OEUVRES DE SAINT JÉRÔME

 

 

 

Publiées par M. BENOIT MATOUGUES,
sous la Direction
DE M. L. AIMÉ-MARTIN.
PARIS AUGUSTE DESREZ,IMPRIMEUR-EDITEUR
Rue Neuve-Des-Petits-Champs, n°50.
MDCCCXXXVIII

Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
CH-1897 Le Bouveret (VS)

 

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

 

 

 

 

 

 

 

CRITIQUE SACREE

 

 

 

 

 

CRITIQUE SACREE *

EXPLICATION DU PSAUME XLIV. *

A LA VIERGE PRINCIPIA. *

EXPLICATION DE LA PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE. *

TRAITÉ SUR LES SÉRAPHINS. *

FRAGMENTS. *

SUR TOUS LES LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT. *

SUR LE PROPHÈTE ABDIAS. A PAMMAQUE. *

SUR LA TRADUCTION DU PROPHÈTE ISAIE. A PAULA ET A EUSTOCHIA. *

PRÉFACE DE LA TRADUCTION DU LIVRE SUR LE SAINT-ESPRIT DE DYDYME. A PAULINIEN. *

EXPLICATION DES CÉRÉMONIES DE L'ANCIENNE LOI ET DE L'HABILLEMENT DES PRÊTRES. *

EXPLICATION DU PSAUME LXXXIX. *

A HÉDIBIA. *

Première question. *

Seconde question. *

Troisième question. *

Quatrième question. *

Cinquième question. *

Sixième question. *

Septième question. *

Huitième question. *

Neuvième question. *

Dixième question. *

Onzième question. *

Douzième question. *

A ALGASIA. *

Première question. *

Seconde question. *

Troisième question. *

Quatrième question. *

Cinquième question. *

Sixième question. *

Septième question. *

Huitième question. *

Neuvième question. *

Dixième question. *

Onzième question. *

À MINERVIUS ET A ALEXANDRE. *

TRAITÉ SUR LES DEVOIRS D’UN TRADUCTEUR DES LIVRES SACRÉS. *

 

 

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLIV.

A LA VIERGE PRINCIPIA.

Vous savez, ma fille en Jésus-Christ, que l'on m'a généralement blâmé d'adresser parfois mes épîtres aux femmes, et de préférer l'instruction religieuse du sexe le plus faible à celle des hommes. Je dois donc répondre d'abord à mes détracteurs avant d'en venir à l'analyse détaillée que vous m'avez demandée. Si les hommes s'enquéraient des saintes Ecritures, je ne parlerais point aux femmes. Si Barac avait voulu marcher au combat, Debbora n'aurait pas vaincu et triomphé. Jérémie est jeté en prison; Israël, près de périr, n'a pas voulu recevoir le prophète, et une femme, Olde, lui est envoyée. Les prêtres et les pharisiens crucifient le Fils de Dieu, et Marie-Madeleine pleure au pied de la croix; elle prépare des parfums, visite le tombeau, interroge le jardinier, reconnaît le Seigneur et court annoncer aux apôtres qu'elle vient de le revoir. Ceux-ci doutent, et elle croit. Cette sainte femme est , à vrai dire, la tour de candeur, la tour du Liban élevée en face de la sacrilège Damas, qui demande la mort du Sauveur comme une expiation de sang. Sara a passé l'âge de la maternité, et Dieu prescrit en ces termes à Abraham sa déférence pour elle : " Quelque chose que te dise Sara, écoute sa voix. " Sara avait passé l'âge d’être mère, et vous, Principia, vous ne l'avez jamais été. La vierge étouffe l'instinct des sens; elle porte, en elle-même le Christ; elle possède d'avance ce dont elle doit jouir. Rébecca va interroger le Seigneur; elle obtient pour réponse cet oracle magnifique: "Deux nations sont en son sein, et deux peuples sortiront de tes entrailles pour se diviser," Elle donna le jour à deux races ennemies; et vous, le fruit que vous concevez, que vous portez dans votre sein, que vous engendrez chaque jour, est un par sa nature, fécond par son union, multiple par sa majesté , uni dans sa trinité. Marie, soeur de Moïse, chante les victoires du Seigneur, et Rachel illustre notre Bethléem, l'ancienne Ephrata, en en faisant le berceau de sa postérité. Les filles de Salphaad sont jugées dignes de recueillir l'héritage paternel, au milieu de ceux de leur tribu. La gloire de Ruth, d'Esther, de Judith est si éclatante qu'elles ont donné leurs noms aux livres sacrés. Anne la prophétesse met au monde un fils lévite, prophète, juge, portant au front l'onction sainte, et elle le présente au temple du Seigneur. La femme de Thécua embarrasse David par sa demande; elle l'éclaire par sa parabole et l'apaise par l'exemple de Dieu. L'Ecriture rapporte qu'une autre femme pleine de prudence, voyant sa ville assiégée et battue en brèche par le général Joab à cause d'un factieux qui s'y était renfermé , harangua ses concitoyens avec tant de sagesse que, par l'autorité de sa parole, elle écarta le danger qui menaçait tout un peuple. Parlerai-je de cette reine de Saba qui vint de l'extrémité de la terre entendre la sagesse de Salomon, et qui doit, comme Dieu l'a déclaré, être la condamnation de tant Jérusalem ? Les entrailles et la voix d'Elisabeth prophétisent. Anne, fille de Phanuel, à force d'assiduité au temple, devient elle-même le temple de Dieu, et par le jeûne de tous les jours trouve le pain céleste. Les femmes accompagnent le Sauveur et lui servent leur propre nourriture ; et lui qui avec cinq pains nourrit cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, ne dédaigne pas d'accepter les aliments des saintes femmes. En parlant à la Samaritaine près du puits, il se nourrit de la conversion de la croyante et oublie le repas qui lui est préparé. Apollonius, homme apostolique et très versé dans la science des Ecritures, apprend d'Aquila et de Priscillien à connaître la vie de Jésus-Christ. Si un apôtre n'a pas rougi de recevoir l’instruction d'une femme, comment pourrais-je rougir d'instruire les femmes ainsi que les hommes?

Par ce peu de traits que je viens d'esquisser j'ai voulu, ô pieuse fille, vous apprendre à ne pas vous affliger du sexe qui vous est départi, et aux hommes à ne pas s'enorgueillir de leur nom d'homme. C'est pour la condamnation de ces derniers que la vie des femmes vertueuses est célébrée dans les saintes Ecritures. Je me réjouis et me laisse aller comme à un sentiment d'enthousiasme en trouvant à Babylone un Daniel, un Azarias, un Mizaël; mais que d'anciens et de juges d'Israël brûlés dans la fournaise du roi de Babylone! que de Suzannes (ce doux nom veut dire : lys, en hébreu ) tressent pour leurs époux de blanches couronnes de chasteté, et changent elles-mêmes leurs couronnes d'épines contre la gloire du triomphe! Vous avez près de vous, dans l'étude des Ecritures et dans la sainteté du corps et de l’esprit, Marcella et Asella : que l'une vous conduise, à travers les vertes prairies et les parterres émaillés des divins Livres, vers celui qui dit dans le Cantique des cantiques: "Je suis la fleur des champs et le lys des vallées; " que l'autre, fleur du Seigneur elle-même, soit digne ainsi que vous d'entendre ces paroles : " Comme le lys au milieu des épines , ma bien-aimée s'élève au-dessus des jeunes filles. "Or, puisque j'ai commencé à parler de fleurs et de lys, emblèmes de la virginité, il me semble heureux, en écrivant à une fleur du Christ, de traiter un sujet qui en est semé.

En lisant le quarante-quatrième psaume, je trouve ce titre : Cantique ayant pour but d'instruire les fils de Corée d célébrer le bien-aimé et ceux qui doivent être changés. Le texte hébreu est ainsi conçu : Lamanasse al sosannim labue tore meschil sir Ididoth, ce que nous traduirons par : " Cantique instructif du bien-aimé aux fils de Corée, pour offrir des lys au vainqueur. " Symmaque, plus clair que de coutume, traduit : " Triomphe pour les fleurs. " Sosannim veut dire ceux qui doivent être changés;" ou bien encore " les lys et les fleurs. " Meschil signifie : instruction, ou : très instruit, sir cantique. Ididoth est l'ancien nom de Salomon, appelé depuis : le pacifique, dans un sens opposé. Quatre psaumes ont des titres qui commencent de la même manière, mais qui se terminent différemment : ce sont le quarante-quatrième, le cinquante-neuvième, le soixante-huitième et le soixante-dix-neuvième. Le second et le troisième de ces psaumes portent le nom de David, le premier et le quatrième ceux de Corée et d'Asaph. Ce n'est pas le lieu de nous étendre sur tous ces psaumes; il s'agit d'expliquer celui que nous avons commencé.

Le titre de ce psaume a directement en vue ceux qui doivent être transformés à la fin des siècles, et à propos desquels l’Apôtre a dit : " Nous nous endormirons tous dans ce tombeau , mais nous ne serons pas tous changés. " J'insiste sur ce sens obscur pour préparer le lecteur à l' intelligence des choses spirituelles. En effet , partout où le sens est simple et clair, à quoi bon aider l’intelligence de ceux qui comprennent, et dire à celui qui a des oreilles. Entendez? Le cantique s'adresse au bien-aimé, car c'est par lui que les saints obtiendront la transformation qui leur est promise. Cette transformation peut se concevoir même pour cette vie, lorsque, dépouillant le vieil homme et revêtant l’homme nouveau, nous nous régénérons dans la science et nous approchons de l'image du Créateur; puis lorsque, à force de contempler la gloire de Dieu, nous nous transfigurons en cette même image, passant comme d'un état glorieux à un état plus glorieux encore. Il n'est pas d'instant où (homme saint ne change, en oubliant le passé et en s'élevant dans l’avenir. Et à nous aussi notre être intime se renouvelle de jour en jour. Dieu lui-même, cet être immuable, qui a dit par la bouche du prophète: " Je suis Dieu et je ne change pas, " Dieu a changé de forme à cause de nous, et il a emprunté celle de son serviteur. Passant de la terre de Juda sur celle des: Philistins, dont le nom accuse les vices (ce peuple s'était enivré dans les coupes d'or de Babylone), il a été d'abord bafoué pour ce qu'ils appelaient la folie de la croix, puis accueilli à cause de l'éclat de son triomphe. bien-aimé est celui qu'Isaïe chante en ces termes : " Je chanterai pour mon ami le cantique de ma vigne; " et celui dont l'Évangile a dit : " Celui-ci est mon fils bien-aimé dans le quel j’ai mis toute ma complaisance; écoute sa voix. " Ce n'est plus un prophète qui chante maintenant ses louanges, mais tout le chœur des fils de Corée. Nous examinerons dans le quarante-unième psaume ce que sont ces fils de Corée, c'est-à-dire du Calvaire. Pour nous assurer que le texte du cantique est d'accord avec son titre, remarquons qu'il change de sujet à l'endroit où le prophète engage la jeune fille à abandonner son vieux père pour se rendre digne de la tendresse du roi. L'homme qui a partagé la victoire et le triomphe du Seigneur, et qui a offert à Jésus-Christ ses bonnes oeuvres unies à de nombreuses vertus, comme une couronne glorieuse et impérissable, cet homme comprendra facilement que le vainqueur est celui qui a dit: "Ayez bon courage, j'ai vaincu le monde, " et celui encore à qui s'adressent ces paroles d'un enfant : " De vous viennent la victoire, la sagesse et la gloire; vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. "

" Mon cœur n'a pu contenir la parole heureuse. "Au lieu de ces mots, Symmaque traduit: " Mon cœur a été ému par la parole heureuse. " Cette version supposerait que le cœur du prophète a été ému par ce qu'il vient d'entendre, et que le Saint-Esprit lui révélant les mystères futurs du Christ, il éclate à son tour en louanges afin de rivaliser d'efforts pour célébrer son arrivée. La métaphore qu'emploie l’Ecriture (ructus) exprime l'haleine bruyante qui s'échappe d'une poitrine oppressée après un copieux festin. De même qu'elle est l'indice du plus ou moins de délicatesse des aliments, de même aussi les pensées les plus intimes se répandent en paroles, et la bouche trahit les sentiments dont le cœur est plein. Le juste alimente en quelque sorte son âme; et quand elle est nourrie des saintes Ecritures, il ne peut s'exhaler des trésors d'une belle âme que de belles et saintes paroles. Alors il s'écrie avec l'Apôtre : " Cherchez-vous la preuve que le Christ parle en moi? " Quelques commentateurs ont trouvé dans ce verset une allusion à la personne du Père, parce qu'il a tiré du fond de son être; des abîmes de son cœur le Verbe qui avait toujours été en lui, suivant cet oracle d'un autre psaume : " Je l'ai enfanté de mes entrailles avant la lumière du jour. " Le mot " entrailles " est pris ici symboliquement, car Dieu ne se compose pas de parties séparées, mais l'essence du Père et du Fils le constitue. "Le " coeur " et la " parole qui s'échappe du cœur" sont aussi des figures qui désignent le Père et le Fils. Cette interprétation est favorisée parle texte du verset suivant : " Je dédie mon ouvrage au roi, " et par ces mots : - Il dit et tout fut fait; il ordonna et tout fut créé , " c'est-à-dire que le Fils est né de la parole du Père. En effet, tout ce que le Père fait, le Fils le fait également, et ce dernier n'est que la puissance exécutive du Père qui demeure en lui.

" C'est au roi que j'adresse mon ouvrage. " Le choeur des prophètes, devant célébrer les saints mystères du Christ, craint de paraître au-dessous de son sujet, et de l'entendre dire en laissant voir sa faiblesse : " Pourquoi publies-tu mes jugements? pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance?" Il présente en conséquence son oeuvre au roi qu'il veut louer, afin que bonne il l'agrée, mauvaise il en fasse disparaître les taches, et il obéit par là au précepte divin : " Avoue tes fautes pour ta justification. Le juste est celui qui commence par s'accuser." Dans la langue hébraïque et dans la langue latine, le mot ouvrage est synonyme de toute composition écrite. Ainsi donc le prophète, au moment de chanter les louanges de Dieu, lui dédie son cantique ou son " ouvrage, " et au lieu des muses profanes il invoque dès l'abord celui qu'il veut célébrer.

" Ma langue obéit comme la plume de l'écrivain rapide. " Au lieu de cette version, nous traduisons : " Ma langue est comme le stylet de l'écrivain rapide. " Le premier verset se trouve complété par ces mots, auxquels il faut joindre ceux-ci : Mon cœur n'a pu contenir les louanges de Dieu; je lui ai dédié mon cantique et l'ouvrage dans lequel j'ai voulu célébrer son nom. Il me faut donc apprêter ma langue comme un stylet dont se servira l'Esprit-Saint pour tracer mon oeuvre aux oreilles et aux sens de ceux qui m'écoutent. Je dois faire de ma langue en quelque sorte un instrument, et exprimer par cet instrument les pensées qui viennent de l'Esprit-Saint. Le stylet écrit sur la cire, la plume sur le papier, sur le parchemin ou sur toute autre matière propre à l'écriture : or ma langue, de même qu'un écrivain rapide, ou, pour mieux dire, de même qu'un sténographe, a, au moyen de signes abrégés, gravé dans les coeurs charnels la substance et le résumé de mon oeuvre évangélique. Si Dieu a employé pour écrire sa loi la main d'un médiateur, et si ce qui est aboli est encore glorifié, à plus forte raison ma langue servira-t-elle d'organe au Saint-Esprit pour écrire l'Evangile, qui est immortel, et pour graver rapidement dans le cœur des hommes de foi les louanges de celui pour lequel Irae e'é; crie: " Hâtez-vous d'enlever les dépouilles et d'emporter le butin. "

Vous êtes beau, entre les enfants d'Israël. " L’hébreu porte ; " Vous surpassez en beauté les enfants, d'Israël. " L'introduction est terminée; c'est ici que le récit commence. La parole est adressée au bien-aimé, au roi auquel était dédié le cantique du prophète. On se demande. d'abord comment l'emporte en beauté sur les enfants des hommes celui dont Isaïe a dit : " Nous l'avons regardé; il n'avait ni forme ni beauté, mais il était dédaigné et rejeté par les fils des hommes. C'était un homme de douleur sachant supporter sa misère, et il se cachait le visage. " On s'aperçoit aussitôt qu'il n'existe pas d'incohérence dans l’Ecriture. Ici ça fait le tableau d'un corps défiguré par les flagellations, les ignominies et les tortures, du gibet ; plus haut c'est l’éclat des vertus dans un corps saint et vénérable que fon a voulu dépeindre. Il ne faut pas s'imaginer que la divinité de Jésus-Christ l'emporte sur les hommes sous le rapport de la beauté, car cette divinité ne peut avoir de terme de comparaison; mais, à part les tourments de la croix, n'est-il pas plus beau que tous les hommes l’homme vierge né d'une vierge, et engendré par Dieu sans coopération humaine? Si son visage et ses yeux n'avaient pas respiré quelque chose de céleste, les apôtres ne l'auraient point aussitôt suivi, et on ne serait pas pour l'entendre, accouru avec tant d'empressement. " C'était un homme de douleur et sachant supporter sa misère. " Ces mots eux-mêmes expliquent la cause de ses souffrances. " Il se cachait le visage, c'est-à-dire que, déhouillant pour un moment sa divinité, il abandonna son corps aux mauvais traitements. Quelques scoliastes joignent ce verset au précédent, de telle sorte que ces mots: " beau entre tous les hommes " cesseraient d'avoir le Christ pour objet.

" La grâce est répandue sur vos lèvres, et pour cela Pieu vous, a béni pour l’éternité. " Dans la Vulgate au lieu de " vous a béni, " il y a : " vous a loué; " mais il faut remarquer que cette faute des copistes ne doit pas être imputée aux Septante, qui se trouvent ici d'accord aven le texte hébreu. Quel est le sens de ces mots : " Sa grâce est répandue sur vos lèvres? " L'Evangile nous l’explique : " Jésus, " y est-il dit " croissait en âge, en sagesse et en grâce devant, Dieu et devant les hommes ; " et ailleurs : " Quand il eux fini de parler, on admirait son éloquence, pleine de grâce et d'onction; " et, plus loin encore : " Il était maître de ses paroles. " Noé, Moise et les prophètes trouvèrent pendant leur vie grâce devant le Seigneur mais tout le trésor de la grâce était répandu. sur les lèvres du. Sauveur, et en peu de temps elle remplit tout l'univers; et lui s'avança comme l'époux qui sort de. la couche nuptiale. Il était descendu du ciel et il est remonté aux cieux. La Vierge Marie est saluée du nom de "pleine de grâces, " pour avoir conçu celui qui, sous son enveloppe terrestre, recèle toute la plénitude de la divinité. L'Apôtre, convaincu que la puissance de Dieu seule, et non une éloquence profane, avait pu donner à sa prédication la supériorité sur toutes les doctrines de ce monde, s'écrie : " Mes discours et ma prédication ne s'appuient pas sur les moyens, de persuasion de la sagesse humaine, mais sur la manifestation de l'esprit et de la puissance de Dieu. C'est dans cette puissance, et non dans la sagesse des hommes, que nous devons placer notre confiance. " Se reprenant lui-même d'avoir dit : " J'ai fait plus à moi seul que tous les autres," il ajoute aussitôt: " Tout cela est du non à moi, mais à la grâce de Dieu qui est en moi, et plus loin : " La grâce de celui qui est en moi n'a pas été vaine. " C’est aussi par rapport au Sauveur que le mot " répandu " a été employé, pour exprimer le don de la grâce qui lui a été fait, suivant ce qui est écrit : " Je répandrai mon esprit sur toute chair. L'amour de Dieu est répandu dans les coeurs. " Remarquons que dans le texte il n'y a pas un mot qui ne s’applique au fils de Marie. En effet, il y est appelé " béni dans tous les siècles; " or, c'est ainsi que l'Apôtre l'a annoncé : " Il s'est humilié ; il s'est résigné à l’obéissance jusqu'à la mort sur la croix ; et c'est pour cela que Dieu l'a élevé et lui a donné un nom: au-dessus de tous leu autres noms. " Humilité d'apparence, outrages de la Passion, apothéose et retour près du Père avec un titre glorieux, tout est dans ces mots. Ainsi donc, cette effusion de grâce et de bénédiction dont parle le texte n'appartient qu'à celui qui peut passer de l'abaissement au triomphe.

" Armez votre flanc de votre glaive, ô puissant roi; revêtez-vous, de votre éclat et de votre beauté. " L'hébreu porte : " Revêtez-vous de votre gloire et de votre majesté. " Je pense que vous comprenez parfaitement ce passage, et que pour combattre vous vous armez du glaive de Jésus-Christ. Sachez que la virginité a toujours l’arme de la pudeur pour anéantir les voluptés et pour dompter les passions. Les fables des païens eux-mêmes supposaient des armes aux vierges, leurs déesses. Pierre ceignit ses reins et se munit d'un flambeau allumé. Le mot " flanc " (femur) signifie métaphoriquement : la fécondité du mariage ; quelques exemples vont vous le démontrer. Abraham, envoyant chercher une épouse, pour son fils Isaac, dit au plus ancien serviteur de sa maison : " Place ta main sur mon flanc, et tu prendras le Seigneur à témoin de ton serment." De là plus de doute qu'il ne dût naître un rejeton de son sang. Jacob, quittant la Mésopotamie pour entrer sur la terre promise, lutta avec un homme qui lui était apparu près du torrent de Jobac, et reçut le nom d’Israël après que le nerf de son " flanc" se fut desséché. Il dit à son fils : " Le sceptre appartiendra à Juda, et le chef naîtra de ses flancs. " Et lui-même, à son lit de mort, fait jurer à Joseph " sur son flanc " de ne pas l'ensevelir en Egypte. Nous lisons encore au livre des Juges : " Gédéon eut soixante-dix fils qui sortirent de son flanc ; " et dans le Cantique des antiques. : " C'est là le trône de Salomon. Soixante guerriers l'entourent, choisis parmi les forts d'Israël, tous armés de glaives, tous forts dans les combats. Une épée est placée sur son flanc. " C'est donc pour mortifier les appétits de la chair que le Sauveur se revêt de son éclat et de sa beauté divine, et le fils d'une vierge offre aux vierges à venir la modèle de la virginité.

"Marchez à la victoire et élevez-vous à la domination. Faites briller la vérité, la clémence et la justice. Votre droite se signalera par des merveilles. " L’hébreu porte : " Dans votre majesté montez sur votre char de triomphe. Faites briller la vérité et une justice pleine de clémence. Votre droite se signalera par des merveilles. "

Dans le texte le mot " majesté " se trouve répété deux fois; et ne croyez pas que ce soit une erreur des copistes, mais c'est une figure de rhétorique appelée épétition. De même, que dans les panégyriques l’orateur interpelle d'habitude celui dont il fait l'apologie, ici le prophète appelle le Seigneur au combat, afin que, resté maître du champ de bataille et foulant aux pieds après la victoire les bataillons ennemis, il établisse son empire sur ceux qu'il a arrachés à la domination du démon, et les range à son autorité. Il pourra dire alors: " J'ai été sacré roi par lui sur sa sainte montagne. " Qui peut douter que, la " clémence. " la " vertu" et la "justice " désignent le Christ ? lui qui a dit: " Je suis la voie, la vérité, et la vie. Écoutez ma parole, car je suis doux et humbles de coeur. Dieu a fait de moi pour vous la justice, la rédemption et la sainteté même. " Ce qui a été dit pour le corps, il le faut étendre à tous les membres; une victoire de Dieu est un triomphe pour ses serviteurs; la science du maître tourne au profit des disciples. " Votre droite se signalera par des merveilles. " Ces mots doivent s'entendre des prodiges que le Christ a opérés dans l’Evangile, ou de l’extermination dont il a frappé ses ennemis. Il tient dans sa main "droite " le coeur du sage et dans sa main gauche le coeur de l’insensé. Le Christ est assis à la " droite " du Père et l’Antechrist à sa gauche. La version hébraïque diffère quant aux mots, mais ne diffère pas pour le sens.

" Vos flèches saut aiguës, ô Tout Puissant! Les peuples tomberont à vos pieds ; elles perce tout le coeur des ennemis de mon roi. " A part le mot " tout-puissant, " le texte hébreu est, conforme. Ce verset s'applique à vous, Principia, à vous qui, blessée parle trait du Seigneur, chantez avec l'épouse du Cantique des cantiques : " Je languis, blessée d'amour. " Il ne faut pas s'étonner que votre époux soit armé de traits nombreux qui, suivant l’expression du psaume cent dix-neuvième, " dévorent comme des charbons ardents; " car lui-même est la flèche du Seigneur, ainsi qu'il le déclare dans Isaïe: " Il m'a placé comme une flèche choisie. et m'a caché dans son carquois. " Cléophas et son compagnon, blessés par ces traits sur le chemin,s'écriaient : " Ne sentions-nous pas notre cœur brûler au-dedans de nous, tandis qu'il s'entretenait en marchant avec nous et qu'il nous expliquait les Ecritures? " On lit encore dans un autre endroit : " Comme des flèches dans des mains puissantes, ainsi seront les enfants des opprimés " Ces traits subjuguèrent et blessèrent l'univers entier. Ce fut aussi une " flèche " du Seigneur ce Paul qui, après avoir été lancé par son arc de Jérusalem en Illyrie, et avoir parcouru mainte contrée, se hâte d'aller vers l’Espagne, et, comme une " flèche " rapide, abat aux pieds de son maître l'Orient et l'Occident. Tels que le cerf dont un épieu aigu déchire le flanc, les ennemis nombreux du Seigneur sont atteints des " flèches " brûlantes du démon; mais Dieu, de son côté, darde dans leur coeur ses, traits " dévorants comme des charbons ardents, "afin d'en calciner la corruption, et de remplacer par une flamme salutaire le feu dévastateur.

" Vous reposez, ô Dieu! sur l'éternité. Le sceptre de l'équité est le sceptre de votre empire; vous aimez la justice et vous haïssez l’iniquité. C'est pour cela, ô mon Dieu! que votre Dieu vous a sacré d'une onction de béatitude au-dessus de ceux qui participent à votre gloire. " Le verset commence ainsi dans le texte hébreu: " Votre trône, ô Dieu! est un trône éternel. " Faites attention qu'il s'agit ici de deux personnes : celle qui a fait " fonction " et celle qui l'a reçue de Dieu. C'est pour cela que Aquila traduit le mot hébreu éloïm par le vocatif thé au lieu du nominatif, ce que nous rendons par ces mots: " O Dieu! " de peur qu'on ne soit induit à croire que, sous le nom de "Dieu," du " bien-aimé "et du" roi, " le Père se trouve désigné deux fois. Quoique le Père soit dans le Fils et le Fils dans le Père, quoiqu'ils se servent réciproquement de trônes, et qu'ils reposent mutuellement l'un sur l'autre, toutefois ici c'est à un roi-Dieu, à Jésus-Christ que la parole est adressée, et que l'éternelle durée de son empire est prédite. (Je me sers du mot " empire " comme synonyme de trône, suivant ces paroles : " Je placerai sur le trône un fils qui naîtra de vous. ") L'ange avait annoncé à Marie que le Seigneur placerait le fils qui naîtrait d'elle sur le trône de David son aïeul, qu'il régnerait éternellement sur la maison de Jacob, et que son royaume n'aurait pas de fin. Ne croyons pas trouver ici de contradiction avec l'épître aux Corinthiens, dans laquelle l’Apôtre prétend que le fils remettra le royaume à Dieu et qu'il se soumettra à lui après s'être soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout dans tout. L'Apôtre n'a pas dit en effet que le Fils remettrait le royaume au Père, abstraction faite du Fils lui-même, mais à Dieu, c'est-à-dire au Dieu qui a emprunté une enveloppe charnelle, afin que Dieu fût tout dans tout, et que le Christ, qui régnait auparavant dans le coeur de chaque fidèle par le peu de vertus qui y étaient renfermées, étendit son empire sur tous par toutes les vertus. Le sceptre est l'insigne de la royauté, comme nous l'apprend le prophète lui-même par ces mots: " Le sceptre de l'équité est le sceptre de votre empire. " Quelques-uns s'appuient encore de ce témoignage d'Isaïe : " Une branche sortira de la tige de Jessé et une fleur s'élèvera de sa racine, " pour reconnaître que c'est l'homme-Dieu que l'on investit de l'empire à cause de son amour pour la justice et de sa haine pour l'iniquité; que c'est lui que l'on proclame roi et sacré d'une " onction de béatitude au-dessus de ceux qui participent à sa gloire, " récompense en quelque sorte de cette charité et de cette aversion pour le mal. Nous avons la preuve que nous possédons le germe de l'amour et de la haine pour l'une et pour l'autre, quand nous voyons aimer l'équité et détester l'injustice par celui qui a fait de nos corps un pain dont il a offert les prémices au ciel. Aussi David s'est-il écrié " N'ai-je pas haï, Seigneur, ceux que vous haïssez? n'ai-je pas séché de douleur à leur vue? Je les ai haïs d'une haine profonde." Dans la phrase suivante du verset : " Dieu, votre Dieu vous a sacré, " le mot " Dieu " est la première fois au vocatif, la seconde fois au nominatif. Je suis étonné qu'Aquila ait traduit par ce dernier cas au lieu du vocatif, comme il l'avait fait dans la première phrase du verset, et qu'il ait nommé à deux reprises le Dieu qui a " sacré"celui dont il est parlé plus haut. Ce passage confond Photinus; mais Arius relève la tête en citant ce témoignage de l'Evangile : "Je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. " Du moment où il voit que ce bien-aimé, ce roi armé de son glaive règne par la vérité et la douceur, et a été " sacré, " grâce à son amour de la justice et à sa haine de l’iniquité, " au-dessus de ceux qui participent à gloire, " de ceux dont il est écrit: " Nous participerons à la gloire du Christ si nous conservons en entier jusqu'à la fin le principe de vie," je m'étonne qu'Arius dans ces mots : " Dieu, votre Dieu vous a sacré, " pousse la mauvaise foi jusqu'à ne reconnaître qu'une personne divine, comme si on devait entendre par là que Jésus-Christ a été sacré à raison de sa divinité, au lieu de l'être à raison de ce qu'il a été fait homme. Qu'il lise les Actes des apôtres : " Dieu ", y est-il dit, " a oint de l'Esprit-Saint Jésus de Nazareth ; " qu'il lise l'Évangile : " Le Saint-Esprit descendra sur vous, et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre, et le fruit sacré que vous enfanterez sera appelé le Fils de Dieu; " qu'il entende le Seigneur lui-même s'écrier : " L'esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a donné l'onction. " Ceux qui " participent à sa gloire " sont les apôtres et les fidèles; son "onction "leur a donné leur nom, de telle sorte qu'ils ont été appelés " oints " ou " chrétiens " à cause de celui qui a été " oint, " c'est-à-dire de Jésus-Christ.

" La myrrhe, l'aloès et le cinnamome s'exhalent de vos vêtements et des palais d'ivoire où les filles des rois font vos délices et votre gloire. " L'hébreu porte : " La myrrhe, la stacté et la casia s'exhalent de vos vêtements et des palais d'ivoire où les filles des rois t'ont vos délices et votre gloire." Dans mon préambule je vous ai dit, Principia, que j'avais voulu expliquer ce psaume parce que son titre: Pour les lys et les fleurs, me semblait pouvoir faire le sujet d'une épître à une vierge. Par la même raison qui me fait composer cet ouvrage pour vous, je vous appliquerai ce verset. Vous mortifiez votre chair dans ce monde, et tous les jours vous offrez " la myrrhe "à Jésus-Christ. Vous êtes le parfum du Christ et vous présentez au Seigneur la " stacté " et l'encens. Ceux qui connaissent la nature des plantes aromatiques prétendent que la "stacté " est la fleur de la myrrhe. Le mot suivant casia, qui se trouve souvent dans es psaumes, est appelé en grec supiz , c'est-à-dire essence distillée, ou baume plein de chaleur, propre à ranimer, à fortifier les malades usés par l’abus des plaisirs. Dans les textes latins gutta et stacté rendent le mot hébreu haloth. Nicodème emploie cent livres de myrrhe et d'aloès pour ensevelir le Seigneur. L'époux dit à sa bien-aimée: " La myrrhe et l'aloès se font sentir avec les plus doux parfums;" et celle-ci répond: " Mes mains distillent la myrrhe ; mes doigts en sont embaumés. " Vous aussi, Principia, arrêtez les ravages de la mort; ensevelissez-vous avec le Christ dans le baptême; soyez morte à ce monde, et, ramenant toutes vos pensées aux choses célestes, dites à votre époux: " Mes mains distillent la myrrhe ; mes doigts en sont embaumés. " La stacté, mélangée à d'autres plantes aromatiques, composait le parfum qui servait aux sacrifices et dont David a dit: " De même que le parfum répandu sur la tête d'Aaron descendit sur son visage et se répandit sur le bord de ses vêtements. " Les mages offrent de la myrrhe. Revêtir les vêtements du Christ, ce n'est pas autre chose que recueillir les mérites de sa mort et en montrer en soi-même les effets. Préparez ce vêtement pour votre époux; qu'il s'avance revêtu par vous de ce vêtement. Quand il sera tissu, Dieu fera de vous son temple; vous le comblerez d'allégresse dans son palais d'ivoire et vous chanterez ses louanges. Morte tout entière pour le siècle, vous vous mêlerez au chœur des anges; car les noms, par leur nature même, attestent que l'ivoire est un signe de vie et de mort. L'ivoire, dont son palais est recouvert, est en effet le signe de la vie et de la mort. Le verset ajoute avec raison : " Les filles des rois y font vos délices et votre gloire. " Votre époux est le roi des rois et le maître des souverains, et ces rois, faibles puissances sous un si grand roi, ce sont vos pères, ce sont ceux qui par renseignement de l'Évangile vous ont donné une seconde vie; et vous, leur fille chérie, vous glorifiez dans ses vêtements, dans ses parfums, dans son palais d'ivoire, celui à qui s'adressaient ces paroles : " La grâce est répandue sur vos lèvres. Armez-vous de votre glaive, ô Tout-Puissant ! Vos flèches sont acérées, ô Seigneur! Votre trône est éternel. " Nous traduisons " palais d'ivoire " parce que le texte grec porte apo Bareon Elephantinon. Au lieu de cette version, quelques commentateurs latins ont traduit apo Bareon par le mot gravibus, mais le mot Baris veut dire: une maison de Palestine. De nos jours encore les édifices clos de toutes parts, et construits en forme de tour, ont conservé le nom de Bareis.

" La reine, couverte d'or, est restée debout à votre droite. " La Vulgate, seule entre toutes les traductions, ajoute : " Toute brillante de couleurs variées. " L'hébreu porte : " Votre épouse, ceinte d'un diadème d'or, est restée debout à votre droite. " Nous rendons par épouse, l'hébreu segal; Aquila traduit sugroiton, ou : concubine; Symmaque et la quinte édition pallakten, ou : amante. Les Septante, Théodotien et Sexta rendent segal par : reine. Symmaque, au lieu de ces mots : " ceinte du diadème, " traduit : " ornée d'or fin, " Aquila, la quinte et la sixte édition : " Resplendissante de vives couleurs ", ou " de l'or d'Ophir. " Parmi les filles des rois qui attendent les faveurs de leur époux, et charment dans son palais d'ivoire, par des parfums de toute espèce, celui dont le trône est éternel, seule et sans rivales, une belle et tendre colombe se tient à sa droite c'est !'Église catholique, fondée et profondément établie sur la pierre du Christ. L'esprit des Ecritures a remplacé la lettre; l'Église reste debout, " couverte d'or " et brillante de toutes les vertus; sa tête est ceinte du diadème, car elle est " reine " et elle règne à côté du roi. Nous pouvons regarder comme ses filles les âmes des fidèles et les chœurs des vierges. " L'or d'Ophir " est ainsi nommé à cause de sa couleur, ou de la contrée de l'Inde d'on il est tiré. Les Hébreux ont sept mots pour désigner for. Le Cantique des cantiques nous apprend aussi que l'amante ou l'épouse est celle qui, pour reposer, veut être aux côtés de son bien-aimé.

" Ecoutez, ma fille; voyez et prêtez l'oreille! Oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris de votre beauté. Car c'est lui qui est votre Dieu, et les peuples l'adoreront. " L'hébreu porte . " C'est lui qui est votre Dieu, prosternez-vous devant lui. " Jusqu'ici le Saint-Esprit s'est exprimé par la bouche du prophète, qu'il compare à la plume d'un " écrivain rapide, " en adressant la parole au roi, au vainqueur, à Dieu, à l'époux. On voit ensuite le père parler à l'épouse de son fils, et l'exhorter à rejeter ses anciennes erreurs et son idolâtrie, et à prêter l'oreille à ce qui va lui être dit. Puis il l'invite à passer dans sa famille et à devenir sa fille. Il l'engage encore à se pénétrer de ce qui lui est exposé clairement, ainsi que des mystères, pour s'élever de l'intelligence des choses matérielles à celle des choses invisibles, de la connaissance des créatures à celle du Créateur, et à prêter une attention profonde pour garder dans sa mémoire les paroles qu'elle va entendre. Et après qu'elle aura vu et entendu, après qu'elle aura prêté l'oreille et qu'elle se sera complètement appliquée à comprendre et à connaître ce qui lui sera enseigné, elle devra oublier son peuple, et, semblable à Abraham quittant la Chaldée, abandonner elle-même sa patrie et sa famille. Nous savons qu'avant d’être adoptés par Dieu nous avions le démon pour père; le Sauveur a dit en effet : " Vous êtes les fils du démon. " Or, aussitôt qu'elle aura oublié son vieux père, et que, se purifiant de ses souillures, elle se sera dégagée des liens de famille et élevée au-dessus d'elle, Dieu lui déclare qu'alors elle sera digne de l’amour de son fils, et que " le roi s'éprendra de sa beauté. " Ce n'est pas d'un homme ordinaire qu'elle doit être aimée, c'est de son roi et de sots seigneur. Le pouvoir seul fait, les rois et les princes; mais pour être rois et princes, ils ne sont pas d'une autre nature que ceux sur lesquels ils règnent. Ici le roi est Dieu et l'épouse doit l'adorer. Les Septante ne portent pas : "Vous l’adorerez, " mais " on l'a dorera ; " c'est-à-dire : celui qui vous aimera, qui s'éprendra de votre beauté est Dieu, et il doit être adoré de tous Ce qui; nous avons dit de l'Église formée de l'union des nations, chaque fidèle doit s'en faire l'application ; que son âme renonce à ses vices, et Dieu l'adoptera pour sa fille. Hommes de foi, prêtez l'oreille, oubliez vos anciens errements, abandonnez avec l'Apôtre votre père défunt, et rendez-vous digne de l’amour du roi. Car il est le Seigneur devant qui il faut fléchir le genou, et dont il faut humblement subir le joug en faisant abnégation de tout orgueil.

Demandez aux Juifs quelle est cette .jeune fille à qui parle le Seigneur: ils répondront infailliblement que c'est leur synagogue. Mais comment peut-il dire à la synagogue et à la nation israélite: " Abandonnez votre peuple et la maison paternelle?" comment Israël peut-il quitter lé peuple hébreu, et Abraham délaisser son vieux père? D'un autre côté, s'ils prétendent que ces mots expriment la vocation d'Abraham quittant la Chaldée, quel serait alors ce roi qui doit aimer la beauté d'Abraham? Assurément celui qui s'écrie : " Écoutez, ô ma fille, " n'est autre que celui dont il est dit : " Le roi sera épris de votre beauté. " Ce dernier n'est pas seulement roi, mais il est le seigneur et le roi qu'on doit adorer.

" Fille de Tyr, les grands de la terre viendront implorer vos regards en vous apportant des présents. " L'hébreu porte : " Fille du Tout-Puissant, les grands de la terre viendront implorer vos regards en vous apportant des présents. " Le mot Sor, qui se trouve plus de soixante-dix fois dans Ezéchiel, peut se rendre par : Tyr, par: fort, ou: forte, par : tribulation, par silex ou: pierre dure. Ces diverses acceptions ont égaré les commentateurs. Aquila, les Septante, Théodotien et la quinte édition traduisent Sor par: Tyr. Sexta a employé le mot Sor lui-même. Symmaque l'a traduit par krataian, c'est-à-dire: très-puissante. Quant à nous, nous appliquons cette épithète à Dieu lui-même, de sorte que nous désignons celle à qui s'adressent ces mots : " Ecoutez et voyez, ô ma fille, " sous le nom de : fille du Tout-Puissant. Ce n'est pas qu'elle ne puisse revendiquer cette qualification de toute-puissante¸ puisqu'à l’exemple du Très-Haut, les grands de la terre implorent, ses regards à force de présents. Par ces "grands de la terre " on peut entendre: les hommes riches en bonnes oeuvres et en science, ou bien : les puissants aux yeux du monde, c'est-à-dire: les sages et les adeptes de la philosophie du siècle, ou bien encore, et cette interprétation est la plus probable : ceux qui étaient puissants auparavant , et qui possédaient la révélation divine, les Ecritures et les prophètes, c'est-à-dire: le peuple d'Israël. De même en effet qu'avant l'arrivée du Sauveur ceux de Tyr ou les gentils qui désiraient avec ardeur d'être prosélytes imploraient le peuple d'Israël puissant alors, et étaient introduits par lui dans le temple, de même depuis le Messie, ceux qui voudront croire, parmi cet Israël autrefois tant favorisé de la familiarité et de la protection de Dieu, viendront à la "jeune fille de Tyr" lui offriront l'hommage de leurs vertus et leur conversion en Jésus-Christ, et l'imploreront pour trouver parmi les gentils ce salut s'ils avaient perdu dans Juda.

" La fille du roi est au dedans toute éclatante de gloire; ses vêtements sont ornés de broderies et de franges d'or. " L'hébreu porte: " La fille du roi est au-dedans toute éclatante gloire; elle est revêtue de voiles d'or. " Au lieu de esothen qu'on lit dans les Septante, quelques exemplaires portent esebon, qui veut dire: pensée. Nous voyons par là que la gloire de l’Eglise, de cette Eglise à qui s'adressaient ces mots : " Ecoutez, ô ma fille, vous êtes la fille de Tyr, " et que l'on appelle maintenant " la fille du roi, " est toute intérieure et toute spirituelle, c'est-à-dire qu'elle vient du coeur de l'homme, et qu'elle consiste dans une circoncision mystique et non plus matérielle; ou bien encore qu'elle met toute sa confiance en Dieu, et qu'elle fait consister sa beauté plutôt dans le sens et les choses que dans l'éclat des mots. De même que le fil auquel s'attache la frange est entrelacé à une trame, et que c'est de leur solide arrangement que dépend la qualité de l'étoffe, ainsi, dans le brillant tissu dont est formée l'Eglise, la nature et les moeurs ont ajouté quelques matériaux aux diverses significations des Ecritures. La robe d'Aaron, tissue d'or, de soie, de pourpre, de lin et d'hyacinthe par la main. des femmes à qui Dieu Avait donné l'habileté dans leur art, en est la figure. Pour nous faire sentir que toute la beauté de la " fille du roi " est intérieure, celle-ci dit elle-même dans le Cantique des cantiques : " Le roi m'a fait entrer dans sa demeure la plus secrète. " Ces mots sont pour nous un précepte de prier Dieu à l'écart et du fond de nos cœurs. Le psaume neuvième a pour titre : Sur les secrets du fils. Joseph était aussi vêtu d'une robe de diverses couleurs que l'Eglise sa mère lui avait faite. La femme malade d'une perte de sang toucha le bord de la robe du Sauveur, et elle fut guérie. Les mots du texte hébraïque : " Elle est revêtue de voiles d'or, " ont la même signification que ceux qui les précèdent : " Elle est au dedans toute éclatante de gloire. " En effet, l'Eglise est comme enveloppée et recouverte par le voile des divines allégories. " L'épouse, dit Jérémie, ne peut se passer du voile qui recouvre sa poitrine et qui protège son sein, foyer de son amour et de ses pensées. "

" Les vierges seront amenées à sa suite devant le roi; ses compagnes vous seront présentées; elles seront introduites en pompe et en triomphe dans le temple du roi. " D'après les Septante, la première partie du verset célèbre encore la beauté de la jeune fille; la seconde s'adresse à l'époux et au roi. Dans le texte hébreu on continue de parler à l'épouse jusqu'à ces mots : " Vous les établirez princes sur toute la terre. " Ce texte porte : " A sa suite on conduira vers le roi les vierges parées de réseaux; ses compagnes lui seront présentées, elles seront amenées en pompe et en triomphe, et introduites dans son palais. " Le passage suivant du Cantique des cantiques : " Soixante reines, quatre-vingts concubines et des jeunes filles sans nombre habitent le palais du roi. J'en chéris une entre toutes : c'est une colombe pleine de perfection. Les jeunes filles l'ont vue et l'ont appelée bienheureuse; les reines, toutes les femmes l'ont célébrée; " ce passage, dis-je, dépeint les nombreuses nuances qui existent entre les âmes des fidèles de Jésus-Christ. L'âme sainte et accomplie est seule digne du nom de colombe et de bien-aimée; c'est la jeune fille dont il était dit plus haut : " Elle est restée debout à vos côtés, toute revêtue d'or. " Les " reines, " ce sont les âmes qui, se transportant en désirs à la fin des siècles, soupirent après les royaumes futurs; les " concubines, " celles qui ont reçu la circoncision suivant la loi, mais qui ne sont pas encore engagées dans les liens du mariage. Par les " jeunes filles " il faut entendre cette foule d'âmes qui n'ont pu voler entre les bras de l'époux, et qui sont restées encore infécondes. Je pense, Principia, que vous, ainsi que toutes celles qui conservent la virginité du corps et de l’âme, faites partie du choeur des vierges placées au premier rang à la suite de l’Eglise. Leurs " compagnes, " ce sont les veuves, et les femmes qui vivent avec continence dans le mariage. Toutes ensemble sont conduites en pompe et en triomphe au temple et à la demeure du roi. Au temple elles entrent prêtresses de Dieu; dans la demeure du roi et. de l'époux elles sont épouses et amantes. C'est le temple que saint Jean a vu dans l'Apocalypse et auquel aspire le prophète. " J'ai demandé, " s'écrie-t-il, " une grâce au Seigneur, et je lui demanderai encore celle d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. " " J'entrerai, " dit-il ailleurs, " dans le sanctuaire admirable, je pénétrerai dans la maison de Dieu même, parmi les chants de triomphe et au milieu des cris d'allégresse qui s'élèvent dans les solennités. " Le "réseau " dont se pare l'épouse pour son époux n'est pas autre chose que les vêtements brodés dont parlent les Septante.

" A la place de vos pères, il vous est né des enfants. Vous les établirez princes sur toute la terre. " On peut supposer ici que le Père (ou , si l’on veut, le Saint-Esprit et les fils de Corée ) cesse de chanter les louanges de la jeune fille, et qu'il lui adresse de nouveau la parole. Or s'il s'agit ici de " l'épouse, " et que cette épouse soit l'Eglise des nations à laquelle on vient de dire : " Oubliez votre peuple et la maison paternelle, " il faut d'abord connaître ses ancêtres pour connaître ses fils. A la place de vos pères, de ces hommes qui, suivant l'expression de Jérémie, "s'adonnèrent au culte des idoles impuissants à verser sur nous la rosée; " à la place des Platons et des autres professeurs de systèmes et d'erreurs, il vous est né des enfants dont vous avez fait vos princes et les précepteurs des nations. En d'autres termes, vous avez, ô sainte Eglise, engendré des fils qui se retourneront contre leurs pères quand de disciples vous en aurez fait des maîtres, et que vous les aurez, de l'aveu de tous, investis du sacerdoce. Si nous considérons Abraham, Isaac, Jacob et les autres patriarches comme les "pères " de l'Eglise, il nous faut regarder comme ses enfants, comme des fils nés pour la gloire de leurs pères, les apôtres, que Dieu a envoyés prêcher jusqu'à l’extrémité de la terre et baptiser les fidèles au nom de la sainte Trinité. On se demandera toutefois comment l'Eglise des nations peut avoir pour " pères " Abraham, Isaac et Jacob, tandis qu'il lui est ordonné " d'oublier son peuple et la maison paternelle. " Ouvrons l' Evangile, nous y trouvons ces paroles : " N'allez pas dire Abraham est notre père; car Dieu peut faire naître de ces pierres mêmes (c'est-à-dire du coeur endurci des gentils) des fils à Abraham. " Et plus loin : " Si Abraham était votre père, vous feriez les rouvres d'Abraham. " Mais d'un autre côté, Dieu dans la Genèse dit à Abraham: " En toi seront bénies toutes les nations. " En effet, ce patriarche s'est sauvé dans la circoncision par la foi; nous aussi nous serons sauvés si nous avons la foi et les vertus d'Abraham. On peut encore supposer que le verset est adressé au Sauveur par Dieu ou par le Saint-Esprit, et le choeur des prophètes; et voici quel en serait le sens : A la place de vos pères, c'est-à-dire de la race des Juifs qui vous a abandonné et renié, il vous est né des fils que vous avez établis princes sur toute la terre: ce. sont les apôtres et les fidèles.

" Je me souviendrai de votre nom da toutes les générations. Les peuples vous glorifieront dans le temps et dans l'éternité. " Au lieu de " vous glorifieront, " Symmaque traduit " vous loueront. " La reine que le prophète nous représente resplendissante d'or à la droite du Très-Haut et à qui il adresse ces paroles : " Abandonnez votre peuple et la maison paternelle; il vous est né à la place de vos pères des fils que vous avez établis princes sur toute la terre, " la reine, dis-je, voyant la gloire et la récompense qui l'attendent , élève sa voix vers son époux et lui jure de garder à jamais son nom dans son coeur. Sa promesse, nous la voyons accomplie. Chrétiens, elle nous a donné le nom de chrétien, nom nouveau dans lequel seront bénis tous les peuples de la terre. Ce n'est pas dans une seule génération, mais dans toutes, qu'elle doit garder ce souvenir; et par ce mot elle entend toutes les nations, ou les deux races des Juifs et des gentils. Or, comme ce serait peu que deux générations conservassent le nom. du Seigneur, tous ces peuples dont se compose l'Eglise le reconnaîtront et le glorifieront. Et vous, ô Principia, ô ma fille, quand vous vous mêlerez au choeur des vierges pour être conduite devant le roi des rois, et que vous ferez sa gloire et ses délices dans son palais d'ivoire, accordez un souvenir au vieux prêtre qui, éclairé de l'inspiration divine, vous a fait connaître le sens de ce psaume. Ecriez-vous : " Je me souviendrai de votre nom, " afin d'entendre en entier le Cantique des cantiques, dont vous aurez compris une partie, si Dieu vous accorde de longs jours sur la terre.

 

 

 

 

EXPLICATION DE LA PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE.

AU PAPE DAMASE.

Votre Sainteté, en me proposant la difficulté, l'a expliquée elle-même; et interroger de sorte, c'est mettre sur la voie ceux que l'on interroge. En effet, il y a de grandes lumières ms une demande sagement posée. " Quel est, dites-vous, ce père dont parle l'Évangile, qui partage son bien à ses deux enfants? quels sont ces deux fils? Le plus jeune, après avoir dissipé son patrimoine avec des courtisanes, tombe dans le dénûment, et se trouve réduit à garder les pourceaux et à se nourrir de racines; puis il retourne près de son père, qui lui donne un anneau et une robe et fait tuer un veau gras pour le recevoir. Son frère aîné revient des champs et porte envie à l'accueil que l'on fait à son frère. " Je sais, " ajoutez-vous, " que les commentateurs expliquent différemment cette parabole : quelques-uns pensent que le fils aîné représente le peuple juif, et que le puîné est la figure des gentils. " Mais, je le demande, comment peut-on appliquer au peuple juif ce que dit le fils aîné: " Voilà déjà bien des années que je vous sers sans vous désobéir en rien, et jamais vous ne m'avez donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis; " et ce que lui répond son père: " Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à vous? " Si, d'accord avec vous, nous voulons y voir le symbole du juste et du pécheur, comment peut-on concevoir que le juste s'afflige du salut de son prochain, et surtout de son frère? Car, si la mort est entrée dans le monde par l’envie du démon, et si les partisans de l'esprit malin sont ses imitateurs, peut-on attribuer à un homme juste cette hideuse jalousie qui porte le fils aîné de la parabole à demeurer sur le seuil de la maison, à opposer tant de froideur aux caresses de son père, et à rester seul, le front pâle, le coeur ulcéré, sans vouloir prendre part à la joie de la famille? Il faut donc que nous examinions le motif et l'occasion qui ont inspiré ces paroles au Sauveur, de même que nous avons coutume de le faire pour toutes les paraboles dont Jésus-Christ lui-même n'a pas révélé le sens.

Les publicains et les pécheurs se tenant auprès de Jésus pour l'écouter, les scribes et les pharisiens en murmuraient et disaient: "Pourquoi cet homme reçoit-il les pécheurs et mange-t-il avec eux? " Leur jalousie venait de ce que le Seigneur ne dédaignait pas de manger et de s'entretenir avec des gens que la loi de Moise condamnait. Tel est le récit de saint Luc; voici celui de saint Mathieu: " Jésus étant à table dans une maison, il y vint beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie, qui se placèrent près du Seigneur et de ses disciples. Alors les pharisiens dirent à ces derniers: " Pourquoi votre maître mange-t-il avec des pécheurs et des publicains?" Jésus les ayant entendus, leur dit: " Ce ne sont pas les sains, mais les malades qui ont besoin de médecin. Allez, et apprenez cette parole : j'aime mieux la miséricorde que le sacrifice; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. " Saint Marc se sert des mêmes termes. C'était donc au nom des préceptes de la loi que les pharisiens élevaient leurs murmures. Cette loi, d'une justice rigoureuse, fie connaissait pas la clémence : point de pardon pour l’adultère, l’homicide, le faussaire; le crime ne pouvait se soustraire à l’expiation ; il fallait donner oeil pour oeil, dent pour dent, vie pour vie. " Tous s'étaient détournés du droit chemin et étaient devenus inutiles : il n'y en avait point qui fissent le bien, il n'y en avait pas un seul. Mais où avait abondé le péché Dieu a répandu une surabondance de grâces. (Rom.3.) Il a envoyé son fils, né d'une femme, lequel, brisant la muraille qui séparait le juif du gentil, de ces deux peuples n'en a fait qu'un, et a adouci par la grâce de l'Evangile la rigueur et l'austérité de la toi. " (Galat. 4. Eph. 2) C'est ce qui fait dite à saint Paul, écrivant aux fidèles : " Que Dieu, notre père, et notre Seigneur Jésus-Christ vous donnent la grâce et la paix;" sa grâce qui n'est point due à nos mérites, mais que nous recevons de la bonté de celui qui la donne; la paix qui à opéré 'notre réconciliation avec Dieu, et que nous devons à la médiation de Jésus-Christ. Car Jésus nous a pardonné nos péchés, il a anéanti, en l'attachant à sa croix, ce contrat de mort qui pesait sur nous, et il a mené en triomphe les puissances et les principautés, après les avoir vaincues sur la croix.

Quel excès de bonté pour le fils de Dieu que de devenir fils de l'homme, de demeurer, pendant dix mois dans le sein de sa mère, d'attendre patiemment le moment de la naissance, de se laisser envelopper de langes, et de passer par tous les degrés de l'enfance sous l'autorité de ses parents! Il se résigne aux injures, aux soufflets, à la flagellation; obéissant jusqu'à sa mort aux volontés de son père, il se soumet à la malédiction de la croix pour nous racheter de la malédiction de la loi; et il accomplit ce qu'il avait demandé auparavant en qualité de médiateur : " Mon père, je souhaite qu'ils ne soient qu'un en nous, comme nous ne sommes qu'un vous et moi. " Or, comme il était venu pour opérer par son ineffable miséricorde ce que la loi ne pouvait faire, c'est-à-dire pour nous sauver, il exhortait à la pénitence les publicains et les pécheurs, et il cherchait à s'asseoir à leur table afin de pouvoir les instruire; car dans toutes ses actions et dans toutes ses démarches ce divin Sauveur n'avait en vue que le salut des hommes, comme on peut s'en convaincre en lisant attentivement l'Évangile.

Mais c'est en cela même que les scribes et les pharisiens l'accusaient de violer la loi. " Voyez cet homme, " disaient-ils, " il aime à faire bonne chère, et il est l’ami des publicains et des gens de mauvaise vie. " Ils lui avaient déjà fait un crime de guérir les malades le jour du sabbat. Ce fut donc pour renverser leurs accusations par les efforts de la raison et de la douceur que Jésus leur proposa trois paraboles : la première est celle du pasteur qui, laissant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur la montagne, en va chercher une qui s'était égarée et la rapporte sur ses épaules ; la deuxième est celle de la femme qui allume sa lampe pour chercher la drachme qu’elle a perdue, et qui, après l'avoir trouvée, invite en ces termes ses compagnes à prendre part à sa joie: "Félicitez-moi, j'ai retrouvé la drachme que j'avais perdue;" enfin la troisième est celle des deux enfants, que Votre Sainteté m'ordonne d'expliquer.

Quoique les deux paraboles de la brebis égarée et de la drachme perdue aient le même sens, ce n'est point ici le lieu d'en parler. Je me contenterai de dire que tous ceux à qui la pénitence n'est pas nécessaire doivent se réjouir de la conversion des pécheurs et des publicains, à l'exemple des anges et des compagnes qui se félicitent de voir retrouver la brebis et la drachme égarées. Tel est l'esprit de, ces deux paraboles. Aussi je suis étonné que Tertullien, dans son livre sur la chasteté, où il combat la pénitence et où il professe des opinions contraires aux traditions de l'Église, ait prétendu que les publicains et les pécheurs qui mangeaient avec Jésus-Christ étaient païens, se fondant sur ce texte de l'Écriture : " Aucun des enfants d'Israël ne paiera l'impôt. " Mais saint Mathieu n'était-il pas publicain et Juif en même temps, ainsi que cet autre publicain qui, priait dans le temple avec le pharisien et qui n'osait lever les yeux au ciel? Saint Luc ne dit-il pas aussi : " Le peuple et les publicains, ayant entendu la parole de Jean, bénirent Dieu et se firent baptiser?" D'ailleurs était-il croyable qu'un païen fût entré dans le temple, ou que Jésus-Christ eût mangé avec des païens, lui qui craignait sur toutes choses de donner atteinte à la loi, lui qui n'était venu que pour chercher dans Israël les brebis égarées, et qui répondit à la femme chananéenne implorant la guérison de son fils: " Il ne faut pas prendre le pain des enfants et le donner aux chiens; " lui enfin qui avait dit à ses disciples : " N'allez pas vers les gentils et n'entrez pas dans les villes des Samaritains?" Tout cela fait voir que par le mot de "publicain" on doit entendre, non pas les gentils en particulier, mais tous les pécheurs en général, soit Juifs, soit gentils . Tertullien en soutenant, selon les visions de ces femmes impies et insensées (1), que les chrétiens ne doivent pas être admis à la pénitence, a donc eu tort de prétendre que les publicains n'étaient pas Juifs mais païens.

Revenons à notre parabole. Je vais citer les paroles de l'Évangile et j'y joindrai, en forme de commentaire, les idées qu'elles me suggéreront.

" Un homme avait. deux enfants." L'Ecriture en plusieurs endroits donne à Dieu le nom d'homme. " Le témoignage de deux hommes est vrai, " dit Jésus-Christ : " or, je me rends témoignage à moi-même, et mon Père qui m'a envoyé me rend aussi témoignage. " Dans une autre parabole Dieu est appelé " pasteur;" ailleurs encore "père de famille; " là il " loue sa vigne; " ici il " convie aux noces. " Toutes ces paraboles ne tendent qu 'à condamner l'orgueil des Juifs et à inviter à la pénitence tous les pécheurs en général, Juifs ou gentils. Les deux enfants sont les deux peuples dont la vocation est un des mystères les mieux marqués dans l'Ecriture.

" Le plus jeune dit à son père : " Mon père, donnez-moi ce qui doit me revenir de votre bien. " Notre vie, nos sentiments, nos pensées, nos paroles appartiennent à Dieu ; c'est un bien qu'il a partagé entre tous les hommes, suivant l'expression de l'évangéliste: " Il était la vraie

(1) Prisca et Maxilla, qui partageaient, ainsi que Tertullien, les opinion de Montan.

lumière qui illumine tout homme venant en ce monde. " Le bien dont il nous a dotés, c'est " l'ail droit que nous devons préserver de scandale, "c'est " la lampe qui éclaire notre corps, c'est " le talent " qu'il ne faut pas " envelopper dans le manteau, " en menant une vie molle et oisive, ni "cacher dans la terre" en livrant notre coeur à des désirs et des pensées terrestres.

"Le père leur fit le partage de son bien, " Le texte grec porte : " Il leur donna de quoi vivre." En d'autres termes, il leur donna le libre arbitre; il voulut que chacun pût agir, non sous l'influence de la volonté divine, mais sous celle de sa propre détermination, non d'après les lois de la nécessité, mais suivant l'impulsion de sa volonté; il donna à l'homme cette liberté. afin qu'il devint capable de vertu, afin qu'en faisant ce qu'il voulait, à l'exemple de Dieu, il se distinguât des autres animaux. Aussi c'est avec une égale justice que le pécheur est condamné aux châtiments et que le juste reçoit sa récompense.

"Peu de jours après, le plus jeune de ces deux enfants, avant réuni tout ce qu'il avait, s'en alla dans un pays étranger fort éloigné. " Si Dieu tient le ciel et la terre dans sa main, si, comme dit Jérémie, " il s'approche, il est près de nous, " ou, suivant les expressions du prophète-roi, si " Dieu est en tous lieux, " comment un enfant peut-il quitter son père et s'en aller dans un pays étranger fort éloigné? Remarquons que ce n'est pas par la distance des lieux, mais par les affections du coeur que nous sommes avec Dieu, ou que nous nous en éloignons. De même qu'il dit à ses apôtres : " Je serai toujours avec, vous jusqu'à la consommation des siècles, " de même aussi il dit à ceux que leur orgueil rend indignes d'être avec le Seigneur : " Je ne vous ai jamais connus; retirez-vous de moi, vous qui faites des oeuvres d'iniquité. "

Ce jeune homme se sépara de son père avec tout son bien et s'en alla clans un pays éloigné. C'est ainsi que Caïn, après s'être retiré de devant la face du Seigneur, alla demeurer dans la terre de Naïd, ou d'agitation. En effet, lorsqu'une âme s'éloigne de Dieu, elle est en proie à d'éternelles agitations et elle se voit exposée à toutes les tempêtes. Quand les hommes abandonnèrent, après le déluge, les contrées de l'Orient, et s'éloignèrent de la véritable lumière, dans les efforts de leur impiété, ils élevèrent une tour contre Dieu ; c'est-à-dire qu'ils bâtirent d'orgueilleux systèmes, et qu'ils voulurent par une curiosité criminelle pénétrer les secrets du ciel. Ce lieu fut appelé Babel, ou : confusion.

" Là il dissipa tout son bien en menant une vie licencieuse. " La volupté est ennemie de Dieu et des vertus chrétiennes; elle nous fait dissiper l'héritage de notre père céleste, et en nous séduisant par l'attrait du plaisir, elle nous empêche de songer à la misère qu'elle nous réserve.

" Après qu'il eut dépensé tout ce qu'il possédait, il survint une grande famine dans ce pays. " Il avait reçu de son père le pouvoir de découvrir les choses invisibles au moyen de celles qui tombent sous les sens, et de connaître le Créateur par la beauté des créatures; mais lui, au mépris de la justice et de la vérité, il rendit aux idoles le culte qu'on ne doit qu'à Dieu, et dissipa les trésors dont la nature l'avait gratifié. Alors il se vit privé de toutes les vertus dont il avait abandonné la source. " Il survint une grande famine dans ce pays. " Tout lieu où nous sommes sans notre père est un lieu de famine, de misère et d'indigence. C'est de ce lieu que parle le prophète, lorsqu'il s'écrie: " O vous qui habitez dans la ténébreuse région de la mort , une lumière se lèvera pour vous. " Il est au contraire une région que doivent posséder ceux qui ont un cœur pur, et après laquelle soupirait David. "J'espère, " disait le saint prophète, " voir un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants. "

" Il commenta à tomber dans la détresse c'est pourquoi il s'en alla et il s'attacha au service d'un des principaux du pays. " Ce jeune homme abandonne le plus généreux des pères pour s'attacher à un prince de ce monde, c'est-à-dire au démon, qui est le prince de ce siècle de ténèbres. L'Ecriture donne encore à celui-ci une foule d'autres noms, tels que ceux " d'homme ennemi, " de "juge d'iniquité, " de " dragon, " de " satan, " de " marteau, " de " Bélial, " de " lion rugissant, " de " Léviathan, " de " Béhemoth, " etc. Le texte porte : " un des principaux du pays, "ce qui nous fait voir qu'il existe un grand nombre de démons ; l'air est infesté de ces esprits malfaisants qui, par les attraits du vice, cherchent à ranger le genre humain sous leur domination.

" Et cet homme l'envoya dans sa maison des champs pour y garder les pourceaux. " Le pourceau est un animal immonde qui ne se plaît que dans la fange. Telle est aussi la nature des démons : ils aiment le sang des victimes immolées aux idoles , et ils se repaissent d'un holocauste plus précieux encore, de la mort de l'homme lui-même. Il l'envoya donc dans sa maison pour y garder les pourceaux , c'est-à-dire qu'il se l'asservit et lui fit immoler son âme.

