Comment « utiliser »
la Bible en catéchèse ?
Waltraud Linnig
Madame Waltraud
Linnig, docteur en théologie, dirige le cycle de la formation à la transmission
de la Foi, au Studium de Notre-Dame de Vie (France), agrégé à la Faculté
pontificale Teresianum. Cette conférence a été prononcée lors du congrès
catéchétique de Birmingham en juillet 2007.
En octobre 1977 avait
lieu un Synode des Evêques sur la catéchèse. Deux ans plus tard, le pape Jean
Paul II adressait une exhortation à toute l’Église qui ne retenait de ce vaste
thème de la catéchèse que quelques aspects, les plus actuels et les plus
décisifs. Ce texte appelé Catechesi
Tradendae (= CT), « Sur la catéchèse en notre temps », parle au
numéro 27 de la Parole de Dieu comme d’une source vivante pour la catéchèse. Ce
numéro dit aussi que « le ministère de la parole … trouve dans cette même Parole de l’Écriture, une sainte
nourriture et une sainte vigueur » (1).
Faire de la catéchèse
à partir de la Parole de Dieu contenue dans l’Écriture Sainte et transmise par
l’Église, ce n’est pas facile. Comment « lire » la Bible en catéchèse
et transmettre aux enfants cette « Parole de l’Écriture » pour
qu’elle soit nourriture et force pour la vie ?
Les difficultés
Certains catéchistes
ont parfois du mal à préparer une telle catéchèse. Ils sont parfois tentés de
chercher dans la Bible simplement des histoires qui illustrent la foi au
Christ. Mais quand il ne s’agit plus d’histoires à raconter, les textes
paraissent à beaucoup « très abstraits », « loin de la vie
quotidienne » et « accessibles uniquement aux spécialistes, aux
exégètes ». Ces réactions nous interpellent.
Est-ce vrai que la
Bible est seulement pour spécialistes ? Comment lever cette
difficulté ?
Pour l’Ancien
Testament, la difficulté redouble encore : comment faire le lien entre
notre foi au Christ et la foi du peuple juif, entre l’Église et Israël ?
Le Dieu de l’Ancien Testament semble être si différent de celui du Nouveau
Testament : ce serait un Dieu, juge dur qui châtie sans pitié. En revanche,
le Dieu du Nouveau Testament serait miséricordieux et plein de tendresse…
Beaucoup de catéchistes ont du mal à voir les liens entre l’Ancienne et la
Nouvelle Alliance, et l’Ancien Testament est souvent mal connu. Suffit-il de
donner un enseignement sur l’Ancien Testament et ses rapports avec le Nouveau
pour que cette parole à Israël devienne vivante pour les chrétiens ?
La difficulté vient en partie de la formation des
catéchistes. Après le
Concile, en France, mais aussi dans les pays germanophones, par réaction à une
catéchèse très dogmatique où la Bible était parfois simplement au service des
vérités à transmettre, on a accordé une prédominance à
« l’expérience » en catéchèse. La confrontation immédiate de
l’expérience personnelle avec la parole biblique devait faire entrer plus
profondément dans la foi. Or, ce qui est arrivé, c’est que d’une part, on en
est arrivé à une ignorance du dogme et d’un enseignement systématique de la
foi, et, d’autre part, par cette ignorance, la Bible elle-même a perdu son unité
et sa cohérence interne. Si la Bible est lue uniquement avec la méthode
historico – critique, elle risque de se réduire à une parole du passé. Que
faire pour que la Bible ne soit pas réduite à un ensemble d’histoires
disparates, considérées comme des contes, sans fondement historique, sans
actualité pour nous ? Comment retrouver dans la Bible l’unité de
l’histoire du salut et la Parole de Dieu « vivante et efficace » pour
nous aujourd’hui ? Comment « actualiser » la Bible pour
nous ? Il est vrai que lorsque le contenu de la foi n’est plus présente,
l’expérience personnelle devient le critère pour discerner ce qui vaut pour
nous dans la Bible : « Je ne crois que ce dont j’ai fait l’expérience
moi-même » (2).
Dans l’introduction de son livre Jésus de Nazareth (3), le pape Benoît XVI évoque la difficulté avec
un langage un peu différent : Comment réintégrer dans une vision
d’ensemble d’une part, l’exégèse historico - critique et, d’autre part, une
exégèse de la foi ? Comment réintégrer d’une part le Jésus historique et,
d’autre part, le Christ de la foi ? Finalement, cette opposition même
n’est-elle pas l’expression d’un malentendu, d’un prétendu conflit qui peut se
résoudre dans une vision et une lecture ecclésiales de la Bible ?
