enfants. Je vous répondrai qu'il n'en est pas moins, au milieu de tout cela, un très-grand médiateur qui cherche, non pas comme par acquis de conscience, mais avec succès tout ce qui peut assurer la paix. Sans doute ce n'est qu'un tout petit enfant, mais cet enfant est le Verbe dont l'enfance même la plus tendre n'est pas muette. " Consolez-vous, consolez-vous, dit le Seigneur votre Dieu (Isa. XL, 1). " Voilà ce que dit l'Emmanuel, c'est-à-dire le Dieu avec nous. C'est le cri de cette étable, le mot de cette crèche, le sens de ses larmes, l'exclamation de ces langes. Oui, c'est là le cri de l'étable qui prend soin de se tenir, prête pour l'homme qui était tombé entre les mains des voleurs. (Luc. X, 32) ; c'est le mot de la crèche qui pourvoit au fourrage que réclame l'homme devenu semblable aux bêtes de somme (Psal. XLVIII, 13); c'est le sens de ces larmes et l'exclamation de ces langes qui veulent laver et éponger ses blessures saignantes; car il est bien certain que le Christ n'eut besoin d'aucune de ces choses pour lui, s'il les a subies, ce n'est donc point pour lui, mais pour les élus. " Ils respecteront mon Fils ( Matt. XXI, 37), " disait le Père des miséricordes. Oui, Seigneur Dieu, ils le respecteront certainement; mais ce ne sont point les Juifs à qui vous l'avez envoyé, il n'y a que les élus pour qui vous l'avez envoyé qui le respecteront.

2. Nous l'adorons en effet, non-seulement dans son étable, mais encore sur son gibet et dans le sépulcre. Nous le recevons avec dévotion tout petit enfant à cause de nous, nous l'adorons sanglant et pâle pour nous, nous lui rendons nos respects dans le sépulcre où il est pour nous. Nous l'adorons pieusement avec les Mages et avec le saint vieillard Siméon, nous pressons avec amour le Sauveur enfant dans nos bras, et nous le recevons dans votre temple, ô mon Dieu, comme votre miséricorde même, car il est lui-même celui que l'Ecriture appelle "La miséricorde éternelle du Seigneur (Psal. CII, 7). " D'ailleurs, qu'y a-t-il qui soit coéternel au Père, sinon le Fils et le Saint-Esprit? Or, ce n'est point miséricordieux qu'il faut les appeler l'un et l'autre, ils sont la miséricorde même. Cela n'empêche point que le Père aussi soit miséricorde, car les trois personnes ne font qu'une seule miséricorde, qu'une seule essence, qu'une seule sagesse, qu'une seule divinité, qu'une seule majesté. Cependant quand on voit que Dieu est appelé "le Père des miséricordes," on ne peut douter qu'il ne s'agisse alors du Fils même de Dieu. Or, c'est avec beaucoup de raison qu'il est appelé le Père des miséricordes, puisque ce qui lui appartient proprement, c'est d'avoir miséricorde et de pardonner.

3. Peut-être me demandera-t-on comment la miséricorde peut être le propre de celui dont les jugements sont un abîme sans fond (Psal. XXXV, 6) ? D'ailleurs, quand elle parle de lui, l'Ecriture ne dit pas " toutes ses voies ne sont que miséricorde, mais toutes ses voies sont en même temps miséricorde et vérité. (Psal. XXIV, 10). " Celui à qui nous attribuons dans nos cantiques la miséricorde et la justice, n'est pas moins juste que miséricordieux (Psal. C, 1). Nous répétons encore dans nos chants, qu'il a miséricorde de qui il veut et qu'il endurcit qui il lui plaît (Rom. IX, 18) ; mais la miséricorde lui est propre, car c'est en lui qu'il trouve la matière et comme le germe de la miséricorde. Pour ce qui est au contraire de ses jugements et des condamnations qu'il prononce, c'est nous en quelque sorte qui le forçons à les prononcer, en sorte qu'il semble que c'est la miséricorde, bien plutôt que la vengeance, qui coule naturellement de son coeur. Entendez-le dire, en effet : " Est-ce que je veux la mort de l'impie, et ne veux-je pas plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive (Exech. XVIII, 23) ? " C'est donc avec raison que, au lieu de lui donner le nom de Père des jugements et des vengeances, on l'appelle Père des miséricordes, non-seulement parce que, semblable à un Père, il fait preuve de sentiments de miséricorde plutôt que d'indignation et qu'il a pitié de ceux qui le craignent, comme un père de ses enfants, mais bien plus encore, parce qu'il trouve en lui-même la cause et le principe de sa miséricorde pour nous, tandis que c'est nous qui lui fournissons matière, motif à exercer ses jugements et ses vengeances.

4. Mais si les choses étant ainsi, on peut l'appeler le Père de la miséricorde, pourquoi le nomme-t-on le Père des miséricordes ? Le Prophète a dit : "Le Seigneur a parlé une fois, et j'ai entendu ces deux choses : que la souveraine puissance appartient essentiellement à Dieu et que vous êtes, Seigneur, rempli de miséricorde (Psal. LXI, 12. 15). " D'ailleurs l'Apôtre nous montre une double miséricorde dans le Verbe, dans le Fils seul, en nous disant que Dieu est le Père non d'une seule miséricorde, mais des miséricordes, le Dieu non d'une seule, mais de toute sorte de consolations (II Corinth. I, 4), qui nous console non-seulement dans telle et telle tribulation mais dans toutes nos tribulations. Un écrivain sacré a dit que les miséricordes du Seigneur sont en grand nombre (Thren. III, 32), sans doute parce que les tribulations dont il délivrera les justes sont nombreuses. Il n'y a qu'un Fils de Dieu, il n'y a qu'un Verbe, mais notre misère est multiple, et réclame, non pas seulement une grande miséricorde, mais une multitude de miséricordes. Peut-être à cause des deux substances dont se compose la nature humaine, qui sont l'une et l'autre bien misérables, pourrait-on dire avec raison que la misère de l'homme est double, bien que chacune de ces substances compte plusieurs misères, puisque les tribulations de la chair et du coeur sont nombreuses, mais celui qui sauve tout l'homme, le soustrait à cette double nature de misères. Mais comme cet unique Fils de Dieu est déjà venu sur la terre à cause de nos âmes, pour ôter les péchés du monde, et doit revenir une seconde fois pour nos corps, afin de les ressusciter et de les rendre semblables à son corps glorieux, peut-être ne semblera-t-il pas hors de raison de reconnaître une double miséricorde quand nous parlons du Père des miséricordes. En effet, lorsqu'il prit un corps et une âme semblables aux nôtres, le Prophète ne s'est pas contenté de dire une seule fois : " consolez-vous, " mais comme nous l'avons rappelé plus haut, il a dit : " Consolez-vous, consolez-vous, dit le Seigneur votre Dieu (Isai. XL, 1), " sans doute pour nous faire comprendre que celui qui a bien voulu s'unir nos deux substances venait pour les sauver l'une et l'autre.

5. Mais, selon vous, quels sont ceux qu'il doit sauver ? Evidemment il ne sauvera que son peuple, car le Prophète a dit : " Il sauvera, non pas tout le monde indistinctement, mais son peuple de ses péchés, " et plus tard, ce ne sont point tous les corps, mais seulement celui des humbles qu'il rendra semblables à son corps glorieux. Si donc il console son peuple ce ne peut être bien certainement qu'un peuple humble, celui qu'il doit sauver; car, pour les regards des superbes il doit les confondre. Voulez-vous savoir quel est son peuple ? Un homme selon son coeur nous le fait connaître en ces termes : "C'est à vous Seigneur que le soin du, pauvre est laissé (Psal. X, 14). " Et Jésus lui-même nous le fait comprendre dans son Evangile en disant : " Malheur à vous riches, parce que vous avez reçu votre consolation (Luc. II, 24). " Dieu veuille, mes frères bien aimés, que nous préférions toujours être du nombre de ceux que le Seigneur Dieu console, non point de ceux à qui il dit : Malheur à vous ! Après tout pourquoi consolerait-il ceux qui ont déjà une consolation ? La muette enfance du Christ n'est point faite pour consoler ceux qui parlent beaucoup, ses larmes ne sauraient être la consolation de ceux qui rient sans cesse ses langes ne consolent guère ceux qui se prélassent dans leurs beaux vêtements, et ceux qui aiment à occuper les premières places dans les synagogues ne trouvent rien qui, les console dans l'étable et dans la crèche du Sauveur. Mais peut-être toutes ces choses seront-elles autant de consolations pour ceux qui attendent dans le silence que le Seigneur les console, pour ceux qui pleurent et qui ne sont couverts que de pauvres langes aussi. D'ailleurs ils peuvent, remarquer que les anges n'en consolent point d'autres, c'est en effet à des bergers, qui veillaient et gardaient leurs troupeaux pendant la nuit; qu'ils annoncent la joie de la lumière nouvelle et la naissance du Sauveur. C'est pour les pauvres, pour ceux qui travaillent, non pour vous, ô riches, pour vous, qui avez déjà votre consolation avec le " malheur à vous, " tombé des lèvres d'un Dieu; que la splendeur d'un jour éclatant brille au milieu des veilles de la nuit, que la nuit même s'est éclairée comme le jour, disons mieux, que la nuit s'est changée en un jour lumineux au moment ou l'Ange disait : " Aujourd'hui même un sauveur vous est né (Luc, II, 11); " aujourd'hui, disait-il, non pas cette nuit. C'est qu'en effet la nuit était passée, le jour était venu, ce jour, dis-je, qui est lumière ale lumière, le salut de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est Dieu béni par dessus tout, dans tous les siècles des siècles, ainsi soit-il.

 

 

LES SAINTS INNOCENTS

 

 

SERMON UNIQUE POUR LE JOUR DES SAINTS INNOCENTS. Sur les quatre fêtes successives de Noël, de Saint Etienne, de Saint Jean et des saints Innocents.

1. Béni soit le Seigneur Dieu, qui vient au nom de Dieu et qui a lui parmi nous. Béni soit son nom de gloire qui est aussi un nom de sainteté, le fruit saint des entrailles de Marie n'est pas venu pour rien, mais il a répandu parmi nous,, avec une grande abondance, le nom et la grâce de la sainteté. C'est par lui, en effet, qu'Etienne est saint, que Jean est saint, que les Innocents sont saints, Aussi n'est-ce point sans raison que trois fêtes solennelles font suite à la fête de Noël, c'est non-seulement pour que notre piété trouve un aliment dans cette succession non interrompue de fêtes, mais pour que nous comprenions bien qu'elles sont comme un écoulement, comme un fruit de la fête même de Noël. En effet, chacune de ces solennités nous rappelle trois sortes de sainteté auxquelles il serait bien difficile, je pense, d'en ajouter une quatrième, du moins parmi les hommes. Saint Etienne nous offre l'exemple d'un martyr où le fait et la volonté se trouvent réunis ; saint Jean n'eut que la volonté du martyre et les saints Innocents n'en eurent que le fait. Tous ont bu le calice du salut, l'un en esprit et en vérité, l'autre en esprit et les derniers en vérité. Le Seigneur avait dit à Jacques et à Jean. " Vous boirez en effet mon calice (Matt. XX, 23), " or il n'est pas possible de douter qu'il voulait leur parler du calice de sa passion. Lorsque s'adressant à Pierre, il lui dit : " Suivez-moi (Joan. XXI, 20) " il l'engageait évidemment à le suivre dans la voie de sa passion. " Mais lui, se retournant, voit venir après lui, le disciple que Jésus aimait, " et qui le suivait beaucoup moins encore, en marchant sur ses pas qu'en volant par le coeur à sa suite. Ainsi donc saint Jean but en effet le calice du salut, et suivit le Seigneur aussi bien que saint Pierre, bien que d'une manière différente; car s'il demeura sans souffrir effectivement dans son corps la passion du Seigneur, ce fut par suite d'une disposition toute divine, comme le Seigneur le dit expressément lui même en ces termes : "Quant à lui, je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je revienne (Ibidem. 22). " C'est comme s'il avait dit : il veut me suivre ainsi, mais moi je veux qu'il reste comme il est.

2. Quant aux saints Innocents, quelqu'un doute-t-il de leurs couronnes? On ne peut douter que les enfants massacrés pour Jésus-Christ aient reçu la couronne du martyre, que lorsqu'on doute si ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ, sont comptés au nombre des enfants d'adoption. Comment peut-on croire en effet que cet enfant qui est né pour nous, non point contre nous, aurait souffert que les. enfants, nés en même temps que lui, fussent, mis à. mort à cause de lui, s'il n'avait point voulu leur assurez quelque chose de meilleur que la vie? De même qu'à cette époque, la seule circoncision, sans aucun acte de la volonté des enfants qui la recevaient, et maintenant le baptême suffit, de même pour le salut, ainsi le martyre souffert pour Jésus-Christ a du suffire également pour les sauver. Si vous me demandez quels mérites ils ont eus aux yeux de Dieu pour être sauvés, je vous prierai de me dire quel était leur crime aux yeux d'Hérode pour être mis à mort. Est-ce que par hasard la bonté de Jésus-Christ serait moins grande pour les couronner, que la cruauté d'Hérode ne le fut pour les faire périr? Je veux bien que saint Etienne passe pour un martyr aux yeux des hommes, puisque sa mort parut volontaire de sa part, surtout quand on le voit plus inquiet pour ses propres persécuteurs, jusqu'au moment même où il rendit le dernier soupir, que pour lui-même, et oublier ses propres souffrances corporelles, pour ne songer qu'à compatir, du fond du cœur, au malheur des autres et à gémir plutôt sur leurs péchés que sur les coups qu'ils lui portaient. Que saint Jean soit aussi un martyr aux yeux des anges qui, en leur qualité d'êtres spirituels, ont vu les dispositions de son coeur, cela n'empêche point qu'ils ne soient aussi de véritables martyrs à vos yeux, ô mon Dieu, et si les hommes, ni les anges, n'ont vu aucun mérite en eux, les prévenances singulières de votre grâce ne s'en montrent pas moins pour cela en eux. Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des enfants qui ne pouvaient point parler encore (Psal. VIII, 3). Les anges disent bien : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. II, 14). " C'est beaucoup sans doute, mais j'ose dire que ce n'est pas encore là une gloire parfaite, tant que ne s'est pas fait entendre celui qui dit : "Laissez venir à moi les petits enfants, parce que le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent (Matth. XIX,14), " celui, dis-je, qui est la paix des hommes et les sauve dans le sacrement de sa bonté, sans le concours de leur volonté.