" Il désirait se nourrir des cosses que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. " Nous voyons dans ce jeune homme une nouvelle application des terribles paroles qu'Ezéchiel adresse à Jérusalem: " A la différence des autres prostituées, tu as payé le prix de ta prostitution au lieu de le recevoir. " Après avoir dissipé tout son bien, il est réduit à garder les pourceaux et souffre toutes les angoisses de la misère et de la faim. Les basses voluptés, les passions impures, tous les vices, en un mot, sont la nourriture des démons. Ces ennemis de notre salut ont-je ne sais quoi de séduisant et de corrupteur; ils savent nous attirer par les funestes appâts du plaisir; aussitôt qu'ils se présentent à nous ils éveillent et excitent nos passions. Ce jeune homme ne pouvait assouvir les siennes , car la volupté laisse toujours après elle le vide et l'insatiété. Lorsqu'une fois le démon a pu par ses artifices séduire une âme et l'assujettir à sa tyrannie, il ne se met pas en peine de la plonger plus avant dans le crime, parce qu'il sait qu'elle est déjà frappée de mort. C'est ainsi que nous voyons une foule d'idolâtres mourir de faim et expirer dans l’indigence; à eux aussi on peut appliquer ces paroles du prophète. " Tu as payé toi-même ceux qui t'aimaient, et tu n'as pas reçu d'eux le prix de la prostitution. "

" Il désirait se nourrir des cosses que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. " On peut encore donner un autre sens à ces paroles. La poésie, la fausse sagesse du monde, la vaine éloquence des rhéteurs sont la nourriture des démons. Elles ont des beautés et des agréments qui charment tous les hommes; leur agréable cadence et leur douce harmonie, en flattant l'oreille, saisissent l'esprit et enchantent le cœur; mais étudiez avec attention ces sortes d'ouvrages, vous n'en tirez qu'un son vide qui frappe et étourdit les oreilles; vous n'y trouvez ni ce goût de la vérité qui rassasie l'esprit , ni ce pain de la justice qui nourrit une âme chrétienne. Le Deutéronome nous peint cette sagesse mondaine sous la figure d'une femme faite prisonnière à la guerre si quelqu'un d'entre les enfants d'Israël voulait l'épouser, il devait auparavant lui couper les ongles et lui raser les cheveux, et ce n'était qu'après l'avoir purifiée de la sorte qu'il pouvait la prendre pour épouse; vaine et ridicule cérémonie, si on la prend à la lettre. Nous usons de cette salutaire précaution lorsque nous lisons les livres des philosophes, ou qu'il tombe entre nos mains quelque ouvrage de ces pré tendus sages du siècle. Ce que nous y trouvons de bon et d'utile , nous l'accommodons aux principes de notre religion; les choses superflues, par exemple ce qu'ils disent de l'amour, des idoles, de l'attachement aux choses du siècle, nous le rejetons comme inutile; ce sont les ongles et les cheveux de la femme captive que nous devons retrancher. Ainsi, l'apôtre saint Paul défend aux chrétiens de manger dans un lieu consacré aux idoles. " Prenez garde, leur dit-il,.. que cette liberté que vous vous donnez ne soit aux faibles une occasion de chute; car si l'un d'eux voit un de ses frères, plus instruit que lui, assis à table dans un lieu consacré aux idoles, ne sera-t-il pas porté, lui dont la conscience est encore faible, à manger aussi de ces viandes impures? Par votre science vous perdriez une âme pour laquelle Jésus-Christ est mort. " N'est-ce pas dire en d'autres termes : N'ouvrez pas les livres des philosophes, des poètes et des orateurs; ne mettez pas votre plaisir à lire ces sortes d'ouvrages ?

En vain nous alléguons que nous n'ajoutons point foi aux fables dont ces auteurs ont rempli leurs écrits, cette raison ne nous justifie pas, parce que nous pouvons être une occasion de scandale pour tous ceux qui pensent que, loin de condamner ce que nous lisons, nous en approuvons les doctrines. Un semblable raisonnement conduirait. à dire que saint Paul louait ceux qui dans le temple des idoles mangeaient des viandes immolées. A Dieu ne plaise qu'une bouche chrétienne prononce jamais les noms de Jupiter, d'Hercule, de Castor, noms plus convenables à des monstres qu'à des divinités! Cependant aujourd'hui nous voyons des ministres du Seigneur, négligeant l'Evangile et les prophètes, lire des pièces de théâtre, avoir sans cesse Virgile entre les mains, chanter les chansons amoureuses que ce poète mit dans la bouche de ses bergers, et trouver un plaisir criminel dans ce qui doit être uniquement un objet d'études pour la jeunesse. Si donc cette captive a su gagner notre cœur par ses attraits, et si nous voulons la prendre pour épouse, abstenons-nous de manger avec elle dans le temple des idoles, purifions-la de ses souillures et retranchons ce qu'elle a d'impur, de peur que notre frère, pour qui Jésus-Christ est mort, ne soit scandalisé de nous entendre réciter des vers composés à l'honneur des faux dieux.

Enfin ce jeune homme, étant rentré en lui-même, se dit : " Combien y a-t-il dans la maison de mon père de serviteurs à gages qui ont plus de pain, qu'il ne leur en faut! et moi je meurs ici de faim ! " On peut regarder comme des serviteurs à gages, ou plutôt comme des mercenaires, ceux d'entre les Juifs qui n'observent la loi que dans la seule vue des biens présents. Ils sont justes et charitables, non par un principe de charité ni par un véritable amour de la justice, mais afin d'obtenir de Dieu une longue et paisible jouissance des biens de la terre. Ils n'observent donc les commandements du Seigneur que par intérêt, et de peur qu'en les transgressant ils ne se voient privés de ces biens temporels qui font tout l'objet de leurs désirs. Or, la crainte ne se trouve pas avec la charité, mais " la charité parfaite chasse la crainte (Jean). " Lorsqu'on aime véritablement Dieu, ce n'est ni par l'appréhension des supplices , ni dans la vue de récompenses qu'on observe ses préceptes; on les pratique parce que l'on est persuadé que. tout ce qu'il commande est juste et bon. C'est donc ainsi qu'il faut expliquer ces paroles de notre Evangile : Combien y a-t-il de Juifs qui ne servent Dieu que dans la seule vue d'obtenir de lui des biens fragiles et passagers, tandis que moi je meurs ici de faim et de misère !

" Il faut que je me lève et que j'aille trouver mon père. " Quelle justesse dans cette expression: " il faut que je me lève ! " Éloigné de Dieu, il devait être couché et gisant sur la terre. Tel est le sort des pécheurs ; il n'appartient qu'aux justes d'être debout et de marcher le front haut. "Pour vous," disait Dieu à Moïse, " demeurez ici debout avec moi. " Le Psalmiste dit aussi au psaume cent trente-troisième: " Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes les serviteurs de Dieu, vous qui êtes debout dans la maison du Tout-Puissant. "

" Et je lui dirai : " Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d'être appelé votre fils. " Il avait péché contre le ciel en abandonnant la Jérusalem céleste, qui est sa mère ; il avait péché contre son père en quittant le Créateur pour adorer des dieux faits par la main des hommes. Il n'était plus cligne d'être appelé enfant de Dieu, parce qu'il avait préféré se rendre esclave des idoles.

"Traitez-moi comme un des serviteurs qui sont à vos gages ; " c'est-à-dire : traitez-moi comme ces Juil's qui rte vous servent que dans la vue des biens corporels que vous leur avez promis. Recevez un enfant touché d'un véritable repentir de ses désordres passés, vous qui tant de titis avez pardonné à vos serviteurs les fautes qu'ils ont commises.

" Et il s'en vint trouver son père. " Nous retournons vers notre père lorsque nous nous relevons de la dégradation où nous sommes tombés. Un prophète a dit : " Dès la première démarche que vous ferez pour vous convertir et pour pleurer vos péchés, je vous en accorderai le pardon. "

" Et lorsqu'il était encore bien loin, son père l'aperçut et fut touché de compassion. " Avant quo le pécheur retourne vers sort père par le mouvement d'une sincère pénitence et par la pratique des bonnes oeuvres, Dieu, qui connaît les choses à venir comme si elles étaient déjà présentes à ses yeux, va au-devant de lui, et le prévient par l'incarnation de son Verbe qui s'est fait homme dans le sein d'une Vierge.

" Et courant à lui, il se jeta à son cou. " Dieu descend sur la terre avant que le pécheur entre dans la maison paternelle pour y faire un aveu sincère de ses péchés: il se jette à son cou en se revêtant d'un corps mortel. Jésus-Christ fit reposer saint Jean s:ir son sein, il lui fit part de ses secrets et lui révéla la connaissance de ses mystères : de même, Dieu charge de son joug, qui n'a rien que de doux et d'aimable, ce jeune homme qui retourne vers lui; c'est-à-dire titre par un pur effet de sa grâce, et sans avoir égard aux mérites du pécheur, il lui impose une

règle qu'il est facile de suivre, la pratique de ses commandements.

" Et il le baisa. " C'est ce baiser que l'Eglise demande à son époux dans le Cantique des cantiques : " Donne-moi, " dit-elle, " un baiser de ta bouche, "je ne veux pas qu'il me parle par Moïse ni par les prophètes; je désire qu'il se revête de ma chair et qu'il me donne un baiser de sa bouche.

" Et son fils lui dit : " Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d'être appelé votre fils. " Il reconnaît qu'il n'est plus digne d'être appelé son fils; mais le sang qui coule dans ses veines, c'est lui qui le lui a transmis ; sa vie, c'est de lui qu'il la tient : il cède à l'instinct de la nature, et il s'écrie : " Mon père, j'ai péché contre le ciel. " Qu'on ne dise donc pas, comme quelques-uns l'ont fait, que les justes seuls ont le droit d'appeler Dieu leur père, puisqu'un pécheur ne craint pas de lui donner ce nom, tout en se reconnaissant indigne de celui de fils. Il se sent on effet animé de la confiance que donne une conversion sincère et parfaite.

" Alors le père dit à ses serviteurs : " Apportez promptement sa première robe, " revêtez-le de cette robe d'innocence qu'Adam a perdue par son péché, revêtez-le du Saint-Esprit; donnez-lui cette robe qu'on appelle dans une autre parabole la " robe nuptiale, " et sans laquelle personne n'est digne d'avoir part au festin du roi.

"Mettez-lui un anneau au doigt ; " c'est-à-dire le sceau de la ressemblance de Jésus-Christ , suivant ces paroles de saint Paul "Après avoir cru en Jésus-Christ, vous avez été scellés du sceau de l'Esprit-Saint qui avait été promis. " Ezéchiel, parlant au prince de Tyr qui avait perdu la ressemblance du Créateur, s'exprime ainsi : " Vous étiez le sceau de la ressemblance de Dieu, vous étiez parfait en beauté, et vous avez été créé dans les délices du paradis. " C'est aussi de ce sceau due parle le prophète Isaïe lorsqu'il s'écrie : " Alors on reconnaîtra ceux qui sont marqués du sceau de Dieu. " Lorsqu'on passe au doigt cet anneau, il devient le symbole des œuvres de justice, et c'est en ce sens que l'Ecriture dit : " Le Seigneur adressa la parole au prophète Aggée, et lui ordonna de dire à la ville de Jérusalem : " Je vous ai parée des ornements les plus précieux, et je vous ai mis des bracelets aux mains. " Dans Ezéchiel Dieu parle en ces termes à celui qui apparaît au prophète vêtu d'une longue robe : " Passez au travers de la ville, au milieu de Jérusalem, et imprimez une marque sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui s'y commettent. " Pourquoi cela? afin qu'ils puissent dire : " La lumière de votre visage est gravée sur nous, Seigneur. "

" Mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds. " Cet enfant, déchu de la qualité d'époux, ne pouvait célébrer la Pâques les pieds nus. C'est de cette chaussure que parle le Seigneur lorsqu'il dit par un prophète : " Je vous ai donné une chaussure magnifique. " Mettez-lui des souliers aux pieds, pour qu'il se garantisse des morsures de la couleuvre et qu'il foule aux pieds les scorpions et les serpents; en d'autres termes, afin que marchant, non selon la chair, mais selon l'esprit, pour prêcher l'Evangile de paix, on puisse lui appliquer ces paroles du prophète : " Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent l'Evangile de paix, de ceux qui annoncent les vrais biens! "

" Amenez et tuez le veau gras. Mangeons et faisons bonne chère, parce que mon fils que voici était mort, et il est ressuscité, il était perdu, et il est retrouvé " revient à ce que dit le Sauveur dans la précédente parabole : " Je vous dis de même que c'est une joie parmi les anges de Dieu lorsqu'un seul pécheur fait pénitence."

"Ils commencèrent donc à faire festin. " Nous faisons tous les jours ce festin, car tous les jours Dieu reçoit le pécheur pénitent, et tous les jours Jésus-Christ s'immole pour les fidèles.

" Cependant son fils aîné était dans les champs. " Jusqu'ici nous avons parlé du plus jeune de ces enfants; qui, selon notre parabole, est l'image des publicains et des gens de mauvaise vie que Jésus-Christ exhortait à la pénitence; quoique, dans un sens spirituel et mystique, il soit aussi la figure des gentils que Dieu devait un jour appeler à la foi. Il faut maintenant parler du fils aîné, qui, selon quelques-uns, représente tous les justes, et selon d’autres le peuple juif. Ce qu'il dit à son père " Je ne vous ai jamais désobéi en rien de ce que vous m'avez commandé, " peut fort bien s'appliquer aux saints ; mais il semble que la jalousie qu'il fait paraître du retour de son frère ne peut pas leur convenir. Cette jalousie au

contraire convient bien aux Juifs; mais on ne peut pas dire qu'ils ont toujours été fidèles observer les commandements du Père céleste. Nous expliquerons tout cela en son lieu.

" Cependant son fils aîné était dans les champs," uniquement occupé des choses de la terre, éloigné de la maison paternelle, privé dans son éloignement et des grâces du Saint-Esprit et des conseils de son père. C'est lui qui dit : " J'ai acheté une terre, il faut nécessairement que je l'aille voir; je vous supplie de m'excuser;" c'est lui qui a acheté " cinq couples de bœufs, " et qui, chargé du joug accablant de la loi, ne songe qu'à goûter les plaisirs des sens; c'est lui qui, ayant épousé une femme, ne peut aller aux noces, et qui, devenu tout charnel, ne peut avoir d'union avec le Saint-Esprit. Il est aussi la figure de ces ouvriers que, le père de famille, d’une autre, parabole, envoie à sa vigne à une; à trois, à six et à neuf heures, et qui murmurent de ce que ceux qui n'ont commencé à travailler qu'à la onzième heure reçoivent la même récompense.

" Lorsqu'il revint et qu'il fut proche de sa maison, il entendit des concerts et le bruit de ceux qui dansaient." C'est ce qu'exprime le mot promeleth, qui forme le titre d'un psaume

ce mot veut dire : un choeur de musiciens qui chantent ou jouent des instruments. C'est donc se tromper que de croire, comme font quelques auteurs latins, que le mot de symphonie signifie : un certain instrument de musique; car il veut dire : un concert d'instruments, ou: un chœur de plusieurs voix qui chantent les louanges de Dieu.

" Il appela donc un des serviteurs et lui demanda ce que c'était. " Le peuple juif demande encore aujourd'hui pourquoi Dieu se réjouit de la vocation des gentils, et, déchiré qu'il est par la passion de l'envie, il ignore les desseins du Père céleste.

" Le serviteur lui répondit : " C'est que votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras parce qu'il le revoit en santé. " C'est le salut des gentils et la conversion des pécheurs qui causent cette joie; les anges et toutes les créatures y prennent part, tout le monde en loue Dieu de concert; les Juifs seuls en murmurent.

" Ce récit l'ayant irrité, il ne voulait point entrer dans le logis. " Il se fâche de ce qu'on a reçu son frère en son absence, et il ne peut sans chagrin et sans indignation voir vivant celui qu'il croyait mort. Israël ne veut point entrer dans la maison paternelle, et, pendant que les disciples de Jésus-Christ entendent l'Evangile dans l'Eglise, sa mère et ses frères le cherchent dehors.

" Mais son père, étant sorti, le pria d'entrer. " Que ce père est bon ! qu'il est charitable il prie son fils de prendre part à la joie de toute la famille, et il l'en prie par les apôtres et par tous les ministres de l'Evangile. " Nous vous conjurons au nom de Jésus-Christ, " dit l'un d'eux," de vous réconcilier avec Dieu; " et dans un autre endroit: "Vous étiez les premiers à qui il fallait annoncer la parole de Dieu; mais, puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous en allons présentement vers les gentils. "

" Et son fils lui fit cette réponse : " Voilà déjà tant d'années que je vous sers. " Son père le supplie et le conjure de ne point troubler la paix et l'union de la famille; mais celui-ci, mettant sa justice dans l’observance de la lois ne veut point se soumettre à Dieu pour recevoir la justice qui vient de lui. Or, Dieu peut-il faire paraître sa justice d'une manière plus sensible qu'en pardonnant aux pécheurs convertis, et en recevant avec bonté ses enfants qui reviennent à lui par la pénitence?

" Voilà déjà tant d'années que je vous sers, et je ne vous ai jamais désobéi en rien de ce que vous m'avez commandé; " comme si ce n'était pas violer les commandements du Père céleste que d'être jaloux du salut d'autrui, et de faire vanité de ses bonnes oeuvres aux yeux d'un Dieu devant qui personne n'est exempt de péché. Car qui peut se vanter d'avoir le cœur pur, fût-ce un enfant d'un jour? " Vous savez, Seigneur, " disait David, "que j'ai été formé dans l'iniquité et que ma mère m'a conçu dans le péché; " et dans un autre endroit : " Si vous observez exactement nos iniquités, qui pourra, Seigneur, subsister devant vous? " Et cet enfant présomptueux se vante de n'avoir jamais transgressé les commandements de son père, lui qui tant de fois a été mené en captivité en punition de son idolâtrie!

" Voilà déjà tant d'années que je vous sers, et je ne vous ai jamais désobéi en rien de ce que vous m'avez commandé. " C'est dans ce sens que saint Paul a dit : " Que dirons-nous donc, sinon que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice, et la justice qui vient de la foi; et que les Israélites au contraire, qui recherchaient la loi de la justice, ne sont point parvenus à la loi de la justice? Et pourquoi? parce qu'ils ne font point recherchée par la foi, mais parles oeuvres de la foi. " Ce que dit ici l'aîné de notre parabole, on peut justement l'appliquer au Juif qui ne s'est jamais départi de la justice qui vient de la loi, quoiqu'il y ait à mon gré plus de présomption que de vérité dans ses paroles ; car il est comme le pharisien qui disait : " Mon Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain. " Ces paroles du pharisien et les reproches de l'aîné de la parabole ne vous semblent-ils pas inspirés par le même esprit?

" Je ne vous ai jamais désobéi, " dit-il, " en rien de ce que vous m'avez commandé. " Le père ne répond rien à cela; il ne lui dit point qu'il a raison de parler de la sorte, et qu'en effet il n'est jamais contrevenu à ses ordres; mais il tâche de l'apaiser par un autre motif en lui disant ; " Vous êtes toujours avec moi, " vous êtes avec moi par la loi qui vous lie et vous attache à mon service; vous êtes avec moi par les différentes captivités où je vous ai réduit pour éprouver votre fidélité; vous êtes avec moi, non point parce que vous avez toujours observé mes commandements, mais parce que je n'ai pas permis que vous vous éloignassiez de moi; enfin vous êtes avec moi de la manière dont je m'en suis expliqué moi-même en disant à David : " Si ses enfants abandonnent ma loi et s'ils ne marchent point dans mes préceptes, s'ils violent la justice de mes ordonnances et s'ils ne gardent point mes commandements, je visiterai avec la verge leurs iniquités et je punirai leurs péchés par des plaies différentes; mais je ne retirerai point de dessus eux ma miséricorde. " II est aisé de voir par ce passage que c'est à tort que ce fils aîné de notre Evangile se fait un mérite de sa prétendue fidélité, puisqu'il ne marche point dans les commandements de Dieu et qu'il n'observe point ses préceptes. Comment donc se peut-il faire qu'il ait toujours été avec son père, puisqu'il n'a pas obéi à sa loi? C'est que Dieu l'a châtié lorsqu'il s'est écarté de son devoir, et que ces châtiments lui ont mérité le pardon de ses péchés. Au reste il ne faut point s'étonner qu'il sit eu la hardiesse de mentir et d'en imposer à son père, puisqu'il a été capable de porter envie à son frère; surtout puisque, selon l'Evangile, il y aura des gens, au jour du jugement, qui porteront l'impudence et la fourberie jusqu'à oser dire à Jésus-Christ : " N'avons-nous pas bu et mangé, n'avons-nous pas chassé les démons et fait plusieurs miracles en votre nom?" Quant à ce qu'ajoute le père de famille: " Et tout ce que j'ai est à vous, " je me réserve de l'expliquer en son lieu.

" Cependant vous ne m'avez jamais donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis. " C'est-à-dire : quoiqu'il y ait eu tant de sang répandu en Israël et que nous ayons vu périr tant de milliers d'hommes, cependant il ne s'est trouvé personne qui ait donné sa vie pour nous sauver et nous délivrer de la servitude. Josias même, ce roi si agréable à vos yeux, et les Machabées qui ont combattu avec tant de zèle pour la défense de votre héritage, ont péri par l'épée de nos ennemis, malgré le respect dû à leur vertu, et leur sang ne nous a point rendu la liberté. Nous sommes encore aujourd'hui asservis à la cruelle domination des Romains, et il ne se trouve ni prophète, ni prêtre, ni aucun juste qui se soit immolé pour le salut de son peuple. Cependant vous avez répandu le plus beau et le plus précieux sang du monde pour un enfant débauché, c'est-à-dire: pour les gentils et pour les pécheurs; et vous comblez de vos grâces des étrangers qui s'en étaient rendus tout-à-fait indignes, tandis que vous refusez les moindres faveurs à un peuple qui semblait les mériter.

" Vous ne m'avez jamais donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis. " Vous vous trompez, ô Israël! dites plutôt : " Pour me réjouir avec vous. " Pouvez-vous goûter quelque plaisir dans un festin où votre père ne se trouve pas? Jugez-en vous-même par la manière dont vous en usez aujourd'hui à son égard. Votre père et tous ses domestiques se réjouissent du retour de votre frère; car il ne dit pas : " Mangez et divertissez-vous bien, " mais : " Mangeons et faisons bonne chère; " tandis que, tourmenté par une jalousie cruelle qui vous aigrit contre votre frère, et qui vous retient à la campagne loin de votre père, vous voulez vous réjouir et faire festin en son absence.

" Vous ne m'avez jamais donné un chevreau." Un père ne donne pas si peu de chose. Voici que l'on vient d'immoler un veau : entrez et mangez avec votre frère. Pourquoi demander un chevreau puisqu'on vous donne un agneau? De peur que vous ne prétextiez votre ignorance, saint Jean vous l'a montré dans le désert, en disant : " Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde. " Votre père, toujours plein de bonté pour vous, et désirant vous faire rentrer en vous-même par une sincère pénitence, vous exhorte à venir manger le veau gras qu'il a immolé au lieu d'un chevreau, qui, au jour du jugement, doit être à la gauche. Mais vous, à la fin des siècles, vous immolerez un boue, qui est l'Antechrist, et vous mangerez sa chair avec vos amis, c'est-à-dire avec les démons, suivant cette prédiction du prophète : " Vous avez écrasé la tête du dragon, et vous l'avez donné en nourriture aux peuples d'Ethiopie. "

" Mais aussitôt que votre autre fils, qui a mangé son bien avec les femmes de mauvaise vie, est revenu, vous avez tué pour lui le veau gras... Les Juifs avouent aujourd'hui que c'est le veau gras " qu'on a tué; ils savent que le Christ est venu; mais, rongés qu'ils sont par la passion de l'envie, ils ne veulent point être sauvés, à moins que leur frère ne périsse.

" Alors le père lui dit : " Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à vous." Il l'appelle " son fils," quoique celui-ci refuse d'entrer dans la maison paternelle. Mais comment peut-on dire que tout ce que Dieu possède appartient aux Juifs? Est-ce que les Anges, les Trônes, les Dominations et toutes les autres puissances célestes sont à eux ? Cela doit donc s'entendre de la loi, des prophètes, et des oracles divins que Dieu leur a confiés. Voilà ce qu'il leur a donné, afin que leur emploi fat de méditer jour et nuit sur sa loi qui est renfermée dans le canon des saintes Ecritures. " Tout ce que j'ai est à vous; " c'est-à-dire la plus grande partie de ce que j'ai; et c'est dans ce sens qu'on doit entendre ce que dit l'Ecriture : " Tous se sont détournés de la droite voie, ils sont tous devenus inutiles; " et ailleurs : " Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons; " et saint Paul, dans son épître aux Corinthiens: " Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous, " et aux Philippiens : " Car tous cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ. " Cependant, puisque ce père invite son fils à manger le veau gras, il est à croire qu'il ne lui a jamais rien refusé.

" Mais il fallait faire festin et nous réjouir, parce que votre frère était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il a été retrouvé. " Nous devons donc croire que la pénitence peut nous redonner la vie que le péché nous a ôtée. Dans notre parabole ce jeune homme revient lui-même vers son père; mais dans les deux autres, lé pasteur rapporte la brebis qui s'était égarée et la femme retrouve la drachme qu'elle avait perdue. Ces trois paraboles ont le même dénouement: on retrouve ce qu'on avait perdu, pour nous marquer sous des figures différentes que Dieu reçoit avec bonté les pécheurs qui retournent à lui.

Voilà ce que j'avais à dire des Juifs et des gentils par rapport à notre parabole. Voyons maintenant comment on en peut faire l’application aux justes et aux pécheurs. Quant aux justes, on rie peut douter qu'elle rie leur convienne parfaitement. Toute la difficulté est de comprendre comment il se peut faire qu'un homme juste soit jaloux de la conversion et du salut du pécheur, et que, possédé par l'envie, cette cruelle et injuste passion, il ne se laisse ni toucher par la misère de son frère, ni fléchir par les prières de son père, ni gagner par la joie que fait paraître toute la famille.

A cela je réponds en peu de mots que l’homme, quelque juste qu'il sait , ne paraît point juste dès qu'on le compare à Dieu; car, comme Sodôme, selon un prophète, est justifiée par les péchés de Jérusalem; c'est-à-dire qu'elle est, non pas juste, mais moins criminelle que Jérusalem, de même toute la justice des hommes, lorsqu'on la compare avec celle de Dieu, n'est plus une véritable justice. De là vient que saint Paul, après avoir dit : " Tous tant que nous sommes de parfaits, restons dans ce sentiment dont je vous ai parlé, " fait voir ailleurs combien nous sommes éloignés de la perfection, en disant : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! " et dans un autre endroit: " Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait; " et en outre: " Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et dans des énigmes; " et dans son épître aux Romains : " Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps mortel ?

Tout cela fait voir que la perfection de la justice ne convient qu'à Dieu seul, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, répand la pluie du soir et du matin. sans avoir égard aux mérites des hommes, invite aux noces tous ceux qu'il rencontre dans les rues et les places publiques, chasse de la salle ceux gui s'attendaient à avoir part au festin, va chercher le pécheur pénitent, comme le pasteur fait pour une brebis égarée qui ne peut revenir d'elle-même, et après l'avoir retrouvée la rapporte sur ses épaules, parce qu'elle s'était fatiguée à courir dans des chemins écartés.

Mais pour nous convaincre que les saints même sont susceptibles d'envie, et qu'il n'y a que Dieu seul dont la bonté soit parfaite et la charité pure et désintéressée, nous n’avons qu'à jeter les yeux sur les enfants de Zébédée. Leur mère, poussée par un tète indiscret que lui inspirait sa tendresse, ayant demandé pour eux à Jésus-Christ un rang trop élevé et des distinctions trop honorables, les dix autres apôtres en conçurent de l’indignation; et Jésus, les ayant appelés à lui, leur dit : " Vous savez que les princes des nations les dominent, et que ceux qui sont grands parmi eux les traitent avec empire : il n'en doit point être de même parmi vous autres; mais que celui qui voudra devenir plus grand parmi vous soit votre serviteur, et que celui qui voudra être le premier d'entre vous soit votre esclave, parce que le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. " Au reste, on ne doit pas croire qu'il y ait de l'impiété et de la témérité à dire que les apôtres ont été susceptibles de jalousie, puisque les anges même ont leurs défauts, suivant l'expression de Job: " Les astres ne sont point purs aux yeux de Dieu, et il a trouvé du dérèglement jusque dans ses anges. " Le roi-prophète dit aussi : " Nul vivant ne sera trouvé juste devant vous. " Il ne dit pas " nul homme, " mais " nul vivant ne sera trouvé juste devant vous; " c'est-à-dire ni évangéliste , ni apôtre, ni prophète; disons plus, ni Anges, ni Trônes, ni Dominations, ni Puissances, ni aucunes des Vertus célestes. Dieu seul est exempt de péché, mais toutes les autres créatures qui ont la raison et la liberté en partage (car c'est en cela que l'homme à été créé à l'image et à la ressemblance du Créateur) peuvent également se porter et au bien et au mal.

Que si ce raisonnement ne vous parait pas convaincant, peut-être vous rendrez-vous à l'autorité de cette parabole où l'on nous représente un père de famille qui envoie, durant tout le jour, des ouvriers travailler â sa vigne. A la première heure du jour il appelle Adam, Abel et Seth ; à la troisième Noé, à la sixième Abraham, à la neuvième Moïse, et à la onzième les gentils. " Pourquoi, "leur dit-il, " demeurez-vous là tout le long du jour sans travailler? " Ils lui répondent : " C'est parce que personne ne nous a loués. " Cette dernière heure du jour nous marqué I'avènement dû Sauveur, selon ce que dit l’apôtre saint Jean : " Mes frères, c'est ici la dernière heure; et comme vous avez ouï dire que l'Antechrist doit venir, il y a dès maintenant plusieurs antechrists , ce qui nous fait connaître que nous sommes dans la dernière heure. " Si vous n'agréez pas cette explication, je me soumets à tout, pourvu que vous m'accordiez que ceux qui ont été appelés les premiers étaient justes car, cela supposé, pourquoi murmuraient-ils contre le père de famille en disant : " Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et vous les rendez égaux à nous qui avons porté le poids du jour et de la chaleur! " C'est avec quelque apparence de justice qu'ils représentent au père de famille qu'on ne doit pas donner à ceux qui n'ont travaillé qu'une heure la même récompense qu'à ceux qui depuis le matin jusqu'à la huit ont gémi sous le poids d'un rude travail; mais c'est l'envie qui fait naître cette justice prétendue, puisqu'elle voit avec déplaisir le bonheur d'autrui. Aussi est-ce le reproche que leur fait le père de famille : " Mon ami, "dit-il à fur de ces envieux, " votre oeil est-il mauvais parce que je sais bon?" C'est pourquoi, lorsque l'apôtre saint Paul dit que Dieu seul est juste et immortel, il ne prétend pas dire que les anges sont injustes et mortels; son dessein est de faire voir que Dieu seul est souverainement juste et immortel, et que toute justice, par rapport à la sienne, n'est qu'injustice.

Mais pour vous montrer l'injustice des ouvriers dont parle cette parabole, remarquez que ceux qu'on a loués à la première heure méritent une plus grande récompense que ceux qui n'ont commencé à travailler qu'à la troisième ; qu'on doit aussi donner davantage à ceux-ci qu'à ceux qui n'ont été à la vigne qu'à la sixième heure, et que ces derniers sont plus dignes de récompense que ceux qu'on a loués à la neuvième heure : d'où vient donc qu'ils ne se plaignent point les uns des autres, et qu'ils ne font paraître leur jalousie que contre ceux qui n'ont travaillé qu'à la dernière heure? Vous qu'on a loués à la neuvième heure, pourquoi portez-vous envie à ceux qui n'ont travaillé qu'à la onzième heure ? Quelques raisons que vous puissiez apporter pour faire voir que, ayant travaillé plus longtemps qu'eux, vous méritez aussi une plus grande récompensé, vous serez toujours dans le même cas; et ceux qui ont travaillé dès la sixième heure pourront en dire autant de vous. L'envie vous fait aussi murmurer contre les derniers, vous qui avez commencé à travailler dès la sixième heure, et vous trouvez mauvais qu'on leur donne la même récompense qu'à vous; mais ceux qui ont travaillé à la troisième heure sont en droit de faire les mêmes plaintes contre vous; les ouvriers qui ont été à la vigne à la première heure pourront aussi en dire autant de ceux-ci. Or, quoique ces ouvriers n'aient pas également travaillé et qu'ils aient été envoyés à la vigne à des heures différentes, cependant ils ne sont point jaloux les uns des autres, et ils reçoivent tous sans se plaindre la même récompense. Il n'y a que contre les derniers, c'est-à-dire contre les gentils, qu'ils font éclater leur envie ; ils invoquent cette prétendue faveur pour insulter le père de famille; et c'est leur jalousie que le Fils de Dieu condamne dans toutes ces paraboles.

Je sais que vous trouverez peu d'exactitude, d'élégance dans pion style; mais je vous ai déjà fait observer plusieurs fois qu'il est impossible d'écrire correctement quand on n'est pas en état de retoucher soi-même ce que l'on a écrit. Je réclame donc de vous un peu d'indulgence une cruelle ophtalmie me met dans la nécessité de dicter les choses à la hâte. D'ailleurs il ne faut pas demander dans ces sortes d'ouvrages l'élégance du style, mais la solidité des pensées ; on ne doit pas chercher à se repaître de cosses, mais à se nourrir de pain.

 

 

 

TRAITÉ SUR LES SÉRAPHINS.

AU PAPE DAMASE.

" L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. " Avant de parler de cette vision du prophète Isaïe, il est à propos de dire quel était Ozias, combien il a régné d'années, et quels étaient les rois qui de son temps régnaient sur les autres nations. Nous lisons dans les livres des Rois et des Paralipomènes que ce prince était juste, qu'il fit ce qui était droit aux yeux du Seigneur, qu'il répara le temple et bâtit un aqueduc, qu'il offrit des vases sacrés pour le service du temple, qu'il mérita par là d'être victorieux de ses ennemis, et qu'enfin il y eut de son temps plusieurs prophètes dans son royaume, marque très sensible de sa grande piété envers Dieu. Il fut toujours agréable au Seigneur et n'entra jamais dans le temple qu'avec un profond respect, tant que vécut le prêtre Zacharie, surnommé l'intelligent; mais après la mort de ce pontife, ce prince, voulant offrir lui-même des sacrifices, usurpa le sacerdoce par une entreprise plus téméraire que religieuse. Les prêtres et les lévites s'y opposèrent en lui disant qu'il était roi et non pas prêtre; mais n'ayant pas daigné les écouter, Dieu, selon ce que dit le prophète : " Seigneur, couvrez leur visage de confusion, " frappa ce prince téméraire d'une lèpre dont son front fut tout couvert; le front, que le grand-prêtre avait toujours couvert d'une lame d'or; le front, sur lequel Dieu commande, dans le prophète Ezéchiel, de graver la lettre Thau; le front, dont le prophète a dit : " La lumière de votre visage est gravée sur nous, Seigneur; "le front, enfin, par où David frappa d'un coup de pierre et tua l'insolent philistin. ce fut, dis-je, par cet endroit que Dieu frappa le roi Ozias. Ce prince régna cinquante-deux ans, dans le même temps que régnaient Amulius en Italie, et Agamestor, onzième de nom, à Athènes. Après sa mort le prophète Isaie eut la vision que j'entreprends d'expliquer ici, c'est-à-dire la même année que Romulus, fondateur de l'empire romain, vint an monde, comme on peut le voir dans les chroniques que j'ai traduites de grec en latin.

" L'année " donc " de la mort du roi Ozias, " dit le prophète, "je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. " Expliquons le sens spirituel qui est renfermé dans l'histoire dont nous venons de parler. Isaie ne peut avoir de vision prophétique pendant la vie d'un roi que Dieu avait frappé de lèpre, et qui tâchait de détruire le sacerdoce. Tant qu'un prince de ce caractère est assis sur le trôné de Juda, ce prophète ne lève point les yeux au ciel; les choses divines lui sont cachées; le Dieu des armées ne lui apparaît point; il n'entend point prononcer le nom du saint, nom ineffable, et qui, répété par trois fois, renferme le plus grand de nos mystères; mais après la mort de ce prince, le prophète contemple à découvert ce qui est marqué dans la suite de cette prophétie.

Nous lisons quelque chose de semblable dans l'Exode. Du vivant de Pharaon, le peuple d'Israêl, occupé à des ouvrages de paille, de briques et de terre, et succombant sous le poids des travaux dont il était accablé, n'implore point le secours du Seigneur; aucun d'eux ne cherche le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; mais après la mort de ce tyran les enfants d'Israël, dit l’Ecriture, crièrent vers le ciel, et leurs cris s'élevèrent jusqu'à Dieu. Cependant, à prendre les choses à la lettre et dans le sens historique, c'était sous l'injuste domination de ce prince cruel que les Israélites devaient pousser leurs soupirs vers le ciel; à sa mort les gémissements n'étaient plus de saison, et devaient faire place à la joie. Nous lisons encore que, lorsqu'Ezéchiel prophétisait, Phaltias, fils de Bananias, mourut ; et dès que ce prince méchant eut rendu l'esprit, " Je tombai,. " dit le prophète, " le visage contre terre, et je criai à haute voix en disant: " Hélas! hélas! Seigneur mon Dieu! vous achevez donc de perdre ce qui reste d'Israël! " Si vous faites réflexion qu'Ozias, Pharaon, Phaltias et autres semblables tyrans sont l'image des ennemis de notre salut, vous verrez que, tant que nous vivons sous leur domination, nous ne pouvons ni voir les choses du ciel, ni soupirer après notre liberté, ni vivres dans la pratique de la pénitence. " Que le péché, dit l'Apôtre, ne règne pas dans votre corps mortel. Sous le règne et l'empire du péché, nous travaillons à bâtir des villes pour les Egyptiens, nous sommes couverts d'ordures et de poussière, nous prenons pour le froment la paille, et nous laissons la solidité de la pierre pour nous occuper à des ouvrages de fange et de boue. "

"Je vis le Seigneur, dit le prophète, assis sur un trône sublime et élevé. " Daniel vit aussi " le Seigneur assis, " mais non pas sur un trône sublime et élevé." "Je viendrai, " nous dit Dieu par un autre prophète, " et je m'assiérai sur mon trône pour juger tous les peuples dans la vallée de Josaphat. " Un pécheur comme moi voit le Seigneur assis,non pas sur une colline ou sur une montagne, mais " dans la vallée de Josaphat, " où il doit juger tout le monde: un homme juste, au contraire, tel qu'était Isaïe, le voit " assis sur un trône sublime et élevé. " Donnons encore à ces paroles un autre sens. Lorsque je me représente Dieu dans sa gloire, régnant sur les Trônes, sur les Dominations, sur les Anges et les autres esprits célestes, son trône me parait " élevé et sublime; " mais lorsque je le considère dans la conduite de l'univers, et que je le vois descendre ici-bas pour sauver les hommes, il me semble que son trône touche presque la terre. Poursuivons.

" Je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et la maison était remplie de sa majesté, et les Séraphins étaient autour de lui. " Quelques auteurs grecs et latins,qui ont expliqué ce passage avant moi, prétendent que celui qu'Isaïe vit " assis sur le trône " était Dieu le Père, et que les deux Séraphins que le prophète nous représente aux deux côtés du trône étaient Notre Seigneur Jésus-Christ et le Saint-Esprit. Quelque grande que soit l'autorité que ces écrivains se sont acquise par leur profonde érudition, je ne saurais être de leur sentiment ; et je crois qu'il vaut mieux dire la vérité grossièrement que de débiter éloquemment des faussetés. J'approuve d'autant moins l'explication qu'ils donnent à ce: passage que saint Jean l’Evangéliste, parlant de cette même vision, témoigne que ce fut Jésus-Christ, et non pas Dieu le Père, qui parut " assis sur un trône; " car, expliquant les raisons de l'incrédulité des Juifs, il dit : " Ils ne pouvaient croire en lui, parce qu'Isaïe a dit: " Vous écouterez, et vous ne comprendrez pas; vous ouvrirez les yeux, et vous ne verrez point. " Or ce prophète a dit ces choses lorsqu'il a vu la gloire du Fils, et qu'il a parlé de lui. Ce fut donc, selon Isaïe, celui qui était " assis sur le trône " qui lui commanda de dire au peuple : " Vous écouterez, et vous ne comprendrez pas." Or, selon saint Jean, ce fut Jésus-Christ qui fit ce commandement au prophète, et par conséquent on ne peut pas dire que Jésus-Christ fût un des Séraphins, puisque c'était lui qui était " assis sur le trône ". II est vrai que saint Paul,dans les Actes des Apôtres, dit aux Juifs qui ne pouvaient s'accorder entre eux:-C'est avec grande raison que le Saint-Esprit, qui a parlé à nos pères par le prophète Isaïe, a dit : " Allez vers ce peuple, et lui dites: " Vous écouterez, et en écoutant vous n'entendrez pas; vous verrez, et en voyant vous ne verrez point; " car le coeur de ce peuple s'est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes, et ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leur cœur ne comprenne, et que s'étant convertis, je ne les guérisse.. " Il est vrai, dis-je, que saint Paul parle de la sorte aux Juifs; mais cette diversité de personnes ne m'embarrasse point, parce que je sais que Jésus-Christ et le Saint-Esprit n'ont qu'une même substance ; que le Saint-Esprit ne parle point autrement que le Fils, et que les commandements du Fils ne sont pas contraires à ceux du Saint-Esprit.

" Et la maison, "continue Isaïe, " était remplie de la majesté du Seigneur. " Le ciel, qui est la maison de Dieu, parait rempli de sa majesté, mais je ne sais si la terre est remplie de sa gloire, si ce n'est peut-être dans le sens du psalmiste, qui dit: " La terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur. Ceux-là sont aussi remplis de sa gloire qui peuvent dire : " Nous avons tout reçu de sa plénitude. " C'est de cette maison que parle Salomon lorsqu'il dit : " La femme sage bâtit sa maison, et l'insensée détruit de ses mains celle qui était déjà bâtie; " et le prophète Isaïe : " Dans les derniers temps la montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée sur le haut des monts, et elle s'élèvera au-dessus des collines. " Saint Paul, parlant de cette maison, dit aussi: " Quant à Moïse, il a été fidèle dans toute la maison de Dieu, comme un serviteur, pour annoncer au peuple tout ce qu'il lui était ordonné de dire ; mais Jésus-Christ, comme le Fils, a l'autorité sur sa maison, et c'est nous qui sommes sa maison, pourvu que nous conservions jusqu'à la fin une ferme confiance et une attente pleine de joie des biens que nous espérons. " Cet apôtre dit encore dans son épître à Timothée " Je vous écris ceci, afin que vous sachiez comment il faut se conduire dans la maison du Seigneur Dieu, qui est l’Eglise. " Continuons.

" Les Séraphins étaient autour de lui. Ils avaient chacun six ailes, deux dont ils voilaient sa face, deux dont ils voilaient ses pieds, et deux autres dont ils volaient. Ils se criaient l'un à l'autre, et ils disaient: " Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées; la terre est toute remplie de sa gloire!" Il s'agit de savoir qui sont ces Séraphins qui "environnent le trône de Dieu; " ce que signifient les " six ailes" de chaque Séraphin, et qui sont douze en tout; comment, de ces six ailes, il y en a "deux " qui leur servent pour " voiler la face de Dieu, deux pour voiler ses pieds, et deux pour voler," puisque l’Ecriture remarque qu'ils étaient" debout autour du trône du Seigneur;" comment ils peuvent être " debout autour " du trône puisqu'ils ne sont que " deux ", et qu'ils " volent;" pourquoi ils " crient l'un à l'autre, " et répètent trois fois le nom du Saint ; comment le prophète dit ici que " toute la terre est remplie de la gloire du Seigneur, " puisqu'il a dit plus haut que c'était " la maison " qui était toute remplie de sa majesté. Comme toutes ces questions paraissent d'abord assez difficiles à développer, prions ensemble le Seigneur qu'il m'envoie comme au prophète un charbon de dessus l’autel, afin que, purifié de toutes les souillures de mes péchés, je puisse d'abord contempler les mystères de Dieu, et ensuite expliquer ce que j'aurai vu.

Le mot Séraphim, selon l'interprétation que lui donnent les Hébreux, signifie : ardeur, ou le commencement de leur bouche. Voulons-nous savoir ce que c'est que cet embrasement? Le Sauveur nous l'apprend lorsqu'il dit: "Je suis venu pour jeter le feu dans la terre, et que désiré-je, sinon qu'il s'allume? " Nous l'apprenons aussi de ces deux disciples à qui Jésus-Christ expliqua en chemin les saintes Écritures, en commençant par Moïse et ensuite par tous les prophètes. Leurs yeux s'étant ouverts et ayant reconnu leur divin maître, ils se dirent l'un à l'autre : " Notre coeur n'était-il pus tout brûlant dans nous lorsqu'il nous parlait durant le chemin, et qu'il nous expliquait les Ecritures?" Nous lisons encore dans le Deutéronome que Dieu est " un feu dévorant; "et le prophète Ezéchiel nous le représente " tout de flammes depuis les reins jusqu'aux pieds. " C'est l'idée que nous en donne aussi le prophète-roi lorsqu'il dit : " Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes et pures; c'est comme un argent éprouvé au feu, purifié dans la terre, et raffiné jusqu'à sept fois. " Nous trouvons sur cela plusieurs autres passages dans l'Ecriture sainte qu'il serait trop long de rapporter ici. Où trouver donc ce feu et cet embrasement salutaire? C'est sans doute dans les saintes Écritures, dont la lecture purifie une âme de tous ses vices et de toutes ses impuretés.

Nous avons dit que le mot Séraphim signifie aussi : le commencement de leur bouche ; mais si j'entreprends d'en faire ici l'application à l'Écriture sainte, j'appréhende qu'on ne la trouve plus forcée que juste et mesurée. C'est le sentiment de toute l'antiquité que l'hébreu, en quoi l'Ancien-Testament est écrit, est le " commencement de la bouche " de tous les hommes, c'est-à-dire la première de toutes les langues, et qu'après que Dieu, pour punir l'orgueil de ceux qui bâtissaient la tour de Babel, eut confondu leur langage, toutes les nations commencèrent à parler diverses langues. La signification que l'on donne au mot Séraphim convient donc à l’Ancien et au Nouveau Testament; et il ne faut pas s'étonner qu'on nous les représente fun et l'autre sous la figure des " Séraphins autour du trône du Seigneur," puisque c'est dans ces livres sacres que dieu se fait contraire aux hommes.

Ces Séraphins avaient chacun six ailes, qui, selon Victorin, représentent les douze apôtres. On peut encore les comparer aux douze pierres précieuses. qui composaient le diadème du grand-prêtre, et dont parle le prophète Ezéchiel, et saint Jean dans son Apocalypse. Je ne sais laquelle de ces deux opinions est la véritable ; nous ferons voir dans la suite celle qui a le plus, de vraisemblance. Ils avaient donc chacun six ailes, " deux dont ils voilaient sa face, deux dont ils voilaient ses pieds, et deux dont ils volaient. " Ils voilaient non pas leur face, mais celle de Dieu; car qui peut savoir duel est son commencement, ce qu'il était dans l’éternité avant la création du manicle, et dans quel temps il a créé les Trônes, les Dominations, les Puissances et tous les autres esprits destinés à le servir? Deux autres ailes servaient à voiler non pas leurs pieds, mais les pieds de Dieu; car qui peut connaître quelle est sa fin, ce qui doit arriver après la consommation des siècles, quelle sera la vie des hommes après le dernier jugement, et si, après la destruction du monde, Dieu créera une autre terre et d'autres éléments, un nouveau soleil et un nouveau monde ? "Faites-nous savoir les choses passées, et découvrez-nous ce qui doit arriver à l'avenir, et nous reconnaîtrons que vous êtes Dieu ? " C'est ce que dit le prophète Isaïe, pour nous marquer que personne ne peut dire ce qui s'est fait avant la création du monde ni ce qui doit arriver après son entière destruction. Enfin les deux autres ailes leur servaient à voler. Nous ne connaissons, par la lecture de l’Ecriture sainte, que ce qui s'est passé entre le commencement et la fin de toutes choses, savoir la création du monde. la formation de l'homme, le déluge, la promulgation de la loi, la multiplication du genre humain, et enfin l'incarnation du Fils de Dieu qui s'est fait chair pour sauver tous les hommes. Tout le reste, les Séraphins nous le cachent,en couvrant de leurs ailes la face et les pieds du Seigneur.

" Et ils se criaient l'un à l'autre. " Le prophète dit fort bien " l'un à l'autre; " car tout ce que nous lisons dans l'Ancien-Testament, nous le trouvons dans l'Evangile, et il n'y a rien dans celui-ci qui ne s'appuie sur l'autorité de celui-là; on n'y voit aucune différence, aucune contradiction. " Et ils disaient : " Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées! " Le mystère de la Trinité est marqué dans l'un et dans l'autre Testament. On donne aussi à notre Sauveur le nom de " Dieu des armées," comme il paraît par le psaume vingt-troisième, où les anges qui servent le Seigneur crient à d'antres esprits célestes, et les avertissent d'ouvrir la porte au Seigneur. " O Princes, " disent-ils, " levez-vous; portes, ouvrez-vous, afin de laisser entrer le roi de gloire. " Sur quoi ceux-ci,étonnés de le voir revêtu d'un corps de chair, demandent qui est ce " roi de gloire; " et les autres leur répondent : "Ce roi de gloire est le Seigneur des vertus ; " ce que l'hébreu exprime par le mot Sabaoth. Car il faut remarquer que, dans tous les endroits où l'on lit, selon la version des Septante, "le Seigneur des vertus," où le Seigneur tout-puissant, le texte hébreu porte Sabaoth, c'est-à-dire, selon la version d'Aquila : le Seigneur des armées. Il faut remarquer aussi que, dans le passage d'Isaïe que nous expliquons, le nom du Seigneur est écrit avec les quatre lettres qui conviennent proprement à Dieu, c'est-à-dire avec iodhe, iod he, ou deux ia, qui composent le glorieux et ineffable nom de DIEU.

" La terre est toute remplie de sa gloire. " Ces paroles doivent s'entendre de l'avènement du Sauveur, qui a été connu de toutes les nations par le ministère des apôtres, dont la voix s'est fait entendre jusqu'aux extrémités de la terre.

"Le linteau de la porte, continue Isaïe, fut renversé parle retentissement de ce grand cri. Nous lisons dans l'Ancien-Testament que le Seigneur parlait toujours à Moïse et à Aaron à la porte du tabernacle comme s’il ne les eût pas jugés dignes d'entrée dans le Saint des Saints avant l'établissement de l'Evangile; honneur qu'il a fait à l'Eglise, qui dit dans les cantiques : " Le roi m'a fait entrer dans son appartement. " Lors donc que notre Seigneur est venu au monde ce linteau, qui empêchait pour ainsi dire d'entrer dans le Saint des Saints, a été renversé, et tout le inonde a été rempli de fumée, c'est-à-dire de la gloire de Dieu.

" La maison, "ajoute le prophète, "fut remplie de fumée. " Dieu, comme nous avons dit, est un feu ; et lorsqu'il descendit sur la montagne de Sina, l'on vit comme des lampes ardentes qui brillaient de toutes parts, et la montagne fut toute couverte de fumée, ce qui fait dire au roi-prophète : " Lorsque le Seigneur touche seulement les montagnes, il en fait sortir les flammes et la fumée. " Ainsi, comme Dieu est au-dessus de la portée de notre esprit, et que nous ne saurions comprendre quelle est la nature de ce feu divin, nous en voyons seulement sortir une légère fumée qui se répand par toute la terre, et qui nous oblige de dire avec l'Apôtre: " Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait; " et derechef : " Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en des énigmes; " et avec Isaïe : " Les Séraphins étaient autour de lui, et ils avaient chacun six ailes. "

Un auteur grec fort versé dans la science des saintes Ecritures, expliquant cet endroit du prophète Isaïe, dit que les Séraphins sont des esprits célestes toujours occupés à chanter les louanges de Dieu au pied de son trône, et employés à différents ministères, mais particulièrement à purifier ceux qu'une vie passée dans le crime a rendus impurs et dignes de supplices. Il ajoute que " le linteau renversé et la fumée qui remplit toute la maison " sont une figure prophétique de la destruction du temple des Juifs et de l'embrasement de la ville de Jérusalem, que nous voyons aujourd'hui ensevelie sous ses propres ruines. Quelques-uns approuvent cette opinion quant à la première partie, mais la seconde n'est point de leur goùt; car ils prétendent que le linteau n'a été renversé que lorsque le voile du temple s'est déchiré en deux, que l'erreur a répandu sur toute la maison d'Israël d'épaisses ténèbres, et que les prêtres, comme le rapporte Joseph, ont entendu sortir du fond du temple la voix des Vertus célestes qui disaient : " Sortons d'ici. "

Un certain Juif à qui j'ai l'obligation de m'avoir appris bien des choses, et qui sait l'hébreu si parfaitement qu'il passe pour Chaldéen parmi les docteurs de la loi, est sur cela d'un sentiment bien différent; car il dit qu'Isaïe est le seul de tous les prophètes qui ait vu les Séraphins " debout autour du trône de Dieu, " et même qu'il n'y a aucun autre endroit dans l'Ecriture où il soit parlé de Séraphins. Il ajoute que cette vision était une prophétie de la captivité des Juifs et de la ruine de Jérusalem à leur arrivée sous l'empire de Nabuchodonosor, parce que depuis Ozias, sous le règne duquel Isaïe a commencé à prophétiser, jusqu'à Sédécias, qui est le dernier des rots de Judée et qui fut mené captif en Babylone après avoir eu les yeux crevés, il y a eu onze rois à Jérusalem, auxquels succéda Godolias, que le roi de Babylone éleva sur le trône de Juda, et qui extermina les restes de sa nation en faisant mourir au milieu d'un festin Ismaël, fils de Nathanaël ; que les douze ailes des Séraphins, dont quatre, selon quelques auteurs, leur servaient à voiler leurs faces, quatre à voiler leurs pieds, et quatre à voler , étaient la figure de ces douze rois, dont quatre seulement avaient été justes , savoir Ozias, Joathan, Ezéchias et Josias, qui, élevés par leur vertu au-dessus des craintes humaines, n'avaient pas appréhendé, au milieu même de la captivité, de glorifier Dieu en disant haute

ment: " Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées; " que des huit autres rois, les uns avaient voilé leur face, comme pour couvrir l'énormité de leurs crimes, et les autres leurs pieds, pour cacher la honte de leur captivité. Quant au linteau renversé et à la fumée qui remplit toute la maison, il l’explique,comme nous l'avons aussi remarqué, de l'embrasement du temple et de la ruine de Jérusalem.

Puisque j'ai commencé à rapporter son sentiment sur ce passage, voyons comment il explique ce qui suit et dont nous n'avons point encore parlé. Les pincettes avec quoi l'un des Séraphins prit de dessus l'autel un charbon de feu pour purifier les lèvres d'Isaïe représentent, selon lui, la mort que ce prophète souffrit sous le règne de Manassès ;et ses lèvres ayant été purifiées par cette mort cruelle, il fut en état de dire au Seigneur : " Me voici, envoyez-moi. "

" Et j 'ai dit: " Malheur à moi, parce que je suis pénétré de douleur. " Du vivant d'Ozias vous n'avez pu connaître, grand prophète, quelle était votre misère, vous ne vous êtes point sent, pénétré de douleur, vous avez paru insensible à vos maux ; mais après la mort de ce prince, vous vous êtes aperçu que vos lèvres étaient souillées, et que cette impureté vous rendait indigne de voir Dieu et d'avoir part à ses secrets et à ses mystères. Oh ! que ne puis-je être pénétré d'une semblable douleur et mériter par là d'avoir part aux secrets du Seigneur, moi qui ne suis qu'un homme faible et pécheur dont les lèvres sont impures, et qui habite au milieu d'un peuple qui a aussi les lèvres souillées! Isaïe, cet homme juste, n'avait péché que par paroles; sa bouche était souillée, mais sa conscience était pure et n'avait aucune part à l’impureté de ses lèvres; mais moi qui ne me sers de mes yeux que pour voir des objets qui irritent et enflamment ma cupidité, moi dont la main et le pied me sont un objet de scandale, moi qui pèche par toutes les parties de mon corps, je ne trouve en moi qu'impureté et que corruption. Il est vrai que j'ai été baptisé une fois dans le Saint-Esprit, mais parce que j'ai contracté de nouvelles souillures, j'ai besoin d'être purifié par un second baptême, je veux dire par le baptême de feu.

L'Ecriture sainte n'est pas aussi facile à entendre que quelques-uns se l'imaginent. La simplicité apparente de son style renferme de grands mystères, et le sens littéral est souvent très différent du sens spirituel. "Jésus-Christ, dans l'Evangile, prend un linge et le met autour de lui; il verse de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses apôtres ; il fait à leur égard le devoir et les fonctions d'un serviteur. J'avoue qu'il en use de la sorte pour nous offrir un exemple d'humilité et pour nous apprendre à nous servir les uns les autres; mais lorsque saint Pierre refuse de lui donner ses pieds à laver, pourquoi le Sauveur lui dit-il : " Si je ne vous lave les pieds, vous n'aurez pas de part avec moi ? " à quoi cet apôtre répond: " Seigneur, lavez-moi aussi les pieds, les mains et la tête. " En voici la raison : c'est que les apôtres n'étaient pas exempts de souillures, et qu'ils avaient pour ainsi dire sali leurs pieds dans le commerce des hommes, avec qui ils étaient obligés de vivre. Or Jésus-Christ, étant sur le point de retourner au ciel, voulait îles purifier des moindres taches du péché, afin qu'on pût leur appliquer ce que dit le prophète, que " Les pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux, " et qu'ils pussent dire eux-mêmes avec l'Eglise : " J'ai lavé mes pieds; comment pourrais-je les salir de nouveau?" Que si, après la résurrection du Sauveur, il s'attachait encore quelque poussière à leurs pieds, ils devaient la secouer sur les villes impies qui rejetaient la parole de Dieu, afin de leur marquer par là combien de peines ils s'étaient données pour annoncer l'Evangile, se faisant juifs avec les Juifs, gentils avec les gentils, et portant leur zèle jusqu'à se salir les pieds afin de les faire entrer tous dans la voie du salut.

Revenons à notre sujet. Comme donc les apôtres avaient besoin que le Sauveur leur lavât les pieds , de même Isaïe, dont les lèvres étaient souillées, avait besoin qu'on les lui purifiât. Pour moi, il me semble que ce prophète n'avait les lèvres souillées que parce qu'il n'avait pas eu, comme Elie, assez de zèle pour reprendre Ozias, et pour s'opposer aux desseins de ce prince impie qui voulait usurper les fonctions sacrées des ministres du Seigneur.

"J'habite au milieu d'un peuple qui a aussi les lèvres souillées. " Isaïe, pénétré de douleur et sensible à la misère, mérite d'être purifié de ses souillures; mais le peuple qui, bien loin de faire pénitence de ses péchés, ignore même que ses lèvres sont impures, se rend indigne d'une pareille grâce. Belle instruction pour nous: elle nous apprend non-seulement à nous conserver dans la justice, mais aussi à nous éloigner de la compagnie des pécheurs, puisque, selon ce prophète, c'est en quelque façon s'engager dans le péché et dans la misère que d'avoir liaison et commerce avec eux.

" Et j'ai vu de mes propres yeux le roi, le seigneur des armées. " Les Juifs disent que leurs pères firent mourir Isaïe parce que, Moïse n'ayant vu le Seigneur que par-derrière, et nul homme, selon le témoignage de Dieu même, ne le pouvant voir sans mourir, ce prophète néanmoins se vantait de l'avoir vu des yeux du corps. Que si nous leur demandons comment Dieu, qui ne se faisait voir aux autres prophètes qu'en songe et durant le sommeil, a néanmoins parlé à Moïse face-à-face; et comment il se peut faire qu'il lui ait parlé de la série puisqu'il dit lui-même : " Nul homme ne me verra sans mourir, " ils ne manqueront pas de nous répondre que Dieu s'est fait voir, non pas tel qu'il est, mais sous une forme proportionnée à la faiblesse humaine; mais nous leur dirons que c'est aussi de la sorte qu'Isaïe a vu le Seigneur. Car enfin, ou Moïse a vu Dieu, ou il ne l'a pas vu : s'il l'a vu, Isaïe l'a vu aussi puisqu'il nous en assure lui-même; et puisqu'on peut voir Dieu, les Juifs n'ont pu sans impiété faire mourir ce prophète; que si Moïse ne l'a point vu, ils devaient donc le faire mourir et le regarder, aussi bien qu'Isaïe, comme un imposteur qui se vantait d'avoir vu celui qu'on ne peut voir. Tout ce qu'ils nous diront de la manière dont Moïse a vu le Seigneur, nous pouvons aussi le dire d'Isaïe.

" En même temps, continue ce prophète, l'un des séraphins vola vers moi, tenant en sa main un charbon de feu qu'il avait pris avec des pincettes de dessus l'autel, et m'en ayant touché la bouche, il me dit : " Ce charbon a touché vos lèvres : votre iniquité sera effacée et vous serez purifié de votre péché. " L'on peut expliquer cet endroit selon les différents sens que j'ai rapportés ci-dessus, c'est-à-dire: ou de l'un et de l'autre Testament, ou des Vertus célestes, ou enfin le regarder comme une image de la captivité du peuple juif; mais tenons-nous-en à notre première explication, et disons que le séraphin qui "vole vers le prophète" est une figure du Nouveau-Testament, qui, renfermant les commandements de l'ancienne et de la nouvelle alliance, et prenant pour ainsi dire " avec les pincettes " de l'une et de l'autre loi " le charbon ardent" de la parole de Dieu, touche nos lèvres et les purifie de leurs souillures, en dissipant toutes nos ténèbres par les lumières de la vérité. Les" pincettes" nous sont encore représentées par l'échelle que Jacob vit en songe, par l'épée à deux tranchants dont saint Jean parle dans son Apocalypse, par les deux petites pièces de monnaie que la femme de l’Evangile mit dans le tronc du temple, et par la pièce d'argent valant quatre drachmes qui fut trouvée dans la bouche d'un poisson, et donnée pour la capitation du Sauveur et de saint Pierre. Le séraphin prend avec ces " pincettes, " dont les deux branches sont étroitement unies ensemble, le " charbon " avec lequel il va purifier les lèvres d'Isaïe : c'est de ce " charbon " que parle le prophète-roi dans le psaume cent dix-neuvième : " Seigneur," dit-il, " délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse. Que recevrez-vous et quel fruit reviendra-t-il de votre langue trompeuse? Elle est de même que des flèches très pointues poussées par une main puissante avec des charbons dévorants. " En effet, la parole de Dieu est un " charbon dévorant " qui purifie notre langue des souillures du péché, selon cette parole d'Isaïe : " Vous avez des charbons de feu : asseyez-vous dessus, et ils vous soulageront dans vos besoins. " Poursuivons.

" J'entendis ensuite le Seigneur qui dit : " Qui enverrai-je, et qui ira porter mes paroles à ce peuple?" — "Me voici, " dis-je alors, " envoyez-moi. " — Le Seigneur me dit: " Allez et dites à ce peuple: " Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez pas. " Ce n'est point ici un commandement mais une demande que le Seigneur fait. " Qui enverrai-je " ? dit-il, " et qui ira porter mes paroles à ce peuple ? " et le prophète, toujours plein de zèle et prêt à exécuter ses ordres, lui répond : " Me voici, envoyez-moi. " "Allez, "lui dit alors le Seigneur, " et dites à ce peuple : " Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez point; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point, etc. " Le juif qui m'a appris l'hébreu a fait en ma présence une assez longue dissertation sur cet endroit. Je vais vous en rapporter quelque chose, afin de vous,donner une idée du reste. Examinons, disait-il, de qui l'on doit le plus approuver la conduite, ou de Moïse qui, ayant reçu ordre de Dieu d'aller trouver le peuple d'Israël, lui répondit : "Je vous prie de considérer, Seigneur, que je ne suis point propre à exécuter ce que vous m'ordonnez; donnez, s'il vous plait,cette commission à un autre ; " ou d’Isaïe qui, prévenant le choix et les ordres de Dieu, s'offrit lui-même en disant : " Me voici, envoyez-moi. " Je sais bien, ajoutait ce rabbin, qu'il est dangereux de vouloir décider du mérite des saints et mesurer les louanges de ceux que Dieu a couronnés; mais puisqu'il nous a dit lui-même. " Cherchez et vous trouverez, frappez à la porte et on vous ouvrira, " nous devons tâcher d'expliquer toutes les difficultés qui se présentent, non pas dans la vue de diminuer le mérite et la gloire de qui que ce soit, mais afin de comprendre le véritable sens de l'Ecriture, et de former notre conduite sur les grands exemples qu'elle nous propose.