Comment
« utiliser » la Bible pour la catéchèse des enfants ? Or, la
façon dont on lit l’Écriture en catéchèse manifeste la conception que l’on se
fait de la catéchèse elle-même :
La catéchèse
doit-elle transmettre uniquement des vérités, des idées de la foi
chrétienne ? Ou bien que doit-elle transmettre ? Le texte de CT 5 est
bien connu : « Le but définitif de la catéchèse est de mettre
quelqu’un non seulement en contact mais en
communion, en intimité avec Jésus-Christ : lui seul peut conduire à
l’amour du Père dans l’Esprit et nous faire participer à la vie de la Trinité
Sainte ».
Ce texte souligne
qu’il ne s’agit pas seulement de transmettre, de faire apprendre un
enseignement intellectuel, une doctrine de la foi, mais qu’il s’agit d’établir
une relation vivante avec la personne même du Christ pour entrer dans une
relation vivante avec Dieu. Si cette citation de CT 5 est bien connue et si
nous sommes d’accord avec elle, la question demeure toujours de savoir comment
faire concrètement pour atteindre ce but.
Nous proposons quelques
réflexions en trois étapes pour éclairer la difficulté mentionnée :
Premièrement, quelle est l’articulation entre la foi qui est relation et
abandon à Dieu (fides qua) et la foi
en tant qu’elle est acceptation de vérités et d’une doctrine (fides quae) ? Deuxièmement, quelles
sont les conséquences de cette articulation pour la lecture de la Bible en
catéchèse ? Troisièmement, nous proposons quelques indications pratiques
pour la catéchèse.
L’articulation entre la foi qui
est relation à Dieu et la foi qui est acceptation d’une doctrine
Cette problématique
entre les deux aspects de la foi chrétienne est parfois énoncée en termes
« d’expérience » et « d’enseignement ». CT 22 parle d’une
prétendue opposition entre « l’orthodoxie » et « l’orthopraxie »
(entre convictions et actions) ou bien entre « une étude sérieuse et
ordonnée du message du Christ » et « l’expérience vitale » du
Christ (4).
Il ne s’agit ni d’oublier l’étude au profit de
l’expérience, ni de rejeter « l’expérience » au profit d’une
catéchèse uniquement doctrinale (5). Il est cependant nécessaire de clarifier
le langage que l’on utilise dans ce contexte. Que veut dire le mot
« expérience » ?
La notion indique un
certain savoir fondé sur un contact avec le réel (6). C’est un savoir acquis
par la vie ou par l’expérimentation. Il faudrait éviter de réduire
l’expérience, d’une part, à quelque chose qui est subi passivement, à un simple
sentiment ou une émotion purement subjective (c’est la position de l’empirisme)
(7) et, d’autre part, à quelque chose que l’esprit humain construit lui-même
spontanément (c’est la position de l’idéalisme). En fait, l’expérience comporte
à la fois une réception du réel (qu’il soit naturel ou surnaturel) et une part
active de la personne qui accueille le réel avec tout ce qu’elle est. Le texte
national pour l’orientation de la catéchèse en France de la Conférence des
évêques définit le terme « expérience » par la conjonction d’un
événement extérieur avec son accueil intérieur par une personne (8).
On peut aussi
distinguer plusieurs degrés dans
l’expérience : premièrement, un simple vécu sans reprise réflexive ;
deuxièmement, un savoir rationnel organisé qui constitue la science
expérimentale et, troisièmement, un savoir existentiel qui jaillit d’un
engagement de la personne vis-à-vis du réel. Selon J. Mouroux (9), toute expérience spirituelle authentique est de
ce dernier type. Quand on parle d’expérience religieuse chrétienne on peut
peut-être risquer ici, avec ce dernier degré, de faire le lien avec la
connaissance par connaturalité, par une ressemblance d’être ou une union entre
celui qui connaît et Celui qui est connu. Cette expérience qui engage la
totalité de la personne humaine est au fondement du témoignage que celle-ci
peut porter ensuite du Christ (10) : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que
nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont
touché du Verbe de vie ; - car la Vie s'est manifestée : nous l'avons vue, nous
en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, … »
(1 Jn 1,1-3).
