Conférence du Cardinal Cláudio Hummes ofm
Préfet de la Congrégation pour le Clergé
à l’occasion de la journée d’action de grâce pour l’Année
Sacerdotale
Lisieux – 27 septembre 2010
LA SPIRITUALITÉ SACERDOTALE
Excellence,
Chers frères prêtres,
Chers amis,
Nous sommes réunis auprès
de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus pour rendre grâce à la fin de l’Année
Sacerdotale que le Pape Benoît XVI a proclamée. Cette année a été féconde
au-delà de toute espérance. Elle a permis à l’Église de dire à chaque prêtre sa
reconnaissance, son estime, son affection, son soutien. Car, même s’il y a des
faiblesse ou même malheureusement de graves péchés chez certains prêtres, nous
savons avec quelle générosité la très grande majorité des prêtres ont donné et
donnent chaque jour leur vie pour le service du Christ et de son Église. Cette
Année a aussi été voulue par le Saint Père pour encourager les prêtres dans
leur marche vers la sainteté car, dit-il à la suite du Concile, c’est « de
la perfection spirituelle que dépend avant tout la fécondité de leur
ministère »[1]. Rendre
grâce pour la fécondité de cette année, c’est s’engager à continuer de marcher
sur la voie de la sainteté. Et se réunir à Lisieux dans ce but n’est pas un
hasard, car nous savons comment sainte Thérèse a prié pour la sainteté des
prêtres. Nous savons aussi la richesse de l’enseignement qu’elle a laissé dans
ses lettres. Je vous invite donc à réfléchir ce matin sur la spiritualité
sacerdotale. Quel chemin devons-nous emprunter pour marcher vers la sainteté et
rendre notre ministère au maximum fécond ?
Introduction
Le
Concile Vatican II a souligné la nature et l’importance d’une spiritualité
propre aux prêtres diocésains. Auparavant, les prêtres cherchaient souvent dans
les spiritualités des Ordres religieux une inspiration pour spécifier leur
marche vers la sainteté. Cependant, dans Presbyterorum
Ordinis (PO), le Concile indique que « c'est l'exercice loyal,
inlassable, de leurs fonctions dans l'Esprit du Christ qui est, pour les
prêtres, le moyen authentique d'arriver à la sainteté » (PO 13). Évoquant le fait que beaucoup de
candidats au sacerdoce proviennent des nouveaux mouvements et des nouvelles
spiritualités, le Vénérable Serviteur de Dieu Jean-Paul II observait dans Pastores dabo vobis (PDV), de 1992 :
« La participation du séminariste et du prêtre diocésain à des
spiritualités particulières et à des groupes ecclésiaux est certainement en soi
un facteur bienfaisant de croissance et de fraternité sacerdotale. Cependant,
elle ne doit pas gêner, mais au contraire, aider l'exercice du ministère et la
vie spirituelle propres au prêtre diocésain » (n. 68).
Le
mot « spiritualité » vient de « esprit ». Se poser la
question de la spiritualité de quelqu’un, c’est se demander quel esprit le meut
et l’inspire dans la découverte et dans la réalisation du sens de sa vie, dans
la recherche de ses objectifs et dans la formulation de ses aspirations
déterminantes. Pour un chrétien, et de façon particulière pour les pasteurs de
l’Église, cet esprit ne peut être autre que l’Esprit Saint lui-même. C’est
pourquoi Presbyterorum Ordinis dit
que les prêtres arrivent à la sainteté s’ils exercent leurs fonctions « dans
l’Esprit du Christ ». C’est l’Esprit Saint qui doit mouvoir le prêtre, qui
doit l’inspirer et préciser ses aspirations.
La
vie spirituelle s’entend comme itinéraire de croissance de notre être jusqu’à
sa perfection possible. Il s’agit de tendre à la perfection, comme l’a dit Benoît
XVI lorsqu’il a défini le but de l’Année Sacerdotale. Nous pouvons
immédiatement saisir que l’authentique et vraie spiritualité doit être
l’expression toujours plus développée de l’identité personnelle, c’est-à-dire
de l’être personnel de la personne dont on parle. A partir de cette
compréhension de la spiritualité, je voudrais évoquer synthétiquement quelques
éléments constitutifs de la spiritualité du prêtre, sans prétendre ici être
exhaustif.
1. Éléments humains et chrétiens de la spiritualité sacerdotale.
En
premier lieu, quand on parle de l’être du prêtre, c’est-à-dire de son identité
spécifique qui doit s’exprimer dans sa spiritualité, nous ne pouvons pas
oublier qu’avant d’être prêtre, c’est un homme et un chrétien. Ainsi, avant de
traiter spécifiquement de la spiritualité sacerdotale, on pourrait préciser les
aspects d’une spiritualité humaine de base, puis d’une spiritualité chrétienne
commune à tous les chrétiens, qu’ils soient laïcs ou ordonnés ou consacrés. De
fait, dans le prêtre, l’être humain et chrétien n’a pas été détruit pour
laisser la place à un être nouveau qui serait l’être sacerdotal. Il a seulement
été transformé. Ceci ne me paraît pas de peu d’importance. Bien au contraire,
je crois qu’il est parfois nécessaire de réveiller chez le prêtre ces aspects
humains et chrétiens de son être et, par conséquent, de sa spiritualité.
