Basilique de Lisieux
Dimanche 26 septembre 2010
Solennité de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
Homélie du Cardinal Cláudio Hummes,
o.f.m.
Préfet de la Congrégation pour
le Clergé
Excellence,
Chers
frères prêtres,
Chers
frères et sœurs,
En adaptant les paroles du
prophète Isaïe que nous avons entendues dans la première lecture, nous crions à
sa suite : Réjouissons-nous avec toute l’Église ! Réjouissons-nous
avec toute l’humanité ! car le Seigneur se compare à une mère qui porte
son enfant sur les bras, le console et le caresse. Vous savez que ce texte
d’Isaïe a bouleversé sainte Thérèse[1].
Depuis sa petite enfance elle expérimentait à quel point Dieu l’aimait. Cette
expérience était devenue le ressort de sa vie spirituelle et quelle fut son
émotion lorsqu’elle trouva dans la Sainte Écriture la confirmation de ce
qu’elle vivait : « Vous serez comme des nourrissons que l’on porte
sur son bras, que l’on caresse sur ses genoux. De même qu’une mère console son
enfant, moi-même je vous consolerai. » Thérèse commente : « Ah!
jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon
âme ».
Le grand message que sainte
Thérèse proclame au monde est celui-ci : Dieu est amour, tendresse,
miséricorde ; Dieu vous a créés pour vous aimer avec cette tendresse que
vous n’imaginez peut-être pas. Nous pourrions objecter : Mais, il n’y a rien
de nouveau ! Saint Jean avait déjà dit que « Dieu est amour » (1
Jn 4, 16). Saint Paul témoigne que Dieu est un « Père plein de
tendresse » (2 Co 1, 3), « riche en miséricorde » (Ep 2, 4). Oui,
c’est vrai que l’Évangile proclame que Dieu est amour et tendresse, et c’est
même le cœur de la Bonne Nouvelle : « Dieu a tant aimé le monde qu’il
a envoyé son Fils unique pour que tout homme qui croit ait la vie
éternelle » (Jn 3, 16). Sainte Thérèse ne peut rien dire qui ne soit déjà
dans l’Évangile. Mais nous avons des difficultés à croire vraiment que Dieu
nous aime avec une telle tendresse qu’il nous a envoyé son Fils pour nous le
prouver. Il ne se laisse pas décourager par la peur que certains éprouvent à
son égard, souvent à cause d’une fausse conception de la justice de Dieu.
Rappelez-vous comment Thérèse voit la justice de Dieu : « A moi, dit-elle, Il a donné sa Miséricorde
infinie, c'est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections
Divines!... Alors toutes m'apparaissent rayonnantes d'amour, la Justice même
(et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d'amour... Quelle
douce joie de penser que le Bon Dieu est Juste, c'est-à-dire qu'Il tient compte
de nos faiblesses, qu'Il connaît parfaitement la fragilité de notre nature. De
quoi donc aurais-je peur? »[2]
Dans la deuxième lecture, saint
Paul affirme que nous ne pouvons pas avoir peur car Dieu nous a donné son
Esprit qui est un Esprit d’amour : « L’Esprit que vous avez reçu ne
fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un
Esprit qui fait de vous des fils », c’est un Esprit qui vous permet de
vous adresser à Dieu avec une affection toute familière, en l’appelant Abba, Père ! Car nous sommes
véritablement ses enfants. C’est pour cela que saint Paul ajoute que nous
sommes aussi ses héritiers. Cela signifie que Dieu nous unit à son Fils Jésus
pour que nous puissions participer à toute sa richesse divine. Comment
pouvons-nous avoir peur d’un père si bon ?
Le psalmiste a fait aussi cette
expérience : « Mon âme est en moi comme un petit enfant contre sa
mère ». Nous savons quelle paix, quelle confiance habitent le cœur d’un
enfant quand il se blottit contre sa mère. Comme le dit Isaïe, il est nourri et
rassasié de ses consolations ; la paix en lui est comme un fleuve.
Cependant, l’Évangile
d’aujourd’hui dévoile un obstacle : nous ne croyons pas facilement que
notre Dieu qui est infini, notre Dieu qui est invisible, notre Dieu que certains
d’entre nous trouvent peut-être très lointain ; nous ne croyons pas
facilement que notre Dieu soit à ce point un Père plein de tendresse qui nous
connaît, qui nous est très proche, qui nous aime, qui nous entoure de toute sa
sollicitude paternelle. C’est pour cela que nous devons opérer une conversion
et Jésus nous avertit solennellement : « Amen, je vous le dis :
si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez
pas dans le Royaume des cieux ». Il n’est donc pas si facile de devenir un
enfant. Pour devenir un petit enfant, il faut apprendre à connaître Dieu afin
de découvrir à quel point il est tendresse ; apprendre à lui faire
confiance ; apprendre à tout attendre de lui. Comme un Père qui aime son
enfant, Dieu veut nous aider à tout instant dans notre vie de chaque jour, il
veut nous conduire : « tous ceux qui se laissent conduire par
l’Esprit de Dieu, ceux-là sont les enfants de Dieu », nous a dit saint
Paul. Il faut beaucoup de temps pour apprendre à tenir la main de notre Père en
toute occasion, pour apprendre à lui donner toute notre confiance, pour
apprendre à nous abandonner complètement à lui. Sainte Thérèse a avoué à la fin
de sa vie : « J'ai été longtemps avant de m'établir à ce degré
d'abandon »[3]. Puis, elle
a ajouté : « Maintenant, j'y suis [dans cet abandon total]; le bon
Dieu m'y a mise, il m'a prise dans ses bras et m'a posée là... ». Elle
révèle ainsi que c’est Dieu qui nous donne la force de faire les efforts
nécessaires pour marcher vers lui et avec lui. ‘Sans moi, vous ne pouvez rien
faire », dit Jésus (Jn 15, 5).
