Oeuvres de Saint Cyprien

 

 

 

 

 

Traduction par M. l'abbé Thibaut, Tours 1869

Numérisées par le Hiéromoine Cassien Braun, Foyer orthodoxe, 66500 Clara (France)
Tel : (0033) 04 68 96 1372 E-mail :
vco@fairesuivre.fr

 

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

 

 

 

LETTRES

 

 

 

 

 

LETTRES *

LETTRE 1 *

LETTRE 2 *

LETTRE 3 *

LETTRE 4 *

LETTRE 5 *

LETTRE 6 *

LETTRE 7 *

LETTRE 8 * *

LETTRE 9 *

LETTRE 10 *

LETTRE 11 *

LETTRE 12 *

LETTRE 13 *

LETTRE 14 *

LETTRE 15 *

LETTRE 16 *

LETTRE 17 *

LETTRE 18 *

LETTRE 19 *

LETTRE 20 *

LETTRE 21 *

LETTRE 22 *

LETTRE 23 *

LETTRE 24 *

LETTRE 25 *

LETTRE 26 *

LETTRE 27 *

LETTRE 28 *

LETTRE 29 *

LETTRE 30 *

LETTRE 31 *

LETTRE 32 *

LETTRE 33 *

LETTRE 34 *

LETTRE 35 *

LETTRE 36 *

LETTRE 37 *

LETTRE 38 *

LETTRE 39 *

LETTRE 40 *

LETTRE 41 *

LETTRE 42 *

LETTRE 43 *

LETTRE 44 *

LETTRE 45 *

LETTRE 46 *

LETTRE 47 *

LETTRE 48 *

LETTRE 49 *

LETTRE 50 *

LETTRE 51 *

LETTRE 52 CYPRIEN A SON FRERE CORNEILLE, SALUT. *

LETTRE 53 *

LETTRE 54 *

LETTRE 55 *

 

 

 

 

 

 

LETTRE 1

CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES, ET AU PEUPLE DE FURNI *, SALUT.

Nous avons, nos très chers frères, été vivement peinés, mes collègues et moi, ainsi que les prêtres qui siégeaient avec nous, en apprenant que notre frère Geminius Victor, au moment de sortir de ce monde avait, par disposition testamentaire, désigné comme tuteur de ses enfants le prêtre Geminius Faustinus. Il y a longtemps qu'un concile a défendu de prendre un tuteur ou un curateur parmi les clercs, attendu que ceux qui ont l'honneur du divin sacerdoce, et sont engagés dans tes devoirs de la cléricature, ne doivent prêter leur ministère qu'au sacrifice et à l'autel et ne vaquer qu'à la prière. Il est écrit : "Un soldat de Dieu ne s'engage pas dans l'embarras des choses du siècle, s'il veut plaire à celui qui l'a enrôlé". La recommandation est faite à tous, mais combien plus doivent-ils rester en dehors des embarras et du réseau des préoccupations profanes, ceux qui, voués à des occupations religieuses, ne peuvent s'éloigner de l'église, ni vaquer aux affaires du siècle. Telle est la discipline qu'ont observée les Lévites dans l'ancienne loi : les onze autres tribus se partagèrent le sol, chacune en ayant un lot; la tribu de Lévi, qui était consacrée au service du temple et de l'autel, n'entra point dans ce partage. Les autres vaquaient à la culture du sol : elle au culte divin uniquement; et pour sa subsistance, les onze tribus lui servaient la dîme des fruits de la terre. Dieu avait voulu que tout fût ainsi réglé, afin que ceux qui se consacraient au service divin n'en fussent point détournés, et forcés de donner leurs pensées et leurs soins à des occupations profanes. C'est la même règle qui est encore suivie aujourd'hui pour le clergé : on veut que ceux que l'ordination a élevés au rang de clercs dans I'Église de Dieu ne puissent être détournés en rien du service divin, ni courir le danger d'être engagés dans les embarras et les affaires du siècle; mais que plutôt, bénéficiaires des offrandes des frères, comme d'une sorte de dîme, ils ne quittent pas l'autel et le sacrifice, mais se consacrent jour et nuit à des occupations religieuses et spirituelles.
C'est à quoi nos prédécesseurs ont eu égard, quand ils ont pris la salutaire mesure de régler qu'aucun de nos frères ne pourrait, en mourant, nommer un clerc pour tuteur ou curateur, et que si quelqu'un le faisait, on n'offrirait point le saint sacrifice pour son repos. En effet, celui-là ne mérite pas d'être nommé à l'autel de Dieu dans la prière des prêtres qui a voulu éloigner de l'autel des prêtres et des ministres de Dieu. Voilà pourquoi, Victor ayant osé, contre la règle portée jadis par des évêques réunis en concile, établir tuteur le prêtre Geminius Faustinus, vous ne devez pas célébrer le saint sacrifice pour son repos, ni faire aucune prière pour lui dans l'église : ainsi sera observé par nous le décret saint et nécessaire que les évêques ont porté, et en même temps l'exemple sera donné à nos frères de ne point détourner les prêtres et les ministres de Dieu du service de son Église pour les engager dans des occupations séculières. En punissant la faute présente, on empêchera, en ce qui concerne les clercs, le retour de faits semblables. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours bien.

* Furni était une ville de la Tunisie.

LETTRE 2

CYPRIEN A EUGRATIUS SON FRÈRE, SALUT.

Les sentiments d'amitié et d'estime que nous avons l'un pour l'autre vous ont fait juger, mon très cher frère, que vous deviez me consulter à propos d'un histrion qui se trouve chez vous, et continue son métier honteux. Se faisant professeur et maître non pour instruire, mais pour pervertir des enfants, il apprend peu à peu aux autres ce qu'il a eu tort d'apprendre lui-même. Vous demandez si un homme qui est dans ce cas doit être admis à notre communion. Eh bien, je pense qu'il ne convient ni au respect de la Majesté divine, ni à l'observation des enseignements évangéliques, que l'Église soit offensée dans sa pudeur et dans son honneur par un contact si impur et si infâme. Dans la Loi, il est interdit aux hommes de prendre des vêtements de femmes, et ceux qui le font sont maudits : combien n'est-il pas plus criminel d'oser, non seulement se revêtir de costumes féminins, mais se faire maître d'impudicité en reproduisant les gestes mêmes des débauchés et des efféminés.
Et qu'on ne s'excuse pas en disant qu'on a renoncé personnellement à jouer au théâtre, alors que l'on en apprend l'art aux autres. On ne peut être considéré comme y ayant renoncé, si l'on met d'autres acteurs à sa place, et plusieurs au lieu d'un seul, enseignant, à l'encontre de ce que Dieu a établi, à faire d'un homme une femme, à en changer le sexe, et à faire la joie du démon qui est heureux de souiller l'oeuvre des Mains divines, par ces gestes de mollesse vicieuse. Celui qui est dans ce cas prétexte-t-il un manque de ressources et des besoins : on peut le mettre au nombre de ceux auxquels l'Église fournit des aliments, et secourir son indigence comme celle des autres, à la condition toutefois qu'il se contente d'une nourriture frugale et simple, et ne se mette pas en tête qu'on lui doive payer une pension pour ne plus pécher, attendu que ce n'est pas nous qu'il sert en ne péchant plus, mais lui-même. D'ailleurs, qu'il gagne à ce métier tant qu'il voudra : quel gain est-ce, que celui qui enlève des hommes au festin d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et ne les engraisse en ce monde par des moyens misérables, que pour les faire tomber dans le supplice d'une faim et d'une soif éternelles ? Faites donc votre possible pour le détourner de cette profession infâme et le ramener à la voie de l'innocence et à l'espérance de la vraie vie, de telle façon qu'il se contente de la subsistance, modeste mais salutaire, que l'Église lui fournit. Que si votre église ne suffit pas à procurer des aliments â ceux qui sont dans la gêne, il pourra venir chez nous recevoir ce qui lui sera nécessaire pour la nourriture et le vêtement; et, plutôt que d'aller hors de l'Église donner à d'autres un enseignement de mort, il prendra, s'il le veut, lui-même, un enseignement de vie dans l'Église. Je souhaite, mon très cher fils, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 3

CYPRIEN A ROGATIANUS SON FRÈRE, SALUT.

Nous avons été, les collègues qui se trouvaient présents et moi, grandement et douloureusement émus, très cher frère, en lisant la lettre où vous vous plaignez d'un de vos diacres qui, oublieux de votre dignité épiscopale et des devoirs de son propre ministère, vous a peiné, en vous accablant d'outrages et d'injures. Vous en avez agi avec nous, d'une façon qui nous honore, et qui est bien en accord avec votre modestie coutumière; vous avez préféré vous plaindre de lui à nous, alors que le pouvoir épiscopal et l'autorité de votre chaire vous mettaient en mesure de le punir aussitôt, avec l'assurance que tous vos collègues auraient eu pour agréable tout ce que vous auriez pu faire, en vertu de la puissance épiscopale, à l'égard de ce diacre insolent. Vous avez, en effet, pour cette sorte de gens, un commandement divin. Le Seigneur Dieu dit dans le Deutéronome : "Quiconque sera si orgueilleux que de n'écouter pas le prêtre ou le juge : quel qu'il soit en ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple, en apprenant ce châtiment, sera saisi de crainte et l'on n'agira plus désormais d'une manière impie. (Dt 17,12-13). Et voici qui nous montre bien que cette parole de Dieu est véritable et sortie de la bouche de sa souveraine Majesté pour l'honneur des prêtres et le châtiment de ceux qui les outragent. Trois ministres des autels, Coré, Dathan et Abiron, ayant osé s'enorgueillir et s'élever contre Aaron, le grand-prêtre, et s'égaler à leur chef, la terre s'entrouvrit, les engloutit et les dévora, leur faisant porter sur le champ la peine de leur audace sacrilège. Et ils ne furent pas les seuls. Deux cent cinquante autres qui les avaient suivis dans leur rébellion, furent dévorés par un feu que Dieu fit sortir de l'autel, afin qu'il fût bien établi que les prêtres de Dieu sont vengés par Celui qui fait les prêtres. Au livre des Rois, nous voyons que le grand-prêtre Samuel étant méprisé par le peuple juif, comme vous maintenant, à cause de sa vieillesse, Dieu en fut irrité et s'écria : "Ce n'est pas vous, c'est Moi qu'ils ont méprisé." (1 Sam 8,7). Et, pour en tirer vengeance, Il leur donna comme roi Saul, afin que ce peuple orgueilleux fût accablé de mauvais traitements et foulé aux pieds : ainsi un châtiment divin vengerait un prêtre des mépris d'un peuple orgueilleux,
Salomon rend témoignage à son tour sous l'inspiration de l'Esprit saint, et nous apprend quelle est la dignité et la puissance des prêtres : "Craignez Dieu, dit-il, de toute votre âme, et ayez des égards religieux pour ses prêtres" (Sir 7,29). Et encore : "Honorez Dieu de toute votre âme, et rendez honneur à ses prêtres". (Sir 7,31). Le bienheureux Apôtre se souvenait de ces recommandations, comme on le voit par ce que nous lisons dans les Actes des Apôtres. Comme on lui disait : "Osez-vous ainsi outrager un prêtre de Dieu ?", il répondit : "Je ne savais pas, mes frères, qu'il fût grand-prêtre. Car il est écrit : Vous n'injurierez pas le prince de votre peuple". (Ac 23,4-5). Notre Seigneur Jésus Christ Lui-même, notre Roi, notre Juge, et notre Dieu, observa jusqu'au jour de sa passion les égards dus aux pontifes et aux prêtres, bien qu'ils ne les eussent pas observés envers lui, ne montrant ni crainte de Dieu, ni loyauté à le reconnaître comme le Christ. Ayant guéri le lépreux, il lui dit : "Va, montre-toi au prêtre, et fais ton offrande". (Mt 8,4). Avec cette humilité qu'Il a voulu nous enseigner, Il appelait prêtre celui qu'il savait être un usurpateur sacrilège. De même, au moment de sa passion, on Le soufflette en lui disant : "Est-ce ainsi que vous répondez au Pontife ?" Il n'a pas une parole irrévérencieuse pour la personne du Grand-Prêtre; il ne fait que défendre son innocence en disant : "si J'ai mal parlé, blâmez-moi de ce qui est mal; mais si J'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?" (Jn 18,23). Il s'est montré en tout cela humble et patient, pour nous donner un exemple d'humilité et de patience. Il a fait voir tous les égards dus aux prêtres qui sont véritablement des prêtres, en se comportant ainsi envers des prêtres qui n'en étaient pas.
Les diacres ne doivent pas oublier que le Seigneur Lui-même a choisi les apôtres, c'est-à-dire les évêques et les chefs de l'Église, tandis que les diacres, ce sont les apôtres qui après l'Ascension du Seigneur les ont institués pour être les ministres de leur épiscopat et de l'Église. Dès lors, ni plus ni moins que nous ne pouvons, nous, entreprendre contre Dieu qui fait les évêques, ils ne peuvent, eux, entreprendre contre nous, qui les faisons diacres. Voilà pourquoi il faut que le diacre, au sujet duquel vous nous écrivez, fasse amende honorable, montrant qu'il connaît l'honneur dû au sacerdoce, et qu'il donne, avec une humilité entière, satisfaction à l'évêque son chef. C'est par là, en effet, que commencent les hérétiques, par là que les schismatiques s'essayent aux pensées funestes : ils se complaisent en eus-mêmes, s'enflent d'orgueil et méprisent leur chef. C'est ainsi que l'on s'éloigne de l'Église, que l'on élève au dehors un autel profane, que l'on se met en révolte contre la paix du Christ, contre l'ordre et l'unité voulus de Dieu. S'il continue de vous irriter par ses outrages et de vous provoquer, vous userez contre lui des pouvoirs de votre charge, en le déposant ou en l'excommuniant. Car, si l'apôtre Paul écrivant à Timothée lui dit : "Que personne ne méprise ta jeunesse", (1 Tim 4,12) combien plus vos collègues doivent-ils vous dire : "Que personne ne méprise votre vieillesse". Et, puisque vous nous écrivez qu'il y a quelqu'un qui s'est associé avec votre diacre, et qui participe à l'audace de son orgueil, vous pouvez aussi le châtier, ou l'excommunier, lui ou tout autre qui agirait contre l'évêque de Dieu. Nous les exhortons cependant et les invitons à reconnaître leur faute, à donner satisfaction, et à nous permettre de suivre la ligne de conduite que nous nous sommes proposée. Nous préférons et nous désirons vaincre par une patience indulgente les injures et les outrages plutôt que de les punir par l'usage des pouvoirs que donne la qualité d'évêque. Je souhaite, mon très cher frère, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 4

CYPRIANUS, CAECILIUS, VICTOR, SEDATUS, TERTULLUS AVEC LES PRÊTRES PRÉSENTS, A POMPONIUS LEUR FRÈRE, SALUT.

Nous avons lu, frère très cher, la lettre que vous nous avez envoyée par notre frère Paconius, pour nous demander de vous donner notre avis sur le cas de vierges qui, après avoir résolu de garder généreusement la continence imposée par leur état, ont été trouvées ensuite avoir dormi avec des hommes, dont un diacre, celles-là même qui avouent l'avoir fait assurant qu'elles sont encore vierges. Puisque vous avez souhaité d'avoir notre sentiment à ce sujet, sachez que nous ne nous écartons pas des enseignements évangéliques et apostoliques, qui nous prescrivent de pourvoir avec force et vigueur au bien de nos frères et de nos soeurs, et de maintenir la discipline par tous les moyens utiles. Le Seigneur dit, en effet : "Je vous donnerai des pasteurs selon mon Coeur, et il vous conduiront avec une sage discipline". (Hier 3,15). Et ailleurs il est écrit : "Celui qui rejette la discipline est malheureux". (Sa 3,11). Dans les psaumes aussi, le saint Esprit nous instruit à son tour : "Gardez la discipline, dit-il, de peur que le Seigneur ne s'irrite, et que vous ne vous égaliez hors de la voie droite, quand bientôt sa Colère s'allumera sur vous". (Ps 2,12).
En premier lieu donc, frère très cher, nous n'avons, chefs et peuple, qu'une chose à faire : c'est de nous efforcer, nous qui craignons Dieu, de garder les préceptes divins dans l'observation intégrale de la discipline et de ne point souffrir que nos frères aillent à l'aventure, et vivent à leur guise et à leur goût, mais d'aviser fidèlement au salut de chacun, sans souffrir que les vierges habitent avec des hommes, je ne dis pas dorment, mais vivent même avec eux. En effet, tout à la fois, et la faiblesse de ce sexe, et la fragilité de cet âge, nous imposent le devoir de les tenir avec des guides, pour que le diable, qui est en embuscade, et qui ne demande qu'à exercer ses ravages, ne trouve pas l'occasion de nuire. L'apôtre dit : "Ne donnez pas d'occasion au diable". (Eph 4,27). Il faut travailler vigilamment à tirer le navire des endroits dangereux, de peur que, parmi les rochers et les écueils il ne fasse naufrage; il faut s'efforcer promptement de sauver les meubles de l'incendie, de peur que les flammes les enveloppent de toutes parts et ne les dévorent. On n'est pas longtemps à couvert, quand on reste a proximité du péril : échapper au diable n'est pas moins impossible à un serviteur de Dieu qui s'est engagé dans les filets du diable. Il faut donc intervenir promptement auprès des personnes qui sont dans ce cas pour qu'elles se séparent des hommes pendant qu'elles le peuvent encore sans avoir péché; car pour ce qui est d'en être séparées plus tard par notre intervention, elles ne le pourront plus quand les pires complicités les auront unies à eux. Combien ne voyons-nous pas de chutes graves qui ont cette cause, et que de vierges ces rapprochements illicites et dangereux ne corrompent-ils pas, à notre immense douleur. Si elles se sont loyalement consacrées au Seigneur, qu'elles restent chastes et pures, sans faire parler d'elles, et qu'ainsi, courageusement constantes, elles attendent la récompense de leur virginité. Si, au contraire, elles ne veulent pas ou ne peuvent pas persévérer, qu'elles se marient (elles feront mieux) plutôt que de tomber dans le feu pour leurs fautes. Du moins, qu'elles ne donnent point de scandale à leurs frères ou à leurs soeurs, car il est écrit : "Si mon frère est scandalisé par cette nourriture, je ne mangerai pas de viande de ma vie, de peur de scandaliser mon frère".
Et que nulle d'entre elles ne s'imagine qu'elle puisse se défendre en disant qu'on peut l'examiner et voir si elle est vierge. La main et l'oeil des sages-femmes s'y trompent souvent, et si une jeune fille est reconnue intacte et vierge à l'examen, elle pourra avoir par ailleurs, péché contre la chasteté sans qu'aucun contrôle soit possible. Mais déjà le fait seul de partager la même couche, de s'embrasser, de tenir des conversations, de se baiser, et de dormir à deux dans le même lit, quelle honte, et quelle faute ! Un mari qui survient à l'improviste et trouve sa femme en train de le trahir, ne frémit-il pas d'indignation et ne va-t-il pas quelquefois, dans sa jalousie, jusqu'à saisir une arme. Et le Christ, notre Seigneur et notre juge, quand Il voit la vierge qui est consacrée à sa Sainteté, dormir avec un autre, combien n'est-Il pas indigné, et de quels châtiments ne menace-t-il pas ces rapprochements incestueux ? Nous devons de toutes nos forces travailler à ce que chacun de nos frères puisse échapper à son glaive spirituel, et à son jugement qui doit venir. Et si tout le monde sans exception doit observer la discipline, c'est bien plus à ceux qui sont à la tête des autres et aux diacres que ce devoir incombe, puisqu'ils doivent, par leur vie et leurs moeurs, servir d'exemple aux autres. Comment pourraient-ils présider aux bonnes moeurs, s'ils se mettaient a autoriser la corruption et le vice par leur propre conduite ?
Aussi avez-vous agi avec sagesse comme avec vigueur, frère très cher, en retranchant de la communion, le diacre qui a souvent habité avec une vierge, et d'autres encore qui avaient coutume de dormir avec des vierges. S'ils se repentent de cette conduite irrégulière, et qu'ils se séparent, que l'on commence par faire examiner avec soin les vierges par des sages femmes, et si elles sont trouvées vierges, qu'on les admette à la communion et à l'assemblée des fidèles, en leur déclarant cependant que si elles retournent avec des hommes, ou si elles demeurent avec eux sous le même toit, elles seront l'objet d'une exclusion plus sévère, et ne-seront pas facilement dans la suite reçues dans l'Église. Que si l'une ou l'autre est trouvée n'être plus vierge, qu'elle fasse la pénitence plénière, car, en commettant un tel crime, elle est devenue adultère, non à l'égard de son mari, mais à l'égard du Christ. Qu'on lui fixe un juste temps de pénitence au bout duquel elle fera sa confession et reviendra à l'Église. Que si les coupables s'obstinent dans leur désordre, et ne se séparent pas, qu'ils sachent qu'avec cet entêtement impudique, ils ne peuvent jamais être admis par nous dans l'Église, où l'exemple de leurs fautes serait pour les fidèles une occasion de chute. Qu'ils ne se mettent pas, d'ailleurs, en tête, qu'il y a encore pour eux possibilité de vivre et de se sauver, quand le Seigneur Dieu dit dans le Deutéronome : "Quiconque sera si orgueilleux que de n'écouter pas le prêtre ou le juge quel qu'il soit en ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple, en apprenant ce châtiment sera saisi de crainte, et l'on n'agira plus désormais d'une manière impie". (Dt 17,12-13). Dieu faisait mettre à mort ceux qui ne se soumettaient pas à ses prêtres; Il fixait le moment du jugement pour ceux qui n'obéissaient pas. En ce temps-la, à la vérité, on tuait avec le glaive, alors que la circoncision charnelle était encore en vigueur : maintenant que la circoncision spirituelle existe pour les serviteurs de Dieu, c'est avec le glaive spirituel que l'on tue les orgueilleux et les révoltés, en les rejetant hors de l'Église. Ils ne peuvent, en effet, vivre dehors, puisqu'il n'y a qu'une maison de Dieu, et que, hors de l'Église, il n'y a de salut pour personne. La perte des indisciplinés qui n'obéissent pas, et ne se soumettent pas aux préceptes salutaires, l'Écriture l'affirme quand elle dit : "L'indiscipliné n'aime pas celui qui le corrige; mais ceux qui haïssent ceux qui leur font des reproches périront honteusement". (Pro 15,12,10).
Veillez donc, frère très cher, à ce qu'il n'y ait pas d'indisciplinés qui soient dévorés et périssent, en traçant autant que possible de salutaires lignes de conduite à nos frères, et en avisant au salut de chacun. La voie est étroite et resserrée, par ou nous allons à la vie, mais la récompense est superbe et magnifique, quand on arrive à la gloire. Ceux qui se sont une fois faits eunuques pour le royaume des cieux, qu'ils cherchent à plaire à Dieu en tout, ne refusant pas d'écouter les prêtres de Dieu, et n'étant pas dans l'Église de Dieu un scandale pour les frères. Nous semblerons peut-être leur faire de la peine pour le moment : donnons-leur cependant des avertissements salutaires, sachant bien que l'Apôtre a dit : "Est-ce donc que je suis devenu votre ennemi en vous disant la vérité ?" (Gal 4,16). Que s'ils suivent nos avis, nous en serons fort heureux : ils sont debout et dans la voie du salut, et nous avons, par nos paroles, encouragé leur effort. Si quelques-uns de ceux qui se sont égarés ne veulent pas suivre nos avis, le même apôtre dit encore : "Si je plaisais aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ", (Gal 1,10) et ainsi, si nous n'arrivons pas à persuader à quelques-uns de chercher a plaire au Christ, nous du moins, en ce qui nous concerne, efforçons-nous en gardant les préceptes du Christ, notre Seigneur et notre Dieu, de Lui plaire. Je souhaite, frère très cher et très aime, que vous vous portiez toujours bien en notre Seigneur.

LETTRE 5

CYPRIEN AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES SES FRÈRES TRÈS CHERS, SALUT.

Je vous salue, frères très chers; je vais bien et suis heureux de savoir qu'en ce qui vous concerne tout va bien également. Puisque les circonstances ne me permettent pas d'être avec vous en un même lieu, je demande à votre foi et à votre piété de remplir et mes fonctions et les vôtres, de manière que rien ne souffre ni au point de vue de la discipline ni au point de vue du zèle. Quant aux secours à fournir, tant à ceux qui sont en prison, pour avoir glorieusement confessé le Seigneur, qu'à ceux qui lui restent fidèles dans la pauvreté et le besoin, je vous prie de veiller à ce que rien ne manque. Tout l'argent qu'on a ramassé a été réparti entre les membres du clergé, pour des cas de ce genre, afin qu'il y eût un plus grand nombre de personnes en mesure de subvenir aux nécessités particulières.
Je vous prie aussi de mettre tous vos soins et votre adresse à ce que rien ne trouble la tranquillité. Les frères sont sans doute désireux, à cause de l'affection qu'ils leur portent, d'aller visiter les saints confesseurs que la divine Bonté a rendus illustres par de glorieux commencements; il faut pourtant qu'ils le fassent avec prudence et n'y aillent pas en groupes considérables, de peur que cela même ne provoque du mécontentement, et ne fasse refuser l'entrée : nous risquerions de tout perdre en demandant trop. Prenez donc soin d'agir avec discrétion et par suite avec plus de sûreté; même, que les prêtres qui se rendent pour célébrer là où vous êtes, devant les confesseurs, le fassent à tour de rôle avec un diacre différent chaque fois : le changement de personnes, et la variété des visiteurs, se fait supporter plus aisément. En tout, doux et humbles comme il convient à des serviteurs de Dieu, nous devons nous accommoder aux circonstances, veiller à ne pas compromettre la tranquillité, ni les intérêts du peuple fidèle. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous vous portiez toujours bien, et vous souveniez de nous. Saluez tous les frères. Mon diacre vous salue, ainsi que ceux qui sont avec moi. Adieu.

 

 

 

 

LETTRE 6

CYPRIEN A SERGIUS, ROGATIANUS, ET AUX AUTRES CONFESSEURS, SALUT ÉTERNEL EN DIEU.

Je vous envois mon salut, frères très chers, souhaitant d'ailleurs de jouir personnellement de votre présence, si les circonstances me permettaient d'aller vous rejoindre. Que pourrait-il, en effet, m'arriver de plus souhaitable et le plus agréable que d'être parmi vous et entre vos bras, entouré de ces mains pures et innocentes, qui ont gardé leur fidélité au Seigneur, en repoussant avec mépris un culte sacrilège ? Quelle joie plus haute que de baiser ces lèvres qui ont glorieusement confessé le Seigneur, que d'être regardé de ces yeux qui, en se détournant avec mépris du siècle, ont mérité de voir Dieu ? Mais puisque ce bonheur n'est point possible, je vous envoie cette lettre que vous verrez, que vous entendrez à ma place, pour vous féliciter tous ensemble et vous presser d'être vaillants et fermes à persévérer dans votre confession glorieuse et de marcher avec un religieux courage par la voie des divines faveurs où vous avez mis le pied, vers la couronne à recevoir. Le Seigneur sera votre guide et votre protecteur. Il a dit : "Voici que Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde." (Mt 28,20). O bienheureuse prison, qu'a illuminée votre présence. O bienheureuse prison, qui envoie au ciel des hommes de Dieu. O ténèbres plus brillantes que le soleil, plus éclatantes que le flambeau du monde, qui renferment des temples de Dieu, des membres sanctifiés par la confession de son nom.
Qu'il n'y ait rien maintenant dans vos coeurs et dans vos âmes que la pensée des préceptes divins, et des célestes recommandations par lesquelles le saint Esprit n'a cessé de nous exhorter à supporter les souffrances du martyre. Que personne ne pense à la mort, mais à l'immortalité, ni à la souffrance temporelle, mais à l'éternelle gloire. Il est écrit : "la mort des justes est précieuse aux Yeux de Dieu." (Ps 115,15). Et encore : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme affligée; un coeur broyé et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). Et encore (à l'endroit où la divine Écriture parle des tourments qui consacrent les martyrs de Dieu et les sanctifient par l'épreuve même de leurs souffrances) : "S'ils ont souffert devant les hommes, leur Espérance est pleine de l'immortalité. Petite fut leur affliction, grand sera leur bonheur. Car Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de Lui. Comme l'or, dans la fournaise, Il les a éprouvés, et Il les a accueillis comme une victime holocauste. Et, le moment venu, Il les regardera favorablement. Ils jugeront les nations, et seront les maîtres des peuples, et leur Dieu régnera éternellement." (Sag 3,4-8). Quand donc vous songez que vous jugerez et régnerez avec le Christ notre Seigneur, vous devez nécessairement tressaillir d'allégresse, et mépriser les supplices présents par la pensée des biens à venir. Car vous savez que c'est l'ordre, établi dès l'origine du monde, que la justice souffre ici-bas, en lutte avec le siècle, puisque, au commencement, le juste Abel est mis à mort, et ouvre la voie à tous les justes et aux prophètes et aux apôtres. Le Seigneur aussi leur a laissé à tous un exemple en sa Personne en enseignant qu'on n'arrive point à son royaume, si on ne Le suit par la route qu'Il a suivie Lui-même : "Celui qui aime son âme dans ce monde la perdra et celui qui haït son âme dans ce monde la sauvera pour la vie éternelle." (Jn 12,25). Et encore : "Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer n'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer le corps et l'âme, en les jetant dans la géhenne." (Mt 10,28). Paul aussi nous exhorte, puisque nous souhaitons de parvenir à ce que le Seigneur nous a promis, à imiter le Seigneur en toutes choses : "Nous sommes, dit-il, les fils de Dieu; si nous sommes ses fils, nous sommes aussi ses héritiers, et les cohéritiers du Christ, à la condition de souffrir avec Lui pour être glorifiés avec Lui." (Rom 8,16-17). Il établit une comparaison entre le temps présent et la gloire a venir : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir, qui sera manifestée en nous" (Rom 8,18). La pensée de cette gloire nous doit faire supporter toutes les épreuves et persécutions, parce que, si nombreuses que soient les épreuves des justes, il n'en est point dont ne soient délivrés ceux qui ont confiance en Dieu.
De bienheureuses femmes, qui partagent la gloire de votre confession, fidèles au Seigneur et plus fortes que leur sexe, ne sont pas seulement près de recevoir elles-mêmes la couronne, mais ont, de plus, donné aux autres femmes un exemple de courage. Et enfin, pour que rien ne manquât à la gloire de votre groupe, que tout âge, et tout sexe fût à l'honneur, des enfants mêmes ont été associés, de par la divine Bonté, à votre confession glorieuse : c'est à peu près la répétition de ce qui est arrivé aux glorieux enfants Ananias, Azarias et Misaël. Enfermés dans la fournaise, ils virent le feu reculer devant eux et les flammes leur faire une place pleine de fraîcheur : le Seigneur leur était présent, et montrait que l'ardeur du feu ne peut rien contre les confesseurs et les martyrs, mais qu'au contraire ceux qui croient en Dieu, demeurent sains et saufs en toute circonstance.
Mais considérez avec un peu d'attention, je le demande à votre piété, quelle a été la foi de ces enfants, qui ont ainsi mérité la grâce du Seigneur. Prêts à tout, comme nous devons tous l'être, ils disent au roi : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera, ô roi, de vos mains. Et quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue que vous avez fait élever." (Dan 3,16-18). Ils croyaient et savaient par leur foi qu'ils pouvaient être délivrés du supplice présent; ils ne voulurent pourtant pas le proclamer et s'en prévaloir, mais ils dirent : "et quand même cela ne serait pas", pour que leur confession ne perdît rien de son mérite par l'absence du témoignage des souffrances. Ils ajoutèrent que tout était possible à Dieu, mais que néanmoins leur assurance ne se fondait pas sur l'espoir d'une délivrance actuelle, mais sur la pensée de la délivrance et de la sécurité de l'éternelle gloire.
Demeurant fidèles, nous aussi, à ces sentiments et les ranimant en nous le jour et la nuit, allons vers Dieu de tout l'élan de notre coeur; et en méprisant le présent, ne songeons qu'à l'avenir, à la jouissance du royaume éternel, aux embrassements et aux baisers du Seigneur, a la vue de Dieu ! Ainsi vous suivrez en tout le prêtre Rogatianus, glorieux vieillard, qui grâce à la divine Bonté et à sa foi vaillante, vous montre la route à honorer notre temps. Avec notre frère Felicissimus, toujours calme et sage, soutenant l'assaut d'un peuple furieux, il vous a d'abord préparé une place en prison, et maintenant encore, votre fourrier en quelque sorte, il vous précède. Nous demandons à Dieu, dans de continuelles prières, cet aboutissement pour vous, afin que ce qui a été commencé venant à sa perfection, de ceux dont il a fait des confesseurs il fasse des couronnés. Je souhaite frères très chers et bienheureux, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous parveniez à la gloire de la couronne céleste.

LETTRE 7

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRÈRES TRÈS CHERS, SALUT.

Je vous salue, frères très chers; je vais bien par la grâce de Dieu, souhaitant de retourner bientôt vers vous, et de donner ainsi satisfaction à un désir qui est aussi bien le mien que le vôtre et que celui de tous nos frères. Nous devons cependant veiller à ce que la paix ne soit pas troublée, et provisoirement, quoi qu'il nous en coûte, rester éloigné de vous, de peur que notre présence n'excite le mécontentement et les violences des gentils, et que nous ne soyons responsables de la perte de la paix, nous qui devons plutôt procurer la tranquillité de tous. Ainsi c'est seulement quand vous m'aurez écrit que tout est calme et que je dois aller vous rejoindre, ou si Dieu daigne m'avertir avant un mot de votre part, que j'irai vers vous. Ou pourrais-je être mieux ou plus agréablement qu'aux lieux mêmes ou Dieu a voulu qu'il me fût donné de croire, comme de croître ? Que les veuves, les infirmes et tous les pauvres soient, je vous en prie, l'objet de vos soins affectifs. Même aux voyageurs, s'il en est qui soient dans le besoin, fournissez de l'argent sur les fonds qui m'appartiennent et que j'ai déposés chez Rogatianus, notre collègue dans le sacerdoce. Dans la pensée que ces fonds ont peut être été déjà distribués tout entiers, j'envoie au même Rogatianus, par le diacre Naricus, une autre somme, afin que l'on puisse plus abondamment et plus promptement faire la charité à ceux qui sont dans le besoin. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 8 *

Le sous-diacre Crementius, venu vers nous de votre part pour des raisons particulières, nous a dit que le bienheureux pape Cyprien s'était éloigné dans une retraite et qu'il avait eu raison de le faire, attendu qu'il est un personnage de marque. Or la lutte vient, que Dieu a permise pour que l'on combatte en ce monde l'adversaire avec son serviteur et pour rendre les anges et les hommes témoins de ce combat, où celui qui aura remporté la victoire sera couronné, tandis que le vaincu subira la sentence que nous savons. D'ailleurs le soin du troupeau nous incombe à nous qui sommes à sa tête apparemment pour le conduire et remplir la fonction des pasteurs. On nous dira donc, si nous sommes trouvés négligents, ce qu'on a dit à nos prédécesseurs, qui étaient des chefs très négligents, que nous n'avons pas cherché après les brebis perdues, ni remis dans le droit chemin celles qui s'étaient égarées, ni bandé leurs pattes cassées, et que cependant nous buvions leur lait et nous couvrions de leur laine. (cf Ez 34,3). Enfin, le Seigneur Lui-même, réalisant ce qui est écrit dans la Loi et les prophètes, nous instruit quand Il dit : "Je suis le bon pasteur, et je donne ma vie pour mes brebis. Mais celui qui est un mercenaire, et à qui n'appartiennent pas les brebis, voyant le loup venir, les abandonne et prend la fuite et le loup les disperse." (Jn 10,10-11). Il dit aussi à Simon : "M'aimes-tu ?" A quoi celui-ci répond : "Je T'aime. " Et il lui dit : "Pais mes brebis." Que cette parole ait été exécutée nous le savons par le fait même de sa mort; et les autres disciples firent de même.
Aussi voulons-nous, frères très chers, que l'on trouve en vous non des mercenaires, mais de bons pasteurs. Vous savez bien, en effet, que ce ne serait pas le moindre danger que de n'exhorter pas nos frères à demeurer inébranlables dans la foi, car alors, donnant tête baissée dans l'idolâtrie, ils risqueraient de ruiner radicalement la fraternité.
Ce n'est point seulement en paroles, que nous vous exhortons ainsi, mais vous pourrez apprendre de plusieurs personnes arrivant de chez nous, qu'avec la grâce de Dieu, nous avons fait et faisons toutes ces choses avec tout le zèle possible, et au risque de souffrir en ce monde. Nous nous mettons plus devant les yeux la crainte de Dieu et les peines éternelles que la crainte des hommes, et un mal passager; nous n'abandonnons pas la fraternité, mais exhortons ses membres à rester debout dans leur foi et à se faire un devoir d'être prêts à aller avec le Seigneur. Même il en est qui montaient pour accomplir ce pourquoi on les convoquait et que nous avons fait revenir sur leurs pas. L'Église est debout, ferme dans la foi, bien que certains, pris de peur, soit parce qu'ils étaient des personnages de marque, soient parce qu'ils avaient été arrêtés, aient cédé à une crainte humaine et soient tombés. Ils se sont séparés de nous, mais nous ne les avons pas abandonnés; nous les avons exhortés et nous les exhortons à faire pénitence, pour essayer d'obtenir leur pardon de celui qui peut l'accorder, de peur qu'abandonnés par nous ils ne deviennent pires encore.
Vous voyez donc, frères, que vous aussi vous avez le devoir, d'abord, d'agir de même, afin que, grâce à vos exhortations, ceux qui sont tombés changent de sentiments, et s'ils sont arrêtés de nouveau, confessent leur foi et réparent la faute antérieurement commise. Il y a, de plus, d'autres devoirs qui vous incombent et que nous avons voulu indiquer aussi : par exemple, si ceux qui ont succombé à l'épreuve sont attaqués par la maladie et que se repentant de leur acte, ils demandent la communion, on doit naturellement venir à leur secours. Les veuves, les indigents qui ne peuvent subvenir à leur entretien, ceux qui ont été incarcérés ou chassés de chez eux doivent avoir quelqu'un de délégué à leur service. Même les catéchumènes, tombant malades, ne devront pas être déçus dans leur espérance, mais on doit venir à leur secours. Mais surtout, si l'on n'enterre pas les martyrs ou d'autres morts, ceux à qui incombe cet office encourent une grande responsabilité. Celui donc de vous qui, à chaque occasion, aura fait ce que nous disons, nous sommes sûrs qu'il sera jugé bon serviteur, et pour avoir été "fidèle en de petites choses mis à la tête de dix cités." (cf Lc 19,17). Fasse Dieu, qui donne à ceux qui espèrent en Lui, tout ce qu'ils Lui demandent, que tous nous accomplissions ces oeuvres. Les frères qui sont aux fers vous saluent, ainsi que les prêtres et toute l'Église qui veille elle-même, avec le plus grand soin, sur tous ceux qui invoquent le Nom du Seigneur. Mais, de notre côté, nous aussi, nous vous demandons de vous souvenir de nous à votre tour. Sachez que Bassianus est arrivé. Nous vous demandons, à vous qui avez le zèle du service de Dieu, de transmettre copie de cette lettre à tous ceux que vous pourrez, en profitant des occasions qui se présentent (ou bien d'écrire une lettre vous-même), ou en envoyant un exprès, afin qu'ils restent debout, vaillants et fermes dans la foi. Nous souhaitons, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
* Cette lettre est adressée par le clergé de Rome, pendant la vacance du siège, au clergé de Carthage.

