SAINT HENRI DE OSSÓ. “VIVE JESUS. TOUT POUR JESUS”

 

 

“LE SORT M’A DESTINE UNE AME BONNE”

 

C’est ainsi que Henri de Ossó parle de lui-même dans quelques brèves notes autobiographiques, écrites au fil de la plume et par obéissance alors qu’il était encore très jeune. Et il avait bien raison de le dire. Dieu le dota d’une âme bonne, d’un cœur bon et aussi de bons parents… et Henri sut faire fructifier ces dons. Sa vie ne fut pas facile, mais il sut dépasser les contrariétés au cours de son adolescence, et les difficultés quand, déjà prêtre, il commença à développer ses œuvres apostoliques ; puis vinrent les jalousies, les calomnies et les injustices de la part des représentants de l’Eglise, de sa maturité jusqu’à sa mort. Il sortit de tout cela avec une foi renforcée, une espérance appuyée uniquement sur Dieu, et un amour prêt à rejoindre tout le monde, même ses détracteurs. C’est ainsi que se forgent les saints.

 

Il fut, durant les 55 ans de sa vie, maître et catéchiste, mais avant tout prêtre. Un prêtre diocésain, engagé dans son temps et auprès de son entourage le plus proche, mais toujours projeté vers le monde entier qui lui était presque trop petit pour satisfaire sa soif d’étendre la connaissance et l’amour de Jésus. Il eut une maîtresse de vie spirituelle et apostolique : Thérèse de Jésus. On pourrait presque dire qu’une part de la grande sainte d’Avila s’est incarnée en Henri de Ossó et lui a communiqué son esprit d’oraison, son amour envers Jésus-Christ et, comme fruit de l’un et de l’autre, la multitude des œuvres apostoliques qu’il a mené à bonne fin durant sa vie.

 

Enfance et vocation.

 

Henri de Ossó et Cervelló est né à Vinebre, petit village de la province de Tarragone en Espagne, sur les rives du plus grand fleuve de la péninsule ibérique, l’Ebre, qui configure un peu les habitants de son entourage, surtout aux approches de son embouchure, comme c’est le cas de Vinebre. Parlant de sa famille, Henri dit qu’il a eu "de bons parents et de saints grands parents". Un bon héritage !

A 14 ans, la mort de sa mère, causée par le choléra, le laisse inconsolable. Fréquemment elle lui disait : "Combien je serais heureuse, mon fils, si tu devenais prêtre". Mais alors il lui répondait invariablement : "Non. Je veux être maître d’école". Un peu plus tard son père l’envoie à Reus, afin qu’il travaille dans le commerce de tissus le plus grand de la ville. Mais, tandis qu’il vend derrière son comptoir, Henri pense à d’autres chemins pour sa vie. Un beau jour il laisse quelques lettres d’adieu et s’en va à pieds vers le sanctuaire de Montserrat. Là, devant la Vierge Moreneta, il décide de sa vie future : "J’ai trouvé ma vocation… Je serai toujours de Jésus, son ministre, son apôtre, son missionnaire de paix et d’amour".

 

Et là, à Montserrat, quelques jours après, son frère, qui agit en médiateur auprès de son père pour qu’il lui permette de rejoindre le Séminaire de Tortosa, le retrouve.

 

Séminariste et prêtre.

 

