CONTRE LES ARIENS

ou

CONTRE AUXENCE, ÉVÊQUE DE MILAN

de Hilaire, évêque de Poitiers

 

A SES TRES CHERS FRERES PERSÉVÉRANTS DANS LA FOI DE LEURS PERES, ET ENNEMIS DE L'HÉRÉSIE D'ARIUS, A TOUS ÉVEQUES ET FIDELES, HILAIRE, LEUR COMPAGNON D'ESCLAVAGE, SALUT ÉTERNEL DANS LE SEIGNEUR.

 

C'est un grand mot que le mot de paix; c'est une belle pensée que la pensée de l'union; mais il n'y a de paix que dans la doctrine de l'Église et de l'évangile de Jésus Christ; mais il n'y a d'union qu'à ce prix. Qui en doute ? Cette paix qu'après sa passion glorieuse Jésus Christ a prêchée à ses disciples, cette paix qu'avant de les quitter Il leur a recommandé de garder comme un gage de son mandat éternel, c'est elle que nous avons toujours appelée de nos voeux, elle qui fut l'objet constant de nos efforts, et que nous avons travaillé sans relâche à ramener, à affermir parmi nous. Mais nos espérances ont été trompées; ce grand ouvrage, nous ne l'avons pas accompli; nos péchés, hélas ! ne l'ont pas permis, et les ministres de l'antichrist, ces hommes qui osent se glorifier d'une odieuse paix, qui n'est autre chose que l'union dans l'impiété, se sont dressés contre nous ! eux, les évêques du Christ ! non, non, ce ne sont que les prêtres de l'antichrist.

Qu'on ne nous accuse point de nous emporter contre eux en paroles outrageantes; nous ne faisons que proclamer hautement la cause de la désolation publique; il faut qu'elle soit connue de tous. Nous savons qu'il a paru plus d'un antichrist, même au temps de la prédication de saint Jean, et quiconque n'admet pas la Personne du Christ telle qu'elle a été prêchée par les apôtres est antichrist, puisque ce mot, dans sa véritable acception, signifie contraire au Christ. Aujourd'hui, sous le masque d'une fausse piété, sous l'enseigne mensongère de la prédication évangélique, on aspire à renverser la puissance et l'empire de Jésus Christ.

Ah ! donnons des larmes aux malheureux temps où nous sommes; affligeons-nous, mes frères, de cette folle opinion qui met Dieu sous le patronage des hommes, et de cet esprit d'intrigue qui appelle le siècle au secours de l'Église. Mais dites-moi, je vous en prie, dignes évêques, qui croyez encore à la vérité de ce grand nom, à quels suffrages les apôtres ont-ils eu recours pour prêcher l'évangile ? Quelles puissances leur sont venues en aide, quand ils publiaient le nom de Jésus Christ et qu'ils faisaient passer les nations du culte de l'idolâtrie au culte du vrai Dieu ? Allaient-ils mendier l'appui des rois, quand, dans l'horreur des prisons, gémissant sous le poids des chaînes et le fouet des bourreaux, ils chantaient l'hymne d'action de grâces ? Était-ce par des ordonnances impériales que Paul, jeté en spectacle à la foule, rassemblait une Église pour Jésus Christ ? N'est-ce pas qu'il se couvrait de la protection de Néron ? de Vespasien et de Dèce, dont la haine contre nous a été si féconde en conversions ? Peut-être que, vivant du travail de leurs mains, réunis dans l'ombre des retraites les plus obscures, parcourant, en dépit des arrêts du sénat et des édits des rois, les villes et les campagnes, et soumettant des peuples entiers, peut-être que ces hommes n'avaient pas les clefs du royaume des cieux ? peut-être que la Puissance divine ne s'était pas manifestée contre les préventions de la terre, quand les prédications évangéliques étaient devenues d'autant plus nombreuses que la défense de prêcher le nom de Jésus Christ était devenue plus rigoureuse ?