3. Que ceux qui disputent sans fin sur le fait et l'intention considèrent et remarquent qu'il ne faut négliger ni l'un ni l'autre, à moins qu'il ne soient pas possible de les réunir; surtout qu'ils sachent bien que le fait ou l'intention, quand il est impossible de les réunir, non-seulement peut opérer le salut, mais même opère la sanctification. Qu'ils soient encore fermement convaincus que le fait sans l'intention est réputé méritoire, pourvu qu'il ne soit pas contredit par l'intention; car ceux qui agissent avec une volonté feinte trouvent la damnation là où les enfants trouvent le salut. De même il y a des cas où la volonté sans le fait, non pas contre le fait, suffit également. Par exemple, un homme meurt avec l'intention louable, mais imparfaite encore et stérile, de souffrir le martyre, personne n'osera dire qu'il n'est pas sauvé. En effet, il se peut que Dieu n'ait pas permis qu'il fût mis à l'épreuve, de peur qu'il ne vînt à faiblir et à se damner. Il est bien certain que s'il était exposé, avec une volonté faible, à une épreuve trop grande pour lui, et que sa volonté ne fût point fortifiée, il faiblirait, renierait sa foi, et périrait pour toujours, s'il venait à mourir en cet état. Car il est dit : " Je rougirai devant les anges de Dieu, de ceux qui auront rougi de moi devant les hommes (Luc. IX, 26). " Ainsi on peut être sauvé avec une volonté même imparfaite, lorsque le fait est impossible, on ne le peut plus quand l'acte fait défaut ou quand il est défectueux. La même chose peut se produire dans l'ignorance ; efforçons-nous donc d'avoir la charité et d'y ajouter la pratique des bonnes œuvres, et ne regardons pas d'un oeil indifférent les péchés de faiblesse et d'ignorance, et rendons grâces à notre très-bon et très-libéral Sauveur, dans les sentiments d'une âme inquiète et timorée, de ce qu'il multiplie, avec une immense charité, les occasions de salut, pour les hommes, et se plaît, lui qui veut que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité (Joan. XVIII, 3), à trouver dans les uns le fait et l’intention réunis, dans les autres l'intention sans le fait, et, dans les troisièmes, le fait sans l'intention. Or la vie éternelle c'est que nous connaissions le vrai Dieu le Père,et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ, qui est un seul vrai Dieu avec le Père, béni par-dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

CIRCONCISION

 

 

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur ce passage de l'Evangile : " Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus (Luc. II, 21). "

1. Dans ce peu de mots nous avons entendu l'exposition d'un grand mystère de charité. Le passage qu'on vient de vous lire convient admirablement bien au Verbe amoindri que le Seigneur .a fait sur la terre. Il s'est amoindri quand il s'est fait chair; et, fait chair, il s'est amoindri encore en recevant la circoncision. Le Fils de Dieu s'est fait un peu moindre que les anges, quand il a pris la nature humaine; mais quand il a reçu le remède de la corruption des hommes, il est descendu bien davantage au dessous d'eux. Quel besoin aviez vous d'être circoncis, ô vous qui n'avez point commis le péché et qui êtes exempt de la servitude? Que vous ne l'ayez point commis c'est évident d'après votre âge; et que vous n'en ayez point contracté la souillure, c'est ce que rendait encore plus certain la divinité de votre père et la virginité de votre mère. Vous êtes le grand prêtre qui, selon la prophétie plutôt que selon le précepte de la loi, ne doit être souillé ni par son père ni par sa mère (Levit. XXI, 11). Vous avez un Père de toute éternité, mais ce père est Dieu, et le péché ne trouve point de place en lui. Vous avez une mère dans le temps, mais elle est vierge et la pureté n'a pu enfanter la corruption. Néanmoins l'Enfant est circoncis, l'Agneau sans tâche reçoit la circoncision, non parce qu'il en a besoin, mais parce qu'il veut la recevoir. Il n'y a point en lui vestige de blessure et cependant il se laisse poser les appareils des blessés. Ce n'est point ainsi qu'agissent les impies, non ce n'est point ainsi, la perversité et l'orgueil de l'homme ont d'autres allures. Il arrive quelquefois que nous faisons jactance de nos blessures, et que nous rougissons de l'appareil qui doit les guérir. Celui que personne ne peut convaincre de péché, reçoit, sans nécessité aucune, le remède du péché, mais un remède aussi humiliant que douloureux; il ne refuse point de souffrir le tranchant du couteau de pierre, quoiqu'il n'y ait qu'en lui que ce couteau ne puisse point trouver la rouille antique qu'il doit détacher. Mais nous au contraire, demeurant étrangers à tout sentiment de honte pour ce qu'il y a de honteux dans la faute, nous rougissons de faire pénitence, ce qui est le comble de la folie. Nous courons malheureusement au-devant du mal, et la honte nous retient plus malheureusement encore quand il faudra courir au remède. Celui qui n'a point fait le péché ne refuse pas d'être mis au rang des pécheurs, nous, au contraire, nous voulons être pécheurs et nous ne voulons point passer pour tels. Est-ce donc celui qui se porte bien qui a besoin du médecin, n'est-ce pas plutôt celui qui est malade? Que dis-je, n'est-ce point le malade, mais le médecin lui-même qui a besoin de remèdes? Quel est l'homme je ne dis pas d'une telle distinction, mais seulement d'une conscience aussi innocente qui se remettrait avec ce calme entre les mains de ceux qui doivent le circoncire ? Eh bien, le Christ paie avec patience la dette qu'il n'a point contractée, lui qui était venu pour purifier les autres, non pour être purifié lui-même du péché. Peut-être me direz-vous, pourquoi Jésus enfant ne recevrait-il point la circoncision ? Bien plus même pourquoi ne la recevrait-il pas avec autant d'humilité que de douceur? Pourquoi ne garderait-il point le silence en présence de ceux qui le circoncisent, lui qui se taira devant ceux qui le dépouilleront, et qui ne soufflera pas mot devant ceux qui le mettront en croix ? D'ailleurs il lui était bien facile de conserver sa chair intacte sous le couteau, puis"il a pu faire que le sein virginal de sa mère ne s'ouvrit point à sa naissance. Certainement il n'était point difficile à cet Enfant d'empêcher que sa chair ne fut circoncise, puisqu'il a pu si aisément la préserver de la corruption, même après sa mort.

2. " Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant donc arrivé, on lui donna le nom de Jésus. " Grand et admirable mystère! L'enfant est circoncis et reçoit le nom de Jésus. Que signifie ce rapprochement ? La circoncision semble plutôt faite en effet pour celui qui doit être sauvé que pour celui qui sauve, mais reconnaissez là le médiateur entre Dieu et les hommes. dès les premiers jours de sa vie, il rapproche les choses humaines des choses divines, celles d'en bas de celles d'en haut. Il naît d'une femme, mais d'une femme en qui le fruit de la fécondité ne fait point tomber la fleur de la virginité ; il est enveloppé de langes, mais ces langes sont l'objet de la vénération des anges mêmes : il est déposé dans une crèche, mais il est annoncé par une étoile qui brille dans les cieux. En même temps que la circoncision prouve qu'il s'est véritablement uni la nature humaine, le nom qu'il reçoit est un nom au dessus de tout autre nom, et dénote sa gloire et sa majesté. Il est circoncis comme véritable enfant d'Abraham, et il est appelé Jésus, comme vrai fils de Dieu. Mais mon Jésus ne reçoit pas, comme ceux qui furent nommés Jésus avant lui, un nom vain et vide de sens; ce grand nom n'est plus une ombre, il exprime la vérité. D'ailleurs l'Evangéliste nous apprend qu'il fut apporté du ciel, " c'était le nom, dit-il, que l'Ange lui avait donné avant qu'il fût conçu dans le sein de sa mère. " Remarquez quel mot profond. C'est après que Jésus est né qu'il est appelé par les hommes du nom de Jésus, qui lui avait été donné par l'Ange, avant même qu'il fût conçu. C'est qu'il n'est pas moins le Sauveur des anges que des hommes, des anges depuis le commencement du monde, et des hommes depuis son incarnation.

3. " Il fut donc appelé Jésus, c'est le nom que l'Ange lui avait donné." Ainsi toute parole se trouve confirmée par l’autorité de deux ou trois témoins (Matth. XVIII, 16). Celui que le Prophète nous fait voir amoindri, l’Evangile, plus explicite, nous le montre comme incarné. C'est nous, mes frères, oui c'est nous que regarde cette parabole car pour Jésus-Christ il n'a besoin du témoignage de l'Ange ni des hommes; mais selon ce qui est écrit: " il fait tout pour les élus (II. Tim. II, 10)." Si, donc nous ne voulons point qu'il semble que nous ayons pris le nom de notre Dieu en vain, il faut que nous cherchions un triple témoignage de notre salut. Ainsi, mes frères, il faut que nous aussi nous soyons circoncis, pour recevoir le nom du salut, mais circoncis en esprit et en vérité, non point au sens littéral, circoncis, dis-je, non dans un de nos membres, mais dans notre corps tout entier. Car, bien que c'est précisément dans cette partie du corps, où il est ordonné aux Juifs de pratiquer la circoncision, que se trouve l'excroissance de Leviathan, qui procède du mal et qui doit être retranchée, cependant il est vrai qu'elle a envahi le corps tout entier. De la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a pas une place saine en nous, pas une qui ne soit infectée par le poison. Par conséquent, si le peuple, alors qu'il était encore petit comme un enfant dans la foi et la charité, pouvait se contenter d'une circoncision restreinte, maintenant qu'il est devenu homme parfait, il est obligé de recevoir le baptême de tout le corps, ce qui n'est autre chose que la circoncision de l'homme tout entier. Voilà pourquoi notre Sauveur a voulu être circoncis le huitième jour de sa naissance, et à trente ans être mis en croix, où son corps tout entier fut assailli par la souffrance, et si nous sommes entrés en lui par la ressemblance de la mort, comme s'exprime l'Apôtre (Rom. VI, 5), c'est en observant les dernières prescriptions de la loi.

4. Quelle est la morale renfermée dans notre circoncision, sinon celle dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: nous sommes satisfaits de la nourriture et des habits que nous avons. Cette pauvreté volontaire, le labeur de la pénitence, l'exacte observance de la discipline, nous purifient parfaitement et détruisent en nous tous les mauvais germes. Nous devons d'ailleurs chercher, dans cette circoncision, un triple témoignage de salut de l'Ange, de Marie et de Joseph. L'Ange du grand conseil doit, avant tout, nous imposer le nom du salut. Il faut de plus l'attestation de notre communauté, qui est comme la mère de chacun de nous, une mère, que dis-je? une Vierge comme celle que l'Apôtre a fiancée au Christ, son unique époux, pour la lui montrer comme une vierge pure et sainte. Mais celui qui cherche à imiter le Sauveur ne doit pas dédaigner le témoignage de son ministre : or, ce ministre est Joseph, qui eut le titre d'époux, mais qui, en réalité, ne fut que le serviteur, le tuteur, le nourricier, non le père dont il n'eut que le nom.

5. Disons-le plus clairement encore. Il faut, mes frères, que non-seulement du dehors, mais encore ceux de l'intérieur rendent un bon témoignage de nous; il n'y a que celui dont la conduite plaît à tout le monde, et n'est pénible pour personne, qui reçoive un témoignage rassurant de tous ses frères au sujet de son salut. C'est en vain que l'accusateur acharné de ses frères l'attaque sur les choses qui ne paraissent qu'au dehors aux religieux, celui à qui tous ses frères rendent un bon témoignage. Quiconque, dans un aveu aussi plein d'humilité que de sincérité, expose à ses supérieurs, avec le désir de se soumettre à leurs décisions, non-seulement les fautes de sa vie mondaine, mais aussi les négligences de sa profession présente, (car " nous faisons tous beaucoup de fautes (Jacob. III, 2 et Joan. I, 9), " à moins que nous rie nous croyions plus saints que le disciple bien-aimé du Seigneur,) recevra d'eux aussi un bon témoignage. Il n'a même plus rien à redouter de ce terrible accusateur, car le Seigneur ne juge pas deux fois la même faute. Mais peut-être essaiera-t-il de trouver notre intention en défaut, et tentera-t-il de dresser de ce côté un acte d'accusation qui réduise à néant le témoignage de nos frères et celui de nos supérieurs; voilà pourquoi nous avons besoin du témoignage de celui qui voit le dedans et qui regarde plutôt au coeur qu'au visage. D'ailleurs, c'est par lui qu'il faut commencer, et ne rien concevoir dans notre esprit qui n'ait reçu de lui, avant d'être conçu, un nom de salut. Puis, quand nous en venons à l'acte extérieur , il faut nous assurer les témoignages extérieurs, selon ce que dit l'Apôtre : " Tâchez de faire le bien avec tant de circonspection qu'il soit approuvé non-seulement de Dieu, mais aussi des hommes (Cor. VIII, 21). "

 

 

 

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur les différents noms de Notre-Seigneur.

1. " Le huitième jour auquel l'Enfant devait être circoncis étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus (Luc. II, 21). " Dès le principe, Dieu aime la mesure, et jamais ce qui s'en est écarté n'a plu à sa justice. Voilà pourquoi non-seulement il a tout créé lui-même avec poids et mesure, avec nombre et proportion, mais il a fait à l'homme une obligation de s'astreindre à la mesure, en lui disant : " Tu peux manger du fruit de tous les arbres du paradis, mais pour ce qui est de ceux de l'arbre de la science du bien et du mal, tu n'en mangeras point (Gen. II, 16 et 17). " C'était assurément là un précepte bien facile, une mesure bien large; l'homme outrepassa néanmoins la mesure qui lui était prescrite, et franchit les limites qui lui avaient été tracées. Aussi le Seigneur son Dieu détourna la face de lui, et c'est à peine s'il s'adoucit enfin à l'époque où parut Abraham son ami; il donna une nouvelle mesure, il promulgua sa loi, mais ce ne fut pas comme aux premiers jours. En effet, la première loi était pour éloigner le mal; la seconde fut pour le guérir; dans le principe, ce n'était qu'une défense, une barrière élevée contre la superfluité, alors ce fut un retranchement; le précepte eut pour but, par un remède mystérieux, de faire disparaître ce qui était de trop. Enfin, l'objet de la première loi fut un arbre dont l’homme ne devait point manger le fruit; l'objet de la seconde est son propre corps, sa chair même qu'il doit circoncire. On ne peut pas douter, il est vrai, que l'excroissance de Léviathan, je veux dire le venin de la concupiscence et l'attrait immodéré d'une volupté déréglée, n'eussent envahi le corps entier de l'homme, et rendu nécessaire une circoncision générale de tous les membres.

2. Mais le corps de l'homme est trop faible et son enfance trop délicate pour supporter une circoncision pratiquée dans tous ses membres à la fois. Dieu, par une disposition pleine de bonté, en a adouci la rigueur, et a réglé que la concupiscence serait châtiée dans le membre où elle fait sentir plus violemment ses ardeurs et sa malignité. En effet, dans la révolte de la chair contre l'esprit, c'est le seul membre dont le soulèvement est si violent, qu'il se porte, en dépit de tous les efforts de la volonté, à des mouvements déshonnêtes et coupables. La circoncision se pratiquait le huitième jour de la naissance, pour rendre à l'homme l'espérance du royaume des cieux, attendu que le retour du premier jour de la naissance semblait former comme une couronne. C'est pour la même raison qu'on célèbre encore l'octave de certaines fêtes, et que, dans son sermon sur la montagne, le Seigneur termine la huitième béatitude comme il avait terminé la première (Matth. V, 10), afin que la promesse du royaume des cieux, étant rappelée une seconde fois, nous figurât plus clairement encore une couronne.

3. Mais ce n'est point sans une bonne raison que l'Enfant qui nous est né reçut le nom de Sauveur à sa circoncision, attendu, qu'en répandant alors son sang pour nous, il commence à opérer notre salut. Il n'est pas nécessaire, pour un chrétien, de se demander pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ voulût être circoncis; car la raison qui l'a fait circoncire est la même que celle pour laquelle il est né et pour laquelle il a souffert : ce n'est pas pour lui, mais pour les élus qu'il a fait tout cela; car il n'a point été conçu dans le péché; ce n'est point la chair du péché qui a été circoncise en lui, et ce n'est pas pour ses péchés, mais seulement pour les nôtres qu'il est mort. " Or ce nom, dit l'évangéliste, lui fut donné par l'Ange avant même qu'il fut conçu dans le sein de sa mère. " Il lui fut .donné, non imposé, attendu qu'il lui appartient de toute éternité. Il est le Sauveur par nature, et ce nom est inné en lui, plutôt qu'il ne lui est donné par un homme ou par un ange.

4. Mais comment expliquer que le grand Prophète, qui a prédit tous les noms qu'on devait donner à. cet Enfant, ait précisément omis le seul dont, selon la parole de l'Ange et la remarque de l'Évangéliste " il fut appelé? " Isaïe a tressailli du désir de voir ce jour: il l'a vu, et il a été comblé de joie. C'était aussi dans un sentiment de reconnaissance envers Dieu et en célébrant ses louanges, qu'il s'écriait : " Un Enfant nous est né et un Fils nous a été donné : il portera sur son épaule la marque de la principauté; il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle à venir, le Prince de la paix (Isa. IX, 6). " Tous noms bien grands, sans doute, mais je ne vois pas parmi ces noms celui qui est au-dessus de tous les noms, le nom de Jésus, celui auquel tout genou fléchit. Peut-être tous les autres noms ne sont-ils après tout que ce nom-là, exprimé, délayé en plusieurs mots, s'il est permis de parler ainsi. Car il est question dans le Prophète de celui dont l'épouse des cantiques dit, dans une explosion. d'amour : " Votre nom est comme l'huile qui se répand (Cant. I, 2). "

5. Ainsi, dans tous ces noms réunis, vous avez le nom de Jésus, et le Christ n'aurait pu ni recevoir le nom de Jésus, ni être le Sauveur, s'il lui avait manqué un seul de ces noms. En effet, n'avons-nous pas éprouvé par notre propre expérience, combien il est vraiment admirable dans le changement de nos volontés? Car c'est dans ce changement, c'est lorsque nous commençons à rejeter ce que nous aimions, à gémir de ce qui nous faisait le plus de plaisir, à embrasser ce que nous redoutions le plus, à suivre ce que nous fuyions, et à appeler de tous nos veaux ce que nous craignions davantage, que nous commençons à être saints. Assurément, celui qui produit des choses si admirables est admirable lui-même. Mais il faut aussi qu'il se montre conseiller, pour nous faire choisir la pénitence et régler notre vie, de peur que nous n'ayons un zèle dépourvu de science, une bonne volonté privée de toute prudence. Il faut aussi que nous le trouvions Dieu dans la rémission de nos péchés passés, sans cela, il n'y a pas de salut possible, car nul ne peut remettre les péchés si ce n'est Dieu. Mais ce n'est point encore assez, il faut que nous éprouvions sa force dans la lutte contre nos ennemis, sa force, dis-je, qui empêche que nous ne soyons vaincus de nouveau par nos anciennes concupiscences, et que notre dernier état ne devienne pire que le premier. Vous semble-t-il à présent qu'il lui manque quelque chose pour être un Sauveur accompli? Oui, il lui manque quelque chose encore, il lui manque même la chose la plus importante, c'est qu'il faut qu'il soit le père du siècle à venir, afin que par lui nous puissions ressusciter pour l'immortalité, de même que, par notre père du siècle présent, nous avons été engendrés pour la mort. Ce n'est pas tout encore, il faut qu'il soit enfin le Prince de la paix et qu'il nous réconcilie avec son Père à qui il va remettre le royaume; sinon, nous pourrions ressusciter comme les enfants de perdition, non pour le salut, mais pour la damnation. Sans doute son empire doit s'étendre, afin qu'il puisse être appelé avec raison le Sauveur, à cause de la multitude de ceux qui doivent être sauvés par lui : et la paix sera sans terme, pour vous apprendre que le véritable salut est seulement celui qui ne peut redouter de cesser d'être un jour le Salut.

