MYSTÈRES INÉDITS DU XVe SIÈCLE

PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS, AVEC l'AUTORISATION DE M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,

PAR

ACHILLE JUBINAL

D'APRÈS LE MSS. UNIQUE DE LA BIBLIOTHÈQUE STE- GENEVIÈVE

Paris,Téchener, Place du Louvre, 12,

et rue de Seine, 25, au bureau des anciennes tapisseries

M DCCC XXXVII

.

MYSTÈRES INÉDITS DU XVe SIÈCLE *

CY SONT LES REPRÉSENTACIONS *

LE MARTYRE DE St ÉTIENNE. *

LE MARTYRE S. ESTIENE *

LA CONVERCION S. POL. *

CY ENSUIT LA CONVERSION S. DENIS *

NOTES *

CY ENSUIT COMMENTS. PÈRE ET S.POLALÈRENT A ROMME ET COMMENT ILZ FURENT MARTIREZ. *

 

 

 

CY SONT LES REPRÉSENTACIONS

DES MARTIRES SAINT ESTIENNE , SAINT PÈRE ET

SAINT POL ET SAINT DENIS , ET DES MIRACLES

MADAME SAINTE GENEVIÈVE, TRANSLATÉES

PROPREMENT ET VRAIEMENT DE LATIN EN

FRANÇOIS RIMÉ, À LA GLOIRE ET

HONNEUR DE DIEU ET DE SES

SAINS, SOIT ET AU

PROUFIT DE NOZ

ÂMES ;

ETC.

LE MARTYRE DE St ÉTIENNE.

Laudate Dominum in santis 1 ejus

Dieu Père et filz et saint Esperit 2

Sauve et gart ceste compaignie !

Vous savez qu'oncques ne périt

4        Qui servist la vierge Marie ;

Car grant joye a et grant délit

Quant de bon couer on la déprie.

Si pry que chascuns s'umilit

8        en disant une AVE MARIE

Cy dict à genous : AVE MARIA.

Laudate Dominum in santis ejus (ubi supra).

Doulces gens 3 , un pou escoutez

Pesiblement sans noise faire :

Mains de paine arez, ne doubtez,

12      S'il vous plaist à .i. pou vous taire

Que se vous l'un l'autre boutez,

Ou faictes ennuy et contraire ;

Or vous séez et acoutez

16      Et oiez sen que vueil retraire. .

Je suppose que bien croiez

Les .xii. articles de la foy

Et que bien entroduis soiez

20      Ès commandemens de la loy :

Sy ne fault fors que guerroiez

Contre pechié par bon conroy

Et que votre temps enploiez

24      En bonnes euvres sans desroy.

La manière de guerroier

La char, le monde et les diables

Et de son temps bien emploier

28      En bonnes oeuvres proufitables,

Nous ont monstré sans forvoier,

Par exemplaires convenables,

Les sainz qui des cieulx le loier

32      Ont aquis par meurs honourables ;

Et pour ce seul-en 4 réciter

Les vies des sainz et des saintes

Pour les bonnes gens inciter

36      A bonnes euvres non pas faintes,

Et pour leurs cuers habiliter

Envers Dieu par doulces complaintes,

Afin qui 5 les daigne habiter

40      Par quoy sauvez sont mains et maintes.

Vous savez la créacion

Et comment les Anges périrent ;

Vous savez la transgression

44      D'Éve et d'Adam comme ilz chéirent,

Dont eulz et leur succession

Fussent péris, tant se forfirent,

Se ne fust l'incarnation

48      Du filz Dieu par qui révesquirent.

XII. apostres quist quant l'y pleut

Qui avecques lui conversèrent

Et d'autres disciples esleut

52      Qui sa sainte loy annoncèrent.

Des quielx .VII. diacres y eut

Que les Apostres ordenèrent.

Saint Estiene le premier fut

56      Que les faulx Juifz lapidèrent.

Après ce le doulz Jhesucrist

Convertit monseigneur saint Pol

Qui tant prescha et tant escrivit 6

60      Qu'on le tenoit por .I. vray fol.

En Grece ala et là conquist

Saint Denis qu'il fist doulz et mol.

A Rome vint, Néron le quist,

64      Néron ly fist couper le col.

Néron fist en crois par grant yre.

Crucefier saint Pierre à tort ;

Néron sa mère fist ocire,

68      Néron mourut de male mort ;

Néron après son grant empire

A perdurable desconfort :

Les Apostre par grief martire

72      Ont perdurable reconfort:

Qui voudra finer aux Apostres, voise de ci à cele clause qui

ensuit: La Souveraine

Saint Denis qui moult désiroit

Sa vie avecques eulz fenir

Le sceut, sy dist qu'à Romme irait

76      Por martire et mort soustenir

Avecques eulz s'à Dieu plaisoit,

Mais il ne peut à temps venir.

Lieutenant lessa qui faisoit

80      La loy de Dieu croire et tenir;

Puis vint à Romme et apostole.

Trouva monseigneur saint Clément

Qui le retint de son escole

84      Et ly pria moult doulcement

Que par son sen et sa parole

Vousist enseigner saintement

Les gens François qui maint ydole

88      Aouroient lors folement.

A sa requeste, à sa priere

Monseigneur saint Denis en France

Avecques Rustique et Eleuthère

92      Et plusieurs de son alliance

Vint pour la gent à Dieu attraire, .

Et Dieu ly donna tel puissance

Que le peuple d'erreur retraire

96      Fist et tenir vraye créance

L'emperère Domicien

Le sceut, tantost y envoya

Fescennin .i. prevost paien.

100    Qui volontiers tout s'emploia

A tourmenter maint crestien

Mercy Dieu nul ne desvoia :

Il eurent tourment terrien

104    Et Dieu ses biens leur octroia.

Sus tous Monseigneur saint Denis

Fust desrompu et tourmenté,

En four chaut mis, sus greil rostis,

108    Au bestes sauvages jeté,

Crucefié, en chartre mis

Là fut il de Dieu visité;

Voiant meismes ses anemis

112    A converchié et.conforté

Illec ly donna Dieu le don

Que quiconques le requerroit

Fust de pechié avoir pardon

116    Ou d'angoisse qu'il soufferroit,

Se par bonne dévocion

En son propos persévéroit

Sa juste supplicacion

120    Nostre Seigneur.essauceroit.

Après fut mis hors des prisons

Batus fut, la teste ot coupée!

Aussy eurent ses compaignons:

124    Sa teste porta a Letrée :

En mélodieuses chançons

Ont les anges. joye menée.

Larcie les tirans félons

128    Reprenoit, sy fut décolée

Le prevost Fescennin manda

Qu'en les alast geter en Saine.

Catulle tendis vianda

132    Les menistres à pance plaine.

Et la vérite7 leur demanda ;

Il li distrent à quelque paine.

Lors à ses varlés commanda

136    Qu'on les portast en son demaine,

Bien tost la persecucion

Des félons et mauvès paiens

Cessa et la dévocion

140    Mouteplia des crestiens.

Lors fist des corps sains union

Catulle avec ses adhérens

Et leur représentacion

144    En tombeau bel et revérens.

Depuis y fut faicte à l'instance

Madame sainte Geneviève

Ou temps Childéric roy de France

148    Une église en espace briéve.

Combien que par la défaillance

De chaux la chose fu moult grieve;

Mais Dieu l'en fist noble chevance

152    Qui tout bien comence et achieve.

La souveraine majesté retour

De Dieu loer ne cesse nulz

Qui tel grâce aus sains a presté

156    Qu'en vraie foy se sont tenuz.

Loer devons sa poesté

Et hault et bas, et sus et jus.

Pour ce vous ay dit : – laudate

160    Dominum in santis ejus.

Je ne vous vueil plus sarmonner.

Benoist soit-il qui se tera

Et je pry Dieu que pardonner

164    Vueille à celluy qui pais faira

Ses péchiez, et grâce donner

Tant comme en ce monde sera,

Et paradis abandonner

168    Quant de cest siècle finera !

Amen, ainssy soit il! etc.

CY COMMENCE

LE MARTYRE S. ESTIENE

S. Pierre die a S. Estienne

Doulces gens un pou de silence!

Vous qui cy estes en présence

Savez comment nostre Seigneur

4        De tous les plus grans le greigneur 8

Nous a esleus et envoiez

Pour avoier les desvoiez,

Pour prescher la foy catholique

8        Et par escripture ententique

La prouver et par vrais miracles,

En garissant démoniacles

Et quelconque autre maladie,

12      Et en rendant aus mors la vie.

Par nostre labeur et estude

Croist chascun jour la multitude

Des croians; mercy nostre sire,

16      Si avons fait au pueple eslire

VII. diacres pour nous aidier.

Cy parle à S. Estiene.

Estiene vous estes premier.

Par divine ordinacion

20      Nous approuvons l'election

Sy voulons que soiés de nous

Bénéis; alez à genous

Dieu le veult, frère, obéissez.

S. ESTIENE.

24      Saint père dont me bénéissez.

Lors voise S. Estiene à genous, et S.Pere li mette la main sus la teste en disant :

Le Saint Esperit vueille descendre

En.ton ame, par quoy entendre

Puisses à faire ton office

28      Saintement, sans mal et sans vice !

In Nomine Patris, et.Filii et Spiritus Sancti.

S. ESTIENE

Amen ! - Dieu doint qu'il soit ainssy

Lors se lieue et voise au Juifz en disant:

Doulz Jhesucrist puis qu'ainssy est

32      Qu'à vous Sire, et au pueple il plaist

Que je soye .I. de vos diacres,

A vous rens loenges et grâces

En vous suppliant humblement

36      Que ne me lesiez nulement.

Cheoir en.pechié n'en negligence;

Mais vueilliez qu'à gant diligence

Face m'office sans erreur

40      A nostre bien, à vostre honneur.

lors die aus Pharisiens

Seigneurs, salut en.Jhesucrist

Qui le monde forma et fist

Comme cray Dieu et filz de Dieu

44      Qui par vous en ce présent lieu

Mourut selonc l'umanité.

Que prinse avoit par charité.

En la doulce vierge Marie,

48      Puis revint-il de mort à vie

Et au tiers jour resuscita,

Et hors d'enfer les siens geta.

Après monta voians nos yeulz

52      Au quarentisme jour au cieuls,

Et en tel forme proprement

S'en va au jour du jugement

Rendre à chascun juste loier !

ANNAS, évesque.

56      Tès toy, c'on te puisse noier !

Ce sont trestoutes tromperies

Et erreurs et forsseneries.

Dy moy, où treuves tu que Dieu

60      Puisse estre comprins en .I. lieu ?

Comment pourras tu soustenir.

Que Dieu peust homme devenir ?

Et se hom fut, par quel manière 9

64      Le peut enfanter vierge entière

Sans avoir d'omme compaignie?

S. ESTIENE.

Sire, le prophete Ysaye

Respont de plain sans fiction

68      A vostre triple question.

YSAYE (VII° capitulo) : Ecce Virgo concipiet et pariet Filium,

et vocabitur nomen ejus Emmanuel.

Ycy povez veoir clèrement

Qu'il dit qu'il sera vrayement

Une vierge qui concevra

72      I. filz et vierge enfantera

Qui sera vray Dieu et vrai home.

ANNAS.

Qui me tient que je ne t'assomme,

Meschant trubert, coquin moquart?

76      Or me respon à ce broquart !

Dy, ne fu pas Joseph le père

A ton Dieu Jhésus, et sa mère

Marie la Rousse nommée ?

S. ESTIENE.

80      Vous portez langue envenimée,

Et l'anemy10 sy vous estraint

Que vraye foy en vous estaint.

Marie saintement conceut

84      N'oncques homme ne la cogneut,

Car le St. Esperit la ombra.

Qui du pur sang d'elle fourma

I. corps précieux, digne et tendre

88      Que ly filz Dieu voult en soy prendre.

Avesques l'âme précieuse.

Sy fu par euvre merveillieuse

Et Dieu et homme une personne ;

92      Sy fut sers cil qui tout bien donne

Et qui partout a seigneurie.

Sy fut mortel qui donne vie,

Sy fut contenu qui contient

96      Et soustenu qui tout soustient

Et qui sans temps est temporel.

CAÏPHAS.

Mengier te puist chevau morel !

Où as tu ce sy bourbeté?

100    C'est .i. cas de nouvelleté:

Oncques mais n'oy tel merveille.

S. ESTIENE.

Voir c'est merveille sans pareille,

Merveille trestoute nouvelle

104    A merveilles et bonne et belle.

En Jérémie la quérez

Et tantost vous l'y trouverez.

JÉRÉMIE (XXXI° uno Capitulo) : Creavit Dominus hominem super terram.

Mulier circondabit virum. (sic.)

CAÏPHAS.

108    Tu veulz nagier sans aviron:

Preuve à droit sans nous enchanter

Comme elle puet vierge enfanter

Et non pas par vaine logique

112    Ne par argument sophistique,

Mais par les dis de nostre loy !

S. ESTIENE.

Je le vous preuve sans délay.