LETTRE 9

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DlACRES DE ROME SES FRERES, SALUT.

Le bruit courait ici, mes très chers frères, que l'homme excellent qui était mon collègue dans l'épiscopat, avait quitte ce monde.** C'était un bruit vague et l'on ne savait à quoi s'en tenir, lorsque j'ai reçu la lettre que vous m'avez envoyée par le sous-diacre Crementius pour m'informer en détail de sa fin glorieuse. Je me suis grandement réjoui de ce qu'une administration aussi irréprochable que la sienne avait eu également un couronnement honorable. Je vous félicite aussi, vivement, de rendre à sa mémoire un si unanime et si glorieux témoignage. Nous avons su par vous des détails qui, tout à la fois et vous honorent dans votre chef, et nous offrent, à nous, un exemple de foi et de vertu. Autant la défaillance d'un chef peut entraîner par sa funeste influence la chute de ceux qui le suivent, autant est utile et salutaire la fermeté de la foi par laquelle il se montre digne d'être imité par les frères.
J'ai lu aussi une autre lettre, dont rien ne fait connaître ni le rédacteur ni les destinataires. Et, comme la forme, le fond et la tenue matérielle de cette même lettre me faisaient craindre qu'on y eût supprimé ou change quelque chose, je vous en renvoie l'original, afin que vous reconnaissiez si c'est la même que vous avez remise au sous-diacre Crementius. Ce serait chose très grave, en effet, qu'une lettre du clergé eût été falsifiée et altérée par fraude. Afin que nous puissions savoir la vérité, voyez si l'écriture et la suscription sont bien vôtres, et écrivez-nous ce qu'il en est au juste. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
** Le pape saint Fabien, martyrisé, le 20 janvier 250

LETTRE 10

CYPRIEN AUX MARTYRS ET CONFESSEURS DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS CHRIST, SALUT ÉTERNEL EN DIEU LE PERE.

Je tressaille de joie, très vaillants et très heureux frères, en vous félicitant de votre fidélité et de votre courage. L'Église, votre mère, en est fière, elle qui avait été fière déjà, lorsque, dernièrement, vous aviez, sans faiblir, confessé votre foi, et subi la sanction qui jetait hors du pays les confesseurs du Christ. La manière pourtant dont vous l'avez confessée tout dernièrement est plus glorieuse et plus éclatante, dans la proportion même où l'épreuve demandait plus de courage. Vous n'avez point molli dans la lutte par la peur des tourments, mais, excités par les tourments eux-mêmes à la lutte, vous vous êtes portés avec un coeur généreux à l'effort du plus grand combat. Parmi vous, j'ai appris que certains sont déjà couronnés, que d'autres touchent à la couronne due aux vainqueurs; tout le bataillon glorieux de ceux sur qui se sont refermées les portes de la prison est animé de la même ardeur courageuse pour le combat. Tels doivent être, dans le camp de Dieu, les soldats du Christ, dont l'incorruptible fermeté dans la foi ne se laisse ni séduire par les avances, ni effrayer par les menaces, ni vaincre par les supplices et les tourments. Celui-là qui est parmi nous est plus grand que celui qui est dans ce monde, et les peines de la terre sont moins puissantes pour faire tomber que ne l'est pour tenir debout la protection divine. La preuve en a été faite dans le combat glorieux soutenu par nos frères; ils ont appris aux autres à vaincre les tourments par l'exemple de courage et de fidélité qu'ils ont donné en luttant contre l'ennemi jusqu'à ce qu'il fût vaincu.
Comment chanter vos louanges, frères pleins de vaillance ? La force de votre coeur, la constance de votre fidélité, de quels éloges les couvrir ? Vous avez enduré, jusqu'à la consommation de la gloire, la plus rude des tortures, et ce n'est pas vous qui avez cédé aux tourments, mais plutôt les tourments qui vous ont cédé. La fin de vos souffrances, que vous ne pouviez trouver dans des supplices qui ne finissaient pas, vous a été donnée avec la couronne. Les mauvais traitements du bourreau ont tant duré, non pour faire tomber une fidélité inébranlable, mais pour permettre à des hommes de Dieu d'aller plus vite à Dieu. La foule de ceux qui étaient là a vu avec admiration la lutte spirituelle, le combat du Christ; elle a vu ses serviteurs luttant sans se laisser abattre, confessant leur foi à voix haute, incorruptibles, animés d'un courage surhumain, dépourvus des armes du siècle, mais couverts des armes de la foi. Les torturés sont restés debout plus forts que ceux qui les torturaient, et les ongles de fer ont eu beau frapper et déchirer : les membres frappés et déchirés les ont vaincus. Une foi inexpugnable a eu raison de coups longtemps répétés, alors que, dans le corps disloqué des serviteurs de Dieu, ce n'étaient plus des membres que la torture blessait, mais des blessures qu'on rouvrait. Le sang coulait qui devait éteindre l'incendie de la persécution, assoupir sous son ondée glorieuse les feux et les flammes. O la belle fête que donnait notre Seigneur, combien élevée, combien magnifique, combien agréable aux Yeux de Dieu par la fidélité au serment et le dévouement de ses soldats ! Il est écrit dans le livre des psaumes, où l'Esprit saint nous parle à la fois et nous exhorte : "Elle est précieuse aux Yeux de Dieu la mort de ses justes". (Ps 115,15). Elle est vraiment précieuse, cette mort qui achète l'immortalité au prix du sang, qui reçoit la couronne en déployant le suprême courage.
Combien le Christ fut heureux alors, combien il prit plaisir à combattre et à vaincre dans la personne de tels serviteurs, Lui qui protège ceux qui Lui sont fidèles, et qui donne à ceux qui croient dans la mesure même où ils pensent recevoir ! Il a été présent au combat donné en son Nom, Il a soutenu, fortifié, animé ses soldats et ses champions; et Lui, qui a vaincu une fois la mort pour nous, triomphe toujours en nous : "Quand on vous livre, dit-Il, ne cherchez pas ce que vous direz; ce que vous devez dire vous sera inspiré à l'heure même : car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20).
La présente lutte en a fourni une preuve. Une parole pleine de l'Esprit saint est tombée des lèvres d'un martyr, lorsque le bienheureux Mappalicus ***, au milieu des tourments, dit au proconsul : "Demain, vous aurez le spectacle d'un combat dans l'arène". Cette promesse, qui témoignait du courage de sa foi, Dieu l'a accomplie. Une lutte céleste, un combat de martyre, a été donné, et le serviteur de Dieu dans la lutte annoncée a remporté la couronne. Voilà le combat que le prophète Isaïe a prédit, en disant : "Il ne s'agit pas d'un chétif combat humain, c'est Dieu Lui-même qui le donne". (Is 7,13-14). Et, pour bien montrer de quelle nature devait être ce combat, il ajoute : "Voici qu'une vierge concevra et enfantera et vous donnerez à son fils le nom d'Emmanuel". (Ibis 14). Voilà le combat de notre foi, pour laquelle nous luttons, nous vainquons, nous remportons la couronne. C'est l'épreuve agonistique annoncée aussi par le bienheureux apôtre Paul, où nous devons courir dans la carrière, et parvenir à la couronne de gloire. "Ne savez-vous pas, dit-il, qu'à la course du stade tous courent, et qu'un seul reçoit la palme. Courez de manière à l'obtenir. Eux, ils courent pour une couronne périssable, au lieu que nous en disputons une qui est impérissable." (1 Cor 9,24-25). De même, il dit encore, indiquant le combat qu'il doit livrer, et annonçant qu'il sera bientôt une victime immolée au Seigneur : "Pour moi, voici qu'on répand sur moi la libation et que le moment de mon entrée au ciel approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, et conservé ma foi. Il me reste à recevoir la couronne de justice que Dieu me réserve pour le grand jour, Lui le juste juge, à moi, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui ont aimé son avènement". (2 Tim 4,7-8). C'est cet lutte prédit par les prophètes, donné par Dieu, soutenu par ses apôtres, que Mappalicus, en son nom et au nom de ses collègues, promettait au proconsul. Et la promesse a été tenue qu'avait donnée sa parole fidèle. Le combat qu'il avait promis, il l'a donnée et il a reçu la palme conquise. Le bienheureux martyr, et ses compagnons de lutte, fermes dans la foi, patients dans la souffrance, victorieux dans la torture, je vous souhaite et je vous recommande ardemment, de les imiter tous à votre tour. Ainsi ceux que le lien de la foi confessée en commun et la communauté de prison a réunis se trouveront réunis encore pour l'épreuve suprême et pour la couronne. Ainsi, les larmes de l'Église notre mère, qui pleure la chute et la mort d'un grand nombre, seront essuyées par la joie que vous lui donnerez, tandis que la fermeté de ceux qui sont aussi toujours debout, encouragée par votre exemple, sera plus solide encore. Si la lutte vous appelle, si le jour vient de votre combat, soyez des soldats vaillants, de fermes lutteurs, sachant que vous combattez sous le Regard de Dieu, que la confession de son Nom vous conduit au partage de sa gloire. Il n'est pas disposé à se contenter de regarder ses serviteurs : Il lutte Lui-même en nous, Lui-même il livre le combat, Lui-même, au terme de notre lutte donne tout à la fois et reçoit la couronne.
Que si, avant le jour où vous devriez combattre, la divine Bonté ramène la paix, votre bonne volonté vous demeure tout entière, avec la conscience de vos résolutions généreuses. Que personne de vous ne s'attriste comme s'il était inférieur à ceux qui, endurant des tourments avant nous, ont vaincu et foulé aux pieds le siècle, et sont allés à Dieu par des voies glorieuses : le Seigneur scrute les coeurs et les reins, Il pénètre les replis mystérieux, et voit ce qui est caché. Pour mériter la couronne qu'Il donne, il suffit de l'avoir Lui-même pour témoin : c'est Lui qui doit nous juger. Ainsi donc, mes très chers frères, de ces deux choses, l'une et l'autre est également élevée et glorieuse : l'une est plus sûre, d'aller vite au Seigneur, en couronnant aussitôt sa victoire; l'autre est plus riante, de recevoir son congé après un un service glorieux et de vivre honoré dans l'Église. Heureuse notre Église qu'illumine ainsi l'éclat de la divine Bonté, que décore le sang glorieux des martyrs immolés de nos jours. Auparavant, la conduite des frères la parait de la blancheur de l'innocence; aujourd'hui, le sang des martyrs la revêt de pourpre. Ni les lis, ni les roses ne lui manquent. Qu'à l'envi maintenant chacun s'efforce d'atteindre à la plus éminente dignité de ces deux états honorables; que chacun reçoive des couronnes, ou blanches pour ses bonnes oeuvres, ou rouges pour ses souffrances. Dans le camp de Dieu, la paix et la lutte ont chacune leurs fleurs, et le soldat du Christ peut s'en faire des couronnes de gloire. Je souhaite, frères très vaillants et très heureux, que vous vous portiez toujours bien en notre Seigneur, et quo vous vous souveniez de nous. Adieu.

*** Mappamicus est inscrit dans le martyrologe Carthaginois au 13 ou 15 des Calendes de mai.

 

 

 

LETTRE 11

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES, SES FRERES, SALUT

Je n'ignore pas, mes très chers frères, que la crainte de Dieu que nous devons tous avoir, vous porte à vaquer assidûment, la où vous êtes, à la prière et à d'instantes supplications. Je crois, cependant, devoir encore inviter votre religieuse sollicitude à ne pas se borner, pour apaiser le Seigneur et L'apitoyer, à la seule parole, mais à Lui faire entendre vos supplications par des jeûnes, des prières, et par tous les moyens possibles de détourner sa Colère. Il faut bien nous rendre compte, en effet, et confesser que les ravages de cette affreuse tourmente qui a désolé si fortement notre troupeau, et le désole encore, sont la suite de nos péchés, de notre négligence à suivre la voie du Seigneur, et à observer les préceptes qu'Il nous a donnés pour notre salut. Notre Seigneur a fait la Volonté de son Père, et nous nous ne faisons pas la Volonté de Dieu; nous marchons dans les chemins de l'orgueil; nous nous abandonnons à la jalousie et aux querelles, nous laissons la simplicité et la bonne foi, renonçant au siècle en paroles seulement et non en actes, pleins de complaisance pour nous-mêmes, de sévérité pour les autres. Voilà pourquoi nous recevons des coups que nous méritons. Il est écrit, en effet : "Te serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne lui obéit pas recevra un grand nombre de coups". (Lc 12,47). Quels coups, quelles verges ne méritons-nous pas, alors que les confesseurs mêmes, qui devraient être l'exemple des autres, ne se conduisent pas comme il faut. Aussi, pendant que certains se vantaient insolemment, et s'enflaient d'orgueil parce qu'ils avaient confessé le Christ, les tortures sont venues, que le bourreau ne termine point, que la sentence de condamnation ne limite point, que la mort ne console point, des tortures qui ne laissent pas facilement le patient aller recevoir sa couronne, mais qui le tourmentent jusqu'à ce qu'elles le fassent tomber, à moins que, sauvé par la Bonté divine, on ne tire avantage des tourments eux-mêmes, en obtenant la gloire, non par la fin du supplice, mais par une prompte mort.
Nous souffrons ces maux par notre faute et selon nos mérites; la divine censure nous a prévenus : "S'ils abandonnent ma loi et ne marchent pas selon mes ordonnances, s'ils violent mes préceptes et n'observent pas mes commandements, Je visiterai, la verge à la main, leurs oeuvres perverses, et Je punirai leurs iniquités à coups de fouet". (Ps 88,31-33). Nous sentons donc la morsure des fouets et des verges parce que nous n'apaisons pas Dieu par nos bonnes actions, et que nous ne Lui offrons pas de satisfaction pour nos péchés. Implorons cependant du fond du coeur de toute notre âme, la Miséricorde de Dieu, car Il ajoute : "Mais, pour ma Miséricorde, Je ne la leur retirerai point". (Ps 88,34). Demandons et nous recevrons; et, si nous sommes quelque temps sans recevoir et que cela traîne, à cause de la gravité de nos fautes, frappons, car on ouvre à celui qui frappe, à une condition pourtant : c'est qu'à la porte frappent avec insistance, prières, gémissements et larmes, et qu'enfin notre prière parte de coeurs unis.
En effet, et c'est ce qui m'a engagé surtout et poussé à vous écrire, vous saurez que le Seigneur daignant Se manifester à nous, il nous a été dit au cours d'une apparition : "Demandez, et vous recevrez". Puis, avis fut donné au peuple présent de prier pour certaines personnes déterminées. Mais, dans la prière, il y eut des paroles et des sentiments qui ne s'accordaient point, et cela déplut fort à celui qui avait dit : "Demandez, et vous recevrez", de voir que le peuple chrétien n'était pas à l'unisson et qu'on ne trouvait point parmi les frères unité de vues, ni simplicité et union des coeurs. Il est écrit cependant : "Dieu qui fait habiter dans une maison à eux, ceux qui s'entendent". (Ps 67,7). Nous lisons aussi dans les Actes des Apôtres : "La multitude des croyants n'avait qu'un coeur et qu'une âme";(Ac 4,32) et le Seigneur nous a instruits de sa propre Bouche : "Le commandement que Je vous donne, dit-Il, c'est de vous aimer les uns les autres", (Jn 15,17) et encore : "Je vous le déclare, si deux d'entre vous sont d'accord sur la terre pour demander quelque chose, elle leur sera accordée, quelle qu'elle soit, par mon Père qui est dans les cieux". (Mt 18,19). Que si deux fidèles qui s'accordent ont tant de pouvoir, que serait-ce si tous s'accordaient. Si tous les frères s'entendaient conformément aux instructions de paix que le Seigneur nous a données, il y a longtemps que nous aurions obtenu de la divine Bonté ce que nous demandons, et nous ne serions pas si longtemps ballottés au milieu d'épreuves qui mettent en péril notre salut et notre foi. Que dis-je ? les maux présents ne se seraient pas abattus sur la communauté, si les frères n'avaient eu qu'un coeur et qu'une âme.
En effet, on a vu encore le Père de famille assis sur son siège, ayant à sa droite un jeune homme. Ce jeune homme, anxieux, un peu triste, et comme mécontent, était assis, se tenant le menton avec la main, d'un air affligé. Un autre, qui était à gauche, portait un filet qu'il semblait sur le point de lancer pour prendre les gens qui étaient tout autour. Comme celui qui avait cette vision se demandait ce que cela voulait dire, il lui fut répondu que le jeune homme qui était ainsi assis à droite était triste et affligé parce qu'on n'observait pas ses préceptes, tandis que celui qui était à gauche se réjouissait parce que l'occasion lui était fournie d'obtenir du père de famille la permission de sévir. Cette apparition fut de longtemps antérieure à l'éclosion de la présente tempête dévastatrice, et nous en voyons l'accomplissement : tandis que nous méprisons les ordres du Seigneur, que nous n'observons pas les prescriptions salutaires de la loi qui nous a été donnée, l'ennemi a obtenu le droit de nous faire du mal, de jeter son filet et d'en envelopper ceux qui sont moins armés, ou moins sur leurs gardes pour repousser ses attaques.
Prions donc avec insistance et ne cessons de gémir. Car ce reproche aussi, mes très chers frères, nous a été fait, il n'y a pas longtemps, dans une vision, que nous sommes somnolents dans nos prières, et que nous ne parlons pas à Dieu comme des gens qui veillent. Et Dieu alors, qui aime celui qu'Il reprend, quand Il reprend quelqu'un ne le reprend que pour l'encourager, ne le corrige que pour le sauver. Secouons donc et brisons les liens du sommeil, et prions avec insistance et attention, selon le précepte de l'apôtre Paul : "Persévérez dans la prière, et veillez en priant". En effet, les apôtres ne cessaient pas de prier le jour et la nuit, et le Seigneur Lui-même, notre Maître, a prié fréquemment et veillé dans la prière, comme nous le lisons dans l'évangile : "Il alla prier sur la montagne, et il passait la nuit à invoquer Dieu". (Lc 6,12). A coup sûr, quand Il faisait tant que de prier, c'était pour nous, puisqu'Il n'était pas personnellement pécheur, mais portait seulement nos péchés. Et il est si vrai que c'était pour nous, qu'Il s'efforçait d'apaiser son Père, que nous lisons en un autre endroit : "Et le Seigneur dit à Pierre : Voici que Satan a demandé à vous secouer comme le froment; mais moi J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point". (Lc 22,31). C'est pour nous et pour nos péchés qu'Il peine et veille, et prie : quelle raison de plus pour nous de persévérer dans les prières et les supplications, et d'invoquer d'abord le Seigneur Lui-même, puis, par Lui, de donner satisfaction à Dieu le Père ! Nous avons pour avocat et pour intercesseur pour nos péchés Jésus Christ notre Seigneur et notre Dieu, à une condition toutefois : c'est que nous regrettions d'avoir péché dans le passé, et que, confessant nos transgressions, qui nous rendent actuellement désagréables au Seigneur, pour l'avenir du moins nous promettions de marcher dans ses voies et de respecter ses commandements. Notre Père nous corrige et nous protège, à condition que nous restions fidèles, et qu'au milieu des tribulations et des persécutions nous nous tenions fermement attachés à son Christ. Il est écrit : "Qui nous séparera de l'amour du Christ ? la tribulation ? la détresse ? la faim ? la nudité ? le danger ? le glaive ?" (Rom 8,35). Rien de tout cela ne peut séparer de lui ceux qui croient en Lui, rien ne peut arracher à son Corps, et à son Sang ceux qui y sont attachés. Cette persécution n'est qu'un moyen de sonder notre coeur. Dieu a voulu que nous fussions secoués et éprouvés, comme il a de tout temps éprouvé ceux qui Lui appartiennent, sans que jamais, au cours de ces épreuves, le secours ait manqué à ceux qui croient en Lui.
Enfin, au moindre de ses serviteurs, charge de fautes nombreuses et indigne de sa considération, Il a daigné, dans sa Bonté pour nous, envoyer un message : "Faites lui savoir, a-t-il dit, d'être tranquille parce que la paix va venir; s'il y a un peu de délai, c'est parce qu'il y a encore quelques chrétiens à mettre à l'épreuve". La divine Bonté daigne aussi nous recommander la sobriété dans le boire et le manger, de peur que notre coeur, maintenant animé d'une vigueur céleste, ne se laisse énerver par les douceurs du siècle, ou que notre âme, appesantie par une trop grande abondance d'aliments, ne soit plus autant en éveil pour la prière.
Je ne devais pas cacher ces faits, et en garder la connaissance pour moi seul, puisque chacun de nous peut en profiter pour sa gouverne. Vous-mêmes enfin, vous ne devrez pas les tenir secrets, mais en faire passer le récit aux frères pour qu'ils le lisent. Arrêter en effet les avertissements dont le Seigneur daigne nous favoriser; serait le fait de celui qui ne veut pas que son frère soit instruit et averti. Qu'ils sachent donc que nous sommes mis à l'épreuve par notre Maître, et que la foi qui leur a fait croire en Lui ne défaille pas dans le choc de la tribulation présente. Que chacun, reconnaissant ses fautes, se dépouille maintenant du moins des oeuvres du vieil homme. "Quiconque regarde derrière soi, après avoir mis la main à la charrue, n'est point fait pour le royaume de Dieu." (Lc 9,62). Enfin la femme de Loth, délivrée du danger, ayant, contre la défense qui lui en avait été faite, regardé en arrière, se perdit. Tournons notre attention, non vers ce qui est derrière, où le diable nous rappelle, mais vers ce qui est devant, où le Christ nous appelle. Levons les yeux vers le ciel, afin que la terre ne nous prenne pas avec ses appâts et ses charmes. Que chacun invoque Dieu, non pour soi seulement, mais pour tous les frères. C'est la manière dont le Seigneur nous a appris à prier. Il ne recommande pas à chacun une prière privée, mais Il nous ordonne de prier pour tous d'une prière commune, et d'un commun accord. Si le Seigneur nous voit humbles et calmes, unis les uns aux autres, redoutant sa colère, corrigés et amendés par la tribulation présente, Il nous mettra à couvert des attaques de l'ennemi. L'avertissement a précédé, le pardon suivra.
Nous, cependant, ne cessons pas de demander et d'espérer recevoir. D'un coeur droit et d'un commun accord, supplions le Seigneur, L'implorant avec des gémissements et des larmes, comme doivent l'implorer des gens qui sont entre des malheureux abattus qui se frappent la poitrine et des fidèles qui craignent de succomber à leur tour, entre une foule de blessés qui sont par terre, et un petit nombre qui tient bon. Demandons que la paix nous soit promptement rendue, que le secours vienne qui dissipe nos ténèbres et nos périls, que les changements annoncés par Dieu se produisent : la restauration de son Église, la sécurité de notre salut; après les ténèbres la lumière, après les orages et les tempêtes la douce sérénité. Demandons-Lui que son Affection paternelle vienne à notre secours, qu'Il opère les merveilles de sa Puissance, afin que les blasphèmes orgueilleux des persécuteurs soient confondus, que ceux qui sont tombés se soumettent à une pénitence plus régulière, et que la foi ferme et constante de ceux qui persévèrent soit glorifiée. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours bien, et que vous vous souveniez de nous. Saluez les frères en mon nom, et priez-les de se souvenir de nous. Adieu.

LETTRE 12

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT

Quoique je sache bien, mes très chers frères, que mes lettres vous ont fréquemment recommandé de veiller avec zèle sur ceux qui ont glorieusement confessé le Seigneur et qui sont en prison, cependant j'insiste encore auprès de vous afin que rien ne manque au point de vue des soins à ceux a qui rien ne manque au point de vue de la gloire. Plût à Dieu que le rang que j'occupe me permit d'être présent là-bas : c'est de grand coeur qu'accomplissant mon ministère ordinaire je remplirais auprès de nos chers frères tous les bons offices de la charité. Que du moins vos bons soins me remplacent et fassent ce qu'il convient de faire à l'égard de ceux que la divine Bonté a honores pour la foi et le courage qu'ils ont montré. Les corps mêmes de ceux qui, sans avoir été martyrisés, meurent en prison et sortent ainsi glorieusement de ce monde doivent être aussi l'objet d'une vigilance particulière et de soins spéciaux. La vaillance de ces confesseurs et leur gloire ne sont pas moindre que celle des martyrs et, par conséquent, il n'y a point de raison de ne pas les joindre à leur troupe bienheureuse. En ce qui les concerne, ils ont enduré tout ce qu'ils étaient prêts à endurer. Celui qui s'est offert aux tourments et à la mort, aux regards de Dieu, a souffert en réalité tout ce qu'il a accepté de souffrir. Ce n'est pas lui qui a manqué aux supplices, ce sont les supplices qui lui ont manqué : "Celui qui m'aura confessé devant les hommes Je le confesserai, à mon tour, devant mon Père", (Mt 10,32) dit le Seigneur. Ils l'ont confessé. "Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé." (Mt 10,22). Ils ont persévéré, et, jusqu'à la fin, sans défaillance et sans tache, ils ont soutenu les mérites de leur courage. Il est encore écrit : "Soyez fidèle jusqu'à la mort et Je vous donnerai la couronne de vie". (Ap 2,10). Jusqu'à la mort, ils sont restés fidèles, inébranlables, invincibles. Quand à la volonté de confesser le Christ et à la confession même s'ajoute la mort dans la prison et dans les chaînes, la gloire du martyre est consommée.
Enfin, tenez note des jours ou ils sortent de ce monde, afin que nous puissions joindre leur mémoire à celles des martyrs. D'ailleurs, Tertullus, notre frère si dévoué et si fidèle, au milieu des sollicitudes que lui imposent les services de tout genre qu'il rend aux frères, ne manque pas de s'occuper aussi des corps de ceux qui meurent là-bas. Il m'a écrit et me fait connaître les jours où nos bienheureux prisonniers passent à l'immortalité par une mort glorieuse et nous offrons ici, en leur mémoire, des oblations et des sacrifices que bientôt, avec la Protection de Dieu, nous célébrerons là-bas avec vous.
Que les pauvres aussi, comme je vous l'ai souvent écrit, fassent l'objet de vos soins, j'entends ceux qui, debout encore et combattant courageusement avec nous, n'ont pas abandonné le camp du Christ. Nous leur devons d'autant plus d'affection et de soins que ni la pauvreté n'a pu les réduire, ni la tourmente de la persécution les abattre et que, servant fidèlement le Seigneur, ils ont donné un exemple de foi aux autres pauvres. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez de ma part la communauté des frères. Adieu.

LETTRE 13

CYPRIEN AU PRETRE ROGATIANUS ET AUX AUTRES FRERES QUI ONT CONFESSÉ LA FOI. SALUT.

Déjà antérieurement, frères très chers et très vaillants, je vous avais écrit pour exalter votre foi et votre courage, et maintenant de nouveau ma lettre a pour objet principal de venir joyeusement célébrer encore et sans cesse votre nom glorieux. Qu'est-ce, en effet, qui pourrait me paraître ou plus grand ou meilleur que de voir votre gloire de confesseurs rayonner sur le troupeau du Christ ? Tous les frères doivent s'en réjouir, mais, dans la joie commune, la part de l'évêque est plus grande. L'honneur d'une Église est l'honneur de son chef. Autant nous pleurons sur ceux que la tempête ennemie a fait tomber, autant nous sommes heureux à cause de vous que le démon n'a pu vaincre.
Nous vous exhortons cependant, par notre commune foi, par la charité vraie qui est dans notre coeur, à prendre soin, vous qui avez vaincu l'ennemi dans ce premier engagement, de soutenir votre gloire avec un ferme et persévérant courage. Nous sommes encore dans le siècle, encore sous les armes, combattant encore tous les jours pour notre vie. Il faut donner vos soins à ce que ces débuts soient suivis de progrès et que de si heureux commencements trouvent leur consommation. C'est peu d'avoir su acquérir quelque chose : il est plus important de savoir conserver ce qu'on a acquis; ce n'est pas un résultat obtenu qui sauve aussitôt l'homme, mais le succès final. Le Seigneur nous l'apprend avec l'autorité de son enseignement, quand Il dit : "Te voilà guéri, à l'avenir ne pèches plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire". (Jn 5,14). Pensez qu'Il tient le même langage à celui qui l'a confessé : "Vous voilà confesseur : ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de moins bon". Salomon et Saul et beaucoup d'autres, quand ils n'ont plus su se maintenir dans les voies du Seigneur, n'ont pu conserver la grâce qui leur avait été donnée; comme ils s'écartaient des enseignements du Seigneur la grâce du Seigneur s'est écartée d'eux.
Nous devons persévérer dans le chemin étroit de l'honneur. Tous les chrétiens doivent se montrer irréprochables, vivant dans le calme, la simplicité et la paix, selon la parole du Seigneur, qui ne regarde que ceux qui sont humbles, paisibles, ayant la crainte de ses enseignements. A plus forte raison la pratique de ces vertus s'impose à des confesseurs qui, comme vous, sont devenus l'exemple de leurs frères, et dont les moeurs doivent être proposées comme un modèle à la conduite des autres. De même que les Juifs se sont aliéné la Bienveillance divine, parce qu'à cause d'eux le Nom de Dieu est blasphémé parmi les nations, de même, mais en raison inverse, ceux-là sont chers à Dieu, dont la bonne conduite fait louer son Nom. On lit en effet dans l'Écriture cet avertissement du Maître : "Que votre lumière brille devant les hommes afin qu'ils voient que vos oeuvres sont bonnes et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). L'apôtre Paul dit aussi : "Brillez comme des luminaires dans le monde". (Ph 2,15). Et Pierre fait la même exhortation : "Comme des étrangers et des voyageurs, abstenez-vous des désirs charnels qui combattent contre l'esprit, tenant une bonne conduite parmi les Gentils, afin que, s'ils sont tentés de vous critiquer, ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient le Seigneur". (1 Pi 2,11-12). C'est ce que la plupart d'entre vous observent à ma grande joie : devenus meilleurs pour avoir glorieusement confessé le Christ, ils gardent leur gloire par une vie d'ordre et de vertu.
Mais j'entends dire que quelques-uns parmi vous font tache dans la masse et rabaissent l'honneur de la majorité par leur mauvaise conduite. Vous qui avez à coeur de conserver votre bon renom, vous devez les exhorter, les retenir et les corriger. Quelle honte pour votre nom s'attache aux fautes commises lorsque l'un se montre, au pays, en état d'ivresse et faisant des folies, tandis qu'un autre banni de sa patrie y revient pour s'y faire prendre et y périr, non comme chrétien, mais comme violateur des lois. J'entends dire que certains s'enflent d'orgueil, alors qu'il est écrit : "Ne t'enorgueillis pas, mais crains. Si le Seigneur n'a pas épargné les branches naturelles, il pourrait ne pas t'épargner non plus". (Rom 11,20-21). Notre-Seigneur "S'est laissé conduire comme une brebis à l'immolation et, comme un agneau qui se laisse tondre sans bêler, il n'a pas ouvert la bouche". (Is 53,7). "Je ne suis pas, dit-il, entêté et je ne contredis point. J'ai présenté mon dos aux fouets et ma figure aux soufflets. Et je n'ai pas détourné mon visage des outrages et des crachats." (Ez 50,5-6). Qui donc, vivant en Lui et par Lui, ose s'élever et s'enorgueillir, oubliant tout à la fois et les actes qu'Il a faits et les préceptes qu'Il nous a donnés par Lui-même et par ses apôtres ? Que si "le serviteur n'est pas au-dessus du maître", (Jn 15,20) que ceux qui suivent le Seigneur marchent sur ses traces avec humilité, avec calme, en silence. Car celui qui aura été inférieur deviendra supérieur. Le Seigneur dit en effet : "Celui qui aura été le plus petit parmi vous, celui-là sera grand". (Lc 9,48).
Qu'est-ce encore que cet autre mal, et combien détestable, que nous avons appris avec la plus grande douleur : il s'en trouve parmi vous qui souillent, par une promiscuité infamante, un corps qui était le temple de Dieu, et des membres que la confession du Seigneur avait sanctifiés davantage et illuminés de nouveau; ils n'hésitent pas à coucher dans les locaux ou couchent les femmes. Quand ils n'auraient la conscience souillée d'aucun commerce impur, c'est déjà un grand crime que de scandaliser et de donner des exemples pernicieux. Il ne doit pas non plus exister entre vous de luttes ni de rivalités, car le Seigneur nous a laissé sa paix et il est écrit : "Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Si, au contraire, vous vous dévorez d'accusations mutuelles, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres". (Gal 5,14-15). Abstenez-vous aussi, je vous en prie, des outrages et des injures : car, d'une part, les diseurs d'injures n'entreront pas dans le royaume de Dieu, et, d'autre part, une langue qui a confessé le Christ doit se conserver pure et incorruptible et garder son honneur; celui qui n'a que des paroles de paix, de bonté, de justice, selon le précepte du Christ, celui-là confesse le Christ tous les jours. Nous avions renoncé au siècle au moment de notre baptême, mais c'est maintenant que nous y renonçons en vérité, maintenant que, dans l'épreuve, abandonnant tout ce qui nous appartenait, nous avons suivi le Seigneur, et que nous restons debout et vivants, par la foi en Lui et la crainte de son Nom.
Fortifions-nous par des exhortations mutuelles et faisons de plus en plus des progrès dans la vie chrétienne, afin que, quand Celui en qui nous vivons nous aura, dans sa Miséricorde, donné la paix qu'Il promet de nous donner, nous revenions à notre Église renouvelés et presque devenus d'autres hommes. Alors, tous, tant nos frères que les Gentils, nous recevront corrigés et amendés, et après avoir admiré précédemment la vaillance de notre conduite, ils admireront la belle tenue de nos moeurs.
Bien que notre clergé ait reçu de moi des instructions détaillées, jadis, lorsque vous étiez encore en prison, et de nouveau tout récemment, afin qu'on vous fournit tout ce qui pouvait vous être nécessaire soit pour l'habillement soit pour la nourriture, cependant, j'ai encore pris personnellement sur les menus fonds que j'avais avec moi 250 sesterces * que je vous envoie, (j'en avais envoyé dernièrement 250 autres). Victor, qui, de lecteur, a été fait diacre et qui est avec moi, vous en a, de son côté, envoyé 175. Je suis heureux quand j'apprends que nombre de nos frères rivalisent de dévouement affectueux à votre égard et donnent de leur argent pour soulager vos nécessités. Je souhaite, mon très cher frère, que vous vous portiez toujours bien.
* Le sesterce valait alors environ 0,27 (en 1928)