En 1854, en Espagne, les choses ne vont pas trop bien pour qui veut se consacrer à la cause de Jésus-Christ. Les séminaires eux-mêmes n’ont pas la structure et l’ambiance favorables pour les études et la préparation que requiert une bonne formation théologique et spirituelle. Henri vit chez Mosén Alabart, prêtre du diocèse, il a un confesseur fixe à la cathédrale auquel il recourt habituellement, il consacre tout son temps à l’étude sous la tutelle du Maître Sena, qui lui enseigne le latin et, beaucoup plus important, l’initie à la connaissance de Sainte Thérèse de Jésus. En 1856 il commence ses Humanités. Dans les registres de fin de cours, les notes d’Henri, en Philosophie et Théologie, apparaissent toujours accompagnées de la mention "Meritissimus". De plus, Henri dessine assez bien, sculpte harmonieusement des figurines de bois avec un simple couteau et chante d’une très belle voix. Comme si cela ne suffisait pas, il fait partie des Conférences de Saint Vincent de Paul, avec les obligations que cela entraîne : réunion hebdomadaire, retraite mensuelle et, chaque semaine, visite aux pauvres ; il entre ainsi en contact avec les personnes les plus misérables de Tortosa.

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Durant les vacances d’été il va à Vinebre, dans la belle maison de son père. Là, il prie, il aide aux travaux agricoles et durant le temps que, habituellement, tous consacrent à la sieste, il réunit, dans les vastes pièces du rez-de-chaussée de sa maison, très fraîches, et capables de contenir bien du monde, tous les enfants du village pour leur enseigner le Catéchisme. C’est ainsi qu’il commence sa mission de catéchiste et de maître. Puis, dans l‘après-midi, il les emmène se promener dans les environs du village. Il n’est donc pas surprenant que tous les enfants courent après lui et, chaque été, attendent avec impatience son arrivée dans le village.

 

Quand il termine ses trois années de Philosophie, ses supérieurs et sa famille veulent qu’il continue ses études au Séminaire de Barcelone, et il s’y inscrit dans l’année 1860-1861, pour y étudier la Physique et la Chimie comme disciple d’un professeur exceptionnel : le docteur Jaime Arbós. Une bonne amitié se lie entre Henri et Arbós et ce dernier le nomme son adjoint durant quelque temps. Sa famille aurait voulu qu’il "se distingue" et gravisse des échelons dans les honneurs académiques, mais ce qui préoccupe uniquement Henri, c’est de bien se préparer pour être prêtre et faire briller, non sa propre personne, mais celle de Jésus-Christ.

 

En été il va vivre à Benicasim, un village côtier de la province proche de Castellón, où vivent ses oncles et tantes. Là son corps retrouve les forces amoindries par les exigences de l’année scolaire. A Benicasim il escalade les montagnes proches du Désert des Palmes où les Pères Carmes ont leur couvent. Auprès de la communauté carmélitaine il récupère les forces de l’esprit et passe de longues journées en prière et réflexion dans l’ermitage de Sainte Thérèse, situé sur l’une des cimes ; de là il voit la mer et découvre au loin un horizon aussi large que ses songes apostoliques. Il refera cette expérience presque tout au long de sa vie.

 

En septembre 1861 il est de nouveau à Tortosa comme élève du premier cours de Théologie, au séminaire. Quelques mois après le nouvel évêque, don Benito Vilamitjana et Vila arrive dans son diocèse. Très rapidement Enrique de Ossó ne sera plus, pour l’évêque, un séminariste parmi d’autres, mais celui qu’il suit personnellement avec des projets plein d’espoir. Cependant, quelques années plus tard le panorama changera de façon radicale avec l’arrivée des calomnies et de la croix.

 

Trois ans plus tard il revient à Barcelone, afin de fréquenter dans son séminaire, comme interne cette fois, la troisième année de Théologie. Le séminaire est très bien dirigé par les jésuites qui cherchent de bons collaborateurs. Henri se lie avec le recteur qu’il admire, le P. Fermín Costa, mais surtout avec le P. Joaquín Forn, un savant prestigieux, bon professeur et bon père spirituel ; Henri se confie entre ses mains. Les résultats des trois années de Théologie suivies par Henri, à Barcelone, ont été brillants, ainsi que sa conduite morale et disciplinaire. Au cours de cette période est également importante pour lui la consolidation de quelques amitiés qui devaient durer tout la vie : Sardá et Salvany, Andrés Martorell, Casanovas, Manuel Domingo y Sol, Juan Bautista Altés…

