B. Francisco Palau
«L'Église est l'oeuvre du Christ, l'oeuvre par laquelle
Il se prolonge, se réfléchit et par laquelle Il est toujours présent dans le
monde. Elle est son Épouse à laquelle Il s'est entièrement offert... Ainsi, si
Dieu a aimé l'Église au point de lui sacrifier Sa vie, cela signifie qu'elle
est digne aussi de notre amour» (Jean-Paul II, 3 mars 1983). Le 24 avril 1988,
le Pape Jean-Paul II a béatifié Francisco Palau, un religieux épris d'un amour
exceptionnel de l'Église.
Francisco Palau vient au
monde le 29 décembre 1811, septième des neuf enfants d'une famille de paysans
catalans d'Aitona (Lérida, Espagne), dans un contexte politique très difficile.
L'Espagne du XIXe siècle, en effet, a compté, aux dires d'un historien, «cent
trente gouvernements, neuf constitutions, trois rois détrônés, cinq guerres
civiles, des dizaines de gouvernements provisoires et un nombre quasi
incalculable de révolutions». Malgré la dure occupation du pays par la France
napoléonienne, la famille Palau, solidement chrétienne, poursuit tant bien que
mal sa vie paysanne. Francisco souhaite devenir prêtre. Il est admis au
Séminaire de Lérida en 1828. Quatre ans plus tard, il décide d'entrer chez les
Carmes. Le noviciat l'accueille le 23 octobre 1832 et bientôt il prend l'habit
sous le nom de Francisco de Jésus-Marie-Joseph. En dépit des observances
rigoureuses, tout ne va pas pour le mieux dans le couvent. Certains esprits
sont imbus des idées révolutionnaires en vogue. De plus, les Ordres religieux
sont menacés de dissolution par les forces révolutionnaires. Toutefois,
Francisco n'hésite pas à faire sa profession religieuse le 15 novembre 1833.
Le 25 juillet 1835, une
émeute, habilement utilisée contre les religieux, dévaste le couvent où vit
Francisco. Celui-ci parvient à s'enfuir par une fenêtre et trouve refuge chez
une veuve qui l'enferme dans une armoire. Les émeutiers fouillent la maison.
L'un d'eux voulant ouvrir l'armoire, casse la clé dans la serrure et abandonne la
partie. En mars 1836, le gouvernement supprime les Ordres religieux et saisit
leurs biens, prélude de violences sans fin dans toute l'Espagne. Dans les
années qui suivent, certains radicaux arrivés provisoirement au pouvoir,
interdisent toutes les communications avec le Saint-Siège. Les prisons se
peuplent d'évêques et de prêtres, et la vente des biens ecclésiastiques
s'accélère. En juillet 1843, toutefois, le parti modéré reprendra le pouvoir et
cherchera à renouer avec Rome.
Francisco pense renoncer
au sacerdoce et choisir l'état de Frère. Fils d'agriculteur, il a des talents
marqués et du goût pour le travail manuel. Mais ses Supérieurs l'engagent
plutôt à se préparer à la prêtrise. Il reçoit donc l'ordination sacerdotale le
2 avril 1836 et exerce d'abord son ministère dans la paroisse San Antolín
d'Aitona. Bientôt commence une longue série d'épreuves pour son coeur de
prêtre. En juin 1837, on lui retire les pouvoirs de confesser et de prêcher;
puis en mars 1838 l'autorisation de confesser lui est rendue mais non celle de
prêcher. Il semble, en effet, que sa parole trop énergique et manquant de
diplomatie dérange. Il apprendra à corriger ce trait de son caractère, mais n'y
parviendra jamais complètement.
Dieu
laisse faire
En août 1838, le
gouverneur civil de Lérida l'assigne à demeurer à Aitona en résidence
surveillée, car on l'accuse de faire de la propagande contre le trône par le
biais du confessionnal. Il se retire donc dans une grotte. La vie de pénitence
et de contemplation qu'il y mène touche le coeur de nombreuses personnes, sans
pourtant être du goût de tout le monde: une nuit, trois individus entrent chez
lui, décidés à le tuer. Quelques mots du Père retournent leur coeur et ils
repartent confessés. Bientôt, las d'une inaction forcée, le Père Palau part
avec son frère et un séminariste vers Tortosa où il s'adonne à la prédication
de missions paroissiales dans la Catalogne. Puis, comprenant que la situation
politique va à nouveau se dégrader, il décide de s'exiler en France et franchit
la frontière le 21 juillet 1840. Afin de rester indépendant tant du
gouvernement français que de ses compatriotes exilés comme lui, il se décide à
vivre en ermite. Il médite sur la situation de l'Église en Espagne: prêtres et
religieux tués, églises, couvents, bibliothèques, manuscrits brûlés, oeuvres
d'art mutilées, calomnies les plus abjectes pour discréditer l'Église aux yeux
du peuple... «Comment concevoir que Dieu permette cela? se demande-t-il. La foi
nous enseigne que Jésus-Christ ne manque ni de pouvoir, ni de bon vouloir...