LETTRE 14

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES

J'aurais bien souhaité, mes très chers frères, de pouvoir saluer notre clergé tout entier sain et sauf. Mais puisque la tempête de la persécution, qui a abattu la plus grande partie de notre peuple fidèle, a mis le comble à notre douleur en saccageant aussi une portion de notre clergé, nous demandons à notre Seigneur que vous, du moins, que nous savons demeurés fermes dans la foi et la vertu, nous puissions plus tard vous saluer toujours debout grâce à la divine Miséricorde. Bien que j'eusse des raisons pressantes d'aller en personne près de vous, d'abord par désir et impatience de vous revoir (ce qui est le plus ardent de mes voeux), ensuite pour que nous fussions en mesure d'étudier en commun ce que demande le gouvernement de l'Église, et, après l'avoir examiné tous ensemble, d'en décider exactement, cependant, il m'a paru préférable de rester encore caché provisoirement pour ménager des intérêts qui ne me sont point personnels, mais qui ont trait à la paix commune et à notre salut à tous. Sur cela Tertullus, notre très cher frère, vous donnera des explications. C'est lui qui, avec le dévouement empressé qu'il apporte d'ailleurs au service de la cause de Dieu, m'a encore donné le conseil d'être prudent et circonspect, et de ne point témérairement m'exposer en public, surtout dans un endroit où j'avais été tant de fois réclamé pour le supplice et recherché.
Comptant donc sur votre affection et votre esprit religieux, que je connais bien, je vous exhorte par la présente lettre et vous invite à veiller, vous dont la présence là où vous êtes n'excite aucune colère, et ne comporte guère de dangers, à tenir ma place pour faire ce que le service de la religion réclame. Que l'on ait toujours, dans la mesure et de la façon qu'il sera possible, soin des pauvres, j'entends de ceux qui, debout dans une inébranlable fermeté de foi, n'auraient pas quitté le troupeau du Christ; que par vos Soins, les secours nécessaires pour supporter leur indigence leur soient fournis, de peur que ce que leur foi les a empêchés de faire sous l'effort de la tempête, sous l'empire du besoin la nécessité le leur fasse faire. Que les confesseurs glorieux soient aussi l'objet de soins particuliers. Je sais que la sympathie et l'amitié des frères se sont chargées de la plupart d'entre eux. S'il en est pourtant qui manquent de vêtements ou de ressources, conformément à ce que je vous avais écrit, alors qu'ils étaient encore en prison, qu'on leur fournisse ce dont ils ont besoin. Mais qu'en même temps ils apprennent de vous, et se mettent bien dans l'esprit ce que, d'après l'enseignement des Écritures; la discipline ecclésiastique demande : c'est à savoir qu'ils doivent être humbles, modestes, paisibles, garder l'honneur de leur nom, afin que glorieux par le témoignage de leur bouche, ils soient glorieux aussi par leurs moeurs, et se rendent dignes, en servant bien le Seigneur en toutes choses, de mettre le comble à leur gloire, et de parvenir à la céleste couronne. Il leur reste plus à faire qu'ils n'ont déjà fait, car il est écrit : "Ne louez personne avant la mort"; (Ec 11,30) et encore : "Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie"; (Ap 2,10) et le Seigneur Lui-même dit : a"Celui qui aura souffert jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé". (Mt 1022). Qu'ils imitent le Seigneur qui, lorsque le temps de sa passion approchait, ne se montra pas plus fier mais plus humble. C'est alors qu'Il lava les pieds de ses disciples en disant : "si Je vous ai lavé les pieds, Moi qui suis votre Maître et Seigneur, vous devez, vous aussi, laver les pieds des autres. Car Je vous ai donné l'exemple, afin que ce que J'ai fait pour vous, vous le fassiez pour les autres". (Jn 13,14-15). Qu'ils imitent aussi l'apôtre Paul qui, après la prison plusieurs fois subie, après le fouet, après les bêtes, demeura en tout doux et humble, et mêmes après le troisième ciel et le paradis, ne montrait aucune arrogance. "Je n'ai, disait-il, mangé gratuitement le pain de personne, mais j'ai travaillé et me suis fatigué, peinant le jour et la nuit, pour n'être à charge à aucun d'entre vous." (2 Th 3,8).
Ces enseignements, je vous en prie, faites-les pénétrer dans I'esprit de nos frères. Parce que celui-là sera élevé qui se sera abaissé, il y a lieu pour eux maintenant de redouter davantage les embûches de l'adversaire, qui attaque d'autant plus qu'on est plus fort, et qui, plus acharné à cause de sa défaite, s'efforce de vaincre son vainqueur. Le Seigneur fera que moi aussi je les pourrai voir et disposer leurs âmes à conserver leur gloire. Je souffre, en effet, quand j'entends dire que certains parmi vous courent ça et là sans mesure ni retenue, passent le temps à des frivolités ou à des querelles, souillent en eux-mêmes, en dormant dans une promiscuité irrégulière, des membres du Christ, qu'ils ont confessé, et ne se laissent pas conduire par les prêtres et les diacres, mais font si bien que les moeurs perverses de quelques-uns déshonorent la gloire de beaucoup de bons confesseurs. Ils devraient craindre, au contraire, qu'ils ne soient condamnés par leur jugement et leur témoignage et privés de leur société. Celui-là seul, en effet, est un confesseur glorieux et véritable, dont l'Église, par la suite, n'a point à rougir, mais dont elle reste fière.
Quant à ce que m'ont écrit nos confrères dans le sacerdoce, Donatus, Fortunatus, Novatus et Gordianus, je n'ai pu y répondre tout seul, m'étant fait une règle, dès le début de mon épiscopat, de ne rien décider sans votre conseil et sans le suffrage du peuple, d'après mon opinion personnelle. Quand par la grâce de Dieu je serai retourné près de vous, alors, en commun, comme le veut la considération que nous avons les uns pour les autres, nous traiterons de ce qui a été fait ou qui est à faire. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien, et que vous vous souveniez de moi. Saluez bien de ma part les frères qui sont près de vous et recommandez-moi à leur souvenir. Adieu.

LETTRE 15

CYPRIEN AUX MARTYRS ET CONFESSEURS SES TRES CHERS FRERES, SALUT.

La sollicitude épiscopale et la crainte de Dieu me pressent, très courageux et très heureux martyrs, de vous rappeler par cette lettre que ceux qui conservent avec tant de dévouement et de courage leur foi au Seigneur doivent en même temps observer aussi sa loi et sa discipline. Si tous les soldats du Christ doivent garder les commandements de leur général, à plus forte raison l'obéissance à ses commandements s'impose-t-elIe à vous plus qu'à personne, à vous qui êtes devenus pour les autres le modèle du courage et de la crainte de Dieu. Je pensais, à la vérité, que les prêtres et les diacres qui sont près de vous vous avertissaient et instruisaient pleinement de la loi évangélique, comme cela s'est toujours fait dans le passé sous nos prédécesseurs : les diacres alors allaient à la prison et les martyrs réglaient leurs demandes sur leurs conseils et les préceptes des Écritures. Mais, maintenant, j'éprouve la plus grande des peines, en apprenant que, non seulement on ne leur suggère pas de se conformer aux préceptes divins, mais encore qu'on les en empêche plutôt. Ainsi, ce qui est fait par vous, au regard de Dieu avec prudence, avec déférence au regard de son pontife, est annulé par certains prêtres, qui ne tiennent compte ni de la crainte de Dieu, ni de l'honneur de l'évêque. Vous m'avez envoyé une lettre, où vous demandiez qu'on examinât vos désirs et qu'on donnât la paix à certains lapsi, lorsque la fin de la persécution nous aura permis de nous rapprocher et de nous réunir; et eux, contre la loi de l'évangile, contre votre demande déférente à mon égard, avant toute pénitence, avant la confession de la plus grande et de la plus grave des fautes, avant l'imposition des mains par l'évêque et le clergé pour la réconciliation, ils ne craignent pas d'offrir le sacrifice pour eux et de leur donner l'eucharistie, c'est-à-dire de profaner le Corps sacré du Seigneur; l'Écriture dit, en effet : "Celui qui mangera le pain; ou qui boira le calice du Seigneur indignement, aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur". (1 Cor 11,27).
Les lapsi, à la vérité, sont excusables en ce point. Qui donc n'aurait hâte de passer de la mort à la vie ? Qui ne s'empresserait de recouvrer la santé ? Mais c'est le devoir des chefs de s'en tenir à la règle, et d'instruire l'empressement ou l'ignorance, de peur qu'au lieu d'être des pasteurs, comme ils le doivent, ils ne deviennent des bouchers. Accorder à quelqu'un ce qui doit tourner à sa ruine, c'est le tromper. On ne relève pas celui qui est tombé en procédant ainsi, mais plutôt, avec une offense faite à Dieu, on le pousse vers le précipice. Que par vous, du moins, ils soient instruits, eux qui auraient dû enseigner; qu'ils réservent vos demandes et vos désirs à la décision de l'évêque, attendant un temps propice où leur soit accordée la réconciliation que vous sollicitez. Ainsi, la paix aura d'abord été donnée par notre Seigneur à la mère; et alors on examinera la question de la paix à donner aux fils, selon les désirs exprimés par vous.
J'apprends, d'autre part, que quelques-uns vous pressent sans vergogne et que votre modestie souffre violence. Je vous prie, en conséquence, aussi instamment que je le puis faire, de vous souvenir de l'évangile, et de considérer attentivement ce qui a été accordé dans le passé par les martyrs vos prédécesseurs, et quelle a été leur circonspection en toutes choses; je vous demande de peser vous aussi avec soin et prudence les désirs exprimés, d'examiner, comme des amis de Dieu, destinés à être un jour des juges avec Lui, et la conduite, et les oeuvres, et les mérites de chacun, de faire aussi entrer en ligne de compte la nature et la qualité des fautes. Il ne faut pas que notre Église, parce que quelque chose se trouverait avoir été précipitamment ou mal à propos promis par vous, ou réglé par nous, ait à rougir devant les Gentils eux-mêmes. Nous sommes visites en effet, et repris fréquemment, et avertis de veiller à l'observation sans défaillance des commandements du Seigneur. J'apprends d'ailleurs que cela n'a pas cessé non plus chez vous, et que la divine censure en avertit un bon nombre d'observer la discipline de l'Église. Cela se peut faire, si vous réglez sur un examen religieusement attentif l'octroi des demandes qui vous sont adressées, sachant reconnaître et réprimer ceux qui font acception de personnes dans la distribution de vos bienfaits et y cherchent l'occasion d'une complaisance ou celle d'un trafic illicite.
J'ai écrit, à ce sujet, au clergé et au peuple deux lettres, et j'ai mandé qu'on vous les fît lire l'une et l'autre. Mais il y a encore une autre chose que vous devez régler, et corriger avec le soin que vous apportez en tout : c'est de désigner nommément ceux à qui vous désirez qu'on donne la paix. J'apprends, en effet, que certains reçoivent des billets conçus ainsi : "La communion pour lui et les siens". Jamais les martyrs n'ont fait cela, et ne se sont exposés à ce qu'une demande obscure et imprécise nous rende odieux dans l'avenir. La formule est large, qui dit : "Lui et les siens" et l'on peut nous présenter des vingtaines, des trentaines et plus, de personnes qui affirment être les proches, les alliés, les affranchis, les cohabitants de celui qui a reçu le billet. Voilà pourquoi je vous prie de recommander ceux que vous voyez vous-mêmes, que vous connaissez, dont vous savez qu'ils ont accompli une grande partie de leur pénitence, et de les désigner nommément dans le billet : de cette façon, les lettres que vous nous enverrez ne donneront pas atteinte à la foi et à la discipline Je souhaite, frères très vaillants et très chers, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de nous. Adieu.

 

 

 

 

 

 

LETTRE 16

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT
Je me suis longtemps retenu, mes très chers frères, croyant que ma modération et mon silence serviraient les intérêts de la paix. Mais, comme la présomption sans mesure et sans frein de certaines personnes tend, par de téméraires discours, à porter préjudice à l'honneur des martyrs, à la modestie des confesseurs et à la tranquillité du peuple chrétien tout entier, il ne convient pas de me taire davantage : un silence trop prolongé pourrait devenir un péril pour le peuple et pour nous. Quel péril, en effet, ne devons-nous pas redouter de la Colère de Dieu, quand quelques prêtres, ne se souvenant ni de l'évangile, ni de leur dignité, ne songeant pas davantage ni au jugement à venir du Seigneur, ni à l'évêque qui est actuellement leur chef, osent, ce qui ne s'est jamais vu sous nos prédécesseurs, outrager et mépriser leur chef en s'arrogeant tous les droits.
Plût au ciel que ce fût sans compromettre le salut de nos frères qu'ils s'attribuassent la disposition de toutes choses ! Les outrages faits à notre dignité épiscopale, je les pourrais ignorer et souffrir comme je les ai toujours ignorés et soufferts. Mais ce n'est plus le moment de faire semblant d'ignorer, lorsque certains d'entre vous trompent la communauté des frères. Ceux-là en cherchant à être populaires, sans viser à rendre la santé spirituelle, font plutôt tort aux laps. L'extrême gravité de la faute que la persécution a fait commettre, ceux-là même la connaissent qui ont commis la faute. Notre Seigneur et juge dit, en effet : "Celui qui m'aura confessé devant les hommes, Moi Je le confesserai devant mon Père qui est aux cieux; et celui qui aura déclaré ne pas Me connaître, Je dirai que Je ne le connais pas". (Mt 10,32-33). Il dit encore : "Tous les péchés seront remis aux enfants des hommes, même les blasphèmes. Quant à celui qui aura blasphémé le saint Esprit, il n'obtiendra pas de rémission : il est coupable d'un péché éternel". (Mc 3,28-29). De même le bienheureux Apôtre a dit : "Vous ne pouvez pas boire au calice du Seigneur et au calice des démons. Vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons". (1 Cor 10,21). Quiconque soustrait à nos frères ces vérités, les trompe pour leur malheur. Ils auraient pu, en faisant pénitence, donner satisfaction par leurs prières et par leurs oeuvres à Dieu, qui est Père et miséricordieux, et au lieu de cela, étant trompés, ils se perdent de plus en plus; au lieu de se relever comme ils auraient pu le faire, ils tombent davantage. Quand il s'agit de moindre fautes, les pécheurs font pénitence le temps prescrit, et, suivant l'ordre de la discipline, sont admis à la confession, puis par l'imposition des mains de l'évêque et du clergé, rentrent en communion. Aujourd'hui, alors que les temps sont mauvais, alors que la persécution dure toujours, que la paix n'a pas été rendue à l'Église elle-même, on les admet à la communion, on offre le sacrifice pour eux, nommément et sans pénitence préalable, sans confession, sans imposition des mains par l'évêque et le clergé; on leur donne l'eucharistie, quoiqu'il soit écrit : "Celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement aura à répondre de la profanation du Corps et du Sang du Seigneur". (Cor 11,27).
Mais, en fait, ceux-là ne sont pas responsables, ne connaissant pas assez bien la loi de l'Écriture. Les responsables seront ceux qui sont à la tête des frères, et ne leur donnent pas les avertissements nécessaires pour qu'instruits par leurs chefs ils puissent agir en tout avec la crainte de Dieu et en observant ce qu'il a prescrit. Ils risquent ensuite de rendre impopulaires les bienheureux martyrs, et les glorieux serviteurs de Dieu, avec le pontife de Dieu. Ceux-ci, n'oubliant pas ma dignité, m'ont envoyé des lettres, et ont demandé qu'on examine leurs désirs, et qu'on leur donne la paix, quand notre mère elle-même aura d'abord recouvré la paix par la Miséricorde du Seigneur et que la divine Protection nous aura ramené à son Église; et eux, au mépris des égards qu'observent à notre endroit les bienheureux martyrs ainsi que les confesseurs, foulant aux pieds la loi du Seigneur, et la ligne de conduite que les dits martyrs et confesseurs recommandent d'observer, avant la disparition des craintes de persécution, avant notre retour, presqu'avant la mort des martyrs, communiquent avec les lapsi. Ils offrent pour eux le sacrifice et leur donnent l'eucharistie; alors que, quand les martyrs faisant peu attention à l'Écriture dans l'ivresse de leur triomphe, porteraient leurs désirs un peu plus loin qu'il ne faut, les prêtres et les diacres devraient les avertir, comme cela s'est toujours fait dans le passé.
Aussi la divine censure ne cesse-t-elle de nous reprendre. Quatre les visions qui se produisent la nuit, des enfants qui sont avec nous se trouvent pendant le jour remplis de l'Esprit saint à cause de l'innocence de leur âge : ils voient en extase, entendent et disent ce dont le Seigneur daigne nous avertir et nous instruire. Je vous dirai tout, quand le Seigneur, qui m'a commandé de m'éloigner, m'aura ramené près de vous. En attendant, que parmi vous, les esprits téméraires, imprudents, orgueilleux, qui n'ont cure des hommes, craignent du moins Dieu; qu'ils se disent bien que s'ils persévèrent dans la même conduite, j'userai à leur égard des moyens de les rappeler à l'ordre, dont Dieu veut que j'use : ils seraient écartés provisoirement du sacrifice, sauf à plaider leur cause, devant moi, devant les confesseurs eux-mêmes, et devant le peuple tout entier, lorsque avec la permission de Dieu nous serons réunis au giron de l'Église notre mère. J'ai écrit à ce sujet aux martyrs et aux confesseurs, et au peuple, en mandant qu'on vous lût mes deux lettres. Je souhaite, frères très chers et très désirés, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur et que vous vous souveniez de nous. Adieu.

LETTRE 17

CYPRIEN A SES FRERES DU PEUPLE FIDELE, SALUT.
Que la chute de nos frères vous arrache des gémissements et des larmes, c'est ce que je sais, frères très chers, d'après moi-même qui, avec vous, à propos de chacun d'eux, gémis comme vous et souffre, éprouvant ce que dit le bienheureux apôtre : "Qui est malade sans que je sois malade ? qui est scandalisé sans qu'un feu me dévore ?". (2 Cor 11,29). Il a encore proclamé ceci dans une épître : "Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui; et si un membre jouit, les autres membres jouissent avec lui". (1 Cor 1,26). Je souffre et je suis affligé avec nos frères. En succombant aux assauts de la persécution ils ont entraîné avec eux dans leur chute un morceau de notre coeur, et nous ont fait saigner des blessures mêmes qu'ils ont reçue. La divine Miséricorde a le pouvoir de les guérir. Je ne crois pas pourtant qu'il faille se hâter, ni rien faire à la légère, de peur que l'usage téméraire de la paix, n'irrite Dieu davantage. Les bienheureux martyrs nous ont écrit à propos de certains lapsi, sollicitant l'examen de leurs demandes. Quand le Seigneur nous ayant donné la paix à tous, nous serons revenus à l'Église, on les examinera une à une, avec votre concours et votre suffrage.
J'apprends cependant que certains prêtres, ne se souvenant pas de l'évangile, ne songeant pas à ce que les martyrs nous ont écrit, n'ayant pas d'ailleurs pour l'évêque les égards dus à son sacerdoce et à sa chaire, communiquent avec les lapsi, offrent le sacrifice pour eux et leur donnent l'eucharistie, alors qu'on n'en devrait venir là que par degrés. Quand il s'agit de fautes moindre qui n'ont point Dieu pour objet, il y a d'abord la pénitence pendant un temps déterminé, puis la confession après l'examen de la vie du pénitent, et celui-ci n'est admis à la communion qu'après que l'évêque et le clergé lui ont imposé les mains : à combien plus forte raison, quand il s'agit comme ici des fautes les plus graves et les plus énormes, convient-il d'apporter en tout une prudence et une circonspection conformes à la discipline du Seigneur. Voilà ce que les prêtres et les diacres auraient dû rappeler à nos fidèles, afin de faire prospérer les brebis qui leur sont confiées, et de les diriger conformément aux enseignements divins dans la voie où l'on obtient le pardon et le salut. Je connais la modestie et la retenue de notre peuple; il serait attentif à donner satisfaction à Dieu, et à implorer sa Miséricorde, si certains prêtres, sous prétexte de l'obliger, ne l'avaient induit en erreur.
Vous, du moins, donnez une direction à chacun des lapsi en particulier et que la sagesse de vos conseils et de votre action conduise leurs âmes selon les préceptes divins. Que personne, quand le temps n'est pas encore propice, ne cueille des fruits qui ne sont pas mûrs; que personne n'aille mettre de nouveau à la mer un navire maltraité par les flots et faisant eau, avant de l'avoir soigneusement radoubé; que personne ne reprenne ni ne mette une tunique déchirée, avant de l'avoir fait raccommoder par un artisan habile, et fouler avec soin. Qu'ils écoutent, de grâce, notre conseil, qu'ils attendent notre retour, afin que, quand la Miséricorde de Dieu nous aura permis de retourner vers vous, nous puissions, mes collègues dans l'épiscopat convoqués à cet effet, et moi, examiner à plusieurs les lettres des martyrs et leurs demandes, selon la discipline du Seigneur, en présence des confesseurs, et en prenant votre avis. J'ai écrit à ce sujet au clergé et aux martyrs et confesseurs, deux lettres, * dont j'ai prié qu'on vous donnât lecture. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur et que vous vous souveniez de nous. Adieu.

LETTRE 18

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT
Je suis étonné, mes très chers frères,que les nombreuses lettres que je vous ai envoyées n'aient reçu de vous aucune réponse, alors qu'il est ou utile ou nécessaire aux intérêts de notre fraternité que je sois instruit par vous de ce qui est à faire, et que nous puissions y aviser soigneusement. Cependant, comme je vois qu'il ne m'est pas encore loisible de vous rejoindre, et que nous sommes déjà en été, saison où sévissent continuellement des maladies graves, je crois qu'il faut montrer quelque condescendance pour nos frères. En conséquence, que ceux qui ont reçu des martyrs des billets * et qui, par le crédit de leur prérogative auprès de Dieu, peuvent en être aidés, s'ils viennent à tomber dans quelque état de souffrance ou péril de maladie, soient autorisés, sans attendre notre présence, à faire à un prêtre quelconque, ou si l'on ne trouve pas de prêtre, et que la fin approche, à faire même à un diacre, la confession de leur faute : ainsi, on leur imposera les mains en signe de réconciliation et ils pourront aller au Seigneur avec la paix que les martyrs nous ont demandée pour eux dans leurs lettres.
Quant à l'autre partie du peuple fidèle qui est tombée, soutenez-la par votre présence, et que vos consolations les réconfortent et les empêchent de perdre foi au Seigneur, ou confiance en sa Miséricorde. Ils ne seront pas privés de l'aide et du secours du Seigneur, ceux qui étant doux et humbles, et faisant vraiment pénitence, auront persévéré dans leurs bonnes oeuvres, mais le remède divin assurera leur salut. Veillez aussi sur les catéchumènes au cas où l'un ou l'autre serait en danger et à l'extrémité, et s'ils implorent la grâce de la Miséricorde du Seigneur, qu'elle ne leur soit point refusée. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez de ma part la communauté des frères tout entière, et recommandez-moi à leur bon souvenir. Adieu.
* Ces libelli, ou billets d'indulgence que délivraient les martyrs à certains apostats ne sont pas à confondre avec les certificats de sacrifice, appelés aussi libelli, qui leur étaient délivrés par les magistrats chargés de les faire sacrifier.

LETTRE 19

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.
J'ai lu vos lettres, mes très chers frères, par lesquelles vous m'informez que vous ne manquez pas de donner à nos frères le salutaire conseil d'éviter toute hâte excessive, et de donner à Dieu des preuves de religieuse patience, afin que, quand la divine Miséricorde nous aura permis de nous rassembler, nous puissions délibérer sur toutes les espèces selon la discipline de l'Église. Il est écrit, en effet : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, et faites pénitence". (Ap 2,5). Or celui-là fait pénitence qui, fidèle au souvenir des enseignements divins, doux, patient, docile aux directions des prêtres, se rend le Seigneur favorable par sa soumission et sa bonne conduite.
Vous m'avez cependant fait connaître que certains ne sont pas raisonnables, mais insistent d'une manière pressante pour rentrer en communion, et vous avez exprimé le désir que je vous donne une règle en cette matière. Je crois vous avoir parlé assez clairement à ce sujet dans ma dernière lettre : Ceux qui ont reçu un billet des martyrs, et qui grâce à leur secours peuvent être aidés auprès de Dieu pour le pardon de leurs fautes, viennent-ils à tomber malades, et à être en danger, qu'ils fassent la confession de leurs fautes, qu'on leur impose les mains pour la pénitence et qu'on les renvoie au Seigneur avec la paix que les martyrs leur ont promise. Quant à ceux qui, sans avoir reçu aucun billet des martyrs, nous rendent odieux, comme ce n'est pas la cause de quelques personnes, ou d'une Église unique ou d'une province, mais celle de toute la terre, qu'ils attendent que la Miséricorde du Seigneur ait rendu la paix générale à l'Église. Il convient, en effet, à la modestie et à la discipline, et à la vie même que nous devons tous mener, que les chefs assemblés avec le clergé, en présence de ceux du peuple qui ne sont point tombés, et que l'on doit honorer aussi pour leur foi et leur crainte de Dieu, puissent régler toute chose, après l'examen scrupuleux d'une délibération commune. D'autre part, combien n'est-il pas contraire à la religion et aux intérêts mêmes de ceux qui se pressent ainsi, qu'alors que ceux qui ont été exilés, jetés hors de leur pays, dépouillés de tous leurs biens, ne sont pas encore rentrés dans l'Église, certains lapsi veuillent prévenir les confesseurs eux-mêmes et rentrer avant eux. S'ils sont si pressés, ils sont les maîtres de ce qu'ils demandent et les circonstances leur offrent plus qu'ils ne demandent : la lutte dure encore et le combat se donne tous les jours. S'ils ont un vrai et ferme regret de leur faute, et que ce soit chez eux l'ardeur de la foi qui prévale, eh bien, celui qui ne peut attendre le pardon peut gagner la couronne. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien, et que vous vous souveniez de nous. Saluez tous les frères de ma part, et recommandez-moi à leur souvenir. Adieu.

LETTRE 20

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES QUI SONT A ROME, SALUT.

Ayant appris, mes très chers frères, que l'on vous rapporte avec peu de droiture et de fidélité ce qui s'est passé ici et ce qui s'y passe, j'ai cru nécessaire de vous écrire cette lettre, pour vous rendre compte de notre conduite, de notre attachement à la discipline, et de notre zèle. Dès le début de la persécution, la populace m'avait plusieurs fois réclamé en poussant de violentes clameurs. Alors, selon les enseignements du Sauveur, songeant d'ailleurs moins à ma sûreté qu'à la paix de toute la communauté, je me suis retiré pour un temps, de peur d'exciter davantage, par une présence indiscrète, les troubles commencés. Absent de corps, j'ai été présent d'esprit; et, par mes actes, et mes conseils, je me suis efforcé dans la mesure de mes faibles moyens, dans tous les cas où je pouvais le faire, de diriger nos frères conformément aux commandements du Seigneur.
Ce que j'ai fait, les lettres vous le disent, que j'ai envoyées en diverses occasions (elles sont au nombre de treize), et que je vous ai fait transmettre. Conseils au clergé *, exhortations aux confesseurs *, représentations aux exilés *quand il le fallait, appels à tous les frères *, pour leur persuader d'implorer la divine Miséricorde, rien n'a manqué de ce que mon humble personne a pu tenter selon les règles de la foi et de la crainte de Dieu, et sous l'inspiration du Seigneur. Puis, quand vinrent les supplices, pour encourager et soutenir nos frères déjà livrés à la torture, ou incarcérés en attendant d'être torturés à leur tour, nos paroles ont franchi les murs de la prison. De même ayant appris que ceux qui ont sali leurs mains et leurs lèvres par un contact sacrilège, ou qui n'ont pas moins souillé leur conscience par l'usage de certificats abominables, s'en allaient çà et là faisant le siège des martyrs, corrompant les confesseurs à force d'importunités, ou de cajoleries, de sorte que contre la règle de l'évangile des milliers de billets étaient donnés tous les jours au hasard et sans examen, j'ai écrit,des lettres pour rappeler autant que je le pouvais les martyrs et les confesseurs au respect des préceptes du Seigneur. De même, à l'égard des prêtres et des diacres, notre vigueur épiscopale n'a pas fait défaut, et c'est ainsi que quelques-uns, qui ne se souvenaient pas assez de la discipline ecclésiastique et se laissaient emporter à un empressement indiscret, ont été arrêtés à la suite de notre intervention. Il n'y a pas jusqu'au peuple que nous n'ayons instruit autant que nous l'avons pu, et disposé à observer la discipline ecclésiastique.
Plus tard, comme certains lapsl soit de leur propre mouvement, soit sous l'influence d'une excitation étrangère, s'emportaient à des exigences audacieuses, et s'efforçaient d'arracher violemment la paix que les martyrs et les confesseurs leur avaient promise, j'ai écrit deux fois ****** au clergé à ce sujet, en l'invitant à leur lire mes lettres. Je réglais, pour adoucir leur violence de quelque manière, que si quelqu'un, après avoir reçu un billet des martyrs, venait à être sur le point de quitter ce monde, après avoir entendu sa confession, on lui imposerait les mains pour la pénitence, et on le renverrait au Seigneur, avec la paix promise par les martyrs. En quoi je n'ai point porté de loi, ni pris d'initiative téméraire. Mais j'ai pensé qu'il y avait lieu tout à la fois de rendre honneur aux martyrs et d'arrêter ceux qui voulaient mettre le désordre partout. J'avais d'ailleurs là la lettre * que vous aviez envoyée, il n'y avait pas longtemps, à notre clergé par le sous-diacre Crementius, où vous demandiez qu'on eût compassion de ceux qui étaient tombés malades depuis leur apostasie, et qui, s'en repentant, désiraient rentrer en communion. J'ai cru, en conséquence, qu'il fallait s'en tenir à votre avis, de peur que notre conduite, qui doit être une et s'accorder en tout, ne différât en quelque chose. Quant aux autres, malgré le billet reçu des martyrs, j'ai dit de remettre leur affaire à plus tard et de la réserver pour le moment où nous serons présent, afin que, quand le Seigneur nous aura rendu la paix, nous puissions nous réunir à plusieurs évêques et, non sans nous mettre d'accord avec vous, régler ou réformer toutes choses. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
lettres 15 et 16

** lettres 5,7,12 et 14
*** lettre 6
**** lettre 13
***** lettre 11
****** lettre 10
******* lettres 18 et 19
******** lettre 8

 

 

 

 

 

LETTRE 21

CELERINUS A LUCIANUS

En vous écrivant cette lettre, Monsieur mon frère, je suis joyeux et triste : joyeux d'avoir appris que vous avez été appréhendé pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, notre Sauveur, et même que vous avez confessé son Nom devant les magistrats de ce monde; triste, parce que, depuis le jour où je vous ai accompagné à votre départ), je n'ai reçu aucune lettre de vous. Même en ce moment, une chose fait peser sur moi une tristesse double, c'est que vous saviez que Montanus, notre frère commun, devait venir de la prison, et d'auprès de vous, et que vous ne m'avez rien mandé de votre santé et ce qui vous regarde. Mais cela arrive aux serviteurs de Dieu, surtout à ceux qui sont en train de le confesser. Je sais que chacun d'eux alors ne fait plus attention aux choses de ce monde, attendant la couronne céleste. C'est pourquoi j'ai dit que vous aviez peut-être oublié de m'écrire. Car pour vous parler aussi de moi chétif, et m'appeler du nom d'ami, on de frère, alors que je mérite seulement celui de Celerinus, moi-même, quand j'avais l'honneur d'une si glorieuse confession, je me souvenais de mes plus anciens frères, et mes lettres leur ont rappelé que mon affection antérieure pour eux durait même alors chez moi et chez les miens. Je demande cependant au Seigneur, ô mon très cher, que vous soyez lavé dans ce sang sacré du martyre, en souffrant pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ, avant que ma lettre vous touche; mais, si elle vous touche encore vivant, je souhaite que vous y répondiez : qu'à cette condition, le Maître vous couronne, dont vous avez confessé le Nom ! Je crois en effet que, quand bien même nous ne nous verrions plus en ce monde, nous nous embrasserons dans l'autre, sous les yeux du Christ. Demandez que je sois digne d'être couronné avec vous.
Sachez que je suis dans une grande tribulation. Non moins que si vous étiez auprès de moi, je pense jour et nuit à notre ancienne affection, Dieu seul le sait ! Et c'est pourquoi je vous prie d'acquiescer à mon désir et de pleurer avec moi sur la mort de ma soeur, qui est morte au Christ en le reniant dans cette tourmente. Elle a sacrifié et irrité notre Seigneur, c'est ce qui me paraît manifeste. A cause de cette conduite je pleure jour et nuit au milieu de l'allégresse de Pâques. J'ai passé et passe encore mes journées dans les larmes, le cilice et la cendre, jusqu'à ce que notre Seigneur Jésus Christ, par sa grâce ou votre intercession pieuse ou celle que vous demanderez à mes maîtres qui auront été couronnés, lui porte secours dans un si déplorable naufrage. Je me suis souvenu de votre affection antérieure et que vous pleurez avec tous les autres sur nos soeurs, que vous connaissez bien vous aussi, je veux dire Numeria et Candida. Nous devons veiller et prier pour leur péché, puisqu'elles nous regardent comme frères. Je crois en effet que le Christ, en considération de leur pénitence et des services qu'elles ont rendus à nos collègues qui sont venus ici en exil, et qui vous raconteront eux-mêmes leurs bonnes oeuvres, je crois, dis-je, que le Christ leur remettra leur faute, si vous, qui êtes ses martyrs, intercédez pour elles.
J'ai appris que vous avez assumé le ministère de la direction des glorieux confesseurs. Ô homme heureux. Jouissez de la réalisation du rêve que vous n'aviez cessé de former, même en dormant sur la terre. Vous avez souhaité d'être envoyé en prison à cause de son Nom. C'est ce qui vous arrive, selon ce qui est écrit : Que Dieu vous donne ce que votre coeur désire. Maintenant vous voilà devenu, pour eux, le représentant de l'autorité de Dieu à leur tête..., c'est-à-dire leur serviteur. Je vous prie donc, Monsieur, et je vous demande par notre Seigneur Jésus Christ, de faire un rapport à mes maîtres, vos collègues et frères, et de leur demander que ceux qui seront couronnés les premiers remettent à nos soeurs Numeria et Candida un péché de cette gravité. Pour ce qui est de Numeria, je n'ai jamais prononcé son non qu'en l'excusant, Dieu m'en est témoin, parce qu'elle a seulement donné du numéraire pour acheter un certificat afin de ne point sacrifier. Elle semble être montée seulement jusqu'aux Trois Parques (1) et être descendue de là. Elle n'a donc pas sacrifié, j'en suis sûr. Les chefs des frères, après avoir entendu la cause de ces personnes, ont décidé qu'elles resteraient ainsi quelque temps, jusqu'a ce qu'il y ait un évêque (2). Mais nous espérons de vos saintes prières et oraisons, auxquelles nous avons confiance, que vous leur ferez tout pardonner.
Je vous demande donc, très cher Monsieur Lucianus, de vous souvenir de moi et d'acquiescer à ma demande; qu'à cette condition, le Christ vous garde la couronne qu'Il vous a donnée non seulement dans votre confession, mais encore dans la sainteté de votre vie et pour laquelle vous avez toujours bien couru dans la carrière, exemple et champion des saints, à cette condition, dis-je, que vous parliez du fait en question à tous les confesseurs, mes maîtres et vos frères, afin qu'elles reçoivent du secours de votre intercession. Vous devez encore savoir ceci, Monsieur mon frère, que je ne suis pas seul à demander pour elles, mais qu'il y a encore avec moi Statius, Severianus, et tous les confesseurs qui sont venus ici de là où vous êtes. Elles sont en effet descendues au port à leur rencontre, elles les ont conduits dans la ville, elles en ont nourri et assisté soixante-cinq, et elles leur donnent encore toutes sortes de soins. Ils sont tous chez elles. Je ne dois pas importuner plus longtemps votre coeur si saint, sachant bien que vous êtes assez porté de vous-même à faire du bien. Macarius vous salue avec ses soeurs Cornelia et Emerita; il est heureux de votre confession glorieuse, et de celles de tous les frères, et aussi Saturninus, qui a, aussi lui, lutté avec le diable, confessé courageusement le Nom du Christ; il a, là-bas, généreusement supporté les ongles de fer, et ici il vous prie et vous supplie avec instance. Vos frères Calpurnius et Maria vous saluent ainsi que tous les saints frères. Je dois encore vous dire que j'écris également ceci pour Messieurs vos frères, et je vous prie de daigner le leur lire.
(1) Cet endroit, qui doit sans doute son nom à un groupe représentant les trois Parques, était près de la Voie sacrée, là où se trouve l'église des Saints Cosme et Damien.
(2) Le siège était vacant depuis le 20 janvier.

