CONGREGATIO PRO CLERICIS
pour le nouveau millénaire”
sur les traces de l'apôtre
Paul
"Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu plus que ceux-ci?"
Au cours de notre
Rencontre de ces jours-ci, nous avons examiné un trait important de notre
identité de prêtres, celui d’être des forgeurs de saints dans ce nouveau
millénaire, en marchant sur les pas de saint Paul. C’est un grand privilège
pour nous que de le faire sur cette île qui a accueilli saint Paul, l’Apôtre
des gentils, et dans cette cathédrale qui lui est dédiée. Ce lieu paulinien est
vraiment le cadre idéal pour aborder certains aspects du thème de notre
conférence.
En premier lieu,
nous savons que Dieu, et Dieu seul, est le divin Forgeron qui façonne les
hommes pour en faire des saints, et que nous les prêtres ne sommes que des
outils choisis entre ses mains. L’exemple de saint Paul nous montre comment
Dieu a forgé l’Apôtre Paul à partir de Saül, le persécuteur des chrétiens.
Dans l’histoire de
l’Église, nous trouvons un grand nombre de prêtres qui ont ainsi collaboré avec
Dieu à forger des saints. Comment ne pas citer Ambroise, le saint évêque de
Milan, que Dieu utilisa pour convertir Augustin, un intellectuel brillant, mais
plongé dans la confusion morale et spirituelle, en un chrétien fervent, un
évêque et un docteur de l’Église éminent, et cela grâce en particulier aux prières
insistantes et aux larmes incessantes de sa mère Monique ? On peut citer
aussi l’humble curé d’Ars, ou Padre Pio di Pietrelcina, grâce auxquels des
centaines d’âmes furent réconciliées avec Dieu et entreprirent le chemin de la
sainteté. Je ne parle pas seulement ici des « saints » qui ont été
béatifiés ou canonisés officiellement par l’Église, mais aussi de ceux que
saint Paul appelait « saints », c’est-à-dire tous les chrétiens,
puisque tous sont appelés à lune vie de sainteté. Je veux parler aussi de tous
ceux que nous rencontrons dans notre vie de tous les jours et qui, bien
souvent, cheminent parmi nous sans se faire remarquer : ces mères et ces
pères qui travaillent silencieusement du matin au soir au bien-être spirituel
et matériel de leur famille ; ces jeunes hommes et femmes qui s’opposent à
l’érosion des valeurs morales et à l’invasion de l’esprit matérialiste dans
leur vie ; ces prêtres qui se vouent humblement et assidûment à la
diffusion de la parole de Dieu et de son royaume d’amour, sans chercher à faire
la une des journaux, et bien d’autres encore. C’est pour forger de tels
« saints » que nous avons été ordonnées prêtres.
Grande est donc notre responsabilité : nous devons être prêts à répondre à tout moment à l’appel du divin Forgeron qui nous a choisis, sans que nous ayons aucun mérite particulier, comme ses proches collaborateurs – ses « serviteurs amis » (Jn 15,15) – et à permettre que son contact forgeur de sainteté passe à travers notre ministère sacerdotal. Bien entendu, Il peut choisir n’importe qui, ou n’importe quoi, comme outil pour forger des saints à partir de croyants, de non croyants ou même de pécheurs. Mais nous, les prêtres, sommes ses collaborateurs qualifiés, munis des outils sacrés que sont les sacrements et les sacramentaux, la Parole de Dieu, nos talents personnels et nos différents ministères spirituels, éducatifs et sociaux.
Le plus important de
tous les outils dont nous disposons est la sainte Eucharistie. Par une heureuse
coïncidence, notre rencontre se tient au début de l’Année de l’Eucharistie
proclamée par le Saint Père. Cela nous donne une clé importante pour comprendre
comment on peut forger des saints. L’Eucharistie est en effet la source et le
sommet de toute sainteté. C’est là que le divin Forgeron est présent par son
Corps, son Sang, son Esprit et sa Divinité. Si nous restons unis au Seigneur
présent dans l’Eucharistie comme les sarments à la vigne, nous produirons des
fruits abondants de sainteté en nous-mêmes, et nous deviendrons des instruments
efficaces dans les mains du divin Forgeron.