 

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA CIRCONCISION DE NOTRE SEIGNEUR. Sur le huitième jour.

1 . Mes frères, si dans la circoncision de Notre Seigneur, nous avons de quoi réveiller notre amour et exciter notre admiration ; nous avons aussi un exemple à suivre. J'y vois un grand bienfait, une grande grâce dont nous devons remercier Dieu; mais il y a quelque chose de caché que nous devons accomplir en nous. Car si le Seigneur est venu pour nous racheter par l'effusion de son sang, il est venu aussi pour nous instruire par sa parole et pour nous façonner par ses exemples; en effet, de même qu'il ne nous servirait à rien de connaître le chemin de la patrie si nous étions retenus en prison, ainsi serions-nous rachetés en pure perte, si le premier qui nous rencontrerait ignorants de la route à suivre, pouvait nous ramener à notre prison. Voilà pourquoi le Sauveur nous a donné, dans un âge plus avancé, des exemples manifestes de patience et d'humilité, de charité surtout et des autres vertus qu'il ne vous avait montrées dans son enfance que sous le voile des figures.

2. Mais, avant d'aborder ce sujet, j'éprouve du plaisir à vous entretenir quelques instants de la grâce si grande et si manifeste qu'il nous a faite. Les anges ont une gloire parfaite et sans mélange, mais nous aussi, nous aurons notre gloire. Nous voyons en effet sa gloire, une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, la gloire de la miséricorde et d'un amour tout paternel, la gloire de celui qui procède du coeur de son Père, et qui en a les entrailles paternelles. Car, selon l'Apôtre, "tous les hommes ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rom. III, 23);" nous pouvons même ajouter avec lui : " Dieu me garde de nie glorifier en quoi que ce soit, excepté dans la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. ( Gal. VI, 14). " Est-il en effet pour nous, rien de plus glorieux que d'avoir été estimés de Dieu à un si haut prix? Est-il gloire plus grande que la gloire qui nous revient d'une pareille grâce et d'une telle bienveillance, grâce et bienveillance d'autant plus douces qu'elles sont toutes gratuites ? Car il est mort pour les impies. Vous voyez tout ce que Jésus a fait et pour qui il l'a fait. Ce qu'il a fait, voilà de quoi nous donner bonne espérance : pour qui il l'a fait, cette pensée suffit pour abaisser notre orgueil. Aussi, mes frères, pour ne point être trouvés animés de l'esprit de ce monde, mais de celui de. Dieu, et,pour savoir ce que Dieu vous a donné, ne devenez point semblable au cheval et au mulet, je vous en prie, mais à la pieuse bête de somme qui s'écriait: " J'ai été devant vous, Seigneur, comme une bête de somme, et je me suis toujours tenu attaché à vous. (Psal. 3). " Voilà en effet des bêtes de somme qui connaissent leur propriétaire et l'étable de leur maître, cette étable où il a mis pour elles un pieux fourrage, le pain même des anges. Il est le pain de vie dont tout homme doit vivre ; mais depuis que l'homme s'est fait bête de somme, son pain s'est changé en foin, afin qu'il puisse encore s'en nourrir.

3. Or, nous avons célébré ce mystérieux changement le jour même de Noël, quand le Verbe s'est fait chair, car toute chair n'est que foin. C'est donc ce jour-là qu'il s'est amoindri un peu au-dessous même des anges, et qu'il s'est montré sous la forme humaine. Mais aujourd'hui j'entends parler de quelque chose de plus étonnant encore. En effet, je trouve qu'il s'est, non un peu, mais beaucoup abaissé au-dessous des anges, puisque non content de prendre la forme humaine, il a pris celle d'un pécheur, et reçu comme la marque du fer rouge des voleurs. Qu'est-ce, en effet, que la circoncision, sinon la marque de la superfluité et du péché? Mais en vous, Seigneur Jésus, qu'y a-t-il donc de superflu à circoncire ? N'êtes-vous pas vrai Dieu, né de Dieu le Père, et vrai homme, né d'une Vierge mère, sans aucune souillure? Que faites-vous donc, ô vous qui le circoncisez ?Pensez-vous que c'est pour lui qu'il a été dit: " Tout mâle dont la chair n'aura point été circoncise sera exterminé du milieu de son peuple (Gen. XVII,14) ? Son Père peut-il oublier jamais le Fils de son sein ? ou bien ne le reconnaîtrait-il point s'il ne portait la marque de la circoncision? Bien loin de là, s'il pouvait jamais méconnaître son Fils en qui il a placé toutes ses complaisances, ce serait surtout en le voyant marqué de ce signe, en apercevant dans sa chair la circoncision qu'il a établie pour les pécheurs, afin de les purifier de leurs péchés. Mais faut-il s'étonner que la tête ait pris un remède dont elle n'a pas besoin elle-même, mais qui était nécessaire pour la guérison de ses membres ? Est-ce qu'il n'arrive pas bien souvent, que nous appliquons de même un remède à un de nos membres pour en guérir un autre ? Nous avons mal à la tête, par exemple, on nous place un cautère au bras; sont-ce nos reins qui sont malades, c'est à la jambe qu'on applique le moxa, de même aujourd'hui pour arrêter la gangrène du corps entier, c'est à la tête qu'on place le cautère.

4. Après tout, pourquoi nous étonner que celui qui a bien voulu mourir pour nous, ait voulu aussi être circoncis pour nous? Il nous est donné tout entier et il paie pour nous tout entier. En apprenant que le Fils du grand Roi Passait devant la porte de ma prison, je me suis mis à pousser de plus grands gémissements et à crier d'une voix plus lamentable : Fils de Dieu, ayez pitié de moi. Et lui, dans son excessive bonté, demande que signifient les plaintes et les gémissements qui parviennent à ses oreilles. On lui répond : C'est le traître Adam que vous entendez; votre Père l'a fait précipiter dans cette prison en attendant qu'il ait décidé dans quels supplices il doit le faire périr. Que va faire celui dont la bonté est le propre et qui ne sait que faire miséricorde et pardonner? Il descend dans cette prison, il fait tomber les chaînes de celui qui y est détenu et il l'emmène à sa suite. Mais les Juifs qui haïssaient le Père, assouvissent leur haine sur le Fils: voilà ce qui lui fait dire : "Ils n'ont que de la haine pour moi et pour mon Père ( Joan. XV, 24)." Que firent donc ces hommes qui ne pouvaient même point supporter sa présence ? " Voici l'héritier, se dirent-ils, venez, tuons-le (Matt. XXI, 38). " Ils mirent donc l'Agneau de Dieu à mort, ce fut pour leur malheur, à eux, mais pour notre salut, à nous. Ils firent couler le sang de l'Agneau, et nous, nous nous sommes approchés et nous avons bu. Nous avons pris en main le calice du salut ; ah ! combien est beau cet enivrant calice! Il y a peu de jours, nous avons célébré son arrivée dans la prison de ce monde, c'est-à-dire le jour de sa naissance; aujourd'hui c'est la fête, pour nous, du jour où il rompit nos fers et prit nos liens; car c'est aujourd'hui que celui qui n'a point fait le péché a chargé ses mains innocentes des chaînes de ceux qui ont péché, afin de les sauver; aujourd'hui enfin, que celui qui a fait la loi, s'est soumis à la loi.

5. Mais il faut dire maintenant le sens spirituel pratique de la circoncision ; car ce n'est pas sans cause qu'elle a été prescrite dans la loi (Gen. XVII,10) et accomplie dans le Seigneur, le huitième jour après sa naissance. Mais quia connu les desseins de Dieu ou, qui est entré dans le secret de ses conseils. (Rom. XI, 34) ? Que le Saint-Esprit réponde maintenant à vos désirs, lui qui scrute les profondeurs mêmes de Dieu, et qu'il vous explique le mystère caché dans ce huitième jour. Nous n'ignorons plus maintenant qu'il faut que l’homme reçoive une seconde naissance; car c'est pour cela que le Fils même de Dieu est né. Nous naissons tous dans le péché, et il faut que nous renaissions dans sa grâce. Or, c'est dans le baptême que nous la recouvrons; mais hélas! elle a péri tout entière dans la vie du monde. C'est à présent, pour la première fois, que, par un effet de la miséricorde de Dieu, la vertu de sa grâce opère en nous et nous fait marcher dans une nouvelle vie. L'homme naît donc seulement le jour où le soleil de justice se lève dans son âme, dissipe les ténèbres du péché, fait briller à ses yeux le terrible jugement de Dieu, sans dissiper la terreur qui le paralyse d'un nombre de jours aussi restreint que le terme en est sûr. Voilà proprement ce qu'il faut entendre par cette heure tardive, jusqu'à laquelle les larmes se prolongent, et qu'il faut voir suivie d'un joyeux matin qui vous fasse entendre la voix de la miséricorde; car voilà le soir et le matin dont se compose le jour, je veux dire le jour de la justice qui rende à chacun ce qui lui appartient, à nous la misère, à Dieu la miséricorde. C'est ce jour-là que naît l'Enfant, c'est-à-dire c'est lorsque notre coeur, comme je l'ai dit plus haut, est excité à l'amour de la pénitence et à la haine du péché.

6. Mais il n'est pas sans danger de vouloir faire pénitence au milieu du tourbillon du monde, là où les uns nous attirent au mal par leurs conseils empoisonnés, et les autres par leurs détestables exemples; là, dis-je, où ceux-ci nous poussent à la vaine gloire par leurs adulations, et ceux-là, à l'impatience par leurs détractions. Il faut que mes pas soient éclairés d'abord par le rayon de la prudence, qu'il nous montre quelles occasions et quelles fâcheuses facilités pour le péché le monde nous offre, et même fait naître devant nous, particulièrement dans ce siècle pervers: combien faible et débile est l'esprit de l'homme en leur présence, surtout quand il a grandi dans l'habitude du péché. Quand ce jour de la prudence a lui aux yeux de l’homme, qu'il prenne la résolution de fuir loin de ce siècle mauvais en disant avec le Prophète : " Je hais la société des méchants, et je neveux point m'asseoir avec les impies (Psal. XXV, 6). " Mais ce n'est point encore assez, peut-être songe-t-il à fuir dans un désert, parce qu'il ne songe point assez ni à la faiblesse ni aux périlleux combats qu'il y aura à soutenir avec le diable. Est-il, en effet, rien de plus dangereux que d'avoir à lutter seul contre les ruses de l'antique ennemi qui nous voit et que nous ne saurions voir ? Il a donc besoin de voir se lever à ses yeux le jour de la force qui lui montre que sa force doit être confiée en garde au Seigneur, et qu'il doit la rechercher dans l'armée des innombrables combattants qui luttent à armes égales, là où l'on compte autant d'auxiliaires que de compagnons d'armes, et des auxiliaires qui peuvent dire avec l'Apôtre : " Nous n’ignorons point les pensées de l'ennemi ( II Cor. II, 11)." En effet, l'union fait la force et devient " redoutable comme une armée rangée en bataille." Au contraire, "malheur à celui qui est seul, car s'il vient à tomber, il n'a personne qui le relève (Eccle. IV, 8)." Si nous apprenons, par l'histoire, que la grâce de la vie solitaire a été accordée à quelques pères, il n'est point prudent de s'exposer sans réflexion à une pareille épreuve, et il ne faut point tenter Dieu, comme s'exprime notre maître en parlant des anachorètes (Reg. s. Ben., cap, 1), dans l'endroit où il dit : " Celui que la ferveur du novice, etc. " Aussi, le jour de la force, après avoir dit : " Je hais la société des méchants, " il continuera: " Je laverai mes mains dans la compagnie des innocents. "

7. Mais quand il aura pris le parti d'entrer dans une communauté, voudra-t-il s'y conduire en maître, lui qui n'a pas encore été disciple, aura-t-il la prétention d'enseigner ce qu'il n'a jamais appris ? comment pourrait-il maîtriser, en lui-même ou dans les autres, les mouvements dans lesquels la raison n'est pour rien ? " nul n'a jamais haï sa propre chair (Ephes., V, 24). " Comment donc pensez-vous, s'il est son propre mettre, qu'il pourra facilement échapper au péril de se montrer parfois d'autant plus indulgent pour lui. qu'il s'aime davantage. Luise donc en lui le jour de la modération ; qui lui fasse chercher comment il pourra réprimer et modérer les mouvements insoumis de la volupté, les élans brutaux de la curiosité, et les fières aspirations de l'orgueil. Qu'il se plaise à être humilié dans. la maison de son Dieu, et à être soumis à un supérieur qui ploie sa volonté, et maîtrise sa concupiscence ou le frein de l'obéissance, et à devenir un de ceux dans la bouche de qui le Prophète met ces paroles : " vous avez placé des hommes au dessus de nous, Seigneur (Psal. LXV, 12). " Il ne faut point qu'un esclave dédaigne de marcher sur les tracés du Seigneur; car " l'esclave n'est pas plus grand que son maître (Joan. XIII, 16). " Or celui-ci avait déjà , grandi en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes, il avait atteint: l'âge de douze ans, lorsque étant demeuré à Jérusalem, il fut retrouvé par Marie et par Joseph qui passait pour être son père, au milieu des, docteurs, les écoutant et les interrogeant. Or il partit avec ses parents " et il leur était soumis (Luc. II, 51.) " Soyez donc soumis vous aussi, à cause de lui.

8. Mais dans les voies de l'obéissance il peut se présenter parfois des choses dures et difficiles à faire, des préceptes ,qui, bien que salutaires, semblent pourtant un peu pénibles. Si vous ne les supportez qu'avec peine, si vous vous mettez à juger vôtre supérieur, et à murmurer au fond de votre coeur, quand même au dehors vous accompliriez ce qu’il vous est prescrit, vous n'auriez point la vertu de patience. Votre vêtu ne serait qu'un voile jeté sur votre malice: Il faut dés lors que le jour de la patience se lève pour vous, afin que vous voyiez à embrasser avec un coeur soumis les choses les plus dures et les plus difficiles, apprenant à ne juger que vous, à vous trouver fortement répréhensible d avoir si peu de goût pour les choses du salut, à prendre toujours, alitant que possible, le parti de votre supérieur contra vous, à vous accuser vous-même et à excuser plutôt votre supérieur.

9. Quand vous en êtes arrivé là, ce dont vous devez, le plus vous garder, suivant moi. c'est l'orgueil, car il est bien grand de le vaincre ainsi soi-même. Salomon a dit en effet ; " l’homme patient vaut mieux que l'homme courageux, et celui qui sait maîtriser son esprit vaut mieux que celui qui force des villes (Prov. XVI, 32). " D'ailleurs, remarquez en quels termes assez claire le Prophète nous recommande l'humilité après la patience : " ô mon âme, soyez soumise à Dieu, puisque c'est de lui que me vient la patience (Psal. LXI, 6). " ne vous semble-t-il pas, à l'entendre parler ainsi, qu'il se sentait porté à concevoir de l'orgueil de se patience ? Il est donc nécessaire que le rayon de l'humilité éclaire votre coeur, et vous fasse voir ce qui vient de vous, et ce qui vient de Dieu, afin que vous ne vous laissiez point aller aux sentiments de l'orgueil, attendu que " Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). "

10. Lorsque vous vous serez exercé assez longtemps dans ces vertus, priez Dieu de faire luire à vos yeux la lumière de la dévotion, ce jour d'une extrême sérénité, le sabbat de l'âme, pendant lequel, tel qu'un soldat consommé, vous vivez sans fatigue au milieu de toutes les fatigues, et courez avec un coeur dilaté par la joie, dans la voie des commandements de Dieu. Ce jour vous fera accomplir avec une extrême douceur et un grand bonheur, ce que vous ne faisiez d'abord qu’avec contrainte et amertume. Voilà, si je ne me trompe, la grâce que demandait celui qui disait : " accordez-moi quelque relâche, afin que je me rafraîchisse (Psal. XXXVIII, 18). " C'est comme s'il avait dit : jusques à quand serai-je accablé par la sueur et la douleur, et sous le coup d'une mort qui me menace pendant une journée tout entière ? " laissez-moi un peu de relâche afin que je me rafraîchisse. " Mais, si je ne me trompe, il n'y en a pas beaucoup qui atteignent à ce degré de perfection en cette vie, et celui qui semble y 'être arrivé, ne doit pas trop se flatter pour cela, surtout s'il n'est encore que novice et s'il n'a pas franchi tous les degrés de sa profession, car le bon Jésus, Notre-Seigneur a coutume d'attirer ceux dont le coeur est encore faible, par de semblables douceurs. Mais il ne faut pas que ceux qui sont l'objet de ces faveurs oublient que cette grâce ne leur est que prêtée, non donnée, et que, dans les bons jours ils se rappellent qu'ils en ont eu de mauvais, et, dans les mauvais, qu'ils en ont eu de bons. Il en est tout autrement de ceux qui se sont depuis longtemps exercés, ceux-là goûtent avec bonheur les douces jouissances de la dévotion. Mais il y en a beaucoup qui aspirent toute leur vie après. ce bonheur et n'y arrivent jamais; toutefois s'ils ont, persévéré dans leurs pieux efforts, ils, ont à peine fermé les yeux, qu'ils reçoivent, en l'autre vie, ce qui leur a été refusé dans celle-ci : la grâce les conduit seule alors, où dans le principe ils tendaient avec elle, et, après une, vie de courte durée, ils, remplissent le cours d'une multitude de siècles (Sap. IV, !3).

