Oeuvres de Saint Cyprien

 

 

 

 

 

Traduction par M. l'abbé Thibaut, Tours 1869

 

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

 

 

 

TRAITÉS

 

 

 

 

 

TRAITÉS *

DE LA CONDUITE DES VIERGES *

DE LA VANITÉ DES IDOLES *

DES TOMBÉS *

DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE *

SUR LES AVANTAGES DE LA PUDEUR *

SUR LES SPECTACLES *

DE L’ORAISON DOMINICALE *

A DÉMÉTRIEN *

DE LA MORTALITÉ *

DES BONNES OEUVRES ET DE L’AUMÔNE *

AVANTAGES DE LA PATIENCE *

DE LA JALOUSIE ET DE L’ENVIE *

 

 

 

 

 

 

 

DE LA CONDUITE DES VIERGES

1° Excellence de la Virginité; — 2° Danger des richesses; — 3° Des ornements; — 4° Des assemblées mondaines; — 5° Exhortation.

La règle est la gardienne de l’espérance, le lien de la foi, le guide salutaire de notre pèlerinage, l’aliment des bonnes moeurs, la maîtresse de la vertu. C’est elle qui nous unit pour toujours au Christ, qui nous fait vivre en Dieu, qui nous fait jouir des célestes promesses et des divines récompenses. Heureux ceux qui la suivent! malheur à qui s’en éloigne! Soyez fidèle à la règle, nous dit l’Esprit-Saint dans les Psaumes, de peur que le Seigneur ne s’irrite contre vous et que, sous le poids de sa colère, vous ne vous écartiez de la droite voie. (Ps. II). Le Seigneur dit encore au pécheur: Pourquoi faire parade de tes mérites? Pourquoi te glorifier de mon alliance? tu méprises toute règle, tu foules aux pieds mes commandements (Ps. XLIX.). Enfin nous lisons : Celui qui repousse la discipline est voué au malheur (Sag. III.) (3)

Mon fils, nous dit Salomon, en nous donnant les leçons de la sagesse, ne négligez pas la loi du Seigneur; s’il vous châtie, ne vous éloignez pas de lui, car Dieu châtie ceux qu’il aime (Prov. III). S’il en est ainsi, si Dieu châtie pour corriger, ses disciples aussi, surtout ceux qui portent le caractère sacerdotal, aiment leurs frères quand ils les reprennent pour les rendre meilleurs. C’est ce que Dieu a prédit par la bouche de Jérémie : Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur et ils vous conduiront avec la règle. Ainsi les deux Testaments, l’Ancien comme le Nouveau, nous parlent sans cesse de la règle; le fondement de la religion et de la foi dépend de notre respect pour elle et de notre fidélité à l’observer : d’après cela, est-il pour nous un bien plus désirable que de jeter dans ce terrain béni de profondes racines, de construire nos demeures sur ce rocher inébranlable, où, vainqueurs des orages et des tourbillons du siècle, nous arriverons, par l’accomplissement des préceptes divins, aux récompenses que Jésus nous a promises? Ne savons-nous pas d’ailleurs que nos membres sont les temples de Dieu, qu’ils ont été purifiés, par l’eau régénératrice, des souillures de l’ancienne contagion, qu’il n’est permis ni de les violer ni de les souiller, car, en les souillant, on se souille soi-même? C’est nous qui devons décorer ces temples; c’est nous qui en sommes les pontifes,: servons celui a qui nous appartenons. Vous n’êtes plus à vous, dit saint Paul dans les épîtres où, à l’aide des conseils divins, il nous forme à la vie chrétienne, vous n’êtes plus à vous, car vous avez été achetés bien cher ; glorifiez et portez Dieu dans votre coeur (1 Corint., VI). Oui, glorifions Dieu , portons-le dans un corps pur, sans tache, voué à une vie meilleures. Puisque nous avons été rachetés par le sang du Christ, notre maître, obéissons en tout à sa volonté, faisons en sorte que rien d’immonde et de profane ne (5) pénètre dans son sanctuaire, de peur que, justement offensé, il n’abandonne sa demeure. Ecoutez les paroles de ce Dieu qui nous guérit en nous instruisant : Vous voilà rendu à la santé, ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire (Joan. V.). Après la guérison, il donne la règle de la vie, la loi de l’innocence. Il ne veut pas qu’on marche sans frein; mais, après avoir soumis l’homme à cette régie salutaire, il le menace de maux plus graves s’il l’abandonne; car, si c’est une faute légère de pécher avant de connaître la loi divine, c’est une faute impardonnable de connaître Dieu et de l’offenser. Ces préceptes regardent tous les sexes, tous les âges, aussi bien les hommes que les femmes, les jeunes gens que les jeunes filles. Que chacun, fort de sa religion et de sa confiance en Dieu, veille avec crainte sur ce dépôt de grâce et de sainteté qu’il tient de la bonté du Seigneur, car il est écrit : Celui qui persévèrera jusqu’à la fin sera sauvé (Mat., X).

1° Maintenant, c’est aux vierges que je m’adresse: plus leur dignité est élevée, plus nous devons en prendre soin. Elles sont la fleur de l’arbre de l’Église, l’honneur et l’ornement de la grâce spirituelle; elles sont notre joie, le chef-d’oeuvre incorruptible du Ciel, l’image de Dieu dont elles reproduisent ici-bas la pureté, la portion la plus illustre du troupeau de Jésus-Christ. L’Église, se réjouit au milieu de cette glorieuse famille; elle bénit sa fécondité, et plus le nombré des vierges s’augmente, plus aussi s’accroît la joie de sa mère. C’est à elles que j’adresse mes exhortions. En agissant ainsi, je cède plus à mon affection qu’au devoir de ma charge. Moi, le plus petit, le dernier d’entre les prêtres de Jésus-Christ; moi pénétré du sentiment de ma bassesse, je ne viens pas me donner le vain plaisir de censurer le vice, mais je viens vous mettre en garde contre les sollicitations et les attaques du démon. (7)

Ce n’est pas une précaution inutile, une crainte vaine que celle qui nous montre la voie du salut et nous rend fidèles aux préceptes du Seigneur. Nous savons que celles qui renoncent à la concupiscence de la chair, pour se consacrer à Dieu de corps et d’esprit, accomplissent une oeuvre digne d’une grande récompense. Elles ne doivent plus se parer que pour plaire à Celui qui couronne leur virginité. Il a dit lui-me : Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui il a été donné de la comprendre. Il est des eunuques de naissance; d’autres le sont par la violence des hommes; mais il en est qui se privent de tous les plaisirs charnels en vue du royaume céleste (Math., XIX). L’ange de l’Apocalypse élève aussi la voix pour exalter la continence et la virginité : Ceux-là ne se sont jamais souillés avec les femmes; ils sont demeurés vierges; ils suivent l’Agneau partout où il va (Apoc., XIV). Quand Dieu promet aux hommes la récompense de la pureté, les femmes ne sont pas exclues; mais comme la femme est une portion de l’homme, qu’elle a été formée avec la chair de l’homme, Dieu, dans l’Écriture, s’adresse presque toujours à l’homme, car ils sont deux dans une seule chair, et la femme est comprise dans l’homme. — Si donc Jésus-Christ a pour cortège les âmes pures, si le royaume de Dieu est destiné aux vierges, qu’ont-elles à faire des parures et des ornements d’ici-bas? En cherchant à plaire aux -hommes, elles offensent Dieu; elles oublient cette parole des Psaumes: Ceux qui plaisent aux hommes ont été confondus; Dieu les a méprisés (Ps. LI). Paul aussi a dit dans son langage sublime : Si je cherchais. à plaire aux hommes, je ne serais plus le serviteur de Dieu (Gal., I.).

2° Mais la pudeur ne consiste pas seulement dans l’intégrité de la chair; elle exige encore la modestie de la parure et des (9) vêtements, selon cette parole de l’apôtre: Que la femme non mariée soit sainte de corps et d’esprit (I Corint., VII). Le célibataire pense aux choses de Pieu, aux moyens de plaire à Dieu, l’homme marié pense aux choses du monde, aux moyens de plaire à son épouse: De même la vierge et la femme, libres des liens du mariage, s’occupent des biens célestes, afin d’être saintes et de corps et d’esprit.

Ce n’est pas assez pour une femme d’être vierge, elle doit encore le paraître, de sorte qu’en la voyant personne ne doute de sa virginité. Que sa pudeur s’étende à tout ce qui l’entoure, et que sa parure ne nuise pas à l’honneur dont elle est revêtue. Pourquoi paraîtrait-elle chargée d’ornements, comme si elle avait un mari on si elle en cherchait un? Si elle est vierge, qu’elle craigne plutôt de plaire; qu’elle ne s’expose pas au danger, celle qui aspire à une vie surnaturelle et divine. Que celles qui n’ont pas de mari, à qui elles doivent chercher à plaire, persévèrent dans la pureté du corps et de l’esprit; car il n’est pas permis à une vierge de se parer pour faire ressortir sa beauté; il ne lui est pas permis de tirer vanité de ses attraits corporels: bien loin de là, elle doit surtout lutter contre sa chair, et sa principale étude doit être de vaincre son corps et de le réduire en servitude. Loin de moi, s’écrie saint Paul, de me glorifier d’autre chose que de la croix de Jésus-Christ, par qui 1e monde a été crucifié pour moi et moi pour le monde (Gal., VI.); et une vierge, dans l’Église de Dieu, se glorifierait de l’éclat de sa chair et de la beauté de son corps! Saint Paul ajoute: Ceux qui sont à Jésus-Christ sont crucifié leur chair avec leurs vices et leurs convoitises; et celle qui fait profession d’avoir renoncé à la concupiscence et au vice persévérerait dans cette vie criminelle! Ton hypocrisie sera découverte, ô jeune fille; c’est en vain que tu te couvres d’un masque, je vois sur toi tes (11) souillures de la concupiscence, alors que je ne devrais y trouver que l’éclat et la blancheur de la pureté.

Crie, dit le Seigneur à Isaïe, toute chair est de l’herbe; son éclat est comme la fleur de l’herbe. L’herbe se flétrit, la fleur tombe; mais la parole du Seigneur subsiste à jamais (Isaïe, XI). Il est indigne d’un chrétien, à plus forte raison d’une vierge, de compter pour quelque chose la beauté du corps; la parole de Dieu, les biens éternels, voilà les objets dignes de son ambition. Si elle se glorifie dans son corps, que ce soit quand il est tourmenté pour la foi; quand elle, faible femme, est plus forte que les bourreaux qui la torturent; quand elle supporte le feu, la croix, le fer ou la dent des bêtes pour mériter la couronne. Voilà les joyaux précieux de la chair ; voilà les plus beaux ornements du corps.

Mais il est des femmes riches qui font parade de leur fortune et disent qu’elles doivent en user. Sachez d’abord que la femme riche est celle qui l’est en Dieu; que la femme opulente est celle qui l’est dans le Christ; ce sont là les biens spirituels, divins, célestes, qui nous conduisent à Dieu et demeurent éternellement en notre possession auprès de Dieu. Quant aux biens de la terre, .ces biens que nous possédons dans cette vie et qui doivent demeurer ici-bas, nous devons les mépriser, comme nous méprisons le monde dont nous avons foulé aux pieds les pompes et les délices pour nous attacher à Dieu. Saint Jean nous exhorte de sa, voix céleste : N’aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde : si quelqu’un aime le monde, la charité du Père, n’est plus en lui, car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, ambition du siècle, choses qui ne viennent pas du Père, mais de la corruption d’ici-bas. (Joan. II). Le monde passera avec sa concupiscence ; mais celui qui accomplira la volonté de Dieu vivra (13) éternellement, comme Dieu lui-même. Mettons-nous donc à la poursuite des biens éternels et divins; accomplissons en tout la volonté divine, afin de marcher sur les traces de notre maître et de suivre ses maximes. Je suis descendu du Ciel, dit-il, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Si l’esclave n’est pas au-dessus de son maître, si l’homme délivré de ses liens doit obéissance à son libérateur, nous qui avons voulu être chrétiens, nous devons imiter les actions du Christ. il est écrit et on le lit dans nos églises pour nous servir de leçon : Celui qui se dit disciple du Christ doit marcher comme le Christ a marché lui-même. Il faut donc suivre les traces du maître et s’efforcer d’avancer avec lui. Alors nos oeuvres sont en rapport avec le nom qui nous distingue, et nos croyances, inspirant notre conduite, méritent la récompense.

Vous vous dites riche, dans l’opulence; mais Paul est là pour vous répondre et pour vous dire de renfermer dans de justes limites votre luxe et vos ornements. Que les femmes, dit-il, se vêtent avec modestie et pudeur. Qu’elles ne portent ni cheveux tressés, ni or, ni perles, ni vêlements précieux; mais, comme il convient à leur sexe, que la chasteté respire dans toute leur conduite (I Tim., II.). Pierre parle à peu près de même : Que la femme ne porte aucun ornement extérieur, ni or, ni vêtements recherchés; sa richesse est dans son coeur (I Pet., III). Si ces apôtres veulent qu’on réprime et qu’on réduise à l’observation des règles ecclésiastiques des femmes qui excusent leur toilette par les exigences de leurs maris à plus forte raison une vierge doit-elle s’y soumettre, elle qui ne peut rejeter sa faute sur personne et qui doit en accepter toute seule la responsabilité.

Vous vous, dites riche, dans l’abondance; mais doit-on faire tout ce qu’on peut? doit-on donner cours à des désirs insensés, (15) nés de l’ambition du siècle? doit-on les laisser franchir les bornes de l’honnêteté et de la pudeur virginale, alors qu’il est écrit : Tout est permis, mais tout n’est pas avantageux; tout est permis, mais tout n’édifie pas (I Corin., VI)? D’ailleurs, si vous vous parez avec luxe, si vous paraissez en public avec des ornements remarquables, vous attirerez sur vous les yeux des jeunes gens, vous exciterez leurs désirs, vous entretiendrez leurs passions; si vous ne périssez pas vous-mêmes, vous perdrez les autres; vous serez pour eux comme un poison et un glaive. Pourrez-vous alors donner pour excuse la pureté, la chasteté de votre intention? Non, cette parure coupable, ces ornements impudiques crient contre vous. Vous ne pouvez plus être comptée parmi les vierges du Christ, vous qui vivez de manière à exciter un coupable amour.

Vous vous vantez de votre richesse et de votre opulence; vous croyez devoir user des biens que Dieu a mis en votre possession. Soit, usez-en, mais pour des choses utiles; usez-en, mais pour de bonnes oeuvres; usez-en, mais pour ce que Dieu prescrit, pour ce que Dieu recommande. Que les pauvres se ressentent de vos richesses, que les indigents partagent votre fortune. Déposez votre patrimoine entre les mains de Dieu; nourrissez le Christ; obtenez par les prières des pauvres de porter bien haut la gloire de la virginité et de mériter la céleste récompense. Placez vos trésors dans ce lieu où on n’a pas à craindre ni les ruses ni les violences des voleurs. Ayez des possessions, mais dans le Ciel : là vos récoltes dureront toujours; elles seront à l’abri des atteintes des fléaux du siècle; elles échapperont à l’action de la rouille, aux ravages de la grêle, aux ardeurs du soleil, â la corruption des pluies.

Vous péchez contre Dieu, si vous croyez qu’il vous a donné la richesse pour en abuser. Dieu nous a donné la voix: est-ce une (17) raison pour chanter des airs obscènes? Il nous a donné le fer pour cultiver la terre : est-ce une raison pour en faire un instrument meurtrier? Il a créé l’encens, le vin, le feu : doit-on s’en servir pour sacrifier aux idoles? parce que les troupeaux abondent dans vos champs, devez-vous offrir des victimes aux faux dieux? Certes, c’est une grande tentation qu’un grand patrimoine. Que l’homme, guidé par la prudence chrétienne, en fasse un bon usage, afin que, plus riche que ses possessions, il rachète ses fautes au lieu de les aggraver.

4° Les ornements affectés, le luxe des vêtements, le soin des formes du corps ne conviennent qu’à des courtisanes; les femmes qui se parent le plus sont celles qui ont perdu toute pudeur, Ainsi, dans les Ecritures où Dieu vous a laissé ses enseignements, nous trouvons la description de la cité prostituée. Elle est parée avec magnificence, elle brille sous ses ornements, mais elle doit périr avec eux, ou plutôt à cause d’eux. Et, dit le texte sacré, un des sept anges qui portaient les sept fioles s’approcha de moi en disant : viens, je te montrerai la condamnation de la grande courtisane assise sur des eaux nombreuses qui a fait partager sa corruption aux rois de la terre. Et il me conduisit en esprit, et je vis une femme assise sur la bête, et cette femme était couverte d’un manteau de pourpre; elle étincelait d’or, de diamants et de perles ; elle tenait dans sa main une coupe d’or pleine des blasphèmes, des impuretés et des fornications de toute la terre (Apoc., XVII). Que les vierges chastes et pures fuient ces ornements, ces habits, ces parures qui ne peuvent convenir qu’à des femmes perdues. Les filles de Sion aussi portaient des parures d’or et d’argent, elles se revêtaient d’habits somptueux, vivaient dans un luxe coupable et s’éloignaient de Dieu, pour se plonger dans les délices du .siècle ; aussi l’Esprit-Saint les reprend par la bouche d’Isaïe. Les filles de Sion, dit-il, marchent la tête haute; elles font (19) signe avec leurs yeux, elles traînent de longues robes et se balancent sur leurs pieds. Mais le Seigneur humiliera les orgueilleuses filles de Sion; il les dépouillera de leurs vêtements somptueux, il enlèvera tous leurs ornements, et leur chevelure bouclée, et leurs bandeaux, et leurs agrafes, et leurs bracelets, et leurs colliers, et leurs camées, et leurs chaînes, et leurs anneaux, et leurs pendants d’oreilles, et leurs voiles de soie mêlés d’or et d’hyacinthe. Au lieu de parfums elles respireront la poussière, au lieu de ceinture elles auront une corde, au lieu de l’or dont elles chargeaient leur front, une tête dépouillée de cheveux ( Isaïe, III). Tels sont les désordres que Dieu condamne; voilà d’après lui, ce qui a corrompu les filles de Sion et leur a fait abandonner le culte du Dieu véritable. Elles se sont élevées pour tomber; leurs parures ont attiré sur elles des outrages de tout genre; revêtues de soie et de pourpre, elles n’ont pu revêtir le Christ; parées d’or, de perles et de colliers, elles ont perdu les vrais ornements du coeur et de l’âme. Qui ne fuirait avec dégoût ce qui a causé la mort des autres? Qui rechercherait ce qui a été pour son frère un trait meurtrier? Si quelqu’un, après avoir épuisé une coupe, Venait à mourir, vous comprendriez que ce breuvage était empoisonné. Si quelqu’un mourait après avoir mangé d’un certain aliment, vous diriez : cette nourriture est mortelle et vous vous garderiez bien de manger ou de boire ce qui peut donner la mort. Mais quel aveuglement, quelle folie de vouloir ce qui a été et sera toujours si funeste, de penser que ce qui fut mortel pour les autres sera pour vous sans danger!

Dieu n’a pas donné aux toisons des brebis la couleur du vermillon ou de la pourpre. Dieu n’a pas enseigné l’art de teindre et de colorer la laine avec des sucs d’herbes et des

coquillages. Dieu n’a pas inventé ces étranges édifices de diamante et de perles enchâssés dans l’or, qui cachent une tête (21) dont il est l’auteur. Chose étrange, l’oeuvre divine disparaît et, au-dessus, l’invention du diable s’étale avec audace. Dieu a-t-il voulu qu’on perçât les oreilles de ces pauvres enfants, qui ne soupçonnent rien encore de la malice du siècle, pour y suspendre je ne sais quelles graines qui les fatiguent de leur poids? Ce sont là les inventions des anges apostats, lorsque, précipités sur la terre, ils perdirent leur céleste vigueur. Ce sont eux qui ont enseigné l’art funeste et corrupteur d’étendre sur les paupières une couleur noire, de donner aux joues un éclat menteur, de changer la couleur des cheveux, d’enlever au visage et â la tête tout ce qu’ils ont de naturel et de vrai. Et ici, avec cette autorité que me donne mon caractère, avec cette charité que je trouve dans mon coeur, je m’adresse non-seulement aux vierges, mais aux veuves et aux femmes mariées, et je leur dis qu’elles ne doivent jamais altérer l’oeuvre divine avec ces fards, ces couleurs empruntées, ces compositions en un mot qui n’ont d’autre effet que de corrompre la nature. Dieu a dit : Faisons l’homme à notre image et à noIre ressemblance, et on osera changer et dénaturer l’ouvrage de Dieu! C’est un attentat contre Dieu que de réformer et de transfigurer son oeuvre. Sachons-le bien, ce qui naît vient de Dieu; les changements sont l’oeuvre du démon. Un peintre représente avec des couleurs qui rivalisent avec la nature le visage, les traits, l’extérieur d’un homme; son oeuvre est terminée. Un autre peintre, se croyant plus habile, vient jeter de nouvelles couleurs sur le tableau pour le corriger : quelle injure pour le premier artiste! Quel sujet d’une juste indignation! Et vous croyez que votre audace téméraire restera impunie et que l’artiste suprême ne vengera pas son offense?

Malgré le fard impur qui vous couvre, vous ne vous êtes pas écartée, avec les hommes, des lois de la pudeur: c’est possible. Mais vous avez flétri, profané les dons de Dieu, par suite vous êtes pire qu’une adultère. En croyant parer et embellir votre corps, vous vous rendez coupable d’un attentat contre (23) l’oeuvre divine, d’une prévarication contre la vérité. Jetez dehors le vieux levain, nous dit l’apôtre, afin que vous soyez une nouvelle pâte, comme vous êtes des azymes; car le Christ, notre pâque, a été immolé. Célébrons donc nos fêtes, non avec le vieux levain, le levain de la malice et de l’iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité (I Cor., V). Or, est-ce être fidèle à la sincérité et à la vérité que de souiller la nature par des couleurs empruntées et de se servir du fard pour faire de la vérité un mensonge?

Le Seigneur a dit : Vous ne pouvez faire un seul cheveu noir ou blanc (Mat., V) et vous voulez être plus fort que la parole divine! Avec une audace et un mépris sacrilège, vous souillez vos cheveux. Fatal présage! vous leur donnez un reflet de l’enfer, et vous profanez votre tète, la partie la plus noble de votre corps. Nous lisons dans l’Apocalypse: La tête elles cheveux du fils de l’homme étaient blancs comme la laine ou la neige (Apoc., II); et vous, vous détestez les cheveux blancs, vous repoussez la couleur qui est celle de la tête du Seigneur.

Ne craignez-vous pas, je vous le demande, vous qui agissez ainsi, qu’au jour de la résurrection, votre créateur ne vous reconnaisse pas et que, lorsque vous vous avancerez pour recevoir la couronne promise, il ne vous exclue et ne vous repousse? Ne craignez-vous pas, qu’avec la rigueur d’un censeur et d’un juge, il ne vous dise : Ce n’est pas là mon ouvrage; cette image n’est pas la mienne, tu as souillé ton corps par des couleurs menteuses, tu as donné à tes cheveux une teinte adultère, le mensonge a défiguré ton visage, il en a corrompu les traits; cette face n’est pas la tienne. Tu ne pourras pas voir Dieu, car tes yeux ne sont pas son oeuvre, mais celle du démon. Tu as voulu marcher sur ses traces, en donnant à tes yeux l’éclat et la bigarrure de ceux du serpent; (25) tu as pris les couleurs de l’ennemi, va donc brûler avec lui. Je vous le demande, les serviteurs de Dieu ne doivent-ils pas se préoccuper de ces dangers? ne doivent-ils pas les craindre jour et nuit?

Que les femmes mariées n’invoquent pas trop le vain prétexte de plaire à leurs époux: en les donnant pour excuse, elles n’en feraient tout au plus que les complices d’une coupable faiblesse. Quant aux vierges (et c’est à elles que s’adresse cet écrit), si elles usent de ces ornements funestes, je crois qu’il ne faut plus les compter parmi les vierges. Semblables à des brebis atteintes de la contagion, on doit les éloigner du saint troupeau ,afin que leur contact ne souille pas les autres et que, perdues elles-mêmes, elles ne les entraînent pas dans leur ruine. En un mot, puisque nous cherchons les avantages de la continence, évitons tout ce qui peut porter dans nos âmes le ravage et la mort.

5° Je ne dois pas omettre des usages que le relâchement a introduits parmi nous et qui sont devenus le fléau des moeurs pures et chastes. Il en est qui ne rougissent pas d’assister aux noces et de mêler des paroles déplacées à ces entretiens où la licence s’introduit en toute liberté. Elles disent, elles entendent des choses inconvenantes; elles observent; elles participent à des conversations honteuses, à des festins où, la chaleur du vin enflammant les passions, rend la femme capable de tout souffrir et l’homme capable de tout oser. Que va-t-elle faire aux noces celle qui n’a pas la pensée de se marier? Quel plaisir, quelle joie peut-elle y trouver celle dont les goûts sont si différents? Qu’y voit-on? qu’y apprend-on? Oh! qu’une vierge manque à sa vocation en gaspillant de la sorte le trésor de pureté qu’elle portait dans son âme! Sans doute elle peut être encore vierge de corps et d’esprit;mais ses yeux, ses oreilles, sa langue ont perdu leur virginité.

Que dire, de celles qui fréquentent les bains publics? qui exposent aux regards des curieux des corps voués à la pudeur? en se mêlant ainsi aux hommes, ne fournissent-elles pas au (27) vice un coupable aliment? n’allument-elles pas des désirs impurs à qui elles ont l’air de s’offrir en pâture?

Que chacun, direz-vous, examine son intention; pour moi je ne veux qu’une chose, refaire mon corps et le purifier: — Cette excuse ne vous justifie pas. Loin de laver, un bain semblable salit; il ne purifie pas le corps, il le souille. Vous ne jetez sur personne des regards impudiques; mais on en jette sur vous. Vous ne donnez pas à vos yeux le plaisir de la volupté; mais ce plaisir vous l’offrez à d’autres et vous partagez leurs souillures. Le bain devient une sorte de théâtre; le vice s’y montre même avec plus d’impudeur. Là on laisse à la porte toute retenue; avec ses habits, on dépose toute décence; une jeune fille ne s’y montre que pour y perdre sa virginité. Considérez ensuite si, revêtue de vos habits et rendue à la vie ordinaire, vous conservez au milieu des hommes la même modestie, vous qui avez reçu de si funestes leçons. Ne vous étonnez donc pas si l’Eglise pleure souvent sur les vierges, si elle gémit sur leurs détestables erreurs. Ainsi se déflore la plus belle des vertus ainsi la continence chrétienne perd sa gloire, sa dignité, son honneur.

Je viens de vous parler des pièges que l’ennemi dresse sur votre route, des artifices par lesquels il cherche â vous séduire. Oui, en prenant trop de soin de leur toilette, en donnant à leurs démarches trop de liberté, les vierges perdent le plus beau de leurs privilèges; elles tombent dans le déshonneur, veuves avant d’être mariées, infidèles, noir à un époux terrestre, mais au Christ. Aussi elles seront punies de leur prévarication et d’autant plus sévèrement que la couronne qui leur était promise était plus belle.

6° Écoutez-moi donc, ô vierges, écoutez-moi comme un père qui vous donne ses enseignements et ses avis, comme un ami fidèle qui ne veut que vos intérêts.

Soyez telles que Dieu vous a faites : conservez les traits que le Créateur vous a donnés; un visage sans fard, un cou sans (29) ornement, un corps simplement vêtu. N’ensanglantez pas vos oreilles, ne chargez pas vos bras et votre cou de bracelets et de colliers précieux; ne mettez pas vos pieds dans des entraves d’or, ne souillez vos cheveux d’aucune couleur étrangère; que vos yeux soient toujours dignes de voir Dieu. Baignez-vous chastement avec des personnes de votre sexe. Évitez les noces, évitez ces festins où la débauche répand sa contagion. Sachez résister à l’attrait d’un vêtement, vous qui êtes vierge et servante de Dieu; sachez résister à l’éclat de l’or, vous qui avez vaincu et votre chair et le monde: Quand on a triomphé des grandes difficultés, on doit compter pour rien les petits obstacles. Elle est étroite et pénible la route qui mène à la vie; il est dur et abrupte le sentier qui conduit à la gloire (Mat., VII). C’est par ce chemin que montent les martyrs, les vierges, les justes de tout genre. Fuyez les chemins larges et spacieux : là se trouvent des charmes et des plaisirs qui donnent la mort; là le démon flatte pour tromper; il sourit pour nuire; il séduit pour tuer. Le martyr reçoit la plus belle couronne, la seconde vous est réservée. De même que le martyr oublie la chair et le siècle, qu’il se prive de toutes les délicatesses et de tous les plaisirs, de même, vous qui posséderez dans la gloire la seconde récompense, vous devez être, dès ici-bas, les émules des martyrs. Il n’est pas facile d’atteindre les hauteurs. Que de sueur, que de travail pour arriver au sommet d’une montagne! Qu’est-ce donc que monter au ciel? Mais rappelez-vous la récompense et votre travail vous paraîtra bien peu de chose. Le Seigneur promet à celui qui persévère l’immortalité, la vie éternelle, son propre royaume.

Persévérez ô vierges, persévérez dans votre vocation, ménagez vos intérêts les plus chers; votre chasteté vous donne droit à une grande récompense et à de grands privilèges.

VouIez-vous savoir les maux que vous fait éviter la continence, et. les biens qu’elle vous procure? Écoutez, c’est le Seigneur (31) qui parle à la première femme : Je multiplierai tes tristesse et tes gémissements; tu enfanteras tes fils dans la douleur, tu suivras partout ton époux et c’est lui qui sera ton maître (Gen., III). Vous êtes à l’abri de cette sentence; vous n’avez à craindre ni la tristesse ni les gémissements des femmes, ni les douleurs de l’enfantement; vous n’avez pas à subir l’autorité d’un mari votre maître et votre chef c’est le Christ; il remplit auprès de vous l’office d’époux; votre vie est étroitement unie à la siennes Le Seigneur a dit : Les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés; ceux qui auront part à la résurrection glorieuse et à l’héritage céleste ne contracteront plus de mariages; ils n’auront plus à subir les rigueurs de la mort; car, devenus enfants de la résurrection, ils seront semblables aux anges de Dieu (Luc., XX). Ce que nous serons uni jour, vous l’êtes déjà; vous jouissez, dès cette vie, de la gloire de la résurrection; vous traversez le siècle sans en partager la corruption. En persévérant dans fa chasteté, Ô vierges, vous ressemblez aux anges de Dieu. Conservez donc précieusement votre trésor et marchez toujours dans la voie où vous êtes généreusement entrées.

Donc, encore une fois, que la vierge ne fasse pas consister sa parure dans les colliers et dans les vêtements, mais dans l’innocence des moeurs. Qu’elle marche le regard fixé vers le Ciel et Dieu, et qu’elle n’abaisse pas sur les jouissances de la chair ou les biens terrestres des yeux qui ne doivent chercher que les splendeurs éternelles. Le premier ordre de Dieu a prescrit l’accroissement et la génération; le second a conseillé la continence. Quand la terre était encore nouvelle et sans habitants, le genre humain dut se propager et se multiplier par la génération ; maintenant que l’univers est peuplé, ceux qui en sont capables doivent vivre dans la continence et se priver des plaisirs de la chair en vue du royaume céleste. Ce (33) n’est pas un ordre du Seigneur, mais un conseil; il n’en fait pas une obligation, mais il laisse à chacun l’usage de sa liberté. De plus, comme dans le royaume de son Père il y a plusieurs demeures, il nous indique les plus glorieuses. C’est vers ce but que vous dirigez vos pas; en réprimant les désirs charnels, vous vous assurez la meilleure place dans le Ciel. Il est vrai que tous ceux qui se présentent à la fontaine baptismale y dépouillent le vieil homme par la grâce du bain salutaire. Introduits par l’Esprit-Saint dans une vie nouvelle, ils se purifient, par une seconde naissance, de leurs anciennes souillures. Mais les effets de la régénération se manifestent plus complètement en vous, puisque les désirs charnels s’éteignent dans vos coeurs; vous ne conservez plus que ces saintes aspirations qui vous élèvent à la vertu et à la gloire. Écoutez l’apôtre que le Seigneur a appelé son vase d’élection, Paul, chargé de nous révéler les décrets d’en haut : Le premier homme, dit-il, est né du limon de la terre; le second vient du ciel. Ceux qui naissent de la terre ressemblent au premier, ceux qui viennent du ciel au second. De même que nous avons porté t’image de l’homme terrestre, portons celle de l’homme céleste (I Corint., XV). Il est donné à la virginité, à l’innocence, à la sainteté, à la vérité de reproduire cette image. Elles la reproduisent, ces âmes d’élite qui se rappellent la règle du Seigneur, qui marchent scrupuleusement dans les voies de la justice, fermes dans leur foi, humbles dans leur crainte, prêtes à tout supporter, souffrant les injures sans se plaindre, faciles à pardonner, maintenant, au sein de la société chrétienne, les liens de la concorde et de la, paix fraternelle.

Tels sont les devoirs que vous devez comprendre, aimer, accomplir, ô pieuses vierges, vous qui, consacrées à Dieu et au Christ, avez choisi la meilleure part et marchez à notre tête dans les voies du Seigneur. Vous qui (35) êtes plus avancées en âge, instruisez les plus jeunes; vous plus jeunes, prêtez votre ministère à vos aînées; rivalisez d’ardeur avec celles de votre âge ; encouragez-vous mutuellement et cherchez à devancer vos compagnes dans l’arène de la perfection. Travaillez avec courage; avancez soutenues par la grâce; arrivez heureusement au port. La seule chose que je vous demande c’est de vous souvenir de moi quand vous recevrez la récompense de votre virginité. (37

 

 

 

 

 

DE LA VANITÉ DES IDOLES

1° Origine des dieux du Paganisme; — 2° Les augures ; — 3° Le Dieu véritable; — 4° Le Messie.

1° Les dieux qu’adore le vulgaire ne sont pas des dieux véritables: je vais le démontrer. Il est des rois qui laissèrent de grands souvenirs et qui, à cause de cela, furent honorés après leur mort. On leur éleva des temples, on leur dressa des statues pour conserver leurs traits; on finit par leur immoler des victimes et par instituer, en leur honneur, des jours de fête. Cet usage se transmit aux générations suivantes : ainsi ce qui n’avait été dans le principe qu’une consolation devint un culte. Confirmons cette vérité par des faits. Mélicerte et Leucothéa sont précipités dans la mer, et deviennent des divinités marines. Castor et Pollux meurent à tour de rôle pour revivre. Esculape est frappé de la foudre et se relève Dieu. Hercule, brûlé sur le mont OEtna, a droit aux honneurs divins. Apollon, avant d’habiter l’Olympe, a gardé les troupeaux d’Admète. Neptune bâtit les murs de Troie et, ouvrier malheureux, il ne reçut pas le prix de son travail. On visite dans la Crête l’antre de Jupiter ; on y montre son tombeau. Tout le monde sait qu’il chassa Saturne de son royaume : l’exilé vint chercher un asile sur le sol ita1ien, qui dut à cette aventure le nom de (39) Latium (De latere, cacher ). C’est lui qui enseigna à son nouveau peuple l’art de tracer des caractères et de graver une effigie sur des pièces de monnaie; de là le nom de Saturne donné au trésor public. Il s’occupa aussi de travaux champêtres; c’est pour cela qu’on le représente sous les traits d’un vieillard portant une faux.

Janus lui donna l’hospitalité: Janus qui a laissé son nom au Janicule et au premier mois de l’année. On le représente avec un double visage, parce que, placé entre l’année qui finit et celle qui commence, il semble les regarder toutes les deux.

Les Maures adorent aussi leurs rois. Ils ne prennent pas même la peine d’en déguiser le nom. Aussi le culte varie avec les provinces: tous ne reconnaissent pas le même dieu; chacun adore les siens, selon la tradition des ancêtres. Ces faits sont attestés par Alexandre le Grand dans la lettre qu’il écrivit à sa mère : effrayés par sa puissance, les prêtres lui livrèrent le secret de ces hommes devenus dieux; ils lui dirent que c’étaient des ancêtres et des rois dont le souvenir s’était conservé et à qui on avait ensuite offert un culte et des sacrifices.

Si autrefois il est né des dieux, pourquoi n’en voyons-nous plus paraître de nos jours? Jupiter serait-il trop vieux? Junon serait-elle stérile? Comment pourriez-vous croire que les dieux peuvent quelque chose pour les Romains quand ils n’ont pu défendre contre nos armes leurs propres adorateurs? — Mais les Romains ont aussi des divinités à leur service. C’est Romulus devenu dieu, grâce au parjure de Proculus; c’est Picus, Tibérinus, Pilumnus, Cousus, ce dieu de la. fraude, que Romulus, après l’enlèvement des Sabines, voulut qu’on invoquât comme le dieu des bons conseils. Tatius inventa la déesse des Cloaques et lui dressa des autels. Hostilius honora de la même manière la Crainte et la Pâleur. Bientôt après, la Fièvre fut placée au nombre des divinités, en compagnie des courtisanes Acca et Flora. Mais, quand il s’agit d’enrichir le vocabulaire céleste, (41) l’imagination des Romains va bien plus loin. Ils ont le dieu Viduus, qui rend l’âme veuve en la séparant du corps. Comme il est de sinistre présage, on ne lui permet pas d’habiter l’enceinte des villes; mais on le place dehors, on l’exile en quelque sorte, et le culte qu’on lui rend ressemble beaucoup plus à une condamnation qu’à un hommage. Ils ont le dieu Scansus, qui favorise ceux qui montent; Forculus qui préside aux portes, Limentinus aux seuils, Cardea aux gonds, et Suburbana à la triste séparation opérée par la mort.

Tels sont les dieux romains. Quant aux autres ils sont de provenances diverses: Mars nous vient de la Thrace; Jupiter de la Crète; Junon d’Argos, de Samos ou de Carthage; Diane de la Tauride; la mère des dieux du mont Ida. ,Je rie parle pas des divinités ou plutôt des monstres de l’Égypte. Certes, si ces dieux avaient eu la moindre puissance, ils auraient conservé le royaume de leurs adorateurs et leurs propres autels. Et pourtant, nous voyons â Rome les Pénates vaincus, qu’Énée emporta dans son exil. Nous voyons la Vénus chauve, beaucoup plus dégradée par la perte de ses cheveux que par la blessure que lui fit Diomède.

2° Qu’on ne dise pas que ces divinités donnent la puissance; la puissance, elle semble varier selon les lois d’un aveugle hasard. Dans l’antiquité, nous la voyons entre les mains des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Grecs, des Égyptiens. La marche des événements la transmit au Romains; mais vous ne sauriez, sans rougir, étudier l’origine de cet empire. Un peuple de scélérats et de vagabonds se retranche dans un asile et se multiplie par l’impunité. Romulus, son digne chef, inaugure son règne par un fratricide. Comme il faut des femmes à ses nouveaux sujets, il a recours à la guerre; ils trompent, ils enlèvent : on dirait des bêtes féroces. Pour eux, le mariage consiste à briser les liens de l’hospitalité et à porter les armes contre leurs beaux-pères.

Parmi les dignités romaines la première est le consulat (43) or, le consulat commence comme la royauté. Brutus tue ses fils pour rehausser par un forfait sa dignité nouvelle. Ce n’est donc ni la religion, ni les auspices, ni les augures qui ont produit l’accroissement de la puissance romaine; mais des circonstances heureuses qui changeront à leur tour. Certes Régulus consulta les auspices, et il mourut captif. Mancinus fut fidèle à la religion, et il passa sous le joug. Avant la bataille de Cannes, les poulets de Paul - Emile mangeaient de bon appétit, et il fut tué. César agit bien autrement : comme les augures et les auspices s’opposaient à ce qu’il fit partir sa flotte pour l’Afrique avant la fin de l’hiver, il s’en moqua et, après une navigation heureuse, il remporta la victoire.

3° Voici la raison de toutes ces erreurs qui, en obscurcissant la vérité, trompent et séduisent le vulgaire. Des esprits perfides errent dans les airs. Dépouillés de la vigueur céleste par leur contact avec la terre, il sont souillés de tous les vices d’ici-bas. Perdus eux-mêmes, ils ne cessent de perdre; dépravés, ils veulent inoculer leur dépravation. Les poètes les désignent sous le nom de génies, et Socrate disait qu’un de ces esprits était toujours à ses côtés pour l’éclairer et le diriger. De là vient la puissance des Mages pour les choses ridicules ou pernicieuses. Hostanès, le premier d’entre eux, dit qu’on ne peut pas voir la forme du Dieu véritable et que son trône est environné par des anges. Platon est d’accord avec lui : il reconnaît l’existence d’un seul Dieu et appelle les autres anges ou démons. Telle est aussi l’opinion d’Hermès Trismegistus: il enseigne l’existence d’un seul Dieu, que nous ne pouvons ni voir ni comprendre.

Or ces esprits se cachent sous les statues et sous les images consacrées; ils inspirent les devins, ils animent les entrailles des victimes, dirigent in vol des oiseaux, gouvernent les sorts, font parler les oracles, mêlent toujours l’erreur à la vérité; car, sujets eux-mêmes à l’erreur, ils trompent sans cesse. Ce sont eux qui altèrent l’existence, qui troublent le sommeil, qui se glissent inaperçus dans les corps et effrayent les âmes. Bien (45) plus, ils torturent les membres, débilitent la santé, amènent ta maladie, afin de s’attirer des adorateurs, de voir leurs autels chargés de présents et de s’engraisser de l’odeur des sacrifices; puis ils abandonnent leur victime et paraissent l’avoir guérie ils guérissent, en effet, quand ils cessent de nuire.

L’unique occupation de ces esprits mauvais consiste à éloigner les hommes de Dieu, à leur faire quitter la religion véritable pour se les attacher. Condamnés à un supplice éternel, ils cherchent à entraîner dans leur disgrâce ceux qu’ils ont déjà entraînés dans leur révolte. Cependant, lorsque nous leur commandons au nom du Dieu vivant, ils cèdent, ils, avouent leur faiblesse et se retirent des corps qu’ils obsédaient. On les voit, à notre voix, et par l’effet de nos exorcismes, cruellement tourmentés par une puissance mystérieuse; un feu secret les dévore et, sous 1’étreinte. de la douleur, ils s’agitent, ils poussent des cris, des gémissements, des supplications. Nous leur demandons d’où ils viennent q où ils vont; et ils;le disent en présence-de leurs adorateurs. ils sortent, ou tout d’un coup ou par degrés, du corps qu’ils torturaient, selon l’énergie de la foi du patient ou l’abondance de la grâce divine. C’est pour cela qu’ils excitent la haine du peuple contre le nom chrétien: ils veulent que les hommes nous haïssent avant de nous connaître, car s’ils nous connaissaient, loin de nous condamner, ils viendraient grossir nos rangs.

4° Un Dieu unique gouverne cet univers : la majesté et la puissance suprêmes ne peuvent appartenir qu’à un seul. Ce qui se passe sur la terre nous aidera à comprendre cette vérité. Le partage du pouvoir n’a-t-il pas toujours amené des discordes sanglantes? Nous voyons Etéocle et Polynice oublier les liens du sang qui les unissaient; la haine qu’ils s’étaient vouée les suit jusque dans la mort, elle se communique à leurs bûchers qui brûlent en se divisant. Rémus et Romulus, conçus par le même sein, se trouvent à l’étroit dans un seul royaume. Pompée et César étaient parents, mais l’ambition brisa ces liens (47) fragiles. Ne vous étonnez pas de trouver cette loi dans l’humanité alors qu’elle est dans toute la nature. Les abeilles n’ont qu’un roi, les troupeaux qu’un chef ou un guide. A plus forte raison faut-il qu’il n’y ait dans ce monde qu’un seul maître qui commande à toutes les créatures, règle les événements par sa sagesse et les accomplit par sa puissance. Ce Dieu ne peut être vu, son éclat le dérobe à nos regards; il ne peut être saisi, sa nature spirituelle échappe à notre main; il ne peut être compris, il est trop élevé au-dessus de notre intelligence. Pour nous en faire une juste idée, disons qu’il est inaccessible à notre raison.

Quel temple érigerons-nous à ce Dieu qui remplit l’univers? Enfermerons-nous tant de majesté dans un petit édifice, alors que l’homme habite une demeure plus grande? Non, c’est notre âme, c’est notre coeur qui doit lui servir de temple. Ne cherchez pas son nom, il s’appelle Dieu. Ici-bas nous avons besoin de différents noms pour désigner la multitude des objets; mais Dieu est unique, son nom est Dieu. Il est donc un et tout entier répandu partout. Le vulgaire, dans bien des circonstances, lui rend hommage, lorsque l’âme s’élève naturellement vers son auteur. Nous entendons souvent dire : ô Dieu! Dieu nous voit; je vous recommande à Dieu; Dieu me le rendra; ce que Dieu veut; si Dieu le permet. Quel crime de ne vouloir pas reconnaître celui qu’il est impossible d’ignorer!

5° Je vais parler maintenant du Messie et montrer comment le salut nous est arrivé par lui.

Les Juifs, dans le principe, étaient en grâce avec Dieu : c’est parmi eux que se trouvaient les justes et les vrais serviteurs du Très-Haut; aussi leur royaume fut florissant et leur race se perpétua à travers les siècles. Mais plus tard, trop confiants dans les mérites de leurs pères, ils se laissèrent aveugler par l’esprit d’orgueil et de révolte, méprisèrent les préceptes divins et perdirent la grâce dont ils étaient les dépositaires. Eux- mêmes sont là pour attester leurs égarements; et s’ils se taisent les faits ne parlent que trop. Exilés de leur patrie, (49) dispersés, vagabonds, ils errent sur le sol étranger. Tout cela était prédit. Dieu avait annoncé qu’au déclin du monde il se choisirait, dans toutes les nations, dans tous les peuples, dans tous les pays, des adorateurs beaucoup plus fidèles et que ce nouveau peuple recevrait le dépôt de la grâce que les Juifs avaient perdu par leur infidélité.

L’auteur et le dispensateur de cette grâce, le maître de la loi, le Verbe, fils de Dieu est envoyé sur la terre. C’est lui qui éclairait les anciens prophètes et qui devait être le docteur du genre humain. Il est la vertu, la raison, la sagesse, la gloire de Dieu. Il descend dans le sein d’une vierge, il se revêt de notre chair par l’opération du Saint-Esprit. Ainsi la nature divine se trouve unie à la nature humaine. Tel est notre Dieu, tel est le Christ qui, médiateur entre Dieu et l’homme, a revêtu l’homme pour le conduire à son Père. Le Christ a voulu prendre les faiblesses de l’homme, afin que l’homme possédât les perfections du Christ. Les Juifs connaissaient sa venue : les prophètes n’avaient cessé de la prédire; mais il y a deux avènements: Dans le premier, le Christ fait homme s’est conduit en homme; dans le second, il manifestera sa divinité. Les Juifs n’ont pas compris le premier avènement où le Christ a caché sa majesté sous le voile de la souffrance; ils n’attendent que le second où il se montrera avec tout son pouvoir. Ce défaut d’intelligence est le châtiment de leurs crimes. Indignes de la vie spirituelle, leur aveuglement a été si grand qu’ils l’ont eue sous leurs yeux et qu’ils n’ont pu la voir.

