Carmel de Lisieux
Eucharistie en l’honneur de
Notre-Dame du Mont-Carmel
25 septembre 2010
Homélie du Cardinal Cláudio
Hummes, o.f.m.
Préfet de la Congrégation pour
le Clergé
Excellence,
Chers frères prêtres,
Chères Sœurs Carmélites,
Chers amis,
En cette première Eucharistie que je célèbre en ces jours
à Lisieux, à l’occasion de mon pèlerinage, je veux d’abord saluer Monseigneur
Claude Boulanger, Évêque de Bayeux et Lisieux, ainsi que Monseigneur Bernard
Lagoutte, Recteur de la Basilique. Merci pour votre invitation à présider ces
fêtes de sainte Thérèse. C’est pour moi une grande grâce en raison de mes liens
profonds avec sainte Thérèse.
Je suis heureux de revenir en ce Carmel où j’ai déjà été
reçu avec tant de délicatesse, l’an dernier. Je salue la Mère Prieure et
chacune des Moniales.
Comme c’est la tradition dans votre Ordre, la messe du
samedi est célébrée en l’honneur de Notre-Dame du Mont-Carmel. Puisque sainte
Thérèse a vécu dans ce monastère, nous pouvons nous demander quel lien existe
entre elle et la Vierge. Je voudrais en souligner deux.
Le premier est signalé par la fin de la première
lecture : « Celui qui me trouve, a trouvé la vie, il obtiendra la
faveur du Seigneur ». D’où vient la vie, d’où vient la faveur du Seigneur
qu’on trouve en s’approchant de Marie ? Marie a été choisie de toute
éternité pour être la mère du Sauveur, qui est le Verbe de Vie. Elle
l’accueille en elle avec une disponibilité totale : « Qu’il me soit
fait selon ta parole ». Pour que cette disponibilité soit totale, il faut
que tout en elle soit accueil. Il faudrait, si l’on peut dire, que sa capacité
d’accueil soit à la mesure du don que Dieu veut lui faire. Mais ce n’est pas
possible, puisque le don est infini : c’est le Verbe de Vie lui-même. Cela
nous révèle néanmoins que Marie est capable de « tout attendre du bon Dieu ».
Son Magnificat nous dit que « le Tout Puissant s’est penché sur la
bassesse de sa servante », sur son « néant », dirait Thérèse. La
foi catholique insiste sur le fait que Marie a tout reçu en raison des mérites
de Jésus Sauveur. Le mystère de Marie est un mystère de gratuité absolue. Marie
est riche, plus que toute autre créature : riche de grâce, riche de sa
maternité divine, riche de sa collaboration de foi à l’œuvre de Dieu.
« Avec moi, il y a richesse et gloire, fortune durable et prospérité ».
Mais cette richesse, elle l’a reçue de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies
reçu ? », demande saint Paul (1 Co 4, 7). La grâce de l’Immaculée
Conception nous montre bien que tout est gratuit en Marie. Comment aurait-elle
pu mériter cette grâce, qui lui est donnée dès le premier instant de son
existence ! Marie peut vraiment être définie comme celle qui reçoit tout
de Dieu. Elle est la parfaite enfant de Dieu, car Thérèse nous prévient :
être enfant, c’est tout recevoir de Dieu, et plus on est petit, plus on reçoit.
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus reproduit, en ce sens,
le modèle parfait qu’est la Vierge. A la ressemblance du Fils de Dieu qui
reçoit tout de son Père, à l’image de Marie qui est comblée de Dieu parce qu’elle
est toute-petite, et qui a été créée toute-petite pour être comblée de Dieu,
Thérèse a vécu jusqu’au bout cet appel à la petitesse et à la réceptivité. Elle
a compris qu’elle ne devait pas grandir mais « rester, au contraire,
petite et le devenir de plus en plus »[1].
Elle a prévenu Céline : « Plus tu seras pauvre, plus Jésus
t’aimera »[2]. Pour
Thérèse, la pauvreté et la petitesse sont le même mouvement, celui de n’avoir
rien en propre pour n’avoir qu’une seule richesse : Dieu lui-même. Or ce
mouvement est inscrit dans le cœur de toute personne. Lorsque le Concile affirme
que « la vocation de l’homme est unique, à savoir divine »[3],
il ne veut pas dire autre chose. L’homme est fait pour Dieu, son cœur est
inquiet tant qu’il ne repose en lui, comme dit saint Augustin, et comment l’homme
pourrait-il réaliser cette vocation divine sans recevoir gratuitement le Don de
Dieu qu’est l’Esprit Saint ? La spiritualité de Thérèse, que l’on appelle
à juste titre la spiritualité de l’enfant, nous ramène à une exigence qui
rejoint l’universel. En Jésus, Dieu veut faire de tout homme son enfant. Pour
cela l’homme doit simplement accueillir sa condition d’enfant. Il faut qu’il
soit petit dans son être, même s’il exerce les missions les plus hautes. Saint
Pie X a dit que Thérèse est « la plus grande sainte des temps
modernes ». Et pourtant elle reste toute petite. Ou plutôt, sa petitesse
est la raison de sa mission.