Puisque cette
retraite a pour thème « forger des saints pour le nouveau
millénaire », je voudrais mentionner un prêtre et un pasteur de notre
temps doté de talents extraordinaires de l’esprit et du cœur, qui les utilisa
avec zèle pour la plus grande gloire de Dieu et pour le bien des âmes. Je veux
parler de l’Archevêque Fulton J. Sheen, d’abord Évêque auxiliaire de New York,
puis Évêque de Rochester, qui nous a quittés il y a tout juste vingt-cinq ans
et dont la cause de canonisation a été introduite récemment. Ses dons de
communicateur étaient proverbiaux, et il les utilisa aussi bien dans les médias
écrits que parlés. Il a écrit de nombreux livres qui sont lus encore
aujourd’hui avec grand profit spirituel. Sa station de radio nationale The Catholic Hour, qui émit pendant
vingt-deux ans, avait un public de près de quatre millions d’auditeurs. Et
lorsqu’il lança ses émissions télévisées Life
is Worth Living, d’autres chaînes retransmirent son programme, et chaque
semaine son audience était estimée à près de trente millions de personnes. En
outre, beaucoup de personnes de toutes les couches de la société, y compris des
acteurs de cinéma, des avocats et des médecins, s’adressaient à lui pour
recevoir une direction spirituelle. Il fut un canal de sainteté pour des
millions de personnes parce que, en vrai prêtre, c’était un homme de Dieu, un
homme de prière et un homme pour les autres. Il expliquait ainsi le secret du
succès de son apostolat infatigable : le jour de son ordination
sacerdotale, en 1919, il avait fait le vœu de rester chaque jour pendant une
heure devant le Saint-Sacrement, et il s’y tint tout au long des soixante
années de son sacerdoce, jusqu’à sa mort en 1979. C’est dans la sainte
Eucharistie qu’il trouvait la sagesse qui lui permettait de conduire les autres
sur le chemin de la sainteté, et qu’il puisait la force de faire face aux
nombreuses difficultés qu’il rencontrait. Il était conscient que, pour être un
agent de sainteté pour les autres, il devait être lui-même en contact permanent
avec le Seigneur, sans qui il ne pouvait rien (Jn 15,5). L’Archevêque Fulton
Sheen peut représenter un modèle pour nous les prêtres, appelés à collaborer
avec Dieu à forger des saints dans un monde dominé par les technologies de l’information,
les lubies du New Age et le déclin des valeurs morales. Encore une fois, ce ne
sont pas seulement ceux qui sont élevés aux honneurs de l’autel qui forgent des
saints, mais aussi les humbles saints de tous les jours, qui passent inaperçus
dans nos rues et nos quartiers pauvres, dans nos bureaux, nos supermarchés et
nos maisons.
Une deuxième
considération sur le thème de notre rencontre est que Dieu, le divin Forgeron,
forge ses saints sur l’enclume de l’amour. La vraie sainteté se mesure à l’amour
et uniquement à l’amour, qui prend parfois la forme de la croix. Ce n’est pas
un amour tiède et banal que Jésus attend de nous les prêtres, à qui il a confié
son troupeau, mais un amour spécial. Il est significatif qu’avant de remettre à
Pierre les clés de son royaume en lui disant : « Sois le berger de
mes agneaux » et « Sois le berger de mes brebis » (cf. Jn
21,15-17), Jésus lui posa cette question cruciale : « M’aime-tu plus
que ceux-ci ? ». Il ne dit pas : « M’aime-tu autant que les
autres autour de toi m’aiment ? ». Non, il lui demanda :
« Simon, fils de Jean, m’aime-tu plus que ceux-ci ? ». C’était
là une question très forte. Pierre, au début, répondit spontanément :
« Oui, Seigneur, je t’aime », et il donna la même réponse lorsque
Jésus répéta sa question. Mais quand le Seigneur insista une troisième fois,
Pierre, conscient de sa faiblesse et de ses manquements passés, répondit
humblement : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je
t’aime ». Si la première réponse de Pierre était enthousiaste, la dernière
était humblement réaliste. « M’aime-tu plus que ceux-là ? ».
Oui, le Seigneur nous demande plus d’amour, à nous ses prêtres, qu’à ses autres
disciples.
Cette question
devient encore plus cruciale lorsque l’enclume de l’amour prend la forme de la
croix. L’histoire de l’Église nous enseigne que les saints sont forgés sur une
telle enclume. Tous les saints ont connu des épreuves et des souffrances, mais
ils les ont affrontées avec une paix intérieure profonde et une grande joie
spirituelle. Car, comme nous le savons bien, un saint triste est un piètre
saint. Nous en avons un bon exemple dans la vie de saint Paul. Son chemin de
sainteté, qui débuta le jour de sa conversion, se poursuivit tout au long de sa
vie. Dans sa Lettre aux Corinthiens, il relate les nombreuses épreuves et
tribulations qu’il a dû endurer pour le saint Nom de Jésus (cf. 2 Cor
11,23-28). Il en mentionne quelques-unes : prison, coups, lapidation,
naufrages (en débarquant précisément sur l’île de Malte), dérive en mer,
dangers des fleuves et des bandits, dangers venant de son propre peuple et des
autres, faim et soif, froid et manque de vêtements. Malgré tout, Paul exhorte
les chrétiens : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur »
(Phil 4,4).
Chers frères
prêtres, revenons en pensée au jour de notre ordination sacerdotale. En cette
occasion solennelle, comme Pierre, nous avons dit au Seigneur avec enthousiasme
que nous l’aimons, et nous nous sommes offerts spontanément comme ses
instruments pour forger des saints. Lui, en retour, attend que nous l’aimions
plus que ceux qu’il confie à nos soins pastoraux. Comme Paul, notre amour pour
lui a certainement été éprouvé et testé par le feu de la souffrance.
Aujourd’hui, demandons-nous de façon réaliste dans quelle mesure nous avons
répondu à la confiance que le Seigneur nous a témoignée lorsqu’il nous a
appelés à le suivre. Durant cette sainte Eucharistie, alors que nous prions les
uns pour les autres et pour nos frères les prêtres du monde entier, demandons
au Seigneur de nous donner ce que les chrétiens appellent « la foi de
Pierre et le cœur de Paul » (fides
Petri et cor Pauli), pour que, comme prêtres, nous puissions préparer pour
lui, comme l’a dit saint Pierre : « une race choisie, un sacerdoce
royal, une nation sainte, un peuple qui appartient à Dieu » (1 P 2,9).