CONGREGATIO PRO CLERICIS
pour le nouveau millénaire”
sur les traces de l'apôtre Paul
À la suite du Concile
Vatican II, et notamment dans l’Exhortation apostolique de Paul VI Evangelii nuntiandi (de 1975) et tout au
long du pontificat de Jean-Paul II, les deux grands appels à la sainteté et à
l’évangélisation ont été constamment présentés à l’attention de tout le corps
de l’Église, et en particulier à la nôtre, nous les prêtres, en mettant
l’accent sur le lien étroit qui les unit. Le thème général de cette Rencontre
internationale des prêtres, « Le prêtre, forgeur de saints pour le
troisième millénaire » est donc particulièrement approprié, et à cette
occasion il est juste que le témoignage et à la théologie de l’Apôtre Paul
fassent l’objet d’une attention particulière.
Dans ma méditation, intitulée
« La sainteté paulinienne vers l’évangélisation », je voudrais mettre
en lumière avant tout ce qui constitue l’essence et le sens profond de l’appel
de Paul, et donc de l’ensemble de sa vie et de sa mission apostolique. Avant le
jour dramatique où le Christ se manifesta à lui sur le chemin de Damas, Paul
était bien loin d’être un homme sans certitudes ou ayant une mauvaise conduite
morale : bien au contraire, dans sa Lettre aux Philippiens (3,4-6) comme
dans celle aux Galates (1,14), il décrit le Saül d’alors comme étant
« irréprochable pour la justice que donne la Loi ». Mais il ajoute
aussitôt : « Tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés
comme une perte à cause du Christ. Oui, je considère tout cela comme une perte
à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon
Seigneur. À cause de lui j’ai tout perdu. Je considère tout comme des balayures
en vue d’un seul avantage, le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste.
Cette justice ne vient pas de moi-même, c’est-à-dire de mon obéissance à la loi
de Moïse, mais de la foi au Christ : c’est la justice qui vient de Dieu et
qui est fondée sur la foi ». Voilà ce que Paul écrit en Philippiens 3,7-9,
et on aimerait pouvoir poursuivre la lecture de ce texte si fort et si éclairant,
qui exprime le sens authentique et totalement christocentrique de la sainteté
telle que Paul l’a conçue et vécue.
Mais concrètement, qu’était
pour Paul cette « connaissance » du Christ ? Qu’est-ce qui l’a
séduit et conquis ? Ce n’était pas seulement la connaissance de la vérité
du Christ, de sa résurrection, de sa gloire divine. C’était aussi et surtout la
connaissance, la découverte d’un amour incommensurable. Paul connaissait
l’amour que le Dieu de ses ancêtres avait témoigné au peuple d’Israël, il
connaissait les paroles par lesquelles le Deutéronome, Isaïe, Osée, Jérémie,
Ézéchiel avaient chanté et manifesté cet amour. Mais en Jésus Christ, mort et
ressuscité pour nous, Paul avait découvert un amour qui dépassait radicalement
tout ce qu’il aurait jamais pu imaginer. Il se sentit
« saisi » par le Christ (Ph 3,12) ou, comme il l’explique plus
longuement dans sa Lettre aux Romains (5,5-11), « L’espérance ne trompe
pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint
qui nous a été donné. Alors que nous n’étions encore capables de rien, le
Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions.
Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile. Peut-être
donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or la preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore
pécheurs ». C’est pourquoi il s’exclame, bouleversé et atterré :
« Le fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,21).