LETTRE 22

LUCIANUS A MONSIEUR CELERINUS SON COLLEGUE, SI TOUTEFOIS JE SUIS DIGNE D'ÊTRE APPELÉ : SON COLLEGUE DANS LE CHRIST, SALUT.
J'ai reçu votre lettre, Monsieur et très cher frère. Si grande a été ma peine à vous voir peiné, que cela a failli me faire perdre la grande joie de lire une lettre si longtemps souhaitée, et où vous avez daigné vous souvenir de moi, et dans votre humilité, me donner le plaisir de lire ces mots : " Si je suis digne d'être appelé votre frère", moi qui n'ai confessé le Nom de Jésus-Christ que devant de modestes fonctionnaires, et encore avec crainte; tandis que vous, avec la grâce de Dieu, vous ne l'avez pas confessé seulement, mais c'est le grand serpent (3) lui-même, le précurseur de l'antichrist que vous avez fait trembler par ces paroles et ces discours divins que je sais. Par là, comme ceux qui aiment la foi et sont zélés pour la discipline du Christ (sentiments dont la manifestation, chez vous, avec une ferveur de néophyte, m'a fait rire de plaisir), vous l'avez vaincu. Mais seulement, maintenant, très cher ami, digne d'être mis déjà au nombre des martyrs, vous avez voulu m'affliger par votre lettre, en me parlant de nos soeurs. Plût a Dieu qu'il nous fût possible de parler d'elles sans parler d'un si grand crime commis ! Assurément nous n'aurions pas à pleurer comme nous faisons maintenant.
Vous devez savoir ce qui s'est passé pour nous. Le bienheureux martyr Paul, étant encore de ce monde, m'appela et me dit : "Lucianus, je te le dis devant le Christ, si quelqu'un, après mon rappel à Dieu, te demande la paix, donne-la lui en mon nom". Mais, de plus, nous tous, que le Seigneur a daigné rappeler dans une si terrible persécution, nous avons, d'un commun accord, donné la paix à tous les lapsi en bloc. Voilà donc, frère, tant ce que Paul m'a recommandé, que ce que tous, d'un commun accord, nous avons décidé, dès avant l'épreuve présente, quand nous avons été condamnés, par ordre de l'empereur, à mourir de faim et de soif. Et nous avons été enfermés en deux cachots, sans qu'on arrivât à rien par la faim et la soif. Mais, de plus, la chaleur qui nous faisait souffrir, était telle que personne n'eût pu l'endurer. Maintenant, nous sommes en pleine lumière. Et par conséquent, frère très cher, salue Numeria et Candida, pour lesquelles selon la recommandation de Paul et des autres martyrs, dont je joins les noms : Bassus, au bureau des gages (4), Mappalicus, dans la torture, Fortunion, dans la prison, Paul, après la torture, Fortunata, Victorinus, Victor, Herennius, Credula, Hereda, Donatus, Firmus, Venustus, Fructus, Julia, Martialis, et Ariston, qui, Dieu le permettant, sont morts de faim dans la prison, et dont vous entendrez dire bientôt que nous avons partagé le sort. Car, il y a huit jours, au jour où je vous écris, que nous avons été incarcérés de nouveau. Et dans cet intervalle, en cinq jours, nous n'avons reçu qu'un peu de pain et de l'eau à la ration. Aussi, frère, je demande que quand notre Seigneur aura rendu la paix à l'Église elle-même, elles aient la paix, selon la recommandation de Paul, et notre ordonnance, après que leur cause aura été examinée devant l'évêque et qu'elles auront confessé leur faute; et non seulement elles, mais toutes celles que vous savez qui nous sont chères.
Tous mes collègues vous saluent. Pour vous, saluez de ma part les collègues qui sont avec vous, dont vous nous avez donné les noms, en particulier Saturninus avec ses compagnons, et aussi mon collègue Macarius, Cornelia et Emerita, Calpurnius et Maria, Sabina, Spesina et nos soeurs Januaria, Dativa, Donata. Nous saluons avec leur famille Saturus, Bassianus et tout le clergé, Vrnius, Alexius, Quintianus, Colonica et tous s'il vous plût; je n'écris pas les noms, tant je suis fatigué. Aussi doivent-ils me pardonner. Je souhaite que vous soyez en bonne santé, vous, Alexius, Getulicus, et les orfèvres, et nos soeurs. Recevez aussi le salut de mes soeurs Januaria et Sophia, que je vous recommande.
(3) C'est l'empereur Dèce qui est ici visé.
(4) Il faut sans doute entendre par "pignerarium", un local où on déposait des gages, pignera, pour emprunter de l'argent.

LETTRE 23

TOUS LES CONFESSEURS AU PAPE CYPRIEN, SALUT.

Sachez que tous ensemble nous avons donné la paix à ceux qui vous auront rendu un compte en règle de leur conduite depuis leur faute. Nous voulons que cette décision soit portée, par vous, à la connaissance des autres évêques. Nous souhaitons que vous soyez en bonne intelligence avec les saints martyrs. En présence de deux membres du clergé, un exorciste et un lecteur, Lucianus a écrit ceci.

LETTRE 24

A CYPRIEN ET A SES CONFRERES DANS LE SACERDOCE, QUI SONT A CARTHAGE, CALDONIUS SALUT.

La gravité des circonstances nous fait un devoir de ne pas donner à la légère la paix aux lapsi. Mais il me semble utile de vous écrire à propos de ceux qui, après avoir sacrifié, ont été soumis à une seconde épreuve et se sont vu exiler. Ils me semblent avoir effacé leur première faute, en abandonnant leurs biens et leurs demeures pour suivre le Christ en pénitents. Ainsi Félix, qui faisait le service de la communauté des prêtres sous Decimus, et qui était mon voisin de captivité (je connais donc particulièrement le dit Félix) et Victoria, sa femme, et Lucius, pour être restés fidèles, ont été exilés et ont dû abandonner leurs biens qui ont été confisqués. De plus, au cours de la persécution, agissant de même, une femme, du nom de Bona, avait été entraînée par son mari à l'endroit où l'on sacrifiait. Ayant conscience de n'avoir pas commis de faute (on l'avait tenue par la main, et on avait sacrifié pour elle), elle protestait en criant : "Ce n'est pas moi qui l'ai fait, c'est vous qui l'avez fait." Elle a donc, elle aussi, été exilée. Ils me demandent tous ensemble la paix : "Nous avons, disent-ils, recouvré la foi que nous avions perdue, nous avons fait pénitence et publiquement confesse le Christ." Il me semble bien qu'ils doivent recevoir la paix : mais j'ai voulu vous consulter, et je les ai remis jusque-là, de peur de paraître agir avec une présomption inconsidérée. Si vous prenez donc ensemble quelque résolution là-dessus, écrivez-le moi. Saluez les frères qui sont avec vous : ceux d'ici vous saluent. Je vous souhaite bonheur et santé.

LETTRE 25

CYPRIEN A CALDONIUS SON FRERE, SALUT.

Nous avons reçu, très cher frère, votre lettre, qui est sage et pleine d'honnêteté et de bonne foi. Et nous ne sommes pas surpris qu'étant exercé et rompu comme vous l'êtes aux Saintes Écritures, vous agissiez en tout avec prudence et circonspection. Vous pensez juste au sujet de la paix à accorder à nos frères, puisqu'une vraie pénitence et la gloire de confesser le Seigneur la leur a fait recouvrer, en les justifiant par leurs paroles mêmes qui les avaient d'abord perdus. Puisque donc ils se sont lavés de toute souillure et qu'avec la grâce de Dieu, ils ont effacé leur première faute par le courage qu'ils ont montré ensuite, ils ne doivent pas rester plus longtemps sous le pouvoir du diable, comme s'ils étaient par terre, eux qu'ont relevés l'exil et la confiscation de leurs biens, et qui sont debout avec le Christ. Dieu veuille que les autres aussi, se repentant après leur chute, soient remis dans l'état où ils étaient antérieurement. Pour le moment, ils nous pressent et s'efforcent avec témérité et importunité d'arracher la paix. Nous avons réglé leur cas, et pour que vous sachiez comment, nous vous envoyons un écrit, avec des lettres au nombre de cinq (5), que j'ai adressées au clergé, et aux martyrs et confesseurs. Ces lettres, envoyées à beaucoup de nos collègues, leur ont plu, et ils nous ont répondu qu'ils jugeaient comme nous, conformément à la foi catholique. Vous voudrez bien le faire savoir à nos collègues, autant que vous le pourrez, afin que nous ayons unité de conduite et unanimité de sentiments, selon le précepte de notre Seigneur. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(5)Il s'agit des lettres 15,16,18,19

 

 

 

LETTRE 26

CYPRIEN AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.

Le Seigneur parle et Il dit : "Sur qui laisserai-Je tomber mon Regard, sinon sur celui qui est humble, paisible, et qui a le respect de ma parole ?" (Is 66,2). C'est ce que nous devons être tous, mais c'est ce que doivent être particulièrement ceux qui ont à travailler, après une chute grave, à se ménager par une pénitence sincère et une humilité profonde, la Bienveillance du Seigneur. Or, j'ai lu une lettre commune des confesseurs (1), qu'on me prie de porter à la connaissance de tous nos collègues, afin que la paix accordée par eux parvienne à tous ceux dont la conduite, après leur faute, aura été examinée par nous". Comme cela ressortit à nos délibérations et à notre décision à tous, je n'ose rien préjuger, ni prendre sur moi seul de régler une affaire qui relève de tous. Donc, que l'on s'en tienne provisoirement aux lettres que je vous ai envoyées dernièrement, et dont j'ai déjà fait tenir un exemplaire à nombre de nos collègues. Ils m'ont écrit que ce que j'avais décidé leur semblait bien, et qu'il ne fallait pas s'en écarter jusqu'à ce que le Seigneur nous ayant rendu la paix, nous puissions nous réunir et examiner les cas d'un chacun. D'autre part, désirant vous faire savoir ce que Caldonius, mon collègue, m'a écrit et ce que je lui ai répondu (2), je joins un exemplaire des deux lettres.
Je vous prie de lire le tout à nos frères, afin que, de plus en plus, ils se fassent patients et qu'ils n'aillent pas, à une faute précédente, ajouter une autre faute, comme ils feraient en ne nous permettant pas d'obéir à l'évangile, et d'examiner leurs causes comme l'indique la lettre de tous les confesseurs. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez toute la communauté des frères.
(1) Lettre 23
(2) La lettre de Caldonius est la 24e, la réponse de saint Cyprien la 25e.

LETTRE 27

CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES, QUI SONT A ROME, SALUT.

Nous vous avions écrit, frères très chers, pour vous exposer notre conduite, et vous faire connaître, si modestes soient-ils, notre zèle pour la discipline, et nos efforts : mais voici qu'un autre fait se produit, qui ne doit pas non plus être ignoré de vous. Notre frère Lucianus, confesseur lui aussi, homme d'une foi ardente et d'un courage robuste, mais moins ferme sur l'Écriture Sainte, a fait une entreprise fâcheuse. Il a pris, et cela depuis longtemps, l'initiative de faire distribuer en masse des billets écrits de sa main au nom de Paul. Cependant Mappalicus, qui est martyr, mais prudent et discret, se souvenant de la loi et de la discipline, n'a point écrit de lettre à l'encontre de l'évangile, mais seulement dans un sentiment de piété familiale, a mandé de donner la paix à sa mère et à sa soeur qui sont tombées; de même, Saturninus, encore en prison, après avoir souffert la torture, n'a point mis en circulation de lettre de ce genre. Lucianus, au contraire, non seulement adonné des billets écrits de sa main, au nom de Paul, alors que celui-ci était encore en prison, mais, de plus, après sa mort il a continué d'agir au nom du martyr, disant qu'il en avait reçu mandat de lui, et ignorant qu'il vaut mieux obéir au Maître qu'à un compagnon d'esclavage. Beaucoup de billets ont été donnés aussi au nom du jeune Aurelius, qui a souffert la torture, billets écrits de la main de Lucianus, Aurelius ne sachant pas écrire.
Pour mettre un frein de quelque manière à ce désordre, je leur ai écrit des lettres (3) que je vous ai fait transmettre avec le précédent courrier, où je ne cesse de demander et de conseiller que l'on tienne compte de la loi du Seigneur et de l'évangile. Après ces lettres, comme si elles montraient trop de modération et de mesure, Lucianus a écrit au nom de tous les confesseurs une lettre (4) de nature à détruire complètement le lien de la foi, la crainte de Dieu, les ordres du Seigneur, la sainteté et la fermeté de la loi évangélique. Il a, dis-je, écrit au nom de tous, "que d'un commun accord, ils avaient donné la paix et voulaient que cette décision fût portée par moi à la connaissance des autres évêques", je vous ai fait passer un exemplaire de sa missive. Il y est bien dit qu'on donne la paix à ceux dont la conduite depuis leur faute aura été examinée", mais cela même nous donne de l'odieux, en faisant que, par l'examen des cas particuliers, nous semblons refuser à plusieurs ce qu'ils se vantent tous d'avoir reçu des martyrs et des confesseurs.
Ce désordre a déjà commencé à se manifester. Dans un certain nombre de villes de notre province, les lapsi se sont portés en foule vers les dépositaires de l'autorité et les ont forcés à leur donner, sur-le-champ, la paix qu'ils criaient leur avoir été accordée à tous par les martyrs et les confesseurs. Usant ainsi d'intimidation, ils ont forcé la main à des chefs qui n'avaient pas assez de force d'âme ou de vigueur de foi pour résister. Chez nous, quelques turbulents, qui se laissaient à peine gouverner par nous dans le passé, et dont on remettait le cas au moment où nous serions présent, enflammés par cette lettre comme par un brandon, se sont emportés davantage et ont cherché à arracher la paix qui leur avait été donnée. Je vous ai envoyé un exemplaire de la lettre que j'ai écrite à leur sujet au clergé. Ce n'est pas tout : je vous ai fait tenir, pour que vous le lisiez, ce que Caldonius, mon collègue, m'a écrit avec son honnêteté et sa foi coutumière, et ce que je lui ai répondu (5). De même, la lettre de Celerinus, bon et vaillant confesseur, au même confesseur Lucianus, et la réponse de celui-ci (6), je vous les ai envoyées, afin que vous puissiez voir que nous nous occupons de tout avec soin. Vous comprendrez aussi, en les lisant, combien le confesseur Celerinus est modéré, prudent, a l'humilité et la réserve qui convient à notre religion, tandis que Lucianus n'a guère, ainsi que je l'ai dit, l'intelligence des Écritures divines, et montre une facilité indiscrète qui jette de l'odieux sur notre réserve. En effet, alors que le Seigneur a dit a que les nations sont baptisées au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, et que les péchés passés sont remis par le baptême, lui, ignorant le précepte et la loi, mande que l'on donne la paix, et que l'on remette les péchés au nom de Paul; il prétend que c'est ce que Paul lui a mandé, comme vous le pourrez remarquer dans la lettre dudit Lucien à Celerinus. En cela il n'a pas assez considéré que ce ne sont pas les martyrs qui font l'évangile, mais que c'est l'évangile qui fait les martyrs. L'apôtre Paul, que le Seigneur appelle un vase de son choix, n'a-t-il pas dit dans une épître : "Je m'étonne que vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelé à la grâce de Jésus Christ pour passer à un autre évangile; non certes, qu'il y ait un autre évangile; seulement il y a certaines gens qui vous troublent et essaient de pervertir l'évangile du Christ. Mais quand nous-même, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Nous l'avons dit, et je le répète : Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème". (Gal 1,6).
Vos lettres au clergé que j'ai reçues sont venues à point ainsi que celles que les bienheureux confesseurs Moïse, Maxime, Nicostratus et autres ont envoyées à Saturninus et à Aurelius. On y trouve la pleine vigueur de l'évangile et la ferme doctrine de la loi du Seigneur. Dans l'épreuve que nous subissions ici et dans la lutte que nous soutenions avec toutes les forces de notre foi contre les assauts des mécontents, nous avons été singulièrement aidés par vos paroles. Grâce à elles le ciel a abrégé les choses, et avant que la lettre que je vous ai envoyée ait eu le temps de vous parvenir, vous nous avez fait connaître que selon la règle de l'évangile vous nous étiez fermement et unanimement unis de sentiment. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien.
(3) Lettres 15,16,17
(4) Cette lettre de Lucianus est la lettre 23
(5) Probablement la lettre 24 et 25 .
(6) Lettres 21 et 22

LETTRE 28

CYPRIEN AUX PRETRES MOISE ET MAXIME, ET AUX AUTRES CONFESSEURS SES FRERES TRES CHERS, SALUT.

Je connaissais depuis longtemps, de reputation, votre foi glorieuse et votre courage, et je m'étais réjoui grandement et hautement de ce qu'une grâce de choix de notre Seigneur vous avait, par la confession de son Nom, préparés à la couronne. C'est vous qui, marchant au premier rang, dans la bataille qui se livre aujourd'hui, avez levé les enseignes de la milice céleste. C'est vous qui, par vos actes de bravoure, avez commence le combat spirituel que Dieu veut qui soit livré maintenant. C'est vous qui, au début de la guerre, avez opposé aux premières charges une vigueur infrangible, une fermeté inébranlable, et les avez brisées. De là, les débuts heureux des hostilités; de là des auspices de victoire. Il est arrivé ici que l'on a consommé des martyres au milieu des tourments; mais celui qui, dans la lutte, a marché devant les autres en donnant à ses frères un exemple de vaillance, partage la gloire des martyrs. Vos mains ont tressé des couronnes que vous leur avez transmises, et vous avez bu d'abord à la coupe salutaire avant de la passer à vos frères.
A cette gloire d'avoir confessé le Christ dès le début, à cette milice inaugurée sous des auspices de victoire, s'ajoute une fidélité ininterrompue à la discipline; je l'ai reconnue à la vigueur de la lettre que vous avez récemment envoyée à ceux de vos collègues qu'unit à vous la gloire commune d'avoir confessé le Seigneur, pour leur recommander, avec une sollicitude inquiète, de garder généreusement et fermement les saints préceptes de l'évangile, et les instructions de vie qui nous ont été une fois données. Voilà donc pour vous un degré nouveau et fort élevé de gloire, voilà un double titre à la Bienveillance divine qui s'ajoute a votre confession : vous restez fermes et en place devant une attaque qui tend à forcer l'évangile, et vous repoussez, d'une foi constante, ceux qui, d'une main impie, s'efforcent de ruiner les préceptes du Seigneur; après avoir donné le signal des actes de courage, vous donnez maintenant des leçons de sage conduite. Le Seigneur,après sa Résurrection, envoyant ses apôtres leur donne ses instructions et leur dit : "Tout pouvoir M'a été donné dans le ciel et sur la terre : allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, leur apprenant à pratiquer tout ce que Je vous ai commandé". (Mt 28,18-20). Et l'apôtre Jean, se souvenant du commandement, écrit plus tard dans son épître : "Nous nous rendons compte que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit qu'il le connaît et ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n'est point en lui". (Jn 2,3-4). Ces préceptes vous les faites observer, ces commandements divins et célestes, vous les gardez. C'est là être confesseur du Seigneur, c'est là être martyr du Christ, de conserver dans ses paroles une fermeté toujours inviolable et entière; ce n'est point l'être, que de rendre témoignage au Seigneur par le martyre et de s'efforcer ensuite de détruire les commandements du Seigneur, de se servir contre lui des grâces qu'il nous a faites, et d'user en quelque sorte des armes qu'il nous a confiées pour se révolter contre Lui. Ceci c'est vouloir confesser le Christ, et en même temps nier l'évangile du Christ. Je suis donc heureux à cause de vous, frères très vaillants et très fidèles, et autant je félicite les martyrs qui ont eu l'honneur de souffrir ici de la gloire que leur a value leur courage, autant je vous félicite, vous, de la couronne que vous méritez pour votre fidélité à la discipline. Le Seigneur répand sur nous ses bienfaits par des largesses de plusieurs genres. Il distribue à ses bons soldats la gloire spirituelle avec une riche variété. Nous avons part à l'honneur de votre conduite. Votre gloire est notre gloire, et nous avons cette heureuse fortune qu'il nous est donné de voir, de notre temps, des serviteurs de Dieu loués, et des soldats du Christ couronnés. Je souhaite, très vaillants et très heureux frères, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE 29

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.
Pour qu'il n'y ait rien qui ne soit connu de vous, je vous envoie, mes très chers frères, un exemplaire de la lettre qui m'a été écrite, et un de ma réponse (7). Je crois que ma réponse ne vous déplaira pas. Mais, de plus, je dois ici porter à votre connaissance que pour un motif urgent j'ai écrit au clergé qui habite Rome. Et parce qu'il m'a fallu faire tenir mes lettres par des clercs, sachant qu'un grand nombre d'entre eux sont absents et que le petit nombre de ceux qui restent ici suffit à peine à la besogne quotidienne, il a été nécessaire d'en ordonner quelques nouveaux pour les envoyer. Sachez donc que j'ai ordonné lecteur, Saturus, et sous-diacre, Optatus le confesseur. Nous les avions déjà, d'un commun accord, rapprochés de la cléricature, quand nous avons deux fois chargé Saturus de faire la lecture au jour de Pâques; et, dernièrement, quand, examinant soigneusement les lecteurs avec les prêtres catéchistes, nous avons mis Optatus au rang des lecteurs de ceux qui instruisent les catéchumènes. Nous avions examiné s'ils présentaient les qualités que doivent avoir ceux qui sont destinés à la cléricature. Je n'ai donc rien fait de nouveau en votre absence, mais simplement mis en pratique ce que nous avions décidé d'un commun accord. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez la communauté des frères. Adieu.
(7) C'est la lettre 28

LETTRE 30

AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES HABITANT ROME, SALUT.
Celui qui a conscience d'avoir bien agi, et observé sans défaillance la discipline de l'évangile, celui qui se peut rendre le témoignage d'être resté fidèle à là loi divine, a coutume de se contenter du jugement de Dieu, et ne recherche les éloges ni ne redoute les critiques d'autrui. Cependant, ceux-là méritent une double louange qui y tout en sachant qu'ils ne doivent soumettre leur conscience qu'à Dieu, son seul juge, désirent néanmoins que leur conduite soit soumise à l'approbation de leurs frères. Il n'est pas étonnant que telle soit votre façon d'agir, frère Cyprien; avec la modestie et le zèle qui vous sont des dons de nature, vous avez voulu que nous fussions moins les juges que les associés de vos résolutions, partageant la gloire de votre administration en l'approuvant, et devenant les bénéficiaires des résultats de vos mesures, en les faisant nôtres. On croira que nous avons tous collaboré à une même chose, quand on nous verra tous d'accord pour y appliquer les mêmes principes disciplinaires.
Qu'y a-t-il de si convenable dans la paix, de si nécessaire dans la guerre de la persécution, que de garder la juste sévérité de la discipline ? Quand on s'en relâche, il est inévitable qu'on aille au hasard dans une course errante, que l'on se perde dans les vicissitudes des affaires, et que, comme si l'on s'était laissé arracher le gouvernail des mains, on s'expose à briser le navire de l'Église sur des rochers. Et ainsi, il apparaît bien que l'on ne peut pourvoir au salut de l'Église qu'en repoussant ceux qui sont contre elle comme des flots contraires, et qu'en gardant les règles toujours observées de la discipline comme une sorte de gouvernail pour se diriger dans la tourmente. Et ce ne sont point là des sentiments connus depuis peu de temps, ni des secours nouveaux contre les méchants venus tout récemment. Mais chez nous la sévérité est antique, antique la foi, la discipline antique. Et en effet, l'Apôtre ne nous aurait pas loués si fort qu'il l'a fait en disant : "On parle de votre foi par toute la terre", (Rom 1,8) si, des ce moment-là, notre vigueur n'avait eu ses racines dans la foi de ces temps. Et vraiment, dégénérer de cette gloire est un très grand crime. l y a, en effet, moins de déshonneur à n'avoir jamais reçu d'éloge glorieux qu'à tomber du faîte de la gloire. Il est moins blâmable de n'avoir jamais été honoré d'un bon témoignage que d'avoir perdu l'honneur des bons témoignages. Il est moins dommageable de n'avoir point été célèbre pour ses vertus et d'être resté sans gloire et inconnu que d'avoir perdu l'héritage de la foi, et sa propre gloire. Ce que l'on dit, en effet, en l'honneur de quelqu'un, s'il ne s'applique à en rester digne par des efforts pleins de sollicitude, se tourne en mécontentement contre lui, et lui devient le sujet des reproches les plus amers.
Que nous ayons raison de parler ainsi, c'est ce qu'établissent nos lettres antérieures. Nous y avons clairement exposé notre sentiment, d'abord à l'égard de ceux qui se sont montres infidèles par la déclaration coupable consignée dans des billets criminels (8) : ils croyaient peut-être, par la, échapper aux filets du démon, mais il ne les tenait pas moins que s'ils s'étaient réellement approchés des autels sacrilèges, par cela seul qu'ils déclaraient l'avoir fait. Notre sentiment s'y est aussi fait connaître à l'égard de ceux qui ont reçu de tels billets, bien qu'ils n'aient pas été présents lorsqu'on les faisait, attendu que de demander qu'on les écrivît, c'était faire acte de présence. On n'est pas innocent d'un crime, quand on a demandé qu'il fût commis, et l'on n'est pas étranger à un délit, quand, ne l'ayant pas commis, on consent à se le laisser attribuer dans un acte lu publiquement. Quand tout le mystère de la foi se résume à confesser le Nom du Christ, celui qui cherche, pour s'y dérober, de fallacieux prétextes, l'a nié, et celui qui veut paraître avoir satisfait à des édits ou à des lois portés contre l'évangile y a obéi en effet, par cela même qu'il a voulu paraître y avoir obéi. A l'égard aussi de ceux qui, en prenant part à des sacrifices coupables, ont souillé leurs mains et leur bouche, après avoir d'abord souillé leurs âmes d'une souillure dont celle-ci a procédé, nous avons montré notre foi et notre accord. A Dieu ne plaise, en effet, que l'église Romaine se relâche de sa vigueur par une facilité profane, et énerve la sévérité de la discipline, au détriment de l'honneur de la foi; à Dieu ne plaise qu'elle aille, alors que les morceaux de notre communauté non seulement sont encore par terre, mais tombent toujours, donner avec précipitation le remède de réconciliations à coup sûr inefficaces; et par une miséricorde de mauvais aloi, ajouter aux blessures de la faute de nouvelles blessures, enfonçant les malheureux davantage, et leur enlevant même la pénitence. Comment la médecine de l'indulgence pourra-t-elle réussir, si le médecin lui-même, en empêchant la pénitence, favorise le danger, s'il ne fait que recouvrir la blessure, sans permettre au nécessaire remède du temps de la cicatriser. Ce n'est pas là guérir : si nous devons dire le vrai mot, c'est tuer.
D'ailleurs, les confesseurs qui sont encore en prison ici à cause de leur confession glorieuse, et à qui leur foi a valu déjà des couronnes dans le combat pour l'évangile, vous ont écrit une lettre qui a le même esprit que les nôtres. Ils y ont soutenu la sévérité de la discipline évangélique, et repoussé des demandes illégitimes, ne voulant pas s'exposer, en y acquiesçant à ne pouvoir pas facilement réparer les ruines de la discipline. A personne en effet, il ne convient autant de garder intacte la vigueur évangélique qu'à ceux qui, pour l'évangile, se sont laissé meurtrir et torturer à des furieux. Ils n'ont pas voulu perdre l'honneur du martyre, comme ils l'auraient perdu justement, si, à l'occasion du martyre, ils avaient prévariqué au regard de l'évangile. Car, celui qui ne garde pas ce qu'il possède dans ce qui en est la source en détruisant ce qui est la source du bien qu'il possède perd ce bien lui-même.
Et ici nous devons vous rendre et nous vous rendons les plus grandes, les plus abondantes action de grâces. Vous avez, par votre lettre, illuminé les ténèbres de leur prison, vous êtes venu auprès d'eux dans la mesure où vous l'avez pu, vous avez relevé par vos paroles leurs âmes vaillantes dans leur foi et leur confession, allumé en eux, en louant dignement leur bonheur, un désir beaucoup plus ardent de la gloire céleste, vous avez donné le branle à leur bon mouvement, animé par l'énergie de votre langage, ceux qui sont (je le crois du moins et le souhaite) de futurs vainqueurs. Bref, bien que tout cela soit l'oeuvre de la foi des confesseurs et de la grâce divine, pourtant ils semblent bien, pour une part, vous être redevables-de leur martyre. Mais, pour en revenir au point dont nous semblions nous écarter, vous aurez sous les yeux copie de la lettre que nous avons envoyée aussi en Sicile. Pour nous, cependant la nécessité s'impose plus impérieusement de remettre la chose à plus tard, puisque, depuis la mort de Fabianus, de très illustre mémoire, les difficultés des circonstances nous ont empêchés d'avoir un évêque, qui dirige toutes ces affaires, et qui puisse s'occuper des lapsi avec autorité et sagesse. D'ailleurs, dans une cause si importante nous aimons ce que vous avez dit, à savoir qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église et alors régler l'affaire des lapsi après en avoir délibéré en commun avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs restés fidèles. C'est, en effet, une charge facilement impopulaire et un lourd fardeau que d'avoir, sans être en nombre, à examiner la faute d'un grand nombre et d'être seul à prononcer la sentence, quand beaucoup de personnes ont commis le crime; d'ailleurs, une décision ne peut avoir grande force, qui ne semblerait pas avoir réuni les suffrages d'un grand nombre de délibérants. Considérez que le monde presque entier a été ravagé et que l'on voit partout à terre des débris et des ruines, et qu'ainsi la situation réclame pour le jugement des assises aussi considérables que la propagation même du délit. Que le remède ne soit pas moindre que la blessure, ni les moyens de salut moindre que les morts. Ceux qui sont tombés sont tombés parce qu'une aveugle témérité les avait rendus imprudents; que de même ceux qui s'occupent de régler cette affaire usent de toute la prudence et de toute la sagesse possibles, de peur qu'une décision, prise autrement qu'il ne faut, ne soit jugée sans valeur par tout le monde.
Dans un même sentiment, dans les mêmes prières et les mêmes larmes, nous tous, et ceux qui, comme nous, semblent avoir jusqu'à présent échappé à ces défaillances, et ceux qui sont tombes dans cette tempête désastreuse, implorons la divine Majesté, et demandons la paix pour l'Église et son peuple. En priant les uns pour les autres, aidons-nous, gardons-nous, armons-nous. Prions pour ceux qui sont tombés afin qu'ils se relèvent, prions pour ceux qui sont debout, pour qu'ils ne succombent pas à l'épreuve; prions pour que ceux dont on nous apprend la chute, reconnaissant la grandeur de leur faute, comprennent que ce n'est pas une cure brève et hâtive qu'elle réclame; prions pour que le pardon accordé aux lapsi soit efficace comme venant après la pénitence, afin que, comprenant bien leur culpabilité, ils consentent à faire preuve de patience en attendant, et n'agitent pas une Église encore vacillante; qu'ils craignent de paraître allumer une persécution intestine, et de mettre le comble à leur culpabilité en se montrant incapables de rester tranquilles. La modestie convient à ceux-là surtout dont les fautes sont l'effet fâcheux de sentiments étrangers à la modestie. Qu'ils frappent à la porte, mais qu'ils ne la brisent pas; qu'ils s'approchent du seuil de l'Église, mais qu'ils ne sautent point par-dessus. A la porte du camp de Dieu, qu'ils montent la garde, mais armés de modestie, montrant par elle qu'ils ont conscience d'avoir été des déserteurs. Qu'ils reprennent la trompette de la prière, mais qu'ils n'exécutent pas d'airs de bravoure. Qu'ils prennent les armes de la modestie; et ce bouclier de la foi, que la crainte de la mort leur a fait abandonner en apostasiant, qu'ils le reprennent, armés maintenant pour faire la guerre au diable, non à l'Église qui pleure encore leur chute. Ils tireront grand profit d'une prière modeste, d'une supplication respectueuse, d'une humilité nécessaire, d'une patience qui ne sera pas oisive. Qu'ils envoient, comme représentants de leur douleur, des larmes; que des gémissements sortis du fond du coeur soient leurs intercesseurs, et prouvent le regret du crime commis, et la honte qu'ils en ont.
Ou plutôt, s'ils frémissent à la vue du déshonneur mérité, s'ils explorent, avec la main du médecin sérieux, la plaie mortelle de leur conscience et de leur coeur, les replis sinueux de leur profonde blessure, qu'ils rougissent même de demander la paix : si ce n'est qu'il y a plus de péril et de honte à ne pas l'avoir demandée. En tout cas, s'ils la demandent, que tout se passe dans les formes, que l'on tienne compte de la loi de la demande et du juste temps requis; que la demande elle-même soit modeste, que la requête soit humble; car on doit adoucir, non irriter celui à qui on demande, et comme on doit se souvenir de la divine Clémence, aussi doit-on se souvenir de la divine Justice. S'il est écrit : "Je t'ai fait remise de toute ta dette, parce que tu m'en as prié", (Mt 18,32) il est écrit également : "Celui qui me niera devant les hommes, Je le nierai devant mon Père et devant ses anges" (Mt 10,33). Dieu, sans doute, est indulgent, mais Il contrôle aussi, et même rigoureusement, l'observation de ses préceptes, et s'Il invite au festin, il est vrai aussi que celui qui n'a pas la robe nuptiale, Il le fait prendre par les mains et les pieds, et jeter hors de l'assemblée des saints.Il a préparé le ciel, mais il a préparé aussi l'enfers. Il a préparé un lieu de rafraîchissement, mais il a aussi préparé des supplices éternels. Il a préparé une lumière inaccessible, mais il a préparé une nuit perpétuelle et des ténèbres immenses et sans fin.
Désirant tenir la juste balance en ces matières, il y a longtemps qu'à plusieurs, avec des évêques de régions voisines, et d'autres venus de provinces lointaines d'où la violence de la persécution les avait chassés, nous avons pensé qu'il ne fallait rien faire de nouveau avant l'élection d'un évêque. Nous avons estimé qu'il convenait de tenir à l'égard des lapsi, une ligne de conduite moyenne : en attendant que Dieu nous donne un évêque, laisser en suspens les causes de ceux qui peuvent attendre; quant à ceux qui sont au terme de leur vie, et dont la fin prochaine ne permet pas de délai, quand ils auront manifesté leur repentir et déclaré à plusieurs reprises regretter leur conduite, donné par leurs larmes, leurs gémissements, leurs sanglots, les marques d'une âme véritablement pénitente, à l'heure où humainement il ne restera aucun espoir de salut, alors, mais alors seulement, leur venir en aide avec prudence et discrétion. Dieu sait ce qu'Il doit faire de ceux qui sont dans ce cas, et comment Il les doit peser dans les balances de sa Justice. Quant à nous, en agissant ainsi, nous éviterons un double écueil : que des pervers ne louent chez nous une facilité trop grande, ou que des lapsi vraiment pénitents ne nous accusent d'une dureté cruelle. Nous souhaitons, pape bienheureux et très glorieux, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.
(8) Il s'agit ici de deux catégories de lapsi qui n'avaient pas sacrifié personnellement : l. ceux qui se rédigeaient, ou se faisaient rédiger, un certificat, attestant qu'ils avaient sacrifié, et le faisaient contresigner par les magistrats . 2. Ceux à qui on offrait de tels certificats, et qui les acceptaient.