De nos jours, hélas! la foi divine a besoin des suffrages des grands du siècle, et le Christ est accusé d'impuissance, parce que l'ambition ne rougit pas de prostituer son Nom à ses propres fins. L'exil et les cachots jettent l'effroi au sein des Églises, et la foi qui a grandi dans l'exil et dans les cachots s'impose aux consciences; consacrée par la fureur des bourreaux, elle se prise à la faveur de ses ministres; elle proscrit les prêtres, et c'est à la proscription des prêtres qu'elle doit sa propagation; elle se glorifie de l'amour du monde, et si le monde ne l'eût point poursuivie de sa haine, Jésus Christ ne l'eût point avouée. Voilà les faits dont tous les yeux sont frappés, dont toutes les bouches s'entretiennent; et comparez à l'Église aujourd'hui désolée l'Église que nous avons reçue des apôtresŠ

Mais ce qu'il n'est plus permis d'ignorer, c'est ce que je vais dire en peu de mots. La Volonté toute puissante de Dieu a assigné au temps sa mesure; les siècles sont comptés; les livres saints nous l'enseignent. Et voilà que nous sommes arrivés aux jours de l'antichrist, dont les ministres se transformant, selon l'Apôtre, en anges de lumière, effacent dans les esprits et dans les consciences celui qui est le Christ. Pour que l'erreur s'élève jusqu'à la certitude, on ne parle de la vérité qu'en termes ambigus; on sème partout le doute; il n'y a plus d'unanimité, et le partage des esprits révèle assez la présence de l'antichrist. De là la lutte des opinions; de là vient qu'avec la foi en un seul Christ on en prêche deux; de là vient que l'esprit d'Arius, cet ange des ténèbres, s'est changé en ange de lumière, et que ses héritiers, Valence, Usacius, Auxence, Germinius, Gaïus, à la faveur de coupables innovations, osent lui aplanir les voies, et l'introduire dans la société chrétienne.

Le Christ, à les entendre, n`a pas la même Divinité que le Père; ce n'est plus qu'une créature supérieure aux autres créatures, et que la Volonté de Dieu a tirée du néant; un Dieu né de Dieu avant tous les temps, mais qui n'est point de la même substance que Dieu; Dieu le Fils n'est pas aussi véritablement Dieu que le Père, et si les l'évangiles nous prêchent l'Unité du Père et du Fils, cette unité doit s'entendre seulement de la volonté et de l'amour, et non pas de la Divinité. Mais si cette unité n'est qu'un rêve, pourquoi donc confessent-ils que le Fils est Dieu avant tous les temps et avant tous les siècles, si ce n'est peut-être que ce Nom de Dieu s'attache à ce qui est éternel ? Tous les régénérés ne sont-ils pas fils de Dieu ? La création des anges ne remonte-t-elle pas au-delà du temps ? Qu'ils l'avouent donc, c'est pour rendre moins odieuse l'intuision de l'antichrist qu'ils donnent au Christ le nom de Dieu, parce que des hommes en ont été honorés; et s'ils disent que le Christ est véritablement Fils de Dieu, c'est que le sacrement du baptême nous confère ce titre; qu'Il est né avant le temps, c'est qu'avant le temps aussi sont nés les anges et le démon même. Ainsi donc ils ne donnent à Jésus Christ que les attributs de l'ange ou de l'homme. Mais ce qui est vrai, mais ce que la loi nous ordonne de croire, à savoir que le Christ est véritablement Dieu, c'est-à-dire que le Père et le Fils ont la même Divinité, ils le nient; et par l'effet d'une fraude impie et d'un mensonge il arrive que la famille du Christ n'est point dissoute, car le peuple croit que là où sont les mots, là est aussi la foi. On dit : Dieu le Christ et le peuple croit à la sincérité de l'expression. On dit : Fils de Dieu, et le peuple croit véritablement Dieu l'être qui est né Dieu. On dit encore : Avant les temps, et le peuple croit que ce qui a précédé les temps est de toute éternité. Ainsi il y a plus de foi dans l'oreille du peuple qui écoute que dans le coeur du prêtre qui parle. Si les ariens entendent que le Christ est vraiment Dieu, leur profession de foi n'est plus un piège; mais que s'ils entendent qu'il est Dieu, et qu'ils nient qu'il est vrai Dieu, il n'y a plus qu'un nom sans la chose; il n'y a plus de vérité.