Ceux, disait-il, qui prennent le parti de Moïse, louent son humilité et sa douceur, et font voir qu'il est devenu d’autant plus grand qu'il se jugeait indigne du ministère dont Dieu voulait l'honorer; au lieu qu'Isaïe, qui s'était offert à Dieu de son propre mouvement, commençait sa prophétie par des malédictions en disant : " Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez point, etc. ; " ce qui lui attira dans la suite plusieurs disgrâces, et le fit passer parmi le peuple pour un insensé. Aussi, lorsque Dieu lui commanda une autrefois de crier, ce prophète, qui savait ce que lui avait déjà coûté son trop grand empressement à faire offre de ses services, au lieu de dire comme auparavant . " Me voici, envoyez-moi , " demanda au Seigneur: " Que crierai-je ? "C'est ce qui arriva aussi à Jérémie, car Dieu lui ayant dit: " Prenez de ma main cette coupe du vin de ma fureur, et vous en ferez boire à tous les peuples vers lesquels je vous envoie; ils en boiront, ils le vomiront, ils en seront troublés, et ils tomberont à la vue de l'épée que j'enverrai contre eux, " Ce prophète se chargea volontiers de cet emploi et ne dit point comme Moïse : " Je vous prie, Seigneur, de confier cette commission à un autre et de considérer que je n'en suis pas digne; " mais comme il aimait tendrement son peuple, et qu'il savait que ce breuvage ne devait être fatal qu'aux nations ennemies d'Israël, il prit volontiers ce calice, sans savoir que Jérusalem était du nombre des peuples qui devaient s'enivrer de ce vin de fureur; " et j'ai reçu, dit ce prophète, la coupe de la main du Seigneur, et j'en ai fait boire à tous les peuples vers lesquels le Seigneur m'a envoyé, à Jérusalem, aux villes de Juda , à ses rois et à ses princes, pour réduire leurs terres en un désert, et pour les rendre le jouet de tous les hommes. " C'est pourquoi il dit dans un autre endroit (car l'ordre de cette prophétie est confondu dans la plupart des exemplaires) : " Vous m'avez séduit, Seigneur, et j'ai été séduit; vous avez été plus fort que moi, et vous avez prévalu contre moi; je suis devenu le sujet de leurs moqueries pendant tout le jour, et tous me raillent avec insulte. "

Ceux au contraire, ajoutait ce rabbin, qui veulent justifier Isaïe, disent qu'après que le séraphin lui eut dit : " Ce charbon a attaché vos lèvres, votre iniquité sera effacée et vous serez purifié de votre péché, " ce prophète, se confiant plus en la miséricorde de Dieu qu'en ses propres forces, et se sentant exempt de péché, s'offrit lui-même à Dieu avec le zèle ardent que lui inspirait sa foi, et qui ne lui permettait pas de languir dans une honteuse oisiveté; mais que Moïse, instruit qu'il était dans les sciences humaines, savait qu'il aurait en tête des magiciens, et Pharaon même, le plus méchant de tous les princes; que d'ailleurs il se sentait coupable d'avoir tué un Egyptien, et que c'était à cause de cet homicide qu'une voix sortant du

milieu de buisson lui avait dit : " N'approchez pas d'ici ! ôtez les souliers de vos pieds, parce que le lieu oh vous êtes est une terre sainte ; " que tout cela l'avait obligé à s'excuser et à dire à Dieu, selon la version des Septante, qui de sont plus attachés au sens qu'aux paroles : " Je vous prie de considérer, Seigneur, que je rite suis point digne de cet emploi," ou comme porte le texte hébreu : "Vous voyez, Seigneur, que je suis incirconcis des lèvres; n ce qui fait voir qu'Isaïe avait eu raison de s'offrir à Dieu pour exécuter ses ordres, parce qu'il savait bien que ses lèvres avaient été purifiées ; et que Moïse au contraire avait voulu se dispenser du ministère dont Dieu voulait le charger, parce que ses lèvres étaient impures. "

"Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez point; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point. " Tout ce passage, comme on en peut juger par les paroles mêmes de l’Evangile, doit s'entendre de l’incarnation du Sauveur et des actions miraculeuses qu'il a faites inutilement aux yeux des Juifs. Mais comme tout le reste de ce chapitre renferme plusieurs difficultés et que les tablettes de mon copiste sont déjà remplies, je n'en dicterai pas davantage. D'ailleurs, un ouvrage que l'auteur ne peut pas retoucher lui-même n'en est que plus insipide et plus ennuyeux lorsqu'on joint la longueur à la négligence du style. J'ai même un si grand mal aux yeux, que tout ce que je puis faire est de dicter aux autres et de les écouter.

 

 

 

 

 

FRAGMENTS.

SUR TOUS LES LIVRES DE L'ANCIEN-TESTAMENT.

Les Hébreux ont vingt-deux lettres dans leur alphabet, comme il paraît par la langue des Syriens et des Chaldéens qui en ont un pareil nombre, et dont le langage se rapproche de celui des mêmes Hébreux; car, quoique la figure des lettres des uns et des autres soit différente, elles ont cependant le même son et la même valeur. Les Samaritains même écrivent le Pentateuque de Moïse avec vingt-deux lettres, encore que leurs caractères soient différents de ceux des Hébreux, tant dans les points et les accents que dans la figure de chaque lettre; et personne n'ignore que et fut Esdras, fameux docteur de la loi, qui changea le premier les anciens caractères hébreux aussitôt après la captivité et le rétablissement du temple sous Zorobabel, et qui mit à leur place les lettres hébraïques dont nous nous servons aujourd'hui, les caractères des Samaritains ayant été jusqu'alors ceux dont les Hébreux se servaient. Aussi voit-on le grand nom de Dieu, qui n'a que quatre lettres, écrit avec ces anciens caractères en quelques exemplaires grecs de l'Ecriture. De plus, quand on fait le dénombrement des lévites et des prêtres dans le livre des Nombres, la supputation ne va qu'au nombre de vingt-deux, ce qui se rapporte figurément aux lettres de l'alphabet. Enfin nous voyons que les psaumes trente-six, cent dix, cent onze, cent dix-huit et cent quarante-quatre, quoique leur poésie soit fort différente, ne contiennent pas plus de vingt-deux lettres dans l’ordre de leur alphabet. Les Lamentations de Jérémie et son Oraison, avec le dernier chapitre des Proverbes de Salomon , qui commence par ces paroles : " Qui est celui qui pourra trouver une femme forte?" tout cela, dis-je, nous marque le même nombre de vingt-deux lettres de l'alphabet des Hébreux. Or il faut remarquer qu'il y a cinq lettres que les Hébreux écrivent différemment au commencement et à la fin des mots, et qu'ils appellent pour cette raison: les lettres doubles; savoir : caph, mem, nun, phe, sade. C'est aussi ce qui a donné lieu aux Juifs de regarder cinq livres de l’Ecriture comme des livres doubles, et de ne faire qu'un même volume des deux livres de Samuel, un autre des deux livres des Rois, un troisième des deux livres des Paralipomènes, un quatrième du livre d’Esdras et de Néhémias, et le cinquième de la Prophétie de Jérémie et de ses Lamentations. Comme donc le nombre de vingt-deux lettres suffit pour écrire en hébreu tout ce que nous voulons dire et pouvons penser, de même devons-nous aussi reconnaître vingt-deux livres de l'Ecriture, comme si c’étaient les premiers éléments d'une grammaire dont on se sert pour instruire, l'homme juste, encore enfant et imparfait, dans la loi de Dieu.

Le premier livre de l’Ecriture , que nous nommons la Genèse, porte le nom de Bresith chez les Hébreux. Ils appellent l'Exode Elle smoth, le Lévitique Vajecra, les Nombres Vaje dabber, le Deutéronome Elle adde barim. Ce sont là les cinq lettres de Moïse que les Hébreux appellent proprement thora, c'est-à-dire: la loi.

La seconde classe des livres de leur canon est celle de ceux qu'ils appellent Prophètes, et ils la commencent par le livre de Jésus, fils de Navé, que les Hébreux nomment Josué ben Nun (Josué, fils de Nun). Après celui-là ils font suivre les Juges, et ils le nomment Sophtim, n'en faisant qu’un même volume avec le livre de Ruth, parce qu'ils prétendent que cette histoire est arrivée dans le temps des juges. Le troisième livre de cette même classe s'appelle Samuel : nous le divisons en premier et en second livre des Rois. Le quatrième se nomme Malachim : c'est le troisième et le quatrième livres des Rois joints ensemble; et ils ont raison d'appeler ces livres Malachim, c'est-à-dire : les rois, plutôt que Malachoth, les royaumes, puisqu'ils ne contiennent pas l'histoire générale de plusieurs nations et de leurs empires, mais seulement l’histoire particulière des rois du peuple d'Israël, divisé en douze tribus. A ceux-là succèdent Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, et les douze petits Prophètes qu'ils nomment thare asra, deux et dix, dont ils font le huitième livre de cette seconde classe des livres des Prophètes.

Ils mettent dans la troisième classe les livres qu'ils nomment : hagiographes, savoir : Job, David, dont ils divisent les psaumes en cinq parties, quoiqu'ils ne les comptent que pour

un seul volume; puis Salomon, qui comprend le livre des Proverbes, qu'ils nomment Masaloth, c'est-à-dire, paraboles; le livre de l’Ecclésiaste, qu'ils appellent Coeleth; et le Cantique des cantiques, auquel ils donnent le titre de Sir Assirim. Le sixième livre de cette classe est Daniel, le septième Dabre Jamin, c'est-à-dire : le journal, que nous pourrions plutôt appeler : les chroniques de l'Ecriture, quoique nous lui ayons donné le titre de Paralipomènes , le partageant en deux livres. Esdras et Néhémias, divisés en deux livres chez les Grecs et les Latins, n'en font qu'un chez les Hébreux, qu'ils nomment Ezra. Enfin le neuvième et dernier livre est celui d'Esther.

Par cette supputation, nous voyons que les Hébreux ne comptent que vingt-deux livres dans leur canon : cinq de Moïse, huit de la classe des Prophètes, et neuf de celle des hagiographes. Il est vrai que quelques-uns comptent à part, parmi les hagiographes, le livre de Ruth et le Cinoth (les Lamentations), parce qu'ils prétendent qu’il faut diviser le canon des Ecritures en vingt-quatre livres : nous en avons une idée dans l'Apocalypse de saint Jean, qui nous représente vingt-quatre vieillards prosternés devant le trône de l'agneau et mettant leurs couronnes à ses pieds, pendant que les quatre animaux pleins d'yeux devant et derrière , c'est-à-dire : regardant le passé et l'avenir, se tiennent debout et disent incessamment " Saint, saint, saint est le Seigneur tout-puissant, qui était, et qui est, et qui sera. "

Ce prologue sur les Ecritures doit être regardé comme une tête armée, couverte d'un casque et propre à défendre tous les livres que je traduis d'hébreu en latin; et l'on doit remarquer que tous les autres qui ne sont pas compris dans le dénombrement que je viens de faire doivent être mis parmi les livres apocryphes. On se souviendra donc que le livre de la Sagesse, qu'on attribue ordinairement à Salomon, le livre de Jésus, fils de Syrach, celui de Judith , de Tobie et du Pasteur sont exclus du canon et du catalogue de l'Ecriture. J'en dis de même des livres des Machabées, dont j'ai vu le premier écrit en hébreu. Pour le second ,. il a été d'abord écrit, en grec, comme il est aisé de le reconnaître par le style du livre même et ses expressions toutes grecques.

Cela supposé, je vous conjure , lecteur, ne regardez point mon travail comme si je ne l’avais entrepris que pour condamner celui des anciens. Vous savez que chacun offre ce qu'il peut pour la construction du tabernacle de Dieu; que les uns donnent de l'or, de l'argent et des pierres précieuses, et que d'autres offrent du lin fin, de la pourpre, de l’écarlate et de l’hyacinthe : ce sera beaucoup pour moi si je puis seulement offrir des peaux et des poils de chèvre; quoique l'apôtre saint Paul nous enseigne que les choses qui paraissent en nous les plus méprisables ne laissent pas d'être les plus nécessaires. De là vient que toutes les richesses et toutes les beautés du tabernacle, pour marquer en figure la différence de l’Eglise d'à présent d'avec l’Eglise future et bienheureuse , n'étaient couvertes que de peaux et de cilices; de sorte que les choses les plus viles mettaient à couvert des injures de l'air celles qui étaient estimées les plus précieuses.

Lisez donc d'abord ma traduction des livres de Samuel et des livres des Rois (je dis ma traduction, car nous pouvons bien regarder comme nôtre un travail que nous mettons au jour après l'avoir corrigé et revu exactement), et lorsque vous y remarquerez beaucoup de ;choses que vous ignoriez auparavant, avouez, si vous avez de la reconnaissance, que je suis un

fidèle traducteur; ou, si vous êtes ingrat,dites que je n'ai fait qu'une paraphrase. Toutefois, quelque chose que vous en puissiez dire, ma propre conscience me rend le témoignage que je n'ai rien changé dans ma version de tout ce qui est contenu dans la vérité du texte hébreu. Si vous avez de la peine à me croire, lisez les exemplaires grecs et latins, et conférez-les avec ma traduction ; et quand vous rencontrerez des leçons et des choses différentes, interrogez quel Hébreu il vous plaira, et demandez-lui à laquelle des versions vous devez vous arrêter. Que s'il vous répond que la mienne est la véritable, je ne crois pas que vous le preniez pour un devin, encore que vous voyiez que nous nous sommes rencontrés dans une même explication.

Pour vous, ô servantes de Jésus-Christ, qui répandez sur la tête du seigneur Jésus, assis à table, le parfum précieux de votre foi, et qui ne cherchez point le Sauveur dans son sépulcre, sachant qu'il est retourné à son Père par son ascension glorieuse, c'est vous que je prie instamment de m'accorder le secours de vos prières, et de les opposer comme des boucliers aux traits de ces médisants qui déchirent ma réputation sans garder aucune mesure , et qui espèrent passer pour savants pourvu qu'ils puissent médire et parler désavantageusement des ouvrages des autres. De mon côté, je connais assez ma faiblesse, et je veux toujours me souvenir de cette belle maxime du Psalmiste : "J'ai dit en moi-même: Je veillerai sur ma conduite, pour ne point pécher par ma langue; je mettrai un frein à ma bouche tandis que le méchant s'élèvera contre moi. Je me suis tu, je me suis tenu dans l'abaissement, et n'ai pas même dit de bonnes choses. "

 

 

 

 

 

SUR LE PROPHÈTE ABDIAS. A PAMMAQUE.

Quand j'étais enfant je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant ; mais depuis que je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l’enfance. Si l'Apôtre a fait des progrès, et si chaque jour il a oublié te qu'il avait déjà fait, pour s'avancer vers quelque chose de plus parfait et obéir à la parole du Sauveur, qui défend à ceux qui ont mis la main à la charrue de regarder derrière eux, ne dois-je point espérer, à plus forte raison, émoi qui ne suis point arrivé à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge de Jésus-Christ, qu'on me pardonnera une faute que j'ai faite en ma jeunesse, lorsque poussé par mon extrême ardeur de l'étude des Ecritures, j'osai entreprendre d'expliquer le prophète Abdias dans le sens allégorique, n'étant pas encore assez instruit du sens historique et littéral. J'avais alors une forte passion pour l'intelligence du sens mystique et figuré des Ecritures; et parce que j'avais lu dans l’Evangile que tout est possible à ceux qui ont la foi, j'oubliais en même temps ma propre insuffisance, et je ne faisais pas attention que les dons sont différents dans l'Eglise, et que tous n'y possèdent pas les mêmes grâces. La connaissance que je croyais avoir des belles-lettres et des sciences humaines était cause que je me croyais, et me flattais de pouvoir lire un livre scellé. Mata qu'il y avait en moi de la témérité et de l'imprudence d'oser espérer de réussir dans l'explication de ce livre, pendant que les vingt-quatre vieillards et les animaux mystérieux, tous pleins de lumières, se lèvent de leurs trônes pour se prosterner devant l'agneau et lui rendre gloire, en confessant leur propre ignorance! Dieu ne m'avait pas encore ordonné d'annoncer sa parole, et je ne pouvais me flatter que la pratique de ses commandements m'en eût mérité l'intelligence. J'avais mis en oubli cette parole de l'Evangile : " Bienheureux sont ceux qui possèdent la pureté de cœur, parce qu'ils verront Dieu. " Enfin, quoique mes lèvres n'eussent point été purifiées par un charbon ardent pris sur l'autel, et que le Saint-Esprit n'eût point encore dissipé les ténèbres de mes anciennes erreurs, j'avais néanmoins la hardiesse de dire avec un prophète : " Me voici, envoyez-moi.

Je croyais que cette première épreuve de mon petit génie demeurerait inconnue et cachée dans ma cassette, et j'avais destiné au feu un ouvrage si imparfait; mais je fus bien surpris d'en voir un exemplaire entre les mains d'un jeune homme qui venait d'Italie, et qui était à peu près du même âge que moi quand je fis ce commentaire. Lorsque je le vis louer si hautement mes explications allégoriques, je vous avoue que je fus étonné que mon livre, malgré la faiblesse de son style, eût des admirateurs. J'entrai, en admiration à cause que, si mal écrit que soit un livre, il ne laisse pas d'avoir des approbateurs. Il louait ce qui me faisait rougir de confusion, et élevait jusqu'au ciel les sens mystiques que j'avais trouvés dans les paroles du prophète, pendant que je tenais baissés les yeux vers la terre de peur qu'on ne s'aperçût de la honte qui paraissait sur mon visage.

Mais quoi donc! faut-il que je condamne tout-à-fait et que je désavoue les premiers essais de ma jeunesse? Non, ce n'est point là mon dessein, car je sais que pour la construction du tabernacle on n'offrit pas seulement de l'or, mais qu'on fit aussi des présents d'étoffes de poils de chèvre. Nous lisons même dans l'Evangile que toutes les offrandes des riches ne furent pas si agréables à Dieu que deux oboles d'une pauvre femme veuve. Je donnais donc en ma jeunesse ce que je pouvais avoir en ce temps-là, et maintenant je rendes au Seigneur tout le profit que j'ai fait en plusieurs années, me souvenant que c'est par sa grâce que je suis ce que je suis, et avouant que je me suis beaucoup appliqué à l'étude des Ecritures durant trente années qui se sont écoulées depuis mon premier coup d'essai. J'ai trouvé un père plein de bonté, qui reçoit avec empressement ses enfants quand ils reviennent de leurs égarements, et qui, n'attendant point qu'on se présente à la porte, va lui-même au-devant de ceux qui reviennent, pour leur donner Panneau et le riche vêtement qu'il leur avait fait préparer. Quoique le frère aîné en témoigne du chagrin et de la jalousie, et qu'il ose leur reprocher les débauches passées, les anges du ciel font retentir des concerts harmonieux et se réjouissent du salut de ceux qui font pénitence.

Au reste, mon cher Pammaque, que j'aime plus que n a vie, je composai ce premier commentaire mystique aussitôt après que nous eûmes quitté vous et moi les écoles de rhétorique, et dans le temps que je songeais, avec mon cher Héliodore, à me retirer du monde et. à aller vivre solitaire dans le désert de Chalcide, sur les confins de la Syrie et de l'Arabie. Puis donc qu'un ouvrage que je croyais n'être connu de personne est devenu si public malgré moi, je tâcherai de revenir sur mes pas, et de redresser les lignes qui tombent et qui vont de travers. J'étais alors encore tout enfant, et à peine avais-je appris à bien écrire; ma main était chancelante, mes doigts tremblaient encore en écrivant. Actuellement, quand je n'aurais fait d'autres progrès, je suis du moins persuadé de cette belle maxime attribuée à Socrate : " Je sais que je ne sais rien. "

Mais Cicéron, l'honneur de votre ville, ne se plaint-il pas lui-même de n'avoir pas écrit d'abord très bien, et, pendant un temps, d'avoir laissé échapper des fautes de commençant? Si donc ce célèbre orateur a trouvé des défauts et dans ses livres à Hérennius et dans ses pièces de rhétorique (que je regarde comme des pièces achevées), et s'il a méprisé ces ouvrages en les comparant à ceux qu'il a composés dans sa vieillesse, pourquoi ne me sera-t-il point permis de regarder mon premier commentaire sur Abdias comme l’ouvrage imparfait d'un jeune homme, et celui que je fais présentement comme le travail d'un homme qui est arrivé à la maturité de la vieillesse? Je pourrais encore me défendre par l'exemple de Tertullien, d'Origène et de Quintilien, même dans les douze livres où ce dernier donne des règles pour former un orateur.

 

 

 

SUR LA TRADUCTION DU PROPHÈTE ISAIE. A PAULA ET A EUSTOCHIA.

Il ne faut pas s'imaginer que les livres des Prophètes sont écrits en vers dans l'original hébreu, comme le livre des Psaumes et les livres de Salomon, parce qu'on les voit divisés en versets dans la traduction latine. Le traducteur a cru être agréable au public en distinguant cette nouvelle traduction par un ordre nouveau, comme on a fait autrefois pour les ouvrages de Démosthène et de Cicéron.

Je me suis livré à une étude particulière d'Isaïe, que j'appellerai le prince des prophètes, non à cause de sa haute naissance, mais à cause de la beauté de son génie, de l'éclat et de la force de son éloquence. Ses idées sont grandes et magnifiques, ses pensées sont fortes et élevées, ses images sont nobles et majestueuses, et son style est brillant et énergique.

Aussi a-t-il été difficile de conserver dans la traduction toutes les beautés et toute la noblesse de ses expressions. D'un autre côté, il est bon de prévenir qu'il est tout aussi bien un évangéliste qu'un prophète ; car il nous révèle d'une manière si claire et si frappante tous les mystères de Jésus-Christ et de l'Eglise, qu'il semble plutôt raconter des choses passées que prédire des choses à venir. Et je pense que c'est ce qui a engagé les Septante , comme il sera facile de le remarquer en lisant cette traduction, à omettre plusieurs passages et à cacher aux païens les mystères de la religion judaïque, de peur de donner les " choses saintes aux chiens " et de jeter les perles devant les pourceaux.

Je sais au reste combien les prophètes sont difficiles à expliquer et je n'ignore pas que je m'expose à la censure de ceux qui, par une secrète envie, méprisent tout ce qui parait leur être supérieur. Je m'attends donc à me voir livré à toutes les attaques de l’envie et de la médisance. Mais comme les Grecs, qui néanmoins se servent de la version des Septante, ne laissent pas que de consulter les traductions d'Aquila, de Symmaque et de Théodotien, soit pour profiter de leurs lumières, soit pour mieux entendre les Septante en comparant toutes ces versions avec la leur, je prie ces lecteurs difficiles qui ne trouvent rien à leur goût de me permettre d'ajouter encore une traduction à celles que l'on a déjà données au public, et je les conjure de prendre la peine de la lire avant que de la mépriser, de peur qu'on ne les accuse de ta condamner plutôt par prévention et par caprice que par raison et avec connaissance de cause.

Mais je reviens à Isaïe. Ce prophète a para dans Jérusalem et dans la Judée avant la captivité des dix tribus. Il prédit tantôt en général, tantôt séparément, tout ce qui doit arriver aux deux royaumes de Juda et d'Israël. On di. rait qu'il est entré dans le secret des desseins de la sagesse divine, et que Dieu n'a rien eu de caché pour lui; car, bien qu'il semble n'avoir en vue que les affaires de son temps et le rétablissement des Juifs après la captivité de Babylone , il est cependant certain que sa grande affaire est de nous indiquer la vocation des gentils et l'avènement de Jésus-Christ. Comme ce divin Sauveur est l'unique objet de votre affection, je vous supplie aussi, mesdames, de le prier, avec une ardeur égale à votre amour, de me tenir compte un jour des chagrins et des ennuis que me font maintenant éprouver mes ennemis, qui ne se fatiguent ni de m'attaquer, ni de me diffamer de toutes les manières; car notre Seigneur sait bien que je ne me suis appliqué avec tant de soin et de travail à l'étude d'une langue étrangère que pour empêcher les Juifs d'insulter plus longtemps à son Eglise, et de lui reprocher que tout est corrompu et défiguré dans nos saintes Ecritures.

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE DE LA TRADUCTION DU LIVRE SUR LE SAINT-ESPRIT DE DYDYME. A PAULINIEN.

Lorsque je demeurais à Babylone, que j'étais nouvel habitant de la prostituée couverte de pourpre, et que je jouissais du droit de bourgeoisie chez les Romains, j'entrepris de dire quelque chose de la divinité du. Saint-Esprit, et j'avais résolu de dédier l'ouvage à l'évêque de cette ville; mais à peine avais-je commencé que je vis, comme un autre Jérémie, un grand pot de terre du côté d'Aquilon, qui me parut être tout en feu; j'entendis en même temps que le sénat des pharisiens avait prononcé la sentence de ma condamnation. Et ne croyez pas que ce filt quelque savant dans la loi, quelque homme d'esprit et grand politique, ce fut la faction de tous les ignorants qui conspira pour me perdre, comme si je leur avais déclaré hautement une guerre littéraire. Cela m'obligea de retourner aussitôt à Jérusalem, comme pour reprendre mon ancienne habitation qu'on m'avait enlevée. Ainsi, après avoir été quelque temps le spectateur de la cabane de Romulus et des jeux de Lupercal, j'ai été assez heureux pour revoir l'hôtellerie de Marie et la caverne où naquit le Sauveur du monde. Or donc, mon cher frère Paulinien, comme l'évêque Damase, qui m'avait demandé le premier cette traduction, repose maintenant en Jésus-Christ; il faut, avec le secours de vos prières et de celles des vénérables servantes de Jésus-Christ, Paula et Eustochia, que je chante ici le cantique que je n'ai pu chanter dans une terre étrangère, estimant infiniment plus grande la gloire et la dignité du lieu de la naissance de Jésus-Christ que celle de la ville impériale de Romulus, souillée par un fratricide.

Mais pour ne pas m'attribuer l'ouvrage d'un autre auteur et devenir semblable à ceux qui se parent des belles plumes des autres oiseaux, j'ai mieux aimé prendre la qualité d'interprète que de faire quelque livre de mon chef. J'ai lu depuis quelque temps les traités d'un anonyme sur la divinité du Saint-Esprit, et j'y ai remarqué ce qu'a dit une fois un poète comique, je veux dire "une méchante traduction latine d'un excellent original grec. " Il n'y a rien dans cet ouvrage qui se ressente de l'art de la logique, rien de fort ni d'embarrassant pour obliger le lecteur, comme malgré lui, à se. rendre à ce que l'on dit; au contraire, tout y est faible et languissant; et s'il s'y trouve quelque beauté, elle est affectée, fardée et empruntée. Or mon Didyme, ayant les yeux de l'épouse des Cantiques, porte sa vue bien plus loin, et par sa pénétration il nous fait remonter su temps où les prophètes étaient appelés " les voyants. " Ceux qui voudront le lire reconnaîtront infailliblement que les Latins ont tout dérobé à cet auteur; et, comme ils pourront puiser dans la source même, ils se mettront peu en peine d'aller chercher l'eau dans les ruisseaux. Il est vrai que l’ouvrage de Didyme n'est pas éloquent, mais il a un grand fond de science, et par là il nous fait assez voir qu'il imite le style des hommes apostoliques, tant dans la simplicité des termes que dans la majesté et la profondeur des pensées.

 

 

 

EXPLICATION DES CÉRÉMONIES DE L'ANCIENNE LOI ET DE L'HABILLEMENT DES PRÊTRES.

A FABIOLA,

Moïse était revêtu d'une telle gloire en parlant, que le peuple ne pouvait le regarder à cause de la splendeur et de la lumière qui éclataient en lui. Mais quand nous nous convertissons véritablement à Dieu, le voile qui couvrait le visage de Moïse est levé; la lettre qui tue meurt elle-même, et l'esprit qui donne la vie est renouvelé; car Dieu est l'esprit et la loi spirituelle. De là vient que David, dans un de ses psaumes, demande à Dieu qu'il lui ouvre et lui illumine les yeux, pour, contempler les merveilles de sa loi.

En effet, est-ce que Dieu se met en peine de ce qui regarde les boeufs? est-ce qu'il se soucie de leur foie et de celui des boucs et des béliers, ou de leur épaule droite, de leur poitrine, et des intestins qui étaient donnés aux prêtres, aux enfants de Phinées pour les nourrir? A l'égard des victimes qu'on appelait " salutaires, " la graisse qui était à l'entour de la poitrine et la noix du foie étaient présentées sur l'autel; mais la poitrine et le côté droit devenaient le partage d'Aaron et celui de ses enfants, dont ils ne pouvaient jamais être privés.

Toutes ces cérémonies étaient des instructions mystérieuses pour nous. Le principe du sentiment est dans le coeur, et le coeur est dans la poitrine. Les naturalistes demandent où réside particulièrement l'âme. Platon prétend que c'est dans le cerveau, et Jésus-Christ nous apprend, lui, que c'est dans le coeur " Bienheureux, dit-il, ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu! " et ailleurs : " Les méchantes pensées partent du coeur; " et parlant . aux pharisiens, il leur demande " pourquoi ils donnent entrée en leurs coeurs à de mauvaises pensées. " C'est l'opinion des physiciens que la volupté et la concupiscence viennent du foie, et les prêtres l'offrent à Dieu afin qu'ayant dit : " Que votre holocauste soit parfait, " et qu'ayant consumé par le feu ce qui est la source de la concupiscence et de l'amour des plaisirs, ils reçoivent pour récompense la poitrine et le côté de la victime, c'est-à-dire : les pensées pures, l’intelligence de la loi, la vérité de ses préceptes qui résident dans le coeur, la puissance de faire de bonnes oeuvres, et la force pour combattre contre le démon, qui dépendent du bras , qui est attaché au côté. Car ils doivent montrer par leurs actions quelles sont leurs pensées, à l’exemple de Jésus-Christ qui commença à enseigner par des faits. Tout cela et ces paroles de Malachie : "Les lèvres du prêtre gardent la science, et on attend de sa bouche l'explication de la loi, " montrent que le soin principal d'un prêtre doit être de se rendre savant dans la loi de Dieu pour résister à ceux qui s'y opposeront, et qu'il ne doit commettre aucunes mauvaises actions qui le conduisent en enfer, mais se servir du bras droit, c'est-à-dire : faire en sorte par sa vertu que ses actions soient distinguées de celles des autres.

Voilà ce que j'ai cru être obligé de vous dire des victimes " salutaires, " des parties qui en étaient consumées sur l'autel, et de celles que Dieu a commandé qu'on donnât aux prêtres. Quant aux autres, excepté l'offrande des prémices, où l'on songeait plutôt à leur subsistance qu'à quelque instruction mystérieuse, ils avaient trois parties de l’animal qui était immolé ; le côté, la mâchoire et le ventre. J'ai expliqué ce qui regarde le côté. La mâchoire est la figure de la science et de l'éloquence qu'un prêtre doit avoir, et le ventre, par où Phinées perça la Madianite de son épée, nous enseigne que tous les travaux des hommes et l'attache qu'ils ont aux plaisirs sensuels, et particulièrement à ceux de la table, sont méprisables par la considération de ce qu'ils deviennent. Cela apprend à ceux qui servent véritablement Dieu que tout ce qui entre dans la bouche descend de là dans le ventre, et est jeté ensuite au lieu secret. De lâ vient que l'Apôtre dit : " Les viandes sont pour le ventre et le ventre pour les viandes, mais Dieu détruira un jour l'un et l'autre." En parlant de ceux qui sont adonnés à leurs plaisirs, il dit encore " qu'ils font leur Dieu de leur ventre , et qu'ils mettent leur gloire dans leur propre honte. " Moïse fit mettre en poudre le veau d'or que le peuple d'Israël avait adoré, et ensuite le lui donna à boire par dérision de sa superstition, et pour lui faire concevoir du mépris pour une chose qui se tournait en excréments. L'usage du vin et de tout ce qui peut enivrer est défendu à ceux qui sont consacrés au service des autels, de peur que leurs coeurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes et du vin et par les inquiétudes de cette vie, et afin qu'ils ne s'attachent sur la terre qu'à Dieu seul. La loi veut aussi qu'ils n'aient aucun défaut en leurs corps, qu'ils aient les oreilles entières et les yeux bons, qu'ils ne soient ni boiteux ni défigurés; et tout cela est une instruction pour quelques vices particuliers de l'âme. En effet, Dieu ne rejette pas dans un homme les défauts de la nature, mais les dérèglements de la volonté.

Si un prêtre se souille par quelque impureté involontaire, il lui est défendu de s'approcher de l’autel; et au contraire une veuve arrivée à l’âge de Sara est reçue à cause de sa continence, et on la fait subsister des deniers du temple, pourvu qu’elle n’ait pas d'enfants; mais si elle en a, on la leur met entre les mains, afin que, suivant ce que dit l'Apôtre, celles qui sont vraiment veuves ne manquent pas d'assistance, et que celle qui est entretenue du bien de l’autel n'ait de l'affection pour aucune chose. Les voisins et les mercenaires ne mangeaient pas avec les lévites, mais ce qu'on desservait de leur table était donné à leurs serviteurs : c'est-à-dire que dès ce temps-là on condamnait Phigèle et Hermogène, et qu'on recevait Onésime. On offrait aux grands prêtres les prémices de toutes sortes de viandes, de grains et de fruits, afin qu’étant assurés de leur nourriture et de leur vêtement, ils pussent servir Dieu sans obstacle et sans soucis. On leur donnait les premiers-nés des animaux regardés comme " purs, " et l’on vendait ceux des " immondes, " et ils en recevaient l’argent. On rachetait aussi les premiers-nés des hommes, et parce que dans toutes les conditions la manière de naître est la même, le prix de rachat était égal pour tous, afin que les riches ne devinssent pas orgueilleux pour avoir payé beaucoup, et qu'une somme excessive n'incommodât pas les pauvres. Les dîmes étaient le partage des portiers et de ceux qui avaient soin de la sacristie; mais ils payaient ensuite la dîme de ces mêmes dîmes aux prêtres, auxquels ils étaient inférieurs comme ils étaient eux-mêmes supérieurs au reste du peuple. Il y avait quarante-huit villes choisies pour la demeure des prêtres et des lévites, et six, tant en-deçà qu'au-delà du Jourdain, pour celle des exilés, dont le bannissement durait jusqu'à la mort du grand prêtre. Tout ce que je vous ai dit jusqu'ici, et dont je vous ai plutôt indiqué que découvert les mystères, regarde seulement les simples prêtres; et je vais en peu de mots vous expliquer le nombre et la grandeur des prérogatives du pontife.

Il lui était défendu de se découvrir la tête. Il portait un bonnet où, sur la partie qui descendait sur le front, le nom de " Dieu " était écrit. Il avait le diadème. Il fallait qu'il eût trente-trois ans accomplis, c’est-à-dire qu’il fût de l'âge de Jésus-Christ quand il est mort, et il devait être toujours revêtu de sa gloire. Il ne lui était pas permis de déchirer ses habits, parce qu'ils étaient blancs et sans tache; et on les faisait avec de la laine d'une brebis tondue pour la première fois. Aussi Thamar, ayant perdu sa virginité, mit sa robe en pièces, et Caïphe, étant destitué du sacerdoce, déchira en public ses vêtements. Et le grand prêtre n'allait pas où il y avait un corps mort, car il n'entrait pas où il y avait du péché, qui est accompagné de la mort. " L’âme, " dit l'Ecriture, " qui aura péché, mourra. " Quelque riche que fût une personne, quelle que fût son autorité, et quelque quantité de victimes qu'elle pût offrir, le grand prêtre n'en approchait pas et ne la voyait pas si elle était morte, c'est-à-dire : si elle avait péché. Au contraire, si elle ressuscitait, qu'elle sortît du tombeau à la voix du Seigneur qui l’appelait, et, qu'étant délivrée des bandelettes du péché, elle marchât libre, le grand prêtre demeurait chez elle et mangeait avec elle après sa résurrection. Il lui était défendu d'offenser Dieu à cause de son père et de sa mère; car l'affection que l’on a pour eux nous porte sans doute à beaucoup de choses; et souvent une parenté fondée sur la chair et le sang est cause de la perte de l'âme et de celle du corps. "Celui, " dit l'Evangile, "qui aime son père ou sa mère plus que Jésus-Christ n'est pas digne de Jésus-Christ ; " et un disciple voulant aller ensevelir son père, le Sauveur le lui défendit. Combien y a-t-il de solitaires que le désir de secourir leur père et leur mère a perdus! Si notre père ou notre mère ne doit pas noms être une occasion de souillure, à plus forte raison nos frères , nos sœurs, notre famille et nos serviteurs. Nous sommes de la race choisie et de l’ordre des prêtres-rois. Ne considérons que ce père qui ne meurt jamais ou qui ne meurt que pour nous, et qui, étant en vie, c'est-à-dire: exempt de péché, a voulu endurer la mort afin de nous rendre la vie. S'il nous reste quelque chose de l'Egypte que le prince du siècle puisse reconnaître comme étant à lui, laissons-le où il est, entre les mains de la femme égyptienne, Celui qui se sauva nu en chemise n'eût pu éviter de tomber sous la puissance de ceux qui le poursuivaient, s'il eût porté quelque chose et qu'il n'eût pas été dépouillé de tout. Acquittons-nous envers nos parents de ce qui leur est dû , pourvu toutefois qu'ils soient vivants, c'est-à-dire : qu'ils ne soient pas morts par le péché; et qu'ils s'estiment glorieux de ce que leurs enfants leur préfèrent Jésus-Christ. Ainsi, le grand prêtre ne sera pas obligé de s'éloigner de nous , et nous ne serons pas cause qu'il profane ce que Dieu a sanctifié en lui, puisque trous ne pécherons pas.

Nous rendrons aussi compte, au jour du jugement, de toutes les paroles inutiles que nous aurons dites ; car " tout ce qui n'édifie pas celui qui écoute met en danger celui qui parle. " Si, en disant ou en faisant quelque chose qui mérite de m'être reproché, je cesse d'être du nombre des saints et profane le note du Seigneur en qui je mets ma confiance; le grand prêtre- et l'évêque ont beaucoup plus de sujet d'appréhender, eux qui doivent être exempts de souillure, et d'une vertu si éminente qu'ils soient toujours du nombre des saints, et toujours prêts d'offrir à Dieu des victimes pour les péchés des hommes; eux qui sont médiateurs entre Dieu et les hommes, qui font avec leur bouche sacrée la chair de l'agneau; et sur qui (huile sainte du Sauveur a été répandue.

Le grand prêtre ne sortait pas du sanctuaire, de peur de souiller les vêtements dont il était revêtu. Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été revêtus de Jésus-Christ: conservons la robe qui nous a été donnée, conservons-la toute sainte en un lieu saint. Cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho fut dépouillé avant que d'être blessé. On versa premièrement dans ses plaies de l'huile, qui est un remède doux, et pour ainsi dire le remède d'un médecin touché de compassion pour le malade; et ensuite, comme il devait être châtié de sa négligence, on y versa du vin, afin que par son âpreté sentant quelque douleur dans ses plaies, l'huile le portât à faire pénitence, et que le vin lui fit éprouver la sévérité de celui par qui il devait être jugé.

Le grand prêtre épousait une vierge, et n'épousait pas une veuve, ni une prostituée, ni une répudiée, mais une vierge de sa tribu, de peur qu'il ne souillât son sang en le mêlant avec celui du peuple; car " c'est moi," dit le Sauveur, " qui le sanctifie. " Je sais que la plupart expliquent toutes ces lois qui sont ici données au grand prêtre de Jésus-Christ, et qu'ils entendent de sa mère, qui demeura vierge après son enfantement, ces paroles : "Dieu ne sera pas offensé à cause de son père et de sa mère;" et j'avoue qu'il est plus convenable de faire cette interprétation de celui à qui il est dit dans le psaume: "Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisedec ;" et par Zacharie : "Écoutez, ô grand prêtre, Jésus, à qui les sales vêtements de nos péchés ont été ôtés, afin qu'il obtienne la gloire qu'il avait reçue auprès de votre père avant que le monde fut créé; " mais, de peur qu'on ne croie que je veuille faire violence à l'Écriture, et que l'amour que j'ai pour mon Sauveur m'oblige à ôter à l'histoire son véritable sens, l'interprétation que j'en ferai tournera à ta gloire du chef : Ce que j'expliquerai des serviteurs s'accomplira devant le maître, quoique la gloire des serviteurs soit celle du maître; et même, à chaque occasion qui s'en présentera, je parlerai de telle sorte de la véritable lumière, que je ferai voir qu'elle est descendue sur ceux que Jésus-Christ a choisis pour être la lumière du monde.

Il n'était pas permis à ce grand prêtre dont parle Moïse d'épouser une veuve, une répudiée ni une prostituée. Celle-là est une veuve dont le mari est mort; celle-là est une répudiée qui est abandonnée par son mari vivant; et celle-là enfin est une prostituée qui a vécu avec plusieurs hommes. Mais il fallait qu'il épousât, suivant ce que Moïse lui ordonne, une vierge de sa tribu, et non pas d'une tribu étrangère, de peur que la semence du bon grain ne dégénérât dans une mauvaise terre. Il lui était défendu d'épouser une prostituée parce qu'elle s'était abandonnée à plusieurs hommes, une répudiée parce qu'elle s'était rendue indigné de son premier mari, et une veuve de peur qu'elle ne rappelât en sa mémoire les plaisirs de ses premières noces; c'est-à-dire que son âme devait être sans tache, et, renaissant en Dieu, augmenter tellement en vertu que de jour à autre elle parût une âme nouvelle, afin qu'il fût du nombre de ceux dont parle l'Apôtre : " Je vous ai fiancés à un unique époux, qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure, et qu'il ne restât rien en lui du vieil homme. " Si donc nous sommes ressuscités avec Jésus -Christ, recherchons ce qui est dans le ciel; à l'exemple du grand prêtre, oublions le passé et ne désirons que les biens à venir. Le misérable Simon fut trouvé indigne de la compassion de saint Pierre, parce qu'après avoir été baptisé il songea aux plaisirs de l'ancien mariage et n'eut pas une pureté de vierge.

Vous m'avez prié avec instance dans vos lettres que je vous entretinsse d'Aaron et des habillements du grand prêtre. J'ai fait plus que vous n'avez demandé , ayant mis à la tête de ce discours une petite préface où j'ai traité des prémices des fruits, des parties de la victime qui étaient données aux prêtres pour leur nourriture, et des lois que le grand prêtre était obligé de garder. Mais, sortant de Sodome, et vous hâtant de monter sur le sommet de la montagne, vous laissez derrière vous les Israélites et les lévites; vous allez même aussi vite que si vous voliez, plus loin que les prêtres, et vous venez enfin jusqu'au grand prêtre. Cependant, quoique. vous vous informiez soigneusement de ses habillements auprès: de moi, je crois que notre compagnie ne vous est pas agréable. Ce n'est pas que vous ne jouissiez, peut-être d'un repos très doux, et qu'auprès de Babylone, où vous êtes, vous ne soupiriez après Bethléem; mais pour nous, à la fin, nous y avons trouvé la paix; nous y entendons, dans la crèche, les cris de l'Enfant, et je souhaiterais que le bruit de ses pleurs et de ses petites plaintes pût aller jusqu'à vos oreilles.

Il est fait mention dans l'Exode du tabernacle, d'une table, d'un chandelier, d'un autel, de colonnes, détentes de lin, de pourpre, d'écarlate, de différents vases d'or, d'argent et d'airain, de la division du tabernacle en trois, de douze pains qui se mettaient sur la table toutes les semaines, de sept lampes attachées au chandelier, d'un autel pour les victimes et les holocaustes, de tasses, d'encensoirs, de fioles, de mortiers, de poteaux, de peaux teintes en écarlate, de poils de chèvre, et de bois incorruptible. Toutes ces choses différentes servaient au tabernacle de Dieu, pour nous apprendre que personne ne doit désespérer de son salut. En effet, les uns peuvent offrir l'or de leur sens, les autres l'argent de leurs paroles , et les autres le bronze de leur voix.

Le monde entier nous est représenté par le tabernacle, dont le premier et le second vestibule étaient ouverts à toutes sortes de personnes, car l'eau et la terre ont été créés pour tous les hommes; mais l'entrée du sanctuaire, qu'on appelait autrement: le lieu saint des lieux saints, n'était libre qu'à peu de gens, comme s'il y en avait peu qui pussent entrer dans le ciel. Les douze pains sont la figure des douze mois de l'année, et les sept lampes attachées au chandelier, celle des sept planètes.

Mais pour ne pas m'étendre davantage sur ce sujet, ne m'étant pas proposé de faire ici la description du tabernacle entier, je commencerai à parler des habillements des prêtres, vous apprenant comment ils étaient faits et les propres noms qu'ils avaient parmi les Juifs, avant de vous expliquer les mystères qui y étaient renfermés, afin que vous en ayant fait la peinture, et vous ayant, pour ainsi dire, placé devant les yeux les prêtres revêtus de leurs ornements, je puisse ensuite vous expliquer plus facilement la raison de chacun en particulier. Commençons d'abord par les habillements communs aux prêtres et au grand prêtre.

Le premier, qui était de lin, leur descendait jusqu'aux genoux, cachant ce que la pudeur et la bienséance défendent de découvrir. La partie du haut en était liée très serré sous le nombril, afin que si, tombant en immolant les victimes, en portant des taureaux et des béliers, ou en s'acquittant de quelque autre fonction de leur ministère, on voyait par hasard leurs cuisses, ce qui devait être caché le fat toujours. C'était aussi pour cette raison qu'il était défendu d'élever l'autel, de peur que, lorsque les prêtres monteraient sur les degrés, le peuple ne vit quelque chose qui choquât l’honnêteté. Les Hébreux appellent cette sorte d'habillement michenese, les Grecs périsquele, et nous autres caleçon. Joseph, qui était de la tribu des prêtres et qui a vu le temple, qui n'était pas démoli de son temps, Vespasien et Tite n'ayant pas encore saccagé Jérusalem, rapporte (et l'on tonnait toujours mieux ce que l'on voit que ce que l'on apprend par le récit des autres) que cet habillement étant taillé, on le cousait à l'aiguille avec du fil de lin, afin que les parties en tinssent mieux les unes aux autres, parce. qu'on ne pouvait pas le faire au métier de tisserand.

Ils avaient après cela une sorte de tunique de lin de deux pièces, appelée par les Grecs juderes, c'est-à-dire : qui va jusqu'aux talons; par le même Joseph : robe de lin simplement; par les Hébreux : chetouet, qui peut être traduit par robe qui est de lin. Elle descendait jusqu'au bas des jambes et était si étroite, et particulièrement par les manches, qu'elle ne faisait pas seulement un seul pli. Je me servirai de l'exemple d'une chose ordinaire pour faire comprendre plus facilement ce que c'était à ceux qui me liront. Les gens de guerre portent d'ordinaire un certain habillement de lin appelé chemise, qui est comme collé sur leur corps, de sorte qu'il ne les empêche pas de courir, de combattre, de lancer un javelot, de tenir un bouclier, ni de faire tous les exercices de soldat : la tunique que portait le prêtre à l'autel était à peu près pareille à cette chemise; ainsi par la forme de cet habillement, il pouvait encore être aussi dispos que s'il eût été nu.

Ils nommaient leur troisième sorte d'habillement abnet; que nous pouvons traduire par ceinture, ou: baudrier; et les Babyloniens l'appellent hemejamin, qui est un mot nouveau; car j'en rapporte tous les noms différents, afin que personne n'y soit trompé. Cette ceinture était semblable à la peau qu'un serpent quitte en se renouvelant au printemps, et tissue en rond, de telle sorte qu'on l'aurait prise pour une longue bourse. Afin qu'elle fût belle et de durée en même temps, la trame en était d'écarlate, de pourpre, de hyacinthe et de fin lin, étant bigarrée de diverses couleurs si vives et si naturelles qu'on eût cru que les fleurs et les boutons de fleurs dont elle était enrichie n'étaient pas l'ouvrage de la main de l’ouvrier, mais une véritable production de la nature. Ils ceignaient, entre la poitrine et le nombril, la tunique de lin dont je viens de parler avec cette ceinture qui était large de quatre doigts; et comme elle pendait par un bout jusqu'au bas des cuisses, ils la relevaient et la jetaient sur l'épaule gauche lorsque, dans le sacrifice, il fallait courir ou s'occuper de quelque chose de grossier.

Leur quatrième sorte d'habillement était une espèce de bonnet rond semblable à une moitié de globe coupé en deux, qu'on mettait sur la tête. Les Grecs et nous le nommons puran, quelques-uns: petit chapeau, et les Hébreux mirnepheht. Il n'y avait pas de pointe au-dessus, et il ne cachait pas la tête entière avec tous les cheveux, mais en laissait par-devant environ

la troisième partie découverte, et était lié sur le cou avec un ruban, de peur qu'il ne tombât. Il était de lin, et couvert d'un linge très fin avec tant d'artifice qu'il ne paraissait pas au dehors un seul point d'aiguille.

Les simples prêtres portaient aussi bien que le grand prêtre ces quatre sortes d'habillement, c'est-à-dire: le caleçon, la tunique de lin, la ceinture qui était tissue des couleurs que j'ai marquées, et le bonnet dont nous venons de parler.

Les quatre suivants étaient. seulement à l'usage du grand prêtre. Le premier, qu'ils appelaient meil, ou : tunique qui va jusqu'aux talons, était tout entier de couleur de hyacinthe, et il y avait aux côtés deux manches cousues de la même couleur. Il était ouvert par en haut afin que l'on pût y passer le cou, les bords étant en cet endroit très forts de peur qu'il ne se rompît. Il y avait au bas, c'est-à-dire vers les pieds, soixante-douze sonnettes; et autant de grenades tissues des mêmes couleurs que la ceinture , une sonnette étant entre deux grenades et une grenade entre deux sonnettes; et ces sonnettes étaient attachées à cet habillement afin que le grand prêtre fit beaucoup de bruit en entrant dans le sanctuaire ; car s'il n'eût pas fait de bruit, il serait mort sur la place.

La sixième sorte d'habillement est nommée éphod par les Hébreux, épomis par les Septante, qui veut dire: chasuble, ou: manteau, ou habit qui se porte sur les épaules, et épiramma, par Aquila. Mais je l'appellerai éphod , qui est son nom véritable; car il est constant que ce qui est exprimé dans le Lévitique par : chasuble, ou : habit qui se porte sur les épaules, est toujours pris par les Hébreux pour éphod. Je me souviens d'avoir dit dans une de mes lettres qu'il était un des habits particuliers aux grands prêtres; et toute l'Ecriture sainte assure qu'il était quelque chose de sacré, et destiné seulement à l'usage des souverains pontifes.

Ne m'objectez pas cette difficulté qui se présentera d'abord à votre esprit, qu'il est rapporté au second livre des Rois que Samuel, étant enfant et n'étant que simple lévite, avait un éphod de lin, puisqu'il est dit aussi que David en portait un devant l'arche du Seigneur. Il y a beaucoup de différence entre en avoir un tissu d'or et bigarré des différentes couleurs dont j'ai parlé ci-devant, et en porter un de lin tout simple, et semblable à celui des prêtres. On réduisait l'or en feuillets très déliés que l'on coupait ensuite par filets, à quoi ajoutant pour trame les quatre couleurs que j'ai déjà remarquées, il s'en faisait une espèce de manteau, si beau et si éclatant qu'il éblouissait les yeux de ceux qui le regardaient, étant presque pareil à celui qu'on porte aujourd'hui en Orient, appelé caracalla, excepté qu'il n'avait pas de capuchon. Il n'y avait rien au-devant sur la poitrine, car on laissait ce lieu vide, comme étant la place du rational. Il y avait sur chaque épaule une pierre précieuse, appelée parles Hébreux soom, par Aquila, Symmaque et Théodotien sardonix, par les Septante : émeraude, et par Joseph sardonique, ou. sardoine, s'accordant en cela avec les Hébreux et avec Aquila. Pour marquer la couleur de cette pierre et le pays d'où elle venait, six noms des douze apôtres, d'où descendaient les douze tribus, étaient écrits sur chacune de ces pierres, les six fils aînés de Jacob étant sur l'épaule droite et les six autres sur la gauche, afin que le grand prêtre entrant dans le sanctuaire portât les noms du peuple pour lequel il allait prier le Seigneur.

Le septième habillement, quoique plus petit si l'on en considère l’étendue, était le plus saint et le plus auguste de tous. Soyez, je vous prie, attentive en cet endroit, afin de comprendre ce que je dirai. Les Hébreux l'appellent hosen, les Grecs logion, et nous le nommerons : rational, afin dé faire voir par son nom même qu'il était plein de mystère. C'était un morceau d'étoffe tissue des mêmes couleurs que celles qui étaient au manteau ou chasuble dont nous avons parlé, grand d'un pied en carré, et double afin qu'il ne rompît pas aisément. Douze pierres d'une grandeur et d'un prix extraordinaires y étaient enchâssées en quatre rangs. Une sardoine, une topase et une émeraude composaient le premier rang. Il est vrai qu'à l'égard de la dernière, Aquila est d'un autre sentiment, mettant une crysopase pour une émeraude. Une escarboucle, un saphir, un jaspe faisaient le second, une lisoire, une agate et une améthysthe le troisième, et une chrysolite, une sardoine et un beril le quatrième. Et je m'étonne que celle que nous nommons :hyacinthe, et qui est très précieuse, ne soit pas du nombre des douze, à moins qu'elle n'y soit au troisième rang sous le nom de lisoire; car quelque peine que j'aie prise à feuilleter les auteurs qui ont écrit sur les pierres précieuses, je n'en ai trouvé aucun qui en parlât. Les noms des douze tribus étaient gravés dans chacune de ces pierres, suivant leur ancienneté. Il y avait de ces pierres au diadème du roi de Tyr, et nous lisons dans l'Apocalypse que la céleste Jérusalem en était bâtie. La diversité de leurs noms et de leurs espèces nous marque la différence et le rang de chaque vertu. Outre cela, il y avait aux quatre coins du rational quatre anneaux d'or, auxquels répondaient quatre autres pareils gui étaient attachés aux chasubles ou, manteaux, afin que, quand on mettait le rational en la place vide qui lui était réservée dans le manteau, comme nous l'avons dit, ces anneaux se rencontrassent les uns les autres, et qu'on les liât ensemble avec des bandes de couleur de hyacinthe. Au reste ces pierres étaient arrêtées avec de l'or, de peur que si elles eussent été attachées avec autre chose elles ne se rompissent. Outre cela, afin que tout tînt avec plus de fermeté, il y avait encore des chaînons d'or couverts, pour l’embellissement de l'ouvrage, de tuyaux de même métal, des chaînons, dis-je, qui, partant de deux autres grands anneaux attachés au haut du rational, se venaient accrocher à deux agrafes d'or qui étaient au manteau. Outre ces deux grands anneaux attachés au haut du rational, on en voyait deux autres pareils en bas, où il y avait des chaînons tels que ceux que je viens. de marquer, venant se joindre à deux autres anneaux d'or qui tenaient chacun de leur côté au derrière du manteau, à l'endroit qui répondait à l'estomac; de sorte que le rational était si bien attaché au manteau et le manteau au rational, qu'il semblait qu'ils ne fussent que d'une pièce l'un et l'autre.

Le huitième enfin, nommé sis zaub, était une lame d'or sur quoi le nom de " Dieu " était écrit en quatre lettres, jod, he, van, he, qui composent le nom que les Hébreux appelaient: ineffable. Cette lame d'or, que les simples prêtres ne portaient pas, était posée sur le bonnet de lin, qu'ils avaient comme le grand prêtre, et elle était attachée sur son front avec un ruban de hyacinthe, afin que le nom de Dieu lui servit de protecteur, et couronnât pour ainsi dire la beauté de tous ses ornements.

Jusqu'ici nous avons vu les habillements qui étaient communs au souverain pontife et aux simples prêtres, et ceux qui n'étaient que pour l’usage particulier du premier. Mais si de simples vaisseaux de terre nous font naître tant de difficultés, quelle sera la grandeur du trésor et des mystères qui y sont renfermés ! Commençons donc, selon notre coutume, par dire ce que nous avons appris des Hébreux, et ensuite nous,en découvrirons le sens mystique.

Les quatre couleurs sont la figure des quatre éléments qui entrent dans la composition de tous les êtres, le lin représentant la terre qui le produit, la pourpre la mer, parce qu'elle se fait de coquilles qui s'y pêchent; l'azur l'air, à cause de la ressemblance qu'il y a de la couleur de l'un à celle de l'autre; et l'écarlate enfin le feu, pour la même raison. Le feu est appelé en hébreu sin, qu'Aquila traduit par diaphorume et Symmaque par dibaphon, quoiqu'au lieu de cocus, dont les Latins se servent pour signifier: écarlate, les Hébreux disent tolouath, qui signifie: vermisseau; ajoutant qu'il était juste que le souverain pontife priât non-seulement pour les. Israélites, mais aussi pour le monde entier, qui est composé de la terre, de l'eau, du feu et de l'air, qui appartiennent à tous les hommes. C’est pourquoi ils assurent que son premier habillement, qui était de lin, représentait la terre; le second, d'Hyacinthe, l'air qui s'élève insensiblement de bas en haut, et qui, s'étendant depuis le ciel jusqu'à la terre, était particulièrement marqué par cette robe d'hyacinthe qui couvrait le grand prêtre depuis la tète jusqu'aux talons. Pour les sonnettes et les grenades attachées au bas de cet habillement, et entremêlées comme nous avons dit, ils les rapportent au tonnerre et à la foudre qui se forment dans la moyenne région de l'air, ou à la terre, à l’eau et à tous les éléments, dont les rapports sont si grands qu'ils se trouvent partout mêlés les uns avec les autres. A l'égard de l'or dans lequel les quatre couleurs étaient tissues, il était, selon leur opinion, l'image de la chaleur qui entretient la vie, ou de la Providence éternelle qui pénètre tout. lis croyaient que la chasuble ou manteau, et les deux émeraudes ou sardoines qui y étaient attachées sur les épaules, représentaient les deux hémisphères, dont l'un est découvert et l'autre caché à nos yeux, ou le soleil et la lune qui luisent dessus; que la ceinture dont la tunique de lin était ceinte se devait entendre de l'Océan, qui est autour de la terre comme cette ceinture autour de cette tunique. Ils interprétaient par le rational, qui était au milieu, la terre qui comme un point est soutenue par tous les éléments, quoiqu'elle les renferme tous en elle-même; et par les douze pierres précieuses le zodiaque, ou les douze mois de l'année, rapportant une saison à chaque rang de ces pierres, et à chaque saison trois mois.

Au reste, il ne faut pas se persuader qu'il y ait de l'idolâtrie dans cette explication; car quoique les païens aient profané les choses du ciel et l'économie que Dieu y avait établie en leur donnant des noms d'idoles, il ne faut pas pour cela nier sa Providence, qui, agissant toujours avec une conduite certaine et réglée, gouverne tout. Il est même fait mention dans les livres de Job de l'Ourse, d'Orion, du zodiaque, qui y est appelé mazolothe, et des autres constellations. Il est vrai qu'elles ne sont pas appelées en hébreu des noms que je rapporte ici ; mais on ne peut faire concevoir sa pensée qu'en se servant des termes qui sont connus à celui à celui qui nous écoute.

Pour ce qui regarde l'ornement en carré qui était au-devant du manteau, c'est avec beaucoup de raison qu’ il est nommé : rational. Il n'y a rien au monde dont il n’y ait une raison; une raison est cause de l'union qui est entre les choses du ciel et celles de la terre; même le cours du ciel est la raison qui règle le chaud et le froid, et le tempérament qui se trouve entre l'un et l’autre et qui gouverne tout ce qui est sur la terre; et de là vient que le rational était si bien attaché au manteau, qui est la figure de la terre. Or, les deux mots grecs delocis et aleteia, dont le premier veut dire . éclaircissement, ou : doctrine, et l'autre: vérité, qui selon quelques-uns étaient écrits sur le rational , ces deux mots, dis-je, nous apprennent qu'il n'y a jamais d'erreur dans la raison sur laquelle est appuyée la conduite que Dieu tient, et que la " vérité " de cette raison vient jusqu'à la connaissance des hommes par plusieurs preuves et divers " éclaircissements. "

C'est pourquoi nous. savons la raison du mouvement du soleil et de la lune, de la durée des années, des mois, des heures et du temps, de la température des saisons et des vents, et enfin de l’économie établie parmi tous les êtres du monde, recevant naturellement cette connaissance de Dieu, qui nous enseigne lui-même la raison de la structure d'un édifice qu'il a bâti et où il demeure. Le bonnet avec son ruban d'hyacinthe marque particulièrement le ciel, et la lame d'or sur laquelle était gravé le nom de Dieu, et qui était attachée au front du grand prêtre, nous montre que tout ce qui est ici-bas se gouverne par la volonté de Dieu.

Je pense aussi que les mêmes choses nous sont représentées sous d'autres noms par les quatre chérubins et par les quatre animaux d'Ezéchiel, qui sont mêlés les uns parmi les autres, de telle sorte qu'en voyant la situation de l'un et la manière dont il est disposé, on voit la disposition et la situation de l'autre. Ils courent avec vitesse vers ce qui est devant eux et ne reviennent jamais sur leurs pas, car le temps coule promptement, et, laissant ce qui est passé, ils s'avancent vers ce qui est à passer. A l'égard du mouvement continuel où ils sont, il est la figure de ce dont il semble que les philosophes aient quelque légère connaissance, que le cours du monde est réglé, et qu'il roule sans cesse comme une roue sur son essieu. C'est ce qui a fait parler ce prophète d'une roue qui est dans une roue, c'est-à-dire du temps qui est dans le temps et de l'année qui roule en elle-même. Ces roues montent jusqu'au ciel, où il y a un trône de saphir élevé sur du cristal, et dans ce trône la figure d'un homme assis, dont la partie de bas est de feu et celle de haut d'ambre, pour démontrer que ce qui est sur la terre a besoin d'être purifié par le feu, et que ce qui est au ciel subsiste dans sa. condition par sa propre pureté. Or comme la lame d'or du grand prêtre était en haut élevée sur son front, Ezéchiel met l’ambre à la tête et à la poitrine de l'homme dont il fait mention.

Il était donc juste, comme nous l’avons déjà dit en partie, que le souverain pontife, portant dans ses habillements un tableau de toutes les créatures, lit entendre qu'elles avaient toutes besoin de l'assistance de Dieu, et que, les lui présentant de la sorte, il expiât ce que chacune avait d'impur en sa condition, ne priant pas, de la voix et par l'habillement, seulement pour ses parents et sa famille, mais encore pour tous les êtres du monde.

Nous ne nous sommes pas étendu davantage sur l'explication que donnent les Hébreux à ces habits, nous contentant d'avoir comme jeté les fondements d'un discours que nous vous allons faire, réservant pour un autre temps une infinité d'autres interprétations.

Pour les caleçons de lin, ils disent communément que la cause des générations et de la production des semences regardant la chair est attribuée à la terre par cette sorte d'habillement que les prêtres portaient sur les cuisses, suivant. ce que Dieu dit à Adam : " Tu es de terre et tu retourneras en terre." Mais ils ajoutent que cette cause nous est inconnue, et que nous ne pouvons découvrir de quelle manière de si petits commencements peuvent produire tant d'hommes et tant d'autres créatures si belles.

Nous lisons dans le Lévitique que Dieu commanda à Moïse de laver Aaron et ses enfants; car dès ce temps-là les mystères du baptême étaient les signes de la purification du monde et de la sanctification de toutes choses. Ils ne furent vêtus qu'après avoir été nettoyés de toutes les souillures, et ne reçurent les habits sacerdotaux, pour servir dans le sacrifice, que lorsque, étant régénérés, ils eurent pris une nouvelle naissance en Jésus-Christ; car on ne met pas du vin nouveau dans de vieux vaisseaux. Moïse qui les faisait laver représente la loi. "Ils ont, dit l’Evangile, Moïse et les prophètes: qu'ils les écoutent;" et ailleurs : " Tous les hommes, depuis Adam jusqu'à Moïse, ont péché." Il faut, à leur exemple, que nous soyons lavés et purifiés par l'observation des commandements de Dieu, afin que, nous étant dépouillés des habits du vieil homme, nous soyons revêtus d'une robe de lin, où il n'y a rien de la mort, mais qui est toute blanche, et que sortant ainsi du baptême, nous nous mettions sur les reins la ceinture de la vérité et cachions la laideur de nos vieux péchés. C'est ce qui a fait dire à David : "Bienheureux sont ceux à qui les iniquités ont été pardonnées, et de qui les péchés sont cachés! "

Après les caleçons et la tunique de lin nous prenons la robe d'hyacinthe, c'est-à-dire ;que nous commençons à quitter la terre pour nous avancer vers le ciel. Cette robe, que les Septante appellent: chemisette, était seulement à l'usage du grand prêtre; ce qui marque que la connaissance des choses relevées n'est pas accordée à tout le monde, mais seulement aux plus avancés dans la vertu et à ceux qui sont parfaits. Elle a été portée par Moïse, par Aaron, par les prophètes, et par tous ceux à qui ces paroles ont été adressées. "Montez sur la montagne, vous tous qui enseignez la parole de Dieu en Sion. " Il ne nous suffit pas d'avoir effacé par le baptême nos vieux péchés, et d'avoir conservé la grâce et les lumières intérieures que nous y avons réelles, si nous n'y ajoutons les bonnes œuvres. C'est pourquoi on prend encore l'éphod, ou le manteau, que l'on attache au rational afin qu'il soit ferme, et qu'étant joints l'un à l'autre, ils se servent mutuellement à se soutenir; car la raison a besoin de bonnes œuvres et les bonnes œuvres de la raison, afin que celles-là exécutent ce que l'autre a conçu.

Les deux pierres précieuses attachées sur les épaules du manteau sont ou la ligure de Jésus-Christ et de l'Église, les douze prophètes qui y étaient gravés représentant les douze apôtres qui ont prêché l'Evangile , ou la figure de la " lettre " et de " l'esprit, " qui renferme tous les mystères de la loi, l’esprit étant sur l'épaule droite et la lettre sur la gauche. En effet, des lettres nous venons aux paroles et des paroles nous arrivons au sens.

Certes, l'ordre et la disposition de ces habillements étaient admirables, et ils formaient un tableau achevé de nos mystères. Les bonnes œuvres étaient sur les épaules, qui tiennent aux bras, et la raison sur la poitrine ; et de là vient encore que dans les sacrifices on donnait la poitrine des victimes aux prêtres pour leur nourriture. Le rational peut être considéré en deux manières : à son endroit et à son envers, c'est-à-dire par ce qui paraît à nos yeux et par les mystères qui y sont contenus. Il y a douze pierres en quatre rangs, que je crois être l'image des quatre premières vertus : la prudence, la force, la justice et la tempérance, qui sont comme enchaînées l'une avec l'autre; de sorte qu'étant multipliées par trois ou par quatre, elles font le nombre de douze. Ces quatre rangs de pierre peuvent encore être exquis, par les quatre animaux. de l'Apocalypse, pleins d'yeux devant et derrière, et lui éclairent le monde de la lumière de Jésus-Christ dont ils sont resplendissants, tous les quatre se rencontrant dans un seul et chacun dans tous les quatre. C'est ce qui a donné lieu à quelques-uns de croire que ces deux mots grecs delocis et aleteia, dont l'un signifie : éclaircissement, ou : doctrine, et l'autre : vérité, étaient écrits sur le rational. En effet, quand on est revêtu des habillements que j'ai indiqués, c'est une conséquence qu'il faut que les vérités dont notre cœur est plein sortent par notre bouche pour l'instruction des autres. Ainsi le mot de "vérité," c'est-à-dire : science, était écrit surie rational, afin que le souverain pontife se souvînt qu'il devait être savant pour pouvoir parler, et celui " d'éclaircissement, " afin qu'il éclairât le peuple et qu'il lui enseignât ce qu'il avait appris. Que répondront à cela ceux qui soutiennent que l'innocence de la vie peut suffire à un prêtre? L'ancienne loi est conforme sur ce sujet à la nouvelle, et Moïse dit la même chose que l'apôtre : l'un fait servir le mot de " science" à l'embellissement des habits de ses prêtres, et l'autre instruit Timothée et Tite de ce qu'ils doivent apprendre au peuple.