 

 

 

 

LETTRE 31

AU PAPE CYPRIEN, MOISE ET MAXIME, PRETRES, ET NICOSTRATUS ET RUFINUS ET LES AUTRES CONFESSEURS QUI SONT AVEC EUX, SALUT.

Au milieu des multiples sujets de peine, ô notre frère, où nous ont jetés les chutes récentes d'un grand nombre dans le monde presque tout entier, une de nos principales consolations a été de recevoir votre lettre : elle a relevé nos courages et adouci l'amertume de notre douleur. Par là nous pouvons voir que la Bonté de la divine Providence n'a peut-être eu d'autre but, en nous tenant si longtemps en prison, que de nous permettre d'être édifiés et encouragés par votre correspondance, et d'aller aussi avec une ardeur plus grande vers la couronne qui nous est destinée. Votre lettre a brillé pour nous comme un instant de sérénité dans la tempête, comme le calme souhaité lorsque la mer est démontée, comme le repos au milieu des labeurs, comme la santé parmi les souffrances et les dangers de mort, comme, au milieu des ténèbres les plus épaisses, une blanche lumière qui resplendit. Notre âme altérée s'en est si bien rafraîchie, notre coeur affamé l'a prise avec tant d'ardeur, que nous nous en sentons tout réconfortés et vigoureux pour la lutte contre l'ennemi. Le Seigneur vous récompensera de cette charité et vous paiera l'intérêt de cette oeuvre de bienfaisance. On ne se rend pas moins digne de la couronne, à exhorter les autres qu'à souffrir soi-même, on ne mérite pas moins de gloire pour avoir appris aux autres à bien agir que pour avoir soi-même bien agi. On ne doit pas moins honorer celui qui a su donner des avis salutaires que celui qui les a mis en pratique, si ce n'est peut-être qu'il rejaillit parfois plus de gloire sur le maître qui forme que sur le disciple qui se montre docile. Celui-ci, en effet, n'aurait pas pu faire ce qu'il a fait, si le premier ne l'avait d'abord instruit.
Nous avons donc éprouvé, nous le répétons, frère Cyprien, une grande joie, une grande consolation, un grand réconfort, surtout à cause des dignes éloges que vous avez donnés, je ne dirai pas à la mort, mais plutôt à l'immortalité glorieuse des martyrs. De telles fins devaient être célébrées avec de tels accents et les exploits qu'on rapportait, redits tels qu'on les avait accomplit. Grâce à votre lettre, nous avons vu le glorieux triomphe des martyrs, nos yeux les ont suivis en quelque sorte, montant au ciel, et contemplés au milieu des anges, des puissances et des dominations célestes. Mieux que cela, c'est le Seigneur Lui-même, leur donnant, leur rendant devant son Père le témoignage promis, que nous avons en quelque manière entendu de nos propres oreilles. Voilà ce qui nous anime de plus en plus, et nous enflamme d'ardeur pour atteindre à un tel degré de gloire.
Quelle gloire plus grande, en effet, quel plus grand bonheur peut-il échoir à un homme par le bienfait de la grâce divine, que de confesser sans peur, au milieu des bourreaux, le Seigneur ? que d'être sans crainte, au milieu des supplices variés et raffinés de la puissance du siècle, quand on a le corps disloqué, meurtri, en lambeaux ? que de confesser le Christ Fils de Dieu, avec un esprit qui va s'éteindre, mais qui est libre encore ? que de laisser le monde pour le ciel, les hommes pour les anges, se dégageant de tous les embarras du siècle pour être libre sous le Regard de Dieu, et s'attachant sans hésitation au royaume céleste ? quoi de plus beau que d'être devenu, en confessant le Nom du Christ, l'associé de sa Passion, d'avoir été, par un effet de la grâce divine, le Juge même de son propre juge, d'être resté sans tâche au regard de la confession du nom du Christ, sans s'incliner devant les lois humaines et sacrilèges portées contre la Loi, attestant publiquement la vérité, soumettant en mourant cette mort que tout le monde redoute, s'assurant par la mort même l'immortalité, et se mettant au-dessus des tourments par les tourments mêmes, en y donnant son corps à torturer et à déchirer à tous les instruments de supplice ? Quoi de plus glorieux que d'avoir opposé une âme indomptable à toutes les souffrances d'un corps martyrisé, d'être resté sans effroi a la vue du sang que l'on perd, d'avoir aimé les supplices après avoir confessé la foi, et considéré comme un amoindrissement de sa vie de survivre aux tourments
C'est à ce combat que le Seigneur nous anime comme au son de la trompette en faisant entendre son évangile : "Celui qui me préfère son père ou sa mère n'est pas digne de moi; et celui qui aime son âme plus que moi ne l'est pas davantage; celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas non plus digne de moi." (Mt 10,37-38). Et encore : "Heureux ceux qui auront souffert persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. Vous êtes heureux si on vous persécute et qu'on vous haïsse. Réjouissez-vous alors, et tressaillez d'allégresse. C'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui furent avant vous". (Mt 5,10). Et aussi : "Vous comparaîtrez devant les rois et les gouverneurs, et le frère livrera son frère pour la mort, le père son fils, et celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé". (Mt 10,18-22). Et : "Le vainqueur, Je le ferai asseoir sur mon trône, comme Moi-même vainqueur Je me suis assis sur le trône de mon Père". (Ap 3,21) L'apôtre dit de son côté : "Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation ? ou l'angoisse ? ou la persécution ? ou l'épée ? selon qu'il est écrit : A cause de vous nous sommes tout le temps livrés à la mort, et l'on nous regarde comme des brebis promises à la boucherie, mais dans toutes ces épreuves, nous sommes vainqueurs par celui qui nous a aimés". (Rom 8,35-37).
Ce sont ces choses et d'autres semblables que nous lisons dans l'évangile, et qui nous semblent des espèces de brandons que la divine parole approche de nous pour enflammer notre foi. Dès lors non seulement nous ne craignons pas les ennemis de la vérité, mais nous allons jusqu'à les provoquer; nous avons triomphé des ennemis de Dieu, rien qu'en ne leur cédant pas, et foulé aux pieds des lois scélérates portées contre la vérité. Si nous n'avons pas encore versé notre sang, nous sommes prêts à le verser : que personne ne considère comme une faveur le délai qui nous est imparti : il nous fait tort, il est un obstacle à notre gloire, il ajourne le ciel, il retarde pour nous la glorieuse contemplation de Dieu. Dans une lutte comme celle-ci, dans un combat où la foi prend part, ne point faire languir les martyrs, voilà la vraie clémence. Demandez donc, très cher Cyprien, que le Seigneur, par sa grâce, nous arme et nous glorifie de plus en plus chaque jour, nous soutienne et affermisse notre force et qu'enfin, comme fait un excellent général pour ses soldats qu'il a seulement exercés dans le camp et éprouvés, Il nous fasse sortir de prison pour nous conduire dans la plaine au combat qu'il se propose de livrer. Qu'Il nous donne ces armes divines, ces traits invincibles, la cuirasse de la justice que rien ne peut rompre, le bouclier de la foi qu'on ne saurait percer, le glaive de l'esprit qui ne reçut jamais d'entailles. Est-il, en effet, quelqu'un que nous devions prier d'intercéder pour nous, si ce n'est un si glorieux évêque ? Victimes destinées au sacrifice, à qui demander secours plutôt qu'au prêtre ?
Mais un autre sujet de joie pour nous, c'est la manière dont vous avez rempli vos fonctions épiscopales. Bien qu'éloigné de vos frères en raison des circonstances, vous ne leur avez cependant pas fait défaut; vos lettres ont fréquemment soutenu les confesseurs, vous leur avez fourni de quoi subvenir aux dépenses nécessaires en le prenant sur ce que vous avez légitimement acquis par votre travail, vous avez su être présent en quelque façon à tout; en aucune fonction de votre charge, vous n'avez marché de travers, comme le ferait un déserteur du devoir. Mais une chose nous a encore portés à nous réjouir davantage, et nous ne pouvons pas ne pas la louer de toutes nos forces. Nous avons remarqué qu'avec la sévérité convenable vous adressiez de justes remontrances, tout à la fois, à ceux qui, oubliant leurs fautes, avaient en votre absence montré un empressement excessif, et arraché la paix à des prêtres, et à ceux qui, sans faire attention à l'évangile, avaient donné "le Saint du Seigneur et les perles" (cf Mt 7,6) avec une facilité trop grande. En réalité, un désordre si grave, et qui s'est répandu dans le monde presque tout entier en y faisant d'incroyables ravages, doit être, comme vous l'écrivez, traité avec prudence et modération. Il faut que d'abord tous les évêques en aient délibéré avec les prêtres, les diacres, les confesseurs, et en présence des laïcs restés fidèles, comme vous le dites vous-même dans vos lettres, de peur qu'en voulant, mal à propos, remédier à des chutes, nous ne préparions d'autres chutes plus graves. Que restera-t-il de la crainte de Dieu, si l'on accorde si facilement le pardon aux pécheurs ? Il faut donner des soins à leurs âmes, les entretenir jusqu'au point de préparation convenable, et leur montrer par les Écritures combien la faute qu'ils ont commise est énorme et dépasse tout. Qu'ils ne s'excitent pas par la considération qu'ils sont nombreux, mais plutôt que la considération qu'ils ne sont pas en petit nombre les retienne. Pour atténuer une faute, ce qui vaut mieux, ce n'est pas de faire partie d'un grand nombre de pécheurs impudents, c'est d'avoir la honte, la modestie, la pénitence, la discipline, l'humilité et la soumission; c'est d'attendre, sur son cas, le jugement d'autrui, sur sa conduite, la sentence d'autrui. Voilà ce qui prouve la sincérité de la pénitence, ce qui cicatrise la blessure, ce qui redresse l'âme et la relève de ses ruines, ce qui éteint le mal ardent des fièvres du péché et y met un terme. Ce ne sont pas des aliments faits pour des gens bien portants que le médecin donnera aux malades, de peur qu'une nourriture mal appropriée n'aille aggraver, au lieu de le calmer, le mal qui exerce ses ravages. En d'autres termes, il ne faut-pas qu'un mal qui aurait pu être guéri plus tôt par le jeûne, traîne en longueur par suite d'un manque de patience qui ferait prendre à l'estomac un excès de nourriture.
Ainsi il faut laver par les bonnes oeuvres des mains qu'a souillées un sacrifice impie; des lèvres malheureuses qu'à profanées une nourriture criminelle doivent être purifiées par des discours qui marquent une pénitence véritable, et, dans l'intime de l'être, il faut planter à nouveau une âme fidèle. Que l'on entende de fréquents gémissements de pénitence, et que des yeux coulent les larmes d'une fidélité nouvelle, afin que ces mêmes yeux, qui ont eu tort de regarder les statues profanes, versent des larmes qui donnent satisfaction à Dieu, et effacent leur crime. L'impatience n'a que faire quand on est malade. Ils luttent contre leur mal ceux qui souffrent, et ils commencent seulement à espérer la santé, quand leur endurance a triomphé de la douleur. Impossible de compter sur une cicatrice qu'un médecin pressé a fait fermer trop tôt et, à la première occasion la guérison est compromise, si l'on ne demande pas le remède au temps lui-même. Un incendie reprend vite, si le feu n'a pas été éteint jusqu'à la dernière étincelle Les personnes dont nous parlons peuvent comprendre qu'on avise mieux à leurs intérêts en temporisant, et qu'elles doivent aux délais nécessaires des guérisons plus durables.
D'autre part, que signifie l'emprisonnement dans un cachot malpropre, de ceux qui confessent le Christ, si ceux qui le nient le font sans risquer la qualité de fidèle ? Que signifient les chaînes dont ils se laissent attacher pour le Nom de Dieu, si ceux-là ne sont pas privés de la communion qui ont refusé de confesser Dieu ? Que signifie leur mort glorieuse dans les prisons, si ceux qui ont abandonné la foi ne sentent pas l'étendue de leurs périls et de leurs fautes ? Que s'ils affichent une impatience excessive et mettent un empressement intolérable à demander la communion, c'est bien en vain qu'ils font entendre, d'une bouche ardente et sans frein, ces reproches odieux et geignards, impuissants d'ailleurs contre la vérité, puisqu'il était en leur pouvoir de conserver ce que maintenant, par suite d'une nécessité qui est leur faite, ils sont forcés de solliciter. La foi qui pouvait confesser le Christ pouvait être maintenue par le Christ dans la communion. Nous souhaitons, frère, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE 32

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.

Pour que vous puissiez savoir ce que j'ai écrit au clergé de Rome et ce qu'il m'a répondu, et aussi ce que m'ont répondu les prêtres Moïse et Maxime, les diacres Nicostratus et Rufinus et les autres confesseurs emprisonnés avec eux, je vous en envoie copie.(1) Faites ce que vous pouvez avec votre zèle habituel, pour que mes lettres et leurs réponses soient portées à la connaissance de nos frères. De plus, si de l'étranger, des évêques mes collègues, ou des prêtres ou des diacres sont présents déjà ou arrivent près de vous, faites-leur connaître le tout. Et s'ils veulent prendre copie des lettres, et les porter chez eux, qu'on le leur permette. J'ai d'ailleurs mandé à Satyrus le lecteur, notre frère qu'il en permette la transcription à tous ceux qui le désirent, afin que, dans le règlement provisoire des affaires des églises, nous marchions d'accord. Pour le reste, comme je l'ai écrit à un grand nombre de nos collègues, nous réglerons ensemble plus complètement les mesures utiles, quand, avec la Permission de Dieu, nous pourrons nous réunir. Je souhaite, frères très chers et très regrettés que vous vous portiez toujours bien. Saluez la communauté. Adieu.
(1) Lettres 27,28,30 et 31

LETTRE 33

Notre Seigneur, dont nous devons révérer et garder les commandements, réglant ce qui concerne les égards dus à l'évêque, et le plan de son Église, parle dans l'évangile et dit à Pierre : "Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel, et que tu auras délié sur la terre sera délié dans le ciel". (Mt 16,18-19). De là découle, à travers la série des temps et des successions,l'élection des évêques et l'organisation de l'Église : l'Église repose sur les évêques et toute sa conduite obéit à la direction de ces mêmes chefs. Les choses ayant été ainsi établies par Disposition divine, je m'étonne de l'audace téméraire de certains qui m'ont écrit, en affectant de parler au nom de l'Église, alors que l'Église est établie sur les évêques, le clergé et ceux qui sont restés fidèles. A Dieu ne plaise que la Miséricorde divine et la Puissance invincible du Seigneur permettent que l'on appelle Église un groupe de lapsi, alors qu'il est écrit : "Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants". (Mt 22,32). Nous souhaitons sans doute que tous vivent, et nos prières et nos gémissements demandent qu'ils soient rétablis dans leur premier état. Mais si certains lapsi veulent être l'Église, et si l'Église est chez eux et en eux, que reste-t-il à faire, sinon que nous les supplions de daigner nous recevoir dans l'Église ? Bref, ceux-là doivent être modestes, paisibles et réservés, qui, se souvenant de leur faute, ont à donner satisfaction à Dieu et à s'abstenir d'écrire au nom de l'Église, sachant bien que c'est plutôt à l'Église qu'ils écrivent.
D'autres lapsi m'ont` écrit, qui sont humbles, doux, craignant Dieu, et qui ont fait dans les Églises des oeuvres grandes et glorieuses, sans porter cependant ce qu'ils ont fait au compte du Seigneur, sachant qu'il a dit : "Quand vous aurez fait tout cela, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire". (Lc 17,10). Pleins de ces pensées, bien qu'ils eussent revu un billet des martyrs, pour que leur satisfaction pût être admise de Dieu, ils m'ont adressé une prière. Ils déclarent qu'ils reconnaissent leur faute et en font une pénitence sincère, qu'ils ne montrent point, pour obtenir la paix, un empressement téméraire et hors de propos, mais attendent notre présence, ajoutant que la paix même leur serait plus chère, si nous étions là pour la leur accorder. Combien je les ai félicités, Dieu le sait, qui a daigné nous faire connaître ce que de tels serviteurs méritent de sa Bonté. J'ai reçu cette lettre, et maintenant je lis que vous m'avez écrit autre chose : je vous prie donc de bien mettre à part l'expression de vos désirs à chacun, et je demande que tous ceux parmi vous qui viennent de m'envoyer cette nouvelle lettre signent un billet et me l'envoient avec les noms de chacun. Alors, sur les divers points touchés par vous, je répondrai comme il convient à ma dignité et à la ligne de conduite adoptée par mon humble personne. Je souhaite, frères, que vous vous portiez bien, et agissiez pacifiquement et avec calme, suivant la discipline du Seigneur. Adieu.

LETTRE 34

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES DE ROME SES FRERES, SALUT.

Vous avez agi, conformément au devoir et à la discipline, très chers frères, en décidant, sur l'avis de ceux de mes collègues qui étaient présents, qu'il fallait refuser la communion au prêtre Gaius de Dida et de son diacre. Ceux-ci, en effet, communiquent avec les lapsi et offrent leurs oblations. Ils avaient été souvent pris à suivre ces errements fâcheux et plusieurs fois, d'après ce que vous m'écrivez, avertis par mes collègues d'avoir à cesser. Ils ont persévéré obstinément dans leur présomption et leur audace. Ils trompaient certains de nos frères laïcs, aux intérêts desquels nous désirons aviser le plus utilement possible, tâchant de procurer leur salut, non par des complaisances perverses, mais par un dévouement fidèle et sincère, et cherchant à leur faire pratiquer une vraie pénitence et apaiser Dieu par les gémissements d'une douleur profonde. Il est écrit, en effet : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé et faites pénitence". (Ap 2,5). Et la divine Écriture dit encore : "Voici la parole du Seigneur : Quand, étant converti, vous gémirez, alors vous serez sauvé, et vous saurez où vous étiez". (Is 30,15).
Mais comment ceux-là peuvent-ils gémir et faire pénitence, dont certains prêtres empêchent les gémissements et les larmes, estimant à la légère que l'on doit communiquer avec eux, ignorant qu'il est écrit : "Ceux qui vous disent heureux, vous égarent et vous trompent sur le chemin où vous devez marcher". (Is 3,12). Il n'est donc pas étonnant que nos bons et sincères conseils ne servent à rien, quand des flatteries et des complaisances funestes font obstacle à la vérité salutaire, et que l'âme blessée et malade des lapsi éprouve ce qu'éprouvent corporellement les malades et les infirmes : en repoussant comme amers et insupportables des aliments sains et des breuvages salutaires, et en demandant ce qui semble devoir leur plaire et leur être agréable pour le moment, ils vont d'eux-mêmes au-devant de la mort, par leur indocilité et leur intempérance. Les soins sérieux de l'homme de l'art ne servent de rien pour la guérison, quand on se laisse prendre à l'appât d'une complaisance trompeuse.
Vous donc qui, comme je l'ai écrit, avisez d'une manière honnête et saine au sort des lapsi, ne vous écartez pas du parti le plus sage. Lisez cette lettre à mes collègues, à ceux qui sont déjà présents, comme à ceux qui peuvent survenir, afin que, d'un accord unanime, nous prenions les mesures salutaires pour soigner et guérir les blessures des lapsi, sauf à traiter pleinement de toutes choses, quand la Miséricorde divine nous permettra de nous réunir. En attendant, si quelque emporté, quelque téméraire, soit de nos prêtres ou de nos diacres, soit des étrangers, osait, avant notre sentence, communiquer avec les lapsi, qu'il soit écarté de notre communion, jusqu'à ce qu'il essaie de justifier sa téméraire conduite, quand, avec la grâce de Dieu, nous aurons pu nous réunir.
Vous avez aussi exprimé le désir de connaître notre sentiment sur les sous-diacres Philomenus et Fortunatus, et l'acolyte Favorinus qui ont disparu pour un temps et sont revenus. Sur ce point je ne crois pas devoir donner mon avis tout seul : beaucoup de membres du clergé sont encore absents et n'ont pas cru devoir, même tardivement, regagner leur poste, et, d'autre part, je dois connaître de ces cas particuliers et en étudier soigneusement la solution, non seulement avec mes collègues, mais avec le peuple tout entier. Il faut, en effet, tout bien peser et balancer, avant de donner à une affaire un règlement qui, pour l'avenir constituera un précédent relativement aux ministres de l'Église. En attendant, qu'ils s'abstiennent de réclamer la rétribution mensuelle, non pas comme écartés définitivement du ministère ecclésiastique, mais comme renvoyés à l'époque où nous serons présent, leur affaire restant entière. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien. Saluez toute la communauté. Adieu.

LETTRE 35

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES QUI SONT A ROME, SALUT

Notre amitié réciproque et la raison même demandent de nous, frères très chers, qu'il n'y ait rien que nous ne portions à votre connaissance de ce qui se fait ici, afin que, pour le bon gouvernement de l'Église, nous mettions nos idées en commun. Depuis que je vous ai écrit une lettre que j'ai envoyée par le lecteur Saturus et le sous-diacre Optatus nos frères, un parti de lapsi téméraires, qui refusent de faire pénitence et de satisfaire, m'a écrit, demandant moins qu'on leur donnât la paix que la réclamant comme leur appartenant déjà, sous le prétexte que Paul l'a donnée à tous, comme vous le pourrez lire dans leurs lettres, dont je vous transmet une copie. En même temps, je vous envoie un exemplaire de ce que je leur ai répondu (2) et de la lettre que j'ai ensuite adressée au clergé. (3) Que si désormais leur témérité n'est point arrêtée ni par vos lettres, ni par les miennes, et ne se rend point a des conseils salutaires, nous ferons ce que le Seigneur nous prescrit de faire, selon l'esprit de l'Évangile. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien. Adieu.
(2) Lettre 33
(3) Lettre 34

 

 

LETTRE 36

AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES DE ROME, SALUT.

A la lecture des lettres (1) que vous nous envoyiez, frère, par le sous-diacre Fortunatus double a été notre peine, double le chagrin dont nous nous sommes sentis accablés, en voyant que les devoirs d'un temps de persécution si redoutable ne vous laissaient aucun repos, et que, d'autre part, vous aviez à signaler chez nos frères tombés un manque de modération poussé jusqu'à une dangereuse témérité de paroles. Pourtant, dans la grande affliction que causaient ces nouvelles à nos âmes, votre vigueur, et la fermeté que vous avez déployée conformément à la discipline évangélique, a allégé le fardeau de notre peine, en nous montrant comment vous réprimez justement la perversité de plusieurs, et leur indiquez, dans vos exhortations à la pénitence la voie régulière du salut. A la vérité, je m'étonne qu'ils en soient venus jusqu'à oser - et avec de telles instances, et si prématurément et dans un moment si douloureux - alors qu'il s'agit d'une faute, d'un crime énorme, monstrueux, non pas tant demander la paix que l'exiger, que dis-je, prétendre l'avoir déjà dans le ciel. Mais s'ils l'ont, pourquoi demandent-ils ce qu'ils tiennent ? Si, au contraire, il est prouvé qu'ils ne l'ont pas, par cela seul qu'ils la demandent, pourquoi n'attendent-ils pas le jugement de ceux à qui ils ont pensé devoir la demander ? Que s'ils croient posséder d'ailleurs un droit de prérogative pour l'octroi de la communion, qu'ils essaient de l'examiner au regard de l'évangile, sa valeur sera établie quand il aura été constaté qu'elle n'est pas en désaccord avec la loi évangélique. Au surplus, comment une faveur accordée contre la vérité évangélique pourra-t-elle bien donner une communion conforme à l'évangile ? Nulle prérogative ne peut conférer un privilège d'indulgence que si l'on n'est pas opposé à celui à qui on veut s'unir. Par suite, quand on est opposé à celui à qui on veut s unir, il est inévitable que l'on renonce à toute faveur et à tout privilège d'union.
Qu'ils prennent garde à ce qu'ils vont faire par cette conduit. S'ils disent en effet que l'évangile a bien établi une chose, mais que les martyrs en ont établi une autre, en mettant les martyrs en conflit avec l'évangile, ils courront un double péril. La majesté de l'évangile paraîtra lésée et abaissée, si la nouveauté d'une autre décision a pu l'emporter sur lui. D'autre part, la glorieuse couronne de leur confession sera ôtée de la tête des martyrs, si l'on trouve qu'ils ne l'ont pas acquise en restant fidèles à la loi de l'évangile, qui fait les martyrs : de sorte qu'il ne convient à personne de ne rien décider contre l'évangile autant qu'à celui qui travaille à obtenir de sa fidélité à l'évangile le titre de martyr. Il y a une autre chose que nous voudrions savoir encore : si les martyrs ne deviennent martyrs que pour garder la paix avec l'Église, en se refusant jusqu'à l'effusion du sang à sacrifier aux idoles, de peur qu'en se laissant vaincre par la force des tourments, ils ne perdent le salut en perdant la paix, comment se fait-il que ce salut qu'ils pensaient perdre, s'ils sacrifiaient, ils jugent qu'on le doive donner à ceux qui passent pour avoir sacrifié ? Ils devraient, quand il s'agit des autres, appliquer la même règle qu'ils semblaient s'être imposée. Dans cette affaire, ce qu'ils ont invoque comme leur étant favorable, se retourne, nous le voyons, contre eux. Car, si les martyrs ont pensé que la paix devait être donnée, pourquoi ne l'ont-ils pas donnée eux-mêmes ? pourquoi ont-ils pensé qu'on devait réserver leur cas à l'examen de l'évêque, comme ils le disent eux-mêmes ? Celui qui ordonne de faire une chose peut, à coup sûr, faire lui-même ce qu'il ordonne de faire. Mais comme nous le voyons bien, ou plutôt comme la chose le dit et le crie d'elle-même, nos très saints martyrs ont cru devoir recourir à un tempérament qui ménageât leur modestie et la vérité. Pressés par beaucoup de monde, ils ont renvoyé à l'évêque, mettant ainsi leur modestie à couvert, tout en évitant d'être ennuyés désormais; et en refusant de communiquer eux-mêmes avec les lapsi, ils ont montré qu'ils entendaient faire garder fidèlement la pureté de la loi évangélique.
Que cependant, frère, votre charité ne cesse pas de soigner les âmes des lapsi, et de donner le remède de la vérité à ceux qui sont dans l'erreur, bien que l'âme malade repousse souvent les soins empressés du médecin. Elle est récente encore la blessure des lapsi et leur plaie est encore tuméfiée. Aussi sommes-nous certains qu'avec le temps cette ardeur se calmera, et qu'ils seront contents d'avoir été différés pour une cure sérieuse, à condition qu'il n'y ait personne qui les arme pour leur propre péril, les instruisant de travers, et au lieu du remède des délais salutaires, demandant pour eux le poison fatal d'une réconciliation hâtive. Nous ne pouvons croire, en effet, que tous auraient osé réclamer si impudemment la paix, s'il n'y avait eu des gens pour les y pousser. Nous connaissons la foi de l'Église de Carthage, nous connaissons ses habitudes, nous connaissons son humilité. C'est pour cela même que nous nous sommes étonnés de soir certaines paroles dures lancées contre vous dans une lettre; nous avions souvent constaté votre charité les uns pour les autres, dans des cas nombreux ou éclatait votre affection réciproque. C'est donc l'heure pour eux de faire pénitence de leur faute, d'éprouver le regret de leur chute, de se montrer réservés, de faire preuve d'humilité, de modestie, d'appeler par leur soumission la Clémence divine, de faire descendre sur eux la divine Miséricorde en rendant au pontife de Dieu les honneurs qui lui sont dus. Leur lettre, en effet, eu été meilleure, si leur humilité avait aidé les prières que faisaient pour eux les frères restés fidèles, car on obtient plus facilement ce qu'on demande, quand celui pour qui on demande est digne d'obtenir ce qu'on demande pour lui.
Pour ce qui regarde Privatus de Lambese (2); vous avez agi conformément à vos habitudes, en nous signalant son cas comme méritant d'exciter nos alarmes. Il convient, en effet, que nous veillions tous sur tout le corps, de l'Église, dont les membres sont dispersés dans les différentes provinces. Mais nous aussi, avant même de recevoir votre lettre, nous avions découvert la perfidie de cet habile homme. Quelqu'un de sa cohorte perverse; son porte-enseigne Futurus, étant venu vers nous, et ayant cherche à obtenir de nous une lettre par fraude, n'a pu ni cacher ce qu'il était, ni obtenir la lettre qu'il voulait. Nous souhaitons que vous vous portiez toujours bien.
(1) La lettre 35 et celles dont elle parle.
(2) Cet évêque de Lambese, avait été condamne comme herétique par un concile antérieur à saint Cyprien.

LETTRE 37

CYPRIEN AUX PRETRES MOIE ET MAXIME ET AUX AUTRES CONFESSEURS, SALUT

Vous avez été tous et chacun, nos très chers frères, présents à notre tendresse dans la personne de Celerinus (3), le compagnon de votre foi et de votre courage, le soldat de Dieu dans les glorieuses luttes. C'est vous tous que nous avons vus venir avec lui, et quand il nous parlait avec tant de douceur, et si fréquemment, de votre affection pour nous, c'est vous que nous croyions entendre. Grande et très grande est ma joie, quand je reçois par de tels messagers de tels messages. Nous sommes en quelque façon en prison là-bas avec vous, nous croyons ressentir l'honneur que vous fait la divine Bonté tant nous vous sommes unis de coeur. Votre gloire est la nôtre, par la charité qui nous tient si étroitement attachés; le lien de l'esprit ne permet pas que ceux qui s'aiment soient séparés; nous sommes sous les verrous, vous par la confession, moi par l'affection. Pensant à vous, et le jour et la nuit, nous demandons à Dieu, tant dans la prière que nous faisons en commun au cours des sacrifices, que dans les prières privées que nous Lui adressons chez nous, de vous protéger en tout et de vous donner la couronne glorieuse. Mais nous sommes trop chétif pour vous payer entièrement de retour. Vous donnez davantage, quand vous vous souvenez de nous dans vos oraisons, vous qui, n'espérant bientôt plus que le ciel, et n'ayant plus que la pensée de Dieu, montez à une gloire plus haute par les délais mêmes de votre martyre, le temps qui s'allonge ne retardant pas votre gloire, mais l'augmentant. La première confession à elle seule fait un bienheureux. Vous autres, vous renouvelez votre confession toutes les fois qu'invités à sortir de prison, c'est la prison que votre foi et votre courage préfèrent. Autant pour vous de titres de gloire que de jours; autant d'intervalles d'un mois, autant d'accroissements de mérites. On ne vainc qu'une fois quand on est exécuté tout : d'un coup; quand, au contraire, étant tous les jours au milieu des tourments, on lutte contre la douleur sans se laisser vaincre, on est plusieurs fois couronné.
Viennent maintenant magistrats, consuls ou proconsuls, glorieux des insignes de leur dignité qui dure un an, et des douze faisceaux : la dignité céleste qui est en vous a brillé une année, et voici qu'elle dépasse, par la durée de sa gloire victorieuse, le cycle annuel. Le monde était illuminé de l'éclat du soleil qui se lève et de la lune en sa course : dans votre prison, celui-là qui a fait le soleil et la lune vous était une plus grande lumière, et dans vos âmes et dans vos coeurs la Clarté du Christ resplendissait, répandant à travers les ténèbres, redoutables et funèbres pour d'autres, de ce lieu de peine, les rayons de sa lumière éternelle et splendide. Par le cycle des mois l'hiver a passé : vous, dans votre prison, vous éprouvez, au lieu de ses rigueurs, les rigueurs de la persécution. A l'hiver a succédé le printemps, paré de roses et couronne de fleurs : roses et fleurs venaient à vous des jardins du paradis, et c'étaient des guirlandes célestes qui entouraient votre tête. Voici l'été charge de ses moissons et l'aire que les récoltes étaplissent : vous avez, vous semé de la gloire, et c'est une moisson de gloire que vous récoltez; placés dans l'aire du Seigneur, vous voyez la paille brûlée par le feu inextinguible, tandis que vous-mêmes, semblables aux grains vannés d'un froment précieux, vous êtes conservés après l'épreuve, et trouvez un grenier dans votre prison. Il n'y a pas jusqu'a l'automne qui n'ait son temps dans l'ordre spirituel. On fait la vendange au dehors, et le raisin, qui doit fournir les coupes de vin, est foulé sous les pressoirs; et vous, pareils à des grappes chargées de fruits mûrs dans la vigne du Seigneur, foulés sous la violence de la persécution séculière, vous avez, dans la prison où le pressoir vous écrase, versé votre sang comme un vin qu'on exprime, et, courageux à endurer la souffrance, vous videz de bon coeur la coupe du martyre. Ainsi pour des serviteurs de Dieu se déroule l'année; ainsi le temps passe en une succession d'oeuvres saintes qui méritent les récompenses célestes.
Heureux, certes, ceux d'entre vous qui, marchant par ce chemin de gloire, sont sortis du monde, et ayant fourni leur parcours de courage et de foi se sont présentés déjà aux Embrassements et aux Baisers du Seigneur, heureux de les accueillir. Mais votre gloire n'est pas moindre à vous qui, encore dans la lutte et prêts seulement à suivre dans la carrière vos glorieux compagnons, livrez une longue bataille, et fermes dans votre foi immuable et inébranlable, donnez chaque jour à Dieu le spectacle de vos vertus. Plus longue est votre lutte, plus belle votre couronne. La lutte est unique, mais fait d'un grand nombre d'épreuves. Vous triomphez de la faim, vous méprisez la soif, et votre énergie vous fait fouler aux pieds la tristesse de la prison, et l'horreur du lieu de peine. Dans votre prison, la souffrance est domptée, la douleur écrasée, et la mort est moins redoutée que souhaitée, ayant pour prix l'immortalité qui vaut plus que la vie terrestre, et le vainqueur recevant en récompense une vie éternelle. Quelle âme est en vous en ce moment, quel coeur élevé et large, où s'agitent de telles pensées, où l'on ne songe qu'aux préceptes de Dieu, et aux récompenses du Christ. Il n'y a là de volonté que celle de Dieu, et bien que vous soyez encore dans une chair mortelle, la vie que vous menez n'est pas celle du siècle présent, mais celle du siècle à venir.
Il me reste, frères bienheureux, à vous prier de vous souvenir de moi, de vouloir bien, au milieu de vos pensées grandes et divines, nous porter aussi dans votre coeur, et dans votre esprit, et me faire une place dans vos prières et vos oraisons, lorsque votre voix, qu'a purifiée une confession glorieuse, et dont les nobles accents se sont soutenus sans défaillance, parvient aux Oreilles de Dieu, et passant de ce monde qu'elle a vaincu au ciel qui lui est ouvert, obtient de la divine Bonté tout ce qu'elle sollicite. Que demandez-vous, en effet, à la Bonté divine que vous ne méritiez d'obtenir, vous qui avez si bien gardé les commandements du Seigneur, observé la discipline évangélique avec l'énergie d'une foi sincère et conservé intact l'honneur de votre fidélité courageuse. Même, en restant fermement attachés aux préceptes du Seigneur et à ses apôtres, vous avez affermi la foi hésitante de plusieurs par votre martyre. Témoins authentiques de l'évangile et authentiques martyrs du Christ, fixés sur ses racines, appuyés fermement sur la pierre, vous avez joint la discipline au courage, vous avez poussé les autres à la crainte de Dieu, et vos martyres ont été des exemples. Je souhaite, très courageux et très heureux frères, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.
(3) Sur Celerinus, v. lettres 26 et 27

LETTRE 38

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES, ET AUSSI A TOUT LE PEUPLE, SALUT

Pour les ordinations de clercs, frères très chers, nous avons l'habitude de vous consulter d'avance et de peser avec vous les moeurs et les mérites de chacun. Mais il n'y a pas lieu d'attendre les témoignages des hommes quand Dieu même a donné son suffrage. Aurelius, notre frère, glorieux adolescent, agréable à notre Seigneur et cher à Dieu, est encore jeune d'années, mais déjà âgé par le mérite de son courage et de sa foi, petit par son âge, grand par l'honneur qu'il s'est acquis : deux fois il a lutté, deux fois il a confessé le Christ, deux fois, par sa confession, il s'est couvert de gloire, soit lorsqu'il a vaincu à la course en suivant le chemin de l'exil, soit lorsqu'il a livré un plus rude combat et triomphé dans l'épreuve du martyre. Autant de fois l'adversaire a voulu provoquer les serviteurs de Dieu, autant de fois, plein de promptitude et de vaillance, il a combattu et vaincu. C'était peu pour lui, d'un engagement sous les yeux de quelques personnes, quand il avait été banni : il a mérité d'engager la lutte sur le forum même où le courage éclate davantage, et ainsi, de vaincre après des fonctionnaires de second ordre, le proconsul lui-même, et de surmonter les tortures après l'exil. Je ne sais ce que je dois louer en lui davantage, la gloire du martyre ou l'honnêteté de la vie, l'éclat de son courage, ou l'admiration qu'excite sa vertu. Il est, tout ensemble, si élevé par son mérite, si abaissé par son humilité, que l'on voit bien que Dieu l'a réservé pour être un exemple dans l'Église, pour montrer comment des serviteurs de Dieu triomphent par leur courage en le confessant, et après l'avoir confessé, se distinguent par la sainteté de leur vie.
Un tel jeune homme méritait les degrés supérieurs de la cléricature, et une plus haute promotion, sinon par ses années, du moins par son passé. Mais, en attendant, on a cru bon de le faire commencer par l'office de lecteur. Il convient, en effet, à merveille à une voix qui a confessé Dieu en une déclaration glorieuse de retentir dans la lecture des Écritures divines. Après les paroles sublimes qui ont rendu au Christ un témoignage fidèle, il convient au confesseur de lire l'évangile du Christ, et de venir à l'ambon après le pilori. Il était exposé là a la vue de la foule des païens, il convient qu'il le soit ici aux regards des frères; il s'est fait entendre là à l'étonnement de la foule qui l'environnait, il est indiqué qu'il se fasse entendre ici à la joie de l'assemblée des frères. Sachez donc, frères bien aimés, qu'il a été ordonné par moi et par ceux de nos collègues qui étaient présents. Je sais que vous accueillez volontiers une nouvelle de ce genre, et que vous souhaitez que l'on ordonne le plus possible de clercs de cette qualité dans notre Église. Et, comme la joie est toujours pressée et que l'allégresse ne supporte point de retard, il nous a fait la lecture au jour du Seigneur, sans attendre davantage, c'est-a-dire qu'il nous a donné des présages de paix en inaugurant ses lectures. Pour vous, priez beaucoup, et que vos prières viennent au secours des nôtres, afin que Dieu, dans sa Miséricorde, rende bientôt a son peuple et un évêque sain et sauf et avec l'évêque un martyr lecteur. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 39

CYPRIEN A SES FRERES, LES PRETRES ET LES DIACRES, ET AU PEUPLE TOUT ENTIER, SALUT.