D’autre
part, la transformation de l’être humain et chrétien dans l’être sacerdotal ne
constitue pas seulement un ajout accidentel mais une vraie transformation
ontologique et théologique. Cela signifie que, chez le prêtre qui est sacramentellement
configuré au Christ, Tête et Pasteur de l’Église, cette configuration est vue
par l’Église comme ontologique et par conséquent pérenne et inséparable de son
être humain et chrétien originel, avec lequel il constitue un seul être. C’est
pourquoi on doit dire que le prêtre doit développer les éléments ontologiques
de son être humain et chrétien, en plus de ceux de son être sacerdotal.
Prenons
un exemple. Le prêtre est un homme adulte, mûr, une personne intelligente et
libre. Cela le rend responsable de ses actes et de toute sa vie. Sa relation
avec Dieu doit donc être adulte, mûre et responsable. Le prêtre ne peut pas
avoir, vis à vis de Dieu, une attitude infantile et immature, un comportement
qui n’assume pas la responsabilité de ses actes ou qui la rejette sur les
autres, voire sur Dieu lui-même. La grandeur de l’homme tient précisément dans
le fait qu’il est responsable de lui-même, puisqu’il est une personne
intelligente et libre. Et ceci fonde le droit à la liberté de conscience. Cela
suppose, bien sûr, que l’homme ait cherché de façon responsable à se former une
conscience droite. Cela signifie également que sa liberté n’est pas une simple
capacité de faire ce qu’il veut de façon arbitraire, mais qu’elle est une
liberté responsable qui suit la lumière de la vérité. Dans son encyclique Veritatis Splendor (VS), de 1993,
Jean-Paul II enseigne ceci : « Dans le jugement pratique de la conscience, qui impose à la personne l'obligation d'accomplir un acte
déterminé, se révèle le lien entre la
liberté et la vérité. C'est précisément pourquoi la conscience se
manifeste par des actes de ‘jugement’ qui reflètent la vérité sur le bien, et
non comme des ‘décisions’ arbitraires. Le degré de maturité et de
responsabilité de ces jugements — et, en définitive, de l'homme, qui en est le
sujet — se mesure non par la libération de la conscience par rapport à la
vérité objective, en vue d'une prétendue autonomie des décisions personnelles,
mais, au contraire, par une pressante recherche de la vérité et, dans l'action,
par la remise de soi à la conduite de cette conscience » (VS 61). Déjà
dans sa première encyclique Redemptor
Hominis (RH) de 1979, il avait enseigné : « Jésus-Christ va à la
rencontre de l'homme de toute époque, y compris de la nôtre, avec les mêmes
paroles : ‘Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres’ (Jn
8,32). Ces paroles contiennent une exigence fondamentale et en même temps un
avertissement : l'exigence d'honnêteté vis-à-vis de la vérité comme
condition d'une authentique liberté ; et aussi l'avertissement d'éviter
toute liberté apparente, toute liberté superficielle et unilatérale, toute
liberté qui n'irait pas jusqu'au fond de la vérité sur l'homme et sur le monde.
Aujourd'hui encore, après deux mille ans, le Christ nous apparaît comme Celui
qui apporte à l'homme la liberté fondée sur la vérité » (RH 12).
Il existe un autre aspect de l’identité de tout homme et de tout chrétien,
qui par conséquent doit toujours faire partie de la spiritualité du
prêtre : c’est la dimension sociale de son être. Cette dimension le rend
coresponsable de tous les autres êtres humains. Nul n’est une île. Tous, nous
appartenons essentiellement à un corps social, même lorsque nous vivons dans
l’isolement. Nous avons une responsabilité à l’égard de ce que les autres êtres
humains revendiquent justement comme leurs droits, qui sont souvent méconnus ou
bafoués. Entre ici la question des pauvres, qui regarde tous les hommes et
chaque homme, croyant ou incroyant, et encore plus les chrétiens. La pauvreté
et même la misère totale continuent de peser sur des centaines de millions de
personnes humaines. Il s’agit d’une situation objective d’énorme injustice
sociale. Déjà comme simple homme, mais encore plus comme chrétien et comme
pasteur de la communauté chrétienne, le prêtre ne peut pas ne pas s’élever
intérieurement contre une telle situation, et ne pas en faire un élément
important de sa vie spirituelle. La justice, la charité fraternelle, la
solidarité, doivent le pousser à participer activement et inlassablement à
l’effort de tant d’institutions et de tant de simples personnes en faveur de la
construction d’un monde juste, fraternel, solidaire et pacifique. La vie
spirituelle se fait ainsi ouverte, concrète, active et fuit un comportement
narcissique, aliéné et abstrait. Vous savez comment sainte Thérèse a été formée
dès sa petite enfance à l’amour concret des pauvres, en particulier par
l’aumône qu’elle leur donnait, et comment elle a associé un pauvre à sa
première communion, tenant ainsi une promesse qu’elle avait faite cinq ans auparavant
de prier pour lui ce jour-là[2].
