CONGREGATIO PRO CLERICIS

 

 

 

Universalis Presbyterorum Conventus

 

“Prêtres, forgeurs de Saints

pour le nouveau millénaire”

sur les traces de l'apôtre Paul

 

 

 

 

 

 

La Sainteté Paulinienne vers l’évangélisation

 

Cardinal Camillo Ruini

 

Méditation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malta

20 octobre 2004


 

 

À la suite du Concile Vatican II, et notamment dans l’Exhortation apostolique de Paul VI Evangelii nuntiandi (de 1975) et tout au long du pontificat de Jean-Paul II, les deux grands appels à la sainteté et à l’évangélisation ont été constamment présentés à l’attention de tout le corps de l’Église, et en particulier à la nôtre, nous les prêtres, en mettant l’accent sur le lien étroit qui les unit. Le thème général de cette Rencontre internationale des prêtres, « Le prêtre, forgeur de saints pour le troisième millénaire » est donc particulièrement approprié, et à cette occasion il est juste que le témoignage et à la théologie de l’Apôtre Paul fassent l’objet d’une attention particulière.

Dans ma méditation, intitulée « La sainteté paulinienne vers l’évangélisation », je voudrais mettre en lumière avant tout ce qui constitue l’essence et le sens profond de l’appel de Paul, et donc de l’ensemble de sa vie et de sa mission apostolique. Avant le jour dramatique où le Christ se manifesta à lui sur le chemin de Damas, Paul était bien loin d’être un homme sans certitudes ou ayant une mauvaise conduite morale : bien au contraire, dans sa Lettre aux Philippiens (3,4-6) comme dans celle aux Galates (1,14), il décrit le Saül d’alors comme étant « irréprochable pour la justice que donne la Loi ». Mais il ajoute aussitôt : « Tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés comme une perte à cause du Christ. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui j’ai tout perdu. Je considère tout comme des balayures en vue d’un seul avantage, le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. Cette justice ne vient pas de moi-même, c’est-à-dire de mon obéissance à la loi de Moïse, mais de la foi au Christ : c’est la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi ». Voilà ce que Paul écrit en Philippiens 3,7-9, et on aimerait pouvoir poursuivre la lecture de ce texte si fort et si éclairant, qui exprime le sens authentique et totalement christocentrique de la sainteté telle que Paul l’a conçue et vécue.

Mais concrètement, qu’était pour Paul cette « connaissance » du Christ ? Qu’est-ce qui l’a séduit et conquis ? Ce n’était pas seulement la connaissance de la vérité du Christ, de sa résurrection, de sa gloire divine. C’était aussi et surtout la connaissance, la découverte d’un amour incommensurable. Paul connaissait l’amour que le Dieu de ses ancêtres avait témoigné au peuple d’Israël, il connaissait les paroles par lesquelles le Deutéronome, Isaïe, Osée, Jérémie, Ézéchiel avaient chanté et manifesté cet amour. Mais en Jésus Christ, mort et ressuscité pour nous, Paul avait découvert un amour qui dépassait radicalement tout ce qu’il aurait jamais pu imaginer. Il se sentit « saisi » par le Christ (Ph 3,12) ou, comme il l’explique plus longuement dans sa Lettre aux Romains (5,5-11), « L’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile. Peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs ». C’est pourquoi il s’exclame, bouleversé et atterré : « Le fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,21).

Si cet amour devient l’unique raison d’être de la vie de Paul, c’est parce que, sous la mouvance de l’Esprit Saint, il parvient à en appréhender la radicalité et l’universalité : « L’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous » (2 Co 5,14). C’est de là que naît son besoin irrésistible d’évangéliser. La sainteté paulinienne, ou mieux encore, authentiquement chrétienne, est donc liée de près à la mission et à l’évangélisation. Car comment les hommes pourraient-ils connaître l’amour du Christ s’ils n’en entendent pas parler, s’il ne leur est pas annoncé et témoigné ? Paul le dit expressément : « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. Or comment invoquer le Seigneur sans avoir d’abord cru en lui ? Comment croire en lui sans avoir entendu sa parole ? Comment entendre sa parole si personne ne l’a proclamée ? Comment proclamer sans être envoyé ? C’est ce que dit l’Écriture : ‘Comme il est beau de voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle !’ » (Rm 10,13-15).