Si cet amour devient l’unique
raison d’être de la vie de Paul, c’est parce que, sous la mouvance de l’Esprit
Saint, il parvient à en appréhender la radicalité et l’universalité :
« L’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort
pour tous » (2 Co 5,14). C’est de là que naît son besoin irrésistible
d’évangéliser. La sainteté paulinienne, ou mieux encore, authentiquement
chrétienne, est donc liée de près à la mission et à l’évangélisation. Car
comment les hommes pourraient-ils connaître l’amour du Christ s’ils n’en
entendent pas parler, s’il ne leur est pas annoncé et témoigné ? Paul le
dit expressément : « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur
seront sauvés. Or comment invoquer le Seigneur sans avoir d’abord cru en
lui ? Comment croire en lui sans avoir entendu sa parole ? Comment
entendre sa parole si personne ne l’a proclamée ? Comment proclamer sans
être envoyé ? C’est ce que dit l’Écriture : ‘Comme il est beau de
voir courir les messagers de la Bonne Nouvelle !’ » (Rm 10,13-15).
En fait, la rencontre avec
le Christ a changé entièrement la vie de Paul, en la reconstruisant de façon
radicalement nouvelle autour du Christ comme principe et critère uniques et
absolus, de sorte que Paul lui-même devient, en Christ, « une créature
nouvelle » (2 Co 5,17). Dès le début, cette vie nouvelle s’exprime à
travers la mission. « Dieu m’avait pris à part dès le sein de ma mère,
dans sa grâce il m’avait appelé et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi
la révélation de son Fils pour que moi, je l’annonce parmi les nations
païennes. Aussitôt, sans prendre l’avis de personne, sans même monter à
Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti
pour l’Arabie ; de là, je suis revenu à Damas » (Ga 1,15-17). Dès
lors, et pour toujours, Paul se sentira redevable à l’égard de tous de ce don
immense, Jésus Christ, l’amour de Dieu en Jésus Christ, qu’il a lui-même reçu
gratuitement : « J’ai des devoirs envers tous, civilisés et non
civilisés, savants et ignorants ; de là mon envie de vous annoncer l’Évangile
à vous aussi qui êtes à Rome » (Rm 1,14-15). Bien plus, ce
« devoir » de l’Évangile est pour Paul à la fois un mandat reçu du
Seigneur et un besoin pressant, une nécessité existentielle qui ne saurait se
satisfaire seulement d’une annonce de la parole du salut, mais demande aussi le
don et la consécration de toute sa vie : « Si j’annonce l’Évangile,
je n’ai pas à en tirer d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi ;
malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le faisais
de moi-même, je recevrais une récompense du Seigneur. Mais je ne le fais pas de
moi-même, je m’acquitte de la charge que Dieu m’a confiée. Alors, pourquoi
recevrais-je une récompense ? Parce que j’annonce l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel ni faire valoir mes
droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis
fait le serviteur de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Et
avec les Juifs j’ai été comme un Juif, pour gagner les Juifs. Avec les faibles,
j’ai été faible pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en
sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de
l’Évangile, pour bénéficier, moi aussi, du salut » (1 Co 9,16-23).
Les difficultés que Paul
rencontre dans son apostolat deviennent ainsi à ses yeux bien plus que des
obstacles extérieurs à affronter et à surmonter pour atteindre son but ;
elles sont le chemin à travers lequel s’accomplit la communication du salut.
Car si l’amour de Dieu s’est manifesté dans l’offrande que le Christ a faite de
lui-même, on ne peut pas montrer cet amour autrement à tous les hommes. C’est
pourquoi, dès la 1ère Lettre aux Thessaloniciens, celle que Paul a
écrite en premier, il déclare : « Nous voudrions vous donner non
seulement l’Évangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes » (1 Th 2,8).
À quel point la croix est
présente sérieusement et concrètement dans la vie et dans la mission de Paul,
ses lettres nous le disent en termes souvent dramatiques. Inoubliable, en
particulier, est le témoignage qu’il rend en 2 Corinthiens 11, 23-29 :
« Très souvent en danger de mort. Cinq fois, j’ai reçu des Juifs les
trente-neuf coups de fouet ; trois fois j’ai subi la bastonnade ; une
fois j’ai été lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage et je suis resté vingt-quatre
heures perdu en mer. Souvent à pied sur les routes, avec les dangers des
fleuves, les dangers des bandits, les dangers venant des Juifs, les dangers des
païens, les dangers de la ville, les dangers du désert, les dangers de la mer,
les dangers des faux frères. J’ai connu la fatigue et la peine, souvent les
nuits sans sommeil, la faim et la soif, les journées sans manger, le froid et
le manque de vêtements, sans compter tout le reste : ma préoccupation
quotidienne, le souci de toutes les Églises. Si quelqu’un faiblit, je partage
sa faiblesse. Si quelqu’un vient à tomber, cela me brûle ? ».