2. Éléments relevant de la spiritualité sacerdotale
a) La charité pastorale
Dans Pastores dabo vobis, la
« charité pastorale » est définie comme « le principe intérieur,
la vertu qui anime et qui guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré
au Christ Tête et Pasteur […], c’est une participation à la charité pastorale
du Christ » (n. 23). Or ce qui spécifie l’identité sacerdotale est sa
configuration au Christ Tête et Pasteur, ce qui revient à dire que le prêtre
est un disciple qui est fait tête et pasteur de la communauté des disciples.
Aussi le Christ lui demande un amour semblable à son propre amour pour les
brebis pour lesquelles il n’a pas hésité à donner sa vie.
Parler
de charité, en termes chrétiens, revient en fin de compte à parler de Dieu qui
est amour. Or l’amour de Dieu s’est déjà manifesté dans la création du monde
puis dans la rédemption. Dieu crée parce qu’il aime. Il nous aime et nous aime
le premier. Le péché lui-même, celui de l’humanité, n’éteint pas l’amour que
Dieu éprouve à notre égard. Sainte Thérèse dirait au contraire qu’il le rend
plus puissant. C’est le propre de la Miséricorde. « Dieu en effet a tant
aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne
meure pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16). A son tour, le Fils nous
a aimé jusqu’à la fin. Cela signifie qu’il a donné sa vie sur la croix pour
notre salut et, avec sa résurrection, il nous a donné la joie d’une vie
nouvelle et immortelle. L’amour de Dieu passe ainsi par l’expérience pascale de
Jésus, par sa mort et par sa joyeuse résurrection.
Quand
nous parlons de charité pastorale, nous parlons de cette charité là, qui est le
Dieu révélé en Jésus Christ. Une charité qui est amour de donation, sans réserve,
un amour adressé non à soi-même mais aux autres, un amour oublieux de soi-même,
prête à investir sa vie entière en faveur de l’Autre, c’est-à-dire de Jésus
Christ, et en faveur des autres, c’est-à-dire de l’humanité. Un amour qui passe
par la Croix, par un don à la fois plein de souffrances sinon de mort
véritable, celle du martyre, mais qui aboutit à la joie du salut de l’humanité.
Dans ce contexte, la parole de l’apôtre Paul vaut aussi : « Dieu aime
qui donne avec joie » (2 Co 9,7). Voilà la charité qui doit marquer la vie
des prêtres et faire partie pour cela du noyau central de leur spiritualité. L’amour
est oubli de soi et don aux autres. C’est ce don de nous-mêmes, dans l’amour,
qui nous rend heureux.
Mais
la charité des prêtres doit être une charité pastorale. En effet, par
définition, le prêtre est un pasteur. Il a été configuré à Jésus Christ, Tête
et Pasteur du peuple de Dieu. Une telle configuration distingue essentiellement
le sacerdoce ministériel du sacerdoce universel des fidèles. Parmi des
disciples, Jésus a choisi les Douze pour les configurer à Lui en tant que Tête
et Pasteur du Peuple de Dieu, pour qu’ils continuent son œuvre à travers les
siècles, en assumant le service de tête et pasteur de la communauté des
disciples. Jésus, Lui, reste l’unique vrai Tête et Pasteur, mais il configure à
lui les Douze et les fait vraiment participer à sa charge de Tête et Pasteur.
Ainsi, après son retour auprès du Père, les Douze et leurs successeurs sont
têtes et pasteurs de la communauté, au nom du Seigneur, et ils agissent « in persona Christi Capitis ». Être
tête et pasteur des fidèles ne peut cependant pas être compris comme
l’entendent ceux qui dominent ce monde. Bien au contraire, à l’exemple de
Jésus, c’est un service aimant et désintéressé, oublieux de soi-même, jusqu’à
donner sa vie pour le salut de l’humanité ou d’une simple personne.
C’est pourquoi tout prêtre, quels que soient sa vie et son travail, a un
lien infrangible parce qu’essentiel, avec la communauté des fidèles. Il est
toujours président et pasteur de la communauté. Sa spiritualité, sa charité, se
spécifient par ce munus de pasteur.
Sa vie est sans cesse orientée vers la communauté des fidèles, non seulement
comme membre de l’Église mais comme pasteur et comme tête.
Cela signifie que le prêtre doit cultiver une spiritualité pastorale où il
cherche à s’inspirer du Christ, le Bon Pasteur, qui aime ses brebis jusqu’à
donner sa vie pour elles. Jésus conduit le troupeau et chaque brebis vers le
Père. Le prêtre conduit la communauté et chaque fidèle à Jésus Christ et, par
Lui, au Père. Ce munus de tête et de
pasteur, le prêtre l’exerce à travers le ministère prophétique de la Parole, le
ministère sanctificateur du culte, des sacrements et des autres œuvres de
sanctification des fidèles, et le ministère de la conduite des fidèles à
l’unité et à la communion ecclésiale.