Quand on parle
« d’expérience », il faudra encore distinguer entre « l’expérience humaine » et « l’expérience chrétienne ». La
première c’est « le vécu » qui constitue le point de départ et le
point d’ancrage de la catéchèse, car c’est là que se posent les grandes
questions de la vie, du sens de la vie. La Révélation chrétienne n’est pas
« isolée de la vie ni juxtaposée artificiellement à elle. Elle concerne le
sens dernier de l’existence qu’elle éclaire tout entière, pour l’inspirer ou
pour la critiquer, à la lumière de l’Évangile » dit CT 22. La Révélation
apporte une nouveauté radicale au vécu humain, elle l’inspire divinement, elle
le purifie de ce qui est opposé à la foi. « La foi conduit ailleurs, elle
ouvre des horizons nouveaux, inconnus, et par-là même elle ouvre des espaces
d’expériences que l’expérience quotidienne ignore » (11). L’expérience
chrétienne est l’expérience de la vie nouvelle avec Dieu. S’il est vrai que les
jeunes − mais pas seulement les jeunes ! − ont besoin
d’expérience chrétienne, cela ne veut-il pas dire qu’ils ont besoin d’exemples
concrets de vie chrétienne, de saints, qui offrent un témoignage vécu de la
foi ? Celui-ci véhicule une crédibilité plus forte que de simples idées et
doctrines.
Or, il est très
frappant de voir que CT et le Directoire
Général pour la Catéchèse (= DGC) parlent beaucoup plus de la
« vie » que de « l’expérience » chrétienne (12).
Pourquoi ? Il nous semble que le mot « expérience » cache le
risque de malentendus avec l’empirisme ou l’objectivisme scientifique. De plus,
cette notion est limitée, car elle suppose un certain « savoir » du
vécu. Or, la foi chrétienne est un « mystère » et cache des aspects
qui ne montent pas à la conscience des personnes. Il y a des « expériences
de la foi » qui sont inconscientes en soi et viennent à la connaissance
uniquement par leurs effets : Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus par exemple
n’a pas une « expérience directe » de sa grâce de conversion de Noël
1886, elle en prend conscience uniquement par ses effets.
La notion de
« vie » semble donc être plus apte à rendre compte de toutes les
dimensions de la foi dans leur intégralité ; de plus, elle permet de
placer la personne au centre de la foi, de cette foi qui s’exprime dans une
relation vivante de personne à personne avec Dieu. La « vie » inclut
d’emblée la dimension d’intériorité de la personne, son « cœur » et
permet de tenir compte de l’histoire et de la progression propre à chacun (13).
Quelles sont, selon
le DGC, les relations réciproques entre la « vie » avec Dieu (et pas
seulement « l’expérience de Dieu », donc la fides qua), et l’accueil des vérités de la foi (la fides quae) ?
Il s’agit ici moins
de deux aspects séparés que d’une
dimension double de la foi au Christ. En reprenant CT 5, le numéro 80 du
DGC pose le but final de la catéchèse dans une relation intime et vivante avec
le Christ et par lui avec la Trinité toute entière. Dans la vie des personnes,
cette relation vivante avec Dieu se trouve déjà au commencement de leur
cheminement : à partir d’une relation de foi initiale (DGC 85) il s’agit
de grandir et d’arriver à une relation de maturité de la foi qui est la
perfection chrétienne, la sainteté (DGC 56).
Ce cheminement des
personnes en alliance avec Dieu exige l’enseignement du message évangélique, de
vérités donc : Cet enseignement répond au désir de mieux connaître le
sauveur, il constitue la nourriture pour la relation avec Dieu et rend capable
de témoigner de lui et de l’annoncer aux autres (DGC 85). L’enseignement du
contenu de la Révélation est ordonné à la relation vivante avec Dieu comme un
moyen à sa fin. De plus, cet enseignement de la vérité est accueilli en vertu
de la confiance en la personne qui l’atteste (DGC 54 qui cite CEC 177). C’est
dire que la relation vivante à Dieu d’une personne est, dans l’histoire de la
conversion de quelqu’un, bien souvent le premier motif de crédibilité pour
donner son assentiment d’intelligence et de volonté à la Révélation proposée.
Dans une vision
ecclésiale de la vie de foi et de la catéchèse elle-même, il n’y a donc pas
lieu d’opposer les deux aspects de l’unique foi. Ceci est important pour
« la lecture » de la Bible en catéchèse, car l’Écriture n’est pas
seulement un réservoir de vérités à apprendre. La Bible est un moyen pour
entrer dans la vie même de Dieu. Comment cela ?