Il faut reconnaître et accueillir, mes bien chers frères, avec joie les bienfaits divins par lesquels le Seigneur a daigné, de notre temps, honorer et glorifier son Église, en rendant la liberté à de bons confesseurs, à des martyrs glorieux. De cette façon, ceux qui avaient été par leur confession les nobles témoins du Christ ont pu devenir ensuite, peur le clergé du Christ un ornement, en étant associés aux fonctions ecclésiastiques. Réjouissez-vous donc, et unissez-vous à notre joie, en lisant cette lettre, par laquelle mes collègues ici présents, et moi, vous faisons savoir que Celerinus (4), notre frère, également glorieux par son courage et ses vertus, a été adjoint à notre clergé, moins par le suffrage des hommes que par le jugement de Dieu. Comme il hésitait à accepter, I'Église elle-même, dans une vision nocturne, l'a forcé à ne pas opposer de refus à nos instances. Celle qui a plus de pouvoir l'a contraint. l n'était pas juste, en effet, et il ne convenait pas que celui-là restât étranger aux honneurs ecclésiastiques, que le Seigneur avait honoré d'une gloire céleste.
C'est lui qui a été le premier à livrer le combat de notre épreuve, lui qui a été, parmi les soldats du Christ, le porte-enseigne, lui qui, au moment où la persécution s'allumait, engageant la lutte contre celui qui en était l'auteur, a vaincu par son énergie indomptable son adversaire, et ouvert ainsi aux autres, la route de la victoire. Ce ne sont pas des blessures qui l'ont fait vainqueur en un moment, mais la souffrance a duré pour lui, elle s'est longtemps attachée à lui, et c'est une merveille d'endurance dans la lutte prolongée, qui l'a fait triomphateur. Dix-neuf jours durant, il a été en prison dans les ceps et dans les fers. Mais si son corps était enchaîné, son esprit était libre et sans entraves. Sa chair s'est émaciée à force d'avoir faim et soif : son âme a vécu de foi et de courage, et Dieu l'a nourrie d'aliments spirituels. Étendu sur le sol, et accablé de souffrances, il était plus fort que ses souffrances mêmes; emprisonné, plus grand que ceux qui l'emprisonnaient; par terre, plus haut que ceux qui étaient debout; enchaîné, plus ferme que ceux qui l'enchaînaient; jugé, plus noble que ses juges. Ses pieds avaient beau être chargés d'entraves, le serpent casqué a été écrasé et vaincu. Son corps glorieux brille des marques éclatantes des blessures. On voit sur ses membres et sur son corps réduits par une longue consomption, les traces des souffrances endurées. Elles sont grandes, elle sont admirables, les choses que l'on pourrait raconter de son énergie et de son courage à la communauté des frères. Et si quelqu'un se trouve, qui, semblable à Thomas, n'en veuille pas croire ses oreilles, le témoignage des yeux est à sa disposition, et il peut voir ce qu'il entend dire. Des blessures glorieuses ont donné la victoire au serviteur de Dieu, et des cicatrices gardent le souvenir de sa gloire.
Et ces titres d'honneur ne sont pas pour notre cher Celerinus une gloire nouvelle et inconnue. Il marche sur les traces des siens, il rejoint dans l'honneur que leur fait la divine Bonté, ses parents et ses proches. Son aïeule Celerina a obtenu, il y a longtemps, la couronne du martyre; ses oncles du côté paternel et maternel, Laurentius et Egnatius, qui combattaient autrefois dans les camps du siècle, mais qui sont devenus de vrais soldats de Dieu, en terrassant le diable par leur confession, ont mérité par un glorieux martyre les palmes et les couronnes du Seigneur. Nous offrons, vous vous en souvenez, des sacrifices en leur mémoire, toutes les fois que nous célébrons l'anniversaire de leurs souffrances et leur jour de martyre. Il ne pouvait donc dégénérer, ni se monter inférieur à ses ancêtres, celui qui, appartenant à une famille considérée et connue pour ses sentiments généreux, trouvait de tels exemples domestiques de courage et de foi. Dans le siècle, c'est un titre d'honneur que d'être de race patricienne : combien n'est-il pas plus honorable de faire dire de soi qu'on est de race noble dans la cité chrétienne. Je ne sais qui je dois proclamer plus heureux, eux d'une postérité si illustre, ou bien lui d'une origine si glorieuse. Dans cette famille, la divine Faveur se répand si également, que leur couronne à eux reçoit de la noblesse de leur descendance un éclat nouveau, et que lui trouve dans l'élévation de son origine un accroissement de gloire.
Venant à nous, nos très chers frères, avec de telles marques de la Bienveillance divine, illustré par le témoignage d'admiration de celui-là même qui l'avait persécuté, que pouvait-on faire que de le mettre à l'ambon, c'est-à-dire à la tribune de la communauté chrétienne. Ainsi, mis en vue par l'élévation même de l'estrade occupée, visible du peuple tout entier, comme il convient à ses mérites, il lira les leçons et l'évangile du Seigneur, qu'il suit courageusement et fidèlement. Que la voix qui a confessé le Seigneur se fasse entendre tous les jours, proclamant la parole du Seigneur. Il n'y a sans doute des degrés plus hauts où l'on peut monter dans l'Église : mais nulle part un confesseur ne peut être plus utile à ses frères, qu'en leur fournissant à chacun l'occasion, en entendant lire de sa bouche le texte évangélique, d'imiter la foi du lecteur. Il fallait le joindre à Aurelius (5), à qui l'unit la communauté d'un honneur divin, à qui l'attachent tous les liens de la vertu. Ils sont pareils tous les deux et semblables; autant leur gloire est haute, autant leur humilité est profonde, autant la divine Bienveillance les met en avant, autant leur amour du calme et leur simplicité les tient en arrière. Leurs actes vertueux, et leurs dispositions intérieures sont également un exemple pour tous, et ils sont bons pour le combat comme pour la paix, dignes d'éloges, là par leur énergie, ici par leur modestie.
Voilà les serviteurs que le Seigneur aime, les confesseurs dont il est fier; leur vie et leurs actions font proclamer leur gloire tout en étant aux autres une leçon et un enseignement. Le Christ a voulu qu'ils demeurassent longtemps dans l'Église, il les a retirés du milieu de la mort, par une sorte de résurrection, pour que les frères, ne voyant rien de plus élevé au point de vue de l'honneur, rien de plus abaissé par l'humilité, toute la communauté se mette à leur suite, et marche comme eux. Sachez cependant que nous ne les avons établis lecteurs qu'en attendant mieux. Il fallait mettre la lumière sur le candélabre, pour qu'elle brillât à tous les regards, et placer en un lieu élevé ces têtes glorieuses, afin qu'aperçues de tous, elles fussent un encouragement aux luttes qui donnent la gloire. Mais nous les avons d'ailleurs désignés pour l'honneur de la prêtrise : ils recevront la sportule comme les prêtres, et auront part égale aux distributions mensuelles; ils siégeront avec nous plus tard quand ils seront plus avancés en âge, bien que l'on ne doive nullement tenir pour moindre au titre des années celui qui a consommé son âge par une gloire éminente. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien
(4) Sur Celerinus, v. l.21,22 et 37
(5) Sur Aurelius, v. lettre 38

 

 

 

 

 

LETTRE 40

CYPRIEN A SES FRERES TRES CHERS ET TRES REGRETTÉS LES PRETRES, LES DIACRES ET TOUT LE PEUPLE, SALUT.

Je dois vous annoncer, mes très chers frères, une nouvelle qui est de nature à vous donner de la joie à tous, et à procurer à notre Église la plus grande gloire. Apprenez donc que nous avons été averti et chargé par la divine Bonté d'inscrire au nombre des prêtres de Carthage le prêtre Numidicus, et de l'admettre à siéger avec nous parmi les clercs, dans le rayonnement splendide de sa confession, et la gloire que lui ont donnée son courage et sa foi. Il a exhorté une phalange glorieuse de martyrs qui sont partis avant lui, tués à coup de pierres ou brûlés; et tandis que son épouse fidèle était consumée, ou plutôt conservée, avec les autres, il la regardait avec joie au milieu des flammes. Lui-même fut à demi-brûlé, lapidé, et laissé pour mort. C'est plus tard seulement que sa fille, cherchant pieusement le cadavre de son père, le trouva respirant à peine. Retiré du milieu des autres victimes, et ramené à la vie, il resta à regret en arrière de ses compagnons qu'il avait envoyés au ciel avant lui-même. La raison en fut, comme nous le voyons, que Dieu le voulait adjoindre à notre clergé, et donner à notre groupe, désolé par la chute de certains prêtres, la parure de prêtres glorieux. Il sera promu, quand Dieu le permettra, à une dignité plus haute, lorsque, avec la grâce du Seigneur, nous serons présent. En attendant, accomplissons cc qui nous est indiqué, recevons avec reconnaissance le présent que Dieu nous fait, espérant de la Miséricorde divine un plus grand nombre d'avantages de ce genre, afin que, rendant la vigueur à son Église, il donne à des prêtres si doux et si humbles l'occasion de siéger avec nous. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 41

CYPRIEN A CALDONIUS, ET HERCULANUS SES COLLEGUES, ET DE MEME A ROGATIANUS ET A NUMIDICUS, SES FRERES DANS LE SACERDOCE, SALUT.

J'ai été vivement peiné, mes très chers frères, en recevant vos lettres. Alors que j'ai toujours eu en vue et en tête le salut de toute la communauté, et la préservation de tout le troupeau, comme la charité le demande, voilà que vous m'annoncez que Felicissimus multiplie ses méfaits et ses perfides tentatives. Ainsi, outre ses fraudes et ses rapines, dont j'avais beaucoup entendu parler depuis longtemps, il tente maintenant de mettre en confit une partie du peuple avec l'évêque, c'est-à-dire de séparer les brebis du pasteur, les enfants du père, et de disperser les membres du Christ. Je vous avais envoyés comme mes représentants pour pourvoir aux besoins de nos frères avec nos ressources, pour aider des secours nécessaires ceux qui voudraient exercer leur métier, et, en même temps, pour étudier leur âge, leur condition, et savoir ce qu'ils valent, tout comme moi, à qui ce soin incombe, je souhaite de connaître tout le monde, et de promouvoir aux fonctions du ministère ecclésiastique tous ceux qui en sont dignes, qui sont humbles et doux. Et le voilà qui s'oppose à ce qu'on secoure personne, et que vous examiniez soigneusement ce que je désirais que vous examiniez, il va même jusqu'à user, contre ceux de nos frères qui se sont présentés les premiers pour avoir des secours, de procédés tyranniques et de moyens d'intimidation, déclarant que ceux qui nous auront obéi ne seront point en communion avec lui sur la colline.
Après tout cela, sans égard pour mon rang, ni pour votre autorité et votre présence, troublant par ses excitations le repos de nos frères, il s'en est allé avec un certain nombre, se proclamant, dans sa fureur insensée, chef de groupe dissident. - Je me réjouis d'ailleurs de ce que, dans cette aventure, un grand nombre de nos frères se sont écartés de son entreprise audacieuse, et ont préféré être avec vous, rester avec l'Église leur mère, et recevoir ses secours dispensés par l'évêque; je sais de science certaine que les autres aussi agiront de même dans le sens de la paix, et s'écarteront promptement d'une erreur téméraire. - En attendant, puisque Felicissimus a déclaré que ceux-là ne seront pas en communion avec lui, sur la colline, qui nous auront obéi, c'est-à-dire qui seront en communion avec nous, que la sentence portée par lui lui soit appliquée, et qu'il sache qu'il est retranché de notre communion. Aussi bien, aux fraudes et aux rapines, que nous avons constaté qu'il a commises, s'ajoute encore un adultère, que des hommes sérieux d'entre nos frères nous ont annoncé avoir découvert, et dont ils ont affirmé qu'ils feraient la preuve. Nous connaîtrons de tout cela quand Dieu nous aura permis de nous réunir avec plusieurs de nos collègues. Il y a encore Augendus qui, sans se soucier ni d'évêque, ni d'Église, s'est associé avec lui dans les mêmes sentiments. S'il persévère avec Felicissimus, qu'il encoure la sentence que s'est attirée ce brouillon téméraire. Mais, de plus, quiconque se joindra à ses menées, à ses complots, qu'il sache bien qu'il cessera d'être en communion avec nous dans l'Église, puisqu'il a voulu se séparer spontanément de l'Église. Lisez cette lettre à nos frères et faites-la passer à Carthage au clergé en y ajoutant les noms de ceux qui auront pu se joindre à Felicissimus. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 42

CALDONIUS AVEC HERCULANUS ET VICTOR SES COLLEGUES, ET DE MEME AVEC ROGATIANUS ET NUMIDICUS PRETRES, A CYPRIEN SALUT.

Nous avons retranché de notre communion Felicissimus et Augendus (1), et de même Repostus qui était du nombre des bannis, et Irène de Rutile, et Paula, la couturière, comme vous avez dû le savoir par ma note. De même, nous avons excommunié Sophronius, et même parmi les bannis, Soliassus, le fabricant de nattes de laiche.
(1) Sur Felicissimus et Augendus, v. l. 41.

LETTRE 43

CYPRIEN A TOUT LE PEUPLE SALUT.

Virtius, le plus fidèle et le plus intègre des prêtres, et de même les prêtres Rogatianus et Numidicus, à qui Dieu a accordé l'honneur de confesser son Nom, et de plus les diacres, hommes excellents et dévoués absolument au bon service de l'Église, outre leurs autres fonctions, nous servent encore d'intermédiaires auprès de vous, frères très chers, avec un dévouement entier. Ils ne cessent, non seulement de soutenir tous les courages par des exhortations constantes, mais encore d'amender et de diriger par des conseils salutaires les sentiments des lapsi. Malgré cela, je vous donne des avis autant que je le puis, et je vous visite par mes lettres. Je parle de lettres, frères très chers. En effet, la malignité perfide de certains prêtres a réussi a m'ôter la possibilité de vous arriver avant le jour de Pâques. Fidèles au souvenir de leurs complots, et gardant leur hostilité venimeuse d'autrefois contre mon épiscopat, que dis-je, contre votre suffrage et le jugement de Dieu, ils ont recommencé contre nous leurs anciennes attaques, et leurs machinations sacrilèges, avec les embûches ordinaires. A la vérité, la divine Providence, sans que nous l'ayons voulu ou souhaité, ou plutôt alors que nous fermions les yeux et gardions le silence, leur fait subir le châtiment qu'ils méritaient. Sans être excommuniés par vous, ils se sont excommuniés spontanément; d'eux-mêmes ils ont prononcé leur arrêt suivant la conscience qu'ils avaient de leur torts; conformément à votre suffrage qui était celui de Dieu, ces conjurés criminels se sont, de leur propre mouvement, expulsés de l'Église.
On voit maintenant d'où venait le parti de Felicissimus, sur quelles racines, sur quelles forces il s'appuyait. Ces gens-là, depuis longtemps, donnaient aux confesseurs des exhortations et des conseils pour les empêcher de s'accorder avec leur évêque, d'observer la discipline de l'Église avec foi et avec calme, de garder enfin la gloire de leur confession par une vie intègre et sans tache. Mais c'eût été trop peu pour eux d'avoir corrompu certains confesseurs, et cherché à élever contre l'épiscopat divin une portion de la fraternité divisée: c'est a perdre les lapsi que s'applique maintenant leur perfidie empoisonnée. Malades, blessés, comme ils sont, affaiblis par leur chute et peu capables de prendre des partis courageux, on les empêche de soigner leurs blessures, on leur fait interrompre les oraisons et les prières par lesquelles on doit s'efforcer de donner au Seigneur une longue et constante satisfaction, et ainsi on les attire, par l'appât trompeur d'une paix mensongère, dans le piège d'une funeste témérité.
Mais je vous prie, mes frères, ne vous endormez pas devant les embûches du démon, mais toujours sur le qui-vive, montez une garde attentive pour vous préserver des surprises d'une perfidie meurtrière. C'est ici une autre persécution, une autre épreuve; ces cinq prêtres ne sont autres que les cinq personnages qui, jadis, s'unirent aux magistrats, en signant un édit, pour ruiner notre foi et attirer dans des pièges funestes les coeurs faibles de nos frères en leur faisant abandonner le chemin de la vérité. C'est le même plain, le même système d'attaque que mettent en ce moment en oeuvre les cinq prêtres unis à Felicissimus : empêcher qu'on ne prie Dieu, et que celui qui a renié le Christ ne tâche d'apaiser le même Christ qu'il a renié; après la faute enlever aussi la pénitence, et le moyen de satisfaire au Seigneur par le ministère des évêques et des pontifes du Seigneur; faire, au contraire, déserter les pontifes du Seigneur et dresser une pratique sacrilège en face de la discipline évangélique. Il a été décidé, tant par nous-même que par les confesseurs et clercs de la ville, par tous les évêques résidant soit dans la province, soit au delà de la mer de ne rien régler de nouveau dans l'affaire des lapsi avant que nous ayons pu nous réunir, mettre en commun nos lumières, porter une sentence qui concilie la discipline et la miséricorde. Et les voici, qui se mettent en révolte contre nos mesures et s'efforcent de ruiner par leur complots toute l'activité, toute la puissance de l'épiscopat.
Quelle n'est point ma peine, frères très chers, de ne pouvoir en ce moment, aller à vous, aborder en personne chacun de vous, en personne vous exhorter conformément aux enseignements du Seigneur et de son évangile. Il ne suffisait donc pas de cet exil de bientôt deux ans, qui me tient éloigné de vos visages et de vos yeux, de ces regrets constants et ces gémissement que m'arrache sans cesse la solitude qui me prive de vous, de ces larmes qui coulent jour et nuit, parce que l'évêque que vous avez élu avec tant d'amour et tant d'ardeur n'a point encore le bonheur de pouvoir vous saluer, de pouvoir vous serrer dans ses bras ! A l'amertume où se fond notre coeur, s'ajoute encore un motif de chagrin plus grave: c'est de ne pouvoir, au milieu de telles inquiétudes et de tels embarras, vous aller trouver en personne, à cause des menées et des embûches qui nous font craindre de donner, en rentrant, le signal d'une aggravation du désordre, et de nous exposer, alors que l'évêque doit travailler en tout au bien de la paix et de la tranquillité publique, à paraître fournir nous-même un aliment au tumulte, rendant ainsi la persécution plus violente. D'ici, cependant mes très chers frères, d'ici je vous avertis, et vous conseille de ne point croire à la légère des voix funestes, de ne point applaudir avec une facilité trop grande à des paroles trompeuses, de ne point prendre pour la lumière les ténèbres, pour le jour la nuit, pour nourriture ce qui affame, pour boisson ce qui altère, un poison pour un remède, la mort pour la vie. Ne vous en laissez pas imposer par l'âge ou par l'autorité de gens qui reproduisent l'antique perversité des deux vieillards d'autrefois. De même que ces vieillards essayèrent de corrompre et d'outrager la chaste Suzanne, ils essaient, par des enseignements adultères, de corrompre la pureté, et d'outrager la vérité de l'évangile.
Dieu nous dit et nous crie : "N'écoutez pas les discours des pseudo-prophètes, que leurs visions abusent. Ils parlent, mais ils ne sont pas les hérauts du Seigneur. Ils disent à ceux qui rejettent la parole du Seigneur : "La paix sera avec vous". Ceux-là maintenant offrent la paix, qui ne l'ont pas, et l'on voit se faire forts de ramener à l'Église les lapsi ceux-là même qui se sont éloignés de l'Église. Il n'y a qu'un Dieu, qu'un Christ, qu'une Église, qu'une chaire que la parole du Seigneur a établie sur Pierre comme fondement. Un autre autel ne peut être érigé, un autre sacerdoce ne peut être institué, en dehors de cet unique autel, de cet unique sacerdoce. Quiconque amasse ailleurs, dissipe. Adultère, impie, sacrilège, tout ce qu'un égarement humain établit en violation des dispositions divines. Éloignez-vous du commerce de ces hommes et fuyez leur conversation comme on cherche à éviter, en s'écartant, le chancre ou la peste. Le Seigneur nous avertit quand Il dit : a"Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles : or, quand un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous les deux dans le fossé". (Mt 15,14). Ils s'opposent à ces prières que vous répandez avec nous jour et nuit devant Dieu, pour Lui offrir une juste satisfaction qui L'apaise, ils s'opposent aux larmes par lesquelles vous effacez la dette de vos fautes, ils s'opposent à la paix que vous sollicitez, avec sincérité et fidélité, de la Miséricorde du Seigneur. Ils ne savent pas qu'il est écrit : "Celui-là est-il prophète ou songeur, qui a parlé de manière à vous écarter du Seigneur votre Dieu ?"(Dt 13,5). Que personne, mes frères, ne vous écarte des voies du Seigneur. Que personne n'enlève à l'évangile du Christ des chrétiens comme vous, que personne ne prenne à l'Église des fils de l'Église, que ceux-là seuls périssent qui ont voulu périr, et que hors de l'Église demeurent seuls ceux qui se sont éloignés de l'Église; que ceux-là seuls ne soient point avec les évêques, que les évêques ont vus se révolter contre eux, et qu'ils soient seuls à subir la peine de leurs complots ceux qui, jadis d'après votre suffrage, maintenant d'après le jugement de Dieu, ont mérité d'être condamnés pour leurs complots et leur malice.
Le Seigneur nous instruit dans son évangile, en disant : "Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition". (Mc 7,9). Ceux qui rejettent le commandement de Dieu et s'efforcent d'établir leur propre tradition, repoussez-les courageusement et énergiquement. Qu'une chute suffise aux lapsi Que personne ne fasse tomber, par ses embûches, ceux qui veulent se relever; ceux qui sont à terre, pour qui nous prions afin que le Bras de Dieu les relève, que personne ne les abatte, ni ne les enfonce davantage; que personne n'enlève tout espoir de salut à des gens qui sont morts à demi, et qui demandent à vivre comme auparavant; devant les yeux de malheureux marchant à tâtons dans les ténèbres, où les a jetés leur apostasie, que personne n'éteigne les derniers rayons de la lumière qui les peut sauver. L'Apôtre nous instruit : "Si quelqu'un, dit-il, vous enseigne autre chose, et ne se conforme pas aux salutaires instructions de notre Seigneur Jésus Christ et à son enseignement, dans un aveuglement d'orgueil, éloignez-vous de lui". Il dit encore : "Que personne ne vous séduise par de vaines paroles. C'est pour cela que la Colère de Dieu s'appesantit sur des fils rebelles. N'ayez rien de commun avec eux". Il n'y a pas lieu de vous laisser séduire par leurs vaines paroles et de partager leur perversité. Éloignez-vous de telles gens et suivez nos conseils, à nous qui chaque jour répandons pour vous des prières devant le Seigneur, qui souhaitons que la divine Clémence vous rappelle à l'Église, qui demandons au Seigneur la pleine paix d'abord pour la mère, ensuite pour les fils. A nos prières et à nos supplications, joignez vos supplications et vos prières, à nos pleurs mêlez vos larmes. Gardez-vous des loups qui séparent les brebis du pasteur; gardez-vous de la langue empoisonnée du démon, qui trompeuse et menteuse dès l'origine, ment pour tromper, flatte pour nuire, promet du bien pour faire du mal, annonce la vie pour donner la mort. Maintenant encore ses paroles se découvrent et ses poisons se peuvent reconnaître : c'est la paix qu'il annonce afin qu'on ne puisse arriver à la paix, c'est le salut qu'il fait espérer afin que celui qui a péché ne puisse obtenir le salut, c'est l'Église qu'il promet alors qu'il travaille à écarter à tout jamais de l'Église celui qui le croit.
Ce qu'il faut maintenant, mes très chers frères, c'est tout à la fois que vous, qui êtes restés debout, vous persévériez courageusement dans votre attitude, et qu'après l'avoir prise si glorieusement dans la persécution vous l'affermissiez par une constance inébranlable; c'est que vous qui, circonvenus par l'adversaire, êtes tombés, vous avisiez dans cette seconde épreuve à ne point compromettre la paix que vous espérez, et restiez, pour que le Seigneur vous pardonne, avec les pontifes du Seigneur. Il est écrit : "L'homme qui aura agi avec superbe et refusé d'obeïr au pontife ou au juge alors en fonction, cet homme sera mis à mort". (Dt 17,12). Dans la présente persécution ceci est le dernier et suprême effort tenté contre nous; il passera lui aussi, de sorte que je serai parmi vous après Pâques avec mes collègues. Avec eux, avec vous aussi, et d'un commun accord, comme cela a toujours été mon dessein, nous pourrons disposer et régler ce qui est à faire. Mais si quelqu'un refusant de se convertir et de satisfaire à Dieu passe au camp de Felicissimus et de ses satellites et se joint à la faction hérétique, qu'il sache qu'il ne pourra plus après cela revenir à l'Église et être en communion avec les évêques et le peuple de Jésus Christ. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours bien, et que vous ne cessiez de prier avec nous pour obtenir la Miséricorde divine.

LETTRE 44

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

Il nous est arrivé, frère très cher, des envoyés de Novatien : le prêtre Maximus, le diacre Augendus, un certain Machaeus, et Longinus. Mais en apprenant par la lettre dont ils étaient porteurs et par la confirmation orale qu'ils nous en donnaient, que Novatien avait été fait évêque de Rome, indignés de cette ordination illégitime et pernicieuse à l'Église catholique, nous avons estimé devoir les tenir tout d'abord à l'écart de notre communion. Après avoir réfuté, en attendant, et repoussé les allégations qu'ils essayaient avec une opiniâtreté obstinée de soutenir, nous avons voulu attendre, moi et les nombreux évêques venus auprès de moi, l'arrivée de nos collègues Caldonius et Fortunatus, que nous avions délégués vers vous et vers les évêques présents à votre ordination. Leur témoignage à leur retour nous apportant la vérité des faits, nous aurions ainsi une autorité plus grande, et grâce à eux des preuves évidentes pour confondre la perfidie de la partie adverse. Mais sur ces entrefaites arrivèrent nos collègues Pompeius et Stephanus qui, eux aussi, avec leur gravité et leur bonne foi, nous ont fourni des renseignements et des témoignages décisifs, de sorte qu'il n'a même pas été nécessaire d'entendre plus longuement les envoyés de Novatien.
Dans l'assemblée (2), ils se répandaient encore en paroles malveillantes, en clameurs violentes, et demandaient que les accusations qu'ils disaient apporter et pouvoir prouver fussent examinées publiquement par nous. Nous avons déclaré qu'il ne convenait pas à notre dignité de livrer aux discussions et aux malins propos de l'envie l'honneur d'un collègue déjà élu, ordonné, approuvé par le suffrage favorable d'un grand nombre. Quant a la façon dont on les a réfutés, accablés et convaincus d'avoir sans justes raisons entrepris de faire un schisme, il serait trop long de le mettre dans une lettre. Primititus, notre collègue dans l'épiscopat, vous expliquera tout en détail quand il sera arrivé auprès de vous.
Mais leur égarement et leur audace ne devaient point avoir de terme. Ici même ils redoublent d'efforts pour tirer au parti du schisme les membres du Christ, et déchirer, mettre en morceaux le corps de l'Église catholique; c'est à ce point qu'ils vont de porte en porte, ou de localité en localité, recruter des complices dé leur révolte et de leur égarement de schismatiques. Nous leur avons une fois répondu. Nous ne cessons d'ailleurs de leur faire dire d'abandonner des dissensions et des luttes funestes, de se bien représenter que c'est une chose impie que d'abandonner sa mère; nous les invitons à reconnaître que, quand un évêque a été élu et approuvé par le témoignage et le jugement de ses collègues et du peuple, on ne peut aucunement en nommer un autre. Par conséquent, s'ils veulent prendre leur parti en gens de paix et de foi, s'ils prétendent être les défenseurs de l'évangile et du Christ, qu'ils commencent par revenir à l'Église. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(2) L'assemblée où les fidèles restaient debout (stabant) s'appelait statio. Elle se tenait près de l'autel. Les évêques y assistaient assis, comme on le voit l. 45,2

LETTRE 45

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

Ainsi qu'il convenait à des serviteurs de Dieu et sur tout à des évêques amis de la justice et de la paix, nous avions, frère très cher, envoyé jadis vers vous nos collègues Caldonius et Fortunatus. De cette façon, en même temps que notre lettre agirait sur les esprits, eux-mêmes étant sur place, et avisant avec vous tous, feraient tous leurs efforts pour rapprocher les membres du corps déchiré dans l'unité de l'Église catholique, et renouer le lien de la charité chrétienne. Mais le parti adverse, avec un entêtement obstiné et inflexible, a non seulement refusé de se rattacher à sa racine et de revenir sur le sein et dans les bras de sa mère; il en est même venu, dans une recrudescence d'esprit de discorde, jusqu'à se donner un évêque (3), jusqu'à élever en dehors de l'Église et en face d'elle une tête adultère, contre la discipline divinement instituée et contre l'unité catholique. Alors, ayant reçu votre lettre et celle de nos collègues et entendant à leur retour de Rome ces gens de bien, très chers à notre coeur, nos collègues Pompeius et Stephanus, qui nous en confirmaient toutes les nouvelles à notre grande joie à tous, et en fournissaient les preuves, nous avons fait ce que réclamait la vérité et la sainteté de la tradition divine et de la discipline ecclésiastique, et nous vous avons envoyé notre lettre. Mais de plus, en portant ces faits a la connaissance de chacun de nos collègues dans notre province, nous leur avons fait dire d'envoyer eux aussi des frères avec des lettres.
Notre sentiment d'ailleurs et nos intentions avaient été manifestés ici à nos frères et à tout le peuple au moment où, recevant des lettres des deux partis, c'était votre lettre que nous avions lue, et votre ordination épiscopale que nous avions notifiée et fait connaître à tous. Soucieux en même temps de l'honneur commun et de la considération due à la dignité et à la sainteté de l'épiscopat, nous avons rejeté avec mépris ce que la partie adverse avait entassé dans un libelle d'accusations diffamatoires, considérant tout à la fois et pesant ce qu'une assemblée si nombreuse et si religieuse de frères, où les évêques de Dieu siègent ensemble, et où s'élève l'autel, permettait et de lire et d'entendre. Il ne faut pas en effet produire ni publier sans prudence et à l'aventure des choses qui, écrites avec un poinçon de discorde, pourraient scandaliser un auditoire, et jeter le trouble et l'incertitude dans les esprits des frères qui habitent au loin par delà la mer. Qu'ils s'arrangent, c'est leur affaire, ceux qui, esclaves de leur fureur ou de leur passion, et oublieux de la loi divine et de la sainteté, éprouvent le besoin de répandre toujours dans le public des accusations qu'ils ne peuvent prouver, et qui, lorsqu'ils ne réussissent pas à détruire et à renverser une réputation d'innocence, se contentent de répandre contre elle des bruits mensongers et de fausses rumeurs pour la salir : à nous, les chefs et les évêques, il convient de donner nos soins à faire repousser de telles insinuations, quand certaines personnes les écrivent. Que deviendrait sans cela ce qu'on nous enseigne, ce que nous enseignons nous-même, comme parole de l'Écriture : "Tiens ta langue è l'écart du mal, et que tes lèvres ne disent point de fourberie". (Ps 33,14). Et de même en un autre endroit : "Ta bouche était pleine de malice et ta langue tressait des pièges. Tu t'asseyais pour parler contre ton frère, et tu élevais des accusations scandaleuses contre le fils de ta mère",(Ps 49,19,20) ou encore ce mot de l'Apôtre : "Ne laissez jamais sortir de votre bouche de mauvaises paroles, mais de bonnes, afin d'édifier et de rendre service à ceux qui vous entendent". (Ep 4,29). Or nous montrerions que tout cela est à faire si, quand des écrits calomnieux ont été rédigées à la légère, nous les laissions lire en notre présence. C'est pourquoi, frère très cher, ayant reçu des écrits de cette nature dirigés contre vous, et venant d'un prêtre siégeant avec vous, nous avons fait lire au clergé et au peuple ceux qui rendaient le son de la simplicité chrétienne et ne faisaient pas entendre les aboiements de la médisance et de l'injure.
En désirant d'ailleurs avoir le témoignage écrit de nos collègues qui avaient assisté à votre ordination, nous n'avons pas oublié les anciens usages (4) pour chercher du nouveau : il suffisait qu'une lettre de vous nous apprît que vous étiez évêque, s'il n'avait existé en face de nous un parti contraire qui, par ses inventions et ses accusations calomnieuses, troublait l'esprit et inquiétait l'âme d'un grand nombre de nos collègues et de nos frères. Pour calmer l'agitation, nous avons estimé nécessaire de nous faire écrire de chez vous par nos collègues et de nous procurer ainsi l'autorité de renseignements sûrs et indiscutables. Ceux-ci, en vous rendant dans leurs lettres le témoignage convenable au point de vue de la vie, des moeurs et de la discipline, ont enlevé aux envieux mêmes, et à tous ceux qui se plaisent dans la nouveauté ou le mal, tout prétexte à chicane et à discussion. Et ainsi encore, conformément à notre avis rendu après avoir bien réfléchi et tout pesé, les esprits de nos frères qui étaient flottants au milieu de cette agitation, ont approuvé sincèrement et fermement votre élection à l'épiscopat. C'est à cela, en effet, frère, que nous tendons et que nous devons tendre : faire régner autant que nous le pouvons cette unité que le Seigneur nous a transmise par ses apôtres, et dans la mesure de nos forces, rassembler dans l'Église, les brebis bêlantes et errantes que l'esprit de parti opiniâtre de quelques-uns et leurs avances hérétiques tendent à séparer de leur mère; ceux-la seuls resteront dehors que leur obstination ou leur égarement a portés à s'abstenir et à refuser de revenir à nous. Ils auront à rendre compte a Dieu de la séparation et de l'isolement où ils se sont mis, et de l'abandon de l'Église.
Pour ce qui concerne le sacerdoce de certains, et l'affaire de Felicissimus, nos collègues ont voulu vous faire savoir ce qui s'est passé ici, et vous ont envoyé des lettres signées de leur main au sujet de ces personnages. Quel a été, après les avoir entendus, leur sentiment et leur décision, leurs lettres vous l'apprendront. Il serait encore mieux de votre part, frère, de faire lire les lettres concernant le même Felicissimus et son sacerdoce, que j'ai écrites au clergé et aux fidèles, et que tout dernièrement, en raison de nos rapports d'amitié, je vous ai envoyées pour lecture par l'intermédiaire de nos collègues Caldonius et Fortunatus. Elles retraceront l'ordre et la suite de toute cette affaire; et de cette manière tant chez vous que chez nous, la fraternité sera informée. Je vous envoie encore maintenant des copies des mêmes lettres par le sous-diacre Mettius, et par l'acolyte Nicephorus. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(3) Novatien.
(4) Il s'agit ici de l'usage (mos), marque par les mots suivants d'aviser d'une élection par une lettre.