b) La sequela Christi
et la Parole de Dieu
Au principe de l’itinéraire spirituel spécifique de chaque chrétien et,
encore plus et selon un mode propre, du prêtre on se fait disciple de Jésus
Christ. Le disciple est celui qui croit en Jésus Christ et, en conséquence, qui
le suit. Les Évangiles parlent des premiers disciples de Jésus. Mais la volonté
du Seigneur est que, même après son retour vers le Père, ces mêmes disciples prêchent
sa Parole et fassent de nouveaux disciples jusqu’à la fin des temps et
« jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Dans sa prière
sacerdotale au cours du dernier repas, à la veille de sa mort et de sa
résurrection, Jésus, selon l’Évangile de Jean, prie le Père pour ses disciples
qu’il laisse dans le monde et pour ceux à venir, en disant : « Père,
je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais pour ceux qui, à leur parole,
croiront en moi » (Jn 17,20). Au moment de son ascension au ciel, il
envoie ses disciples en disant : « Allez donc ! De toutes les
nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du
Saint Esprit, enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et
moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mat
28,19-20). Plus tard, l’apôtre Paul, dans la Lettre aux Romains, écrira sur la
nécessité de prêcher la Parole de Dieu pour susciter la foi :
« Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Or, comment invoquer le
Seigneur sans avoir d'abord cru en lui ? Comment croire en lui sans avoir
entendu sa parole ? Comment entendre sa parole si personne ne l'a proclamée ?
Comment proclamer sans être envoyé ? […] C'est donc que la foi naît de ce qu'on
entend ; et ce qu'on entend, c'est l'annonce de la parole du Christ » (Rm
10,13-17). Voilà comment naît le disciple : de l’écoute de la Parole de
Dieu. Nous voyons ainsi combien il est important, même pour ceux qui ont déjà
été conduits à la foi, de ne pas relâcher le contact continuel avec la Parole,
autrement on court le risque de perdre la foi et d’abandonner la suite du
Christ. Sainte Thérèse portait sur elle l’Évangile, elle le scrutait pour y
trouver, comme elle disait, « le caractère du bon Dieu »[3].
Elle aurait voulu savoir l’hébreu et le grec pour lire la Parole de Dieu dans
ce qu’elle appelait le « vrai texte dicté par l’Esprit Saint »[4].
Par ailleurs, même si
le simple chrétien et le prêtre doivent être, tout autant l’un que l’autre,
disciples du Christ, il faut souligner qu’il n’en reste pas moins que le
sacrement de l’Ordre a fait du prêtre un disciple spécial. En effet, comme je
l’ai déjà dit, dans l’ordination, par le ministère de l’évêque qui ordonne et
par l’action de l’Esprit Saint, le prêtre est configuré au Christ, Tête et Pasteur
de l’Église. Il doit être un disciple qui écoute, mais il est aussi un disciple
qui doit guider la communauté des disciples. Il n’est pas un simple membre de
la communauté. Saint Augustin disait : « avec vous je suis chrétien,
pour vous je suis évêque ». Par conséquent, même quand il écoute la Parole
de Dieu avec l’oreille du disciple, le prêtre doit aussi l’écouter avec la
responsabilité d’un disciple qui est également tête et pasteur des disciples du
Christ. S’il n’a pas cette compréhension, le prêtre aura du mal à découvrir et
à vivre le vrai sens de son sacerdoce.
Donc être disciple, cela commence toujours – ou cela recommence – par une
rencontre profonde et personnelle avec Jésus Christ. Il en fut ainsi dès le
début du ministère publique de Jésus. Ses premiers disciples sont nés de cette
rencontre profonde avec Lui. Les Évangiles racontent ces rencontres pendant la
vie terrestre de Jésus, dans la Palestine de l’époque. L’exemple le plus
lumineux est celui des deux disciples de Jean-Baptiste qui devinrent disciples
de Jésus, selon ce que raconte l’Évangile de Jean 1, 31-51. Ils
demandèrent à Jésus : « Maître, où demeures-tu ? ». Jésus
répondit : « Venez et voyez ». Ils allèrent donc et virent où il
habitait. Ce jour-là, ils demeurèrent avec Lui. Cette rencontre a été pour eux
un événement transformant. Ils en sortirent enthousiastes et fascinés. Ils
avaient ouvert leur cœur à Jésus qui les avait extraordinairement
impressionnés. Ils ont cru en Lui. Ils ont adhéré à Lui de tout leur être. A
partir de cet instant, ils furent certains que Jésus était l’envoyé de Dieu, le
Messie promis que Jean annonçait. Ils vibrèrent donc d’émotion et de joie
spirituelle. Ils étaient prêts à Le suivre et à tout investir sur lui. Lui-même
sera désormais leur Maître et leur chemin, leur certitude et leur bonheur. Il
constituera le vrai sens de leur vie. Ils décidèrent de Le suivre partout où Il
les conduiraient et de Lui donner toute leur vie. Après cette rencontre ils
devinrent même missionnaires. Ils portèrent aux autres la parole de Jésus, la
bonne nouvelle. L’un des deux, André, est allé cherché son frère Simon et l’a
amené à Jésus. Le jour suivant, ce fut Philippe qui conduisit Nathanaël au
Maître. Et il y a tant d’autres épisodes évangéliques, comme la rencontre de
Jésus avec Matthieu, Zachée, Nicodème, la Samaritaine, Marie-Madeleine, Lazare
et ses sœurs Marthe et Marie, et tant d’autres. La rencontre conduisait ces
personnes à une adhésion totale au Christ et les rendait prêtes à Le suivre
partout, jusqu’à donner leur vie pour Lui. Voilà ce qu’on appelle la foi au
sens biblique : faire à Dieu une confiance totale, inconditionnelle, sans
réserve. Cette foi naît de l’écoute de la Parole. Une telle foi fait le
disciple et le disciple fait naître le missionnaire, comme cela est arrivé à
André, à Philippe et à tout vrai disciple. Tous sont poussés à annoncer aux
autres la Parole de Dieu.