Moyses sy vit .I. buisson

116    Tout emfranbé sans nulle arssure :

Tout aussy nous regéisson

Que Marie out filz sans lédure.

La vierge Aaron sans contineure

120    Fleury, foilly, et fruit porta :

Nostre vierge sans entameure

Conceut, porta et enfanta;

Et aussi comme Dieu fourma

124    Adam de terre nete et pure,

Aussy quand il nous refourma .

Print corps humain sans nulle ordure.

ALEXANDER.

Or regardez comme il applique

128    Trestout à sa foy. catholique !

Ne l'aron point par dysputer;

Mais s'il y a qui imputer

L'y vueille aucun crime ou blafarde

132    Lieve soy sus et plus ne tarde

Et nous orrons qu'il vourra dire!

LE PREMIER FAULX TESMOING

J'ay trop de cas contre ly, sire ;

Il a dit, c'est chose notoire,

136    De Moyse et Dieu de gloire

Injures granz et vilenies

Et ranposnes et flafemies11

Qui est chose laide et horrible;

140    Et vous savez selonc la Bible

Que tout homme qui est blaffême,

Doit morir de. mort dure et pesme :

Par quoy il est digne de mort.

ANNAS.

144    Vecy .I. point qui bien te. mort :

Respon tost sans faire lonc songe.

S.ESTIENE.

Tout quant qu'il a dit est mensonge :

De Dieu n'ay dit nulle blaffarde.

148    C'est cil qui tout fist et tout garde,

Dieu de gloire .I. en trinité

Et triple en une déité,

Qui aparut à noz sains pères

152    En 1eur révélant ses mistères.

Moyses fut son saint prophete

Qui sa gent qui estoit subjecte

Au roy d'Egipte délivra :

156    Diex une verge li livra

Dont la rouge mer fist cesser

Et le pueple à pié cec passer.

Par le désert les conduisait,

160    Riens fors péchié ne leur nuisoit.

Dieu tout puisant, Adonay,

En la montaigne Synay.

Les commandemens de la loy

164    Ly bailla escriptz de son doy,

Et moult de signes par Moyse

Fist Dieu, comme l'escript devise,

De quoy je me tès à present.

168    Sy puet veoir qui vérité sent

Que je n'ay dit ne ne diz mie

De Dieu ne des siens vilenie,

Ne de chose qu'ait ordenée.

LE SECOND TESMOING.

172    Certes sy fais, hergne pelée !

Faulz apostat, ytel es tu ;

Sire, ce maleureus testu

A dit que Jhésus son beau

176    Dieu Nostre temple, nostre saint lieu,

Nos sacrefices destruiroit ;

De la loy Moyse osteroit

Tous les poins cérimoniauls.

CAÏPHAS.

180    Par foy ce sont cas criminauls

Et par raison doit mal fouir

Qui telz erreurs veult soustenir :

C'est droite diablie, c'est rage.

ANNAS.

184    Or, avant Dammasque le sage!

Cy ne sarez vous que remordre?

Responnez à ces poins par ordre

Et nous donnez response honneste.

S. ESTIENE.

188    Gens felons, gens de dure teste,

Gens de dur cuer et obstiné,

Tous jors avez vous mastiné

Les saintes gens et contredit

192    Et resisté au Saint Esperit.

Refusé avez benéisson,

Sy venra sus vous maleiçon :

Vous mesmes vous y commandastes

196    Quant Jhésus à mort condampnastes12

Dont le péchié sus vous prensistes

Et vous et vos enfans maudistes.

Il mourut, mais vueilliez ou non,

200    Il vit ; sy respons en son nom

Que faussement vous m'acusez

Et de mes dis trop mésusez.

Dieu fist, pas ne dis le contraire,

204    Et temple et tabernacle faire;

Mais le temple et le tabernacle

Figure furent et synacle

Que de Jhésu l'umanité,

208    Fut temple de la déité,

Le quel temple vous destruisistes

Quant mauvaisement l'occisistes ;

Mais Dieu qui dedens habita

212    Au tiers jour le resuscita.

Sy fult le temple lors refait

Qu'aviez maisement deffait.

De la loy dont faictes querelle

216    Je dy qu'elle fu bonne et belle ;

Mais mout y a cérimonies

Qui sont ou temps présent fénies

De nostre loy furent figure

220    Et par toute vostre escripture

Est. la loy Jhésucrist trouvée

Des sains prophetes approuvée,

De Moyse et de Daniel,

224    De David et d'Ézéchiel,

D'Abacuc, d'Amos, d'lsaye,

De Baruc et de Jérémie,

Et de moult d'autres à foison,

228    Ès quels en plusieurs liex lison

Le mistère de nostre loy.

ALEXANDER.

Il yst hors du sens; liez l'oy.

Faulx renoiez, faulx apostat,

232    Nous te mestron en tel estat

Que ly diables t'emporteront.

S. ESTIENE.

Non feront, tirant, non feront,

Mais ainçois les anges des cielx,

236    Car je voy jà loé soit Diex,

Le ciel ouvert à veue clère

Et à la destre Dieu le père

Jhésucrist le sauveur du monde.

ANNAS, en gregnant les dens et en estoupant ses oreilles.

240    Ahay, glouton, Dieu te confonde !

Seigneurs, estoupez vos oreilles,

Ce forffault dit fines merveilles.

Levez sus, Juifz, levez sus,

244    Liez, ferez, frapez dessus,

Froissez la teste et la cervele,

Rompez les os et la bouele,

Hors de la ville à grosses pierres

248    Me lapidez ce sanglant lierres :

Il nous veult pervertir trestous.

LES .II. TESMOINS ET .II. AUTRES.

Par le grant Dieu, sy ferons nous.

LE PREMIER, en férant du poing

Passe avant, brigant forssené;

252    Ly diables t'i ont amené ;

Or, tien, ronge moy ce lopin !

LE SECOND, en férant.

Truant puant, tire lopin,

Passe avant en male estraine. .

LE TIERS, en férant.

256    Meschant, tu as puante aleine;

Avale moy ceste ciboule :

LE QUART, en férant.

Li as tu donné une boule ?

Tu li as fait venir la boce.

260    Tien, vilain, tien ceste beloce

Afin que le cuer ne te faille.

SAULUS

Que faictes-vous fausse merdaille?

Pour quoy le servez vous de lobes?

264    Despouilliez moy toutes voz robes ;

Sy fraperez.miex au délivre.

LE PREMIER.

Par le grant Dieu,. tu n'es pas yvre!

Or sus, despoullons nous tous .IIII.

LES AUTRES III.

268    Volentiers, sire, por miex batre.

Lors se despouillent et baillent leurs vestemens à Sau1in, en disant :

Saulet, garde nos vestemens.

SAULUS.

Avant, avant, faulx garnemens;

Ne l'espargniez plus qu'un viez. chien.

LE PREMIER.

272    Il ara assez tost du mien

Ou de l'autruy, que je ne mente.

Sa, ribaut, tu as fièvre lente;

Lie ce brief dessus ta teste.

En férant d'une.pelote emplie ou toullier de sanc.

276    Tu es seigné à jour de feste.

LE SECOND en frapant comme l'autre, die en férant :

Tien , mengeue ceste chaste loigne.

LE TIERS, en férant

Pren ceste aumone de Bourgoigne.

LE PREMIER, en férant.

Met en ton sac, porte à ton Dieu.

LE QUART.

280    Tu l'as féru en mauvais lieu.

Regarde comme il fait la lipe !

Il li fault .I. morssel de tripe :

Por ce fait-il sy maise chière.

284    Ca, vilain, ten ta gibecière.

En férant.

Tien, roinge et ne grumèle mie.

ESTIENE, à genoux.

Doulz Jhésucrist, né de Marie.,

Pour ceulz qui ainssy me tourmentent,

288    Qui ne scevent pas ne ne sentent

Qu'il font, vous supplie humblement

Que leur donnez avisement,

Et tout leur vueilliez pardonner,

292    Et mon espérit couronner

Lassus en la gloire des cielx.

A vous le rend, beau sire Diex,

Et en vos mains le recommande.

Lors se lesse chéoir à terre.

LE PREMIER.

296    Je vueil vestir ma houpelande;

Alon en, qu'il en est sué.

S'il n'est mort sy est il tué :

Lessons le cy aus chiens menger.

Cy se revestent.

SAULUS

300    Son Jhésus qui si bien venger

Le devoit, où est il alé ?

LE SECOND.

Il n'est encore pas devalé

Des nués où il est, ce dit.

LE TIERS

304    Espoir qu'il est entredit,

Sy n'ose aler ne çà, ne là.

LE QUART.

Je cuide quand il l'appela

Qu'il faisoit ou ven ou corbeille.

LE PREMIER.

308    Voire, ou il fist la sourde oreille,

Car il ne se peut remuer.

Alons en, lessons le suer.

Lors s'en voisent tous ensemble.

GAMALIEL.

Hélas, chétis ! com deschiré

312    Et desrompu et martiré

Est cel preudommes S. Estienes.

Encore par droite malice

L'ont-il lessié comme une biche

316    Aus oiseaulx, aus chiens et aux chiennes ;

Mais Diex qui seult garder les siens

A gardé d'oisiaux et de chiens

Sa char que point ne l'ont atainte.

320    Sy vous pry pour l'amor de Dieu

Mes amis qu'alons sus le lieu

Sy l'enterrons en terre sainte.

ABIBAS, à Gamaliel.

Mon chier seigneur et mon doulz père,

324    Depuis la mort ma doulce mère

Je n'eu au cuer douleur greigneur ;

Mès puisque Dieu l'a ordené

Soit ensevelis et mené

328    En vostre ville mon Seigneur.

NICHODEMUS.

Gamaliel, mon oncle chier,

Les maistres tous vis despechier

Nous feront si le vont savant ;

332    Sy alons tant com la nuit dure

Et le mettons en sépulture

Ainçois qu'il soit jour Diex avant.

GAMALIEL.

Mon filz, et vous Nichodemus,

336    Pater noster et oremus

Disons à Dieu por la siene âme.

Alons nous trois tout coiement

L'enterrer en mon monument.

340    Or alon de par Nostre Dame.

Lors le portent hors du champ.

Qui le jeu S. Estiene vourra ycy finer

Com sy près est escript le porra terminer

La fin du jeu.

NICHODEMUS.

Sire, fait-il à martir injure

Qui d'onner por martir prent cure;

Car l'âme vole ès ciex lassus

344    Sy que partie est du corps.

Sy chantons tous foibles et fors

En hault : Te Deum laudamus.

Qui le jeu cy ne finera

Ceste clause sy laissera.

Continue ainssy.

LA CONVERCION S. POL.

SAULUS ET SES COMPAIGNONS,

Dieu gart les maistres de la loy !

LES PHARISIENS.

Bien veigniez, amis, par foy.

SAULUS.

Mes seigneurs, sachiez que Damasce

4        De folz crestiens a grant masse

Qui nostre loy du tout confondent

Et une loy nouvele fondent

Qui nostre loy confondra toute

8        Qui tost n'y pourverra sans doubte.

Nous avons .I. de leurs prescherres

Tué et lapidé à pierres.

Les autres plus en doubteront :

12      S'en les tient court ilz cesseront.

Sy me bailliez s'il vous plaist lettre

Que je lier les puisse et mectre

En vos prisons sans contredit.

ANNAS , CAÏPHAS , ALEXANDER.

16      Benoist soit-il qui a ce dit !

ANNAS.

Saulet, Saulet, mon fils, ça vien !

Tu es taillé à faire bien.

En baillant une lettre.

Je te donne commission

20      D'aler par ceste région

En cerchier ces faulz crestiens,

Tien, va les metre en fors liens

Et les amaine en nos prisons.

SAULUS.

24      Sire, s'il y a jà prins homs

A rançon que je ne le face

Lier ou mourir en la place,

Je prie à Dieu qu'on me puist pendre.

ANNAS

28      Va, le grant Dieu te puist deffendre !

Lors Saulus monte à cheval en disant :

A cheval; à cheval tout homme !

Nous ne valons pas une pomme

S'il y a nulz qui nous eschape.

32      Se je ne les vous met soulz trape

Sy me couronnez d'un trepié.

SES COMPAIGNONS.

Chevauchiez, nous yrons de pié:

Lors voisent en passant par dessoulz Paradis.

SAULUS, en alant.

Alon en à Damas bon erre.

36      Le cuer d'ire ou ventre me serre

De ce que ces faulz crestiens,

Ces faulz bougres, cez ruffiens,

Sy vont nostre loy destruisant.

40      Certes je leur seray nuysant

Dore-en-avant quenque porray;

Ou ilz mourront ou je morray.

Brief et court n'en faut plus parler.

SES COMPAIGNONS.

44      Or tost, tost, penssons de l'aler.

Lors sy comme Saulus passera par dessoulz Paradis, Jhésus prengne .I. brandon ardant, et gete sus ly, et lors il se lesse cheoir à terre.

JHÉSUS die :

Saulé, Saulé, tropt es testu.

Dy pour quoy me guerroies tu?