L’Écriture en catéchèse
Le DGC distingue
« la source » et « les sources » de la catéchèse (cf. DGC
94 ss). La source c’est la Parole de Dieu elle-même, Dieu parlant aux hommes,
son Verbe, le Christ lui-même. Les sources ce sont les moyens par lesquels la
communication de Dieu passe pour arriver à nos oreilles puisque Dieu parle en
utilisant notre langage et nos gestes humains. Ces sources sont la Tradition de
l’Église et l’Écriture Sainte (14).
Quelques remarques
s’imposent ici : Le DGC s’appuie sur Dei
Verbum, la constitution dogmatique du Concile Vatican II sur la Révélation
divine et sa Transmission, et il souligne surtout l’action première de Dieu qui
« dans sa sagesse et sa bonté » se communique « en
personne » et fait « connaître le mystère de sa volonté » de
salut (cf. DV 2). Or, il est important de ne pas oublier que pour qu’il puisse
y avoir Révélation, l’accueil actif de l’homme est nécessaire. Le Card. Ratzinger
a fait remarquer que le mot « Révélation » dès la théologie du XIII
sc. n’a été appliqué « d’une part qu’au seul acte à jamais inexprimable en
paroles humaines, par lequel Dieu se fait connaître à sa créature, et d’autre
part à la réception par laquelle la condescendance divine devient perceptible à
l’homme… » (15). La Révélation, source de la catéchèse, est un agir en
alliance, un agir divino - humain, une vie en relation, qui trouve
effectivement sa plénitude dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme. Voilà à
quoi la catéchèse doit conduire les hommes : à une vie avec Dieu, à la
participation à la vie divine elle-même. En catéchèse il ne suffit pas de
présenter la source, il faut aussi apprendre à y boire afin que la
communication et la communion avec Dieu puisse s’établir.
« Les
sources » de la catéchèse en sont précisément les moyens, elles sont
faites pour que l’alliance entre Dieu et l’homme s’établisse, pour que les
hommes puissent entrer dans cette Révélation dynamique qui est une vie. Leur
médiation conduit effectivement à l’immédiateté de la relation avec Dieu, c’est
une médiation réussie. Cette efficacité est liée au fait qu’elles véhiculent et
transmettent cette double dimension divino - humaine de la source. Elles sont
instruments de cette vie en alliance et elles peuvent l’être, parce qu’elles
sont témoins de cette alliance.
Par conséquent,
l’Écriture ne peut être réduite à l’une des deux dimensions de la Révélation.
La Bible ne nous donne pas simplement une parole humaine, ni simplement une
parole divine, mais l’une dans l’autre, indissolublement. La Tradition a parlé
de ces deux dimensions intimement liées en termes de « lettre » et
d’« esprit ».
De plus, la Bible
transmet la part de Dieu et la réponse de l’homme dans l’acte de la Révélation.
Ainsi, comme témoin et instrument de la Révélation, l’Écriture Sainte ne peut
pas être séparée de l’Église : Le DGC souligne que les sources de la
catéchèse sont étroitement liées, solidaires et indissociables entre elles (cf.
DGC 96). Il n’y a pas de Tradition vivante sans l’Écriture Sainte. Il suffit de
voir que tous les sacrements se font avec les paroles consignées dans
l’Écriture. Il n’y a pas non plus d’utilisation vivante de la Bible sans la
situer dans la Tradition vivante de l’Église.
En effet, la Bible se
présente à nous comme un livre, écrit par des auteurs humains. Comment
découvrir en elle la dimension divine, le mystère même de Dieu ? Comment
découvrir dans la « lettre » écrite par des hommes,
« l’esprit » de Dieu ? Nous ne le pouvons que grâce au
témoignage de l’Église, de la communauté de ceux qui sont entrés dans la
Révélation divine, qui en vivent et qui la transmettent aux autres. C’est dans
cette communauté que l’Écriture est née (16) et c’est dans cette communauté
qu’elle manifeste aussi sa vitalité, son éternelle actualité. C’est l’Église
qui discerne que ce livre est Parole de Dieu et nous voyons cette Parole à
l’œuvre dans sa vie : les sacrements, la prière, la charité.
Les nouveaux
convertis qui ont fait une expérience spirituelle profonde de Dieu ont besoin
du témoignage de l’Église pour discerner le don de Dieu et pour apprendre à
répondre à ce don.