Comment ne calme-t-Il pas la tempête, quand il Lui suffirait de commander...?
C'est un mystère qui me tient occupé en de profondes méditations... » Et il
conclut: «Seule la prière peut sauver du naufrage l'Église espagnole».
Cependant, les luttes
entre factions rivales qui déchirent l'Espagne s'étendent jusqu'en France, et,
pour y échapper, le Père Palau entreprend un périple à travers les régions
montagneuses de l'Aude et du Tarn. Au début de 1843, il s'installe avec son
frère et quelques jeunes espagnols dans une grotte au milieu d'un bois touffu,
propriété d'une famille avec laquelle il a lié amitié, dans le diocèse de
Montauban. D'emblée, il obtient la confiance du vicaire général qui lui donne
les pouvoirs de confesser. Il parcourt les campagnes, le crucifix à la main, et
beaucoup viennent à lui, qui pour des besoins matériels, qui pour des besoins
spirituels, tous en quête de réconfort.
Une ancienne religieuse
clarisse et une jeune fille prennent le Père Palau pour guide spirituel. Il organise
avec elles une petite communauté contemplative. Bientôt deux autres jeunes
filles les rejoignent. Au printemps de 1846, le Père Palau repasse les Pyrénées
et se rend à Aitona. Toutefois, un an plus tard, il repart pour la France où il
se trouve en butte à de nouvelles contradictions dues à l'attitude de certains
de ses compagnons espagnols restés en France durant son séjour en Espagne. Il
se retire alors dans un endroit encore plus écarté, où il reprend la vie
érémitique. Calomnié devant l'évêque de Montauban, le Père Palau se défend pour
l'honneur du sacerdoce. Néanmoins, il se soumet aux prescriptions de celui-ci,
notamment en s'abstenant de célébrer la Messe. Le conflit n'ayant pu se
résoudre à l'amiable, il rentre en Espagne en avril 1851.
L'
« École de la Vertu »
Le Père se rend à
Lérida, mais on ne veut pas l'y recevoir. Il dirige alors ses pas vers
Barcelone où l'évêque l'accueille paternellement. Il prodigue ses soins aux
jeunes filles qu'il dirige et qu'il nomme les «Soeurs Tertiaires du Carmel»,
jusqu'en mars 1852, où les deux petites communautés qui se sont formées à
Lérida et à Aitona sont dissoutes par ordre du gouverneur civil. Avec son frère
Juan et quelques compagnons, le Père s'installe dans une grotte où ils mènent
une vie pénitente. Mais l'évêque de Barcelone fait appel à lui pour une
nouvelle mission d'évangélisation et lui confie la direction spirituelle de ses
séminaristes. Le Père organise une sorte de mission continue, un cycle de
causeries qui présente chaque dimanche aux adultes un cours systématique sur la
foi catholique. Plus tard, cette catéchèse s'appellera «École de la Vertu». Son
but est de réconcilier le peuple avec l'Église, la science avec la foi, la
politique avec la religion, de faire passer l'esprit du christianisme dans les
institutions. Constatant le fossé qui grandit entre forts et faibles, riches et
pauvres, le Père veut parvenir à une véritable insertion du monde ouvrier dans
la société.