Cependant Jésus-Christ, selon les oracles des prophètes, chassait, d’une seule parole, les démons du corps des hommes; il ranimait les paralytiques, purifiait les lépreux, éclairait les aveugles, redressait les boiteux, ressuscitait les morts, commandait aux éléments, soumettait à son empire les vents, la mer, les puissances infernales. Les Juifs, qui ne voyaient en lui qu’un homme à cause de la bassesse apparente de son corps, reconnurent à ses miracles qu’il n’était pas un homme ordinaire. (51)

Les chefs de la nation, qu’il avait souvent confondus par sa sagesse et sa doctrine, cédant à une aveugle colère, l’arrêtent et le livrent à Ponce Pilate, qui gouvernait alors la Syrie au nom des Romains. Ils s’assemblent tumultueusement et ils demandent à grands cris qu’il meure sur la croix. Lui-même avait prédit tous ces événements. Les prophètes aussi avaient dit que le Christ devait souffrir, non pour subir la mort mais pour la vaincre, et ils avaient ajouté, qu’après sa Passion, il remonterait au ciel, pour manifester sa divinité. Les faits ont réalisé la prophétie. Attaché à la croix, Jésus, sans l’aide du bourreau, expira de lui-même et, le troisième jour, il ressuscita d’entre les morts. Il se montra de nouveau à ses disciples tel qu’il était auparavant; il se fit reconnaître par eux; il leur fit toucher son corps sacré et, pendant quarante jours, il les initia aux mystères de la vie spirituelle qu’ils devaient révéler à tous les peuples. Alors, entouré d’une nuée lumineuse, il monta au ciel, afin de présenter à son Père l’homme qu’il avait aimé, qu’il avait arraché à la mort en prenant sa nature. Mais il descendra de nouveau sur la terre, à. la fois juge et vengeur, pour punir le démon et juger le genre humain.

Telle est la doctrine que les apôtres, répandus dans l’univers, annoncèrent aux peuples pour les arracher à l’erreur et les éclairer des rayons de la vérité. Ils agissaient par l’ordre de Dieu. Pour donner plus de poids à leur prédication, on emploie contre eux, les tourments, les croix, tous les genres de supplices. La douleur, cette épreuve suprême de la vérité, ne leur est pas épargnée. Ainsi le Christ, qui est venu donner la vie aux hommes, reçoit le double témoignage et de la voix et du sang. Tel est notre maître, notre chef, notre guide : il est pour non le principe de la lumière, l’auteur du salut; c’est lui qui promet aux croyants et son Père et le royaume céleste. Disciples du Christ, nous partageons son bonheur et sa gloire si nous marchons sur ses traces.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DES TOMBÉS

1° Joie de l’Église; 2° Gloire des martyrs et des confesseurs ; —3° Ravages de la persécution; — 4° Apostats; — 5° Gravité de leur crime; — 6° Causes de l’apostasie; — 7° Tortures; — 8° Lâcheté de certains chrétiens; — 9° Audace des apostats; — 10° La paix trop facilement accordée; — 11° Nécessité de la pénitence ; — 12° Billets des martyrs; — 13° Exigences des apostats; — 14° Châtiments; —15° Exhortation à la pénitence et aux bonnes oeuvres; — 16° Exemples; —17° Persévérance.

1° La paix est rendue à l’Église, mes frères bien-aimés, et cette tranquillité, dont les incrédules n’attendaient plus le retour, est née pour nous de la vengeance divine. Nos âmes reviennent à la joie; après la tempête et l’orage, nous voyons reparaître le calme et la sérénité. Louons Dieu, remercions-le de ses bienfaits. D’ailleurs nos actions de grâces n’ont pas été interrompues par la persécution; et, malgré les attaques de l’ennemi, nous qui aimons Dieu de tout notre coeur, de tonte notre âme, de toutes nos forces, nous avons été fidèles à publier toujours et partout ses bénédictions et ses louanges.

Le jour si ardemment désiré est venu enfin, et, après les ténèbres profondes d’une horrible nuit, le monde éclairé par la lumière divine a brillé d’un nouvel éclat. Ces confesseurs qui ont rendu au Christ un glorieux témoignage et qui, par leur (55) courage et leur foi, se sont acquis une gloire immortelle, nous les revoyons avec joie; nous. admirons leur sainteté, et, après une si longue absence, nous les pressons sur notre coeur. La voici cette cohorte brillante des soldats du Christ, qui par leur fermeté ont brisé les efforts de la persécution. Prêts à tout supporter, et les prisons et la mort, vous avez donné à vos frères un glorieux exemple et à Dieu un spectacle digne de lui. Votre voix a proclamé bien haut vos croyances et a confessé généreusement le Christ. Vos mains, consacrées aux oeuvres divines, ont repoussé les offrandes sacrilèges. Vos bouches, sanctifiées par la nourriture céleste, par le corps et le sang de Jésus-Christ, ont rejeté les mets offerts aux idoles. Ce voile criminel, dont se couvrent honteusement ceux qui vont sacrifier, n’a jamais souillé votre tête. Votre front, marqué du sceau de la régénération, est resté pur; il n’a pu se résoudre à porter la couronne du démon; il n’ambitionne que celle du Christ.

2° Avec quelle joie l’Église vous reçoit dans son sein, vous qui revenez du combat! Avec quel bonheur elle vous ouvre ses portes! Entrez-y donc, serrez vos rangs, et montrez les trophées de votre victoire. Je vois, avec les triomphateurs, des femmes qui ont combattu contre le siècle et vaincu la faiblesse de leur sexe. Je vois des vierges portant sur leur front une double couronne; je vois des enfants qui ont montré des vertus bien supérieures à leur âge. Mais vos frères, qui vous saluent de leurs acclamations, ne sont pas indignes de vous; eux aussi ont leur part de gloire. Je trouve dans leur coeur la même sincérité, dans leur foi la même intégrité et la même vigueur. Appuyés sur les préceptes divins, comme sur un fondement inébranlable, forts des traditions évangéliques, rien n’a pu les effrayer, ni l’exil, ni les tortures, ni la perte de leurs biens, ni les supplices dont ils étaient menacés. Les jours de leur épreuve étaient fixés; mais qu’est-ce qu’un jour pour celui (57) qui a renoncé au siècle? comment calculer la marche du temps, quand on attend de Dieu l’éternité?

Que personne, mes frères bien-aimés, ne cherche à diminuer la gloire de ceux qui sont restés fidèles. Un jour avait été fixé pour renier Jésus-Christ; ce jour passé, quiconque ne s’est pas rangé parmi les apostats, doit être compté parmi les confesseurs. Le premier degré de la victoire consiste à confesser le Seigneur, quand on tombe entre les mains des Gentils; le second consiste à se retirer prudemment et à se conserver pour Dieu. La première confession est publique, la seconde secrète. La première remporte la victoire sur un juge de la terre; la seconde, contente d’avoir Dieu seul pour juge, conserve scrupuleusement la pureté de l’âme. D’un côté, je vois plus de courage, de l’autre plus de prudence, mais aussi plus de sécurité. L’un, quand sonne l’heure suprême, est déjà mûr pour le Ciel; l’autre diffère son sacrifice; mais, ne vous y trompez pas, s’il quitte son patrimoine pour ne pas trahir son Dieu, il le confessera, lui aussi, s’il tombe entre les mains des bourreaux.

3° Cependant, en face des couronnes des martyrs, des gloires des confesseurs, des vertus de zios frères qui sont restés fidèles, nos âmes rie peuvent se défendre d’une certaine tristesse. L’ennemi, en exerçant ses fureurs contre l’Église, a fait tomber plusieurs de ses enfants et déchiré ses entrailles maternelles. Que dois-je faire, mes bien-aimés? le trouble s’empare de mon esprit. Que dire? que faire? Hélas! ce sont des larmes qu’il faut et non des paroles pour exprimer notre douleur, pour déplorer l’infortune d’un corps qui a vu périr tant de ses membres! Il faudrait un coeur de fer; il faudrait avoir abdiqué. tout sentiment de charité fraternelle, pour retenir ses larmes et tie pas éclater eu sanglots, en présence des ruines du peuple chrétien et des tristes victimes de la persécution. Je partage votre douleur, mes frères, et ne croyez (59) pas que je trouve une consolation suffisante dans la conservation de mes membres ou de ma santé. Le pasteur souffre surtout des blessures faites au troupeau. J’unis mon coeur à vos coeurs; je prends ma part de votre deuil et de vos peines. Je gémis avec ceux qui gémissent; je pleure avec ceux qui pleurent; il me semble que j’ai suivi dans leur chute ceux qui sont tombés. Les traits de l’ennemi ont percé mes membres; son glaive a traversé mes entrailles. J’ai ressenti plus que tout autre les atteintes de ht persécution et si mes frères sont tombés, l’amour que j’ai pour eux m’a terrassé à mon tour.

Cependant, mes frères bien-aimés, nous devons exposer la vérité dans tout son jour. La nuit que nous avons traversée était bien profonde sans doute; mais elle n’a pas entièrement obscurci nos esprits, et il nous reste assez de lumière pour lire dans les décrets de Dieu. Quand on connaît la cause d’un désastre, on en trouve plus facilement le remède. Le Seigneur a voulu éprouver sa famille. La loi évangélique s’était corrompue dans les douceurs d’une longue paix; un châtiment était donc nécessaire pour réveiller la foi endormie. Sans doute nos péchés méritaient un traitement plus rigoureux; mais la clémence divine a ménagé notre faiblesse et les derniers événements sont une épreuve plutôt qu’une persécution. Chacun. s’occupait à augmenter son patrimoine; peu soucieux de ce qu’on faisait au temps des apôtres et de ce qu’on devrait faire toujours, les chrétiens couraient avec une ardeur infatigable après les biens de la terre. Plus de zèle dans le sacerdoce, plus de fidélité dans les ministres des autels, plus de charité dans les oeuvres, plus de règle dans les moeurs. Les hommes teignaient leur barbe; les femmes fardaient leur visage. On couvrait de couleurs étrangères ses yeux et sa chevelure, et par là on dénaturait l’oeuvre de Dieu. Que de fraudes pour tromper les âmes simples! que d’inventions pour entraîner ses frères dans le piège ! On s’alliait, par le mariage, avec des infidèles: on prostituait à des idolâtres les membres du Christ. (61)

Non-seulement on faisait. des serments téméraires, mais encore on les trahissait. Mépriser ses supérieurs, prononcer des malédictions contre soi-même, nourrir contre ses frères des haines opiniâtres, était chose commune. Que dis-je? beaucoup d’évêques qui devaient à leur peuple la double leçon de la parole et de l’exemple, négligeaient l’administration de leurs églises pour administrer les biens de la terre ; ils quittaient leurs chaires et leurs troupeaux, parcouraient des provinces étrangères et couraient de marché en marché pour se livrer à un trafic illicite; insensibles aux besoins des pauvres, ils voulaient de l’argent en abondance; ils augmentaient leurs fonds par l’adresse et la fraude; ils multipliaient leur capital par l’usure.

4° Quel châtiment n’avions-nous pas mérité par de telles fautes? Écoutez l’Écriture : S’ils abandonnent ma loi, s’ils cessent de marcher selon mes préceptes, s’ils n’observent pas mes commandements et foulent aux pieds les moyens de justification que je leur présente, je châtierai leurs crimes avec la verge et je leur enverrai des fléaux pour punir leurs forfaits (Ps. LXXXVIII). Il y a longtemps que ces prédictions ont été faites; mais nous, peu soucieux d’observer la loi divine, nous avons multiplié nos prévarications et nous avons forcé le Seigneur à déployer toute sa sévérité pour punir nos fautes et éprouver notre foi. Si, du moins, par une conversion tardive, nous nous étions mis à même de supporter l’épreuve avec force et patience! Mais non; à la, première menace de l’ennemi, la plus grande partie de nos frères e. trahi sa foi; ceux-là n’ont pas été renversés par le choc de la persécution; ils sont tombés d’eux-mêmes. Était-il donc arrivé quelque chose de nouveau ou d’inouï pour leur faire trahir avec tant de précipitation le serment fait au Christ? Est-ce que ces événements étaient imprévus? Est-ce que les prophètes et les apôtres ne les avaient pas annoncés? Éclairés par l’Esprit-Saint, n’avaient-ils pas (63) prédit les épreuves des justes et les violences des pécheurs? L’Ecriture qui donne des armes à notre foi et fortifie de sa voix céleste les serviteurs de Dieu, nous dit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne serviras que lui seul. Pour nous rendre plus forts encore par la crainte du châtiment , elle ajoute : Ils ont adoré des idoles faites par leurs mains; ils se sont inclinés, prosternés devant elles; aussi je ne leur pardonnerai pas (Ps., II). Le Seigneur dit encore : Celui qui sacrifie à des dieux étrangers et non au seul Dieu véritable, périra (Exod., XXII), Enfin, dans l’Évangile, Jésus, qui mettait toujours en pratique ses propres leçons, n’atil pas annoncé tous les événements que nous voyons s’accomplir? N’a-t-il pas décrété des supplices éternels contre ceux qui renieraient son nom? N’a-t-il pas promis une récompense éternelle à ceux qui lui rendraient témoignage?

Hélas! beaucoup de chrétiens ont perdu de vue ces enseignements. Pour nier Jésus-Christ, ils n’ont pas attendu la sommation du juge; pour offrir l’encens aux idoles, ils n’ont pas attendu d’être entre les mains des bourreaux. Vaincus sans combat, terrassés avant la mêlée, il ne leur reste pas même l’excuse d’avoir cédé à la violence. D’eux-mêmes, ils ont couru au forum et se sont précipités vers la mort, comme s’ils la désiraient, comme s’ils profitaient d’une occasion attendue depuis longtemps.

Mais que dire de ceux que les magistrats. renvoyèrent au lendemain et qui insistèrent pour que leur perte ne fût pas différée? Peut on, pour excuser sa faute, alléguer la violence quand on a fait violence soi-même pour périr sur-le-champ? Quand vous êtes monté librement au Capitole, quand vous avez été sur le point de commettre votre forfait, n’avez-vous pas senti vos pieds chanceler, vos yeux s’obscurcir, vos entrailles (65) s’émouvoir, vos bras tomber de défaillance? N’avez-vous pas senti votre intelligence frappée de stupeur, votre parole interrompue, votre langue paralysée? Un serviteur de Dieu a pu se tenir debout devant l’autel, parler et renoncer au Christ, lui qui déjà avait renoncé au monde et au démon. Cet autel, où il a osé sacrifier, n’est-il pas le bûcher qui a consumé son innocence? Cet autel du démon, d’où s’élevaient de noires vapeurs, ne devait-il pas le fuir, comme s’il avait dû y laisser et son corps et sa vie? Pourquoi, malheureux, conduire une vidime avec vous? pourquoi la placer sur l’autel? C’est vous qui êtes la victime de votre honteux sacrifice. Vous immolez, vous brûlez, sur ce bûcher fatal, votre salut, votre espérance, votre foi.

Plusieurs ne se sont pas contentés de périr seuls : par leurs exhortations ils ont entraîné dans leur ruine beaucoup de leurs semblables et leur ont présenté, pour ainsi dire, la coupe de la mort Pour que le crime atteignit son apogée, des parents ont porté ou traîné leurs enfants devant les juges et leur ont ravi cette pureté angélique que le baptême leur avait conférée, à leur entrée dans la vie. Ne diront-ils pas au jour du jugement: " Nous sommes innocents; ce n’est pas nous qui avons quitté le banquet du Seigneur pour assister aux sacrifices profanes. La lâcheté des autres nous a perdu; nos pères nous ont donné la mort. Ils nous ont arraché du sein de l’Église et de Dieu; jeunes et sans expérience, nous ignorions leur forfait; sans le savoir, nous avons partagé leurs crimes et nous sommes devenus les victimes de leur perfidie."

5° Non, il n’est. pas d’excuse pour un tel attentat. Il fallait plutôt quitter votre patrie et sacrifier votre fortune. La. mort ne viendra-t-elle pas vous ravir l’une et l’autre? Pour rester fidèles au Christ, craignez seulement de perdre votre place dans la demeure éternelle. L’Esprit-Saint nous crie par la bouche du prophète: Éloignez-vous, éloignez-vous, sortez; ne touchez pas ce qui est impur; sortez du milieu du peuple ; restez à part, vous (67) qui portez les vases du Seigneur (Is., XXXII). Voilà ce que dit l’Esprit Saint : et ceux qui sont les vases du Seigneur et les temples de Dieu, forcés de se souiller par un contact impur et par des viandes immondes, ne sortent pas de la foule; ils ne se retirent pas ! Dans l’Apocalypse, nous entendons une voix venue du ciel qui dicte leurs devoirs aux serviteurs de Dieu : Sortez de Babylone, ô mon peuple, afin de ne pas partager ses crimes et de ne pas contracter ses souillures (Apoc. XVIII). Celui qui s’exile demeure innocent; mais celui qui s’associe aux crimes de la cité, par cela même, partage ses souillures. Aussi le Seigneur vous ordonne de vous retirer et de fuir pendant la persécution, et ce qu’il vous recommande, il l’a fait lui-même. C’est Dieu qui, dans sa miséricorde, nous donne la couronne; le temps où nous devons la recevoir est déjà fixé, donc celui qui se retire, en restant toujours uni au Christ, ne renie pas sa foi, mais il attend l’heure de la récompense. Celui qui tombe, pour n’avoir pas voulu se retirer, est responsable de son apostasie.

6° Ne dissimulons pas la vérité, mes frères, ne cachons ni l’origine ni la cause de nos blessures. Plusieurs se sont laissé séduire par un amour aveugle de leur fortune. Comment auraient-ils été prêts à se retirer, quand ils étaient attachés à la terre par tant de liens? Telles sont les entraves, telles sont les chaînes qui les ont retenus dans leur patrie. C’est ainsi que leur vertu a été arrêtée dans son essor, leur foi abaissée, leur intelligence enchaînée, leur âme réduite en captivité. Dominés par les passions terrestres, ils sont devenus la proie du serpent, qui, selon la sentence divine, dévore la terre.

Aussi le Seigneur vous dit: Si vous voulez être parfait, allez, vendez tous vos biens, donnez-les aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le Ciel; puis, venez et suivez-moi (Matt., XIX). Si les riches (69) suivaient ce précepte, leurs richesses ne seraient pas pour eux une cause de ruine. En plaçant leur trésor dans le Ciel, ils n’auraient pas en lui un ennemi domestique: leur coeur, leur esprit, leur pensée seraient dans le Ciel, si leur trésor y était. De plus, ils ne pourraient être vaincus par le siècle, puisque le siècle n’aurait sur eux aucune prise. Dégagés de toute entrave, ils suivraient Jésus-Christ, comme les apôtres et les premiers fidèles, comme tant d’autres, qui, après avoir quitté leurs parents et leurs possessions, s’attachèrent au Christ par des liens indissolubles. Mais comment suivre le Christ, quand on est retenu ici-bas par les liens de la fortune? Comment s’élever vers les hauteurs du ciel, quand on est appesanti par les passions terrestres? On croit posséder et on est possédé soi-même; on cesse d’être le maître de sa fortune, pour en devenir l’esclave. C’est l’enseignement de l’apôtre : Ceux qui veulent être riches tombent dans la tentation et dans le piége, dans beaucoup de désirs inutiles et nuisibles qui précipitent l’homme à sa ruine. Car la racine de tous les maux est la cupidité; ceux qui ont voulu suivre ses attraits ont fait naufrage dans la foi et se sont créé bien des douleurs (I, Tim., VI.).

Le Seigneur nous exhorte à mépriser les biens de ce monde; il fait les plus magnifiques promesses à ceux qui ont le courage de les sacrifier. Quiconque, dit-il, laissera sa maison ou ses champs ou ses parents ou ses frères ou son épouse ou ses fils, pour le royaume de Dieu, recevra le centuple en ce monde et dans le siècle futur la vie éternelle (Marc, X). Puisque ces choses nous sont connues, ainsi que la vérité des promesses divines, non seulement nous ne devons pas craindre les pertes de ce genre, mais nous devons les désirer. Vous serez bienheureux, dit encore Jésus-Christ, lorsque vous serez persécutés , emprisonnés, chassés par les hommes; lorsqu’ils maudiront votre nom, comme (71) mauvais, à cause de moi. Réjouissez-vous alors, tressaillez d’allégresse, car votre récompense est grande dans le Ciel (Luc, VI).

7° Mais à tout cela s’ajoutent les supplices, et la résistance attire de cruelles tortures. Ils peuvent se plaindre des tourments ceux qui ont été vaincus par eux; il peut donner la douleur pour excuse, celui qui a succombé sous la douleur. Cet homme peut dire : J’ai voulu combattre avec courage; fidèle à mon serment, je me suis revêtu de l’armure du dévouement et de la foi; mais, dans le combat, j’ai cédé devant la rigueur des tortures et des supplices. Ferme dans ma résolution et dans ma croyance, j’ai résisté et mon âme, immobile, a lutté longtemps contre là souffrance; mais le juge, irrité par ma résistance, a doublé ses rigueurs : mon corps déjà exténué a été déchiré par le fouet, meurtri par le bâton, étendu sur le chevalet, sillonné par les ongles de fer, brûlé par la flamme; alors la chair m’a trahi au milieu de la lutte, mes entrailles ont faibli; ce n’est pas mon âme, mais mon corps qui a succombé dans la douleur.

8° On peut pardonner à une semblable faiblesse; une telle excuse doit exciter la pitié. Ainsi le Seigneur pardonna naguère à Castus et à Émilius. Vaincus dans un premier combat, un second leur donna la victoire; après avoir cédé au feu, ils se montrèrent plus forts que lui, et le supplice qui les avait vaincus devint l’instrument de leur triomphe. Quand ils imploraient leur pardon, ils ne se bornaient pas à répandre des larmes : ils montraient leurs blessures; ils ne poussaient pas des cris lamentables : ils laissaient parler leurs corps déchirés. Au lieu des pleurs, c’était le sang qui coulait de leurs entrailles à demi-consumées. Mais, aujourd’hui, quelles plaies les vaincus peuvent-ils nous montrer? où sont leurs entrailles torturées, leurs membres meurtris? Hélas! leur foi n’a pas succombé dans une lutte que ! leur lâcheté avait eu soin (73) d’éviter. Quand le crime est dans la volonté, comment l’excuser par la violence?

Mon intention n’est pas d’exagérer la culpabilité de nos frères; mais plutôt de les porter à la pénitence. Il est écrit : Ceux qui vous disent heureux vous trompent et mettent des obstacles sur votre chemin (Isaïe, III). Flatter le pécheur c’est fournir un nouvel aliment à ses crimes loin d’en arrêter le développement, on le favorise ; mais celui qui a le courage d’avertir son frère et de le réprimander assure son salut. Ceux que j’aime, dit le Seigneur, je les reprends et je les châtie (Apoc., III). Le ministre de Dieu doit donc avoir recours, non à une obséquiosité trompeuse, mais à des remèdes salutaires. Un médecin qui n’ose toucher et sonder une plaie en augmente la corruption. Il faut l’ouvrir, faire des incisions, couper les chairs putréfiées et appliquer le remède. Le ma1ade, dans sa souffrance, pourra crier et se plaindre, mais une fois guéri, il remerciera le médecin.

9° Un mal nouveau a paru parmi nous; et, comme si la tempête de la persécution n’avait pas causé assez de désordres, une peste agréable et trompeuse s’est glissée parmi les fidèles, sous le nom spécieux de pardon, et de miséricorde. Malgré l’Évangile et la loi de Dieu, il se trouve des téméraires qui accordent la. paix, et la communion à des pécheurs non préparés : inutile et fausse paix, pernicieuse à ceux qui la donnent, inutile à ceux qui la reçoivent. Ils n’exigent pas des malades la patience et la satisfaction, qui sont pourtant les seuls remèdes efficaces. Aussi la pénitence est bannie du coeur des chrétiens, et on leur fait perdre le souvenir des crimes les plus énormes. On se contente de couvrir les plaies des mourants et on dissimule des blessures profondes et mortelles. Au retour des autels du démon, ils approchent du saint du Seigneur, les (75) mains encore souillées par les sacrifices des idoles. La bouche infectée par les viandes immolées, ils viennent s’emparer du corps du Sauveur, malgré l’Écriture qui leur crie : Tout homme pur mange la chair du sacrifice; si un homme flétri par quelque souillure ose y prendre part, il périra du milieu du peuple (Lev., XXII). L’apôtre tient le même langage : Vous ne pouvez, dit-il, boire le calice du Seigneur et celui du démon; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à celle du démon (2). Il emploie la menace contre ceux qui s’obstinent dans leurs téméraires desseins. Quiconque, dit-il, mangera le pain eucharistique ou boira le calice du Seigneur indignement sera coupable d’un crime contre le corps et le sang de Jésus-Christ (I, Corint., XI.. Au mépris de tous ces avertissements, on fait violence au, corps et au sang de Jésus-Christ; on porte sur lui une main téméraire; on le reçoit dans une bouche souillée et par là on l’offense plus gravement que lorsqu’on le renie.

10° Avant d’avoir expié leur crime, de l’avoir confessé, d’en avoir obtenu le pardon par l’imposition des mains du prêtre et la vertu du sacrifice, avant d’avoir apaisé un Dieu irrité qui les menace, ils croient que la paix que certains se vantent faussement de leur donner est une paix véritable. Ce n’est pas la paix, c’est la guerre : celui qui se sépare de l’Évangile ne peut être uni à l’Église. Pourquoi parer des couleurs de la piété une cruauté grossière? Pourquoi ravir les gémissements de la pénitence à des hommes qui devraient passer leur vie dans la prière et dans les larmes et faire semblant de communiquer avec eux? Ces lâches condescendances sont aux pécheurs ce qu’est la grêle aux fruits , une constellation maligne aux arbres, la peste aux troupeaux. et la tempête aux navires. Elles leur ôtent leur consolation dernière, l’espérance. Ainsi (77) l’arbre est arraché jusqu’à ses racines; des paroles mortelles répandent partout leur contagion; le navire se brise sur les écueils et n’arrive pas au port. Une pareille facilité enlève la paix au lieu de la donner. Non-seulement elle ne remet pas le pécheur en communion avec l’Église, mais elle lui ferme la porte du salut.

C’est là une nouvelle persécution; c’est une tentation dont l’ennemi se sert pour achever de perdre ceux qui sont tombés, pour faire cesser leurs regrets, pour charmer leur douleur, pour leur faire perdre le souvenir de leur crime, pour arrêter leurs soupirs, pour sécher leurs larmes et pour empêcher qu’après avoir gravement offensé Dieu, ils ne le fléchissent par une longue et pleine satisfaction. Cependant il est écrit : Souviens-toi d’où tu es tombé et fais pénitence (Apoc., II).

11° Que personne ne se fasse illusion : Dieu seul peut faire grâce au pécheur. Celui-qui a porté le fardeau de nos iniquités, qui a souffert pour nous, qui s’est livré à la mort pour expier nos crimes est le seul qui puisse pardonner les fautes commises contre lui. L’homme ne peut pas être supérieur à Dieu; l’esclave ne peut pas accorder la rémission d’une faute qui s’adresse à son maître. Que le pécheur, en se berçant d’une telle espérance, prenne donc garde de devenir plus coupable; car il est écrit : Maudit soit l’homme qui place son espérance dans l’homme (Jér., XVII.). C’est Dieu qu’il faut prier; c’est Dieu qu’il faut désarmer par nos oeuvres satisfactoires : Dieu ‘qui est le juge suprême et, qui reniera ceux qui le renient.

Nous croyons, à la vérité, que les mérites des martyrs et les oeuvres des justes peuvent beaucoup auprès du souverain juge; mais ce ne sera que pour le jour du jugement, lorsque, à la fin du monde, les chrétiens comparaîtront devant le (79) tribunal du Christ. Si quelqu’un est assez téméraire pour prévenir le temps; si, contre le commandement du Sauveur, il croit pouvoir accorder le pardon aux coupables, qu’il sache, qu’au lieu de leur être utile, il leur est au contraire très-nuisible. C’est irriter Dieu que de ne pas lui obéir; de croire qu’on peut se passer d’implorer sa miséricorde et pardonner à sa place. Sous l’autel du Seigneur, les âmes des martyrs crient à haute voix : Quand donc, ô Dieu saint et véritable, vengerez-vous notre sang sur les habitants de la terre (Apoc., VI.)? Une voix leur répond d’attendre avec patience. Et on suppose qu’un homme, contre l’autorité du Souverain juge, peut remettre les péchés; on croit qu’il peut défendre les autres, avant d’être vengé lui-même !

12° Les Martyrs donnent un ordre; c’est bien: s’il est juste, licite, conforme à la volonté de Dieu, le prêtre l’exécutera volontiers , pourvu qu’il soit conçu en termes modérés. Mais si de qu’ils ordonnent n’est pas écrit dans la loi divine, avant de l’exécuter, nous, devons savoir si Dieu les autorise à agir de la sorte. Or, comment savoir si Dieu se charge d’accomplir les promesses faites par les hommes? Moïse prie pour les péchés du peuple et pourtant il ne peut obtenir la grâce des pécheurs. Je vous en prie, Seigneur, ce peuple a commis une grande faute en se faisant des idoles d’or; faites-lui grâce, sinon, effacez-moi du livre écrit par voire main. Et le Seigneur répond à Moïse : Si quelqu’un pèche en ma présence, je l’effacerai de mon livre (Ex., XXXI). Ainsi, l’ami de Dieu, celui qui lui parlait face à face ne pût obtenir l’effet de sa prière ni apaiser la colère divine. Le Seigneur loue Jérémie en ces termes : Avant de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais; avant ton entrée dans ce. monde, je t’ai sanctifié et je t’ai (81) établi prophète au milieu des nations (Jér., II). A peine Jérémie veut-il prier pour les péchés du peuple, que le Seigneur lui répond : Ne prie pas pour ce peuple, ne m’adresse pas de supplications en sa faveur, car je ne l’exaucerai pas quand il criera vers moi, au jour de l’affliction (Jér., VII). Qui fut jamais plus saint que Noé ? Il fut seul trouvé juste sur la terre, alors que le péché en couvrait toute la face. Qui fut plus glorieux que Daniel? qui combattit avec plus de force et de générosité? il sortit vainqueur de toutes les épreuves et survécut à sa victoire. Qui, plus que Job, fut zélé pour les bonnes oeuvres, fort dans la tentation, patient dans la douleur, pénétré de la crainte de Dieu, sincère dans sa foi? Et pourtant Dieu n’a pas promis d’exaucer ces augustes personnages. Le prophète Ezéchiel priait pour les péchés du peuple; Dieu lui répondit en ces termes : Si une contrée m’offense, j’étendrai ma main sur elle, je détruirai ses ressources, j’y enverrai la famine et j’anéantirai les hommes et les animaux. Quand bien même Noé, Daniel et Job seraient au milieu de ce peuple, ils ne pourraient délivrer de là mort leurs fils et leurs filles; eux seuls seraient sauvés (Ezéc., XIV). Ce qu’on demande dépend non de celui qui prie, mais de celui qui donne. L’homme ne peut obtenir que ce que Dieu daigne lui accorder.

Le Seigneur dit dans l’Évangile: Celui qui me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai moi aussi devant mon Père qui est dans le Ciel. Celui qui me reniera, je le renierai (Luc, XII.) Supposer que Dieu ne renie pas celui, qui l’a renié, c’est admettre qu’il ne reconnaît pas celui qui l’a reconnu. Une partie de l’Évangile ne peut pas être vraie et l’autre fausse : il faut qu’il soit ou vrai ou faux dans son entier. Si vous innocentez les apostats, les confesseurs n’ont aucun droit à la (83) récompense. Mais l’Évangile promet une couronne à la foi victorieuse donc la lâcheté vaincue mérite un châtiment. Ainsi, de deux choses l’une, ou l’Évangile n’a aucune autorité et, dans ce cas, les martyrs ne peuvent rien, ou l’Évangile reste dans son entier et alors les martyrs ne peuvent pas aller contre la loi à qui ils rendent témoignage.

13° Que personne, mes frères bien aimés ne flétrisse la dignité des martyrs, que personne ne leur ravisse leur gloire et leur couronne. Ils conservent dans son intégrité le dépôt de la foi; ils ne peuvent ni agir ni parler contre le Christ, alors que leur espérance, leur foi, leur vertu et leur gloire se trouve dans le Christ. Ils ne peuvent engager les évêques à transgresser les ordres de Dieu, alors qu’ils les ont eux-mêmes si généreusement accomplis. N’est-ce pas se croire supérieur à Dieu en puissance et en bonté, que de vouloir anéantir des faits dont il a permis la réalisation ou de permettre aux fidèles un vain secours; comme si Dieu ne pouvait protéger son Église? Ces événements, croyez-le bien, ne sont pas arrivés à l’insu de Dieu ou sans sa permission. L’Ecriture nous dit: Qui a livré Jacob au pillage et Israël entre les mains des ravisseurs? N’est-ce pas le Dieu qu’ils ont offensé? Ils n’ont voulu ni marcher à sa suite ni entendre sa loi, et il les a frappés dans sa colère (Is., XLII.). Nous lisons encore : Est-ce que la main de Dieu ne peut nous sauver? Est-ce que son oreille ne peut nous entendre? Mais vos péchés mettent une séparation entre Dieu et vous, et il détourne sa face pour ne pas être touché par la pitié (Is., LIX). Rappelons-nous nos fautes, examinons nos actes, sondons les secrets de notre âme et reconnaissons que le châtiment n’était que trop mérité. Nous n’avons jamais voulu marcher dans les voies du Seigneur, nous avons repoussé sa loi, ses préceptes, ses avertissements. Que penser d’un homme (85) qui n’a pu être corrigé ni par la terreur ni par la persécution? A-t-il la foi? a-t-il la crainte de Dieu?. Non : malgré sa chute, il conserve sa fierté et continue à lever la tête. L’épreuve qui l’a terrassé n’a pu vaincre cet orgueil indomptable. Il tombe, et il insulte ceux qui sont debout; il est blessé, et il menace ceux qui ont conservé l’intégrité de leurs forces. Parce qu’on ne place pas le corps et le sang de Jésus-Christ entre ses mains impures et sur ses lèvres profanes, il s’irrite contre les prêtres. Étrange folie! Vous vous irritez contre celui qui tâche de détourner de votre tête la colère de Dieu. Vous menacez celui qui implore pour vous la miséricorde du Seigneur; qui sent ,votre plaie que vous ne sentez pas vous-même; qui répand des larmes pour vous, lorsque peut-être vous n’en répandez pas. N’est-ce pas augmenter votre crime et le porter à son comble? Et vous pensez pouvoir apaiser Dieu, tandis que ses ministres ne sauraient vous apaiser vous-même?

14° Ah! plutôt, écoutez nos conseils! Pourquoi vos oreilles se ferment-elles à notre parole? Pourquoi vos yeux aveuglés ne voient-ils pas le chemin de la pénitence que nous vous montrons? Pourquoi votre esprit, en proie à la démence, ne comprend-il pas les remèdes salutaires que nous fournissent les saintes Écritures? Si vous croyez peu à l’avenir, du moins regardez le présent. N’avons-nous pas vu des apostats sévèrement punis? ne déplorons-nous pas encore leur trépas funeste? Dieu ne pouvait s’empêcher de les frapper, quoique le jour du châtiment suprême soit encore à venir; car le châtiment de quelques coupables sert à corriger les autres et devient un exemple pour tout le peuple chrétien.

Un homme monta au Capitole pour apostasier; il renia Jésus-Christ, et de suite après, il devint muet. La langue qui proféra l’apostasie fut paralysée et incapable d’implorer par des paroles la miséricorde divine.

Une femme coupable du même crime se rendit aux bains. L’insensée, après avoir perdu la grâce du bain salutaire, elle (87) allait laver son corps. — Là, elle fut saisie par l’esprit impur, se roula par terre et, avec ses dents, coupa cette langue qui, venait de proférer des blasphèmes et de se souiller par le contact des viandes immolées. Ce n’est pas assez: sa rage se tourna contre elle-même; elle devint son propre bourreau, couvrit son corps de plaies hideuses; enfin ses entrailles se décomposèrent et elle mourut dans d’atroces douleurs.

J’ai été moi-même témoin du fait suivant. Des parents, fuyant les rigueurs de la persécution, laissèrent leur fille encore enfant entre les mains d’une nourrice. Celle-ci porta l’enfant aux magistrats. Comme, à cause de son âge, elle ne pouvait pas encore manger de viande, on lui donna un peu de pain trempé de vin, reste d’un sacrifice précédent. Plus tard, la mère reprit sa fille. Mais l’enfant ne pouvait déclarer un crime dont elle n’avait aucune connaissance. Elle fut donc portée à l’église, alors que j’offrais moi-même le saint sacrifice. Mais à peine fut-elle au milieu de l’assemblée des fidèles, qu’elle ne put supporter nos prières. Elle se mit à pleurer; dans sa fureur étrange, elle se frappait, se jetait par terre, se tordait comme sous la main du bourreau, enfin elle indiquait à sa manière qu’elle n’était pas digne d’assister à nos mystères. A la fin du sacrifice, quand le diacre présenta le calice aux fidèles, il s’approcha aussi de l’enfant; mais elle, comme frappée par la majesté divine, détournait la tête, serrait les lèvres, repoussait le calice. Le diacre persista cependant et, malgré sa résistance, il glissa dans la bouche de l’enfant quelques gouttes de vin consacré. Alors vinrent les convulsions et les vomissements. L’Eucharistie ne pouvait rester dans un corps et dans une bouche souillée le sang divin en sortait violemment. C’est ainsi que le Seigneur manifesta sa puissance et sa majesté ; il éclaira lui-même les ténèbres et le ministre de Dieu découvrit le crime dans toute son horreur.

Je viens de parler d’une enfant, incapable de redire l’attentat dont elle avait été la victime; mais une autre fille plus avancée (89) en âge fut traitée avec bien plus de sévérité. Après avoir sacrifié aux idoles, elle se glissa en secret dans nos rangs; l’Eucharistie devint pour elle comme un glaive, comme un poison mortel. A peine le sang divin fut-il dans sa poitrine, que sa gorge se ferma, en lui causant d’affreuses suffocations. Ce n’était plus le bourreau c’était son crime qui la torturait; enfin elle tomba sur le sol en proie à d’affreuses palpitations. Son sacrilège ne resta pas longtemps impuni, et après avoir trompé les hommes, elle succomba sous la vengeance divine.

Une autre voulut ouvrir avec des mains impures la cassette où elle conservait la sainte Eucharistie; mais il en sortit une flamme qui la repoussa et l’empêcha de toucher le pain consacré.

Un chrétien, sortant des sacrifices idolâtriques, se présente à l’autel du Seigneur; il ose, avec les autres, recevoir l’Eucharistie; mais il ne peut la porter à sa bouche; en ouvrant ses mains il n’y trouve que de la cendre. Cet exemple nous montre que le Seigneur se retire lorsqu’on le renie. Ainsi la communion ne sert de rien aux indignes, puisque la sainteté de Dieu disparaît et que la grâce divine se change en cendre.

Combien d’autres, qui s’obstinent à ne pas faire pénitence et à ne pas confesser leurs crimes, sont possédés chaque jour par les esprits impurs ! Combien d’autres perdent la raison et tombent dans les fureurs de la démence! Il n’est pas nécessaire d’entrer dans de plus longs détails: les fléaux qui s’abattent sur le monde nous montrent que la diversité des châtiments est aussi grande que le nombre des coupables.

Or, mes frères, ne nous bornons pas à considérer les châtiments des autres, mais voyons ce que nous avons mérité nous-mêmes. Peut-être n’avons-nous pas encore été frappés, c’est possible; mais ne nous croyons pas à l’abri de la justice divine; car nous n’avons jamais plus lieu de trembler que lorsque Dieu diffère notre punition. (91)

Il en est qui, sans prendre part aux sacrifices, ont reçu des billets : ceux-là ne doivent pas se croire dispensés de la pénitence; car si leurs mains sont pures, leur conscience est souillée. C’est véritablement un acte d’apostasie, puisqu’ils ont répudié leur caractère de chrétien et qu’ils ont déclaré s’associer aux crimes des infidèles. II est écrit : Vous ne pouvez servir deux maîtres; or, vous avez obéi aux maîtres de la terre; vous vous êtes soumis à leurs édits; vous avez mieux aimé obéir aux hommes qu’à Dieu. Peut-être, devant les hommes, paraîtrez-vous moins lâche et moins criminel; mais vous ne pourrez éviter le juge suprême. Vos yeux, dit le psalmiste, ont vu mes imperfections et tous sont écrits dans votre livre.

L’homme ne voit que le visage, mais Dieu regarde le coeur.... toutes les églises sauront, dit le Seigneur, que c’est moi qui scrute les coeurs et les reins. Dieu voit les choses cachées, il pénètre tous les secrets, personne ne peut se soustraire à. ses regards: Je ne suis pas éloigné de vous, dit-il, je suis à votre côté. Si vous vous cachez dans des retraites obscures, est-ce que je ne vous verrai pas? Je remplis le ciel et la terre (Jér. XXIII). Dieu voit nos coeurs. Il nous jugera, non-seulement sur nos actes, mais sur nos paroles et sur nos pensées, car il pénètre les profondeurs de l’âme et connaît toutes ses volontés.

Ah ! qu’ils sont pins avancés dans la foi et dans la crainte de Dieu ces chrétiens qui n’ont pris part à aucun sacrifice, qui n’ont accepté aucun billet, mais qui pourtant en ont eu la pensée. Vous les voyez, la douleur dans l’âme, avouer aux prêtres cette pensée coupable. lis confessent leurs fautes, ils déposent le poids qui chargeait leur conscience, et quoique leurs blessures soient légères, ils ont recours au remède institué par Jésus-Christ. Ils savent qu’il est écrit : On ne se moque pas de Dieu. En effet, on ne trompe pas Dieu comme l’homme, et ce serait se rendre plus coupable encore que de vouloir éviter le (93) châtiment parce que le crime est secret. Si quelqu’un rougit de moi, dit Jésus-Christ, moi aussi je rougirai de lui. Et on croit être chrétien quand on a honte de paraître chrétien! et on croit pouvoir être avec le Christ, quand on a craint ou qu’on a rougi de lui appartenir! Vous n’avez pas paru devant les idoles; vous n’avez pas profané la sainteté de votre foi, en présence d’un peuple qui vous poursuivait de ses insultes; vous n’avez pas souillé vos mains par des sacrifices criminels, votre bouche par une nourriture immonde : c’est bien; votre faute est moins grave; mais vous n’êtes pas innocent. Vous pouvez plus facilement obtenir votre pardon; mais vous avez besoin de pardon. Continuez à. faire pénitence, implorez la miséricorde divine, et prenez garde d’aggraver votre faute en négligeant de la réparer.

15° Je vous en supplie, mes frères bien-aimés, confessez tous vos péchés, pendant que vous êtes encore sur cette terre, pendant que votre confession peut être entendue, pendant que la rémission de vos fautes, opérée par le prêtre, peut être agréée de Dieu. Convertissons-nous au Seigneur de toute notre âme; ayons un regret véritable de nos crimes, et implorons la divine miséricorde. Que notre âme se prosterne devant lui; pénétrée d’une douleur profonde , qu’elle expie ses fautes et qu’elle ranime son espérance. Revenez à moi, dit le Seigneur, de tout votre coeur, livrez-vous aux jeûnes, aux gémissements, aux larmes, et déchirez vos coeurs et non vos vêtements.

C’est ainsi qu’on apaise la justice divine. Mais il est des pécheurs qui, depuis leur chute, vont chaque jour aux bains, qui prennent place à. des tables somptueuses, qui chargent leur estomac d’une multitude de viandes et ne partagent jamais leur nourriture avec le pauvre: est-ce là ce qu’on appelle déplorer sa faute, s’abandonner aux jeûnes, aux larmes, aux gémissements? Pleurent-ils sur leur mort spirituelle quand ils s’avancent d’un air joyeux et satisfait? Malgré la défense de l’Écriture, ils arrachent leur barbe et fardent leur visage; ils cherchent à plaire aux hommes, alors qu’ils déplaisent à. Dieu. Cette femme (95) gémit-elle sur sa chute, lorsqu’oubliant le vêtement du Christ qu’elle a perdu, elle ne songe qu’à se parer avec magnificence? Elle a perdu la grâce et elfe pense à ses bijoux et à ses colliers! Ah! vous avez beau vous couvrir d’étoffes étrangères et de robes de soie, vous êtes nue. Vous avez beau entasser sur vos épaules l’or, les perles et les diamants, si le Christ ne vous sert de parure, il n’y a en vous que difformité. Cessez du moins de parfumer vos cheveux, puisque c’est le temps des grandes douleurs. Vous qui souillez vos yeux d’ornements empruntés essuyez-les du moins avec vos larmes. Si vous perdiez un des êtres qui vous sont chers, on vous verrait gémir et pleurer; votre visage inculte, vos habits de deuil, votre chevelure négligée, votre front soucieux, vos regards abattus trahiraient la douleur de votre âme. Malheureux, c’est votre âme que vous avez perdue! morte spirituellement, vous vous survivez à vous-même, vous portez vos propres funérailles; et vous ne pleurez pas, vous ne gémissez pas amèrement! Honteux de votre crime, vous n’allez pas cacher vos larmes dans une retraite obscure! Ah! il est une chose plus grave que le crime lui-même, c’est de s’obstiner à ne pas le reconnaître et à ne pas le déplorer.

16° Les trois enfants captifs à Babylone, Ananias, Azarias, Misael confessaient leurs fautes à. Dieu au milieu des flammes d’une fournaise ardente. Malgré le témoignage de leur conscience, malgré la grâce divine qu’ils avaient méritée par leur obéissance et leur fidélité, ils étaient toujours humbles et, au sein de leur glorieux martyre, ils ne cessaient de satisfaire à Dieu. Écoutez l’Écriture : Azarias debout au milieu des flammes, commença sa prière et fit avec ses compagnons la confession de ses fautes (Dan., III).

Telle fut aussi la conduite de Daniel. Après avoir, dans plusieurs circonstances, donné des preuves de son innocence et de sa fidélité, après avoir vu ses vertus honorées des éloges de (97) Dieu lui-même, il s’efforce encore d’attirer sur lui la miséricorde divine; il se couvre d’un sac, il se roule sur la cendre, il confesse ses fautes avec douleur. Seigneur, s’écrie-t-il, Dieu grand, Dieu fort et redoutable, qui conserves ton alliance et tes miséricordes avec ceux qui t’aiment et qui obéissent à ta loi, nous avons péché, nous avons commis l’impiété et le crime; nous avons transgressé et abandonné tes préceptes et tes commandements; nous n’avons pas prêté l’oreille aux paroles de tes prophètes qui ont prophétisé en ton nom sur nos rois, nos peuples et notre patrie. A toi, Seigneur, la gloire et la sainteté; à nous la confusion.

Voilà ce qu’ont fait ces âmes simples et innocentes pour se rendre Dieu favorable: et maintenant ceux qui l’ont renié refusent de le prier et de satisfaire à sa justice! Je vous en prie, mes frères, suivez nos conseils, profitez du remède salutaire. Unissez vos larmes à. nos larmes, vos gémissements à nos gémissements. Nous vous prions d’abord, afin que nos prières soient efficaces auprès de Dieu et qu’elles fléchissent sa justice en votre faveur. Faites pénitence; qu’on voie en vous la tristesse et les gémissements du repentir. Ne vous laissez pas arrêter par l’erreur ou la stupidité de certains hommes qui poussent l’aveuglement jusqu’à. méconnaître leurs crimes et à. ne pas les pleurer. C’est le châtiment le plus sévère que Dieu puisse infliger à. un pécheur; c’est l’esprit de vertige dont parle le prophète. Saint Paul nous dit à son tour (Thess., II) : Ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité, qui aurait pu les sauver; c’est pourquoi le Seigneur leur enverra l’esprit d’erreur, et ils croiront au mensonge. Ainsi la justice de Dieu frappe ceux qui repoussent la vérité et se complaisent dans le crime. En effet, ces hommes superbes paraissent en proie à la folie, ils méprisent les préceptes du Seigneur; ils négligent le remède; ils s’obstinent dans l’impénitence. Imprudents avant le crime, ils (99) deviennent ensuite rebelles. Ils cèdent à la menace et ‘ils rougissent de paraître en suppliants. Quand ils devaient se tenir debout, ils sont tombés; et maintenant qu’on leur dit de se prosterner devant Dieu, ils veulent rester debout; ils usurpent une paix que personne n’a mission de leur donner. Séduits par des promesses trompeuses, ils s’unissent aux apostats et aux traîtres; ils reçoivent l’erreur au lieu de la vérité; ils se mettent en communion avec des excommuniés. Naguère la crainte des hommes les empêchait de croire en Dieu maintenant la crainte de Dieu ne les empêche pas de croire aux hommes. Fuyez-les, évitez-les avec soin. Leur parole se glisse comme un serpent; elle pénètre les âmes comme une contagion

mortelle; c’est un venin qui tue plus cruellement encore que la persécution. Je le répète, il n’y a qu’un moyen d’expiation, la pénitence: ceux qui vous enlèvent la pénitence vous enlèvent l’expiation; ainsi, en acceptant témérairement une fausse sécurité promise par des téméraires, on se ferme à. soi-même le chemin du véritable salut.