Bien que les registres des églises, bien que les livres soient remplis de leurs blasphèmes impies, je n'en dirai pas moins ce qui est naguère advenu. Un prince, animé par un sentiment de piété, et dans l'intention de rétablir la paix, a publié un édit dont l'effet, contre son attente, est de porter le trouble dans l'Église de Milan, où les vrais principes fleurissent dans toute leur pureté. Au risque de déplaire, j'ai élevé la voix, j'ai montré qu'Auxence n'est qu'un blasphémateur, un ennemi du Christ, et j'ai ajouté qu'il ne partage point la foi du prince ni la croyance publique. Ce cri d'alarme a ému le prince, et il a ordonné une conférence où ont paru avec nous dix évêques. D'abord, ainsi que cela se pratique dans les tribunaux civils, Auxence a calomnié notre personne; il a dit qu'autrefois j'avais été condamné par Saturninus, et que ce n'était point en qualité d'évêque qu'il convenait de m'entendre. Ce n'est pas ici le moment de dire quelle fut ma réponse; mais nos juges, pour faire court à des personnalités, déclarèrent qu'il ne s'agissait que d'une question de foi, ainsi que le prince l'avait ordonné. Alors, comme il y avait du danger à nier, Auxence déclara qu'il croyait le Christ vrai Dieu; qu'Il était de la même substance que le Père, qu'il avait la même Divinité. Il fut arrêté que cette déclaration serait consignée par écrit, et, dans la crainte que la mémoire de nos juges ne fût infidèle, je proposai de faire remettre cette déclaration écrite au prince par l'entremise du questeur, et j'en joins ici une copie pour prévenir l'accusation de mensonge. On exige qu'Auxence répète ce qu'il a dit; on exige même qu'il l'écrive de sa main. Après avoir long-temps réfléchi, il s'arrange de manière à tromper la bonne foi du prince: il rédige son écrit dans le style de l'antichrist.

Et d'abord il consacre les actes qu'à l'entendre l'impiété du concile de Nicée aurait abrogés, et sans doute qu'à ses yeux la violence faite aux évêques atteste la sincérité de la foi. Il affirme ensuite qu'il ne connaît point Arius, et cependant il a été attaché à l'église d'Alexandrie que gouvernait Grégoire, et qui faisait profession ouverte d'arianisme. Je ne veux rien dire du synode de Rimini; c'est assez de vous faire connaître toutes les ruses du démon. Il devait donc déclarer par écrit que le Christ est vraiment Dieu, et qu'il a la même Substance et la même Divinité que le Père; mais, par un artifice diabolique, il dispose les termes de manière que le mot vrai se rapporte pour rester fidèle au système des ariens, non pas à Dieu, mais à Fils; et, pour remarquer mieux encore la différence du rapport, il ajoute : né du Père vraiment Dieu, en telle sorte que le Père est véritablement Dieu et le Christ seulement véritablement Fils. Dans le reste, Auxence parle, il est vrai, d'une seule Divinité; mais il a soin de ne pas y associer le Fils, et ainsi le Père seul est Dieu.

On n'en publie pas moins partout qu'Auxence a déclaré par écrit que le Fils est vraiment Dieu, et qu'il a la même Substance et la même Divinité que le Père, et que ses opinions ne diffèrent en rien de celles que je professe. Le prince lui-même croit à la sincérité de la foi de cet imposteur. Alors je ne peux imposer silence à mon indignation, et, comme déjà ce mystère d'impiété cessait d'être couvert des ombres qui l'avaient jusques alors enseveli, je crie que tout ceci n'est que mensonge, que la foi est trahie et qu'on se joue indignement des hommes et de Dieu. Pour toute réponse, je reçois l'ordre de quitter Milan et de n'y pas reparaître contre la volonté du prince.

Voilà, mes chers frères, vous qui vivez dans la crainte du jugement de Dieu, voilà comment les choses se sont passées. Auxence n'a pas voulu confesser ce qu'il y avait danger pour lui à nier, sa déclaration le prouve. Si l'écrit est sincère, c'est moi qu'il faut accuser; au contraire, si les mots écrits ne sont pas l'expression de la déclaration verbale, comprenez bien que c'est l'antichrist qu'il prêche, et non pas le Christ. Mais il a joué sur les mots pour tromper ses juges, et heureusement j'ai déchiré le voile qu'il avait jeté sur son impiété