Pour être un bon ministre de la Parole de Dieu, un missionnaire, un
évangélisateur, un maître de la foi pour la communauté des disciples de Jésus, le
prêtre a donc besoin lui aussi de se mettre, toujours de nouveau, à l’écoute de
la Parole de Dieu, pour faire et refaire sans cesse une rencontre personnelle
et communautaire avec le Seigneur, et pour ressortir de cette rencontre pour la
mission.
Dans Ecclesia in America (EA),
Jean-Paul II a aussi présenté l’écoute de la Parole de Dieu comme un lieu
privilégié de la rencontre avec le Seigneur, soit à travers la lecture de la Parole,
soit par l’écoute de la proclamation du Kérygme fondamental. Dans le cas de la
lecture, le Pape recommande la Lectio
divina, la lecture priante « à la lumière de la Tradition, des Pères
et du Magistère, approfondie dans la méditation et l’oraison » (EA, 12).
En plus de la Lectio divina, pour
sa formation d’évangélisateur, le prêtre doit avoir une formation permanente
qui le maintienne à jour sur les plans exégétique et théologique. La formation
permanente des prêtres ne peut pas être ralentie, bien au contraire. Car la
société postmoderne actuelle exige une formation toujours plus soigneuse et
mise à jour, d’abord en ce qui concerne l’approfondissement exégétique et
théologique de la Parole de Dieu; puis en ce qui concerne la connaissance de la
culture actuelle et de ses capacités d’ouverture à un dialogue entre foi et
raison, entre foi et science ; enfin en ce qui concerne la méthode
missionnaire et pastorale pour annoncer le Kérygme aux hommes et aux femmes de
notre temps et les conduire ainsi à une rencontre personnelle et communautaire
avec Jésus Christ, mort et ressuscité. Dans la société postmoderne
d’aujourd’hui, l’homme et la femme dits postchrétiens peuvent eux-aussi être
touchés de nouveau, peut-être pas au début par une doctrine mais par une
rencontre intense et personnelle avec la personne de Jésus Christ, mort et ressuscité.
Cela veut dire que l’annonce du Kérygme fondamental peut résonner dans leur
cœur et leur permettre d’être conduits à cette rencontre.
c) la dimension
missionnaire
Nous abordons maintenant un autre élément constitutif
de la spiritualité sacerdotale : je veux parler de sa dimension
missionnaire. En effet, dans Pastores
dabo vobis, Jean-Paul II a bien souligné comment la consécration du pasteur
de l’Église, par le sacrement de l’Ordre, est intimement liée avec la mission
du pasteur. Il a écrit : « L'Esprit du Seigneur a consacré le Christ
et l'a envoyé annoncer l'Évangile. La mission n'est pas un élément extérieur et
parallèle à la consécration, mais elle en constitue le but intrinsèque et
vital: la consécration est pour la mission. De cette façon, non seulement la
consécration, mais aussi la mission se trouvent sous le signe et la force
sanctificatrice de l'Esprit. Il en a été ainsi de Jésus. Il en a été ainsi des
Apôtres et de leurs successeurs. Il en est ainsi de l'Église entière et, en
elle, des prêtres: tous reçoivent l'Esprit comme appel et comme don de
sanctification dans et par l'accomplissement de leur mission. Il existe donc,
entre la vie spirituelle du prêtre et l'exercice de son ministère, un rapport
intime » (PDV, 24). Le Pape utilise ici le mot « mission » pour
désigner tout le ministère du prêtre, mais cela vaut encore plus pour la
« mission » au sens strict. Et il l’a écrit dans le contexte de la
vie spirituelle du prêtre pour signifier que le prêtre se sanctifie dans la
mission et par la mission. Plus loin il a écrit : « la vie
spirituelle des prêtres doit être profondément marquée par l'élan et le
dynamisme missionnaires. Il leur revient, dans l'exercice de leur ministère et
dans le témoignage de leur vie, de faire de la communauté qui leur est confiée
une communauté authentiquement missionnaire » (PDV, 32).
J’ai déjà dit qu’après leur
rencontre avec Jésus, les premiers disciples sont devenus missionnaires,
évangélisateurs. Ceci vaut pour chaque disciple, au long des siècles. Regardez
comment sainte Thérèse est brûlée du désir d’annoncer l’Évangile : « Je
voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta
Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me
suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l'Évangile dans les cinq
parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées... Je voudrais être
missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l'avoir
été depuis la création du monde et l'être jusqu'à la consommation des siècles... »[5].