 

En 1866, quand il termine ses études à Barcelone, l’Evêque Vilamitjana le réclame pour Tortosa. Il ne veut pas que Barcelone lui ravisse le séminariste Ossó qui – et l’Evêque le sait très bien - est un hors-série. A Tortosa il reçoit le sous-diaconat le 26 mai et, avec lui, la charge que lui confie l’Evêque d’être professeur de Physique des séminaristes ; en même temps il doit continuer ses études de Théologie. Il termine le cours avec les meilleurs notes et passe aussi un examen à la faculté civile de Barcelone où il obtient le titre de Bachelier en Arts.

 

Finalement, le 21 septembre 1867, à Tortosa, il est ordonné prêtre par Monseigneur Vilamitjana. Le 6 octobre il célèbre sa première messe à Montserrat. Le voilà prêtre pour toujours.

 


Prêtre à Tortosa

 

Quelques mois plus tard, en septembre 1868, éclate en Espagne la révolution appelée par quelques-uns “la Septembrina”, (la révolution de Septembre) et par d’autres “la Glorieuse”, qui oblige la reine Isabelle II à s’exiler en France. Les militaires triomphants, de ligne clairement anticléricale, imposent de nouvelles normes au pays. Le séminaire de Tortosa est confisqué, ferme ses portes, et les séminaristes sont renvoyés dans leurs familles. Henri passe toute l’année à Vinebre. Quand les choses reprennent leur cours normal, le voilà de nouveau à Tortosa, les séquelles de la Révolution se font sentir, surtout pour les enfants qui vont “comme des brebis sans pasteur”, imitant ce qu’ils ont entendu et vu durant une année sans religion et sans orientation. Il faut commencer par la catéchèse, trouver des catéchistes et leur donner une formation adéquate. L’évêque nomme Henri comme directeur général de la catéchèse dans le diocèse. Là commence son magistère catéchétique. Le succès de ses efforts est retentissant. Les enfants eux-mêmes qui chantaient avant : “Vive la souveraineté nationale”, chantent maintenant l’“Ave María” dans les rues de Tortosa ; en quelques mois ils sont déjà plus de 1.200. Ossó est un bon stratège, il sait que ce sont les enfants qui, mieux que quiconque, peuvent convaincre les parents –“par les enfants à la conquête des hommes”-, et il crée une association pour l’enseignement de la doctrine chrétienne, qu’il dirige, stimule et planifie, mais en faisant équipe avec d’autres, des prêtres, des séminaristes et des laïcs. Alors oui, tous commencent leur catéchèse avec les mots qui seront toujours un “leit motiv” dans l’apostolat d’Henri : VIVE JESUS.

 

 

Nous avons commencé avec quelques jeunes séminaristes une œuvre si sainte et, peu de jours plus tard, nous nous sommes réunis avec quelques cinq-cents garçons et filles. La chose suivit son chemin progressivement et, quand nous nous sommes séparés pour aller en vacances, nous en comptions près de huit-cents.

 

L’année suivante, de 1870 à 1871, l’assistance a été plus nombreuse parce qu’elle était mieux organisée ; c’est ainsi que, faisant pour Saint Joseph, le glorieux saint, une visite à toutes les sections catéchétiques (il y en avait huit) pour consacrer l’enfance à son cœur, les inscrits n’étaient  pas moins de mille-deux-cent.[1]

 

Voilà l’unique secret infaillible pour obtenir une restauration sociale de nos jours : cultiver l’innocence, la faire grandir dans la connaissance de Dieu et dans l’amour de la Religion. Ces enfants, prêtres !, que vous négligez maintenant et regardez avec indifférence rôdant par les rues et les places, n’entendant que blasphèmes et doctrines perverses, voyant des exemples scandaleux, seront un jour des pères de famille, ils saisiront les rênes du gouvernement d’une ville, d’un peuple ou peut-être même de toute une nation : et s’ils sont éduqués dans la crainte de Dieu, ils aimeront la Religion et ses ministres, ils éduqueront leurs enfants dans la piété, et la pratique de la Religion fleurira.[2]

 

Des années plus tard, en mars 1876, il instituera pour les enfants une petite œuvre d’apostolat que suivra la catéchèse proprement dite et qu’il nomma Petit Troupeau de Jésus Enfant.