L'École de la Vertu est
dirigée par un groupe de prêtres et de laïcs avec une méthode originale qui
unit le cours magistral à la participation active des auditeurs, permettant le
dialogue, les questions et réponses dans les limites du possible, sans oublier
des temps de prière commune. La première partie du programme reprend le traité
de saint Thomas d'Aquin sur les vertus, sous forme de catéchisme. La seconde
partie traite de la doctrine sociale de l'Église: on y établit les droits de la
personne, de la famille et le droit d'association. Le Père exhorte les hommes à
accomplir leurs devoirs temporels suivant la norme évangélique, et proclame,
face aux accusations d'obscurantisme lancées contre l'Église, que celle-ci
impose aux chrétiens le progrès intellectuel et matériel comme un devoir. «La
vocation propre des laïcs, rappellera le Concile Vatican II, consiste à
chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses
temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu... C'est à eux qu'il revient, d'une
manière particulière, d'éclairer et d'orienter toutes les réalités temporelles
auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu'elles se fassent et
prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et
Rédempteur» (Lumen gentium, 31).
La
paix du Christ
Dans la grande ville de
Barcelone, où commence l'École de la Vertu, la richesse et la réussite des uns
se bâtissent au prix de la misère et de la souffrance des autres. Le Père Palau
explique que la paix et le bonheur temporel autant que spirituel des peuples
exigent que les droits sociaux soient reconnus, acceptés, respectés et
protégés. «La vie chrétienne ne s'exprime pas uniquement dans les vertus
personnelles, mais également dans les vertus sociales et politiques», rappelait
le Pape Benoît XVI, le 13 mai 2007. Sans adhésion des coeurs au commandement d'amour
du Christ, pense avec raison le Père Palau, il n'y aura jamais ici-bas de paix,
de justice, de fraternité, de liberté vraies ni durables. Son succès est
imposant: on en arrive à réunir deux mille personnes dans l'église où, le
dimanche après-midi, on parle d'amour et de justice à l'ouvrier et à
l'employeur, où on prêche la vérité à l'élève et au professeur, où le médecin
et l'avocat vérifient l'harmonie entre science et révélation. Bien des esprits
troublés retrouvent la paix.
Les élèves de l'École de
la Vertu appartiennent en grande partie à la classe ouvrière et certains
gouvernants affectent de croire qu'on y prône des idées socialistes jugées
dangereuses. En 1854, des grèves d'ouvriers éclatent à Barcelone. L'autorité
militaire décrète la suppression de l'École de la Vertu, accusée d'avoir eu un
grand rôle dans ces grèves. Les ouvriers ainsi que les responsables de la
Société des Tisserands se font les défenseurs de l'École. Malgré cela, le
Gouverneur décrète, le 6 avril, l'exil immédiat du Père Palau sur l'île d'Ibiza
(Baléares). Le Père pourra écrire: «Si, comme nous nous sommes abstenus de nous
mêler de politique, la politique avait laissé intacte la religion, l'École de
la Vertu aurait poursuivi pacifiquement sa route». Le Pape Benoît XVI dira: «L'Église
est avocate de la justice et des pauvres, précisément en ne s'identifiant pas
avec les politiques, ni avec les intérêts de partis. C'est dans l'indépendance
qu'elle peut enseigner les grands critères et les valeurs auxquels il ne faut
pas déroger, orienter les consciences et offrir une option de vie qui aille
bien au-delà du cadre politique. Former les consciences, prendre la défense de
la justice et de la vérité, éduquer aux vertus individuelles et politiques,
telle est la vocation fondamentale de l'Église dans ce domaine» (13 mai 2007).
«
Je contemplais »
À Ibiza, le Père Palau
souffre profondément de son inaction forcée. Avec deux de ses fidèles
compagnons, il transforme le terrain inculte qui lui a été donné en un jardin
potager et un verger. Sensible à toutes les beautés artistiques, le Père Palau
se fait souvent poète. «En toutes les saisons, écrit-il, j'ouvrais les
fenêtres, et de ma longue-vue, je contemplais tout ce qu'il y avait de beau en
hiver, au printemps, en été et à l'automne». Il prodigue ses soins spirituels à
la population de l'île. Durant cet exil, sa vie spirituelle s'approfondit. Il
comprend plus profondément le lien qui existe entre amour de Dieu et amour du
prochain: «Si l'amour cherche Dieu seulement, croyant que Dieu, sans la relation
au prochain, suffit, il en reste là, il fait du surplace; et s'il n'en sortait
pas pour se répandre sur le prochain, l'égoïsme spirituel le consumerait et le
perdrait».
Des décrets d'amnistie
sont promulgués en 1856-1857: le Père espère pouvoir en bénéficier mais on ne
veut pas les lui appliquer. Il lui faut attendre l'amnistie générale du 1er mai
1860. Le 30 août suivant, un journal catholique fait savoir aux Barcelonais que
«le gouvernement a accueilli favorablement les justes réclamations du prêtre
sage et vertueux (le Père Palau) qui, depuis si longtemps, supportait les
conséquences d'une persécution injuste; les hauts tribunaux de la nation ont
rendu entière justice à son innocence».