SAULUS.

Qui es tu qui es cy venus?

JHESUS.

48      Je suis Jhesus Nazarethus

Que tu poursuis, quant guerroiant

Vas ceulz qui en moy vont croiant.

Tu fais que fol et que félon

52      De regiber contre aguillon.

SAULUS

Sire, que veult tu que je face ?

IHESUS

Lieve sus, va t'en à Damasce ;

Sy orras que tu devras faire.

Lors Saulus se liève comme aveugle et die à ses compaignons :

56      Mes chiers amis, vueillez moy traire

Par la main, car je ne voy goute;

Et sy veulz qu'en vostre route

A Damas bientost me menez.

SES COMPAIGNONS.

60      Sa, la main, sire, car venez.

Lors le meinent aveugle à Damas qui soit en costé Paradis.

JHESUS, sans soy bougier, die :

Ananie, plus ne sommeille.

Lieve sus, tost sy t'apareille.

Va en en la rue qu'on dit Recte.

64      Là trouveras de nostre secte

En oraison Saulet de Tharsse.

Toute malice est en lui arsse,

En ly n'a que bien et doctrine :

68      Va et les yeulz ly renlumine,

Et le baptise en nostre nom.

ANANIAS

Ah doulz Dieux ! Il a le renon

D'estre .I. félon mauvès tirant .

72      Qui va vostre gent martirant

En tous les lieus où il la treuve.

JHESUS.

Va seurement, va si espreuve

Comme il est doulz et débonnaire.

76      Je l'ai esleu à tout bien faire,

Et ly monstreray que por moy

Souffrir devra et por ma loy.

Devant roys et princes yra

80      Et plusieurs en convertira;

Partout aus champs et à la ville

Preschera la sainte Évangile

Qu'enseigné je ly ay toute

84      Par ces .III. jours qu'il n'a veu goute.

Va tost à ly, car il me plaist.

ANANIAS.

Monseigneur je suis tout prest.

Lors voise à S. Pol et die :

Saulé, frère, Dieu te benéie!

88      Jhésus qui fu né de Marie,

Qui t'a aparu en la voye

Tout maintenant à toy m'envoye

Le saint baptesme te donner

92      Et ta véue renluminer.

Ou nom de Dieu triple en personne,

Baptesme et la véue te donne,

In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. Amen.

En le baptisant.

Frère, vous estes crestien.

96      Dieu vous a osté du lien

De pechié et sa grâce avez.

La sainte Escripture savez :

Honnourez Dieu, sa loy preschiez,

100    Le peuple d'erreur dépeschiez.

Pol vostre propre nom sera :

Faites bien, Dieu vous aidera.

Lors se voise séoir

S. POL en alant à Damas.

Loé soit Dieu qui m'a geté

104    Hors d'erreur et de fausseté,

Qui m'a à sa grâce apellé,

Qui m'a ses secrez revelé,

Qui en moy a tout mal sechié,

108    Qui m'a à tout bien alechié,

Qui m'a en doulz aignel changié

De lou sauvasge et enragié,

Qui m'a de persécucion

112    Esleu à prédicacion,

Qui m'a mis à salvacion

De voie de dampnation !

Je n'aray pas sa grâce en vain.

116    Je vueil tout metre soubz sa main,

Je vueil avant huy que demain

Sa loy preschier à mon prochain.

Lors voise aus Juifs de Damas, et die :

Seigneurs, à vous pren mon prologue

120    Que je voy en la sinagogue.

A vous doit on premièrement

Preschier le nouvel testament.

Vous savez comme Dieu permist

124    Que Mesyas, c'est (Jhésucrist),

Nestroit de lignée royal,

Du roy David saint et loyal,

Qui sus le fust mort soufferroit

128    Et son pueple déliverroit,

Qui les gens de diversse loy

Aüsneroit à une foy ;

Ceste promesse est acomplie :

132    Nez est de la vierge Marie,

En la crois mort et tormenté,

Resuscité, aus cieulz monté.

Croiez en ly, perseverez

136    En s'amor et sauvez serez.

LE PREMIER JUIF DE DAMAS.

Qui est ce fol qui là parole ?

Es-ce ore histoire ou parabole

Dont il va ainssy sermonnant?

LE SECOND.

140    Sachiez c'est .I. fol christicole

Qui a prins leçon à l'escole

Dont il va ainssy, gergonnant.

LE TIERS.

Sire, la char de moy soit arsse

144    Se ce n'est Saulotin de Tharsse

Qui est yssu hors de son sens

Ou il est espoir enchanté ;

Car il c'estoit trop fort vanté

148    De tourmenter les crestiens.

LE PREMIER.

Hé le grant Dieu ! ce crucefix

Met le pére contre le filz

Et la mère contre la fille.

152    Il nous destruit, il nous essille,

Il pert, il confont nostre loy.

Ne metton la chose en délay.

S'en lesse croistre le meschief,

156    Nous ne porrons venir à chief.

ll est homme de grant courage ;

Puis qu'il commance il fera rage :

Alons le monstrer au prévost.

LES AUTRES.

160    Trop demourons, alons y tost.

Lors voisent au prévost de Damas

LE PREMIER.

Monseigneur, pour Dieu mercy

Il est venu depuis hier cy

.I. jeune homme de male part,

164    Plus fier, plus félon qu'un liépart,

Qui vostre loy, sire, et la nostre

Veult destruire et ce fait apostre

D'un fol que nostre gent fist pendre.

168    Plaise vous, sire, à y entendre !

Tous ensemble vous en prions.

LE PREVOST.

Je voy bien vos péticions.

Prenez le moy sans plus tarder

172    Et faites les portes garder.

S'en ly trouvons nul maléfice.

Nous vous ferons tantost justice.

Alez le prendre sans plus dire.

LES JUIFZ.

176    Le grant Dieu, Sire, le vous mire!

Lors voisent où ils vourront.

ANANIAS.

Frère Pol, Dieu vous croisse honneur !

Les faulz Juifz grant et meneur

Qui demeurent en ceste ville

180    De vous tuer ont prins concile :

Por Dieu alez-en, n'y tardez !

S. POL.

Se vous dictes bien, resgardez

Qu'au premier assault je m'enfuie,

184    Qui ne doy doubter vent ne pluie,

Roys ne princes, ne duc ne conte :

Sire, ce seroit trop grant honte

Et estande pour les enfermes.

ANANIAS.

188    Bien sçay, frère, qu'estes sy fermes

Que vous ne doubtez point mourir ;

Mais, pour Dieu, vueilliez secourir

Au monde qui est en erreur!

192    Ce n'est estande ne horreur

S'un pou vostre mort différez;

Mès grant bien et grant sen ferez

Por mielx en la foy labourer,

196    Et Jhésucrist plus honnourer

Qui a en vous sa grâce mise

Et vous a fait,de sainte Église

Noble docteur et son apostre.

S. POL.

200    Dites donc vostre Pater nostre

Por moy et à Dieu soiez vous.

Lors voise .i. pou avant, puis se siée à terre.

ANANIAS.

A Dieu, frère, priez pour nous.

S. BARNABÉ, aus Apostres.

Or entendez vous, mes seigneurs,

204    Que nostre sire a voulu faire ?

Saulet qui tant maulz et douleurs

Et engoisse nous a fait traire,

Jhésucrist l'a voulu attraire

208    Et apeller à son servise.

Sy est aus faulz Juifz contraire

Et vray docteur de sainte Église.

S. PIERRE.

Doulz Dieu, vous soiez mercié

212    De sy noble conversion !

Vostre nom soit glorefié

D'avoir esleu tel champion !

S. ANDRIEU.

C'est .I. vessel de éleccion.

216    J'en regracie Dieu le père

Qui tous a en dileccion :

Por ce est fol qui se désespère.

S. JAQUES LE GRANT.

Hé ! sainte Église, nostre mère,

220    Bien dois grant joye démener

Quant celuy presche ton mistère

Qui te souloit sy mal mener !

S. JEHAN.

Bien scet Jhésucrist asener

224    Quant d'anemy fait amy chier;

Por ce se doit chascun pener

De son cuer en Dieu tant fichier.

S. THOMAS.

Or, a Dieu .I. bon chevalier :

228    Il n'a pas failly à eslire.

Celuy fait traire à son colier

Qui ne le fesoit que despire.

S. JAQUES LE MENDRE.

Jhésucrist scet bien sa gent duire,

232    Qui d'un lou a fait .I. aignel,

Quant fait à luy servir déduire

Son trés grant anemy mortel.

S. PHELIPPE.

Nostre sire fait son chastel;

236    Il ne chaut de quelque monnoye

Quant son anemy fait a tel

Qu'à luy servir du tout s'employe.

S. BARTHOLOMEU.

Bien doit sainte Église avoir joye

240    Quant voit son nouveau bacheler

Se mettre en convoy et en voye

Du monde tout renouveler.

S. MATHIEU.

Vraye amour ne ce puet céler :

244    Sy ardans est en charité

Que le dos se fait marteler

Souvent pour soustenir vérité.

S. SYMON.

Hé Diex, benoiste Trinité !

248    Tant est ceste euvre glorieuse

Bien est vostre bénignité

A tout le monde grâcieuse.

S. JUDE.

Vostre sagesce vertueuse,

252    Doulz Dieu, vostre bénivolence,

En ceste euvre sy merveilleuse

Se monstrent bien par exellence.

S. MATHIAS.

Loons à Dieu à grant révérance

256    Qui nulle âme ne veult périr,

Volentiers le veisse en présence

S'aucune âme l'alast quérir.

S. BARNABÉ.

En l'eure le feray venir.

Enclinant.

260    Congié et bénéiçon, saint Père.

S. PIERRE, en le seignant.

Bien aler et bien revenir

Vous doint, nostre beau frère !

Cy voise S. Barnabé à S. Pol.

Frère Pol, Dieu vous doint s'amour!

S. POL.

264    Sire, Dieu vous doint benoist jour !

S. BARNABÉ.

Frère, mes seigneurs et les vostres,

Saint Père et les autres apostres,

Ont de vos fais oy conter :

268    Tel joye ont que nul raconter

Nel'saroit en nulle maniére.

A cuer joieus, à liée chière

Vous verroient volentiers, Sire.

S. POL.

272    Hélas ! c'est quenque je désire,

Sire ; pour Dieu car m'y menez.

S. BARNABÉ.

Je le vueil, biau frère, venez.

Lors voisent et S. Barnabé die :

Vecy Pol que jevous ameine.

S. POL

276    Jhésus qui pour nous souffrit paine,

Mes seigneurs, vous doint bonne vie !

LES APOSTRES.

Bien veigne celle conpaignie !

S. PIERRE.

Mon frère et mon amy loyal,

280    Mon conpaignon espécial,

Mon confort, m'amour, mon soulas,

Por vous avons esté tous las;

Mais Jhésucrist nostre tristesce

284    Nous a muée en grant léesce

Quant mué a vostre courage

Et vostre fol propos en sage,

Quant vous a sy enluminé

288    Que par vous sera doctriné

En vraye foy trestout le monde,

Quant noblement sa grâce abonde

Où abondoit iniquité.

292    Gloire à la Sainte Trinité !

Venez besier moy et mez frères.

S. POL.

Volentiers et de cuer, sains pères.

Lors les baise tous.

Qui voudra joindre ceste convercion avec le jeu S. Estiene, pourra finer ici endroit tout ensanble en ceste forme qui ensuit:

S. PIERRE.

Frères, ceste convercion

296    Est des anges solennisée;

Car par divine éleccion

A esté faitte et ordenée.

Sy voulons qu'elle soit célébrée

300    Dignement par dévocion

En sainte Église longue et lée ;

Et pour ce chantons : Te Deum.

Cette clause ne soit point dicte ou cas qu'on ne voudroit faire fin icy endroit. Le jeu dessus dit continue ainssy.

S. PERE die quant S. Pol les ara besiez :

Mes chiers frères et mes amis,

304    Nostre Sauveur sy nous a mis

En son lieu pour sa loy preschier,

Pour convertir et baptisier

Le pueple et pour l'endoctriner.

308    Sy nous fault trestous cheminer ;

Mais alons ainçois, je vous prie,

Savoir à la Vierge Marie

Sel'nous vourra riens commander.

LES APOSTRES.

312    Nous nous voulons recommander,

Sire, en sa grâce, c'est raison :

Alons la veoir en sa maison.

Lors voisent à Nostre Dame qui soit prez d'illecques, et se agenoullent et dient : Ave, Dame de grâce plaine.

S. PIERRE.

Dame, frère Pol vous amaine

316    Le vostre nouvel serviteur,

Que nostre sire a fait docteur,

Et son apostre comme nous.

A jointes mains et a genous

320    Vous voulons, Dame, déprier

Que Dieu vueilliez por nous prier ;

Car il nous fault de cy partir

Pour le pueple aler convertir.

324    Vostre filz, le doulz Jhésucrist,

Quant ès cielx monta le nous dist,

Doulce dame, bien le savez.

NOSTRE DAME.