Voilà notre propre
vocation : découvrir que Dieu intervient comme un Père dans notre vie,
jusque dans les plus petits détails, pourvu que nous l’appelions, que nous
mettions en lui toute notre confiance, que nous appelions sans cesse son Esprit
Saint. Des fleuves de paix alors envahissent notre cœur car nous sommes en
confiance et nous correspondons parfaitement à ce pour quoi nous avons été
créés : être les enfants bien-aimés de Dieu.
* *
Ces fleuves de paix sont pour
tous car Dieu a voulu nous créer tous, pour faire de nous ses enfants. Dans la
première lecture, le prophète Isaïe entrevoyait déjà cette universalité par
cette parole du Seigneur : « Je dirigerai vers [Jérusalem] la gloire
des nations comme un torrent qui déborde ». L’image est suggestive :
un torrent déborde quand ses eaux sont abondantes. On entrevoit comment les
nations, c’est-à-dire l’humanité entière, accueilleront la Bonne Nouvelle de la
tendresse de Dieu manifestée en Jésus son Fils.
Mais comment l’entendront-ils,
cette Bonne Nouvelle, si on ne la leur annonce pas ? Notre monde
d’aujourd’hui est assoiffé d’Évangile. La déchristianisation ne le rend pas
heureux. Nos contemporains ont un espace vide dans leur cœur, qui est en
attente de la révélation de leur vocation profonde, celle des enfants
bien-aimés de Dieu. Qui enverrai-je ? demandait le Seigneur au début du
livre d’Isaïe. Comme Isaïe et comme tant d’autres, mais peut-être avec une
intensité toute spéciale, une enfant de Lisieux a répondu : « Me
voici, envoie-moi »[4].
En trouvant dans le livre d’Isaïe le texte de la première lecture :
« Vous serez comme des nourrissons que l’on porte sur son bras, que l’on
caresse sur ses genoux », Thérèse s’est écriée : « O mon Dieu,
vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes. Vous
m'avez instruite dès ma jeunesse et jusqu'à présent j'ai annoncé vos
merveilles, je continuerai à les publier dans l'âge le plus avancé »[5].
Et c’est vrai, ses écrits sont traduits dans presque toutes les langues de la
terre et l’Église a reconnu l’universalité et l’importance de son enseignement
en la proclamant Docteur.
Frères
et Sœurs, aidons sainte Thérèse à publier les miséricordes du Seigneur.
Participons à sa mission qui est celle de l’Église. Nous vivons aujourd’hui une
urgence de la mission pour rejoindre chacun de nos contemporains. Beaucoup ne
connaissent pas encore cette Bonne Nouvelle qui change tout dans la vie d’un
homme. Jean-Paul II a lancé l’Église dans l’ardeur d’une nouvelle Évangélisation.
Benoît XVI a confirmé cette impulsion en créant tout récemment un nouveau
Conseil Pontifical, pour « promouvoir une évangélisation renouvelée dans
les pays où a déjà retenti la première annonce de la foi […], mais qui vivent
une sécularisation progressive de la société et une sorte d’‘éclipse du sens de
Dieu’ »[6]. J’invite
chacun de vous, qui êtes venus aujourd’hui dire votre affection à sainte
Thérèse, à faire vôtre son désir missionnaire qui est celui du Saint Père et de
toute l’Église. Là où vous habitez, là où vous travaillez, partout où vous
passez, témoignez par votre vie que vous êtes aimés de Dieu, proclamez à tous
ceux que vous rencontrez : « Laisse-toi aimer par Dieu, c’est un Père
plein de tendresse. Jésus veux transformer ta vie en bonheur. Laisse-toi
conduire par lui jusqu’au baptême pour devenir enfant de Dieu, ouvre ton cœur
au don de l’Esprit par la confirmation, reçois le corps ressuscité du Seigneur
dans l’Eucharistie».
Quand
un enfant est aimé à la folie par ses parents, il éclate de joie et sa joie
rayonne. Frères et sœurs, que votre joie d’être aimés de Dieu avec tendresse
éclate et rayonne partout autour de vous, pour que ceux qui vous côtoient
soient eux-aussi attirés, fascinés, comblés par la tendresse du Père de Jésus
notre Seigneur. Vous les conduirez jusqu’à l’Eucharistie, cette Eucharistie que
nous poursuivons maintenant et dans laquelle nous trouvons Jésus, l’infinie
richesse de notre vie.