En replaçant l’énorme
activité de missionnaire itinérant de Paul dans le contexte concret des
conditions de vie du monde antique, et en connaissant les résistances et
l’hostilité qu’il a rencontrées, nous n’avons aucun mal à réaliser que loin
d’être exagérée, sa description est crûment réaliste. Comme sont réalistes,
empreints du réalisme de la foi, les mots par lesquels Paul, en 2 Corinthiens
4,8-12, met en lumière le fait que c’est justement de la faiblesse et de la
croix que la puissance de Dieu fait surgir le salut et la vie : « À
tout moment nous subissons l’épreuve, mais nous ne sommes pas écrasés ;
nous sommes désorientés, mais non pas désemparés ; nous sommes
pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis.
Partout et toujours, nous subissons dans notre corps la mort de Jésus, afin que
la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. En effet, nous
les vivants, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus,
afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre existence
mortelle ».
Également marquées l’une et
l’autre par l’expérience de la croix, la sanctification personnelle et la
consécration missionnaire sont donc, chez Paul, pleines de confiance et
d’espoir, soutenues par la certitude de l’espérance, de même que la croix du
Christ ouvre la voie à la plénitude de vie de la résurrection. C’est ce que
nous dit avec une grande force la magnifique conclusion du chapitre 8 de la
Lettre aux Romains : « Qui pourra nous séparer de l’amour du
Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La
faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le supplice ? En tout cela
nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la
certitude : ni la mort, ni la vie, ni aucune autre créature, rien ne
pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ, notre
Seigneur » (Rm 8,35-39).
En ce qui concerne le sens
et la valeur de cette espérance et de cette confiance, Paul est très
précis : elles ne sauraient en aucune façon être réduites à une
perspective purement terrestre, car elles perdraient alors toute leur substance
et leur consistance : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre
message est sans objet, votre foi ne mène à rien, vous n’êtes pas libéré de vos
péchés. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement,
nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes” (1 Co 15,14-19).
Paul, on l’a vu, a été
séduit par l’amour de Dieu qui s’était manifesté en Jésus Christ : sa
sainteté et son élan missionnaire naissent du fait d’avoir cru et d’avoir
cherché à répondre à cet amour. C’est pourquoi Paul est très attentif aux
exigences concrètes de cet amour, qu’il présente par exemple dans le célèbre
hymne à l’agapè de 1 Co 13,4-7 : « L’amour prend patience ;
l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas,
ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne
cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas
de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa
joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout,
il espère tout, il endure tout ».
On perçoit derrière ces mots
l’expérience personnelle de l’Apôtre, fort, courageux et, oserais-je dire,
combattant « irréductible » pour la cause de Jésus Christ, tout en
étant aussi extraordinairement affectueux et tendre (1 Th 2,7 :
« Nous avons été pleins de douceur, comme une mère qui entour de soin ses
nourrissons »), capable de témoigner la tendresse la plus délicate même à
ceux qu’il est contraint de réprimander : « C’est le cœur plein de
détresse et d’angoisse que je vous écris et en versant beaucoup de larmes, non
pas pour que vous soyez contrariés, mais pour que vous sachiez quel immense
amour j’ai pour vous » (2 Co 2,4). C’est pourquoi Paul peut leur
demander : « Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi, c’est le
Christ » (1 Co 11,1), avec la même simplicité et humilité avec lesquelles
il venait d’écrire : « Est-ce donc Paul (et pas plutôt le Christ) qui
a été crucifié pour vous ? » (1 Co 1,13).