328    Frère Pierre, bien dit avez

Et bien veigniez ore trestous.

Frère Pol, mon amy très doulz,

Jhésucrist, monseigneur mon filz,

332    Vous a osté de grans périlz

Et grant grâce vous a donnée

Qui est en vous bien assignée;

Car ly et moy honnourerez,

336    Et la foy moult essaucerez.

J'en mercie nostre Seigneur

Qui vous fera honneur greigneur

Quant ès cieulz vous couronnera

340    Et sa gloire vous donnera.

Mes frères, moult me soulaciez ;

Nient meins je vueil que ce faciez

Que Diex le père vous manda,

344    Que Dieu le filz vous commanda,

Qui vous gart en corps et en âme.

LES APOSTRES, en soy levant.

Amen, et à Dieu soiez, Dame !

S. PIERRE, aus apostres.

Chiers frères, par nous convient

348    Et départir, car de Dieu vient.

Le doulz Jhésucrist nostre maistre

Qui de pure vierge voult nestre

Vueille par nous tout mal destruire

352    Et le pueple en sa loy instruire,

Sa grâce sy mouteplier

Que par tout puist fructefier

A sa loenge et à sa gloire !

356    Aions l'un de l'autre mémoire :

Dieu nous maintiegne en charité

Et en vraye fraternité !

A Dieu soiez et à sa mére.

LES APOSTRES, fors S. Pol.

360    A Dieu vous commandons S. Père.

Lors voise S. Père à Romme et S. Pol à Athiènes, et les autres où ils vourront ; mais qui voura faire de S. Père et de S. Pol, et laissier S. Denis, sy voisent S. Père et S. Pol à Romme et parlent aux Roumains en la manière qu'il est convenu aprés la conversion S. Denis

en la rubrique qui se commence :

SEIGNEURS ROUMAINS, etc.

Qui tout voura faire par ordre sy continue le jeu sy comme il est escriipt cy dessoubz.

CY ENSUIT LA CONVERSION S. DENIS

S. POL, aus philosophes.

Seigneurs, Jhésucrist vous amant

Qui fist et terre et firmament,

Qui pour vostre rédempcion

4        Print humaine incarnacion ,

Nasquy, mouru, resuscita

Et Diex et homme ès cielx monta ,

Puis venra-il en sa majesté

8        Juger touz ceulz qui ont esté

Et ceulz qui sont et qui seront !

LE PREMIER PHILOSOPHE.

Les mors dont resusciteront?

S. POL.

Resusciteront voirement.

LE PREMIER.

12      En âme ou en corps, ou comment ?

S. POL.

En ame et en corps ne doubtez.

LE PREMIER.

Escoutez, seigneurs, escoutez

Que dit ce semeur de frivoles;

16      Vecy nouvelles paraboles!

Cest anole cy nous entroingne

Que depuis que nostre charoigne

Sera aniente et pourrie,

20      Et que de vers sera mengie

Tout en l'estat qu'il est ou miex,

Son crucefix, son nouvel Diex

La fera de mort retourner.

24      Il veult nature bestourner;

C'est forssennerie, c'est rage.

Tous ly diables l'ont fait sy sage

Plus qu'Aristote ne que Platon,

28      Que Socrates ne que Chaton.

Il est yvre ; sy dit tempeste.

Par nos Diex il seroit bien beste

Qu'il nul arguement feroit oire

32      Contre fausseté sy notoire ;

Et pour ce je m'en vueil aler.

De male mort puisse-il baler

Qui en Grèce l'a attroté !

Lors se trestourne.

PURLIUS le second philosophe, à S. Pol.

36      Homs, homs, vous estes assoté.

Dictes, seront vaches et veaulz ;

Brebis, chevaulz, truies, pourciaulz,

Bestes, oysiaulx, resuscitez ?

S. POL.

40      Bien quérez grans absurditez !

Doit on faire comparaison

De beste qui est sans raison

A homme qui a sentement

44      Et raison et entendement ?

L'âme de beste est sensitive :

L'âme d'omme est intellective.

L'âme de beste, sans ressort,

48      Est morte quant le corps est mort ;

Mais l'âme d'omme desseurée

Du corps ne sera jà finée,

Combien qu'ait encommancement ;

52      Et quant vendra au jugement,

Nostre Seigneur qui la créa.

Dedens son corps la remetra,

Qui fist homme pour ly servir

56      Et pour sa gloire desservir

Par euvres bonnes et honnestes.

Il ne fist pas les mues bestes

Pour tel félicité avoir.

S. DENIS, le tiers philosophe.

60      Biau sire, vous devez savoir

Qu'il ne souffist pas entre clers

Dire : mez diz sont vrays et clers ;

Ainçois il les convient prouver

64      Par vive raison pour trouver

Saine et vraye conclusion.

Pour ce la résurreccion

Que vous preschiez sy haultement,

68      Prouvez par raison ; autrement

Jamais ne la pourrions croire.

S. POL.

Maistre Denis, le roy de gloire

Qui créa toute créature

72      Et ordena toute nature,

De quant que fist, fait et fera,

A son plaisir ordenera

Par-sus entendement humain ;

76      Car il est seur tout souverain.

Ce doncques qu'il a de néant fait

Puet refaire quant est défait.

Sy est folie à homme en terre

80      Des secrez de Dieu trop enquerre

Et à la loy Dieu fait injure

Qui la veult soubzmetre à nature.

Ne mérite aussy n'y aroit

84      Qui par sen humain la saroit.

Simplement sy fault assentir,

Car celuy qui ne puet mentir .

La nous a bailliée et monstrée

88      Et par plusieurs vertus prouvée.

Où il failloit nature taire.

Doncques à tout sen qui veult faire

Quant il le puet et il le dit.

92      Doit-on croire sans contredit.

Car il est puissance et vérité,

Et sy est justice et bonté

Qu'il nul bien ne lesse périr

96      Ne nul mal aussy sans punir.

Por ce honnoure-il ceulz qui le servent

Et punist ceulz qui le déservent.

Or voit-on souvent que les bons

100    Sont des mauvaiz et des félons,

Grevez, troublez et tourmentez.

Les mauvaiz font leur volentez

Et en ce monde cy florissent.

104    Et les bonnes gens y languissent.

Les maulz n'y sont pas tous punis,

Les biens n'y sont pas tous méris,

Or fault-il de nécessité

108    Qu'ilz le soient par équité ;

Car Dieu sy feroit injustice

S'il ne faisoit partout justice.

Injustice faire ne puet :

112    Pour ce raison contraint et muet

A mettre autre vie et espace

Où Dieu à tous justice face.

Et quant à l'âme et quant au corps.

116    La résurreccion des mors

Convient doncques croire par droit,

Où âme et corps comme orendroit

Sans plus mourir rassembleront

120    Et ensemble jugiez seront.

Les bons yront en beneurté

Et les mauvaiz en maleurté, .

En paine horrible et en misére.

S. DENIS.

124    Moult est plaine de grant mistére,

Sire Pol , vostre loy nouvele.

S. POL.

Maistre Denis, la loy est tele

Que sans elle n'a nul reméde;

128    Mais avant que oultre procéde

Qui sont ces autels que je voy?

En monstrant du doy.

S. DENIS.

Sire, il sont aulz Diex de la loy

Que nos ancestres concivoient.

132    En cest autel cy aouroient

En monstrant les autels,

Joves, Mercure et Priapus

Et en cestuy Mars et Vénus

Et Hercules en cestuy-çà.

S. POL.

136    Et qui est ore cest. autel-là

Qui est ainssy là reculé

Que vous avez intitulé

L'autel de Dieu non pas congneu.?

S. DENIS.

140    Il est d'un Dieu qu'on n'a point veu.

S. POL.

L'avez-vous ou songy ou leu ?

S. DENIS.

Sire, oyez comment je l'ay sceu.

Quant fu en, Egipte à l'escole,

144    En la cité Eliopole,

Le soleil environ midy

Éclipsa à .i. vendredy.

Quatorziéme estoit lors la lune :

148    Sy ne povoit par voye nulle

Oster du soleil la lumiére.

L'éclipse fut toute plénière ;

Environ .iii. heures dura :

152    Nature se desnatura.

Sy conclusysmes par acort

Que le Dieu de nature, à tort,

Souffroit mortele passion.

156    Sy en eurent compassion

Les ellemens trestous ensemble.

S.POL.

Maistre Denis, que vous en semble?

Est-ce homme, ou espérit, ou quoy?

S. DENIS.

160    Sire Pol, je tien ferme et croy

Qu'il est et vrais hons et vrais Diex;

Mais sa demeure est sus les cielx.

Il n'a mestier de biens mondains

164    Ne de sacrefices humains ;

Ne requiert que dévocions

Et humbles supplicacions.

Le monde renouvelera,

168    Partout en tout temps régnera ;

Mais de sa sagece et puissance

N'a pas fait encor démonstrance ;

Or ne scay-je voir qui l'enpesche.

S. POL.

172    Maistre, c'est le Dieu que je presche,

Le créateur de tout le monde

Qui de une Vierge pure et monde,

Comme soleil parmy voirrière

184    Passe et adès demeure entière,

Nasquit sans peine en Béthléem,

Puis mourut lez Jhérusalem.

S'âme descendit en enfer

188    Pour les siens d'illecques oster,

Et au tiers jour son corps reprint

Et de mort à vie revint.

A ses desciples se monstra,

192    Portes closes à eulz entra,

Puis sy monta voians leurs yeulz

Sur toute créature ès cieuls,

Et leur dist que ainssy revenroit

196    Quant le monde jugier venrroit.

Puis le Saint-Esperit leur tramist

En langues de feu qui les fist

Preus et hardis et fors et sages,

200    Et bien parlans en tous langages.

Ceste loy preschons et disons,

Et ceulz qui croient baptisons ;

Car par nulle voye autrement

204    Ne puent nul avoir sauvement.

Par Socrates et par Platon,

Par Sébille, Ovide et Varron,

Par philosophes, par prophètes

208    Et par pluseurs de vos poètes

Trouverez ces choses escriptes.

S. DENIS.

Sire Pol, gardez que vous dites.

Par voz dis nature divine

212    Ne commence ne ne termine :

Diex est impassible, inmortel.

Pour quoy et comment fut or tel

Qu'il nasquit, souffrit, termina,

216    Qui commencement ne fin n'a?

Je ne le puis veoir bonnement.

S. POL.

Maistre, quant au commencement

Le créateur créa les anges

220    Aus quelz donna volentez franches

En leur estre espirituel

Sans avoir corps pesant, charnel,

Ne anemy ne enconbrier

224    Qui les enclinast à péchier,

Pour ce, quant contre Dieu péchèrent,

A tousjours mais ilz trébuchèrent ;

Mais afin que tout fust parfait

228    Le nombre que Diex avoit fait,

Nostre Seigneur fist homme et fame

Qui franche volenté à l'âme

Donna afin qu'il peust eslire

232    Le bon chemin, lessier le pire.

Sy avint qu'ilz furent temptez

Lors de leur propres volentez

Le commandement Dieu enfraindrent

236    Et grâce et bien en eulz estaindrent,

Et par eulz toute leur lignée

Fut à mort d'enfer obligée,

Non pas irréparablement;

240    Mais homme de soy nullement

Satefier sy n'en povoit

Et nul autre ne le devoit.

Doncques failloit-il qui y eust

244    Et qui le peust et qui le deust;

Et pour ce Dieu par sa pitié

Nous monstra si grant amistié

Qu'il voulut homme devenir

248    Et nos misères soustenir,

Pour satefier par droiture

De la sus dicte forfaiture,

Par droiture voire voluntaire,

252    Car autrement l'eust peu bien faire,

Mais manière plus convenable,

Plus chéritable et resonnable

Ne saroit nulz ymaginer.

S. DENIS.

256    Il me fault par force encliner

A sy exellente raison.

Je voiz .i. tour en ma maison :

Sy pensseray à ces articles;

260    Priez Dieu q'un de ses desciples

Il me face par sa bonté

Se vous m'avez dit et conté

La vérité pure sans falace.

Lors voise au logeis sa fame et le second philosophe avecques luy.

S.POL.

264    Maistre Denis, Dieu par sa grâce

Vous doint choisir le droit sentier

Et bon propos sain et entier,

Sy vrayement comme le voir

268    Je vous ay dit sans decevoir.

L'AVEUGLE.

Au povre homme qui ne voit goute

Faictes bien, pour Dieu, car sans doubte

Il est trop povres qui ne voit.

272    Las ! se .c. soubz on ly devoit

Sy ly porroit-en baillier blans

En lieu de moutons ou de frans.

Pour Dieu, donnez-moy cuisse ou elle.

276    Vecy bien dure kiriele :

Je croy que les bonnes gens dorment

Ou que les oreilles leur cornent,

Car de moi ne tiennent-il conte !

280    Trut! trut! povre homme n'a que honte,

Male meschance et maise chière :

C'est sa droite rente fonssière ;

Toutes heures la liéve et prent,

284    Nuit et jor nul ne l'en reprent

Ne nulz, s'il devoit enragier,

Ne la puet vendre n'engagier,

Tant a povre homs de prévilége !