 

Son œuvre catéchétique, son livre Guide Pratique du Catéchiste et sa vision transcendante de l’importance de la catéchèse eurent pour résultat de faire déclarer en novembre 1998, par la Sacrée Congrégation, Saint Henri de Ossó y Cervelló patron des catéchistes espagnols. Il le méritait bien.

 

Il est extrêmement difficile de résumer chronologiquement les œuvres apostoliques du prêtre Ossó. Elles sont si nombreuses, réalisées simultanément et d’une telle amplitude que la brièveté de ces pages n’y suffit pas!

En 1870 il fonde, pour les jeunes de la campagne, la Pieuse Association de la Très Pure Conception ; en 1871 il fonde un journal hebdomadaire appelé El amigo del Pueblo (L’ami du Peuple), en opposition à un autre anticlérical appelé Hombre (L’Homme).

En octobre 1872 apparaît le premier numéro de la Revista Mensual “Santa Teresa de Jesús” (Revue Mensuelle “Sainte Thérèse de Jésus”), fondée par Henri, qu’il va diriger durant toute sa vie, et que la Compagnie de Sainte Thérèse a continué des années après sa mort, la publiant sous le nom de Revista “Jesús Maestro” (Revue de “Jésus Maître”) jusqu’en 2005. En 1872 également il publie le Guide Pratique du Catéchiste, L’Esprit de Sainte Thérèse et une Neuvaine à Saint Joseph.

1873 est l’une de ses années les plus remplies. Il fonde l’Association des Filles de Marie Immaculée et de Thérèse de Jésus, pour former des femmes qui imitent Marie, et lisent et s’imprègnent de l’esprit et de la doctrine de Thérèse de Jésus. Ce seront ces femmes qui pourront construire “un monde de saints”. Une autre caractéristique de Ossó commence à poindre: sa confiance en la femme comme élément transformateur de la société. L’Association se propage comme un incendie en Catalogne, Valence et Aragón et, en peu de mois, elle compte déjà 700 associées.

En juillet 1874 il signe la dédicace de son livre d’or : Le Quart d’Heure de Prière, pour enseigner à prier. Ce livre connaîtra 15 éditions durant la vie de l’auteur et, toujours réédité, il en est à sa 58ème édition. En 1875 il publie un petit livre de méditation pour enfants intitulé Vive Jésus.

 

1876 est capitale dans la vie d’Henri de Ossó. Il avait visité, l’année précédente, les lieux où Thérèse de Jésus avait vécu et où elle était morte, et cela avait déclenché sa créativité inépuisable.

En mars il signe les statuts de la Fraternité Joséphine, créée “pour conduire les hommes au Christ”. Simultanément il crée le Petit Troupeau de l’Enfant Jésus, pour les enfants. Le 2 avril, alors dimanche de la Passion, il ressent fortement l’inspiration de fonder la Compagnie de Sainte Thérèse de Jésus, dédiée à l’extension de la connaissance et de l’amour de Jésus dans le monde entier, par l’oraison, l’éducation chrétienne et le sacrifice de sa vie. Cette même année neuf jeunes, provenant des rangs de l’Association de Marie Immaculée et de Thérèse de Jésus, s’engagent à entreprendre le chemin qu’indiquera leur Père Fondateur. Du vivant d’Henri, la Compagnie s’étendra rapidement en Espagne, au Portugal, en Amérique et à Alger. Par la suite, elle ira plus loin encore.