17° Pour vous, mes frères biens-aimés, qui conservez la crainte de Dieu, vous dont la conscience coupable ne perd pas le souvenir de son état, reconnaissez vos péchés avec douleur, repassez-les dans l’amertume de votre âme, ouvrez les yeux du coeur pour en comprendre toute la gravité et, pleins d’espoir dans la miséricorde du Seigneur, gardez-vous bien de vous attribuer un pardon trop facile. Si Dieu a tout l’amour, toute la bonté, toute l’indulgence d’un père, il a aussi la sévère majesté d’un juge.

Que nos larmes soient en rapport avec la grandeur de nos fautes. Si la plaie est profonde, appliquons un remède, énergique; que la pénitence ne soit pas inférieure au péché. Vous avez renié votre Dieu, vous lui avez préféré votre patrimoine, vous avez violé son temple par un sacrilège, et vous croyez pouvoir l’apaiser facilement? Vous avez dit qu’il n’était pas votre Dieu, et vous croyez avoir sur-le-champ des droits à sa (101) miséricorde? Priez, prolongez vos supplications; passez les jours dans les larmes, les nuits dans les veilles, étendus sur le cilice; n’interrompez pas vos gémissements; roulez-vous dans la cendre et dans la poussière. Le Christ vous couvrait comme un manteau; vous l’avez perdu: quel autre vêtement pourriez-vous désirer? Vous avez mangé la nourriture du démon, choisissez le jeûne ; vous avez commis des fautes, effacez-les par des, oeuvres de miséricorde; vos âmes sont menacées de la mort éternelle, délivrez-les par d’abondantes aumônes. Donnez au Christ ce que l’ennemi cherchait à vous ravir. Pourriez-vous vous attacher à des biens qui, en vous trompant, ont causé votre rune? On doit les sacrifier pour échapper à l’ennemi; on doit les fuir pour échapper aux voleurs, les vendre pour échapper au glaive. S’il vous en reste, le seul avantage que vous puissiez en retirer c’est le rachat et l’expiation de vos fautes. Multipliez donc vos bonnes oeuvres; employez tous vos revenus à la guérison de vos blessures; remettez toute votre fortune entre les mains de ce Dieu qui doit vous juger.

C’est ainsi qu’agissaient les premiers chrétiens. Leur foi était active et généreuse. Ils confiaient tout leur bien aux apôtres pour les distribuer en aumônes; et pourtant ils n’avaient pas à racheter les fautes sur lesquelles vous gémissez. Si vous priez, si vous avez recours aux larmes et aux gémissements de la pénitence, si vous fléchissez, par vos oeuvres, la justice divine, le Seigneur vous fera miséricorde. Il vous a dit lui-même : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Revenez au Seigneur votre Dieu, dit-il encore, car il est bon, miséricordieux, patient, prêt à pardonner toutes nos iniquités. Il peut faire grâce au coupable et révoquer ses arrêts; il peut pardonner au pénitent qui multiplie ses bonnes oeuvres et ses prières; il peut avoir égard à ce que demandent les martyrs et à ce que font les prêtres. Si quelqu’un le touche davantage par ses oeuvres satisfactoires, s’il apaise son indignation par l’ardeur de ses prières, il lui (103) donnera des armes nouvelles;jusque dans sa défaite, il lui enverra de nouveaux secoure pour renouveler et fortifier sa foi. Alors le soldat retournera au combat, il rentrera dans la mêlée, il provoquera l’ennemi et le regret d’avoir été vaincu doublera ses forces. Celui qui satisfera ainsi au Seigneur et qui, animé par la honte et le repentir, tirera de sa chute, avec l’aide de Dieu, une augmentation de courage et de foi, celui-là réjouira l’Église qu’il avait attristée, et obtiendra, avec son pardon, la couronne de vie. (105)

 

 

 

 

 

DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE

1° Exhortation à la vigilance; — 2° Les hérésies; — 3° Principe de l’unité; — 4° Obligation de s’en tenir à l’unité; — 5° Figures; — 6° Les chefs de secte; — 7° Leur crime; — 8° Les hérésies prédites; — 9° Union des premiers fidèles; — 10° Affaiblissement de la foi.

1° Le Seigneur nous dit : Vous êtes le sel de la terre (Matt. V). Il nous recommande l’innocence et la simplicité; mais il veut qu’a ces. vertus nous joignions la prudence. Cela posé, quoi de plus utile pour nous, mes frères bien-aimés, que de nous tenir sur nos gardes, de veiller avec sollicitude, de comprendre et de déjouer les embûches de notre mortel ennemi? Quelle honte en effet si, revêtus de Jésus-Christ, la sagesse du père, nous manquions de cette sagesse élémentaire qui nous conduit au salut? Nous n’avons pas à craindre seulement la persécution et ses dangereuses tentatives: quand le péril est manifeste, on se tient facilement sur ses gardes; on se prépare au combat, quand l’ennemi marche le front levé. Il est bien plus à craindre lorsqu’il s’approche en secret, lorsque, sous l’apparence d’une paix trompeuse, il se glisse dans l’ombre, comme le serpent dont il porte le nom. Son astuce est toujours la même; les (107) moyens ténébreux qu’il emploie pour nous séduire n’ont pas changé. Dès le commencement du monde, il s’attaqua au premier couple humain, et, à l’aide de mensonges flatteurs, il trompa ces âmes encore neuves et simples. Il s’attaqua de même à Jésus-Christ; il s’approcha de lui en secret, espérant réussir de nouveau dans son entreprise; mais il fut découvert, et par suite repoussé. Apprenons par cet exemple à ne pas suivre la voie du premier homme, à marcher sur les traces du Christ victorieux. Par là nous ne tomberons pas en téméraires dans le piège de la mort; mais, grâce à notre prudence, nous acquerrons des droits à l’immortalité.

Or comment jouir de l’immortalité, si vous n’observez les préceptes du Christ, qui nous rendent vainqueurs de la mort? Il nous dit lui-même : Si vous voulez arriver à la vie, observez les commandements (Matt., XIX.); et dans un autre endroit: Si vous faites ce que je vous prescris, je ne vous donnerai plus le nom d’esclaves, mais celui d’amis (Joan., XV). Tel sont les hommes, au jugement de Dieu, forts et inébranlables, les hommes appuyés sur le rocher solide, capables de résister aux tempêtes et aux tourbillons du siècle. Celui qui entend mes paroles et les met en pratique, dit Jésus-Christ, ressemble à l’homme sage qui bâtit sur le rocher les fondements de sa demeure. La pluie tombe, les fleuves débordent, les vents se déchaînent et se précipitent sur la maison; mais elle ne tombe pas parce qu’elle est fondée sur la pierre (Matt., VII.). Nous devons donc nous attacher aux paroles du Maître, recueillir ses enseignements, imiter ses actions.

2° Or, comment peut-on dire qu’on croit en Jésus-Christ quand on n’accomplit pas ses commandements? Peut-on recevoir la récompense de la foi quand on n’a pas foi aux préceptes? (109) Non; on ne peut qu’errer, tourbillonner sous le souffle de l’erreur, comme la poussière que le vent emporte, et on doit désespérer d’arriver au salut puisqu’on n’en suit pas le chemin.

Evitez donc tous les pièges, mes frères bien-aimés, non-seulement ceux qui se montrent aux yeux; mais encore ceux, qui cachent dans les ténèbres leur astuce et leur malice. Quoi de plus astucieux, quoi de plus subtil que notre ennemi? Jésus, en s’incarnant, triomphe de ses artifices et de sa puissance; alors, en effet, la lumière se montre aux nations pour les sauver; les sourds entendent la voix de la grâce; les aveugles ouvrent les yeux pour voir le Dieu véritable; les infirmes reviennent pour toujours à la santé; les boiteux courent à l’Eglise; les muets, sentant leur langue se délier, font entendre l’accent de la prière, Mais l’ennemi ne s’avoue pas vaincu. Voyant les idoles abandonnées et ses temples désertés par la foule devenue croyante, il imagine un nouveau piège afin de tromper les impudents par l’apparence même du nom chrétien. Il invente les hérésies et les schismes pour troubler la foi, corrompre la vérité, scinder l’unité. Il séduit ceux qu’il ne peut retenir dans la voie des anciennes erreurs, et il les trompe en leur montrant de nouveaux chemins. Il ravit les fidèles à l’Eglise, et tout en leur persuadant qu’ils évitent la nuit du siècle et qu’ils approchent de la lumière, il les plonge, sans qu’ils s’en aperçoivent, dans de nouvelles ténèbres. Ainsi, déserteurs du l’Évangile et de la loi de Jésus-Christ, ils s’obstinent à se dire chrétiens; ils marchent dans les ténèbres, et ils croient jouir de la lumière. L’ennemi les flatte, il les trompe, cet ennemi qui, selon l’apôtre, se transfigure en ange de lumière, qui transforme ses ministres eux-mêmes en prédicateurs de la vérité, donnant la nuit au lieu du jour, la mort au lieu du salut, le désespoir à la place de l’espérance, la perfidie. sous le voile de la foi, l’antéchrist sous le nom adorable du Christ. C’est ainsi qu’au moyen d’une vraisemblance menteuse, ils privent les âmes de la vérité. (111) .

3° Cela arrive, mes frères bien aimés, parce qu’on ne remonte pas à l’origine de la vérité; parce qu’on ne cherche pas le principe, parce qu’on ne conserve pas la doctrine du maître céleste. Si on se livrait à cet examen, on n’aurait besoin ni de longs traités, ni d’arguments. Rien de plus facile que d’établir sur ce point la foi véritable. Dieu parle à Pierre: Je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les puissances des enfers n’en triompheront jamais. Je te donnerai les clefs du royaume du Ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciels et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le Ciel (Matt., XVI.). Après sa résurrection, il dit au même apôtre : Pais mes brebis. Sur lui seul il bâtit son Église, à lui seul il confie la conduite de ses brebis. Quoique, après sa résurrection,. il donne à tous ses apôtres un pouvoir égal, en leur disant : Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie; recevez le Saint-Esprit les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Joan., XX), cependant, afin de rendre l’unité évidente, il a établi une seule chaire et, de sa propre autorité, il a placé dans un seul homme le principe de cette même unité. Sans doute les autres apôtres étaient ce que fut Pierre; ils partageaient le même honneur, la même puissance, mais tout se réduit à l’unité. La primauté est donnée à Pierre, afin qu’il n’y ait qu’une seule Église du Christ et une seule chaire. Tous sont pasteurs; mais on ne voit qu’un troupeau dirigé par les apôtres avec un accord unanime. L’Esprit-Saint avait en vue cette Eglise une, quand il disait dans le Cantique des cantiques: Elle est une ma colombe, elle est parfaite, elle est unique pour sa mère; elle est l’objet de toutes ses complaisances (Cant., VI). Et celui qui ne tient pas à l’unité de l’Église croit avoir la foi! Et celui qui résiste à l’Église, qui déserte la chaire de Pierre sur laquelle l’Église repose, se flatte (113) d’être dans l’Église! écoutez l’apôtre saint Paul; il expose

lui aussi le dogme de l’unité : Un seul corps, un seul esprit, une seule espérance de votre vocation, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu (Ephés., IV).

Nous devons tenir fortement à cette unité, nous devons la défendre, nous surtout évêques, qui occupons la première place dans l’Église, afin que le corps épiscopal soit un et indivisible. Que personne n’altère, par le mensonge, la fraternité qui nous unit; que personne, par des enseignements perfides, ne nuise à la sincérité de notre foi. L’épiscopat est un, chacun de nous possède cette dignité solidairement avec ses frères. L’Église aussi est une, quoique, par l’effet de sa fécondité, elle s’étende sur une immense superficie. Ainsi les rayons innombrables du soleil ne font qu’une seule lumière; l’arbre a des rameaux nombreux, mais un tronc unique solidement attaché au sol ; plusieurs ruisseaux coulent de la source et portent au loin leurs, eaux abondantes, mais la source est unique. Cherchez à, enlever au soleil un de ses rayons, l’unité de la lumière ne souffrira pas cette division; séparez un rameau de l’arbre, il se flétrira; écartez un ruisseau de la fontaine, il se desséchera. Il en est de même de l’Église de Dieu : répandue partout, elle éclaire l’univers de ses rayons; mais il n’y a qu’une seule lumière inséparable du corps qui la produit; arbre gigantesque, elle étend partout ses rameaux chargés de fruits; fontaine intarissable, elle porte au loin ses eaux abondantes et fécondes; mais il n’y a qu’un principe, un tronc, une source, une mère dont la fécondité remplit l’univers. Le sein de cette mère nous donne la naissance, son lait nous nourrit, son souffle nous anime. L’épouse du Christ ne peut souffrir l’adultère ; elle est incorruptible; elle ne connaît qu’une seule maison, qu’un seul lit conjugal. C’est elle qui nous conserve pour Dieu, et qui, après nous avoir engendrés, nous conduit au (115) royaume céleste. Quiconque se sépare de l’Église véritable, pour se joindre à. une secte adultère, renonce aux promesses de l’Église. Les promesses du Christ ne sont pas pour celui qui abandonne son Église. Cet homme est un étranger, un profane, un ennemi. Non, on ne peut avoir Dieu pour père si on n’a pas l’Église pour mère. Au temps du déluge, pouvait-on se sauver hors de l’arche de Noé? De même aujourd’hui, hors de l’Église, le naufrage est certain. C’est l’enseignement de Jésus-Christ : Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe (Matt., XII). Celui qui rompt les liens de la paix et de la concorde établis par le Christ agit contre le Christ; celui qui recueille hors de l’Église dissipe l’Église du Christ. Le Seigneur a dit encore : Moi et mon Père ne sommes qu’un (Joan., X.); et Jean, en parlant du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ajoute, et ces trois ne sont qu’un. Qui donc pourrait croire que cette unité, née de l’unité divine, cimentée par les sacrements célestes, peut être scindée selon le caprice des volontés rivales? Perdre cette unité, c’est perdre la loi divine, la foi dans le Père et le Fils, la vie, le salut.

5° Ce dogme de l’unité est figuré dans l’Évangile par la tunique du Christ : les soldats ne la partagèrent pas; mais ils La tirèrent au sort et ainsi elle resta dans son entier. Écoutez l’évangéliste : Quant à la tunique, comme elle n’était pas cousue, mais entièrement tissée, ils se dirent les uns aux autres : ne la partageons pas, mais tirons au sort pour voir à qui elle appartiendra (Joan., XIX.). Elle représentait cette unité qui vient du Ciel, c’est-à-dire de Dieu, qui ne peut être violée par les hommes, mais qui doit subsister en entier et sans la moindre altération. Or, comment posséder le vêtement du Christ, quand on scinde et qu’on divise l’Église du Christ? (117)

Le Livre des Rois nous offre un exemple contraire. A la mort de Salomon, le royaume et le peuple se divisèrent. Alors le prophète Achias alla dans la campagne au devant de Jéroboam et, faisant de son manteau douze parts, il lui dit: Prends dix de ces morceaux, car voilà ce que dit le Seigneur Je diviserai le royaume de Salomon et je te donnerai dix tribus; deux tribus resteront à son héritier, à cause de David mon serviteur et de Jérusalem que j’ai choisie pour y établir mon nom (III Reg., XI.). Lorsque les douze tribus d’Israël étaient divisées, le prophète Achias déchira son manteau; mais il n’en est pas de même du peuple du Christ: là toute scission est impossible; aussi sa tunique tissée et d’une seule pièce ne fut pas déchirée par les soldats. Elle nous montre, par son intégrité, la concorde qui doit exister parmi les disciples du Christ; elle est la figure de l’unité de l’Église.

Qui donc pousserait assez loin la scélératesse, la perfidie ou la fureur de la discorde pour croire qu’on peut scinder l’unité divine pour oser déchirer la robe du Seigneur, l’Église du Christ? Il nous dit lui-même dans son Évangile : Il n’y aura qu’un seul troupeau et un seul pasteur (Joan., X.); et vous croyez que, dans le même lieu, il peut exister plusieurs pasteurs ou plusieurs troupeaux? L’apôtre saint Paul nous recommande la même unité : Je vous supplie, mes frères, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, de suivre tous la même doctrine, afin qu’il n’y ait pas de schismes parmi vous. Soyez unis dans le même sentiment, dans la même croyance (I Cor., I). Il dit encore : Supportez-vous les uns les autres dans la charité; efforcez -vous de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix. Vous croyez qu’on peut vivre hors de l’Église, qu’on peut s’y établir une demeure, alors qu’il fut dit à Raab, qui était la figure de l’Église : Introduis dans ta maison ton père, ta mère, tes (119) frères, toute ta famille, et quiconque en franchira le seuil périra ( Jos., II)? De même, dans l’Exode, la cérémonie de la Pâque porte que l’agneau, qui est la figure du Christ, doit être mangé dans une seule maison. Écoutez plutôt la parole du Seigneur : Il sera mangé dans une seule maison et vous ne jetterez dehors aucune partie de sa chair (Exod., XII.). Jeter dehors la chair de Jésus-Christ, le Saint du Seigneur, serait un sacrilège : les croyants n’ont donc. qu’une seule maison, qu’une seule Église. C’est cette maison,. c’est l’harmonie qui y règne que le Saint-Esprit a en vue quand il dit dans les Psaumes: Dieu réunit dans la même, demeure ceux qui sont unis par la même pensée, le même sentiment (Ps. LXVII.); c’est-à-dire, dans la maison de Dieu, dans l’Église du Christ, habitent les âmes simples, unies ensemble par les liens d’une foi commune. Voilà pourquoi l’Esprit-Saint se montre sous la forme d’une colombe. La colombe est un oiseau simple et joyeux, sans fiel, sans violence; il ne déchire ni avec son bec ni avec ses ongles; il aime les habitations humaines, se contente d’une seule demeure. Les colombes élèvent leurs petits en commun, volent ensemble serrées les unes contre les autres, vivent en famille, témoignent leur amour par des caresses, en un mot, elles paraissent n’avoir toutes qu’un même sentiment. Ainsi, dans l’Église, ayons cette simplicité, cette charité qui fait de nous des colombes, cette douceur et cette innocence qui nous rend semblables aux agneaux et aux brebis. La férocité des loups, la rage des chiens, le venin mortel des serpents, la cruauté des bêtes sauvages peuvent-ils trouver place dans un coeur chrétien? Lorsque des hommes souillés de ces passions infâmes se séparent de l’Église, il faut s’en féliciter; du moins ils n’infecteront pas de leur contagion mortelle les colombes et les brebis du Christ. L’amertume ne peut s’unir à la douceur, l’obscurité à la lumière, la pluie à la (121) sérénité, la lutte à la paix, la stérilité à. l’abondance, la sécheresse â la source, la tempête au calme de l’atmosphère.

Ce ne sont pas les bons, croyez-le bien, qui peuvent se séparer de l’Église. Le vent n’emporte pas le pur froment, la tempête ne renverse pas le chêne solidement assis sur ses racines. C’est la paille inutile que le vent emporte; c’est l’arbre faible et sans vigueur qui est renversé par les tourbillons. Ils sont sortis du milieu de nous, dit l’apôtre saint Jean, mais ils ne furent jamais des mitres; s’ils l’avaient été, ils seraient restés avec nous (I Joan., II). La cause des hérésies passées et présentes ce sont ces esprits pervers qui ne peuvent rester en paix, ces hommes perfides qui brisent les liens de l’unité. Dieu permet et souffre ces désordres pour laisser à la liberté humaine toute son intégrité. Ainsi l’examen de la vérité devient pour le coeur et l’esprit une épreuve décisive, et la foi des élus en sort victorieuse pour se montrer au grand jour. L’Esprit-Saint, d’ailleurs, a eu soin de nous en prévenir par la bouche de l’apôtre: Il faut qu’il y ait des hérésies pour faire connaître les vrais disciples du Christ (I Corint., XI.). Par là les fidèles sont éprouvés, les perfides. découverts; même avant le jour du jugement, les âmes des justes sont séparées de celles des méchants et le froment delà paille.

Ces chefs de secte se placent d’eux-mêmes et sans l’ordre divin à la tête de leurs concitoyens; ils s’emparent du pouvoir, sans s’inquiéter de l’ordination qui le donne; ils prennent le titre d’évêques, sans que personne leur confère l’épiscopat. L’esprit nous les représente, au livre des Psaumes, assis dans la chaire empestée; ce sont, dit-il, les fléaux de la foi; sur leur langue réside la malice du serpent; ils sont habiles à corrompre la vérité; ils vomissent de leur bouche empoisonnée des venins mortels; leur parole se glisse comme la vipère; leur (123) contact seul frappe d’une blessure mortelle les esprits et les coeurs (I Corint., XI). Le Seigneur s’élève contre ces faux prophètes; il cherche à en détourner son peuple : N’écoutez pas leurs paroles, dit-il, car ils sont le jouet de leurs propres visions. Ils parlent, mais ce n’est pas Dieu qui parle par leur bouche. Ils disent à ceux qui repoussent la parole du Seigneur: la paix sera avec vous. Ils disent à ceux qui suivent leurs conseils perfides: tout homme qui suit le mouvement de son coeur n’a à craindre aucun mal. Je n’ai jamais parlé à ces faux prophètes, dit le Seigneur; ils prophétisent de leur propre autorité. S’ils étaient restés fidèles à ma loi, s’ils avaient écouté ma parole, s’ils avaient travaillé à instruire mon peuple, je les aurais détournés de leurs funestes pensées (Jér. XXIII). Le Seigneur désigne encore ces mêmes prophètes lorsqu’il dit : Ils m’ont abandonné, moi la fontaine d’eau vive, et ils se sont creusé des réservoirs vermoulus qui ne peuvent contenir l’eau (Jér., II.). Il ne peut y avoir qu’un baptême, et eux pensent pouvoir baptiser (On peut voir ici le principe des erreurs de Saint Cyprien relativement au baptême conféré par les hérétiques.). Après avoir quitté la fontaine de vie, ils promettent la grâce de l’eau régénératrice. Loin de purifier les. hommes, ils les souillent davantage; loirs de laver les fautes, ils les multiplient. Une telle génération donne des enfants, non à Dieu, mais au démon. Nés du mensonge, ils n’ont aucun droit aux promesses de la vérité; issus de la perfidie, ils perdent la grâce de la foi. Peuvent-ils compter sur, la paix ceux qui, aveuglés par l’esprit de discorde, ont ruiné la paix du Seigneur?

Certains pourraient peut-être se faire illusion, en interprétant mal ces paroles du Christ : Là où se trouvent deux ou trois personnes réunies en mon nom, je suis au milieu (125) d’elles ( Matt., XVIII..). Ces corrupteurs de l’Évangile, ces faux interprètes des Écritures citent la fini du texte et en suppriment le commencement, selon les besoins de leur cause. De même qu’ils sont eux-mêmes retranchés de l’Église, ils scindent, pour en altérer le sens, les paroles de l’Écriture. Le Seigneur, exhortant ses disciples à la concorde et à la paix, leur dit : Si deux d’entre vous s’entendent sur la terre pour une chose à demander, quelle qu’elle soit, elle vous sera accordée par mon Père qui est dans le Ciel; car là où se trouvent deux ou trois personnes réunies en mon nom, je suis au milieu d’elles. Il montre par là que la grâce est accordée, non à la multitude de ceux qui prient, mais à la concorde et à la charité qui les animent. Si deux d’entre vous, dit-il, s’entendent sur la terre: voilà la concorde; il la place en première ligne, il nous y exhorte de tout son pouvoir.

Or, comment peut-on se mettre d’accord avec quelqu’un, lorsqu’on est séparé du corps de l’Église et de toute la société des frères? Comment deux ou trois personnes peuvent-elles se réunir au nom de Jésus-Christ, lorsqu’il est certain qu’elle sont séparées de Jésus-Christ et de son Évangile? Ce n’est pas nous qui nous sommes éloignés d’eux, mais ils se sont éloignés de nous. De là les hérésies et les schismes : en cherchant à former des assemblées hors du sein de l’Église, ils ont abandonné le principe et la source de la vérité.

Mais le Seigneur parle du milieu de l’Église; il parle à ceux sont dans l’Église et il leur dit : Ne fussiez-vous que deux ou trois, si vos âmes sont unies par les liens de la charité, vous obtiendrez de Dieu l’effet de vos prières. Là où se trouvent deux ou trois personnes réunies en mon nom, je suis au milieu d’elles, c’est-à-dire avec les simples, avec les amis de la paix, avec ceux qui craignent Dieu et qui observent ses commandements. Il est avec, ces hommes, quoiqu’ils ne soient (127) que deux ou trois, comme il était autrefois avec les trois enfants dans la fournaise. Ils se confiaient simplement à Dieu; ils persévéraient dans l’union fraternelle : aussi un souffle rafraîchissant vint tempérer l’ardeur des flammes qui les enveloppaient. Deux apôtres étaient en prison; eux aussi persévéraient dans la simplicité et l’union fraternelle le Seigneur vint à leur secours, il brisa leurs liens et les renvoya sur la place publique pour prêcher l’Évangile à la multitude. Ainsi donc lorsqu’il dit : Là où seront deux ou trois personnes réunies en mon nom, je serai au milieu d elles, il ne sépare pas les hommes de l’Eglise, lui qui en est le fondateur, mais il reproche aux perfides hérétiques l’esprit de discorde qui les anime, il recommande la paix aux fidèles, il montre qu’il se trouve plutôt avec deux ou trois personnes priant d’une voix unanime qu’au milieu d’une foule en discorde, et que les voeux des premiers, vivifiés par la charité, auront plus d’empire sur le cœur de Dieu que les voix tumultueuses des autres.

7° C’est pour cela que Jésus a dit en nous imposant la loi de la prière : Lorsque vous vous mettrez a prier, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans le Ciel vous pardonne vos péchés (Marc., XI.). Il repousse de l’autel celui qui vient offrir son sacrifice avec la haine dans le coeur; il lui ordonne d’aller d’abord se réconcilier avec son frère et de venir ensuite présenter son offrande. Dieu n’accueillit pas les présents de Cain : il ne pouvait être en paix avec Dieu celui qui par jalousie avait voué à son frère une haine aveugle. Quelle paix peuvent donc se promettre nos ennemis? quels sacrifices croient-ils célébrer quand ils dressent autel contre autel ? s’imaginent-il,s que le Christ assiste à leurs réunions, alors que ces réunions se font hors de l’Église? Leur crime est si grand que, s’ils mouraient en confessant la foi, leur sang ne suffirait pas à le laver. La discorde anéantit toute charité; (129) rien ne peut l’expier, pas même le martyre. Peut-il y avoir des martyrs hors de l’Église? Peut-on arriver au royaume céleste, quand on abandonne celle en qui nous devons régner? Le Christ nous a donné la paix; il nous a recommandé la concorde et l’union; il nous a prescrit de conserver dans leur intégrité les liens de la charité et de l’amour il ne peut donc se dire martyr celui qui ne persévère pas dans la charité fraternelle. C’est aussi la doctrine de l’apôtre saint Paul: Quand ma foi serait capable de transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, je ne gagne rien. La charité est magnanime, bienveillante, sans jalousie, sans pensée amère; elle ne s’enfle pas, ne s’irrite pas, ne pense pas le mal; elle aime tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne périt pas (I Corint., XIII). Vous l’entendez, mes bien-aimés, la charité ne périt pas; elle vivra dans le royaume céleste; elle sera le lien éternel et indissoluble des élus. Mais, pour la discorde, elle sera à tout jamais frappée d’exclusion.

Le Christ a dit : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés moi-même. Il a promis une récompense à ceux qui observeraient ce précepte : comment mériterait-il la récompense celui qui, par des dissensions perfides, anéantit la charité du Christ? Celui qui n’a pas la charité ne possède pas Dieu, dit l’apôtre saint Jean, car Dieu est amour; celui qui persévère dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui (I Joan., IV.). Les déserteurs de l’Église de Dieu rie peuvent demeurer en Dieu. Qu’ils périssent dans les flammes, qu’ils meurent sous la dent des bêtes, ce n’est pas un-titre à la récompense, mais le châtiment de leur perfidie; ce n’est pas la fin glorieuse d’une vie chrétienne , mais le dernier acte d’un aveugle désespoir. Ils (131) peuvent recevoir la mort, mais non pas la couronne. Ils se disent chrétiens, comme le démon se dit le Christ, selon cet avertissement du Maître : Plusieurs viendront en mon nom, disant : Je suis le Christ; et ils séduiront la multitude (Marc., XIII.). De même que le démon n’est pas le Christ, quoiqu’il se serve de son nom pour séduire, ainsi l’homme qui ne persévère pas dans la vérité (le l’Évangile et de la foi ne peut se dire chrétien. Certes, c’est une chose sublime et admirable que de prophétiser, chasser les démons, opérer des prodiges; et pourtant le dépositaire de tous ces pouvoirs ne peut arriver au royaume céleste qu’autant qu’il suit le chemin de la vérité et de la justice. Le Maître nous en avertit lui-même : Plusieurs diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé, n’avons-nous pas chassé les démons, n’avons-nous pas fait de grands prodiges en votre nom? et je leur dirai : Je ne vous connais pas; éloignez-vous de moi, hommes d’iniquité (Matt., VII.). C’est par la justice qu’on peut fléchir la justice de Dieu; c’est en obéissant à ses préceptes que nous pouvons obtenir la récompense due à nos mérites.

Le Seigneur établit en deux mots, dans l’Évangile, les fondements de notre espérance et de notre foi : Votre Dieu, dit-il, est un Dieu unique. Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de tout votre esprit et de toutes vos forces c’est là le premier commandement. Le second commandement est semblable au premier : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Dans ces deux commandements se trouvent toute la loi et les prophètes (Marc, XII). En renfermant dans deux préceptes les prophètes et la loi, le Seigneur nous recommande l’unité et la charité. L’unité et la charité! ils s’en occupent bien ces fauteurs de discordes qui. emportés par une haine aveugle, scindent l’Église, détruisent la foi, troublent la paix, ruinent la charité, profanent nos mystères. (133)

Ce fléau, mes frères bien-aimés, a commencé depuis longtemps; mais, de nos jours, ses ravages deviennent plus affreux. Les hérésies et les schismes, en se multipliant, répandent davantage leurs poisons. N’en soyons pas étonnés; il doit en être ainsi au déclin du monde; l’Esprit-Saint, par la bouche de l’apôtre, l’a prédit: Aux derniers jours, viendront des temps difficiles. On verra paraître des hommes pleins de confiance en eux-mêmes, superbes, vaniteux, avares, blasphémateurs, désobéissants, ingrats, impies, sans affection, sans bonne foi, délateurs, débauchés, cruels, ennemis de tout bien, traîtres, insolents, enflés d’orgueil, préférant leurs passions à Dieu, altérant les dogmes de la religion et ne croyant pas à son origine et à sa vertu divine. Ces hommes se glissent dans les maisons; ils séduisent des femmes faibles et chargées de fautes qui se laissent conduire par de vains désirs. Ils cherchent sans cesse à apprendre et n’arrivent jamais à la science de la vérité. Autrefois Jamnès et Mambrès résistèrent à Moïse : eux de même résistent à la vérité, égarés qu’ils sont par leur corruption et leurs erreurs. Mais leur succès sera de courte durée; bientôt leur perversité sera découverte, comme celle des ennemis de Moïse (II Thess., III).

Toutes ces prophéties s’accomplissent, et comme la fin du monde approche, ces hommes paraissent pour nous éprouver. Grâce à la fureur du démon, toutes les passions s’agitent à la fois: l’erreur séduit les âmes déjà. égarées par l’orgueil, la jalousie les enflamme, la cupidité les aveugle, l’impiété les déprave, la vanité les enfle, la discorde les exaspère, la colère les précipite à leur ruine. Ne nous laissons pas troubler ou émouvoir par l’excessive perfidie d’un si grand nombre; mais plutôt, puisque la chose est prédite, servons-nous-en pour fortifier notre foi. La conduite des hérétiques est conforme à la prédiction. Donc, mes frères, appuyés sur la prophétie, tenez-vous en garde contre eux, car le Seigneur a dit: Méfiez-vous; (135) je vous ai tout annoncé d’avance. Évitez ces hommes, je vous en supplie, repoussez leurs paroles perverses comme une contagion mortelle, selon cette parole des Livres saints : Fermez rigoureusement vos oreilles et n’écoutez pas les méchants; et ailleurs : Les mauvais propos corrompent les bonnes moeurs.

8° Tels sont les hommes que nous devons fuir; la parole du Seigneur est formelle : Ce sont des aveugles, dit-il, et des conducteurs d’aveugles. Si un. aveugle conduit un autre aveugle, tous deux tomberont dans la fosse (Matt., XV.). Si un homme est séparé de l’Église, évitez-le, fuyez-le. C’est un pervers, un pécheur, condamné par sa propre conduite. Eh quoi! il s’imagine être avec le Christ, celui qui agit contre les prêtres du Christ, qui se sépare de l’assemblée du clergé et du peuple du Christ? Armé contre l’Église, il combat l’institution de Dieu. Ennemi de l’autel et du divin sacrifice, perfide envers la foi, sacrilège envers la religion, serviteur désobéissant, fils impie, frère révolté, il méprise les évêques de Dieu, il abandonne ses prêtres et il dresse un autel étranger; il fait monter vers le Ciel une prière sacrilège, il profane par un sacrifice menteur la sainteté de l’hostie divine. Il ne sait donc pas que ceux qui s’élèvent contre l’ordre divin sont punis de leur audacieuse témérité? Coré, Dathan et Abiron, révoltés contre Aaron et Moïse, avaient voulu s’attribuer l’honneur d’offrir à Dieu des sacrifices; à l’instant même, ils reçurent leur châtiment : la terre s’entrouvrit sous leurs pas et les engloutit vivants dans ses profondeurs. La justice divine ne se contenta pas de frapper ceux qui furent les auteurs de la sédition; mais deux cent cinquante hommes qui avaient partagé leur crime, en s’attachant à leur parti, périrent consumés par le feu du Ciel. Dieu nous montre par ce châtiment terrible que les méchants, en cherchant à détruire l’ordre divin, s’attaquent à Dieu lui-même. Il en fut de même du roi Osias. Malgré la loi divine et les (137) résistances du grand prêtre Azarias, il porta la main à l’encensoir et s’arrogea par la violence le droit de sacrifier. Le châtiment ne se fit pas attendre. : frappé par la colère divine, son front fut souillé de la lèpre. Ainsi cette partie du corps où Dieu imprime un caractère sacré pour désigner ses élus, porta les traces de-la vengeance céleste. Les fils d’Aaron placèrent sur l’autel un feu profane : ils furent frappés de mort en présence du Dieu qu’ils avaient offensé. Ils imitent ces grands coupables ceux qui s’attachent à des doctrines étrangères, méprisent la tradition divine et lui substituent leurs propres folies. Le Seigneur s’élève contre eux dans son Évangile : Vous rejetez l’ordre de Dieu pour établir vos traditions (Marc, VII.).

Ce crime est pire que celui des apostats qui, admis à la pénitence, cherchent à fléchir la justice du Ciel par leurs expiations. Chez ceux-ci on cherche l’Église, on implore son pardon; chez les hérétiques on lui résiste en face. Un apostat a pu céder à la violence; l’hérétique, de son plein gré persévère dans le crime. En succombant dans la persécution, on ne nuit qu’à soi-même; en se mettant à la tête d’une hérésie ou d’un schisme, on entraîne la multitude et on la trompe. Dans le premier cas, il n’y a danger que pour une seule âme, dans le second, que d’âmes se perdent! Celui qui tombe comprend sa faute, il la déplore amèrement; mais l’hérétique se glorifie de son crime, il s’y complaît, il sépare les enfants de la mère, les brebis du pasteur, il profane les’ sacrements institués par Dieu lui-même. Le premier ne pèche qu’une fois, le second tous les jours. Enfin l’apostat peut encore recevoir la palme. du martyre et par suite la couronne céleste; mais le sectaire, mis à mort hors de l’Église, n’a droit à rien.

Ne vous étonnez pas, mes frères bien-aimés, de voir des confesseurs tomber dans l’hérésie : ce n’est pas plus étonnant que d’en voir d’autres commettre des fautes graves. La (139) confession du nom de Jésus-Christ ne nous garantit pas des embûches du démon, pas plus qu’elle n’éloigne entièrement de nous, pendant cette vie, les tentations, les périls, les séductions du siècle. S’il en était ainsi, nous ne verrions pas, chez des hommes qui ont confessé la foi, ces fraudes, ces impuretés, ces adultères qui arrachent parfois nos gémissements. et nos larmes. Pour être confesseur, on n’est ni plus grand, ni plus saint, ni plus cher à Dieu que Salomon. Tant qu’il marcha dans la voie du Seigneur, Salomon conserva son amitié; en quittant le droit chemin, il perdit la grâce divine, selon cette parole de l’Écriture : Le Seigneur excita Satan contre Salomon lui-même. De là cette autre parole: Soyez fidèle, de peur qu’un autre ne reçoive votre couronne (Apoc., III). Dieu nous parlerait-il de la perte de la. couronne de la sainteté, si en perdant la sainteté nous ne perdions infailliblement la couronne?

La confession du nom chrétien est le commencement de la gloire, mais elle n’assure pas définitivement la récompense céleste; elle rehausse notre dignité, mais sans nous conduire au couronnement de l’édifice. Il est écrit: Celui qui persévèrera jusqu’à la fin sera sauvé; donc tout ce qu’on fait avant la fin est un degré par lequel on arrive au faîte du salut. Mais ce n’est pas encore le salut.

Vous êtes confesseur de la foi, c’est bien; mais prenez garde, le péril est encore plus grand, parce que l’ennemi est plus furieux. Vous êtes confesseur de la foi : raison de plus pour vous attacher à l’Évangile du Seigneur, vous qui n’avez mérité votre gloire que par l’Évangile. Le Seigneur a dit: On demandera beaucoup à celui qui a beaucoup reçu. Plus on est élevé en dignité, plus on doit être fidèle. Que personne ne périsse par l’exemple d’un confesseur de la foi; que personne ne trouve dans ses moeurs des leçons d’injustice, d’orgueil, de (141) perfidie. Vous êtes confesseur, soyez donc humble et patient, soyez modeste et réservé dans votre conduite; soyez digne du nom que vous portez et imitez le Christ dont vous proclamez la divinité. Jésus a dit : Celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Lui-même, le Verbe, la Puissance, la Sagesse du Père, a été élevé parce qu’il s’est abaissé sur la terre. Comment donc., aimerait-il l’orgueil, lui qui nous fait un précepte de l’humilité et qui, à cause de cette humilité, a reçu de son père le plus sublime de tous les noms?

Vous êtes confesseur du Christ; encore une fois, c’est bien; mais alors ne blasphémez pas la majesté et la divinité, du Christ. Votre langue lui a rendu témoignage, qu’elle ne soit donc plus un instrument de médisance, de troubles, de haines, de discordes. Qu’elle ne distille plus sur les fidèles et sur les prêtres de Dieu le venin de la calomnie, assaisonné de quelques mots d’éloge. Du reste, sachez-le bien, si vous reprenez votre vie coupable et criminelle, si vous perdez par vos mauvaises moeurs le mérite de votre confession, si vous souillez votre vie par des vices honteux, si, en un mot, désertant l’Église où vous avez reçu votre titre de confesseur, vous brisez les liens de l’unité et imprimez à votre foi première la flétrissure de la perfidie, vous compteriez en vain sur votre confession pour arriver à la récompense céleste. Loin de là, vous ne méritez que de plus graves châtiments. Le Seigneur choisit Judas et le plaça parmi ses apôtres, et cependant Judas trahit son maître; niais la fidélité et, la fermeté des apôtres ne furent pas ébranlées parce que le traître s’éloigna de leur société. Il en est de même parmi nous: la sainteté et la dignité des confesseurs restent les mêmes, malgré la défection de quelques-uns. L’apôtre saint Paul va au-devant de cette objection : Quelques-uns d’entr’eux, dit-il, firent défection; est-ce que leur infidélité anéantit la foi en Dieu? non. Dieu est la vérité même et tout homme est menteur (Rom., III.). Une partie des confesseurs, et c’est la meilleure et la (143) plus nombreuse, demeure ferme dans sa croyance, ferme dans la loi et dans les préceptes du Seigneur. Certes, ils ne s’éloignent pas de l’Église ceux qui se souviennent qu’ils y ont reçu la grâce par la miséricorde de Dieu. Ils se séparent de ceux qui confessèrent autrefois avec eux le nom de Jésus-Christ, et leur foi n’en est que plus glorieuse. Ils évitent la contagion du crime, pour jouir des purs reflets de la lumière évangélique, et ils ont d’autant plus de mérite à conserver la paix du Christ qu’ils sont sortis vainqueurs de leurs combats avec le démon.

Je vous en supplie, mes frères bien-aimés, si c est possible, qu’aucun de vous ne périsse : c’est là que tendent mes conseils et mes exhortations. Que l’Église, notre mère, fière de sa fécondité, renferme dans son sein tout un peuple ne formant qu’un seul corps, n’ayant qu une seule et même foi . Si certains schismatiques, auteurs de toutes nos dissensions, s’obstinent dans leur aveugle démence et repoussent nos conseils salutaires, vous, du moins, dont la simplicité a été surprise, vous, séduits un instant par les artifices de l’erreur, brisez ces liens perfides où vous êtes enveloppés, sortez de ces sentiers ténébreux, reconnaissez la route qui conduit directement au Ciel. Écoutez l’apôtre : Nous vous prescrivons, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer des frères qui marchent en dehors de toute règle et non selon la tradition qu’ils ont reçue de nous. Ne vous laissez pas égarer, dit-il encore, par des paroles trompeuses; car c’est à cause de cela que Dieu a fait tomber sur le peuple rebelle le poids de sa colère. Ne participez donc pas à leurs erreurs (II Thess., III).

9° Éloignez-vous des transgresseurs de la loi, que dis-je, fuyez-les, de peur qu’unis à eux dans la voie de l’erreur et du crime vous ne quittiez le chemin véritable et ne partagiez leur châtiment. Dieu est un, le Christ est un, l’Église est une, la foi est une, et le peuple chrétien, uni par le ciment de la (145) charité, ne forme qu’un seul corps. L’unité ne peut être scindée sans cesser d’être, de même qu’un corps ne peut être coupé par fragments sans périr. L’enfant qu’on retire du sein de sa mère ne peut vivre et respirer seul; il perd la substance qui le nourrissait. L’Esprit-Saint nous dit : Quel est l’homme qui veut vivre et voir de longs jours? Que le mal ne souille jamais votre langue, que vos lèvres ne prononcent aucune parole insidieuse. Évitez le mal et faites le bien; cherchez la paix et suivez-la toujours (Ps. XXXIII). L’enfant de la paix doit rechercher la paix et la conserver, précieusement; celui qui connaît et aime les liens de la charité doit interdire à. sa langue toute parole haineuse.

La veille de sa Passion, le Seigneur ajouta à tous ses enseignements cette parole admirable : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. Tel est l’héritage qu’il nous a légué: il fait dépendre toutes ses promesses et toutes ses récompenses de la conservation de la paix. Si nous sommes les héritiers de Jésus-Christ, persévérons dans la paix qu’il nous a laissée; si nous sommes les fils de Dieu, suivons la paix. Bienheureux les hommes pacifiques, dit-il, car ils seront appelés les fils de Dieu (Matt., V.). Oui, les fils de Dieu doivent aimer la paix; ils doivent être doux et humbles de coeur, simples dans leurs paroles, unis dans une même affection, fidèles à conserver les liens de la charité, et de la concorde. Cette union existait sous les apôtres, et c’est ainsi que le peuple de Dieu, à son origine, persévéra dans la charité. La sainte Écriture nous l’atteste : Or la multitude des croyants ne formait qu’un coeur et une âme. Et dans un autre endroit : Les apôtres, étroitement unis, persévéraient dans la prière, avec Marie, mère de Jésus et les proches parents du Sauveur (Act., I). C’est ainsi que, leurs prières étaient efficaces; c’est ainsi qu’ils pouvaient obtenir de la Miséricorde (147) divine tout ce qu’ils demandaient. Parmi nous, l’esprit d’union a diminué en raison directe des bonnes oeuvres. Autrefois, les fidèles vendaient leurs maisons et leurs terres, et contents des trésors qu’ils s’assuraient dans le Ciel, ils déposaient aux pieds des apôtres le prix de leurs possessions pour les distribuer aux indigents. Mais aujourd’hui nous ne prélevons pas même la dîme sur notre patrimoine, et malgré la parole du Seigneur qui nous dit : Vendez, nous achetons, et nous augmentons sans cesse nos possessions.

10° Voilà., mes frères, ce qui affaiblit parmi nous la vigueur de la foi; voilà ce qui enlève au peuple fidèle sa force et son énergie. Le Seigneur avait sans doute en vue notre époque, lorsqu’il disait: Quand le fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouvera la foi sur la terre(Luc, XVIII)? Cette parole ne se réalise que trop. La foi a cessé d’inspirer la crainte de Dieu, les devoirs de la justice, l’esprit de charité, les bonnes oeuvres. Personne ne pense avec crainte à l’avenir, au jour du Seigneur, au jugement de Dieu; personne ne prévoit les supplices réservés aux incrédules, les tourments éternels qui doivent être le partage des faux frères. Nous craindrions, si nous avions la foi.— Comment craindre quand on ne croit pas? — En croyant, nous nous tiendrions sur nos gardes et nous éviterions le danger.

Réveillons-nous, mes frères bien-aimés, et secouant le sommeil de notre ancienne paresse, efforçons-nous d’observer et d’accomplir les préceptes du Seigneur. Écoutez-le lui-même: Ceignez vos reins, tenez dans vos mains des lampes allumées; soyez comme des serviteurs qui attendent leur maître à son retour des noces, prêts à lui ouvrir la porte dès qu’il frappera. Bienheureux les serviteurs que le maître trouvera éveillés (Luc, XII).

Soyons toujours prêts à partir, afin que lorsque l’heure sera venue, nous ne soyons retenus par aucun embarras. Que notre lampe, alimentée par les bonnes oeuvres, brille sans cesse, afin qu’elle nous conduise de la nuit de ce siècle à l’éternelle lumière. Tenons-nous sur nos gardes, en attendant la venue subite du Seigneur, afin que, lorsqu’il frappera à la porte, notre foi se présente pour recevoir la récompense promise à ceux qui veillent. Si nous observons fidèlement ces préceptes, si nous suivons cette ligne de conduite, malgré la ruse du démon, nous ne serons pas surpris pendant notre sommeil, mais, serviteurs vigilants, nous régnerons dans le royaume du Christ. (151)

 

 

 

 

SUR LES AVANTAGES DE LA PUDEUR

1° Exhortation à la pudeur; — 2° Éloge de cette vertu; — 30 L’impureté; — 4° Obligation de pratiquer la chasteté; — 5° Excellence de la virginité; — 6° Exemples; — 7° Nécessité de combattre; — 8° Moyens de conserver la pudeur; — 9° Parure des femmes; — 10° Conseils.