288    Hélas! bonnes gens, que feray-je?

Donnez-moy pour Dieu quelque chose

— Parlez bas, madame repose.

— Au moins, me tendez vostre main.

292    — Oil, oil, c'est à demain ;

Il sera jeûne samedy.

S. POL.

Bon homme, veulz-tu cen médy

Avoir veue fresche et nouvelle.

L'AVEUGLE.

296    Halas! vous la me bailliez belle,

Sire ; il fait mal qui me ramposne.

Donez-moy pour Dieu .i. aumosne;

Car certes il ne pourroit estre

300    Que jamais veisse huis ne fenestre

Ne par art nul, ne par nature.

S. POL.

Bons homs, tu as dit vérité pure;

Mais à Dieu est tout ce possible

304    Qui à nature est impossible.

Aiez en Jhésucrist fiance

Et en sa loy vraye créance.

Jhésucrist qui Diex est et homme,

308    Qui de mère vierge qu'on nomme

Marie nasquit sans douleur,

Et qui jeta de thénébreur

Celuy qui fut aveugle né,

312    Et qui en la crois fu pené,

Resuscita, monta ès cieuls,

Te vueille enluminer les yeulz!

In nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti,

L'AVEUGLE.

Amen! sire, Diex le vous rende !

316    De moy-mesmes vous foiz offrende

Prest et appareillié de croire

En Jhésucrist le roy de gloire

Par qui je voy aler ma voye,

320    Qui me donne veoir a grand joye

A mes yeulz le ciel et la terre. .

S. POL.

Or, me va maistre Denis querre.

Et ly dy qui ne tarde mie

324    Accroire en Dieu le filz Marie

Et qu'à moy veigne sans demeure.

L'AVEUGLE.

Sire, j'y vois trestout en l'eure.

Sy voise à S. Denis et die :

Maistre, monseigneur Pol vous mande.

S. DENIS.

328    Es-tu celuy, je te demande,

Qui oncques mais n'avoit veu goute ?

L'AVEUGLE.

Mon chier seigneur, oil sans doubte.

S. DENIS.

Dy-moy, et comment as-tu veu ?

L'AVEUGLE.

332    Monseigneur et maistre; il a pleu

A sire Pol son Dieu ourer,

Et en l'eure, sans demourer,

Je receu veue belle et clère.

S. DENIS.

336    O le vray Dieux ! quel mistère !

Tel chose oncques mais ne fut veue

Qu'ons né aveugle réust sa veue.

Il est Dieu, pour voir, qui ce fait,

340    Qui les deffaiz ainssy reffait.

En parlant à sa femme.

Resgardez, ma suer Damaris,

Commant cest aveugle est garis;

Est-ce biau miracle et apert?

DAMARIS, fame S. Denis.

344    Monseigneur, clèrement apert

Que cil a puissance divine

Qui les aveigles enlumine.

Oncques mez ne vy tel merveille :

348    Alons à luy, je le conseille,

Et y menons nostre mesgniée

Pour estre en la foy enseignée

Et baptisiez avecques nous.

.II. ENFANS.

352    Volentiers yrons avec vous.

Lors voisent à S. Pol S. Denis et sa fame et sa famille et le second philosophe et l'aveugle ; et tous ensemble dient :

TOUS ENSEMBLE.

Sire, Diex vous doint bonne vie!

S. POL.

Bien veigne ceste conpaignie !

Me voulez-vous riens commander ?

S. DENIS.

356    ll vous a pleu à nous mander

Et véez-nous cy tous près, chier sire,

De faire quanque vourrez dire

Sans vous jà contredire en riens.

Cy voisent à genous.

S. POL.

360    Loé soit Diex de tous cez biens !

Mez amis, croiez fermement

Qu'il n'est q'un Dieu tant seulement,

Triple personne en unité,

364    Une substance en trinité,

Père et Filz et Saint-Espéris,

Qui doit estre amez et chéris

Sur tout temps et en tout lieu ;

368    Non pas .iii. Diex, mais .i. seul Dieu

Sans commancement et sans fin,

Qui homme ama tant de cuer fin

Qu'à s'ymage propre le fist ;

372    Mez pour ce que homme se forfist

Et que mortelement offendit,

Le filz Dieu vray Dieu descendit

Qui print nostre nature humaine

376    En Marie de grâce plaine

Qui fut et vierge et fille et mère,

Et il fut son filz et son père.

Le créateur fut créature :

380    Ce fut euvre par sus nature ;

Ainssy le voulut peut et sceut.

Depuis, le baptesme receut,

Non pas pour ces péchiez monder,

384    Mais pour le sacrement fonder

Du baptesme de sainte Église.

Apostres quist à sa devise

Les quielz à sa grâce apella

388    Et ses secrez leur révéla.

Les mors de mort resuscitoit

Et touz malades garissoit,

Et moult de grans merveilles fist

392    Que pur homme jamais ne feist ;

Puis fust en crois mort et fénis,

Et vous monstra maistre Denis,

Par sa grâce, la grant durté

396    Qu'à tort souffroit, en l'obscurté

Que l'air et la terre soustindrent,

Et ès miracles qui avindrent ;

Son âme en enfer dévala

400    Qui les siens délivrer ala.

Le corps en sépulcre se tint;

Mais au tiers jour là y revint

Et resuscita noblement

404    Vray Dieu, vray homme, vrayement;

Puis monta ès cieulz à grant joye

En disant que par autel voye

Vendroit bons et mauvais juger

408    Et rendre à chascun son loyer.

Le croiez-vous corde mondo ?

Dites chascun : Credo.

TOUS.

                                       Credo.

S. POL.

Que requérez, dictes ? baptesme ?

TOUZ ENSEMBLE.

412    Baptesme et unction de cresme.

S. POL.

Le voulez-vous sine dolo ?

Responnez-moy volo.

TOUZ.

                                   Volo.

S. POL.

Doncques : Ego vos baptiso

In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti,

TOUS

Amen !

S. POL.

Denis, vous estes crestien

416    Et sage théologien,

Premierain en philosophie,

Souverain. en toute clergie.

La grâce Dieu avez en main :

420    Ne prenez pas sa grâce en vain.

Preschiez la foy et amitiez

Et le pueple convertissiez.

Je vous en donne auctorité,

424    Évesque de ceste cité,

Et en Grèce dès maintenant

Vous ordeine mon lieutenant. .

En ly baillant.

Tenez anel et croce et mitre ;

428    Faictes euvre de bon menistre :

Tout le païs vous baille en garde.

Lors die à Damaris.

Et vous, belle suer et amie,

En estat de sainctimonie ,

432    Vivez desormès chastement.

DAMARIS.

Dieu le m'octroit sy vrayement

Comme du cuer je le désire!

Cy se met comme beguine

S. DENIS.

S'il vous plaisait, chier maistre et sire,

436    Que avecques vous je m'en alasse

Et ma vie avec vous finasse,

Moult l'eusse chier et agréable.

S. POL.

Mieulx sera et plus profitable,

440    Biau frère, que vous demourez

Et diligaument labourez

A convertir les non créans;

Car vous y estes bien séans.

444    En pluseurs contrées yrez,

Et plusieurs gens convertirez.

Et retrairez d'ydolatrie,

Par example de bonne vie

448    Et par doctrine bonne et saine.

Moult arez d'ennuy et de paine,

Mais Jhésucrist vous aidera

Qui touz jours vous confortera.

452    Je vous commande à Dieu trestous.

TOUS.

Biau père, et à Dieu soyez-vous !

S. DENIS, à sa fame.

Alez-en à Dieu, belle suer :

Amez Dieu de tout vostre cuer,

456    Gouvernez bien vostre famille ;

Preschier me convient l'euvangile

Et la loy du doulz Jhésucrist.

Celuy qui vous forma et fist

460    Vous doint à tous grâce et honneur !

SA FAME, L'AVEUGLE, LES ENFANS.

Amen ! et à vous, monseigneur.

Lors s'en voisent.

S. DENIS.

Grâces te rend, Diex, humblement

Qui m'as par grâce purement

464    A ta sainte loy appelé

Et tes grans secrés révélé.

Dieu, donne-moy ce bénéfice

Que dignement face m'office.

468    Maintenant à ton honneur, sire,

Dicter vueil .i. livre et escripre,

Nommé de triple ihérarchie,

Et autres de théologie,

472    Pour ton saint nom glorefier,

Et mon prochain édifier.

Lors se siée et fait sanblant de escripre.

Qui se jeu vautra continuer sans faire le martire des Apostres, tourne .v. fueilles et voise à la clause où S. Rieule parte à S. Denis qui se commence :

CHIER SIRE, JHÉSUCRIST, VOUS, etc..

Qui tout voudra faire par ordre sy continue comme cy-après est escript :

 

 

NOTES

1 : sic dans le ms retour

2 Il paraît qu'à l'époque où ces mystères ont été composés on ne faisait pas sentir l'e de Esperit ; autrement tous les vers où ce mot se trouve auraient une syllabe de trop. retour

3 : gent absent dans le manuscrit. retour

4 : seul-en. A-t-on coutume ; de solere retour

5 : Qui, pour qu'il. retour

6 : On remarquera que dans ce vers il y a une élision entre le mot prescha et le mot et. retour

7 : La vérite. Au quinzième siècle on ne prononçait probablement pas l'e final de ce mot, sans quoi notre vers actuel et tous ceux où il se rencontre seraient faux. retour

8 : Grandior, et dans ce cas-ci maximus. retour

9: J'ai rectifié ce vers, qui est ainsi au manuscrit : Et se homme fu par quelque manière.retour

10 : Le démon, expression très commune dans les treizième et quatorzième siècles retour

11 : Sic ; probablement pour blafemies retour

12: Voici le vers tel qu'il est au mst Quant Jhesuscrist a mort y condampnastes retour

 

CY ENSUIT COMMENTS. PÈRE ET S.POLALÈRENT A ROMME ET COMMENT ILZ FURENT MARTIREZ.

S. PÈRE , aus Rommains.

Seigneurs Rommains, qui de noblesce,

De sen, d'onneur et de prouesce

Estes nommez puissaument

4        En tous païs généraument,

Bien déussiez celuy aourer

Et concivoir et honnourer

Plus que nulle autre nascion,

8        Qui sur tous dominacion

Vous a donnée et grant puissance,

Et tenir du tout sa créance.

C'est Dieu du ciel dont bien vient,

12      Qui tout gouverne et tout soustient,

Qui de néent le monde créa,

Qui homme à s'ymage fourma

Le quel à Dieu désobéit,

16      Par quoy en misère chéit

Ly et ses hoirs, et quant morroient

Trestuit en enfer descendoient ;

Mais Dieu en out pitié, sy print

20      Corps humain et la mort soustint

Pour les siens hoirs d'enfer jecter,

Resuscita et voult monter

En paradis, vray Dieu, vray home.

MARCEL , bourgoys.

24      Bons homs, plus a de bien à Romme

Que tout le remenant du monde;

Tout sen, tout bien à Romme habonde

Sy faictes que trop fol, vilains,

28      D'ensengnier les sages Rommains.

Les Rommains ne sont pas sy nices

Que les diex qui leur sont propices

Ilz ne sachent bien aourer,

S. PIERRE.

32      Frère, les Rommains labourer

Scevent trop bien en vanité.

Leur bien est plain d'iniquité

Et leur sen est plain de folie.

36      Qui est plus grant forssennerie

Que d'aourer ces ymagetes

Que vous faites ou faire faites

Qui ne parlent ne ne cheminent?

LE SECOND BOURGOYS.

40      Sauf vostre grâce, ainçois devinent

Tout quen qu'en fait, comment que soit.

S. PIERRE.

C'est l'anemy qui vous deçoit

Qui en vos ydoles se boute

44      Pour estaindre en vos cuers trestoute

La lumière de vraye foy

Et sain entendement, par quoy

Il vous fait sans cesser péchier

48      Et vostre créateur leissier,

Et ymages de créatures

Plaines de péchiez et d'ordure

Aourer comme fu Vénus,

52      Joves, Mercure et Priapus,

Et en plusieurs ydolatryes

Par diverses mélencolies

Fait chéoir le monde auques à bout

56      Pour le mectre à dampnement tout.

Pour ce Jhésus qui est lumière

Du monde, aporta la manière

De pourchacier son sauvement,

60      Laquelle y monstra clèrement

Par sainte vie et par signacles,

Par escripture et par miracles,

En suscitant les trespassez

64      Et en férant vertus assez ;

Car il le povoit et savait.

S. CLÉMENT, escolier.

Or, est tout nient ; car s'il avoit

Celle puissance qu'avez dite

68      Il eust esté de la mort quite ;

Car, par quelle voye mourrait

Qui Dieu seroit, qui tout pourroit?

Voir, s'il mourut et trespassa,

72      La mort sa déité quassa,

Et son povoir ly fu tollu.