En fait, la rencontre avec le Christ a changé entièrement la vie de Paul, en la reconstruisant de façon radicalement nouvelle autour du Christ comme principe et critère uniques et absolus, de sorte que Paul lui-même devient, en Christ, « une créature nouvelle » (2 Co 5,17). Dès le début, cette vie nouvelle s’exprime à travers la mission. « Dieu m’avait pris à part dès le sein de ma mère, dans sa grâce il m’avait appelé et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son Fils pour que moi, je l’annonce parmi les nations païennes. Aussitôt, sans prendre l’avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie ; de là, je suis revenu à Damas » (Ga 1,15-17). Dès lors, et pour toujours, Paul se sentira redevable à l’égard de tous de ce don immense, Jésus Christ, l’amour de Dieu en Jésus Christ, qu’il a lui-même reçu gratuitement : « J’ai des devoirs envers tous, civilisés et non civilisés, savants et ignorants ; de là mon envie de vous annoncer l’Évangile à vous aussi qui êtes à Rome » (Rm 1,14-15). Bien plus, ce « devoir » de l’Évangile est pour Paul à la fois un mandat reçu du Seigneur et un besoin pressant, une nécessité existentielle qui ne saurait se satisfaire seulement d’une annonce de la parole du salut, mais demande aussi le don et la consécration de toute sa vie : « Si j’annonce l’Évangile, je n’ai pas à en tirer d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi ; malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le faisais de moi-même, je recevrais une récompense du Seigneur. Mais je ne le fais pas de moi-même, je m’acquitte de la charge que Dieu m’a confiée. Alors, pourquoi recevrais-je une récompense ? Parce que j’annonce l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel ni faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Et avec les Juifs j’ai été comme un Juif, pour gagner les Juifs. Avec les faibles, j’ai été faible pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour bénéficier, moi aussi, du salut » (1 Co 9,16-23).

Les difficultés que Paul rencontre dans son apostolat deviennent ainsi à ses yeux bien plus que des obstacles extérieurs à affronter et à surmonter pour atteindre son but ; elles sont le chemin à travers lequel s’accomplit la communication du salut. Car si l’amour de Dieu s’est manifesté dans l’offrande que le Christ a faite de lui-même, on ne peut pas montrer cet amour autrement à tous les hommes. C’est pourquoi, dès la 1ère Lettre aux Thessaloniciens, celle que Paul a écrite en premier, il déclare : « Nous voudrions vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes » (1 Th 2,8).

À quel point la croix est présente sérieusement et concrètement dans la vie et dans la mission de Paul, ses lettres nous le disent en termes souvent dramatiques. Inoubliable, en particulier, est le témoignage qu’il rend en 2 Corinthiens 11, 23-29 : « Très souvent en danger de mort. Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois j’ai subi la bastonnade ; une fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage et je suis resté vingt-quatre heures perdu en mer. Souvent à pied sur les routes, avec les dangers des fleuves, les dangers des bandits, les dangers venant des Juifs, les dangers des païens, les dangers de la ville, les dangers du désert, les dangers de la mer, les dangers des faux frères. J’ai connu la fatigue et la peine, souvent les nuits sans sommeil, la faim et la soif, les journées sans manger, le froid et le manque de vêtements, sans compter tout le reste : ma préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Églises. Si quelqu’un faiblit, je partage sa faiblesse. Si quelqu’un vient à tomber, cela me brûle ? ».

En replaçant l’énorme activité de missionnaire itinérant de Paul dans le contexte concret des conditions de vie du monde antique, et en connaissant les résistances et l’hostilité qu’il a rencontrées, nous n’avons aucun mal à réaliser que loin d’être exagérée, sa description est crûment réaliste. Comme sont réalistes, empreints du réalisme de la foi, les mots par lesquels Paul, en 2 Corinthiens 4,8-12, met en lumière le fait que c’est justement de la faiblesse et de la croix que la puissance de Dieu fait surgir le salut et la vie : « À tout moment nous subissons l’épreuve, mais nous ne sommes pas écrasés ; nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. Partout et toujours, nous subissons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. En effet, nous les vivants, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre existence mortelle ».