C’est parce qu’il croit en
l’amour que Dieu nous porte en Jésus Christ et qu’il se sent totalement engagé
à vivre, à exprimer et à répandre cet amour que Paul est devenu, dans le cadre
de son activité missionnaire, un grand constructeur de communautés et qu’il
demeure toujours un gardien très attentif de l’unité et de la paix des
communautés qu’il a fondées. Dans la 1ère Lettre aux Corinthiens,
Paul décrit la tâche spécifique qu’il revendique pour son apostolat : il
est celui qui a « planté » la communauté qu’Apollo a ensuite arrosée
et que Dieu a fait croître (cf. 1 Co 3,6). Et surtout, il est le père de la
communauté, celui qui l’a engendrée à la vie dans le Christ : « Vous
auriez beau avoir dix mille surveillants pour vous mener dans le Christ, vous
n’avez pas plusieurs pères : c’est moi qui, par l’annonce de l’Évangile,
vous ai fait naître à la vie du Christ Jésus » (1 Co 4,15). C’est pourquoi
il s’adresse aux croyants de Corinthe en les appelant « Mes fils
bien-aimés » et en les exhortant : « Prenez-moi pour
modèle ! » (v. 14 et 16).
Si l’activité missionnaire
de Paul consiste en premier lieu à annoncer l’« Évangile du Christ »
(1 Th 3,2, etc.) dans le but de convertir chaque personne, elle se donne aussi
un objectif plus vaste, celui de former des communautés de croyants région par
région, d’une extrémité à l’autre du monde connu à l’époque. C’est pourquoi il
considère son rôle comme celui d’un « bon architecte » qui pose
d’abord les fondations, tout en ayant en vue l’édifice tout entier (cf. 1 Co
3,10). Mieux encore, il déclare à diverses reprises qu’il ne veut pas seulement
fonder des communautés de croyants, mais aussi les nourrir (cf. 1 Th 2,7), pas seulement
les engendrer, mais aussi les élever, pas seulement les planter, mais aussi les
cultiver : telle est la « préoccupation quotidienne, le souci de
toutes les Églises » dont il parle en 2 Co 11,28. C’est pourquoi Paul
continue à visiter régulièrement les Églises qu’il a fondées. Dans sa Lettre
aux Romains, il explique que sa lettre et la visite qu’il entend faire à cette
communauté ont pour but de la fortifier et de la faire croître dans le Christ,
en vertu du mandat apostolique et missionnaire qu’il a reçu (cf. Rm
1,5-15 ; 15,14-24).
Cette intention qu’a Paul de
donner une forme concrète à cet amour de Dieu en Jésus Christ, qui a changé sa
vie et qui engendre la « créature nouvelle », le rend extrêmement
attentif à l’unité et à la communion au sein de chaque communauté et entre
toutes les communautés de croyants. Leur unité, qui découle de l’unité du
Christ lui-même (cf. 1 Co 1,13 : « Le Christ est-il donc
divisé ? »), appartient de façon constitutive à l’Église,
« corps du Christ » (cf. 1 Co 12,27 : « Or vous êtes le
corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce
corps » ; Col 1,18 : « Il est aussi la tête du corps,
c’est-à-dire de l’Église »). Il est donc très clair que chez Paul, la
sainteté et la consécration missionnaire ont, de façon très nette, un caractère
tout à la fois christologique et ecclésial : après l’expérience de la
rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas, Paul a bien souvent mis en jeu
toute sa vie pour suivre cette seule direction et ce seul but.
Jusqu’à présent, nous avons
entendu surtout, des paroles mêmes de Paul, la façon dont il conçoit et vit
l’appel à la sainteté et à la mission. Nous allons maintenant tenter de
formuler quelques considérations qui actualisent l’expérience et la pensée de
Paul pour nous dans l’Église d’aujourd’hui.