S. PIERRE.

Mon bel amy, s'il eust voullu

Bien se feust gardé de mourir ;

76      Mais à nostre mort secourir

Nostre sire usa par sagesce

De merveillieuse soutillesce

Contre la cruele malice

80      De l'anemy plain d'injustice ;

Car il voult homme devenir

Et nos misères soustenir ,

A celle fin que l'anemis

84      Qui homme avoit souz le pié mis

Sy fust par homme sourmonté

Et sa mauvestié par bonté,

Et mort par mort à mort livrée;

88      Et se l'âme fu desseurée

Du corps selonc l'umanité,

Nient mains avoit la déité ;

Tout povoit inmutablement

92      Qui les rassembla dignement

Et resuscita home et Dieux,

Puis monta puissaument au cieux.

Là, en âme et en corps yront

96      Ceulz qui de cuer le serviront

En joye, en doulceur, en seurté,

En pardurable béneurté ;

Mais ceulz qui en ly ne croiront

100    Ou qui son vouloir ne feront

Yront en tourment pardurable.

SYMON L'ENCHANTEUR.

Seigneurs Rommains , c'est bourde et fable

Quant que ce vilain va disant.

104    Croirez-vous q'un povre paisant

Qui fut pendu puisse estre Diex?

En vous devroit crever les yeulz.

Moy , moy , par qui honneur avez ,

108    Qui fais vertus , vous le savez,

Devez aourer et m'obéir.

S. PIERRE.

Symon, mais on te doit héir

Qui fais injure et vilénie

112    A celuy qui te donna vie ;

Mais tu es tout plain de péchié :

Sy n'ist de toy fors mauvestié.

Tes diz sont envenimemens,

116    Tes fais ne sont que enchantemens,

Ta vie actrait la maise mort.

MARCEL.

Seigneur, vecy .i. homme mort. .

Resuscités-le, sy verrons

120    Lequel dit voir ; sy croirons

Que celuy soit Diex en vérité

Par qui sera resuscité ;

Se non tous . ii le conparrez.

SYMON.

124    Tout en l'eure vif le verrez.

Lors die aucune rien au mort en l'oreille et le mort remue la teste sans soy bougier.

LE SECOND BOURGOYS.

Esgar, il remue la teste;

Pierres, vous mourez comme beste.

Nous vouliez-vous décevoir ?

S. PIERRE.

128    Attendez, vous sarez de voir

Se le mort ara mort ou vie.

SYMON.

Sanglant vilain, fol plain d'envie,

Ne l'as-tu pas veu remuer ?

S. PIERRE.

132    Il ne fault plus contrarguer :

S'il vit, boive et menjusse et voise.

SYMON.

Pierres, tu quiets tousjouis la noyse;

Tu t'en pourras bien repentir :

136    Chascun puet et veoir et sentir

Que homme mort ne se puet bougier.

S'il ne puet boire ne mengier

Puis qu'il se muet qu'en ay-je à faire?

S. PIERRE, au bourgoys.

140    Seigneurs, faictes lay en sus traire ;

Sy veira-on s'il yra point.

S. CLÉMENT.

Or vient bien cet débat à point.

Maistre Symon, traiez-vous airiére :

144    Nous concluons par tel manière

Que s'il ne va, Pierres, sachiez

Il convient qu'aler le faciez

Ou autrement, vous y mourez.

S. PIERRE.

148    Et se aler puet que me donrez ?

Vous ne me prometés que paine.

S. CLÉMENT.

Vostre créance toute plaine

Tout pleinement, sire, croirons

152    Et maistre Symon punirons

Ainssy qu'il veult qu'en vous punisse.

S. PIERRE.

Le mort boug-il janbe ne cuisse ?

Regardez comment il se porte.

MARCEL, en le tastant.

156    Par Mahommet, sa teste est morte ;

Il n'ot, il ne muit n'il ne rit.

S. PIERRE.

Or pert-il bien que malvez espérit

Vous a fait une illusion.

160    Ainssy meine à confusion,

Ainssy detient, ainssy enlace

Ceulz à qui Dieu soutrait sa grâce

Par leur péchié et desmérites.

LE SECOND BOURGOYS.

164    S'il est ainssy comme vous dites

Faictes tost revivre ce mort.

S. PIERRE, à genous.

Doulz Dieu qui de l'amère mort

D'enfer gestâtes homme et fame ;

168    Vueilliez remettre en ce corps l'âme,

A la gloire de vostre nom

Et à la loenge et renom

De vostre espouse sainte Église.

LE MORT TIERS BOURGOIS, en soy levant

172    Dieu qui m'avez l'âme remise

Au corps par vostre grant puissance

Vostre loy, et vostre créance

Doit tout homme croire et tenir

176    S'il ne veult ses jours mal fenir;

D'ore en avant vueil en vous croire.

MARCEL.

Vecy beau miracle et notoire :

Regardez, le mort parle et vit.

180    Qui oncques mais tel chose vit ?

Maistre Symons, maistre Symons,

Plus n'irez en terres n'en lymons.

Avant, avant, suz ly, Rommains!

Cy mettent la main à ly.

S. PIERRE.

184    Pour Dieu, seigneurs, ostez vos mains :

On ne doit pas mal pour mal rendre.

MARCEL.

Il vous eust volentiers fait pendre

Sire, sire, lessiez-nous faire.

S. PIERRE.

188    Diex le sara bien à chief traire.

Lessiez-le ; pacience est bonne,

Pacience victoire donne,

Pacience donne tous biens.

SYMON.

192    En despit de toy et des tiens,

A ton grant meschief, frère Pierre,

Je ne demouray plus en terre :

Maintenant monteray ès cieulz ;

196    Sy verrez se je seray Dieulz.

Lors monte un pou hault et appelle les Diables en disant :

Béthagon, Bérith , Astaroth,

Baal, Baalum, Béhémoth,

Béelézebub, Léviathan,

200    Béeléphegor, Moloch , Sathan !

LE PREMIER DYABLE.

Os-tu, dy, maistre Symon braire ?

LE SECOND DYABLE.

Je l'os bien lyre le grammaire :

Alons à ly; il nous appelle.

LE PREMIER.

204    Romp-ly la teste à une pelle

Tant comme il est en mais estat.

LE SECOND.

Mais lessons-le vivre en restat

Pour nuire plus au crestiens.

LE PREMIER.

208    Et s'il yst hors de nos liens

Nous serons trompés lourdement.

LE SECOND.

N'en doubte, il mourra maisement;

Car il est maudit du Saint Père.

LE PREMIER.

212    C'est bien fait ; alons-en, compère.

Cy voisent à Symon et dient :

Que voulas-vous, maistre Symons?

SYMON.

Sans limonnier et sans lymons,

Pour crestiens faire afoler

216    Haut en l'air me faites voler.

Or y perra que vous ferez.

LES DIABLES.

Montez sus nous, sy volerez.

Lors monte suz eulz et ilz le portent bellement sur leurs espaules.

LE SECOND BOURGOYS.

Ha hay ! regardez quel merveille !

220    Oncques mais ne vit sa pareille

Homme vivant, ne Jhésucrist

Oncques tel. merveille ne fist.

Vez-vous comme il vole par l'air !

MARCEL.

224    De tel fait n'oy-je oncques parler!

S. PIERRE.

Pol, mon cher frère, regardez.

S. POL.

Sire, pour Dieu, plus ne tardez;

Mettez le pueple hors d'erreur..

S. PIERRE, à genous.

228    Doulz Jhésucrist qui en l'orreur

Et en la thénébreur d'enfer

Féistes trébuchier Lucifer

Pour son orgueil et s'ourcuidance ;

232    Cestuy qui tant a d'arrogance

Vueilliez que vistz trébuche et chie

En recognoissant sa folie.

Lors se liéve et die en seignant les anemis :

Ennemis, trop faictes d'escande,

236    Lessiez-le chéoir, Dieu le commande

Par moy qui suis son apostole.

Lors le lessent cheoir en disant :

Oi va, Symon, va, vole, vole !

SYMON.

Ahay, Jhésucrist ! trop es fort ;

240    Contre toy ne vault nul effort.

Tu m'as trop lourdement coyssy.

Je suis tout ronps et tout froyssy.

Je ne puis aler ne courir,

244    De male mort me fault mourir.

Ou feu d'enfer m'en fault aler.

Cy face le mort.

LE PREMIER DIABLE.

Ha ha ! Symon, or du baler,

Maistre Symon, sire Symon,

248    Vostre corps qui est de limon

Vouloit voler lassus au ciel !

Il desplaisoit à dan Michiel.

Sy estes trebuchié à honte;

252    Car bas doit chéoir qui trop hault monte.

Ou puis d'enfer vous porteron.

LE SECOND.

Ta, ta ! Symon, l'amy Néron,

Ton orgueil, ton enchanterie,

256    Ta mauvestié, ta simonie,

Te seront bien tost chier vendus !

Passe ! tu es nostre rendus.

Cy l'emportent hors du champ en uslant.

S. CLÉMENT.

Chier sires, or véons-nous bien.

260    Que nostre loy sy ne vault rien.

Sy la voulons du tout lessier.

S. PIERRE.

Il vous fault doncques baptisier.

S. CLÉMENT.

Et que vault tel baptisement ?

S. PIERRE.

264    Beau frère, par l'arousement

Qu'en fait d'yaue par dehors

En la getant desus le corps,

De tout péchié soit véniel,

268    Ou mortel, ou originel,

Dieu par dedens l'âme netoye

Et grâce ly donne et octroie,

En tant que se l'omme mouroit

272    En tel estat s'âme en iroit

Sans paine et sans faire séjour,

Plus clère et plus belle que jour,

En la joye de Paradis.

S. CLÉMENT ET LES AUTRES.

276    Ne soyez, sire, plus tardis ;

En Dieu croions, baptisiez-nous.

S. PIERRE.

Or alez trestous à genous.

Cy voisent à genous.

Lors les baptise en disant :

En la fourme de sainte Église,

280    Mes bons amis, je vous baptise,

In nomine Patris, et Filii, et Spiritûs sancti.

Amen.

S. PIERRE, à S. Clément.

Clément, nostre chier filz en Dieu,

Vous tendrez après moy mon lieu.

Dès maintenant vous y ordene,

284    Et pour Dieu, chier filz, metez paine,

De faire à Dieu plaisant servise.

Preschiez la loy de sainte Église,

Les non croians convertissiez

288    Et les non sages enseigniez,

Aux saintes gens honneur portez

Et les imparfais supportez;

Soiez de tout bien examplaire.

S. CLÉMENT.

292    Saint Père, je suis prest de faire

La Dieu volenté et la vostre.

S. PI ERRE, en ly metant la main sus la teste.

Et du povoir Dieu et du nostre

Vous donnons papal dignité

296    Et nostre plaine auctorité.

Le Saint Espérit sy vous parface

En tout bien et en toute. grâce.

In nomine Patris, et Filii et Spiritûs sancti. Amen.

Lors se siéent à terre S. Pierre et S. Pol. Titus et Lucas et S. Clément et les bourgois voisent en leur logeis,

L'EMPERIÉRE NÉRON.

Princes, barons, ducs, chevaliers,

300    Il est venu .II. gondaliers

En la noble cité de Romme

Qui ne prisent pas une pomme

Nos sacrefices ne nos dieux,

304    Et sy ont fait voler les yeux

A nostre amy, maistre Symon.

Par eulz est à confusion

Et la divipe poesté

308    Et nostre royal majesté;

Ilz devisent pères et mères,

Filz et filles et suers et frères,

Seigneurs, varlés, pucelles, dames ;

312    Et les mariz d'avec leurs fames.

Il font entre eulz Dieu d'un brifault :

Nostre auctorité point n'y fault,

Ce vont-il preschant en leur prône.

316    Foy que nous devons nostre thrône,

Il nous en desplaist grandement.

PAULIN, Sénateur.

Sire emperière, isnelement

Leur rendez selon leur mérites.

DOMICIEN.

320    Telz bougres, sire, et telz hérites,

Par mon conseil vous destruirez.

NÉRON.

Prévost Agrippe, que direz?

Seroit-ce bien? que vous en semble ?

AGRIPPE.

324    Selon coustume et droit ensemble,

Sire, gens de cuer desloyal

Qui à la majesté royal

Et à la foy désobéissent,

328    Qui le prouffit commun honnissent,

Perdre doivent et corps et biens.

NÉRON.

Alez , tuez, jetez auls chiens,

Délivrez-nous de tel merdaille.

PAULIN ET AGRIPPE.

332    Nous le ferons, sire, sans faille.

TITUS.

Chier seigneur et maistre S. Père,

Sachiez que Néron l'emperiére

A prins consel de vous tuer :

336    Sire, vueilliez vous remuer

Et vous trestourner de sa voie.

Nous arions soulas et joye

Perduz, se perdus estiez.

S. LUC.

340    Las ! sire, se vouz mouriez

Que pourroit faire sainte Église ?

S. PIERRE.

Frères, ce n'est pas nostre guise

De fuir pour mort ne pour paine ;

344    Car la turbacion mondaine

Donne le repos pardurable.