Il n'y a pas deux Dieux, dit-il, parce qu'il n'y a pas deux Pères. Qui ne voit, d'après cela, que cet aveu de l'Unité de Dieu est particulier au Père, en tant qu'il est seul ? d'où ce mot vraiment satanique : "Nous connaissons un seul vrai Dieu Père;" et il ajoute traîtreusement : "et le Fils, semblable au Père qui l'a engendré, " selon les Écritures. Si ces mots se trouvent ainsi dans les livres saints, Auxence est innocent, je le déclare, mais si le Père et le Fils ne sont qu'un dans la vérité de la divinité, pourquoi cette idée de ressemblance ? Le Christ est l'Image de Dieu; mais l'homme aussi est l'image de Dieu, puisque Adam a été fait à son image et à sa ressemblance. Pourquoi donc digne héritier d'Arius, n'accorder au Christ qu'une prérogative de l'humanité ? Pourquoi faire tomber le prince et l'Église dans le piège dressé par ce Satan dont tu es fils ? Dieu, Christ, tu réunis ces deux mots : pourquoi abuser d'un nom ? ne sais-tu pas que Pharaon a donné à Moïse ce nom de Dieu ? Tu dis que le Christ est le Fils et le premier-né de Dieu, ne sais-tu pas qu'Israël est aussi le fils premier-né de Dieu ? Oui, dis-tu, le Christ est né avant les temps : ne sais-tu pas que le démon est né aussi avant les temps ? Le Christ est semblable au Père ! ne sais-tu pas que l'homme aussi est l'image et la ressemblance de Dieu ? Mais les attributs véritables du Christ, tu les nies pour Le dépouiller en même temps de la Divinité et de la Substance du Père. Cependant, toi et tes dignes maîtres, vous m'accusez d'hérésie. Eh bien ! formule donc, comme tu l'entendras, cette impiété dont je suis coupable, assigne donc un nom à mes blasphèmes. Quant à moi, je déclare antichrist quiconque ne reconnaît pas dans le Fils la même Divinité que dans le Père, et qui ne fait entendre dans ses prédications que le Fils est aussi véritablement Dieu que le Père. Si cet attribut de la Divinité appartient au Père et au Fils, pourquoi ne l'avoir pas écrit en termes exprès ? Si tu ne le crois pas, pourquoi ne l'avoir pas déclaré avec la même franchise ?

J'aurais voulu, mes chers frères, tenir secret cet odieux mystère et ne pas révéler en détail les blasphèmes d'Arius; mais, puisque cela n'est pas permis, que chacun de vous du moins comprenne bien jusqu'où s'étendent pour lui les limites de cette permission. Un sentiment de pudeur m'empêche d'en dire davantage, et je ne veux pas d'ailleurs souiller ma lettre des impiétés de d'arianisme. Écoutez encore un seul avis : gardez-vous de l'antichrist ! abstenez-vous de toute communication avec l'hérétique. Sous le prétexte de la paix et de la concorde, vous vous rendez à l'église. Vous faites mal de tant aimer les murailles, de respecter l'Église dans les bâtiments Pouvez-vous douter que l'antichrist ne doive s'asseoir un jour dans ces mêmes lieux ? Il y a plus de sécurité pour moi au sommet des monts, dans la profondeur des forêts, aux bords des lacs, dans l'horreur des cachots et au fond des gouffres. Car c'est là, mes chers frères, que l'Esprit de Dieu descendait au coeur des prophètes; c'est là qu'il animait leurs voix. Rompez, rompez tout pacte avec Auxence, l'envoyé de Satan, l'ennemi du Christ, avec cet homme qui porte la désolation dans le sein de l'Église, qui nie la foi, ou dont chaque profession fut un piège; et qui n'a trompé que pour blasphémer. Qu'il rassemble les synodes qu'il voudra; qu'il me proclame hérétique comme il l'a déjà fait; qu'il soulève contre moi la haine et la colère des puissances de la terre; jamais, non, jamais il ne sera que Satan à mes yeux; il est arien !... La paix ! je ne la chercherai qu'avec ceux qui, jetant l'anathème avec le concile de Nicée sur les ariens, prêcheront que le Christ est vraiment Dieu.

 

COPIE DE LA DÉCLARATION D'AUXENCE

 

AUX TRES GLORIEUX EMPEREURS VALENTINIEN

ET VALENCE AUGUSTES,

AUXENCE, ÉVEQUE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE DE MILAN.