Pour que la Bible
permette à l’homme d’entrer en communion avec la Parole de Dieu vivante et
efficace, il faut donc lire « l’Écriture
Sainte dans la Tradition de l’Église ». C’est ce que souligne CT 27
(17), et ce que le Card. Hoyos, lors du jubilé des catéchistes le 9.12.2000 a
exprimé ainsi : « La catéchèse en fin de compte, ne peut pas être
réduite à une sorte d’exégèse biblique pour spécialistes, qui opéreraient
indépendamment de l’Église, car celle-ci est la seule à pouvoir garantir avec
certitude, à chaque homme, la rencontre avec le Christ Sauveur, en dépassant
toute vision partielle et subjective du mystère chrétien. Quand on s’écarte de
l’interprétation ecclésiale, on finit par trouver dans chaque page de la Bible
— Ancien et Nouveau Testament — soi-même, sa propre culture ou, d’une manière
plus générale, la pensée dominante de sa propre époque… » (18).
Quelques indications pour la
lecture de la Bible en catéchèse
Nous voilà à notre
troisième point. Concrètement, comment faire pour lire la Bible comme Parole de
Dieu capable de transformer la vie des catéchisés ? Comment en faire une
lecture vivante ?
La Bible contient la
Parole de Dieu et elle est vraiment
Parole de Dieu (DV 24). En elle, le Père vient pour entrer en communion avec
les hommes (DV 21). Puisque Dieu offre ainsi son amour, il est important de
chercher dans la Bible ce Dieu et sa Parole, son amour. Cet acte de foi précède l’acte de lecture et il oriente la
lecture : la Bible n’est plus seulement un texte à analyser, mais elle
offre une vie à partager. La lettre écrite porte en elle un sens divin qui est
vie, qui est le mystère même de Dieu. Il est donc important de chercher d’emblée
ce sens qui n’est accessible qu’à la foi. Le catéchiste pourra d’autant mieux
ouvrir les catéchisés à cette dimension de la Parole de Dieu qu’il est
lui-même, dans sa personne et dans sa vie, un témoin de cette vie divine offerte à l’homme.
Le Christ est la Parole
de Dieu en personne. « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le
Christ » disait S. Jérôme. La lecture chrétienne de la Bible pourra
unifier dans cette foi au Christ la lecture de l’Ancien et du Nouveau
Testament, puisque c’est le Christ qui crée et manifeste leur unité, tout comme
il est lui-même l’unité du dessein de Dieu (19). Les catéchistes peuvent
découvrir dans le Christ comment l’Ancien Testament annonce, prépare et
explique le Nouveau (cf. DV 14-16).
L’Écriture est parole
de Dieu puisque inspirée par l’Esprit de Dieu. C’est l’Esprit qui assure que
dans la parole humaine est transmis « tout et seulement » ce que Dieu
a voulu révéler pour notre salut (DV 11). Ce n’est que l’Esprit Saint, le même
qui fit rédiger l’Écriture (cf. DV 12), qui peut nous en ouvrir le sens :
Toute lecture de la Bible en catéchèse doit donc être « spirituelle »
(20), même s’il s’agit d’abord de découvrir le sens littéral et à partir de
lui, le sens « spirituel » pour nous aujourd’hui. Le CEC présente
dans les numéros 109-119 l’Esprit Saint comme « interprète de
l’Écriture ». La catéchèse sera donc une « catéchèse dans
l’Esprit » et la prière à l’Esprit Saint ne sera pas seulement un acte de
dévotion, mais le fondement même de la catéchèse. Jean Paul II l’a exprimé un
jour de la façon suivante : « Oui, pour arriver à une interprétation
pleinement valable des paroles inspirées par l’Esprit Saint, il faut être
soi-même guidé par l’Esprit Saint et, pour cela, il faut prier, prier beaucoup,
demander dans la prière la lumière intérieure de l’Esprit et accueillir
docilement cette lumière, demander l’amour, qui seul rend capable de comprendre
le langage de Dieu, qui "est amour" (1 Jn 4,8.16). Durant le
travail même d’interprétation, il faut se maintenir le plus possible en
présence de Dieu ». L’écriture
Sainte a été confiée à l’église
du Christ « pour nourrir la foi et guider la vie de charité. Le respect de
cette finalité conditionne la validité de l’interprétation » (21).