Je crois remplir mon devoir, mes frères, en vous exposant chaque jour les leçons de l’Évangile, pour vous faire avancer dans la science et dans l’esprit de foi. Quoi de plus utile dans l’Église de Dieu, quoi de plus en harmonie avec les fonctions épiscopales, que de rappeler aux fidèles les enseignements divins et de les conduire par là aux royaume des Cieux? Tel est le devoir que je m’efforce de remplir, quoique absent. Par mes, lettres, je me transporte au milieu de vous ; je vous parle, je vous instruis comme à l’ordinaire; je vous exhorte surtout à enraciner profondément la foi dans votre âme, afin de résister aux assauts de l’ennemi. Si je puis obtenir ce résultat, je ne me plaindrai plus de mon absence. Ce n’est pas assez pour nous de vous citer les paroles de l’Écriture, nous joignons à ces enseignements nos voeux et nos prières, afin que le Seigneur (169) vous ouvre le trésor de ses grâces et qu’il vous donne la force d’accomplir ses préceptes. C’est un grand mal de connaître la volonté du Seigneur et de ne pas la mettre en pratique.

1° L’exhortation la plus pressante que je puisse vous adresser, — car, avant toutes choses, je désire votre perfection, —c’est que vous soyez fidèles à pratiquer dans toute sa rigueur la vertu de chasteté. Je sais que vous le faites. Vous n’ignorez pas, en effet, que vous êtes le temple du Seigneur, les membres du Christ, la demeure de l’Esprit-Saint. Dieu vous appelle à l’espérance des biens éternels; il répand la foi dans votre âme; il vous prédestine au salut. Fils de Dieu, frères du Christ, l’Esprit-Saint se plaît à sanctifier vos âmes. Élevez-vous donc au-dessus de la chair, puisque le baptême vous adonné une nouvelle vie; attachez-vous à la chasteté, puisque le Christ lui-même l’a consacrée, et qu’en mourant pour vous, il l’a rendue en quelque sorte incorruptible.

L’apôtre appelle l’Église l’épouse du Christ; or, je vous le demande, quelle doit être la pudeur des membres de l’Église, puisqu’elle conserve sa virginité, même dans son union avec le céleste époux? Si les limites de ce traité ne s’y opposaient, je ferais de cette vertu un long panégyrique; mais à quoi bon, puisque, vous la pratiquez? En vous attachant à elle, vous rehaussez son éclat; en suivant ses maximes, vous faites son éloge; vous contribuez à sa gloire, elle contribue à la vôtre, et vous vous enrichissez mutuellement. Elle vous montre la règle des bonnes moeurs, vous lui offrez en échange vos oeuvres saintes; vous manifestez par votre conduite toute l’étendue de sa puissance, elle manifeste, à son tour, la sainteté de vos désirs. Ainsi la loi divine forme un tout complet : les oeuvres complètent les préceptes, les préceptes inspirent les oeuvres; on dirait les membres d’un même corps.

2° La pudeur est l’honneur des corps, l’ornement des moeurs, la sainteté des sexes, le lien de la continence, la source de la (171) chasteté, la paix des ménages, le principe de la concorde. La pudeur ne cherche à plaire qu’à elle-même. Toujours modeste, elle est la mère de l’innocence. Elle se juge assez belle si elle peut déplaire au vice. Elle ne cherche pas les ornements; c’est en elle qu’elle les trouve. Elle nous rend agréables à Dieu et nous unit intimement au Christ. Elle apaise les combats de la chair et nous donne la paix véritable. Bienheureuse elle-même, elle communique sa félicité à ceux en qui elle réside : ses ennemis la contemplent avec respect, et ils l’admirent d’autant plus qu’ils ne peuvent la vaincre.

3° Telle est la vertu que les hommes et les femmes doivent rechercher avec ardeur. Par suite, ils doivent détester l’impureté, sa mortelle ennemie : l’impureté, qui plonge dans la dégradation et dans la fange ceux qui suivent son impulsion funeste; l’impureté, qui s’attaque à la fois et au corps et à l’âme. Elle fait de l’homme un esclave, en détruisant en lui les bonnes moeurs. D’abord séduisante et, par cela même, plus nuisible, elle porte un coup mortel à la vertu et à la fortune. Que dis-je? elle va jusqu’à répandre le sang. Elle enflamme toutes les passions; elle pervertit les consciences honnêtes. Mère de l’impénitence, fléau de l’avenir, opprobre des familles, elle brise les liens du sang, substitue aux enfants légitimes ses propres enfants et détourne en leur faveur des héritages qui deviennent ainsi le prix de la corruption. Souvent même, dans ses ardeurs insensées, elle renverse l’ordre de la nature et cherche, non le plaisir véritable, mais des débauches monstrueuses. Revenons à la pudeur.

Le premier degré de cette vertu se trouve chez les vierges, le second chez les personnes qui vivent dans la continence, le troisième chez les personnes mariées. Quels que soient ses de-grés elle est toujours glorieuse. Oui, c’est une gloire d’être fidèle dans le mariage, malgré tant de luttes. Vivre dans la continence est chose plus honorable encore, puisqu’on se prive des plaisirs (173) permis. Mais vivre dans la chasteté dès le sein de sa mère, pratiquer cette vertu jusqu’à la vieillesse, c’est le comble de la gloire. On dira peut-être qu’il y a plus de félicité à ignorer les exigences de la chair et plus de mérite à réprimer ses écarts, c’est possible. Mais sachons, avant tout, que cette vertu est un don de Dieu, quoiqu’elle se manifeste dans des membres humains.

4° Le précepte de la pudeur est bien ancien, puisqu’il remonte à la, création de l’homme. Dieu donne un mari à la femme; il donne une femme à l’homme : Ils seront deux en une seule chair, dit le texte sacré (Gen., II). Ainsi se trouve établie cette unité qui exclut toute séparation. De là ces paroles de l’apôtre : L‘homme est la tête de la femme. Peut-on mieux indiquer le précepte de la pudeur? Une tête ne peut convenir qu’à ses propres membres, comme les membres ne peuvent convenir qu’à leur tête ; ils sont unis ensemble par un lien mystérieux qui conserve l’oeuvre divine dans son harmonieuse intégrité. Aussi l’apôtre ajoute : Celui qui aime son épouse s’aime lui-même. Personne ne hait son corps; au contraire, vous le nourrissez, vous le réchauffez; ainsi agit le Christ envers l’Église (Éph., V). Le précepte de la charité marche donc de pair avec celui de la pudeur, puisque les époux doivent aimer leurs épouses comme le Christ aime l’Église, et que les épouses doivent aimer leurs époux comme l’Église aime le Christ.

Le Christ rendit hommage à la pudeur en disant que l’homme ne peut renvoyer son épouse que lorsqu’elle se rend coupable d’adultère. Il était écrit dans l’ancienne loi : Vous mettrez à mort les femmes adultères (Lev., XX). De là cette parole de l’apôtre : La volonté de Dieu est que vous évitiez la fornication (I Thess., IV). Il (175) ajoute qu’on ne doit pas unir les membres du Christ à ceux d’une courtisane (I Joan., VI). Il livre à Satan, sacrifiant ainsi la chair pour sauver l’âme, ceux qui foulent aux pieds la chasteté et se livrent à des vices, impurs (I Corint., V). D’après lui, les adultères sont exclus du royaume céleste (Eph., V). Tous les autres péchés, — c’est toujours l’apôtre qui parle, — se commettent en dehors du corps, l’adultère seul pèche contre son corps (4). Je passe sous silence les autres préceptes parce que vous les connaissez et que vous les mettez. en pratique. J’ose espérer que vous ne vous plaindrez pas de son silence. Il est évident qu’il n’y a pas d’excuse pour l’adultère, puisqu’il pouvait, en prenant une épouse, satisfaire ses légitimes désirs.

5° Les femmes mariées sont soumises à des lois auxquelles elles ne peuvent se soustraire Quant à la virginité, elle se place au-dessus de toutes les lois. Libre des soins du mariage, elle élève son front au-dessus des intérêts et des préoccupations d’ici-ci bas, et participe à l’auréole des anges. Je me trompe, elle leur est supérieure, car elle a remporté sur la nature une victoire que les anges ne connaissent pas.

La virginité est l’avant-goût de la vie éternelle Elle n’a pas de sexe : c’est une enfance qui dure toujours. Maîtresse des passions, elle n’a pas d enfants, elle dédaigne d’en avoir ; mais si elle est privée de la joie de les posséder, elle n éprouve pas la douleur de les perdre. heureuse d’éviter les angoisses de l’enfantement, plus heureuse d’éviter celle des funérailles. La virginité, c’est la liberté sans limites : pas de mari pour maître, pas de soins qui se disputent l’existence. Affranchie des liens du mariage, des convenances du monde, des soins des enfants, elle peut affronter sans crainte la persécution. (177)

6° Passons maintenant aux exemples : ils seront une prédication plus éloquente encore; car on cesse de douter de la vertu quand on la voit à l’oeuvre. Vous rappelez-vous l’histoire de Joseph (Gen., XXXIII)? Cet enfant, né d’un père illustre, plus illustre lui-même par l’innocence de ses moeurs, est vendu à des marchands ismaélites. Un riche Égyptien le reçoit dans sa maison. Son obéissances sa douceur, son dévouement lui eurent bientôt acquis la faveur de son maître. L’épouse de Putiphar s’attacha également à lui, mais pour d’autres motifs. Un jour, elle cherche à corrompre son innocence. Elle emploie tour à tour les prières et les menaces; Joseph s’enfuit et laisse son vêtement entre les mains de cette femme criminelle. Furieuse de voir dédaignée, elle a recours à la calomnie et Joseph est jeté dans les fers. Mais il n’était pas seul; Dieu veillait sur son innocence et il se préparait à le couronner. Retiré de sa prison, Joseph est placé, non plus comme esclave dans une maison où il avait couru tant de dangers, mais dans le palais du roi dont il devient premier ministre.

Les femmes peuvent méditer à leur tour l’exemple de Suzanne. Elle était fille d’Hélcias, épouse de Joachim; elle était bien belle, mais sa pureté la rendait plus belle encore. Elle n’employait, pour embellir ou plutôt pour dégrader son visage, aucun ornement étranger; dans sa simplicité elle ne connaissait d’autres charmes que la nature et la pudeur. Deux vieillards, oubliant et la crainte de Dieu et leurs cheveux blancs, s’éprirent pour elle d’un amour criminel et osèrent le lui manifester. Suzanne résiste. Alors, ils ont recours à la calomnie et l’accusent d’adultère. Que fera la sainte épouse de Joachim? Elle a recours à Dieu; elle lui confie sa pureté. Sa prière fut exaucée, et pendant que les deux vieillards subissaient le dernier-supplice, l’innocence de Suzanne était hautement reconnue. Ainsi, (179) deux fois victorieuse, elle échappe à la corruption et à la mort (Dan., XIII).

Je pourrais citer d’autres exemples ; ces deux suffisent. Suzanne et Joseph ne se laissent pas aveugler par leur noblesse qui trop souvent est un prétexte à la licence. Ils se dérobent aux attraits de la volupté; ils étouffent dans leurs coeurs les feux de la concupiscence; ils ne songent ni à la solitude, ni aux ténèbres, ni à l’impunité qui doivent envelopper leur crime. Ils résistent à la puissance qui renverse souvent les résolutions les plus fermes; ils sont insensibles aux récompenses, aux promesses, aux accusations, aux menaces, aux châtiments, à la mort même; pour eux, le seul malheur irréparable c’est de tomber des hauts sommets de la chasteté. Aussi Dieu se plut à les récompenser: l’un eut sa place près du trône des Pharaons, et l’autre, rentrée en grâce avec son époux, vit ses ennemis punis du dernier supplice. Tels sont les exemples que nous devons méditer jour et nuit.

7° Le plus grand bonheur pour l’âme fidèle, c’est le sentiment secret de la pudeur conservée. La plus grande volupté c’est de vaincre la volupté. Est-il une victoire plus glorieuse que celle qu’on remporte sur ses passions ? Vaincre un ennemi, c est montrer sa force, mais sur autrui, vaincre ses passions, c’est se montrer plus fort que soi-même. En renversant un ennemi, vous agissez au dehors, en réprimant vos passions, vous triomphez de votre coeur. Rien de plus difficile à vaincre que la volupté. Les autres maux ont en eux quelque chose qui repousse: la volupté flatte; quand elle prête ses armes à l’ennemi, la victoire est bien douteuse. Triomphez de vos passions et vous triompherez de toutes vos craintes, car ce sont les passions qui les produisent. Triomphez des passions et vous triompherez du péché. Triomphez des (181) passions et vous foulerez aux pieds l’ennemi du genre humain. Triomphez des passions et vous vous assurerez une paix éternelle et, ce qui est difficile même aux grandes âmes, la vraie liberté.

8° Vous le voyez, mes frères, la pudeur doit être le sujet continuel de nos méditations. Cette pratique nous deviendra naturelle et facile. Comme toutes les grandes vertus, qui s’éloignent si on ne les retient, elle est au dedans de nous. N’allons pas la chercher au loin, il nous suffit de la développer. La pudeur, en effet, n’est rien autre chose que cette honnêteté de l’âme qui veille à la garde du corps afin que les sens, contenus dans les limites de l’honneur, conservent à la race humaine toute sa pureté.

Si vous me demandez les moyens de conserver cette vertu, je vous indiquerai d’abord la réserve, la méditation des préceptes divins, l’esprit de foi, le respect de la religion. Je vous recommanderai ensuite d’éloigner de vos regards certains objets, surtout les sculptures immodestes; proscrivez aussi tous ces vains artifices qui n’ont d’autre effet que d’irriter les passions et de susciter en nous de nouveaux combats. Elle a perdu toute pudeur la femme qui cherche à produire sur ses semblables des impressions funestes, même en conservant la chasteté du corps. Loin de nous celles qui ne rehaussent leurs charmes que pour les livrer en pâture à des désirs impurs. Prendre trop de soin de sa beauté est une preuve certaine d’un esprit corrompu. Conservez A votre corps toute sa liberté et ne cherchez pas à faire violence à l’oeuvre de Dieu. La femme qui ne peut se contenter des dons de la nature sera toujours malheureuse. Pourquoi changer la couleur de vos cheveux? Pourquoi ce fard qui s’étend à l’extrémité de vos yeux? Pourquoi tous ces artifices pour donner à votre visage un autre caractère?. Pourquoi enfin consulter un miroir si vous désirez être vous-même? (183)

9° La femme doit être chaste jusque dans sa parure; elle doit bannir de ses vêtements tout ce qui sent le mensonge ou plutôt l’adultère. N’est-ce pas corrompre les étoffes que d’y mêler des fils d’or ? A quoi sert un métal si rude au milieu des tissus délicats? N’est-ce pas pour servir d’ornement à des épaules immodestes et pour manifester au dehors la luxure qui dévore les âmes? Pourquoi ces pierres qui chargent votre cou et l’entourent comme un voile? Sans tenir compte du travail de l’artiste, la fortune d’un citoyen suffirait à peine à les acheter. Ce n’est pas là un ornement pour une femme ces objets ne servent qu’à faire ressortir ses défauts. Et ces anneaux énormes dont vous chargez vos doigts vous servent-ils à quelque chose, ou les portez-vous pour faire étalage de votre fortune? Chose étrange! les femmes, si délicates pour tout, sont plus fortes que les hommes quand il faut se charger des insignes du vice.

Pour revenir à mon sujet, cultivez la pudeur, mes frères bien-aimés, et renfermez vos désirs dans de justes limites. Le corps est pour nous un ennemi dangereux et la chair est toujours prête à tomber. La nature, qui cherche à réparer les ruines du genre humain, réveille l’affection dans vos âmes; mais la volupté se réveille à son tour et vous entraîne au crime.

Nous devons donc lutter de toutes nos forces contre les sollicitations de la chair, dont le démon se fait de terribles auxiliaires. Dociles au précepte de l’apôtre, imitons les oeuvres du Christ et sachons nous soustraire à la tyrannie des sens. Que la volonté les domine. Châtions les penchants mauvais, si nous voulons les réduire. La honte du péché a en elle quelque chose de bas et de difforme; la pénitence elle-même, avec ses larmes, est la reconnaissance de crimes déjà commis. Conservez précieusement votre innocence. Ne fixez pas des regards curieux sur des visages étrangers. Que vos conversations soient courtes, (185) votre rire modéré; agir autrement serait la marque d’un caractère facile et relâché. Évitez même les contacts honnêtes. Pour triompher d’une chair vicieuse, il faut tout lui refuser. Quel honneur de vaincre le vice! quelle honte d’être sous sa domination! Ajouterons-nous que l’adultère est beaucoup moins un plaisir qu’une honte? Quel charme peut-il y avoir dans un crime qui-tue à la fois et l’âme et la pudeur?

Que l’esprit émousse l’aiguillon de la chair, qu’il en réprime les mouvements. A lui de soumettre les membres à son empire; il en a reçu le droit. Conducteur habile, qu’il prenne en main les rênes de l’Évangile pour contenir dans de justes limites les passions emportées, de peur que le corps, semblable à un char dévoyé, ne l’entraîne avec lui dans l’abîme.

Mais, avant toutes choses, demandons à Dieu les grâces nécessaires. Celui qui a fait l’homme peut seul le secourir d’une manière efficace. — Je m’arrête, car je n’ai pas l’intention d’écrire un volume, mais une simple allocution. Lisez l’Écriture et complétez vous-même ce sujet. Adieu.

 

 

 

 

 

 

SUR LES SPECTACLES

1° Raisons alléguées par certains chrétiens pour légitimer les spectacles; —2° Réponse de saint Cyprien; — 3° Les spectacles défendus par la loi divine; — 4° Barbarie des spectacles; 5° Leur obscénité; — 6° Spectacles dignes d’un chrétien.

1° Quand je n’ai pas l’occasion de vous écrire, je suis dans la tristesse et l’affliction, car je regarde comme une disgrâce personnelle. d’être privé de converser avec vous; mais quand les circonstances deviennent plus favorables, rien n’égale ma joie: en vous écrivant, il me semble être encore au milieu de vous. Je sais que vous ne doutez pas de ma sincérité; d’ailleurs il me serait facile d’en fournir la preuve : puis-je mieux vous montrer mon affection, qu’en profitant de toutes les occasions de vous entretenir?

Vous êtes, je n’en doute pas, réguliers dans votre conduite, fidèles à participer aux saints mystères ; mais il en est parmi vous qui se laissent égarer par une molle indulgence, appuyent le vice de leur autorité, et, ce qui est pire encore, cherchent à le légitimer par la sainte Écriture. Ils disent, par exemple, que les spectacles sont une récréation innocente; et, profitant de l’affaiblissement de la discipline ecclésiastique et de la dépravation des moeurs qui en est la (153) conséquence, non-seulement ils excusent le vice, mais ils osent l’autoriser. J’ai donc cru utile de vous adresser, non une instruction, — vous n’en avez pas besoin,— mais des avertissements, de peur que le mal renfermé dans votre e ne se produise au dehors et ne forme une plaie incurable. Rien, en effet, n’est plus difficile à guérir qu’une maladie dont les accès reviennent fréquemment, favorisés comme ils le sont par les excuses et la complicité du peuple.

Eh quoi! des fidèles, fiers à juste titre du nom de chrétiens, n’ont pas honte de légitimer par l’Écriture des spectacles où le paganisme déploie toutes ses superstitions! Ils osent autoriser l’idolâtrie! car, ne vous y trompez pas, en assistant à des fêtes organisées par les païens en l’honneur d’une idole, vous faites acte d’idolâtrie et vous foulez aux pieds la religion du Dieu véritable. J’ai honte de citer les autorités dont ils se servent pour excuser leur conduite. Quand donc, disent-ils, l’Écriture a-t-elle parlé contre les spectacles? quand les a-t-elle prohibés ? Au lieu de cela, nous voyons Élie emporté sur un char et David danser devant l’arche; partout dans l’Écriture nous trouvons des harpes, des trompettes, des tambours, des flûtes , des cithares, des choeurs de musiciens. L’apôtre se transforme en lutteur! il nous parle de ceste, de lutte, de combat contre les esprits de malice. Il nous parle aussi de stade et fait briller à nos yeux La couronne destinée au vainqueur. S’il est permis aux auteurs sacrés d’écrire ces choses, pourquoi serait-il défendu aux chrétiens de les regarder?

2° Je commence par dire qu’il vaudrait bien mieux ne pas savoir lire que de lire de la sorte. On se sert pour autoriser le vice de paroles et d’exemples qui ne sont dans l’Écriture que pour nous porter à la vertu. Ces choses ne sont pas écrites pour devenir le sujet d’un spectacle, mais pour donner à nos esprits plus d’ardeur pour les biens célestes. En voyant les païens poursuivre avec tant de zèle des intérêts périssables, nous sentons notre courage s’enflammer. Nous comprenons que les (155) enseignements de l’Écriture ont pour but, non de légitimer les spectacles profanes, mais d’exciter en nous le désir des célestes récompenses.

Qu’Élie soit appelé le conducteur d’Israël, peu importe: il n’a jamais, que je sache, couru dans un cirque. Que David ait dansé en présence du Seigneur, ce n’est pas une excuse pour les fidèles qui vont s’asseoir au théâtre; car David ne se livrait pas à des mouvements obscènes pour exécuter une danse grecque. Les tambours, les trompettes, les cithares dont parle la Bib1e glorifiaient Dieu et non pas une idole. Ainsi, malgré tes artifices du démon, qui change les choses saintes en choses illicites, vous ne parviendrez jamais à légitimer les spectacles profanes.

Si les spectacles ne sont pas proscrits par l’Écriture, ils le sont par ta pudeur. Parfois les Livres saints pourvoient à notre salut par de sages préceptes, d’autres fois, par une sorte de pudeur, ils gardent le silence. Ils ne sauraient, sans faire injure aux fidèles, descendre dans certains détails. Mais alors la nature et la raison parlent à leur place. Interrogez donc votre conscience, interrogez vos frères, et vous marcherez dans le chemin de l’honneur, d’autant plus fermes dans votre résolution que vous ne la devrez qu’à vous-même.

Mais est-il bien vrai que l’Écriture n’ait pas interdit les spectacles? Sans doute elle défend de regarder ce qu’elle défend de faire. Or, elle proscrit l’idolâtrie, mère de tous les jeux, principe de toutes ces fêtes où la vanité et la licence se donnent rendez-vous; elle proscrit donc par cela même tous les genres de spectacles. Est-il, en effet, un spectacle sans idole? un jeu sans sacrifices? un combat qui ne soit pas consacré à un mort? Que fait un chrétien au milieu de ces représentations ? s’il a renoncé à l’idolâtrie, que peut-il dire? s’il est saint, peut-il trouver son plaisir dans des cérémonies coupables? Peut-il approuver des superstitions qui offensent Dieu et y trouver du plaisir? (157)

Sachez que ce n’est pas là l’oeuvre de Dieu, mais l’invention du démon. Et vous viendrez dans l’église exorciser les esprits mauvais, après avoir participé à leurs fêtes! Dans le baptême, vous avez renoncé au démon pour vous mettre à la suite du Christ; et maintenant vous renoncez au Christ pour prendre place aux spectacles du démon!

4° L’idolâtrie, comme je l’ai déjà dit, est la mère de tous les jeux. Afin de vous attirer à elle, elle flatte vos yeux et vos oreilles. Après le rapt des Sabines, Romulus institua les jeux du cirque, pour rendre grâces à Consus, dieu des bons conseils. Les autres jeux scéniques consacrés à Cérès, à Bacchus et à d’autres idoles, furent institués pendant une famine, pour

réunir le peuple au théâtre. Les concerts de voix et d’instruments inventés par les Grecs, les jeux athlétiques ont aussi des démons pour présidents. En un mot, prenez tout ce qui charme les yeux ou l’oreille du spectateur, examinez-en l’origine, et vous trouverez au principe une idole, un démon ou un mort. Reconnaissez ici l’adresse du démon : il savait que l’idolâtrie par elle-même devait exciter l’horreur; il l’a entourée de pompe pour lui donner l’attrait de la volupté. Pourquoi de plus longs détails? pourquoi décrire ces monstrueux sacrifices qui se pratiquent dans les jeux? souvent la scélératesse du prêtre choisit un homme pour victime; il reçoit dans une coupe son sang écumant; il le jette à la face de l’idole qui semble le boire avec délices. Alors le délire du peuple n’a plus de bornes il demande d’autres victimes. Ainsi le spectacle devient pour l’homme une école publique de férocité; on le rend méchant, comme s’il ne l’était pas assez de lui-même.

5° On élève à grand frais des bêtes féroces pour dévorer des hommes, que dis-je, on leur donne des maîtres pour aiguillonner leur cruauté, et on fait bien, car sans ces leçons, elles se montreraient peut-être moins barbares que l’homme. Parlerai-je ici de toutes les vanités popularisées par l’idolâtrie? Qu’ils (159) sont ridicules ces combats où on se, dispute pour des couleurs et pour des chars; où on se réjouit de la vélocité d’un cheval; où on gémit sur sa lenteur; où l’on compte ses années, les consuls sous lesquels il a brillé; où l’on explique sa généalogie en remontant jusqu’à ses ancêtres les plus éloignés! Comme tout cela est vain! Comme tout cela est honteux! retenir de mémoire toute la généalogie d’un cheval et la réciter sans broncher! Mais demandez à cet homme la généalogie du Christ, il l’ignore; et s’il la connaît, il est plus malheureux encore, car si je lui demande par quel chemin il est arrivé au théâtre, il sera forcé d’avouer qu’il y a été conduit par la débauche et les passions les plus honteuses. Avant de souiller ses regards par le spectacle de l’idolâtrie, il les a souillés par celui de la 1ubricité, il a traîné l’Esprit-Saint dans des lieux infâmes, et il a profané le corps du Christ dans les orgies de la prostitution.

Quant aux plaisanteries qui se débitent sur la scène, j’ai honte de les rapporter, même pour les flétrir. Comment parler en effet du chant des acteurs, de l’artifice des débauchés, de l’impudeur des femmes? comment oser reproduire ces bouffons éhontés, ces parasites sordides, ces pères de familles qui déshonorent la toge par leur stupidité, leurs vices, leurs obscénités? Toutes les classes de la société, toutes les professions sont traînées dans la boue: et pourtant tout le monde accourt au spectacle; on se réjouit de la honte commune; on vient, dans cette école du vice, chercher de funestes leçons afin de renouveler en secret les infamies de la scène; on vient, sous la sauvegarde des lois, apprendre des forfaits que les lois réprouvent et condamnent.

Encore une fois, que peut faire le chrétien dans ces assemblées, lui qui ne peut pas même penser au vice? Pourquoi se permettre le spectacle de la débauche? Hélas! en dépouillant toute pudeur, on porte plus loin l’audace du crime; car c’est apprendre à faire le mal que de s’habituer à le voir. Du moins (161)les femmes que le malheur condamne à la prostitution se cachent dans des retraites obscures; après avoir vendu leur pudeur, elles rougissent de paraître en public. Mais, sur le théâtre, la débauche n‘a pas de bornes; elle ne daigne pas même dissimuler ses excès. On voit paraître des mimes, aux manières efféminées et dissolues, dont l’art consiste à parler avec les mains en présence de ces êtres dégradés, toute une ville s’émeut et applaudit à leurs danses lascives. On puise dans la fable les sujets les plus lubriques, et ainsi ce qui commençait à se perdre dans la nuit des siècles, repasse sous les yeux du spectateur. Ce n est pas assez pour la passion de profiter des maux présents, il faut que, dans un spectacle éhonté, elle s’approprie encore les turpitudes anciennes.

Non, le répète, il n’est pas permis aux chrétiens de se mêler à de semblables réunions. Il ne leur est pas permis non plus de prêter l’oreille à ces artistes trop bien instruits dans les arts de la Grèce qui promènent partout leur funeste science. L’un avec la trompette imite les rauques clameurs de la guerre; l’autre avec la flûte reproduit les sombres mélodies des tombeaux. D’autres, mêlant leurs voix à celle des choeurs, poussent des cris aigus, arrêtent ou précipitent leur respiration, frappent sur leur bouche pour produire des sons brisés: travail à la fois ridicule et offensant pour celui qui leur a donné une langue.

Que dire de la vanité de la comédie? Que dire des folies des acteurs tragiques? Quand ces spectacles ne seraient pas consacrés aux idoles, un chrétien ne devrait pas se les permettre. A défaut de crime, la vanité en fait tout le fond; or la vanité est indigne d’un chrétien. N’est-ce pas une grande folie, en effet, de recevoir des coups pour amuser une assemblée oisive, do se condamner à toute sorte de privations pour mériter une couronne frivole, de présenter son visage aux soufflets pour obtenir tin morceau de pain? (163)

Parlerai-je de la lutte? deux hommes s’enlacent dans des noeuds impudiques; ils tombent l’un sur l’autre, et dans cette chute honteuse la pudeur reçoit une mortelle atteinte. Un autre s’élance tout nu au milieu de l’arène; un autre déploie toutes ses forces pour jeter en l’air un globe d’airain. Tous se disputent la couronne de la folie en effet, éloignez les spectateurs, que signifient tous ces jeux ?

Fuyez, fuyez, ces spectacles vains, pernicieux, sacrilèges tenez en garde vos yeux et vos oreilles contre les dangers qu’ils renferment. L’habitude du mal ne se contracte que trop vite. L’esprit de l’homme est naturellement porté au vice : que sera-ce donc s’il a sous les yeux des exemples funestes? Il tombe par sa propre faiblesse: que sera-ce si on le pousse dans l’abîme? Oui, je vous le répète pour la millième fois, loin de vous ces spectacles corrupteurs!

6° Ne croyez pas que les spectacles manquent au chrétien s’il sait se recueillir en lui-même, il trouvera des plaisirs vrais et utiles. Je ne parlerai pas de ces beautés qu’il ne nous est pas encore permis de contempler; mais combien d’autres se présentent à nos regards! La magnificence du monde, le lever et le coucher du soleil amenant l’alternative des jours et des nuits; le globe de la lune, marquant par ses diverses phases la fuite rapide du temps; les constellations qui brillent sur nos têtes, le cercle des saisons, la terre se balançant dans l’espace avec ses montagnes et ses fleuves; les mers avec leurs flots et leurs rivages; l’air répandu partout et nous donnant tour-à-tour la pluie et la sérénité; tous ces éléments divers alimentant chacun les habitants qui lui sont propres, l’air les oiseaux, l’eau les poissons. la terre les hommes, voilà les spectacles dignes d’un chrétien.

Quel théâtre, bâti par les hommes, pourra être mis en parallèle avec les oeuvres du Créateur? supposez les pierres aussi grandes que vous le voudrez, ce n’est qu’un fragment de montagne, et les lambris dorés ne feront jamais pâlir l’éclat des (165)astres. On admire bien peu les oeuvres humaines quand on se reconnaît fils de Dieu; et d’ailleurs se serait manquer à sa noblesse que de ne pas réserver au Créateur toute son admiration.

Que le chrétien étudie les saintes Écritures : là encore il trouvera des spectacles dignes de sa foi. II verra Dieu créer le monde ainsi que les animaux et les soumettre au pouvoir de l’homme. Il verra les méchants engloutis dans un naufrage commun et les justes miraculeusement sauvés. Il verra la mer se dessécher pour offrir un chemin au peuple de Dieu et les rochers s’ouvrir pour le désaltérer. Il verra la nourriture descendre du ciel pour le nourrir, les fleuves enchaîner leurs eaux, les justes sauvés d’une fournaise ardente, les bêtes féroces domptées par la foi, les morts sortir de leurs tombeaux, et pour couronner .le spectacle, le démon, qui avait soumis le monde à son empire, abattu sous les pieds du Christ. Quel spectacle mes frères! qu’il est magnifique! qu’il est agréable! qu’il est utile! Il renferme tout ce qui anime notre espérance et assure notre salut. On peut en jouir, même quand on a perdu l’usage de ses yeux. ge spectacle, ce n’est pas un consul, un prêteur qui le donne, mais c’est le Créateur de toutes choses, le seul Dieu unique, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ glorifié et béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

DE L’ORAISON DOMINICALE

1° Nécessité de la prière: — 2° Ses qualités; — 3° Paraphrase — 4° Heures de la prière.

1° Les préceptes évangéliques, mes frères bien-aimés, sont des enseignements divins qui servent de fondement à notre espérance; d’appui à notre foi, d’aliment à notre charité, de règle à notre vie, de secours pour arriver au salut. Les fidèles qui les acceptent avec docilité sont conduits par eux au royaume céleste. Dieu nous a souvent parlé par la bouche de ses prophètes; mais les enseignements du Fils sont bien plus précieux encore. Ici, il ne s’agit plus de préparer la voie au Messie à venir; il est venu lui-même, il nous a ouvert et montré la route. Autrefois, frappés d’aveuglement et de folie, nous errions dans les ténèbres de la mort; mais depuis, illuminés par la grâce divine, nous marchons sur les traces du maître, dans le chemin de la vie.

Or, parmi les préceptes et les avertissements qu’il a laissés à son peuple pour le conduire au salut, se trouve la formule de la prière. Il nous a dit lui-même ce que nous devons demander. Après nous avoir donné la vie, il nous a appris à prier; et (189) ce bienfait n’est pas inférieur aux autres, car, en usant auprès du Père de la prière instituée par le Fils, nous sommes plus facilement exaucés.

Déjà le divin maître avait prédit l’époque où les vrais fidèles devaient adorer le Père en esprit et en vérité. Il accomplit sa promesse; et nous, qui avons reçu de sa miséricorde l’Esprit de vérité, nous recueillons de sa bouche l’esprit d’adoration et de prière. Or, quelle prière peut être plus conforme à la pensée divine que celle qui nous a été enseignée par Celui qui nous a envoyé l’Esprit-Saint, par le Christ? Quelle prière est plus digne de la majesté du Père que celle qui est descendue de la bouche du Fils qui est la vérité même? Prier d’une autre manière n’est pas seulement de l’ignorance, c’est une faute, Jésus a dit : Vous rejetez le commandement du Seigneur, afin d’établir votre tradition (Marc, VII).

2° Prions, mes frères bien-aimés, comme Dieu notre maître nous a appris à le faire. C’est une prière agréable à Dieu que celle qui se compose de ses propres paroles, l’oraison du Christ résonne doucement à son oreille. Que le Père reconnaisse les paroles de son Fils, quand nous prions; que Celui qui habite dans nos coeurs parle par notre voix. Il est notre avocat auprès du Père: lorsque nous demandons grâce pour nos péchés, employons le langage de notre défenseur. Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, nous dit-il, vous sera accordé (Joan., XVI). Quel moyen plus efficace de demander au nom du Christ que d’employer sa propre prière?

Lorsque nous prions, que notre voix soit réglée par la décence et le respect. Souvenons-nous que nous sommes en présence de Dieu et que nous devons plaire à ses regards divins par l’attitude de notre corps et le calme de notre parole. L’insensé (191) pousse de grands cris; l’homme respectueux prie avec modestie.

Le Seigneur nous ordonne de prier en secret, dans des lieux solitaires et reculés, même dans nos chambres. C’est là ce qui convient le mieux à la foi. Nous savons, en effet, que Dieu est présent partout , qu’il voit et entend tous ses enfants, qu’il remplit de sa majesté les retraites les plus secrètes, selon cette parole : Je suis avec vous, ne me cherchez pas au loin (Jér., XXIII). Quand l’homme se cacherait au centre de la terre, dit encore le Seigneur, est-ce que je ne le verrais pas? est-ce que je ne remplis pas et la terre et le ciel? Et plus loin : Les yeux du Seigneur regardent partout les bons et les méchants (Prov., XV.).

Quand nous nous réunissons pour offrir avec le prêtre le divin sacrifice, prions avec recueillement. Gardons-nous bien de jeter à tous les vents des paroles sans suite et de formuler tumultueusement une demande dont la. modestie doit faire tout le prix. Dieu n’écoute pas la voix, mais le coeur. Il n’est pas nécessaire de l’avertir par des cris, puisqu il connaît les pensées des hommes. Nous en avons une preuve dans cette parole du Seigneur ! Que pensez-vous de mauvais dans vos coeurs (Luc, XV.)? . Et dans l’Apocalypse: Toutes les Églises sauront que c’est moi qui sonde les cœurs et les reins (Ap., II).

Anne, dont nous trouvons l’histoire au premier livre des Rois, se soumit à cette règle, et en cela elle fut une figure de l’Eglise. Elle n’adressait pas au Seigneur des paroles bruyantes; mais, recueillie en elle-même, elle priait silencieusement et avec modestie. Sa prière était cachée, mais sa foi manifeste; elle parlait, non avec la voix, mais avec le coeur. Elle savait bien que Dieu entend des voeux ainsi formulés; (193) aussi, grâce à la foi qui l’animait,. elle obtint l’objet de sa demande. C’est ce que nous apprend l’Écriture : Elle parlait dans son coeur et ses lèvres remuaient; mais sa voix n’était pas entendue; et le Seigneur l’exauça (I Reg., I). Nous lisons de même dans les psaumes : Priez du fond du coeur, priez sur votre couche et livrez, votre âme à la componction (Ps., IV.). L’Esprit-Saint nous donne le même précepte par la bouche de Jérémie : C’est par la pensée que vous devez adorer le Seigneur.

Lorsque vous remplissez le devoir de la prière, mes frères bien-aimés, n’oubliez pas la conduite du Pharisien et du Publicain dans le temple. Le Publicain n’élevait pas insolemment ses regards vers le ciel, il n’agitait pas ses mains hardies; mais frappant sa poitrine, et, par cet acte, se reconnaissant pécheur, il implorait le secours de la miséricorde divine. Le Pharisien, au contraire, s’applaudissait lui-même. Aussi le Publicain fut justifié et non pas l’autre. Il fut justifié à. cause de sa prière, car il ne plaçait pas l’espoir de son salut dans une confiance aveugle en son innocence, attendu que personne n’est innocent; mais il confessait humblement ses péchés, et Dieu qui pardonne toujours aux humbles, entendit sa voix. Mais citons plutôt le texte évangélique. Deux hommes montèrent dans le temple pour prier; l’un était pharisien, l’autre publicain. Le Pharisien se tenant debout priait ainsi en lui-même: Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, injuste, ravisseur, adultère, ou bien encore comme ce Publicain. Je jeûne deux fois la semaine; je donne le dîme de tout ce que je possède. Le Publicain, au contraire, se tenait à l’écart et n’osait élever ses regards vers le ciel, mais il frappait sa poitrine en disant mon Dieu, je suis un pécheur, soyez-moi propice. Il se retira dans sa maison justifié; mais il n’en fut pas de même (195) du Pharisien. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé (Luc, XVIII.).

Nous venons de voir, mes frères bien-aimés, d’après les saints livres, quelle doit être notre attitude dans la prière. Voyons maintenant ce que nous devons demander.

Vous prierez ainsi, nous dit Jésus-Christ: Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. Que votre règne arrive. Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Pardonnez-nous nos, offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation; mais délivrez-nous du mal; ainsi soit-il (Matth., VI).

Avant toutes choses, le Dieu qui nous a si fortement recommandé la paix et l’unité n’a pas voulu que nos prières eussent un caractère personnel et égoïste; il n’a pas voulu, quand nous prions, que nous ne pensions qu’à nous-même. Nous ne disons pas: mon père qui es dans les cieux, donne-moi aujourd’hui le pain dont j’ai besoin. Nous ne demandons pas seulement pour nous-mêmes le pardon de nos fautes, l’exemption de toute tentation et la délivrance du mal. Notre prière est publique et commune, et quand nous prions, nous ne pensons pas seulement à nous, mais à tout, le peuple; car tout le peuple chrétien ne forme qu’un seul corps. Le Dieu qui nous a enseigné la paix la concorde et l’unité veut que notre prière embrasse tous nos frères, comme il nous a tous portés lui-même dans sou sein paternel. Ainsi prièrent les trois enfants dans la fournaise leurs voix étaient unies comme leurs coeurs. C’est ce que nous enseigne l’Écriture, en les proposant à notre imitation : Les trois enfants, dit-elle, comme d’une seule bouche, chantaient un hymne au Seigneur et le bénissaient (Dan., III). Et pourtant le Verbe (197) fait homme ne leur avait pas appris à prier. Est-il donc étonnant qu’il ait exaucé leur demande, lui qui prête toujours l’oreille à la prière de l’homme simple et pacifique?

Nous voyons les apôtres et les disciples prier de la même manière, après l’ascension de Jésus-Christ. Tous, dit l’Écriture, unis par un même sentiment, persévéraient dans la prière avec les saintes femmes, avec Marie, mère de Jésus, et ses proche parents (Act., I). Nous voyons, par cette union, combien leur prière était sincère, persévérante et efficace. Dieu qui réunit dans la même maison les frères dont les sentiments sont unanimes, n’ouvre les portes de la demeure éternelle qu’à ceux dont les coeurs s’unissent dans la prière.

3° Que vous dire, mes frères bien-aimés, des mystères de l’oraison dominicale? Qu’ils sont nombreux, qu’ils sont grands, qu’ils sont féconds en grâces spirituelles, quoique résumés en peu de mots! Tout ce que vous trouvez dans les autres prières est renfermé dans cette céleste formule.

Le Seigneur nous dit vous prierez ainsi: Notre Père, qui êtes dans les cieux.

L’homme nouveau, régénéré par le baptême, rendu par la grâce à Dieu,, son créateur, commence par dire: Père, parce que lui-même est devenu enfant de Dieu. Le Verbe, dit saint Jean, est venu dans sa propre demeure, et les siens ne l’ont pas reçu; mais à ceux qui l’ont reçu et qui croient en lui, il a donné le privilège d’être les enfants de Dieu. (Joan., I). Donc celui qui croit à Jésus-Christ devient enfant de Dieu. Il doit commencer par rendre grâces, par reconnaître sa dignité, en donnant le titre de père au Dieu qui réside dans le ciel. Ce n’est pas tout: en entrant dans la vie spirituelle, il doit montrer qu’il renonce à son père selon la chair, et qu’il ne reconnaît d’autre père que celui qui est dans le ciel. Moïse, au livre du Deutéronome, (199) loue le courage des fils de Lévi. qui, pour être fidèles au Seigneur, dirent à leur père et à leur mère : " je ne vous connais pas, " et oublièrent leurs propres enfants. Le Seigneur nous avertit de ne donner à personne sur la terre le nom de père; car nous n’avons qu’un seul père qui est dans le ciel. Il disait au disciple qui lui parlait de son père défunt : Laisse les morts ensevelir leurs morts. Le disciple parlait de son père qui venait de mourir; Jésus lui rappelait que le père des croyants vit toujours.

Nous ne disons pas seulement Père, mais notre Père : c’est-à-dire père de ceux qui croient, de ceux qui, sanctifiés et régénérés par la grâce divine, sont devenus les fils de Dieu. Cette parole condamne ouvertement les Juifs. Aveuglés par l’esprit de révolte, non-seulement ils ont repoussé le Christ annoncé par leurs prophètes, le Christ qui commençait par eux sa mission divine, mais ils lui ont fait subir la mort la plus cruelle. Ils ne peuvent appeler Dieu leur père, car Jésus est là pour les confondre : Vous êtes les fils du démon, leur dit-il, et vous marchez sur les traces impures de votre père. Il fut homicide dès le commencement; il ne persévéra pas dans la vérité; aussi la vérité n’est pas en lui (Joan., VIII.). Le Seigneur, dans son indignation, parle ainsi par la bouche d’Isaïe : J’ai engendré des enfants, je les ai élevés, et ils m’ont méprisé. Le boeuf connaît son maître, l’âne l’étable où il trouve sa nourriture : Israël ne me connaît pas; mon peuple n’a pas su me comprendre. Malheur à la nation coupable, à ce peuple chargé d’iniquités! Race perverse, enfants criminels, vous avez abandonné le Seigneur; vous avez enflammé la colère du saint d’Israël (Isa.,1).

C’est donc une condamnation pour les Juifs que ces mots notre Père que nous prononçons, dans notre prière. Dieu est devenu notre père, en cessant d’être celui des Juifs qui l’avaient (201) abandonné. Le nom de fils ne peut appartenir au peuple coupable; mais à ceux qui ont reçu la rémission de leurs péchés, et, avec ce titre, ils possèdent la promesse de l’éternité. Jésus a dit : Tout homme qui commet le péché est esclave du péché. L’esclave est banni de la maison de son maître; mais le fils y reste toujours (Joan., VIII).

Quel excès de bonté et de miséricorde do la part de Dieu, nies frères! il veut que dans les prières que nous lui adressons, nous l’appelions notre Père, en sorte que nous partageons avec le Christ la dignité de Fils de Dieu. Certes, personne d’entre nous n’oserait prendre ce titre sans la permission divine. Sachons donc, mes frères, et n’oublions jamais que, puisque nous appelons Dieu notre père, nous devons agir comme des enfants de Dieu, afin qu’il se complaise dans ses fils, comme nous nous complaisons dans notre Père. Soyons comme les temples de Dieu, afin qu’il daigne habiter en nous. Que nos actes répondent à la grâce qui nous anime, afin que, voués à une vie toute céleste, nos pensées et nos actions s’élèvent vers le ciel. C’est encore la parole du Seigneur: Je glorifierai ceux qui me glorifient; celui qui me méprise sera méprisé (I Reg., II). L’apôtre saint Paul. nous dit à. son tour: Vous ne vous appartenez plus, car vous avez été achetés bien chers; glorifiez et portez Dieu dans votre corps (I Corin., VI.).

Nous disons ensuite : Que votre nom soit sanctifié.

Nous sommes loin de penser que nos prières puissent ajouter quelque chose à la sainteté de Dieu: nous demandons seulement que son nom soit sanctifié en nous. Qui pourrait rendre plus saint celui de qui découle toute sainteté? Mais comme il nous a dit : Soyez saints parce que je suis saint (Lev., XX.), nous lui (203) demandons chaque jour de persévérer dans cette sainteté que nous avons reçue par le baptême. Nous avons besoin de nous sanctifier sans cesse pour expier les fautes que nous commettons tous les jours. Quelle est donc cette sainteté que nous recevons de la grâce divine? Écoutez l’apôtre : Ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les hommes adonnés à d’infâmes passions, ni les voleurs, ni les faussaires, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les ravisseurs n’obtiendront le royaume de Dieu. Vous avez été souillés de tous ces crimes; mais vous avez été lavés, justifiés, sanctifiés au nom du Seigneur Jésus par la grâce du Saint-Esprit (I Corint., VI). Nous avons été sanctifiés, dit l’apôtre, au nom du Seigneur Jésus, par la grâce du Saint-Esprit. Eh bien! nous prions afin que cette sainteté demeure toujours en nous. Et comme notre juge suprême recommande au malade guéri et justifié par lui de ne plus retomber dans Je péché de peur qu’il ne lui arrive quelque chose de pire, nous prions Dieu nuit et jour de nous conserver la sainteté et la vie que nous tenons de son infinie bonté.

Que votre règne arrive.

C’est pour nous que nous demandons que le royaume de Dieu arrive, comme c’est en nous que nous désirons que son nom soit sanctifié. Car Dieu règne de toute éternité; en lui, ce qui a toujours été et ce qui sera toujours rie peut avoir de commencement. Mais, quand nous prions, nous demandons ce royaume que Dieu nous a promis, ce royaume qu’il nous a mérité par ses souffrances et par son sang. Ainsi, après avoir subi l’esclavage du siècle, nous régnerons avec le Christ, comme il nous l’a dit lui-même : Venez les bénis de mon père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde (Mat., XXV.).