 

 

 

LETTRE 46

CYPRIEN A MAXIME, NICOSTRATE ET AUTRES CONFESSEURS, SALUT.

Vous avez souvent vu mes très chers, à la manière dont je parlais dans mes lettres, combien j'avais pour vous de respect comme confesseurs, combien d'affection comme frères : faites donc, je vous prie, bon accueil et confiance à la lettre présente, que je vous écris pour votre gouverne dans l'intérêt de votre bonne renommée, en cherchant à y pourvoir en toute simplicité et fidélité. Une chose me pèse et me désole, et répand dans mon coeur une tristesse intolérable et accablante : c'est de savoir que, contre l'ordre et la disposition de Dieu, contre la loi de l'évangile, contre l'unité catholique, vous avez consenti à ce qu'on établît un autre évêque, c'est-à-dire que contre tout droit divin ou humain, on établît une seconde Église, on déchirât les membres du Christ, on divisât en sections rivales le troupeau du Christ qui ne doit avoir qu'un corps et qu'une âme. Que chez vous du moins, je vous en prie, cette division condamnable de la fraternité ne continue pas; mais plutôt, vous souvenant de votre confession et de la tradition divine, revenez à votre Mère d'auprès de laquelle vous êtes partis, d'auprès de laquelle vous êtes allés à la confession glorieuse qui l'a fait tressaillir d'allégresse.
Ne croyez pas que vous soyez les champions de l'évangile du Christ quand le troupeau du Christ, quand sa paix et sa concorde, sont abandonnés par vous : il convient bien plutôt que des soldats glorieux et fidèles restent dans leur camp, et soient à l'intérieur pour y examiner et y régler en commun ce qui doit être traité en commun. Notre unanimité et notre concorde ne doivent pas être rompues. Nous ne pouvons pas quitter l'Église, sortir et aller à vous : c'est à vous plutôt de revenir à l'Église votre Mère, et à vos frères. De toutes nos forces nous vous y exhortons et nous vous en supplions. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 47

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

J'ai cru remplir un devoir religieux à votre égard, et faire une chose nécessaire, frère très cher, en écrivant une courte lettre (1) à des confesseurs de chez vous, qui, entraînés par l'esprit de révolte et de désordre de Novatien et de Novatus se sont éloignés de l'Église. C'était afin de les presser au nom de nos sentiments réciproques de revenir à leur Mère, c'est-à-dire à l'Église catholique. Cette lettre, j'ai chargé le sous-diacre Mettius de vous la lire d'avance, afin que personne ne puisse feindre que j'aie écrit autre chose que ce qui est dans ma lettre. J'ai cependant donné comme instruction à ce même Mettius que je vous envoie, de n'agir que selon votre jugement, et de ne remettre la lettre aux confesseurs que si vous le jugez à propos. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(1) C'est la lettre 46.

LETTRE 48

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

J'ai lu, frère très cher, la lettre (2) que vous nous avez envoyée par Primitivus, notre frère dans le sacerdoce. J'y ai vu que vous vous étiez ému de ce que, tandis qu'auparavant c'était à vous que les lettres étaient adressées, au nom de Polycarpe, de la colonie d'Hadrumète, après notre arrivée, à Liberalis et à moi, on les avait envoyées là-bas en les adressant aux prêtres et aux diacres
Eh bien, je veux que vous sachiez et teniez pour certain que cela n'a pas été fait par légèreté, ou manque d'égards. Mais nous avions décidé, nous trouvant plusieurs collègues ensemble, de vous déléguer nos collègues dans l'épiscopat, Caldonius et Fortunatus, et de laisser les choses en l'état jusqu'à ce que ces collègues revinssent, la paix étant rétablie à Rome, ou du moins la situation bien connue. Mais les prêtres et les diacres qui se trouvaient à Hadrumète, en l'absence de Polycarpe notre collègue dans l'épiscopat, ignoraient les résolutions que nous avions prises en commun. Quand nous fûmes arrivés, et qu'ils connurent nos résolutions, ils suivirent la même ligne de conduite que les autres, et ainsi en aucun point il n'y a eu désaccord entre les Églises de ce pays.
Il y a cependant des gens qui jettent quelquefois le trouble dans les esprits et dans les coeurs, en racontant les choses autrement qu'elles ne sont. Quant à nous, nous savons que, donnant des explications à chacun de ceux qui prenaient la mer, pour leur permettre d'aller à Rome sans rencontrer aucune pierre d'achoppement, nous les avons exhortés à y reconnaître la matrice et la racine de l'Église catholique, et à s'y attacher. Mais comme notre province est fort étendue, que la Numidie et la Mauritanie y sont rattachées, nous avons cherché à éviter que le schisme qui se produisait à Rome ne troublât les esprits de ceux qui en étaient loin, et ne les laissât hésitants. Nous avons donc voulu que les évêques, la vérité des faits étant bien admise et retenue par nous, et une autorité plus grande devant en résulter pour faire connaître de votre ordination, tout scrupule étant enfin levé, nous avons, dis-je, voulu, que tous les évêques d'ici écrivissent comme ils le font; ainsi tous ensemble nos collègues reconnaîtraient fermement votre communion, c'est-a-dire l'unité de l'Église catholique et s'y tiendraient attachés. Avec la grâce de Dieu les choses se sont passées ainsi et nos mesures ont été couronnées de succès : c'est de quoi nous sommes heureux.
Ainsi maintenant la vérité et tout ensemble l'autorité de votre épiscopat apparaissent en pleine lumière. Elles ont reçu la confirmation la plus évidente et la plus ferme : les réponses de nos collègues qui nous ont écrit de Rome, le rapport et le témoignage de nos évêques Pompeius, Stephanus, Caldonius et Fortunatus ont fait connaître à tous l'origine indiscutable et la légitimité de votre ordination, et l'intégrité honorable de votre vie. Nous nous y conformerons pratiquement, les autres évêques et moi, avec fidélité et fermeté, et nous nous y tiendrons dans l'unanimité de l'Église catholique. Ce sera l'effet de la divine Bonté. Le Seigneur, qui daigne Se choisir des pontifes et les établir, couvrira de sa Volonté protectrice, et aidera de son secours ceux qu'il a choisis et établis. Il inspirera leur conduite et leur donnera, pour refréner l'audace des méchants, la vigueur, pour ménager la conversion de ceux qui sont tombés, la douceur. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 49

CORNEILLE A CYPRIEN SON FRERE, SALUT

Autant nous avions eu de trouble et d'angoisse, au sujet des confesseurs, que la ruse et la malice de l'homme habile et roué (2) avait circonvenus, abusés un moment, et séparés de l'Église, autant nous avons éprouvé de joie, autant nous avons rendu grâces au Dieu tout-puissant et au Christ Seigneur, quand, reconnaissant leur erreur et comprenant la perfidie, venimeuse comme celle de la vipère, de ce méchant homme ils sont revenus a l'Église d'où ils étaient sortis, avec un coeur sincère, comme ils le disent d'eux-mêmes. Tout d'abord certains de nos frères, hommes d'une foi éprouvée, amis de la paix, désireux de l'unité, nous annonçaient que leur orgueil commençait à s'adoucir; les témoignages cependant n'étaient pas suffisants pour qu'il nous fût permis de croire à un changement soudain. Mais ensuite les confesseurs Urbanus et Sidonius sont venus vers nos collègues dans le sacerdoce, et ont affirmé que le confesseur et prêtre Maximus et Macarius désiraient comme eux rentrer dans l'Église. Cependant, comme bien des choses s'étaient passées par leur fait, choses que vous avez pu connaître vous aussi par le témoignage de nos collègues dans l'épiscopat, et par mes lettres, pour éviter de les croire à la légère, on décida qu'il (3) aurait à confirmer lui-même oralement ce qu'on avait fait connaître par des envoyés. Ils vinrent donc et les prêtres leur reprochèrent leur conduite, et en dernier lieu "ce fait que des lettres pleines de calomnies et de méchancetés avaient été envoyées sous leur nom à plusieurs reprises, cet avaient troublé presque toutes les Églises. Ils affirmèrent alors qu'ils avaient été circonvenus et n'avaient pas su ce qu'il y avait dans ces lettres, qu'ils avaient seulement signe, que c'était sa fourberie qui leur avait fait commettre cette faute. On leur fit grief aussi "d'avoir favorisé le schisme et l'hérésie en souffrant qu'on lui imposât les mains comme pour l'épiscopat". Après qu'on leur eut reproché ces méfaits, et le reste de leur conduite, ils demandèrent qu'on voulût bien n'en pas tenir compte, et oublier tout.
Tout ce qui s'était passé m'ayant été rapporté, je résolus de réunir l'assemblée des prêtres - il y eut aussi des évêques au nombre de cinq qui se trouvaient être présents encore ce jour-là, - afin de préciser les mesures à prendre et de régler d'un commun accord ce qui était à faire pour leur cas. Mais afin que le sentiment de tous et les raisons de chacun soient connus de vous, il nous a paru bon de porter nos avis aussi à votre connaissance. Vous les lirez ci-dessous. Ensuite Maximus, Urbanus, Sidonius, et plusieurs frères qui s'étaient adjoints à eux, vinrent à l'assemblée, demandant avec des prières instantes qu'on oubliât ce qui s'était passé, et qu'on n'en parlât pas plus désormais que si rien n'avait été fait ou dit, qu'on se pardonnât tous les torts réciproques et qu'on pût présenter à Dieu un coeur net et pur, mettant en pratique la parole évangélique : "Ceux-là sont heureux qui ont le coeur pur parce qu'ils verront Dieu". Il était naturel de communiquer toute l'affaire aux fidèles afin qu'ils vissent rentrés dans l'Église ceux-là même qu'ils avaient vus si longtemps avec douleur errer çà et là. Leurs dispositions connues, il se fit un grand concours de nos frères. Il n'y avait qu'une voix pour rendre grâce à Dieu; la joie qui remplissait les coeurs s'exprimait en larmes; on embrassait les convertis comme s'ils avaient été délivrés le jour même, du cachot. Mais, pour reproduire leurs propres expressions, "nous savons, disaient-ils, que Corneille a été élu évêque de la très sainte Église catholique par Dieu le Tout-Puissant et par le Christ notre Seigneur. Nous reconnaissons notre erreur. Nous avons été victimes d'une imposture. Nous nous sommes laissé circonvenir par des bavardages perfides et trompeurs. Nous paraissions être comme en communion avec un homme et schismatique et hérétique : mais notre coeur a toujours été dans l'Église. Nous n'ignorons pas en effet qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et qu'un seul Christ notre Seigneur que nous avons confessé, un seul saint Esprit, et qu'il ne doit y avoir qu'un évêque dans une Église catholique". Qui ne se serait senti touché de cette profession de foi et porté à leur permettre de pratiquer dans le sein de l'Église ce qu'ils avaient confessé devant le pouvoir séculier. Nous avons donc dit au prêtre Maximus de reprendre sa place; quant aux autres, avec l'approbation enthousiaste du peuple fidèle, nous avons remis le jugement de ce qui s'était passé à Celui à qui tout est réservé.
Tous ces faits, frère très cher, nous vous les avons fait connaître par écrit, à l'heure même, au moment même, et comme l'acolyte Nicéphore se proposait de prendre la mer, nous l'avons laissé partir tout de suite, afin que tout retard étant évité, vous fussiez en état de rendre grâce avec nous au Dieu tout-puissant, et au Christ notre Seigneur, comme si vous aviez été présent à cette assemblée du clergé et du peuple. Nous croyons, que dis-je, nous tenons pour certain que les autres aussi, qui sont dans cette erreur, reviendront bientôt à l'Église, en voyant leurs chefs d'accord avec nous. Je crois, frère très cher, que vous devez communiquer cette lettre aux autres églises afin que tout le monde sache que les ruses et les voies tortueuses de cet homme schismatique et hérétique sont abandonnées chaque jour davantage. Portez-vous bien, frère très cher.
(2) Cet homme "habile et roué" c'est Novatien.
(3) "Il" désigne Maximus, le personnage le plus important.

LETTRE 50

CORNElLLE A CYPRIEN SON FRERE, SALUT.

Pour que rien ne manque au châtiment qui attend ce scélérat (4) un moment abattu par la Puissance divine, après que Maximus, Longinus et Machaeus eurent été chassés d'Afrique, il a de nouveau levé la tête. Je crois, d'autre part, comme je vous l'ai indiqué dans une lettre précédente que je vous ai envoyée par le confesseur Augendus, que Nicostratus, Novatus, Evaristus, Primus et Denys sont arrivés où vous êtes. Que l'on veuille donc à ce que tous nos collègues dans l'épiscopat et tous nos frères soient instruits de ce qui les concerne. Nicostratus est accusé de plusieurs crimes : non seulement il a usé de fraude et de rapine à l'égard de sa patronne selon la chair, dont il gérait les affaires, mais encore ayant reçu des dépôts assez considérables de l'Église, il les a emportés. Quant à Evaristus, il a favorisé le schisme et l'on a nommé Zetus à sa place a la tête du peuple qu'il gouvernait. Novatus, lui, s'est signalé ici par la perversité et l'insatiable avarice qu'il a toujours montrée chez vous. Vous voyez quels chefs et quels défenseurs ce schismatique, cet hérétique a toujours à ses côtés. Portez-vous bien, frère très cher.
(4) Ce scélérat, c'est Novatien.

 

 

 

LETTRE 51

CYPRIEN A CORNEILLE, SON FRERE, SALUT.

Nous attestons, frère très cher, que nous avons rendu et que nous rendons sans relâche les plus grandes actions de grâces à Dieu le Père tout-puissant et à son Christ le Seigneur et le Dieu de notre salut, de ce que l'Église est si bien protégée par le ciel, que son unité et sa sainteté ne sont altérées ni constamment ni complètement par l'obstination de l'hérésie perfide et perverse. Nous avons lu en effet votre lettre et ce nous a été une joie à tous et une grande allégresse d'apprendre que le prêtre Maximus, et Urbanus, tous les deux confesseurs, et avec eux Sidonius et Macarius, obéissant a une sainte inspiration de fidélité, sont revenus à l'Église catholique, c'est-à-dire que, renonçant à leur erreur et sortant de leur égarement schismatique ou plutôt hérétique, ils ont regagné la maison de l'unité et de la vérité. Ainsi le lieu même d'où ils s'étaient mis en marche pour la gloire les reverra revenir glorieux, et il ne serait pas dit que ceux qui avaient confessé le Christ abandonnaient ensuite son camp, ni que ceux-là succombaient dans une épreuve de fidélité à l'affection et a l'unité qu'une épreuve de force et de courage avait laissés debout. Et voici que leur gloire est entière, intacte et sans tache, voici que leur honneur de confesseur a recouvré sa virginité et son intégrité. Ils se sont éloignés des déserteurs et des fuyards; ils ont laissé là ceux qui sont traîtres à la foi et qui attaquent l'Église catholique. C'est à bon droit qu'à leur retour, comme vous l'écrivez, ils ont été accueillis avec grande joie par le clergé et par le peuple, par toute la communauté des frères; car, en voyant que leur gloire est conservée à ces confesseurs et qu'ils reviennent à l'unité, il n'y a personne qui ne s'estime associé à leur bonheur et co-participant de leur gloire.
Nous pouvons nous faire une idée de cette joie d'après nos propres sentiments. En effet, à la lecture de la lettre que vous nous avez envoyée pour nous parler de l'aveu fait par eux de leur erreur, tout ce qu'il y a de frères ici s'est réjoui, et a reçu avec la plus grande allégresse une nouvelle dont tout le monde avait à se féliciter : mais quelle n'a pas dû être la joie la même où l'heureux événement se produisait sous les yeux de tous ! Le Seigneur dit dans son évangile qu'il y a une très grande joie dans le ciel pour la conversion d'un pécheur. Combien plus grande est la joie et sur la terre tout à la fois et dans le ciel, pour le retour de confesseurs qui reviennent à l'Église de Dieu avec leur honneur et leur gloire, et qui frayent aux autres la voix du retour par l'autorité et l'encouragement de leur exemple. Ici, en effet, l'erreur avait déteint sur quelques-uns de nos frères, qui se disaient qu'en les suivant ils suivaient la communion de confesseurs Leur illusion leur étant ôtée, la lumière s'est répandue dans tous les coeurs, et l'on a vu qu'une Église catholique est une, et ne peut être ni scindée ni divisée. Personne désormais ne pourra se laisser prendre aux verbeuses affirmations d'un schismatique furieux, maintenant qu'il est établi que de bons et glorieux soldats du Christ n'ont pu être longtemps retenus hors de l'Église par des tromperies et des perfidies du dehors. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 52
CYPRIEN A SON FRERE CORNEILLE, SALUT.

Vous avez agi avec célérité tout à la fois et avec charité, frère très cher, en nous envoyant en toute hâte l'acolyte Nicéphorus (1), pour nous annoncer le glorieux sujet de joie que donne le retour des confesseurs, et pour nous armer pleinement contre les nouvelles et pernicieuses machinations dressées par Novatien et Novatus contre l'Église du Christ. La veille, la funeste faction de la perverse hérésie, perdue déjà elle-même et destinée à perdre ceux qui y feront adhésion, était venue ici; le lendemain Nicéphorus survint avec vos lettres. Grâce à elles, nous avons appris nous-même, et nous nous sommes mis à apprendre aux autres, et à leur faire connaître qu'Évaristus, d'évêque qu'il était auparavant, n'était même plus demeuré simple fidèle; qu'éloigné de son siège et de son peuple, et sorti de l'Église du Christ, il erre au loin en d'autres provinces, et qu'ayant fait personnellement naufrage dans la foi, il cherche à provoquer autour de lui des naufrages semblables; que Nicostratus aussi, ayant perdu son saint office de diacre, après avoir soustrait par un larcin sacrilège l'argent de l'Église, et refusé de rendre les dépôts des veuves et des orphelins, n'a pas tant cherché à venir en Afrique, qu'à fuir de Rome, épouvanté de ses rapines et de ses crimes infâmes. Et maintenant, loin de l'Église qu'il a désertée et qu'il fuit, comme si changer de pays c'était changer soi-même, il se vante encore et se proclame confesseur, alors qu'on ne peut être appelé ni être confesseur du Christ, du moment qu'on a renié l'Église du Christ. En effet quand l'apôtre Paul dit : "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et ils seront à deux une seule chair. Ce sacrement est grand : je dis, par rapport au Christ et à l'Église"; quand le bienheureux Apôtre dit cela, et de sa voix sainte atteste l'union du Christ et de l'Église, et les liens indissolubles qui les attachent l'un à l'autre, comment celui-là pourrait-il être avec le Christ, qui n'est pas avec l'Épouse du Christ, avec son Église ? Comment peut-il prendre sur lui de régir et gouverner l'Église, celui qui l'a volée et dépouillée ?
Quant à Novatus, vous n'aviez pas à nous en envoyer des nouvelles de là-bas, car c'est plutôt à nous de vous faire connaître ce Novatus tel qu'il est. Toujours avide de nouveautés, emporté par une avarice et une rapacité insatiables, plein d'une arrogance superbe, enflé d'un orgueil insensé, toujours défavorablement apprécié des évêques, toujours condamné par la voix de tous les pontifes comme hérétique et pervers, curieux toujours pour trahir, flatteur pour tromper, jamais fidèle pour aimer : c'est une torche, un brandon pour allumer les incendies de la discorde séditieuse, une trombe, une tempête pour causer des naufrages dans la foi, un fauteur de troubles, un adversaire de la tranquillité, un ennemi de la paix. Enfin, Novatus s'éloignant de vous, c'est-à-dire la tempête et la trombe s'éloignant, le calme se fit un peu là où vous êtes, et de glorieux et excellents confesseurs (2) qui, à son instigation, s'étaient éloignés de l'Église, lorsqu'il se fut éloigné de Rome revinrent à l'Église C'est le même Novatus qui chez nous alluma d'abord l'incendie de la discorde; qui sépara ici certains de nos frères de l'évêque; qui, en pleine persécution, devint lui-même parmi nous, pour ébranler les âmes des frères, comme une seconde persécution. C'est lui encore qui, par esprit d'opposition et de cabale, a fait, sans ma permission et à mon insu, un diacre de Felicissimus, son satellite; puis, passant à Rome, avec le souffle de tempête qu'il porte avec lui, il a provoqué chez vous des troubles de même espèce et aussi graves, détachant violemment du clergé une partie du peuple fidèle, et dans une fraternité où régnait l'union et l'amour réciproque, rompant le lien de la concorde. Naturellement, comme Rome en raison de son importance le doit emporter sur Carthage, il y a commis des méfaits plus importants et plus graves. Ici il avait fait un diacre contre l'Église : là-bas, c'est un évêque qu'il a fait. Qu'on ne s'en étonne point, quand il s'agit de gens de cette espèce. Les méchants se laissent toujours emporter à la fureur qui les égare, et puis, quand ils ont commis des crimes, le remords qui aiguillonne leur âme criminelle ne les laisse pas en repos. Ils ne peuvent rester dans l'Église de Dieu, eux qui n'ont observé la discipline divine et ecclésiastique ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, dont la paix est absente. Les pupilles dépouillées, les veuves volées, les dépôts même de l'Église niés, réclament le châtiment que nous voyons dans ses fureurs. Il a laissé son père mourir de faim dans son quartier, et ensuite il ne lui a même point donné la sépulture. Il a frappé du talon sa femme au ventre, et lui a fait délivrer son fruit avant l'heure, causant ainsi un avortement parricide. Et il ose maintenant condamner les mains de ceux qui sacrifient, alors que ses pieds sont plus criminels puisqu'il s'en est servi pour tuer le fils qui allait lui naître !
Cette conscience de ses crimes lui inspirait des craintes depuis longtemps. Aussi tenait-il pour certain que non seulement il aurait à sortir du corps sacerdotal mais qu'il serait excommunié, et, à la requête instante des frères, le jour était imminent où nous allions avoir à instruire sa cause, si la persécution ne nous avait prévenus. Il l'a accueillie comme un moyen souhaité d'échapper à une condamnation, et de s'en épargner les ennuis, et il a causé ces désordres et ces troubles : de cette manière, lui qui devait être chassé de l'Église et excommunié, il devancerait par un départ volontaire le jugement des évêques : comme si c'était échapper à la peine que de prévenir la sentence !
Quant aux autres frères, que nous avons le regret de voir pris à ses pièges, nous faisons tous nos efforts pour qu'ils fuient la dangereuse compagnie de ce vieux routier, échappent aux filets qui leur sont tendus, et regagnent cette Église dont il a mérité d'être chassé de par Dieu. Nous espérons, avec l'Aide de Dieu et sa Miséricorde, qu'ils pourront revenir. Il n'y a en effet pour périr que ceux dont la perte est inévitable d'après ces paroles du Seigneur dans son évangile : "Toute plante qui n'aura pas été plantée par mon père qui est aux cieux sera arrachée." Celui qui n'est pas planté dans le champ des préceptes et enseignements de Dieu le Père, celui-là seul pourra s'éloigner de l'Église, seul il pourra rester dans la fureur avec les schismatiques et les hérétiques. Quant aux autres, la Miséricorde de Dieu le Père, la Bonté du Christ notre Seigneur, et notre patience les réuniront avec nous. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(1) Voir l. 49 et l. 50
(2) Maxime, et les autres dont il est question l. 49.

LETTRE 53

A CYPRIEN LEUR FRERE MAXIMUS, URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SALUT.
Nous sommes sûrs, frère très cher, que vous aussi vous vous réjouissez autant que nous de ce que, après avoir délibéré, cherchant avant tout les intérêts de l'Église et le bien de la paix, laissant tout le reste de côté et le réservant au jugement de Dieu, nous avons fait la paix avec Corneille notre évêque et avec tout le clergé. La joie de toute l'Église et le bon accueil de tous a salué cette démarche, comme notre lettre doit vous l'apprendre. Nous demandons à Dieu, frère très cher, que vous vous portiez bien durant de longues années.

LETTRE 54

CYPRIEN AU PRETRE MAXIME ET DE MEME A URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SES FRERES, SALUT.

La lecture de la lettre (1) que vous m'avez adressée, frères très chers, au sujet de votre retour, de la paix retrouvée avec l'Église, et de votre rentrée dans la fraternité, m'a, je l'avoue, apporté autant de joie que j'en avais eu en apprenant votre confession glorieuse et en recevant avec allégresse la nouvelle des beaux exploits de milice spirituelle et céleste accomplis par vous. C'est là en effet encore une autre confession (et elle honore votre foi) de reconnaître qu'il n'y a qu'une Église, de ne point partager une erreur, ou plutôt une perversion étrangère, de regagner le camp d'où vous vous êtes mis en marche, d'où vous avez bondi de votre élan le plus vigoureux pour livrer le combat, pour terrasser l'ennemi. Il convenait en effet de rapporter les trophées, après la bataille, là où avant la bataille on avait revêtu les armes, de peur que ceux que le Christ avait préparés pour la glorieuse lutte, ne fussent pas avec leur gloire dans l'Église du Christ. En fait, vous avez tout à la fois tenu la ligne qui convenait à votre foi, en gardant, dans la paix du Seigneur, la loi de charité et d'indissoluble concorde et frayé aux autres, en marchant ainsi, la voie de l'amour et de la paix. Vous avez fait en sorte que la vérité de l'Église, et l'unité de l'évangile et du sacrement à laquelle nous nous tenions, fût, par votre adhésion, nouée d'un nouveau lien, et que des confesseurs du Christ ne devinssent pas des guides d'erreur, après avoir été des modèles de courage et d'honneur dignes de tous les éloges.
Dans quelle mesure les autres vous félicitent et triomphent avec vous chacun en particulier, je n'ai point à le savoir, mais moi, je déclare que je vous félicite vivement et que je triomphe plus que les autres de votre retour à la paix et à la charité. En toute simplicité, je dois vous faire connaître ce que j'avais dans le coeur. J'étais fortement peiné, et tourmenté de ne pouvoir communiquer avec ceux que j'avais une fois commencé à aimer. Échapper de prison pour vous laisser prendre par l'erreur schismatique et hérétique, c'était comme si votre gloire était restée dans la prison. L'honneur de votre nom semblait y être demeuré, puisque des soldats du Christ ne revenaient pas à l'Église au sortir de la prison, où ils étaient allés avec l'applaudissement et les félicitations de l'Église.
Sans doute il semble qu'il y ait de la zizanie dans le champ de l'Église, mais notre foi et notre charité ne doivent point en être empêchées, au point de nous faire quitter l'Église parce que nous y voyons de la zizanie. Nous devons seulement nous efforcer d'être du bon grain, afin que, quand on rentrera la moisson dans les greniers du Seigneur, nous recueillions le fruit de notre travail et de notre effort. L'Apôtre dit dans sa lettre : "Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre, les uns vases d'honneur, les autres vases d'ignominie". Pour nous, appliquons-nous à être un vase d'or ou d'argent. D'ailleurs briser les vases de terre n'est permis qu'à Dieu seul, et à celui à qui a été donnée la verge de fer. Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître, et personne ne s'arroge ce que le père attribue à son fils au point de croire qu'il puisse désormais porter la pelle et vanner dans l'aire, ou séparer du bon grain toute la zizanie au gré d'un jugement humain. C'est là une prétention orgueilleuse et la présomption sacrilège de furieux égarés. Certains, prenant sur eux d'aller plus loin que ne le demande une justice modérée, se mettent hors de l'Église. En s'élevant dans leurs pensées plus que de raison, ils sont aveuglés par l'orgueil qui les enfle, et perdent la lumière de la vérité. C'est pourquoi nous autres, usant de tempérament, regardant comme le Seigneur use de poids et mesures, songeant à la Bonté et à la Miséricorde de Dieu le Père, nous avons longtemps délibéré entre nous, et pesé dans une juste balance ce qu'il y avait à faire. Vous pourrez connaître tout cela à fond, en lisant les opuscules (2) que j'ai lus ici dernièrement, et que je vous ai fait transmettre à vous aussi pour lecture, comme le demandait notre affection réciproque. Il n'y manque, pour les lapsi, ni le blâme pour les reprendre, ni le remède pour les guérir. Mais de plus, autant que mon humble talent me l'a permis, j'ai mis en lumière l'unité de l'Église catholique, et cet opuscule, j'ai confiance qu'il vous plaît de plus en plus, puisque maintenant vous le lisez en l'approuvant et en l'aimant, vu que vous réalisez dans vos actes les paroles par nous écrites, vous qui êtes revenus à l'Église, dans l'unité de la charité et de la paix. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

(1) C'est la lettre 53
(2) Le De Lapsis et De Catholicae Ecclesiae Unitate. Ce dernier traité s'occupe à la fois de l'unité d'évêque dans chaque Église (au temps de saint Fulgence, il était parfois cité sous le titre De simplicitate proelatorum) et de l'unité dans l'Église universelle.

LETTRE 55

CYPRIEN A SON FRERE ANTONIANUS, SALUT.

