Troisième Dimanche de Carême - C
Citations:
Ex 3,1-8a-13-15: www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/9audemc.htm
1Co 10,1-6.10-12: www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/9abtzvj.htm
Lc 13,1-9: www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/9abta3m.htm
Le
troisième dimanche de Carême nous montre, dans la première lecture, l’un des
textes les plus profonds des Saintes Ecritures concernant l’identité de
Dieu ; et, dans le passage de l’Evangile, une invitation à la conversion.
Deux sujets profondément liés l’un à l’autre. En effet, « se convertir »
ne revêt pas immédiatement une signification morale (passer du mal au bien),
mais un sens relationnel (passer du moi à Dieu).
Dans
le passage tiré de l’Exode, Dieu se présente comme Celui qui a libéré son
peuple de l’esclavage d’Egypte, comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob,
comme « Celui qui est ». Ce sont trois expressions qui identifient
pour toujours le Dieu d’Israël, qui dans sa bonté et sa sagesse, a décidé de se
communiquer lui-même à tous les hommes. Avant tout, il ne s’agit pas d’un Dieu
étranger aux vicissitudes humaines, mais d’un Dieu qui a observé la misère de
son peuple en Egypte, qui a entendu son cri et qui a connu ses souffrances (cf.
Ex 3,7) : c’est un Dieu qui vient à notre secours et qui ne nous abandonne
pas dans les déserts du mal, de la solitude et de la mort. Et c’est encore le
Dieu d’une longue histoire, le Dieu de nos pères, le Dieu d’une tradition qui
vient de loin et qui possède, par conséquent, la garantie d’être vraie et
crédible en tant que de nombreuses générations l’ont vérifiée. La foi en Dieu
n’est pas l’affaire d’un instant ou la conséquence d’un sentiment et d’une
émotion passagère, mais elle est
immersion dans une histoire qui a reçu beaucoup de visites de la part de
Dieu. Enfin, Dieu est « Celui qui est » : nous ne pouvons le peindre avec nos couleurs
ni le façonner de nos mains. Le Dieu d’Abraham et de Jésus, de Marie et des
apôtres n’est pas l’une des idoles inventée
par les hommes, « qui ont une
bouche et ne parlent pas, qui ont des yeux et ne voient pas » (cf.
Psaume 113B). C’est un Dieu différent
par rapport aux dieux qui dominent le monde.
C’est
à ce Dieu, qui s’est révélé à Moïse dans le buisson ardent, que Jésus nous
demande de nous convertir. Dans le passage de l’Evangile de Luc, on demande à
Jésus de s’exprimer sur certains événements : l’exécution de Galiléens
dans le temple sur ordre de Ponce Pilate et l’écroulement d’une tour qui avait
tué des passants. Des « faits divers » comme ceux dont nous entendons
parler tous les jours et qu’on interprète souvent comme une punition divine.
Jésus nous invite à considérer les faits de la vie, même les plus tragiques,
selon une optique différente en affirmant deux vérités importantes.
Premièrement,
Jésus affirme que les victimes de malheurs ne sont pas plus pécheurs que les
autres hommes. Les catastrophes de la vie ne doivent pas être prises
nécessairement comme une punition de Dieu. Et, de cette manière, il corrige une
conception erronée de Dieu – répandue non seulement en son temps mais dans tous
les temps – et qui en déforme le visage. Jésus restaure l’image authentique de
Dieu, qui ne désire pas la mort du pécheur, mais que celui-ci se convertisse et
vive (Cf. Ez 33,11). Jésus nous met en garde contre la tendance à penser que
les malheurs sont une conséquence immédiate des péchés personnels de ceux qui
les subissent. Certes, Dieu n’apprécie pas le péché, mais il aime éperdument le
pécheur et il met tout en œuvre – comme nous le verrons dans la brève parabole
de la seconde partie de l’Evangile d’aujourd’hui – pour sauver le pécheur, non
pour le punir, ainsi qu’on peut le lire dans la Deuxième Epître de Pierre
(3,9) : « Dieu ne veut qu’aucun
périsse, mais que tous arrivent au repentir ».
Deuxièmement,
« Si vous ne vous convertissez pas,
vous mourrez tous également ». Jésus, en d’autres termes, nous invite
à considérer les faits de la vie dans la perspective de la conversion. « Les malheurs, les deuils, ne doivent
susciter en nous ni la curiosité ni la recherche de présumés coupables, mais
ils doivent être l’occasion de réfléchir, afin de vaincre l’illusion de pouvoir
vivre sans Dieu, et l’occasion d’affermir, avec l’aide de Dieu, l’engagement à
changer la vie » (Benoît XVI, Angélus du 7 mars 2012). Jésus nous exhorte à nous convertir à
Dieu, non pas à nous-mêmes. Il faut donc bien comprendre la conversion
chrétienne. Il ne s’agit pas avant tout, nous l’avons dit au début, d’une conversion morale, d’un engagement
ascétique même très profond, pour nous changer nous-mêmes. S’il en était ainsi,
nous ne ferions qu’accroître notre incapacité à faire le bien, car ce ne sont
certes pas nos efforts qui pourront nous changer. S’il en était ainsi nous ne
ferions que rendre vaine la croix du Christ (cf. 1Cor 1,17) et confirmer notre
condamnation. L’originalité de la conversion chrétienne, par rapport à toutes
les formes de conversion, réside précisément dans le fait que, dans un certain
sens, Dieu a été le premier à se « convertir » à nous. C’est à nous
qu’il revient de faire place à Dieu qui veut entrer dans notre vie, ainsi que
le rappelait Saint Paul le mercredi des cendres : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2Cor 5,20). Ce
qui revient à dire : permettez à Dieu d’être Dieu ! La conversion
chrétienne est avant tout une conversion
relationnelle : du moi à Dieu, ainsi que nous le rappelait Benoît XVI
à l’Angélus du 17 février : « voulons-nous
suivre le moi ou Dieu ? » C’est d’ailleurs ici le premier appel
de Jésus au début de sa vie publique : « convertissez-vous
et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 1,14), en d’autres termes,
convertissez-vous en croyant à l’Evangile, convertissez-vous en accueillant la
bonne nouvelle que Dieu vous aime ! C’est notre conversion à Dieu qui rend
également possible notre conversion morale ; celle-ci ne serait pas
réalisable autrement, parce que l’homme – comme nous le rappelle la saine doctrine
de l’Eglise – n’arrive pas à vivre une vie intègre sans la grâce de Dieu.
On
comprend ainsi également la brève parabole du figuier stérile, dans laquelle
l’image de Dieu est celle du vigneron qui incite le maître de la vigne à la
patience. La parabole décrit en détail le soin avec lequel il s’occupe du
figuier, en s’offrant de creuser tout autour de l’arbre et d’y mettre du fumier
pour qu’il porte enfin des fruits. Les gestes du paysan et son appel à la
patience décrivent bien l’action de Dieu à notre égard. La parabole met en
relief l’amour patient de Dieu pour nous, mais en outre elle souligne toute l’urgence
de notre conversion. Dieu nous fait don de ses soins et du temps, mais le temps
de notre vie – que le parcours du Carême stimule de façon salutaire – n’est pas
celui de la somnolence et de la paresse, mais il est fait pour accueillir Dieu,
pour élever notre regard vers Lui et
vers Celui qu’il nous a envoyé, son propre Fils Jésus. La vie nous est donnée
afin qu’elle porte ses fruits, comme l’arbre de la parabole. En arrière-plan,
il reste possible que l’arbre soit coupé et que la demeure de notre vie
s’écroule. La conversion devient dès lors une urgence joyeuse.