On peut encore, mes frères bien-aimés, entendre par le royaume de Dieu le Christ lui-même. Nous désirons chaque (205) jour le voir apparaître, nous soupirons sans cesse après son avènement. Comme il est notre résurrection, puisque c’est en lui que nous ressusciterons, il peut aussi être le royaume de Dieu, puisque c’est en lui que nous régnerons.

C’est avec raison que nous demandons le royaume de Dieu, c’est-à-dire un royaume céleste, car il est aussi un royaume terrestre; mais celui qui a renoncé au siècle est plus grand que les honneurs et la puissance d’ici-bas : aussi il ne désire pas les royaumes de la terre, mais celui du ciel. Nous devons prier continuellement pour ne pas perdre le royaume céleste, comme les Juifs à qui il fut d’abord promis. Beaucoup, dit Jésus-Christ, viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place, avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux, quant aux fils du royaume, ils seront jetés dans les ténèbres. Là seront les pleurs et les grincements de dents (Mat., VIII). Nous voyons par ces paroles que les Juifs furent les fils du royaume tant qu ils continuèrent à être les fils de Dieu Quand ils perdirent le nom de leur père, ils perdirent leur royaume.

Nous donc, chrétiens, qui dans la prière appelons Dieu notre Père, nous demandons que son royaume nous arrive..

Nous ajoutons : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Nous ne demandons pas que Dieu fasse ce qu’il veut, mais de faire nous-mêmes ce que veut le Seigneur. Qui peut résister à Dieu et l’empêcher d’accomplir sa volonté? pour nous, il n’en est pas de même. Comme nous trouvons des obstacles de la part du démon, nous demandons que la volonté de Dieu s’accomplisse en nous. Pour cela, nous avons besoin du secours d’en haut, car personne n’est fort par ses propres forces: nous devons nous appuyer sur la grâce et la miséricorde du Seigneur. (207)

Cette faiblesse de l’humanité, nous la trouvons dans le Sauveur lui-même : Mon père, s’écriait-il, si c’est possible que ce calice s’éloigne de moi; mais pour montrer à ses disciples qu’ils doivent toujours accomplir la volonté divine et non la leur, il ajoutait : Cependant, non ce que je veux, mais ce que vous voulez (Mat., XXVI.). Ailleurs, il nous dit : Je suis venu sur la terre non pour faire ma volonté, mais celle de mon Père qui m’a envoyé (Joan., VI.). Si le Fils s’est fait obéissant pour accomplir la volonté de son Père, quelle doit être l’obéissance du serviteur quand il s’agit des ordres de Dieu? Saint Jean nous y exhorte en ces termes:

N’aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si vous aimez le monde, la charité du Père n’est plus en vous; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle. Or, tout cela ne vient pas du Père, mais de l’esprit du mal. Le monde passera avec sa concupiscence, mais celui qui accomplit la volonté de Dieu vivra éternellement comme Dieu lui-même (Joan., II.).

Si nous voulons vivre éternellement, faisons la volonté de ce Dieu qui est éternel Or, la volonté de Dieu est celle que le Christ, nous a manifestée en l’accomplissant : l’humilité dans notre conduite, la fermeté dans notre foi, le respect dans nos paroles, la justice dans nos actes, la charité dans nos oeuvres, la sévérité dans nos moeurs. Dieu veut que nous ne fassions aucune injure au prochain, que nous supportions celles qui nous sont faites, que nous soyons en paix avec nos frères, que nous l’aimions de tout notre coeur, chérissant en lui le père et craignant le Dieu. Il veut que nous ne préférions rien au Christ, qui, n’a lui-même rien préféré à nous; que nous soyons inséparablement unis à sa charité, fermement attachés à sa croix. Il veut, quand il s’agit de l’honneur et de la gloire du nom chrétien, qu’il y ait en nous cette constance qui confesse la vérité, (209) cette fermeté qui soutient la lutte, cette patience qui, par la mort, mérite la couronne. C’est ainsi qu’on devient cohéritier de Jésus-Christ; c’est ainsi qu’on exécute ses ordres et qu’on accomplit la volonté du Père.

Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse et dans le ciel et sur la terre, car c’est de ce double accomplissement que dé-pend notre salut. Notre corps vient de la terre, notre esprit du ciel; nous sommes donc à la fois ciel et terre et nous demandons pour l’un et pour l’autre, c’est-à-dire pour le corps et pour l’esprit, le triomphe de la volonté divine. II y a lutte entre la chair et l’esprit : ces deux adversaires se livrent chaque jour dès combats; en sorte que nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons. L’esprit cherche les choses du ciel, la chair les choses de la terre. L’objet de notre prière est donc d établir, avec l’aide de Dieu, la concorde et la paix entre ces puissances rivales, afin que la volonté divine s’accomplisse dans notre esprit et dans notre chair et qu’ainsi notre âme régénérée au salut.

Je ne fais que suivre ici les enseignements de saint Paul. La chair, dit-il, convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair; ils sont en lutte, l’un contre l’autre, en sorte que vous ne faites pas toujours ce que vous vouiez. Vous connaissez les oeuvres de la chair : ce sont les adultères, les fornications, les impuretés de tout genre, l’idolâtrie, les empoisonnements, les homicides, les inimitiés, les disputes, les jalousies, les animosités, les provocations, les haines, les dissensions, les hérésies, l’envie, l’ivresse, la gourmandise et autres vices semblables. Or, je vous préviens, comme Jésus l’a fait, que ceux qui tombent dans ces iniquités ne posséderont pas le royaume de Dieu. — Les fruits de l’Esprit sont la charité, la joie, la paix, la grandeur d’âme, la bonté, la foi, la douceur, la continence, la chasteté (Gal., V.). Voyez-vous maintenant pourquoi nous demandons à Dieu, (211) chaque jour, que sa volonté s’accomplisse en nous et dans le ciel et sur la terre? C’est que la volonté de Dieu est que les choses du ciel l’emportent sur celles de la terre et que les biens spirituels et divins occupent la première place.

On pourrait donner une autre interprétation. Le Seigneur nous ordonne d’aimer nos ennemis et de prier même pour nos persécuteurs. Dociles à cet ordre, nous demandons pour ces hommes encore terrestres, parce qu’ils ne sont pas illuminés par la grâce, que la. volonté de Dieu s’accomplisse en eux: cette volonté que le Christ a si bien exécutée, en conservant l’homme et en le rétablissant dans tous ses droits. Il appelle ses disciples le sel de la terre, et l’apôtre nous dit que le premier homme a été tire du limon et le second du ciel. Appelés à ressembler à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et les pécheurs, c’est avec raison que, d’après les avertissements du Seigneur, nous prions pour le salut de tous — Quelle est donc notre prière ? De même que la volonté de Dieu a triomphé dans le ciel, c’est-à-dire en nous , pour nous transformer par la foi en hommes célestes, nous demandons que cette même volonté triomphé sur la terre, c’est-à-dire dans les âmes infidèles; afin que ces âmes, terrestres par leur première naissance, deviennent célestes par leur régénération.

Mais continuons: Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

On peut entendre ces paroles dans le sens spirituel et dans le. sens naturel et; dans ces deux cas, par la grâce de Dieu, elles servent au salut. Le pain de vie c’est le Christ, et ce pain n’est pas à tous, mais à nous, chrétiens. Nous disons Notre Père, parce que Dieu est le père des croyants, de même nous disons notre pain, parce que le Christ est notre nourriture, à nous qui mangeons son corps. Or, nous demandons que ce pain nous (213) soit donné chaque jour; car notre vie est dans le Christ, et l’Eucharistie est notre nourriture quotidienne. Si donc, par suite de quelque grave faute, nous étions privés de la participation au pain céleste, nous serions,, par cela même, séparés du corps du Christ. Écoutez sa parole : Je suis le pain de vie descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai c’est ma chair que je livre pour le salut du monde. (Joan., VI) D’après cette parole, il est évident que ceux qui mangent le pain eucharistique et reçoivent dans la communion le corps du Sauveur vivent éternellement Par suite, en s’éloignant du corps de Jésus-Christ, on doit craindre de s’éloigner de la voie du salut. D’ailleurs la parole du maître est formelle Si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Ainsi donc nous réclamons notre pain quotidien, c’est-à-dire le Christ, afin que nous, dont la vie est dans le Christ, nous demeurions toujours unis à sa grâce et à son corps sacré.

Les paroles que nous commentons peuvent être prises dans un autre sens; le voici. Nous avons renoncé au siècle; fidèles à l’appel de la grâce, nous avons foulé aux pieds les richesses et les pompes du siècle; nous n’avons donc besoin que de la nourriture. C’est la p’arole. du Seigneur: Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple. Le disciple de Jésus-Christ, renonçant à tout, selon la parole de son maître, ne doit demander que le pain de chaque jour. Ses désirs ne doivent pas s’étendre plus loin, puisque Jésus a dit: Ne vous mettez pas en peine du lendemain; le lendemain .se pourvoira lui-même des choses nécessaires; à chaque jour suffit son mal (Luc., XIV.).

C’est donc avec raison que le disciple du Christ demande sa nourriture au jour le jour, puisqu’il lui est défendu de (215) s’occuper du lendemain. Une conduite opposée serait absurde. Comment chercherions nous à vivre longtemps dans ce monde, nous qui désirons la prompte arrivée du royaume de Dieu? Aussi le bienheureux apôtre, voulant rendre plus fermes notre foi et notre espérance, nous donne cette leçon : Nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en emporterons rien. Puisque nous avons des vêtements et un toit pour nous couvrir, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, ‘dans des piéges, dans des désirs funestes qui poussent l’homme à sa ruine; car la racine de tous les maux est la cupidité. Ceux qui ont voulu suivre ses attraits ont fait un triste naufrage et se sont préparé bien des douleurs (I Tim., VI.). D’après ces paroles, les richesses sont non-seulement méprisables , mais encore périlleuses., Là se trouve la racine de tous ces maux qui

flattent et qui aveuglent l’esprit humain pour le tromper.

C’est pour cela que le Seigneur reprend le riche stupide, qui récapitulait sa fortune et se glorifiait de l’abondance de ses récoltes : Insensé, cette nuit même on viendra te réclamer ton âme et ces biens que tu as amassés à qui seront-ils (Luc, XI.)? Pauvre fou! il se réjouissait de ses biens et il allait mourir! la vie lui manquait et il songeait à amasser des vivres en abondance! Les enseignements du Seigneur sont bien différents: il nous dit que lé.. sage par excellence est celui qui vend tous ses biens, les distribue aux pauvres, et se prépare un trésor dans le ciel. Celui-là seul, dit-il, est capable de le suivre et de participer à la gloire de sa passion qui, dégagé de tout lien terrestre, marche vers le ciel en s’y faisant précéder de ses richesses. Pour se préparer à cet acte de vertu, que chacun de nous apprenne à prier et à s’instruire par la prière.

Ne croyez pas que le juste manque du pain de chaque jour; n’est-il pas écrit : J’ai été jeune, me voici vieux, et je n’ai (217) jamais vu le juste abandonné et ses enfants mendiant leur pain (Psal. XXXVI.). Le Seigneur nous dit encore: Ne vous demandez pas à vous-mêmes que mangerons-nous, que boirons-nous, de quoi nous vêtirons-nous? Les païens se préoccupent de ces choses; mais votre Père saie que vous en ,avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et la sainteté et tout cela vous sera donné en surcroît (Mat., VI.). Telle est la promesse du Christ. Comme tout appartient à Dieu, rien ne peut manquer à celui qui possède Dieu, tant qu’il lui restera fermement attaché. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions par l’ordre du roi de Babylone; Dieu lui envoya sa nourriture, et l’homme de Dieu mangea tranquillement au milieu des bêtes qui, malgré leur faim, n’osaient se jeter sur lui, Élie, fuyant dans le désert, fut sauvé par des corbeaux qui lui apportaient sa nourriture. O détestable cruauté de la malice humaine! les bêtes féroces épargnent un prisonnier, les oiseaux nourrissent un fugitif, et les hommes se dressent des embûches et exercent leurs fureurs les uns contre les autres!

Nous prions ensuite pour obtenir la rémission de nos péchés: Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Après le pain de chaque jour, nous demandons le pardon de nos péchés, afin que, nourris par Dieu, nous vivions en Dieu. Il ne s’agit pas seulement de la vie présente, mais de la vie éternelle où nous ne pouvons arriver qu’autant que, nos offenses seront pardonnées. Le Seigneur donne à ces offenses le nom de dette, comme dans son Évangile : Je t’ai remis toute ta dette parce que tu m’en as prié (Mat., XVIII.). Nous rappeler que nous sommes pécheurs est un avis aussi salutaire que sage; car forcés de prier pour nos fautes et d’implorer le pardon de Dieu, nous apprenons à nous connaître nous-mêmes. Que personne ne se (219) complaise dans sa prétendue innocence; personne n’est innocent: ces sentiments d’orgueil ne feraient que le rendre plus coupable. En priant tous les jours pour nos péchés, nous pouvons nous convaincre que nous péchons chaque jour. C’est ce que nous apprend l’apôtre saint Jean: Si nous disons que nous sommes innocents, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste, il nous les pardonnera (I Joan., VIII.). L’apôtre a réuni dans son épître ces deux vérités : que nous devons prier pour nos péchés, et que nous en obtenons le pardon par nos prières. C’est pour cela qu’il nous dit que Dieu est fidèle à remettre les péchés. Ainsi il nous rappelle la promesse divine; car c’est Dieu qui, eu nous disant de prier pour nos fautes, .nous promet la miséricorde et le pardon.

Cependant, mes frères, Dieu ajoute à sa promesse une condition. Il veut que nous demandions le pardon de nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Il nous montre, par là, que nous ne pouvons obtenir notre grâce qu’autant que nous nous montrons miséricordieux envers nos débiteurs. Aussi il nous dit dans l’Évangile : On se servira à votre égard de la mesure dont vous aurez usé envers vos frères. Le serviteur qui, après avoir reçu de son maître la remise de sa dette, ne voulut pas user de la même condescendance envers son compagnon d’esclavage fut jeté en prison. Par sa dureté, il perdit ce que son maître lui avait généreusement accordé. Le Seigneur insiste plus fortement encore sur ce point: Lorsque vous voudrez prier, dit-il, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez-le, afin que votre Père céleste pardonne aussi vos péchés. Si vous ne pardonnez pas vous-mêmes, votre Père qui est dans le ciel ne vous remettra pas non plus vos péchés (Mat., XI.) Il ne vous restera aucune excuse au jour (221) du jugement, car vous serez jugé d’après votre propre sentence; vous serez traité comme vous aurez traité les autres.

Le Seigneur veut que ses enfants soient unis par les liens de la paix et de la concorde; ils veut qu’ils persévèrent dans cette charité qu’ils tiennent de leur seconde ,naissance. Nous donc, qui sommes les fils de Dieu, persévérons dans la paix qu’il nous a laissée et, puisque nous n’avons qu’un seul esprit, n’ayons qu’une seule pensée et un seul sentiment. Le Seigneur n’accepte pas le sacrifice de celui qui conserve dans son coeur des sentiments de haine; il l’éloigne de l’autel; il lui ordonne d’aller se réconcilier avec son frère et de revenir ensuite lui adresser des prières inspirées par l’esprit de charité. Le sacrifice le plus agréable à Dieu c’est la paix, la concorde fraternelle, l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit reproduite le peuple chrétien. Nous en avons une preuve dans les offrandes d’Abel et de Caïn. Dieu considérait leurs coeurs et non leurs présents le présent ne lui plaisait plus autant que le voeur lui était agréable. Abel, homme juste et pacifique, offre à Dieu des sacrifices innocents ; il nous apprend que nous devons approcher de l’autel avec la crainte de Dieu, avec un coeur simple, avec l’esprit de sainteté, de paix et de concorde. C’est à juste titre, qu’offrant à Dieu de pareils sacrifices, il est devenu lui-même victime. Le premier, il a suivi la route du martyre et il a dignement figuré la Passion de Jésus-Christ, lui qui avait conservé la justice et la paix du Seigneur. Voilà les hommes que Dieu couronnera au jour du jugement et qu’il réclamera pour les siens.

Mais l’homme animé de l’esprit de discorde et de haine, fût-il mis à mort pour le nom de Jésus-Christ, saint Paul nous assure qu’il ne pourrait expier son crime; car il est écrit :

Celui qui hait son frère est un homicide; or, un homicide ne peut ni arriver au royaume du ciel ni vivre en Dieu (I Joan., III). Peut-il (223) être avec le Christ, celui qui a préféré imiter Judas que le Christ? Quelle tache, mes frères, que celle que le baptême du sang ne peut laver! Quel crime que celui qui ne peut être expié par le martyre!

Le Seigneur nous ordonne d’ajouter : Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation.

Nous voyons par ces paroles que l’ennemi ne peut rien contre nous, si Dieu ne le permet. Ainsi nous devons mettre entre les mains de Dieu nos craintes, nos espérances, nos résolutions, puisque le démon ne peut nous tenter qu’autant que Dieu lui en donne le pouvoir. C’est ce que nous enseigne l’Écriture: Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint assiéger Jérusalem et Dieu la livra entre ses mains. Or, c’est à cause de nos péchés que Dieu donne au mauvais esprit une certaine puissance contre nous. Qui a livré les dépouilles de Jacob et d’Israël entre les mains des ennemis ? N’est-ce pas le Dieu qu’ils ont offensé, dont ils ont repoussé les commandements et méprisé la loi? N’est-ce pas lui qui a fait tomber sur eux le poids de sa colère (Isa., XLII..)? Nous voyons le même fait dans l’histoire de Salomon: il pèche, il s’éloigne des préceptes et des voies du Seigneur, aussi l’Écriture nous dit : Le Seigneur excita l’ennemi contre Salomon (2).

Ce pouvoir est accordé à l’ennemi pour deux motifs: ou pour nous punir de nos fautes, ou pour nous glorifier par l’épreuve. C’est ce que nous montre l’histoire de Job. Tout ce qu’il possède, dit le Seigneur au démon, est entre tes mains; mais prends garde de toucher à sa personne (Job, I.). De même, pendant sa passion, le Sauveur dit à Pilate : Tu n’aurais contre moi aucun pouvoir, s’il ne te venait d’en Haut. Ainsi ces paroles que nous adressons à Dieu : Ne souffrez pas que nous soyons induits en (225) tentation, nous rappellent notre infirmité et notre faiblesse. Elles nous tiennent en garde contre les révoltes de l’orgueil, contre la présomption et la vaine gloire. Nous ne devons nous glorifier de rien, pas même de la confession du nom de Jésus-Christ, pas même du martyre; car Jésus nous recommande l’humilité en disant : Veillez et priez pour ne pas être exposés à la tentation. L’esprit est prompt, mais la chair est faible. Ainsi lorsqu’on reconnaît humblement sa bassesse et qu’on rapporte tout à Dieu, son coeur s’ouvre à la miséricorde, et il exauce des prières inspirées par le respect et par le désir de lui plaire.

A la fin, se trouve la formule qui renferme en deux mots toutes nos demandes et toutes nos prières : Délivrez-nous du mal.

Par ces mots, nous entendons tous les actes d’hostilité que l’ennemi peut exercer contre nous dans ce monde et dont Dieu seul, par sa grâce, peut nous garantir et nous délivrer. Quand nous avons dit: Délivrez-nous du mal, il ne reste plus à rien à demander. Nous implorons la protection divine contre l’esprit du mal, et, après l’avoir obtenue, nous sommes en sûreté contre les assauts du démon et du monde. Car comment craindre le siècle, quand Dieu nous couvre de son égide?

Ne vous étonnez pas, mes frères bien-aimés, de la sublimité de, cette prière: c’est Dieu qui en est l’auteur, Dieu qui a résumé en quelques mots tout ce qui peut assurer la paix parmi nous. C’est ce que le prophète Isaïe avait prédit depuis longtemps, lorsque, sous l’inspiration du Saint-Esprit, il parlait de la majesté et de l’amour de Dieu : Sa parole, disait-il, renferme en abrégé toute justice, et il la manifestera en peu de mots à l’univers (Is. I.) Car son Verbe, Notre-Seigneur Jésus-Christ, est descendu sur la terre pour nous tous ; il a réuni sous une même loi les savants et. les ignorants, et il a donné à tout sexe et à (227) tout âge les leçons du salut. Ce n’est pas assez : il a groupé comme en un faisceau tous ses enseignements, pour ne pas charger la mémoire des fidèles; mais pour leur apprendre rapidement ce qui est nécessaire à une foi simple et sans étude. Ainsi, quand il voulut nous enseigner ce qu’est la vie éternelle, il exprima ce mystère avec une concision toute divine : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous Dieu unique et véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Joan., XVII.). De même, quand il voulut recueillir dans la loi et les prophètes les préceptes essentiels : Écoute Israël, dit-il, ton Dieu est un Dieu unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton esprit, de toutes tes forces. Dans ces deux préceptes sont renfermés toute la loi et les prophètes (Marc, XII.). Et ailleurs : Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous-mêmes faites-le pour eux tel est l’enseignement de la loi et des prophètes (Mat., VII.).

Jésus-Christ nous a appris à prier, non-seulement par ses paroles, mais aussi par. ses .exemples. Lui-même priait fréquemment, nous montrant ainsi ce que nous devons faire. Jésus, dit le texte sacré, se retirait dans la solitude et il adorait. Nous lisons dans un autre évangéliste: Il se retira sur une montagne et il passa la nuit à prier. Si Jésus, l’innocence même, priait, à plus forte raison, nous qui sommes pécheurs, devons nous prier. Si Jésus passait toute la nuit en prière, à plus forte raison, devons nous veiller pour nous livrer plus longtemps à ce saint exercice. Or, le Seigneur priait, non pas pour lui, que pouvait-il demander, lui qui était sans tache? Mais il priait pour nos fautes, comme il le déclara à Pierre, en disant: Voilà que Satan va vous triturer comme le froment; mais j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas (Luc, XII.). Ensuite il (229) recommande à son Père tous ses disciples : Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais pour tous ceux qui, éclairés par leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. De même que vous, mon Père, vous êtes en moi et que je suis en vous, puissent-ils, eux aussi, ne faire qu’un avec nous (Joan., XVII.). Quelle bonté de la part de notre Dieu! non content de nous racheter au prix de tout son sang, il veut encore prier pour nous. Or, voyez quel est le but de sa prière. Comme le Père et le Fils ne sont qu’un, il veut que, nous aussi, nous persévérions dans l’unité. Vous pouvez comprendre par là quelle est la faute de celui qui détruit l’unité et la paix. Le Seigneur a prié pour la conservation de ces liens si précieux parmi son peuple. Il voulait que l’anion la plus étroite régnât parmi les fidèles, car il savait bien que la discorde ne peut avoir accès au royaume céleste.

Quand nous commençons notre prière, mes frères bien-aimés, veillons sur nous-mêmes et occupons-nous uniquement de l’oeuvre que nous accomplissons. Éloignons de notre esprit toute vue, charnelle et mondaine et ne pensons qu’à l’objet de notre demande. Aussi, avant la prière solennelle, le prêtre prépare les esprits en chantant la préface : Les coeurs en haut, dit-il; et le peuple répond : nous les avons vers le Seigneur. Par ces paroles, les fidèles sont avertis qu’ils ne doivent penser qu’à Dieu. Fermons notre coeur à l’ennemi, ouvrons-le à Dieu seul et ne souffrons pas que le démon s’approche de nous au temps de la prière. Il se glisse dans l’ombre; il pénètre jusqu’à nous et, par sa ruse, il détourne nos prières de leur but véritable; d’où il arrive que nos sentiments diffèrent de nos paroles. Et cependant l’essence de la prière ne consiste pas dans le son de la voix, mais dans la sincérité de l’intention et dans l’élévation de l’âme vers Dieu.

Quelle faiblesse de vous laisser détourner de votre prière par des pensées vaines et profanes, comme si quelque autre chose (231) était plus digne d’occuper votre esprit que les paroles que vous adressez à Dieu! Vous ne vous écoutez pas vous-mêmes; comment voulez-vous que Dieu vous écoute? vous vous oubliez vous-mêmes, comment Dieu se souviendrait-il de vous? Une telle conduite nous expose sans défense aux atteintes du démon; elle blesse la majesté divine dans l’acte solennel de la prière. Les yeux veillent, c’est vrai, mais le coeur dort; et pourtant le contraire devrait avoir lieu chez les chrétiens: quand leurs yeux dorment, leur coeur devrait veiller. L’est ce que faisait l’épouse des Cantiques qui figurait l‘Église : Je dors, disait-elle, mais mon coeur veille. De là cet avertissement si sage et si salutaire de l’apôtre: Priez avec application et vigilance. Il nous montre que le moyen d’obtenir de Dieu l’objet de nos demandes, c’est d’être vigilants, dans notre prière.

Quand nous voulons prier, n’approchons pas de Dieu les mains vides : la prière reste sans effet quand elle n’est pas accompagnée par les bonnes oeuvres. Tout arbre stérile est coupé et jeté au feu; de même des paroles non fécondées par les oeuvres ne peuvent nous mériter la grâce divine. C’est ce que. nous enseigne l’Écriture : La prière accompagnée du jeûne et. de l’aumône est agréable à Dieu (Tob., XII). Au dernier jour, le souverain Juge récompensera les bonnes oeuvres et les aumônes; aujourd’hui, de même, il écoute favorablement ceux qui se présentent à lui les mains pleines d’actes méritoires. C’est ainsi que le centurion Corneille mérita d’être exaucé : il distribuait beaucoup d’aumônes au peuple; il priait Dieu constamment; aussi, vers la neuvième heure, pendant sa prière, l’ange du Seigneur lui apparut pour rendre témoignage à ses œuvres : Corneille, lui dit-il, tes prières et tes aumônes sont montées jusqu’à Dieu et il en conserve le souvenir (Act., X.). Les prières montent rapidement vers le ciel quand elles sont soutenues par le (233) mérite de nos oeuvres. C’est le témoignage de l’ange Raphaël à Tobie qui unissait toujours l’action à la prière. Il est honorable, dit-il, de révéler les oeuvres divines. Quand tu priais ainsi que Sara, j’offrais votre prière au Seigneur. Quand tu ensevelissais les morts avec tant de simplicité, quand tu interrompais ton repas pour leur rendre ce pieux office, j’étais là pour être le témoin de ta conduite dans l’épreuve. Dieu m’envoie de nouveau vers toi pour te guérir, comme j’ai déjà délivré Sara, l’épouse de ton fils. Je suis Raphaël, un des sept esprits qui se tiennent devant le trône de Dieu (Tob., XII.).

Le Seigneur nous donne le même enseignement par la bouche d’Isaïe : Rompez, dit-il, les chaînes de l’iniquité; déchargez vos semblables du fardeau que vous faites peser sur eux; rendez le repos aux opprimés; déchirez les titres injustes; faites part de votre pain à celui qui a faim; introduisez dans votre maison les indigents qui n’ont point de toit; si vous voyez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez point votre propre sang. Alors votre nom brillera d’un vif éclat; la saintet,é vous couvrira comme un manteau; son éclat trahira votre ‘présence et vous serez inondé de la splendeur de Dieu. Alors vous prierez, et Dieu vous exaucera, et, au milieu de votre prière, il vous dira: Me voici (Isa., LVIII.). Telle est la promesse du Seigneur, chrétiens : il exauce et protège ceux qui délivrent leurs coeurs des liens de l’injustice; qui, selon ses ordres, répandent d’abondantes aumônes entre les mains des pauvres. Ils écoutent la parole du Seigneur, et Dieu les écoute à son tour.

L’apôtre saint Paul, aidé dans sa pauvreté par les fidèles, appelle les bonnes oeuvres de ce genre des sacrifices offerts à Dieu. J’ai été rassasié, dit-il, en recevant d’Epaphrodite ce que (235) vous avez envoyé; c’est un sacrifice méritoire et agréable à Dieu (Philip., IV.). En venant au secours du pauvre, on prête à Dieu lui-même; en donnant aux plus petits, c’est à Dieu qu’on donne; on offre au Dieu de toute suavité un sacrifice d’agréable odeur.

4° Quant à l’heure de la prière, nous voyons que les trois enfants captifs à Babylone observaient l’heure de tierce, de sexte et de none, pour figurer sans doute la Trinité divine qui devait se manifester plus tard. De la première ,heure ou de prime jusqu’à tierce nous trouvons trois heures; nous trouvons le même nombre de tierce à sexte et de sexte à none: la Trinité se manifeste donc par trois espaces réguliers, composés chacun de trois heures. Déjà depuis longtemps les serviteurs du vrai Dieu, éclairés par l’Esprit-Saint, avaient déterminé, ces heures pour les consacrer à la prière, et les événements ont montré que cette conduite des justes avait quelque chose de mystérieux et de sacré. Car c’est à l’heure de tierce que le Saint-Esprit descendit sur les apôtres pour accomplir la promesse divine. C’est à l’heure de sexte que Pierre, priant sur le toit de sa maison et doutant encore s’il devait accorder aux idolâtres le sacrement de la régénération, entendit la voix de Dieu qui lui ordonnait d’admettre tous ,les hommes à la grâce du salut. C’est à l’heure de sexto que le Seigneur, crucifié pour nous, lava jusqu’à l’heure de none nos péchés avec son sang, et remporta cette victoire qui fut pour nous la rédemption et la vie.

Mais pour nous, mes frères bien-aimés, les mystères de la loi nouvelle nous font une obligation de prier plus souvent. Nous devons prier le matin, pour célébrer, par cet hommage, la résurrection du Seigneur. C’est ce que l’Esprit nous enseigne dans les psaumes : Mon roi et mon Dieu, je vous adresserai ma prière et dès le matin vous entendrez ma voix. Dès le matin je me tiendrai en votre présence et je vous contemplerai (Psal., V.). Le (237) Seigneur nous dit encore par la bouche d’un de ses prophètes: Dès le point du jour ils veilleront devant moi en disant: Allons et convertissons-nous au Seigneur notre Dieu (Os., VII.).

Au coucher du soleil et à la fin du jour, nous devons encore remplir le devoir de la prière. Le Christ est le véritable soleil et la véritable lumière. Lorsqu’au déclin du jour, nous demandons que la lumière brille de nouveau sur nous, nous implorons la venue du Christ qui nous donnera la grâce de l’éternelle clarté. Or, que le Christ soit désigné par le jour, c’est ce que l’Esprit-Saint nous apprend dans les psaumes. La pierre que les ouvriers ont repoussée est devenue pierre angulaire de l’édifice. C’est le Seigneur qui a fait cette pierre et elle est admirable à nos yeux. C’est le jour que le Seigneur a fait; marchons et réjouissons-nous à sa lumière (Os., VII.).

Le Christ est de même désigné par le soleil comme nous l’atteste Malachie : Pour vous qui craignez le nom du Seigneur, le soleil de justice se lèvera sur vous et ses rayons apporteront le salut (Malach., IV.). Si l’Écriture nous représente le Christ comme le véritable soleil et le véritable jour, il n’y a pas d’heure où les chrétiens ne doivent l’adorer. Nous donc qui jouissons de la lumière de la nouvelle alliance, passons tout le jour en prière, et, quand les lois de la nature nous ramènent la nuit, que les ténèbres ne nous inspirent aucun effroi, car nous sommes fils de la lumière et le jour brille toujours pour nous. Celui qui porte la lumière dans son coeur peut-il être dans les ténèbres? Celui qui trouve dans le Christ et le jour et le soleil peut-il regretter l’absence d’un astre matériel ? Donc, encore une fois, puisque la lumière du Christ brille toujours sur nous, n’interrompons pas notre prière, même pendant la nuit. Ainsi Anne, la veuve de Phanuel, priant et veillant sans relâche, mérita de voir le Christ, comme le rapporte l’Évangile : Elle ne s’éloignait pas (239) du temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière (Luc, II.).

Les gentils qui n’ont pas encore été éclairés ou les juifs déserteurs de la lumière, qui sont restés dans les ténèbres, peuvent ignorer ces vérités. Pour nous, mes frères bien-aimés, qui sommes toujours dans la lumière du Seigneur et qui nous rappelons la dignité où nous élève la grâce divine, ne mettons aucune différence entre le jour et la nuit. Sachons que nous marchons toujours à la lumière, et ne nous laissons pas arrêter par les ténèbres que nous avons quittées. Dan~la nuit, ne suspendons pas nos prières, acquittons-nous-en avec le même soin. Rendus par la grâce de Dieu et par notre seconde naissance à la vie spirituelle, commençons sur la terre la vie du ciel. Là, sans craindre la nuit, nous posséderons le jour véritable; veillons donc ici-bas comme si nous étions toujours dans la lumière. Au ciel nous prierons toujours, toujours nous rendrons à Dieu des actions de grâces; agissons de même sur la terre, et que nos prières et nos actions de grâces ne cessent jamais. (241)

 

 

 

 

 

A DÉMÉTRIEN

1° Calomnies des infidèles; — 2° Cause des calamités publiques; — 3° Nécessité de se convertir; — 4° Jugement dernier.

Depuis longtemps, ô Démétrien, vous déclamez contre le Dieu unique et véritable. Jusqu’à présent, j’ai pensé qu’il valait mieux accueillir avec le silence du mépris les impiétés et les erreurs d’un insensé que d’irriter sa folie par des paroles. Sur ce point, je ne faisais que suivre le conseil du Seigneur: Ne dites rien à l’oreille de l’insensé, de peur qu’après les avoir entendus, il ne méprise vos sages avis (Prov., XXIII.). Et ailleurs : Ne répondez pas à l’insensé, pour ne pas devenir semblable à lui (Ibid., XXVI.). Le Seigneur nous dit encore de conserver dans nos âmes le dépôt de la sainteté : Ne donnez pas aux chiens les choses saintes; ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et qu’ils ne se tournent ensuite contre vous pour vous déchirer (Matt., VII.).

Vous êtes souvent venu chez moi, beaucoup plus pour disputer que pour apprendre. Il vous était plus agréable (243) de proférer à grands cris vos invectives que d’écouter mes raisons. Alors, j’aurais regardé comme une folie d’avoir une discussion avec vous; car il eût été plus facile d’arrêter d’un mot les flots soulevés de la mer que de comprimer votre rage. A quoi bon offrir la lumière à l’aveugle, la parole au sourd, la sagesse à la brute? La brute est incapable de comprendre, l’aveugle de voir, le sourd d’entendre. Ces considérations m’ont condamné au silence. Ne pouvant ni instruire un rebelle, ni soumettre un impie au joug de la religion, ni modérer un furieux, j’ai résolu d’être patient. Mais aujourd’hui vous venez nous dire que beaucoup se plaignent des chrétiens; qu’on fait retomber sur eux la responsabilité des guerres qui se succèdent sans interruption, des pestes et des famines qui exercent leurs ravages, de la sécheresse qui consume les récoltes. En présence de ces calomnies, je ne puis me taire plus longtemps. On pourrait attribuer mon silence à la faiblesse de ma cause, et j’aurais l’air de reconnaître la vérité de ces accusations si je dédaignais de les réfuter. Je vais donc vous répondre, Démétrien, et je répondrai, en même temps, à ceux que vos calomnies ont soulevés contre nous. Ils sont nombreux; ils partagent vos préjugés et vos haines; pourtant je ne désespère pas de les convaincre. Celui qui s’est laissé entraîner au mal par le mensonge, reviendra au bien sous l’empire de la vérité.

1° Vous dites que nous sommes la cause de tous ces fléaux qui pèsent maintenant sur le monde, et qu’ils arrivent parce que nous n’adorons pas vos dieux. Ceci dénote, de votre part, une bien grande ignorance de la vérité. D’abord vous devez savoir que le mondé a vieilli, qu’il n’a plus les forces de la jeunesse, qu’il a perdu sa vigueur et sa fécondité d’autrefois. Ici, nous n’avons pas besoin de démonstration; nous pouvons laisser en paix les oracles divins; le monde parle de lui-même, et, par la chute des êtres qui le composent, il annonce assez clairement son déclin. L’hiver n’a plus les mêmes pluies pour nourrir les moissons; le soleil de l’été les mêmes feux pour les mûrir ; la (245) température du printemps est moins favorable aux plantes,; l’été est moins riche en fruits. Les montagnes fatiguées ne produisent plus la même quantité de marbres; les mines d’or et d’argent s’épuisent, et leurs veines appauvries ne donnent plus les mêmes richesses. La campagne manque de cultivateurs, la mer de matelots, l’armée de soldats. Plus de’ probité sur la place publique, plus de justice dans les tribunaux, de concorde entre les amis, d’habileté dans les arts, de retenue dans les moeurs. Croyez-vous qu’une chose puisse avoir dans sa vieillesse la même sève et la même vigueur qu’à son origine? Tout ce qui arrive à son déclin doit nécessairement diminuer. Ainsi les rayons du soleil couchant perdent leur éclat et leur chaleur; ainsi le disque de la lune s’efface quand elle arrive à ses phases décroissantes; ainsi l’arbre, dont les rameaux étaient autrefois verdoyants et fertiles, se flétrit en vieillissant, se déforme et devient stérile; ainsi la fontaine, dont les eaux abondantes s’étendaient au loin, se dessèche et ne trahit plus sa présence que par un peu d’humidité.

Tel est l’arrêt porté contre le monde, telle est la loi de Dieu: tout ce qui naît meurt, tout ce qui croît vieillit, ce qui est fort devient faible, ce qui est grand diminue et, après l’affaiblissement et la diminution, arrive la fin. Vous imputez aux chrétiens cet affaissement général causé par la décrépitude du monde: pourquoi les vieillards ne leur attribueraient-ils pas la décroissance de leur santé et de leurs forces? Leurs oreilles sont plus dures, leurs pieds moins agiles, leurs yeux moins vifs, leurs entrailles plus paresseuses, leurs membres plus lourds et plus faibles: pourquoi ne pas rendre les chrétiens responsables de toutes ces disgrâces? Autrefois la vie humaine dépassait huit et neuf cents ans; aujourd’hui elle peut à peine atteindre un siècle. Nous voyons des cheveux blancs sur la tête des enfants; la chevelure tombe avant d’avoir pris son accroissement; la vieillesse, qui devrait être le terme de l’existence, en est, au contraire, le seuil. Ainsi tout ce qui naît se précipite vers sa fin et participe (247)à la décrépitude du monde. Ne vous étonnez donc pas de voir tout dépérir dans l’univers, quand l’univers lui-même touche à sa décadence et à son terme.

Quant aux guerres incessantes, aux malheurs causés par la stérilité et la famine, aux maladies, à la contagion qui exercent partout leurs ravages, sachez que tout cela est prédit. A la fin des temps, les maux se multiplieront et prendront les formes les plus diverses. Plus le jour du jugement sera proche, plus aussi s’enflammera la colère de Dieu pour châtier le genre humain.

2° Si ces malheurs arrivent, ce n’est pas parce que les chrétiens n’adorent pas vos dieux, comme vous le faites sonner si haut dans votre ignorance; mais parce que vous n’adorez pas vous-mêmes le Dieu véritable. Il est le maître de ce monde; sa volonté gouverne tout; c’est lui qui produit ou qui permet tous les événements. Lors donc qu’éclate un de ces châtiments qui annoncent la colère de Dieu, ce n’est pas nous qui en sommes cause, puisque nous adorons le vrai Dieu; mais c’est contre vous qu’il est dirigé, contre vous qui ne craignez pas Dieu et qui ne cherchez pas à le connaître, contre vous qui ne voulez pas quitter de vaines superstitions pour vous attacher à la religion véritable et qui empêchez le Dieu unique, le Dieu du genre humain, de recevoir les hommages et les prières de toutes ses créatures. Écoutez sa parole : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul... Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. Ne suivez pas les dieux étrangers, dit-il encore, ne les servez pas, ne les adorez pas, et ne me forcez pas par vos crimes à vous exterminer (Jérem., XXV.). Le prophète Aggée, inspiré par l’Esprit-Saint, nous parle en ces termes de la colère de Dieu : Voici ce que dit le Seigneur, le Dieu tout-puissant parce que mon temple est désert, et que chacun d’entre vous (249) demeure dans sa maison, le ciel refusera sa pluie, la terre suspendra ses productions, j’enverrai des fléaux sur les blés, sur les vignes, sur les oliviers, sur les troupeaux, sur les hommes et sur les ouvrages de leurs mains (Agg., I). Un autre prophète renouvelle les mêmes menaces : Je ferai tomber ma pluie sur une ville et non sur l’autre; une partie des champs sera arrosée et l’autre, privée d’humidité, deviendra stérile. Les habitants de deux et de trois villes se réuniront dans une cité pour y boire de l’eau et l’eau manquera. Et vous ne vous convertissez pas, dit le Seigneur (Amos, IV) !

Le Seigneur s’indigne, il vous menace parce que vous ne revenez pas â lui, et vous, obstinés dans votre révolte et dans votre mépris, vous vous plaignez de la rareté des pluies, de la poussière qui couvre nos champs et qui produit à peine quelques herbes languissantes, de la grêle qui frappe nos vignobles, des tempêtes qui déracinent nos oliviers, de la sécheresse qui tarit nos sources, de ces miasmes pestilentiels qui corrompent l’atmosphère et usent les constitutions les plus robustes. Tous ces fléaux sont le châtiment de vos péchés; et, ce qui met le comble à la colère divine, c’est de voir qu’ils ne vous convertissent pas. Jérémie nous dit qu’ils ont pour but ou de corriger les rebelles ou de punir les méchants : C’est en vain que j’ai frappé vos fils, ils n’ont pas profité du châtiment. Vous les avez frappés, répond le prophète, et ils ne se sont pas repentis; vous les avez châtiés et ils ont repoussé le châtiment (Jér., V). Dieu frappe et on ne le craint pas; il multiplie les fléaux et personne ne tremble. Que serait-ce donc si l’épreuve ne venait nous visiter? Combien l’audace des hommes croîtrait par l’impunité!

Vous vous plaignez de voir les fontaines moins abondantes, l’air moins salubre, la terre moins fertile; vous vous plaignez (251) de voir la nature vous refuser son concours et les éléments ne plus servir, comme autrefois, vos intérêts et vos plaisirs. Mais vous, servez-vous Dieu qui a mis toutes les créatures à votre service? Êtes-vous soumis à celui qui vous a soumis l’univers? Vous exigez les services de votre esclave; homme, vous imposez à un homme la soumission et l’obéissance. Comme lui, vous êtes entré dans la vie, comme lui, vous en sortirez; vos corps et vos âmes sont composés de la même substance; vos droits sont égaux, votre responsabilité égale, soit pendant la vie, soit après la mort; et pourtant, s’il se montre rebelle, s’il ne, se soumet aveuglément à toutes vos volontés, maître impérieux et impitoyable, vous le flagellez, vous le frappez, vous lui faites subir les tortures de la faim, de, la soif, de la nudité; vous ne reculez ni devant la prison, ni devant le glaive. Et vous, misérable, qui exercez ainsi votre domination sur un homme, vous ne reconnaissez pas la puissance de Dieu!

C’est donc avec raison que Dieu multiplie les fléaux et nous frappe à coups redoublés. Hélas! ils servent à bien peu de chose! la terreur qu’ils inspirent convertit bien peu de pécheurs! mais il reste à Dieu une dernière ressource: c’est la prison éternelle, le feu inextinguible, le châtiment perpétuel. Là, les gémissements du coupable ne seront plus entendus, car lui-même, pendant cette vie, a fermé l’oreille aux menaces du Seigneur. Et pourtant sa voix, en passant par la bouche des prophètes, retentissait bien haut : Écoutez la parole du Seigneur, ô fils d’Israël, voici le jugement du Seigneur sur tous les habitants de la terre; car il n’y a plus ni miséricorde, ni vérité, ni connaissance de Dieu; partout, au contraire, on trouve la malédiction, le mensonge, le meurtre, le vol, l’adultère, le sang répandu à profusion. C’est pourquoi la terre pleurera avec tous ses habitants, avec les bêtes des champs, les serpents de la terre, les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, et personne n’échappera à la sentence (Osée, IV.). Dieu s’indigne de ce qu’il n’est ni connu ni (253) craint sur la terre. Il reproche aux hommes leurs mensonges, leurs débauches, leurs fraudes, leur cruauté, leur impiété, leur fureur et personne ne se convertit. Les prédictions se réalisent, et personne, en face des disgrâces du présent, ne songe à se préparer un avenir meilleur. Au milieu de ce cercle d’adversités qui nous presse et nous étouffe, les méchants s’abandonnent à leurs instincts pervers et, au lieu de se juger soi-même, on juge les autres.

Irritez-vous donc contre Dieu, comme si votre vie coupable méritait une récompense; comme si tous les malheurs qui vous frappent étaient en rapport avec vos iniquités. Vous donc qui vous établissez juge des autres, jugez vous enfin vous-mêmes; sondez les replis de votre conscience. Mais que dis-je? maintenant il n’y a plus de honte à pécher; on se fait un mérite de ses prévarications. Eh bien donc! puisque tout le monde connaît votre conduite, ayez le courage de vous regarder un instant.

A combien de passions votre âme n’est-elle pas en proie? l’orgueil, l’avarice, la colère, la prodigalité, l’ivrognerie, la débauche, la jalousie, la cruauté se la disputent tour à tour:

et vous vous étonnez de voir les châtiments s’accroître, quand les crimes vont chaque jour croissant? L’ennemi attaque vos frontières: vous vous plaignez, comme si, en l’absence de l’ennemi, la paix pouvait exister parmi les citoyens. Vous vous plaignez: mais si les armes des barbares cessaient de vous menacer, n’auriez-vous pas vos luttes domestiques; et les grands, avec leurs violences et leurs calomnies, ne seraient-ils pas des ennemis encore plus cruels? Vous vous plaignez de la stérilité et de la famine; mais la cause principale de la famine ce n’est pas La sécheresse, c’est la cupidité : la cupidité qui accapare . les vivres et les tient à un prix inaccessible aux ressources du pauvre. Vous vous plaignez que le ciel fermé vous

refuse sa rosée, comme si les greniers n’étaient pas fermés sur la terre. Vous vous plaignez quo les productions du sol diminuent; comme si les indigents avaient leur part de ces (255) productions. Vous abusez la peste; mais la peste a servi dévoiler les consciences ou à les rendre plus criminelles. Nous les avons vus ces hommes, qui n’avaient aucune pitié pour les malades, attendre leur mort avec impatience. Timides quand il s’agissait de rendre service, l’appât d’un gain impie les rendait hardis jusqu’à la témérité. Ils fuyaient la couche des mourants; mais ils se jetaient sur les dépouilles des morts: montrant par là qu’ils avaient abandonné les victimes à leur malheureux sort, pour ne pas prolonger leur existence eh les soignant. N’est-ce pas vouloir la mort d’un malade, que de se jeter sur sa dépouille de suite après sa mort?

Tant de fléaux ne peuvent ramener parmi nous les bonnes moeurs; au milieu des coups multipliés de la mort, personne ne songe qu’il est mortel. Partout le mouvement, la violence, la rapine. On vole ouvertement, sans hésitation, sans crainte. On vole comme si c’était une chose permise, recommandée; comme si celui qui s’en abstient se privait d’un droit justement acquis. Les brigands ont quelque honte de leurs crimes; ils choisissent des gorges solitaires, des lieux déserts; ils cachent leurs forfaits dans les ombres de la nuit. Mais ici, la cupidité marche le front levé et, forte de sa propre audace, elle exerce ses fureurs au grand jour et en plein Forum. De là les faussaires, les empoisonneurs, les assassins dont la violence croît avec l’impunité. Un homme pervers commet un crime, et il ne se trouve pas un innocent pour le venger. Les accusateurs et les juges n’inspirent plus aucune crainte. Les méchants demeurent impunis, parce que les hommes modérés se taisent, que les témoins tremblent, que les juges vendent leurs arrêts.