11. Ceux qui sont, arrivés à la grâce de la dévotion semblent n'avoir, plus qu'un péril à craindre, c'est celui que peut leur faire courir le démon du midi. " Car satan même se transforme en ange de lumière (II Cor. XI, 14). " Celui qui fait tout avec tant de bonheur, doit donc appréhender d'exténuer son corps par des pratiques; excessives, pendant qu'il s'y livre avec tant de consolations, et d'être contraint plus tard, au grand détriment de la vie spirituelle, de prendre soin de son corps débilité. Afin donc que celui qui court dans ces voies ne se heurte point à cette pierre d'achoppement, il faut qu'il soit éclairé par le jour de la discrétion qui est la mère de toutes les vertus et le couronnement de la perfection. C'est elle en effet qui nous apprend à éviter tout excès, et c'est ce que signifie le huitième jour où l'Enfant est circoncis; car, la discrétion est une véritable circoncision qui empêche qu'on ne fasse trop ou trop peu. En effet, quiconque fait trop ne circoncit point ses bonnes couvres, il en fait, avorter le fruit, de même. que, celui qui fait trop peu dans sa tiédeur. C'est donc le huitième jour que nos couvres reçoivent leur nom, mais, un nom de salut. Et, quant à moi, je n'hésite point à affirmer que, quiconque vit ainsi, opère. lui-même son salut. Jusqu'à de jour-là les anges ont pu donner à ses oeuvres un nom de salut, parce qu'ils connaissent les secrets desseins de Dieu, mais moi, ce n'est que ce jour-là même que je puis le leur donner avec confiance. Mais, mes frères, comme la vertu de discrétion est une: merveille bien rare sur la terre, je souhaite que la vertu d'obéissance la supplée en vous, et que vous ne fassiez jamais ni plus, ni moins, ni autrement que ce qui vous est prescrit.

 

 

 

 

 

ÉPIPHANIE

 

 

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur ces paroles de l'Apôtre : " La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans le monde (Tit. III, 4) : " et sur les trois apparitions de Jésus-Christ.

1. La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans le monde (Tit. III, 14). ".Grâces soient rendues à Dieu par qui nous recevons une si abondante consolation dans notre voyage, au sein de l'exil et au milieu de nos misères. Car nous avons soin de vous rappeler bien souvent, afin que vous ne l'oubliiez pas, que nous sommes des voyageurs sur la terre, des exilés de la patrie, des hommes dépouillés de leur héritage; car quiconque n'a point gémi sur son sort ne sera jamais consolé. Quiconque ne sent point la nécessité d'être consolé ne saurait espérer la grâce de Dieu (a). Aussi, les gens du monde, absorbés tout entiers par une multitude d'affaires et dé désordres, ne s'aperçoivent point de leur misère et ne recherchent point la miséricorde. Mais vous, à qui il n'a pas été dit en vain : " Arrêtez-vous et voyez que je suis le Seigneur de toutes douceurs (Psal. XLV, 11), " vous, à qui le même Prophète disait encore : " Le Seigneur fera connaître à son peuple la puissance de ses oeuvres (Psal. CX, 6) : " vous, dis-je, que les occupations du siècle ne captivent plus, remarquez combien est grande la consolation spirituelle. Vous, qui n'ignorez point que vous êtes en exil, apprenez que le secours vient du ciel, " car la bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans ce monde. " Tant que son humanité ne parut point, sa bonté demeura cachée, attendu que celle-ci existait avant celle-là puisque la miséricorde du Seigneur est éternelle. Mais comment pouvait-elle être connue dans toute sa grandeur ? Elle était promise mais on ne le sentait point encore, et voilà pourquoi tant d'hommes en doutaient. Dieu avait parlé autrefois en diverses occasions et en diverses manières par la bouche des prophètes (Hebr. I, 1), il avait dit : " Mes pensées sont des pensées de paix, non d'affliction (Jerem. XXIX, 11). " Que répondait l'homme qui né ressentait que son affliction et ignorait les douceurs de la paix ? Il disait à Dieu jusques à quand nous direz-vous : " La paix, la paix, lorsqu'il n'y a point de paix (Ezech. XIII, 10)? " Aussi les anges de paix versaient-ils des larmes amères en s'écriant : " Seigneur, qui est-ce qui croira nos paroles (Isa. XXXIII, 7) ? " Mais que les hommes en croient du moins leurs propres yeux maintenant, car " les témoignages de Dieu sont très-dignes de créance (Psal. XCII, 5). " Et, afin qu'elle ne pût échapper à ses regards, " Dieu a dressé sa tente en plein soleil (Psal. XVII, 5). "

2. Or, voici maintenant la paix non plus promise simplement, mais envoyée; non plus différée, mais donnée; non plus prophétisée, mais présentée. Voici que Dieu a envoyé sur la terre comme le trésor même de sa miséricorde, ce trésor, dis-je, dont la passion doit briser l'enveloppe, pour en répandre le pria de notre salut qui y est caché;

a Saint Bernard vent dire que ceux qui ne sentent point leur misère ne recevront point la grâce de Dieu, parce qu'il ne la donne qu'à ceux qui la demandent; de plus elle ne se conserve que dans ceux qui craignent de la perdre. (Voir plus loin le premier sermon de saint Bernard pour le jour de l'octave de l'Epiphanie, n. 5, et le deuxième sermon pour le même jour, n. 8.) On peut consulter aussi le premier sermon sur la psaume quatre-vingt-dixième, n. 1, ainsi que le cinquième sermon pour le jour de la race de l'Eglise, n. 8, où notre saint s'exprime ainsi : " Ne point voir sa propre est un obstacle à la miséricorde, et la grâce ne se répand point là où on présume de son mérite. " (Voir encore la livre I de la Vie de saint Bernard, n. 36 et 37.)

pour être, peu volumineux, il n'en est pas moins rempli, car si ce n'est qu'un tout petit enfant qui nous a été donné, en lui habite toute la plénitude de la divinité. Dans la plénitude des temps est donc venue la plénitude, de la divinité. Elle est venue dans la chair afin d'être visible par des yeux de chair, et, afin qu'à la vue de son humanité, on reconnût sa bonté; car si ce dès que l'humanité,de Dieu apparaît, il n'est plus possible de doutes de sa bonté. Comment, en effet, aurait-il pu nous mieux signaler sa bonté, qu'en prenant notre chair, notre chair, dis-je, non point celle qu’Adam eut, avant son péché? Est-il rien qui prouve mieux sa miséricorde que de voir qu'il a pris, notre misère? Enfin où trouver un amour plus plein, que dans le fait du Verbe même de Dieu se faisant pain pour nous ? " Seigneur, qu’ est-ce que l'homme pour faire tant de cas,de lui, et pour que votre cœur, s'attache à lui (Job. VII, 17) ? " Que l’homme apprenne, par là, quel soin Dieu prend de lui, quel bien il lui rend dans sa pensée, et quels sentiments il nourrit à son égard. Ne te demande point, ô homme, ce que tu souffres, mais ce qu'il, a souffert. Reconnais quel cas il fait de toi, par ce qu'il est devenu pour toi afin que tu pusses, en voyant son humanité, te convaincre de sa bonté. En effet, plus il s'est fait petit en se faisant homme, plus il s'est montré grand en amour, et, plus il s'est fait humble pour moi, plus il est digne de mon amour. " La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité nous ont apparu, " disait l'Apôtre. Oui elles ont apparu, mais immenses, mais manifestes ! ce qui a rendu la preuve de sa bonté plus grande encore, c'est le nom de Dieu qu’il a voulu ajouter à son humanité.

3. Car l’ange Gabriel, qui fut envoyé à Marie, lui parle du fils de Dieu, mais ne le nomme point. Dieu. Béni donc soit Dieu qui a trouvé parmi nous, et pour nous, un ange de notre race qui suppléât ce que l'ange du ciel avait omis, Car le nôtre avait aussi l'esprit de Dieu, et c'est dans cet esprit qu'il nous a annoncé :ce qu'il nous importait tant de savoir. Est-il, en effet, quelque chose qui fonde la foi, fortifie l'espérance et enflamme la charité comme l'humanité de pieu? Mais ce que les autres anges n'ont point dit, c'est le notre qui devait le dire. Il ne convenait point que tous les anges annonçassent toutes choses, car, il fallait que nous eussions le plaisir, d'apprendre une chose des uns et une autre des autres, et que nous eussions des actions de grâces à rendre à chacun. Pourtant, il y a un nom que les anges et l'Apôtre s'accordent à lui donner, c'est celui de Sauveur. En s'adressant à Marie qui était plus complètement instruite que lui par le Saint-Esprit, Gabriel se contente de lui indiquer le nom du Sauveur; " vous lui donnerez le nom de Jésus (Luc. I, 31). " Mais lorsqu'il s'adresse à Joseph, il lui explique la signification de ce nom : " Vous lui donnerez le nom de Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple (Matth. I, 21). " De même aux, bergers, la grande nouvelle qui leur est annoncée, c'est qu'il leur est né un Sauveur, le Seigneur Christ. Saint Paul s'exprime à peu près de la même manière quand il dit : " La bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu ont paru (Tit. III, 6). " C'est un nom d'une grande douceur, et nul n'a négligé de le prononcer, attendu qu'il m'était bien nécessaire de l'entendre. Autrement qu'aurai-je fait en apprenant que le Seigneur venait? Ne me serais-je point enfui, comme Adam qui voulait éviter sa présence et ne put y réussir ? Ne tomberais-je point dans le désespoir, en apprenant l'arrivée de celui dont j'ai si souvent violé la loi, de la patience. de qui j'ai tant abusé, dont j'ai si mal reconnu les bienfaits? Quelle plus grande consolation pourrait-il y avoir pour moi que d'entendre un nom plein de douceur et de consolation? Aussi entendez-le lui-même dire que " le Fils n'est pas venu pour juger le monde, mais, pour que le monde fût sauvé par lui (Joan. III, 17). " Alors je m’approche avec confiance, je prie, l'espérance dans l’âme. En effet, que craindrais-je quand celui qui vient dans ma demeure est le Sauveur? Je n'ai péché que contre lui, s'il me pardonne tout sera oublié, d'autant plus qu'il peut faire tout ce qu'il lui plait il est Dieu, s’il me justifie, qui est-ce qui me condamnera? Qui est-ce qui osera élever la voix contre les élus de Dieu (Rom. VIII, 33)? Il faut donc nous réjouir de ce qu'il est venu chez nous, car il se montrera facile à pardonner.

4. Après tout il est tout petit enfant, il sera donc bien facile de l'apaiser: Qui ne sait que les enfants pardonnent aisément? Et s'il n'est pas venu à nous pour peu de chose, cependant il faut bien peu de chose pour nous réconcilier avec lui ; mais si peu que ce soit de ne saurait pourtant pas être moins que la pénitence, après tout n'est-ce que notre pénitence, sinon infiniment peu de chose? Nous sommes pauvres, nous ne pouvons donner que peu; mais ce peu, si nous le voulons, suffit pour nous réconcilier. Tout ce que je puis donner, c'est ce misérable corps, mais si je le donne, il suffit; sinon j'ajoute son propre corps au mien, en effet il est du même sang que moi, il est à moi. Car cet " enfant est né pour nous, ce fils a été donné à nous (Is. IX, 6). " Seigneur, je supplée par vous à ce qui me manque. O réconciliation d'une incomparable douceur ! O satisfaction infiniment agréable ! O réconciliation vraiment facile mais infiniment utile ; satisfaction vraiment petite mais non de peu de prix ! Mais plus elle est facile aujourd'hui, plus elle sera difficile demain, et si maintenant il n'est personne qui ne puisse se réconcilier, bientôt il n'y aura plus personne qui le pourra, car, de même que la bonté du Sauveur s'est montrée au delà de toute espérance, au delà de tout ce que les hommes pouvaient imaginer, ainsi pouvons-nous nous attendre à un jugement dune sévérité pareille à ce que fut sa bonté. Gardez-vous donc bien de mépriser la miséricorde de Dieu si vous ne voulez point ressentir sa justice, ou plutôt sa colère, son indignation, sa violence ou sa fureur. Seigneur, ne me reprenez point dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère (Psal. VI, 1). Pour que vous n'ignoriez point quelle sera la sévérité du jugement futur, il a commencé par vous en donner une idée dans la grandeur de sa miséricorde qui, le précède; jugez donc de la grandeur de la vengeance par la grandeur de l'indulgence. Dieu est immense, sa justice comme sa miséricorde est infinie, il est riche en pardon, riche en vengeance ; mais la miséricorde a. pris le devant, afin que, si nous le voulons, la sévérité du jugement n'ait plus le motif de sévir. Il a donc donné le pas à sa bonté, afin que réconciliés par elle, nous pussions considérer sans crainte sa sévérité. Voilà pourquoi il voulut non-seulement descendre sur la terre, mais s'y faire connaître; non-seulement y naître, mais y être connu.

5. Après tout, c'est à cause de cette manifestation que ce jour est célèbre pour nous, sous le nom de jour de l'apparition. En effet, c'est aujourd'hui que les Mages sont venus de l'Orient à la recherche du soleil de justice qui venait de se lever, de celui dont il est écrit : " Voilà l'homme qui a pour nom Orient (Zach. VI, 12). " C'est aujourd'hui qu'ils ont adoré l'enfantement nouveau d'une vierge, après avoir suivi la route que leur indiquait un astre nouveau. N'y a-t-il point là encore pour nous une grande consolation, de même que dans le mot de l’Apôtre dont je vous ai entretenus ? Celui-ci la nommé Dieu; et ceux-là lui donnent le même titre sinon de bouche, du moins par leurs actions. Que faites-vous, ô Mages, que fais-vous? Vous adorez un enfant à la mamelle, dans une vile étable, et caché sous de vils langes? Est-ce que vous voyez Dieu en lui ? Si c'était un Dieu ne serait-il point dans son temple; le Seigneur, mais c'est dans les cieux qu'il habite : et vous venez, le chercher, dans une vile étable, sur le sein d'une mère? Que faites-vous, encore une fois, et pourquoi lui offrez-vous de l’or ? Est-il donc roi aussi ? Mais où est sa cour royale, où est son trône, où est la foule de ses courtisans ? Faut-il prendre une étable pour la cour d'un roi, une crèche pour son trône, Joseph et Marie pour tous courtisans? Comment des hommes aussi, sages ont-ils pu perdre le sens au point d'adresser leurs adorations à un tout petit enfant, que son âge et la pauvreté de ses parents contribuent à rendre méprisable? Ils ont perdu le. sens, c'est vrai, mais c'est pour le recouvrer, et le Saint-Esprit leur a appris avant tout autre ce que l'Apôtre n'a annoncé que plus tard, c'est, que : " Si quelqu'un parmi vous veut être sage, qu'il devienne insensé et il deviendra sage (I Cor. I, 21). " N'y avait-il pas lieu de craindre, mes frères, que ces hommes ne se scandalisassent et ne se crussent mystifiés en voyant tant de choses indignes d'un Dieu et d'un roi? De la capitale d'un royaume où ils présumaient qu'ils devaient chercher le roi, ils sont envoyés à Bethléem, dans une misérable petite bourgade ; ils entrent dans une étable et y trouvent un enfant enveloppé de langes. Cette étable ne les choque point, ces langes ne les offusquent point, et cet enfant à la mamelle ne les scandalise point; ils se prosternent, ils le saluent comme un roi, et l'adorent comme un Dieu; sans douté c'est que celui qui les a conduits là les a instruits en même temps; sans doute celui qui les a avertis extérieurement par une étoile, les a aussi intérieurement éclairés. Le Seigneur en se manifestant ce jour-là l'a donc rendu céleste; et les Mages, parleurs respect leur dévotion, en ont fait un jour de dévotion et de respects.