À la fin de 1860,
Francisco Palau est gratifié d'une vision mystique de l'Église figurée par une
jeune fille. Vierge pure et Mère féconde, l'Église est pèlerine ici-bas et elle
apparaît pécheresse en ses membres faillibles. L'ivraie du péché s'y trouve
mêlée au bon grain de l'Évangile jusqu'à la fin des temps (cf. Catéchisme de
l'Église Catholique, CEC, 827). Conscient de cette vérité, le cardinal
Ratzinger proposait, le Vendredi Saint, 25 mars 2005, la prière suivante:
«Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une
barque qui prend l'eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus
d'ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église
nous effraient. Mais c'est nous-mêmes qui les salissons! C'est nous-mêmes qui
te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes.
Prends pitié de ton Église: en elle aussi, Adam chute toujours de nouveau. Par
notre chute, nous te traînons à terre, et Satan s'en réjouit, parce qu'il
espère que tu ne pourras plus te relever de cette chute; il espère que toi,
ayant été entraîné dans la chute de ton Église, tu resteras à terre, vaincu.
Mais toi, tu te relèveras. Tu t'es relevé, tu es ressuscité et tu peux aussi
nous relever. Sauve ton Église et sanctifie-la. Sauve-nous tous et
sanctifie-nous» (Chemin de Croix, neuvième station).
Passionné
pour l'Église
Toutefois, malgré les
faiblesses de ses membres, l'Église est sainte en elle-même: «L'Église est
sainte parce que le Dieu très saint en est l'auteur. Le Christ s'est livré
lui-même pour elle, afin de la sanctifier et de la rendre sanctifiante.
L'Esprit-Saint la vivifie par la charité. En elle réside la plénitude des
moyens du Salut. La sainteté est la vocation de chacun de ses membres et le but
de toute son action. L'Église compte en son sein la Vierge Marie et d'innombrables
saints, qui sont ses modèles et ses intercesseurs. La sainteté de l'Église est
la source de la sanctification pour ses fils, qui, sur la terre, se
reconnaissent tous pécheurs et qui ont toujours besoin de se convertir et de se
purifier» (Compendium du Catéchisme de l'Église Catholique, 165). Dans
la défense de l'Église, le Père Palau apparaît passionné: il est pressé par son
amour, son désir de servir cette Église faite de pierres vivantes, ses frères.
Il dira, plus tard, que tous ses temps d'oraison, toutes ses activités
apostoliques ou contemplatives, ont eu une seule fin: l'unir dans la foi,
l'espérance et l'amour avec l'Église. Celle-ci est pour lui le Christ
«contemplé et aimé non comme un seul individu, mais comme la tête d'un corps,
un tout», un mystère à vivre plus qu'une vérité à croire, l'unique instrument
du Salut. L'union avec l'Église est le moyen le plus intime de la communion
avec le Christ qui se réalise d'une manière privilégiée dans l'Eucharistie.
«Je dois aller d'un bout
à l'autre de l'Espagne et travailler de toutes mes forces au salut des âmes, là
où s'ouvrira à moi un chemin», écrit le Père Palau. Dès lors son apostolat se
diversifie, redevient fébrile, intense, sans qu'il néglige pour autant la
prière solitaire et la pénitence. Analysant avec lucidité la situation de
Barcelone, il constate que l'implantation industrielle attire des milliers de
personnes dont les besoins matériels et spirituels sont immenses. Il établit
partout des groupes de chrétiens actifs qui, avec leurs curés, pourront assurer
des conférences dominicales pour les jeunes, réunions qui les protègent du
désoeuvrement et des distractions dangereuses. Il lutte contre l'ignorance, la
superstition, les déviations du sentiment religieux. Toutefois, il n'oublie pas
la Congrégation qu'il a entrepris de fonder, ses Tertiaires du Carmel, Frères
et Soeurs. La branche masculine a été fondée en 1860 à Majorque; peu après, en
février 1861, les Soeurs s'installent à Minorque. Sans négliger l'aspect
contemplatif, la Congrégation prend en charge des écoles, puis l'assistance aux
malades à domicile ou en hôpital. L'établissement de Minorque toutefois ne dure
pas; en revanche, un champ d'expansion s'ouvre en Aragon et en Catalogne.