Mais auparavant, il convient
de rappeler encore deux points. En premier lieu, Paul s’adresse bien souvent
aux membres des communautés chrétiennes en les qualifiant de
« saints ». Qu’il ne s’agisse pas d’une simple formule, on le voit au
fait que ce terme est associé plusieurs fois à celui de « appelés »,
comme en Rm 1,7, « Vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple
saint”, et en 1 Co 1,2, « À vous qui êtes à Corinthe, l’Église de Dieu, vous
qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus, vous les fidèles qui êtes, par
appel de Dieu, le peuple saint avec tous ceux qui, en tous lieux, invoquent le
nom de notre Seigneur Jésus Christ ». Dans les deux cas, juste avant, Paul
a appliqué le concept d’appel à lui-même et à sa mission : Rm 1,1
« Moi Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé par Dieu pour être
apôtre » ; 1 Co 1,1 « Moi Paul, appelé par la volonté de Dieu
pour être apôtre du Christ Jésus ». Pour Paul, celui qui accueille dans la
foi le témoignage apostolique de la résurrection du Christ entame une démarche
marquée par la dynamique de l’amour dans laquelle le croyant – à l’image de ce
qui est arrivé à Paul sur le chemin de Damas – est engagé dans l’action de
Dieu, de Jésus Christ, de l’Esprit Saint (cf. respectivement 1 Th 5,23 ; 1
Co 1,2 ; Rm 15,16) et est de ce fait « sanctifié », rendu saint,
libéré de l’esclavage du péché et configuré au Christ, ce qui fait de lui une
« créature nouvelle ».
En deuxième lieu, tout en
ayant certainement une idée bien précise de la singularité de son appel
d’Apôtre des gentils, Paul est un grand catalyseur d’énergies apostoliques et
missionnaires chez ceux qui embrassent la foi. Dans ses Lettres et dans les
Actes des Apôtres, sont cités une centaine de ces « collaborateurs »
à la mission, dont certains sont bien connus de nous tous : Barnabé et
Marc, Timothée et Tite, Luc et Sila, Aquila et Priscilla, tous
« collaborateurs » de Paul, mais aussi de Dieu en Jésus Christ (cf.
Rm 16,9 ; 1 Co 3,9, etc.). Parmi ces collaborateurs se distinguent,
notamment dans ses lettres pastorales, ceux qui ont reçu le don de l’Esprit par
l’imposition des mains (cf. 1 Tm 4,14 ; 5,22 ; 2 Tm 1,6 ; Tt
1,5-9 ; 2,15).
Chers prêtres, chacun de
nous est personnellement l’un de ces collaborateurs de Dieu en Jésus Christ, et
nous le sommes tous ensemble, dans l’unité des presbytériums avec leur Évêque
et de tous les Évêques entre eux, comme successeurs du Collège apostolique.
Afin que notre itinéraire de sanctification et notre engagement pastoral et
missionnaire portent les fruits pour lesquels le Seigneur nous a choisis et
appelés, il faut que s’accomplisse en nous, sous une forme correspondant à la
situation actuelle de l’Église et de la culture et en fonction de l’appel et de
la personnalité de chacun, la substance de ce que Dieu a accompli en Paul, en
faisant de lui une « créature nouvelle » et l’Apôtre des gentils.
Cela veut dire que nous ne
pourrons accomplir efficacement notre mission de prêtre qu’en mettant notre
confiance entièrement dans l’amour de Dieu en Jésus Christ. Nous sommes
appelés, nous aussi, à vivre cet amour, à travers la foi au Christ ressuscité
et la contemplation de son visage qui nous révèle celui du Père. À la
différence de celle de Paul, notre foi se fonde sur le témoignage apostolique,
et non sur l’expérience d’une rencontre directe avec Jésus ressuscité. Elle ne
se réduit pourtant pas à l’écoute de ce témoignage et à un choix de notre
volonté : car à l’intérieur de nous-mêmes, le Seigneur œuvre par
l’intermédiaire de son Esprit, et cette présence et action intérieure de
l’Esprit est la base et le début de l’expérience de Dieu, de l’amour de Dieu en
Jésus Christ, un amour qui est destinée à grandir, à s’approfondir et à
s’affermir dans la mesure où nous lui ferons une place, où nous l’accueillerons
dans notre liberté, mieux encore, où nous lui remettrons notre liberté.