Mais la rencontre avec Jésus rend missionnaires à un titre spécial ceux qui ont
été configurés au Christ, Tête et Pasteur, c’est-à-dire les pasteurs de
l’Église. C’est le commandement clair de Jésus : « Allez dans le
monde entier et annoncez l’Évangile à toute créature » (Mc 16, 15).
Nous savons qu’il existe
aujourd’hui une nouvelle urgence missionnaire. A propos de l’Europe, le Pape
Benoît XVI a dit aux Évêques allemands : « Je considère que dans
toute l'Europe, et pas moins en France, en Espagne et ailleurs, nous devrions
réfléchir sérieusement sur la façon dont nous pouvons réaliser aujourd'hui une
véritable évangélisation, non seulement une nouvelle évangélisation, mais
souvent une véritable première évangélisation »[6].
Les derniers papes ont toujours insisté sur le thème missionnaire et sur la
nécessité de susciter une nouvelle conscience missionnaire. Il s’agit d’une
urgence en tant que réponse, d’une part, au développement et à la diffusion de
la culture postmoderne qui transforme la société actuelle d’une façon presque irrésistible
et la déchristianise rapidement. Il faut, d’autre part, ajouter le phénomène
des catholiques qui se sont éloignés de l’Église. C’est un phénomène qui
malheureusement se développe. La mission est donc urgente. Elle constitue aussi
une occasion vraiment efficace pour renouveler la vie sacerdotale. Il s’agit
ici de l’activité missionnaire au sens strict, c’est-à-dire de partir et de
prêcher. Il s’agit de se lever, de sortir de nos maisons et d’aller vers les
personnes, là où elles vivent et travaillent, pour les évangéliser. Nous ne
pouvons pas nous limiter à accueillir et à évangéliser celles qui viennent dans
notre église ou au presbytère. Il faut aller à la recherche des baptisés qui se
sont éloignés. Il faut aussi chercher tous ceux qui savent rien ou peu de Jésus
Christ. S’approcher des personnes concrètes, les écouter parler de leur vie, de
leurs souffrances, de leurs aspirations et, à partir de là, annoncer la
personne de Jésus Christ, mort et ressuscité, et son Royaume, pour conduire ces
personnes à une rencontre concrète, personnelle et puis communautaire avec le
Seigneur vivant, afin qu’elles prennent ou reprennent le chemin de la foi.
d) L’Eucharistie dans la vie
spirituelle du prêtre
« L’Église vit de l’Eucharistie »,
c’est le titre et le thème d’une encyclique de Jean-Paul II, en 2003.
L’Eucharistie occupe vraiment le centre de la vie de l’Église en pèlerinage.
Elle vit son plus grand moment chaque fois qu’elle est rassemblée dans la
célébration eucharistique. L’Eucharistie « comporte en synthèse le cœur du
mystère de l'Église » dit l’encyclique en question (n. 1) et donc,
« si l'Eucharistie est le centre et le sommet de la vie de l'Église, elle
l'est pareillement du ministère sacerdotal. […] L'Eucharistie est la raison
d'être principale et centrale du sacrement du sacerdoce, qui est né
effectivement au moment de l'institution de l'Eucharistie et avec elle »
(n. 31). De son côté, le Concile Vatican II, dans Presbyterorum Ordinis, a affirmé que « les sacrements, ainsi
que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques, sont tous liés à
l'Eucharistie et ordonnés à elle. Car la sainte Eucharistie contient tout le
trésor spirituel de l'Église, c'est à dire le Christ lui-même, lui notre Pâque,
lui le pain vivant, lui dont la chair, vivifiée par l'Esprit-Saint et
vivifiante, donne la vie aux hommes » (PO, 5). Benoît XVI aussi souligne
la dimension eucharistique de la vie du prêtre dans le document Sacramentum Caritatis (SC) de 2007,
lorsqu’il dit : « La forme eucharistique de l'existence chrétienne se
manifeste sans aucun doute de façon particulière dans l'état de vie
sacerdotale» (n. 80).
La célébration
eucharistique constitue donc chaque jour l’acte le plus important du prêtre et
devrait être réalisée avec une conscience claire de son caractère central dans
la vie de l’Église et pour le salut de l’humanité. L’Eucharistie est le
sacrement de la Pâque de Jésus-Christ, c’est-à-dire de sa mort et de sa
résurrection pour notre salut, où le Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Dans
la célébration de l’Eucharistie, en entrant en communion sacramentelle avec le
Christ mort et ressuscité, le prêtre reçoit donc la force de s’oublier
lui-même, de prendre sa croix chaque jour, de servir les autres jusqu’à donner –
lui-même – sa vie pour le salut de ses frères. L’Eucharistie étant la table du
Seigneur, où Dieu partage son pain de vie entre tous les convives, sans faire
acception des personnes, le prêtre reçoit dans la célébration eucharistique la
force et l’inspiration d’apporter sa contribution constante et effective à ce
que tous, et les pauvres de façon spéciale, aient le pain matériel et les
autres biens spirituels et culturels nécessaires pour une vie humaine et
chrétienne qui soit digne. L’Eucharistie étant l’anticipation du banquet pascal
dans le Royaume des Cieux, le prêtre sortira toujours de la célébration
eucharistique avec une ouverture sur l’horizon eschatologique et le désir
d’annoncer au monde que nous n’avons pas de demeure permanente sur cette terre,
mais que nous marchons vers la maison du Père où notre vie sera éternellement
pleine, joyeuse et immortelle.