N’est-ce pas parce qu’elle touche ainsi ce qu’il y a de
plus universel et de plus profond dans le cœur de l’homme que Thérèse fascine
en quelque sorte tous ceux qui la découvrent ? Peut-être ne sont-ils pas
conscients des aspirations profondes de leur cœur, mais ils pressentent que la
vie et l’enseignement de cette petite Sainte étanchera une soif qui les
taraude. Come évêque j’ai participé à l’assemblée de la Conférence épiscopale
brésilienne lorsqu’elle a voté à l’unanimité une demande au Pape que Thérèse soit
proclamée Docteur de l’Église. Tant d’autres conférences ont fait la même requête
à travers le monde. Une des raisons de l’universalité est là, dans cette
petitesse, qui veut devenir sans cesse plus petite pour laisser toute la place
à Dieu. C’est le secret de sa fécondité : Dieu fait tout en elle et à
travers elle.
Mais Thérèse a prévenu que sa spiritualité n’est pas du
quiétisme. Comme Marie, elle collabore au don de Dieu par sa foi. Nous avons lu
dans la première lecture que Marie comble ceux qui veillent à sa porte jour
après jour. Veiller est le verbe qui définit l’attitude de la foi. Quand Thérèse
décrit sa contemplation dans la parabole du petit oiseau[4],
elle insiste sur son regard inlassablement fixé sur le soleil divin, même s’il
est caché par les nuages, même si elle-même est « assaillie par la
tempête ». « Quel bonheur pour [elle] de rester là quand même,
de fixer l'invisible lumière qui se dérobe à sa foi!!!... ». Elle comprend
que Jésus l’aime, précisément parce qu’elle « ne s’éloigne pas de
[lui] ». Comme Marie, Thérèse connaît la « kénose de la foi » :
croire sans avoir la jouissance de l’expérience de la foi, croire alors que
tout semble s’opposer à la foi. Mais ce dépouillement fait partie aussi de la
petitesse.
Le deuxième lien entre Marie et Thérèse nous est suggéré
par l’Évangile. Au pied de la Croix, Marie est consacrée dans sa maternité universelle :
le disciple bien aimé lui est confié. Quand on est tout petit et qu’on reçoit
tout de Dieu, on commence à comprendre qu’on doit être amour qui se
donne ; on ne peut pas garder pour soi les richesses dont on est comblé.
Marie reçoit le Verbe de Dieu en son sein et le donne tout entier au monde.
Thérèse est carmélite. Elle sait que cela signifie « être par [son] union
avec [Jésus] la mère des âmes »[5].
Elle entraine Céline dans son ardeur maternelle : « Notre mission de
carmélite est de former des ouvriers évangéliques qui sauveront des milliers
d’âmes dont nous serons les mères »[6].
La Vierge Marie, au Cénacle, a rempli pleinement son rôle maternel par sa
prière au milieu des apôtres pour les préparer à la venue de l’Esprit. Le Catéchisme de l’Église Catholique (n.
2679) la présente inséparablement comme « l’Orante parfaite » et la
Mère. Aussi, dans la vie de Thérèse, les exemples ne manquent pas où l’on voit
sa prière pour les autres et surtout pour les évangélisateurs.
A ce propos, je voudrais revenir sur l’Année sacerdotale
que notre bien aimé Benoît XVI a conclue le 11 juin dernier. Pendant cette
année spéciale, toute l’Église a été invitée à prier davantage pour les prêtres
à travers le monde. Quand elle est entrée au Carmel, sainte Thérèse a décidé de
prier sans cesse pour les prêtres. Elle l’a écrit : « Je suis venue afin de sauver les âmes et surtout
afin de prier pour les prêtres »[7].
Cette prière pour les prêtres, je voudrais maintenant la recommander encore une
fois et de façon toute particulière à vous, chères Moniales de ce Carmel de
Lisieux, où Thérèse a vécu et tant prié pour les prêtres. Elle a exercé ici une
vraie maternité spirituelle à l’égard de tous les prêtres du monde. Elle
continue certainement son incessante intercession au ciel. Unissez-vous à son
intercession. J’en suis sûr, vous le faites déjà depuis toujours, mais c’est
dans l’esprit de l’Année sacerdotale que je la recommande de nouveau, car nous
voudrions que cette année soit vraiment fructueuse pour l’Église tout entière
et pour les prêtres en particulier.
Pour finir, je voudrais m’arrêter
à la vocation missionnaire de Thérèse. Elle a été proclamée Patronne des
missions en raison de son action et de sa prière pour les missionnaires et les
missions à travers le monde, bien qu’elle ait été cloîtrée. L’Église perçoit
aujourd’hui une nouvelle urgence missionnaire. Les derniers Papes, et Benoît
XVI à son tour, ont appelé l’Église à un effort missionnaire et évangélisateur
renouvelé. Cela, non seulement dans les terres de mission au sens strict du
mot, mais aussi partout dans le monde où la déchristianisation s’étend et où
tant de catholiques s’éloignent de leur Église. C’est la raison pour laquelle
Benoît XVI a récemment créé un nouveau Conseil Pontifical, celui pour la
Nouvelle Évangélisation. Il espère beaucoup que l’Église devienne plus
missionnaire. Mais nous savons que tout ceci a besoin de beaucoup de prière.
Voilà pourquoi, chères Carmélites, je voudrais également vous recommander cette
intention missionnaire toute spéciale.
Pour conclure, je voudrais
seulement faire une petite mais importante allusion à ce que nous appelons la
petite voie de Thérèse. En effet, à la fin de sa vie, sainte Thérèse demanda à
sa novice Marie de la Trinité si elle suivrait fidèlement sa petite voie. Recevons
nous aussi cette question. Cette petite voie est « sûre ». Elle a
jaillie ici, dans ce Carmel. Elle est comme la fleur du charisme et de
l’enseignement du Carmel ; elle est surtout la fleur de l’Évangile qui
nous rappelle que seuls les petits enfants entreront dans le Royaume de Dieu.
Amen.