Ainsi la prière, liturgique
et personnelle, la méditation de la parole de Dieu et le silence intérieur sont
l’espace où nous nous laissons « saisir » par Dieu, nous aussi (cf.
Ph 3,12) et où nous devenons un instrument de salut dans ses mains. Ainsi
jaillit en nous et se nourrit sans cesse ce feu qui brûlait dans l’Apôtre Paul,
d’où naissait son zèle missionnaire et sa sollicitude
pour toutes les Églises. Ce feu, qui nous fait participer, par le don de
l’Esprit Saint, à l’amour salvifique de Dieu en Jésus Christ pour tout le genre
humain, constitue la vraie source et le moteur de notre passion et de notre
créativité missionnaires. Il en découle en premier lieu une disponibilité
personnelle à nous engager pour le salut de nos frères, en portant notre croix,
et à rechercher inlassablement, jamais résignés et toujours confiants, des
chemins et des moyens pour offrir à chacun, compte tenu de sa situation
concrète, la possibilité d’une rencontre avec le Christ, ce qui est la
caractéristique de l’apôtre authentique.
Il en découle aussi un amour
sincère pour l’Église, corps du Christ, qui dispose à s’identifier à elle et à
s’offrir pour elle avec joie. Le prêtre est pour l’Église, et aujourd’hui en
particulier, il est appelé à lui donner une vie nouvelle, et parfois même à la
« réimplanter ». Car sans confondre le contexte dans lequel œuvrait
l’Apôtre Paul avec celui actuel, et surtout, sans oublier qu’il annonçait un
Sauveur dont nul n’avait encore entendu prononcer le nom, il n’en demeure pas
moins qu’aujourd’hui le nom de Jésus Christ, bien qu’il soit d’une certaine
façon connu, est bien souvent rejeté, ou du moins sa qualification décisive
d’unique Sauveur universel n’est pas prise au sérieux, même dans les terres
d’ancienne et grande tradition chrétienne. Donner une vie nouvelle à l’Église
aujourd’hui signifie donc avant tout réimplanter une foi authentique dans
l’intelligence et dans le cœur des hommes.
Dans cette tâche quotidienne
pour porter les hommes au Christ et les garder unis dans la communion de
l’Église comme en une seule grande famille, le prêtre, mû par l’amour,
s’efforce toujours de se conduire selon la loi de l’amour et d’être un témoin
de l’amour, de telle sorte que, comme l’a dit le Pape à l’Église italienne
réunie en congrès à Lorette en 1985, « l’amour de Dieu pour les hommes
puisse être en quelque manière expérimenté et presque touché de la main ».
L’unité profonde qui apparaît, dans les Lettres et dans la vie de Paul, entre
foi, espérance et charité, qui fait que « la foi agit par la
charité » (Ga 5,6), doit être constamment présente dans notre vie et dans
notre apostolat, afin que notre amour du prochain et tout notre service pour
répondre à ses besoins, y compris matériels, découlent clairement de notre
enracinement dans le Christ et qu’ils soient donc un témoignage qui mène à lui.
Chers frères dans le
sacerdoce, que par l’intercession de Marie, notre mère, de son époux Joseph et
des Apôtres Pierre et Paul, notre rencontre personnelle, toujours renouvelée et
approfondie, avec le Christ mort et ressuscité, qui nous a aimés et s’est livré
pour nous (cf. Ga 2,20), fasse vraiment de chacun de nous un héraut de sa grâce
et de son Évangile du salut, pour que nous puissions dire et témoigner à tous
ceux qui nous sont confiés : « Tout vous appartient. Le monde et la
vie et la mort, le présent et l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous
êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3,21-23).