6. Mais nous ne célébrons point que cette manifestation aujourd'hui il en est encore une autre que nous avons appris de nos pères à célébrer encore. Bien qu'elle soit séparée par un long laps de temps de la première, cependant on croit qu'elle eut lieu le même jour. Jésus ayant accompli sa trentième année dans la chair (car en tant que Dieu il est toujours le même et ses années ne marchent point vers leur déclin), il se présenta au baptême de Jean au milieu d'un grand concours d'hommes de sa nation. Il y vint comme un homme du peuple, lui qui seul était sans péché. Qui l'aurait pris alors pour le Fils de Dieu ? Qui aurait pensé qu'il était le Seigneur de majesté ? O Seigneur, comme vous vous humiliez profondément! Vous vous cachez bien bas, mais vous ne pouvez demeurer inconnu à Jean. N'est-ce pas lui qui du fond du sein maternel, avant même d'avoir vu le jour, vous reconnut, bien que vous ne fussiez pas encore né non plus? N'est-ce pas lui qui vous reconnut à travers la double enveloppe du sein de sa mère et du sein de la vôtre? Comme il ne pouvait alors s'adresser à la foule, il instruisait du moins sa mère de votre présence par un tressaillement de joie. Mais aujourd'hui que se passe-t-il? l'Evangéliste nous le dit : " Jean le vit venir et il dit : voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les pêches du monde ( Joan. II, 29). " Oui, c'est bien un agneau , c'est bien lui plein d'humilité, lui plein de douceur. " Voici, dit-il, l'Agneau de Dieu, celui qui ôte les péchés du monde. " C'est-à-dire voici celui qui ;va effacer nos iniquités et purifier notre cloaque. Mais nonobstant ce témoignage il veut être baptisé de la main de Jean. Celui-ci n'ose céder à ses voeux, qui peut s'en étonner? Oui, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un homme tremble et n'ose point toucher au chef saint d'un Dieu, à cette tête que les Anges adorent, que les puissances vénèrent, que les principautés ne considèrent qu'avec crainte? Eh quoi, Seigneur Jésus, vous- voulez être baptisé? Pourquoi cela, Seigneur, et quel besoin avez-vous du baptême? Est-ce que l'homme qui est en bonne santé a besoin de médecin, et celui qui est pur a-t-il besoin de se purifier encore ? D'où vous viendrait donc le péché pour avoir besoin du baptême? Est-ce de votre père? Vous en avez un, je le sais, mais ce père est Dieu, vous lui êtes égal, car vous êtes Dieu de Dieu, lumière de lumière. Or, qui ne sait que le péché ne peut se trouver en Dieu ? Est-ce de votre mère, car vous avez aussi une mère, mais cette mère est vierge. Je me demande quel péché vous pouvez tenir d'elle, puisqu'elle vous a conçu sans péché et vous a mis au monde sans perdre sa virginité? Quelle tâche peut se trouver dans l'Agneau immaculé? " C'est moi plutôt, dit Jean, qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi (Matth,. III, 14) ! " Des deux côtés l'humilité est grande, mais il n'y a pas de comparaison entre celle de l'un et celle de l'autre. En effet, le moyen pour un homme de ne point s'humilier en présence d'un Dieu qui est humble ? " Laissez-moi faire pour le moment, dit le Seigneur, car c'est ainsi qu'il convient que nous accomplissions toute justice (Matth. III, 15). " Jean céda et obéit; il baptisa l’Agneau de Dieu, il purifia l’eau. C'est nous qui avons été lavés, ce n'est pas lui, car nous savons que c'est pour nous purifier, que les eaux ont été purifiées elles-mêmes.

7. Mais peut être ne vous en rapporterez-vous point entièrement au témoignage de Jean, attendu qu'après tout, il est homme et par conséquent sujet à caution, d’autant plus qu'il est proche parent de celui à qui il rend témoignage. Eh, bien! voilà un témoignage plus imposant, que celui, de Jean, c'est le témoignage de la colombe qui vient se reposer:sur Jésus-Christ. Or ce n'est pas sans raison que pour désigner l'Agneau de Dieu, c'est une colombe qui arrive attendu qu'il n'est point d'être qui convienne mieux à l'agneau que la colombe. Ce qu'est l'agneau parmi les animaux, la colombe l’est parmi les oiseaux. L'un et l'autre sont d'une parfaite innocence , d'une très-grande douceur et d’une extrême simplicité. Est-il rien de plus éloigné de toute malice qu’un agneau et qu'une colombe? Ils ne sauraient nuire à personne, ils ne savent point ce que c'est que de faire du mal. N'allez pas croire que tout cela s’est passé par hasard , le témoignage de Dieu le Père vous détromperait: Le Dieu de toute majesté fit retentir son tonnerre, le Seigneur s'est fait entendre sur les grandes eaux (Psal. XXVIII, 3). " Au même instant on entendit une voix du ciel qui dit: celui-ci est : mon Fils bien-aimé en qui j'ai. mis toutes mes complaisances (Matth. III, 17). " En effet, Jésus est bien celui en qui rien ne déplaît au Père, rien ne choque les regards de sa majesté. Aussi dit-il lui-même : " Je fais toujours ce qui lui plaît. Ecoutez-le (Joan. VIII, 29), " dit-il. A vous maintenant, Seigneur Jésus, à vous de parler. Jusques à quand ferez-,vous comme si vous n'entendiez point? Vous ne vous êtes tu que trop longtemps, oui trop longtemps; mais à présent votre Père vous permet de parler. Combien de temps vertu, sagesse de Dieu, demeurerez-vous cachée dans la foule comme un homme faible et dépourvu de sagesse? Combien de temps encore, noble Roi, Roi du ciel, souffrirez-vous qu'on vous croie et qu'on vous. appelle le ils du charpentier? Car saint Luc nous apprend qu'alors encore il passait pour être le fils de Joseph (Luc. III, 23). " O humilité, vertu du Christ, ô sublime humilité ! Comme vous confondez notre orgueil et notre vanité ! J'ai une ombre de savoir à peine, ou plutôt je me figure que je l'ai, et je ne puis plus me taire, je me produis et me fais valoir avec autant d'imprudence que d'impudence, j'ai hâte de parler, je suis aussi avide d'instruire les autres que lent à les écouter. Est-ce que Jésus, quand il gardait si longtemps le silence et se tenait caché, redoutait la vaine gloire? Pourquoi aurait-il appréhendé la vaine gloire lui qui est la vraie gloire du Père? Et pourtant il la craignait, mais non pour lui. Il la craignait pour nous, à qui il savait qu'elle était redoutable. C’est nous qu'il voulait prémunir, nous encore qu'il voulait instruire. Il gardait le silence des lèvres, mais il nous parlait par ses oeuvres, et, ce qu’il nous apprit plus tard par ses leçons, en disant : apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Matth. XI, 29), " il nous l'enseignait dès lors par ses exemples. En effet, nous ne savons que peu de choses de son enfance, et, depuis son enfance jusqu'à l’âge de trente ans, il n'est plus parlé de lui. Mais à présent il ne peut plus demeurer caché, car son Père fa trop clairement montré à tous les yeux. Mais dans sa première manifestation même il voulut se montrer en la société de la Vierge Marie parce que la virginité de sa mère est encore une leçon de réserve.

8. Nous trouvons dans l'Evangile sa troisième manifestation dont nous célébrons également aujourd'hui le souvenir. Il était invité aux noces de Cana; là, le vin étant venu à manquer, il compatit à l'embarras des époux et changea l'eau en vin: "Ce fut, dit l’Evangéliste, le premier de ses miracles (Joan. II, 11). " Ainsi dans la première manifestation, il montre le vieil homme en lui, car c'est sous la forme d'un enfant suspendu aux mamelles de sa mère qu'il a apparu : dans la seconde, le témoignage de son Père montre en lui le vrai Fils de Dieu; et dans la troisième, il se montre lui-même vraiment Dieu en changeant la nature à son gré. Ce sont là, autant de preuves qui confirment aujourd'hui notre foi, autant de démonstrations qui fortifient notre espérance, autant de motifs qui enflamment notre amour.

 

 

 

 

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR. Sur les Mages, à l'occasion de ce passage du Cantique des cantiques " Sortez de vos demeures, filles de Sion, et voyez le roi Salomon (Cant. III, 10). "

1. Nous lisons que le Seigneur s'est manifesté trois fois le même jour, sinon à la même époque. La seconde et la troisième fois il le fit d'une manière admirable, mais sa première manifestation est la plus admirable de toutes. Je trouve admirable le changement de l'eau en vin, admirable encore le témoignage de Jean, de la colombe et du Père; mais ce qui m'inspire plus d'admiration encore, c'est qu'il fut reconnu par les Mages. Or, ils l'ont reconnu, la preuve en est qu'ils l’adorèrent et lui offrirent de l’encens. Non-seulement ils reconnurent en lui un Dieu, mais aussi un roi, comme le prouve for qu'ils lui présentèrent. Toutes ces offrandes cachent pour eux un grand mystère de charité, aussi lui offrent-ils de la myrrhe pour indiquer sa mort. Les Mages adorent donc un enfant à la mamelle et lui offrent des présents. Mais, ô Mages, où donc voyez-vous la pourpre royale autour de cet enfant ? Est-ce dans ces pauvres langes dont il est enveloppé ? Si cet enfant est roi, où donc est son diadème? Pour vous, vous le voyez effectivement avec le diadème dont sa mère l'a couronné, je veux parler de cette- enveloppe mortelle dont il dit lui-même en ressuscitant : " Vous avez déchiré le sac dont j'étais vêtu, et vous m'avez environné de joie (Psal. XXIX, 12). " Sortez donc de vos demeures, filles de Jérusalem, et venez voir le roi Salomon qui parait avec le diadème dont sa mère l'a couronné, etc. (Cant. III, 10). " Oui sortez, vertus angéliques, habitants de la Jérusalem céleste, voici votre roi, mais paré de notre couronne, du diadème dont sa mère lui a ceint le front. Mais vous avez jusqu'à ce jour ignoré ces délices, jusqu'à ce jour vous n'avez point goûté ce bonheur. Vous connaissez bien sa grandeur, vous avez maintenant son abaissement sous les yeux; sortez donc de vos demeures et venez voir votre roi Salomon qui paraît avec, le diadème .dont sa mère l'a couronné.

2. Mais il n'est pas nécessaire que nous les y invitions , ils ressentent eux-mêmes le désir de le contempler. Car plus sa grandeur leur est connue, plus son abaissement leur semble aimable et précieux; voilà pourquoi, bien que nous ayons encore plus de sujets qu'eux de nous réjouir,puisque c'est pour nous qu'il est né, et à nous qu'il est donné, ce sont eux cependant nous préviennent et nous exhortent à le voir. J'en vois la preuve dans le fait de l'ange qui annonce la bonne et grande nouvelle aux bergers, et dans les chants de l'armée céleste qui était avec lui (Luc. III, 16). C'est: donc à vous, âmes mondaines, que je m'adresse quand je dis filles de Sion; 'est,à vous qui êtes des filles délicates et faibles plutôt que des fils, car la force vous manque et vous n'avez rien de viril en vous, que je dis : " Sortez de votre demeure, filles de Sion. " Sortez de vos sentiments charnels pour vous élever vers l'intelligence de l’esprit, de la servitude, de la concupiscence de la chair, pour rester dans la liberté de l'intelligence de l'esprit. Sortez de votre pays, de votre parenté et de la demeure de votre père " et venez voir votre roi Salomon. "D'ailleurs il ne serait pas sûr pour vous de voir en lui l'Ecclésiaste, car qui dit Salomon, dit pacifique. Or il est Salomon dans l'exil (a); mais qui dit Ecclésiaste dit harangueur de la foule, or il le sera au jugement dernier; qui dit Idite, dit ami du Seigneur, il ne le sera que dans son royaume. Dans l'exil il est doux et aimable; au jugement dernier il sera juste et terrible, et dans le royaume, il sera glorieux et admirable. Sortez donc de vos demeures, et venez voir votre roi Salomon,,car partout il porte sa royauté. Son royaume n'est pas de ce, monde, il est vrai, mais il n'en est pas moins roi dans ce monde. En effet, quand on lui dit : "Vous êtes donc roi? Je le suis, répondit-il, et c'est- pour cela que je suis né et que je suis venu dans le monde (Joan. XVIII, 37). " Maintenant donc il règle nos moeurs, au jugement dernier il discernera nos mérites, et dans son royaume il les récompensera.

3. Sortez donc de vos demeures, filles de Sion, et venez voir votre roi Salomon qui parait avec le diadème dont sa mère l'a couronné, le diadème de la pauvreté, la couronne de la misère. Car il a reçu de

a. Depuis cet endroit jusqu'à ta fin. du paragraphe, saint Bernard continue dans-les mêmes termes qu'il s'exprimera dans le cinquantième de ses sermons divers.

sa marâtre une couronne d'épines, une couronne de misère. Mais il en recevra une de justice de la main des siens, le jour où les anges iront arracher tous les scandales du milieu de son royaume, alors qu'il viendra pour juger avec les anciens de son peuple, et que l'univers entier se déclarera pour lui contre les insensés. Son Père le gratifie d'une couronne de gloire, selon ce mot du Psalmiste : " Vous lui avez donné une couronne de gloire et d'honneur (Psal. VIII, 6). " Venez donc le contempler, filles de Sion, sous le diadème dont l'a couronné sa mère. Prenez la couronne de votre roi devenu petit enfant pour vous, et, avec les Mages, adorez son abaissement; car leur foi et leur dévotion vous sont aujourd'hui proposées en exemple. A qui, en effet, comparerons-nous, à qui assimilerons-nous ces hommes aujourd'hui? Si je considère la foi du bon larron et la confession du centurion, il me semble que les Mages l'emportent sur tous les deux, attendu que pour ceux-ci déjà il avait fait bien des miracles, déjà il avait été annoncé par bien des bouches, déjà même il avait reçu les adorations de bien des gens. Remarquons néanmoins quel fut le langage de ces deux hommes. Le bon larron s'écriait du haut de la croix : " Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé dans votre royaume (Luc. XXII, 42). " Le supplice de la, croix serait-il la voie qui le conduit à son royaume? Qui donc t'a appris qu'il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans sa gloire? Et toi, centurion, où as-tu appris à le connaître? L'Évangéliste nous dit que : " En voyant qu'il avait expiré en jetant ce grand cri, il s'écria : certainement cet homme était le Fils de Dieu (Marc, XV, 39). " Chose étrange et bien digne d'admiration!

4. Aussi vous dirai-je, voyez et remarquez quels yeux perçants, quels yeux de lynx a la foi. Elle voit le Fils de Dieu dans un enfant à la mamelle, elle le voit dans un homme attaché à la croix, enfin elle le voit dans un mourant En preuve, c'est que le centurion le reconnut sur la croix et les mages dans une étable: l'un le reconnaît malgré ses clous; les autres, malgré ses langes; celui-là reconnaît la Vie dans la mort, ceux-ci la vertu de Dieu dans le faible corps d'un nouveau-né; le premier, l'Esprit suprême dans un dernier soupir; les seconds, le Verbe de Dieu dans un muet enfant; car ce que l'un confesse par ses paroles, les autres le confessent par leurs présents. Le bon larron confesse le roi, et le centurion, le Fils de Dieu et de l'homme en même temps. Mais que signifient les trois présents des Mages? Leur encens ne montre-t-il point qu'ils reconnaissent en Jésus non moins un Dieu que le fils de Dieu? Aussi, mes frères bien-aimés, je demande à Dieu que l'immense charité que le Dieu de toute majesté nous a témoignée, vous profite, ainsi que le profond abaissement auquel il s'est soumis, et l'immense bonté que le Christ nous a montrée par son abaissement. Rendons grâce au Rédempteur, notre médiateur, qui nous a fait connaître l'extrême bonne volonté de Dieu le Père à notre égard; car nous savons si bien quelles sont ses dispositions à notre égard, que nous pouvons dire avec raison : " Nous courrons, mais non pas au hasard (I Cor. IX, 26). " Nous ne pouvons douter, en effet, que le coeur de Dieu le Père ne soit à notre égard dans les dispositions où nous l'a montré celui même qui est sorti de son coeur.