En 1865, des missions à
Ibiza et dans le diocèse de Barcelone absorbent le Père Palau. En décembre
1866, il se rend à Rome pour obtenir la reconnaissance officielle de la
Congrégation des Tertiaires du Carmel. Dès le 8 janvier 1867, il obtient le
droit de recevoir les voeux religieux de ses fils et filles spirituels, avec le
consentement préalable de l'évêque du lieu. Il écrit, cette même année, les
statuts de ceux qu'il appelle les Frères Tertiaires de la Vierge du Carmel. Ces
Frères, alors au nombre de vingt-six, sont répartis en six maisons. Cette fondation
masculine, à laquelle le Père tient beaucoup, durera jusqu'à la guerre civile
de 1936, où tous ses membres travaillant dans la péninsule, sauf un, seront
massacrés dès les premiers troubles. Quant aux Soeurs issues de la fondation
primitive, elles se constitueront finalement en deux Congrégations féminines
qui essaimeront sur quatre continents: les Soeurs Carmélites Missionnaires
Thérésiennes, et les Carmélites Missionnaires.
En 1868, le Père lance
un hebdomadaire, «El Ermitaño». Il y montre un vrai talent de polémiste,
surtout lorsqu'il s'agit de défendre l'Église, car alors les traits percutants
fusent comme naturellement sous sa plume. Son sens de l'humour lui permet de
sourire de ses propres aventures et redonne courage à ses correspondants déconcertés
par la tournure des événements. À la suite de la révolution de septembre 1868,
une nouvelle vague de persécutions déferle sur l'Espagne. Le Père Palau est
emprisonné, à la fin d'octobre 1870, avec plusieurs de ses Frères et Soeurs.
Après deux mois de prison préventive, il est libéré, mais il faudra encore un
an avant que le juge ne reconnaisse son innocence.
«
Thérèse, c'est l'heure ! »
À la fin de sa vie, le
Père voyage beaucoup, angoissé à la pensée de laisser son oeuvre inachevée, car
plusieurs fondations sont en préparation, mais il manque de moyens financiers
et de personnel. D'autre part, certains de ses compagnons l'abandonnent et
sèment le trouble par leurs critiques. Il installe à Tarragone une maison
centrale d'où il pourra diriger l'ensemble de l'oeuvre. Le 14 février 1872, il
publie un livret contenant les Règles et Constitutions de l'Ordre Tertiaire des
Carmes Déchaux. À cette même époque, le Père Palau accompagne trois de ses
Soeurs à Calasanz, en Aragon, où sévit une épidémie meurtrière. Leur dévouement
auprès des malades touche parfois à l'héroïsme. Le Père rentre à Tarragone,
épuisé par cette activité charitable. Il recommande une dernière fois l'Église
à ceux qui l'entourent: «Priez pour le triomphe de l'Église, unissant vos
supplications à celles de saint Joseph, car nous en faisons notre médiateur...
Jamais je ne me suis écarté de l'Église dans le plus petit détail; dans mes
opinions, j'ai toujours soumis mon jugement sans avoir d'autre intérêt que la
gloire de Dieu». Toute la communauté étant réunie dans sa chambre, il dit:
«Agenouillez-vous, que je vous bénisse!» Levant le bras droit, il bénit ses
enfants et ajoute, à l'adresse de sainte Thérèse d'Avila: «Thérèse, c'est
l'heure!» et, le bras levé, il rend son dernier soupir.
Le Père Palau a toujours
eu pour la Vierge Marie une tendresse filiale. En 1864, celle-ci s'est révélée
à lui comme la figure la plus parfaite de l'Église. C'est ainsi qu'il l'a
présentée aux fidèles. «En la personne de la bienheureuse Vierge, l'Église
atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride. Les fidèles du
Christ, eux, sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par
la victoire sur le péché: c'est pourquoi ils lèvent leurs yeux vers Marie » (CEC,
829). Demandons à Notre-Dame de nous obtenir un amour indéfectible de l'Église.
Cf. Le bienheureux Francisco Palau,
Armand Duval, éd. F.-X. de Guibert, 2003.
Dom Antoine Marie osb,
abbé de Saint-Joseph de Clairval
http://www.clairval.com/lettres/fr/2008/12/03/6031208.htm