Aussi le prophète nous avertit que Dieu peut écarter les maux dont nous sommes accablés; mais qu’il en est empêché par nos crimes. Est-ce que la main de Dieu n’est pas assez forte vous sauver? Est-ce que son oreille est sourde à votre prière? Mais vos péchés ont mis entre lui et vous un mur de séparation. C’est à cause de vos fautes qu’il détourne de vous sa (257) face, pour ne pas vous faire miséricorde (Is., LIX.). Comptez donc vos péchés et vos prévarications; sondez les blessures de votre conscience, et cessez de vous plaindre de Dieu ou des chrétiens. Si vous souffrez vous l’avez mérité.

Voilà donc,—et c’est ce que nous ne cessons de vous répéter, —voilà pourquoi vous nous persécutez malgré notre innocence; voilà pourquoi vous outragez Dieu, en combattant ou en opprimant ses serviteurs. Ce n’est pas assez de souiller votre vie par toute espèce de vices, d’iniquités, je rapines; ce n’est pas assez de vous faire de la superstition une arme contre la religion véritable; ce n’est pas assez de vivre dans l’oubli et le mépris de Dieu: vous poursuivez encore de vos injustes attaques les serviteurs qui se dévouent à sa majesté et à son nom. Vous n’adorez pas Dieu, et vous persécutez ceux qui l’adorent; vous n’adorez pas Dieu et vous cherchez à lui ravir ses adorateurs. Qu’on s’attache à d’absurdes idoles, à des statues fabriquées par des hommes; qu’on adore je ne sais quelles imaginations monstrueuses, peu vous importe: les serviteurs de Dieu ont seuls le don de vous déplaire. De toutes parts, dans vos temples, on voit fumer la graisse des victimes : et le Dieu véritable n’a pas d’autels, ou bien ,on est réduit à. les cacher. Vous prodiguez votre encens à des crocodiles, à des cynocéphales, à des pierres, à des serpents; et Dieu seul est oublié, et on joue sa tête en le servant. Des hommes innocents, justes, agréables à Dieu, sont chassés par vous de leurs demeures, dépouillés de leur patrimoine, chargés de chaînes, enfermés dans les prisons; ils meurent sous le tranchant du glaive, brûlés sur les bûchers ou dévorés par les bêtes. Mais une mort prompte, qui d’un seul coup met un ternie à nos douleurs, ne saurait vous satisfaire; vous déchirez nos corps par de longs tourments; vous épuisez nos entrailles par d’interminab1es tortures. Votre cruauté barbare ne peut se contenter des supplices ordinaires; elle s’ingénie à en découvrir de nouveaux. (259)

Quelle est donc cette soif insatiable de carnage? qu’elle est cette cruauté effrénée que rien ne peut satisfaire? De deux choses l’une : ou c’est un crime d’être chrétien, ou ce n’est pas un crime. Si c’est un crime, vous avez l’aveu du coupable, pourquoi ne pas le mettre à mort? Si ce n’est pas un crime, pourquoi persécuter un innocent? Si je nie, à la bonne heure, employez la torture. Si la crainte du châtiment me faisait dissimuler mon passé; si, employant le mensonge pour sauver ma vie, je n’osais dire que j’ai refusé mon culte à vos dieux, alors vous devriez user de la torture et arracher par la souffrance l’aveu de ma faute. C’est ainsi qu’on agit dans les autres procès. Les coupables sont mis à la question quand ils nient les faits dont on les accuse, et on obtient par la souffrance une confession que la voix s’obstine à taire. Mais moi, j’avoue tout ; je crie sans relâche, je proteste que je suis chrétien pourquoi me mettre à la torture? je renverse vos dieux, non pas en secret et dans des endroits retirés; mais en public, dans le Forum, sous les yeux des juges et des chefs de l’État. Si le nom de chrétien me rend coupable à vos yeux, ce nom, je le proclame bien haut, à la face du peuple; je confonds, par cette confession éclatante, et vous et vos dieux... Comme j’ai mérité votre haine! comme vous devez me punir! Pourquoi donc vous en prendre à la faiblesse de notre corps? pourquoi essayer vos~ tortures sur une chair terrestre et fragile? Luttez avec la vigueur de l’esprit, terrassez-le, renversez ses croyances, remportez la victoire, si vous le pouvez, avec les seules armes de. la logique et de la raison! Ou bien, puisque vos dieux ont tant de puissance, qu’ils se vengent eux-mômes, qu’ils défendent leur propre majesté: s’ils ne peuvent punir ceux qui refusent de les adorer, comment protégeront-ils leurs adorateurs?

Si l’homme qui venge un de ses semblables est au-dessus de lui, vous êtes au-dessus de vos dieux. Si vous êtes au-dessus d’eux, cessez de leur rendre hommage; ce sont eux qui doivent vous adorer et vous craindre comme un maître. Mais non, quand on les offense, vous les vengez; il est vrai que vous les enfermez (261) aussi et que vous les entourez de soins pour les empêcher de périr. Rougissez d’adorer des êtres qui ne peuvent vous défendre; n’espérez aucune protection de ces dieux que vous protégez vous-mêmes.

Oh ! si vous vouliez les entendre et les voir, quand nous leurs commandons en maîtres; lorsque, avec les armes spirituelles, nous les chassons des corps qu’ils obsédaient ! Alors, ils prennent une voix humaine; ils crient, ils gémissent, et, courbés sous la puissance divine qui les châtie, ils confessent le jugement futur. Venez et vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles. Puisque ce sont là vos dieux, du moins croyez-les; ou, si vous voulez ne croire que vous-mêmes, celui qui obsède votre coeur, qui répand sur votre esprit les ténèbres de l’ignorance, parlera par votre bouche, et vous l’entendrez. Alors vous verrez que ces dieux que vous priez nous adressent leurs prières; que ces dieux que vous adorez nous craignent; que ces dieux que vous proclamez .vos maîtres et à qui vous adressez des regards suppliants tremblent, enchaînés et captifs, sous notre main. Certes, vous rougirez de votre erreur quand vous entendrez vos dieux, interrogés par nous, dire ce qu’ils sont; quand vous les verrez, en votre présence, révéler malgré eux leurs prestiges et leurs fourberies.

3° Quelle faiblesse d’esprit! que dis-je? quelle aveugle folie, de ne vouloir pas passer des ténèbres à la lumière, de ne vouloir pas briser les liens de la mort éternelle, pour accueillir l’espérance de l’immortalité ! Et pourtant Dieu vous adresse de terribles menaces : Celui qui sacrifie à des dieux, qui ne sont pas le Dieu véritable, sera mis à mort (Exod., XXII.). Ils ont adoré, dit-il encore, des dieux fabriqués par leurs mains, et ils se sont prosternés devant eux: aussi je ne leur pardonnerai pas (Is., II.).

Pourquoi vous incliner devant vos fausses divinités ? Pourquoi courber votre tête devant des simulacres absurdes, des statues de pierre captives dans vos temples ? Dieu vous a donné un corps droit: tandis que les autres animaux marchent courbés vers la terre, vous portez la tête haute; votre mil s'élève vers le ciel et vers Dieu. C'est là que vous devez fixer vos regards; c'est dans ces régions sublimes que vous devez chercher le Créateur. Pour ne pas tomber dans les enfers, élevez votre coeur vers le Ciel. Pourquoi ramper vers la. mort, avec ce serpent que vous adorez ? Pourquoi souffrir que le démon vous entraîne dans sa ruine ? Conservez la forme que vous avez reçue de la nature: soyez toujours tel que Dieu vous a faits, et, puisque vous portez un front élevé, que votre âme s'élève avec lui. Pour connaître Dieu, connaissez-vous vous- même. Loin de vous ces idoles fabriqués par l'erreur; revenez au Dieu véritable: il est toujours prêt à vous accueillir. Croyez au Christ envoyé, par Dieu son père, pour vous rendre la vie et vous rétablir dans votre grandeur primitive. Cessez aussi de persécuter les serviteurs du Christ, car la vengeance divine est là pour les défendre.

voilà pourquoi , malgré notre grand nombre, nous ne repoussons jamais par la force vos injustes violences. Nous sommes patients, parce que nous sommes sûrs de la vengeance. Les innocents cèdent aux coupables; ils acceptent les châtiments et les tortures; ils souffrent tout, parce qu'il savent que la justice viendra , d'autant plus juste et plus terrible que la persécution aura été plus implacable.

Jamais l'impiété ne s'attaque au nom que nous portons, sans qu'aussitôt la justice divine n'éclate. Il est inutile de réveiller d'anciens souvenirs et de citer des faits qui se sont souvent reproduits: les événements présents nous suffisent. Est-ce que la justice de Dieu ne s'est pas assez promptement manifestée par (265) la mort des empereurs, la perte des fonds publics, le massacre des soldats, la diminution des armées? Ne croyez pas que ce soit l’effet du hasard; car l’Écriture a dit depuis longtemps : La vengeance est à moi, dit le Seigneur, je rendrai à chacun selon ses oeuvres (Deut., XXXII.). Et au livre des proverbes : Ne dites pas

Je me vengerai de mon ennemi, mais attendez que le Seigneur vienne à votre secours (Prov., XX.). Il est donc manifeste que ce n’est pas à cause de nous, mais pour nous, que la justice du ciel châtie si rudement les peuples.

Ces événements, il est vrai, frappent aussi les chrétiens; mais d’une manière bien différente. Celui qui place dans ce monde son plaisir et sa gloire est sensible aux adversités temporelles. Il pleure, il se désole en face du malheur, parce que, après cette vie, il n’y a plus de bien être pour lui. Il renferme, dans les limites étroites de son existence, tous ses intérêts, toutes ses consolations, toutes ses joies; aussi, lorsqu’il la quitte, il ne trouve plus que le repentir et le châtiment. Au contraire, ceux qui portent leur espérance sur les biens futurs sont insensibles aux malheurs d’ici-bas. Si nous sommes dans l’adversité, si nous la supportons sans faiblesse, si les calamités et les maladies ne nous arrachent ni plainte ni murmure, c’est que nous vivons plus par l’esprit que par la chair; c’est que, par la fermeté de l’âme, nous domptons la faiblesse du corps. Nous savons que ces malheurs qui vous écrasent ne sont qu’une épreuve d’où nous sortons plus forts.

Vous pensez que nous supportons, comme vous, le poids des calamités publiques; mais vous voyez bien que notre conduite diffère de la vôtre. Chez vous, on ne voit qu’irritation, on n’entend que des clameurs et des plaintes; parmi nous on ne voit que la patience, forte et résignée, qui rend toujours grâces à Dieu. Elle ne compte sur aucune des joies et des prospérités (267) de ce monde; mais, douce et immobile au sein de la tempête, elle attend la réalisation des promesses divines. Tant que la vie anime notre corps, il doit partager la destinée des autres : tout est commun ici-bas, et la séparation ne s’opère qu’après cette vie. Une seule demeure renferme les bons et les méchants; tout ce qui arrive à l’intérieur les atteint sans distinction; mais à la fin, ils prendront des directions opposées, pour aller où à la mort éternelle où dans le sanctuaire de l’immortalité.

Ne nous croyez donc pas semblables à vous parce que, placés ici-bas avec un corps mortel, nous subissons les inconvénients du monde et de la chair. L’essence d’un châtiment consiste dans le sentiment de la douleur : puisque nous ne partageons pas vos douleurs, les châtiments qui tombent sur vous ne nous atteignent pas. Notre espérance et notre foi conservent leur vigueur, et, au milieu des scènes du monde, notre âme reste debout, forte de sa patience et de sa confiance en Dieu. L’Esprit-Saint nous parle ainsi par la bouche d‘un prophète : Le figuier ne portera plus de fruits; les vignes n’auront plus de raisins; l’olivier trompera les espérances du cultivateur et les champs lui refuseront sa nourriture. Plus de brebis dans les pâturages, plus de boeufs dans les étables; mais moi je me réjouirai dans le Seigneur, je tressaillerai de joie en Dieu mon Sauveur (Habac., III.). Oui, le véritable serviteur de Dieu, appuyé sur la foi et sur l’espérance, est inaccessible aux calamités de ce monde. Que la vigne refuse ses fruits, que l’olivier se flétrisse, que les herbes épuisées par la sécheresse, meurent dans les champs, qu’importe aux chrétiens? Qu’importe aux serviteurs de Dieu, que le paradis appelle, et qui ont pour patrie le royaume céleste ? Leur joie est grande dans le Seigneur; ils supportent avec courage les maux et les adversités de la vie, parce qu’ils ont en face un meilleur avenir. Régénérés par l’Esprit, nous avons dépouillé la vie terrestre pour commencer une nouvelle existence; nous (269) ne vivons plus pour le monde, mais pour Dieu. Lorsqu’il nous rappellera dans son sein, nous jouirons de la récompense qu’il nous a promise.

Cependant nous ne cessons de prier pour obtenir l’éloignement des ennemis, le retour de la pluie, la cessation des calamités qui nous affligent. Nuit et jour, nous apaisons la colère du Ciel et nous le prions avec instance pour votre tranquillité et votre conservation. Ne vous flattez donc pas; et, en voyant que nous avons notre part des malheurs de ce monde, gardez-vous de croire que le châtiment est réservé pour d’autres que vous. Dieu a prédit par ses prophètes que sa justice descendrait sur les pécheurs : vous persécutez les serviteurs de Dieu; mais Dieu se charge de les venger.

4° Nous pourrions citer bien des exemples; mais à quoi bon? A la fin des temps, viendra ce jugement, dont le prophète nous parle en ces termes : Hurlez, car le jour du Seigneur est proche; il va vous écraser sous le poids de sa colère, Voici le jour du Seigneur, jour d’indignation et de colère; il va changer la terre en désert, et anéantir tous ses habitants (Is., XIII.). Voici le jour du Seigneur, dit un autre prophète : il arrive, ardent comme une fournaise, tous les étrangers et tous les pécheurs seront brillés comme la paille, le jour du Seigneur les consumera (Mal., IV.). Quels sont donc ces étrangers dont parle le prophète? Ce sont les profanes, qui n’ont pas voulu de la régénération spirituelle et qui, par suite, ne sont pas devenus les enfants de Dieu. Le Seigneur nous apprend que, lorsqu’il enverra ses anges pour anéantir le genre humain, il ne sauvera que ceux qui, après leur seconde naissance, porteront le signe du Christ. Allez, dit-il, frappez, n’épargnez personne; n’avez pitié ni du vieillard, ni du jeune homme, ni de la jeune fille; mettez à mort les enfants et les femmes; qu’ils soient anéantis. Mais ceux qui (271) porteront un signe, ne les touchez pas (Ezéch., IX). Le Seigneur nous dit encore quel est ce signe et sur quelle partie du corps il doit être placé: Passez par le milieu de Jérusalem et vous remarquerez un signe sur le front des hommes qui pleurent et gémissent à cause des iniquités des peuples. Or, ce signe qui protége et sauve ceux qui en sont marqués n’est autre chose que le sang de Jésus-Christ. Écoutez encore le Seigneur: Vous marquerez du sang de l’agneau les maisons que vous habitez; je verrai ce sang et je vous protégerai, et personne d’entre vous ne mourra, quand je frapperai la terre d’Égypte (Exod., XII.). L’agneau étaIt la figure du Christ. Lorsque l’Égypte fut frappée, les Israélites durent leur salut au sang et au signe de l’agneau; de même quand le monde tombera en ruine, celui-là seul sera sauvé qui portera sur son front le sang et le signe du Christ.

Tournez donc vos regards, pendant qu’il en est temps encore, vers le port du salut, et puisque la fin du monde est proche, craignez Dieu et élevez vers lui vos âmes converties. Ne vous flattez pas de cette domination vaine et orgueilleuse que vous exercez sur les justes : Dans les champs, ne voit-on pas l’ivraie et les folles herbes s’élever au-dessus des moissons? Ne dites pas que les malheurs arrivent parce que nous n’adorons pas vos dieux: sachez que c’est la justice divine qui vous frappe; vous n’avez pas compris ses bienfaits, comprenez du moins ses châtiments. Cherchez le Seigneur, quoiqu’il soit bien tard, cherchez-le et votre âme vivra. Apprenez à connaître Dieu, car la vie éternelle consiste à vous connaître, vous seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Joan., XVII.). Croyez à celui qui a prédit, depuis longtemps, les malheurs qui vous frappent; croyez à celui qui donne à ses fidèles la vie éternelle en récompense; croyez à celui qui prépare aux incrédules, dans les flammes de l’enfer, un supplice éternel. (273)

A ce jugement suprême, quelle gloire pour les fidèles ! quel châtiment pour. les perfides! quelle joie pour les croyants! quelle tristesse pour les incrédules! Pendant cette vie, ils n’ont pas voulu croire, et ils ne peuvent revenir sur la terre pour y trouver la foi. Un feu toujours ardent tourmentera les coupables et les enveloppera de flammes dévorantes. Tel sera leur châtiment; et ce supplice, qui s’attache à la fois au corps et à l’âme, durera toujours, sans trêve, sans fin. Alors nous contemplerons à loisir ceux qui, sur la terre, jouissent un instant du spectacle de nos épreuves et de nos tribulations : Le ver qui les ronge, dit l’Écriture, ne mourra pas; le feu qui les consume ne s’éteindra pas; et ils seront en spectacle à fout l’univers.... Alors les justes, pleins de confiance, se dresseront devant ceux qui les abreuvèrent d’angoisses et leur ravirent le fruit de leurs travaux. A cette vue, les méchants seront frappés de trouble et de crainte et ils s’étonneront de voir les justes si promptement sauvés. Touchés par le repentir et gémissant dans l’angoisse de leur âme, ils diront en eux-mêmes : Les voilà ceux que nous avons couverts de nos dérisions et de nos opprobres. Insensés, nous croyions leur existence une folie et leur mort sans honneur; et maintenant ils sont comptés parmi les fils de Dieu et leur place est au milieu des saints. Nous nous sommes donc écartés du chemin de la vérité; nous n’avons pas vu le flambeau de la justice et le soleil ne s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et de la perdition; nous avons parcouru des déserts difficiles et nous n’avons pas su reconnaître le sentier du Seigneur. A quoi nous a servi notre orgueil? Quel fruit avons-nous tiré de nos richesses? Tout cela est passé comme l’ombre ( Sap., V.). Alors tout sera inutile, et le repentir et le châtiment, et les larmes et la prière. Ceux qui n’ont pas voulu croire à. la vie éternelle croiront, mais trop tard, à un châtiment éternel. (275)

Pendant qu’il en est temps encore, assurez donc votre avenir. Nous vous offrons et notre affection et nos conseils. La haine nous est interdite : pour plaire à Dieu, nous ne devons jamais. rendre le mal pour le mal. Nous vous exhortons à. profiter de la grâce divine et du temps qu’elle vous accorde, pour expier vos fautes. Oui, sortez de la nuit profonde et ténébreuse de la superstition et marchez vers la lumière sans tache de la religion véritable. Vous le voyez, nous ne sommes pas jaloux de vos intérêts; nous ne vous cachons pas les bienfaits de Dieu; nous répondons à vos haines par la bienveillance et, en échange des tourments et des supplices dont vous nous accablez, nous vous montrons le chemin du salut. Croyez et vivez. Vous nous persécutez sur la terre, eh bien! partagez avec nous le bonheur éternel.

Quand vous aurez quitté cette vie, il sera trop tard pour vous repentir. Alors la pénitence demeurera sans effet. C’est ici qu’on se sauve ou qu’on se damne pour toujours; c’est ici qu’on assure son salut éternel, en persévérant dans la foi et dans le service de Dieu. Que personne ne se laisse arrêter par ses péchés ou par son âge: tant que nous sommes dans ce monde, le repentir n’arrive jamais trop tard. Le Dieu des miséricordes nous ouvre sou sein, et tout homme qui recherche et comprend la vérité trouve auprès de lui un accès facile. Fussiez-vous au terme de votre vie, implorez le pardon de vos péchés; priez le Dieu unique et véritable; confessez-lui vos fautes, et vous obtiendrez votre pardon La miséricorde divine n est jamais insensible à la foi et au repentir, et, même à notre dernière heure, elle rions ouvre les portes de l’éternelle Patrie.

C’est le Christ qui nous accorde cette grâce : c’est lui, en effet, qui, armé de, sa croix, a vaincu la mort; c’est lui qui a racheté les croyants aux prix de tout son sang; c’est lui qui a réconcilié l’homme avec Dieu son père, et qui, par la régénération spirituelle, a fait succéder la vie à la mort. Suivons-le tous, selon l’étendue de nos forces; recevons l’empreinte de son (277) signe sacré; il nous ouvre le chemin de la vie; il nous ramène au Paradis. En nous élevant à la dignité de fils de Dieu, il nous fait citoyens du Ciel. C’est là que nous vivrons toujours avec lui; c’est là que, régénérés par son sang, nous trouverons le bonheur éternel. Là, chrétiens, nous partagerons la gloire du Christ; nous serons heureux avec Dieu le père, et, plongés dans un bonheur infini, nous rendrons à Dieu d’éternelles actions de grâces. Quelle joie pour nous, quelle reconnaissance de nous voir revêtus d’immortalité, après avoir vécu sous l’empire de la mort! (279)

 

 

 

 

 

DE LA MORTALITÉ

1° Causes du fléau; — 2° Avantages; — 3° Désir du Ciel.

La plupart d’entre vous, mes frères bien-aimés, possèdent une foi ferme, un jugement solide. Leur âme, attachée â Dieu, ne s’émeut pas eu présence des maux de cette vie. Semblable à un rocher, elle résiste aux assauts du monde, aux flots impétueux du siècle, et elle sort de la tentation, éprouvée mais non vaincue. Cependant, il en est parmi vous qui, par suite de la faiblesse de leur caractère, du peu d’énergie de leur foi, du charme des choses créées, de la mollesse de leur sexe, et, ce qui est plus grave encore, des erreurs qui obscurcissent la vérité, chancellent dans la voie du salut et ne songent pas à profiter de la grâce divine,’ qui sommeille dans leurs coeurs. Il m’a semblé que je devais m’adresser à eux en toute franchise. Donc, malgré ma faiblesse, je viens combattre, avec la parole divine, la négligence qui paralyse leur âme trop délicate et leur rappeler, qu’en qualité de chrétiens, ils doivent être dignes et de Dieu et du Christ.

Le soldat du Christ, mes frères bien-aimés, doit d’abord se connaître lui-même. Placé dans le camp du Seigneur, il soupire après les biens éternels. Ne vous laissez ni effrayer ni (282) même arrêter par les tempêtes de ce monde: elles ont été prédites par le divin Maître. Avez-vous oublié que, pour instruire son peuple et fortifier son Église contre les maux à. venir, il a annoncé des guerres, des famines, des pestes, des tremblements de terre? Bien plus, afin que ces terribles événements ne vinssent pas nous frapper à l’improviste, il en a fixé l’époque, et c’est à la fin des temps qu’ils doivent le plus se multiplier. La prophétie s’accomplit, et de là. nous pouvons conclure que les autres prédictions s’accompliront à leur tour; car le Seigneur a dit : Lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le royaume de Dieu est proche (Luc, XXI.). Oui, mes frères bien-aimés, le royaume de Dieu est proche; le monde passe et nous allons jouir de la vie véritable, du salut, du bonheur éternel, du Paradis que nous avions perdu. Déjà le ciel succède à la terre, la grandeur à. la misère, l’éternité au néant.

Qui donc, en présence de ces biens, se livrera au doute et à l’anxiété? qui s’abandonnera à la crainte et à la tristesse, s’il lui reste encore un rayon de son foi et d’espérance? On craint la mort quand on ne veut pas aller vers le Christ; on ne veut pas aller vers le Christ quand on désespère de régner avec lui. Il est écrit que le juste vit de la foi. Si vous êtes juste, si vous vivez de la foi, si vous croyez véritablement en Dieu, pourquoi ne pas accueillir avec empressement la voix du Christ qui vous appelle, alors que vous devez régner avec lui et que vous avez foi en ses promesses? Pourquoi ne pas vous féliciter d’être à l’abri des atteintes du démon? Siméon, le juste par excellence, accomplit avec une foi pleine et entière les préceptes du Seigneur. Il reçut du Ciel la promesse de ne mourir qu’après avoir vu le Christ. Jésus se présente dans le temple, entre les bras de sa Mère; à cette vue, le vieillard reconnaît le Messie, objet de tant de prophéties; il sait que. sa dernière heure est venue; ivre de joie, il prend l’enfant entre ses mains et, sûr (283) d’aller prendre sa place au royaume céleste, il s’écrie : Maintenant Seigneur, vous pouvez laisser partir votre serviteur en paix, car mes yeux ont vu l’aurore du salut (Luc, II). Il montrait par là. qu’il n’est, pour les serviteurs de Dieu, de paix, de liberté, de tranquillité véritable que, lorsqu’après avoir traversé les tourbillons de ce monde, ils arrivent au port de l’éternelle sécurité; lorsque, vainqueurs de la mort, ils se revêtent d’immortalité. Là., en effet, se trouvent pour nous la paix, la tranquillité, le repos éternel.

La vie de ce monde est-elle autre chose qu’une lutte perpétuelle avec le démon? N’avons-nous pas à. repousser tous les jours ses traits meurtriers? L’avarice, l’impureté, la colère, l’ambition, tels sont les ennemis que nous devons combattre; tous les jours, nous avons à. lutter péniblement contre les vices de la chair et les séductions du siècle. L’âme humaine, assiégée, comme une place forte, par la malice du démon, peut à peine faire face et résister à toutes ses attaques. Si vous terrassez l’avarice, l’impureté se dresse contre vous; si vous étouffez l’impureté, l’ambition lui succède; si vous méprisez l’ambition, vous voilà. enflammé de colère, enflé d’orgueil, sollicité par la sensualité; vous voilà en butte aux traits de la jalousie et de l’envie, qui brisent parmi nous les liens de la concorde et de l’amitié. La malédiction monte à vos lèvres, et pourtant la loi divine la défend; on vous force à jurer, et pourtant ce n’est pas permis. Nous avons tant de persécutions à subir, tant de périls à surmonter, et nous nous plaisons à prolonger notre séjour ici bas, au milieu des glaives du démon Ah! qu il serait plus sage d’invoquer le secours de la mort pour hâter notre retour auprès du Christ ! En vérité, nous dit-il, vous pleurerez, vous gémirez et le monde se réjouira; vous serez tristes, mais votre tristesse sera changée en joie. Qui ne désirerait être exempt de tristesse? qui ne se hâterait d’accourir à la joie? (285)

Or, le Seigneur nous déclare quand notre tristesse sera changée en joie : Je vous reverrai, dit-il, et votre coeur se réjouira et personne ne vous enlèvera votre joie (Joan., VI.). Puisque notre joie consiste à voir le Christ et qu’elle ne peut pas exister sans cette vue, quel aveuglement, quelle démence, d’aimer les chagrins, les peines, les larmes de cette vie, et de ne pas hâter de ses voeux l’avènement de ce bonheur que personne ne peut nous ravir!

La cause de ce désordre, mes frères bien-aimés, c’est le manque de foi. Personne ne croit à la réalité des promesses du Dieu qui est la vérité même, du Dieu dont la parole est éternelle et immuable. Si un homme sérieux et honnête vous faisait une promesse, vous croiriez à sa parole, vous le jugeriez incapable de vous tromper, parce que vous savez qu’il est sincère dans ses discours et dans ses actes. Voilà que Dieu vous parle, et vous, homme de peu de foi, vous êtes indécis et flottant! Dieu, à votre sortie de ce monde, vous promet l’immortalité et l’éternité bienheureuse, et vous doutez! C’est ne pas connaître Dieu; c’est offenser par son incrédulité le Christ, maître des croyants; c’est manquer de foi dans l’Église, qui est le sanctuaire de la foi.

Voulez-vous savoir combien il est avantageux de quitter cette vie? Écoutez le Christ qui connaissait si bien nos véritables intérêts. Comme ses disciples étaient attristés, parce qu’il leur annonçait son prochain départ, il leur dit: Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez parce que je retourne vers mon Père (Joan., XIV.). Il nous montre par ces paroles que lorsque les êtres qui nous sont chers sortent de ce monde, nous devons en ressentir plus de joie que de douleur. Le grand apôtre se rappelait ces vérités lorsqu’il écrivait: Le Christ est ma vie, et la mort est un gain pour (287) moi (Philip., I.). Il regardait comme un grand avantage de briser les liens qui l’attachaient à la terre, de n’être plus en butte aux vices et aux exigences de la chair, de s’élever au-dessus des tribulations d’ici-bas, et, libre enfin des embûches du démon, de suivre la voix du Christ qui l’appelait au royaume céleste.

1° Mais il en est qui s’étonnent de voir que les fidèles tombent aussi bien que les idolâtres sous les coups de la contagion. — On se fait donc chrétien pour se mettre à l’abri des maux de cette vie, pour jouir de toutes les félicités du siècle, et non pour souffrir ici-bas toutes sortes d’adversités, en vue de la joie future? Il en est qui s’étonnent de voir que la mort nous frappe comme les autres. — Mais, dans ce monde, tout nous ‘est commun avec le reste des hommes puisque, selon les lois de la nature, nous avons la même chair. Tant que nous restons sur cette terre, nous appartenons au genre humain par te corps, nous en sommes séparés par l’esprit. Ainsi, en attendant que cc corps corruptible revête l’incorruptibilité, que cette chair sujette à la mort devienne immortelle et que l’Esprit nous conduise à Dieu le Père, toutes les incommodités corporelles, quelles qu’elles soient, nous sont communes avec les autres hommes. Lorsque la terre nous refuse ses fruits, la, faim n’épargne personne. Lorsqu’une ville tombe entre les mains des ennemis, tous les citoyens deviennent captifs. Lorsque l’implacable sérénité du Ciel empêche l’action des pluies, la sécheresse est la nième pour tous. Qu’un navire se brise sur les écueils, tous les passagers, sans exception, périront dans un naufrage commun. Il en est de même de toutes les maladies: douleurs des yeux, accès de fièvre, infirmités des membres; elles nous sont communes avec le reste des hommes, parce que nous avons la même chair.

Bien plus, si le chrétien a une idée exacte de sa mission sur la terre, il comprendra que ses épreuves doivent être plus (289) nombreuses que celles des autres hommes, parce que ses luttes avec le démon sont plus fréquentes. C’est l’avertissement que nous donne l’Écriture : Mon fils, en vous consacrant au service de Dieu, persévérez dans la justice et dans la crainte du Seigneur, et préparez votre âme à la tentation. Et plus loin : Soyez ferme dans la douleur, patient dans l’humiliation, car l’or et l’argent sont éprouvés par le feu, et l’homme dans le creuset de l’humiliation (Eccl., II). Ainsi Job, après la perte de ses biens et la mort de ses enfants, couvert lui-même de plaies et de vers, ne fut pas vaincu mais purifié par l’épreuve. Voyez comme l’héroïsme de sa patience éclate au milieu de tant de combats et de douleurs : Je suis sorti nu du sein de ma mère, nu je descendrai dans mon sépulcre. Le Seigneur m’a tout donné, il m’a tout ôté; il a agi selon sa sagesse que son nom soit béni (Job., I). Son épouse lui disait de proférer, dans sa souffrance, des plaintes et des blasphèmes contre Dieu : Vous parlez comme une femme insensée, lui répondit le patriarche. Si nous avons reçu des biens de la main du Seigneur, pourquoi n’en recevrions-nous pas des maux? Ainsi, dans toutes ces choses, Job ne pécha point en paroles contre Dieu. C’est pourquoi le Seigneur lui rend témoignage en ces termes : As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n’en est point de semblable sur la terre. C’est un homme sans tache, un vrai serviteur de Dieu.

Tobie, après tant de bonnes oeuvres, après s’être attiré par sa miséricorde les éloges de tous ses concitoyens, devient aveugle; il continue à craindre et à bénir Dieu dans l’adversité, et la perte de ses forces ne sert qu’à le rendre plus saint. Son épouse tente aussi de le pervertir : Où sont, dit-elle, tes bonnes oeuvres? Vois ce que tu souffres (Tob., II.). Mais lui, ferme dans la crainte du Seigneur, trouvant dans sa foi assez de force pour (291) faire face à toutes les douleurs, résista aux sollicitations de son épouse et mérita par sa patience de jouir des bénédictions de Dieu. Aussi l’ange Raphaël le loue en ces termes : Il est honorable de révéler et de publier les oeuvres de Dieu. Lorsque tu priais, ainsi que Sara, l’épouse de ton fils, j’offrais à Dieu votre prière. Lorsque tu ensevelissais les morts et que tu quittais ton repas à la hâte pour leur rendre ce triste devoir, j’étais auprès de toi. Maintenant Dieu m’envoie pour te guérir et pour délivrer Sara, l’épouse de ton fils. Je suis Raphaël, un des sept anges qui se tiennent et habitent devant la majesté de Dieu (Tob., XII.).

2° Cette patience dans l’épreuve a toujours été la vertu des justes. Les apôtres, guidés par la loi du Seigneur, ont eu pour règle de ne pas murmurer dans l’adversité, mais de supporter avec courage et patience tous les événements de ce monde. Les Juifs, au contraire, offensaient Dieu par leurs fréquents murmures, comme l’atteste le livre des Nombres : Qu’ils cessent de murmurer contre moi, dit le Seigneur, et ils ne mourront pas.

Ne murmurons donc pas., mes frères bien-aimés, mais supportons tout avec courage, car il est écrit: Le sacrifice agréable à Dieu est une âme brisée par la tribulation. Dieu ne rejette pas un coeur contrit et humilié (2). Dans le Deutéronome, Moise, inspiré par l’Esprit-Saint, nous donne la même leçon Le Seigneur votre Dieu vous éprouvera en vous envoyant la famine, et votre conduite montrera si vous avez bien ou mal gardé ses préceptes. Il dit encore : Le Seigneur vous éprouve pour savoir si vous l’aimez de tout votre coeur et de toute votre âme (Deut., XIII.). Abraham fut agréable à. Dieu, parce qu’il ne craignit pas, pour lui plaire, de sacrifier son fils. Vous qui ne pouvez (293) accepter la perte d’un fils, déjà, condamné à la mort par les lois de la nature, que feriez-vous si vous receviez l’ordre de l’immoler? La foi et la crainte de Dieu doivent vous préparer à tous les événements. Qu’il s’agisse de la perte de votre fortune, de la maladie qui vient tourmenter votre corps, de la mort de votre épouse et de vos enfants sur lesquels vous êtes réduits à pleurer, regardez tous ces accidents, non comme des occasions de chute, mais comme des combats. Loin d’affaiblir ou de briser la foi du chrétien, ils manifestent, au contraire, son courage dans la lutte : if méprise les maux de cette vie, parce qu’il compte sur les biens éternels. Sans combat, pas de victoire; mais, après la victoire, la couronne devient la récompense du vainqueur. Le pilote se fait connaître dans la tempête, le soldat dans la bataille. Il serait ridicule de se vanter quand il n’y a pas de péril; c’est la lutte contre l’adversité qui fait ressortir les qualités sérieuses et solides.

L’arbre dont les racines pénètrent profondément dans le sol résiste au choc des tempêtes; le navire solidement construit est battu par les flots, sans être brisé par eux. Quand on vanne le blé sur l’aire, les grains forts et pesants résistent à. l’action du vent, qui n’emporte que la paille inutile. Aussi l’apôtre saint Paul, après tous ses naufrages, après ses flagellations, après tous les tourments infligés à. son corps, ne voit dans ces adversités qu’une épreuve d’où sa vertu doit sortir plus pure et plus vraie. Pour réprimer mon orgueil, dit-il, je porte en moi un aiguillon charnel, un ange de Satan qui me donne des soufflets. Trois fois j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer, et il m’a répondu ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans l’infirmité (II Corinth., XII.). Ainsi, lorsque nous sommes en face de l’infirmité, de la maladie ou d’un fléau quelconque, notre vertu reçoit son perfectionnement, et notre foi, ferme dans l’épreuve, mérite la couronne. La fournaise, dit l’Esprit-Saint, éprouve (295) les vases du potier et la tribulation éprouve les hommes justes (Eccl., XXVII.).

Il y a une grande différence entre rions et ceux qui ignorent le Dieu véritable. Ceux-ci, dans l’adversité, s’abandonnent à. la plainte et au murmure; pour nous, les malheurs d’ici-bas, loin de nous détourner de la vertu et de la foi, ne font que nous fortifier davantage. Que le désordre qui s’introduit dans nos entrailles épuise nos forces; que ce feu mystérieux qui s’allume dans notre sein ulcère notre gorge; qu’un vomissement continu déchire notre poitrine; que nos yeux s’injectent de sang; que la contagion rende nécessaire pour quelques-uns l’amputation des pieds ou de quelque autre membre; qu’une langueur mortelle, s’emparant de nos corps épuisés, affaiblisse notre marche, paralyse nos oreilles, obscurcisse nos yeux: ce sont autant de moyens par lesquels notre foi s’éclaire et se perfectionne. Déployer toutes ses forces contre les atteintes mortelles du fléau, n’est-ce pas l’effet d’une grande âme? se tenir debout, au milieu des ruines du genre humain, alors que ceux qui n’espèrent pas en Dieu demeurent prosternés, n’est-ce pas le comble de la gloire? Ah ! félicitons-nous de nos disgrâces, sachons en tirer parti, puisqu’en manifestant notre foi, en souffrant pour le Christ, nous arrivons par la voie étroite à la récompense qu’il nous destine. Qu’il craigne de mourir celui qui n’est pas régénéré par l’eau et l’esprit, et qui est dévoué d’avance aux flammes de l’enfer. Qu’il craigne de mourir celui qui est étranger à la croix de Jésus-Christ. Qu’il craigne de mourir celui qui, après cette mort, aura en partage la mort éternelle. Qu’il craigne de mourir celui qui, en quittant cette vie, sera tourmenté par les flammes. Qu’il craigne de mourir celui dont la dernière heure n’est différée que pour retarder ses tortures et ses gémissements. Il n’en est pas de même des chrétiens: ils meurent sous les coups de la contagion, mais (297) pour eux la mort c’est la délivrance. Les Juifs, les idolâtres, les ennemis du Christ, ne voient qu’un fléau dans la mortalité qui nous afflige; les serviteurs de Dieu la regardent comme l’entrée au port du salut. Les justes sont confondus par la mort avec les pécheurs, sans aucune distinction, c’est vrai; mais ne croyez pas que leur destinée soit la même. Les justes sont appelés aux joies du Ciel, les méchants aux supplices éternels; la mort ne fait que hâter la récompense des uns et le châtiment des autres.

Nous payons d’ingratitude les, bienfaits de Dieu, frères bien-aimés, parce que nous n’en connaissons pas le prix. Voilà. nos jeunes vierges qui quittent ce monde avec toute leur gloire, et qui n’ont à craindre ni les menaces ni la corruption de l’Antéchrist qui va paraître. Voilà nos jeunes gens qui échappent aux périls des passions et qui, sans avoir combattu, reçoivent la couronne d’innocence. Les femmes délicates n’ont plus à redouter les tourments: une mort rapide les met à l’abri de la persécution et des mains du bourreau. La peur de la mort, que le fléau tient suspendue sur nos têtes, enflamme les tièdes, ranime les lâches, ramène aux rigueurs de la règle ceux qui s’en étaient écartés. Cette crainte salutaire rappelle dans nos rangs les déserteurs, et force les païens à se pénétrer, des enseignements de la foi. Ainsi, tandis que les .vétérans de l’Église sont appelés au repos, je vois se former une nouvelle armée plus forte que la première; elle marche au combat sans craindre la mort et vient combler les vides que le fléau a faits dans nos rangs.

Que vous dirai-je encore, mes frères bien-aimés? N’était-il pas juste et nécessaire que la contagion, qui paraît si horrible et si lugubre, vînt éprouver nos âmes et manifester notre foi? Oui, il fallait voir si les hommes bien portants viendraient au secours des infirmes ; si les membres de la famille s’aimaient véritablement entre eux; si les maîtres auraient pitié de leurs serviteurs languissants; si les médecins seraient sensibles aux (299) supplications des malades; si les orgueilleux mettraient un terme à leurs violences; si les avares, en face de la mort, sauraient réprimer leur cupidité insatiable; si les superbes se résigneraient à courber la tête, ‘les pervers à tempérer leur audace; si les riches, voyant mourir leurs héritiers, se résoudraient enfin à faire des largesses aux pauvres. Quand le fléau n’aurait eu d’autre effet que de nous montrer la mort en face, ce serait un grand avantage pour les chrétiens. En affrontant la mort, nous apprenons à désirer le martyre. Ce Spectacle funèbre est pour nous un exercice : notre âme y puise de nouvelles forces et, par le mépris de la mort, elle se prépare à. recevoir la couronne.

Mais je prévois une objection. On me dira peut-être ce qui m’attriste dans les circonstances présentes, c’est que j’étais prêt à confesser le nom de Jésus-Christ; je m’étais dévoué à. la souffrance, de tout mou coeur et de toutes mes forces; me voilà donc privé de la palme du martyre, si je suis surpris par la mort. — Je répondrai d’abord que le martyre dépend, non de vous, mais de la grâce divine; vous ignorez si vous étiez digne de le recevoir, vous ne pouvez donc pas dire que vous l’avez perdu. En second lieu, Dieu scrute les reins et les coeurs; il connaît vos pensées les plus secrètes, il vous voit, il vous loue; il vous approuve. S’il reconnaît que vous étiez préparé au martyre, il récompensera votre courage. Lorsqu’il offrait à Dieu ses présents, Caïn n’avait pas encore tué son frère, et pourtant Dieu, qui connaît l’avenir, condamna un crime qui n’existait que dans la pensée du coupable. Si Dieu lit dans les mystères de l’avenir un projet criminel, pourquoi ne couronnerait-il pas dans ses serviteurs l’amour du bien, la résolution de lui rendre témoignage et le désir du martyre? L’âme peut faiblir devant le martyre; mais le martyre aussi peut trahir les désirs de l’âme. Tel vous êtes au moment où Dieu vous appelle, tel vous serez jugé par lui; il dit lui-même : Toutes les Églises sauront que c’est moi qui sonde les reins et les coeurs (Apoc., II.).

Dieu ne demande pas notre sang, mais notre foi. Abraham, Isaac et Jacob ne périrent pas par le glaive : cependant leur foi et leur sainteté leur donnent la première place parmi les patriarches, et c’est auprès d’eux que se réunissent tous les fidèles qui ont trouvé grâce devant Dieu. C’est la volonté divine et non la nôtre que nous devons accomplir, comme nous l’enseigne la prière du Seigneur. Quelle folie! demander l’accomplissement de la volonté divine et ne pas obéir à l’ordre de Dieu, quand il nous rappelle de ce monde! Nous résistons de toutes nos forces; comme des serviteurs opiniâtres, nous arrivons tristes et chagrins en la présence du Maître; c’est une nécessité fatale et non la soumission de notre volonté qui nous fait quitter ce monde. Nous allons à Dieu malgré nous: et nous attendons de lui la récompense céleste? Pourquoi demander l’avènement du royaume de Dieu, si la captivité de la terre a pour nous tarit de charmes? Pourquoi cette prière, si nous préférons être ici-bas les esclaves du démon que de régner avec le Christ?

Dieu a daigné nous manifester les secrets de sa Providence; il nous a montré qu’il s’occupe du salut des siens. Un de nos prêtres, affaibli par la maladie, touchait à. sa dernière heure. Déjà il priait Dieu de le retirer de ce monde, lorsqu’il vit apparaître un jeune homme rayonnant de gloire et de majesté. Sa taille était élevée, sou visage radieux. L’oeil humain ne peut supporter tant d’éclat, à moins que, sur le point de quitter cette vie, il n’acquière une force nouvelle. Le jeune homme frémit et s’écria avec indignation : " Vous craignez de souffrir ! vous ne voulez pas quitter cette terre ! Comment dois-je vous traiter? " Ces paroles renferment à la fois un reproche et un avis. Elle s’adressent et à ceux qui craignent la .persécution et à ceux qui hésitent sur le seuil du tombeau, pour réprimer en eux les désirs de la terre et pour fixer leur pensée sur l’avenir. Le prêtre expirant entendit ces paroles que le messager céleste adressait au peuple chrétien. Elles n’étaient pas pour lui, mais (303) pour nous : il ne les entendit que pour les redire. Qu’avait-il à apprendre, lui qui allait quitter cette vie ? Mais c’est nous qui devons profiter de la leçon. En voyant réprimandé de la sorte un prêtre du Seigneur, qui soupirait après la mort, apprenons à connaître nos véritables intérêts.

Et moi aussi, le plus petit et le dernier d’entre vous, j’ai souvent reçu des révélations semblables; souvent la grâce divine est venue m’éclairer; aussi je ne cesse de dire et d’enseigner publiquement que nous ne devons pas pleurer nos frères lorsque, à la voix du Seigneur, ils sortent de ce monde. Ils ne sont pas perdus pour nous, mais ils nous devancent; ils ne s’éloignent pas, ils vont nous attendre là-haut. après avoir accompli avec nous leur pèlerinage. Nous devons les regretter, mais non les pleurer. A quoi bon des habits de deuil, quand ils ont revêtu dans le Ciel la robe blanche? Ne prêtons pas le flanc aux .censures des païens : c’est avec raison qu’ils nous reprocheraient de pleurer comme à jamais perdues des âmes que nous disons vivantes auprès de Dieu; c’est avec raison qu’ils se plaindraient de ne pas trouver ,dans nos actions la foi que nous exprimons par nos paroles. Agir de la sorte ce serait mentir à notre espérance et à notre foi; notre langage serait celui d’un comédien. Qu’importe que la vertu brille dans nos paroles, si nos actes la démentent? L’apôtre saint Paul condamne ceux qui, à la mort de leurs proches, se livrent à une tristesse excessive : Nous ne voulons pas, mes frères, que vous soyez dans l’ignorance sur ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne soyez pas contristés, comme ceux qui n’ont pas d’espérance. Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous croyons aussi que Dieu ressuscitera avec Jésus ceux qui sont morts en lui (I Thess., IV.).

D’après l’apôtre, ce sont les hommes sans espérance qui sont contristés par la perte de leurs proches. Mais nous qui vivons (305) d’espérance, qui croyons en Dieu, qui savons que Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous, nous qui demeurons dans le Christ et qui ressusciterons par lui et. en lui, pourquoi ne voulons-nous pas quitter cette vie, ou bien pourquoi pleurons-nous ceux qui partent, comme s’ils disparaissaient pour toujours? Et pourtant Jésus nous dit : Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, quoique mort, vivra; et tout homme qui vit et croit en moi ne mourra pas éternellement (Joan., XI.,) Si nous croyons au Christ, ayons foi à. ses promesses, et sûrs d’éviter la mort, attachons-nous à lui, puisque c’est avec lui que devons vivre et régner toujours. Mourir c’est passer à l’immortalité; on ne peut arriver à la vie éternelle, si on no quitte cette terre. La mort n’est donc pas un exil, c’est un passage qui nous mène du temps à l’éternité.