 

En 1877 Henri de Ossó dirige un immense pèlerinage aux lieux thérésiens. Plus de 4.000 pèlerins visitent Ávila et Alba de Tormes. A Salamanque, avec d’autres thérésiens insignes, il établit les bases de la Fraternité Thérésienne Universelle et, quelques jours plus tard, à Montserrat, il rédige le projet des Missionnaires de Sainte Thérèse de Jésus, publié en 1882.

 

En 1879 les premières Soeurs de la Compagnie de Sainte Thérèse font leurs vœux. Henri se dévoue corps et âme à la formation de ces femmes dont il espère qu’elles transformeront le monde. Il va et vient entre Tortosa et Tarragone, où se trouve la première communauté. Mais en même temps il prêche, il donne des exercices spirituels aux jeunes dans plusieurs villages, il continue à s’occuper d’associations et il écrit incessamment dans la Revue Sainte Thérèse de Jésus. Il voyage au Portugal et à Oran pour y établir la Compagnie. Il prépare, avec quelques personnalités ecclésiastiques d’Espagne, le Troisième Centenaire de la Mort de Sainte Thérèse.

 

L’activité incomparable d’Henri de Ossó repose et s’enracine dans une vie fortement unie à Jésus-Christ et dans l’enseignement de Thérèse de Jésus.

 

Combien de fois me suis-je demandé : Que se passe-t-il en moi ? Qu’est-ce que j’observe dans mon cœur ? D’où est née en moi cette force irrésistible, jamais ressentie, qui me pousse de façon véhémente à connaître et à suivre le chemin de la vertu, arrimé à la forte colonne de l’oraison ? D’où vient-il que je me sente vivement poussé à professer tant d’affection à tout ce qui dans notre patrie est beau et grand et qui soit un véritable joyau religieux et national ? Qu’est-ce que tout cela ? D’où cela provient-il ? et, après une longue méditation, je me réponds à moi-même : Tout cela est l’œuvre de la Vierge d’Avila.[3]

 

L’oraison quotidienne, les exercices spirituels chaque été, les jours de repos spirituel dans son très cher sanctuaire de Montserrat … sont, pour lui, une source inépuisable de richesse intérieure, d’amour de Dieu expérimenté, vécu et exprimé dans des œuvres apostoliques pour la croissance du Royaume.

Ce n’est qu’à partir de cette inclination à la prière que peut s’expliquer son incessante activité et sa profondeur spirituelle.

 

Portant la croix…

 

La vie n’est jamais facile. Mais dans la vie de ceux que Dieu a choisis, la croix a l’habitude d’apparaître invariablement. Certainement parce que “le disciple n’est pas au-dessus du maître”.

Henri de Ossó a fait l’expérience de la croix durant dix-sept longues années et mourut effectivement crucifié.

L’histoire commence le 12 octobre 1877, quand s’inaugure un couvent de Carmélites Déchaussées arrivées à Tortosa à la demande d’Henri de Ossó. Une femme avait cédé le terrain à Henri et à d’autres amis prêtres ; le couvent avait été construit avec les offrandes recueillies principalement grâce à la Revue Sainte Thérèse de Jésus et à la sollicitude de Ossó. L’année suivante, en 1878, on pose à côté du couvent la première pierre de ce qui devrait devenir la Maison Mère et le Noviciat de la Compagnie de Sainte Thérèse, à la grande joie de tous : Évêque, prêtres amis, Carmélites Déchaussées…

 

Le 12 octobre 1879, juste un an plus tard, les Sœurs de la Compagnie prennent possession de l’édifice encore en construction, et commencent à y vivre. Le jour suivant, les Carmélites Déchaussées présentent un recours devant le ‘‘Provisiorato’’ de Tortosa pour les “graves dommages que leur cause la Maison Mère de la Compagnie”. C’est ainsi que commence un long litige judiciaire qui se prolongera au-delà de la mort d’Enrique de Ossó, et qui prendra fin avec la destruction de la Maison Mère et la dévolution du terrain en question.