La spiritualité
eucharistique du prêtre trouvera aussi une grande richesse dans l’adoration
eucharistique. C’est bien avec cette intime conviction que, le 8 décembre 2007,
la Congrégation pour le Clergé a adressé à tous les diocèses une chaleureuse
invitation à instituer l’adoration eucharistique perpétuelle dans leur
circonscription ecclésiastique pour donner au peuple de Dieu et aux prêtres la
possibilité de développer leur vie spirituelle et eucharistique et pour prier
avec les prêtres et pour les prêtres. Le Pape a manifesté sa satisfaction
devant cette initiative. De fait, quelques mois auparavant, le 22 février 2007,
il avait lui-même écrit dans le document Sacramentum
Caritatis : « Je recommande vivement aux Pasteurs de l'Église et
au peuple de Dieu la pratique de l'adoration eucharistique, qu'elle soit
personnelle ou communautaire » (n. 67), du fait que « l'acte
d'adoration en dehors de la Messe prolonge et intensifie ce qui est réalisé
durant la Célébration liturgique elle-même » (n. 66).
e) La communion ecclésiale
L’Eucharistie contient
aussi en elle-même une dimension particulière de communion ecclésiale.
L’Eucharistie est signe et source de communion. Celui qui participe à
l’Eucharistie ne peut pas ne pas être en communion ecclésiale et ne peut pas ne
pas s’engager à la mettre en œuvre dans la vie quotidienne. Il s’agit de
l’unité pour laquelle Jésus a prié lors de la dernière Cène : « Père
Saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, afin qu’ils soient un comme
nous. […] Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient eux-aussi
un en nous, afin que le monde croit que tu m’as envoyé » (Jn 17,11 et 21).
L’efficacité de la prédication des disciples du Christ dépend de l’unité
ecclésiale qu’ils ont entre eux, parce que, au fond, l’unité est signe de
l’amour. Dieu est amour. Comment pourrait-il être crédible le prédicateur qui
annoncerait au monde que Dieu est amour et que nous sommes tous frères, si
lui-même ne vit pas cet amour ? Jésus a dit : « Je vous donne un
commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous
ai aimés, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous vous reconnaîtront pour mes
disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn
13, 34-35). La communion ecclésiale est fruit de la mort et de la résurrection
du Christ, elle est un don de l’Esprit Saint à l’Église. Il s’agit de la
communion des fidèles entre eux et avec leurs pasteurs et vice-versa. Il s’agit
de la communion des prêtres avec leur évêque et vice-versa. Le presbyterium
doit être uni à son évêque comme les cordes à la lyre, disait saint Ignace
d’Antioche. Thérèse peut beaucoup nous aider dans ce domaine de l’amour et de
la communion à l’Évêque. Pour ce qui est de l’amour fraternel, les folios 11 à
18 du Manuscrit C, mais aussi les Conseils
et Souvenirs révèlent avec quel absolu et quelle délicatesse elle a voulu
vivre de charité. Son obéissance a été complète car son amour pour le Christ
lui faisait accomplir tout ce que le représentant du Christ lui demandait.
f) L’amour envers les pauvres
Un autre élément
important de la spiritualité sacerdotale, qui découle de la Parole de Dieu et
de l’Eucharistie, c’est l’amour pour les pauvres. Jésus a voulu être reconnu en
eux et nous jugera selon notre amour pour le prochain et, de façon plus
particulière, envers les plus nécessiteux. Ce que nous faisons à un pauvre,
c’est à Lui que nous le faisons. Actuellement, des centaines de millions
d’êtres humains vivent encore dans la pauvreté et dans la misère. Cela crie
vers le Ciel. Le risque est que nous nous habituions à une telle situation de
très grave injustice sociale. Le prêtre doit conduire sa communauté à une
solidarité vraie, concrète et efficace envers les pauvres et lui-même, le
prêtre, doit pratiquer personnellement cette solidarité.