 

Il est messéant, selon moi, de souffrir que l'union des évêques, fruit pénible de tant d'efforts, soit encore remise en question par des hommes qu'a flétris une condamnation, il y a plus de dix ans, ainsi que les actes publics en font foi . Mais puisque des personnages obscurs, qui n'ont jamais communié avec moi ni avec ceux qui se sont assis avant moi sur le trône épiscopal, cédant aux instigations d'Hilaire et d'Eusèbe, ont porté le trouble dans quelques esprits et m'ont rangé au nombre des hérétiques; puisque en même temps votre piété vous a fait un devoir de remettre la connaissance de cette affaire aux soins éclairés des personnages les plus recommandables, et que vous n'avez pas voulu que ceux qui ont encouru la peine de la déposition (c'est Hilaire que je veux dire et ses adhérents), portassent la parole contre moi, je viens, toujours soumis à vos ordres sacrés, déclarer la vérité à mes calomniateurs, à tous ceux qui blasphèment contre moi en m'appelant arien et en m'accusant de ne pas confesser que le Fils de Dieu est Dieu.

J'ai ouvert mon coeur à ceux que votre piété honore de son amitié, et j'ai d'abord satisfait à la vérité en disant que je n'ai jamais connu Arius, que je ne l'ai point vu, et que je suis constamment resté étranger à sa doctrine; que j'ai toujours cru et que je crois encore, ainsi qu'on me l'a enseigné dès mon enfance et ainsi qu'il est écrit dans les livres saints, en un seul vrai Dieu, Père tout-puissant, invisible, impassible et immortel; je crois à son Fils unique, Jésus Christ notre Seigneur, qui, avant tous les temps et avant tous les siècles, est né du Père, Dieu vrai Fils du vrai Dieu son Père, selon qu'il a été écrit dans l'évangile : "C'est là la vie éternelle, pour qu'ils connaissent que Toi seul es Dieu; et Jésus Christ que Tu as envoyé." (Jn 17,3). Il a fait toutes choses, visibles et invisibles; est descendu des cieux par la Volonté de son Père pour nous sauver; est né du saint Esprit et de la vierge Marie selon la chair, comme il a été écrit; a été crucifié sous Ponce-Pilate, a été enseveli, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, où Il est assis à la droite du Père, d'où Il viendra juger les vivants et les morts; je crois au saint Esprit que notre Dieu Sauveur Jésus Christ a envoyé à ses disciples, comme l'Esprit de vérité. J'ai cru et je crois aux paroles que le Fils unique de Dieu, en montant au ciel, adressa à ses apôtres : "Allez et enseignez les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du saint Esprit." (Mt 28,19).

Je n'ai jamais prêché deux Dieux; car il n'y a pas deux Pères, il n'y a donc ni deux Dieux ni deux Fils; mais il y a un seul Fils d'un seul Père, seul venant d'un seul, Dieu de Dieu, selon l'Écriture : un seul Dieu Père Créateur, et un seul Seigneur Jésus Christ par qui tout a été fait. C'est pourquoi nous prêchons une seule divinité. Aussi toutes les hérésies qui se sont élevées contre la foi catholique ont toujours été condamnées, anathématisées par les évêques catholiques, et principalement au concile de Rimini, comme je les ai condamnées moi-même. J'ai gardé fidèlement la foi des évangiles que nous avons reçue des apôtres. Mais, désirant vous faire connaître encore mieux ce qui s'est passé dans le concile de Rimini, je vous en ai fait remettre le détail, et je vous supplie de vouloir en ordonner la lecture. Vous y verrez que ceux qui ont été déposés depuis long-temps, Hilaire et Eusèbe, s'efforcent d'établir partout le schisme, et qu'il ne faut rétracter en aucun point les déclarations qui ont été faites.

Publié en 1838 à la bibliothèque ecclésiastique

 

 

 

LETTRE DE SAINT HILAIRE, ÉVEQUE DE POITIER,

ADRESSÉ A SA FILLE, ABRA

(environ l'an 358)

 

HILAIRE A SA TRES CHERE FILLE ABRA, SALUT EN JÉSUS CHRIST

 

J'ai reçu ta lettre, ma chère fille, et j'y vois que tu soupires après mon retour; mon coeur n'en saurait douter. Je sens, en effet, combien est désirable la présence de ceux qu'on aime. Mais comme je n'ignorais pas que notre séparation t'afflige, j'ai voulu, dans la crainte que cette absence si prolongée ne m'exposât au reproche de manquer de tendresse, j'ai voulu, en justifiant dans ton esprit et mon départ et mon absence, que tu comprisses bien que c'est le tendre intérêt que tu m'inspires, et non l'oubli des plus doux sentiments, qui me retient loin de toi. Car, puisque mes affections ne peuvent pas plus se partager que nos coeurs ne pas se confondre dans les mêmes pensées, je voudrais que tu fusses en même temps et la plus belle et la plus pure.