 

Que s’est-il passé ? Et qu’est-il arrivé ensuite ?  La raison et l’expérience prouvent que bien des personnes sont variables dans leurs sympathies, influençables dans leur conclusion … D’autres  se permettent des sentiments comme l’envie, la tristesse devant les succès des autres, les désirs d’occuper les premières places ou d’être les plus appréciées … Certains sont lâches et ont peur de se manifester en faveur de ceux qui sont tombés, ils plient devant les exigences des plus forts ou veulent faire valoir leur propre autorité au-dessus de tout, même de la justice la plus élémentaire … D’autres encore, malhonnêtes et tricheurs cachent des preuves, falsifient des documents et font n’importe quoi pour que leurs intérêts prévalent et non ceux de la justice.

 

On a vu tout cela dans le procès ou, pour mieux dire, dans les procès qu’Henri de Ossó a dû soutenir les seize dernières années de sa vie. Dans le diocèse de Tortosa d’abord. Au Tribunal Métropolitain de Tarragone ensuite. Devant la Rote de Madrid. Et, finalement devant la Rote de Rome.

 

Les Carmélites l’accusent, quelques-uns de ses propres amis l’accusent, l’évêque y compris, de s’être approprié de ce qui n’était pas à lui : l’immense terrain où se trouve le couvent des Carmélites et où a été construite la Maison Mère et le Noviciat de la Compagnie de Sainte Thérèse. Quelque chose d’inexplicable.

 

Ossó fait appel de ces sentences successives, non par entêtement mais parce qu’il croit qu’il doit défendre ce qui n’est pas à lui : le droit de construire sur ce terrain (sur lequel, personnellement, il n’aurait pas voulu construire à ce moment-là), et les dots des Sœurs de la Compagnie employées lors de la construction de l’édifice. La partie opposée a en mains le pouvoir et l’emploie mal : elle s’acharne sur la personne d’Henri et sur la Compagnie de Sainte Thérèse avec une rancœur visible jusque dans les mots employés à plusieurs reprises, et dans des actions manifestement injustes, comme l’Interdit auquel elles soumettent la Maison Mère et le Noviciat durant deux ans. L’Evêque Vilamitjana, l’ancien ami, qui connaît et a toujours béni les œuvres apostoliques d’Henri, qui l’a encouragé à les poursuivre … se retourne contre lui : il en vient à détruire frauduleusement la sentence favorable émise par le Tribunal Métropolitain de Tarragone, et à la faire changer en une autre défavorable. Ensuite, les documents qui prouvent la bonne foi d’Henri dans le procès, la justice de son action et l’injustice de ceux qui l’accusent, disparaissent mystérieusement au moment d’arriver aux hautes instances vaticanes. Une main noire les met là où ils seront difficiles à trouver, et ils n’apparaîtront que presque un siècle plus tard. Les avocats qui défendent Henri de Ossó lui recommandent de mettre le procès dans les mains de la justice civile où il gagnera en toute sécurité. Jamais il ne le fait. Il ne peut pas mettre sur la sellette l’Eglise qu’il aime de tout son cœur.

 

Survient une autre croix, presque plus douloureuse encore. Sa Compagnie de Sainte Thérèse de Jésus, la pupille de ses yeux, celle pour laquelle il a donné tout ce qu’il a, tant de sa propre personne que de ses propres biens, veut voler de ses propres ailes, et comme elle n’est pas préparée, elle tombe dans le rejet et l’opposition vis-à-vis de son Père et Fondateur.