Mais l'ordre qui s'observait en mettant les habits des prêtres de Moïse étant remarquable entre autres choses, examinons ce qu’en dit le Lévitique. On ne prenait pas le rational et ensuite le manteau, mais le manteau le premier et ensuite le rational. "Je suis devenu intelligent, dit David, en exécutant vos commandements. " Appliquons-nous d'abord à instruire les autres par nos propres actions, de peur que l'autorité de la vérité, n'étant pas soutenue des bonnes œuvres, elle ne fasse aucune impression sur leurs esprits. " Semez des actions de justice, " dit le prophète Osée, " moissonnez les fruits de vie, et éclairez des lumières de votre science, " comme s'il disait: Que vos bonnes actions d'abord vous soient comme les semences de la vie éternelle, dont vous puissiez moissonner les fruits, et puis enseignez les autres. Ce n'est pas être arrivé au souverain degré de la perfection que d'avoir mis le manteau et le rational: il faut les unir et les attacher étroitement l'un à l’autre, de sorte que les actions répondent à la science et la science aux actions, et qu'elles soient suivies de la vérité et de l'éclaircissement que nous devons donner aux autres.

Si j'avais le temps de vous entretenir des quatre éléments dont je ne vous ai parlé ci-dessus qu'en passant, des deux émeraudes ou sardoines, et des douze pierres précieuses du rational, je vous expliquerais la nature et les qualités de tout cela en particulier, et vous apprendrais pour quelles raisons les habits des prêtres en étaient enrichis, vous faisant voir plus au long comment et à quelle vertu chacune de ces choses répond; mais il suffit que le saint évêque Épiphane ait composé sur ce sujet un livre admirable; car si vous prenez la peine de le lire, vous y trouverez de quoi vous instruire à fond sur cette matières Pour moi, je m'aperçois que je passe les bornes ordinaires d'une lettre; toutes mes tablettes étant déjà remplies. C'est pourquoi je viens a ce qui reste et dont je n'ai rien dit, afin de finir ce discours.

Une lame d'or sur laquelle est gravé le nom de " Dieu, " brille au front du grand prêtre; car il nous est inutile de connaître toutes choses, si toutes nos connaissances ne sont comme couronnées de la connaissance de Dieu. Nous prenons des habillements de lin et de couleur d'hyacinthe; nous nous ceignons d'une ceinture, les bonnes couvres nous sont marquées par le manteau sur les épaules, nous couvrons notre poitrine du rational, nous sommes éclairés par la vérité, et nous enseignons aux autres ce que nous savons; mais tout cela ne peut nous rendre parfaits si nous n'avons un guide capable de nous gouverner et si celui qui nous a créés ne veille lui-même sur notre conduite. Ce qui était autrefois figuré par la lame d'or nous est aujourd'hui représenté par le signe de la croix, et le sang de l’Evangile est beaucoup plus précieux que l’or de l’ancienne loi. Les élus même d'autrefois, selon ce que dit Ezéchiel, n'étaient marqués au front qu'avec douleur, et nous chantons aujourd’hui avec le prophète : " Seigneur, la lumière de votre visage luit sur nous. "

Au reste, nous lisons dans l'Exode, en deux endroits, que Dieu commanda à Moïse de faire huit sortes d'habillements aux grands prêtres, ce qui fut exécuté; et cependant le Lévitique ne fait mention que de sept qui servirent à Aaron. Il n'y est pas parlé des caleçons, car je crois que la foi n'a pas de rapport avec ce que nous devons cacher , et il faut que nous mettions nous-mêmes un voile sur ce qui doit rester secret, ne le découvrant qu'à Dieu qui est le seul juge de notre pureté. En effet les autres peuvent connaître notre sagesse, notre force, notre justice , notre tempérance, notre humilité, notre douceur et nos autres vertus; mais la connaissance de notre chasteté est réservée à notre seule conscience dans laquelle les yeux des hommes ne pénètrent point, à moins qu'à l'exemple des animaux nous nous abandonnions publiquement aux plaisirs et aux crimes. De là vient que saint Paul a dit : " Quant aux vierges, je n'ai pas reçu de commandement du Seigneur qui oblige à la virginité ; " et il semble que, n'ayant rien dit des caleçons dans le Lévitique, Moïse ait voulu parler de la sorte : " Je n’ordonne pas de prendre les caleçons, et ne contrains personne de le faire que celui qui désire d'être prêtre les prenne lui-même. " Combien y en aura-t-il de ceux qui passent pour vierges dans le monde dont la chasteté sera condamnée au jour du jugement! et combien y aura-t-il de ceux dont on déchire aujourd'hui la réputation qui recevront de celui qui connaît leur innocence la couronne due à leur pureté ! Il faut donc que nous pressions nous-mêmes les caleçons; que, sans y appeler l’attention des autres, nous cachions nous-mêmes ce qui ne doit pas être découvert. C'est pourquoi tenons nos défauts secrets de telle sorte qu'ils ne soient aperçus de qui que et soit, de peur que nous ne mourions de la mort éternelle s'il en paraît quelqu'un quand nous entrerons dans le sanctuaire.

Mais il est temps que je finisse, et, pour répéter ici ce que j'ai déjà dit, les lumières et la science d'un prêtre de Dieu doivent être d'autant plus grandes qu'il faut que tout parle en lui, jusqu'à sa démarche et aux moindres mouvements de son corps; qu'il apprenne la vérité; et qu'elle fasse du bruit dans ses habits et dans ses ornements, afin que tout ce qu'il dira et tout ce qu'il fera soit pour l'instruction des peuples; car sans les sonnettes, sans les pierreries, sans les diverses couleurs et les fleurs des vertus il ne peut entrer dans le sanctuaire ni porter dignement le nom d'évêque.

J'ai dicté ce discours à la hâte et tout d'une suite, lorsque le vaisseau mettait à la voile et que les cris des matelots appelaient les voyageurs, y rapportant ce que ma mémoire a pu me fournir et ce que j'ai pu ramasser dans le rational de mon coeur par mes longues lectures ; et je m'aperçois bien que j'ai plutôt suivi l'impétuosité de mon naturel que la conduite que doivent tenir ceux qui écrivent, m'étant laissé aller comme un torrent , sans garder aucune liaison ni aucun ordre. On dit qu'il paraît sous le nom de Tertullien un livre sur les habillements d'Aaron, que je n'ai pas encore vu, s’il tombait entre vos mains, comme vous êtes à Rome où toutes choses se rencontrent, je vous prie de ne pas comparer la petite goutte d'eau que je vous envoie, à cette grande rivière ; car on doit me juger d'après la médiocrité de mon esprit, et non pas d'après la beauté de celui des grands hommes.

 

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME LXXXIX.

AU PRÊTRE CYPRIEN.

Ce n'est que par vos lettres, mon, cher Cyprien, que j'ai connu que portiez à juste titre le nom de cet homme heureux " qui, selon le prophète-roi, " médite jour et nuit sur la loi du Seigneur," et que vous étiez du nombre de ceux de qui Dieu disait autrefois à Moïse : " Choisissez des anciens d'Israël que vous saurez être les plus expérimentés et les plus propres à gouverner." Mais depuis que j'ai eu le bonheur de vous voir et de lier avec vous, au milieu des plus tendres embrassements, une amitié très étroite, vous voulez éprouver si ce qu'on vous a dit de moi est véritable, et vous commencez par me prier de vous expliquer un psaume rempli de difficultés, et qui est le quatre-vingt-neuvième dans les versions tant grecques que latines. Vous ne souhaitez pas que je traite un tel sujet avec cette élégance et cette éloquence affectée qui n'est propre qu'à flatter les oreilles et à faire illusion aux ignorants; mais vous désirez que je me serve d'un style simple et digne de la gravité d'un traité religieux, dont la vérité seule doit faire tout l'ornement, en sorte que mon explication n'ait pas besoin d'un interprète, comme il arrive ordinairement à ceux qui; voulant paraître savants, répandent dans leurs commentaires plus d'obscurité qu'il n'y en a dans les choses mêmes qu'ils expliquent. Quelque difficile donc que sait cette entreprise, je m'en charge volontiers; et, soutenu par le secours de vos saintes prières, je me souviendrai de ce que dit le prophète ; "Le Seigneur remplira de sa parole les hérauts de sa gloire, afin qu'ils l'annoncent avec une grande force. "

Il faut remarquer d'abord que ce psaume a pour titre, et dans le texte hébreu et dans la version des Septante Prière de Moïse (1), l'homme de Dieu, qualité convenant parfaitement à ce saint homme qui pouvait dire: " J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée, " qui nous a appris la création de l'homme et de toutes les choses invisibles, l'histoire de tout ce qui s'est fait dans les siècles passés, et qui enfin nous a donné non-seulement les cinq premiers livres de l'Ecriture sainte, savoir : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, mais encore onze psaumes, depuis le quatre-vingt-neuvième qui commence par ces paroles: " Seigneur, vous avez été notre refuge ; " jusqu'au quatre-vingt-dix-neuvième qui a pour titre Psaume pour la louange. Il est vrai que le psaume quatre-vingt-dix-huitième, est intitulé dans plusieurs exemplaires Psaume pour David, mais ce litre ne se trouve point dans l'hébreu, et c'est la coutume de l'Ecriture sainte d'attribuer les psaumes qui n'ont point de titre aux auteurs dont le nom est à la tête des psaumes qui précèdent.

Or, il y a quatre psaumes intitulés Prière; savoir: le seizième, qui a pour titre Prière de David, et qui commence par ces mois. " Ecoutez favorablement, Seigneur, la justice de ma cause; " le quatre-vingt-neuvième que j'entreprends d'expliquer ici, et qui commence parce verset: " Seigneur, vous avez été notre refuge; " le quatre-vingt-cinquièrne, qui commence par ces paroles: " Abaissez, Seigneur, votre oreille," et le cent-unième qui a pour titre Oraison du pauvre lorsqu'il sera dans l'affliction et qu'il répandra sa prière en 1a présence du Seigneur. Ce " pauvre" est David, mais en cela il est la figure de Jésus-Christ qui de riche qu'il était s'est fait " pauvre " pour l'amour de nous, et que pour nous donner des marques de sa pauvreté et de sa douceur, et en même temps pour accomplir la prophétie de

(1) Le texte hébreu porte : oratio Moisi viri Dei, et la version des Septante : Oratio Moisi hominis Dei. Saint Jérôme met ici de la différence entre vir et homo, qui tous deux signifient la même chose en français, c'est-à-dire : homme, mais nous n'avons en notre langue aucun terme qui puisse rendre cette différence.

Zacharie; a bien voulu monter sur le poulain d'une ânesse.

Moïse, par qui Dieu nous a donné sa loi, et par la bouche duquel il a dit: " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; " et ensuite : " Dieu créa l'homme, et il le créa à l’image de Dieu, et il les créa mâle et femelle; " Moïse, dis-je, nous fait dans ce psaume une peinture de l’homme depuis son origine jusqu'à sa mort et à sa résurrection; il nous décrit les circonstances de sa création, la durée de sa vie, ses occupations dans le siècle, l'utilité et les avantages qu'il en tire, la récompense qu'il envisage dans son travail, la fin qu'il se propose dans toutes ses actions; mais comme ce saint législateur était " homme" lui-même, il nous donne sous son nom et en sa personne une idée de tous les "hommes" en général. Quelques écrivains prétendent que ce psaume ou cette prière de Moïse regarde les enfants d'Israël, et que ce grand homme nous représente ici les murmures et les révoltes de ce peuple contre Dieu, sa chute dans le désert, les péchés qui l'ont rendu indigne d'entrer dans la terre de promesse, laquelle n'a été donnée qu'à ses descendants, et comment il attend encore tous les jours les miséricordes du Seigneur, dont il ne peut voir l'accomplissement et ressentir les effets qu'à l’avènement du Sauveur.

Les grammairiens appellent oraison tout discours que on prononce en public : on ne trouve guère ce mot en ce sens dans l’Ecriture sainte; elle ne donne le nom d'oraison qu'aux prières que l'on fait à Dieu. C'est une opinion établie parmi les Hébreux que le Psautier est divisé en cinq livres : le premier comprend les psaumes depuis le premier jusqu'au quarantième; le second, depuis le quarante-unième jusqu'au soixante-onzième; le troisième, depuis le soixante-douzième jusqu'au quatre-vingt-huitième; le quatrième, depuis le quatre-vingt-neuvième, que j'entreprends d'expliquer ici, jusqu'au cent-cinquième; et que ces quatre livres finissent tous dans l'hébreu par ces deux mots: amen, amen, que les Septante ont traduits par ceux-ci: ainsi soit-il, ainsi soit-il. Le cinquième livre commence au psaume cent-sixième et finit au dernier. Il en est de même des douze prophètes, dont les Hébreux ne font qu'un seul volume.

J'ai presque oublié ce que j'ai dit plus haut, que le psaume quatre-vingt-dix-huitième est du nombre des onze psaumes que Poil attribue à Moïse. Nous lisons dans ce psaume "Relevez la gloire du Seigneur votre Dieu, et adorez l'escabeau de ses pieds, parce qu'il est saint. Moïse et Aaron étaient ses prêtres, et Samuel,était du nombre de ceux qui invoquent son nom; " ce qui parait détruire ce que je viens de dire, que Moïse est auteur de ce psaume; car comment peut-il l'avoir composé puisqu'on y fait mention de Samuel, qui n'est venu au monde que plusieurs siècles après lui? Il est facile de répondre à cette difficulté en disant que c'est par un esprit de prophétie que Moïse a parlé de Samuel, dont le mérite est si grand et si distingué que le prophète Jérémie l'a mis au même rang que Moïse lorsqu'il a dit: " Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi. " Nous lisons une semblable prédiction dans l’Ecriture sainte, qui rapporte qu'un homme de Dieu s'écria dans Samarie : " Autel, autel, voici ce que dit le Seigneur: "Il naîtra un fils dans la maison de David qui s'appellera Josias. " Au reste, c'est se tromper que d'attribuer, comme font quelques-uns, tous les psaumes à David, et non pas à ceux dont le nom est à la tête de chaque psaume. C'est d'après ce préjugé que ces auteurs prétendent que David a composé, sous le nom de Moïse, le psaume que nous expliquons, et où ce saint législateur nous représente tous les hommes accablés sous le poids de leurs péchés et de leurs misères, et soupirant après leur salut et leur délivrance.

" Seigneur, vous avez été notre demeure dans la suite de toutes les races. " La version des Septante porte : " Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les races." Il y a dans le texte hébreu maon, qui signifie plutôt. demeure, que: refuge. Comme le dessein de Moise est de faire ici la triste peinture des misères du monde et de déplorer les malheurs de tout le genre humain, il commence par louer le Seigneur, afin que les hommes attribuent leurs disgrâces non pas à la dureté du Créateur, mais à l’infidélité de la créature. Est-on agité par quelque tempête, on cherche un rocher ou quelque autre asile pour se mettre à l'abri; se voit-on poursuivi par un ennemi, on se retire dans les villes pour se dérober à ses poursuites; un voyageur se sent-il tout épuisé par les ardeurs du soleil et la sécheresse de la poussière, il cherche l'ombre pour se rafraîchir et se délasser; est-on en danger de devenir la proie d'une bête farouche, on fait tous ses efforts pour se garantir de ce péril. Eh bien! il en est de même de l'homme : depuis le commencement de sa création , il n'a trouvé sa force et son appui que dans Dieu seul. Comme c'est par sa bonté qu'il a été créé, que c'est par sa miséricorde qu'il vit et qu'il subsiste, il ne saurait faire aucune bonne œuvre sans le secours de celui qui lui a tellement donné le libre arbitre qu'il ne lui refuse pas sa grâce pour chaque action, de peur que la liberté de l'homme ne déroge à la dignité du Créateur, ou n'inspire un fonds d'orgueil à la créature, qui n'a été créée libre que pour mieux comprendre qu'elle n'est rien sans le secours de Dieu. "Vous avez été notre demeure " ou " notre refuge dans la suite de toutes les races, " c'est-à-dire : dans tous les temps, avant la loi, durant la loi, sous le règne de l'Evangile et de la grâce. De là vient que l’apôtre saint Paul disait: " C'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi, et cela ne vient pas de vous, puisque c'est un don de Dieu. " Aussi cet apôtre dans toutes ses épîtres commence-t-il d'abord par saluer ceux à qui il écrit en leur souhaitant, non pas la paix et ensuite la grâce, mais la grâce et ensuite la paix, afin qu'ayant obtenu le pardon de nos péchés par la grâce, nous puissions mériter la paix du Seigneur.

" Avant la naissance des montagnes et la génération de la terre et de tout l’univers, vous êtes Dieu de toute éternité et dans tous les siècles. " Nous lisons selon les Septante : " Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l’univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles." Quelques auteurs donnent un mauvais sens à ces paroles, particulièrement ceux qui prétendent que les âmes ont existé avant la formation de l'homme, qui ne fut créé que le sixième jour; car voici comment ils lisent et divisent ces deux versets: " Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les générations, avant que les montagnes eussent été faites, ou que la terre eût été formée et tout l’univers. " Après quoi ils ajoutent : " Vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles ; " d’où ils tirent cette conséquence, que si le Seigneur a été le refuge des hommes avant que les montagnes aient été faites, ou que la terre et tout l'univers aient été formés, les âmes existaient dans le ciel avant que Dieu eût créé et formé les corps. Attachons-nous donc à ce texte que nous avons proposé d'abord : " Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l'univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles;" par où le prophète veut nous donner à entendre, non pas que Dieu a été notre refuge avant la création du monde, puisque nous n'existions pas encore alors, mais qu'il est Dieu de toute éternité. Car, bien que l'interprète latin ait traduit: " Depuis les siècles jusqu'aux siècles," selon la signification du mot hébreu olam, il est plus à propos de traduire: " Depuis l’éternité jusqu'à l'éternité." C'est dans ce sens que la sagesse, ou Jésus-Christ dont elle est la figure, dit dans les Proverbes : "Le Seigneur m'a créée dans le commencement de ses voies et avant qu'il créât aucune chose ; il m'a établie dès l'éternité et dès le commencement, avant qu'il eût fait la terre et les abîmes, avant que les fontaines fussent sorties de la terre et qu'il eût affermi les montagnes; il ma enfantée avant toutes l'es collines. " Ici le mot de création, que la langue hébraïque exprime par celui de bara, ne doit point nous embarrasser; car il y a dans le texte hébreu: m'a possédée, et non pas : m'a créée; voici ce qu’il porte : " Adonai canani bresith dercho, c'est-à-dire : " Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies. " Or, il y a une grande différence entre " posséder " et " créer " : le mot de "possession " marque que le Fils a toujours été dans le Père et le Père dans le Fils, au lieu que le mot de " création " signifie que celui qui n'était point auparavant a commencé d'être.

Ces paroles: " Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l'univers," peuvent encore signifier, dans un sens moral, que Dieu a été notre refuge avant qu'il eût gravé sa vérité dans nos âmes et formé nos corps, ce petit monde, cette terre que les Hébreux appellent thebel et les Grecs : habitée; car notre âme, est une terre habitée lorsque Dieu daigne, y faire sa demeure, selon cette parole du Sauveur: " Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. " Le texte hébreu et les autres versions portent : " Avant la naissance des montagnes et la génération de la terre ; " mais comme les termes de naissance et de " génération" ne peuvent convenir à la terre ni aux montagnes, qui sont proprement créées, ces expressions nous conduisent naturellement à un sens moral, et nous donnent à entendre que Dieu, par sa miséricorde ne cesse point de créer et de former les âmes saintes et les plus sublimes vertus.

" Vous convertirez l’homme jusqu'à le briser, et vous direz; " Revenez, ô enfants d'Adam ! " Il y a dans les Septante : " Ne réduisez pas l’homme dans le dernier abaissement, puisque vous avez dit : " Convertissez-vous, ô enfants des hommes ! " Voici comment on doit expliquer ce passage selon le texte hébreu: O Dieu, qui avez créé l'homme et qui êtes son refuge ou sa demeure dès le commencement, vous le convertirez jusqu'à le briser; car vous l'avez fait et formé de telle sorte que la mort doit le réduire en poudre, et que ce beau vase n'est sorti de vos mains que pour être brisé à la fin de sa vie; sa destinée est de naître pour mourir, quelque longue que soit sa vie, elle doit toujours finir par son entière destruction. Vous lui dites tous les jours par vos prophètes : Revenez, ô enfants d’Adam ! vous qui avez offensé Dieu et qui, d'immortels que vous étiez, êtes devenus sujets à la mort parce que vous avez été sourds à ce commandement que je vous ai fait: " Mangez de tous les fruits du arbres du paradis, mais ne mangez point de l’arbre du fruit de la science du bien et du mal, car au moment même que vous en mangerez, vous mourrez très certainement. "

Quant à ces paroles des Septante : " Ne réduisez point l’homme dans le dernier abaissement, puisque vous avez dit : " Convertissez-vous, ô enfants des hommes! " voici le sens qu'on doit leur donner: Puisque vous avez créé l'homme à votre image et à votre ressemblante, et que vous avez bien voulu l'honorer jusqu'à lui donner la qualité de votre fils, lui qui n'était que votre serviteur et votre esclave, ne souffrez pas, je vous prie, qu'il gémisse éternellement sous la tyrannie du péché, et délivrez-le de cette ancienne malédiction que vous avez prononcée contre lui " Vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre. " Souvenez-vous que vous nous avez promis de ne point rejeter notre pénitence, et que vous avez dit par un prophète : " Je ne veux point la mort du pécheur, mais seulement qu'il se convertisse et qu'il vive; " souvenez-vous que tous vos saints nous ont dit de votre part : " Convertissez-vous, ô enfants des hommes, et retournez à votre père qui est plein de bonté et de tendresse, qui va lui-même au-devant de vous, qui est prêt à retracer dans vos âmes les augustes caractères de sa ressemblance que vous aviez effacés par vos péchés, et qui veut bien vous rendre la robe de votre première Innocence, que vous aviez perdue par votre désobéissance.

" Car devant vos yeux mille ans sont comme le jour d'hier qui est passé, et comme une veille de la nuit, " puisque vous nous exhortez par la bouche de vos prophètes à rentrer dans les voies de la pénitence, et que vous ne cessez point de nous dire : " Revenez, ô enfants des hommes! "nous vous conjurons de ne pas laisser éternellement l'homme dans cet état d'abaissement et d'humiliation où son péché l’a réduit. Vous nous avez promis de nous mettre en possession du- salut après plusieurs siècles : nous ne pouvons être longtemps sans

voir l'accomplissement de vos promesses , puisque mille ans sont à vos yeux comme le jour d'hier qui est passé , et que le temps, quelque long qu'il soit, est toujours très court quand on le compare à l'éternité. Je me trompe, ajoute le prophète , c'est trop peu de dire que mille ans sont à vos yeux comme un jouir qui ne fait que passer, je devais dise qu'ils ne durent pas plus à votre égard qu'une veille de la nuit. On divise ordinairement la nuit en quatre veilles de trois heures chacune, et c'est dans ce sens que nous lisons dans l'Evangile qu'à la quatrième veille de la nuit Jésus-Christ vint trouver ses apôtres qui étaient en mer. Comme donc une veille le ta nuit passe bien vite et paraît fort courte , sur, tout à ceux qui se sont épuisés par de longues veilles, de même l'espace de mille ans ne dure presque rien à vos yeux, ô mon Dieu, qui avez été, qui êtes, et qui serez pendant toute l'éternité.

Ce que dit ici le prophète, que " mille ans sont aux yeux de Dieu comme le jour d'hier qui est passé, " revient à ce que l'apôtre saint Paul dit dans son épître aux Hébreux : " Jésus-Christ était hier , il est aujourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles. " Cet endroit du prophète, joint à ee que nous lisons dans l'épître qu'on attribue à saint Pierre (1), me fait juger qu'on a coutume dans l'Ecriture sainte de prendre mille ans pour un seul jour, et que le monde ayant été créé en six jours, l'on a cru qu'il ne devait subsister que durant six mille ans, après quoi viendraient le septième et le huitième jour, où nous devions goûter le repos du véritable sabbat, et être rétablis par la circoncision dans notre ancienne innocence. C'est pour cela que l'Evangile ne marque que huit béatitudes, et qu'il promet la récompense de leurs bonnes oeuvres à ceux qui en auront rempli les devoirs et suivi les maximes. Or, voici ce que nous lisons dans l’épître de saint Pierre dont je viens de parler : " Il y a une chose que vous ne devez pas ignorer, mes bien-aimés: c'est qu'aux yeux du Seigneur un jour est comme mille ans; et mille ans comme un jour. Ainsi le Seigneur n’a point retardé l'accomplissement de sa promesse comme quelques-uns se l'imaginent. "

" Quand vous les frapperez, ils s'évanouiront comme un songe ou comme l'herbe qui passe dès le matin. L'homme a fleuri le matin et a passé aussitôt; le soir on l'a vu tomber et sécher. " Nous lisons dans les Septante : " Leurs années seront regardées comme un néant. L'homme est le matin comme l'herbe qui passe bientôt; il fleurit le matin et il passe; il tombe le soir, il s'endurcit et il se sèche. " Voici le sens du texte hébreu : Il nous est avantageux, et pour notre conduite, et pour notre salut, que nôtre vie se termine par une prompte mort, et disparaisse comme un songe ou comme ces fleurs des champs que l'on voit fleurir et sécher presque au même moment. Quand vous frapperez les hommes, dit le prophète, et qu'ils seront arrivés à ce moment fatal où on leur dira : " Insensé que tu es! on va te redemander ton âme cette nuit même, et pour qui sera ce que tu as amassé ? " alors toute la vie et toutes les occupations de l'homme ne

(1) Saint Jérôme veut parler de la seconde épître de saint Pierre, qui dans les premiers siècles n’était pas reçue dans toutes les Eglises comme canonique ; c’est ce que nous apprenons de saint Jérôme dans son livre des Écrivains ecclésiastiques ; Scripsit (Petrus) duas epsitolas quae catholicae nominantur ; quarum secunda a plerisque ejus esse negatur, propter styli cum priore dissonantiam.

paraîtront que comme un songe C'est un agréable spectacle que de voir le matin une fleur s'épanouir sous les premiers rayons du soleil; mais cette belle fleur se fane peu à peu, elle perd insensiblement toute sa beauté et tout son éclat, et elle devient enfin comme une herbe qui n’est propre qu’à être foulée aux pieds. Il en est de même de la vie des hommes : elle s’épanouit dans l’enfance, elle fleurit et brille dans la jeunesse, elle a toute sa force dans un âge parfait; mais tout à coup, et lorsqu'on y pense le moins , la tête blanchit, le visage se ride, la peau se dessèche et perd son embonpoint, et l'homme sur le soir, c'est-à-dire : à la fin de sa vie, accablé de vieillesse, peut a peine se remuer; on ne le reconnaît plus et on le prendrait presque pour un autre homme. Mais est-il nécessaire de faire ici la peinture des défaillances de l'homme et des divers changements qui lui arrivent depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse, puisque nous voyons tous les jours une maladie, un malheur, un chagrin défigurer tellement les plus belles femmes, et les rendre si méconnaissables et si affreuses, que tout l'amour qu'on avait pour elles se change en haine et en aversion ? Le prophète Isaïe, parlant de la condition des hommes mortels, nous en donne la même idée lorsqu'il dit : " Toute chair n'est que de l’herbe , et toute sa gloire est comme la fleur des champs l'herbe se sèche et la fleur tombe. " C'est dans ce même sens qu'on doit expliquer la version des Septante : Tout ce qui nous paraît de longue durée dans le siècle présent ne dure qu'un moment à vos yeux, ô mon Dieu ! Les jours et les années qui composent la vie de l'homme ne paraissent rien quand on les compare à l'éternité. Tout l'éclat, toute la beauté de l'homme est semblable à une herbe qui Croit et fleurit le matin, et qui sur le soir se dessèche et tombe tout à coup.

" Votre fureur nous a entièrement détruits, et votre indignation nous a jetés dans le trouble. " La version des septante porte : " C'est par un effet de votre, colère que nous nous voyons réduits à cet état de défaillance, et par un effet de votre fureur que nous sommes remplis de trouble. " Au lieu de ces mots "nous sommes remplis de trouble, " la version d'Aquila et de Symmaque porte " nous nous sommes hâtés. " Le prophète parle ici de la brièveté de notre vie; et lorsqu'il dit qu'elle est un effet de la colère et de la fureur de Dieu, il nous donne à entendre que nous avons tous été enveloppés dans cette ancienne malédiction du premier homme : "Vous êtes poudre et vous retournerez en poudre;" au lieu que la version des Septante porte : " Nous sommes remplis de trouble. " Il y a dans le texte hébreu, comme nous l'avons déjà remarqué : " Nous nous sommes hâtés ; " ce qui fait voir que la vie de l'homme, quelque longue qu'elle soif, est toujours très courte en comparaison de l'éternité; ce qui, a fait dire à un fameux poète . "Cependant le temps fuit avec rapidité et se perd sans ressource; " et dans un autre endroit : " Nous avons vécu longtemps, mon pauvre Rhoebus,si néanmoins il y a quelque chose de durable dans la vie d'un homme mortel (1)."

" Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et exposé nos négligences à la lumière de votre visage. „ Les Septante portent : " Vous avez mis nos iniquités en votre présence , et exposé toute notre vie à la lumière de votre visage. " Au lieu de " nos négligences, " comme j'ai traduit avec. Symmaque conformément à l'hébreu, il y a dans les Septante, "notre siècle, " c'est-à-dire : toute notre vie. Le texte hébreu porte Alomenu , ce que la cinquième (2) version exprime par le mot de jeunesse et Aquila par nos erreurs, ou : nos ignorances. C'est dans ce sens que le Psalmiste dit dans un autre endroit : " Ne vous souvenez point des fautes de ma jeunesse ni de mes ignorances; " et ailleurs : " Qui est celui qui connaît ses fautes ? Purifiez-moi, Seigneur, de celles qui sont cachées en moi, et préservez votre serviteur des vices étrangers; " car il y a des vices qui nous sont étrangers, et ce sont ceux auxquels nous nous laissons aller souvent par notre propre penchant, et quelquefois par ignorance. Cependant, cette ignorance ne laisse pas d'être criminelle, quoique la volonté n'ait point de part au crime. Au reste je ne comprends pas pourquoi les Septante, au lieu de mettre "notre jeunesse, nos négligences, nos erreurs " ou " nos

(1) C'est ainsi que Virgile fait parler Mezentius à son cheval, qu'il appelait Rhoebus.

(2) Outre les versions des LXX, d'Aquila, de Symmaque et de Théodotien, il y en avait encore trois autres qui passaient pour authentiques, et qu'on appelait : la cinquième, la sixième et la septième, parce qu’on ne savait pas le nom de leurs auteurs.

ignorances, " ont traduit le mot hébreu par celui de " siècle ", ou de "vie, " si ce n'est peut-être parce que c'est dans la " vie " et durant le " siècle " présent que nous commettons le péché. Le prophète ajoute : "Vous avez exposé toute notre vie " ou " nos négligences à la lumière de votre visage , " c'est-à-dire : il n'y a aucun de nos péchés qui vous soit caché, et vos yeux pénètrent jusque dans: les replis les plus secrets de notre coeur; selon ce qui est écrit: " Les ténèbres n'ont aucune obscurité pour, vous, et elles sont à votre égard comme la lumière du jour même; " et dans un autre endroit : " O mon Dieu! vous sondez les coeurs et les reins. " Car l'homme ne voit que le visage, mais Dieu voit le fond des coeurs.

" Tous nos jours se sont écoulés et nos années se sont consumées dans votre fureur , comme le discours d'un homme qui parle. " On lit dans la version des Septante : " C'est pourquoi tous nos jours se sont consumés et nous nous sommes trouvés consumés nous-mêmes par la rigueur de votre colère. Nos années se passent en de vaine inquiétudes, comme celles de I'araignée: " Le prophète avait dit ci-dessus : Quand vous les frapperez, ils s'évanouiront comme un songe, " pour nous donner une juste idée de la brièveté de la vie humaine, qui, toujours sujette à la malédiction dont Dieu a frappé le premier homme, s'évanouit et disparaît comme un songe : ici il la compare au discours d'un homme qui parle et dont les paroles cessent d'être à mesure qu'il les prononce. C'est ainsi que passe notre vie : elle se consume dans la colère et la fureur de Dieu, dont la malédiction dure toujours et s'accomplit sans cesse sur nous. J'ai déjà dit plusieurs fois que la colère, dans Dieu, n'est pas cette passion furieuse qui nous inspire des désirs de vengeance; il ne paraît en colère qu'à ceux qu'il a punit; et ce qui est en nous une passion aveugle et déréglée est en lui un effet de sa vérité et de sa justice. Au lieu de ces mots: "comme le discours d'un homme qui parle, " les Septante ont traduit : " Nos années se passent en de vaines inquiétudes comme celles de l'araignée. " Comme il n'est rien qui passe plus vite que la parole, aussi n'est-il rien de plus inutile que l'ouvrage d'une araignée. On a coutume d'appliquer aux hérétiques ces paroles du prophète Isaïe : " Ils ont formé des toiles d'araignée; " car comme les toiles d'araignée ne peuvent arrêter que des mouches, des moucherons et autres semblables petits insectes, et qu'elles ne sauraient résister aux animaux qui ont un peu plus de force que ceux-là, de même les hérétiques ne séduisent dans l'Eglise que les âmes simples, qui donnent sans précaution dans les piéges qu'ils leur tendent, mais ils ne sauraient tromper ceux dont la foi est vive et solide.

" Les jours de tous nos tans ne vont ordinairement qu'à soixante et dix années; c'est beaucoup,si nous allons jusqu'à quatre-vingts; le surplus n'est que peine et que douleur. " Nous lisons dans les Septante : " Les jours de tous nos ans ne vont ordinairement qu'à soixante et dix années. Que si les plus forts vivent jusqu'à quatre-vingts ans, le surplus n'est que peine et que douleur. " Toute notre vie donc, à la considérer dans toutes: les saisons et tons les âges où nous sommes capables d'en goûter les douceurs, ne peut aller que jusqu'à soixante et dix ans, et c'est beaucoup; ou, comme traduit Symmaque , c'est contre notre attente et notre espérance si elle va jusqu'à quatre-vingts ans. Que si nous allons au-delà, nous nous trouvons accablés d'une infinité de maladies et d'infirmités qui sont inséparables de la vieillesse : la vue s'affaiblit, les dents nous font mal ou tombent d'elles-mêmes; enfin nous sommes sujets à toutes les misères dont le sage nous fait une triste peinture dans l'Ecclésiaste : " Il viendra, " dit-il, " un temps d'affliction, et vous verrez approcher des années dont vous direz ce temps me déplaît. Le soleil, la lune et les étoiles s'obscurciront pour vous, et les nuées retourneront après la pluie. C'est alors que les gardes de la maison commenceront à trembler, que les hommes les plus forts s'ébranleront , que celles qui avaient accoutumé de moudre seront réduites en petit nombre, et que ceux qui regardaient par les trous seront couverts de ténèbres. C'est alors qu'on fermera les portes de la rue , que la voix de celle qui avait accoutumé , de moudre sera faible, qu'on se lèvera au chant de l'oiseau et que les filles de l’harmonie deviendront sourdes. Elles auront même peur des lieux élevés, et elles craindront en chemin. L'amandier fleurira, la sauterelle s'engraissera et les câpres se dissiperont, parce que l’homme s'en ira dans la maison de son éternité et qu'on marchera en pleurant autour des places, jusqu'à ce que la chaîne d'argent soit rompue, que la bandelette d'or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne , que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. "Vanité des vanités!" dit l'Ecclésiaste, " tout est vanité. " Voilà la peinture que Salomon fait de toutes les misères de la vie humaine, et particulièrement de la vieillesse, comme je l'ai expliqué ailleurs (1).

Quelques interprètes expliquent ce verset du Psalmiste dans un sens allégorique, et par rapport au sabbat et à la circoncision. Ils disent qu'après avoir goûté sous la loi le repos du sabbat, nous recevrons dans le temps de l'Evangile la véritable circoncision; et ils tâchent de prouver leur. sentiment par ces paroles, du sage : " Faites en part à sept et à huit personnes ", et par ces soixante et dix mille et quatre-vingt mille ouvriers qui furent employés à la construction du temple de Salomon; mais à quoi bon chercher tant de mystères dans un passage que l'on peut expliquer simplement, et où l'on doit avoir en vue d'instruire le lecteur, et non pas de faire un vain étalage de sa science et de son érudition?

" Parce que nous n'avons fait que passer et nous nous sommes envolés. " Il y a dans la version des Septante: " Et c'est même par un effet de votre douceur que vous nous corrigez de cette sorte. " Le mot grec en cet endroit signifie non-seulement : corriger, mais aussi enseigner et instruire; car " le Seigneur châtie" ou " instruit celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants. " Voici comment Symmaque a traduit ce verset du Psalmiste : " On nous coupe tout d'un coup, et nous nous envolons. " La cinquième version porte : " Nous n'avons fait que passer, et nous sommes déliés; " c'est-à-dire Après soixante et dix ou tout au plus quatre-vingts ans de vie, notre âme venant à se séparer du corps, nous nous envolons et nous nous dissipons comme le vent; ou, parce que le prophète avait comparé ci-dessus la vie de l’homme à une belle fleur qui s'épanouit le matin et qui se sèche sur le soir, l'interprète, au lieu de dire

1 Dans les Commentaires sur l'Ecclésiaste.

qu'elle " se sèche," dit qu'on la " coupe " tout d'un coup. Le sens de la cinquième version est que notre vie ne fait que passer, et qu'une mort imprévue et précipitée vient tout à coup nous dégager des liens du corps. Quant à la version des Septante, qui porte : " Et c'est même par un effet de votre douceur que vous nous corrigez de la sorte, , voici comment on doit l'expliquer. Lorsqu'après soixante et dix ou quatre-vingts ans de vie le jour de notre mort s'approchera, le Seigneur nous traitera avec douceur, et nous jugera non pas selon nos mérites, mais selon sa bonté et ses miséricordes, de manière que son jugement sera pour nous une instruction plutôt qu'un châtiment. Au reste je ne comprends pas pourquoi les Septante, Théodotien et l'auteur de la sixième version ont traduit le mot hébreu ais par le mot : douceur, vu que Symmaque, Aquila et l'auteur de la cinquième version l'ont exprimé par celui de promptitude, de célérité et de précipitation.

" Qui peut connaître toute la force de votre colère, et combien nous devons craindre votre indignation? " Nous lisons dans les Septante " Qui peut connaître la grandeur de votre colère, et en comprendre la mesure autant qu'elle est redoutable ? " Il y a ici quelque différence entre le texte hébreu et la version des Septante: celle-ci dit " qu'on ne peut comprendre la mesure de la colère de Dieu, ni combien elle est redoutable; ,mais, selon l'hébreu, on doit joindre ces paroles avec le verset suivant, où nous conjurons Dieu de nous faire connaître la mesure de notre vie et le nombre de nos jours. Voici en peu de mots comment on doit expliquer cet endroit : Qui peut comprendre, ô mon Dieu, si vous n'avez la bonté de nous en instruire vous-même, quelle mesure et quelles bornes vous donnez à votre colère, qui parait si redoutable à tout le genre humain? Faites-nous donc connaître, je vous prie, combien de temps nous devons vivre sur la terre, afin qu'éclairés par les lumières de votre sagesse, nous nous tenions prêts pour paraître devant votre redoutable. tribunal. " Qui peut comprendre la force" on "la grandeur de votre colère, et combien nous devons craindre votre indignation ? " c'est-à-dire : Combien est-il difficile de comprendre par quel motif et pour quelles raisons Dieu se met en colère contre les hommes et parait si redoutable à leurs yeux? C'est ce qui faisait dire au prophète-roi : " Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère, et ne me punisses pas dans votre fureur. " Car Dieu ne nous punit pas pour nous perdre et pour nous donner la mort, mais pour nous corriger et nous faire revenir de nos égarements. C'est pour cela qu'il dit dans le prophète Osée " qu'il ne se mettra plus en colère contre le peuple juif, sut qui il avait souvent exercé ses vengeances, et qu'il ne punira plus leurs femmes lorsqu'elles s'abandonneront au libertinage. " Il dit aussi, parlant à la ville de Jérusalem par la bouche du prophète Ezéchiel : " Je ferai cesser mon indignation à votre égard, mon zèle et ma jalousie se retireront de vous. " C'était dans ces dispositions qu'étaient ces Israélites qui, selon le livre des Paralipomènes, allaient combattre l'ennemi avec un cœur qui ne respirait que la paix.

" Faites-nous connaître quelle est la mesure de nos jours, et nous viendrons à vous avec un cœur éclairé par la sagesse. , Il y a dans les Septante : " Faites enfin éclater la puissance de votre droite, et instruisez notre cœur par la vraie sagesse. " Aquila, Symmaque et la cinquième version portent : " Faites-nous connaître la durée de nos jours, en sorte que nous venions à vous avec un cœur sage. " Il est aisé de voir pourquoi les Septante ont traduit " votre droite" au lieu de " nos jours ; " car le mot hébreu jamenu est un mot qui signifie : nos jours. Quand on l'écrit au singulier avec un men à la fin, il veut dire : la droite, comme dans le nom de Benjamin, qui signifie : le fils de la droite; mais lorsque ce mot finit par un men, il veut dire : le jour, ou : les jours. Or, voici comment on doit expliquer cet endroit : Faites-nous connaître, Seigneur, quelle doit être la mesure de nos jours et de nos années et les bornes que vous avez prescrites à notre vie, afin que nous nous tenions prêts pour votre avènement et que, renonçant aux vaines chimères dont les hommes ont coutume de se repaître, nous ayons de l'empressement de vous voir et d'aller au-devant de vous avec un cœur éclairé et conduit parles lumières de la véritable sagesse. En effet, il n'est rien sur quoi les hommes se trompent davantage et se fassent plus souvent illusion que sur le nombre de leurs années et la durée de leur vie. Quoiqu'ils n'en connaissent ni les bornes ni les mesures, ils ne laissent pas de compter sur une longue suite d'années; ce qui a fait dire, à un ancien qu'il n'est point de vieillard, quelque usé qu'il puisse être, qui ne se flatte de l’espérance chimérique de vivre du moins encore une année. L'explication que nous venons de donner aux paroles du prophète revient à ce que dit l’Ecriture : " Souvenez vous que vous devez mourir, et vous ne pécherez point. " En effet, une âme qui a sans cesse la mort devant les yeux, et qui ne perd jamais de vue ce moment fatal, n'a que du mépris pour toutes les choses présentes, et tourne du côté de l'éternité toutes les pensées de son esprit et tous les discours de son cœur. C'est ce qui fait dire à David dans un autre endroit : " Ne me rappelez pas, Seigneur, lorsque je ne suis encore qu'à la moitié de mes jours, et avant que je parte et que je ne sois plus, " c'est-à-dire : Ne permettez pas que je meure dans le temps que je me flatte d’une plus longue vie, et donnez-moi le temps d'expier mes péchés par la pénitence ; car si une mort imprévue et précipitée vient me surprendre en un état de péché, je cesserai d'être, et il n'y aura plus de ressource pour moi. Ce n'est pas que ce prophète eût perdu toute espérance de ressusciter un jour , mais il voulait nous donner à entendre par là que les pécheurs qui persévèrent dans leurs crimes honteux sont aux yeux de Dieu comme s'ils n'étaient pas.

"Revenez vers nous, Seigneur. Jusqu'à quand nous rejetterez-vous? Laissez-vous fléchir en faveur de vos serviteurs. " La version des Septante s'accorde ici avec le texte hébreu. Puisque nous faisons pénitence de nos péchés et que, convaincus d u peu de temps que nous avons à vivre, noua; souhaitons d'aller à vous avec un coeur éclairé et instruit par la sagesse, ne refusez pas non plus, Seigneur, de revenir à nous; car nous vous avions forcé par nos crimes de vous en éloigner, et de nous abandonner à notre propre conduite et au dérèglement de nos passions. Ce qu'ajoute ici le prophète, " jusqu'à quand? " doit s'expliquer dans le même sens que ces paroles du douzième psaume; " Jusqu'à quand, Seigneur, m'oublierez-vous? sera-ce pour toujours ? " Lorsque nous nous trouvons dans quelque situation fâcheuse et désagréable, il nous semble que Dieu tarde toujours trop à nous secourir, et le sentiment de nos maux nous oblige à redoubler nos prières pour lui demander un prompt secours, et pour l'engager à nous faire sentir les effets de sa miséricorde et non pas les rigueurs de sa justice.

" Comblez-nous de votre miséricorde dit ma tin, et nous passerons tous nos jours dans la joie et dans les actions de grâce. " La version des Septante porte: " Nous avons été comblés de votre miséricorde dès le matin, nous avons tressailli de joie, et nous avons été remplis de consolation tous les jours de notre vie. " Les Septante expriment ordinairement par le temps passé ce qui est au futur dans le texte hébreu. Le prophète ne dit pas ici, comme porte leur version, que nous avons été comblés de la miséricorde de Dieu dès le matin et. que nous avons tressailli de joie; car si cela était, nous ne dirions pas dans la suite; " Jetez vos regards sur vos serviteurs et sur vos ouvrages; mais nous prions seulement Dieu de nous " combler de sa miséricorde du matin, " afin que nous puissions le louer et nous réjouir en lui tous les jours de notre vie. Il me semble que le prophète, plein de l'espérance de la résurrection future, conjure ici le Seigneur de le mettre en possession de la vie éternelle. " Comblez-nous, dit-il, de votre miséricorde du matin; " ce qui revient à ce que nous lisons dans le psaume vingt et unième, qui regarde le mystère de la résurrection des hommes et de là gloire du Seigneur, et qui est intitulé Pour l'assomption du matin.

Comblez-nous de joie à proportion des jours où vous nous avez affligés et des années où nous avons vu les maux. " Il y a dans la version des Septante: " Nous nous sommes réjouis à proportion des jours où vous nous avez humiliés et des années où nous avons éprouvé les maux. " Tel a été le sort de Lazare : après avoir passé sa vie dans la misère et dans une extrême pauvreté, il goûte maintenant dans le sein d'Abraham un repos solide et des plaisirs éternels. Par les maux dont parle ici le prophète on ne doit pas attendre ce qui est contraire au bien, ou les vices opposés à la vertu, mais les afflictions, les disgrâces et les misères de la vie présente, selon ce que l'Ecriture dit de Sara, qu'elle faisait sans cesse du mal à sa servante, et ce que nous lisons dans l'Evangile : " A chaque jour suffit son mal. " Plus donc nous aurons été dans le siècle présent exposés aux persécutions, accablés de pauvreté et de misères, opprimés par la puissance et l'injustice de nos ennemis, affligés par de longues et de cruelles maladies, plus aussi sera grande la récompense que nous recevrons dans le siècle futur après notre résurrection. Remarquez que le prophète ne dit pas: " Les années où nous avons souffert les maux, " mais: " où nous avons vu les maux, " conformément à ce que dit le Psalmiste : " Qui est l'homme qui pourra vivre sans voir la mort? " ce qui ne marque pas tant la séparation de l'âme d'avec le corps que l'état où doivent se trouver ces pécheurs dont parle, un prophète lorsqu'il dit : " L'âme qui aura péché mourra elle-même. "

" Découvrez votre ouvrage dans vos serviteurs, et faites éclater votre gloire sur leurs enfants." C'est donc Dieu lui-même qui agit et qui opère dans ses serviteurs. Le prophète ne se contente pas de demander son propre salut, il prie encore le Seigneur de faire éclater sa gloire sur ses serviteurs et sur leurs enfants, ce qui doit s'entendre non pas de leurs descendants, mais de leurs disciples, selon ce que dit saint Paul : " Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement. " C'est pour cela que l’apôtre saint Jean, dans ses épîtres, qualifie ceux à qui il écrit tantôt "d'enfants, ", tantôt de "jeunes gens, " tantôt de " pères, " selon les mérites de ses disciples à qui il écrivait, et selon les progrès qu'ils avaient faits dans la vertu et dans la pratique des bonnes oeuvres.

"Que la beauté du Seigneur notre Dieu se répande sur nous ; affermissez sur nous l'ouvrage de nos mains, et rendez stable et solide l'ouvrage de nos mains. " Nous lisons dans la version des Septante : " Que la lumière du Seigneur notre Dieu se répande sur nous; conduisez d'en-haut les ouvrages de nos mains, et que l'ouvrage de nos mains soit conduit par vous-même. " Où sont ceux qui, fiers de leur libre arbitre, font consister la grâce de Dieu dans le pouvoir qu'ils ont de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal? Moïse avait conjuré Dieu de le ressusciter à une nouvelle vie; il lui avait dit : " Comblez-nous de votre miséricorde du matin, et nous passerons tous nos jours dans la joie et dans les actions de grâces; " mais il ne se contente pas d'être revêtu de la gloire de la résurrection et de se voir en possession d'une vie éternellement heureuse, il prie encore le Seigneur de faire éclater sa beauté sur ceux qui seront ressuscités, de répandre sa lumière dans les âmes et dans le coeur des saints, de conduire les ouvrages de leurs mains, de les rendre solides et éternels, et de conserver dans ses saints le bien qu'ils ont fait. Car comme Dieu accorde sa grâce à ceux qui le prient avec humilité, aussi en prive-t-il ceux qui le méprisent avec orgueil.

 

 

 

 

 

 

EXPLICATIONS DE DIVERS PASSAGES DE L'ÉCRITURE SAINTE

 

 

A HÉDIBIA.

Quoique je n'aie jamais eu l'honneur de vous voir, et que je ne vous connaisse que par la réputation que vous vous êtes acquise dans le monde par l'ardeur de votre foi, cependant vous m'écrivez des extrémités des Gaules et vous venez me chercher jusqu'au fond du désert de Bethléem, pour m'engager à répondre aux questions que vous me proposez sur l'Ecriture sainte, et sur lesquelles vous m'avez envoyé un petit mémoire par mon fils Apodemius. N'avez-vous pas dans votre province des personnes consommées dans la science de la loi de Dieu, et capables de vous instruire et d'éclaircir vos doutes? Mais peut-être ne cherchez-vous pas tant à vous instruire vous-même qu'à éprouver ma capacité; et après avoir consulté les autres sur les difficultés qui vous arrêtent vous voulez encore savoir ce que j'en pense. Vos ancêtres Patère et Delphide, dont l'un a enseigné la rhétorique à Rome avant que je fusse au monde, et l'autre durant ma jeunesse a illustré toutes les Gaules par les beaux ouvrages qu'il a composés tant en prose qu'en vers, tout muets qu'ils sont dans leur tombeau, me font de justes reproches de la liberté que je prends de donner des instructions à une personne de leur famille. Ils excellaient, je l'avoue, dans l’éloquence et dans les lettres humaines ; mais je puis dire aussi, sans craindre de rien dérober à leur gloire, qu'ils n'étaient guère versés dans la science de la loi de Dieu, dont personne ne peut être instruit que par le Père des lumières " qui éclaire tout homme venant en ce monde, " et qui se trouve au milieu des fidèles assemblés en son nom.

Je vous déclare donc, sans craindre qu'on m'accuse de vanité, que dans cette lettre je ne me servirai point de ces termes pompeux " qu'enseigne la sagesse humaine que Dieu doit détruire un jour," mais de ceux qu'enseigne la foi, traitant spirituellement les choses spirituelles, afin que " l'abîme " de l'Ancien-Testament " attire l’abîme" de l'Evangile " au bruit que font les eaux, " c'est-à-dire: les prophètes et les apôtres, et que la "vérité " du Seigneur " s'élève jusqu'à ces " nuées " à qui il a commandé de ne point pleuvoir sur les Juifs incrédules et d'arroser au contraire les terres des gentils, de " remplir le torrent des épines " et d'adoucir les eaux de la mer Morte. Priez donc le véritable Elisée de vivifier les eaux mortes et stériles qui sont en moi, et d'assaisonner le mets que je vous présente avec le sel des apôtres, à qui il a dit "Vous êtes le sel de la terre, " parce qu'on n'offre point à Dieu de sacrifice qui ne soit assaisonné avec le sel. Ne cherchez pas ici le faux éclat de cette éloquence mondaine que Jésus-Christ " a vu tomber du ciel comme un éclair, " jetez plutôt les yeux sur cet " homme de douleur qui n'a ni beauté ni agrément," et qui sait ce que c'est que de souffrir, et croyez qu'en répondant aux questions que vous me proposez, ce n'est pas sur mon érudition et ma capacité que je compte, mais sur la promesse de celui qui a dit : " Ouvrez votre bouche et je la remplirai. "

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Première question.

Vous mie demandez comment on peut devenir parfait, et de quelle manière doit vivre aine veuve qui n'a point d'enfants.

C'est la question qu'un docteur de la loi faisait à Jésus-Christ : " Maître, " lui disait-il, " que faut-il que je fasse pour acquérir la vie éternelle ? "Le Seigneur lui répondit: " Savez-vous les commandements? " — "Quels commandements? " lui répliqua le docteur. Jésus lui dit " Vous ne tuerez point; vous ne commettrez point d'adultère; vous ne déroberez point; vous ne rendrez point de faux témoignage. Honorez votre père et votre mère, et aimez votre prochain comme vous-même. " Ce docteur lui ayant répondu: " J'ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse, " Jésus-Christ ajouta : " Il vous manque encore une chose : si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres; puis venez et me suivez. "

Pour répondre donc, madame, à la question que vous me proposez, je me servirai des propres paroles de Jésus-Christ. Si vous voulez être parfaite, porter votre croix, suivre le Sauveur et imiter saint Pierre qui disait: " Vous voyez, Seigneur, que nous avons tout quitté pour vous suivre," allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez le Sauveur. Jésus-Christ ne dit pas : Donnez-le à vos enfants, à vos frères, à vos parents, auxquels, quand même vous en auriez, vous seriez toujours obligée de préférer le Seigneur; mais, "Donnez-le aux pauvres, " ou plutôt à Jésus-Christ, que vous secourez en la personne des pauvres; lequel, étant riche, s'est fait pauvre pour l'amour de nous, et qui dit dans le psaume trente-neuvième : "Pour moi, je suis pauvre et dans l'indigence, et le Seigneur prend soin de moi. " Aussi est-ce de, lui qu'il est écrit dès le commencement du psaume suivant: "Heureux celui qui est attentif aux besoins du pauvre et de l'indigent." Cette attention est nécessaire afin de pouvoir discerner ceux qui sont vraiment pauvres; car on ne doit point mettre de ce nombre ceux qui, couverts de haillons et vivant dans l'indigence, ne laissent pas de vivre en même temps dans le crime et le désordre. Les véritables pauvres sont ceux dont parle l'apôtre saint Paul lorsqu'il dit : " Ils nous recommandèrent seulement de nous ressouvenir des pauvres. " C'était pour le soulagement de ces pauvres que saint Paul et saint Barnabé avaient soin de faire recueillir les aumônes, le premier jour de la semaine, dans les assemblées des gentils convertis à la foi, et qu'ils prenaient la peine eux-mêmes, sans vouloir s'en décharger sur d'autres, de porter à ceux qui avaient été dépouillés de leurs biens pour Jésus-Christ, qui souffraient la persécution, et qui avaient dit à leur père et à leur mère, à leur femme et à leurs enfants : " Nous ne vous connaissons point." Ce sont ces véritables pauvres qui ont accompli la volonté du Père céleste et dont le Sauveur a dit : " Ceux-là sont ma mère et mes frères qui font la volonté de mon Père. "

Je ne prétends point par là empêcher qu'on ne fasse l'aumône aux Juifs, aux gentils et à tous les autres pauvres, de quelque nation qu'ils soient ; mais l'on doit toujours préférer les chrétiens aux infidèles, et parmi les chrétiens mêmes, l'on doit mettre une grande différence entre un pauvre dont la vie est pure et les moeurs innocentes, et celui qui mène une vie corrompue et déréglée. De là vient que l'apôtre saint Paul, exhortant les fidèles dans la plupart de ses épîtres à faire la charité à tous les pauvres, leur recommande de l'exercer principalement envers ceux qu'une mène foi a rendus domestiques du Seigneur, c'est-à-dire : qui nous sont unis par les liens d'une même religion, et qui ne rompent point une union si sainte par le dérèglement et la corruption de leurs mœurs. Si saint Paul nous commande de donner à manger à nos ennemis lorsqu'ils ont faim, de leur donner à boire lorsqu'ils ont soif, et d'amasser par là des charbons de feu sur leur tète , combien plus sommes-nous obligés de nous acquitter de ces devoirs de charité envers ceux qui ne sont point nos ennemis et qui font profession d'une vie sainte et chrétienne? Au reste il faut prendre en bonne part et non pas dans un mauvais sens ce que dit l'Apôtre : " En agissant de la sorte, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. " Il veut dire par là qu'en faisant du bien à nos ennemis nous surmontons par ces manières honnêtes et obligeantes leur malice et leur haine, nous amollissons la dureté de leur coeur, nous en bannissons l'aigreur et la passion pour y faire place à l'amitié et à la tendresse, et nous amassons ainsi sur leur tête ces " charbons " dont il est écrit : " Une main puissante lance des flèches très pointues avec des charbons dévorants." Car, de même que ce Séraphin dont parle Isaïe purifia les lèvres de ce prophète avec un charbon de feu qu'il avait pris sur l'autel, ainsi nous purifions par notre charité les péchés de nos ennemis, surmontant le mal par le bien, bénissant ceux qui nous maudissent , et imitant notre Père céleste qui "fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs. " Comme donc vous n'avez point d'enfants, " employez les richesses injustes à vous faire plusieurs amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels. " Ce n'est pas sans raison que l'Evangile appelle les biens de la terre " des richesses injustes, " car elles n'ont point d'autre source que l'injustice des hommes, et les uns ne peuvent les posséder que par la perte et la ruine des autres. Aussi dit-on communément, ce (lui me parait très véritable, que ceux qui possèdent de grands biens ne sont riches que par leur propre injustice, ou par celle de ceux dont ils sont les héritiers.

Ce docteur de la loi ayant entendu dire à Jésus-Christ que pour être parfait il fallait renoncer à toutes les richesses qu'on possédait, et ne pouvant se résoudre à prendre ce parti parce qu'il était fort riche, alors le Sauveur, se tournant vers ses disciples, leur dit : " Qu'il est difficile que les riches puissent entrer dans le royaume des cieux ! "Il ne dit pas : il est impossible, mais : il est difficile, quoique l'exemple qu'il apporte marque une impossibilité absolue. "Il est plus aisé, "dit-il, " qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un riche entre dans le royaume de Dieu. " Or, cela est plutôt impossible que difficile, car il ne se peut jamais faire qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille; et par conséquent jamais un homme riche ne pourra entrer dans le royaume des cieux. Mais comme le chameau est un animal tortu et bossu, et qu'il porte ordinairement de pesants fardeaux, de même, lorsque nous nous engageons dans des routes malheureuses qui conduisent au péché, que nous nous écartons de la voie droite que Jésus-Christ nous a marquée, et que nous sommes chargés du poids des richesses ou du fardeau de nos crimes, il est impossible que nous puissions entrer dans le royaume de Dieu; mais si nous voulons nous décharger de ce poids accablant et prendre les ailes de la colombe, alors nous nous envolerons, nous trouverons du repos, et on nous dira : " Quand vous seriez comme à demi morts au milieu des plus grands périls, vous deviendrez comme la colombe, dont les ailes sont argentées et dont l'extrémité du dos représente l'éclat de l'or., " Corrigeons-nous de ces défauts qui nous rendaient autrefois si difformes; déchargeons-nous de ce pesant fardeau dont nous étions accablés; couvrons-nous de cet or éclatant" qui représente le sens spirituel des divines Ecritures, et de ces "ailes argentées,, qui en marquent le sens littéral; et alors nous pourrons entrer dans le royaume de Dieu. Les apôtres représentent à Jésus-Christ qu'ils ont abandonné tout ce qu'ils possédaient, et ne craignent pas même de lui demander la récompense que mérite un si parfait détachement; et le Seigneur leur répond: " Quiconque abandonnera pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses sueurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle." Quel bonheur d'avoir Jésus-Christ même pour débiteur, et de recevoir de lui un trésor infini pour le peu de choses qu'on a quittées, des biens éternels pour des biens passagers, des biens durables et solides pour de fragiles et périssables richesses qui nous échappent malgré nous!

Que si une femme veuve, surtout si elle est de qualité, a des enfants, elle ne doit pas les laisser dans l'indigence; mais il est juste aussi qu'elle ait sa part des biens qu'elle leur laisse; elle doit premièrement prendre soin des intérêts de son âme, et la regarder comme l'un de ses enfants ; elle doit partager avec eux le bien qu'elle leur donne et ne leur pas abandonner tout; ou plutôt elle doit le partager entre Jésus-Christ et eux. Vous me direz peut-être que cela est bien difficile, et qu'on ne peut traiter des enfants de la sorte sans révolter la nature et combattre les sentiments les plus tendres qu'elle inspire; mais le Seigneur vous répond: " Que celui qui est capable d'une telle résolution la prenne;" il vous dit : " Si vous voulez être parfaite, allez, vendez tout ce que vous possédez, etc. " Il ne vous fait point une loi de cette perfection; il vous laisse la liberté de prendre sur cela tel parti qu'il vous plaira. Voulez-vous être parfaite et vous élever au comble de la vertu? imitez les apôtres, vends z tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez le Seigneur. Séparée de toutes les créatures et dépouillée de tout ce que vous possédiez au monde, suivez la croix toute nue et n'ayez qu'elle en partage. Ne voulez-vous point être parfaite, et vous contentez-vous de demeurer au second degré de la vertu? abandonnez tout ce que vous avez, donnez-le à vos enfants et à vos parents. On ne vous fait point un crime de ce que vous vous bornez à ce qu'il y a de moins parfait, pourvu que d'ailleurs vous tombiez d'accord que c'est avec justice qu'on vous préfère celle qui tend à la perfection.

Vous ne manquerez pas de me dire qu'une vertu si sublime n'appartient qu'aux hommes et aux apôtres , mais qu'il est impossible qu'une femme de qualité, qui a besoin de mille choses pour se soutenir dans son état, vende tout ce qu'elle possède. Ecoutez donc ce que dit l'apôtre saint Paul : "Je n'entends pas que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargés, mais que, pour ôter l'inégalité, votre abondance supplée à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit aussi soulagée par leur abondance." C'est pour cela que Jésus-Christ nous dit dans l'Évangile : " Que celui qui a deux robes en donne une à celui qui n'en a point. " Mais si l'on vivait parmi les glaces de la Scythie et les neiges des Alpes, où non-seulement deux et trois robes, mais les peaux même des bêtes suffisent à peine pour se garantir du froid de ces rigoureux climats, serait-on obligé de se dépouiller pour revêtir les autres? Par " une robe "on doit entendre : tout ce qui est nécessaire pour nous vêtir et pour subvenir aux nécessités de la nature, qui nous a fait naître tout nus; et par " les provisions d'un seul jour " on doit entendre : tout ce qui est nécessaire pour nous nourrir. C'est dans ce sens qu'on doit expliquer ce commandement de l'Évangile : " N'ayez point d'inquiétude pour le lendemain, " c'est-à-dire : pour l'avenir; et ce que dit l'Apôtre: " Pourvu que nous ayons de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents." Si vous avez en cela du superflu, donnez-le aux pauvres; c'est une obligation indispensable pour vous. Ananie et Saphire méritèrent d'être condamnés par l'apôtre saint Pierre, parce qu'ils s'étaient réservé une partie de leur bien par une timide prévoyance. Est-ce donc un crime, me direz-vous, que de ne pas donner tout son bien? Non , mais l'Apôtre les punit de mort parce qu'ils avaient menti au Saint-Esprit, et qu'en se réservant ce qui leur était nécessaire pour vivre, et affectant de renoncer parfaitement à toutes les choses de la terre, ils ne cherchaient que l'approbation et la vaine estime des hommes. Au reste il nous est libre de donner ou de ne pas donner; mais celui qui pour être parfait renonce à tous les biens de la vie présente doit s'attendre de voir un jour sa pauvreté récompensée par la possession des biens futurs.

Pour ce qui est de la vie que doit mener une veuve, l'Apôtre nous en prescrit les règles en peu de mots lorsqu'il dit : " La veuve qui vit dans les délices est morte, quoiqu'elle paraisse vivante. " Je crois aussi avoir traité cette matière à fond dans les deux ouvrages que j'ai dédiés à Furia et à Salvina.

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Seconde question.

Comment doit-on entendre ce que le Sauveur dit dans saint Mathieu : " Or je vous dis que je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'à ce jour auquel je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père?"

Ce passage a donné lieu à la fable qu'ont inventée quelques auteurs, qui prétendent que Jésus-Christ doit régner durant mille ans d'une manière sensible et corporelle, et boire de ce vin dont il n'aura point bu depuis la dernière cène qu'il lit avec ses apôtres jusqu'à la fin du monde. Mais pour nous, nous croyons que le pain que le Seigneur rompit et donna à ses disciples n'est autre chose que le corps du Sauveur, comme il les en assura lui-même en leur disant : " Prenez et mangez; ceci est mon corps;" et que le calice est celui dont il leur dit encore: " Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés. "C'est de ce calice que parle le prophète-roi lorsqu'il dit : " Je prendrai le calice du Seigneur; " et ailleurs: " Que votre calice, qui a la force d'enivrer, est admirable! "

Si donc " le pain" qui est descendu du ciel est le corps du Seigneur, et si " le vin" qu'il donna à ses disciples " est son sang, le sang de la nouvelle alliance, qui a été répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés, " rejetons les fables des Juifs, et montons avec le Seigneur dans cette grande chambre haute toute meublée et préparée, où il fit la Pâques avec ses apôtres; et là, recevons de sa main le calice du Nouveau Testament; faisons-y la Pâques avec lui, et enivrons-nous de ce vin qu'il nous présente, e dont la nature est de rendre sobres ceux qui en boivent. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la joie et dans la paix que donne le Saint-Esprit. Ce n'est pas Moïse, c'est notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a donné le véritable pain. Il est tout à la fois et le convive et la viande que nous mangeons à sa table; il y mange et il y est mangé; c'est son sang que nous buvons, et nous ne saurions le boire sans lui. Dans les sacrifices que nous lui offrons tous les jours nous foulons les raisins de cette vraie. vigne, de cette " vigne de force ", qui veut dire: choisie, et nous en buvons le vin nouveau dans le royaume de son père, non pas dans la vieillesse de la lettre, mais dans la nouveauté de l'esprit, chantant ce cantique nouveau que nul ne peut chanter que dans le royaume de l'Église, qui est le royaume du Père céleste. C'est de ce pain que le patriarche Jacob souhaitait de manger lorsqu'il disait : " Si le Seigneur mon Dieu demeure avec moi, et me donne du pain pour me nourrir et des habits pour me vêtir, etc. " Car nous tous qui sommes baptisés en Jésus-Christ, nous sommes aussi revêtus de Jésus-Christ. Nous mangeons le pair des anges, et nous entendons le Seigneur qui nous dit: " Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre. " Faisons donc aussi la volonté du père qui nous a envoyés; accomplissons son oeuvre, et Jésus-Christ boira son sang avec nous dans le royaume de l'Église.