Ainsi, grâce à la
prière et à la relation vivante intérieure avec Dieu (fides qua), l’Esprit Saint assure l’efficacité et la performance de
la Bible : la Parole de Dieu nous rejoint dans notre quotidien et répond à
nos questions vitales. L’actualité de la Bible est un fait, c’est l’œuvre de
Dieu lui-même. Ce n’est donc pas à nous de l’établir, nous n’avons qu’à la
reconnaître, à l’accueillir.
Lire l’Écriture dans
la foi de l’Église, ce n’est pas seulement la lire en lien avec le dogme, en
s’aidant du Catéchisme de l’église Catholique par exemple, pour
vérifier si notre interprétation est juste. C’est aussi lire avec d’autres, en
échangeant sur le sens trouvé, en partageant dans la charité les lumières que
chacun a reçues et que chacun peut donc offrir aux autres. Combien de fois
avons-nous fait l’expérience de la richesse d’une étude commune entre
catéchistes ! Combien avons-nous pu profiter des études des exégètes pour
lire l’Écriture avec toute son épaisseur humaine. Nous aimons comprendre le
labeur des spécialistes de la Bible comme un service de charité rendu à toute
l’Église pour l’aider à discerner la justesse des différentes interprétations
possibles.
Nous avons vu que la
catéchèse doit faire entrer les hommes dans la Révélation elle-même. Or, ceci
n’est possible que par un engagement libre et personnel. Lire la Bible suppose
ainsi toute une éducation de la personne pour qu’elle puisse librement répondre
à la Parole de Dieu et qu’elle grandisse dans ce dialogue vital. Il est
important de « s'imprégner et [de] se pénétrer de la pensée, de l'esprit
et des attitudes bibliques et évangéliques » dit CT 27. Oui, parce que la
Bible elle-même montre comment Dieu a éduqué son peuple dans l’alliance avec
lui. Il faut apprendre la disponibilité et désirer Dieu pour que Dieu puisse
nous atteindre et commencer à nous parler. Comment s’ouvrir à l’appel de Dieu
sinon par le « me voici » ? Comment entendre la Parole de Dieu
si on n’a pas appris à écouter vraiment ? Comment recevoir le don de Dieu
dans l’Écriture si on n’a pas appris à l’accueillir ? Comment répondre au
don offert si on ne sait pas remercier, louer, aimer, prier ? Le DGC le
souligne fortement pour la catéchèse des enfants, mais cela ne vaut-il pas
aussi pour la catéchèse des adultes : « Au temps de l’enfance, le
processus catéchistique sera par conséquent éminemment éducatif, attentif à
développer les ressources humaines qui sont le fondement anthropologique de la
vie de foi, [et voici des exemples :] comme le sens de la confiance, de la
gratuité, du don de soi, de l’invocation, de la participation joyeuse… L’éducation à la prière et l’initiation à
l’Écriture Sainte sont des aspects centraux de la formation chrétienne des
enfants » (DGC 178).
L’éducation à la
prière et l’initiation à l’Écriture Sainte doivent toujours aller de pair pour
assurer qu’une vraie rencontre vivante avec Dieu puisse s’établir et
transformer toute la vie, tout l’agir des catéchisés.
On peut se demander
pourquoi le DGC souligne tant la prière et pas seulement l’éducation humaine
tout court. C’est peut-être parce que les baptisés portent déjà en eux le don
de Dieu. La grâce baptismale a déjà établi en eux l’alliance, Dieu est présent
et l’homme peut lui répondre en ami et en enfant bien-aimé. La lecture de la
Bible en catéchèse vient donc vivifier, agrandir et porter à sa plénitude cette
relation déjà établie dans l’intériorité de l’homme. C’est en pénétrant dans le
cœur de l’homme que la Parole de Dieu puisée dans l’Écriture lue dans la
Tradition vivante de l’Église unifiera toutes les dimensions de sa vie
chrétienne : méditation et étude, célébration, mise en pratique et
témoignage de la Parole de Dieu.
L’intégration de
toutes les dimensions de la vie chrétienne n’est donc pas l’œuvre du
catéchiste, mais du Christ lui-même. Il ne suffit pas de mettre dans chaque
séance de catéchèse tous les aspects de la foi. L’intégration doit se faire
dans le cœur du catéchisé. Le catéchiste peut aider et réunir toutes les
conditions pour cela, mais c’est le Christ lui-même qui par son Esprit
transformera et unifiera le cœur de chacun.