J'avais appris qu'un jeune homme possède une perle et un vêtement d'un prix si inestimable que la personne assez heureuse pour l'obtenir de sa bonté verrait bientôt toutes les richesses du monde, tous les trésors de salut sur la terre s'effacer à l'éclat de ceux dont elle s'enrichirait par là. Je suis donc parti pour aller auprès de lui; arrivé enfin par des chemins aussi longs que difficiles, je me suis jeté à ses pieds : car ce jeune homme est si beau que nul n'oserait se tenir debout devant sa face. Dès qu'il me vit dans cette humble attitude : Que me veux-tu, dit-il, et qu'attends-tu de moi ? Mille bouches, lui ai-je répondu, m'ont entretenu de la perle et du vêtement qui sont entre vos mains, et, si vous daignez ne pas repousser mes voeux, c'est pour en orner ma fille chérie, que je suis venu devant vous... La face prosternée contre terre, je verse des torrents de larmes, nuit et jour je gémis, je soupire et le supplie d'exaucer ma prière.

Connais-tu, me dit-il ensuite (car qui pourrait égaler ce jeune homme en bonté ?) connais-tu le vêtement et la perle que tu me pries en pleurant d'accorder à ta fille ? Seigneur, lui dis-je, les hommes m'ont instruit de leurs merveilles, et j'ai eu foi en leurs paroles; j'en connais toute l'excellence, et je sais que le salut est assuré à quiconque revêt cet habit et se pare de cette perle. Soudain il ordonna à ses serviteurs de me montrer ce vêtement et cette perle. Ils obéissent. Je vis d'abord le vêtement; je vis, ma fille, je vis ce que je ne peux exprimer. Car, auprès de ce vêtement, le réseau le plus fin d'un léger tissu de soie est-il autre chose qu'une grossière étole ? Quelle neige ne paraîtrait noire, comparée à sa blancheur ? Quel or ne pâlirait aux feux dont elle rayonne ? Mille couleurs l'enrichissent, et rien ne saurait l'égaler. Mais à la vue de la perle, ô ma fille, j'abaissai mon front dans la poussière, car mes yeux ne purent soutenir la vivacité des couleurs qu'elle reflète. Non, ni les cieux, ni la mer, ni la terre, dans toute la splendeur de leur magnificence, ne sauraient en approcher.

Comme je restais prosterné, un de ceux qui étaient là me dit : Je vois l'inquiétude qui tourmente ton coeur paternel, et que tu désires pour ta fille ce vêtement et cette perle; mais, pour irriter encore davantage l'ardeur de ce désir, je vais t'ouvrir tous les trésors qui y sont renfermés. Le vêtement brave la dent des vers rongeurs, le temps ne saurait en altérer le tissu, nulle souillure n'en corromprait la pureté; il ne peut ni se déchirer ni se perdre; il reste toujours le même. Quelle n'est pas la vertu de la perle ! L'heureux possesseur n'a à craindra ni les maladies ni la vieillesse; il n'est point tributaire de la mort; il n'y a plus rien en lui qui puisse troubler l'harmonie de ses organes, rien qui le tue, rien qui précipite le cours de ses années, rien qui altère sa santé. A ces mots, ô ma fille, un désir plus violent s'est allumé dans mon sein; je ne relevai point mon front incliné; mes larmes ne cessèrent de couler, la prière de jaillir de mes lèvres, et je disais : Prenez en pitié les voeux, les inquiétudes et la vie d'un père. Si vous me refusez le vêtement et la perle, mon malheur est certain, et je perdrai ma fille encore toute vivante. Oh ! pour lui obtenir ce vêtement et cette perle, je me condamne à voyager aux terres étrangères, et vous savez, Seigneur, que je ne mens pas.