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Troisième question.

Pourquoi les évangélistes parlent-ils diversement de la résurrection de Notre Seigneur et de la manière dont il apparut à ses apôtres ?

Vous me demandez d'abord pourquoi saint Mathieu dit que notre Seigneur ressuscita " le soir du dernier jour de la semaine, le premier jour de la suivante commençant à peine à luire; " et que saint Marc au contraire dit qu'il ressuscita le matin : "Jésus, " dit-il, " étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, apparut à Marie-Madeleine, dont il avait chassé sept démons; et elle s'en alla le dire à ceux qui avaient été avec lui, et qui étaient alors dans l'affliction et dans les larmes; mais lui ayant oui dire qu'il était vivant et qu'elle l'avait vu, ils ne la crurent point. "

On peut résoudre cette difficulté en deux manières ; car, ou nous rejetons ce passage de saint Marc, à cause que le chapitre d'où il est tiré ne se trouve point à la fin de la plupart des évangiles qui portent son nom, ni de presque tous les exemplaires grecs , et que d'ailleurs il renferme des choses qui ne s'accordent point avec les autres évangélistes; ou bien l'on doit répondre que saint Matthieu et saint Marc ont tous deux dit la vérité, celui-là en disant que notre Seigneur ressuscita le soir du dernier jour de la semaine, et celui-ci que Marie-Madeleine le vit le matin du premier jour de la semaine suivante; car, pour bien entendre ce passage de saint Marc, voici comment il le faut lire : " Jésus étant ressuscité, " et, après avoir fait ici une petite pause, ajouter ce qui suit: " le matin du premier jour de la semaine il apparut à Marie-Madeleine; " en sorte que, étant ressuscité, selon saint Mathieu, " le soir du dernier jour de la semaine, " il apparut, selon saint Marc, à Marie-Madeleine, " le matin du premier jour de la semaine suivante; " ce qui revient à ce que dit saint Jean, que Jésus-Christ se fit voir le matin du jour suivant.

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Quatrième question.

Comment accorder ce que dit saint Mathieu, que Marie-Madeleine vit Jésus-Christ " le soir du dernier jour de la semaine, " avec ce que dit saint Jean, que " le matin du premier jour de la semaine" elle pleurait près du sépulcre ?

Par " le premier jour " de la semaine on doit entendre : le dimanche, parce que les Juifs comptaient la semaine par le jour du sabbat, et par le premier, le second, le troisième, le quatrième, le cinquième et le sixième jour du sabbat,

(1) Par le mot capitulum qui est dans le texte latin, et que nous avons traduit par celui de chapitre, on ne doit pas entendre le dernier chapitre de saint Marc tout entier, mais seulement les douze derniers versets de son évangile.

que les païens marquent par le nom des idoles et des planètes. De là vient que l'apôtre saint Paul ordonne aux fidèles de Corinthe d'amasser "le premier jour de la semaine " les aumônes qu'ils destinaient au soulagement des pauvres. Il ne faut donc pas s'imaginer que saint Mathieu et saint Jean ne s'accordent pas ensemble : ils n'ont fait que donner à une même heure, qui est celle de minuit et du chant du coq, des noms différents; car saint Mathieu dit que notre Seigneur apparut à Marie-Madeleine " le soir du dernier jour de la semaine, " c'est-à-dire : lorsqu'il était déjà tard , et la nuit étant non-seulement commencée, mais même fort avancée et presque passée. Aussi ajoute-t-il, comme pour s'expliquer lui-même, que le jour de la semaine suivante commençait déjà un peu à paraître. Pour ce qui est de saint Jean, il ne dit pas absolument : " Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine vint dès le matin au sépulcre ; " mais il ajoute : " lorsqu'il faisait encore obscur. " Ainsi ils s'accordent tous les deux pour le temps, qui est celui du chant du coq et de minuit, dont l'un a marqué le commencement et l'autre la fin. Il me semble même que le texte de saint Mathieu, qui a écrit son évangile en hébreu , porte " lorsqu'il était déjà tard, " et non pas " le soir; " ce que l'interprète, qui n'entendait pas bien le véritable sens de ce mot, a traduit par celui de " soir, " au lieu de dire " lorsqu'il était déjà tard. " En effet, dans l'usage ordinaire de la langue latine le mot serò signifie : tard; et nous avons coutume de nous en servir lorsque, par exemple, nous disons à quelqu'un : Vous êtes venu trop tard; faites au moins tard ce que vous auriez déjà dit avoir fait il y a longtemps.

Que si on nous objecte comment il se peut faire que Marie-Madeleine, après avoir vu le Seigneur ressuscité, vienne encore, comme le marque l'Évangile, pleurer auprès du sépulcre , il faut répondre que, pénétrée. qu'elle était d'un vif sentiment de reconnaissance~ de toutes les grâces que Jésus-Christ lui avait faites , elle courut plusieurs fois à son sépulcre, ou seule ou en la compagnie des autres femmes et que tantôt elle adora celui qu'elle voyait, tantôt elle pleura celui qu'elle cherchait. Quelques-uns néanmoins croient qu'il y a eu deux Maries-Madeleines, toutes deux natives du bourg de Magdelon, et que celle qui, selon saint Mathieu, vit Jésus-Christ ressuscité , est différente de celle qui, selon saint Jean, le chercha avec tant d'inquiétude. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'Evangile fait mention de quatre femmes appelées Marie : la première est la opère de notre Seigneur; la seconde est Marie, femme de Cléophas et tante de Jésus-Christ du côte de sa mère; la troisième est Marie, mère de Jacques et de José, et la quatrième Marie-Madeleine. Quelques-uns néanmoins confondent la mère de Jacques et de José avec la tante de Jésus-Christ. D'autres, pour se débarrasser de cette difficulté, disent qu'à la vérité saint Mare parle de l'une des Marie, mais qu'il ne lui a point donné le surnom de Madeleine, et que ce sont les copistes qu'il l'ont ajouté mal à propos. Pour moi, il me semble qu'on peut répondre à cette difficulté d'une manière plus simple et moins embarrassée en disant que ces saintes femmes, ne pouvant souffrir l'absence de Jésus-Christ, furent en mouvement toute la nuit, et. allèrent non-seulement une et. deux fois, mais à tout moment le chercher à son tombeau, surtout leur sommeil ayant été troublé et interrompu par le tremblement de terre, par le bruit des pierres qui se fendaient, par l’éclipse du soleil, par la confusion et le dérangement de toute la nature, et encore plus par l'empressement extrême qu'elles avaient de voir le Sauveur.

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Cinquième question.

Comment peut-on concilier ce que dit saint Mathieu, que, le soir du dernier jour de la semaine, Marie-Madeleine, accompagnée d'une autre Marie, se prosterna aux pieds dû Sauveur; et ce que nous lisons dans saint Jean, que Jésus. lui dit : " Ne me touchez pas, car:je ne suis pas encore monté vers mon Père? "

Marie-Madeleine, avec l'autre, avait déjà vu Jésus-Christ ressuscité et s'était prosternée. à ses pieds; mais l'inquiétude que lui donnait l'absence du Sauveur ne lui permettant pas de demeurer tranquille en son logis, elle était revenue au sépulcre durant la nuit ; et voyant qu'un avait ôté la pierre avec laquelle on l'avait fermé, elle courut dire à saint Pierre et à cet autre disciple que Jésus aimait tendrement qu’on avait enlevé le Seigneur du sépulcre, et qu’elle ne savait pas où on l'avait mis. Cette femme faisait paraître tout à la fois et sa piété et son erreur : sa piété, en ce qu'elle cherchait avec tant d'empressement celui dont elle connaissait la majesté; son erreur, en ce qu'elle disait qu'on avait enlevé le Seigneur. Saint Pierre et saint Jean entrèrent ensuite dans le sépulcre, et ayant vu d'un côté les linceuls et de l'autre le suaire dont on avait enveloppé la tête du Sauveur, ils furent convaincus de la résurrection de leur divin maître, dont le corps n'était plus dans le tombeau. Mais " Marie se tint dehors, pleurant près du sépulcre, et s'étant baissée, " pour regarder dedans, " elle y aperçut deux anges vêtus de blanc, assis au lieu où avait été le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds, " pour lui faire voir qu'il était impossible que les hommes eussent pu enlever un corps que les anges gardaient, et le ravir à ces illustres et puissants défenseurs. Ces anges qu'elle voyait lui dirent: " Femme, pourquoi pleurez-vous?" de même que Jésus-Christ avait dit autrefois à sa mère : "Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? mort heure n'est pas encore venue ." En l’appelant " femme " ils lui reprochent l’inutilité de ses larmes; " pourquoi pleurez-vous?" lui disent-ils. Mais Madeleine était, tellement saisie et hors d'elle-même et sa foi, étonnée des prodiges qu'elle voyait, était, pour ainsi dire, enveloppée d'un nuage si épais que, sans s'apercevoir qu'elle parlait à des anges, elle leur répondit : " Je pleure parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et que je ne sais où ils l'ont mis. " O Marie, si vous êtes persuadée qu'il est le Seigneur, et le vôtre en particulier, comment pouvez-vous croire qu'ils l'aient enlevé? "Vous ne savez, " dites-vous, "où ils l'ont mis: " comment pouvez-vous l'ignorer, vous qui venez de l'adorer, il n'y a qu'un moment? Elle voit les anges sans les connaître , saisie qu'elle est de crainte et d'étonnement ; et uniquement occupée du désir de voir le Seigneur, elle tourne la tête et jette les yeux de tous côtés. Enfin, ayant regardé derrière elle, " elle vit Jésus debout, sans savoir néanmoins que ce fût lui. " Ce n'est pas que Jésus-Christ , comme le prétendent Manès et quelques autres hérétiques , eût changé de figure afin de paraître quand il le voulait sous des formes différentes; mais c'est que Madeleine, surprise et étonnée de, tous les prodiges qu'elle voyait, prit pour un jardinier celui qu'elle cherchait avec tant d'inquiétude et d'empressement. Jésus donc lui dit, comme avaient fait les anges: " Femme, pourquoi pleurez-vous? " Et il ajouta: "Qui cherchez-vous? „ Marie lui répondit : " Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai. " Ce n'est point par le mouvement d'une véritable foi qu'elle donne au Sauveur le nom de " seigneur: " c'est son humilité et la crainte dont elle est saisie qui l'oblige à traiter un jardinier avec tant de respect et d'honnêteté.

Mais remarquez, je vous prie, jusqu'où va son erreur et son aveuglement : elle s'imagine que ce jardinier a pu enlever lui seul le corps de Jésus-Christ, qui était gardé par une compagnie de soldats et dont le sépulcre était sous la protection des anges , et oubliant sa faiblesse naturelle, elle se persuade que, seule et effrayée comme elle est, elle aura néanmoins assez de force pour emporter le corps d'un homme d'un âge parfait, et qui, sans parler du reste, avait été embaumé avec cent livres de myrrhe. Jésus l'ayant appelée par son nom, afin qu'elle connût du moins la voix de celui dont elle ne reconnaissait pas le visage, cette femme, toujours occupée de son erreur, rappelle, non pas " seigneur, " mais rabbi, c'est-à-dire : maître. Quel renversement d'esprit! quel travers d'imagination! Elle donne à un prétendu jardinier le nom de " seigneur, " et à Jésus-Christ ressuscité celui de " maître. " comme donc elle cherchait parmi les morts un homme qui était plein de vie, courant de côté et d'autre sans consulter sa faiblesse, n'ayant pour guide qu'une imagination égarée, et cherchant le corps mort de celui qu'elle avait vu vivant et aux pieds duquel elle s'était prosternée pour l’adorer, le Seigneur lui dit: " Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon père; " c'est-à-dire : Puisque vous me cherchez comme un homme mort, vous ne méritez pas de me toucher vivant. Si vous croyez que je ne suis pas encore monté vers mon Père, et que les hommes sont venus furtivement enlever mon corps, vous êtes indigne de me toucher ; ce que Jésus-Christ lui disait, non pas pour refroidir son zèle et réprimer l’empressement aveu lequel elle le cherchait, mais pour lui montrer que ce corps fragile et mortel dont il s'était revêtu était alors environné de toute la gloire et de tout l’éclat de la divinité, et qu'elle ne devait plus souhaiter de voir le Seigneur d'une manière corporelle et sensible, puisque sa foi, si elle eût été bien épurée, devait lui apprendre qu'il régnait maintenant avec son Père. En effet la foi des apôtres parait bien plus vive et bien plus animée, puisque sans avoir vu comme Madeleine ni les anges ni le Sauveur, contents de n'avoir plus trouvé son corps dans le sépulcre, ils crurent aussitôt qu'il était véritablement ressuscité.

Quelques-uns croient que Marie-Madeleine, comme le rapporte saint Jean, vint premièrement au sépulcre, et qu'elle aperçut qu'on avait ôté la pierre qui en fermait l'entrée; et qu'étant ensuite revenue avec saint Pierre et saint Jean, elle y resta seule, et que faisant voir en cela son peu de foi, elle s'attira les justes reproches que lui fit le Seigneur; qu'après cela, étant revenue en son logis, elle retourna encore une fois au sépulcre avec l'autre Marie, et que l'ange lui ayant appris que Jésus était ressuscité, elle sortit du lieu où on l'avait enseveli et l'adora, se prosternant à ses pieds dans le temps qu'il leur dit : " Le salut vous soit donné. " " Elles s'approchèrent du Sauveur, " dit l'Evangile, " lui embrassèrent les pieds, et l'adorèrent. " Leur foi dans ce moment devint si vive et si ardente qu'elles furent- jugées dignes d'aller apprendre aux apôtres cette heureuse et agréable nouvelle, Jésus-Christ leur ayant dit d'abord : " Ne craignez point; et ensuite. " Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée : c'est là qu'ils me verront. "

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Sixième question.

Comment saint Pierre et saint Jean ont-ils pu si aisément entrer dans le sépulcre, qui était gardé par une compagnie de soldats, sans qu'aucun de ces gardes se soit mis en devoir de leur en défendre l'entrée?

Voici la raison que saint Mathieu nous en donne : "La semaine étant passée, " dit-il "et le premier jour de la suivante commençant à peine à luire, Marie-Madeleine et une autre Marié vinrent pour voir le sépulcre. Et tout d'un coup il se fit un grand tremblement de terre; et un ange du Seigneur descendit du ciel et vint renverser la pierre qui fermait le sépulcre, et s'assit dessus. Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige; et les gardes en furent tellement saisis de frayeur qu'ils restèrent comme morts. Saisis donc qu'étaient ces soldats d'une frayeur si grande qu'ils paraissaient comme morts, il est à croire ou qu'ils abandonnèrent le sépulcre, ou que la crainte les avait tellement étourdis et troublés qu'ils n'avaient pas la hardiesse de s'opposer, je né dis pas aux hommes, mais aux femmes même qui voulaient y entrer; car cette pierre qu'on avait ôtée de l'entrée du sépulcre, ce tremblement de terre si grand et si extraordinaire que tout en fut ébranlé, et qui semblait menacer l’Univers d'un bouleversement général ; cet ange qui était descendu du ciel, et dont le visage était si éclatant qu'il ressemblait non pas à ces flambeaux artificiels que les hommes ont coutume d'allumer pour leurs usages, mais à un éclair qui répand partout son éclat et sa lumière; tous ces objets effrayants, qu'ils pouvaient aisément apercevoir même durant la nuit, avaient jeté dans leur âme la crainte et la frayeur; en sorte que saint Pierre et saint Jean entrèrent sans peine et sans obstacle dans le sépulcre. D'ailleurs Marie-Madeleine, qui leur avait appris la nouvelle de la résurrection du Sauveur, avait déjà remarqué qu'on avait enlevé son corps du tombeau et ôté la pierre qui en fermait l’entrée. Au reste il ne faut pas s'imaginer que l'ange soit descendu exprès du ciel pour ôter cette pierre et ouvrir le sépulcre à Jésus-Christ; mais le Seigneur étant ressuscité à l'heure qu'il Voulut, et qu'aucun homme n'a jamais connue, cet esprit céleste vint apprendre aux fidèles ce qui s'était passé, et faire voir par sa présenté, et par le renversement de la pierre, que le corps de Jésus n'était plus dans le sépulcre; ce que l’on pouvait aisément découvrir à la faveur de cette brillante lumière qui sortait de son visage, et qui faisait disparaître toute l'horreur des ténèbres de la nuit.

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Septième question.

Comment accorder ce que nous lisons dans saint Mathieu et dans saint Marc, que lés femmes qui étaient allées au sépulcre avaient eu ordre de dire aux apôtres qu'ils eussent à aller en Galilée et que là ils verraient le Seigneur, avec ce que disent saint Luc et saint Jean, qu'il se fit voir à Jérusalem?

Il y a bien de la différence entre la manière dont le Sauveur apparut aux onze apôtres, "lorsque la crainte qu'ils avaient des Juifs les obligeant à se tenir cachés, il entra dans le lieu où ils étaient, les portes étant fermées, et qu'il leur montra les plaies de ses mains et de son côté, " pour les convaincre qu'il n'était pas un esprit comme ils se l’imaginaient; et entre celle dont il se montra à eux lorsqu'il leur fit voir, comme dit saint Luc, " par beaucoup de preuves, qu'il était vivant, leur apparaissant pendant quarante jours, et leur parlant du royaume de Dieu; et qu'en mangeant avec eux il leur commanda de ne point partir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père. " Car dans l'une il se faisait voir à ses apôtres pour les consoler et dissiper leur crainte, ne se montrant à eux que pour peu de temps, et disparaissant aussitôt à leur yeux, au lieu que dans l’autre il conversait avec ses disciples si longtemps et avec tant de familiarité qu'il mangeait même avec eux. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul dit que Jésus-Christ se fit voir en même temps à plus de cinq cents de ses disciples. Nous lisons aussi dans saint Jean que, lorsque les apôtres pêchaient , il parut sur le rivage et mangea " un morceau de poisson rôti et un rayon de miel, leur faisant voir par là d'une manière très sensible qu'il était véritablement ressuscité. Or nous ne voyons point qu'il a rien fait de semblable à Jérusalem.

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Huitième question.

Comment doit-on expliquer ces paroles de saint Mathieu : "Jésus, jetant un grand cri, rendit l'esprit; en même temps le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les pierres se fendirent, les sépulcres s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil de la mort ressuscitèrent; et, sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent en la ville sainte, et furent vus de plusieurs personnes? "

J'ai déjà expliqué ce passage dans mes commentaires sur saint Mathieu. Il faut remarquer d'abord qu'il n'y a qu'un Dieu qui puisse quitter la vie et la reprendre quand il lui plaît. De là vient que le centenier voyant que Jésus-Christ, après avoir dit : " Mon Père, je remets mon âme entre vos mains, " avait aussitôt rendu l'esprit volontairement, touché d’un si grand prodige, il s'écria : " Cet homme était vraiment le fils de Dieu. "

"Le voile du temple se déchira en deux, " ce qui vérifie ce que rapporte Joseph, que les anges qui gardaient le temple avaient dit: "Sortons d'ici. " L'évangile que saint Mathieu a écrit en hébreu ne dit pas que le voile se déchira, mais que le haut du portail, qui était d'une prodigieuse grandeur, fut entièrement renversé. "La terre trembla, " ne pouvant soutenir le poids de son Dieu attaché en croix. " Les pierres se fendirent," pour faire voir jusqu'où allait la dureté des Juifs qui refusaient de reconnaître le fils de Dieu qu'ils voyaient de leurs yeux. " Les sépulcres s'ouvrirent, " pour nous marquer que nous devions ressusciter un jour. " Et plusieurs corps des saints, sortant de leurs tombeaux, vinrent en la ville sainte, et furent vus de plusieurs personnes. " Par cette " ville sainte, " on doit entendre Jérusalem, et il ne faut pas la confondre avec toutes les autres villes où l'on adorait les idoles; car il n'y avait que cette ville-là seule qui eût un temple consacré au Seigneur, et où l'on fit profession de la véritable religion et de n'adorer que Dieu seul. Ces saints, qui " sortaient de leurs tombeaux," ne se firent pas voir indifféremment à tout le monde, mais seulement à plusieurs personnes qui s'étaient déclarées pour Jésus-Christ ressuscité.

Expliquons maintenant cet endroit dans un sens spirituel. " Jésus-Christ expira en jetant un grand cri; et en même temps le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu'en bas, " afin que toutes les nations pussent voir à découvert tous les mystères de la loi qui auparavant leur étaient cachés. Ce voile se déchire " en deux," pour exposer à nos yeux tout te que renferment l'Ancien et le Nouveau-Testament. Il se déchire "depuis le haut jusqu'en bas," pour nous découvrir tout ce qui s'est fait depuis le commencement du monde et la création de l’homme , ainsi que l'Histoire Sainte nous le rapporte, et tout ce qui se fera jusqu'à la consommation des siècles.

Mais il faut examiner si c’est le voile (1) extérieur

(1) Le voile intérieur couvrait fâche d'alliance et séparait le Saint d'avec le Saint des saints. Num. 26, 33. Le voile extérieur était à l’entrée du tabernacle. Ibid. V. 36.

ou le voile intérieur qui se déchira à la mort du Sauveur. Pour moi, il me semble que c'est celui qui était dans le temple et à l'entrée du tabernacle, et qu'on appelait le voile extérieur; car " maintenant nous ne voyons et ne connaissons les choses que d'une manière très imparfaite; mais quand nous serons dans un état parfait," alors le voile extérieur se déchirera, et nous verrons à découvert tous les mystères de la maison de Dieu qui nous sont maintenant cachés; et nous saurons ce que c'est que ces deux chérubins, cet oracle, et ce vase d'or dans lequel on avait renfermé la manne. " Nous ne voyons maintenant que comme en un miroir et en des énigmes. " Il est vrai que le voile qui nous cachait ce qu'il y a d'historique dans l'Ecriture sainte étant déchiré, nous pouvons entrer dans le parvis du tabernacle du Seigneur; mais néanmoins ses secrets et tous les mystères de la Jérusalem céleste sont toujours voilés pour nous, et nous ne saurions les pénétrer.

" La terre trembla " à la mort du Sauveur, et l’on vit alors l'accomplissement de ce que dit le prophète Aggée : " Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, et le désiré de toutes les nations viendra ; " afin que plusieurs viennent d'Orient et d'Occident prendre place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob. " Les pierres se fendirent, " c'est-à-dire que la mort de Jésus-Christ toucha les gentils et rompit toute la dureté de leurs cœurs. Par ces " pierres ", l'on peut encore entendre : les prophètes, qui aussi bien que les apôtres ont porté ce nom par rapport à Jésus-Christ, qui est la véritable " pierre ". Or ces pierres se sont" fendues," afin que les gentils vissent à découvert toutes les prophéties que le voile épais de la loi leur cachait. Ces " sépulcres " dont Jésus-Christ a dit dans l'Evangile Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis par dehors, mais qui au dedans sont pleins d'ossements de morts, " ces sépulcres, " dis-je, " s’ouvrirent " afin que ceux qui auparavant étaient morts dans leur infidélité, " sortant de leurs tombeaux, " et reprenant une nouvelle vie avec Jésus-Christ vivant et ressuscité, entrassent dans la Jérusalem céleste, pour être citoyens non plus de la terre, mais du ciel, et qu'en mourant avec l'homme terrestre ils " ressuscitassent avec l'homme céleste.

Au reste, pour revenir au sens littéral de ce passage, on ne doit point s'étonner de ce qu'après la mort du Sauveur on appelle Jérusalem "la ville sainte, " puisque, jusqu'à son entière ruine, les apôtres n'ont point fait difficulté d'entrer dans le temple, et, d'observer même les cérémonies de la loi, de peur de scandaliser ceux d'entre les Juifs qui avaient embrassé la foi de Jésus-Christ. Nous voyons même que le Sauveur aima tant cette ville que les malheurs dont elle était menacée lui tirèrent les larmes des yeux, et qu'étant attaché à la croix, il dit à son père : " Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent ce qu'ils font. " Aussi sa prière , fut- elle exaucée, puisque peu de temps après sa mort les Juifs crurent en lui par milliers, et que Dieu accorda à cette malheureuse ville quarante-deux ans pour faire pénitence. Mais enfin ses citoyens n'en ayant pas profité et persistant toujours dans leur malice, Vespasien et Tite, semblables à ces deux ours dont parle l'Écriture (1), sortis du milieu des bois, ont tué et déchiré ces " enfants " qui blasphémaient et insultaient le véritable Elizée lorsqu'il "montait " à la maison de Dieu (car c'est ce que signifie Bethel en hébreu). Or, depuis ce temps-là Jérusalem n'a plus été appelée " la ville sainte ; mais ayant perdu avec sa sainteté le nom qu'elle portait autrefois, on l'a appelée dans un sens spirituel " Égypte " et " Sodome, " et à sa place l'on a bâti une nouvelle ville "qu'un fleuve réjouit par l'abondance de ses eaux, " et du milieu de laquelle sort une fontaine qui a corrigé l'amertume des eaux de toute la terre; de sorte que les malheureux Juifs, dépouillés de leur ancienne gloires sont réduits à gémir sur les ruines de leur temple, tandis que les chrétiens ont le plaisir de voir bâtir tous les jours de nouvelles églises, et qu'ils disent aux habitants de Sion : " Le lieu où je suis est trop étroit

en quoi l'on voit l'accomplissement de ce que dit le prophète Isaïe : " Son sépulcre sera glorieux."

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Neuvième question.

Comment le Sauveur donne-t-il le Saint-Esprit à ses apôtres en soufflant sur eux, ainsi que

(1) Saint Jérôme fait ici allusion à ce qui est écrit au chap. 2 du quatrième livre des Rois, qu'Elizée allant à Bethel, de petits enfants sortis de la ville se moquèrent de lui en disant: "Monte, chauve, monte, chauve;" et que ce prophète leur ayant donné sa malédiction, deux ours sortirent des bois et déchirèrent quarante-deux de ces enfants.

le rapporte saint Jean, puisque, selon saint Luc, il leur promit de le leur envoyer après son ascension?

L'on peut aisément résoudre cette difficulté si fou considère, comme dit saint Paul, que le Saint-Esprit nous communique plusieurs sortes de grâces. "Il y a diversité de dons spirituels," dit cet apôtre dans sa première épître aux fidèles de Corinthe, a mais il n'y a qu'un même esprit ; il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit qui se font connaître au dehors sont donnés à chacun pour futilité de l'Église l'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler dans une haute sagesse; un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre reçoit la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit la grâce de guérir les maladies; un autre le don de faire des miracles, un autre le don de prophétie, un autre le discernement des esprits, un autre le don de parler diverses langues, un autre l'interprétation des langues. Or c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ces dons selon qu'il lui plaît. " Le Seigneur donc, comme le rapporte saint Luc dans son évangile, avait dit à ses apôtres après sa résurrection : " Je vais envoyer sur vous le don de mon père qui vous a été promis; mais cependant demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en-haut; " et dans les Actes des apôtres, selon le même évangéliste, il leur commanda de ne point sortir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père, " que vous avez, " leur dit-il, " ouïe de ma bouche; car Jean a baptisé dans l'eau, mais dans peu de jours vous serez baptisés dans le Saint-Esprit." Saint Jean rapporte aussi sur la fin de son évangile que le jour même que Jésus-Christ ressuscita, c'est-à-dire le dimanche, il entra dans le lieu où étaient les apôtres, les portes étant fermées, et que leur ayant dit pour la deuxième fois : " La paix soit avec vous," il ajouta: "Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie aussi de même. Après quoi il souffla sur eux et leur dit: " Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. "

Le premier jour donc de la résurrection du Sauveur, les apôtres reçurent la grâce du Saint-Esprit pour remettre les péchés, pour baptiser, pour faire les hommes enfants de Dieu, et pour communiquer aux fidèles l'esprit d'adoption, selon ce que Jésus-Christ lui-même leur avait dit : " Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez." Mais au jour de la Pentecôte le Sauveur leur promet des dons plus excellents, à savoir qu'ils seront baptisés dans le Saint-Esprit et revêtus de la force d'en-haut, pour prêcher son Évangile à toutes les nations, selon ce que nous lisons au psaume soixante-septième: " Le Seigneur donnera sa parole aux hérauts de sa gloire, afin. qu'ils l'annoncent avec une grande force;" de manière qu'ils devaient alors recevoir le don de guérir les maladies, de faire des miracles et de parler diverses langues, destinés qu’ils étaient pour prêcher l'Evangile à plusieurs nations, afin que dès lors on pût connaître à quels peuples chacun des apôtres devait annoncer les vérités évangéliques. De là vient que l'apôtre saint Paul, qui avait porté l’Evangile dans cette vaste étendue de pays qui est depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie, et qui se à passer par Rome pour aller en Espagne, remercie Dieu de ce qu'il avait reçu le don des langues plus que tous les autres apôtres, parce qu'étant destiné à prêcher l'Evangile à plusieurs nations, il devait aussi parler plusieurs langues.

Or, ce fut le dixième jour après son ascension, comme le rapporte saint Luc, que le Sauveur s'acquitta de la promesse qu'il avait faite à ses apôtres de leur envoyer le Saint-Esprit. " Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, " dit cet historien sacré, " les disciples étant tous ensemble dans un même lieu, on entendit tout à coup un grand bruit comme d'un vent violent et impétueux qui venait du ciel, et qui remplit toute la maison où ils étaient assis. En même temps ils virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent et s'arrêtèrent sur chacun d’eux. Aussitôt ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur mettait les paroles à la bouche. Et alors l'on vit l'accomplissement de ce que dit le prophète Joël : " Dans les derniers temps, " dit le Seigneur, " je répandrai Mon esprit sur toute chair: vos fils et vos filles prophétiseront; vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens auront des visions. " Ce mot, " je répandrai, " marque une abondance de grâces, et revient à ce que le Seigneur avait promis à ses apôtres, que dans peu de jours ils seraient " baptisés dans le Saint-Esprit. " En effet ce baptême fut si abondant qu'il remplit toute la maison où les disciples étaient assis, et que le feu du Saint-Esprit, trouvant dans leurs cœurs des dispositions favorables à ses desseins, leur communiqua le don des langues et purifia leurs lèvres, afin qu'ils prêchassent l'Evangile de Jésus-Christ dans toute sa pureté, de même qu'un séraphin avait purifié celles d'Isaïe qui se plaignait d'avoir les lèvres impures et souillées.

Nous lisons dans ce prophète qu'à la voix des deux séraphins qui étaient autour du trône de Dieu, le dessus de la porte du temple fut ébranlé et que toute la maison fut remplie de fumée, c’est-à-dire d’erreur, de ténèbres et d’ignorance. Mais au commencement de l'Evangile, et dès la naissance du christianisme, le Saint-Esprit remplit toute l'Eglise, afin d'effacer par sa chaleur et par sa grâce les péchés de tous les fidèles, et de purifier par le feu de cet Esprit-Saint, que Jésus-Christ avait promis de répandre sur ses apôtres, les lèvres de ceux qui devaient porter son nom par toute la terre.

Lors donc que saint Jean dit que le Sauveur donna le Saint-Esprit à ses apôtres le premier jour de sa résurrection, et saint Luc qu’il ne le leur envoya que cinquante jours après, il ne faut pas s’imaginer que ces deux évangélistes ne s'accordent pas ensemble: ils veulent seulement par là nous marquer les différents degrés de grâces que Jésus-Christ communiqua à ses apôtres, qui, ayant reçu d'abord le pouvoir de remettre les péchés, reçurent ensuite la puissance de faire des miracles, et tous les autres dons détaillés par saint Paul et dont nous avons parlé ci-dessus mais particulièrement celui de parler diverses langues, qui leur était encore plus nécessaire que les autres afin que, dans le ministère dont ils étaient chargés d'annoncer l’Evangile de Jésus-Christ à toutes les nations de la terre, ils n’eussent pas besoin de se servir d'interprète. De là vient que les Licaoniens, ayant entendu saint Paul et saint Barnabé parler en leur langue, les prirent pour des dieux qui s'étaient revêtus d'une forme humaine.

Pour ce qui est de cette " vertu d'en-haut" dont Jésus-Christ avait promis de "revêtir " ses disciples, ce n'est autre chose que la grâce du Saint-Esprit, qui, ayant pris possession du coeur des apôtres, leur inspirait tant de force et de courage qu'ils ne craignaient ni les tribunaux des juges ni la pourpre des rois. C'est ce que le Sauveur leur avait promis avant sa Passion, en leur disant : " Lorsqu'on vous livrera entre les mains des hommes, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez, ni de ce que vous leur direz, car ce que vous leur devez dire vous sera donné à l'heure même, puisque ce n'est pas vous qui parlez, mais que c'est l'esprit de votre père qui parle en vous. " Pour moi, je ne crains point de dire que, depuis que les apôtres eurent cru en Jésus-Christ, ils eurent toujours le Saint-Esprit, sans la grâce duquel ils n'auraient jamais pu faire tous les miracles qu'ils faisaient ; mais cette grâce avait ses bornes et ses mesures. C'est pour cela que Jésus-Christ disait à haute voix dans le temple

" Si quelqu'un a soif, qu'il revienne à moi et qu'il boive ; si quelqu'un croit en moi, il sortira des fleuves d'eau vive de son coeur; " comme dit l'Ecriture; ce qu'il entendait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; et l'évangéliste ajoute au même endroit : " Car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié." Ce n'est pas à dire qu'il n'y eût point de Saint-Esprit, puisque le Sauveur lui-même disait : " Si je chasse les démons parle Saint-Esprit; " mais c'est que cet Esprit-Saint qui était dans le fils de Dieu n'avait pas encore rempli tout le coeur des apôtres. De là venait cette crainte dont, ils furent saisis à la Passion du Sauveur, et qui les porta à le renoncer et à jurer qu'ils ne le connaissaient point; mais après avoir été baptisés dans le Saint-Esprit, remplis qu'ils étaient de la grâce qu'il avait répandue dans leurs coeurs, ils disent hardiment aux princes des Juifs: " Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes. " Alors on les voit ressusciter les morts, triompher au milieu des tourments, répandre leur sang pour Jésus-Christ, et se couronner de leurs propres supplices.

Les apôtres donc n'avaient point encore le Saint-Esprit et les grâces spirituelles ne coulaient point de leur coeur, parce que le Seigneur n'était pas encore glorifié, Mais quelle

est cette gloire qu'il attendait? Il nous l'explique lui-même dans l'Evangile lorsqu'il dit " Mon père, glorifiez-moi de cette gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût. " La gloire du Sauveur est la croix où il triomphe il y est attaché comme homme, et il y est glorifié comme Dieu. Voulez-vous des preuves de sa gloire? alors on vit le soleil disparaître, la lune se changer en sang, la terre s'ébranler par des secousses extraordinaires, l'enfer s'ouvrir, les morts marcher, les pierres se fendre. C'est de cette gloire que Jésus-Christ parie par la bouche du prophète-roi lorsqu'il dit. " Levez-vous, ma gloire; excitez-vous, mon luth et ma harpe;" et cette gloire,c'est-à-dire: son humanité sainte, lui répond: " Je me lèverai du grand matin," afin de vérifier par là le titre du psaume vingt et unième qui porte : Pour le secours du matin. Quand je parle de la sorte, je ne prétends pas distinguer en Jésus-Christ le Dieu d'avec l'homme, et faire du fils de Dieu deux personnes différentes, comme les nouveaux hérétiques nous en accusent faussement. Il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule et même personne , qui est tout à la fois et fils de Dieu et fils de l'homme; mais dans tout ce que nous a dit ce divin Sauveur il y a des choses qui n'ont rapport qu'à la gloire de sa divinité, et d'autres qui ne regardent que notre propre salut. Car c'est pour nous que, " ne croyant pas que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, il s'est néanmoins anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur, et se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix; " c'est pour nous que " le Verbe a été fait chair et qu'il a habité parmi nous. "

Le Seigneur ayant donc dit à ses disciples "Je m'en vais, et je vous enverrai un autre consolateur; " et saint Luc ensuite nous assurant que les apôtres ont reçu ce que Jésus-Christ leur avait promis, je m'étonne que Montan et les deux femmes insensées' qui suivent son parti et ses erreurs, eux qui ne sont que des avortons de prophètes, prétendent que cette promesse du Sauveur n'a été accomplie que longtemps après en leurs personnes; car c'est aux apôtres que le Sauveur a dit: "Je vais envoyer sur vous le don de mon père qui vous a été promis. Cependant demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus

(1) Prisca et Maxilla.

de la force d'en-haut. " C'est sur les apôtres, et non pas sur Montan, Prisca et Maxilla, que Jésus-Christ a soufflé en leur donnant le Saint -Esprit; c'est aux apôtres qu'il a dit

" Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez;" c'est aux apôtres qu'il a commandé de ne point partir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse de son père, promesse dont saint Luc nous fait voir ensuite l'accomplissement lorsqu'il dit: " Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur mettait les paroles à la bouche ; car le Saint-Esprit souffle où il veut. " Lorsque Jésus-Christ promet à ses apôtres de leur envoyer" un autre consolateur, " il donne assez à connaître qu'il était lui-même le consolateur de ses apôtres; et c'est l'idée que l’apôtre saint Paul nous donne aussi de Dieu le Père quand il l'appelle le " Dieu des miséricordes et de toute consolation. " Or si le Père est " consolateur," si le Fils est " consolateur, " si le Saint-Esprit est " consolateur, " et si l'on baptise les fidèles au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui ne sont qu'un seul Dieu, il s'ensuit que, n'ayant qu'un même nom de Dieu et de consolateur, ils n'ont aussi qu'une même nature.

Au reste les prophètes ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que,les apôtres. De là vient que David disait: " Ne retirez pas de moi votre Esprit saint. " Nous lisons aussi dans l'Ecriture sainte que Daniel était animé de l'esprit de Dieu, et que c'était par l'inspiration du Saint-Esprit que David disait : " Le Seigneur a dit à mon seigneur : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied. " Ce n'est que par les lumières de cet Esprit saint que les prophètes ont pu prédire les choses à venir. " C'est par la parole du Seigneur, " dit le Psalmiste, " que les cieux ont été affermis, et c'est le souffle de sa bouche qui fait toute leur vertu." Tout ce qui appartient au Père et au Fils appartient aussi au Saint-Esprit. Quand il est envoyé, c'est le Père et le fils qui l’envoient. L'Ecriture sainte l'appelle en mille endroits "l'esprit de Dieu le Père et l'esprit de Jésus-Christ. " De là vient, comme il est rapporté dans les Actes des apôtres, que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean et qui

croyaient en Dieu le Père et en Jésus-Christ, mais qui ne savaient pas même qu'il y eût un Saint-Esprit , furent baptisés derechef, et l'on peut dire que ce fut alors qu'ils reçurent le véritable baptême, parce que sans le Saint-Esprit il n'y a point de Trinité. Nous lisons encore au même endroit que saint Pierre dit à Ananie et à Saphire qu'en mentant au Saint-Esprit, c'était à Dieu et non pas aux hommes qu'ils avaient menti.

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Dixième question.

Comment doit-on entendre ce que dit l'apôtre saint Paul aux Romains, depuis cet endroit " Que dirons-nous donc? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'injustice? A Dieu ne plaise que nous ayons cette pensée ! " jusqu'à celui-ci : " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé quelqu'un de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe ? "

Toute l'épître aux Romains a besoin d'explication, car elle est si obscure et si remplie de difficultés qu'on ne saurait l'entendre sans le secours du Saint-Esprit, qui l'a dictée lui-même par la bouche de l’Apôtre. Mais l'endroit le plus difficile et le plus embarrassant est celui que vous me proposez. Quelques-uns, pour sauver la justice de Dieu, prétendent que s'il a élu Jacob et rejeté Esaü lorsqu'ils étaient encore dans le sein de Rebecca, ce n'a pu être que pour des raisons qui ont précédé leur naissance; de même qu'il a choisi Jérémie et saint Jean-Baptiste dès le sein de leurs mères, et destiné l'apôtre saint Paul, avant même qu'il fût né, pour prêcher l'Evangile.

Pour moi, je ne saurais approuver que ce qui est reçu de tous les fidèles, et ce que je puis sans crainte enseigner publiquement dans l'Eglise, de peur de tomber dans les illusions et les rêveries de Pythagore, de Platon, et des disciples de ceux qui, voulant faire passer les opinions des païens pour des dogmes de religion, disent que les âmes sont tombées du ciel et que, selon leurs différents mérités, elles ont été unies à certains corps pour y expier leurs anciens péchés. Je crois qu'il vaut beaucoup mieux avouer de bonne foi notre ignorance, et mettre ce passage de saint Paul au nombre des mystères dont nous ne saurions pénétrer la profondeur, que de s'engager, sous prétexte de justifier la conduite de Dieu, dans les hérésies de Basilide et de Manès, dans les monstrueuses opinions ! qu'un certain Egyptien a débitées, et dans les visions chimériques avec lesquelles on a trompé les Espagnols. Expliquons donc ce passage du mieux qu'il nous sera possible, et suivons saint Paul pied à pied sans nous écarter de ses sentiments.

Cet apôtre, prenant le Saint-Esprit même à témoin de la douleur sincère dont son coeur est pénétré, commence d'abord par déplorer l'aveuglement de ses frères et de ses parents selon la chair; c'est-à-dire : des Israélites, qui avaient méconnu et rejeté le fils de Dieu, eux à qui appartenait l’adoption des enfants de pieu, sa gloire, son alliance, sa loi, son culte et ses promesses, et desquels Jésus-Christ même est sorti selon la chair par la naissance qu'il a reçue de Marie. Et cette douleur dont il se sent pressé est si vive et si continuelle qu'il souhaite de devenir lui-même anathème, et d'être séparé de Jésus-Christ, c'est-à-dire de périr tout seul pour empêcher que tout Israël ne périsse. Sur quoi. prévoyant qu'on ne manquerait pas de lui dire : Quoi donc ! Est-ce que tous les Israélites sont perdu? N'avez-vous pas reconnu vous-même Jésus-Christ pour le fils de Dieu ? les autres apôtres et une infinité de personnes d'entre les Juifs ne l'ont-ils pas reconnu? voici ce qu'il répond à cette objection. L'Ecriture sainte représente Israël sous deux idées différentes, et sous la figure de deux enfants, dont l'un est selon la chair et l’autre selon l'esprit et la promesse. Abraham a eu deux enfants , Ismaël et Isaac ; celui-là étant né selon la chair, n'a point de part à l'héritage de son père ; et celui- ci, étant né de Sara selon la promesse, est appelé enfant de Dieu, suivant ce que dit l'Ecriture : " C'est Isaac qui sera appelé votre fils; " c'est-à-dire que ceux qui sont " enfants selon la chair " ne sont pas pour cela enfants de Dieu, mais que ce sont les " enfants de la promesse " qui sont réputés être les enfants d'Abraham.

Cette vérité parait non-seulement dans Ismaël et Isaac, trais encore dans les deux enfants de Rebecca, Esaü et Jacob, desquels Dieu a choisi l'un et rejeté l'autre. Saint Paul prétend faire voir par là que les deux aînés de ces frères, Ismaël et Esaü, sont la figure de la réprobation du peuple juif, et que les deux cadets,

(1) C’est-à-dire les erreurs qu'un certain Egyptien nommé Marc avait répandues en Espagne et en Portuga1.

Isaac et Jacob, nous représentent le choix que Dieu a fait des gentils et de ceux d'entre les Juifs qui devaient croire en Jésus-Christ. Mais parce que, pour prouver son sentiment, il s'était servi de l'exemple de deux frères jumeaux, Esaü et Jacob, dont il est écrit : " L'aîné sera assujetti au plus jeune ; " et dans le prophète Malachie : " J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü," il se fait à lui-même et explique selon sa coutume l'objection qu'il prévoyait bien qu'on pouvait lui faire sur cela, et après l'avoir réfutée il revient à son sujet. S'il est vrai, dit cet apôtre, que l'élection de Jacob et la réprobation d'Esaü, " qui n'étaient pas encore nés et qui n'avaient fait ni aucun bien ni aucun mal" pour se rendre dignes ou des bontés ou de la colère de Dieu, est un effet non pas de leurs propres mérites, mais de la volonté de celui qui a choisi l'un et rejeté l'autre, " que dirons-nous donc? Est-ce que Dieu est injuste? " suivant ce qu'il dit lui-même à Moïse : " Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faite miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d’avoir pitié. " Si nous croyons que Dieu fait tout ce qu'il veut, et qu'il choisit les uns et rejette les autres sans avoir aucun égard à leur mérite et à leurs oeuvres, "cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; " comme il paraît d'une manière très sensible par ces paroles que le même Dieu dit dans l'Ecriture à Pharaon : " C'est pour cela même que je vous ai établi pour faire éclater en vous ma toute-puissance, et pour rendre mon nom célèbre par toute la terre. " Si cela est ainsi, et si Dieu, selon qu'il lui plaît, fait miséricorde à Israël et endurcit Pharaon, c'est donc à tort qu'il se plaint et qu'il nous reproche ou de n'avoir pas fait le bien, ou d'avoir fait le mal, puisque, sans avoir égard ni à nos bonnes ni à nos mauvaises actions, il peut quand il lui plaît choisir les uns et réprouver les autres, surtout l'homme étant trop faible pour s'opposer à ses volontés.

Or voici ce que l'apôtre saint Paul répond à cet argument qui est très fort de lui-même et qui, étant appuyé sur l'autorité de l'Ecriture sainte, paraît presque invincible: " O homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu? " c'est-à-dire : Puisque vous contestez avec Dieu, que vous vous élevez contre lui, que vous cherchez dans les saintes Ecritures tant de preuves et d'autorités pour condamner sa conduite, et que vous l'accusez de vouloir et de faire des choses injustes, vous faites voir par là que vous ayez le libre arbitre, que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, et qu'il est en votre pouvoir de vous taire ou de parler quand il vous plaît. Car si vous êtes persuadé que Dieu vous a fait de la même manière qu'un potier fait un vase d'argile, et que vous ne pouvez pas résister à sa volonté, faites réflexion " qu'un vase d'argile ne dit pas à celui qui l'a fait: " Pourquoi m'avez- vous fait de la sorte?" car le potier a le pouvoir de faire d'une même terre, ou d'une même masse d'argile, un vase d'argile destiné à des usages honorables, et un autre destiné à des usages vils et honteux. " Mais Dieu a fait tous les hommes d'une même nature et d'une même condition; il leur a donné en les formant la liberté de faire tout ce qu'il leur plaît, et de se porter à leur gré ou au bien ou au mal; et cette liberté est si pleine et si entière qu'il y en a qui portent leur impiété jusqu'à disputer contre leur créateur et à vouloir examiner les raisons de sa conduite.

" Qui peut se plaindre de Dieu , " continue l'Apôtre, " si, voulant montrer sa juste colère et faire connaître sa puissance, il souffre avec une patience extrême les vases de colère destinés à la perdition, afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a destinés à sa gloire? sur nous qu'il a appelés non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils? selon ce qu'il dit lui-même par la bouche du prophète Osée "J'appellerai mon peuple ceux qui n'étaient point mon peuple; ma bien-aimée celle que je n'avais point aimée; et il arrivera que dans le même lieu où je leur avais dit autrefois: "Vous n'êtes point mon peuple, " ils seront appelés les enfants du Dieu vivant, etc. " Si la patience de Dieu, dit saint Paul, n'a servi qu'à endurcir le coeur de Pharaon, et si le Seigneur a différé si longtemps de punir les Israélites, afin de pouvoir condamner avec plus de justice ceux dont il avait souffert les impiétés avec tant de patience, ce n'est pas sa bonté infinie et son extrême patience qu'il faut condamner, c'est la dureté de ceux qui se sont perdus par le mauvais usage qu'ils oint fait de ses bontés et de ses miséricordes. Considérez le soleil ; sa chaleur est toujours la même ; cependant elle produit des effets différents selon la nature des différents sujets sur qui elle agit, amollissant les uns, affermissant les autres, désunissant ceux-ci, resserrant ceux-là, faisant fondre la cire et endurcissant la boue, quoique cette chaleur ne change jamais de nature. Il en est de même de Dieu; car par sa bonté et par sa clémence il endurcit les vases de colère destinés à la perdition, c'est-à-dire : le peuple d'Israël; mais pour ce qui est des vases de miséricorde qu'il a destinés à sa gloire, c'est-à-dire nous autres., qu'il a appelés non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils, il ne les sauve pas sans raison et sans un juste discernement; il agit en cela pour des causes antécédentes, parce que les uns ont rejeté le fils de Dieu et que les autres ont bien voulu le recevoir.

Or, par ces vases de miséricorde " on doit entendre non-seulement les gentils, mais encore ceux d'entre les Juifs qui ont voulu croire en Jésus-Christ et qui, conjointement avec ceux-là, ne font plus qu'un seul peuple de fidèles; ce qui fait voir que Dieu, dans le choix qu'il fait, ne considère pas les nations, mais les volontés des hommes. Et en cela fon a vu l'accomplissement de ce que dit le prophète Osée "J'appellerai mon peuple ceux qui n'étaient pas mon peuple, " c'est-à-dire : les gentils, " et ceux à qui j'avais dit autrefois; " Vous n'êtes point mon peuple, " seront maintenant appelés les enfants du Dieu vivant; " et de peur qu'on n'appliquât cette prédiction qu'aux gentils, saint Paul appelle aussi des " vases d'élection et de miséricorde "ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ; car, " pour ce qui est d'Israël, " dit cet apôtre, " Isaïe s'écrie: "Quand le nombre des enfants d'Israël serait égal à celui du sable de la mer, il n'y en aura qu'un petit reste de sauvés; " c'est-à-dire: Quoique tous les enfants d'Israël ne croient pas en Jésus-Christ, il y en aura pourtant quelques-uns, mais en petit nombre, qui croiront en lui; " car Dieu, dans sa justice, a consumé et retranché de son peuple, " en sauvant par l'incarnation et les humiliations de Jésus-Christ ceux qui ont bien voulu croire en lui. C'est ce que le prophète Isaïe nous dit dans un autre endroit: " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé que quelques-uns de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe. "

Saint Paul; après avoir rapporté les passages de l'Ecriture où les prophètes ont prédit la double vocation des gentils et des Juifs, revient à son sujet et dit. que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, l'ont néanmoins embrassée, parce qu'ils ont cru en Jésus-Christ sans faire vanité de leurs oeuvres , et qu'au contraire la plupart des Israélites se sont perdus parce qu'ils " se sont heurtés contre la pierre d'achoppement et de scandale, et que, ne connaissant point la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu, " c'est-à-dire : à Jésus-Christ " qui nous a été donné de Dieu pour être notre justice. "

Un certain auteur, dont j'ai lu les commentaires, prétend que saint Paul par sa réponse a plutôt embarrassé cette question qu'il ne l'a expliquée; car, après s'être proposé cette objection : " Que dirons-nous donc? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'injustice?" après avoir dit

" Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; " et " Dieu fait miséricorde à qui il lui plaît et endurcit qui il lui plaît; " et derechef " Qui peut résister à sa volonté? " voici, dit cet auteur, ce que répond l’apôtre : O homme, qui n'êtes que terre et que cendre, osez-vous bien faire cette question à Dieu? Voulez-vous vous révolter contre celui qui vous a fait, vous qui n'êtes qu'un vase d'argile et la fragilité même? Un vase de terre peut-il dire à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait de la sorte? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de l'aire de la même masse d'argile un vase destiné à des usages honorables et un autre destiné à des usages vils et honteux? Demeurez donc dans un éternel silence; reconnaissez votre propre fragilité, et ne demandez point compte à Dieu de ses actions, puisqu'en traitant les uns avec miséricorde et les autres avec sévérité, il n'a fait que ce qu'il a voulu.

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Onzième question.

Que signifient ces paroles de l'apôtre saint Paul dans sa seconde épître aux fidèles de Corinthe : " Nous sommes aux uns une odeur de mort qui les fait mourir, et aux autres une odeur de vie qui les fait vivre; et qui est capable d'un tel ministère? "

Il faut rapporter ici dans toute son étendue l'endroit d'où ces paroles sont tirées, afin que, par la liaison qu'elles ont avec ce qui les précède et ce qui les suit, on puisse mieux comprendre quel en est le véritable sens. " Etant venu à Troade, " dit l'Apôtre, " pour prêcher l'Evangile de Jésus-Christ, quoique le Seigneur m'y eût donné de grandes ouvertures pour m'acquitter de mon ministère, avec succès, je n'ai point eu l'esprit en repos, parce que je n'y avais pas trouvé mon frère Tite ; mais ayant pris congé d'eux, je m'en suis allé en Macédoine. Cependant je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous en tous lieux l'odeur de la connaissance de son nom; car nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ, soit à l'égard de ceux qui se sauvent, soit à l'égard de ceux qui se perdent; aux uns une odeur de mort qui les fait mourir, et aux autres une odeur de vie qui les fait vivre; et qui est capable d'un tel ministère? Car nous ne sommes pas comme plusieurs qui corrompent la parole de Dieu, mais nous la prêchons avec une entière sincérité, comme de la part de Dieu, en la présence de Dieu, et au nom de Jésus-Christ. "

Saint Paul instruit ici les fidèles de Corinthe de tout ce qu'il a fait et de tout ce qu'il a souffert, et comment il a toujours rendu grâces à Dieu dans quelque situation où il se soit trouvé, afin de les animer par son exemple à combattre généreusement pour les intérêts de la foi. " Je suis venu, " dit-il, " à Troade, " qui auparavant s'appelait Troie, " afin de prêcher l'Évangile de Jésus-Christ "en Asie; "mais quoique le Seigneur m'y eût donné de grandes ouvertures pour m'acquitter de mon ministère avec succès, c'est-à-dire: Quoique plusieurs personnes, convaincues par les miracles et les prodiges que Dieu opérait par mon ministère, eussent cru en Jésus-Christ, et que j'eusse tout sujet d'espérer de voir naître et augmenter la foi parmi ces peuples par la grâce du Seigneur, cependant "je n'ai point eu l'esprit en repos;" c'est-à-dire: Je n'ai pu jouir de la consolation que j'espérais y trouver, parce que je n'y ai point rencontré mon frère Tite, comme je m'en étais flatté, ayant ouï dire qu'il y était, ou lui-même m'ayant promis de s'y rendre.

Mais quelle si grande consolation et quel repos d'esprit saint Paul pouvait-il recevoir de la présence de Tite, et pourquoi son absence l'oblige-t-elle à prendre congé des habitants de Troade pour' aller en Macédoine? J'ai déjà dit quelquefois que l'apôtre saint Paul était très savant, ayant été instruit " aux pieds de Gamaliel, " qui, selon les Actes des apôtres, avait dit dans le conseil des Juifs : "Pourquoi vous embarrasser de ce que font ces gens-là? Car si ce qu'ils prêchent est l'ouvrage de Dieu, vous ne sauriez le détruire , et si c'est l'ouvrage de l'homme, il tombera de lui-même. , Or, quoique saint Paul eût une connaissance parfaite des saintes Ecritures, qu'il fût naturellement éloquent, et qu'il possédât le don de parler plusieurs langues, comme il s'en glorifie lui-même au Seigneur, en disant : "Je loue mon Dieu de ce que j'ai le don des langues plus que vous tous, " cependant il ne pouvait pas s'exprimer en grec d'une manière digne de la majesté et de la grandeur de nos mystères. Ainsi Tite lui servait d'interprète, de même que saint Marc en servait à saint Pierre, sur les relations duquel il a écrit son Evangile. Aussi voyons-nous que les deux épîtres qu'on attribue à saint Pierre sont d'un style et d'un tour bien différent; ce qui fait juger qu'il a été obligé quelquefois de se servir de différents interprètes.

Saint Paul ayant donc eu le chagrin de ne point rencontrer à Troade celui par la bouche duquel il devait y prêcher l'Evangile, il prit le parti de passer en Macédoine, où un Macédonien, qui lui avait apparu pendant la nuit, l'avait invité d'aller, en lui disant : "Passez en Macédoine, et venez nous secourir. " Il espérait aussi y trouver Tite, et d'ailleurs il avait dessein d'y visiter les frères ou de s'exposer à la persécution des infidèles; car c'est ce qu'il veut dire par ces paroles : " Cependant je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous en tous lieux l'odeur de la connaissance de son nom. Il nous fait triompher, " c'est-à-dire: " il triomphe de nous," ou bien: " il triomphe par nous, " selon ce que dit l’Apôtre dans un autre endroit "Dieu nous fait servir de spectacle au monde, aux anges et aux hommes. " C'est ce qui lui fait dire dans la suite : " Étant venus en Macédoine, nous n'avons eu aucun relâche selon la chair, mais nous avons toujours eu à souffrir; ce n'a été que combats au dehors et que frayeurs au dedans. Mais Dieu, qui console les humbles et les affligés, nous a consolés par l'arrivée de Tite, et non-seulement par son arrivée, mais encore par la consolation qu'il a lui-même reçue de vous. " Ayant donc pris congé des habitants de Troie ou de Troade, il alla en Macédoine dans l'espérance d'y trouver Tite, et de se servir de lui dans les fonctions de son ministère; mais il est aisé de juger qu'il ne l'y rencontra pas, et que Tite n'y arriva qu'après que saint Paul eut essuyé bien des peines et des persécutions. Comme donc il avait eu beaucoup à souffrir avant l'arrivée de Tite, il rend grâces à Dieu, au nom de Jésus-Christ qu'il prêchait aux nations, de ce qu'il avait bien voulu se servir de lui pour faire triompher son fils. En effet, les tourments que souffrent les martyrs, le sang qu'ils répandent pour le nom de Jésus-Christ, la joie qu'ils font paraître au milieu des plus cruels supplices, tout cela est un triomphe pour Dieu. Lorsqu'on voit les martyrs soutenir avec tant de constance l'horreur et la cruauté des plus horribles tourments, et mettre toute leur joie dans les supplices qu'on leur fait souffrir, l'odeur de la connaissance de Dieu se répand parmi les gentils, et fon se sent convaincu par le témoignage de sa propre conscience que, si l'Evangile n'était pas véritable, il ne se trouverait jamais personne qui voulût répandre son sang pour sa défense. Car ce n'est point parmi les délices et les plaisirs du monde, parmi les soins qu'on se donne pour amasser des richesses, parmi les douceurs d'une vie molle et tranquille que l'on confesse le nom de Jésus-Christ : c'est dans les prisons, dans les plaies, dans les persécutions, dans la nudité, dans la faim et dans la soif. Voilà ce qui fait le triomphe de Dieu et la victoire des apôtres.

Mais comme on pourrait faire à saint Paul cette objection : Comment donc se peut-il faire que tous n'aient pas cru en Jésus-Christ? cet apôtre, selon sa coutume, la prévient et la réfute en cette manière. Il est vrai que nous sommes devant Dieu la bonne odeur du nom de Jésus-Christ, et que l'Evangile que nous prêchons, semblable à un agréable parfum, se répand de tous côtés; mais parce que Dieu a laissé aux hommes l'usage de leur libre arbitre afin que, faisant le bien volontairement et non point par nécessité, il puisse récompenser les fidèles et punir les incrédules , il arrive que l'odeur que nous t'épandons, quoique bonne de sa nature, donne ou la vie ou la mort, selon les bonnes ou les mauvaises dispositions de ceux qui reçoivent ou qui rejettent l'Evangile ; en sorte que ceux qui croient en Jésus-Christ se sauvent , et que ceux qui ne croient pas en lui se perdent sans ressource. Au reste il ne faut pas s'étonner que la prédication de l'apôtre saint Paul ait produit parmi les peuples des effets si différents, puisque l’Evangile dit de Jésus-Christ même : " Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël, et pour être en butte à la contradiction des hommes. " Qu'un lieu soit net ou qu'il soit sale, il reçoit également les rayons du soleil, et cet astre, sans intéresser la pureté de sa lumière, la répand indifféremment et sur les fleurs et sur le fumier. Il en est de même de la bonne odeur de Jésus-Christ : quoiqu'elle ne puisse changer de nature ni cesser d'être ce qu'elle est, néanmoins elle devient pour les fidèles un principe de vie et pour les incrédules un principe de mort; non pas de cette mort corporelle qui nous est commune avec les bêtes, mais de cette mort spirituelle dont il est écrit : " L'âme qui aura péché mourra elle-même. " Par cette prie que la bonne odeur de Jésus-Christ donne aux fidèles il ne faut pas plus entendre ce souffle qui nous anime, et qui est le principe de toutes nos actions et de tous nos mouvements, mais cette vie dont parle le prophète-roi lorsqu'il dit : " Je crois fermement voir les bien du Seigneur dans la terre des vivants, " (car Dieu est le Dieu des vivants et non point des morts) et dont saint Paul a dit : " Notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; mais lorsque Jésus-Christ qui est notre vie viendra à paraître, alors nous paraîtrons aussi avec lui dans la gloire. "

Or ne pensez pas, ô Corinthiens, dit l'Apôtre, qu'il importe peu que les uns reçoivent la vérité que nous prêchons et que les autres la rejettent, que ceux-ci meurent d'une mort véritable et que ceux-là vivent de cette vie qui dit elle-même : " Je suis la vie; " car si nous n'avions pas annoncé l'Evangile, les incrédules n'auraient pas reçu la mort ni les fidèles la vie, parce qu'il n'est pas aisé de trouver un homme digne d'annoncer les merveilles de Jésus-Christ, et qui dans les fonctions de son ministre ne cherche point sa propre gloire, mais celle de celui qu'il prêche. Lorsque saint Paul dit qu'il ne ressemble pas a plusieurs qui font un trafic de la parole de Dieu, il fait voir qu'il y en a beaucoup " qui s'imaginent que la piété leur doit servir de moyen pour s'enrichir, " qui n'ont en vue dans tout ce qu'ils font qu'un honteux intérêt, et " qui dévorent les maisons des veuves ; " mais que pour lui il prêche l’Evangile " avec une entière sincérité, comme de la part de Dieu," et en présence de celui qui fa envoyé ; ne prêchant qu'en Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, et n'ayant en vue dans son ministère que de faire triompher Jésus-Christ et de procurer sa gloire.

Il faut observer ici que l'Apôtre nous marque à la fin de ce chapitre le mystère de la très sainte Trinité lorsqu'il dit : " Nous prêchons l'Evangile de la part de Dieu, dans le Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père, et au nom de Jésus-Christ. " Nous avons dit, que saint Paul alla de Troade en Macédoine : en voici la preuve tirée des Actes des apôtres: " Ayant passé la Mysie, ils descendirent à Troade, où Paul eut la nuit cette vision : un homme de Macédoine se présenta devant lui, et lui fit cette prière : " Passez en Macédoine, et venez nous secourir. " Aussitôt qu'il eut eu cette vision nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu ne nous y appelât pour y prêcher l'Evangile. "

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Douzième question.

Comment doit-on entendre ces paroles de l'apôtre saint ,Paul dans sa première épître aux Thessaloniciens : " Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même en toute manière, afin que tout ce qui est en vous, l'esprit, l’âme et le corps, se conservent sans tache pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ? "

Quoique cette question soit très fameuse, il faut néanmoins l'expliquer en peu de mots. Saint Paul avait dit un peu auparavant : " N'éteignez pas l'esprit. " Si nous comprenons bien le véritable sens de ces paroles, nous comprendrons en même temps quel est cet esprit que nous devons conserver sans tache avec l'âme et le corps pour le jour de l’avènement du Seigneur; " car qui pourrait croire que le Saint-Esprit puisse s'éteindre comme une flamme, qui étant éteinte cesse d'être ce qu'elle était ? qui pourrait s'imaginer qu'on puisse détruire cet Esprit saint, qui dans l'ancienne loi disait par la bouche d’Isaïe, de Jérémie et des autres prophètes: " Voici ce que dit le Seigneur, " et qui dans la nouvelle a dit par le prophète Agabus: " Voici ce que dit le Saint-Esprit. " Il y a plusieurs sortes de dons spirituels, mais il n'y a qu'un même Esprit ; il y a plusieurs sortes de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a plusieurs sortes d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit qui se font connaître au dehors sont donnés à chacun pour l'utilité de l'Eglise : l'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler dans une autre sagesse ; un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre reçoit la foi par le même Esprit, un autre le don de faire des miracles; un autre reçoit du même Esprit la grâce de guérir les maladies, un autre le don de prophétie, un autre le discernement des esprits. Or c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant ces dons à un chacun selon qu'il lui plait. " C'était cet Esprit dont David appréhendait d'être privé lorsqu'il disait à Dieu: " Ne retirez pas de moi votre Esprit saint. " Quand Dieu le retire, cet Esprit, il ne l'éteint pas quant à sa substance, mais il l’éteint pour les âmes qu'il prive de sa lumière. Pour moi, je crois que par ces paroles: " N'éteignez pas l'Esprit, " l'Apôtre veut dire la même chose que par celles-ci: " Conservez-vous dans la ferveur de l’Esprit ", car l'Esprit ne s'éteint jamais dans une âme dont la ferveur ne s'est point ralentie par l'habitude du crime ni par les refroidissements d'une charité tiède et languissante.