Sy seroit chose profitable

A vous et à moy que mourusse,

348    Et qu'avecques Jhésucrist fusse

Qui sans moy bien vous garderoit

Et plus grant povoir me donrroit

En l'autre monde qu'en cestuy.

S. CLÉMENT.

352    Nous savons bien n'i a celuy

Sire, que paradis arez ;

Mais nous serons tous esgarez

Se sy tost ainssy nous lessiez.

356    Sire, pour Dieu, obéissiez

Un pou à nostre infirmité.

Cest fuite est de charité,

Non pas de doubte de la mort.

S. PIERRE.

360    Je voy bien ce seroit trop fort

Que de légier fust dépecie

Corde de trois cordons bastie :

Je suis seul et vous estes trois.

364    Puisqu'il vous plaist donc je m'en vois.

Lors s'en voise et Jhésus ly veigne à l'encontre.

Pierres, bien soies-tu venu !

S. PIERRE.

Sire Jhésus , et où vas-tu?

JHÉSUS.

Pierres, Pierres, à Romme vois

368    Pour mourir de rechief en crois.

Lors s'en retourne Jhésus sans plus dire.

S. PIERRE à genoulz.

Je m'en revois ; pardon, chier sire,

J'aperçois bien que voulez dire.

Lors s'en revoist à ses conpaignons et die :

Chiers frères, quant je m'en aloie

372    Jhésucrist trouvé en ma voye

A qui demandé où aloit ;

Il me dit qu'à Romme venoit

Pour estre encore en crois pendu.

376    A ces mos ay bien entendu

Qu'il vouloit que je retournasse

Et que ma vie en crois finasse :

Sy ne l'osay oncques desdire.

TITUS, LUCAS, CLÉMENS.

380    Sa volonté soit faicte, sire !

Lors se siéent à terre.

AGRIPPE.

Masquebignet , Hapelopin

Humebrouet, Menjumatin,

Maubué, Gastenin, Rifllars,

384    Alez nous querre ces viellars,

Qu'on appelle Pierres et Pol.

MASQUEBIGNET.

Sire, on me pende parmy le col

A corde de chanvre ou de lin,

388    Se tout aussi comme .i. belin

Ne les vous amaine en présence !

PAULIN.

S'il se metent a la deffence,

Faites que la force soit vostre.

LES SERGENS.

392    Penssez des corps, la robe est nostre.

Lors les voisent querre, et en les regardant de loing le premier aie

MASQUEBIGNET.

Esgar! Mahon les puist confondre !

Or resgardez, ilz veulent pondre :

Véez comme ilz sont à croupetons.

HAPELOPIN.

396    Ce sont, ce croy, sages Bretons

Qui font illec leur caquehan.

HUMEBROUET.

Foy que doy mon Dieu Tervagan,

Je croy qu'ils euvrent de maiz art.

MENJUMATIN, à S. Pierre.

400    Or suz, or sus, sanglant vieillart

Qui tenez illec vostre escole !

Mez regardez quel apostole!

Il est tondu comme .i. fol.

MAUBUÉ.

404    Levez sus aussi, maistre Pol,

Qui estes sy enlengagié,

Vous estes fol ou enragié

Foy que je doy Mars, et Vénus.

S. POL.

408    Seigneurs, vous soyez bien venus :

Jhésucrist vous gart de mal faire

GASTENIN.

Le dyable ait part en cest affaire :

Cetuy-cy veult jà sermonner.

S. PIERRE.

412    Seigneurs, Jhésucrist pardonner

Vous vueille trestous voz meffais!

RIFFLARS.

Hen! Pierre, je soye deffais,

Se vous n'avez .i. tien sans mouffle.

En le frapant.

416    Mais regardez de cest escouflle .

Comme il nous veult préndre à ses griz.

MASQUEBIGNET, en le férant.

Il convient qu'il soit amesgriz :

Il a trop grace la ventraille.

LES AUTRES, en férant.

420    Passez avant, passez, merdaille.

Lors les mainnent à Néron.

MASQUEBIGNET.

Vive l'emperière Nérons,

Les sénateurs et les barons !

Vécy les .ii. grans ruffiens,

424    Capitaines des chrestiens.

Faites leur véoir dedans la pance

Quel foy, quel loy, quelle créance

Ilz maintiennent, et quel estat !

NÉRON.

428    Tu es Pierre ly apostat

Qui fortrais ceulz que nous amon,

Qui nostre amy, maistre Symon,

As fait mourir de maise mort,

432    Et qui nous fais d'un home mort,

D'un pendu en crois .i. Dieu sains.

Sans l'auctorité des Rommains

Tu sépares les mariages,

436    Tu fais merveilles, tu fais rages,

Tu es tout plain de maléfices.

Sy fault faire de toy justice ;

Raison, les drois, les loys le veulent.

S. PIERRE.

440    Raison, ne drois ne loys ne veulent

Que ceulz qui tenir vérité seulent,

En cuer, en bouche, en meurs, en vie,

Aient ne mal ne vilénie ;

444    Mais ceulz qui aiment fausseté

Doivent avoir meschanceté,

Comme symon, vostre enchanteur,

Faulz, renoié et fol vanteur,

448    Qui Dieu tout puissans se fesoit,

Qui ès cieulx voloit, ce disoit,

Mais non fesoit ; pour voir estoient

Dyables d'enfer qui le portoient

452    Qui malgré eulz cheoir le lessèrent

Tout vif, et les os ly froissèrent

Quant il pleust à Dieu qui tout puet,

Qui tout gouverne, qui tout muet,

456    Qui n'eut oncques commencement

Ne jà n'ara définement.

Bien est voir qu'en temps et en lieu

Par sa grant doulceur, le vray Dieu

460    Pour sauver home devint homme,

Et en la crois laide et honteuse

Souffrit mort dure et engoisseuse

Toute vois bonne et profitable.

NÉRON.

464    Tès-toy, vilain, ce n'est que fable.

Et toy, Pol, que vas-tu lisant?

S. POL.

Sire, je vois tout ce disant

Que saint Père a cy récité,

468    Et sy dy que l'auctorité

Des Rommains n'est point nécessaire

Pour auctoriser ne pour faire

Appreuvement que Jhésucrist

472    Soit Dieu, car il est et tout fist ;

Vueilliez ou non, et nous et vous

Le devons servir à genous,

Sur tout amer et obéir,

476    Et pour ly en fuiant héir

Parens et amis quelz qu'ilz soient

Qui de ly servir nous retraient.

Il nous a et fait et refait

480    Et pour nostre fait fut deffait;

Il mourut home et remaint Diex.

Or règne et home et Dieu ès cielx

Qui tous nous resuscitera

484    Et tout au siens se donnera

En joyeuse fructition,

Quant metra à destruction

Tout le monde par feu ardant.

NÉRON.

488    Pol, bien nous vas enquocardant.

Ton Dieu fera-il les mors revivre?

Pol, tu es fol ou tu es yvre.

Par nos Diex , Pol, tu y mourras.

492    Sy verrons lors se tu pourras

Revivre et ester sus tes piez.

S. POL.

Tu nous verras joyeulz et liez

Après la mort, tirant Néron,

496    Tous .II. en vie, et parleron

Tout platement à ton visage.

NÉRON.

Ostez-moy ce fol ; il enrage.

Gardez sus l'ueil que plus ne vive :

500    Par sentence diffinitive

Ardez-moi tous ces christicoles,

Fors ces .II. grans maistres d'escole

Les quelz faites prendre et lier ;

504    Et sy faictes crucifier

Ce pescheur qui est .I. vilain.

A Pol, qui est noble Rommain

Me faictes la teste couper.

AGRIPPE.

508    Par ma teste, ains qu'il soit souper

Sera fait, Sire, ce que dites.

Avant prenez ces .II. hermites;

Roulliez, ferez, frapez, liez,

512    Ce bertondu crucifiez ,

Et à ce Pol coupez le col.

En férant.

MASQUEBIGNET, HAPELOPIN.

Passez çà ; passez, maistre Pol,

Venez lire de nigromence.

HUMEBROUET, en férant.

516    Avance.toy, pescheur, avance.

Va pescher enmy celle vigne.

MENJUMATIN, en ly monstrant une corde.

Delivre-toy, vecy ta ligne.

S. POL, à S. Pierre, au départir.

Adieu, saint Père, doulz pasteur,

520    Des ouailles nostre Seigneur,

De sainte Église fondement !

S. PIERRE, à S. Pol.

Adieu, frère Pol, vray docteur,

Noble et certain prédicateur

524    De la voye de sauvement !

S. POL, passant par devant Pautille, die.

Suer, preste-moy ton cuevrechief,

Pour bander les yeux de mon chief.

Jà assez tost le te rendray.

PAUTILLE, en ly baillant.

528    Sire Pol, je le vous baudray,

Et fu meillieur à bonne chière.

MASQUEBIGNET.

Sanglante passion te fière,

Meschante fame! Que fez-tu ?

532    Il n'a pas vaillant i. festu ;

De quoy te rendra-il ton drapel?

HAPELOPIN.

Elle a perdu, c'est sans rapel,

Nous devons avoir la drapaille (i ) .

HUMEBROUET , MENJUMATIN.

536    Il est nostre, vaille que vaille.

MAUBUÉ.

Pol, or me dictes pié estant

Pour quoy voetre Dieu amez tant

Que vous souffrez pour ly martire ?

S. POL.

540    Frère, il n'est main qui peust escripre,

Cuer d'omme ne pourroit pensser,

Oreille oir, langue parler,

Les grans aises où ceulz seront

544    Qui Dieu de bon cuer ameront

Sur toutes choses sans faintise.

GASTENIN.

Par quel point, sire, et en quel guise

Y pourrions-nous advenir ?

S. POL.

548    Frère, il vous fault sa loy tenir

Se vous voulez telz biens avoir.

RIFFLARS.

Et qui la nous fera savoir ?

S. POL.

Demain à mon tombel venrez :

552    .II. sains homes y trouverez

Qui la loy vous enseigneront

Et baptesme vous donneront.

Sy serez de vos péchiez quites.

MASQUEBIGNET.

556    Pol, tu les sers de merdes frites.

Je puisse estre ars en une forge

Se je ne te coupe la gorge

Et puis le te fais amender.

S. POL.

560    Or me lesse les yeulz bender

Et ourer ains que me décoles.

MASQUEBIGNET.

Délivres-toy, Pol, tu m'afoles.

Lors S. Pol bende ses yeulz et die à genous :

Agyos, o theos, agyos ykirros agyos Athanatos Jhesu Eleyson ymas.

HAPELOPIN.

564    Or , regarde de ce primas

Comment il deschante et gringote.

MASQUEBIGNET.

Il lit bien et chante sans note;

Sy le vueil faire cardinal.

Cy ly coupe le col.

HAPELOPIN.

568    Alons-ly querre .I. orinal ;

Il pisse trop malement rouge.

MASQUEBIGNET.

Lessons-le, puiz qu'il ne se bouge.

Lors voisent crucifier S. Pierre.

AGRIPPE.

Pierres, qui vous tenez sy coy,

572    Or me dites par vostre foy,

Voulez-vous estre ainssy lié

Et ainssy droit crucifié

Comme vostre Dieu fut pendu ?

S. PIERRE.

576    Prévost, d'estre ainssy droit tendu

Comme il fut ne suis-je pas digne.

Jhésucrist mourut droit, en signe

Qu'il descendit du ciel à terre

580    Pour nous sauver et pour nous querre;

Mez moy qui doy aler au ciel

Et m'ame rendre à Saint Michiel,

Doy mourir en crois bestournée,

584    La face vers le ciel tournée,

En hault les piez, en bas les mains.

AGRIPPE.

Pierre, vous n'en arez pas mains.

Sus, pendez se frère prescheur.

HUMEBROUET.

588    Or ça, ça, dan povre pescheur,

Despoulle-toy en ta chemise;

Sy pescheras à la menuise :

Il y fait bon, il a guilet.

MENJUMATIN.

592    Fay tost, j'apreste ton filet.

Cy se despoulle S. Pierre et à genous die :

Jhésucrist, vray Dieu, vray seigneur,

Qui pour nous, à grant déshonneur,

Fustes en crois crucefié,

596    Vostre nom soit glorefié.

De cuer, de bouche et de puissance

Confesse et tien vostre créance.

A vous m'en vois sans plus tarder.

600    Sire, vueilliez m'âme garder

Et tout l'estat de sainte Église

Que m'aviez pieça commise !

Seigneurs, faites quenque vourrez.

HUMEBRQUET, MENJUMATIN.

604    Frère Pierre, vous y mourrez.

Cy le crucefient à rebours.

MARCEL, bourgoys.

Pourquoy fait-en mourir saint Père

De mort sy dure et sy amère

Contre justice et équité?

608    En quoy a-il grevé la cité ?

C'est grant meschief, c'est grand foleur

Qu'on fait mourir à tel douleur

Home de sy très-sainte vie !

LE SECOND BOURGOYS.