g) Le célibat
Retrouver la route de la
suite du Christ et de la mission restaure la spiritualité du prêtre et éclaire
le sens profond de son ministère. C’est aussi la route pour retrouver la joie
d’être prêtre. A partir de ce renouveau, le prêtre reçoit une lumière plus
intense pour comprendre et pour vivre le charisme de son célibat. Il est vrai
qu’il s’agit d’une loi canonique mais, dans sa nature profonde, le célibat pour
le Royaume des cieux dont parle le Christ et que l’Église latine demande pour
ses prêtres, est avant tout un charisme de l’Esprit Saint, qui doit être vécu
avec amour, conviction, responsabilité, maturité affective et esprit de service
ecclésial, de complète configuration au Christ et de proclamation
eschatologique. Pastores dabo vobis donne cette
exhortation : « Le célibat doit donc être accueilli dans une décision libre et
pleine d'amour, à renouveler continuellement, comme un don inestimable de Dieu,
comme un ‘stimulant de la charité pastorale’, comme une participation
particulière à la paternité de Dieu et à la fécondité de l'Église, comme un
témoignage du Royaume eschatologique donné au monde » (PDV, 29). Thérèse
fait du célibat sacerdotal l’expression d’un amour délicat envers le Christ
présent dans l’Eucharistie. Elle prie et exhorte Céline à prier pour que les
prêtres soient « purs comme le cristal »[7]
pour qu’ils tiennent le Christ dans leurs mains avec ce même amour délicat qui
caractérisait la Vierge lorsqu’elle touchait l’Enfant-Jésus dans son berceau[8].
h) La prière
La vie et le ministère du
prêtre ont besoin d’être soutenus et enveloppés par la prière. Pendant sa vie
terrestre, Jésus-Christ en a donné un grand exemple. Il priait et il enseignait
à ses disciples à prier. Les Évangiles présentent souvent Jésus en prière,
parfois la nuit entière. Il se retirait quelques fois pour prier seul, d’autres
fois il priait devant les disciples, même à haute voix. Il priait longuement avant
de prendre de grandes décisions ou avant des événements importants. A certains
moments, sa prière était de joie et de louange au Père. En d’autres occasion,
comme à Gethsémani ou sur la Croix, il priait le Père avec angoisse, des larmes
et un grand cri. Il priait le Père en Fils bien-aimé et en Pasteur envoyé dans
le monde. Voilà comment le prêtre doit aussi prier, à l’exemple du
Christ : prier comme fils, comme disciple, comme pasteur. La prière pour
le peuple et pour l’activité pastorale et missionnaire doivent toujours
caractériser la prière du prêtre.
Prière et spiritualité
marchent ensemble. De même que la spiritualité, pour un chrétien, signifie la
mesure avec laquelle l’Esprit Saint le conduit, le vivifie et le transforme, de
même nous pouvons dire que la prière est la respiration de l’Esprit Saint en
nous. Dans Pastores dabo vobis,
Jean-Paul II dit : « l'Esprit du Seigneur est le grand protagoniste
de notre vie spirituelle. Il crée le ‘cœur nouveau’, l'anime, le guide avec la
‘loi nouvelle’ de la charité, de la charité pastorale » (PDV, 33).
Une telle vie spirituelle
a son centre dans l’Eucharistie mais elle s’enrichit ensuite avec la réception
fréquente du sacrement de la réconciliation, puis avec la Liturgie des Heures
récitée dans son entier, avec la Lectio
divina, l’adoration eucharistique, le chapelet, et les autres prières
personnelles et communautaires. Cette vie se développera dans le prêtre comme
un « être avec Jésus Christ », ainsi que Jésus lui-même l’a demandé
aux Douze. Une vie d’intimité et de familiarité, qui reflète ce que Jésus a
voulu quand il disait : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je
vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais amis, parce que, ce
que j’ai appris du Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 14-15). La
prière doit porter cette relation entre Jésus et le prêtre, sachant qu’elle est
la respiration de l’Esprit Saint dans le cœur du prêtre.
Je conclus en demandant à
la Vierge Marie, Mère et Reine des prêtres, qu’elle vous inspire, chers prêtres,
et vous protège toujours. Et que sainte Thérèse, prie pour vous. Nous nous
appuyons sur sa prière en raison de cette parole : « Puisque ‘le zèle
d'une carmélite doit embrasser le monde’, j'espère avec la grâce du bon Dieu
être utile à plus de deux missionnaires et je ne pourrais oublier de prier pour
tous, sans laisser de côté les simples prêtres dont la mission parfois est aussi difficile à remplir que celle
des apôtres prêchant les infidèles »[9].
Chacun de nous peut prendre à son compte ce qu’elle disait à propos de
Bellière : « Je serai tout près de lui, je verrai tout ce qui lui est
nécessaire et ne laisserai pas de repos au bon Dieu qu'Il ne m'ait donné tout
ce que je voudrai !... ~ sa foi saura bien découvrir la présence d'une petite
sœur que Jésus lui donna ~ jusqu'au dernier jour de sa vie » [10].
Cardinal Cláudio Hummes
Archevêque
Émérite de São Paulo
Préfet
de la Congrégation pour le Clergé
[1] Discours aux Membres de la Congrégation
pour le Clergé lors de leur Assemblée plénière, 16 mars 2009.
[2] Cf. Ms A, 15 r°.
[3] Procès
informatif ordinaire, déposition de Sr Geneviève de la Sainte Face, folio
353 r°.
[4] CJ 4.8.5.
[5] Ms B, 3 r°.
[6] Discours du 21.8.2005 aux évêques
allemands.
[7] Ms A, 56 r°. Cf. LT 94 à Céline, 14
juillet 1889.
[8] Cf. LT 101 à Céline, 31 décembre 1889
[9] Ms C, 33 v°.
[10] Cf. LT 253 à Maurice Bellière, 13 juillet
1897.