Également marquées l’une et l’autre par l’expérience de la croix, la sanctification personnelle et la consécration missionnaire sont donc, chez Paul, pleines de confiance et d’espoir, soutenues par la certitude de l’espérance, de même que la croix du Christ ouvre la voie à la plénitude de vie de la résurrection. C’est ce que nous dit avec une grande force la magnifique conclusion du chapitre 8 de la Lettre aux Romains : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le supplice ? En tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort, ni la vie, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ, notre Seigneur » (Rm 8,35-39).

En ce qui concerne le sens et la valeur de cette espérance et de cette confiance, Paul est très précis : elles ne sauraient en aucune façon être réduites à une perspective purement terrestre, car elles perdraient alors toute leur substance et leur consistance : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre message est sans objet, votre foi ne mène à rien, vous n’êtes pas libéré de vos péchés. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes” (1 Co 15,14-19).

Paul, on l’a vu, a été séduit par l’amour de Dieu qui s’était manifesté en Jésus Christ : sa sainteté et son élan missionnaire naissent du fait d’avoir cru et d’avoir cherché à répondre à cet amour. C’est pourquoi Paul est très attentif aux exigences concrètes de cet amour, qu’il présente par exemple dans le célèbre hymne à l’agapè de 1 Co 13,4-7 : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout ».

On perçoit derrière ces mots l’expérience personnelle de l’Apôtre, fort, courageux et, oserais-je dire, combattant « irréductible » pour la cause de Jésus Christ, tout en étant aussi extraordinairement affectueux et tendre (1 Th 2,7 : « Nous avons été pleins de douceur, comme une mère qui entour de soin ses nourrissons »), capable de témoigner la tendresse la plus délicate même à ceux qu’il est contraint de réprimander : « C’est le cœur plein de détresse et d’angoisse que je vous écris et en versant beaucoup de larmes, non pas pour que vous soyez contrariés, mais pour que vous sachiez quel immense amour j’ai pour vous » (2 Co 2,4). C’est pourquoi Paul peut leur demander : « Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi, c’est le Christ » (1 Co 11,1), avec la même simplicité et humilité avec lesquelles il venait d’écrire : « Est-ce donc Paul (et pas plutôt le Christ) qui a été crucifié pour vous ? » (1 Co 1,13).

C’est parce qu’il croit en l’amour que Dieu nous porte en Jésus Christ et qu’il se sent totalement engagé à vivre, à exprimer et à répandre cet amour que Paul est devenu, dans le cadre de son activité missionnaire, un grand constructeur de communautés et qu’il demeure toujours un gardien très attentif de l’unité et de la paix des communautés qu’il a fondées. Dans la 1ère Lettre aux Corinthiens, Paul décrit la tâche spécifique qu’il revendique pour son apostolat : il est celui qui a « planté » la communauté qu’Apollo a ensuite arrosée et que Dieu a fait croître (cf. 1 Co 3,6). Et surtout, il est le père de la communauté, celui qui l’a engendrée à la vie dans le Christ : « Vous auriez beau avoir dix mille surveillants pour vous mener dans le Christ, vous n’avez pas plusieurs pères : c’est moi qui, par l’annonce de l’Évangile, vous ai fait naître à la vie du Christ Jésus » (1 Co 4,15). C’est pourquoi il s’adresse aux croyants de Corinthe en les appelant « Mes fils bien-aimés » et en les exhortant : « Prenez-moi pour modèle ! » (v. 14 et 16).

Si l’activité missionnaire de Paul consiste en premier lieu à annoncer l’« Évangile du Christ » (1 Th 3,2, etc.) dans le but de convertir chaque personne, elle se donne aussi un objectif plus vaste, celui de former des communautés de croyants région par région, d’une extrémité à l’autre du monde connu à l’époque. C’est pourquoi il considère son rôle comme celui d’un « bon architecte » qui pose d’abord les fondations, tout en ayant en vue l’édifice tout entier (cf. 1 Co 3,10). Mieux encore, il déclare à diverses reprises qu’il ne veut pas seulement fonder des communautés de croyants, mais aussi les nourrir (cf. 1 Th 2,7), pas seulement les engendrer, mais aussi les élever, pas seulement les planter, mais aussi les cultiver : telle est la « préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Églises » dont il parle en 2 Co 11,28. C’est pourquoi Paul continue à visiter régulièrement les Églises qu’il a fondées. Dans sa Lettre aux Romains, il explique que sa lettre et la visite qu’il entend faire à cette communauté ont pour but de la fortifier et de la faire croître dans le Christ, en vertu du mandat apostolique et missionnaire qu’il a reçu (cf. Rm 1,5-15 ; 15,14-24).