Conclusion
Comment donc
« utiliser » la Bible en catéchèse ? Plutôt que de « l’utiliser »,
il s’agit de se mettre à son école. Pour les catéchistes et pour les personnes
à catéchiser vaut la même chose : lire l’Écriture Sainte comme une Parole
que Dieu nous adresse aujourd’hui suppose d’intégrer
l’enseignement systématique et organique de la foi (fides quae) dans la
relation vivante de la personne avec Dieu (fides
qua). L’enseignement et la vie de foi naissent de la transmission que
l’Église fait de la Révélation. Ils sont le témoignage d’une transmission
réussie et d’une entrée dans la Révélation. Leur caractère personnel n’enlève
en rien leur caractère ecclésial, mais l’atteste plutôt.
C’est ainsi que
l’unité et l’intégralité de l’enseignement et de la vie de foi donnent les clés
d’une compréhension vraie et d’une pénétration vitale de la Parole de Dieu
transmise dans l’Écriture par la Tradition de l’Église. Cette unité et cette
intégralité sont l’œuvre de Dieu dans le cœur de chacun. C’est ainsi que les
catéchisés deviennent, à leur tour, des instruments de transmission de la
Révélation pour d’autres. « Vous serez alors mes témoins … jusqu'aux extrémités de
la terre » (Ac 1,8).
Notes
1. « La catéchèse puisera toujours son contenu à la source vivante de la Parole de Dieu, transmise dans la Tradition et dans les Écritures, car « la sainte Tradition et la sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église », comme l’a rappelé le Concile Vatican II en souhaitant que le « ministère de la parole, qui comprend la prédication pastorale, la catéchèse, et toute l’instruction chrétienne…, trouve … dans cette même Parole de l’Écriture, une sainte nourriture et une sainte vigueur » (Dei Verbum (= DV) 10 et 24) ».
2. Le Cardinal Ratzinger dans une conférence célèbre sur la catéchèse, tenue en janvier 1983 à Paris et à Lyon l’a fortement mis en lumière. Ce texte est cité dans O. Teilhard de Chardin, La joie de la catéchèse. « La vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent » (Jn 17,3), (Cahiers de l’École Cathédrale), Parole et silence, 2006, p. 105-132.
3. J. Ratzinger/Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007.
4. CT 22 : « Il est vain de jouer l'orthopraxie contre l'orthodoxie: le christianisme est inséparablement l'une et l'autre. Des convictions fermes et réfléchies portent à l'action courageuse et droite; l'effort pour éduquer les fidèles à vivre aujourd'hui en disciples du Christ appelle et facilite une découverte approfondie du Mystère du Christ dans l'histoire du salut. Il est tout aussi vain de prôner l'abandon d'une étude sérieuse et ordonnée du message du Christ au nom d'une méthode qui privilégie l'expérience vitale ».
5. « La foi sans expérience ne peut être que verbiage de formules creuses », dit le Cardinal Ratzinger, cf. op. cit., p. 114.
6. Nous nous appuyons ici sur E. Barbotin, art. « Expérience », dans Dictionnaire critique de théologie (dir. : J.-Y. Lacoste), Paris, PUF, 1998 (Quadrige 2002), p. 450-452.
7. Cf. par exemple W. James, The Varieties of Religions Experience, 1902 (cf. ibidem, p. 451) qui réduit ensuite la religion à l’expérience intérieure où tout élément institutionnel ou dogmatique est exclu.
8. « Quand ce Texte national parle d’expérience, il évoque à la fois l’irruption en quelqu’un d’un événement extérieur et ce que vit intérieurement la personne qui s’en laisse toucher, bouleverser, retourner, transformer ». Ensuite le lexique précise le caractère ecclésial de l’expérience chrétienne (Paris, Bayard-Centurion, Fleurus-Mame, Cerf, 2006) p. 63-64.
9. Cf. E. Babotin, op. cit., p. 450.
10. L’expérience religieuse chrétienne est donc fondée sur l’Incarnation du Fils de Dieu.
11. Cf. C. Schönborn, Le concept théologique du Catéchisme de l’Église Catholique (Discours pour le 10ième anniversaire du Catéchisme de l’Église Catholique, le 9.10.2002 à Rome).
12. On peut compter les occurrences des mots : Dans le DGC, le mot « expérience » renvient environ 70 fois, le mot « vie » plus de 200 fois (avec les mots proches comme « vécu », « vivant » et « vital » plus de 300 fois). Dans CT il y a 13 fois le mot « expérience » contre 92 fois le mot « vie » (avec les mots proches plus de 100 fois).