Après qu'il m'eut entendu parler ainsi : Relève-toi, me dit-il; tes prières et tes larmes m'ont touché; tu es heureux d'avoir cru. Et puisque tu ne crains pas, ainsi que tu l'as dit, de sacrifier ta vie à l'acquisition de cette perle, je ne puis te la refuser; mais il convient auparavant que tu connaisses mes conditions et ma volonté. Le vêtement que tu recevras de moi est d'une telle nature qu'il ne faut pas espérer de s'en revêtir jamais, si l'on veut se couvrir d'un autre habit où l'or et la soie mêlent leurs éclatants reflets. Je le donnerai à quiconque, dédaignant un vain luxe, se contentera d'un vêtement simple, sur lequel, si, par respect pour la coutume, la pourpre doit se montrer, elle se resserre du moins en bandes étroites et n'étale pas tout son ambitieux éclat. Quant à la perle, elle n'appartiendra qu'à celui qui, à l'avance, aura renoncé aux autres perles; car celles-ci ne sont que les produits ou de la mer ou de la terre; la mienne, au contraire, comme tu le vois, est belle, précieuse, incomparable, toute céleste, et elle rougirait de se trouver en compagnie des autres perles : il y a divorce entre les choses de la terre et les choses du ciel. Avec mon vêtement et ma perle, l'homme est à jamais garanti ce toute corruption; pour lui point de fièvre brûlante, point de blessures, point de changement opéré par les années, point de dissolution par la mort; permanence et éternité, voilà son partage. Toutefois ce vêtement et cette perle que tu me demandes, je te les donnerai, et tu les porteras a ta fille; mais il faut avant tout que tu connaisses ce qu'il y a au fond de sa pensée. Si elle se rend digne de ces riches présents, je veux dire si elle foule au pieds les vêtements de soie chamarrés d'or et empreints de couleurs variées; si toute autre perle lui est odieuse, alors je mettrai le comble à tes voeux.

A peine a-t-il fini de parler que je me relève plein de joie, et, m'imposant envers les autres la loi d'une discrétion sévère, je me suis empressé de t'écrire, en te conjurant par les larmes qui baignent mon visage de te réserver, ô ma fille, pour ce vêtement et pour cette perle, et de ne pas condamner, en les perdant par ta faute, ma vieillesse au malheur. J'en prends à témoin le Dieu du ciel et de la terre, il n'y a rien de plus précieux que ce vêtement et que cette perle; ma fille, si tu le veux, ils sont à toi. A ceux qui te présenteront un autre vêtement de soie ou d'or réponds seulement : J'en attends un que depuis bien longtemps mon père est allé chercher en des pays lointains, et dont me priverait celui que vous m'offrez. C'est assez pour moi de la laine de nos brebis, assez des couleurs naturelle, assez d'un modeste tissu. Contre celui que je désire, le temps, m'a-t on dit, un long usage et la force sont impuissants. Que si l'on veut suspendre une perle à ton cou ou la placer à ton doigt, réponds encore: A quoi bon ces perles inutiles et grossières ? Celle que j'attends est la plus précieuse, la plus belle et la plus utile; j'ai foi dans la parole de l'auteur de mes jours, qui a eu foi à son tour dans la parole de celui qui lui a promis cette perle pour laquelle mon père lui-même m'a déclaré qu'il voulait mourir. Je l'attends, je la désire; elle me donnera tout à la fois salut et éternité.

Viens donc en aide à mon anxiété, ô ma fille chérie; relis sans cesse ma lettre et réserve-toi pour ce vêtement et pour cette perle; et, ne t'inspirant que de toi seule, réponds-moi, quel que soit ton style, réponds-moi, afin que je sache ce que je devrai répondre à ce jeune homme, et que je puisse enfin penser à mon retour auprès de toi. Quand tu m'auras répondu, je te ferai connaître quel est ce jeune homme; tu sauras alors ce qu'il veut, ce qu'il promet et tout ce qu'il peut. En attendant, je t'envoie un hymne qu'en souvenir de moi tu chanteras le matin, quand le soleil sort de sa couche et quand il y rentre le soir. Si cependant la faiblesse de ton âme te refuse l'intelligence de l'hymne et de ma lettre, consulte ta mère qui, dans sa piété, ne souhaite t'avoir donné le jour que pour Dieu. Puisse aussi ce Dieu à qui tu dois la vie te garder à jamais, ô ma fille bien-aimée !

Publié en 1838 à la bibliothèque ecclésiastique