 

 

 

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE SEIGNEUR. Sur ce passage de l’Évangile : " Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ( Matt. II, 2) ? "

1 Mes frères, je crois nécessaire de vous exposer, selon ce que j'ai coutume de faire les autres jours de fête le sens de la solennité d'aujourd'hui. Quelquefois je parle contre les vices, ce genre de sermons est très utiles mais il me paraît mieux convenir aux autres jours qu'à celui-ci. Les jours de fête et surtout dans nos plus grandes solennités, il vaut mieux s’appliquer dans les sermons à instruire et à toucher. Comment, en effet, pourriez-vous célébrer ce que vous ne connaîtriez point, et comment connaîtriez-vous ce dont on ne vous parle point? Que ceux donc qui sont versés dans la connaissance de la loi, nous permettent de nous mettre à la portée de ceux qui le sont peu, comme l'exige la loi de la charité. D'ailleurs je ne bois pas qu'ils soient privés de nourriture , parce qu'ils voudront bien servir des mets un peu moins recherchés aux âmes un peu moins instruites, comme on pourrait le faire pour le simple peuple. Or, c'est ce qu'ils feront si dans , une pensée de charité fraternelle, ils se contentent de ce que réclament les personnes moins instruites, quoique peut-être ce ne soit pas aussi nécessaire pour eux. Ils pourront ensuite ramasser les restes, et repasser dans leur esprit avec attention et ruminer comme font les animaux purs, tout ce qui aura pu échapper, à cause de sa subtilité, aux esprits peu cultivés.

2. La solennité de ce jour tire donc son nom d'un mot qui signifie manifestation, car ce mot épiphanie n'a pas d'autre sens. C'est donc aujourd'hui la manifestation de Notre-Seigneur, non pas d'une seule, mais d'une triple manifestation, selon ce que nos pères nous ont appris En effet, c'est aujourd'hui que notre Roi, encore tout petit enfant, s'est manifesté peu de jours après sa naissance, aux premiers des, gentils, qu'une étoile avait amenés jusqu'à lui. C'est également en ce jour, que Jésus ayant accompli sa trentième année dans la chair, car en tant que Dieu, il est toujours le même et ses années ne marchent point vers leur déclin, il vint au Jourdain, confondu dans la foule des gens de sa nation pour être baptisé, et que le témoignage de Dieu, son Père, le fit connaître aux hommes. C'est également aujourd'hui que, se trouvant, avec ses disciples, invité à des noces où le vin a manqué, il a changé l'eau en vin par un miracle admirable de sa puissance. Mais je préfère considérer plus particulièrement la manifestation qui s'est faite dit Sauveur pendant les premiers jours de son enfance, parce qu'elle est remplie d'une très grande douceur, et que d'ailleurs c'est celle qui est le principal objet de cette fête.

3. C'est donc aujourd'hui, comme nous l'avons vu dans l'Evangile, que les Mages vinrent à Jérusalem du fond de l'Orient. Il est bien juste sans , doute que ceux qui viennent nous apprendre le lever du Soleil de justice, et remplir le monde entier de l'annonce de l'heureuse nouvelle, nous arrivent de l'Orient. Par malheur la Judée infortunée qui haïssait la lumière, se voile la face à l'éclat de cette clarté nouvelle et voit ses yeux malades se fermer au lieu de s'ouvrir aux brillants rayons du Soleil éternel. Mais écoutons le langage des mages arrivés de l'Orient: "Où est le Roi des Juifs nouvellement né (Matt. II, 2 ) ? "Quelle foi assurée, quelle absence d'hésitation et de doute! Ils ne s'inquiètent point s'il est né, mais pleins d'une complète certitude et tout à fait étrangers au doute, ils demandent où est le Roi des Juifs qui vient de naître. A ce mot de roi, Hérode se figure qu'il va avoir un successeur et il est saisi de crainte. Ne nous étonnons point de son trouble, mais étonnons-nous bien plutôt de voir Jérusalem, la cité de Dieu, dont le nom signifie la vision de la paix, partager le trouble d'Hérode. Voyez, mes frères, quel mal peut faire un pouvoir unique, comment un chef ;impie fait partager son impiété à ses sujets. O la malheureuse ville que celle où règne Hérode ; elle ne saurait demeurer étrangère à, la malice d'Hérode, et ne point partager le trouble qu'il éprouva à la nouvelle de la naissance du Sauveur. J'espère bien, avec la grâce de Dieu, qu'il ne régnera jamais sur nous, ce dont Dieu nous préserve. C'est partager la malice d'Hérode et la cruauté de Babylone, que de vouloir étouffer un ordre naissant et briser contre la pierre les jeunes enfants d'Isaac. Il est évident, en effet, que lorsqu'il parait quelque chose qui peut aider au salut, ou t quelque ordre nouveau, quiconque y' fait de l'opposition, et le combat, est du nombre de ces Egyptiens qui voulaient éteindre la race d'Israël, je dis plus, c'est un allié d'Hérode qui persécute le Sauveur naissant. Mais revenons à notre histoire, car je suis convaincu que s'il y a quelqu'un qui se, trouve dans ce cas, il veillera désormais sur lui-même avec le plus grand soin, détestant du fond de l’âme les sentiments d'Hérode, afin de, ne point partager son sort.

4. Comme les Mages s'informaient du Roi des Juifs, et comme Hérode de son côté s'informait auprès des scribes du lieu où devait naître le Seigneur, ceux-ci lui firent connaître le nom de la ville qu'avait indiquée le Prophète. Lorsque les plages se furent éloignés, après avoir quitté les Juifs, " voilà que l'étoile qu'ils avaient vue en Orient, marchait devant eux. " Ces paroles nous donnent assez clairement à entendre qu'ils cessèrent d'avoir Dieu pour guide tant qu'ils s'enquirent auprès des hommes; car le signe céleste leur fit défaut dès l'instant qu'ils se mirent en quêté de renseignements humains. Mais à peine ont-ils quitté Hérode qu'ils sont remplis d'une grande joie, car l’étoile leur apparut marchant devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au dessus de l’endroit , où était l'enfant, elle s'arrêta: " Entrant alors dans la maison, ils trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils l'adorèrent (Matt. II, 11). " O étrangers, d'ou vient que vous agissez ainsi ? Nous n'avons point vu de foi pareille dans Israël. Ainsi la triste apparence de cette étable ne vous offusque point, non plus que la vue de ce pauvre berceau fait d'une crèche ? La présence de cette mère pauvre ni cet enfant à la mamelle, ne vous scandalisent donc point?

5. Alors, dit l'Evangéliste " Ils ouvrent leurs trésors et ils lui offrent en présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe (Ibid.) " S'ils ne lui avaient offert que de l'or, peut-être auraient-ils paru avoir eu la pensée de venir en aide à la pauvreté de la mère, et lui donner les moyens d'élever son enfant. Mais comme ils lui offrent en même temps de l'or, de l'encens et de là myrrhe, il est évident que leurs offrandes ont un sens spirituel. En effet, l'or passe pour ce qu'il y a de plus précieux parmi les richesses des hommes; c'est ce que, avec la grâce du Sauveur, nous lui offrons dévotement lorsque, pour son nom, nous renonçons entièrement aux biens de ce monde. Mais à présent il ne nous reste plus, après avoir si complètement foulé aux pieds les choses de la terre, qu'à rechercher avec une plus vive ardeur celles des cieux. Car c'est ainsi que nous pourrons lui offrir la bonne odeur de l'encens qui, selon saint Jean, comme nous le voyons dans son Apocalypse (Apoc. V, 3), représente les prières des saints. Voilà ce qui faisait dire au Psalmiste : " Que ma prière s'élève vers vous comme la fumée de l'encens (Psal. CXL, 2) : " et à l'Ecclésiastique : "La prière du juste perce les nues: " La prière, dis-je, non de quiconque, mais du juste ( Eccles. XXXV, 21), car la prière de quiconque détourne l'oreille pour ne point écouter, la loi de Dieu, est exécrable (Prov. XXVIII, 9). "

6. Si donc vous voulez être juste et ne point détourner l'oreille des commandements de Dieu, pour que lui-même ne détourne pas la sienne de vos prières, il faut non-seulement que vous méprisiez le siècle présent, mais encore que vous châtiez votre chair et la réduisiez en servitude. Car celui qui a dit: "Quiconque ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple (Luc. XVI, 32), " et encore "Si vous voulez être parfaits, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, puis revenez vous mettre à ma suite (Matt. XIX, 21), est le même qui a dit dans un autre endroit : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et me suive (Luc. IX, 23)." L'Apôtre voulant expliquer le sens de ces paroles, disait ; "Ceux qui sont à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec toutes ses passions et ses désirs déréglés (Gal. V, 24). " La prière doit donc avoir deux ailes, le mépris du monde et la mortification de la chair, et avec elles il n'est pas douteux qu'elle puisse pénétrer les cieux et s'élever en présence de Dieu comme la fumée de l'encens. Pour que notre sacrifice soit agréable et que notre offrande mérite d'être accueillie, il faut qu'à l'or et à l'encens s'ajoute encore la myrrhe, car bien qu'elle soit amère, elle n'en est pas moins fort utile, elle conserve le corps qui est mort à cause du péché et l'empêche de tomber en pourriture en tombant dans le vice. Qu'il suffise de ce peu de mots pour nous engager à imiter les offrandes des Mages.

7. Mais comme nous avons parlé de manifestation, il est bien que nous recherchions qu'est-ce qui se manifeste à nous dans cette fête. L'Apôtre se charge de nous l'apprendre en nous disant : " Ce qui a paru, c'est la bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu (Tit. III, 4). " Et, en effet, nous avons entendu l'Evangéliste nous dire que "étant entrés dans la maison, les Mages y trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère (Matt. II, 41). " Or dans ce corps d'enfant qu'une mère réchauffait contre son sein virginal, qu'est-ce qui apparaît sinon le vérité de la chair qu'il a prise? Dans la seconde manifestation, ne vous semble-t-il point qu'il est manifestement proclamé Fils de Dieu de la bouche même de. son Père? En effet, les cieux s'entr'ouvrirent au-dessus de sa tète, le Saint-Esprit en descendit sur lui sous la forme corporelle d'une colombe, et en même temps la voix du Père fit entendre ces paroles : " Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances (Matt. III, 17). " Certes, il est assez manifeste après cela, il est suez évident et assez indubitable que le Fils de Dieu ne peut être que Dieu lui-même. Personne, en effet, ne révoque en doute que les enfants des hommes soient des hommes aussi, ni que les petits des animaux soient de la même espèce que ceux dont ils sont nés. Toutefois, pour qu'il n'y ait plus place pour une erreur sacrilège, celui qui, dans la première manifestation, fut reconnu pour vrai homme et fils d'homme, et qui dans la seconde, n'en est pas moins déclaré Fils de Dieu, se montre dans la troisième vrai Dieu et véritable auteur de la nature qu'il change à son gré. Pour nous, par conséquent, mes bien-aimés, aimons Jésus-Christ comme étant véritablement homme et notre frère; honorons-le comme Fils de Dieu, et adorons-le comme Dieu. Croyons avec une entière sécurité en lui, et confions-nous à lui avec la même sécurité, mes frères, car le pouvoir de nous sauver ne lui manque point, puisqu'il est vraiment Dieu, et Fils de Dieu; non plus que la bonne volonté, attendu qu'il est comme l'un de nous un homme véritable et fils de l'homme. Comment pourrait-il se montrer inexorable à notre égard, quand il s'est fait, pour nous, semblable à nous et sujet à la douleur?

8. Si vous désirez maintenant que je vous dise sur ces trois manifestations quelques mots qui aient rapport à la pratique, je vous prie de remarquer avant tout que le Christ se montre enfant avec une Vierge pour mère, afin de nous apprendre à rechercher par dessus tout, la simplicité et la modestie. La simplicité est, en effet, le partage de l'enfance, de même que la modestie est l'apanage des vierges. Par conséquent, nous tous, qui que,nous soyons, il est deux vertus surtout que nous devons acquérir dès le principe même de notre conversion, c'est une humble simplicité, et une gravité pleine de modestie. Dans la seconde manifestation, le Sauveur vient aux eaux du baptême, non pour être purifié, mais plutôt pour recevoir le témoignage de son Père. Tout cela représente les larmes de la dévotion dans lesquelles on recherche bien moins à obtenir le pardon de ses fautes, qu'à complaire à Dieu le Père, lorsque l'esprit des enfants d'adoption descend sur nous pour rendre témoignage à notre propre esprit, que nous sommes les enfants de Dieu, en sorte qu'il nous semble entendre du haut du ciel une voix douce comme le miel qui nous assure que Dieu le Père se complaît véritablement en nous. Or, il y a une grande différence entre ces larmes de la dévotion et de l'âge viril, et celles que le premier âge laissait couler su milieu des vagissements de l'enfance et qui n'étaient que les larmes de la pénitence et de la confession. Toutefois, il en est d'autres qui sont bien supérieures aux premières, ce sont celles qui prennent le goût du vin; car on peut dire avec vérité que les, larmes de la compassion fraternelle qui s'échappent dans l’ardeur de la charité, sont véritablement changées en vin, attendu que, par la charité, il semble qu'on s'oublie soi-même un instant comme par l'effet d'une ivresse pleine de sobriété.

 

 

 

SERMON UNIQUE POUR LE JOUR DE L'OCTAVE DE L'ÉPIPHANIE. Sur la circoncision, sur le baptême et sur ces paroles de Notre-Seigneur à saint Jean ; " C’est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice (Matt. III, 15).

1. Au peuple à la tête dure, il fallait le couteau de la circoncision, à son coeur de pierre il fallait le tranchant de la pierre (Josué V), comme on lit que Jesus Nave l'employa pour le circoncire. Mais notre Jésus, comme un agneau plein de douceur, fit disparaître ces usages cruels. Seigneur, vous ôtés un agneau qui vient avec le lait et la laine, éloignez de moi, je vous prie, le couteau, car il est bien dur et bien cruel de faire sentir le tranchant du couteau de pierre à l'enfant nouveau-né. C'est ce qu'il fit dans sa miséricorde, à la dureté qui pouvait convenir à des esclaves, a succédé la douceur qui convient à des enfants, et maintenant un peu d'eau, avec l'onction de la grâce, fait disparaître facilement la rouille du péché originel que le couteau pouvait à peine détacher autrefois. Certes, il ne faut point s'étonner que les choses aient changé avec le temps, et qu'à chaque époque aient été appliqués des usages qui leur convenaient. Mais Jésus-Christ se soumit aux uns et aux autres, afin de remplir l'office de la pierre angulaire qui réunit deux murailles, et pour renouer, comme en les cousant ensemble, les bouts de deux courroies, de même qu'il commença la véritable pâque en même temps qu'il accomplit la pâque figurée.

2. Il voulut encore être circoncis, afin de montrer qu'il était le maître de l'ancienne loi comme il l'est de l'Évangile. Car, si c'est lui qui a dit de sa propre bouche : "Si un homme ne renaît par lé baptême de l'eau et par la grâce du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu (Joan. III, 5). " C'est lui aussi, qui a dit par la bouche de son serviteur: " Quiconque n'aura point été circoncis dans la chair, sera exterminé du milieu de mon peuple (Gen. XVII, 14). " S'il n'avait reçu que le baptême, on aurait pu croire qu'il avait évité la circoncision, parce qu'elle n'avait aucun rapport à lui; de même, s'il s'était fait circoncire sans recevoir le baptême, comment croirais-je que je dois dédaigner la circoncision pour le baptême? Or, il a reçu le baptême après avoir été circoncis et m'a appris ainsi à m'en tenir à ce qu'il reçut en dernier lieu.