612    Il ne puet voir qu'il ne meschie

De metre à mort sy trés-pénible,

Sy très-doulz home et sy paisible,

Sy bon, sy saint, sy profitable,

616    Sans nulle cause raisonnable,

Contre justice et contre droit.

LE TIERS.

Se vous me croiez, orendroit

Tout droit à l'emperière yron ;

620    Luy et son palais destruiron

S'il ne rapelle sa sentence.

S. PIERRE.

Chiers frères, faictes-moy silence.

S'à moy avez nulle amitié

624    Je vous supply que par pitié

Vous ne donnez occasion

De retarder ma passion.

Ma passion sy est victoire :

628    C'est .i. pont pour saillir en gloire.

Jhésucrist m'atent, roy des roys,

A Dieu soiez, à ly m'en vois.

In manus tuas commendo spiritum meum et me, Domine Deus veritatis.

MARCEL, bourgoys.

632    Alas, dolens, alas, chétis!

Halas , saint Père ! or estes mort

A très-grant tort et d'aspre mort.

Tout maintenant vous despendray;

636    Jà autre congié n'y.prendray :

Sy vous mectrons en sépulture.

LE SECOND BOURGOYS.

Halas! sy à dure aventure!

Halas, chétis! et que feron

640    Quant ce malvaiz tirant Néron

A fait mourir le meilleur homme

Qui fust en l'empire de Rolnme ?

Or est orphelin tout le monde.

LE TIERS BOURGOYS.

644    Hen, hen, Néron ! Dieu te confonde.

Le monde chiémment compére

La mort qu'as fait trère à saint Père ;

Mais maugré tien est précieuse.

648    Son âme est ès cieuls glorieuse ;

Sy mettron son corps en sépulcre

Qui souef flaire et n'est pas mucre.

Lors se metent avecques S. Pol soubs .i. couverteur.

GASTENIN.

Sces-tu qu'il sera, Maubué?

652    Saches mon courage est mué.

Je cuide que nostre créance

N'est que fantasme et décevance,

Et pour ce je la vueil lessier.

MAUBUÉ.

656    Vous dites bien, amy très-chier.

Le Dieu aint Pol sy est vray Dieu,

N'autre n'est. Sy alons au lieu

Qu'il nous dist hier, ce bon vous semble.

RIFFLARS.

660    Alons-y nous .III. tous ensemble.

Le Dieu saint-Pol sy est le mien.

GASTENIN ET MAUBUÉ

Loé soit Dieu, vous dictes bien.

Cy voisent au tumbel S. Pol, et là soient Titus, Lucas, en oroison

TITUS.

Lucas, je voy sergens. venir.

LUCAS.

664    C'est pour nous prendre, et détenir ;

Fuions-nous-en ysnelle pas.

RIFFLARS.

Seigneurs, pour Dieu ne fuiez pas

La vostre créance est la nostre :

668    Nous venons cy de par l'apostre

Qui nous dist hier se huy venions

Ycy que nous trouverions

Qui la foy nous enseigneroit

672    Et baptesme nous donneroit.

Sy vous plaise a nous baptisier.

LUCAS.

Celui qui tant nous voult prisier

Que pour nous tant se desprisa

676    Que mort soustint, par quoy prisa

Home qui estoit desprisé,

Soit loé, chéry et prisé !

Nos amis tenez.fermement,

680    Qu'il n'est qu'un seul Dieu seulement

Qui terre et ciel crea et fist;

Mais pour ce que home se deffist

Par péchié d'inobedience,

684    Jhésucrist par obedience

A Dieu le père l'acorda

Dont par pechié se descorda.

En ce croiant vous voulez estre

688    Ou nom de Dieu, par main de prestre

Ès fons de baptesme ondoiez.

LES .III. SERGENS.

Voire, sire.

LUCAS.

Et vous le soiez.

In nomine Patris., et Filii, et Spiritus sancti,

En les arousant.

Ces .III. sergens voisent avecques Marcel et les bourgoys ; Titus et Lucas avec S. Clément.

MARCEL, bourgois.

Seigneurs bourgoys, trop enduron.

692    De cest emperière Néron.

Oncques plus maise créature

Ne fut formée de nature ;

Car son maistre et sa propre mère

696    A fait mourir de mort amère.

Le peuple occist, Romme a gastée,

Par ly est Romme diffamée :

Il confont droit et équité,

700    En ly est toute iniquité.

Vueillons-y bientost secourir,

Ou il nous fera tous mourir

Et honnira toute l'empire.

LE SECOND BOURGOYS.

704    C'est bon conseil et bien dit, sire ;

Car certes soubz le firmament

N'a plus mais homs se Diex m'ament.

Rendons-ly selonc sa desserte ;

708    Car telz homs perdre n'est pas perte

Qui n'est bon ne jeune ne viex.

LE TIERS BOURGOYS.

C'est sy bien dit qu'on ne puet miex ;

Mais périllieuse est la demeure.

712    Sy nous alons armer en l'eure

Avant qu'il assemble point d'ost.

GASTENIN, MAUBUÉ, RIFFLARS.

Vous dictes bien, alons-y tost.

Cy voisent hors du champ sans plus faire, puis reveignent quant Néron sera tué avecques S. Clément.

JHÉSUS.

Tu Gabriel, et toy Michiel,

716    Levez sus, descendez du ciel.

Alez-moy bonne aleure querre

Mes . ii. apostres Pol et Pierre

Et leur portez ces .ii. chapiauls

720    Et ces vestemens bons et biauls ;

Puis sy les monstrez à Néron.

LES ANGES.

Lors preignent .ii. dalmatiques rouges et .ii chapiaux de fleurs, et voisent chantant : Exultet celum laudibus, puis dient aus apostres :

Amis de Dieu, tenez à joye

Que nostre sire vous envoye.

Lors se lièvent les apostres sans parler et vestent les dalmatiques, et metent les chapiaus sur leurs testes et voisent à Néron et les anges avecques eulz, et S. Pol, en passant, baille à Pautille sou cuevre- chief sans riens dire.

PAUTILLE.

724    Diex ! j'ai veu monseigneur saint Pol

Que les tirans tindrent pour fol.

Lasse, lasse ! il ne l'estoit mie ;

Bien a sa promesse acomplie.

728    Il m'a geté desus le chief,

Sain et entier, mon cuevrechief.

Fol n'estoit pas, mais fol estoit

Qui son Dieu et ly despitoit.

732    En sa foy vueil mourir et vivre ;

Dieu me vueille escripre en son livre !

S. PIERRE ET S. POL.

Néron, nous vivons à honneur,

Mais tu mourras à déshonneur.

Lors s'en voisent avec les anges en paradis.

NÉRON.

736    Ha Mahommet ! dor-je ou je vueille ?

Pierre et Pol , dont j'ay grant merveille,

Son venus à moy par grant yre.

MASQUEBIGNET.

Entendez çà, entendez, sire!

740    Sachiez de voir que les Rommains

Grans et petis, clers et vilains,

Viennent pour vous à mort ruer.

NÉRON.

Ains qu'ilz viegnent me vueil tuer

744    A ce pel que je rongeray

Qu'en la pance me bouteray.

Lors ronge .i. baston et le boute en sa pance et chiée mort.

LES DYABLES.

Ha ! ha ! ha ! ha ! Néron, Néron,

Ou puis d'enfer te porteron.

Lors l'emportent et puis le jetent en une chaudière assise un pou haut enmy le champ.

LE PREMIER DYABLE.

748    Néron, Néron, mal esploitas

Quant oultredroit or convoitas,

Quant ta propre mère tuas,

Quant d'une royne t'empregnas,

752    Quant home pour fame espousas,

Quant Romme ardis, la gent grevas,

Quant les apostres martiras,

Quant en tout mal te démenas,

756    Quant en rez d'or en mer peschas,

Et or vousis et or buras.

En or bouffant boulu seras

Et sans durer y dureras.

760    Tourmente-le moy, Mauferas,

Et fay du pis que tu pourras.

LE SECOND DYABLE.

Néron, sans mourir tu mourras.

A ce cop, qu'est enfer sauras

764    Ne jamez remède n'auras.

Lors souffle ly uns soubz la chaudière et face .i. pou de fumée, et l'autre face semblant de ly faire boire or guele baée, et bientôt cessent.

LE PREMIER DIABLE.

Es-tu bien aise, dy, Néron ?

LE SECOND DYABLE.

Néron, encor pis te feron.

A Lucifer te porteron

768    Qui te estraindra le gavion

Sans fin et sans rédempcion.

Cy le portent hors du champ.

AGRIPPE.

Néron est mort ; par son défault

.i. autre emperière nous fault.

772    Regardez qui bon y sera.

PAULIN.

Je cuide que très-bien fera,

Cest négoce Domicien

Qui est sage et loyal paien,

776    Noble homme et de belle manière.

FESCENNIN.

Il est digne d'estre emperière

Et croy que chascun s'y acorde.

MABQUEBIGNET, MENJUMATIN, HUMEBROUET, HAPELOPIN.

Sire, nully ne s'en descorde.

AGRIPPE.

780    Domicien, levez la main.

Vous jurez l'empire Rommain

Garder, deffendre et soustenir,

Les loys et libertez tenir

784    Que les sages seigneurs ont mises.

DOMICIEN, en levant la main.

G'y mectray paine en toutes guises.

PAULIN, en ly baillant.

Tenez la couronne royal

Comme seigneur bon et loyal,

788    Tenez le mantel et l'espée.

En vostre empire longue et lée

Justice faictes à tout homme.

LES ROMMAINS PAIENS.

Vive l'emperiére de Romme.

S. LUC, à S. Clément.

792    Sire, vous savez que S. Pierre,

Quant il vivoit encore en terre

Vous ordena son sucesseur.

L'église ne puet sans pasteur,

796    Le pueple à vous du tout s'atent.

De par le roy omnipotent

Tenez, fans plus grant procès faire,

Sus vostre teste ce thiaire.

En ly baillant la cocuche.

800    Recevez papal dignité

Et général auctorité

Sur tout l'estat de sainte Église.

Qui de par Dieu vous est commise,

804    Afin que vous édifiez,

Plantez, esrachiez, destruiez,

Plantez vertus, esrachiez vices,

Destruiez erreurs et malices,

808    Edéfiez sus la foy temples

De sainteté par bons examples

Et par saine et vraye doctrine !

S. CLÉMENT.

Sire, la voulenté divine

812    Soit faicte par tout plainement !

TITUS, MARCEL ET'LES CRESTIENS.

Vive, vive pape Clément!

LA FIN DU GEU S. PÈRE ET S. POL.

Qui le geu S. Denis voura continuer avecques cestuy, sy die après ceste clause comment S. Rieule parle à S. Denis, et tout ce qui vient aprés; et qui le geu S. Père et S. Pol voura cy finer, sy die ainssy :

S. CLÉMENT.

Mes chiers amis en Dieu et frères,

Vous savez comment nos sains pères

816    Mes seigneurs S. Pol et S. Pierre,

Vindrent cy nostre salut querre,

Et comment furent desprisiez,

Tourmentez et martirisiez,

820    Pour la loy du doulz Jhésucrist,

Et pour l'Église qu'il aquist

Par son sanc digne et précieulx.

Or, sont ès hauls cielx glorieulx

824    En léesce perpétuelle,

En feste noble et solennelle.

Sy ordenons en cest concile

Qu'en face d'eulz feste à vigile

828    Qui soit dévotement jeunée,

Et la feste soit bien gardée,

Entre personnes crestiennes

D'euvres serves et terriennes,

832    Espéciaument de péchié ;

Et s'aucun en est entechié

Sy s'en purge légièrement

Pour la garder plus saintement.

836    En cessant d'euvres corporeles,

Facent les espiritueles.

Viegnent deuement à l'église

Pour oïr le divin servise,

840    Les sermons , les commandemens,

Pour recevoir les sacremens

En pais, en amour, en concorde;

Des euvres de miséricorde

844    Facent pour Dieu cen qu'il pourront,

Afin que quant en corps mourront

Il soient mis en grant honneur

A la destre nostre Seigneur.

848    Qui nos dis despiter vourra

Sache de voir qu'il encourra

Apostolique maléiçon ;

Mez tous ceulz aront bénéiçon

852    Qui nos statuts honnoreront

Et à leur povoir les feront.

La quel chose, par charité

Vous doint la sainte Trinité

856    Pour l'amour des bénois Apostres.

Vous, lais, dictes vos patrenostres,

Et vous, clers, qui estre devez

Example de bien, sus, levez ;

860    En publiant nos estatus

Chantez Te Deum laudamus.

(1) Ceci est une allusion à certains privilèges dont jouissaient au quinzième siècle les exécuteurs des hautes-œuvres. Ainsi, non-seulement le dernier vêtement du condamné appartenait au bourreau de Paris, mais il avait encore plusieurs droits sur les denrées étalées aux halles et aux marchés. De même, la tête de tous les pourceaux qu'il trouvait vaguants dans les rues et qu'il conduisait à l'Hôtel-Dieu, lui appartenait ; cet établissement s'emparait du reste du corps.