" Que le Dieu de paix " donc " vous sanctifie en toutes manières " ou, " en toutes choses," ou plutôt selon la force du texte grec, " vous donne une sainteté pleine et parfaite. " Il l'appelle "Dieu de paix, " parce que nous avons été réconciliés avec lui par Jésus-Christ, " qui est notre paix, qui des deux peuples n’en a fait qu'un, " et qui, comme dit l'Apôtre dans un autre endroit, est la paix de Dieu qui surpasse tout sentiment, qui garde les cœurs et les pensées des saints. " Or celui qui a été sanctifié, et qui est parfait en toutes choses, conserve " son esprit, son âme on corps sans tache pour le jour de l'avènement du Seigneur; " son corps s'il emploie membres aux usages auxquels ils sont destinés, s’il se sert par exemple de ses mains pour travailler, de ses pieds pour marcher, de ses yeux pour voir, de ses oreilles pour entendre, de ses dents pour manger, de son estomac pour digérer les viandes, de son ventre pour se décharger des superfluités de la nature, vu si tous les membres de son corps sont entiers et parfaits. Mais est-il croyable que saint Paul fasse des vœux au ciel pour que Jésus-Christ, au jour du jugement, trouve les corps des fidèles en leur entier? la mort ne les réduira-t-elle pas tous en poussière? ou s'il s'en trouve encore quelques-uns, comme certains auteurs le prétendent, qui soient encore vivants et animés , n'auront-ils pas toujours quelque chose de défectueux, particulièrement les corps des martyrs et de ceux à qui l'on aura arraché les yeux ou coupé le nez et les mains pour la cause de Jésus-Christ ? Ce que l'Apôtre donc entend par un " corps entier " est celui comme je l’ai dit déjà ailleurs, " qui, demeurant attaché à la tête et au chef qui unit et lie toutes les parties de et corps, s'entretient et s'augmente pour l'administration du corps de Jésus-Christ." Or ce corps n'est autre que l’Eglise, et quiconque aura une union étroite avec le chef de ce corps et avec tous les autres membres qui le composent conservera son corps tout entier, autant que la fragilité humaine le peut permettre. C'est de la sorte qu'on doit conserver l'intégrité de l'âme, qui peut dire : " Bénissez, mon âme, le Seigneur qui guérit toutes vos infirmités, " et dont il est écrit : " Il a envoyé sa parole, et il les a guéris. " Nous conservons aussi l'intégrité de l'esprit lorsque nous ne nous égarons point dans les choses spirituelles ; que nous vivons de l'esprit ; que nous suivons avec docilité les mouvements et les impressions de l'esprit; que nous mortifions par l’esprit les œuvres, de la chair, et que nous produisons les fruits de l’esprit, je veux dire: la charité, la joie, la paix, etc.

Voici encore une autre explication que l'on peut donner aux paroles de l’apôtre saint Paul. Salomon nous ordonne de " décrire et trois manières " les maximes qu'il nous enseigne et de le faire " avec science et avec attention, afin de pouvoir répondre selon la vérité à ceux qui nous interrogent. " Nous pouvons décrire dans notre coeur " en trois manières, " les maximes et les règles que nous prescrit l’Ecriture sainte : premièrement selon le sens littéral et historique ; secondement selon le sets moral; et enfin, selon le sens spirituel. Dans le sens littéral nous nous attachons simplement aux faits et nous suivons l'histoire pied à pied, selon l’ordre dans lequel elle est écrite ; dans le sens moral nous quittons la lettre pour prendre des idées plus grandes et plus nobles, appliquant au règlement de nos moeurs et à notre propre édification tout ce qui s'est fait d'une manière charnelle parmi le peuple juif; dans le sens spirituel nous nous élevons à quelque chose encore de plus sublime, nous détachant de toutes les choses de la terre, nous occupant uniquement des choses du ciel et de la félicité qui nous est préparée, et regardant tous les biens de la vie présente comme une ombre en comparaison du bonheur solide que nous devons posséder un jour. Or Jésus-Christ sanctifiera par sa paix et rendra parfaits ceux qu'il trouvera dans cette heureuse situation, c'est-à-dire uniquement occupés du soin de conserver l'intégrité de leur corps, de leur âme et de leur esprit, et d'acquérir une parfaite connaissance de la vérité et de cette triple science dont parle Salomon.

Plusieurs, s'attachant simplement à la lettre, entendent de la résurrection ce que dit l'apôtre saint Paul, que nous devons " conserver sans tache notre esprit, notre âme et notre corps pour le jour de l'avènement du Seigneur." Quelques-uns prétendent prouver par ce passage que l'homme est composé de trois sortes de substances : d'un esprit , qui est le principe de ses sentiments et de ses pensées ; d'une âme, qui est la source de sa vie; et d'un corps, qui lui sert d'instrument pour toutes les actions extérieures. Il y en a d'autres qui prétendent que l'homme n'est composé que d'une âme et d'un corps, et que cet esprit qu'on y ajoute n'est point une substance mais un certain principe qui, selon les différents effets qu'il produit, est appelé tantôt esprit, tantôt sentiment, tantôt pensée ; car il n'y a pas dans l'homme autant de différentes substances qu'on leur donne de noms différents. Et lorsqu'on leur oppose ce passage de l'Ecriture : " Esprits et âmes des justes, bénissez le Seigneur, " ils le rejettent en disant qu'il ne se trouve point dans le texte hébreu. Pour moi, comme je l'ai déjà dit, je crois que par cet esprit qui " se conserve sans tache avec l'âme et le corps " on ne doit point entendre: le Saint-Esprit; dont la substance ne saurait périr, mais : ses dons et ses grâces, qui s'allument ou s'éteignent en nous selon le bon ou le mauvais usage que nous en faisons.

 

 

 

A ALGASIA.

Mon fils Apodemius a parfaitement rempli (1) la signification de son nom en s'exposant à une si longue navigation pour nous venir voir. Il est parti des bords de l'Océan et des extrémités des Gaules, et ayant laissé sur sa route la ville de Rome, il est venu chercher à Bethléem le pain du ciel, afin de s'en rassasier et de pouvoir dire : " Mon coeur a produit une excellente parole ; c'est au roi suprême que j'adresse et que je consacre mes ouvrages. " Il m'a donné de votre part un petit mémoire qui contient plusieurs difficultés très considérables que vous me proposez. En les lisant, vous m'avez paru remplie de l’esprit et du zèle de la reine de Saba, qui " vint des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon. " Ce n'est pas que je me compare à ce prince qui a surpassé en sagesse tous les hommes qui ont été et avant et depuis lui; mais pour;vous, on doit vous appeler " reine de Saba, " puisque le péché ne règne point dans votre corps mortel, et que tournant du côté de Dieu toutes les affections de votre coeur, vous méritez d'entendre de sa bouche (2): " Tournez-vous vers moi, ma Sunamite, tournez-vous vers moi; " car le mot Baba signifie en notre langue : conversion.

J'ai encore remarqué que les questions que vous me proposez ne sont que sur l'Évangile et sur les épîtres de saint Paul, ce qui fait voir ou que vous lie lisez guère l'Ancien-Testament, ou que vous ne l'entendez pas trop bien. Il faut avouer qu'il est si rempli de difficultés et de figures qu'il n'y a aucun endroit qui n'ait besoin d'explication. Semblable à cette porte orientale d'où se lève la véritable lumière, et par laquelle le grand prêtre a coutume d'entrer et de sortir, il demeure toujours fermé, et n'est ouvert qu'à Jésus-Christ, " qui a la clef de David, qui

(1) Saint Jérôme fait allusion au grec apodemos, qui veut dire : pèlerin, voyageur.

(2) La vulgate porte : "Revenez, revenez! O Sunamite ! "

ouvre et personne ne ferme qui ferme et personne n'ouvre. Il S'il daigne vous ouvrir, vous entrerez dans sa chambre et, vous direz: " Le roi m'a fait entrer dans son appartement. "

Au reste je m'étonne que vous abandonniez une source très pure dont vous êtes si proche, pour venir puiser de l'eau dans notre petit ruisseau; et que laissant les eaux de Siloé, " qui coulent paisiblement et en silence, Il vous souhaitiez de boire des eaux de Silior, qui sont sales et bourbeuses par le mélange et la contagion des vices du siècle. Vous avez dans votre province le saint prêtre Aletius (1) qui peut vous expliquer de vive voix, et avec cette sagesse et cette éloquence qui lui sont si naturelles, les difficultés que vous me proposez, si ce n'est peut-être que vous n'aimiez mieux des marchandises qui viennent de loin, et que vous n'ayez envie de goûter des viandes apprêtées de ma main. Car les goûts sont différents : les uns, aiment ce qui est un peu amer; ceux-ci rétablissent leur estomac par les acides; ceux-là le fortifient par quelque chose de salé. J'en ai vu plusieurs qui ont fait passer des soulèvements de coeur et des étourdissements de tête par un antidote qu'on appelle picra (2), guérissant ainsi, selon Hippocrate, les contraires par les contraires. Ayez donc soin de corriger par la douceur qu'Aletius a coutume de mettre dans ses discours l'amertume que vous trouverez dans le mien, de jeter le bois de la croix dans les eaux de Mara, et de relever par la force et la vivacité du style de ce jeune ecclésiastique ce qu’il y a de trop faible gt de trop languissant dans celui d'un vieillard comme je suis, afin que vous puissiez chanter avec joie : " Que vos paroles me paraissent douces! Elles le sont plus que le miel ne l'est à ma bouche. "

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Première question.

Pourquoi saint Jean envoie-t-il ses disciples au Sauveur, lui demander s'il est celui qui doit venir ou s'ils doivent en attendre un autre, puisqu'il avait dit lui-même en montrant Jésus

(1) Il y a quelque apparence que cet Aletius est celui à qui saint Paulin adressa une lettre qui est la trente-troisième de sa collection. il était frère de Moirent, évêque de Cahors, auquel il succéda , comme on en peut juger par Grégoire de Tours, liv. 2, chap. 15, de son Histoire. Cela fait voir aussi qu'Hedibia et Algasia étaient de Guienne.

(2) Du mot grec pikros, qui veut dire : amer.

Christ : " Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ? "

J'ai traité cette question à fond dans mes commentaires sur saint Mathieu, et puisque vous me la proposez, il est aisé de juger que vous n'avez pas cet ouvrage. Il ne faut pourtant pas la passer ici sous silence, et je vais vous l'expliquer en peu de mots. Lorsque saint Jean, du fond de sa prison et au milieu de ses chaînes, envoie ses disciples vers Jésus-Christ, c'est plutôt pour le leur faire connaître que pour s'informer lui-même s'il était le véritable Messie. Convaincu qu'Hérode doit lui faire trancher la tête , il veut engager ses disciples à suivre celui qu'il reconnaissait lui-même, comme il parait par sa demande, pour le maître de tous les hommes; car il était impossible qu'il ne connût pas celui qu'il avait montré à ceux qui ne le connaissaient pas, " et dont il avait dit : " L’époux est celui à qui est l'épouse. Je ne suis pas digne de porter ses souliers. Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue; " et à qui le Père éternel avait rendu ce témoignage éclatant: " Celui-ci est mon fils bien-aimé dans lequel j'ai mis mon affection. "

On peut encore expliquer en cette manière ces paroles de saint Jean : " Êtes-vous celui qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre? " C'est-à-dire : Je sais bien que c'est vous qui êtes venu pour ôter les péchés du monde; mais comme je dois bientôt descendre dans les enfers, je vous prie de me dire si vous y descendrez aussi, ou si l'on lie peut croire sans impiété que le fils de Dieu s'abaisse jusque-là, et si vous en enverrez un autre. Ce qui m'oblige à vous faire cette demande, c'est afin d'annoncer votre venue à ceux qui sont dans les enfers, en cas que vous y descendiez, de même que je l'ai annoncée aux hommes sur la terre ; car vous êtes venu pour nous rendre la liberté et pour rompre les chaînes des âmes, captives.

Jésus-Christ, qui savait quel était le dessein de Jean-Baptiste dans la demande qu'il lui faisait, lui répond plus par ses œuvres que par ses paroles: " Allez dire à votre maître, " dit-il à ses disciples, " que les aveugles voient, que les boiteux marchent, que les lépreux sont guéris, que les sourds entendent, que les morts ressuscitent; " et, ce qui est encore plus important " que l'Évangile est annoncé aux pauvres, " c'est-à-dire à ceux qui le sont ou par une véritable indigence, ou par un détachement. parfait des choses de la terre; de manière que tous sont appelés au salut sans aucune distinction ni du riche ni du pauvre. Jésus-Christ ajoute : " Et heureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute; " ce qui regarde non pas saint Jean, mais ses disciples, qui étaient déjà venus trouver le Sauveur pour lui dire; " Pourquoi les pharisiens et nous jeûnons nous souvent, et que vos disciples ne jeûnent point? " et qui avaient dit aussi à saint Jean " Maître, les disciples de celui à qui vous avez rendu témoignage sur les bords du Jourdain donnent le baptême , et plusieurs personnes vont à lui; "par où ils font assez voir que leur coeur était déchiré par une envie secrète que leur inspirait la grandeur des miracles que faisait Jésus-Christ, jaloux qu'ils étaient de ce que celui qui avait été baptisé par saint Jean entreprenait lui-même de baptiser les autres, et attirait à lui plus de monde que leur maître.

Mais de peur que le peuple ne prit le change et n'attribuât à saint Jean ce reproche qui ne regardait que ses disciples, Jésus-Christ fait publiquement son éloge en disant à ceux qui étaient autour de lui : " Qu'êtes vous allé voir dans le désert? un roseau agité du vent ? Encore un coup qu'êtes-vous allés voir dans le désert? Un homme vêtu avec luxe et avec mollesse? etc., " c'est-à-dire: Etes-vous allé au désert dans l'espérance de voir un homme aussi inconstant et aussi fragile que l’est " un roseau agité des vents? " un homme qui balance aujourd'hui à reconnaître celui dont il a déjà fait l'éloge? et qui après avoir dit de lui. " Voici l'Agneau de Dieu, " lui demande maintenant s'il est celui qui devait venir ou si fan doit en attendre un autre? Et parce que tous ceux qui ne débitent qu'une fausse doctrine n’ont en vue qu'un gain honteux et sordide et ne cherchent que la vaine estime des hommes, afin de faire servir à leurs propres intérêts leur réputation et leur gloire, Jésus-Christ fait voir qu'un homme qui, comme saint Jean, n'est vêtu que d'un habit de poil de chameau, est incapable de se laisser séduire par la flatterie; que n'ayant pour toute nourriture que des sauterelles et du miel sauvage, les richesses et les délices de la terre ne doivent avoir aucun attrait pour lui; et que la vie dure et austère qu'il mène ne peut s’accommoder du faste et de la mollesse qui règnent à la cour et dans les palais des rois, où l’on ne voit ordinairement que des gens vêtus de pourpre, de lin et de soie, et qui ne cherchent dans leurs habits que ce qui peut flatter leur luxe et leur délicatesse.

Jésus-Christ ajoute que saint Jean est non-seulement un prophète qui a coutume de prédire les choses à venir, mais même plus que prophète, parce qu'il a montré au doigt celui que les prophètes ont prédit et qu'il a dit de lui : " voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. " Et ce qui le rend encore plus recommandable, c'est que cette qualité de prophète se trouve relevée en lui par l'honneur qu'il a eu de baptiser Jésus-Christ ; car après lui avoir dit : " C'est vous qui devez me baptiser, " il le baptisa non point par aucun droit d'autorité et de supériorité sur le Sauveur, mais avec l'humble docilité d'un disciple et la crainte respectueuse d'un serviteur. Quand le Sauveur dit ensuite " qu'entre ceux qui sont nés de femmes il n'y en a point eu de plus grand que saint Jean, " il donne assez à entendre que la naissance qu'il a reçue d'une Vierge l’élève au-dessus de son précurseur, et même que le plus petit des anges surpasse, en dignité tous les hommes qui vivent sur la terre car les hommes deviennent semblables aux anges, trais les anges ne deviennent pas hommes comme se l'imaginent (1) certains visionnaires dont la tête n'est remplie que de songes et de chiffres.

A cet éloge que le Sauveur fait de saint Jean-Baptiste l'on doit ajouter qu'il avait déjà prêché le baptême de pénitence en disant: " Faites pénitence, car le royaume des Cieux est proche. " De là vient que depuis sa prédication " le royaume des Cieux se prend par violence; " en sorte que l’homme, qui est né semblable aux autres animaux de la terre, s'élevant au-dessus de la bassesse de son origine, tâche de devenir semblable aux anges et de s'établir une demeure dans le ciel. " Les prophètes, aussi bien que la loi, ont prophétisé jusqu'au temps de saint Jean ; " non pas que saint Jean soit la fin de la loi et des prophètes, mais parce que les prophètes n'ont eu en vue dans leurs prédictions que celui à qui saint Jean a rendu témoignage. Jean-Baptiste, selon le sens mystérieux

(1) Saint Jérôme veut parler des origénistes.

de la prophétie de Malachie; " est aussi lui-même cet Élie qui doit venir; " non qu'Élie et Jean-Baptiste n'aient eu qu'une même âme, comme quelques hérétiques se l'imaginent mais parce que saint Jean a été rempli de la grâce et de l'esprit d'Élie, qu'il a porté une ceinture de cuir comme Élie, qu'il a passé sa vie comme Élie dans le fond des déserts, qu'il a été persécuté par Hérodiade, de même qu'Élie l'avait été par Jésabel, et que, comme ce prophète doit être le précurseur du second avènement de Jésus-Christ, de même saint Jean l’a été du premier, annonçant la venue du Sauveur non-seulement par ses prédications dans le désert, mais encore par ses tressaillements dans le sein de sa mère.

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Seconde question.

Comment doit-on entendre ce passage de saint Mathieu : " Il ne brisera point le roseau cassé, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore?"

Pour bien comprendre le véritable sens de ces paroles, il faut rapporter ici dans toute son étendue ce passage que saint Mathieu a tiré d'Isaïe, et même les paroles de ce prophète, tant selon les Septante que selon le texte hébreu, auquel les versions de Théodotien, d'Aquila et de Symmaque sont entièrement conformes. Voici donc comment cette prophétie est rapportée par saint Mathieu, qui est le seul des quatre évangélistes qui s'en soit servi. " Jésus, sachant que les pharisiens avaient formé le dessein de le perdre, se retira de ce lieu-là, et beaucoup de personnes l'ayant suivi, il les guérit tous, et il leur commanda de ne le point découvrir, afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie: "Voici mon serviteur que j'ai élu, mon bien-aimé dans qui mon âme a mis toute son affection. Je ferai reposer sur lui mon esprit, et il annoncera la justice aux nations. Il ne disputera point, il ne criera point, et personne n'entendra sa voix dans les rues. Il ne brisera point le roseau cassé, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore , jusqu'à ce qu'il fasse triompher la justice, et les nations espéreront en son nom. "

Voici ce que porte la version des Septante : " Jacob est mon serviteur; je le prendrai sous ma protection. Israël est pop peuple choisi ; mon âme s'est déclarée en sa faveur. J'ai mis mon esprit sur lui, il annoncera la justice aux nations. Il ne criera point, il n'abandonnera personne, et on n'entendra point sa voix au dehors. Il ne foulera point aux pieds le roseau qui est déjà rompu, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore; mais il rendra la justice selon la vérité. Il paraîtra avec éclat et ne sera point brisé, jusqu'à ce qu'il ait établi sur la terre le règne de la justice, et les nations espéreront en son nom. "

Pour moi, j'ai traduit cet endroit sur le texte hébreu en cette manière : " Voici mon serviteur; je le prendrai sous ma protection; c'est moi qui l'ai choisi; mon âme a mis en lui son affection. J'ai répandu mon esprit sur lui; il annoncera la justice aux nations. Il ne criera point; il n'aura point d'égard à la condition des personnes et il ne fera pont entendre sa voix au-dehors. Il ne foulera point aux pieds le roseau brisé, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore. Il rendra la justice selon la vérité. Il ne sera point d'une humeur brusque et chagrine, jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre; et les îles espéreront en sa loi."

Tout cela fait voir que l'évangéliste saint Mathieu n'a pas cru devoir préférer au texte hébreu l'autorité des Septante, mais qu'étant hébreu de nation et très savant dans la loi du. Seigneur, il a enseigné aux gentils ce qu'il avait lu dans l'hébreu. Car si l'on s'arrête à la version des Septante qui porte : "Jacob est mon serviteur; je le prendrai sous ma protection. Israël est mon peuple choisi : mon âme s'est déclarée en sa faveur, " comment pourrons-nous concevoir que ce qui a été prédit de Jacob et d'Israël a été accompli en la personne de Jésus-Christ? Ce n'est pas seulement en cette occasion que saint Mathieu s'est attaché au texte hébreu préférablement à la version des Septante; il en a encore usé de même dans un autre endroit où il dit : " Je rappellerai mon fils de l'Égypte; " au lieu que les Septante ont traduit " Je rappellerai ses enfants, de l'Égypte. " Il parait clairement que cela ne peut convenir au Sauveur, et qu'il faut dans cet endroit suivre la vérité hébraïque, car le prophète ajoute immédiatement après: " Ils ont immolé à Baal. " Quant à ces paroles d'Isaïe qui ne se trouvent point dans la citation de saint Mathieu : " Il paraîtra avec éclat, et il ne sera point brisé, jusqu'à ce qu'il ait établi sur la terre le règne de la justice, " je crois que ce mécompte est arrivé par la faute du premier copiste, qui, ayant trouvé deux versets de suite qui finissaient l'un et l'autre par le mot " justice, " a pris le dernier pour le premier et a passé tout ce qui est entre deux. Saint Mathieu, s'attachant plus au sens qu'aux mots, a encore traduit ces paroles du texte hébreu : " Et les îles espéreront en sa loi, " parcelles-ci : "Et les nations espéreront en son nom. " Sur quoi il faut remarquer que, dans tous les passages que les évangélistes et les- apôtres citent de l'Ancien Testament; ils s'attachent toujours plus au sens qu'aux paroles, et que lorsqu'il y a de la différence entre le texte hébreu et la version des Septante, ils expriment en leur manière le sens de l'hébreu.

Le Sauveur donc, selon la nature humaine dont il a bien voulu se revêtir, est appelé: le serviteur du Dieu tout-puissant, et c'est à lui que le Père éternel adresse ces paroles dans un autre endroit : " C'est beaucoup pour vous que vous me serviez pour réunir les tribus de Jacob. " Il est cette " vigne de force; " qui veut dire choisie; il est ce Fils bien-aimé en qui Dieu a mis toutes les affections de son âme. Ce n'est pas que Dieu ait une " âme, " mais le prophète a voulu exprimer par ce mot toute l'affection et toute la tendresse que Dieu a pour son fils. Au reste il ne faut point s'étonner qu'on se serve du mal " âme " pour exprimer les affections de dieu, puisque dans un sens moral, et selon les différentes manières d'expliquer l’Écriture sainte, on lui attribue aussi toutes les parties du corps humain.

" Il a mis " aussi " son esprit sur lui, " c'est-à-dire : " un esprit de sagesse et d'intelligence, un esprit de conseil et de force, un esprit de science et de piété et de la crainte du Seigneur, " cet esprit enfin qui descendit sur lui sous la forme d'une colombe, selon ce que Jean-Baptiste nous assure avoir ouï de la bouche même de Dieu le Père : " Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit est celui qui baptise dans le Saint-Esprit; et il annoncera la justice aux nations, " selon ce qui est écrit dans les Psaumes : " O Dieu, donnez au roi la droiture de vos jugements, et au fils du roi la lumière de votre justice; " et selon ce que Jésus-Christ lui-même dit dans l'Evangile : " Le Père ne juge personne, mais il a donné tout pouvoir de juger au Fils. Il ne disputera point;" car il s'est laissé conduire comme un agneau pour être immolé. " Il ne disputera point " pour séduire ses auditeurs. " Il ne criera point, " selon ce que dit l'apôtre saint Paul: " Que toute dispute, toute colère, toute aigreur soient bannies d'entre vous. "Il ne criera point, " parce qu'Israël, au lieu de faire rendre la justice, a fait crier ceux qui étaient dans l’oppression. "Et personne n'entendra sa voix au dehors " ou "dans les rues; " car toute la gloire de la fille du roi lui vient du dedans, et la porte qui conduit à la vie est petite et étroite. On n'entendra donc point sa voix dans ces places publiques où la sagesse, sans entrer dans les voies larges et spacieuses du péché, parle avec assurance aux pécheurs et condamne hautement leurs égarements, employant pour instruire ceux qui sont dehors non pas ses expressions naturelles, mais les énigmes et les paraboles. " Il ne brisera point, le roseau cassé," ou, comme porte la version des Septante : " Il ne foulera point aux pieds le roseau qui est déjà rompu. " Par ce roseau cassé, qui autrefois servait à chanter les louanges du Seigneur, on doit entendre : le peuple d'Israël, qui, ayant heurté contre la pierre angulaire et s'étant laissé tomber dessus, s'y est malheureusement brisé. Aussi est-ce de lui que le prophète-roi a dit "Réprimez, Seigneur, ces bêtes sauvages qui habitent dans les roseaux. " Il est parlé aussi dans le livre de Josué du " torrent des roseaux, " dont Israël a préféré les eaux sales et bourbeuses à celles du Jourdain qui sont très pures et très claires. Comme ce peuple est retourné de coeur en Egypte, qu'il a souhaité de demeurer dans ce pays sale et marécageux, qu'il a soupiré après les melons, les ognons, rail, les concombres et les marmites d'Egypte, c'est avec justice que le prophète Isaïe l'appelle un a roseau cassé, "dont les éclats ne sont propres qu'à blesser la main de ceux qui s'appuient dessus; car celui qui, après la venue du Sauveur, abandonne l'esprit de l’Evangile pour s'arrêter comme le Juif à la lettre qui tue, se blesse lui-même par toutes les actions qu'il fait.

"Il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore. " Le peuple gentil, que Dieu a uni à son Eglise, ayant éteint la lumière de la loi naturelle, vivait dans l’erreur, enveloppé d'épaisses ténèbres, et d'une fumée noire qui ne manque jamais d'être funeste à la vue; mais Jésus-Christ, bien loin d'éteindre entièrement et de réduire en cendre cette mèche " qui fumait encore, de cette petite étincelle prête à expirer il a excité un très grand embrasement; de manière qu'on a vu tout le monde brûler de ce feu qu'il est venu apporter sur la terre, et dont il souhaite que tous les coeurs soient embrasés. J'ai expliqué en peu de mots le sens moral de ces paroles dans mes commentaires sur saint Mathieu.

Ce divin Sauveur, qui n'a point brisé le roseau cassé ni éteint la mèche qui fumait encore, "a fait" aussi " triompher la justice, " parce que ses "jugements sont véritables et pleins de justice en eux-mêmes ; " qu'il " est reconnu juste et sincère dans ses paroles, et qu'il demeure victorieux lorsqu'on veut juger de sa conduite." La lumière de son Evangile brillera aussi toujours dans le monde, et quelque artifice qu'on emploie contre lui, il ne, succombera jamais, "jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre" et qu'on voie l'accomplissement de cette parole de l'Evangile : "Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. " "Les nations espéreront en son nom, "ou bien: "Les îles espéreront en sa loi. " Comme les îles sont très souvent battues des vents et des tempêtes sans néanmoins en être renversées, semblables en cela à cette maison dont parle l'Evangile, qui est solidement établie sur la pierre, de même les Eglises qui espèrent en la loi ou au nom du Sauveur disent par la bouche du prophète Isaïe : " Je suis une ville forte, une ville qu'on ne saurait prendre d'assaut."

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Troisième question.

Dans quel sens doit-on entendre ces paroles de saint Mathieu: " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même?" Qu'est-ce que"renoncer à soi-même?" ou comment celui qui suit le Sauveur renonce-t-il à lui-même?

Voici ce que j'ai déjà dit sur cela en peu de mots dans mes commentaires sur saint Mathieu. Renoncer à soi-même, c'est quitter le vieil homme avec ses oeuvres,c'est-à-dire: "Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi;" c'est porter sa croix, et être mort et crucifié au monde. Suivre Jésus-Christ crucifié, c'est regarder le monde comme mort et crucifié pour soi.

Voici maintenant ce que nous pouvons ajouter à cette explication. "Le Sauveur ayant dit à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem, qu'il y souffrît beaucoup de la part des sénateurs, des docteurs de la loi et des princes des prêtres, et qu'il y fût mis à mort, Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre en lui disant: " A Dieu ne plaise, Seigneur! cela ne vous arrivera point;" mais Jésus se retournant lui dit: "Retirez-vous de moi, Satan; vous m'êtes un sujet de scandale, parce que vous n'avez point de goût pour les choses de Dieu, mais pour les choses de la terre. " En effet, ce n'était que par une crainte toute humaine que saint. Pierre appréhendait de voir souffrir Jésus-Christ. S'il avait craint pour son divin maître lorsqu'il lui dit qu'il aurait beaucoup à souffrir et qu'il devait être mis à mort, il devait aussi se réjouir lorsqu'il lui entendit dire qu'il ressusciterait le troisième jour, et la gloire de la résurrection du Sauveur devait adoucir le chagrin qu'il avait de sa Passion et de sa mort.

Jésus-Christ, ayant donc fait à saint Pierre une rude réprimande de ce qu'il craignait si fort pour lui, dit à tous ses disciples, ou, comme le rapporte saint Marc, il appela à lui le peuple avec ses disciples, ou, selon saint Luc, il dit à tous: " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive." C'est-à-dire : Quiconque veut prendre le parti de Dieu ne doit point s'attendre à mener une vie douce et tranquille. Celui qui croit en moi doit répandre son sang; car c'est conserver sa vie pour l'autre monde que de la perdre en celui-ci. L'emploi d'une âme fidèle qui croit en Jésus-Christ est de porter tous les jours sa croix et de renoncer à soi-même: un impudique qui embrasse la chasteté renonce par la continence à ses dissolutions et à ses débauches; une âme lâche et timide ne se reconnaît plus dès qu'elle vient à prendre des sentiments nobles et généreux; un homme injuste renonce à ses injustices lorsqu'il suit les règles que la justice lui prescrit; un insensé renonce à sa folie s'il confesse Jésus-Christ, qui est la vertu et la sagesse de Dieu.

Pénétrés donc de ces importantes vérités , renonçons à nous-mêmes, non-seulement dans le temps de la persécution et lorsqu'il s'agit de souffrir le martyre, mais encore dans toute notre conduite, dans toutes nos actions, dans toutes nos pensées , dans tous nos discours; renonçons à tout ce que nous avons été autrefois, et Lisons voir que nous avons reçu en Jésus-Christ une nouvelle naissance. Carle Seigneur a été crucifié afin que, croyant en lui et étant morts au péché, nous nous crucifiions aussi avec lui et que nous disions comme l’Apôtre: " Je suis crucifié avec Jésus-Christ; "et derechef : " Mais pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de notre seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est mort et crucifié pour moi, comme je suis mort et crucifié pour le monde! " Il faut que celui qui est crucifié avec Jésus-Christ " désarme les principautés et les puissances, et triomphe d'elles sur la croix. " C'est pourquoi nous lisons dans l'Evangile de saint Mathieu que Simon le Cyrénéen porte la croix du Sauveur, qui, selon les autres évangélistes, l’avait portée le premier; en quoi cet homme était une figure de ceux qui devaient croire en Jésus-Christ et se crucifier avec lui.

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Quatrième question.

Que veut dire ce que nous lisons encore dans saint Mathieu : " Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ce temps-là ! " et : " Priez Dieu que votre fuite n'arrive point durant l'hiver ni au jour du sabbat? "

L’explication de ce passage dépend de ce qui précède. Quand l’Evangile de Jésus-Christ aura été prêché à toutes les nations, que la fin sera venue et qu’on verra dans le lieu saint l’abomination qui a été prédite par le prophète Daniel, " Alors, " dit le Sauveur, " que ceux qui seront dans la Judée s'enfuient sur les montagnes; que ceux qui seront au haut du toit n'en descendent point pour emporter quelque chose de leur maison, et que ceux qui seront dans le champ ne retournent point pour prendre leur robe. " J'ai expliqué tout cela avec assez d'étendue dans mes commentaires sur saint Mathieu. Jésus-Christ ajoute immédiatement après : " Malheur aux femmes qui seront grosses et nourrices en ce temps-là! " En quel temps? lorsqu'on verra l'abomination dans le lieu saint; ce qui doit s'entendre à la lettre , comme tout le monde en convient, de la venue de l’Antéchrist, qui excitera une persécution si cruelle que chacun sera obligé de prendre la fuite pour se dérober à sa fureur. Mais le malheur des femmes grosses et des nourrices, dans cette fatale conjoncture, est que leur grossesse ou les enfants qui seront encore à la mamelle, les empêcheront de fuir aisément.

Quelques-uns néanmoins entendent ce passage de la guerre que Titus et Vespasien ont faite aux Juifs, et particulièrement des extrémités où la ville de Jérusalem se vit réduite lorsque ces princes l'assiégèrent. " Priez Dieu, " dit Jésus-Christ, " que votre fuite n'arrive point durant l'hiver ou au jour du sabbat; " c'est-à-dire, comme l'expliquent ces auteurs : Faites en sorte que vous ne soyez pas obligés de vous enfuir dans les champs ni dans les déserts, surtout quand l'observation du sabbat vous met dans la nécessité ou de violer la loi si vous prenez la fuite, ou de tomber en la puissance de vos persécuteurs si vous voulez observer la loi.

Mais puisque le Sauveur, nous dit : " Que ceux qui sont dans la Judée s'enfuient sur les montagnes, " levons les yeux vers ces montagnes dont il est écrit dans les Psaumes : " J'ai levé les yeux vers les montagnes d'où me doit venir du secours. Ses fondements sont posés Sur les saintes montagnes. Jérusalem est environnée de montagnes, et le Seigneur est tout autour de son peuple; " et dans l'Evangile : " Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. " Détachons-nous de la lettre ; ôtons nos souliers comme Moïse pour monter sur la montagne de Sina, et disons avec lui : " Il faut que j'aille reconnaître une merveille que je vois; " et alors nous pourrons comprendre que ces nourrices et ces femmes grosses dont parle l'Evangile sont la figure de ces âmes qui, ayant reçu la semence de la parole de Dieu, ont commencé à porter les premiers fruits d'une foi naissante, et qui disent avec le prophète Isaïe : " Nous avons conçu par votre crainte, Seigneur; nous avons été comme en travail, et nous avons enfanté l’esprit du salut que vous avez répandu sur la terre. " Car comme le sang que la femme reçoit dans son sein s'y forme peu à peu, et qu'on ne lui donne le nom d'homme que lorsque cette matière confuse, venant à se démêler , prend la forme et les parties qui conviennent au corps humain, de même si nous ne mettons pas en pratique les bonnes pensées que nous avons conçues; elles demeurent oisives dans notre coeur, et ne manquent point de périr et d'avorter dès que nous voyons l'abomination dans l'Église et le démon transformé en ange de lumière. C'était de ces premières semences ou de foi ou de vertu que parlait saint Paul lorsqu'il disait : " Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. " Je crois que dans un sens spirituel l'on peut appliquer à ces âmes ce que dit le même apôtre : " La femme, ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance; néanmoins, en mettant dès enfants au monde les femmes se sauveront , si elles demeurent dans la foi; dans la charité, dans la sainteté et dans une vie bien réglée; " et si, après avoir reçu la semence de la parole de Dieu, ces âmes viennent à produire leur fruit, il faut qu'elles aient soin de le faire croître et de le nourrir de lait, jusqu'à ce qu'il soit capable d'une nourriture plus solide et qu'il ait atteint la maturité et la plénitude de l'âge de Jésus-Christ. Car celui qui est encore à la mamelle ne sait ce que c'est que de suivre les règles de la justice, parce qu'il est encore enfant.

Ces âmes donc, qui n'ont point encore enfanté et qui n'ont pu nourrir le fruit qu'elles ont porté, ne manquent point de tomber et de se perdre dès qu'elles voient quelque hérésie s'élever dans l'Église, incapables qu'elles sont de se soutenir au milieu des tempêtes et des persécutions, particulièrement lorsqu'elles n’ont pas eu soin de faire de bonnes couvres et de marcher dans les voies que Jésus-Christ nous a marquées. C'est de cette abomination, que l'erreur et l'hérésie ont introduite dans l’Eglise, que saint Paul voulait parler lorsqu'il disait qu'un homme d'iniquité et ennemi de Dieu devait s'élever au-dessus de tout ce qui s'appelle Dieu et religion; qu'il aurait la témérité de s'asseoir dans le temple de Dieu et de se faire passer lui-même pour Dieu. Cet homme de péché, animé de l'esprit de Satan , étouffe dans les âmes toutes les semences de la foi, fait périr et avortement fruit ou l'empêche de croître et d'arriver à un âge parfait. Ayons donc recours au Seigneur: prions-le de ne pas permettre que dans les commencements d'une foi naissante nous soyons exposés aux rigueurs de cet hiver

dont il est écrit : " L'hiver est déjà passé , les pluies se sont dissipées; " ne languissons point dans une oisiveté criminelle; mais lorsque nous nous verrons en danger de faire naufrage , réveillons le Seigneur qui dort et disons-lui : " Maître, sauvez-nous ; nous périssons. "

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Cinquième question.

Comment doit-on entendre ces paroles de saint Luc : " Ils ne voulurent point le recevoir, parce qu'il paraissait qu'il allait à Jérusalem?"

Jésus-Christ se hâtait d'aller à Jérusalem parce que " le temps où il devait être enlevé du monde étant proche, " il voulait célébrer la Pâques, selon ce qu'il avait dit à ses apôtres : " J'ai souhaité avec ardeur de manger cette Pâques avec vous avant que je souffre; " il voulait boire ce calice dont il avait dit : " Ne faut-il pas que je boive ce calice que mon père m’a donné ? " Il voulait enfin sceller pat la mort de la croix la doctrine qu'il avait enseignée, selon ce qu'il avait dit lui-même : " Quand j'aurai été enlevé de la terre, j'attirerai tout à moi. " Ce divin Sauveur était donc résolu d'aller à Jérusalem. Quelle résolution et quel courage ne faut-il pas avoir pour aller de son propre mouvement. C'est pour cela que Dieu, après avoir dit au prophète Ézéchiel : " Fils de l'homme, vous habitez au milieu des scorpions, mais ne les craignez point, " il ajoute aussitôt : " Regardez-les d'un visage ferme et assuré , car je vous ai donné un visage d'airain et un front de fer, " afin que si " le marteau de toute la terre " s'élevait contre lui, ce prophète, devenu semblable à une enclume très-dure, pût lui résister et briser ce marteau dont il est était : " Comment celui qui était comme le marteau de toute la terre a-t-il été brisé et réduit en poudre ?"

"Et il envoya devant lui des personnes " ou " des anges pour annonce sa venue. " Il était de la dignité du fils de Dieu de se faire servir par des anges. L’on peut dire aussi que l’Evangile donne ici aux apôtres le nom " d’anges " de même qu'il le donne ailleurs à saint Jean le Précurseur du Seigneur. " Et ils entrèrent dans une ville des Samaritains pour lui préparer un logement; mais les habitants ne le voulurent point recevoir, parce qu'il paraissait se diriger vers Jérusalem. " Il y a entre les Juifs et les Samaritains une guerre ouverte et une haine déclarée. Ces deux peuples, qui haïssent toutes les autres nations , sont acharnés à se persécuter, parce qu'ils prétendent l'un et l'autre avoir la gloire de posséder la loi de Moïse. Ils portent sur cela leur haine et leur fureur si loin que, les Juifs étant de retour de Babylone , les Samaritains s'opposèrent toujours au rétablissement du temple de Jérusalem; puis ayant voulu eux-mêmes se joindre aux Juifs pour le rebâtir , ceux-ci leur répondirent : " Nous ne pouvons bâtir avec vous une maison à notre Dieu. " De là cette injure atroce que les pharisiens crurent faire à Jésus-Christ en l'appelant Samaritain et possédé du démon. De là la parabole de cet homme qui allait de Jérusalem à Jéricho, dans laquelle on nous représente la charité d'un Samaritain qui le secourut comme quelque chose d'extraordinaire et de digne d'admiration, qu'un méchant homme eût fait une bonne action; de là enfin ce que la Samaritaine dit à Jésus-Christ auprès du puits de Jacob, que les Juifs n'avaient aucun commerce avec les Samaritains. Ceux-ci donc voyant que noire Seigneur allait à Jérusalem, c'est-à-dire vers leurs ennemis (ce qu'ils avaient appris des disciples qui étaient venus pour lui préparer un logement ), ils reconnurent qu'il était Juif, et le regardant comme un ennemi, ils refusèrent de le recevoir dans leur ville.

L'on peut dire encore dans un autre sens que Jésus-Christ permit que les Samaritains lui refusassent l’entrée de leur ville parce que étant pressé d'aller à Jérusalem pour y sacrifier sa vie et y répandre son sang, il ne voulait pas que le séjour qu'il serait obligé de faire parmi ces peuples, pour les instruire des vérités du ciel, lui fit différer le temps de sa mort qu'il souhaitait et qu'il cherchait avec tant d'empressement. C'est pour cela qu'il disait : " Je ne suis venu que pour les brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues, " et qu'il avait défendu aux apôtres d'entrer dans les villes des Samaritains, voulant par là ôter aux Juifs tout prétexte de le persécuter, et de dire qu'ils ne l’avaient crucifié que parce qu'il avait embrassé le parti de leurs ennemis.

Il était donc aisé de juger, comme nous l'avons dit d'abord, que Jésus-Christ allait à Jérusalem et qu'il voulait s'y rendre au plus tôt c'est ce qui obligea les Samaritains à lui refuser les devoirs de l'hospitalité ; ce qu'ils ne firent néanmoins que parce qu'il voulut bien qu'ils en usassent de la sorte à son égard. Mais les apôtres, qui ne connaissaient point d'autre justice que celle que prescrit la loi, de donner oeil pour oeil et dent pour dent, sensibles à l'outrage que l’on faisait à leur divin maître , entreprirent de le venger; et voulant imiter le zèle d'Elie qui consuma par le feu du ciel deux capitaines de cinquante hommes, ils lui dirent : " Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descende du ciel et qu'il les dévore? " On ne saurait parler plus juste : " Voulez-vous, " disent-ils, " que nous commandions au feu du ciel de descendre ? " C'est ce que fit Elie en disant : " Si je suis homme de Dieu, que le feu du ciel descende sur vous. " Les apôtres ne pouvaient donc rien faire sans le consentement du Seigneur; en vain auraient-ils commandé au feu de descendre: si Jésus-Christ ne le commandait lui-même ils ne pouvaient réussir dans. leur dessein. "Voulez-vous que nous commandions au feu de descendre? " c'est comme s'ils eussent dit : Si, pour venger l'outrage fait à Elie , qui n'était que le serviteur de Dieu, le feu du ciel a dévoré non pas des Samaritains, mais des Juifs, par quelles flammes ne doit-on pas punir le mépris que ces impies Samaritains font du fils de Dieu! Mais Jésus-Christ au contraire, qui était venu pour sauver les hommes et non pas pour les perdre, et qui avait paru sur la terre, non point revêtu de la puissance et de la gloire de son père, mais sous des dehors qui n'avaient rien que de méprisable aux yeux du monde, reproche à ses apôtres d'avoir oublié ces belles maximes qu'il leur avait enseignées dans son Evangile, et qui ne sont propres qu'à inspirer des sentiments de douceur et d'humanité : " Aimez vos ennemis; " et derechef : " Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre."

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Sixième question.

Vous me proposez encore une autre petite question sur l’Evangile de saint Luc, savoir quel est cet économe infidèle dont le Sauveur loue la conduite ?

Pour répondre juste à cette difficulté et pour savoir sur quoi elle était fondée, j'ai consulté le livre des Evangiles, et j'ai remarqué entre autres choses que " les publicains et les gens de mauvaise vie se tenant auprès du Sauveur pour l’écouter, les pharisiens et les docteurs de la loi en murmuraient et disaient : " D'où vient que cet homme reçoit des gens de mauvaise vie et mange avec eux?" sur quoi Jésus leur proposa la parabole d'un berger qui, ayant cent brebis et en ayant perdu une, va la chercher et la rapporte lui-même sur ses épaules ; et pour leur faire comprendre le sens mystérieux de cette parabole, il ajouta : " Je vous dis qu'il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence. " Il leur proposa encore et leur expliqua dans le même sens une autre parabole de dix drachmes , dont une que l'on croyait perdue avait été heureusement retrouvée, et il ajouta : " Je vous dis de même que c'est une joie parmi les anges de Dieu lorsqu'un seul pécheur fait pénitence. " Enfin il leur en proposa une troisième , d'un homme qui avait deux enfants et qui leur donna tout son bien. Le cadet, ayant dépensé tout ce qui lui était échu en partage et se voyant dans la nécessité et réduit à manger les écosses dont on nourrissait les pourceaux, retourna vers son père qui le reçut avec beaucoup de joie et de tendresse, ce qui excita la jalousie de l’aîné; mais le père lui en fit des reproches : " Vous devez vous réjouir, " lui dit-il, "du retour de votre frère, parce qu'il était mort et il est ressuscité, il était perdu et il a été retrouvé. "

Jésus-Christ se servit de ces trois paraboles pour confondre les pharisiens et les docteurs de la loi, qui prétendaient qu'il n'y avait ni pénitence ni salut pour les publicains et les gens de mauvaise vie. Mais voulant inspirer à ses disciples des sentiments de douceur et de miséricorde envers les pécheurs, et leur imprimer cette belle maxime qu'il leur avait déjà enseignée: " Remettez et on vous remettra," afin qu'ils pussent dire avec confiance dans leurs prières : "Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent, " il leur dit en parabole, comme il venait de faire eaux pharisiens et aux docteurs de la loi : "Un homme riche avait un fermier " ou "intendant: " c'est ce que signifie le mot " économe, " car

"fermier " veut dire proprement : celui qui a l’administration d'une ferme, et c'est du mot "ferme" qu'on l'appelle " fermier," au lieu qu'un économe a l'intendance non-seulement des terres, mais encore de l'argent et de tous les biens de son maître; et c'est l'idée que Xénophon nous en donne dans ce beau livre qu'il a intitulé De l'Economie, qui signifie, comme l'explique Cicéron : l'administration, non pas d'une simple métairie, mais de toute la maison et de tout ce qui appartient au maître.

On accusa donc cet économe devant son maître d'avoir dissipé tout son bien. Sur cette accusation le maître, l'ayant fait venir, lui dit ci Qu'est-ce que j'entends dire de vous? Rendez-moi compte de votre administration, car vous ne pouvez plus désormais gouverner mon bien. "Alors cet économe dit en lui-même : " Que ferai-je puisque mon maître m’ôte l'administration de son bien ? Je ne saurais travailler à la terre, et j'aurais honte de mendier. Je sais bien ce que je ferai afin que, lorsqu'on m'aura dépouillé de ma charge, je trouve des personnes qui me reçoivent chez elles. " Ayant donc fait venir chacun de ceux qui devaient à son maître, il dit au premier: " Combien devez-vous à mon maître? " Il répondit: " Cent barils d'huile. " L'économe lui dit : " Reprenez votre obligation ; asseyez-vous là, et faites-en vitement une autre de cinquante. " Il dit encore à un autre : " Et vous, combien devez-vous?" Il répondit : "Cent mesures de froment. " — "Reprenez," dit-il, " votre obligation, et faites-en une de quatre-vingts. " Et le maître loua ce fermier ou cet économe infidèle de ce qu'il avait agi prudemment; car les enfants du siècle sont plus sages dans la conduite de leurs affaires que ne sont les enfants de lumière. Je vous dis donc de même: " Employez les richesses injustes à vous faire des amis, afin que lorsque vous viendrez à manquer ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. Celui qui est fidèle dans les petites choses sera fidèle aussi dans les grandes ; et celui qui est injuste dans les petites choses sera injuste aussi dans les grandes. Si donc vous n'avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui voudra vous confier les véritables? et si vous n'avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera celui qui vous appartient en propre ? Nul serviteur ne peut servir deux maîtres, car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il obéira à l'un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir tout ensemble Dieu et l'argent. " Les pharisiens, qui étaient avares, lui entendaient dire toutes ces choses, et ils se moquaient de lui. "

J'ai rapporté cette parabole dans toute son étendue, afin de n'être pas obligé d'en chercher ailleurs le véritable sens et de l'appliquer à certaines personnes en particulier; car nous devons toujours la regarder comme une parabole, c'est-à-dire, selon l'étymologie du mot grec, comme une comparaison et comme une ombre qui nous conduit à la connaissance de la vérité. Si donc cet homme riche, sans avoir égard à la perte qu'il avait faite, loue la prudence de cet économe infidèle qui avait su l'art de faite servir au rétablissement de ses affaires des biens injustement acquis, et de ménager ses propres intérêts aux dépens de ceux de son maître, quelles louanges Jésus-Christ, à qui l'on ne saurait faire aucun tort et qui a un penchant naturel à la clémence, ne donnera-t-il pas à ses disciples, s'ils font miséricorde à ceux qui doivent croire en lui ?

A la fin de cette parabole le fils de Dieu ajoute : " Je vous dis de même : Employez les richesses injustes à vous faire des amis ". Le mot mammona, dont se sert l'Évangile; signifie non pas en hébreu, mais en syriaque : dès richesses acquises par des voies injustes. Si donc un bien mal acquis peut devenir un principe de mérite et de justice par le bon usage qu'on en fait, à combien plus forte raison la parole de Dieu, qui est pure de toute iniquité, deviendra-t-elle pour les apôtres, à qui elle a été confiée, la source d'une félicité et d'une gloire immortelle, s'ils s'acquittent dignement d'un si saint ministère ! C'est ce qui fait dire au Sauveur : " Celui qui est fidèle dans les petites choses, " c'est-à-dire : dans les biens extérieurs et passagers, " sera fidèle aussi dans les Brandes, " c'est-à-dire : dans l'usage des biens intérieurs et éternels ; " et celui qui est injuste dans les petites choses, " et qui refuse de faire part à ses frères des biens que Dieu a créés pour l’usage de tous les hommes, " sera injuste aussi dans les grandes, " et aura en vue en prêchant la parole de Dieu, non pas l'utilité des peuples, mais la dignité des personnes. Or, si vous n'êtes pas fidèles dans la dispensation des richesses temporelles, qui passent et qui vous échappent malgré tous, qui voudra vous confier le soin

de distribuer aux peuples les trésors éternels et les véritables richesses de la parole de Dieu ? Si vous avez administré avec tant d'infidélité des biens étrangers, je veux dire : tout ce qui appartient au mondes qui pourra vous confier les biens qui vous appartiennent, et qui sont proprement les biens de l’homme? De là Jésus-Christ prend occasion de condamner l'avarice en disant qu'ors ne saurait allier dans un même coeur l'amour de Dieu avec l'amour des richesses, et que si les apôtres veulent aimer véritablement Dieu, ils doivent mépriser tous les biens de la terre. Mais les pharisiens et les docteurs de la loi, gens avares et attachés à leurs intérêts, voyant bien que Cette parabole s'adressait à eux, se moquaient de Jésus-Christ , parce qu'ils préféraient la possession et la jouissance des biens extérieurs à l’espérance des biens futurs et éternels.

Théophile, qui a été le septième évêque de l'Eglise d'Antioche après saint Pierre, et qui nous a laissé un illustre monument de son érudition, faisant un corps d'histoire des paroles des quatre évangélistes, explique ainsi cette parabole dans ses Commentaires : " Cet homme riche qui avait un fermier ou un économe est Dieu, dont les richesses sont infinies. Son économe est saint Paul, qui, instruit aux pieds de Gamaliel dans la science des saintes Ecritures, était chargé du soin d'enseigner aux autres la loi du Seigneur. Mais ayant commencé à persécuter ceux qui croyaient en Jésus-Christ, à les charger de draines, à les faire mourir, et à dissiper par là les biens de son maître, le Seigneur, blâmant une conduite si violente et si emportée, lui a dit: "Saül ; Saül,pourquoi me persécutez-vous? " Il vous est dur de regimber contre l'aiguillon. Que ferai-je ? dit alors en lui-même cet économe infidèle. De maître et d'intendant que j'étais; je me vois réduit au rang des disciples et des ouvriers. " Je ne saurais travailler à la terre, car je vois qu'on a aboli tous les commandements de la loi, qui ne nous proposait pour récompense que des biens terrestres et passagers, et que cette loi aussi bien que les prophètes n'ont duré que jusqu'à Jean. " J'ai honte de mendier, " et de me voir réduit à apprendre des gentils, et d'Ananie qui n'est qu'un disciple, la science du salut et de la foi, moi qui ai été le maître et le docteur des Juifs. Je vais donc prendre le parti qui me paraît le plus avantageux pour moi, afin que, lorsqu'on m'aura ôté l'administration que l'on m'avait confiée, les chrétiens me reçoivent chez eux. Il commença donc à instruire ceux qui avaient renoncé au judaïsme pour embrasser la foi de Jésus-Christ; et de peur qu'ils ne crussent qu'ils devaient être justifiés par la loi de Moïse, il leur fit voir que cette loi était abolie, que le temps des prophètes était passé, et qu'ils devaient regarder comme des ordures ce qu'autrefois ils avaient considéré comme un gain et un avantage. Il fit ensuite venir deux des débiteurs de son maître. Le premier devait "cent barils d'huile: " c'était le peuple gentil qui avait besoin que Dieu répandit sur lui l'abondance de ses miséricordes. De cent barils dont il était redevable, et qui est un nombre plein et parfait, l'économe lui fit faire une obligation de cinquante; nombre qui marque la pénitence, et qui revient aux années de jubilé, et à cette autre parabole dont il est parlé dans l'Évangile, ou un créancier remet à l'un de ses débiteurs cinq cents deniers et à l'autre cinquante. Le second devait " cent mesures de blé :" c'était le peuple juif, qui s'était nourri des commandements de Dieu comme d'un froment très pur. L'économe lui fit faire une obligation de quatre-vingts mesures : c'est-à-dire qu'il l'engagea à croire en la résurrection du Sauveur, et à passer de l'observation du sabbat à la célébration du dimanche, qui est le premier jour de la semaine. Ce fut par une conduite si sage que cet économe mérita l'approbation et les éloges de son maître, qui le loua d'avoir renoncé pour les intérêts de son salut à la sévérité d'une loi dure et austère, pour prendre les sentiments de douceur et de miséricorde qu'inspire l'Evangile. Mais pourquoi, me direz-vous, appelle-t-on cet économe " infidèle, " puisqu'il n'agissait que par l'esprit de la loi dont Dieu même est l'auteur? C'est que, quoiqu'il servît Dieu avec un véritable zèle et des intentions épurées, néanmoins son culte était défectueux et partagé, parce qu'en croyant au Père il ne laissait pas de persécuter le Fils, et que reconnaissant un Dieu tout-puissant, il ne voulait pas confesser la divinité du Saint-Esprit. Saint Paul a donc fait paraître plus de prudence en transgressant la loi que les enfants de lumière, qui, en vivant dans la pratique exacte de la loi de Moïse , ont méconnu Jésus-Christ qui est la véritable lumière de Dieu le Père. "

Si vous voulez savoir comment saint Ambroise, évêque de Milan, explique cette parabole, vous pouvez consulter ses commentaires. Je n'ai pu trouver ce qu'Origène et Didyme ont écrit sur ce sujet, et je ne sais s'ils ont traité cette matière ou si leur ouvrage s'est perdu. Pour revenir à la première explication que j'ai donnée à cette parabole, il me semble que nous devons employer les richesses injustes à nous faire des amis, en les distribuant non pas à toutes sortes de pauvres, mais à ceux qui peuvent nous recevoir chez eux, et " dans les tabernacles éternels ; " leur donnant peu de chose pour recevoir beaucoup d'eux, nous dépouillant des biens étrangers pour entrer en possession de ceux qui nous sont propres , et "semant avec abondance pour recueillir avec abondance; " car " celui qui sème peu moissonnera peu. "

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Septième question.

En quel sens doit-on prendre ce passage de l'épître aux Romains : " Et certes, à peine quelqu'un voudrait-il mourir pour un homme juste; peut-être néanmoins qu'il s'en pourrait trouver un qui voudrait bien donner sa vie pour un homme dont la vertu lui serait connue?"

Deux hérétiques également impies, quoique engagés dans différentes erreurs, ont pris occasion de ce passage pour blasphémer ce qu'ils ne pouvaient comprendre ; car Marcion admet deux Dieux, l'un juste, et l'autre bon. Il fait le Dieu juste auteur de la loi et des prophètes, et il attribue au Dieu bon, dont il dit que Jésus-Christ est le fils, les Evangiles et les Epîtres des apôtres. Or il prétend qu'il n'y a personne, ou du moins qu'il s'en trouve très peu qui aient souffert la mort pour le Dieu juste; mais qu'une infinité de martyrs ont répandu leur sang pour le Dieu bon; c’est-à-dire pour Jésus-Christ. Arius, au contraire, attribue à Jésus-Christ le nom de " juste, " selon ce qui est écrit dans les psaumes : " O Dieu! donnez au roi la droiture de vos jugements, et au fils du roi la lumière de votre justice, " et selon ce que Jésus-Christ lui-même dit dans l'Évangile : " Le Père ne juge personne, mais il a donné tout. pouvoir de juger au Fils; " et derechef : " Je juge selon ce que j'entends; " et il attribue au Père la qualité de "bon, " conformément à ce que Jésus-Christ dit dans l'Evangile : " Pourquoi m'appelez-vous bon ? Il n'y a que Dieu le Père seul qui soit bon. " Jusqu'ici cet hérésiarque trouve de quoi se sauver et soutenir son impiété; mais dans la suite il ne fait que broncher, et ne rencontre que des précipices; car comment peut-on dire que quelqu'un peut-être voudra bien donner sa vie pour le Père, et qu'à peine en trouvera-t-on qui veuille mourir pour le Fils, puisque tant de martyrs ont répandu leur sang pour le nom de Jésus-Christ?

Si fon veut donc expliquer ce passage dans un sens simple et naturel, l'on peut dire que dans l’ancienne loi, qui exerçait envers les pécheurs une justice sévère et rigoureuse, à peine s'est-il trouvé quelqu'un qui ait répandu son sang, au lieu que la nouvelle alliance , qui n'inspire que la douceur et la miséricorde, a produit une infinité de martyrs. Mais comme l'apôtre saint Paul parle d'une manière douteuse en disant que " l'on pourrait trouver peut-être quelqu'un qui voulût bien mourir, " et que de là l’on peut conclure qu'il n'y en a que fort peu qui soient dans la disposition de sacrifier leur vie pour les intérêts de l’Evangile , il faut nécessairement donner un autre sens à ce passage, et l'expliquer par rapport à ce qui précède et à ce qui suit.

Saint Paul dit qu'il " se glorifie dans les afflictions, parce que l’affliction produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance, et que cette espérance ne nous trompe point, " fondée qu'elle est sur ce que " l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, " selon ce que Dieu avait dit par un prophète : " Je répandrai mon esprit sur toute chair. " De là cet apôtre prend sujet d'admirer la bonté de Jésus-Christ, qui a bien voulu mourir pour des impies et des pécheurs comme nous, qui étions encore dans les langueurs du péché, et mourir dans le temps que Dieu avait marqué, selon ce qu'il dit lui-même : " Je vous ai exaucé au temps favorable, je vous aide au jour du salut; " et derechef : "Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut ; " dans un temps où tous les hommes s'étaient corrompus et détournés du droit chemin, et où il n'y en avait pas un seul qui fît le bien. Il n'y a donc qu'une bonté infinie et une miséricorde incompréhensible qui aient pu le porter à donner sa vie pour des impies; car la mort a quelque chose de si affreux et de si terrible qu'à peine peut-on trouver quelqu'un qui veuille bien mourir pour un homme juste et dont la vertu lui est connue, quoiqu'il s'en puisse quelquefois rencontrer qui voudront bien donner leur vie pour une chose bonne et juste. Or la marque la plus sensible que Dieu ait pu nous donner de son amour envers les hommes, c'est que dans le temps même que nous étions encore pécheurs Jésus-Christ est mort pour nous, sacrifiant sa vie sur la croix, se laissant conduire au supplice pour les iniquités de son peuple, se chargeant de nos péchés, se livrant volontairement à la mort, et souffrant qu'on le mît au nombre des scélérats, afin de nous rendre ;justes, forts et vertueux, de faibles, d'impies et de pécheurs que nous étions.

Quelques-uns expliquent ce passage de cette manière : Si Jésus-Christ est mort pour nous dans le temps que nous étions encore impies et pécheurs, avec quel zèle et quel empressement ne devons-nous pas donner notre vie pour Jésus-Christ, qui est "bon " et "juste " tout ensemble! Au reste il ne faut pas s'imaginer qu'il y ait de la différence entre " bon " et " juste," et que par ces deux mots l'apôtre saint Paul ait voulu marquer quelque personne en particulier; ils signifient simplement: une chose bonne et juste, pour laquelle il est assez difficile de trouver quelqu'un qui veuille répandre son sang, quoiqu'on en puisse quelquefois rencontrer d'assez généreux pour le faire.

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Huitième question.

Comment doit-on entendre ces paroles de l'épître de saint Paul aux Romains: " Le péché, ayant pris occasion du commandement de s'irriter, a produit en moi toutes sortes de mauvais désirs ? " Je vais rapporter ici ce passage tout au long, afin de l’expliquer ensuite par parties, avec la grâce et le secours de Jésus-Christ. Je vous dirai simplement et en peu de mots quel est mon sentiment, sans prétendre prévenir le vôtre ni vous ôter la liberté d'en penser ce qu'il vous plaira.

" Que dirions-nous donc? " dit l'Apôtre. " La loi est-elle péché? Dieu nous garde d'une telle pensée! Mais je n'ai connu le péché que par la loi: car je n'aurais jamais connu la concupiscence si la loi n'avait dit: " Vous n'aurez point de mauvais désirs. " Mais le péché, ayant pris occasion du commandement de s'irriter, a produit en moi toutes sortes de mauvais désirs; car sans la loi le péché était comme mort. Et pour moi je vivais autrefois sans loi ; mais le commandement étant survenu, le péché est ressuscité. Et moi je suis mort; et il s'est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie a servi à me donner la mort; car le péché, ayant pris occasion du commandement, m'a trompé et m'a tué par le commandement même. Ainsi la loi est sainte à la vérité, et le commandement est saint, juste et bon. Ce qui est bon en soi m'a-t-il donc causé la mort? Nullement; mais c'est le péché et la concupiscence, qui, m'ayant causé la mort par une chose qui était bonne, a fait paraître ce qu'elle était; de sorte qu'elle est devenue, par le commandement même une source plus abondante de péché. Car nous savons que la loi est spirituelle ; mais pour moi je suis charnel, étant vendu pour être assujetti au péché. Je n'approuve pas ce que je fais, parce que je ne fais pas ce que je veux; mais je fais ce que je liais. Que si je fais ce que je ne veux pas, je consens à la loi et je reconnais qu’elle est bonne. Ainsi ce n'est point moi qui fais cela, mais c'est le péché qui habite en moi; car je sais qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair, parce que je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen, de l’accomplir; car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Que si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi. Lors donc que je veux faire le bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi; car je me plais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché, qui est dans les membres de mon corps. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur. "

La médecine ne nous donne pas la mort en nous faisant connaître des poisons capables de nous faire mourir, quoiqu'il se trouve des scélérats qui s'en servent, ou pour s'empoisonner eux-mêmes, ou pour se défaire de leurs ennemis. Il en est de même de la loi: elle nous a été donnée pour nous faire connaître le poison du péché. Comme l'homme, abusant de sa liberté, se laissait aller au gré de ses injustes désirs et tombait de précipice en précipice ; Dieu a voulu le retenir par sa loi comme par une espèce de frein, et lui apprendre à mesurer ses pas et à marcher avec plus de circonspection, afin que nous le servions " dans la nouveauté de l'esprit, et non point dans la vieillesse de la lettre ", c'est-à-dire que nous nous assujettissions à la loi, nous qui autrefois vivions comme des bêtes et qui disions : " Ne pensons qu'à boire et à manger, puisque nous mourrons demain. "

Que si, malgré la loi qui est survenue, et qui nous a montré et le bien que nous devons faire et le mai que nous devons éviter, nous ne laissons pas de transgresser, ses commandements, emportés que nous sommes par le dérèglement de notre cœur et par l'impétuosité de nos passions, il semble alors que cette loi est la cause du péché, puisque les bornes qu’elle prescrit à notre cupidité ne servent en quelque façon que pour la rendre plus vive et plus ardente. C'est une maxime chez les Grecs, que les choses permises sont celles que nous souhaitons avec moins d'empressement. Rien au contraire n'irrite plus nos désirs et n'excite davantage la vivacité de nos passions que ce qui nous est défendu. C'est pourquoi Cicéron dit que, dans les lois que Solon donna aux Athéniens, ce sage législateur ne voulut prescrire aucune punition pour les parricides, de peur que sa loi ne fût pas tant une défense d'un crime si énorme qu'un attrait pour le commettre. La loi donc semble être une occasion de péché pour ceux qui méprisent et foulent a un pieds les commandements qu'elle nous fait, parce qu'en défendant ce qu'elle ne veut pas permettre elle lie par ses ordonnances ceux qui, avant l'établissement de la loi, pouvaient sans se rendre coupables commettre, des crimes qu'aucune loi ne leur défendait.

Tout ce que j'ai dit jusqu'ici ne regarde que la loi de Moïse; mais comme saint Paul, parle dans la suite d'une loi de Dieu, et d'une loi de la chair et des membres, qui s'oppose sans cesse à la loi de l'esprit et qui nous asservit à la loi du péché, je crois qu'à l'occasion de

de ces quatre lois toujours opposées l'une à l'autre, il est à propos d'examiner de combien de sortes de lois il est fait mention dans la sainte Écriture.