13. Ici on peut renvoyer à plusieurs textes du DGC, par exemple à DGC 55 :« La foi implique un changement de vie, une « metanoïa » (…), c’est-à-dire un changement profond du regard et du cœur ; elle conduit le croyant à une « nouvelle manière d’être, de vivre, de vivre ensemble, que l’Évangile inaugure » (…). Ce changement de vie se manifeste à tous les niveaux de l’existence du chrétien : dans sa vie intérieure d’adoration et d’accueil de la volonté de Dieu ; dans sa participation à la mission de l’Église ; dans sa vie conjugale et familiale ; dans la vie professionnelle ; dans les activités économiques et sociales. La foi et la conversion jaillissent du « cœur », c’est-à-dire du plus profond de la personne humaine… ». Cf. aussi DGC 67 : « Cette formation organique est plus qu'un enseignement: elle est un apprentissage de toute la vie chrétienne, « une initiation chrétienne intégrale » (…) qui permet une vie authentique à la suite du Christ, centrée sur sa Personne. Il s'agit, en effet, d'éduquer à la connaissance et à la vie de foi, de sorte que l'homme tout entier, dans ses expériences les plus profondes, se sente fécondé par la Parole de Dieu. Le disciple du Christ sera ainsi aidé à transformer le vieil homme, à assumer les promesses de son Baptême et à professer la foi à partir du « cœur ». (…) ».
14. Le DGC parle également du Magistère. Nous n’en parlerons pas dans le cadre de cet article.
15. Op. cit., p. 121.
16. A. Chapelle, Herméneutique, Bruxelles, I.E.T., 1972-1973, p. 114 : « Si la réalité d’abord vécue de l’écriture est le fondement de toute doctrine à son propos, c’est que l’église a reconnu canoniquement dans l’écriture un langage dans lequel elle s’est exprimée comme église. Parce que c’est l’église comme église qui a écrit l’écriture, - même si ce sont des chrétiens qui ont pris la plume, - elle ne dispose pas de ce qu’elle a écrit pas plus qu’elle ne dispose de ce qu’elle est : Corps du Seigneur, Temple de l’Esprit ».
17. « Parler de la Tradition et de l'Écriture comme source de la catéchèse, c'est souligner que celle-ci doit s'imprégner et se pénétrer de la pensée, de l'esprit et des attitudes bibliques et évangéliques par un contact assidu avec les textes eux-mêmes ; mais c'est aussi rappeler que la catéchèse sera d'autant plus riche et efficace qu'elle lira les textes avec l'intelligence et le cœur de l'Église et qu'elle s'inspirera de la réflexion et de la vie deux fois millénaires de l'Église. »
18. Dans O. Teilhard de Chardin, op. cit., p. 69-78, ici p. 73-74.
19. Cf. H. de Lubac, Introduction à Origène, Homélies sur l’Exode (coll. SC 16), Paris, Cerf, 1947, p. 42 : « … par l’événement chrétien … la Loi ancienne est devenue spirituelle. Ce qui ne signifie pas seulement que nous pouvons maintenant, grâce à la lumière du Christ, voir enfin l’esprit qui était en cette loi ; mais ce qui signifie que cet esprit même est une création de l’événement chrétien. Celui-ci seul fait passer, non pas tant notre intelligence que d’abord les choses elles-mêmes de la "vétusté de la lettre"… jusqu’à ces hauteurs des nouveautés spirituelles qui transforment tout horizon. à dire vrai, le Christ ne vient donc pas montrer le sens profond des écritures, à la façon d’un maître ; il vient, proprement, le créer, par un acte de sa toute-puissance ».
20. Il faut distinguer entre « lecture spirituelle » (détermination subjective) et « sens spirituel » (détermination objective) de l’écriture : la lecture chrétienne de l’un et l’autre Testament est une lecture spirituelle : l’interprète lit l’écriture sous l’influence de l’Esprit de Dieu pour lire la Bible comme Parole de Dieu. Cette lecture découvre le sens littéral et le sens spirituel de l’écriture : l’objet de l’interprétation est, dans le sens littéral, la réalité signifiée par la lettre scripturaire et, dans le sens spirituel, la réalité qui est signifiée par cette réalité découverte dans le sens littéral (Cf. CEC 115-119).
21. L’allocution de Jean Paul II du 23.04.1993, dans Commission biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’église, Paris, Cerf, 21994, p. 3-16, cf. p. 11-12.