Cette intention qu’a Paul de donner une forme concrète à cet amour de Dieu en Jésus Christ, qui a changé sa vie et qui engendre la « créature nouvelle », le rend extrêmement attentif à l’unité et à la communion au sein de chaque communauté et entre toutes les communautés de croyants. Leur unité, qui découle de l’unité du Christ lui-même (cf. 1 Co 1,13 : « Le Christ est-il donc divisé ? »), appartient de façon constitutive à l’Église, « corps du Christ » (cf. 1 Co 12,27 : « Or vous êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps » ; Col 1,18 : « Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église »). Il est donc très clair que chez Paul, la sainteté et la consécration missionnaire ont, de façon très nette, un caractère tout à la fois christologique et ecclésial : après l’expérience de la rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas, Paul a bien souvent mis en jeu toute sa vie pour suivre cette seule direction et ce seul but.

Jusqu’à présent, nous avons entendu surtout, des paroles mêmes de Paul, la façon dont il conçoit et vit l’appel à la sainteté et à la mission. Nous allons maintenant tenter de formuler quelques considérations qui actualisent l’expérience et la pensée de Paul pour nous dans l’Église d’aujourd’hui.

Mais auparavant, il convient de rappeler encore deux points. En premier lieu, Paul s’adresse bien souvent aux membres des communautés chrétiennes en les qualifiant de « saints ». Qu’il ne s’agisse pas d’une simple formule, on le voit au fait que ce terme est associé plusieurs fois à celui de « appelés », comme en Rm 1,7, « Vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint”, et en 1 Co 1,2, « À vous qui êtes à Corinthe, l’Église de Dieu, vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus, vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint avec tous ceux qui, en tous lieux, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ ». Dans les deux cas, juste avant, Paul a appliqué le concept d’appel à lui-même et à sa mission : Rm 1,1 « Moi Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé par Dieu pour être apôtre » ; 1 Co 1,1 « Moi Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus ». Pour Paul, celui qui accueille dans la foi le témoignage apostolique de la résurrection du Christ entame une démarche marquée par la dynamique de l’amour dans laquelle le croyant – à l’image de ce qui est arrivé à Paul sur le chemin de Damas – est engagé dans l’action de Dieu, de Jésus Christ, de l’Esprit Saint (cf. respectivement 1 Th 5,23 ; 1 Co 1,2 ; Rm 15,16) et est de ce fait « sanctifié », rendu saint, libéré de l’esclavage du péché et configuré au Christ, ce qui fait de lui une « créature nouvelle ».

En deuxième lieu, tout en ayant certainement une idée bien précise de la singularité de son appel d’Apôtre des gentils, Paul est un grand catalyseur d’énergies apostoliques et missionnaires chez ceux qui embrassent la foi. Dans ses Lettres et dans les Actes des Apôtres, sont cités une centaine de ces « collaborateurs » à la mission, dont certains sont bien connus de nous tous : Barnabé et Marc, Timothée et Tite, Luc et Sila, Aquila et Priscilla, tous « collaborateurs » de Paul, mais aussi de Dieu en Jésus Christ (cf. Rm 16,9 ; 1 Co 3,9, etc.). Parmi ces collaborateurs se distinguent, notamment dans ses lettres pastorales, ceux qui ont reçu le don de l’Esprit par l’imposition des mains (cf. 1 Tm 4,14 ; 5,22 ; 2 Tm 1,6 ; Tt 1,5-9 ; 2,15).

Chers prêtres, chacun de nous est personnellement l’un de ces collaborateurs de Dieu en Jésus Christ, et nous le sommes tous ensemble, dans l’unité des presbytériums avec leur Évêque et de tous les Évêques entre eux, comme successeurs du Collège apostolique. Afin que notre itinéraire de sanctification et notre engagement pastoral et missionnaire portent les fruits pour lesquels le Seigneur nous a choisis et appelés, il faut que s’accomplisse en nous, sous une forme correspondant à la situation actuelle de l’Église et de la culture et en fonction de l’appel et de la personnalité de chacun, la substance de ce que Dieu a accompli en Paul, en faisant de lui une « créature nouvelle » et l’Apôtre des gentils.