Il n'y a qu'une loi qui a été donnée par Moïse, et dont saint Paul dit dans son épître aux Galates : " Tous ceux qui s'appuient sur les oeuvres de la loi sont dans la malédiction, puisqu'il est écrit : " Malédiction sur tous ceux qui n'observent pas tout ce qui est prescrit dans le livre de la loi. " Il ajoute au même endroit : " La loi a été établie pour faire reconnaître les crimes que l'on commettait en la violant, jusqu'à l'avènement de ce Fils que la promesse regardait; et cette loi a été donnée par les anges par l'entremise d'un médiateur; " et derechef : " La loi nous a servi de conducteur pour nous mener comme des enfants à Jésus-Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi ; mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous un conducteur comme des enfants , puisque vous êtes tous enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ. "

Saint Paul donne encore le nom de " loi ", à quelques endroits de l'Écriture qui ne renferment aucun commandement et qui ne regardent que des faits purement historiques. " Dites-moi, je vous prie, " dit cet apôtre, " vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi ? Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre; mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair, et celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse de Dieu. " On appelle encore les Psaumes du nom de "loi, " selon ce que Jésus-Christ dit dans l’Évangile : " Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie, ils m'ont haï sans aucun sujet. " La prophétie d'Isaïe porte aussi le nom de loi : " Il est écrit dans la loi, " dit l'Apôtre: " Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues, et après cela même ils ne m'entendront point, dit le Seigneur. " C'est ce que j'ai trouvé dans le prophète Isaïe selon le texte hébreu et la version d'Aquila. On donne encore le nom de " loi " au sens mystique de l'Écriture sainte , conformément à ce que dit saint Paul : " Nous savons que la loi est spirituelle. "

Outre toutes ces lois, le même apôtre nous apprend qu'il y a une loi naturelle écrite dans nos cœurs. " Lors, " dit-il, " que les gentils, qui n'ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi, faisant voir que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leur coeur, comme leur conscience en rend témoignage. " Cette loi que nous portons écrite dans le coeur est commune à toutes les nations ; personne ne l'ignore. Ainsi tous les hommes se rendent coupables lorsqu'ils transgressent cette loi que Dieu, dont les jugements sont toujours justes et équitables, a écrite dans nos coeurs : "Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même. "

Où est l'homme qui ignore que l'homicide, l'adultère, le vol et toutes sortes de convoitises sont un mal, dès qu'il les envisage par rapport à lui-même et à ses propres intérêts ? Car s'il n'était persuadé que toutes ces injustices sont un mal, il ne se plaindrait pas lorsqu'on les commet à son endroit. C'est cette loi naturelle qui découvrait à Caïn toute l'énormité de son crime lorsqu'il disait : " Mon iniquité est trop grande pour que je puisse en obtenir le pardon; " c'est elle qui fit connaître à Adam et à Eve la grandeur de leur péché, et qui les obligea à se cacher sous l'arbre de vie; c'est elle qui, avant même la loi de Moïse , tourmenta Pharaon par de secrets remords, et arracha de sa bouche cet aveu de son orgueil et de sa désobéissance : " Le Seigneur est ,juste, et moi et mon peuple nous sommes des impies. " Cette loi est inconnue à un enfant qui n'a pas encore l'usage de la raison, et comme il ne tonnait point de commandement, il le transgresse aussi sans crime : il bat ses parents, il maudit son père et sa mère. Comme il ne sait point encore les règles de la sagesse, le péché est mort en lui. Mais dès qu'il viendra à connaître la loi, et que la raison plus avancée lui aura fait voir et le bien qu'il doit faire et le mal qu'il doit éviter, alors le péché ressuscitera, et cet enfant commencera à mourir par le péché dont il se rendra coupable. Ainsi l'époque, où la raison commence à se développer et à nous faire connaître les commandements de Dieu pour arriver à la vie devient pour nous un principe de mort, si nous nous acquittons de nos devoirs avec négligence et si ce qui devait nous instruire et nous éclairer ne sert qu'à nous séduire,

à nous perdre et à nous conduire à la mort. Ce n'est pas que la connaissance que nous avons de la loi soit un péché, car cette loi que nous connaissons est sainte, elle est juste, elle est bonne; mais c'est que les actions qui, avant la connaissance de la loi; ne nie paraissaient pas criminelles, deviennent pour moi des crimes par la connaissance que la loi nie donne de ce qui est péché et de ce qui est vertu. Ainsi, ce qui m'avait été donné comme un bien se change en mal par la corruption et le dérèglement de mon propre coeur; ou, pour m'exprimer d'une manière encore plus forte, le péché que je commettais sans crime avant que j'eusse la connaissance de la loi devient, par la transgression de cette même loi, une source plus abondante de péché.

Mais voyons auparavant quelle est cette convoitise dont il est dit dans la loi: " Vous ne convoiterez point. " Quelques-uns croient que c'est celle qui est défendue par ce commandement du Décalogue: " Vous ne convoiterez point ce qui appartient à votre prochain. " Pour moi il me semble que par le mot " convoitise " on doit entendre toutes les passions du coeur humain, c'est-à-dire : nos chagrins, nos joies,nos craintes, nos désirs. Au reste il ne faut pas s'imaginer que dans le portrait que saint Paul nous fait ici des différents mouvements dont il se sent agité cet apôtre veuille parler de lui-même, lui qui était un vaisseau d'élection, lui dont le corps était le temple du Saint-Esprit, lui qui disait : " Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche? , et dans un autre. endroit : " Jésus-Christ nous a rachetés; " et derechef: "Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. " Il parle donc de celui qui veut expier ses péchés par la pénitence ; il fait sous son noie la peinture des faiblesses humaines ; il décrit les combats continuels que deux hommes , l'un intérieur et l'autre extérieur, se livrent sans cesse au dedans de nous-mêmes. L'homme intérieur approuve la loi écrite et la loi naturelle, et reconnaît qu'elle est bonne,qu'elle est sainte, qu'elle est juste, qu'elle est spirituelle; l'homme extérieur dit comme saint Paul. " Pour moi je suis charnel, étant vendu pour être assujetti au péché ; car je n'approuve pas ce que je fais,et je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais. " Que si l'homme extérieur fait ce qu'il ne veut pas et ce qu'il hait, il démontre que le commandement de la loi est bon, et que ce n'est point lui qui fait le mal, mais le péché qui demeure en lui, c'est-à-dire: la corruption de la chair, et l'amour du plaisir qui est naturel à tous les hommes , mais dont ils ne doivent user que dans la vue d'avoir des enfants, et qui devient criminel dès qu'il passe les bornes que le Créateur lui a prescrites.

Que chacun de nous s'examine ici lui-même, qu'il se rende compte de ses propres sentiments, qu'il considère à combien de vices et de dérèglements son coeur s'abandonne, combien de paroles indiscrètes, de pensées volages, de mouvements involontaires lui échappent malgré lui dans la vivacité et l'emportement de la passion. Je ne parle point des actions, de peur de donner atteinte à l'innocence et à la sainteté de quelques hommes justes, comme de Job, dont il est écrit : " Cet homme-là ne cherchait que la vérité, mettant une vie pure et sans tache; servant Dieu dans la pratique de la justice, et s'éloignant de tout ce qui est mauvais; " et de Zacharie et d'Elisabeth, dont l’Evangile dit : " Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils marchaient dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur d'une manière irrépréhensible; " et des apôtres, à qui Jésus-Christ avait dit : " Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait; " car le Sauveur n'aurait jamais fait ce commandement à ses apôtres s' il n'avait été persuadé que l'homme peut devenir parfait; si ce n'est peut-être qu'on dise que " s'éloigner de tout ce qui est mauvais, " comme faisait Job, c'est se corriger et passer, des désordres et des égarements d'une jeunesse libertine, à une vie plus réglée et à la pratique de la vertu; que " marcher dans les voies de la justice, " comme faisaient Zacharie et Elisabeth , c'est mener une vie irréprochable aux yeux des hommes, ce qui peut-être n'empêchait pas que cette convoitise qui, selon saint Paul, demeure dans nos membres, ne dominât dans leur coeur. Quant au commandement que Jésus-Christ fait à ses apôtres d'être parfaits, ce n'est point à des enfants qu'il le fait, mais à des hommes d'un âge mûr et consommé , que j'avoue être propre à l'état de perfection.

Je ne prétends point par là flatter les vices et la corruption du coeur humain; je ne m'attache qu’à l'autorité des saintes Ecritures, qui nous apprennent qu'il n'y a personne exempt de souillure, et que Dieu a voulu que tous les hommes fussent " enveloppés dans le péché, afin d'exercer sa miséricorde envers tous, " excepté celui-là seul " qui n'a commis aucun péché, et de la bouche duquel il n’est jamais sorti aucune parole de tromperie, se selon ce que dit Salomon: " Le serpent ne laisse aucune trace sur la pierre; " et Jésus-Christ dans l’Evangile: " Le prince de ce monde va venir, mais il ne trouvera rien en moi qui lui appartienne, c’est-à-dire: aucune mauvaise action, aucun vestige de sa malice. C’est pour cela que Dieu nous défend d'insulter un homme qui veut se retirer de ses anciens désordres, et d’avoir " l'Egyptien en abomination, " parce que nous avons tous été étrangers en Egypte, que nous y avons travaillé à des ouvrages de brique et de terre et à bâtir des villes pour Pharaon, et qu'on nous a menés captifs en Babylone, c'est-à-dire que nous avons été asservis comme les autres à la loi du péché qui dominait dans nos membres. Or le homme ne trouvant presque plus de ressource à ses maux, et confessant ingénument que toute la nature humaine a été engagée dans les pièges du démon , saint Paul, ou plutôt l’homme en la personne duquel cet apôtre déplore les faiblesses et les misères de tous les autres, revenu à lui-même, rend grâces au Seigneur de ce qu'il a bien voulu le racheter par son sang, le purifier de ses souillures dans les eaux sacrées du baptême, le revêtir de la nouvelle robe de Jésus-Christ, et faire succéder au vieil homme, qui est mort en lui, un homme nouveau qui dit : " Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort ? " Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur qui m'a délivré d'un corps de mort.

Que si quelqu'un prétend que l’apôtre saint Paul ne parle point ici en sa personne des faiblesses communes à tous les hommes, qu'il nous explique comment l'on peut appliquer à Daniel, qui était sans doute un homme juste, ce qu'il disait comme de lui-même dans cette prière qu'il faisait à Dieu pour ses compatriotes: " Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité, nous avons fait des actions impies, nous nous sommes retirés de vous et détournés de la voie de vos préceptes et de vos ordonnances; nous n'avons point écouté la voix de vos serviteurs les prophètes qui ont parlé en votre nom à nos rois, à nos princes, à nos pères, et à tout le peuple de la terre. La justice est de votre côté, Seigneur, et pour nous il ne nous reste que la confusion." Ces paroles encore du psaume trente et unième: " Je vous ai fait connaître mon crime et ne vous ai point caché mon iniquité; j'ai dit: "Je déclarerai au Seigneur et confesserai contre moi-même mon injustice; et vous m'avez remis aussitôt l'impiété de mon péché. C'est pour cette raison que tout homme saint vous priera dans le temps favorable; se ces paroles, dis-je, ne conviennent point à David, à un homme juste, en un mot au prophète qui parle; elles ne conviennent qu'à un pécheur; mais cet homme juste les ayant dites en la personne et sous la figure d'un homme pénitent, il mérita d'entendre de la bouche de Dieu même : " Je vous donnerai l'intelligence, je vous enseignerai la voie par laquelle vous devez marcher, et j'arrêterai mes yeux sur vous. "

Nous lisons quelque chose de semblable dans le psaume trente-septième, qui est intitulé Pour le souvenir, où le même prophète, voulant nous apprendre à faire pénitence et à ne perdre jamais nos péchés de vue, dit à Dieu : " A la vue de mes péchés il n'y a plus aucune paix dans mes os, parce que mes iniquités se sont élevées jusque par-dessus ma tête, et qu'elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. La pourriture et la corruption se, sont mises dans mes plaies à cause de ma folie; je suis devenu tout courbé sous le poids de ma misère. "

Ce passage de l'apôtre saint Paul, aussi bien que ce qui le précède et ce qui le suit, ou plutôt toute son épître aux Romains est remplie de tant de difficultés que, si j'entreprenais d'expliquer tout, il nie faudrait faire non pas un seul livre, mais plusieurs gros volumes.

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Neuvième question.

Pourquoi l'apôtre saint Paul dit-il dans le même épître aux Romains: "Je souhaitais devenir moi-même anathème et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères qui sont du même sang que moi selon la chair, qui sont les Israélites, à qui appartient l'adoption des enfants de Dieu, sa gloire, son alliance, sa loi, son culte et ses promesses; de qui les patriarches sont les pères, et desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est Dieu au-dessus de tout et béni dans tous les siècles? "

Il faut avouer que cette difficulté est fort grave; car saint Paul avait dit auparavant: " Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence? " et derechef : " Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni toute autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour que nous portons à Dieu en Jésus-Christ, notre Seigneur. " Comment donc cet apôtre peut-il dire maintenant, et même avec serment : "Jésus-Christ m’est témoin que je dis la vérité je ne mens point, ma conscience me rendant ce témoignage, par le Saint-Esprit que je suis saisi d'une tristesse profonde, et que mon coeur est pressé sans cesse d'une vive douleur, jusque-là que je souhaite de devenir moi-même anathème et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères qui sont d'un même sang que moi selon la chair, etc. ; " car enfin s'il aime Dieu avec tant d'ardeur et de vivacité que ni la crainte de la mort , ni l'espérance de la vie, ni la persécution, ni la faim, ni la nudité, ni les périls, ni le fer et la violence ne sont capables de l'en séparer; et si les Anges, les Puissances, les choses présentes et futures, toutes les vertus des, cieux, ce qu'il y a de plus haut et de plus profond, en un mot toutes les créatures conjurées contre lui ( ce qui est impossible); si, dis-je, tout cela ne peut rompre les liens de la charité qui l'attachent à Dieu et à Jésus-Christ, pourquoi donc change-t-il tout à coup de sentiment, et quelles sont ses vues de vouloir, pour l'amour-même de Jésus-Christ renoncer à la possession de Jésus-Christ? Et de peur qu'on ne veuille pas l'en croire et ajouter foi à ses paroles, il les confirme par serment; il nous en assure au nom de Jésus-Christ même; et prenant le Saint-Esprit à témoin des sentiments de son coeur, il proteste qu'il est dans une tristesse, non pas superficielle et qui soit l'effet du hasard, mais incroyable et accablante, et que son cœur est saisi d'une douleur, on point passagère, mais qui ne lui donne aucun relâche et qui le tourmente sans cesse. Quel est donc le sujet de cette profonde tristesse, et de cette douleur continuelle dont il se sent pénétré? C'est qu'il souhaite d'être anathème, de se voir séparé de Jésus-Christ et de périr lui-même, afin de procurer par sa propre perte le salut des autres. Souvenons-nous ici de cette prière que Moïse faisait à Dieu pour obtenir la grâce du peuple et le pardon de sa révolte : " Je vous conjure, Seigneur, de leur pardonner cette faute, ou, si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit; " et nous verrons que ce prophète et notre apôtre avaient l'un et l'autre la même affection et le même zèle pour le troupeau que Dieu avait confié à leurs soins. " Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, mais le mercenaire, voyant venir le loup, prend la fuite parce que les brebis ne lui appartiennent pas. " Dire: "Je souhaitais d'être anathème et séparé de Jésus-Christ, " c’est-à-dire "Effacez-moi du livre que vous avez écrit ; " car tous ceux qui sont effacés du livre des vivants et qui ne sont point écrits avec les justes sont anathèmes et séparés du Seigneur.

Remarquez ici, je vous prie, combien vive et ardente était la charité que saint Paul avait pour Jésus-Christ, puisque pour l'amour de lui il souhaite de mourir et de périr tout seul, pourvu que tout le monde croie en lui. Mais s'il souhaite sa perte, ce n'est que pour la vie présente et non pas pour l'éternité, suivant ce que dit l'Evangile : " Celui qui aura perdu sa vie pour l'amour de Jésus-Christ la retrouvera." C'est pour cela qu'il cite ce passage du psaume quarante-troisième : " On nous égorge tous les jours pour l'amour de vous, Seigneur; on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. " Cet apôtre souhaite donc de périr selon la chair, afin que les autres se sauvent selon l'esprit. Il veut acheter au prix de son sang le salut de plusieurs. Il me serait aisé de prouver ici, par plusieurs passages, de l'Ancien Testament, que le mot anathème , se prend quelquefois pour la mort que lion fait souffrir aux criminels. Et pour faire voir que ce n’était pas sans sujet que saint Paul s'affligeait de la sorte, cet apôtre ajoute que ce qui lui causait une douleur si vive et si cuisante était de voir " ses frères et ses proches selon la chair, " en danger de se perdre sans ressource. Lorsqu'il les appelle " ses frères et ses proches selon la chair," il donne assez à entendre qu'ils lui étaient étrangers selon l'esprit.

" A qui appartient, " dit- il," l'adoption des enfants de Dieu;" car c'était d'eux que le Seigneur disait autrefois: " Israël est mon fils aîné;" et derechef: "J'ai nourri des enfants et je les ai élevés ; " et desquels il dit maintenant: "Des enfants étrangers ont agi avec dissimulation à mon égard." Dieu leur avait confié " sa gloire," parce qu'il les avait choisis parmi toutes les nations comme son peuple particulier; " son alliance, " dont l'une est selon la lettre et l'autre selon l'esprit, afin qu'après avoir observé d'une manière charnelle les cérémonies de l'Ancien Testament qui venait d'être aboli, ce peuple le servit d'une manière spirituelle dans la pratique des commandements de l’Evangile éternel ; "sa loi, " qui renfertnect l'Ancien et le Nouveau-Testament,ot;"soi( culte, "c'est-à-dire: la véritable religitm ; "ses hrunicsses, "dans la vuc dc répandre sur les enfants tous les bienfaits qu'il a\ ait promis à leurs pères. Mais leur plus beau titre et leur plus grande gloire, c'est que Jésus-Christ a pris naissance parmi eux de la vierge Marie. Et pour nous l'aire connaître quel est ce" Christ," et nous expliquer en même temps le véritable sujet de sa douleur, il ajoute : " qui est Dieu au-dessus de tout et béni dans tous les siècles." Voilà celui qui lui cause une affliction si grande et si sensible; c'est de voir que les Juifs refusent de reconnaître ce Dieu de majesté qui est né d'eux selon la chair. Cet apôtre néanmoins loue la justice de Dieu et l'équité de ses jugements, de peur qu'on ne trouve quelque chose d'outré et de trop sévère dans la manière dont il en a usé à l'égard des Juifs. En un mot, saint Paul se sent pénétré de douleur en voyant accablés de maux et de disgrâces ceux que Dieu avait autrefois comblés de bienfaits et traités avec tant de distinction.

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Dixième question.

Comment doit-on entendre ce que le même apôtre dit dans son épître aux Colossiens : "Que nul ne vous surpasse en affectant de paraître humble par un culte superstitieux des anges, se mêlant de parler des choses qu'il ne sait point, étant enflé par les vaines imaginations d'un esprit humain et charnel, et ne demeurant point attaché à celui qui est la tête et le chef,

duquel tout le corps, recevant l'influence parles vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s'entretient et s'augmente par l'accroissement que Dieu lui donne, etc. ?"

Je ne puis m'empêcher de répéter ici ce que j'ai déjà dit plusieurs fois, que ce n'est point par un sentiment d'humilité, mais par un aveu sincère fondé sur le témoignage de sa propre conscience, que saint Paul disait : " Que si je suis grossier et peu instruit pour la parole, il n'en est pas de même pour la science." En effet, cet apôtre ne saurait expliquer ce qu'il y a de profond et de caché dans nos mystères. Pénétré qu'il est lui-même de ce qu'il veut dire, il ne peut s'exprimer ni se faire entendre d'une manière claire et intelligible. Quoique très éloquent dans sa langue naturelle, qui était la langue hébraïque, quoique instruit aux pieds de Gamaliel, l'un des plus savants hommes de la Synagogue et très versé dans la science de la loi, cependant lorsqu'il veut exprimer ce qu'il pense, il le fait toujours d'une manière très obscure et très embarrassée. Que s'il avait tant de peine à s'expliquer en grec, qu'il avait appris dès ses plus tendres années à Tarse en Cilicie, où il avait été élevé , que dirons-nous des versions latines où les interprètes, voulant exprimer mot à mot les pensées de cet apôtre, ne font que les embarrasser davantage, et étouffent pour ainsi dire sous un amas de mauvaises herbes un champ si abondant et si fertile? Je vais donc tâcher de faire sur ce passage de saint Paul une espèce de paraphrase, d'en expliquer le véritable sens, d'éclaircir ce que les expressions ont de confus et d'embrouillé, de mettre chaque chose à son rang et clans sa place naturelle, afin que les pensées de l'Apôtre, dégagées de ce qu'il y a d'embarrassé et d'obscur dans le style, paraissent dans leur véritable jour.

" Que nul ne vous surpasse, " c'est-à-dire, comme le porte le texte grec : que personne ne vous ravisse le prix de votre course, comme il arrive lorsque celui qui combat dans le cirque et qui a mérité le prix vient à le perdre, ou par l'injustice de celui qui préside aux courses, ou par la supercherie de ceux qui donnent au peuple ces sortes de spectacles. L'on trouve dans saint Paul plusieurs expressions de cette nature, dont il se sert assez souvent parce qu'elles étaient en usage dans sa ville et dans sa province. En voici quelques exemples: " Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par le jour humain (1) ; " "je vous parle humainement; " " je ne vous ai point été à charge ; " et ce que nous expliquons maintenant : " que nul ne vous surpasse, " ou " ne vous ravisse le prix de la course ; " et d'autres semblables manières de parler qui sont encore aujourd'hui en usage parmi les peuples de Cilicie. Au reste, il ne, faut point s'étonner que saint Paul se serge de ces sortes d'expressions, qui étaient propres à la province où il avait revu et la naissance et l'éducation, puisque Virgile, qui est l’Homère des Latins, a dit conformément à l'usage de son pars:" Un froid scélérat (2) "

" Que nul " donc " ne vous surpasse " et ne vous ravisse le prix de votre course, en s'attachant à la bassesse de la lettre et au culte superstitieux des anges, afin de vous engager par son exemple à abandonner le sens spirituel et mystérieux des saintes Ecritures, pour ne vous repaître que des figures des closes à venir, que celui même qui veut vous séduire " n'a point vues " ou " ne voit point " (car le texte grec peut signifier l'un et l'autre), surtout étant enflé d'orgueil compte il est, et faisant paraître dans ses démarches fières et superbes quelle est la vanité et la présomption de son esprit. Mais en vain se repaît-il de cet orgueil secret qu'un esprit charnel lui inspire, puisqu'il entend les saintes Ecritures d'une manière toute charnelle, ajoutant foi à toutes les traditions ou plutôt à toutes les rêveries des Juifs, sans s'attacher à celui que toutes les Ecritures regardent comme le chef et dont il est écrit : " Jésus-Christ est le chef et la tête de l’homme, " c'est-à-dire: le chef de ceux qui croient en lui, le principe qui donne la vie à ce corps mystique, et la source où l'on doit puiser tous les sens spirituels des saintes Ecritures. C'est de ce chef que le corps de l'Eglise " reçoit par les vaisseaux qui en

(1) C'est-à-dire: " Je me mets fort peu en peine des jugements des hommes, " ou " d'être jugé par quelque homme que ce soit." Les manières de parler dont saint Jérôme cite ici des exemples, et qu'il dit être particulières aux habitants de Tarse et aux peuples de Cilicie, ne paraissent-elles que par rapport au grec qui était leur langue naturelle, mais ou le peut pas les faire sentir dans une traduction.

(2) C’est-à-dire : " pernicieux aux fruits de la terre." Nous disons aussi " un froid cruel, " quoique la cruauté ne convienne pas plus au froid que la scélératesse.

joignent et lient toutes les parties " le suc d'une doctrine toute céleste, qui lui donne la vie; c'est ce chef qui nourrit tous les membres de ce corps, et qui, répandant dans ses veines, par des routes secrètes, un sang très pur, l'entretient, le fortifie, et lui donne l'accroissement et la perfection qu'il doit avoir en Dieu, afin que cette prière que le Sauveur faisait à son père soit accomplie : " Mon Père, je désire que comme nous ne sommes qu'un vous et moi, de même ceux-ci ne soient qu'un en nous," et qu'après que Jésus-Christ nous aura donnés à son père, " Dieu soit tout en tous. "

Saint Paul, dans son épître aux Ephésiens, s'exprime à peu près de la même manière, soit pour le sens, soit pour les mots, soit pour le style qui est très obscur et très embarrassé "Afin, " dit cet apôtre, "qu'en disant la vérité dans la charité, nous croissions en toutes choses dans Jésus-Christ, qui est notre chef et notre tête; car c'est de lui que tout le corps, dont les parties sont jointes et unies ensemble avec une si juste proportion, reçoit, par tous les vaisseaux et tous les nerfs qui portent l'esprit et la vie, l'accroissement qu'il lui communique par l'efficacité de son influence, selon la mesure qui est propre à chacun des membres, afin qu'il se forme ainsi et s'édifie par la charité. " J'ai expliqué ce passage avec assez d'étendue dans mes commentaires sur celle même épître. Or l'Apôtre écrit tout cela contre les Juifs qui, après avoir embrassé la foi de Jésus-Christ, voulaient encore observer les cérémonies de l'ancienne loi; sur quoi il y a eu une dispute assez grande entre les premiers chrétiens, comme nous le lisons dans les Actes des apôtres. C'est pour cela que saint Paul, parlant de ceux qui se vantaient d'être les docteurs et les maîtres de la loi, dit un peu auparavant : " Que personne ne vous condamne pour le manger et pour le boire, " prétendant que, parmi les choses qui servent à votre nourriture, les unes sont pures et les autres impures, " ou sur le sujet des fêtes, " distinguant les jours de fête d'avec ceux qui ne le sont point, parce que toute la vie d'un chrétien, qui croit en Jésus-Christ ressuscité, est une fête continuelle qui n'a point d'autres bornes que l'éternité, " ou sur la célébration des nouvelles lunes, " c'est-à-dire du premier jour de chaque mois, lorsque la lune est dans son décours et ne luit plus durant la nuit, parce que la lumière des chrétiens est éternelle et que le soleil de justice ne cesse jamais de les éclairer, " ou sur l'observation des jours de sabbat," vous défendant durant ces jours de porter aucun fardeau ou de faire aucune œuvre servile; car nous sommes tous libres en Jésus-Christ, et nous ne gémissons plus sous le joug accablant du péché. " Toutes ces choses, " dit l'Apôtre, " n'ont été que l'ombre de celles qui devaient arriver, " et une figure de la félicité dont nous devions jouir un jour, les Juifs s'arrêtant à la lettre et s'attachant à la terre, tandis que, par l'intelligence spirituelle des saintes Ecritures, nous-nous élevons jusqu'à Jésus-Christ, que saint Paul appelle ici " le corps " pour le distinguer des ombres; car, comme le corps est quelque chose de réel et de véritable, et que l'ombre au contraire n'est qu'une représentation vaine et trompeuse, de même, en suivant le sens spirituel des Ecritures, tout ce qui sert à boire et à manger est pur, tous les jours de notre vie sont des jours de fête pour nous, la solennité du premier de chaque mois est une fête continuelle, et notre sabbat doit être éternel.

Mais comment doit-on entendre ces paroles de l'Apôtre : " En affectant de paraître, humble par un culte superstitieux des anges?" Depuis que Jésus-Christ a dit à ses disciples : " Levez-vous, sortons d'ici; " et aux Juifs : " Votre maison demeurera déserte; " et que le lieu où le Seigneur a été crucifié " est appelé dans un sens spirituel Egypte et Sodome;" depuis ce temps-là- toutes les cérémonies des Juifs ont été abolies, et ce n'est plus à Dieu, mais aux anges rebelles et aux esprits impurs qu'ils immolent toutes leurs victimes. Il ne faut point s'étonner qu'ils soient tombés dans cette impiété après la Passion du Sauveur, puisque c'était à eux que le prophète Amos adressait autrefois ces paroles: "Maison d'Israël, est-ce à moi que vous avez offert des sacrifices et des victimes dans le désert durant quarante ans? Et vous avez porté le tabernacle de Moloch et l'astre de votre dieu Remphan, qui sont des figures que vous avez faites pour les adorer. " C'est ce que saint Etienne, disputant dans le sénat des Juifs et parcourant leurs anciennes histoires, leur expliqua d'une manière encore plus forte et plus précise. " Dans ce temps-là ", dit-il, " les Israélites firent un veau et sacrifièrent à cette idole, mettant leur joie dans l'ouvrage de leurs mains. Alors Dieu, se détournant d'eux, les abandonna à l'impiété qui leur fit adorer l'armée du ciel, comme il est écrit au livre des Prophètes. " Par cette " armée du ciel, " on ne doit pas seulement entendre le soleil, la lune et tous les astres, mais encore toute la multitude et les armées des anges, qu'où appelle en hébreu Sabaoth, c'est-à-dire: des vertus et des armées célestes. C'est dans ce sens que nous lisons dans l’Evangile de saint Luc : " Au même instant il se joignit à l'ange une grande troupe de l'armée céleste, louant Dieu et disant: " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté; " car le Seigneur " rend ses anges aussi prompts que les vents et ses ministres aussi ardents que les flammes. " Le prophète Ezéchiel nous fait voir, d'une manière encore mieux marquée, que ceux qui adoraient les idoles offraient toujours leurs sacrifices aux anges et non pas à Dieu, quoiqu'ils immolassent leurs victimes dans le temple du Seigneur. " Je leur ai donné, " dit Dieu par la bouche de ce prophète, " des lois et des préceptes qui n'étaient point bons; " car le Seigneur ne cherche point le sang des boucs et des taureaux : un esprit brisé de douleur est le seul sacrifice qui soit digne de lui, et il ne méprise jamais un coeur contrit et humilié. Ceux donc qui s'étaient fait un veau près d’Oreb et qui avaient adoré l’astre du dieu Remphan, dont j'ai parlé plus à fond dans mes commentaires sur le prophète Amos, ceux-là ont offert leur encens aux idoles qu'ils ont faites eux-mêmes, et Dieu les a abandonnés à l'impiété qui leur a fait adorer l'armée du ciel, que saint Paul appelle ici " le culte des anges." Le mot " humilité, " dont on s'est servi dans la traduction latine de ce passage, signifie selon le texte grec une " bassesse d’esprit et de sentiment. " Il faut en effet avoir l'esprit bien bas, et porter la superstition jusqu'à l'extravagance, pour s'imaginer que Dieu prenne plaisir à voir couler le sang des boucs et des taureaux, et à souffrir l’odeur désagréable d'un parfum que bien souvent nous ne saurions souffrir nous-mêmes.

Quant à ce qui suit: " Si vous êtes morts avec Jésus-Christ à ces premières et plus grossières instructions du monde, comment vous laissez-vous imposer des lois comme si vous viviez dans ce premier état du monde? Ne mangez pas, "vous dit-on, d'une telle chose; " ne goûtez pas " de ceci; " ne touchez pas " à cela. " Cependant ce sont des choses qui périssent toutes par l’usage, en quoi vous ne suivez que des maximes et des ordonnances humaines, qui ont à la vérité quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans le rigoureux traitement qu'on fait au corps, et dans le peu de soin qu'on prend de rassasier la chair. " Voici, ce me semble, ce que saint Paul veut dire dans cet endroit, que je me contente de parcourir, afin d'expliquer avec le secours du Seigneur, ce qu'il a de confus dans les termes et d'obscur dans le sens. Si vous avez été baptisés en Jésus-Christ et ensevelis avec lui par le baptême. si vous êtes morts avec lui à ces premières et plus grossières instructions du monde, pourquoi ne dites-vous pas avec moi. A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est mort et crucifié pour moi, comme je suis mort et crucifié pour le monde? et Pourquoi n'écoutez-vous pas ce que le Seigneur dit à son père: " Ils ne sont point du monde, comme je ne suis point moi-même du monde; "et "Le monde les hait, parce qu'ils ne sont point du monde, comme je ne suis point moi-même du monde ? " " Pourquoi " au contraire " vous laissez-vous imposer des lois, comme si vous viviez dans le premier état du monde? " " Ne touchez point, " vous dit-on, le corps d'un homme mort, ni les habits d'une femme qui a ses infirmités ordinaires, ou le siège sur lequel elle s'est assise. " Ne mangez point de pourceau, ni de lièvre, ni de séche (1), ni de calmar (2), ni de lamproie, ni d'anguille, ni de tous les poissons qui n'ont ni nageoires ni écailles. Cependant toutes ces choses périssent par l'usage qu'on en fait, et tombent dans les lieux secrets après que l'estomac les a digérés. Car " les viandes sont pour le ventre, et le ventre est pour les viandes; et ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais c'est ce qui sort de sa bouche." " Et en cela, " et dit l'Apôtre, " vous ne suivez que des maximes et des ordonnances humaines; "selon cette parole du prophète Isaïe : " Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi ;

(1) Poisson de mer.

(2) Autre poisson de mer qui vole.

mais c'est en vain qu'ils m'honorent, enseignant des maximes et des pratiques humaines. " De là ces reproches que Jésus-Christ faisait aux pharisiens: " Vous avez, " leur dit-il, " anéanti la loi de Dieu pour établir et autoriser vos traditions. Car Dieu a fait ce commandement: " Honorez votre père et votre mère; " et cet autre : " Que celui qui aura outragé de parole son père ou sa mère soit puni de mort. " Mais vous autres vous dites: " Quiconque aura dit à son père ou à sa mère : "Tout don que je fais vous est utile, " satisfait à la loi, quoiqu'il n'honore et n'assiste point son père et sa mère, etc. Et ainsi," ajoute-t-il, " vous avez anéanti le commandement de Dieu par vos traditions. "

Cet ouvrage, qui n'est déjà que trop étendu, ne me permet pas de rapporter ici combien les, pharisiens ont inventé de traditions qu'ils appellent aujourd’hui Deuteroses, et de combien de fables et de chimères ils les ont remplies. La plupart même sont si infâmes que je ne saurais en parler sans rougir. Je vais néanmoins en rapporter ici un exemple, afin de couvrir de honte et de confusion ces ennemis déclarés de la religion de Jésus-Christ. Les principaux et les plus sages de leurs Synagogues étaient obligés par le devoir de leur charge ( l'horrible emploi ! ) de goûter le sang d'une fille ou d'une femme qui avait ses infirmités ordinaires, afin de juger par le goût, lorsqu'ils ne le pouvaient faire par la vue, si ce sang était pur ou s'il ne l'était pas. De plus, comme la loi leur ordonne de demeurer assis dans leurs maisons les jours de sabbat, et leur défend de sortir de chez eux et de se promener ces jours-là, si nous leur faisons voir dans nos disputes que, pour observer le commandement de la loi prise à la lettre, ils sont obligés de demeurer assis, et qu'il ne leur est pas permis ni de se coucher, ni de demeurer debout, ni de se promener, ils nous répondent ordinairement que leurs maîtres Barachibas, Syméon et Hellés leur ont appris par tradition que l'on pourrait, le jour du sabbat, se promener l'espace de deux mille pieds. Ils nous repaissent de plusieurs semblables rêveries fondées sur des maximes humaines qu'ils préfèrent à celles que Dieu leur a enseignées. Ce n'est pas qu'il faille être toujours assis le jour du sabbat, et qu'on soit obligé, de demeurer dans le lieu où l'on se trouve sans pouvoir s'en éloigner; mais on doit accomplir d'une manière spirituelle " ce que la loi ne saurait faire, la chair la rendant faible et impuissante. " Poursuivons.

" Qui ont à la vérité quelque apparence de sagesse. " Ce mot " à la vérité " est ici superflu, car il n'est point suivi de la conjonction " mais, " ou de quelque autre semblable qui le suit ordinairement. Saint Paul, qui n'était pas grammairien, tombe souvent dans de pareilles fautes. Les ignorants donc et la masse trouvent dans ces pratiques superstitieuses des Juifs quelque apparence de raison et quelques traits de la sagesse humaine. De là vient qu'on donne à leurs docteurs le nom de sages, et lorsqu'ils enseignent leurs maximes ( ce qu'ils font en certains jours), ils ont coutume de dire à leurs disciples " Les sages expliquent leurs traditions. "

" Dans une superstition, " ou, comme porte le texte grec, " dans une fausse religion, et dans une humilité " affectée. Quoique le terme " humilité, " selon la signification naturelle du mot grec, marque plutôt une vertu qu'un vice, cependant on le doit prendre ici pour une bassesse d'âme et de sentiment. " Et dans le rigoureux traitement qu'on fait au corps," c'est-à-dire, selon le texte original que la version latine n'exprime pas à la lettre: " en n'épargnant pas son corps. " Les Juifs n'épargnent pas leur corps dans le choix qu'ils font des viandes, se privant quelquefois de ce qu'ils ont, cherchant ce qu'ils n'ont pas, et se réduisant par là à des extrémités qui souvent les jettent dans des langueurs et des maladies fâcheuses. Et en cela ils ne, se font point honneur à eux-mêmes, puisque " tout est pur pour ceux qui sont purs, " et que " ce qui se mange avec action de grâces " ne saurait être impur, le Seigneur n'ayant créé les viandes que pour nourrir le corps et conserver la vie de l'homme.

Par ces " premières instructions, " ou ces " premiers éléments du monde, par lesquels, " ou plutôt " auxquels nous sommes morts, " on doit entendre la loi de Moïse et tout l’Ancien Testament, qui sont comme les commencements de notre religion, et les premiers éléments où nous apprenons à connaître Dieu. Car comme on donne le nom " d'éléments ", aux lettres qui composent les syllabes et les mots, et ensuite les discours les plus travaillés, que la musique a ses éléments, que la dialectique et la médecine ont leurs " introductions, " et que les lignes sont les éléments de la géométrie, de même l'Ancien Testament est comme les premiers éléments qui forment l'enfance de l'homme juste, et qui le rendent capable de s'élever jusqu'à la perfection de l'Evangile. C'est ainsi que le psaume cent dix-huitième, et tous ceux qui sont marqués par les lettres de l'alphabet, nous conduisent par des vérités morales à la connaissance des vérités divines, et, nous faisant passer par les éléments d'une lettre qui tue et qui se détruit, nous élèvent jusqu'à l'esprit qui vivifie. Puis donc que nous sommes morts au monde et à ses éléments, nous ne devons plus suivre les pratiques et les maximes du monde ; car s'assujettir à ces " premiers éléments, " c'est commencer à ; y mourir, c'est être parfait.

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Onzième question.

Que veulent dire ces paroles du même apôtre dans son épître aux Thessaloniciens : " Le Seigneur ne viendra point que la révolte et la désertion ne soient arrivées auparavant, et qu’on n’ait vu paraître l'homme de péché, etc.? "

Saint Paul avait dit dans sa première épître aux fidèles de Thessalonique. " Or, pour ce qui regarde le temps et les moments où ces choses arriveront, il n'est pas besoin, mes frères, de vous en écrire, parce que vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur doit venir comme un voleur de nuit. Car lorsqu'ils diront : " Nous voici en paix et en sûreté, " ils se trouveront surpris tout à coup d'une ruine imprévue, comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement, sans qu'il leur reste aucun moyen de se sauver. " Il leur avait dit un peu auparavant . "Aussi nous vous déclarons, comme l'ayant appris du Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort. Car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers. Puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons restés jusqu'alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air; et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. Consolez-vous donc les uns les autres par ces vérités. " Les Thessaloniciens ne comprenant point quels étaient ceux dont l'apôtre saint Paul voulait parler, qui, étant encore en vie et étant restés jusques alors. seraient emportés dans les airs pour aller au-devant du Seigneur, crurent qu'ils seraient encore envie lorsque Jésus-Christ viendrait, et qu'ils le verraient dans sa majesté avant que de mourir. Sur quoi l'Apôtre les prie et les " conjure par l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ de ne se point laisser ébranler si légèrement en croyant, sur la foi de quelque prophétie, ou sur quelque discours,ou quelque lettre qu'on supposerait venir de sa part, que le jour du Seigneur était près d'arriver. "

L'Évangile et tous les prophètes nous apprennent qu'il y a deux sortes d'avènements du Sauveur : dans le premier il a paru humilié et anéanti aux yeux des hommes; dans le second il paraîtra revêtu de toute sa gloire et de toute sa majesté, selon ce que Jésus-Christ lui-même disait à ses apôtres lorsqu'il leur prédit ce qui devait arriver avant la fin du monde, et quel devait être l'avènement de l'Antéchrist: " Lorsque vous verrez, " leur dit-il, " que l'abomination qui a été prédite par le prophète Daniel sera dans le lieu saint, que celui qui lit entende bien ce qu'il lit. Alors que ceux qui seront dans la Judée s'enfuient sur les montagnes ; que celui qui sera au haut du toit n'en descende point pour emporter quelque chose de sa maison; et que celui qui sera dans le champ ne retourne point pour prendre sa robe. " Et derechef " Alors si quelqu'un vous dit: " le Christ est ici, " ou " il est là, " ne le croyez point, parce qu'i1 s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu'à séduire même, s'il était possible, les élus. J'ai voulu vous en avertir auparavant. Si donc on vous dit : " Le voici dans le désert, " ne sortez point pour y aller. Si l'on vous dit: " Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, " ne le croyez point. Car comme un éclair qui sort de l'Orient parait tout d'un coup jusqu'à l'Occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. " Et un peu après: " Alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel, et tous les peuples de la terre seront dans les pleurs et dans les gémissements, et ils verront le Fils de l'homme qui viendra sur les nuées du ciel avec

une grande puissance et une grande majesté ; et il enverra ses anges qui feront entendre la voix éclatante de leurs trompettes, et qui rassembleront ses élus des quatre coins du monde, depuis une extrémité du ciel jusqu'à l'autre. " Voici encore ce qu'il dit de l'Antéchrist en parlant aux Juifs : "Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas. Si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez. "

Les Thessaloniciens donc n'ayant pas bien compris le sens de la première épître que saint Paul leur avait écrite, ou s'étant laissé séduire par quelque prétendue révélation qu’ils croyaient avoir eue durant leur sommeil, ou par les fausses conjectures de quelques visionnaires, s'imaginaient que ce qui avait été prédit de l'Antéchrist par les prophètes Isaïe et Daniel, et par Jésus-Christ même dans l'Évangile, devait s'accomplir de leurs jours. C'est ce qui les avait ébranlés et jetés dans le trouble, prévenus qu'ils étaient que le fils de Dieu devait bientôt venir dans tout l'éclat de sa gloire et de sa majesté. Mais l'apôtre saint Paul, pour les détromper et les faire revenir de leurs préjugés, leur explique ici toutes les choses qui devaient précéder l'avènement du Sauveur; afin que par leur accomplissement ils pussent juger de l'avènement de l'Antéchrist, " de cet homme de péché, de cet enfant de perdition, de cet ennemi de Dieu qui s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu. ou qui est adoré. jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu. " " Le Seigneur," dit-il, " ne viendra point que la désertion, " ou, comme porte le texte grec, " l'apostasie ne soit arrivée auparavant, " c'est-à-dire : que toutes les nations qui sont soumises à l'empire romain ne se soient soustraites par une révolte déclarée à la domination des empereurs; " et qu'on ait vu paraître cet homme de péché " prédit par tous les prophètes, qui est la source et le principe de tous les péchés ; " de cet enfant de perdition. " c'est-à-dire du démon qui est la cause de la perte de tous les hommes ; " de cet ennemi déclaré de Jésus-Christ, " ce qui fait qu'on l'appelle " Antéchrist, " qui s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu," se faisant passer pour le Dieu de toutes les nations, foulant aux pieds la véritable religion et le culte du vrai Dieu, et portant son orgueil "jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, " c'est-à-dire, comme l’expliquent quelques auteurs, dans le temple de Jérusalem, ou plutôt dans l'Eglise, où il se fera passer pour Jésus- Christ et pour fils de Dieu.

La décadence de l'empire romain et la naissance de l'Antéchrist doivent donc précéder l'avènement de Jésus-Christ, qui ne viendra que pour détruire cet ennemi de sa gloire et de sa religion. Vous devez vous souvenir, dit l'Apôtre, que lorsque j'étais à Thessalonique, je vous ai dit de bouche ce que je vous écris maintenant, que l'avènement de l’Antéchrist devait précéder celui du Sauveur; " et vous savez bien ce qui empêche qu'il ne vienne, afin qu'il paraisse en son temps;" c'est-à-dire: Vous n’ignorez pas pourquoi l'Antéchrist ne parait pas encore. Il ne veut pas parler ici ouvertement de la ruine de l'empire romain, que les empereurs croyaient devoir être éternel. De là vient que cette femme prostituée et vêtue de pourpre, dont saint Jean parle dans son Apocalypse, portait sur son front ce nom de blasphème, " Rome l'éternelle. " Car si saint Paul eût dit sans détour et sans allégorie que l'Antéchrist ne devait venir qu’après l'entière. destruction de l'empire romain , il semble qu’il eût donné par là un juste sujet de persécuter l'Eglise qui ne faisait que de naître.

"Car le mystère d'iniquité," continue l'Apôtre, " se forme dès à présent. Seulement que celui qui a maintenant la foi la conserve jusqu'à ce que la désertion arrive, et alors cet impie paraîtra; c'est-à-dire : Néron, le plus infâme et le plus corrompu des Césars, prépare déjà les voies à l'Antéchrist par les maux infinis et les crimes énormes dont il accable et, fait gémir toute la terre; l'on remarque dans celui-là des traits de l'impiété et de la cruauté dont on verra un jour la consommation dans celui-ci. Il ne reste plus qu'à voir tomber l'empire romain par la révolte et la désertion de tous les peuples qu'il tient aujourd'hui sous sa puissance ; et alors l'Antéchrist, qui est la source de toutes sortes d'iniquités , viendra au monde ; mais " le Seigneur Jésus le détruira par le souffle de sa bouche, " c'est-à-dire : par le poids de sa majesté, et de cette puissance divine dont les mandements portent leur exécution avec eux. Il n'emploiera point contre lui ni de nombreuses armées, ni la force des soldats, ni le secours des anges; il l'exterminera par sa seule présence ; semblable au soleil qui chasse et dissipe les ténèbres de la nuit dès qu'il commence à paraître, le Seigneur perdra et détruira l’Antéchrist par le seul éclat de sa majesté. " Il n'agira," cet impie, "que par la puissance de Satan. Comme toute la plénitude de la divinité a été en Jésus-Christ corporellement, de même l'Antéchrist sera revêtu de la puissance de Satan pour faire, des prodiges et des miracles, mais faux et trompeurs, semblables à ceux que les magiciens de Pharaon opposèrent aux prodiges que Dieu opérait par Moïse; mais comme la verge de ce prophète dévora celle de ces imposteurs, de même la vérité de Jésus-Christ triomphera des mensonges de l'Antéchrist. " Ce séducteur n'imposera par ses artifices qu'à ceux qui doivent périr.

Ici l'on pouvait former une difficulté, et demander à saint Paul pourquoi Dieu a permis que l'Antéchrist eût le pouvoir de faire des miracles et des prodiges capables, s'il était possible, de faire illusion même aux élus de Dieu; mais cet apôtre prévient cette objection, et la résout avant même qu'on la lui fasse. Ce ne sera point, dit-il, par sa propre vertu, mais par la permission de Dieu que l'Antéchrist fera tous ces prodiges, pour punir les Juifs de ce qu'ils n'ont voulu ni recevoir ni aimer la vérité, c'est-à-dire le Saint-Esprit, que Dieu nous a donné par Jésus-Christ. Car l'amour de Dieu a été répandu dans les cœurs des fidèles, et Jésus-Christ dit lui-même : "Je suis la vérité ;" et d'est de lui qu'il est écrit dans les Psaumes: " La vérité est sortie de la terre. " Puis donc que les Juifs n'ont pas voulu recevoir la vérité et la charité, ni reconnaître le Sauveur pour être sauvés, " Dieu les livrera " , non, pas à un homme qui leur fasse illusion mais " à l'illusion même, " c'est-à-dire : à un égarement qui sera la source de toutes sortes d'erreurs, et qui les engagera immanquablement dans le mensonge ; car le démon est menteur et père du mensonge. Si l'Antéchrist était né d'une Vierge, et venu au monde avant Jésus-Christ, les Juifs seraient en quelque manière excusables: ils pourraient dire qu’ils avaient vu en lui quelques traits et quelques caractères de vérité et que, séduits par ces fausses apparences, ils avaient pris le mensonge pour la vérité; mais aujourd'hui ce qui fait leur crime et ce qui rend leur condamnation certaine et infaillible, c’est qu'après avoir méprisé la vérité de Jésus-Christ ils ont suivi le mensonge, c'est-à-dire : l’Antéchrist.

 

 

 

 

À MINERVIUS ET A ALEXANDRE.

Comme notre frère Sisinnius, qui m'a remis votre lettre, est sur son départ, je ne puis vous dissimuler que je suis obligé de vous écrire celle-ci fort à la hâte. Ce n'est point par vanité que je parle de la sorte, et je vous prie d'en être bien persuadés; mais c'est que l'amitié (lue j'ai pour vous ne me permet pas de vous rien cacher et m'oblige à vous parler à coeur ouvert. Sisinnius m'a apporté des lettres de plusieurs personnes de votre province qui me proposent diverses questions. J'espérais due depuis son arrivée jusqu'à l'Épiphanie j'aurais assez de temps pour y répondre. J'y avais employé une partie des nuits; toutes mes réponses étaient faites; il ne me restait plus qu'à vous satisfaire sur les questions que vous me proposez, et que je réservais pour les dernières comme les plus difficiles : je me préparais à y répondre, lorsque tout à coup Sisinnius est venu me dire qu'il était sur le point de partir. Je l'ai prié de différer son voyage; mais il m'a dit que le Nil n'ayant point débordé, la l'amine régnait dans toute l'Égypte, que plusieurs personnes étaient dans l'indigence et, que les monastères étaient réduits à une extrême misère. Ainsi j'ai cru que ce serait offenser Dieu que de le retenir plus longtemps.

Je vous envoie donc, tels duels, les matériaux que j'avais préparés, et je vous laisse le soin de leur donner par votre éloquence la forme et les ornements qui leur manquent. Vous avez toute la sagesse et toute l'érudition nécessaires pour cela, puisque vous avez renoncé à l'éloquence du barreau pour embrasser celle de Jésus-Christ. Ainsi je ne serai pas comme ce philosophe dont parle la fable, qui eut tant de peine à persuader un homme rustique et grossier : vous comprendrez aisément tout ce que j'ai à vous dire, et vous le préviendrez même, comme celui dont un auteur profane a dit : " A peine avais-je ouvert la bouche qu'il en savait autant que moi. " Puis donc que le temps ne me permet pas de vous expliquer moi-même cette difficulté, je vous envoie ce qu'en ont dit ceux qui nous ont laissé des commentaires sur l'Ecriture sainte. J'en ai traduit la plus grande partie mot à mot, tant pour m'épargner la peine d'examiner à fond cette. question que pour vous faire connaître quel est le sentiment des anciens, et vous laisser la liberté d'en juger vous-mêmes, non point selon mes vues, mais selon vos propres lumières.

Vous me demander comment on doit entendre ce passage de l'épître de saint Paul aux Corinthiens (1) : " Nous dormirons tous , mais nous ne serons pas tous changés; " et s'il s'en faut tenir à cette leçon, ou à celle que portent quelques exemplaires : " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés ; " car ces deux différentes levons se trouvent dans les exemplaires grecs. Théodore d'Héraclée, appelé autrefois Perinthe, explique ainsi ce passage dans ses commentaires sur les épîtres de saint Paul. " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. " " En effet, Enoch et Élie, affranchis des lois de la mort, n'ont quitté la terre que pour être élevés au ciel avec leurs corps. Ainsi les saints qui seront encore en vie à la fin des siècles et au jour du jugement ne mourront point ; mais exempts des dures lois de la mort, ils seront emportés dans les nuées avec les autres saints qui ressusciteront, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, et pour vivre éternellement avec lui. C'est pour cela que l'Apôtre dit : " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés; " car ceux qui seront ressuscités et emportés tout vivants dans les nuées deviendront incorruptibles, et passeront de la condition des mortels à une glorieuse immortalité, je ne dis point en peu de temps, mais en un instant, en un moment,en un clin d'oeil,au son de la dernière trompette. " Cette résurrection se fera si promptement, que ceux qui seront en vie lorsque la consommation de toutes choses arrivera ne pourront prévenir les morts qui sortiront de leurs tombeaux. C'est ce que saint Paul explique très clairement lorsqu'il dit :

(1) C'est-à-dire " Nous mourrons tous." La vulgate porte "Nous ressusciterons tous. "

" Car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés ; car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité," afin qu'il puisse être ou livré à des supplices éternels, ou couronné dans le ciel d'une gloire immortelle. "

Diodore, évêque de Tarse, laissant le passage que nous examinons, explique en peu de mots celui-ci : " Et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. " " Si les morts, " dit-il, " doivent ressusciter en un état incorruptible, et par conséquent passer à une condition plus heureuse, qu'était-il besoin de dire : " Et alors nous serons changés? " Saint Paul a-t-il voulu nous donner à entendre par là que cet état d'incorruptibilité sera commun à tous les hommes, et qu'il n'y aura que les justes qui seront changés, non-seulement par l'incorruptibilité et l'immortalité dont ils seront revêtus, mais encore par la gloire dont le Seigneur doit les couronner? "

Apollinaire est de même sentiment que Théodore, quoiqu'il s'explique en des termes différents; car il prétend (lue quelques -uns ne mourront point, mais que leurs corps étant changés et revêtus de gloire, ils passeront tout d'un coup de cette vie à l'autre pour demeurer éternellement avec Jésus-Christ. C'est l'heureuse situation où nous croyons qu'Enoch et Élie sont aujourd'hui.

Didyme prend une route toute différente et suit le sentiment d'Origène; car il explique ainsi ces paroles de l'Apôtre: " Voici un mystère que je m'en vais vous dire: Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. " " Si la question de la résurrection des morts, "dit cet auteur," était sans difficulté et n'avait pas besoin d'explication, l'apôtre saint Paul. après en avoir parlé fort au long, n'aurait pas a jouté: " Voici un mystère que je m'en vais vous dire : nous dormirons, "c'est-à-dire nous mourrons" tous, mais nous ne serons pas tous changés, " il n'y aura que les saints qui auront part à cet heureux changement. Je sais qu'il y a quelques exemplaires qui portent : " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés; " mais il faut examiner si ces paroles due nous lisons ensuite : " Les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés, " peuvent s'accorder avec celles-ci qui précèdent : " Et nous serons tous changés ; " car si tous seront changés, et si tous les hommes doivent avoir part à ce changement, il était inutile de dire que nous serons changés. Il faut donc lire : " Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. " En effet si tous meurent en Adam, et si ce sommeil dont parle l'Apôtre est une véritable mort, il faut conclure que nous dormirons, c'est-à-dire que nous mourrons tous. " Dormir, " selon la manière de parler de l'Écriture sainte, c'est être mort dans l'espérance de ressusciter un jour; car ceux qui dorment ne manquent point de se réveiller, à moins qu'une mort subite ne vienne les surprendre et les enlever d'entre les bras du sommeil. Lorsque tous les hommes auront subi les lois de la nature et de la mort, alors les justes seuls passeront à un état plus heureux et selon l'âme et selon le corps; de manière que tous les hommes ressusciteront en un état d'incorruptibilité, et qu'il n'y aura que les saints qui seront changés et revêtus d'une gloire immortelle. "

Quant à ce qui suit: "En un moment (ce que le texte grec exprime par le mot atome), en un coup d'oeil, " ou, "en un clin d'oeil " (car ces deux différentes leçons se trouvent dans les exemplaires grecs) , voici comme Didyme l'explique: " Les hommes étant tous ressuscités en un même instant, ils seront emportés clans les nuées pour aller au-devant du Seigneur; ce qui néanmoins ne doit s'entendre que de ceux qui seront morts; car lorsque l'Apôtre dit que tous les hommes ressusciteront en un instant, en un clin d'oeil, en un moment, il détruit l'opinion chimérique de ceux qui prétendent qu'il y aura deux résurrections, et que les uns ressusciteront les premiers et les autres les derniers. Le mot atome, qu'on lit dans les exemplaires grecs, marque un temps indivisible, un moment que l'on ne peut partager. Tels sont les atomes dont Epicure prétend que le monde est composé. Et ce " coup d'oeil, " ou ce " clin d'oeil " dont parle l'Apôtre et que les Grecs expriment par le mot ropé, marque un mouvement si prompt et si subit qu'à peine peut-on l'apercevoir; mais parce que la plupart des exemplaires grecs portent ripé au lieu de ropé, on doit dire selon cette leçon que, comme un tourbillon de vent enlève de terre et emporte avec rapidité au milieu de l'air une plume, une paille, une feuille d'arbre, de même les morts sortiront en un clin d'oeil de leurs tombeaux , et se présenteront devant le tribunal de celui qui doit les juger.

" Saint Paul ajoute : " Au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité. " Ce bruit de la trompette nous marque deux choses : ou le son terrible de la voix qui doit appeler les morts , selon ce que dit un prophète : " Faites retentir votre voix comme une trompette ", ou l'évidence de la résurrection, selon ce que nous lisons dans l'Evangile : " Lorsque vous donnez l'aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, " c'est-à-dire Faites votre aumône en secret, de peur qu'on ne croie que vous faites servir à votre gloire et à votre réputation la misère et l’indigence du pauvre.

" Mais on demande pourquoi saint Paul dit que les morts ressusciteront " au son de la dernière trompette ; " car puisqu'il l'appelle " la dernière, " il suppose qu'il y en a déjà eu d'autres dont on a entendu le son. Saint Jean nous représente dans son Apocalypse sept anges avec des trompettes, et nous marque en même temps ce que faisait chacun d'eux, c'est-à-dire le premier, le second, le troisième, le quatrième, le cinquième et le sixième, en sonnant de la trompette. Mais lorsque le dernier, c'est-à-dire le septième, en sonnera, alors les morts ressusciteront avec des corps incorruptibles, qui auparavant avaient été sujets à la corruption. C'est pour cela que saint Paul, expliquant ce qui doit arriver après le son de la dernière trompette, dit: " Car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. " Quand il dit : " nous serons changés, " il fait assez connaître qu'il n'aura pas le même sort que les morts. Pour bien comprendre ceci il faut, savoir que, selon quelques-uns, cet état incorruptible dans lequel les morts ressusciteront regarde les corps, et que ce changement dont parle l'Apôtre regarde les âmes, qui seront changées par un nouvel accroissement de gloire lorsqu'elles seront parvenues à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être formé en nous. D'autres au contraire prétendent que par les "morts " on doit entendre : les pécheurs, qui ressusciteront en un état incorruptible pour être livrés à des supplices éternels, et que par ceux qui "seront changés ", on doit entendre les saints qui vont de vertus en vertus, et qui s'élèvent comme par degrés au comble de la gloire. Ainsi ce qu'ajoute l'apôtre saint Paul : " Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité , " est une suite de ce qu'il avait dit auparavant : " Les morts ressusciteront en un état incorruptible; " de même que ces paroles "Et il faut que ce corps mortel soit revêtu d'immortalité, " ont rapport à celle-ci qui précèdent: " Et alors nous serons changés. " En effet il y aune grande différence entre " immortalité " et " incorruptibilité ", de même qu'entre " mortel " et corruptible. " Tout ce qui est mortel est corruptible, mais tout ce qui est corruptible n'est pas mortel ; tous les corps inanimés sont sujets à la corruption: cependant ils ne sont pas sujets à la mort, parce qu'ils sont privés de la vie qui n'appartient qu'aux êtres animés. C'est pour cela que l'apôtre saint Paul, parlant de la résurrection future, a joint l'incorruptibilité à la corruption et l'immortalité à la mortalité. "

Acace, qui après Eusèbe de Pamphile fut fait évêque de Césarée, appelée auparavant la tour de Strabon, s'étant proposé cette difficulté dans le quatrième livre de son Recueil des différentes questions, la traite fort au long selon les deux différentes leçons que portent les exemplaires grecs. Après le commencement, que je passe, voici ce qu'il ajoute : " Expliquons d'abord ce passage de la manière qu'il se trouve dans la plupart des exemplaires. "Voici, " dit saint Paul, " un mystère que je m'en vais vous dire: nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. " Cet apôtre, ayant dessein de traiter à fond de la résurrection, l'appelle " un mystère " afin de rendre ses auditeurs attentifs. Par ce sommeil dont il parle on doit entendre: la mort, qui est commune à tous les hommes. C'est pour cela qu'il dit : " Nous dormirons, " c'est-à-dire: nous mourrons tous ; de même qu'il avait dit auparavant : " Comme tous meurent en Adam, tous aussi revivront en Jésus-Christ. " Puis donc que tous les hommes doivent mourir , "voici un mystère que je m'en vais vous dire : " c’est que " nous mourrons tous, mais nous ne serons pas tous changés; car la trompette sonnera ( c'est le septième ange dont parle l'Apocalypse qui en doit sonner) et les morts ressusciteront en un état incorruptible. " Que si les morts ressuscitent dans un état incorruptible, comment peut-on dire qu'à ne seront point changés, puisque cet état d'incorruptibilité est un changement ? C'est que par ce changement qui doit arriver à saint Paul et aux saints on doit entendre : la gloire dont ils seront revêtus; mais tous les hommes en général ressusciteront dans un état incorruptible, parce qu'en cet état les pécheurs seront d'autant plus malheureux que leur incorruptibilité rendra leurs peines éternelles, et qu'ils ne pourront les voir finir par la destruction d'un corps mortel et corruptible.

" L'apôtre saint Paul dans cette épître nous fait voir, sous des symboles mystérieux, que les morts ressuscités seront d'une condition différente, non point quant au corps mais quant à la gloire, parce que les uns ressusciteront pour être condamnés à des supplices éternels, et les autres pour être couronnés d'une gloire immortelle. " " Autre est la chair des oiseaux, " dit cet apôtre, " autre celle des poissons, autre celle des bêtes. Il en arrivera de même, " ajoute-t-il, " dans la résurrection des morts. " Aussi le sentiment le plus commun de l'Eglise est que tous les hommes mourront, mais que tous ne seront pas changés ni revêtus de gloire, selon de que dit le prophète Daniel : " Toute cette multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre ressusciteront, les uns pour être couronnés d'une gloire immortelle, et les autres pour être couverts d'une éternelle confusion, " Car ceux qui ressusciteront pour être couverts d'une honte et d'une confusion éternelle ne ressusciteront pas pour être couronnés de cette gloire immortelle qui sera le partage de saint Paul et des autres saints. Nous croyons donc que ceux-là seulement seront changés qui ressusciteront pour la gloire, et que les morts, c'est-à-dire : les pécheurs et les infidèles, ne changeront point, mais ressusciteront en un état incorruptible pour être condamnés à des supplices éternels. "

" Expliquons maintenant ce passage selon l'autre leçon qui se trouve dans plusieurs exemplaires. "Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. " Quelques auteurs concluent de là que plusieurs personnes seront encore en vie à la fin du monde, et que si tous les hommes " ne dorment point, " tous aussi ne mourront pas; d'où ils tirent cette conséquence, que si tous ne meurent point, tous aussi ne ressusciteront pas. C'est ce qu'ils prétendent prouver par ces Paroles de l'apôtre saint Paul dans sa première épître aux Thessaloniciens : " Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu'alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air; et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. " Ces écrivains prétendent prouver par là que saint Paul et ceux qui écrivaient cette épître avec lui étaient persuadés qu'ils ne mourraient point, mais que la fin du monde les trouverait encore en vie. Si cela était vrai, saint Paul se serait trompé par une erreur bien grossière en se flattant de vivre jusqu'à la consommation des siècles ; espérance chimérique et dont l’expérience fait assez voir l'illusion.

" Cependant les fidèles de Thessalonique, qui ignoraient le mystère de la résurrection, donnaient dans ces sortes de visions; et incertains qu'ils étaient de leur destinée et pleins de ces chimères , ils disaient : " Puisque saint Paul doit vivre jusqu'à la fin du monde, il faut que le jour du jugement soit proche. " C'est pourquoi cet apôtre, dans la seconde lettre qu'il leur écrivit, tâche de les faire revenir de leurs préjugés. " Nous vous conjurons, mes frères, " leur dit-il, par l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et par notre réunion avec lui, de ne vous laisser pas légèrement ébranler dans votre premier sentiment, et de ne vous pas troubler en croyant, sur la foi de quelque prophétie ou sur quelque discours ou quelque lettre que l'on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur soit près d'arriver. Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit, car il ne viendra point que la révolte et l'apostasie ne soient arrivées auparavant, et qu'on n'ait vu paraître cet homme de péché qui doit périr misérablement ; cet ennemi de Dieu qui s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses lorsque j'étais encore avec vous? " Saint Paul ne leur parle de la sorte que pour les détromper, et pour les empêcher d'expliquer dans un mauvais sens et contre son intention ces paroles de la première épître qu'il leur avait écrite : " Nous qui vivons, et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; " car il n'y a pas d'apparence que cet apôtre se flattât de vivre éternellement dans un corps mortel, d'être affranchi des lois de la mort, et de passer tout à coup et sans mourir de cette vie au royaume du ciel, lui qui dans son épître à Timothée avait dit : " Car pour moi je suis sur le point d'être sacrifié, et le temps de ma mort s'approche; " ce qu'il répète dans son épître aux Romains: " Qui me délivrera, " dit-il, " de ce corps de mort? "et aux Corinthiens : " Pendant que nous habitons dans ce corps, nous sommes éloignés du Seigneur . et hors de notre patrie : or nous aimons mieux sortir de la maison de ce corps, pour aller habiter avec le Seigneur. " Cet apôtre ne pouvait parler de la sorte sans être persuadé qu'il devait mourir un jour. Il vaut donc mieux expliquer ce passage dans un sens spirituel, et entendre par ce sommeil dont parle saint Paul, non pas la mort naturelle qui sépare l'âme d'avec le corps, mais les péchés que l'on commet après avoir reçu la foi de Jésus-Christ, et ce sommeil fatal où l'on se plonge après le baptême, selon ce que dit le même apôtre dans son épître aux fidèles de Corinthe : "C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort; " et dans un autre endroit: " Ceux qui sont morts en Jésus-Christ ont donc péri sans ressource? " car quoiqu'ils soient morts, cependant ils ne périront point éternellement, parce qu'ils ne sont point coupables de péchés mortels mais seulement de quelques fautes légères. C'est ce qui faisait dire à un autre saint: " Eclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne m'endorme jamais dans la mort; " car il y a un sommeil où nous plonge le péché et qui conduit à la mort, et un assoupissement causé aussi parle péché mais qui n'a rien de funeste et de mortel. Ceux donc qui vivent de celui qui dit : " Je suis la vie " (car " notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ,) et qui, toujours étroitement unis à lui, ne commettront aucun péché qui leur donne la mort, ceux-là seront du nombre des vivants, dont le Sauveur dit dans l'Evangile de saint Jean: " Celui qui croit en moi ne mourra point ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. " C'est à l'exemple de ce divin Sauveur, et en suivant ses maximes, que saint Paul dit à ses disciples : " Nous ne dormirons pas tous; " car celui qui s'appliquera avec tout le soin possible à la garde de son; coeur et qui, toujours attentif aux commandements de Jésus-Christ, se souviendra de ce qu'il dit à ses apôtres : Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle heure le voleur doit venir ; " et de cette maxime du sage: " Ne laissez point aller vos yeux au sommeil et que vos paupières ne s'assoupissent point, afin que vous puissiez vous échapper du piège comme la chèvre et vous sauver des filets comme l'oiseau; " celui, dis-je, qui vivra de la sorte, ne dormira point du sommeil de la mort.