3. Enfin, comment ce Dieu qui aime et recommande l'union, qui fait habiter ensemble ceux qui vivaient seuls sur la terre (Psal. LXVII, 7), aurait-il pu renoncer à l'union et scandaliser les hommes? Or, il aurait certainement, de son temps, scandalisé ceux qui l'auraient vu négliger de se faire circoncire, de même que l'Église se scandaliserait, de nos jours, de voir un enfant n'être point porté au baptême. D'ailleurs, il ne voulut pas seulement recommander le rapprochement et l'union, il se proposa aussi de nous donner un exemple d`Humilité, en se chargeant de l'appareil dont toute blessure exige l'application, bien qu'il ne fût pas blessé lui-même. Voilà pourquoi l'Apôtre a dit en parlant de lui " Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme et assujetti à la loi (Gal. IV, 4). "

4. Mais de peur qu'on ne dit peut-être, s'il fut circoncis, c'est parce que ses parents l'ont voulu, car il n'était alors qu'un tout petit enfant, il ne se présenta au baptême qu'à l'âge de trente ans, et vint à cet âge courber, sous la main de Jean-Baptiste, un front qui fait trembler les Puissances, et que les Principautés adorent. Qui ne tremblerait lui-même à cette seule pensée? O qu'elle paraîtra élevée au jugement dernier, cette tête qui s'incline ainsi en ce moment ! combien ce front, si humble à cette heure, paraîtra élevé et sublime alors ! " Laissez-moi faire pour cette heure, dit-il, car c'est ainsi qu'il faut que nous remplissions toute justice (Matt.III, 15). " Ainsi, celui qui n'est venu que dans la plénitude des temps, et en qui habite la plénitude de la divinité, ne sait qu'une chose, tout remplir. Il y a deux justices; l'une stricte et rigoureuse, telle, en un mot, qu'à peine aurez-vous tourné le dos, elle tombe dans la fosse du péché; elle consiste à ne point se préférer à ses égaux et à ne point s'égaler à ses supérieurs. On la définit, une vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient. Il y en a une autre plus grande et plus large qui consiste à ne point nous égaler à notre égal, en même temps que nous ne nous préférons point à notre inférieur. C'est le propre d'un orgueil aussi grave qu'excessif de se préférer à ses égaux ou de s'égaler à ses supérieurs, et celui d'une grande humilité,. de se mettre au-dessous de ses égaux et de s'égaler à ses inférieurs. Mais le comble de la justice est de se placer au dessous de ses inférieurs. De même que c'est le fait d'un souverain et intolérable orgueil de, se préférer à ses supérieurs, ainsi est-ce le comble et la plénitude de la justice de se mettre au dessous de ses inférieurs mêmes. Quand saint Jean dit à Notre Seigneur : " C'est à moi plutôt de recevoir le baptême de vos mains (Matt. III, 14), " il fait acte de la première sorte de justice, puisqu'il se place au dessous de son supérieur; mais ce que fait Jésus-Christ est le comble de là justice, puisqu'il s'abaisse sous les mains de son serviteur.

5. Que chacun voie maintenant quel modèle il doit préférer, de celui-là ou de celui-ci, qui est élevé au dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré comme Dieu (Thes. II, 3). Efforçons-nous, mes frères, de remplir toute justice, car la justice est la voie qui conduit à la joie. La joie est la récompense, la justice en est la source et ce qui la mérite. C'est en effet de la justice que naîtra notre joie, quand apparaîtra le Christ qui est notre vie, et que nous paraîtrons avec lui dans la gloire; attendu qu'il a été fait lui-même notre justice par son Père. Heureux ceux qui, dès maintenant, trouvent dans la justice, une source de joie, qui tressaillent de bonheur dans leur conscience, parce qu'ils sucent le miel délicieux qui coule de la pierre, et mangent l'huile des oliviers qui poussent dans les rochers les plus durs (Deut. XXXII, 13). Maintenant, il est vrai, la justice semble laborieuse et pénible, mais il viendra un temps ou elle sera désirée et possédée, aimée et reçue sans aucune peine, dans une douceur et un bonheur complets, alors que nous serons en possession de la justice même. Mais malheur à ceux qui s'écartent de la route, qui se détournent de la justice, pour se mettre à la recherche d'une joie vaine et passagère. Car s'ils demandent du bonheur aux choses qui passent, il ne peut que passer avec elles, lorsqu'elles passeront elles-mêmes: de même que le feu. s'éteint quand le bois qui l'aliments est consumé, ainsi en est-il de ce bonheur, nul n'en peut douter, lorsque le monde avec toutes ses concupiscences, est passé.

 

 

 

PREMIER SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE. Sur le miracle de Cana et sur ces paroles de Notre-Seigneur : "Et vous, soyez semblables à ceux qui attendent que leur maître revienne des noces (Luc. XII, 36). "

1. L'Evangile nous apprend aujourd'hui, mes frères, que Notre-Seigneur rendit à des noces. Eh bien, suivant le conseil qu'il nous donnes un endroit " soyons semblables à ceux qui attendent que leur maître revienne des noces (Luc, XII, 36). " Lorsque nous voyons dans les champs un hommes qui à la main à la charrue ou dans le marché, quelqu'un qui vend ou qui achète quelque chose, nous ne leur disons point qu'attendez-vous ? Car ils ne ressemblent tas à des, gens qui sont dans l'attente. Mais quand nous voyons quelqu'un debout à la porte, frapper plusieurs fois de suite, et jeter les yeux vers les fenêtres, nous lui demandons ce qu'il attend, et personne n'est surpris de notre question. Ceux qui n'ont point fait la sourde oreille à la voix qui leur rasait: " Soyez dans un saint repos et considérez crue c'est moi qui suis véritablement Dieu (Ps. XLV, 11)," ressemblent à des gens qui, sont dans l'attente. Or, le Seigneur viendra trouver ceux qui l'attendent en vérité et qui sont dans les mêmes dispositions que celui qui disait : "J'ai attendu le Seigneur dans une grande impatience (Psal. XXXIX, 2). " Il arrivera comme s'il revenait des noces, le coeur enivré du vin de la charité et oublieux de toute iniquité. Pour ceux qui ne l'attendent pas, il arrivera comme un maître qui revient des noces et comme un homme dont le vin, qu'il a bu en abondance, a doublé les forces (Psal. LXXVII, 71). Oui, il sera ivre et il aura oublié son penchant à la miséricorde, car pour ce qui concerne ces gens-là, Dieu ne saura plus ce que c'est que la pitié. Il viendra, mais colère, indigné, furieux en quelque sorte. Mais, ô Seigneur, veuillez ne point me reprendre quand vous serez ainsi animé par la fureur. Mais en voilà assez comme cela, non-seulement sur les noces présentes, mais encore sur ce qui m'a donné occasion de vous en parler.

2. Unissons-nous maintenant aux apôtres, et suivons le Seigneur avec eux afin de voir ce qu'il va faire, et de croire comme eux. " Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : ils n'ont plus de vin (Joan. II, 3);" elle eut pitié d'eux dans sa bonté et prit part à leur embarras. Que peut-il couler de la source de la bonté sinon de la bonté ? Oui, je vous le demande, comment nous étonner que des entrailles mêmes de fa bienveillance se produise une telle bienveillance? Est-ce que la main qui, pendant une demi-journée, a tenu un fruit n'en conservera point l'odeur le reste du jour? Quels parfums de bonté n'a donc point répandus dans les entrailles de Marie, la vertu même de charité qui y a séjourné pendant neuf mois entiers? D'ailleurs elle remplit son coeur avant d'avoir rempli son sein, mais en sortant de son sein, elle n'est point sortie de son coeur. Peut-être la réponse du Seigneur paraîtra-t-elle un peu dure et sévère; mais celui qui la fit savait bien à qui il parlait, de même que, celle-ci n'ignorait pas,qui- la lui faisait. Mais si vous voulez savoir comment elle reçut cette réponse et combien elle comptait sur la bonté de son Fils, écoutez ce qu'elle dit à ceux qui servaient : " Faites tout ce qu'il vous ordonnera (Joan. II, 4). "

3. " Or, il y avait là six grandes urnes de pierre ( Ibid., 6 ). " Il faut maintenant que je place devant vous ces urnes qui doivent servir aux purifications des vrais Juifs, je veux dire de ceux qui sont Juifs selon l'esprit, non selon la lettre : ou plutôt fi faut que je vous explique le sens de ces urnes qui se trouvaient là. Tant que l'Eglise ne sera point encore arrivée à cet état de perfection dans lequel le Christ la fera paraître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni rides, ni rien de semblable (Eph. V, 27), elle aura besoin de nombreuses purifications, que l'indulgence abonde autant que le péché, la miséricorde à l'égal de la misère; bien plus, que la grâce ne suive même pas la proportion du péché (Rom. V, 15), car non-seulement elle efface le péché, mais encore elle est la source des mérites. Il y a donc six urnes disposées dans l'Eglise pour ceux qui tombent dans quelque péché après leur baptême, nous ne parlons que de ceux-là parce que nous sommes de leur nombre. Nous avons déposé notre ancien vêtement, mais hélas! nous l'avons repris pour notre plus grand mal. Nous nous sommes lavés les pieds, mais nous les avons depuis souillés plus qu'ils ne l'étaient d'abord. Mais de même 'que ce fut un autre que nous qui lava nos pieds qu'un autre que nous aussi avait souillés, ainsi maintenant comme c'est nous qui les avons salis de nouveau, c'est à nous de les laver. L'eau versée par des mains étrangères nous a purifiés d'une faute que nous tenions d'un autre que nous. Pourtant je ne dois point la présenter comme nous étant si étrangère qu'elle ne soit pas nôtre en même temps, autrement elle n'aurait pu nous;souiller, mais elle est étrangère en ce sens que c'est à notre insu que nous en sommes tous devenus coupables en Adam, et elle est nôtre en ce sens , que, bien que nous ayons péché dans un autre, cependant c'est nous qui avons péché, et cette faute nous sera imputée par un jugement aussi juste qu'impénétrable de Dieu. Mais pour que tu n'aies point d'excuse; ô homme, pour réparer la désobéissance d'Adam, il t'a été donné l'obéissance de Jésus-Christ, en sorte que si tu as été vendu gratuitement , tu sois aussi racheté gratuitement; si tu as péri dans Adam à ton insu, c'est également à ton insu que tu es purifié en Jésus-Christ. Quand Adam a porté une main malheureuse sur le fruit défendu, tu n'en eus pas plus conscience de ce que fit le Sauveur quand il étendit ses mains innocentes sur l'arbre du salut. Du premier homme a découlé en ton âme la faute qui l'a souillée, et du côté de Jésus-Christ, l'eau qui l'a purifiée. Mais à présent, souillé par tes propres fautes, c'est dans ton eau à toi que tu devras te laver, mais toujours en celui et par celui qui seul purifie l'homme de ses péchés.

4. La première de ces urnes et la première de nos purifications est la componction dont nous lisons que le Seigneur a dit : " du moment que le pécheur la ressentira dans son coeur, je ne me rappellerai plus aucune de ses iniquités (Ezech. IV, 18). " La seconde est la confession, car la confession lave tous les péchés. La troisième consiste dans l'aumône, selon ce que nous voyons dans l'Evangile : " Donnez l'aumône, et toutes choses seront pures pour vous (Luc. XI, 41). " Le pardon des injures est le quatrième; car nous disons dans la prière : " Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matth. VI,12). " La cinquième est la mortification de la chair, aussi demandons-nous dans la prière a d'être purifiés -par l'abstinence, afin de chanter la gloire de Dieu. La sixième est la soumission aux préceptes, à l'exemple des disciples qui méritèrent d'entendre ces paroles, et Dieu veuille que nous nous rendions dignes de les entendre aussi : " Pour vous, vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite (Joan. XV, 3). " Il est vrai qu'ils ne ressemblaient point à ceux dont il est dit : " Ma parole ne trouve point d'accès en vous (Joan. VIII, 37), "

a Ces paroles se trouvent dans l'hymne de Prime.

du contraire ils étaient soumis à la parole du Sauveur dès qu'ils l'entendaient. Voilà quelles sont les six urnes qui ont été disposées pour nous purifier; elles sont vides ou ne sont pleines que de vent si elles tue vous servent qu'à la vaine gloire, au contraire elles sont remplies d'eau si elles sont gardées par la crainte de Dieu, attendu que la crainte du Seigneur est une source de vie. Oui, la crainte du Seigneur est une eau, une eau qui peut-être flatte peu le palais, mais dont la fraîcheur tempère admirablement les ardeurs des mauvais désirs; enfin c'est une eau qui éteint les traits enflammés de l'ennemi. Une ressemblance de plus entre la crainte et l'eau, c'est que celle-ci recherche toujours les fonds, et celle-là abaisse nos pensées, se plaît aussi à descendre, parcourt les endroits horribles avec une âme tremblante, selon ces paroles : " J'irai aux portes mêmes de l'enfer (Is. XXXVIII, 10). " Mais par un effet de la puissance de Dieu, cette eau se change en vin, lorsque la chasteté parfaite chasse toute crainte de notre âme.

5. Il est dit que ces urnes étaient de pierre, c'est moins pour en indiquer la dureté que pour en montrer la fixité. " Chacune contenait environ deux ou trois mesures." Les deux mesures nous représentent deux sortes de craintes; la première, de nous voir peut-être un jour précipités en enfer, la seconde de nous entendre peut-être, exclure de la vie éternelle. Mais comme il s'agit là de choses qui peuvent ne point arriver, et que l'âme peut se flatter de faire un jour pénitence après avoir passé une partie de la vie dans les plaisirs des sens, et de pouvoir échapper ainsi à l'enfer et obtenir le ciel, il est bon d'ajouter une troisième crainte aux deus premières, une crainte bien connue des hommes spirituels, et d'autant plus utile qu'elle se rapporte au temps présent. Or ceux qui connaissent la nourriture spirituelle ne craignent rien tant que de s'en voir privés. C'est qu'en effet quiconque a mis la main à de fortes entreprises sent le besoin d'une forte nourriture. Que ceux qui passent leur vie aux oeuvres de terre et de briques se contentent des pailles de l'Egypte; pour nous qui avons une longue route à faire, nous avons besoin d'une nourriture plus forte afin de continuer notre chemin. Or cette nourriture c'est le pain des anges, c'est le pain de vie, c'est notre pain quotidien. C'est: de lui qu'il est question dans la promesse qui nous a été faite que nous recevrions le centuple en cette vie. De même a qu'aux mercenaires on donne leur pain quotidien pendant que durent leurs travaux, en réservant la récompense pour la fin, ainsi le Seigneur nous donnera à la fin, la vie éternelle; mais il nous montre et nous promet en attendant le centuple en cette

a Geoffroy rapporte les mêmes paroles au n. 63 des Déclamations qui jusqu'alors ont été attribuées à saint Bernard, et il ajoute au n. 70 que notre Saint entendait par ce centuple, qu'il dit être propre aux religieux, la grâce dé la dévotion, les délices de la charité, la gloire de la bonne conscience et la joie qu'on goûte au milieu même des épreuves. C'est à peu prés ce que dit saint Bernard lui-même, dans son quatrième sermon sur le Psaume quatre-vingt-dixième, n. 1 et 2. On peut voir encore sur ce sujet ce qu'il dit dans le troisième sermon pour le dimanche après l'octave de l’Epiphanie, n. 8.

vie. Faut-il s'étonner si tous ceux qui, ont déjà reçu ce centuple ont peur de le perdre?, Or voilà quelle est la troisième mesure qui ne se trouve liée aux deux premières que par la disjonctive, ou pour donner à entendre que le centuple n'est point promis à tout le monde, mais seulement à ceux qui ont tout quitté.

 

 

 

DEUXIÈME SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L'EPIPHANIE. Sur les noces spirituelles désignées dans l’Evangile.