Qui ne se hâterait vers un avenir meilleur? qui ne voudrait devenir semblable au Christ et arriver à la dignité de la grâce céleste? L’apôtre saint Paul nous dit : Notre conversation est dans le Ciel. C’est de là que nous attendons Jésus-Christ, notre maître, qui transformera ce corps terrestre en le rendant semblable à son corps glorieux (Philip., III.,). Tels nous serons nous-mêmes, d’après la promesse du Christ. Il veut que nous soyons heureux avec lui dans les demeures éternelles. Mon Père, dit-il, je veux que ceux que vous m’avez donnés soient avec moi, et qu’ils voient l’éclat dont vous m’avez environné avant l’origine du monde (Joan., XVII.). Et nous pleurerions, nous gémirions, quand nous marchons vers la demeure du Christ et le royaume céleste ! Ah! plutôt, confiants dans la promesse du Seigneur qui est toute vérité, réjouissons-nous de notre départ et de notre translation. Hénoch, dit la Genèse, plût à Dieu, et il ne parut plus (307) sur la terre, parce que Dieu le transféra dans un séjour meilleur (Gen., V.). Ainsi Dieu récompensa le patriarche, en le délivrant de la corruption d’ici-bas. L’Esprit-Saint nous apprend encore, par la bouche de Salomon, que ceux qui sont agréables à Dieu quittent ce monde plus tôt que les autres, de peur qu’en y prolongeant leur séjour, ils n’en contractent la souillure. il a été enlevé, dit le Livre de la Sagesse, de peur que le mal ne corrompît son intelligence. Son âme était agréable à Dieu, et c’est pour cela qu’il s’est empressé de l’enlever du milieu de l’iniquité (Sap., IV.). Les Psaumes nous représentent également l’âme dévote s’élançant vers Dieu avec les ailes de la foi : Que votre demeure est agréable, Ô Dieu des vertus, je soupire après vous, je me hâte vers vos sacrés parvis (Psal., 83.).

Je comprends qu’il veuille rester longtemps dans le monde; celui qui est aimé du monde, celui qui se laisse prendre aux amorces de la volupté. Mais le monde hait le chrétien: pourquoi donc aimez-vous votre ennemi? Pourquoi ne suivez-vous pas plutôt le Christ qui vous a racheté et qui vous aime? Saint Jean, dans son épître, nous exhorte à ne pas suivre les désirs de la chair : N’aimez pas le monde, dit-il, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est plus en lui; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle. Tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde passera avec sa concupiscence. Mais celui qui fait la volonté de Dieu, vivra éternellement comme Dieu lui-même (I Joan., II.).

Donc, mes frères bien-aimés, ranimons notre foi, fortifions notre âme, préparons-nous à accomplir la volonté divine et, bannissant toute crainte de la mort, songeons à l’immortalité (309) qui doit la suivre. Que notre conduite s'accorde avec notre croyance: ne pleurons plus la perte de ceux qui nous sont chers et, quand l'heure du départ sonnera pour nous, allons, sans hésitation et sans retard auprès du Dieu qui nous appelle. Telle doit être dans tous les temps la conduite des serviteurs de Dieu, mais surtout à notre époque. Nous voyons, en effet, crouler le monde sous les fléaux qui l'envahissent de toutes parts. Le présent est bien triste ; l'avenir sera plus triste encore; c’est donc un avantage pour nous de quitter promptement cette vie. Si vous voyiez les murailles de votre maison chanceler, le toit s'effondrer, l'édifice tout entier (car les édifices périssent aussi de vieillesse), vous menacer d'une ruine prochaine, ne vous hâteriez-vous pas de fuir? Si vous étiez assailli en mer par une violente tempête, si les flots soulevés vous menaçaient d'un naufrage prochain, ne vous hâteriez-vous pas de gagner le port? Mais, regardez donc, le monde chancelle, il tombe; ce n'est plus la vieillesse, c'est la fin des choses: tout annonce une chute imminente; et, lorsque Dieu, par un appel prématuré, vous arrache à tant de ruines, de naufrages, de fléaux de tout genre, vous ne l'en remerciez pas, vous ne vous en félicitez pas!

Considérons, mes frères bien-aimés, que nous avons renoncé au monde, et que nous sommes sur la terre comme des étrangers et des voyageurs. Saluons le jour qui assigne à chacun son domicile véritable, le jour qui nous délivre des liens de cette vie pour nous rendre au Paradis et au royaume céleste. Qui donc, vivant sur la terre étrangère, ne se hâterait de revenir vers sa patrie? Quel homme, traversant les mers pour rejoindre sa famille, ne désirerait un vent favorable pour embrasser plus tôt ces êtres si chers? Notre patrie c'est le Ciel: là se trouvent nos ancêtres, c'est-à-dire, les patriarches; pourquoi ne pas nous hâter de jouir de leur vue ? Là nous attendent ceux qui nous sont chers: nos pères, nos frères, nos fils, l'assemblée entière des bienheureux, assurée de son immortalité, mais (311) inquiète de notre salut. Quel bonheur pour eux et pour nous de se rencontrer, de se réunir de nouveau! Quelle volupté d’habiter le royaume céleste sans craindre de mourir et avec la certitude de vivre éternellement! Peut-il exister une félicité plus complète? Là, se trouve l’assemblée glorieuse des apôtres, le choeur des prophètes, le peuple innombrable des martyrs victorieux dans les combats et dans la souffrance. Là sont les vierges triomphantes qui ont soumis aux lois de la chasteté le concupiscence de la chair. Là sont les miséricordieux qui ont distribué aux pauvres d’abondantes aumônes et qui, selon le précepte du Seigneur, ont transporté leur patrimoine terrestre dans les trésors du Ciel. Hâtons-nous, mes frères, de nous joindre à cette auguste assemblée; souhaitons d’être bientôt avec eux en présence du Christ. Que cette pensée soit connue de Dieu; que le Christ, notre maître, la trouve gravée dans nos coeurs. Plus nos désirs seront ardents, et plus la récompense qu’il nous destine sera abondante.

 

 

 

 

 

DES BONNES OEUVRES ET DE L’AUMÔNE

1° Obligation de l’aumône; — 2° Réponse aux prétextes; — 3° Récompense promise.

Ils sont nombreux, mes frères bien-aimés, ils sont grands les bienfaits que Dieu le Père et son Fils nous accordent sans cesse, dans leur bonté inépuisable, pour nous conduire au salut. Pour nous sauver, pour nous rendre, avec notre dignité perdue, la vie spirituelle, le Père a envoyé son Fils. Le Fils a accepté sa mission: il à voulu devenir fils de l’homme, pour nous faire enfants de Dieu. Il s’est humilié, pour nous relever de notre abjection; il a été blessé, pour guérir nos blessures; il s’est soumis à l’esclavage, pour briser nos liens et nous rendre la liberté; il a souffert la mort, pour nous donner l’immortalité. Tels sont les bienfaits de la miséricorde divine. Mais sa Providence va encore plus loin: elle veille sur l’homme qu’elle a racheté, pour servir ses ,véritables intérêts et assurer son salut. Après avoir guéri, par son incarnation, les blessures d’Adam et conjuré le venin de l’antique serpent, Jésus imposa sa loi à l’homme régénéré et lui ordonna de ne plus pécher, de peur que son état ne devînt pire. Nous étions donc condamnés à (315) vivre toujours dans l’innocence; et, si la fragilité humaine nous en faisait déchoir, plus de remède pour nous.

Mais la miséricorde divine vient encore à notre aide: elle nous montre dans les bonnes oeuvres un moyen de salut et comme une piscine où nous pouvons laver les souillures de notre âme. Le langage de l’Esprit-Saint est conforme à cette doctrine. Les péchés, dit-il, sont expiés par les aumônes et par la foi (Prov., XX.). Il ne s’agit pas ici de péchés commis avant le baptême: ceux-là sont effacés par le sang et les mérites de Jésus-Christ. L’Esprit-Saint dit encore : Comme l’eau éteint le feu, l’aumône éteint le péché (Eccles., III.). Par là, nous voyons clairement que, si l’eau baptismale éteint le feu de l’enfer, les aumônes et les bonnes oeuvres éteignent dans les âmes régénérées la flamme du péché. Bans le baptême, la rémission n’est accordée qu’une fois; mais les bonnes oeuvres, par leur continuité et leur multiplication, nous obtiennent sans cesse l’indulgence et le pardon de Dieu.

1° C’est ce que nous enseigne le Seigneur dans son Évangile. Comme on lui dénonçait ses disciples, qui mangeaient sans s’être lavé les mains auparavant, il répondit: Celui qui a fait ce qui est dedans a fait aussi ce qui est dehors; donnez l’aumône et pour vous tout sera pur (Luc., XI.). Il nous montre par ces paroles que c’est le coeur et non les mains qu’il faut laver; car les souillures sont au dedans et non au dehors. La purification qui s’exerce au dedans réagit au dehors, et quand l’âme est pure le corps l’est aussi. Or, il fait consister le secret de cette purification dans l’aumône. Ainsi le Dieu de miséricorde veut que nous soyons miséricordieux; et, comme il désire sauver ceux qu’il a rachetés à si grand prix, il les prévient qu’ils peuvent effacer encore les souillures contractées après le baptême. Reconnaissons donc, mes frères bien-aimés, le bienfait de la miséricorde divine, et, (317) puisque nous ne pouvons vivre sans péchés, employons pour les expier les remèdes institués par Jésus-Christ.

Que personne ne s’abuse sur la pureté de son âme; que personne ne s’appuie sur sa prétendue innocence pour se dispenser du remède; car il est écrit: Qui se glorifiera d’avoir le cœur pur et d’être exempt de péché (Prov., II.)? Saint-Jean tient à peu près le même langage : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons vous-mêmes et la vérité n’est pas en nous; si, au contraire, nous confessons nos péchés, Dieu est juste et fidèle, il nous en accordera le pardon (Isa., LVIII.). Si personne ne peut se dire sans péché, parler de son innocence est un acte ou d’orgueil ou de folie. Bénissons plutôt la miséricorde divine qui, sachant bien qu’un corps criblé de blessures conserve encore un reste de vie, nous a laissé des remèdes pour guérir et cicatriser nos plaies.

La voix divine n’a jamais cessé de se faire entendre, mes frères bien-aimés. Dans l’ancien Testament, comme dans le nouVeau, elle nous exhorte sans cesse à des oeuvres de miséricorde. Tout homme qui aspire au royaume céleste doit faire l’aumône. Le Seigneur parle ainsi à Isaïe : Élève la voix; qu’elle retentisse comme une trompette; n ‘épargne personne; fais connaître à mon peuple ses péchés, à la maison de Jacob les forfaits qu’elle a commis (Isa., LVIII.). Le prophète obéit. Sa parole, vibrante d’indignation, énumère les iniquités du peuple; puis il indique le remède et il dit que, sans la prière, le jeûne, le cilice et la cendre, ils ne peuvent expier leurs péchés et fléchir la justice divine. Il termine par le précepte de l’aumône: Rompez votre pain à celui qui a faim, et introduisez dans votre demeure les indigents qui n’ont pas de toit pour s’abriter. Si vous voyez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez pas vos frères. Alors vos oeuvres jetteront une vive lumière, la santé sera rendue à votre (319) âme, votre sainteté vous précédera et la gloire du Très-Haut vous entourera comme un vêtement. Alors vous crierez vers Dieu et il vous exaucera; même avant la fin de votre prière, il vous dira : Me voici (Isa., LVIII.) Ainsi, Dieu nous indique les moyens de le fléchir; sa parole dicte aux pécheurs ce qu’ils doivent faire. La miséricorde, les bonnes oeuvres , telles sont les expiations qui désarment la justice divine et effacent nos péchés.

Nous lisons dans Salomon : Versez votre aumône dans le sein du pauvre, et elle vous délivrera de tout mal (Eccl., XXIX.). Et ailleurs: Celui qui ferme ses oreilles pour ne pas entendre. la voix du pauvre, criera aussi vers Dieu et Dieu ne l’écoutera pas (Prov., XXI.). Ce serait folie d’espérer en la miséricorde divine, si on n’a pas été soi-même miséricordieux. Pour que nos prières sont exaucées, il faut que nous soyons accessibles à la prière du pauvre. C’est ce que nous dit l’Esprit—Saint au livre des Psaumes : Bienheureux celui qui a pitié du pauvre et de l’indigent: Dieu le délivrera aux jours mauvais (Psal., XI). Daniel était imbu de ces. préceptes. Aussi lorsque le roi Nabuchodonosor, effrayé par un songe, lui demanda le moyen de détourner les maux qui les menaçaient, le prophète répondit : O roi, que mon avis vous so’t agréable rachetez vos péchés par des aumônes; expiez vos injustices par des oeuvres de miséricorde envers les pauvres, et Dieu supportera vos iniquités avec patience (5). Le roi refusa d’obéir, et il subit tous les châtiments qu’il avait vus en songe. Il les eût évités si, docile à la voix du prophète, il eût racheté ses péchés par des aumônes.

L’ange Raphaë1 nous enseigne la même vérité; et, pour que nos aumônes soient abondantes et spontanées, il dit: La prière, (321) accompagnée du jeûne et de l’aumône, est agréable à Dieu; car l’aumône délivre de la mort et efface les péchés (Tob. XII.). Il nous montré par ces paroles que nos prières et nos jeûnes sont bien peu de chose sans le secours de l’aumône. Pour obtenir, il ne suffit pas de demander: il faut que nos oeuvres nous confèrent des droits à la miséricorde divine. Or, d’après l’enseignement de l’ange, nous voyons que l’aumône donne de l’efficacité à la prière, qu’elle éloigne les périls de cette vie, qu’elle délivre les âmes de la mort éternelle. Nous joignons au témoignage. de l’ange celui des Actes des apôtres. Là, nous voyons, par un fait éclatant, que l’aumône délivre non seulement de la mort de l’âme, mais de celle du corps. Tabitha, cette sainte femme toute dévouée aux bonnes oeuvres et aux aumônes, tomba malade et mourut. Pierre fut appelé auprès du cadavre. Il vint en toute hâte guidé par son coeur d’apôtre. Alors les veuves l’entourèrent, lui montrant les manteaux, les tuniques, les vêtements, tous les objets que leur donnait Tabitha, et ses oeuvres parlaient pour elle bien plus haut que la voix des pauvres. Pierre comprit qu’une telle prière devait être exaucée, et que Dieu ne refuserait pas son secours à des veuves dont les vêtements attestaient la charité de la défunte. Il se mit donc à genoux, et se faisant l’avocat des veuves et ides pauvres, il transmit leur prière au Seigneur. Puis se tournant vers le corps qu’on avait déjà lavé et placé sur une table : Tabitha, s’écria-t-il, lève-toi au nom de Jésus-Christ (Act., IX.). Celui qui a promis dans l’Évangile de nous accorder tout ce que nous demanderions en son nom ne pouvait refuser son secours à l’apôtre. La mort suspendit son action; la vie revint et, au grand étonnement de tout le monde, ces yeux déjà éteints revirent la lumière. Tel1e est donc la puissance des oeuvres de miséricorde : celle qui avait donné aux veuves des moyens d’existence mérita, par la prière des veuves, de revenir à la vie. (323)

Aussi Jésus, notre maître et notre Sauveur, ne recommande rien tant que l’aumône. il ne veut pas que nous cherchions les biens de la terre; mais que nous amassions des trésors dans le Ciel. Vendez, dit-il, toutes vos possédions et distribuez-les en aumônes. Ne cherchez pas les trésors de la terre, dit-il encore, ces trésors qui sont rongés par les vers et la rouille et qui deviennent la proie des voleurs; mais faites-vous des trésors dans le Ciel là on n’a à craindre ni les vers, ni la rouille, ni les efforts des voleurs. Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur (Mat., VI). Il montre, en ces termes, la perfection aux observateurs de la loi: Si vous voulez être parfait, allez, vendez tous vos biens, distribuez-les aux pauvres et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi (Matt., XIX.). Ailleurs, il nous enseigne que cette perle précieuse, qui s’appelle la vie éternelle, est donnée en échange à celui qui sacrifie tous ses biens. Le royaume du Ciel est semblable à un marchand qui cherche des perles précieuses. S’il en trouve une, il vend ce qu’il possède et l’achète (Matt., XIII). Savez-vous ceux qu’il appelle les enfants d’Abraham? ce sont ceux qui secourent et nourrissent les pauvres. Écoutez Zachée : Je donne aux indigents la moitié de mes biens, et si l’ai porté tort à quelqu’un, je lui rendrai quatre fois ce qu’il a perdu. Jésus répond: Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison, car cet homme est fils d’Abraham (Luc, XIX.). Abraham crut à Dieu, et ce fut le principe de sa sainteté; de même, celui qui fait l’aumône, selon le précepte du Seigneur, croit à Dieu; ayant la foi véritable, il conserve la crainte de Dieu; or cette crainte l’incline à la miséricorde; car il connaît la vérité de ces paroles : Les arbres, c’est-à-dire les hommes, qui ne portent pas de fruit sont coupés et jetés au feu; mais les hommes miséricordieux ont leur place au royaume céleste (Matt., III.). Le Seigneur insiste encore sur cette (325) vérité: Si vous n’avez pas été fidèles dans le gouvernement d’une fortune, injustement acquise, qui vous confiera les biens véritables? Si vous avez dilapidé le bien d’autrui, qui vous donnera celui, qui vous revient (Luc, IX.)?

2° Si vous craignez que vos largesses n’épuisent votre patrimoine et ne vous réduisent à l’indigence, rassurez-vous : une fortune consacrée aux usages du Christ et à . mériter les biens éternels ne peut s’épuiser. Cette promesse n’est pas de moi, elle repose sur la foi et l’autorité des Écritures. Le Saint-Esprit nous dit par la bouche de Salomon : Celui qui donne aux pauvres ne sera jamais dans l’indigence; celui qui en détourne ses regards connaîtra les rigueurs de la pauvreté (Prov., XXII.). D’où il suit que la pauvreté est le partage des avares et non des hommes charitables et miséricordieux. L’apôtre saint Paul nous dit à son tour : Celui qui donne la semence au laboureur vous donnera aussi le pain dont vous avez besoin; il augmentera à la fois vos moissons et vos mérites, afin que vous soyez riche en toutes choses. Et plus loin: L’aumône ne donne pas seulement aux pauvres ce qui leur manque, elle augmente encore la somme de nos biens; car, lorsque les prières et les actions de grâces des indigents montent vers le ciel, Dieu se plait à combler de ses bénédictions l’âme charitable. (II Corint. XVI.) Dans l’Évangile, le Seigneur s’adresse et aux hommes miséricordieux et aux incrédules, et il leur dit : Ne vous demandez pas à vous-mêmes, que mangerons-nous? que boirons-nous? de quoi nous vêtirons-nous? Les païens s’inquiètent de toutes ces choses, mais voire Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît (Matt., V.). Tels sont les biens promis à ceux qui cherchent la justice et le royaume (327) de Dieu. Ce sont ces mêmes hommes qui, après avoir édifié l’Église par leurs bonnes oeuvres, recevront au jour du jugement l’héritage céleste.

Vous craignez de perdre votre fortune, en faisant des aumônes trop abondantes; et vous ne voyez pas, malheureux, que ce qui va vous manquer, ce ne sont pas les biens de ce monde, mais la santé et la vie. Vous craignez une diminution dans vos revenus; et vous ne voyez pas, qu’en vous attachant à l’argent plus qu’à votre âme, c’est vous-mêmes qui diminuerez. Vous craignez de perdre votre patrimoine; et vous vous perdez. Aussi l’apôtre dit avec raison : Nous n’avons rien apporté dans ce monde nous n’en emporterons rien. Puisque nous avons des vêtements et un abri, sachons nous en contenter. Car ceux qui veulent s’enrichir tombent dans les piéges du démon, dans des désirs funestes, qui entraînent l’homme à sa ruine. La cupidité est la racine de tous les maux; ceux qui se laissent guider par elle perdent la foi et se condamnent à beaucoup de douleurs (I Tim., V.).

Vous craignez que votre fortune ne puisse vous suffire, si vous faites d ‘abondantes aumônes. Mais quand le juste a-t-il manqué des choses nécessaires à la vie? Il est écrit : Dieu ne laissera pas mourir de faim l’homme juste (Prov., X.). Élie, dans la solitude, est nourri par des corbeaux. Daniel, enfermé dans la fosse aux lions par l’ordre du roi de Babylone, reçoit sa nourriture de la main de Dieu. Et vous craignez, alors que vous faites des bonnes oeuvres et que par là vous méritez le Seigneur, vous craignez de manquer du pain de chaque jour ! Mais lui-même ô homme de peu de foi, vous dit dans l’Évangile: Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils n’entassent pas leurs récoltes dans des greniers, et (329) pourtant votre Père céleste les nourrit. Est-ce que vous n’êtes pas bien au-dessus d’eux (Matt., VI.)? Dieu nourrit les oiseaux, il donne aux passereaux les aliments nécessaires; ces petits êtres, qui ne le connaissent pas, reçoivent de lui le breuvage et la nourriture, et vous chrétien, serviteur de Dieu, vous qui, en vous consacrant aux bonnes oeuvres, devenez si cher à votre maître, vous craignez l’indigence !t Croyez-vous donc que celui qui nourrit le Christ n’est pas nourri à son tour par le Christ? Croyez-vous que ceux qui possèdent les biens célestes et divins manqueront des choses de la terre? D’où vient ce calcul digne d’un incrédule? d’où vient cette pensée impie et sacrilège? Pourquoi cette défiance dans la maison de la foi? Comment peut-on se dire chrétien, quand on n’appartient pas au Christ? Ah ! le nom de Pharisien vous conviendrait davantage. Un jour le divin Maître parlait de l’aumône; il nous exhortait à user sagement des biens de ce monde, pour nous faire des amis qui ,nous recevront dans les tabernacles éternels : Or, ajoute le texte sacré, les Pharisiens, qui étaient très-avares, l’écoutaient et se moquaient de lui (Luc, XVI.). Nous trouvons encore dans l’Église des pharisiens dont les oreilles fermées et les coeurs aveuglés sont insensibles à la lumière et aux avertissements du salut. Ne nous étonnons pas s’ils méprisent les serviteurs, puisque leurs pareils ont méprisé le maître.

Pourquoi rejeter sur la crainte de l’avenir votre peu de zèle pour les bonnes oeuvres? Pensez-vous que ces, vains prétextes puissent vous servir d’excuse? Confessez plutôt la vérité: nous la savons d’ailleurs, vous pouvez parler à coeur ouvert. Avouez-le, les ténèbres ont envahi votre coeur; la lumière de la vérité s’en est exilée, et l’avarice, semblable à un brouillard épais, a tout couvert et tout matérialisé. Vous êtes le captif et l’esclave de votre argent; la cupidité vous retient dans ses chaînes et (331) vous, qui aviez été délivré par le Christ, vous voilà de nouveau lié. Vous conservez un métal qui ne vous conservera pas. Vous grossissez un patrimoine qui vous écrase de son poids, et vous oubliez la parole du Seigneur à ce riche qui se glorifiait de l’abondance de ses biens : Insensé, cette nuit on réclamera ton âme, et ces biens que tu as amassés à qui seront-ils (Luc, XII.)? Pourquoi jouir seul de vos richesses? Pourquoi augmenter sans cesse un patrimoine qui fait votre supplice et qui, en vous enrichissant pour la terre, vous appauvrit pour le ciel? Partagez vos revenus avec votre maître; que le Christ en ait sa part: à ce prix, vous jouirez avec lui de l’héritage céleste.

Vous vous trompez, si vous croyez que la richesse véritable est celle de la terre. Écoutez le Seigneur dans l’Apocalypse : Vous dites : je suis riche, dans l’opulence, je ne manque de rien; et vous ne savez pas que vous êtes pauvre, misérable, aveugle, dépouillé de tout. Je vous conseille, pour être riche, d’obtenir de moi l’or enflammé, de revêtir la robe blanche pour cacher votre nudité, et d’oindre vos yeux d’un collyre pour recouvrer la vue(Apoc., III.). Vous donc, qui possédez les biens de ce monde, achetez au Christ l’or enflammé. Il purifiera, comme le feu, les souillures de votre conscience et vous-même, grâce à vos aumônes, vous deviendrez un métal pur et sans alliage. Achetez la robe blanche, ce vêtement immaculé du Christ, qui couvrira votre nudité et toutes les difformités de votre âme. Et vous, matrone opulente, oignez vos yeux, non avec le fard du démon mais avec le collyre du Christ, si vous voulez, par vos bonnes oeuvres et la pureté de vos moeurs, mériter de voir Dieu. Dans l’état où vous êtes, comment feriez-vous des bonnes oeuvres? Vos yeux, obscurcis par des couleurs empruntées, ne voient pas l’indigent. Vous êtes riche, et vous croyez célébrer le jour du Seigneur, vous qui passez devant le tronc sans le regarder, qui (333) n’apportez jamais votre part au sacrifice et qui participez à l’offrande du pauvre. Considérez dans l’Évangile cette veuve imbue des préceptes divins qui, malgré sa détresse, trouvait le secret de faire une bonne oeuvre et jetait dans le tronc les deux oboles qui lui restaient. Le Seigneur la remarqua, et jugeant la valeur de son offrande, non d’après la somme mais d’après l’intention:

En vérité, dit-il, cette femme a versé plus que tous les autres dans ter trésors de Dieu; car les autres ont donné de leur superflu, mais elle a pris sur son nécessaire, sur sa propre nourriture (Luc, XXXI). Heureuse femme! quelle gloire pour elle d’avoir mérité les louanges du juge avant le jour du jugement! Oh! que les riches doivent avoir honte de leur avarice et de leur insensibilité, en voyant une veuve, et une veuve pauvre, donner avec tant de largesse! Les aumônes sont destinées aux orphelins et aux veuves: elle devait donc recevoir; et pourtant elle donne. Nous voyons par là quel châtiment subiront les riches avares, puisque, d’après l’exemple que nous offre l’Évangile, les pauvres eux-mêmes ne sont pas dispensés des bonnes oeuvres. Afin de nous faire comprendre que ces dons sont offerts à Dieu, et qu’en y contribuant on. mérite Dieu, le Christ se sert de cette expression : les trésors de Dieu; par là se manifeste davantage la vérité de ces paroles : Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu (Prov., XIX.).

Ne croyez pas, mes frères bien-aimés, pouvoir vous exempter des bonnes oeuvres, en alléguant pour excuse l’intérêt de vos enfants, Dans nos aumônes, c’est au Christ que nous devons penser, car, selon sa propre expression, c’est lui qui reçoit. Ce ne sont donc pas nos frères, mais le Seigneur, que nous préférons à nos enfants. Celui qui aime son père et sa mère plus que moi, dit-il, n’est pas digne de moi; celui qui aime son fils et sa fille plus que moi n’est pas digne de moi (Matt., X.). Nous (335) trouvons la même pensée dans le Deutéronome : Ceux qui disent à leur père et à leur mère : je ne vous connais pas, et qui oublient leurs enfants, ceux-là ont observé vos préceptes et sont demeurés fidèles à votre alliance (Deut., XXXIII. .—. Il s’agit des lévites qui tuèrent les adorateurs du veau d’or. Saint Cyprien a donné à ce texte une interprétation inexacte. ). Si nous aimons Dieu de tout notre coeur, nous ne devons lui préférer ni nos parents ni nos fils. Saint Jean et aussi que ceux qui refusent de secourir les pauvres n’ont pas la charité de Dieu. Si un homme, riche a les biens de monde, voit son frère dans la détresse et endurcit son coeur, comment la charité de Dieu résiderait-elle en lui (I Joan., III.) ? L’argent donné aux pauvres est prêté à Dieu; en donnant aux plus petits, c’est au Christ qu’on donne; il n’y a donc pas de raison pour préférer les biens de la terre aux biens célestes et les choses humaines aux choses divines

Ainsi agit cette veuve dont nous parle le troisième livre des Rois. Ayant consommé toutes ses provisions pendant la sécheresse et la famine, elle employa le peu d’huile et de farine qui lui restait pour faire un pain cuit sous la cendre, résignée à mourir avec ses enfants après l’avoir mangé. Élie arrive et demande l’aumône. La pauvre veuve n’hésite pas; quoique mère, elle ne préfère pas ses enfants à Élie. Elle s’abandonne à la volonté divine, et offre ce qu’on lui demandait. Certes elle ne partageait pas son superflu avec le prophète; elle donnait tout et, malgré la faim de ses enfants, elle rassasiait d’abord tin étranger. Dans sa détresse, elle s’occupait de la miséricorde plus que de la nourriture , nous montrant qu’en méprisant pour une bonne oeuvre la vie de la chair,. nous assurons le salut de notre âme. Mais Élie représentait le Christ. Pour nous apprendre que Dieu nous traite tous selon l’étendue de notre charité, il dit à la veuve : Voici la parole du Seigneur : la poignée de farine et le vase d’huile ne diminueront (337) pas jusqu’au jour où Dieu enverra la pluie sur la terre (II Reg., XVIII.). Selon la promesse divine, les ressources de la veuve s’augmentèrent en même temps que ses bonnes oeuvres et ses mérites : les vases d’huile et de farine ne cessèrent de se remplir. En donnant au prophète, elle n’avait donc rien enlevé à ses enfants; bien loin de là, sa bonne oeuvre leur avait été utile. Et pourtant elle ne connaissait pas le Christ; elle n’avait pas entendu ses commandements; rachetée par sa croix et sa passion, elle ne donnait pas, en échange de son sang, un peu de nourriture. Vous voyez, combien est coupable celui qui, se préférant au Christ ainsi que ses enfants, garde ses richesses et ne partage pas avec les pauvres un vaste patrimoine.

Mais, direz-vous encore, mes enfants sont nombreux : je ne puis faire des aumônes abondantes. — Raison de plus pour donner largement. Vous êtes père de beaucoup d’enfants, donc vous devez adresser à Dieu plus de prières; vous avez plus de. fautes à racheter, plus de consciences à purifier, plus d’âmes à délivrer. Dans cette vie, plus les enfants sont nombreux, plus les dépenses qu’ils exigent sont grandes; il en est de même dans la vie spirituelle : la multiplication des enfants exige celle des bonnes oeuvres. Job offrait pour sa famille de nombreux sacrifices; et plus elle s’augmentait, plus. s’augmentait aussi le nombre des victimes. Ces sacrifices avaient lieu tous les jours, parce que tous les jours on commet de nouvelles fautes qui réclament une expiation. C’est ce que nous lisons dans l’Ecriture: Job, homme véritablement juste, eut sept fils et trois filles. Chaque jour, il offrait à Dieu pour les sanctifier un nombre égal de victimes, et de plus un veau pour expier leurs péchés (Job,). Si vous aimez vos enfants en véritable père, vous devez multiplier vos aumônes en leur faveur, afin de les rendre plus chers à Dieu. N’allez pas me parler de votre père qui est (339) âgé et infirme, pensez plutôt au Chef de la famille chrétienne, au Père éternel et immuable. Consacrez-lui cette fortune que vous réservez à des héritiers; qu’il devienne le tuteur, le curateur de vos enfants; qu’il les protège contre tous les dangers du siècle. Si vous confiez à Dieu votre patrimoine, vous n’aurez à craindre ni les usurpations de l’état, ni les exactions du fisc, ni les procès ruineux. L’héritage, placé sous la sauvegarde divine, et en sûreté. C’est ainsi qu’on prend les intérêts de ses enfants, et qu’on agit en père envers ses futurs héritiers. Aussi l’Écriture nous dit: J’ai été jeune, je suis vieux, je n’ai jamais vu le juste abandonné et ses enfants manquer de pain. Chaque jour, par ses oeuvres de miséricorde, il accroît ses mérites et sa race sera bénie. Et plus loin : Sa vie s’écoule dans l’innocence, et ses enfants seront heureux après lui (Psal., XXXVI.).

Vous êtes un père dénaturé, si vous ne prenez les intérêts de vos enfants, si vous ne veillez religieusement à leur conservation. Plus attaché aux biens de la terre qu’à ceux du Ciel, c’est au démon et non au Christ que vous confiez vos enfants. Par là vous commettez un double crime: d’abord, parce que vous ne ménagez pas à vos enfants la protection de leur Père céleste, et ensuite, parce que vous leur enseignez à aimer la fortune plus que le Christ. Soyez donc un père comme Tobie: comme lui, donnez à vos enfants des préceptes utiles et salutaires. Écoutez sa parole : Mon fils, je t’en, conjure, sers Dieu en toute vérité; accomplis sa volonté sainte et recommande à tes enfants la justice et l’aumône. Qu’ils se souviennent de Dieu et que toujours ils bénissent son saint nom… Tous les jours de ta vie, mon très-cher fils, aies Dieu présent à l’esprit et ne transgresse pas ses commandements. Persévère dans la justice; ne suis pas la route de l’iniquité; car, si tu agis selon la vérité, tes oeuvres seront à tout jamais bénies. Fais l’aumône de ton bien; ne détourne pas tes yeux du pauvre, et le regard de (341) Dieu ne se détournera pas de toi. Donne selon tes ressources si tu as peu, partage ce peu avec le pauvre. Ne crains pas d’être trop généreux; car tu te prépares, pour le jour de l’épreuve, une précieuse récompense. L’aumône nous délivre de la mort et nous éloigne de l’enfer. L’aumône est une source de mérites pour ceux qui la font en présence de Dieu (Tob., IV.).

Quelle oeuvre, mes frères bien-aimés, que celle qui se fait sous les regards de Dieu! Si c’est une chose glorieuse pour les païens d’agir en présence des proconsuls et des empereurs; si les hommes appelés à cet honneur s’imposent des frais énormes pour plaire aux grands de la terre; n’y a-t-il pas plus d’honneur et de gloire a avoir pour spectateurs Dieu et le Christ? Ne devons-nous pas dépenser davantage, nous qui agissons devant les anges et les vertus des cieux? nous qui attendons en récompense non un quadrige, non le consulat, mais la vie éternelle? nous enfin qui, dédaignant la faveur fugitive du vulgaire, n’aspirons à rien moins qu’au royaume céleste?

3° Pour rougir davantage de cette cupidité qui vous condamne à. l’impuissance par rapport au salut, pour mieux comprendre la honte de votre conscience souillée, représentez-vous le démon avec ses serviteurs, c’est-à-dire avec les réprouvés: il s’avance en présence du peuple chrétien, et là, sous les yeux du Christ, il parle en ces termes : Tu vois ce peuple qui est avec moi; pour lui je n’ai été ni souffleté, ni flagellé, ni crucifié, ni mis à mort; je n’ai pas racheté ma famille au prix de mes souffrances et de mon sang; je ne leur promets pas le royaume céleste; je ne leur rouvre pas le, paradis en leur rendant l’immortalité. Vois pourtant au prix de quelles sommes, au prix de quel travail, ils achètent l’honneur de me servir. Ils engagent ou vendent leurs biens pour obtenir des charges, et, s’ils échouent dans leur entreprise, ils sont poursuivis par les (343) injures et les sifflets; ils sont presque lapidés par la fureur populaire. Montre-moi, ô Christ, ces disciples formés à ton école, qui attendent les biens du Ciel en échange de ceux de la terre. S’ils sont riches, à la face de toute l’Église, sous tes yeux, agiront-ils comme les miens? Dépenseront-ils leur fortune, l’engageront-ils, où plutôt, selon ton expression, la -transporteront-ils dans les trésors célestes? Dans ces honneurs terrestres que me rendent mes disciples, il n’y a personne à nourrir, personne à vêtir, personne à consoler dans sa détresse: les sommes énormes qui se dépensent, pour éblouir un peuple stupide, s’engloutissent follement dans le gouffre de la volupté. Mais toi, tu es vêtu et nourri dans tes pauvres; tu promets la vie éternelle à ceux qui font des bonnes oeuvres, et c’est à peine sites disciples, qui attendent de toi la récompense céleste, peuvent se comparer aux miens qui doivent périr pour toujours.

Que répondre, mes frères bien-aimés? Comment justifier les âmes des riches qui, plongés dans une nuit ténébreuse, croupissent dans la stérilité? Quelle excuse alléguer ? Nous sommes au-dessous des serviteurs du démon, nous qui ne voulons rien donner au Christ, en échange de ses souffrances et de son sang. Il nous a légué ses préceptes; il a tracé à ses serviteurs la conduite qu’ils devaient tenir; il promet l’éternelle récompense à ceux qui font l’aumône; il menace d’un supplice éternel les âmes insensibles; la sentence est déjà rédigée; nous savons, par ses propres paroles, comment doit avoir lieu le jugement. Quelle excuse alléguer, si on ne fait pas l’aumône? Comment se défendre, si on persévère dans son insensibilité? Puisque le serviteur n’accomplit pas les ordres du maître, il faudra bien que le maître exécute ses menaces. Écoutez : Le fils de l’homme paraîtra dans toute sa gloire, et ses anges seront avec lui. Il prendra place sur un trône étincelant; tous les peuples se réuniront en sa présence; alors il les séparera, comme un pasteur sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa (345) droite, les boucs à sa gauche. Et se tournant vers ceux qui seront à sa droite, il leur dira : Venez les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’ai été étranger, et vous m’avez accueilli; j’ai été nu, et vous m’avez revêtu; j’ai été malade, et vous m’avez visité;j’ai été en prison, et vous êtes venus à .moi. Et les justes répondront: Seigneur, quand donc avons-nous apaisé votre faim, soulagé votre soif? quand vous avons-nous accueilli dans votre exil et revêtu dans votre nudité? Quand vous avons-nous vu malade et en prison et sommes-nous allés vous visiter? Et le roi leur répondra: En vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à un de mes frères les plus petits, c’est à moi que vous les avez faites. — Alors, il dira à ceux qui seront à sa gauche: Éloignez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel que mon Père a préparé pour Satan et pour ses anges; car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire; j’ai été étranger, et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas revêtu, malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. Les méchants répondront aussi et diront Seigneur, quand vous avons-nous vu souffrir la faim cita soif? quand vous avons-nous vu étranger, nu, malade, en prison, sans venir à votre secours? Et Jésus leur dira : En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à un de ces hommes les plus petits de tous, c’est à moi que vous les avez refusées. Et les méchants iront dans le feu éternel et les justes dans la vie éternelle (Matt., XXXV.).

Le Christ pouvait-il nous intimer un précepte plus formel? pouvait-il nous porter davantage aux oeuvres de miséricorde qu’en nous disant: donner au pauvre c’est donner à moi-même, refuser au pauvre c’est m’offenser gravement? Ah! (349) si quelqu’un n’est pas ému par la présence de son frère, qu’il le soit du moins par la pensée de Jésus-Christ; s’il oublie la pauvreté et la souffrance de son compagnon de pèlerinage, qu’il se souvienne que le Seigneur est à la place de ce pauvre qu’il méprise.

Donc, mes frères bien-aimés, nous qui avons la crainte de Dieu, nous qui, après avoir foulé aux pieds le monde, tenons notre esprit fixé sur les biens surnaturels et divins, suivons le précepte du Seigneur, et par notre foi, notre piété, nos bonnes oeuvres,, ajoutons chaque jour à nos mérites. Revêtons le Christ sur la terre, afin d’être revêtu par lui dans le ciel. Donnons au pauvre sa nourriture, afin d’avoir une place ail festin céleste avec Abraham, Isaac et Jacob. Semons beaucoup, pour recueillir une abondante moisson. Travaillons à notre salut éternel, car saint Paul nous dit : Pendant qu’il en est temps, .faisons du bien à tous, mais surtout à ceux qui partagent notre foi. En faisant le bien, nous ne serons jamais dans l’indigence, plus tard, nous en recueillerons les fruits (Gal., VI.).

Souvenons-nous, mes frères, de la conduite des chrétiens au temps des Apôtres, alors que les âmes déployaient de. plus grandes vertus et que la foi conservait toute sa chaleur. Les fidèles vendaient leurs maisons et leurs champs et en apportaient le prix aux apôtres pour le distribuer aux indigents. Conduite bien sage, mes frères : en vendant leur patrimoine, ils en plaçaient le prix dans le ciel pour en jouir éternellement; ils s’y préparaient une demeure pour y habiter toujours. A cette époque, l’aumône atteignait son apogée, parce que la charité unissait tous les coeurs. La multitude des croyants, disent les Actes, ne formait qu’un coeur et une âme. Il n’y avait entre eux aucune différence; ils ne se regardaient pas comme propriétaires des biens qu’ils possédaient; mais tout leur était commun (Act., IV.). (349)

C’est ainsi que, par la naissance spirituelle, on devient enfant de Dieu; c’est ainsi que, d’après la loi céleste, on reproduit la justice de Dieu le père. Il a tout mis en commun pour notre usage, et tous les hommes sont appelés à jouir également de ses bienfaits. Ainsi le jour éclaire, le soleil brille, la pluie tombe, le vent souffle également pour tout le monde. Ceux qui dorment jouissent également du sommeil. La clarté des étoiles et de la lune est commune à tous. Celui qui partage entre ses frères ses biens et ses revenus, imite, dans cette juste distribution, l’équité du Père céleste.

Aussi, mes frères bien-aimés, quels seront la gloire et le bonheur des chrétiens charitables lorsque le Seigneur viendra faire le recensement de son peuple! C’est alors qu’il donnera à nos mérites et à nos oeuvres la récompense promise : les biens du ciel pour ceux de la terre, les biens de l’éternité pour ceux du temps, un trésor pour une obole. Alors il nous présentera à son Père, après nous avoir revêtu de ses mérites; il nous donnera l’immortalité, après nous avoir vivifiés par son sang ; il nous ouvrira les portes du ciel, selon sa promesse immuable et sacrée.

Gravons ces enseignements dans nos esprits; sachons les comprendre; sachons les aimer; qu’ils inspirent constamment nos bonnes oeuvres. L’aumône, mes frères bien-aimés, est une chose divine. Elle est la consolation des croyants, le gage de notre salut, le soutien de notre espérance, l’appui de notre foi, l’expiation de nos péchés. Oeuvre à la fois grande et facile, elle dépend uniquement de celui qui la fait. On n’a pas à craindre la persécution; c’est la couronne de la paix. L’aumône est le plus grand de nos devoirs envers Dieu; elle soulage la faiblesse et honore la fortune. Aidé par elle, le chrétien s’enrichit de la grâce divine; il fléchit la colère du souverain Juge; il compte Dieu parmi ses débiteurs. (351)

Combattons pour acquérir cette palme glorieuse. Courons dans l’arène de la sainteté, sous les regards de Dieu et de son Christ, et, puisque nous sommes placés au-dessus du monde, ne nous laissons pas arrêter par le désir des choses temporelles. Si le jour du jugement ou celui de la persécution nous surprend au milieu de notre course, Dieu sera là pour récompenser nos mérites. Si nous remportons la victoire dans la paix, une couronne blanche sera le prix de nos bonnes oeuvres; si nous triomphons dans la persécution, la couronne sera rouge, comme le sang que nous aurons répandu. (353)

 

 

 

 

 

AVANTAGES DE LA PATIENCE

1° Excellence de cette vertu; — 2° Sa nécessité; — 3° Exemples; — 4° Ses avantages; — 5° Manière de l’acquérir; — 6° Récompense.

Aujourd’hui, mes frères bien-aimés, j’ai à vous parler de la patience : je dois vous faire connaître le mérite et les avantages de cette vertu. Puis-je mieux commencer mon discours, qu’en vous faisant remarquer que, même en ce moment, la patience vous est nécessaire, car, sans elle, vous ne pouvez ni m’écouter, ni profiter de mes leçons? En effet, l’instruction ne peut être efficace qu’autant qu’on l’écoute avec patience.

Dans la loi chrétienne, mes frères bien-aimés, plusieurs routes s’ouvrent devant nous pour nous conduire au salut; mais je ne trouve rien de plus utile pour la vie présente, rien de plus méritoire pour le Ciel, que de s’attacher avec crainte et amour aux préceptes du Seigneur et de supporter avec une patience inaltérable tous les événements de cette vie. Les philosophes aussi se vantent de pratiquer cette vertu; mais leur patience est aussi fausse que leur sagesse. Comment, en effet, être sage et patient, si on ne connaît la sagesse et la patience de Dieu? Il (357) nous dit lui-même: Je perdrai la sagesse des sages et je réprouverai la prudence des prudents (Is., XX .). Saint Paul, l’oracle de l’Esprit-Saint et l’apôtre des nations, nous enseigne la même vérité : Prenez garde, dit-il, de vous laisser séduire par une philosophie vaine et trompeuse, fondée sur les traditions, sur la science mondaine et non sur le Christ, en qui réside la plénitude de la divinité (Coloss., II.). Et ailleurs : Ne vous y trompez pas, si quelqu’un d’entre vous veut être sage, qu’il devienne insensé pour le monde. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit : Je confondrai les sages dans leur sa gesse. Et au livre des Psaumes : Le Seigneur connaît les pensées des sages; il sait qu’elles ne sont que folie (Ps., IX.).

Si, dans le monde, il n’y a pas de véritable sagesse, il n’y a pas non plus de véritable patience. Le sage est humble et doux; or, rien ne manque plus aux philosophes que la sagesse et la douceur : ils se, complaisent beaucoup en eux-mêmes, et par suite ils déplaisent à Dieu. Mais la vraie patience ne peut pas résider dans ces hommes qui découvrent impudemment leur poitrine et affectent une insolente liberté. Pour nous, mes frères, dont la philosophie réside non dans les paroles mais dans les actions, qui possédons la vraie sagesse sans l’afficher sur nos vêtements, qui faisons consister la vertu dans la conscience. et dans la conduite et non dans une vaine jactance d’extérieur et de langage, nous, dis-je, véritables serviteurs de Dieu, exerçons-nous à cette patience qui nous fut enseignée par Jésus-Christ.

1° La patience nous est commune avec Dieu; c’est en Dieu qu’elle prend son origine, sa grandeur, sa dignité, son éclat. Nous devons aimer ce que Dieu aime; sa majesté infinie nous (357) en fait un devoir. S’il est pour nous un maître et un père, imitons sa patience; car les serviteurs doivent obéir et les fils marcher sur les traces de leurs pères. Or, voulez-vous avoir une idée de la patience de Dieu? On insulte sa majesté infinie par des temples profanes, par des idoles impures, par des cérémonies sacrilèges; et il le souffre, et il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et, quand il envoie sa pluie sur la terre, les justes et les pécheurs jouissent également de ses bienfaits. Toujours avec la même patience, il comble de ses faveurs les coupables et les innocents, les hommes religieux et les impies, les coeurs reconnaissants et les coeurs ingrats. Tous ont à leur service les saisons, les éléments, les vents, les sources. Les moissons grandissent pour tout le monde; pour tous mûrissent les raisins; pour tous nous voyons les arbres se couvrir de fruits, les bois de feuillage, les prés de fleurs. Irrité par de nombreuses ou plutôt par de continuelles injures, Dieu modère son indignation et attend avec patience le jour du jugement. La vengeance est dans sa main; il préfère la patience. Il souffre, et il attend que la malice humaine, fatiguée d’elle-même, revienne à des sentiments meilleurs; que l’homme, après avoir erré longtemps dans un dédale d’erreurs et de crimes, se convertisse enfin. D’ailleurs, il ne cesse de l’y exhorter : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Revenez au Seigneur votre Dieu, dit le prophète Joël, car il est plein de miséricorde, de pitié, de patience; il a compassion de vous et il vous invite à fléchir sa colère (Joël, II.). C’est à peu près le langage de l’apôtre saint Paul: Est-ce que vous méprisez les trésors de bonté, de patience, de longanimité de ce Dieu qui, en vous attendant, vous invite au repentir? Par votre dureté et votre impénitence, vous amassez contre vous un trésor de colère pour le jour de la manifestation, où le juste juge rendra à chacun selon ses oeuvres (Rom., VIII.). Le juge est appelé juste, (359) parce que son arrêt ne sera porté qu’à la fin du monde, afin de laisser à l’homme le temps de se convertir. Le châtiment ne frappera le pécheur que lorsque le repentir sera pour lui sans utilité.