" Comme il y en a donc qui ne dorment point, qui veillent sans cesse, et qui sont toujours vivants en Jésus-Christ , il s'ensuit que " tous ne dormiront point, " et qu'au contraire " tous seront changés; " non pas pour être couronnés de gloire, ce qui n'appartient qu'aux saints, mais pour passer de la corruption à un état incorruptible, dans lequel les uns jouiront d'un bonheur qui ne finira jamais et les autres seront condamnés à des peines éternelles. Que s'il se trouve quelqu'un qui par sa négligence à remplir ses devoirs tombe dans la langueur et dans l'assoupissement, on peut lui appliquer ce que dit le prophète : " Celui qui dort ne pourra-t-il donc pas ressusciter? " mais s'il ne dort point, et si par une attention continuelle sur lui-même il est toujours vivant en Jésus-Christ, alors il passera de cette vie à une plus heureuse, et sera emporté dans les nuées pour vivre toujours avec le Seigneur. Tel était Lazare dont le Sauveur dit: " Notre ami Lazare dort; " et c'est de ce sommeil qu'il voulait parler lorsqu'il disait à Marthe: " Celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. " En effet si celui qui met toute son espérance en Jésus-Christ vient à tomber par faiblesse et à mourir dans le péché, il ne laissera pas de vivre, et sa foi sera pour lui la source et le principe d'une vie éternelle. Mais pour ce qui est de cette mort qui est commune à tous les hommes, les fidèles et les Infidèles y seront également sujets, et tous ressusciteront, les uns pour être couverts d'une confusion éternelle, et les autres _ pour être couronnés d'une gloire immortelle qu'ils auront méritée par leur foi. Ainsi Ion peut dire que celui qui croit en Jésus-Christ ne mourra point, et qu'il vivra éternellement quand bien même il serait mort, mais de cette mort corporelle dont personne n'a été exempt, si l'on en excepte Enoch et Elie.

Ceux-là donc " ne dormiront point," c'est-à-dire: ne mourront point, qui par la grandeur et la vivacité de leur foi vivent toujours en Jésus Christ; mais ils imiteront la vie des apôtres, qui ire se sont jamais endormis du sommeil de la, mort, parce qu’ils ne se sont jamais écartés des voies de la justice, et qu'ils se sont uniquement attachés par la foi à celui qui est la résurrection et la vie. " L'âme qui aura péché, " dit un prophète, " mourra elle-même. " Comme donc l'âme qui pèche est morte dans le corps même qu'elle anime, et que, selon l’Ecclésiaste, elle meurt au rament même qu'elle pèche, de même une âme qui aura été fidèle à observer les commandements de Jésus-Christ, vivra éternellement, quoique séparée par la mort du corps qu'elle animait. Or il faut savoir que des deux différentes levons que nous avons expliquées, la meilleure et la plus conforme au sens de saint Paul est celle-ci : " Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés, " parce que cet apôtre ajoute immédiatement après. "Les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés; " car si, selon l’autre leçon, "tous doivent être changés" comment saint Paul a-t-il pu dire dans la suite, pour marquer le privilège particulier des apôtres : " Nous serons tous changés? " Quand il dit " nous, " c'est des saints et des justes qu'il veut parler. "

Vous me demandez encore comment on doit entendre ces paroles de la première épître de saint Paul aux fidèles de Thessalonique : " Aussi nous vous déclarons, comme l'ayant appris du Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; puis nous autres, qui sommes vivants et qui serons restés jusqu'alors , nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. " Quoique Acace ait expliqué ce passage assez au long, comme nous l'avons vu ci-dessus, je vais néanmoins vous rapporter ce que pensent les autres, je veux dire Théodore, Apollinaire et Diodore, qui sont sur cela d'un même sentiment. Voici comment Diodore s'en explique. " Lorsque saint Paul dit: " Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, " il ne prétend pas que le jour de la résurrection le trouvera en vie, lui et les autres; mais il dit " nous, " c'est-à-dire : les justes, du nombre desquels je suis; car ce sont eux et non pas les pécheurs qui seront emportés dans les nuées. Or par ceux qui sont en vie on ne doit pas entendre dans un sens spirituel : les saints qui ne sont pas morts par le péché, mais tous ceux que Jésus-Christ à son avènement trouvera en vie. Quant à ce qui suit: "Nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort, " cela doit s'entendre des morts et non pas des pécheurs, car ceux-ci ne seront point emportés avec les justes pour aller au-devant de Jésus-Christ. Mais à quoi m'arrête-je, et pourquoi chercher du mystère dans ces paroles de saint Paul: " Nous qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, " puisque Jésus-Christ lui-même s'en explique dans l'Évangile lorsqu'il dit : " Comme du temps de Noé les hommes épousaient des femmes et les femmes st mariaient, et que le déluge survenant tout à coup les fit tous périr, ainsi arrivera-t-il à l'avènement du Fils de l’homme ; " ce qui fait voir que plusieurs seront encore en vie à la fin de manade. L'Apôtre ajoute : " Aussitôt que le signal aura été donné par la voie de l'archange, ceux qui sont morts ressusciteront les premiers. " Cela s'accorde encore avec ce que Jésus-Christ dit dans l’Evangile : " L'Époux vint sur le minuit. " Or en venant de la sorte il en trouvera plusieurs en vie, puisque " de deux personnes qui seront dans le même lit, l'un sera pris et l'autre laissé, et que de deux femmes qui moudront ensemble, l'une sera prise et l'autre laissée; " d'où l'on doit conclure que la fin du monde arrivera sur le minuit et lorsque les hommes y penseront le moins. "

Origène, dans ses commentaires sur la première épître de saint Paul aux Thessalonieiens, après avoir traité plusieurs questions avec beaucoup de solidité et d'éloquence, s'explique en ces termes sur celles-ci dans le troisième livre, d'où il paraît qu'Acace a pris bien des choses. " Comment doit-on entendre ce que saint Paul, Sylvain et Timothée écrivent aux fidèles de Thessalonique? " Nous vous déclarons, comme l'ayant appris tau Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort. " Qui sont ceux qui parlent de la sorte et qui se flattent d'être encore en vie à ce dernier jour ? C'est saint Paul, "cet apôtre qui n'a point été envoyé de la part des hommes, ni élevé à l'apostolat par les hommes; " c'est Timothée, " son très-cher disciple dans la foi; " c'est Sylvain, qui leur est étroitement uni par les liens que forment l'amitié et la vertu. Tous ceux qui, comme saint Paul, sont remplis de la science des saints et mènent une vie pure et innocente, peuvent dire aussi bien que lui: " Nous qui vivons, " c'est-à-dire : nous dont à la vérité le corps est mort par le péché, mais dont l'esprit est vivant par la justice; nous qui avons fait mourir les membres de l'homme terrestre qui est en nous, en ce que la chair n'a plus de désirs contraires à ceux de l'esprit. Car si la chair forme encore des désirs elle est vivante, et les membres de l’homme terrestre qui est en nous ne sont pas encore morts; mais quand on a eu soin de les faire mourir ils n'ont plus de désirs contraires à ceux de l'esprit, et la cupidité s'éteint en eux avec la vie. Comme donc ceux à qui ont passé de la vie présente à une vie plus heureuse vivent d'une manière plus parfaite, dégagés qu'ils sont des liens du corps et affranchis du joug de cupidité , de même ceux qui portent toujours en leurs corps la mort de Jésus ne vivent point selon la chair mais selon. l'esprit, parce qu'ils vivent en celui qui est la vie et que Jésus-Christ vit en eux, lui qui est la. vertu et la sagesse de Dieu, et dont il est écrit : " La parole de Dieu est vivante et efficace. " En effet ceux-là sont véritablement vivants qui; délivrés de toutes les faiblesses humaines, ont pour principe de leur vie et de leurs actions la justice et la vertu de Dieu et cette sagesse qui est cachée en Dieu; car Jésus-Christ nous a été donné par Dieu pour être non-seulement notre justice, mais. notre sagesse et tout ce qui s'appelle vertu.

" Si les auteurs de cette épître ne se distinguaient que dans ce seul endroit de ceux qui dorment et qui sont morts en Jésus,Christ, il serait inutile de s'y arrêter et de faire fond sur un seul passage ; mais saint Paul, écrivant aux Corinthiens, s’explique encore dans le même sens et dans le même esprit. " Nous ne dormirons pas tous, " dit cet apôtre," mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. " Comparez ce passage de l'épître aux Thessaloniciens : "Aussitôt que le signal aura été donné par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du. ciel," avec celui de l'épître aux Corinthiens : " Car la trompette sonnera, etc. " Comparez aussi ces paroles de la même épître aux Thessaloniciens : " Et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers, " avec celles-ci de l'épître aux fidèles de Corinthe : " Et les morts ressusciteront en un état incorruptible. " Comparez enfin ce que saint Paul dit dans celle-ci : " Et alors nous serons changés, " avec ce qu'il ajoute dans celle-là : " Puis nous autres qui sommes vivants et qui serons restés jusqu’alors ; " et vous verrez qu'on peut expliquer ces passages de cette manière: Nous qui sommes vivants et qui serons réservés jusqu'alors, nous qui serons changés et qui ne sommes point du nombre de ceux qu'on appelle " morts," mais qui sommes vivants; nous attendons non point dans la mort, mais. dans la vie, la présence et l'avènement du Seigneur, parce que nous sommes de la race d'Israël et de ce petit nombre d'élus dont le Seigneur a dit autrefois: " Je me suis réservé sept mille hommes qui n'ont point fléchi le genou devant Baal. " Jésus-Christ, dans l’évangile selon saint Jean, nous décrit deux sortes de vivants et de morts. " Celui qui croit en moi, , dit-il, " quand il sera mort vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. " Si l'on prend le mot " vivants " dans le sens que nous avons déjà marqué, on doit croire aussi que ceux qui dorment et qui sont morts en Jésus-Christ sont ceux qui, voulant vivre selon ses maximes, sont néanmoins morts par le péché. Or si l'on appelle " vivants " ceux qui sont du petit nombre de ceux que Dieu a choisis selon sa grâce, on doit dire aussi que ceux qui n'ont pas la même foi et qui ne sont point de la noble race d'Israël " dorment, " c'est-à-dire: sont morts en Jésus-Christ.

" Quelques auteurs expliquent ainsi ce passage : On appelle " vivants " ceux qui ne sont jamais morts par le péché; mais, pour ceux qui ont péché et qui sont morts dans leur péché, s'ils viennent à expier par la pénitence les crimes de leur vie passée, on les appelle " morts" parce qu'ils ont péché, mais " morts en Jésus-Christ " parce qu’ils se sont convertis à Dieu de tout leur cœur. Mais pour ceux qui sont vivants, qui demeurent fermes dans la confession de la foi, qui n'ont point encore, reçu la récompense qu'on leur a promise, et qui estiment assez leur prochain pour croire qu'ils ne seront couronnés qu'avec les autres justes, ceux-là jouissent d’un bonheur qui consiste dans le témoignage de leur propre conscience, et dans l'avantage qu’ils ont de vivre et d’être réservés pour l’avènement du Sauveur. Mais, parce que Dieu est miséricordieux et qu'il veut sauver aussi ceux qui sont endormis et morts en Jésus-Christ, il ne permettra pas que ceux qui sont encore en vie les préviennent et soient emportés seuls dans les nuées; mais, selon la parabole de l'Evangile, il donnera une même récompense et à ceux qu'il a envoyés à sa vigne dès le matin et à ceux qui n'ont commencé à travailler qu'à la onzième heure. Et on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait de l'injustice à récompenser également ceux qui n'ont pas également travaillé; car il y a une grande différence entre ceux qui ont été guéris des blessures qu'ils avaient reçues et ceux qui n'ont jamais été assujettis à l’erreur et à la mort, et dont il me semble que le prophète-roi a voulu parler lorsqu'il a dit :

" Qui est Monime qui pourra vivre sans voir la mort et qui retirera son âme de la puissance de l'enfer. " Lorsque ce prophète dit: " Qui est l’homme qui pourra, " il ne veut pas dire, comme quelques-uns se l'imaginent, que personne ne pourra vivre sans voir la mort; mais c'est comme s'il disait : " Qui pensez-vous qui pourra vivre sans voir la mort? selon ce qu'il dit lui-même dans un autre endroit : " Seigneur, qui demeurera dans votre tabernacle?" et ce que dit un autre prophète: " Qui est assez sage pour comprendre ces merveilles? " et l’apôtre saint Paul: "Qui est-ce qui a connu les desseins de Dieu? " Il n'y aura donc qu'un petit nombre de fidèles qui seront réservés pour voir l’avènement du Seigneur dans son humanité, non point telle qu'elle paraissait aux yeux des hommes, dépouillée de toute sa grandeur, mais glorieuse, triomphante et revêtue de toute sa majesté.

" Examinons maintenant en quel sens l'Apôtre appelle " endormis et morts en Jésus-Christ. ceux que les vivants ne pourront prévenir. Celui-là s'endormira et languira dans un assoupissement criminel qui n'observera point cette maxime du sage: " Ne laissez point aller vos yeux au sommeil et que vos paupières ne s'assoupissent point, afin que vous puissiez vous échapper du piège comme la chèvre et vous sauver des filets, comme l'oiseau." Il passera même de ce sommeil léthargique, à celui de la mort. Car comme celui qui est éveillé se remue et se donne du mouvement, celui au contraire qui dort est immobile et son assoupissement est une image de la mort. Or, que du sommeil l’on passe à la mort, saint Paul nous le fait voir dans son épître aux Corinthiens lorsqu'il dit : "Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment, parce que la mort est venue par un homme; " , et un peu après: " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. " Puis donc que le sommeil est une véritable mort et que l'Apôtre nous dit : " Levez- vous, vous qui dormez; sortez d'entre les morts et Jésus-Christ vous éclairera," nous devons, comme le prophète

roi, jurer au Seigneur, et faire du fond du coeur ce vœu au Dieu de Jacob : " Je ne monterai point sur le lit qui est préparé pour me coucher; je ne permettrai point à mes yeux de se fermer, ni à mes paupières de s'appesantir, jusqu'à ce que je trouve " dans mon " âme une place pour le Seigneur et un tabernacle pour le Dieu de Jacob, " où il puisse prendre son repos et demeurer éternellement.

" Saint Paul ajoute: "Aussitôt que le signal aura été donné, le Seigneur lui-même descendra du ciel, etc. " Il descendra et sera envoyé par son père, non point avec une puissance différente de la sienne, mais avec le caractère et l'autorité de juge; il descendra vers les hommes, lui qui est le Verbe, la vérité, la justice et la sagesse de Dieu; et quoique ceux vers qui il daignera descendre soient morts, cependant ils ne seront point étrangers à son égard, parce qu'ils seront ci morts en Jésus-Christ." Quant à ceux qui existeront encore, ils auront un privilège tout particulier, celui d'être choisis dans la masse. Cependant et les uns et les autres seront " emportés " tout à la fois " dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur." Ils n'attendront pas qu'il soit descendu sur la terre, mais ils iront au-devant de lui, afin de jouir au milieu de l'air de sa compagnie et de sa présence. Jusqu'à quel excès Jésus-Christ ne porte-t-il pas sa bonté et sa miséricorde envers les hommes! il ne s'est pas contenté de se revêtir d'une chair humaine pour les sauver, il va encore les chercher jusque dans leurs tombeaux pour les ressusciter. Aussi nous avait-il donné dans sa mort même des signes de vie par l'eau et le sang qui sortirent de son côté. Jugeons des merveilles de son second avènement par les mystères du premier. Saint Jean, son précurseur, comme nous le lisons dans l'Evangile, disait . ci Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, etc. " Et que criait-elle dans le désert cette voix? " Préparez les voies du Seigneur, rendez droits et unis ses sentiers. " Et quelle devait être la récompense de ceux qui auraient soin de préparer ses voies? " Toute vallée sera remplie ; toute montagne et toute colline sera abaissée; les chemins tortus deviendront droits et les raboteux unis, et tout homme verra le Sauveur envoyé de Dieu," parce que " le Verbe a été fait chair et qu’il a habité parmi nous. " Mais au jour du jugement ce ne sera point la voix d'un prophète qu’on entendra dans le désert, ce sera la voix d'un archange qui préparera la voie du Seigneur lorsqu'il viendra, non point revêtu des faiblesses et des infirmités de la chair, mais environné de la gloire et de la majesté qu'il possède avec son père comme fils de Dieu. Dans le premier avènement tous les peuples allaient en foule dans le désert pour entendre le précurseur d’un Dieu fait homme, et pour voir ce " roseau agité du vent," dont on a fait des chalumeaux et des flûtes pour ces enfants qui, selon l'Evangile, se disaient les uns aux autres : " Nous avons joué de la flûte devant vous, et vous n'avez point dansé; " mais dans le second, lorsque le Seigneur descendra du ciel, il sera précédé d'un archange qui sonnera de la trompette pour appeler tous les fidèles, ou au combat, ou aux fonctions du sacerdoce, d'après ce que nous lisons dans le livre des Nombres, que les prêtres sonnaient de la trompette tandis qu'on offrait des holocaustes et des hosties pacifiques. Que si la voix de l'ange et de l'archange qui sonneront de la trompette doit être si forte, combien plus éclatant sera le son de "la trompette de Dieu" qui préparera les voies, premièrement de ceux qui seront endormis et morts en Jésus-Christ, et ensuite de ceux qui seront restés en vie et qui attendront l'avènement du fils de Dieu! Peut-être n’aura-t-on besoin que d'une trompette ordinaire pour réveiller ceux qui seront endormis et morts en Jésus-Christ; mais quant à ceux qui seront en vie et réservés pour jouir de la présence du Seigneur, il faudra employer la voix terrible de l'archange et le son éclatant de la trompette de Dieu.

" Voyons maintenant comment on doit entendre ce qui suit: " Nous serons emportés avec eux dans les nuées. " Il me semble que saint Paul ne s'est servi du mot " emporter " que pour nous donner à entendre qu'il devait passer tout à coup à une vie plus heureuse, et, que son changement devait être si prompt et si subit qu'il n'aurait pas même le temps d'y faire réflexion. Il Se sert de la même expression dans un autre endroit en disant: Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je n'en sais rien; Dieu le sait), qui fuit ravi, dis-je, jusqu'au troisième ciel; et je sais que cet homme (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je n'en sais rien; Dieu le sait), que cet homme, dis-je, fut ravi dans le Paradis, et qu'il y entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de rappeler. " Les uns se sont avancés et perfectionnés peu à peu jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés au comble de la perfection; les autres, comme nous le lisons dans l'Ecriture, ont été transportés au ciel; mais, pour saint Paul, ce vaisseau d'élection, il a été ravi jusqu'au troisième ciel, et c'est pour cela qu'il y a entendu des paroles ineffables.

" Il faut aussi examiner comment ceux qui seront emportés dans les nuées " iront au-devant du Seigneur. L'Ecriture sainte nous représente les prophètes comme des nuées. C'est à ce. nuées mystérieuses que Dieu a commandé de ne point pleuvoir sur Israël depuis que ce peuple a achevé de combler la mesure de ses pères, et desquelles il est écrit: " La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean-Baptiste. " Mais comme Dieu a donné à son Eglise quelques-uns pour être apôtres et quelques autres pour être prophètes, on doit entendre par ces nuées, non-seulement les prophètes, mais aussi les apôtres. Celui donc qui est emporté " pour aller au-devant de Jésus-Christ" monte sur les nuées mystérieuses de la loi et de l’Evangile, c'est-à-dire sur les prophètes et sur les apôtres; et, prenant les ailes de la colombe, il s'élève en haut, soutenu par la doctrine de ces grands hommes, et il va " à la rencontre du Seigneur, " non point sur la terre, mais " au milieu de l'air, " c'est-à-dire dans l'intelligence des saintes Ecritures. Or quand une fois il se sera élevé au-dessus de toutes les choses de la terre et qu'il aura rencontré le Seigneur, soit endormi et mort en Jésus-Christ, soit encore vivant et réservé pour jouir de sa présence, il vivra toujours avec le Seigneur et possédera éternellement celui qui est le Verbe, la vérité, la justice et la sagesse de Dieu. "

J'ai dicté ceci fort à la hâte pour vous faire voir quel est le sentiment des plus savants interprètes sur ce passage de l'Apôtre, selon les différentes leçons qu'on trouve dans les exemplaires. Je me suis contenté de vous marquer les raisons qu'ils apportent polir prouver leur opinion; car comme je ne tiens aucun rang dans le monde, et que je n'y suis guère connu que par les calomnies de mes envieux qui nuisent sans cesse à ma réputation, il s'en faut bien que mon autorité soit d'un aussi grand poids que celle de ces hommes illustres qui nous ont précédés. Au reste, c'est par la doctrine qu'ils enseignent qu'on doit juger leurs ouvrages, et non pas, comme faisaient les disciples de Pythagore, par l'estime dont nous nous sommes laissés prévenir en leur faveur. Que si quelqu'un de leurs partisans me demande pourquoi je lis les traités de ceux dont je n'approuve pas la doctrine, je lui répondrai avec l'apôtre saint Paul: " Eprouvez tout, et approuvez ce qui est bon; " et avec le Sauveur (1) "Soyez habiles banquiers, " afin de rejeter les pièces fausses qui ne porteront ni l'image du prince ni la marque de la monnaie publique, et de mettre en réserve dans le fond de votre coeur celles qui seront marquées du sceau de Jésus-Christ. En effet, si je veux apprendre la dialectique, ou la philosophie, ou l'Ecriture sainte, je ne dois pas consulter des gens simples et ignorants qui, parmi les autres grâces dont Dieu les a comblés, n'ont pas reçu le don de la science ( " car chacun abonde en son sens, et dans une grande maison il y a des vases de plusieurs sortes ") ; mais je dois consulter ceux qui ont étudié sous d'habiles maîtres, et qui méditent jour et nuit la loi du Seigneur. J'ai dit autrefois, et je le répète encore aujourd'hui, qu'Origène et Eusèbe de Césarée sont d'une érudition très profonde, mais qu'ils ont. erré dans les dogmes de la foi. C'est ce qu'on ne peut pas dire de Théodore, d'Acace et d'Apollinaire (2). Cependant ils nous ont tous laissé des monuments célèbres de leurs travaux dans les commentaires qu'ils ont faits sur l'Ecriture sainte. On va chercher l'or jusque dans les entrailles de la terre, l'on tire du fond des rivières un gravier brillant et précieux, et fou estime plus le sable du Pactole que ses eaux. Pourquoi mes ennemis se déchaînent-ils contre moi avec tant de fureur ? pourquoi déchirent-ils si cruellement la réputation d'un homme qui ne leur dit mot? Entêtés qu'ils sont d'une vaine érudition dont ils se piquent, tout leur plaisir est de critiquer les ouvrages des autres, et de défendre l'erreur aux dépens même de leur foi.

(1) Ce passage, que les pères grecs citent fort souvent, ne se trouve plus aujourd'hui dans aucun de nos exemplaires ni grecs ni latins.

(2) saint Jérôme ne veut pas dire par là que ces trois écrivains n'ont point erré, mais il prétend qu'ils n'étaient pas si savants qu'Origène et Eusèbe de Césarée.

Pour moi, le parti que j’ai pris est de lire les ouvrages des anciens, de juger de tout, de profiter de ce que j'y trouve de bon, et de ne m'écarter jamais de la foi de l’Eglise catholique.

Comme je me disposais à répondre aux autres difficultés que vous m'avez proposées, et à vous dire ce que j'en pense on ce que les autres en ont pensé, notre cher frère Sisinnius est venu me demander les lettres que j'avais à vous envoyer, et à ceux de voire province qui me font la grâce de m'aimer : je ne vous en dirai donc pas davantage, et je me réserve , si Dieu me donne des jours, à vous expliquer le reste dans un autre ouvrage, afin de faire peu à peu ce que vous souhaitez de moi, et de ne me pas charger d'un fardeau trop pesant pour mon âgé. Avant de finir je vous dirai que eu paroles de la version latine: " Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés, " ne se trouvent point dans les exemplaires grecs, qui tous portent: " Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés ; " ou bien: " Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. " Je viens de vous dire dans quel sens on doit expliquer ces deux différentes leçons.

 

 

TRAITÉ SUR LES DEVOIRS D’UN TRADUCTEUR DES LIVRES SACRÉS.

AU SÉNATEUR PAMMAQUE.

L'apôtre saint Paul ayant à se défendre en présence du roi Agrippa des crimes qu'on lui imputait, et voyant qu'il avait à parler devant un juge éclairé et capable de comprendre ce qu'il avait à lui dire , sûr de sa victoire et de l'heureux succès de son affaire, il commence d'abord par lui témoigner la joie qu'il a de pouvoir plaider sa cause devant lui. " Je m'estime heureux, " lui dit-il, "ô roi Agrippa, de pouvoir aujourd'hui me justifier devant vous des choses dont les Juifs m'accusent, parce que vous êtes pleinement instruit de toutes leurs coutumes et de toutes les questions sur lesquelles ils sont partagés. " Cet apôtre avait lu ce que dit l'Ecclésiastique: " Heureux celui qui parle à l'oreille de celui qui l'écoute ; ", et il était persuadé d'ailleurs que l'éloquence d’un orateur n'a de poids et de force qu’autant que la prudence d'un juge sage et éclairé lui en donne.

Je ne m'estime pas moins heureux, mon cher Pammaque, du moins dans la conjoncture présente, d'avoir à répondre, devant un homme aussi savant et aussi habile que vous êtes, aux impostures d'un certain personnage qui m'accuse ou d'ignorance ou de mauvaise foi; d'ignorance, s'il est vrai que je n’ai pu traduire la lettre (de saint Epiphane), de mauvaise foi, si l'on prouve que je n'ai pas voulu en donner une traduction exacte et fidèle. De crainte donc que mon accusateur ne se serve de la liberté qu'il se donne de dire et de faire impunément tout ce qu’il lui plaît, ce qu’il n'entreprenne de me noircir dans votre esprit comme il a fait de l'évêque Epiphane, je vous écris cette lettre pour vous instruire à fond de toute cette affaire, afin que vous puissiez vous-même l'expliquer à ceux qui me font l'honneur de s'intéresser à moi.

Il y a environ deux ans que saint Epiphane écrivit à Jean, évêque de Jérusalem, une lettre dans laquelle, après l'avoir repris des erreurs où il était sur quelques dogmes de la foi , il l'exhorte avec beaucoup de douceur à en faire pénitence. C'était dans toute l'Egypte à qui aurait quelque copie de cette lettre, tant à cause du mérite et de la grande réputation de l'auteur que de l'urbanité et de l'élégance avec laquelle elle était écrite. Eusèbe, qui est d'une des premières familles de Crémone, et qui pour lors demeurait dans notre monastère, voyant que tout le monde parlait avec éloge de cette lettre, et que les ignorants aussi bien que les savants admiraient la profonde érudition de l'auteur et la pureté de son style, me pria instamment de lui en faire une traduction en latin ( car il n'avait aucune connaissance de la langue grecque ), et de la lui expliquer d'une manière si claire qu'il n'eût aucune peine à l'entendre. Je fis ce qu'il souhaitait de moi, et ayant fait venir un copiste, je dictai cette lettre fort à la hâte, ajoutant à la marge de petites notes pour donner une idée de ce que l'auteur traitait dans chaque chapitre; ce qu’Eusèbe m'avait prié de faire uniquement pour lui. Mais je le conjurai aussi de garder soigneusement cette traduction chez lui, et d'être fort réservé à la communiquer à d'autres. L’affaire en demeura là dix-huit mois, après quoi ma traduction , par un prestige nouveau, disparut tout à coup du cabinet d'Eusèbe et passa à Jérusalem. Celui qui la prit fut un faux frère : gagné par argent, comme il est aisé de le juger, ou poussé par sa propre malice , comme celui qui l'a engagé à faire une action si indigne s'efforce en vain de nous le persuader, il devint un nouveau Judas en volant tous les papiers d'Eusèbe, et en prenant l'argent qu'on lui avait promis pour récompense de son larcin. C'est ce qui a donné occasion à mes ennemis de se déchaîner contre moi, de me faire passer parmi les ignorants pour un faussaire, et de m'accuser de n'avoir pas traduit la lettre de saint Epiphane mot à mot, et surtout de m'être servi du mot très cher au lieu du mot honorable, et ce qui est encore plus criant, d'avoir retranché malicieusement ces paroles : " Père très digne d'honneur et de respect. " Voilà tout mon crime, et c'est sur des bagatelles de cette nature qu’on me fait un procès.

Mais avant de parler de ma traduction, je suis bien aise de demander à ces messieurs qui donnent à leur malice le nom de prudence: Où avez-vous eu une copie de cette lettre? de qui l’avez-vous reçue? comment êtes-vous assez, impudents pour oser produire ce que vous n’avez obtenu que par des voies injustes et criminelles? Quelle sûreté peut-on trouver parmi les hommes, si leur curiosité perce les murailles et va saisir jusque dans le cabinet nos secrets les plus cachés? Si je vous accusais de ce crime devant les tribunaux, je vous ferais condamner par les lois, qui, dans les choses mêmes où il y va de l'intérêt du public, punissent la fourberie des dénonciateurs. Il est vrai qu'elles savent profiter de la trahison; mais en même temps elles punissent le traître, et, s'accommodant de sa perfidie, elles ne laissent pas de blâmer la mauvaise volonté qui le fait agir. Il n'y a pas longtemps que l'empereur Théodose condamna Esychius, homme consulaire, à avoir la tète tranchée, pour avoir corrompu par argent le secrétaire du patriarche Gamaliel, son ennemi déclaré, et s'être emparé

de tous ses papiers. Nous lisons dans l'histoire qu'un maître d'école, ayant livré aux Romains les enfants des Falisques, fut livré lui-même à ces enfants et renvoyé, les mains liées, à ceux qu'il trahissait, le peuple romain ne voulant point être redevable de la victoire à la scélératesse d'un traître et d'un perfide. Nous lisons aussi que Fabricius rejeta avec horreur l'offre que lui vint faire le médecin de Pyrrhus, roi d'Epire, d'empoisonner ce prince, qui le faisait traiter dans son camp d'une blessure qu’il avait reçue , et même que ce généreux Romain renvoya à son maître ce perfide chargé de chaînes, pour faire voir qu'il condamnait un crime que l'on voulait commettre en la personne même de son ennemi.

Cependant cette bonne foi si recommandée par les lois, observée avec tant de religion par les ennemis, respectée dans la guerre et parmi les épées comme quelque chose de sacré, nous ne l'avons point trouvée parmi les moines et les évêques. Il y en a même parmi eux qui d'un air fier et dédaigneux viennent vous dire : "De quoi vous plaignez-vous? Si quelqu'un, à force d'argent et de sollicitations, a trouvé le moyen d'enlever les papiers d'Eusèbe, c'est qu'il y trouvait son compte et qu'il était de son intérêt de s'en saisir. " Belle raison! plaisante manière de se justifier! comme si les brigands, les voleurs et les pirates ne cherchaient pas à faire leur compte dans l'infâme métier qu'ils exercent, comme si Anne et Caïphe, en corrompant le malheureux Judas, n'avaient pas eu en vue leurs propres intérêts ! Si je veux jeter sur le papier toutes les fadaises qui me, passent par l'esprit, interpréter les saintes Ecritures, repousser avec des traits vifs et piquants ceux qui m'attaquent, répandre sur eux l'amertume et l'aigreur d'une bile échauffée, m'exercer sur tous les différents sujets qui se présentent à mon imagination, et mettre cela en réserve, comme autant de flèches bien aiguisées, pour m'en servir dans l'occasion contre mes ennemis, tant que je ne répandrai point dans le monde ce que j'ai pensé et écrit à leur désavantage, si mes pensées sont des médisances, elles ne sont point des crimes; que dis-je? elles ne peuvent même passer pour des médisances , puisque le public n'en a aucune connaissance. Il n'appartient qu'à vous de corrompre des serviteurs, de gagner des domestiques par vos sollicitations, de vous introduire à la faveur de l'or, comme dit la fable, dans les lieux les plus secrets où les Danaé sont enfermées , et, en dissimulant vos honteux artifices, de me traiter de faussaire, sans considérer que par cette accusation vous vous rendez beaucoup plus criminel que moi. Les uns vous appellent hérétique, les autres vous accusent d'avoir corrompu les dogmes de la foi : sur tout cela vous gardez un profond silence, vous n'oseriez répondre. Vous ne vous appliquez qu'à déchirer par vos calomnies celui qui a traduit cette lettre; vous lui faites un procès sur la moindre syllabe, et vous croyez vous être pleinement justifié en calomniant injustement un homme quine vous dit mot. Mais supposons que j'aie fait quelque faute ou omis quelque chose dans ma traduction (car voilà ce qui fait tout le sujet de notre dispute, et c'est par cet endroit-là seul que vous prétendez vous justifier), si je suis un mauvais interprète, doit-on conclure de là que vous n'êtes point hérétique? Je ne dis pas que vous le soyez, je n'en sais rien ; je laisse à celui qui vous en a accusé, et de vive voix et par écrit, à soutenir et à justifier son accusation; mais je trouve qu'il n'est rien au monde de plus ridicule et de plus impertinent que d'user de récrimination quand on est accusé de quelque crime, et de blesser un homme qui dort, pour se consoler des blessures dont on a le corps tout couvert.

Jusqu’ici j'ai répondu aux accusations de mon adversaire comme si effectivement j'étais coupable d'avoir changé quelque chose dans la lettre de saint Epiphane; je me suis contenté de faire voir que, si l'on trouve quelque faute dans ma traduction, il n'y a rien du moins dont on puisse me faire un crime; mais comme il est aisé de voir par la seule lecture de cette lettre que je n'en ai point changé le sens et que je n'y ai rien ajouté ni rien supprimé, mes accusateurs, qui se piquent si fort d'habileté et de bon goût, font bien voir qu'ils n'y entendent rien, et leur censure ne sert qu'à découvrir leur ignorance. Car pour moi, j'avoue et je déclare hautement que, dans mes traductions grecques et latines, je ne m’applique qu'à bien rendre le sens de l'auteur, sans m'attacher scrupuleusement aux paroles, excepté dans la traduction de l'Ecriture sainte, qui jusque dans l’arrangement des mots renferme quelque mystère. Je suis en cela l'exemple de Cicéron, qui a traduit le dialogue de Platon intitulé Protagoras, le livre de Xénophon, qui a pour titre l'Economique, et les deux belles oraisons que Démosthènes et Eschine ont faites l'un contre l’autre. Ce n’est pas ici le lieu de démontrer combien cet auteur a passé de choses dans sa traduction, combien il en a ajouté, combien il en a changé afin d'accommoder les expressions de la langue grecque au tour et au génie de la langue latine - il me suffit d'avoir pour moi l'autorité de ce savant interprète, qui, dans sa préface sur les deux oraisons d'Eschine et de Démosthènes, dit : " J'ai cru devoir entreprendre un travail fort peu nécessaire pour moi en particulier, mais qui sera très utile à tous ceux qui aiment l'étude des belles-lettres. J'ai donc traduit du grec en latin lès deux belles oraisons que Démosthènes et Eschine, qui ont été les plus fameux orateurs de toute la Grèce, ont composées l'un contre l'autre. Je les ai, dis-je, traduites non pas en interprète, mais en orateur, conservant les sentences et leurs différentes formes et figures, et me servant dans tout le reste des termes propres à notre langue. J'ai jugé qu'il n'était pas nécessaire de m'assujettir à rendre le texte mot pour mot, niais seulement d'exprimer toute la force et toute la propriété des termes ; car j'ai cru que je ne rendais pas à mon lecteur ces termes par compte, mais au poids. " Il dit encore sur la fin de cette même préface: " J'espère qu'on trouvera dans ma traduction les mêmes pensées et les mêmes figures dont ces auteurs se sont servis exprimées avec la même force et dans le même ordre qu'elles ont dans l'original. Quant aux paroles, je ne m'y suis attaché qu'autant qu'elles ont pu se prêter au goût et aux usages de notre langue; et si je ne les ai pas traduites mot à mot, j'ai du moins fait en sorte d'en conserver le sens et la véritable signification. "

Horace, ce savant poète dont les pensées sont si belles et si délicates, est de même sentiment, et il ne veut pas qu'un habile interprète, par une exactitude scrupuleuse et une fidélité mal entendue, s'assujettisse à rendre mot à mot les paroles de son auteur. On sait que Térence a traduit Ménandre, et que Plaute et Cécilius ont aussi traduit les anciens poètes comiques; mais se sont-ils attachés scrupuleusement aux paroles ? Non, ils se sont contentés de conserver dans leur traduction toute l'élégance et toute la beauté de leur original. Ce que vous appelez une traduction exacte et fidèle, les savants l'appellent une superstition ridicule et une impertinente imitation. De là vient que, dans la traduction que je fis, il y a environ vingt ans, de la Chronique d'Eusèbe de Césarée, instruit que j'étais par l'exemple de ces grands hommes, et imbu dès lors, comme je le suis encore aujourd'hui, des maximes qu'ils nous ont enseignées et dont je ne prévoyais pas que vous dussiez un jour me faire un crime je dis entre autres choses dans ma préface : " Il est bien difficile de suivre un auteur pied à pied sans s’en écarter jamais, et de faire une traduction qui réponde à l'élégance et à la beauté de l'original. Un auteur n'aura employé qu'un seul mot, mais choisi et très propre pour exprimer sa pensée ; et comme la langue dans laquelle je traduis ne fournit aucun terme qui ait la même force et la même signification, il faut que j'emploie plusieurs termes pour rendre sa pensée, et que je prenne un long détour pour faire peu de chemin. Il y aura dans le texte original des mots transposés, des cas différents, diverses sortes de figures, en un mot un caractère particulier et un certain tour qui n'est propre qu'à cette langue : si je veux m'assujettir à le traduire mot à mot, je ne dirai que des absurdités, et si je me trouve obligé malgré moi à déplacer ou à changer quelque chose, on dira que je n'agis plus en interprète. " Après plusieurs autres choses qu'il est inutile de répéter ici, j'ajoute : " Que si quelqu'un prétend que dans une traduction une langue ne perd rien de sa beauté et de sa délicatesse, qu'il traduise donc Homère en latin, et même en prose. je suis sûr que sa traduction sera ridicule, que tout y sera renversé et défiguré, et que ce grand poète, y paraîtra à peine bégayer. "

Tout ce que je prétends par là est de faire voir que, dans toutes les traductions que j'ai faites depuis ma jeunesse jusques ici, je ne nie suis attaché qu'au sens, et non point à la lettre. Mais comme mon autorité en cela n'est peut-être pas d'un assez grand poids pour qu'on y doive avoir égard, lisez, je vous prie, la petite préface qui est à la tête de la vie de saint Antoine. " Une traduction littérale, " dit l'auteur, "rend le sens de l’original qu'on traduit obscur et embarrassé, de même que de mauvaises herbes étouffent la semence que l'on a jetée dans un champ; car lorsque l'on s'assujettit aux paroles et aux figures, à peine peut-on expliquer par un long détour ce que l'on aurait pu dire en peu de mots. C'est donc pour éviter cet écueil qu'en traduisant, comme vous m'y avez engagé, la vie de saint Antoine, je lui ai donné un nouveau tour ; en sorte néanmoins que, si je n'ai pas rendu l'original mot à mot, j'en ai du moins conservé tout le oms. Que les autres s'attachent aux lettres et aux syllabes, mais pour vous, attachez-vous au sens et aux pensées. "

Je n'aurais jamais fini si je voulais rapporter ici le sentiment de tous ceux qui dans leurs traductions se sont contentés d'exprimer. le sens de leur auteur. Je vous citerai seulement l'exemple et l’autorité de saint Hilaire, qui a traduit du grec en latin des homélies sur Job et plusieurs traités sur les Psaumes, Au lieu d'expliquer le sens littéral d'une manière sèche et languissante, et de se renfermer dans les bornes étroites d'une traduction gênante et affectée, ce Père, prenant sur les auteurs qu'il a traduits le même droit qu'un vainqueur a sur ses prisonniers, s'est rendu maître de leurs pensées et en a disposé à son gré.

Il ne faut point que les écrivains, tant profanes "ecclésiastiques, en aient usé de la sorte, puisque les Septante, les évangélistes et les apôtres n'ont pas expliqué autrement l'Ecriture sainte. Nous lisons dans saint Marc que notre Seigneur dit à la fille de Jaïre: Talitha cumi , et l'évangéliste ajoute aussitôt : " C'est-à-dire: jeune fille, levez-vous, je vous le commande. " Que l'on accuse donc saint Marc de mauvaise foi pour avoir ajouté ces mots : " Je vous le commande ; " car le texte hébreu porte seulement : " Jeune fille, levez-vous. " Mais il est aisé de voir qu'il n'a fait cette addition que pour faire mieux sentir l'efficacité de la parole de Jésus-Christ et le pouvoir qu'il avait sur la mort.

Saint Mathieu, après avoir dit que le perfide Judas avait rendu les trente pièces d'argent qu'il avait reçues pour le prix de sa trahison, et que les prêtres avaient employé cette somme à acheter le champ d’un potier, ajoute incontinent après: " Ainsi fut accomplie cette parole du prophète Jérémie ; " Ils ont reçu les trente pièces d’argent qui étaient le prix de celui qui a été mis à prix, et dont ils avaient fait le marché avec les enfants d'Israël; et ils les ont données pour en acheter le champ d'un potier, comme le Seigneur me l'a ordonné. " Ce passage n'est point de Jérémie, il est du prophète Zacharie, qui lui donne un autre tour et l'exprime dans des termes tout différents; car voici ce que porte la Vulgate (1) : " Et je leur dirai : " Si vous jugez qu'il soit juste de me payer, donnez-moi la récompense qui m'est due, ou refusez de me la donner. " Ils pesèrent alors trente pièces d'argent qu’ils me donnèrent pour ma récompense; et le Seigneur me dit : " Faites passer cet argent par le creuset, et voyez s'il vaut ce qu'ils m'ont estimé; " et ayant pris les trente pièces d'argent, je les mis dans la maison du Seigneur pour être jetées dans le creuset. " Il est aisé de juger là combien le passage cité par saint Matthieu est différent de la version des Septante. Le sens de ce passage est le même dans le texte hébreu, mais l'ordre en est renversé, et il y a même quelque différence dans les termes. Voici ce qu'il porte: " Et je leur dis : " Si vous jugez qu'il soit juste de me payer, rendez-moi la récompense qui m'est due ; sinon, ne le faites pas; " et ils pesèrent trente deniers d'argent qu'ils me donnèrent pour ma récompense; et le Seigneur me dit : " Allez jeter à l'ouvrier en argile cet argent, cette belle somme à laquelle ils m'ont apprécié; " et j'allai en la maison du Seigneur les porter à l'ouvrier en argile. " Qu'ils fassent donc ici le procès à cet apôtre comme à un faussaire, pour avoir employé un passage qui ne s'accorde ni avec le texte hébreu ni avec les Septante, et surtout pour avoir cité par une erreur grossière Jérémie au lieu de Zacharie. Mais à Dieu ne plaise que nous accusions d'erreur ou de fausseté un disciple de Jésus-Christ qui, sans s'arrêter scrupuleusement aux mots et aux syllabes, s’est uniquement attaché à exprimer le véritable sens des saintes Ecritures!

Venons à un autre passage du même prophète, que l'évangéliste cite selon le texte hébreu. " Ils verront celui qu'ils ont percé. " Les Septante, selon la version latine, portent: " Ils jetteront les yeux sur moi, touchés des insultes et des outrages qu'ils m'auront faits. La version

(1) Cette Vulgate était une version latine faite sur celle des Septante, et qui était en usage du temps de saint Jérôme.

de l'évangéliste, celte des Septante et notre Vulgate ne s'accordent point sur cet endroit ; mais cette différence , qui ne consiste que dans les mots, n'empêche point qu’elles ne renferment le même sens et le même esprit.

Jésus-Christ, comme nous lisons dans saint Mathieu, prédisant à ses apôtres qu'ils s'enfuiraient et l'abandonneraient, confirme sa prédiction par un passage de Zacharie, en disant : " Il est écrit : " Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. " Cependant ce passage est tout différent et dans la version des Septante et dans le texte hébreu ; car ce n'est point Dieu qui dit ces paroles, comme l'évangéliste les lui attribue ; c'est le prophète lui-même qui fait à Dieu le Père cette prière : " Frappez le pasteur, et les brebis seront dispersées. " Je m'imagine que saint Matthieu, n’échappera pas ici à la censure de quelques prétendus savants, et qu'il sera condamné à leur tribunal pour avoir osé attribuer à Dieu les paroles du prophète.

Le même évangéliste dit que Joseph , étant averti par l'ange, prit l’enfant et sa mère, et que, s'étant retiré en Egypte, il y demeura jusqu'à la mort d'Hérode, " afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fût accomplie : "J'ai rappelé mon fils de l'Egypte. " Ce passage n'est point dans nos exemplaires, mais il se trouve dans le prophète osée selon le texte hébreu: " J'ai aimé Israël, " dit ce prophète, " lorsqu’i1 n'était qu’un enfant, et j'ai rappelé mon fils de l'Egypte. " Voici ce que porte la version des Septante . " J'ai aimé Israël lorsqu'il n'était qu'un petit enfant, et j'ai rappelé ses enfants de l'Egypte. " Doit-on condamner ces interprètes pour n'avoir pas traduit conformément au texte hébreu ce passage qui regarde particulièrement Jésus-Christ , ou doit-on leur pardonner une faute dans laquelle tous les hommes peuvent tomber, selon ce que dit saint Jacques : " Nous faisons tous beaucoup de fautes. Que si quelqu'un ne fait point de fautes en parlant, c'est un homme parfait, et il peut tenir tout le corps en bride? "

Quant à ce que nous lisons encore dans saint Mathieu : " Et il vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que cette prédiction des prophètes fût accomplie : " Il sera appelé Nazaréen, " que ces messieurs, qui se vantent d'être les maîtres de la langue et qui traitent tous les autres auteurs avec tant de mépris, nous disent où ils ont lu ce passage. Il faut le leur apprendre : il est tiré du prophète Isaïe, car au lieu que nous lisons, comme je l'ai traduit : " Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine, " le texte hébreu, suivant l'idiome de la langue, porte : " Il sortira un rejeton de la tige de Jessé ; et un Nazaréen naîtra de sa racine. " Pourquoi les Septante ont-ils omis le mot de Nazaréen " s'il n'est pas permis de rien changer dans une traduction ? C'est un sacrilège d’avoir on supprimé ou ignoré la signification d'un mot qui renferme un si grand mystère.

Poursuivons, car les bornes qu'on doit se prescrite dans une lettre ne me permettent pas de m’arrêter longtemps sur chaque passage en particulier. Saint Mathieu dit encore : " Or tout cela se fit pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le prophète en ces termes : " Une vierge aura dans son sein et elle enfantera un fils que l'on appellera Emmanuël; " ce que les Septante ont traduit de cette sorte : " Une vierge recevra dans son sein et elle enfantera un fils que vous appellerez Emmanuël. " Si l'on veut critiquer jusqu'aux mots, il est certain qu’il y a de la différence entre " aura dans son sein " et " recevra dans son sein, " et entre "on l'appellera " et " vous l'appellerez. " Pour ce qui est du texte hébreu, voici ce qu'il porte : " Une vierge concevra, et elle enfantera un fils, et elle l’appellera Emmanuël. " Ce nom lui sera donné, non point par Achaz, ce prince infidèle dont l’Ecriture condamne l'incrédulité, ni par les Juifs, ce peuple ingrat qui devait renoncer le Seigneur; mais par la vierge même qui l'aura conçu et enfanté.

Nous lisons dans le même évangéliste que, les mages étant venus à Jérusalem, Hérode en fut troublé, et qu'ayant fait assembler les prêtres et les docteurs de la loi, il s'informa d'eux où devait naître le Christ, et qu'ils lui dirent que c’était dans Bethléem de la tribu de Juda, selon ces paroles du prophète: " Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la moindre d'entre les principales villes de Juda, car c'est de toi que sortira le chef qui conduira mon peuple d'Israël. " Voici comment ce passage est traduit dans la Vulgate: " Et toi, Bethléem, maison d’Ephrata, tu es trop petite pour tenir quelque rang entre toutes les villes de Juda; mais c'est de toi que sortira celui qui doit régner en Israël. " On s'étonnera encore davantage de la différence qu'il y a entre saint Mathieu et les Septante, soit dans les mots, soit dans leur arrangement, si on compare leur version avec le texte hébreu qui porte: " Et toi, Bethléem , appelée Ephrata, tu es la plus petite entre toutes les villes de Juda; mais de toi sortira celui qui doit commander en Israël. " Examinez toutes les paroles de saint Mathieu les unes après les autres : " Et toi Bethléem, terre de Juda. " Au lieu de "terre de Juda, " il y a dans l’hébreu " Ephrata, " et dans les Septante " maison d'Ephrata. " L’évangéliste dit: " Tu n'es pas la moindre d'entre les principales villes de Juda," et les Septante portent. " Tu es trop petite pour tenir quelque rang entre toutes les villes de Juda, " et l’hébreu : " Tu es très petite entre toutes les villes de Juda. " Le sens est tout différent ; il n'y a que les Septante et l'hébreu qui s'accordent ensemble dans ce seul passage; car l'évangéliste dit que Bethléem n’est pas la moindre d'entre les principales villes de Juda, et les autres au contraire disent qu’elle est la moindre et la plus petite. Cependant de cette ville si petite et si peu considérable le chef d’Israël sortira, selon ce que dit l’Apôtre : " Dieu a choisi les faibles selon le monde pour confondre les puissants. " Quant à ces paroles qui suivent, "Pour conduire, " ou, " pour nourrir mon peuple d'Israël, " on s'aperçoit aisément qu’elles ne s'accordent point avec celles du prophète.

Je suis entré dans ces détails, non pas pour faire voir que les évangélistes se sont trompés ( car il n’appartient qu’à des impies comme Celse, Porphyre et Julien d'accuser d'erreur ces écrivains sacrés) , mais pour confondre l'ignorance de ceux qui me blâment, et pour leur faire voir qu'il m'est permis d'en user, dans la traduction d'une simple lettre, de la même manière que les apôtres, comme mes censeurs en doivent convenir malgré eux, en ont usé dans les passages qu'ils citent de l’Ecriture sainte.

Saint Marc, disciple de saint Pierre, commence ainsi son évangile: " Le commencement de l'évangile de Jésus-Christ. Comme il est écrit dans le prophète Isaïe: " J'envoie mon ange devant votre face, qui, marchant devant vous, vous préparera le chemin, On entendra dans le désert la voix de celui qui crie: " Préparez la vole du Seigneur, rendez droits ses sentiers. " Ce commencement de l’évangile de saint Marc est composé de deux passages tirés des prophètes Malachie et Isaïe; car le premier: " J'envoie mon ange devant votre face, qui, marchant devant vous,vous préparera le chemin, " est du prophète Malachie ; et le second : " On entendra dans le désert la voix de celui qui crie, etc., " se trouve dans Isaïe. Or comment saint Marc a-t-il pu dire dès le commencement de son évangile : " Comme il est écrit dans le prophète Isaïe : " J'envoie mon ange devant voire face," puisque ces paroles, comme je viens de le dire, ne sont point d'Isaïe, mais de Malachie, qui est le dernier des douze prophètes? Que nos prétendus savants, qui s'en font tant accroire, nous expliquent cette difficulté, et alors je leur avouerai de bonne foi que j'ai tort et que je me suis trompé.

Le même saint Marc fait dire au Sauveur parlant aux pharisiens : " N'avez-vous jamais lu ce que fit David dans le besoin où il se trouva, lorsque lui et ceux qui l'accompagnaient furent pressés de la faim ; comment il entra dans la maison de Dieu du temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains de proposition, quoiqu'il n'y eût que les prêtres à qui il fût permis d'en manger? " Consultons les livres de Samuel, ou des Rois, comme on les appelle communément, et nous verrons que ce grand prêtre dont parle saint Marc ne s'appelait pas Abiathar, mais Abimélech, que Saül fit depuis tuer par Doëg avec tous les autres prêtres de la ville de Nobé.

Venons à l'apôtre saint Paul. Il dit dans son épître aux Corinthiens: " Car s'ils l'avaient connue ( cette sagesse de Dieu), ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire, et de laquelle il est écrit que l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. " Quelques-uns, ajoutant foi aux rêveries et aux visions de quelques livres apocryphes, prétendent que ce passage est tiré de l’Apocalypse d'Elie; mais il est du prophète Isaïe, où nous lisons, selon le texte hébreu : " Depuis le commencement du monde les hommes n'ont point entendu, l'oreille n'a point ouï et l'œil n'a point vu, hors vous seul, ô mon Dieu, ce que vous avez préparé à ceux qui vous

attendent; " ce que les Septante ont traduit d'une manière toute différente; car voici ce que porte leur version: " Depuis le commencement du monde nous n'avons point entendu et nos yeux n'ont point vu Dieu, hors vous, ni vos véritables ouvrages, et vous ferez miséricorde à ceux qui vous attendent. " Nous savons d'où ce passage est tiré ; cependant l'apôtre saint Paul, au lieu de le rendre mot pour mot, s'est contenté de le paraphraser et d'en exprimer le sens en d'autres termes.

Le même apôtre, citant dans l’épître aux Romains un endroit d'Isaïe; dit : " Je m'en vais mettre en Sion celui qui est la pierre d'achoppement, la pierre de scandale. " Ce passage est conforme au texte hébreu, mais il ne s'accorde point avec l'ancienne version ; car les Septante ont un sens tout différent : "Vous ne heurterez point, " disent-ils, "contre cette pierre d’achoppement, cette pierre qui est une occasion de chute. " L’apôtre saint Pierre s'exprime comme saint Paul et comme les Hébreux en disant : " Il est pour les incrédules une pierre contre laquelle ils se heurtent, une pierre qui les fait tomber. " Tout cela nous fait voir d'une manière sensible que les apôtres et les évangélistes, expliquant les anciennes Ecritures, s'attachaient au sens et non point aux paroles, et que sans se mettre en peine des termes et de l'arrangement des mots, ils ne songeaient qu'à se faire entendre et à bien exprimer leur pensée.

L'évangéliste saint Luc , cet homme apostolique , rapporte que saint Etienne , premier martyr dé Jésus-Christ, parlant aux Juifs assemblés dans le sénat, leur dit: " Jacob, suivi de toute sa famille qui consistait en soixante et quinze personnes, descendit en Egypte, où il mourut et nos pères après lui; et ils furent transportés en Sichem, et on les mit dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent des enfants d’Emor, père de Sichem. " Cet endroit est exprimé d'une manière toute différente dans la Genèse, où il est marqué qu'Abrabam acheta d'Ephron, de la ville de Heth, fils de Séor, pour la somme de quatre cents dragmes d'argent, une caverne double avec un champ tout attenant, et proche la ville d'Hebron, et qu'il y enterra sa femme Sara. Nous lisons encore dans le même livre que Jacob, revenant de Mésopotamie avec ses femmes et ses enfants, dressa ses tentes vis-à-vis Salem, qui est une ville des Sichimites dans le pays de Chanaan, qu'il y demeura et acheta d'Emor, père de Sichem, pour le prix de cent agneaux, une partie du champ où il avait dressé ses tentes, et qu'ayant construit là un autel, il y invoqua le Dieu d'Israël. Ce ne fut point d’Emor, père de Sichem, qu'Abraham, acheta une caverne, mais d'Ephron, fils de Séor; gît ce patriarche ne fut point enterré à Sichem, mais à Hébron, qu'on appelle par corruption Arboch. Pour ce qui est des douze patriarches, Ils n'ont point été enterrés à Arboch, mais à Sichem ; et ce fut Jacob et non pas Abraham qui acheta le champ où ils furent enterrés. Je me réserve à expliquer une autre fois cette difficulté, car je suis bien aise de laisser à mes censeurs à en chercher le dénouement, afin de leur faire comprendre que, dans l'explication de l’Ecriture sainte, on doit s'attacher au sens et non point aux paroles.

Le vingt et unième psaume selon l’hébreu commence par ces paroles que notre Seigneur dit sur la croix : Eli, Eli, lama azabthani, c'est-à-dire : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? " Je demande à ces messieurs pourquoi les Septante ont inséré ici ces mots, " Jetez les yeux sur moi; " Car voici ce que porte leur version : " O Dieu, ô mon Dieu, jetez les yeux sur moi; pourquoi m’avez-vous abandonné? " Ils me répondront sans doute que l'addition de deux mots ne porte aucun préjudice au sens des Ecritures; et moi je leur dis de même que quelques mots que j'aurai omis dans un ouvrage dicté à la hâte ne donnent aucune atteinte aux usages établis dans l'Eglise.

Je serais trop long si je voulais entrer ici dans le détail de tout ce que les Septante ont omis ou ajouté dans leur version. On a eu soin de le marquer avec des obèles (1) et des astérisques dans les exemplaires dont l'Eglise se sert. Car les Hébreux se moquent de nous quand ils nous entendent dire ce que nous lisons dans le prophète Isaïe: " Heureux celui qui a des enfants dans Sion et des domestiques dans Jérusalem ; " et dans Amos, après la description que fait ce prophète du luxe et de la mollesse des

(1) Obèle est une marque en forme de petite broche dont Origène, et saint Jérôme après lui, se sont servis pour marquer ce que les Septante avaient ajouté dans leur version. Astérisque est une petite marque en forme d'étoile dont ils se sont servis pour marquer ce que ces interprètes avaient omis.

Israélites: " Ils ont regardé tout cela comme quelque chose de solide et de durable, et non pas comme des biens passagers qui nous échappent. " En effet ces expressions sentent récole, et tiennent quelque chose de l’éloquence de Cicéron.

Quel parti donc prendrons-nous, puisque tous ces passages, et plusieurs autres que je ne pourrais citer ici sans entreprendre de faire une infinité de volumes, ne se trouvent point dans les livres originaux ? Car on peut juger et par les astérisques, comme j'ai déjà dit, et par ma traduction, si quelque, lecteur exact veut bien se donner la peine de la confronter avec l'ancienne version, tout ce que les Septante ont omis. Cependant c'est avec bien de la raison que cette version est reçue comme authentique dans toutes les Eglises, soit parce qu'elle est la plus ancienne, ayant été faite avant Jésus-Christ, soit parce que les apôtres l'ont suivie dans les endroits néanmoins où elle s'accorde avec le texte hébreu. Pour ce qui est d'Aquila, ce Juif prosélyte, cet interprète vétilleux qui s'applique à traduire non-seulement les paroles, mais encore l'étymologie des mots, c'est avec justice que nous rejetons sa version , est-il rien de moins supportable et de moins intelligible que de traduire, comme il a fait, les mots " froment, vin " et " huile" par ces mots grecs, Xeuma, oprismon, et silpnotera, que nous pouvons expliquer par ceux-ci: " effusion, abondance de fruits, éclat." Et parce que les Hébreux ont non-seulement des articles, mais encore des particules connexives, ce scrupuleux interprète, qui porte son exactitude jusqu'à traduire les syllabes et les lettres, ne craint point de dire (1) : sio ton ouranon kai suo trio gen ; " ce que la construction grecque et latine ne saurait souffrir, comme il est aisé d'en juger par notre manière de parler; car combien la langue grecque a-t-elle d'expressions propres et naturelles qui ne peuvent faire

(1) Saint Jérôme reproche ici à Aquila son affectation à traduire mot à mot, lettre à lettre et syllabe pour syllabe, et il veut dire: Fallait-il, parce que les Hébreux ont des articles et des particules connexives, qu'Aquila rendit mot pour mot ce texte hébreux Eth hasschamain veeth haarets , par ces mots grecs : smi ton ouranon kai smu ten ges ; ce que la construction grecque et latine ne saurait souffrir; car les Latins ne disent pas Movebo ou creavit cum hoc cœlum, et cum hanc terram.

aucun sens dans le latin dès qu'on veut s'assujettir à les rendre mot à mot ! Il en est de même de la langue latine, dont les tours les plus beaux et les plus délicats choquent les Grecs, et perdent dans leur langue toute leur beauté quand on veut les traduire à la lettre.

Je passe ici une infinité de choses sous silence ; mais pour vous faire voir, mon cher Pammaque, quelles sont les falsifications qu'on prétend que j'ai faites dans la traduction de la lettre de saint Epiphane, je vais en rapporter ici le commencement en grec, afin que par le procès que mes ennemis me font sur cet endroit vous puissiez juger des autres crimes dont ils me chargent : " edei e mas agapete me te oiesei tropoi kleron pherestai. " Je me souviens d'avoir ainsi traduit ces paroles : " L'honneur que nous avons, mon très cher, d'être élevés à la cléricature, ne devrait pas nous inspirer tant d'orgueil. " Que de faussetés dans une seule ligne! s'écrient mes accusateurs; car premièrement agapetos veut dire: cher, et non pas : très cher; de plus oiesis signifie : opinion, et non pas : orgueil, car il n’y a pas dans le texte oiemati , qui veut dire: enflure, mais oiesei, qui signifie : opinion, sentiment. Quant à ce qui suit: " l'honneur que nous avons d'être élevés à la cléricature, " et " inspirer l'orgueil, " tout cela est de l'invention du traducteur.

Que dites-vous, sublime génie, vous qui êtes aujourd'hui l'appui et l'ornement de la république des lettres, l'Aristarque (1) de nos jours et l'arbitre des ouvrages de tous les savants? En vain donc ai-je fréquenté les écoles et employé tout mon temps à l'étude , puisque dès la sortie du port je vais me briser contre les écueils ? Mais enfin comme il est de la condition de l'homme d'être sujet à se tromper, et du devoir d'un homme sage d'avouer sa faute quand il s'est mécompté, ô vous , qui que vous soyez , qui me censurez avec tant de rigueur, faites-moi la grâce, je vous prie, de corriger ma traduction, et d'expliquer vous-même mot à mot les paroles que je viens de citer. Je devais, selon vous, les traduire ainsi : " Il ne fallait pas, mon cher, nous élever de la bonne opinion des clercs. " Voilà ce qui s'appelle parler comme les muses, et tourner les choses d'une manière

(1) Fameux critique qui a commenté les ouvrages d'Homère.

digne de l'éloquence. de Plante et de l'élégance d'Athènes. On peut bien m'appliquer ici ce que dit le proverbe: " C'est perdre sa peine que de frotter un bœuf avec l'huile des athlètes. "

Au reste je ne m'en prends point à celui dont un autre a emprunté le nom pour jouer un si mauvais rôle. Je sais que Ruffin et Mélanie ont conduit toute cette intrigue : ils sont ses maîtres, et il leur en a coûté bien cher pour lui apprendre à ne rien savoir. Je ne blâme point un chrétien, quel qu'il puisse être, d'ignorer les délicatesses de la langue. Plût à Dieu que nous pussions nous appliquer ce que dit Socrate : "Je sais que je ne sais rien; " et mettre en pratique cette maxime d'un autre sage: " Connaissez-vous vous-même! " J'ai toujours eu une vénération particulière, non pas pour ceux qui à des manières grossières et impolies joignent une grande démangeaison de parler, mais pour ceux dont la simplicité est accompagnée de la sainteté de la vie. Que celui qui se vante d'imiter le style des apôtres commence d'abord par imiter leurs vertus. L'éclat de leur sainteté faisait excuser la simplicité de leur style, et en présence d'un mort qu'ils avaient ressuscité l'on voyait tomber les vains arguments d'Aristote et les plus subtils raisonnements de Chrysippe; mais il est ridicule de faire vanité d'une impolitesse affectée, tandis qu'à l'exemple d'un Crésus ou d'un Sardanapale, on passe toute sa vie dans l'abondance ou dans une molle oisiveté; comme si l'éloquence était le partage de la scélératesse, et que les voleurs eussent coutume de cacher leurs épées parmi les ouvrages des philosophes et non pas dans le tronc des arbres.

Je me suis un peu trop étendu dans cette lettre ; mais quelque longue qu'elle soit, elle n'égale point encore l'excès de ma douleur: on me traite de faussaire, et on me déchire cruellement dans les cercles pour divertir à mes dépens des femmes occupées à leurs ouvrages. Cependant content de me justifier des crimes dont mes ennemis me chargent, je n'ai point usé de récrimination envers eux. Je vous fais donc juge vous-même, mon cher Pammaque, de notre différend: prenez la peine de lire la lettre de saint Epiphane avec ma traduction, et vous verrez d'abord combien sont frivoles et outrageants les reproches que me font mes accusateurs. Au reste, il me suffit d'avoir instruit de cette affaire un ami qui m'est très cher, et je ne songe plus désormais qu'à demeurer caché dans le fond de ma retraite pour y attendre le jour du Seigneur. J'aimerais mieux, si cela se pouvait et si mes ennemis voulaient bien me laisser en repos, vous envoyer des commentaires sur l'Ecriture sainte que des déclamations et des invectives (1) semblables à celles de Cicéron et de Démosthènes.

(1) Telles que sont les discours de Cicéron contre Marc-Antoine,et de Démosthènes contre Philippe, roi de macédoine.