J'ai reçu votre première lettre, frère très cher, où restant en union de sentiments avec le collège des évêques et attaché à l'Église catholique, vous nous faisiez connaître que vous ne communiquiez point avec Novatien, mais que vous suiviez notre conseil et que vous étiez en communion avec Corneille, notre collègue dans l'épiscopat. Vous m'aviez aussi écrit de transmettre à Corneille une copie de la même lettre, afin que délivré de toute inquiétude, il sût bien que vous communiquiez avec lui, c'est-à-dire avec l'Église catholique.
Mais ensuite une autre lettre nous est venue de votre part par l'intermédiaire de Quintus notre collègue dans le sacerdoce, où j'ai remarqué que votre âme, ébranlée par les lettres de Novatien, commençait à chanceler. En effet, après avoir précédemment fixé fermement et votre résolution et votre adhésion, vous exprimiez dans la nouvelle lettre le désir de savoir quelle hérésie Novatien a introduite, et comment expliquer que Corneille communique avec Trofime et ceux qui ont sacrifié. A la vérité, si c'est une inquiétude de foi qui vous donne ce souci, si vous cherchez dans cet esprit la vérité, dans un cas douteux, il n'y a rien à redire à ce qu'une âme que la crainte divine préoccupe soit en proie à des doutes qui la tiennent en suspens.
Mais comme je vois qu'après le premier sentiment manifesté dans votre lettre, vous avez été ensuite remué par les lettres de Novatien, je pose en principe, frère très cher, tout d'abord ceci, que des hommes sérieux, qui ont été une fois solidement établis sur la pierre, ne se laissent pas ébranler, je ne dis pas par un souffle léger, mais même par un coup de vent ou un cyclone; autrement, leur esprit incertain et flottant au gré d'opinions variées, comme aux souffles de vents qui le viendraient battre, serait fréquemment agité, et changerait de résolution, non sans encourir quelque reproche de légèreté. Pour éviter que les lettres de Novatien produisent cet effet chez vous ou chez quelque autre, je vais, frère, répondre à votre désir et, brièvement, vous rendre compte des faits.
Et tout d'abord, puisque vous paraissez ému de ma conduite à moi aussi, je dois justifier devant vous ma personne et plaider ma cause. Je ne veux pas, en effet, qu'on pense que j'aie à la légère abandonné ma ligne de conduite, et que, après avoir d'abord, dans les premiers temps, soutenu la thèse de la rigueur évangélique, je me sois ensuite écarté de l'esprit de discipline et de sévérité que je montrais auparavant, pour estimer qu'il y ait lieu de donner à bon compte la paix à ceux qui ont souillé leur conscience par des billets, ou fait des sacrifices impies. Ni l'une ni l'autre ligne de conduite n'a été adoptée par moi sans que j'aie longtemps balancé le pour et le contre et bien pesé les raisons.
Au moment, en effet, où l'on avait encore les armes à la main et où la lutte glorieuse de la persécution était dans toute son ardeur, il fallait exciter de toutes ses forces, de toute sa vigueur, les soldats au combat; et surtout notre parole devait soulever comme une trompette les âmes des lapsi, non seulement pour leur faire suivre, dans la prière et les lamentations, la voie de la pénitence, mais encore, puisque l'occasion se présentait de retourner au combat et de retrouver le salut, pour les exciter, les provoquer à une confession ardente et à un martyre glorieux. Enfin, comme à propos de certains d'entre eux les prêtres et les diacres m'avaient écrit qu'ils manquaient de modération, et qu'ils montraient trop d'empressement à rentrer en communion, en leur répondant par une lettre qui existe encore, j'ajoutai ceci : "S'ils sont tant pressés, ce qu'ils demandent est en leur pouvoir, les circonstances leur fournissent plus qu'ils ne demandent; la lutte dure encore, des engagements ont lieu chaque jour. S'il a le repentir sincère et ferme de ce qu'il a fait, et que l'ardeur de la foi domine en lui, celui qui ne peut attendre le pardon peut mériter la couronne." Cependant, j'ai remis à plus tard le règlement du cas des lapsi : ainsi, quand la paix et la tranquillité nous seraient rendues, et que la Bonté divine aurait permis aux évêques de se rassembler, nous pourrions mettre en commun nos idées, et, en les comparant, décider de ce qu'il conviendrait de faire; si quelqu'un avant notre délibération, et la décision prise d'après cette délibération générale, avait la témérité de communiquer avec les lapsi, il serait excommunié.
J'ai écrit, dans le même sens, une lettre détaillée à Rome, au clergé qui était alors encore sans évêque, et aux confesseurs, le prêtre Maximus et les autres, qui se trouvaient alors en prison, et qui sont maintenant unis dans l'Église à Corneille. Que je leur aie écrit dans ce sens, c'est ce que vous pouvez voir d'après leur réponse. Ils ont en effet ceci dans leur lettre : "Cependant nous aimons, dans une affaire si importante, ce que vous avez dit vous-même, qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église, et alors en en délibérant avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs non tombés, traiter l'affaire des lapsi." On ajoutait encore (et c'était Novatien qui l'écrivait, qui lisait à haute voix ce qu'il avait écrit, et le prêtre Moyse alors encore confesseur, maintenant martyr, y apposait sa signature) que les lapsi malades et sur le point de trépasser recevraient la paix. Ces lettres ont été envoyées dans le monde entier et portées à la connaissance de toutes les églises et de tous les frères.
Cependant, conformément aux résolutions antérieurement prises, quand l'ardeur de la persécution se fut assoupie, avec un grand nombre d'évêques que leur foi et la Protection de Dieu avait maintenus sains et saufs, nous nous sommes réunis (1). Après avoir lu les textes de l'Écriture dans les deux sens, nous avons adopté, avec un sage tempérament, un moyen terme : d'une part, l'espérance de la communion ne serait point totalement refusée aux lapsi, de peur que le désespoir ne les portât davantage au mal, et que voyant l'Église fermée devant eux, ils ne suivissent le siècle pour vivre en païens; d'autre part, la sévérité évangélique ne serait pas non plus énervée par une admission en bloc et à la légère à la communion; mais plutôt la pénitence durerait longtemps; on invoquerait, avec le regret des fautes, la paternelle bonté, on examinerait les cas un à un, les intentions, les circonstances atténuantes, conformément au texte de l'opuscule, que, je crois, vous est parvenu, et où les points du règlement sont détaillés. Et, de peur que le nombre des évêques d'Afrique ne parût insuffisant, nous avons encore écrit à Rome sur ce sujet à Corneille, notre collègue, qui lui aussi a tenu un concile avec un grand nombre de collègues dans l'épiscopat, et traitant l'affaire avec le même sérieux et les mêmes ménagements, a adopté les mêmes solutions que nous.
Il était nécessaire de vous en écrire en ce moment, afin que vous sachiez bien que je n'ai rien fait à la légère, mais que, conformément à la teneur de mes lettres antérieures, j'ai remis toutes choses au jugement de notre concile. Je n'ai d'abord communiqué avec aucun des lapsi, alors qu'il y avait encore moyen pour le lapsus de recevoir, non seulement le pardon, mais encore la couronne. Mais, ensuite, comme le réclamaient la nécessité de l'accord avec mes collègues et l'intérêt qu'il y avait à rassembler nos frères dans l'unité, et à guérir ces blessures, j'ai cédé à la nécessité des temps et considéré le devoir d'aviser au salut d'un grand nombre. Et maintenant je ne m'écarte pas de ce qui a été une fois résolu dans notre concile d'un commun accord, quoique bien des gens mettent beaucoup de bruits en circulation, et que des mensonges contre les évêques de Dieu, sortis de la bouche du diable pour rompre l'union et l'unité de l'Église catholique, soient répandus partout. Quant à vous, il vous faut comme un bon frère, comme un évêque uni à ses collègues dans le sacerdoce, non point accueillir facilement les paroles des méchants et des apostats, mais peser les actes de vos collègues, hommes modérés et sérieux, en examinant notre conduite personnelle et la discipline que nous suivons.
J'en viens maintenant, frère très cher, à la personne de Corneille, notre collègue, afin qu'avec nous vous connaissiez Corneille, non pas d'après les mensonges de détracteurs malveillants, mais d'après le jugement de Dieu qui l'a fait évêque, et le témoignage de ses collègues dans l'épiscopat, qui, dans le monde entier, ont ratifié son élection d'un accord unanime. Eh bien (ce qui donne à notre cher Corneille, aux Yeux de Dieu, du Christ, de l'Église, de ses collègues, une recommandation si glorieuse), ce n'est pas lui qui est arrivé tout d'un coup à l'épiscopat; il a passé par tous les offices ecclésiastiques, servi plusieurs fois le Seigneur dans les divers emplois religieux, et n'est monté qu'en franchissant les degrés successifs au faîte sublime du sacerdoce. Quant à l'épiscopat lui-même, il ne l'a ni sollicité, ni voulu; il ne l'a pas envahi comme tel qu'enflent les fumées de l'orgueil; mais tranquille d'ailleurs et modeste, tel que sont d'ordinaire ceux qui sont choisis de Dieu pour cette dignité, fidèle à sa réserve virginale, à la discrétion d'une humilité qui lui est naturelle, et qu'il a entretenue, il n'a point fait violence à personne, comme certains, pour devenir évêque, mais plutôt il a souffert violence et n'a accepté l'épiscopat que contraint et forcé. Et il a été élu évêque par un grand nombre de nos collègues qui étaient alors dans la ville de Rome; et qui nous ont envoyé, au sujet de son ordination, des lettres qui sont à son honneur, qui font son éloge et même lui rendent un témoignage glorieux. Corneille a été élu évêque par le Jugement de Dieu et de son Christ, par le témoignage favorable de la presque unanimité des clercs, par l'accord avec eux de la portion du peuple fidèle qui était présente, par la communauté des évêques vénérables et des gens de bien, personne ne l'ayant été avant lui, la place de Fabianus (2), c'est-à-dire la place de Pierre et le siège épiscopal étant vacants. Ce siège étant occupé et son occupation appuyée de la Volonté de Dieu et de notre accord à tous, il est inévitable que qui voudrait être élu évêque soit hors de l'Église, et n'ait point l'ordination ecclésiastique, puisqu'il n'est plus dans le sein de l'unité. Celui-là, quel qu'il soit, il aura beau se faire valoir, enfler ses prétentions, c'est un profane, c'est un étranger, c'est un homme du dehors. Et là où il ne peut y avoir de second après le premier, celui qui a été créé après celui qui doit être seul n'est pas second, mais n'est rien.
L'épiscopat obtenu, non point par brigue, ni par violence, mais de par la Volonté de Dieu, qui fait les évêques, quelle vertu n'a-t-il point montrée dans l'épiscopat même, quelle force d'âme, quelle fermeté de foi, que nous devons d'un coeur droit reconnaître et louer ! Il a siégé sans peur sur le siège épiscopal, au temps où un tyran (3) ennemi des évêques de Dieu, jetait feu et flammes, et aurait plutôt supporté d'apprendre qu'un empereur rival s'élevait contre lui que de voir établir dans Rome même un évêque de Dieu. Ne doit-il pas, frère très cher, recevoir le plus haut témoignage de vertu et de foi, ne doit-il pas être rangé parmi les confesseurs et les martyrs glorieux celui qui est resté si longtemps sur son siège, attendant les bourreaux de son corps et les vengeurs d'un tyran furieux ? Ils venaient pourtant vers lui parce qu'il résistait à des édits sauvages et foulait aux pieds avec la vigueur d'une foi énergique la crainte des tourments et des supplices; ils venaient pour l'assaillir l'épée à la main, ou le crucifier ou le brûler, ou lui déchirer membres et viscères dans quelque nouvelle forme de torture. La Puissance et la Bonté du Seigneur qui le couvrait a protégé dans l'épiscopat celui qu'elle avait voulu évêque; mais pour Corneille, au point de vue du sacrifice de soi, et des craintes de danger à courir, il a souffert tout ce qu'il pouvait souffrir et il a le premier vaincu par ses vertus épiscopales un tyran vaincu depuis dans la guerre et par les armes (4).
Quant à certaines accusations déshonorantes malignement répandues contre lui, ne vous en étonnez pas, je vous prie, vous qui savez bien que ce fut toujours l'oeuvre du diable de déchirer par le mensonge les serviteurs de Dieu, de déconsidérer par de faux bruits une réputation honorable et de faire enfin que ceux à qui leur conscience rend un glorieux témoignage se voient noircis par les rumeurs du dehors. Mais sachez bien aussi que nos collègues ont fait une enquête et trouvé de la manière la plus certaine que non seulement il ne s'est point souillé en signant un billet, comme certains en font courir le bruit, mais qu'il n'a pas même entretenu avec des évêques ayant sacrifié aucun rapport de communion sacrilège, et qu'il n'a joint à nous que ceux-là dont la cause a été entendue et l'innocence reconnue.
Pour ce qui est de Trofime, au sujet duquel vous avez exprimé le désir d'avoir des explications, les choses ne sont pas telles que vous les ont présentées des rumeurs vagues ou des mensonges malveillants. Comme l'ont fait souvent nos prédécesseurs, notre frère a tenu compte de ce qu'imposaient les circonstances pour ramener nos frères séparés. Une grande partie du peuple fidèle s'était éloignée avec Trofime. Or, Trofime revenait à l'Église, il donnait satisfaction; il avouait, en demandant pardon, son erreur passée; il satisfaisait encore et montrait une humilité parfaite en ramenant à l'Église les frères qu'il en avait séparés. Aussi a-t-on écouté ses prières, et l'Église a reçu non pas tant Trofime lui-même qu'un très grand nombre de frères qui étaient avec Trofime et qui n'auraient point repris le chemin de l'Église, si Trofime n'avait été avec eux. A la suite d'un conseil tenu là-bas entre plusieurs collègues, on a admis Trofime, pour qui satisfaisaient le retour des frères et le salut rendu à un grand nombre. Trofime d'ailleurs n'a été admis à notre communion qu'à titre laïc, et non pas, quoi qu'aient pu vous en dire des écrits malveillants, avec la dignité épiscopale.
Quant à ce qu'on vous a aussi annoncé que Corneille communiquait couramment avec ceux qui ont sacrifié, c'est encore une invention des apostats. Ceux qui nous quittent ne peuvent pas plus dire du bien de nous que nous ne devons nous attendre nous-mêmes à plaire à ceux qui, ne craignant pas de nous déplaire et de s'élever contre l'Église en vrais rebelles, s'appliquant de toutes leurs forces à entraîner nos frères hors de l'Église. Par conséquent, ni à notre sujet, ni au sujet de Corneille, n'écoutez ni ne croyez facilement, frère très cher, tous les bruits que l'on fait courir.
Ceux qui sont attaqués par la maladie, on vient à leur secours, comme il a été convenu. Mais quand on est venu à leur secours, et qu'on leur a donné la paix, parce qu'ils étaient en péril, on ne peut pas tout de même les étrangler ou les étouffer, ou porter la main sur eux pour les forcer à mourir : comme si, parce qu'on donne la paix aux mourants, il fallait que tous ceux-là meurent qui ont reçu la paix ! Bien plutôt serait-ce une marque de la Bonté de Dieu et de sa Douceur paternelle que ceux qui ont reçu avec la paix un gage de vie fussent tenus à vivre de par la paix reçue. Par conséquent si, la paix reçue, Dieu donne un délai, personne ne doit faire un grief aux évêques, puisqu'on a une fois décidé qu'en cas de péril on devait venir au secours des frères. Et n'allez pas croire, frère très cher, comme quelques-uns le pensent,que les "libellatices" (5) doivent être mis sur le même pied que ceux qui ont sacrifié, puisque parmi ceux-là même qui ont sacrifié, il arrive souvent que les circonstances et les cas soient différents. En effet il n'y a pas à mettre sur un pied d'égalité celui qui de sa propre volonté s'est porté du premier coup au sacrifice abominable, et celui qui après avoir résisté et lutté longtemps n'est arrivé à l'acte déplorable que par nécessité; celui qui a livré et lui-même et les siens, et celui qui, allant seul au danger pour tous, a préservé sa femme, ses enfants et toute sa maison par une convention qui l'exposait seul; celui qui a poussé au crime ses locataires et ses amis, et celui qui a laissé tranquilles locataires et fermiers, qui a même reçu sous son toit et à son foyer des frères qui s'éloignaient bannis et fugitifs, offrant ainsi et présentant au Seigneur plusieurs âmes vivantes et saines, capables d'intercéder pour une seule âme blessée.
Puis donc qu'entre ceux mêmes qui ont sacrifié il y a de grandes différences de cas, quelle rigueur implacable, quelle amère dureté n'est-ce pas de confondre les "libellatices" avec ceux qui ont sacrifié, quand celui qui a reçu un billet tient ce langage : "J'avais lu, et la parole de l'évêque m'avait appris, qu'on ne devait pas sacrifier aux idoles, et qu'un serviteur de Dieu ne devait pas adorer de vaines images; c'est pour cela que, ne voulant pas faire ce qui n'était pas permis, l'occasion d'un billet s'étant présentée, que je n'aurais pas accepté sans cette occasion, je suis allé trouver le magistrat, ou je lui ai fait dire par un autre qui l'allait trouver, que j'étais chrétien, que je ne pouvais aller à l'autel du diable, que je donnais ce gage, pour éviter de faire ce qui n'est pas permis". Malgré cela, maintenant, celui qui a un billet sur la conscience, apprenant de nous qu'il n'aurait pas dû même l'accepter et que si sa main est pure, si sa bouche n'a pas contracté de souillure au contact de la nourriture funeste, sa conscience est souillée tout de même, il pleure en nous entendant, et se lamente. Il comprend la faute qu'il a commise, et moins coupable que trompé, il atteste que pour l'avenir il est armé maintenant et prêt.
Si nous repoussons leur pénitence, à eux qui ont quelque confiance que leur faute est excusable, aussitôt avec leurs femmes, avec leurs enfants, qu'ils avaient conservés indemnes, ils tombent dans l'hérésie ou le schisme auxquels le diable les invite et s'efforce de les entraîner. Et il sera écrit à côté de nos noms, au jour du jugement, que nous n'avons pas soigné la brebis blessée, et qu'à cause d'une qui était blessée, nous en avons perdu plusieurs qui étaient indemnes. Il nous sera rappelé que le Seigneur a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis bien portantes pour en chercher une seule qui s'était perdue et qui était épuisée de fatigue, et l'ayant retrouvée, l'a portée sur ses propres épaules, tandis que nous, non seulement nous ne courons pas après ceux qui sont fatigués, mais nous allons jusqu'à les repousser lorsqu'ils nous reviennent; et que, à l'heure où de faux prophètes ne cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous fournissons une occasion aux chiens et aux loups, et perdons par notre dureté et notre inhumanité ceux que n'a point perdus la rage des persécuteurs. Et alors, frère très cher, que deviendra la parole de l'Apôtre ; "Je m'applique à faire plaisir à tous en tout, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux à moi, mais ce qui l'est a un grand nombre, afin qu'ils soient sauvés. Imitez-moi comme j'imite le Christ". Et encore : "Je me suis fait infirme avec les infirmes, afin de gagner les infirmes". Et encore : "Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui; et si c'est dans la joie qu'est un membre, les autres membres sont dans la joie".
Autre est le point de vue des philosophes et des stoïciens, frère très cher. Ils disent que toutes les fautes sont égales, et qu'un homme sérieux ne doit pas facilement se laisser fléchir. Mais entre les chrétiens et les philosophes, il y a une très grande différence. Et puisque l'Apôtre dit : "Veillez à ce que personne ne vous emporte comme une proie par la philosophie et un enseignement trompeur", il faut éviter ce qui ne vient pas de la Bonté de Dieu, mais de la présomption d'une philosophie trop dure. Nous lisons dans les Écritures au sujet de Moyse : "Moyse fut un homme très doux". Et dans son évangile le Seigneur dit : "Soyez miséricordieux comme votre Père céleste a été miséricordieux à votre égard". Et encore : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais ceux qui se portent mal". Quels soins peut-il donner celui qui dit : "Moi, je ne soigne que les gens bien portants, qui n'ont pas besoin de médecin". Notre assistance, nos soins, c'est à ceux qui sont blessés que nous les devons. Ne tenons pas pour morts, mais plutôt comme gisant par terre entre la mort et la vie, ceux que nous voyons que la persécution funeste a blessés. S'ils avaient entièrement péri, on ne verrait pas sortir encore de leurs rangs des confesseurs et des martyrs.
Mais comme ils ont en eux de quoi revenir à la pleine santé de la foi, par la pratique ultérieure de la pénitence, et que la pénitence fortifie la vertu et l'arme, - armement impossible, si on perd l'espérance, si écarté durement et cruellement de l'Église, on se tourne vers les païens et vers les oeuvres du siècle, si de l'Église d'où l'on est rejeté on passe à l'hérésie et au schisme, auquel cas se fît-on ensuite égorger pour le Nom du Christ on ne pourra plus, étant hors de l'Église, séparé de l'unité et de la charité, être couronné même dans la mort -; pour ces raisons, frère très cher, nous avons, après avoir examiné les cas séparément, résolu à l'égard des "libellatices", de les admettre provisoirement; à l'égard de ceux qui ont sacrifié, de venir à leur secours au moment de la mort, parce qu'il n'y a plus de confession aux enfers et que nous ne pouvons obliger à faire pénitence, si le fruit de la pénitence est enlevé. Si le combat vient avant la mort, il les trouvera fortifiés par nous, armés pour le combat; si le mal fait son oeuvre jusqu'au bout avant le combat, ils s'en vont avec la consolation d'être dans la paix et la communion de l'Église.
Nous n'empêchons point par un jugement préalable le Jugement du Seigneur et s'Il trouve pleine et suffisante la pénitence du pécheur, Il peut ratifier ce que nous avons décidé ici-bas. Si au contraire quelqu'un nous a trompés par une feinte pénitence, Dieu dont on ne se moque point, et qui voit le coeur de l'homme, jugera Lui-même de ce que nous n'avons pas bien pénétré, et le Seigneur réformera la sentence de ses serviteurs. Mais nous devons pourtant nous souvenir, frère, qu'il est écrit : "Le frère qui aide son frère sera glorifié" et que l'Apôtre aussi a dit : "Veillant chacun sur vous-même, de peur d'entrer vous aussi en tentation, portez le fardeau les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ." Et ceci encore, qu'il met dans son épître pour rabattre les orgueilleux et briser leur superbe : "Et que celui qui croit être debout, craigne de tomber"; et en un autre endroit, il dit : "Qui êtes-vous pour juger le serviteur d'un autre ? C'est pour son maître qu'il est debout ou qu'il tombe. Or, il restera debout : Dieu est assez puissant pour le soutenir" . Jean aussi prouve que Jésus Christ notre Seigneur est notre avocat et intercède pour nos péchés : "Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous péchiez point; mais si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat Jésus Christ le juste, et Il est une victime qui intercède pour nos péchés". - Et l'apôtre Paul a dit encore dans une de ses épîtres : "Si, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous, à combien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son Sang, serons-nous sauvés par Lui de la Colère divine".
Pensant à sa Bonté et à sa Clémence, nous ne devons pas être acerbes, ni durs, ni sans humanité, quand il s'agit d'encourager nos frères, mais plutôt souffrir avec ceux qui souffrent, pleurer avec ceux qui pleurent, et les relever autant que nous pouvons, en leur prêtant le secours et les consolations de notre affection. Il ne faut pas non plus nous montrer ni tellement implacables et opiniâtres à repousser leur pénitence, ni non plus relâchés et trop faciles à les admettre dans notre communion. Un de nos frères est étendu sur le sol, blessé dans le combat par l'adversaire. D'un côté le diable s'efforce d'achever celui qu'il a blessé, de l'autre le Christ exhorte celui qu'Il a racheté à ne point périr entièrement. Quel est des deux celui auprès de qui nous nous tenons, de quel côté sommes-nous ? Est-ce avec le diable, afin qu'il tue, et voyant notre frère gisant à demi mort, passons-nous, comme dans l'évangile le prêtre et le lévite ? Ou bien, comme des prêtres de Dieu et du Christ, suivant Dieu et le Christ dans son enseignement et dans sa pratique, enlevons-nous le blessé de la gueule du monstre ennemi pour le soigner et le réserver ensuite au jugement de Dieu ?
Et n'allez pas croire, frère très cher, que la vertu des frères diminue où que les martyres vont cesser parce qu'on aura adouci aux lapsi les rigueurs de la pénitence, et qu'on aura donné aux pénitents l'espoir de la paix. La force des fidèles reste immuable, et ceux qui craignent et aiment Dieu de tout leur coeur demeurent debout dans l'intégrité de leur courage. Aux adultères aussi nous accordons un temps de pénitence et nous leur donnons la paix. La virginité ne cesse pas pour cela dans l'Église et des fautes étrangères ne font pas défaillir les glorieuses résolutions de la continence. L'Église rayonne toute parée d'une couronne de vierges, la pudeur et la chasteté gardent le niveau de leur gloire, et parce qu'on accorde à un adultère la pénitence et le pardon, la vigueur de la continence n'en est pas pour cela énervée. C'est une chose en effet, d'attendre le pardon, une autre de parvenir à la gloire; une chose de ne sortir de prison qu'après avoir payé sa dette jusqu'au dernier quart d'as, et une autre de recevoir du premier coup la récompense de sa foi et de son courage; une chose de se laver de ses péchés par le tourment d'une longue souffrance et de se purifier en quelque sorte par le feu, et une autre de purifier son âme de tous ses péchés par le martyre; une chose enfin d'être en suspens en attendant la Sentence du Seigneur au jour du jugement, et une autre d'être tout de suite couronné par le Seigneur.
Parmi nos prédécesseurs certains évêques de cette province ont pensé qu'on ne devait pas donner la paix aux adultères, et qu'il fallait complètement exclure de la pénitence ceux qui avaient commis ce genre de faute. Ils ne se sont cependant pas séparés du collège de leurs frères dans l'épiscopat, et l'on n'a pas rompu l'unité de l'Église catholique par une dureté ou une sévérité opiniâtre, allant à ce point que, par la raison qu'on donnait la paix aux adultères, celui qui ne la donnait pas dût se séparer de l'Église. Pourvu que le lien de la concorde subsiste et que persévère la fidélité indissoluble à l'unité de l'Église catholique, chaque évêque règle lui-même ses actes et son administration comme il l'entend, sauf à en rendre compte au Seigneur.
Je m'étonne d'ailleurs que quelques-uns soient intransigeants au point de penser qu'on ne doive pas accorder la pénitence aux lapsi, ou qu'ils soient d'avis de refuser le pardon aux pénitents, quand il est écrit : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, repentez-vous, et faites vos oeuvres d'auparavant." Cela est dit à quelqu'un qui manifestement est tombé, et que le Seigneur exhorte à se relever par des oeuvres de miséricorde car il est écrit : "L'aumône délivre de la mort", non à coup sûr de cette mort que le Sang du Christ a éteinte, de laquelle la grâce salutaire du baptême et de notre Rédempteur nous a délivrés, mais de celle que des fautes postérieures amènent insensiblement. De même, en un autre endroit, un temps pour la pénitence est donné, et à celui qui ne fait pas pénitence le Seigneur adresse des menaces : "J'ai, dit-il, contre vous bien des choses : vous laissez votre épouse, Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, se livrer au désordre des moeurs et manger des victimes offertes aux idoles. Je lui ai donné du temps pour faire pénitence et elle ne veut pas se repentir de ses désordres. Je vais la jeter sur un lit, et ceux qui se sont livrés au désordre avec elle, je les jetterai dans une grande tribulation, si elle ne fait pénitence de ses oeuvres". Dieu, à coup sûr, n'exhorterait pas ainsi à la pénitence, si ce n'était parce qu'Il promet le pardon aux pénitents. Et dans l'évangile : "Je vous le déclare, dit-Il, il y aura ainsi plus de joie dans le paradis, pour un pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'en ont pas besoin." En effet, pour qu'il ait écrit : "Dieu n'a point fait la mort et Il ne se réjouit pas de la perte de ceux qui vivaient", à coup sûr Celui qui ne veut pas que personne périsse souhaite que les pécheurs fassent pénitence, et que par la pénitence ils reviennent à la vie. Aussi le prophète Joël, à son tour, élève la voix et déclare : "Voici maintenant ce que dit le Seigneur, notre Dieu. Revenez à Moi de tout votre coeur" et, en même temps, avec des jeûnes, des larmes et en battant votre coulpe, déchirez vos coeurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur, votre Dieu, qui est miséricordieux, bon, patient, plein de pitié, et prêt à changer de dispositions au sujet des maux qu'Il a envoyés". Dans les psaumes aussi nous voyons la Sévérité tout à la fois et la Bonté d'un Dieu qui menace et qui épargne, en même temps qui punit pour corriger, et, quand Il a corrigé, qui sauve. "Je visiterai, dit-Il, avec la verge leurs forfaits, et leurs crimes avec le fouet : pourtant Je ne retirerai pas ma Miséricorde de dessus leurs têtes".
Le Seigneur aussi dans son évangile, montrant la Bonté de Dieu le Père, dit : "Quel est l'homme qui, entendant son fils lui demander du pain, lui donnerait une pierre, ou qui, s'il lui demandait un poisson, lui présenterait un serpent ? Si donc vous, qui êtes méchants, savez faire à vos fils des dons qui sont bienfaisants, combien plus votre Père du ciel donnera-t-Il des biens à ceux qui les Lui demanderont ?". Le Seigneur compare ici un père selon la chair à la Bonté éternelle et infinie de Dieu le Père. Sur la terre ce méchant père, après avoir été gravement offensé par ce fils pécheur et pervers, le voyant ensuite se corriger, renoncer aux fautes qu'il commettait auparavant, revenir à une vie modeste et honnête et à la pratique de la vertu, où le ramènent les regrets de la pénitence, ce père se réjouit, il se félicite, et accueillant celui qu'il avait rejeté, laisse éclater sa joie paternelle, et le serre dans ses bras : combien plus, l'unique et vrai Père, bon, miséricordieux, tendre, que dis-je, la Bonté, la Miséricorde et la Tendresse même, se réjouit de voir la pénitence de ses fils; et loin de menacer de sa Colère ceux qui sont pénitents, ou de ses Châtiments ceux qui pleurent leur faute, et gémissent sur elle, leur promet au contraire son Indulgence et son Pardon. Aussi le Seigneur dans son évangile proclame-t-Il bienheureux ceux qui pleurent parce que celui qui pleure appelle la compassion, celui qui est obstiné et orgueilleux accumule sur lui la colère et les châtiments du jugement qui vient. Voilà pourquoi, frère très cher, ceux qui ne font pas pénitence, qui ne montrent pas qu'ils regrettent leur faute de tout leur coeur, et ne donnent pas des marques manifestes de leur désolation, nous avons estimé qu'il y avait lieu de leur refuser tout espoir de communion et de paix, au cas où ils imploreraient leur pardon étant malades et en péril de mort, parce que leur demande ne procède pas du regret de leur faute, mais de la pensée de la mort qui approche; et celui-là n'est pas digne d'être consolé au moment de la mort, qui n'a point pensé qu'il mourrait.
Pour ce qui est de Novatien, frère très cher, vous désirez savoir quelle hérésie il a introduite. Sachez d'abord que nous ne devons même pas être curieux de connaître ce qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Église. Quel que soit ce personnage, quelle que soit sa qualité, il n'est pas chrétien, n'étant pas dans l'Église du Christ. Il a beau se vanter, et exalter en termes orgueilleux sa science, ou son éloquence, n'ayant pas conservé la charité fraternelle, ni l'unité de la société chrétienne, il a perdu sa qualité antérieure. A moins qu'il ne soit encore un évêque à vos yeux, lui qui, alors qu'un évêque a été élu dans l'Église par seize évêques, s'efforce par la brigue de se faire donner un épiscopat adultère et étranger par des gens qui ont quitté l'Église ! Alors qu'il n'y a, de par l'institution du Christ, qu'une Église unique répandue en plusieurs membres dans le monde entier, un épiscopat unique représenté par une multiplicité d'évêques unis entre eux, il s'efforce, malgré l'enseignement de Dieu, malgré l'unité de l'Église dans la diversité de ses parties partout liées et adhérentes, de faire une église humaine ! Il envoie en un grand nombre de villes de nouveaux apôtres de son choix et jette les fondements d'une institution nouvelle. Alors que, depuis longtemps, dans toutes les provinces et dans chaque cité des évêques ont été ordonnés, d'âge avancé, de foi entière, trouvés fidèles dans l'épreuve, proscrits dans la persécution, il ose faire et mettre au-dessus d'eux d'autres évêques, qui sont de faux évêques - comme s'il pouvait faire faire le tour du monde aux nouvelles cabales de son opiniâtreté, ou rompre l'assemblage du corps de l'Église en y jetant ses germes de discorde ! Il ignore sans doute que les schismatiques sont toujours pleins d'ardeur dans les débuts, mais qu'ils ne peuvent pas prendre d'accroissement, ni développer leurs entreprises illégitimes, et qu'ils tombent tout d'un coup avec leur cabale perverse. Il ne pourrait d'ailleurs garder le pouvoir épiscopal, même nommé régulièrement, s'il en venait à rompre avec le corps de ses collègues et avec l'unité de l'Église, puisque l'Apôtre nous avertit de nous supporter les uns les autres, pour ne pas nous écarter de l'unité que Dieu a établie, et qu'il dit : " ... Vous supportant réciproquement avec charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix". Celui donc qui n'observe ni l'unité de l'esprit, ni le lien de la paix, et se sépare de l'Église et du collège des évêques, ne peut avoir ni le pouvoir, ni l'honneur épiscopal, puisqu'il n'a voulu garder ni l'unité, ni la paix de l'épiscopat.
Et puis, quelle arrogance orgueilleuse, quel manque d'humilité et de douceur, quelle outrecuidante présomption, d'oser entreprendre ou de se croire capable de faire ce que le Seigneur n'a pas accordé aux apôtres eux-mêmes, de penser, dis-je, que l'on est capable de discerner la zizanie du blé, ou, comme si l'on avait été autorisé à porter le van et à nettoyer l'aire, d'entreprendre la séparation de la paille d'avec le froment ! Comment oser, lorsque l'Apôtre dit : "Dans une grande maison, il y a non seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre cuite", comment oser paraître choisir les vases d'or et d'argent, et mépriser, rejeter, condamner les vases de bois et de terre cuite, alors que c'est seulement au Jour du Seigneur que les vases de bois doivent être brûlés à la flamme du Feu divin, et les vases de terre cuite brisés par celui à qui a été remis la verge de fer ?
Au moins, si l'on s'établit scrutateur du coeur et des reins, qu'en tout on montre une justice égale, et puisqu'on sait qu'il est écrit : "Vous voilà guéri désormais, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive pire", que l'on éloigne d'auprès de soi et de sa compagnie les voleurs et les adultères, puisque le cas de l'adultère est beaucoup plus grave et plus mauvais que celui du libellatice. L'un, en effet, a péché contraint, l'autre, de son plein gré; l'un, estimant suffisant de ne point sacrifier, a été le jouet d'une erreur, l'autre s'emparant de l'épouse d'autrui, ou allant au lupanar, a souillé détestablement, dans la fange d'un cloaque, d'un bourbier populacier, un corps sanctifié et devenu le temple de Dieu, selon le mot de l'Apôtre : "Tout autre péché, que l'homme commet, n'intéresse pas le corps : celui qui commet l'adultère pèche contre son corps même". Pourtant à ceux-là aussi, on accorde la pénitence et le droit d'espérer satisfaire par leurs larmes, selon la parole du même apôtre : "Je crains qu'en arrivant auprès de vous je n'aie à pleurer un bon nombre de ceux qui ont péché antérieurement et n'ont point fait pénitence de leurs impuretés, fornications et turpitudes".
Que les nouveaux hérétiques ne se flattent point en disant qu'ils ne communiquent pas avec les idolâtres puisqu'il y a chez eux des adultères et des voleurs qui tombent sous l'accusation d'idolâtrie, selon la parole de l'Apôtre : "Sachez-le bien : aucun débauché, aucun impudique, aucun voleur, n'a part à l'héritage du royaume du Christ et de Dieu"; et encore : "Mortifiez vos membres terrestres, laissant là fornication, impureté, mauvais désirs, et cupidité, qui sont service des idoles, et pour lesquels vient la colère de Dieu". Car, puisque nos corps sont les membres du Christ, et que chacun de nous est temple de Dieu, quiconque déshonore par un usage adultère le temple de Dieu, déshonore Dieu, et quiconque en commettant des péchés fait la volonté du diable, sert les démons et les idoles. Les mauvaises actions ne procèdent pas, en effet, de l'Esprit saint, mais de l'inspiration de l'adversaire, et c'est de l'esprit impur que viennent les désirs qui font prendre parti contre Dieu, et servir le diable. Dès lors, s'ils disent qu'un fidèle est souillé par la faute d'un autre, et s'ils prétendent sérieusement que l'idolâtrie de celui qui pèche passe à celui qui ne pèche pas, ils ne peuvent, d'après leur propre parole, échapper à l'accusation d'idolâtrie, puisqu'il est établi par l'Apôtre que les adultères et les voleurs, avec lesquels ils communiquent, sont des idolâtres. Pour nous, suivant notre foi, et la forme donnée par l'enseignement divin, nous tenons pour vérité que la faute ne tient que celui-là même qui la commet, et qu'on ne peut pas être responsable pour un autre, vu que le Seigneur nous avertit en disant : "La justice du juste sera sur lui, et le crime du criminel sera sur lui"; et encore : "Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères. Personne ne mourra que pour sa propre faute". Nous en tenant à ce que nous lisons là, nous ne croyons pas que personne doive être forclos du fruit de la satisfaction et de l'espoir de la paix, sachant de par l'autorité même et les encouragements de Dieu attestés par l'Écriture divine que les pécheurs sont invités à faire pénitence, et que l'indulgence et le pardon ne sont pas refusés à ceux qui les demandent.
O dérision préjudiciable aux frères que l'on dépouille, ô piège à faire tomber des malheureux qui pleurent, ô enseignement vain et inopérant d'institution hérétique : exhorter à la pénitence pour satisfaire, et ôter à la satisfaction son efficacité médicinale, dire à nos frères : "Pleurez, versez des larmes, gémissez jours et nuits, et, pour laver et effacer votre faute, faites des oeuvres généreusement, fréquemment : après tout cela vous mourrez hors de l'Église. Vous ferez tout ce qui a rapport à la paix, mais cette paix que vous cherchez, vous ne l'aurez aucunement". Qui donc dans ces conditions ne périrait tout de suite ? Qui ne succomberait au seul désespoir ? Qui ne détournerait son coeur de la pensée de la pénitence ? Vous croyez qu'un paysan travaillera si vous lui dites : "Travaillez votre champ avec toute votre habileté d'agriculteur, apportez le plus grand soin à vos cultures, mais vous ne récolterez pas de moisson, vous ne ferez pas de vendange, vous ne retirerez rien de vos oliviers, vous ne cueillerez pas de fruits sur vos arbres". Ou encore c'est comme si vous conseilliez à quelqu'un de se rendre propriétaire de navires et d'en faire usage, en lui disant : "Achetez du bois des meilleures forêts, faites un bateau de chêne solide et choisi, gouvernail, amarres, voiles, ayez soin que rien ne manque à l'équipement et à l'armement du navire, mais quand vous aurez fait cela, renoncez à voir quelque avantage vous revenir de ses voyages et de ses courses".
C'est fermer d'avance et couper le chemin des regrets et la voie du repentir; c'est vouloir que, malgré le bon accueil que le Seigneur Dieu dans l'Écriture réserve à ceux qui reviennent à lui et se repentent (6), notre dureté et notre cruauté, en supprimant le fruit de la pénitence, suppriment la pénitence elle-même. Si nous trouvons que personne ne doit être empêché de faire pénitence, et que ceux qui prient le Seigneur de leur pardonner et implorent sa Miséricorde, peuvent, en raison de sa Miséricorde et de sa Bonté, être admis à la paix par les évêques, il y a lieu d'accueillir les gémissements de ceux qui pleurent, et de ne pas refuser à ceux qui ont regret de leur faute le fruit de la pénitence. Il n'y a plus de confession sous la terre et l'on n'y peut plus faire d'exomologèse. Donc ceux qui se repentent de tout coeur, et demandent à rentrer en communion doivent être admis provisoirement dans l'Église et y être réservés au Jugement de Dieu, qui devant venir à son Église y jugera ceux qu'Il y aura trouvés. Mais les apostats et les déserteurs, les adversaires et les ennemis, ceux qui émiettent l'Église de Dieu, même s'ils étaient mis à mort pour le Nom du Christ, ne peuvent selon l'Apôtre être admis à la paix de l'Église, attendu qu'ils n'ont conservé ni l'unité de l'esprit, ni celle du corps de l'Église.
Voila, frère très cher, en attendant, quelques points sur un grand nombre, que j'ai parcourus aussi brièvement que je l'ai pu, tout à la fois pour satisfaire à votre désir, et pour vous unir de plus en plus à notre collège et à notre corps. Mais si l'occasion et le moyen s'offrent à vous de venir auprès de nous, nous pourrons conférer davantage, et nous occuper plus pleinement et plus largement de ce qui peut favoriser la concorde salutaire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) Au concile du printemps de 251.
(2) Fabianus était décédé en janvier (250). L'élection de Corneille eut lieu dans la première quinzaine de mars.
(3) L'empereur Dèce.
(4) Le tyran fut tué dans une guerre, sur les bords du Danube, en 251.
(5) Le "libellatice" est celui qui, sans avoir sacrifié, a reçu un "libellus", billet certifiant qu il l'a fait.
(6) L'invitation à la pénitence et la promesse du Pardon divin reviennent en effet souvent dans la Bible, soit en paraboles, comme celle de l'enfant prodigue (Lc 15,10-32), soit directement exprimées.