Cela veut dire que nous ne pourrons accomplir efficacement notre mission de prêtre qu’en mettant notre confiance entièrement dans l’amour de Dieu en Jésus Christ. Nous sommes appelés, nous aussi, à vivre cet amour, à travers la foi au Christ ressuscité et la contemplation de son visage qui nous révèle celui du Père. À la différence de celle de Paul, notre foi se fonde sur le témoignage apostolique, et non sur l’expérience d’une rencontre directe avec Jésus ressuscité. Elle ne se réduit pourtant pas à l’écoute de ce témoignage et à un choix de notre volonté : car à l’intérieur de nous-mêmes, le Seigneur œuvre par l’intermédiaire de son Esprit, et cette présence et action intérieure de l’Esprit est la base et le début de l’expérience de Dieu, de l’amour de Dieu en Jésus Christ, un amour qui est destinée à grandir, à s’approfondir et à s’affermir dans la mesure où nous lui ferons une place, où nous l’accueillerons dans notre liberté, mieux encore, où nous lui remettrons notre liberté.

Ainsi la prière, liturgique et personnelle, la méditation de la parole de Dieu et le silence intérieur sont l’espace où nous nous laissons « saisir » par Dieu, nous aussi (cf. Ph 3,12) et où nous devenons un instrument de salut dans ses mains. Ainsi jaillit en nous et se nourrit sans cesse ce feu qui brûlait dans l’Apôtre Paul, d’où naissait son zèle missionnaire et sa sollicitude pour toutes les Églises. Ce feu, qui nous fait participer, par le don de l’Esprit Saint, à l’amour salvifique de Dieu en Jésus Christ pour tout le genre humain, constitue la vraie source et le moteur de notre passion et de notre créativité missionnaires. Il en découle en premier lieu une disponibilité personnelle à nous engager pour le salut de nos frères, en portant notre croix, et à rechercher inlassablement, jamais résignés et toujours confiants, des chemins et des moyens pour offrir à chacun, compte tenu de sa situation concrète, la possibilité d’une rencontre avec le Christ, ce qui est la caractéristique de l’apôtre authentique.

Il en découle aussi un amour sincère pour l’Église, corps du Christ, qui dispose à s’identifier à elle et à s’offrir pour elle avec joie. Le prêtre est pour l’Église, et aujourd’hui en particulier, il est appelé à lui donner une vie nouvelle, et parfois même à la « réimplanter ». Car sans confondre le contexte dans lequel œuvrait l’Apôtre Paul avec celui actuel, et surtout, sans oublier qu’il annonçait un Sauveur dont nul n’avait encore entendu prononcer le nom, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui le nom de Jésus Christ, bien qu’il soit d’une certaine façon connu, est bien souvent rejeté, ou du moins sa qualification décisive d’unique Sauveur universel n’est pas prise au sérieux, même dans les terres d’ancienne et grande tradition chrétienne. Donner une vie nouvelle à l’Église aujourd’hui signifie donc avant tout réimplanter une foi authentique dans l’intelligence et dans le cœur des hommes.

Dans cette tâche quotidienne pour porter les hommes au Christ et les garder unis dans la communion de l’Église comme en une seule grande famille, le prêtre, mû par l’amour, s’efforce toujours de se conduire selon la loi de l’amour et d’être un témoin de l’amour, de telle sorte que, comme l’a dit le Pape à l’Église italienne réunie en congrès à Lorette en 1985, « l’amour de Dieu pour les hommes puisse être en quelque manière expérimenté et presque touché de la main ». L’unité profonde qui apparaît, dans les Lettres et dans la vie de Paul, entre foi, espérance et charité, qui fait que « la foi agit par la charité » (Ga 5,6), doit être constamment présente dans notre vie et dans notre apostolat, afin que notre amour du prochain et tout notre service pour répondre à ses besoins, y compris matériels, découlent clairement de notre enracinement dans le Christ et qu’ils soient donc un témoignage qui mène à lui.

Chers frères dans le sacerdoce, que par l’intercession de Marie, notre mère, de son époux Joseph et des Apôtres Pierre et Paul, notre rencontre personnelle, toujours renouvelée et approfondie, avec le Christ mort et ressuscité, qui nous a aimés et s’est livré pour nous (cf. Ga 2,20), fasse vraiment de chacun de nous un héraut de sa grâce et de son Évangile du salut, pour que nous puissions dire et témoigner à tous ceux qui nous sont confiés : « Tout vous appartient. Le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3,21-23).