 

Tandis que la croix pèse sur ses épaules, Henri de Ossó a des phrases, qui ne sont pas seulement des phrases mais des vérités qu’il a vécues lui-même : “Tout cela est contradiction de la part des bons” et “Aucune adversité ne nous nuira si aucune iniquité ne nous domine”. Il ne fait pas l’expérience de l’iniquité, mais d’une grande douleur en même temps qu’une énorme paix intérieure. Rejeté, jugé et condamné par ce qu’il aime le plus au monde : l’Eglise ; loin de celles qui lui doivent la vie et plus encore : la Compagnie de Sainte Thérèse.

 

C’est ainsi que la mort le surprend en 1896. Il a écrit bien davantage au cours de ces années. En plus d’articles dans la Revue Sainte Thérèse de Jésus, il rédige ces ouvrages: Dévotion aux sept dimanches à Saint Joseph ;Mois de Sainte Thérèse de Jésus ; Neuvaine à Sainte Thérèse de Jésus ; Constitutions, Plan Provisoire d’Etudes et d’autres écrits pour la Compagnie de Sainte Thérèse de Jésus ; Triduum en l’honneur de Sainte Thérèse de Jésus ; Le 15 de chaque mois, en l’honneur de Sainte Thérèse ;Règlement pour les Filles de Marie Immaculée et de Thérèse de Jésus ; Le Trésor de la Jeunesse, livre de dévotion ; Trois Petites Fleurs à la Vierge de Montserrat ; Catéchisme des ouvriers et des riches, tiré à la lettre de l’Encyclique du Pape Léon XIII De opificum conditione ; Le Dévot de Saint Joseph ; Petit Bouquet du Chrétien ; Le Trésor de l’Enfance ; Un mois à l’Ecole du Cœur de Jésus ; Règlement du Petit Troupeau de l’Enfant Jésus ; Sept Demeures dans le Cœur de Jésus ; Tribut Amoureux à Saint François de Sales ; Marie au cœur de ses enfants ; Notes ou petit traité de la vie mystique selon la doctrine de Sainte Thérèse de Jésus ; Neuvaine à l’Esprit Saint… La liste n’est pas complète, il y manque encore quelques petits livrets que nous vous épargnons.

 

Epuisé physiquement et spirituellement, mais jamais abattu, il se réfugie dans le couvent franciscain de Gilet (Valence), au mois de janvier 1896. Il a encore, dans la tête et le cœur, mille projets à entreprendre pour rendre vivante la consigne qui préside toutes ses œuvres : “Vive Jésus. Tout pour Jésus”. Lui, il a déjà tout donné pour Jésus, mais il ne le sait pas. Le TOUT deviendra réalité dans la nuit du 27 janvier. Il vient de faire une longue et profonde confession à l’un des Pères franciscains. Avant de se retirer pour le repos il a commenté : “Quel beau ciel, Frère ! Si c’est ainsi au-dehors, que sera-ce au-dedans !” Quelques heures plus tard Dieu venait le chercher pour qu’il connaisse ce ciel si beau qu’il désirait tant.

 

Il est enterré dans le cimetière des Franciscains, comme l’un des frères, sans appartenance propre, sans rien. Le jour suivant, quand elles apprennent la nouvelle, arrivent les sœurs de la Compagnie. Des années plus tard, alors que la Maison Mère de la Compagnie est déjà détruite et que le nouveau noviciat est édifié à Tortosa, la Compagnie transporte les restes de son Père Fondateur dans la chapelle de l’édifice où ils reposent encore aujourd’hui.

 

Après un long processus de béatification et de canonisation, au cours duquel apparaissent presque miraculeusement les documents prouvant son absolue intégrité, sa fidélité désintéressée à la justice et son amour pour l’Eglise, Henri de Ossó y Cervelló est déclaré SAINT par Jean Paul II, à Madrid, le 16 juin 1993. “Heureux l’homme qui craint le Seigneur ”.

 

Pilar Rodríguez Briz, stj



[1]Guide pratique du catéchiste, EEO I, p. 30

[2]Guide pratique du catéchiste, EEO I, p. 81

[3] RT nº 38 (1875) p. 35