Pour mieux nous faire comprendre que la patience est une vertu toute divine et que l’homme doux et miséricordieux est l’imitateur de Dieu le père, Jésus parle ainsi dans son Evangile: Vous savez qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi; mais moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être les fils de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et sur les pécheurs. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense obtiendrez-vous? Est-ce que les publicains ne le font pas? si vous saluez seulement vos frères, que faites vous de plus que les païens? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (Matt., V.). Ainsi, d’après la parole divine, les fils de Dieu deviennent parfaits, en s’appropriant la patience de leur père, en imprimant sur leurs actes ce cachet divin qu’Adam avait perdu par son péché. Quelle gloire d’être semblable à Dieu! Quel bonheur de posséder des vertus qui nous font participer aux perfections divines

2° Jésus-Christ, mes frères bien-aimés, ne s’est pas contenté de, nous prêcher la patience; il l’a pratiquée toute sa vie. Descendu parmi nous, comme il le dit lui-même, pour faire la volonté de son Père, il a manifesté sa divinité par d’admirables vertus; mais la patience est cel1e qui brille du plus vif éclat; celle qui donne à tous ses actes un caractère divin. Il quitte les splendeurs du Ciel pour habiter la terre, et lui, le fils de Dieu, ne craint pas de revêtir notre humanité. Il est l’innocence même, et il prend sur ses épaules le fardeau de nos iniquités. Il se (361) dépouille de son immortalité, et victime innocente, il subit la mort pour le salut des pécheurs. Maître de l’univers, il est baptisé par un esclave; il ne dédaigne pas de plonger son corps dans les eaux de la pénitence, alors qu’il vient nous apporter le pardon de nos péchés. Il jeûne quarante jours, lui qui nourrit le genre humain. Il souffre la faim, lui qui vient distribuer le pain céleste aux âmes affamées de la parole et de la grâce divine. Il repousse les tentations du démon, et, content de la victoire, il épargne son ennemi. Il fut pour ses disciples non un maître sévère, mais un frère et un ami. Il daigna laver les pieds de ses apôtres, pour nous montrer, par son exemple, nos devoirs envers nos frères. Faut-il s’étonner qu’il ait ainsi traité ses disciples fidèles, lui dont la patience inaltérable supporta jusqu’à la fin le traître Judas, qui mangeait avec lui, qui connaissait ses projets criminels sans les dévoiler, qui souffrit de sa part jusqu’à un baiser?

Avec quelle douceur, avec quelle patience, il supporta les persécutions des Juifs! Il attirait par la persuasion les incrédules à la foi; il touchait les ingrats par ses bienfaits; il répondait avec douceur à la contradiction; il supportait l’orgueil; c’était humblement à la persécution. Jusqu’à la croix, il s’efforça de réunir autour de lui ce peuple qui tuait les prophètes et qui était toujours en révolte contre Dieu. Mais, avant de répandre son sang jusqu’à la dernière goutte, que d’injures, que d’outrages, que d’insultes supportées avec patience! Il reçut des crachats sur son visage auguste, lui dont la salive guérissait les aveugles; il fut déchiré à coups de verges, lui dont les disciples, d’une seule parole, flagellent et chassent les démons; il fut couronné d’épines, lui qui tresse aux martyrs une couronne éternelle; il subit l’ignominie des soufflets, lui qui donne aux vainqueurs les honneurs du triomphe; il fut dépouillé de ses vêtements, lui qui nous revêt d’immortalité; il fut nourri de fiel, lui qui donne la nourriture céleste; il fut abreuvé de vinaigre, lui qui nous présente la coupe du salut. Lui, l’innocent, le juste, que dis-je, l’innocence et la justice mêmes, est confondu (363) avec les scélérats; la vérité est étouffée sous des témoignages menteurs; le juge suprême est traduit en jugement, et le Verbe divin marche au supplice en gardant le silence.

En présence de la croix de Jésus-Christ, les astres sont confondus, les éléments se troublent, la terre tremble, le jour se change en nuit; pour ne pas éclairer le forfait des Juifs, le soleil se cache, il voile ses rayons... et Jésus se tait: pas un mouvement qui, au milieu de ses souffrances, trahisse sa majesté divine; il supporte tout jusqu’à la fin, afin de nous montrer, dans son éclat et dans sa perfection, la véritable patience.

Ce n’est pas assez : quand ses meurtriers reviennent à lui, il les accueille. Plein de bonté et de miséricorde, il ne ferme son Église à personne. Ces ennemis qui le blasphèment et proscrivent jusqu’à son nom, s’ils font pénitence, s’ils reconnaissent leur forfait, obtiennent, avec leur pardon, une place au royaume céleste. La patience et la bonté peuvent-elles s’élever plus haut? Celui qui a répandu le sang du Christ est vivifié par ce même sang. S’il n’en était pas ainsi, l’Église compterait-elle parmi ses fondateurs l’apôtre saint Paul?

Pour nous, mes frères bien-aimés, nous sommes dans le Christ; nous nous sommes revêtus de lui comme d’un vêtement; il est devenu pour nous le chemin du salut; marchons donc sur ses traces, et imitons ses exemples. C’est le conseil de l’apôtre saint Jean : Celui qui se flatte de demeurer dans le Christ doit suivre la route qu’il a suivie lui-même (I Joan., II.). Pierre, ce fondement inébranlable de l’Eglise, nous donne la même leçon : Le Christ a souffert pour nous et il nous a donné l’exemple afin que vous marchions sur ses pas. Il n’a pas commis de péché; le mensonge n’a jamais souillé ses lèvres; il n’accueillait pas la malédiction par la malédiction, la souffrance par la menace. Il se livrait au juge inique qui devait le condamner (I Pet., II.). Les patriarches, les (365) prophètes, tous les justes qui, dans l’ancienne loi, furent la figure du Christ, pratiquèrent surtout la patience, et c’est là leur plus beau titre de gloire.

Ainsi Abel, le premier d’entre les martyrs, ne résiste pas à"n frère, il ne lutte pas contre lui; mais il meurt en conservant jusqu’à la fin son humilité, sa douceur, sa patience. Abraham, si fidèle à son Dieu, Abraham, qui nous montra le premier que la foi doit être le fondement et la racine de tous nos mérites, est soumis à une épreuve : Dieu lui réclame son fils; le patriarche n’hésite pas, et sa patience lui donne assez de force pour obéir aux ordres divins. Isaac, cette figure ,si touchante du sacrifice de la croix, était patient et résigné quand son père se préparait à l’immoler. Jacob, chassé par son frère, sortit patiemment de son pays; il y revint plus patiemment encore, et, par ses supplications et ses présents, il obligea son persécuteur à faire la paix avec lui. Joseph, vendu et exilé par ses frères, supporte tout avec patience; il pardonne, que dis-je? il leur livre gratuitement le blé dont ils avaient besoin, lin peuple ingrat et perfide poursuit M6ise de ses mépris; il ose presque le lapider, et Moïse, toujours doux et patient, prie le Seigneur pour ce peuple. Et David, qui fut un des ancêtres du Messie selon la chair, n’est-il pas pour nous, chrétiens, un exemple admirable de patience? Souvent il eut sous sa main Saül, son persécuteur et son ennemi, Saül qui en voulait à sa vie; et pourtant il préféra le sauver, et, au lieu d’user de représailles, il vengea son trépas.

Que de prophètes ont été assassinés! que de martyrs ont subi une mort glorieuse! S’ils sont arrivés à la couronne céleste, ils le doivent à leur patience. On ne peut, en effet, recevoir la récompense de ses douleurs et de ses épreuves, si elles n’ont été sanctifiées par cette vertu.

Pour mieux vous faire comprendre, mes frères bien-aimés, les avantages et la nécessité de la patience, je vous rappellerai (367) la sentence qui, dès l’origine du monde, fut portée contre Adam, devenu prévaricateur. Nous verrons par là combien nous devons être patients, nous qui naissons pour être en butte à tant d’épreuves et de combats. Parce que tu as écouté la voix de ton épouse, lui dit le Seigneur, et que tu as mangé du fruit de l’arbre auquel je t’avais défendu de toucher, la terre que tu cultiveras sera maudite. Tu recueilleras ses fruits, tous les jours de ta vie, avec tristesse et gémissements. Elle te produira des ronces et des épines. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre d’où tu as été tiré; car tu es poussière et tu retourneras en poussière (Gen., III). Tous, nous subissons le poids de cette sentence, jusqu’à ce que, vainqueurs de la mort, nous quittions cette vie. Toute notre existence doit s’écouler dans la tristesse et les gémissements. Notre. pain devient le prix de nos travaux et de nos sueurs. C’est pour cela que l’enfant, sortant du sein maternel, inaugure par des larmes son entrée dans ce monde. Tout lui est alors inconnu, excepté les pleurs. Un instinct naturel lui fait pressentir les épreuves de la vie; et, sur le point d’affronter les fatigues et les orages, cette âme, encore neuve, s’abandonne aux larmes et aux gémissements.

Cette vie n’est qu’une longue suite d’épreuves; or, dans l’épreuve, le remède le plus efficace c’est la patience. Dans ce monde, elle est nécessaire à tous; mais à nous principalement qui avons à lutter davantage contre les tentations du démon et à repousser les assauts d’un ennemi aussi artificieux qu’habile; à nous qui, outre les combats ordinaires, avons encore à subir l’épreuve de la persécution. Abandonner notre patrimoine, subir la prison, porter des chaînes, sacrifier sa vie, affronter le glaive, les bêtes, les bûchers, les croix, en un mot, tons les genres de supplice, voilà notre devoir; mais, pour le remplir, (369) il nous faut la foi et la patience. Aussi le Seigneur nous dit : Je vous ai parlé de ces choses pour que vous ayez la paix en moi. Vous trouverez beaucoup d’épreuves dans le monde; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde (Joan., XVI.). En renonçant au démon et au monde, nous nous sommes fait du monde et du démon des ennemis irréconciliables: nous avons donc particulièrement besoin de patience pour résister à leurs attaques incessantes. Écoutez encore la parole du Maître : Celui qui supportera jusqu’à la fin sera sauvé. Si vous persévérez dans ma parole, dit-il encore, vous serez véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera (Joan., VIII.).

Il faut persévérer, mes frères bien-aimés, il tant supporter toutes les épreuves, pour arriver à cette vérité et à cette liberté que nous poursuivons de tous nos voeux. Si nous sommes chrétiens, c’est l’oeuvre de la foi et de l’espérance; mais ces vertus ne peuvent porter leurs fruits sans la patience. En effet, ce n’est pas la gloire d’ici-bas que nous poursuivons, c’est la gloire future. Écoutez l’apôtre : Nous avons été sauvés par l’espérance; or l’espérance qui se voit n’est plus l’espérance; on ne peut espérer ce que l’on voit. Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience (Rom., VIII). La patience est donc nécessaire pour couronner l’oeuvre de notre perfection èt pour atteindre, avec l’aide de Dieu, l’objet de notre espérance et de notre foi.

L’apôtre donne le même conseil aux justes, pour les exhorter à multiplier leurs œuvres et à se préparer des trésors dans le ciel : Donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout aux fidèles. N’interrompons jamais nos bonnes oeuvres, car, à l’époque fixée, nous en recueillerons le fruit ( Gal. 6,10). (371)

L’apôtre nous avertit par là de nous défendre contre l’impatience qui interromprait nos oeuvres et contre les tentations qui nous arrêteraient sur le chemin de la gloire. On perd tous ses mérites, quand on cesse de tendre vers la perfection. Il est écrit : La sainteté du juste ne le délivrera pas, s’il s’écarte du droit chemin (Ezech., XXXIII.); et dans l’Apocalypse : Gardez bien ce que vous avez, de peur que votre couronne ne soit donnée à un autre (Apoc., III.). Ces paroles nous engagent à persévérer, afin d’obtenir par la patience la couronne où tendent nos efforts.

La patience, mes frères bien-aimés, n’est pas seulement la sauvegarde de nos vertus: elle repousse les attaques des puissances ennemies. Elle favorise en nous le développement de la grâce; elle nous enrichit des biens célestes et divins; mais, en même temps, elle nous fait uni rempart des, vertus qu’elle inspire, pour émousser les traits de la chair qui donnent la mort à l’âme. Citons quelques exemples. L’adultère, la fraude, l’homicide sont des fautes mortelles; mais, que la patience règne dans le coeur de l’homme, alors il évitera et l’adultère qui souille un corps devenu le temple de Dieu, et la fraude qui porte la corruption dans une âme innocente, et le meurtre qui rougit de sang une main où reposa l’Eucharistie.

La charité est le lien qui unit les frères; elle est le fondement de la paix, le ciment de l’unité; elle est supérieure à l’espérance et à la foi, plus élevée que les bonnes oeuvres et le martyre; elle régnera toujours avec nous auprès de Dieu dans le royaume céleste. Enlevez-lui la patience, enlevez-lui cette force secrète qui la rend capable de tout soutenir et de tout supporter, dès lors elle n’a plus de racines, plus de force, et elle périt misérablement. Aussi l’apôtre, en parlant de la charité, n’a pas manqué de lui adjoindre la patience. La charité, dit-il, est magnanime et bienveillante; elle n’est pas envieuse, elle ne s’enfle pas, (372) (1) ne s’irrite pas, ne pense pas au mal; elle aime tout, croit tout, espère tout, supporte tout (I Corint., XIII). En nous disant que la charité sait tout supporter, l’apôtre nous montre qu’elle est capable de toujours persévérer. Ailleurs, il explique plus clairement sa pensée : Supportez-vous les uns les autres avec charité; efforcez-vous de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix (Eph., IV.). On voit, par ces paroles , que les frères ne peuvent conserver l’unité et la paix qu’en se supportant les uns les autres et en maintenant à l’aide de la patience la concorde qui les unit. Ce n’est pas tout: l’Évangile nous interdit le parjure et la malédiction; il nous défend de réclamer ce qu’on nous enlève; il nous ordonne, quand on nous frappe sur une joue,, de présenter l’autre; de pardonner à notre frère toutes ses offenses, non-seulement soixante-dix fois sept fois, muais toujours; d’aimer nos ennemis, de prier pour ceux qui nous persécutent et nous calomnient ; or, pourrez-vous accomplir ces préceptes, si vous n’avez l’esprit de patience? Cet esprit, nous le trouvons dans Étienne qui, lapidé par les Juifs, priait Dieu, non de le venger, mais de faire grâce à ses ennemis : Seigneur, s’écriait-il, ne les rendez pas responsables de ma mort (Act., VII.). Ainsi, il convenait que le premier d’entre les martyrs fût non-seulement le prédicateur de la Passion du Christ, mais encore l’imitateur de sa patience et de sa douceur.

Parlerai-je de la colère, de la discorde, de la haine, de toutes ces passions qui ne doivent pas trouver place dans un coeur chrétien? Elles ne peuvent vivre là où règne la patience. Si elles essaient de s’y introduire, elles sont aussitôt bannies, et le sanctuaire reste libre pour abriter le Dieu de paix. Ne contristez pas l’Esprit-Saint, nous dit l’Apôtre, l’Esprit dont vous portez le caractère sacré pour le jour de la Rédemption. Qu’il (375) n’y ait parmi vous ni amertume, ni. colère, ni indignation., ni clameurs, ni blasphèmes (Eph., IV.). Le chrétien, à l’abri des fureurs et des dissensions du siècle qui, semblables aux flots soulevés, mugissent autour de lui, repose tranquille dans le sein du Christ. Il ne peut donc ouvrir à la colère et à la discorde un coeur à qui il n’est permis ni de haïr ni de rendre le mal pour le mal.

La patience est encore nécessaire pour supporter les incommodités de la chair, les maladies, les souffrances corporelles qui viennent chaque jour nous éprouver. En transgressant les ordres du Créateur, Adam perdit, avec son immortalité, une partie de ses forces; il devint sujet à l’infirmité et à la mort, et t~e n’est qu’en recouvrant l’immortalité qu’il reprendra son ancienne vigueur. Faibles et fragiles, nous avons donc à lutter chaque jour: or, sans la patience, nous serons infailliblement vaincus dans le combat. Que d’épreuves, en effet, que de douleurs, que de tentations viennent nous visiter! Nous avons à supporter et la perte de nos biens, et des fièvres dévorantes, et des blessures cruelles, et la mort de ceux qui nous sont chers. Aussi ce qui distingue le plus les justes des pécheurs, c’est leur conduite dans la tribulation : pendant que le pécheur se plaint et blasphème, le juste supporte patiemment l’épreuve. Soyez ferme dans la douleur, nous dit le livre de l’Ecclésiastique, soyez humble et patient , car le feu éprouve l’argent et l’or (Ecclés., II.).

Ainsi Job fut soumis à l’épreuve, et sa patience l’éleva au sommet de la gloire. Le démon l’accable de ses traits; toutes les douleurs l’assaillent en même temps : il perd à la fois ses biens et ses nombreux enfants; et lui, riche de ses revenus, plus riche encore de sa postérité, n’est plus ni maître ni pères Ce (377) n’est pas assez, une plaie immense couvre son corps; ses membres tombent en dissolution et deviennent la proie des vers. Pour mettre le comble à l’épreuve, le démon excite contre lui son épouse. — C’est chez lui une vieille tactique il espère toujours, comme au commencement du monde, perdre l’homme par la femme. — Mais Job demeure ferme dans le combat, et, soutenu par sa patience victorieuse, il ne cesse au milieu de ses angoisses de bénir le Seigneur.

Tobie, après tant d’oeuvres de miséricorde et de justice, est éprouvé par la perte de ses yeux; mais il supporte son infirmité avec patience, et mérite de jouir de Dieu.

Pour mieux faire ressortir les avantages de la patience, examinons les inconvénients du vice opposé. Si la patience est un bienfait du Christ, l’impatience, au contraire, est un fléau du démon. Celui en qui le Christ réside est patient; celui dont l’esprit est possédé par la malice du démon se livre à des impatiences continuelles. Remontons à l’origine des choses. Le démon ne peut supporter de voir l’homme créé à l’image de Dieu : aussi, après s’être perdu lui-même, il perdit l’homme. Adam se révolte contre le précepte divin qui lui interdisait une nourriture mortelle, et il devient sujet à la mort, parce qu’il ne sait pas conserver, à l’aide de la patience, la grâce qu’il tenait de Dieu. Caïn porta sur son frère une main homicide, parce qu’il ne put supporter ses sacrifices. Esaü perdit son droit d’aînesse, parce qu’il ne put souffrir la faim. Que dire des Juifs, qui payèrent toujours d’ingratitude les bienfaits du Créateur? N’est-ce pas l’impatience qui les éloigna de Dieu? Pendant que Moïse conversait avec lui, ce peuple ne put supporter son absence; il osa demander d’autres divinités et choisit un veau d’or pour le guider dans le désert. D’ailleurs cet esprit de révolte ne l’abandonna jamais. Sourd aux avertissements divins, il mit à mort les prophètes et les justes; il osa porter la main sur le Christ et l’attacher à une croix. (379)

Ce même esprit anime, les hérétiques qui, à l’exemple des Juifs, se révoltent contre la paix et la charité du Christ et poursuivent l’Église de leurs inimitiés, de leurs fureurs, de leurs haines. Pour nous borner dans cette énumération, je dirai que cet édifice de bonnes oeuvres que la patience élève pour notre gloire, l’impatience le détruit et cause par là notre ruine éternelle.

Donc, mes frères bien-aimés, après avoir fait la balance des avantages de la patience et des maux causés par le vice contraire, pratiquons cette vertu qui nous unit au Christ et par là nous conduit à Dieu le père.

Les effets de la patience s’étendent au loin. La source est unique, mais il en sort une eau abondante et féconde qui s’écoule par une multitude de canaux et fait germer toutes les

gloires. Nous chercherions en vain à nous élever vers la perfection, si nous n’avons cette vertu pour point d’appui. C’est la patience qui nous rend agréables à Dieu et nous conserve dans sa grâce. C’est elle qui tempère la colère, refrène la langue, gouverne l’intelligence, maintient la paix, règle les moeurs, amortit les passions, comprime l’orgueil, éteint la haine, modère la richesse et soulage la pauvreté. C’est elle qui conserve dans les jeunes filles la virginité, dans les veuves la chasteté, dans les personnes mariées l’indivisible charité. Elle nous rend humbles dans la prospérité, forts dans l’adversité. Elle nous apprend à supporter avec douceur les injures et les affronts, à pardonner les offenses, à prier beaucoup et longtemps si nous tombons dans le péché. Elle résiste à la tentation, supporte les persécutions, assure la couronne à la souffrance et au martyre. C’est elle qui donne à l’espérance son sublime accroissement ; c’est elle qui dirige nos actes, pour nous faire marcher sur les traces du Christ; c’est par elle que nous persévérons dans notre dignité d’enfants de Dieu, en imitant la patience de notre Père. (381)

5° Je sais, mes frères bien-aimés, que beaucoup d’entre tous, par suite des injures et des persécutions qu’il ont à subir, soupirent après la vengeance, et ne veulent pas attendre le dernier jour pour voir les méchants punis. Je vous en prie, armez-vous de patience. Placés au milieu des tourbillons de ce monde, en butte aux persécutions des Juifs, des idolâtres, des hérétiques, attendons patiemment le jour de la justice, et n’en hâtons pas l’arrivée par des voeux indiscrets. Attendez-moi, dit le Seigneur, au jour de la manifestation, je vous rendrai témoignage; car je jugerai les peuples; je citerai les rois devant mon tribunal, et je ferai tomber sur eux le poids de ma colère (Soph., III.). Tel est l’ordre du Seigneur, et cet ordre il le renouvelle dans l’Apocalypse : Ne scelle pas la prophétie renfermée dans ce livre, car le temps est proche. Que ceux qui veulent nuire nuisent encore, que ceux qui sont souillés se souillent encore; mais que le juste devienne plus juste, que le saint devienne plus saint. Je vais apparaître, et je porte avec moi la récompense, pour rendre à chacun selon ses oeuvres (Apoc., XXII.).

Aussi lorsque les martyrs, pressés par la douleur, soupirent après la vengeance, l’Esprit-Saint leur ordonne d’attendre la fin des temps et la consommation du nombre des élus. Lorsque l’ange du Seigneur eut ouvert le cinquième sceau, je vis, sous l’autel, les âmes de ceux qui furent mis à mort pour la parole de Dieu et pour lui rendre témoignage, et elles crièrent disant Quand donc, ô vous qui êtes la sainteté et la vérité mêmes, vengerez-vous notre sang sur les habitants de la terre? Et on donna à chacune d’elles une étole blanche, et on leur dit d’attendre un peu de temps, jusqu’à ce que le nombre de leurs frères qui, à leur exemple, devaient être mis à mort, eut atteint son complément (Apoc., VI). (383)

Si nous voulons savoir quand le sang des justes sera vengé, l’Esprit-Saint nous le déclare par la bouche de Malachie: Voici le jour du Seigneur; il arrive ardent comme une fournaise; les impies et les méchants seront comme la paille, et le jour du Seigneur les consumera (Mal., IV.). Les Psaumes nous parlent du même avènement: Le Seigneur se manifeste; il cesse de garder le silence. Le feu marche devant lui; la tempête l’environne. Il appelle le ciel et la terre pour faire le discernement de son peuple. Que les justes, que ceux qui ont conservé son alliance, en lui offrant des sacrifices, se réunissent autour de lui. Et les cieux publieront sa justice, car Dieu est le juge suprême (Ps., XLIV.). Écoutez Isaïe : Le Seigneur viendra comme le feu; son char ressemble à la tempête; il vient punir ses ennemis; il les consume avec la flamme; il les frappe de son glaive. Et plus loin : Le Seigneur, le Dieu des vertus, se montrera; il déclarera la guerre à ses ennemis et leur criera avec force: Je me suis tu, est-ce que je me tairai toujours (Is., XLII)? Quel est donc celui qui s’est tu et ne se taira pas toujours? c’est Celui qui, semblable à la brebis, fut conduit au supplice, et qui n’ouvrit pas la bouche, comme l’agneau devant celui qui enlève sa toison. C’est Celui qui ne proféra aucune plainte, dont la voix ne fut pas entendue sur les places publiques; Celui qui ne résista pas à la violence, qui présenta ses épaules aux fouets, ses joues aux soufflets, sa face aux crachats; Celui qui, accusé par les prêtres et les vieillards, ne répondit rien et étonna Pilate pas l’héroïsme de son silence. Mais, après avoir gardé le silence pendant sa Passion, il parlera au jour de la vengeance. Il apparaîtra une seconde fois, lui, notre Dieu: non pas le Dieu de tons; mais le Dieu des fidèles et des croyants, et, après s’être voilé de son humilité, il se manifestera avec tout l’appareil de sa puissance. (385)

6°Attendons, mes frères bien-aimés, ce juge suprême : en se vengeant lui-même, il vengera son Église, ainsi que tous les justes persécutés depuis l’origine du monde. Que celui qui désire trop la vengeance considère, que notre vengeur ne s’est pas encore vengé lui-même.

Le Père veut qu’on adore son Fils, et l’apôtre saint Paul, interprète de la volonté divine, nous dit : Dieu l’a exalté et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, en sorte que, au nom de Jésus, tout genou doit fléchir dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (Phil., I.). Dans l’Apocalypse, l’ange s’oppose à Jean qui voulait se prosterner devant lui et lui dit: N’agis pas ainsi, car je suis ton frère et ton compagnon de servitude; adore le Seigneur Jésus (Apoc., XIX.). Quel est donc ce Seigneur Jésus? quelle est donc sa patience pour qu’il nie se venge pas encore sur la terre, lui qui est adoré dans le Ciel? Méditons cette patience, mes frères bien-aimés, dans nos persécutions et dans nos souffrances. Attendons son avènement avec résignation. Ne nous laissons pas entraîner par de téméraires désirs de vengeance; mais plutôt veillons de tout notre coeur, observons les préceptes divins, afin que, lorsque le jour de la justice arrivera, nous ne soyons pas punis . avec les impies et les pécheurs, mais couronnés avec les justes. (387)

 

 

 

DE LA JALOUSIE ET DE L’ENVIE

1° Origine de ce vice; — 2° Ses effets; — 3° Supplice des envieux ; — 4° Exhortation; — 5° Remède.

Être jaloux du bien que nous voyons, porter envie à ceux qui valent mieux que nous paraît, à certaines personnes, une faute légère; d’où il suit qu’on ne la craint pas, qu’on la méprise,qu’on dédaigne de l’éviter et qu’elle devient, pour les âmes imprévoyantes, une cause secrète de ruine spirituelle. Pourtant. le Seigneur nous ordonne d’être prudent, de veiller sans relâche, de peur que l’ennemi, qui veille de son côté et nous dresse de continuelles embûches, ne se glisse dans notre coeur. Là, il lui sera facile de transformer en incendie les étincelles du péché, de faire découler des plus petites causes les résultats les plus terribles, de communiquer à ce souffle enchanteur, dont il berce notre mollesse, la fureur de la tempête et d’engloutir, dans un commun naufrage, notre foi, notre salut et notre vie.

Nous devons donc veiller, mes frères bien-aimés, et travailler de toutes nos forces, pour résister à cet ennemi qui, dans sa fureur, lance ses traits sur les parties vulnérables de notre corps. C’est le conseil de l’apôtre Pierre : Soyez sobres et vigilants, car le démon, votre ennemi, tourne autour de (3) vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pet., V.). Oui, il tourne sans cesse, et, semblable à l’ennemi qui assiège une ville, il explore les murs, cherchant un endroit faible pour pénétrer dans la place. Il offre aux yeux des formes séduisantes et des voluptés faciles, afin de détruire la chasteté par la vue. Il flatte les oreilles par les accords de la musique, afin d’amollir la vigueur chrétienne par des chants efféminés. Il provoque la langue par l’injure ; il pousse la main au meurtre par la provocation; il entraîne l’homme à la fraude en lui offrant des profits injustes. Pour perdre une âme, au moyen de l’argent, il lui souffle des calculs frauduleux. Il promet les honneurs de la terre pour enlever ceux du Ciel; il montre l’erreur pour ravir la vérité. Quand il ne peut tromper en secret, il menace ouvertement et suscite contre nous les fureurs de la persécution. Ainsi, il fait toujours la guerre aux serviteurs de Dieu, artificieux dans la paix, violent dans la guerre.

C’est pour cela, mes frères bien-aimés, que nous devons toujours être armés, soit contre les embûches secrètes, soit contre les menaces ouvertes de l’ennemi. Il est toujours prêt à attaquer: soyons donc toujours prêts à résister. Comme la plupart de ses traits glissent dans l’ombre et que les attaques de ce genre font d’autant plus de blessures qu’elles sont moins remarquées, étudions la nature des armes et veillons à les repousser.

Au nombre de ces armes sont la jalousie et l’envie. Si on les examine attentivement, on verra qu’un chrétien doit surtout se tenir en garde contre elles; car, s’il se laissait prendre dans les pièges du démon, si, cédant aux suggestions de l’envie, il tournait sa haine contre son frère, il se donnerait à lui-même le coup mortel. (5)

1° Pour mieux comprendre cette vérité, remontons à l’origine de l’envie; on évite plus facilement un fléau quand on sait d’où il vient et quels ravages il cause. Dès l’origine du monde, l’envie perdit le démon et le porta à perdre l’homme. Il avait longtemps brillé parmi les choeurs angéliques, il avait longtemps joui de l’amitié de Dieu; mais, un jour, l’envie le précipita du faîte de sa gloire. Lorsqu’il vit l’homme créé à l’image de Dieu, sa jalousie s’enflamma de nouveau. Ainsi, déchu lui-même, il entraîna l’homme dans sa déchéance; captif, il lui fit partager sa captivité et l’enveloppa dans sa ruine. Quel mal, mes frères bien-aimés, que celui qui a causé la chute d’un ange; qui a porté le désordre dans la nature la plus noble sortie des mains du Créateur; qui a égaré le séducteur du genre humain! L’envie se perpétue dans le monde par la malice de ces hommes qui veulent imiter la conduite du démon et marcher sur ses traces; mais ils seront punis les premiers, car, dit l’Écriture: La mort est entrée dans ce monde par l’envie du démon (Sap., II).

Les envieux sont donc les imitateurs du démon. Voilà l’origine de cette haine qui, dès les premiers jours du monde, arma Caïn contre son frère. Il fut tellement aveuglé par la jalousie, qu’il oublia à la fois et l’amour fraternel, et la grandeur du forfait, et la crainte de Dieu, et le châtiment suspendu sur sa tête. Ainsi le premier d’entre les justes fut injustement mis à mort; celui qui ignorait la haine périt victime de la haine et, lorsque le sang coulait de ses plaies béantes, il ne repoussait pas même le bras de son meurtrier.

Quel motif excita l’inimitié d’Esaü contre Jacob son frère? l’envie. Jacob avait repu la bénédiction paternelle; Esaü résolut de s’en venger, et devint pour lui un persécuteur. Pourquoi Joseph fut-il vendu par ses frères? parce qu’ils étaient jaloux. (7)

Il leur avait raconté, avec la simplicité d’un frère qui parle à des frères, des visions qui annonçaient son élévation future, et eux conspirèrent sa perte. Pourquoi Saül haïssait-il David? pourquoi voulait-il l’assassiner malgré son innocence, sa douceur, sa miséricorde, sa patience inaltérable? c’est qu’il lui portait envie. David, avec l’aide de la puissance divine, avait tué Goliath, et le peuple, délivré d’un ennemi si terrible, courait à sa rencontre en chantant ses louanges. Dès lors, Saül sentit s’agiter dans son sein toutes les fureurs de l’envie. Sans nous arrêter à tant d’exemples, fixons nos regards sur la ruine d’un grand peuple. Est-ce que les Juifs ne périrent pas parce qu’ils préférèrent porter envie au Christ que croire à sa parole? Toujours ils furent opposés à ses prodiges, et leurs yeux, aveuglés par la haine, ne purent voir sa divinité. Instruits par tant de leçons, veillons, mes frères bien-aimés, et affermissons, contre ce fléau, nos âmes qui appartiennent à Dieu. Que la perte des autres contribue à notre salut, et que le châtiment des insensés nous serve de remède.

2° Ne croyez pas que l’envie se présente sous une forme unique et que ses effets soient restreints; non : ce fléau est aussi multiple que fécond en désastres. L’envie est la racine de tous les maux; elle est une source de calamités, une semence inépuisable de crimes et d’erreurs. C’est d’elle que naissent et la haine et l’animosité. Elle enflamme l’avarice : comment se contenter de ce qu’on possède, quand un autre est plus riche? Elle excite l’ambition: comment conserver l’empire sur soi-même, en présence d’un homme plus honoré que nous? Ainsi on oublie la crainte de Dieu et les enseignements du Christ, et on ne pense pas au jour du jugement. De là l’orgueil avec ses folies, la perfidie avec ses prévarications, la cruauté, l’impatience, la discorde, la colère avec leurs emportements et leurs fureurs. Comment se contenir ou se diriger, quand on se trouve sous l’empire d’une puissance étrangère? aussi les liens de la paix se brisent; la charité disparaît; la vérité s’efface; l’unité (9) se déchire; on se jette dans l’hérésie et dans le schisme. Pourquoi? Parce qu’on résiste aux prêtres; qu’on porte envie aux évêques; que les clercs se plaignent-ou de n’avoir pas été ordonnés plus tôt, ou de trouver un supérieur dans celui qui était autrefois un égal. L’envie, telle est la cause de toutes ces résistances et de toutes ces rébellions; ce n’est pas à l’homme qu’on en veut, mais à l’honneur dont il est revêtu.

3° Or, mes frères, quel ver rongeur pour l’âme, quel ulcère pour le coeur! envier dans un autre ou la vertu ou le bonheur, c’est-à-dire haïr en lui ou ses mérites ou les bienfaits divins; faire de la félicité d’autrui un tourment pour soi-même; trouver son châtiment et son supplice dans la prospérité et dans la gloire des autres; attacher à son coeur, à ses sens, à ses pensées comme des bourreaux qui fouillent, déchirent et torturent sans pitié; non, cette existence n’est pas possible. Dans cet état, la nourriture devient insipide; le temps s’écoule dans les soupirs, dans les gémissements; dans la souffrance; et, comme on est obligé ,de renfermer le fatal secret au fond de son coeur, il se venge de sa captivité en déchirant jour et nuit sa prison.

Les autres fautes ont un terme: quand l’action coupable est consommée, tout est fini. Dans l’adultère, le crime cesse avec l’assouvissement de la passion; le voleur s’arrête après avoir frappé sa victime; la cupidité du ravisseur s’éteint quand il est maître de sa proie; le faussaire voit triompher sa ruse et se tient pour satisfait. Mais l’envie ne connaît pas de bornes: c’est un mal permanent, un péché sans fin. Plus un adversaire réussit, plus l’envieux sent brûler dans son sein la flamme qui le dévore. Voyez-vous ce visage menaçant, ces yeux hagards, cette face livide, ces lèvres tremblantes, ces dents qui s’entrechoquent, cette bouche pleine de malédictions et d’injures, ces mains qui se lèvent pour frapper? En ce moment, elles ne portent pas de glaive, c’est vrai; mais elles n’en sont pas moins les instruments d’une aveugle fureur. C’est pour cela que l’Esprit-Saint nous dit dans les Psaumes: Ne portez pas envie (11) à celui qui marche dans la droite voie. Et ailleurs : Le pécheur observe le juste; il grince les dents contre lui; mais le Seigneur se rit de ses projets, car il sait que son jour est proche (Psal., XXXVI.). L’apôtre saint Paul parle des envieux en ces termes : Leurs lèvres distillent le venin des aspics; leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume; leurs pieds sont prompts à répandre le sang; ils laissent sur leur passage le malheur et la. ruine; ils ne connaissent pas la voie de la paix, et la crainte de Dieu est bien loin d’eux (Rom. III).

Les blessures du glaive sont moins graves et moins dangereuses que celles de l’envie. Quand on voit une plaie, il est facile d’y apporter un remède et de la guérir; mais les blessures de l’envie sont secrètes; le remède ne peut les atteindre, puisqu’elles se cachent dans les profondeurs de la conscience. Vous donc, qui vous abandonnez aux fureurs de l’envie, poursuivez votre prochain de vos artifices, de vos persécutions, de vos fureurs, vous ne serez jamais l’ennemi de personne autant que de vous-même. Celui qui excite vos jalousies pourra toujours vous éviter; mais sous, vous ne pouvez vous fuir vous-même. Partout votre ennemi est avec vous; vous le portez dans votre poitrine: c’est là qu’il exerce sa domination; il vous ravit votre liberté; il vous charge de chaînes, comme un captif, et ne vous laisse aucun repos. Porter envie à un homme que Dieu a placé au nombre de ses enfants est un supplice de tous les jours; haïr un homme heureux est un malheur sans remède. Aussi, mes frères bien-aimés, le Seigneur nous tient en garde contre un semblable danger. Un jour ses disciples lui demandaient quel était parmi eux le plus grand: Le plus petit d’entre vous, répondit-il, sera le plus grand (Luc, IX.). Par cette réponse, il anéantit toute émulation; il enlève tout aliment à la (13) dent vorace de l’envie. Le zèle est permis au disciple du Christ, mais non l’envie. Entre nous, il ne peut être question de supériorité : c’est l’humilité qui nous élève; c’est elle qui nous rend agréables à Dieu. L’apôtre saint Paul nous exhorte aussi à fuir les ténèbres pour marcher sous les rayons lumineux du soleil de justice : La nuit est passée, dit-il, voici le jour; rejetons donc les oeuvres des ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière; marchons avec honneur, comme en plein jour. Plus de débauche ni d’ivrognerie;plus d’impuretés ni de dissolutions; plus de querelles ni de jalousies (Rom., XIII.). Si les ténèbres ont quitté votre coeur, si la nuit qui l’enveloppait s’est dissipée, sans laisser d’obscurité, si la splendeur du jour illumine vos sens, si vous êtes devenu homme de lumière, accomplissez les oeuvres du Christ, car le Christ est pour nous et le jour et la lumière.

4° Pourquoi vous précipiter dans les ténèbres de l’envie? Pour-quoi, au sein de, ces vapeurs malsaines, éteignez vous le flambeau de la paix et de la charité? Pourquoi rentrer dans les liens du démon, après les avoir brisés, et devenir semblable à Caïn ? Jean, dans ses épîtres, déclare homicide quiconque hait son frère, et vous savez, ajoute-t-il, que l’homicide est privé de la vie spirituelle. Celui qui hait son frère, dit-il encore, a beau dire qu’il est dans la lumière, les ténèbres l’environnent de toutes parts; il marche et il ne sait où il va, car la nuit obscurcit ses yeux (I Joan., III.). Où va-t-il donc, mes frères? Il va dans l’enfer, sans le savoir; il se précipite, les yeux fermés, dans les supplices éternels, car il s’éloigne de celui qui a dit : Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la clarté de la vie (Joan., VIII.).

Pour suivre le Christ, il faut s’attacher à ses préceptes, suivre ses enseignements, marcher sur ses traces, imiter ses (15) actions; c’est ce que nous apprend Pierre : Le Christ a souffert pour nous; mais il vous a laissé son exemple, afin que vous le suiviez (I Pet., II). Rappelons-nous le nom que le Christ donne à son peuple. Il nous appelle ses brebis, parce que la douceur chrétienne doit être celle de la brebis; il nous appelle ses agneaux, parce que notre simplicité doit être celle de l’agneau. Eh quoi donc! un loup se cacherait sous la toison de la brebis! un faux frère attirerait l’infamie et la honte sur le troupeau du Christ! Porter le nom du Christ et ne pas suivre la route qu’il nous a tracée est-ce autre chose que forfaire à sa vocation et abandonner le chemin du salut?

Le Seigneur nous dit que, pour arriver à la vie éternelle, nous devons observer ses commandements; il nous dit encore que le vraI sage est celui qui entend ses paroles et les met en pratique; il ajoute que le docteur le plus grand dans le royaume du Ciel est celui qui accomplit d’abord la loi et l’enseigne ensuite. Nous devons comprendre par là que la prédication n’est utile à. celui qui la fait qu’autant qu’il met en pratique les leçons qui sortent de sa bouche. Or, quel est le précepte que Jésus-Christ a renouvelé le plus souvent et avec le plus d’insistance? n’est-ce pas celui de la charité? Il veut que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés lui-même., Mais comment conservera-t-il ce dépôt sacré, celui qui, en proie aux fureurs de l’envie, ne peut avoir ni la paix ni la charité?

C’est pourquoi l’apôtre saint Paul, faisant ressortir le mérite de la paix et de la charité, nous apprend que ni la foi, ni l’aumône, ni même le martyre ne peuvent servir, si on ne conserve dans leur inviolable intégrité les liens de la charité. Puis il ajoute: la charité est magnanime, bienveillante, exemple de jalousie (I Corint., XIII.). D’après ces paroles, pour arriver à la charité, il faut la grandeur d’âme, la bienveillance, mais surtout l’exemption de la jalousie et de l’envie. Le même apôtre exhorte (17) ceux qui, par la régénération spirituelle, sont devenus les enfants de Dieu à. ne plus rechercher que les choses divines: Pour moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants que j’ai engendrés dans le Christ. Je vous ai donné du lait et non une nourriture solide; car vous n’auriez pu la supporter : Vous ne le pouvez même pas encore, puisque vous êtes charnels. Je vois parmi vous des jalousies, des disputes, des dissensions : n’est-ce pas parce que vous écoutez les inspirations de la chair et que vous marchez selon les vues humaines (Ibid., III.)? Étouffez, mes frères bien-aimés, les vices et les péchés de la chair; armez-vous de la vigueur spirituelle pour fouler aux pieds les convoitises d’un corps né de la terre, de peur, qu’en reprenant les habitudes du vieil homme, vous ne tombiez dans un piège mortel. C’est d’ailleurs le conseil de l’apôtre : Mes frères, dit-il, ne vivez pas selon la chair: si vous voulez satisfaire ses convoitises, vous mourrez; si, à l’aide de l’esprit, vous mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez; car ceux qui se laissent diriger par l’esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom., VIII.). Si nous sommes les fils et les temples de Dieu, si, après avoir reçu l’Esprit-Saint, nous vivons selon ses lumières, si nos regards se portent de la terre au ciel, si nous élevons vers les régions éternelles un coeur plein de Dieu et du Christ, que toutes nos actions soient dignes et de Dieu et du Christ. Si vous êtes ressuscités en Jésus-Christ, dit l’apôtre, cherchez les choses d’en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu; ayez du goût pour les choses du ciel et non pour celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Mais quand le Christ, votre vie, apparaîtra de nouveau, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (Col., III). Nous donc qui sommes morts et qui avons été ensevelis dans le (19) baptême, par suite du péché du premier homme, nous qui sommes sortis de la piscine céleste ressuscités en Jésus-Christ, pénétrons-nous de ses maximes et cherchons à les mettre en pratique. Le premier homme, dit encore l’apôtre, est né du limon de la terre, le second du ciel. Les hommes terrestres, ressemblent au premier, les hommes célestes au second. De même que nous avons porté l’image de l’homme de la terre, portons maintenant l’image de l’homme du ciel (I Corint., XV.). Cette image, nous ne pouvons la porter, si notre vie ne reproduit celle du Christ.

Commencez donc une vie nouvelle, si vous voulez que l’homme divin resplendisse en vous; que vos moeurs répondent à la sainteté de votre Père céleste; que Dieu se manifeste par la pureté et la gloire de vos actions. La récompense ne se fera pas attendre : Je glorifierai ceux qui me glorifient, dit le Seigneur, et celui qui me méprise sera méprisé.

C’est pour réaliser en nous cette glorieuse ressemblance avec Dieu le père, que Jésus nous dit : Vous savez qu’il a été dit: Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi; et moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être les fils de votre Père céleste qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et les pécheurs (Mat., V.). Si c’est pour les hommes une joie et une gloire d’avoir des fils qui leur ressemblent, si un père est heureux d’avoir mis au monde un enfant qui reproduise ses traits, combien plus grande est la joie de Dieu le père, lorsqu’un de ses enfants reproduit dans ses actes sa bonté inépuisable ! Quelle palme, quelle couronne est réservée à cet enfant! Dieu ne dira plus : J’ai engendré des fils, je les ai élevés, et ils m’ont méprisé (Is., I.); mais il le comblera d’éloges et il l’invitera à la récompense par ces paroles : Venez les bénis de mon Père, (21) prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde (Mat., XXV.)

5° Que ces méditations fortifient nos âmes, mes frères bien-aimés; qu’elles soient comme un exercice où notre esprit se forme à la lutte contre le démon. Occupons nos yeux à la lecture de la sainte Écriture, nos mains aux bonnes oeuvres, notre esprit à la pensée de Dieu. Que notre prière soit continuelle. Travaillons constamment à notre salut. Occupons-nous sans cesse aux oeuvres de la grâce, afin que, si l’ennemi s’approche et renouvelle ses attaques, il trouve notre coeur fermé et prêt à la résistance. Pour le chrétien, il n’y a pas seulement la couronne de la persécution : la paix a aussi ses couronnes; mais, pour les mériter, il faut avoir, dans de nombreux combats, terrassé l’ennemi du salut. Domptez les passions impures, et vous recevrez la palme de la continence. Résistez à la colère pardonnez les injures, et vous mériterez- la couronne de la patience. Méprisez l’argent, et vous triompherez de l’avarice. Supportez les adversités de la vie par l’espérance des biens à. venir, et votre foi aura droit à nos louanges. Évitez l’orgueil dans la prospérité, et votre humilité vous couvrira de gloire. Soyez miséricordieux envers les pauvres, et vous vous préparerez un trésor dans le ciel. Évitez la jalousie; aimez vos frères; ne formez avec eux qu’un coeur et qu’une âme, et vous aurez droit à la couronne de la paix et de la charité.

Chaque jour, nous courons dans ce stade des vertus chrétiennes.; chaque jour, nous pouvons recueillir les palmes et les couronnes de la sainteté. Si vous les désirez, vous qui naguère étiez dominé par l’envie et la jalousie, rentrez dans la route qui conduit à la vie éternelle. Arrachez de votre coeur les ronces et les épines, afin que la semence divine y croisse en liberté et vous enrichisse d’une abondante moisson. Rejetez le fiel de la (23) haine, le poison de la discorde. Purifiez -cette âme que la malice du serpent avait infectée; adoucissez-en l’amertume par la charité du Christ. Puisque le sacrifice de la Croix vous sert de nourriture et de breuvage, rappelez-vous que, près de Mara, il existait un arbre qui adoucissait l’amertume des eaux. Vous possédez l’arbre véritable, dont celui de Mara n’était que la figure : que la croix du Christ rende à votre âme la charité et la douceur. La guérison ne se fera pas attendre et le remède naîtra de la blessure.

Aimez ceux que vous haïssiez naguère. Hier, vous les poursuiviez de votre jalousie et de vos injures: aujourd’hui, n’ayez pour eux que de la charité. Imitez les bons, si vous le pouvez. Si vous êtes trop faibles pour les suivre, soyez heureux de les voir meilleurs que vous. La charité, en vous unissant à eux, vous fera partager leurs mérites et vous donnera droit à la récompense qui leur est promise. Vos péchés seront pardonnés, quand vous aurez pardonné vous-mêmes; vos sacrifices seront acceptés, quand vous les offrirez à Dieu avec l’esprit de charité; Dieu se chargera de diriger vos pensées et vos actes, lorsque la justice et la grâce auront pris possession de votre esprit. Que le coeur de l’homme, dit la sainte Écriture, s’occupe de choses justes, afin que ses pas soient dirigés par le Seigneur (Prov., XVI.).

Or, les pensées salutaires ne vous manqueront pas. Pensez au paradis d’où fut exclu C~in qui, par jalousie, avait assassiné son frère. Pensez au royaume céleste, où le Seigneur n’admet que ceux qui ont persévéré, avec leurs frères, dans les liens de la concorde et de la charité. Pensez que Dieu ne reconnaît pour ses enfants q,ue ceux qui aiment la paix, ceux qui, régénérés par le baptême, sont unis à leurs frères comme le Christ l’est à son Père. Pensez que nous sommes sous l’oeil de Dieu, que nous parcourons en sa présence la carrière de la vie, que, pour jouir de lui, nous devons par nos actes consoler son cœur (25) paternel et nous montrer dignes de sa miséricorde et de son pardon. Puisque nous voulons jouir de lui dans le royaume céleste, cherchons à lui plaire pendant cette vie. (27)