1. Mes frères, s'il y a ans la consécration extérieure des œuvres de Dieu, de quoi nourrir les esprits les moins capables; ceux qui sont plus exercés trouvent, dans la considération intérieure de ces mêmes oeuvres, une nourriture plus solide, un aliment plus doux, comme la graisse et la moelle du froment ; car si elles charment par leur apparence extérieure, elles charment par un bien plus puissant attrait, par leur vertu intérieure. Elles sont comme le Christ qui au dehors était le plus beau des enfants des hommes, et à l'intérieur est semblable à l'éclat de la lumière éternelle et grand aux yeux mêmes des anges. En effet, si au dehors on voyait en lui un homme exempt de péché, une chair sans souillure, un agneau sans tache; si " ses pieds sont beaux quand il annonce et prêche la paix (Is. LII, 7)," combien, semble plus belle et plus précieuse encore la tête même du Christ qui n'est autre que Dieu ! C'est un charme bien grand de voir un homme en qui le péché n'a point de prise, et j'estime bien heureux les yeux qui purent le contempler, mais je trouve bien des fois plus heureux. encore " les coeurs purs parce qu'ils verront Dieu, (Matth. V, 8). " Aussi quand l'Apôtre eut aperçu l'amande, ne comptant plus pour rien l'enveloppe brisée qui l'avait dérobée à ses yeux, quoiqu'elle fût belle aussi , il s'écriait : " Si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant de cette sorte (Cor. V, 17). " Le Seigneur avait bien prédit lui-même qu'il en serait ainsi, car il avait dit : " La chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui vivifie (Jean. VI, 64 et alibi)." C'est dans cette ,vision que consiste la sagesse dont saint Paul parle au. milieu des parfaits, non point parmi ceux. à qui nous voyons qu'il disait " Je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et même Jésus-Christ crucifié (I. Cor. II, 2). " Il est tout entier plein de charme et de douceur, tout entier salutaire, enfin, comme dit l'épouse des Cantiques, il est tout entier désirable (Cant. V, 16). On le trouve dans ses couvres tel qu'il fut montré en lui-même. En effet, si l'enveloppe extérieure est charmante à l'oeil, on trouve au-dedans, quand on la brise, un fruit bien plus doux. et bien plus délectable. Ce n'est pas ce qu'on retrouve dans les Pères de l'Ancien Testament. En effet si le sens caché de leurs actions était beau et plein de charme, cependant considérées en elles-mêmes elles semblent quelquefois peu louables; tel est, par exemple, ce que fit Jacob, tel encore l'adultère de David et beaucoup d'autres actions pareilles, C'étaient comme des vases de peu de valeur qui renfermaient de précieuses essences. Peut-être, est-ce à cause de cela qu'il est dit: "Elles ressemblaient à un nuage s6nibre dans les airs (Psal., XVII, 12); " leurs actions étaient, en effet, comme des nuées ténébreuses et que le Psalmiste ajoute aussitôt, en parlant du Seigneur : " Les nuées s'évanouirent à l'éclat de sa présence (Ibid. 13). "

2. Je pense que vous avez compris où je veux en venir en vous parlant ainsi. Vous avez, en effet,. entendu dans l'Evangile du jour, que le miracle que Notre-Seigneur, fit au noces de Cana fut le premier de ses miracles. Le récit en est bien admirable, mais le sens caché est plus délectable encore; car si ce fut une grande preuve de sa divinité que le changement de l'eau en vin à sa seule volonté, celui dont il n'est que la figure est un changement bien meilleur de la droite du Très-Haut. Nous avons été tous appelés à des noces spirituelles où l'époux est Jésus. Christ même. Voilà pourquoi nous chantons avec le Psalmiste : " Il est semblable à un époux sortant de sa chambre nuptiale (Psal. XVIII, 6). " Mais c'est nous qui sommes l'épouse si vous voulez bien m'en croire, tous ensemble nous ne faisons qu'une seule épouse, et chacune de nos âmes est comme une épouse distincte. Mais quand sera-t-il donné à notre fragilité de sentir que son coeur a pour nous le même amour qu'un époux pour son épouse? Car cette épouse est bien loin d'égaler son époux par sa naissance, sa beauté et ses qualités. Et pourtant c'est pour cette Ethiopienne que le Fils du Roi- éternel est venu de si loin, et c'est afin de pouvoir l'épouser qu'il n'a pas craint de donner même sa vie pour elle. Moïse aussi a épousé une Ethiopienne (Num. XII); mais il: ne put changer la couleur de sa peau: Le Christ, au contraire, s'est fait une Eglise pleine de gloire, sans tache ni ride; de celle qu'il a aimée dans sa honte et sa souillure. Qu'Aaron se plaigne, que Marie murmure, je veux parler de l'ancienne, non de la nouvelle Marie, de la soeur de Moïse non de la mère du Seigneur, non de notre Marie, dis-je, qui se montre inquiète, si par hasard il manque quelque chose à la table des: noces. Mais vous, ce n'est que trop juste; laissant le grand-prêtre et la Synagogue murmurer; répandez-vous de toute votre âme en vives actions de grâces.

3. Mais d'où te vient ce bonheur, ô âme de l'homme; d'où te, vient-il ? D'où te, vient la gloire ineffable d'être choisie pour épouse par celui sur qui les anges mêmes brûlent du désir de pouvoir arrêter leurs regards ? Qu'est-ce qui te vaut l'honneur d'avoir pour époux celui dont le soleil et la lune admirent l'éclat, celui à un signe de qui tout change de nature ! Que rendras-tu au Seigneur en reconnaissance de tout ce qu'il t'a donné, en t'admettant à sa table, en,te faisant partager sa couronne et son lit; en te faisant entrer dans sa couche royale ? Vois quels doivent être tes sentiments pour ce Dieu, vois ce que tu peux attendre de lui, vois enfin quel amour tu dois lui rendre et avec quelles étreintes affectueuses tu dois l'embrasser, lui qui t'a témoigné tant d'estime et qui t'a regardée comme d'une si grande valeur pour lui. Il t'a reformée, en effet, du sang même de son flanc, quand il s'est endormi pour toi, sur l'arbre de la crois, et livré au sommeil de la mort. C'est pour toi qu'il a laissé la société de son père et quitté sa mère la Synagogue; c'était pour t'attacher si bien à lui que tu ne fisses plus qu'un seul esprit avec lui, Ecoute donc maintenant, ma fille, vois et considère quel honneur ton Dieu t'a fait, oublie ton peuple et la maison de ton père : quitte tes affections charnelles, désapprends les moeurs du monde; renonce à tes premiers défauts, perds le souvenir de tes mauvaises habitudes. A quoi penses-tu, en effet? L'Ange du Seigneur n'est-il point là, près de toi, pour te mettre en pièces si tu as le malheur (que Dieu t'en préserve!) de t'abandonner à un autre amant que lui?

4. Car déjà tu es fiancée avec lui, déjà le dîner des noces est servi, et le couper se Prépare dans les cieux, à la cour éternelle. Est-ce que le vin manquera jamais à ce souper ? Non, non; car on y sera enivré de l'abondance qui distingue la maison de Dieu, et on y boira à même une abondance de délices (Psal. XXXV, 9). Pour ce souper de noces, est en effet préparé un fleuve de vin, oui de vin, dis-je, pour réjouir le coeur, puisqu'il est parlé d'un fleuve dont le cours réjouit la cité de Dieu (Psal. XLV, 3). Mais pour ce moment il nous reste- une longue route à parcourir, nous. commençons par dîner ici-bas, mais non pas avec une pareille abondance; attendu que la plénitude et la satiété sont réservées pour le souper: de l'éternité. Pendant la vie, le vin fait quelquefois défaut à notre table, et par-là je veux dire que la grâce de la dévotion et la ferveur de la charité nous manquent quelquefois. Que de fois, en effet, ne suis-je pas forcé, mes frères, après que vous avez prié et gémi, de supplier la Mère de miséricorde, de rappeler à son aimable Fils, que vous n'avez plus de vin ? Quant à elle, soyez-en sûrs, mes frères bien-aimés, c'est moi qui vous le dis, si vous frappez à l'aorte de son coeur avec piété, elle ne fera point défaut à notre misère, car elle a le coeur miséricordieux et elle est la Mère de la miséricorde. En effet si elle, a compati à l'embarras de ceux qui l'avaient invitée, elle compatira bien plus à nos privations, si nous l’invoquons avec piété, attendu qu'elle aime nos noces, et qu'eue s'y :intéresse bien plus encore qu'à celles de Cana, parce que ce sont aussi celles du céleste Epoux qui est sorti de son sein comme de sa chambre nuptiale.

5. Mais qui n'est frappé de la réponse que le Seigneur fit aux noces de Cana, à sa très-sainte et très-bienveillante Mère, quand il lui dit " Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? " Ce qu'il y a de commun, Seigneur, entre vous et elle? Mais n'est-ce point ce qu'il y a de commun entre un fils et sa mère? vous demandez quel rapport il y a entre vous et elle; mais n'êtes-vous point le fruit béni de ses entrailles ? Ne vous a-t-elle point conçu sans préjudice pour sa virginité, et ne vous a-t-elle point enfanté sans souillure ? N'est ce pas dans son sein que vous avez passé neuf mois entiers, ne sont-ce point ses mamelles qui vous ont allaité, enfin n'est-ce pas avec elle, qu'a l'âge de douze ans, vous êtes revenu de Jérusalem, et à elle que vous étiez soumis alors? Pourquoi donc aujourd'hui, Seigneur, lui parlez-vous si durement et lui dites-vous : " Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? " Il y a beaucoup de commun entre vous et elle. Mais, je le vois bien, ce n'est point avec impatience, ni avec la pensée de confondre la respectueuse tendresse de votre Mère que vous lui dites : " femme, qu'y a-t-il de commun entrevous et moi ? " puisque, dès que les serviteurs se présentent à vous, selon ce que votre mère leur a recommandé, vous n'hésitez point à faire le miracle dont elle vous a suggéré la pensée. Pourquoi donc, mes frères; oui, pourquoi a-t-il donc commencé par lui faire cette réponse ?: C'est pour nous, n'en doutez point, afin qu'une fois que nous nous sommes convertis à Dieu, nous ne nous préoccupions plus de nos parents selon la chair, et que leurs besoins ne fassent point obstacles à nos exercices spirituels. Tant que nous vivons dans le siècle, il est indubitable que nous nous devons à notre famille. Ma is,dès l'instant que nous nous sommes renoncés à nous-mêmes, nous devons à plus forte raison nous regarder comme délivrés de toute préoccupation en ce qui les concerne. Aussi l'histoire rapporte-t-elle qu'un jour, un homme qui avait embrassé la vie du désert, voyant venir à lui un de ses frères pour lui demander quelques secours, lui répondit: Adressez-vous à notre autre frère, lui du moins n'est pas mort: oui, il l'est, répondit le solliciteur étonné; et moi aussi, reprit l'ermite. C'est donc pour nous apprendre a ne point nous inquiéter de nos proches selon la chair, plus que la profession religieuse ne le permet, que le Seigneur répondit à sa mère, et à quelle mère encore! "Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? " C'est ainsi que dans un autre endroit, quelqu'un lui disant tout bas que sa mère était à la porte avec ses frères et l'attendait pour lui parler, il reprit : " Qui est ma Mère et qui sont mes frères (Matth. XII, 48)? " Où sont après cela ceux qui se montrent aussi remplis d’une vaine et charnelle sollicitude pour, leurs proches selon la chair, que s'ils vivaient encore eux-mêmes au sein de leur famille.

6. Mais voyons la suite. " Or, il y avait là, dit l'Evangéliste, six grandes urnes de pierre, pour servir aux purifications qui étaient en usage chez les Juifs. " Ces mots vous indiquent manifestement qu'on n'en est encore qu'aux préparatifs des noces, puisqu'on a encore besoin de purifications. Ce repas de noces n'est donc réellement que le festin des fiançailles, non pas encore celui de l'union nuptiale, car il s'en faut bien que nous croyions qu'on aura besoin des vases destinés aux purifications, lorsque le Christ fera paraître à ses yeux, une Eglise pleine de gloire, sans tache, sans vide ou quoi que ce soit de semblable. En effet, quel besoin de purification la où il n'y a plus de souillure? Le temps des purifications est celui de la vie présente, il est évident, en effet, que s'il y a nécessité de se purifier quelque part, c'est bien là où personne n'est exempt de souillure, pas même l'enfant qui n'a encore passé qu'un jour sur la terre. C'est donc maintenant que l'épouse se purifie, afin de pouvoir se présenter sans tache à son époux le jour des noces célestes. Recherchons donc ces six urnes, où nous puissions pratiquer la purification des Juifs, c'est-à-dire de ceux qui confessent leurs péchés; car si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous, la vérité, dis-je, qui seule nous affranchit, seule nous sauve et seule nous purifie. Si nous confessons nos péchés, nous serons les vrais Juifs; et les urnes de la purification ne nous manqueront point; car Dieu est fidèle, il nous remettra donc nos péchés, et nous purifiera de toute iniquité.

7. Pour moi, ces six urnes ne sont autre chose que six pratiques que nos pères ont établies pour purifier le coeur de ceux qui confessent leurs péchés, et si je ne me trompe, nous allons pouvoir les trouver toutes ici. Ainsi, la première de ces urnes est la continence (a) dont la chasteté efface toutes les souillures de la luxure. La seconde est le jeûne qui lave dans l'abstinence les taches que l'excès du boire et du manger a faites à l'âme. La paresse et l'oisiveté, qui sont ennemies de l'âme, nous ont fait contracter aussi bien des souillures, alors que, nonobstant le précepte divin, au lieu de manger notre pain à la sueur de notre front, c'est à la sueur du front d'autrui que nous l'avons mangé. La troisième urne est donc celle du travail des mains qui enlève ces souillures. Il y a bien des fautes aussi que nous commettons pendant le demi-sommeil de la nuit et des heures de ténèbres, pour elles, se trouve disposée là la a quatrième urne, je veux parler de la pratique des veilles qui nous fait s lever la nuit, pour chanter les louanges de Dieu, et pour racheter les nuits mauvaises du temps passé. Qui rie sait aussi combien de souillures la langue aussi, a été la source pour nous, dans ces vains entretiens, dans ces adulations, dans ces mensonges, dans ces paroles de malice ou d'orgueil ? Pour toutes ces taches, il nous faut une cinquième urne, c'est celle du silence, du silence, dis-je, qui est le gardien de la vie religieuse, et qui fait notre force. La sixième urne est la discipline, qui ne nous permet plus de vivre à notre gré, mais nous astreint à la volonté d'autrui, afin de nous purifier de tous les péchés que nous avons commis, en vivant sans règle et sans discipline. Toutes ces urnes sont de pierre, c'est-à-dire sont dures, mais nous n'en sommes pas moins obligés de nous y purifier, si nous ne voulons point que, à cause de nos souillures, le Seigneur ne nous donne un billet de divorce. Pourtant, si l'Évangéliste nous dit qu'elles étaient de pierres, c'est bien moins pour nous faire comprendre qu'elles sont dures, que pour nous faire entendre qu’elles sont solides, c'est, qu'en effet, toutes ces observances ne purifient qu'à condition qu'elles seront stables.

a On peut comparer arec ce que saint Bernard dit ici, la manière dont il explique les six urnes de Cana, dans le cinquante-cinquième de ses Sermons divers, et les mesures, dans son cinquantième sermon.

8. Le Seigneur dit donc à ceux qui servaient : " Emplissez d'eau ces urnes." Que dites-vous là Seigneur ? Les serviteurs sont en peine pour se procurer du vin, et vous leur ordonnez de remplir d'eau ces urnes? N'est-ce pas ainsi que Laban donnait Lia au lieu de Rachel, à Jacob qui soupirait après la possession de cette dernière (Gen. XXIX) ? C'est à nous, mes frères, à nous qui sommes vos domestiques et vos serviteurs, que Jésus-Christ ordonne de remplir les urnes d'eau, toutes les fois que le vin manque. C'est comme s'il nous disait : ils n'ont plus de dévotion, ils manquent de vin, ils demandent la ferveur ; mais mon heure n'est point encore venue, remplissez d'eau les urnes. Or, quelle est l'eau de la sagesse, cette eau salutaire, sinon douce, sinon la crainte du Seigneur, qui est la source de la vie et le commencement de la sagesse? Il dit donc aux ministres : inspirez la crainte, emplissez de cette eau, non pas tant les vases que les coeurs, attendu que, pour arriver à la charité, il faut qu'ils commencent par la crainte, afin de pouvoir dire avec le Prophète : " Nous avons conçu dans votre crainte, Seigneur, et nous avons enfanté un esprit de salut ( Isa. XXVI, 18). " Mais comment les remplira-t-on ces urnes? L'Évangéliste nous a déjà prévenus que " les unes tiennent deux mesures, et les autres trois? Or, qu'est-ce qu'il faut entendre par ces deux mesures, et quelle est la troisième? Je vous réponds, il y a deux sortes de craintes communes et connues de tous; il en est une troisième moins commune et moins connue. La première est celle des tourments de l'enfer; la seconde est l'appréhension d'être privé de la vue de Dieu, et exclu de sa gloire inestimable; la troisième est celle qui remplit l'âme timide de toutes sortes d'appréhensions d'être un jour abandonnée de la grâce.

9. Or, toute crainte du Seigneur éteint la concupiscence du péché, comme l'eau éteint le feu. Mais cela est tout particulièrement vrai de la crainte qui s'élève dans une âme, au premier souffle de la tentation et lui fait appréhender le malheur de perdre la grâce et d'en venir à cet état où l'homme abandonné, tombe tous les jours d'un mal dans un pire, d'une faute moindre dans une plus grande, absolument comme on voit les personnes qui, une fois dans la malpropreté, se souillent encore davantage. Avec cette crainte, il n'y a pas de danger que l'âme se flatte elle-même, en. se disant que la faute est légère, ou qu'elle s'en corrigera plus tard, car ce sont les deux prétextes qui paralysent le plus ordinairement les deux premières craintes. Eh bien, voilà l'eau dont le Seigneur nous ordonne d'emplir les urnes, car elles sont vides quelquefois, ou ne sont remplies que d'air ; ce qui arrive, par exemple, lorsque quelqu'un, est tellement insensé que, chez lui, l'amour de la vanité rend vides de mérites éternels, les observances dont je vous ai parlé tout à l’heure, et les fait ressembler aux vierges folles qui n'avaient pas d'huile dans leurs lampes. Il peut se faire aussi quelquefois que ces urnes soient pleines, mais pleines de poison, c'est-à-dire remplies par l'envie, parles murmures, par la rancune et par les détractions. Voilà pourquoi, de peur que tous ces vices ne viennent à les remplir quand elles sont vides de vin, le Seigneur nous ordonne de les remplir d'eau, c'est-à-dire de la crainte qui fait observer les commandements de Dieu. Cette eau se trouve changée en vin lorsque la crainte cède la place à la charité, et que tout s'accomplit avec un esprit de ferveur, de plaisir et de dévotion.