Pour le monde de ce temps, se préparer à être
prêtres :
pasteurs et évangélisateurs
Conférence de S. Em. le Cardinal Beniamino Stella,
Préfet de la Congrégation pour le Clergé
Pèlerinage des Séminaires de France à Lourdes
10 novembre 2014
Eminences, Excellences,
chers amis formateurs, chers amis séminaristes,
Monseigneur Patròn Wong,
Secrétaire de la Congrégation pour les Séminaires, et moi-même, sommes très
heureux de participer avec vous à ce pèlerinage auprès de Notre-Dame de
Lourdes, la Vierge Immaculée qui a donné le Verbe de Dieu au monde. Elle est la
Reine des Apôtres, la Mère de tous les disciples. Nous nous présentons à elle
pour lui demander de nous façonner de manière à correspondre à ce que Jésus
veut que nous soyons.
On m’a demandé de vous
entretenir ce matin sur le thème : « Pour le monde de ce temps, se
préparer à être prêtres : pasteurs et évangélisateurs ». Si vous
voulez bien, réfléchissons d’abord sur la mission des pasteurs dans le monde de
ce temps. Je commence en effet par distinguer le pasteur de l’évangélisateur
pour ensuite montrer qu’ils ne sont qu’une seule personne, choisie et envoyée
pour une unique mission.
I. Pasteurs
Comment définir un
pasteur selon le cœur de Dieu, aujourd’hui ? Le terme qui vient
immédiatement à mon esprit pour donner un sens à la mission pastorale est la
communion. Vous avez appris sans doute que le prologue de la Constitution
dogmatique Dei Verbum a été conçu par
les Pères de Vatican II comme un prologue général pour tous les textes du
Concile. Or la note centrale de ce prologue est la communion dans l’amour avec
le Père et son Fils Jésus-Christ, communion rendue possible dans la communion
avec l’Eglise fondée sur les Apôtres.
Voilà le but de notre
activité pastorale : créer, favoriser, faire grandir la communion dans la
charité. Le prêtre est l’homme de la communion.
1. La communion avec Dieu
Bien sûr, cette
communion est d’abord en Dieu. C’est la prière de Jésus :
« Que tous soient
un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux
aussi » (Jean 17, 21).
L’activité pastorale
trouve son sens profond et son but ultime dans la communion avec Dieu, de
chacun et de tous les fidèles ensemble. Il appartient donc au pasteur
d’organiser son ministère autour de ce centre. Je voudrais donner ici quelques
pistes de réflexion et d’action :
a. Se mettre ensemble à l’écoute de la Parole de
Dieu
La première mission du
prêtre est l’annonce de la Parole. Que nous dit la Parole de Dieu ? Depuis
le début de la création, Dieu s’est révélé pour que nous entrions dans son
dessein d’amour qui consiste à tout récapituler dans son Christ, pour que Dieu
soit tout en tous. Nous sommes là dans une dynamique de communion. La
communauté chrétienne se construit sur la Parole de Dieu. Le pasteur est pénétré,
façonné, modelé par la Parole de Dieu, écrite et transmise. Son ministère
pastoral est au service de la Parole pour que chaque fidèle puisse se mettre à
l’écoute attentive de ce que Dieu dit au monde.
Le lieu premier de
l’annonce de la Parole dans la communauté est la catéchèse, qui s’adresse à
tous, adultes et enfants. Ce n’est pas pour rien que le curé est le premier
responsable de la catéchèse. Celle-ci est la première expression de son « munus praedicandi ».
Le deuxième lieu de
l’annonce de la Parole dans la communauté est l’homélie. Vous avez noté comment
le Saint Père a insisté sur ce point dans Evangelii
Gaudium. Chaque jour, chaque semaine, l’homélie est le moyen de commenter
la Parole qui est proclamée durant l’action liturgique, en particulier
l’Eucharistie. La qualité de l’homélie est une condition de base de la
formation des fidèles et de la communauté elle-même. Par l’homélie vous
expliquez la Parole que Dieu adresse à son peuple, avec des termes simples et
appropriés, avec les mots d’aujourd’hui. Dans l’homélie, vous êtes les
intermédiaires entre le Seigneur et son peuple, et c’est pourquoi l’homélie
liturgique est réservée au ministre ordonné, car vous recevez la grâce de
l’homélie au moment de votre ordination. La grâce de la prédication vous est
donnée, mais l’homélie demande aussi une préparation soignée. Vous connaissez
les paroles très fortes du Pape dans Evangelii
Gaudium à ce sujet. Je vous les cite car elles nous interpellent :
« J’ose demander
que chaque semaine, un temps personnel et communautaire suffisamment prolongé
soit consacré à cette tâche, même s’il faut donner moins de temps à d’autres
engagements, même importants. La confiance en l’Esprit Saint qui agit dans la
prédication n’est pas purement passive, mais active et créative. Elle
implique de s’offrir comme instrument (cf. Rm 12, 1), avec toutes ses
capacités, pour qu’elles puissent être utilisées par Dieu. Un prédicateur qui
ne se prépare pas n’est pas “spirituel”, il est malhonnête et irresponsable
envers les dons qu’il a reçus. » (EG, n. 145).
La formation des fidèles
à la Parole de Dieu ne peut cependant se réduire aux quelques minutes
hebdomadaires de l’homélie. Les groupes de réflexion permettent les
approfondissements doctrinaux. Vous remarquerez que votre propre formation
permanente est un vrai défi, mis à mal par la multiplicité des activités
pastorales que vous devrez organiser. Vous pourrez unir l’annonce de la Parole
et votre propre formation personnelle en organisant dans la paroisse un cycle
de conférences, par exemple sur le Catéchisme
de l’Eglise Catholique qui est merveilleusement fondé sur la Parole de
Dieu. Voilà une manière de profiter de votre ministère pour vous renouveler
vous-mêmes, car c’est le ministère lui-même, en l’occurrence les conférences
que vous devez faire, qui vous oblige à travailler personnellement.
b. Le ministère sacramentel
Il existe un lien
intrinsèque entre la Parole de Dieu et les sacrements. On le voit déjà à la
structure des sacrements eux-mêmes. La communion avec Dieu se réalise dans les
sacrements qui offrent la vie divine à travers des signes. Le pasteur donne la
vie de Dieu ; c’est sa joie, il est fait pour cela. La préparation des
sacrements, la fatigue qu’ils peuvent occasionner par l’organisation et
l’animation des célébrations, les longues heures passées à confesser, la
multiplicité des Eucharisties dominicales en des moments rapprochés et en des lieux
parfois distants, si tout cela est vécu dans la foi et offert avec amour, cela
participe à la fécondité inépuisable de la vie de Dieu qui est répandue à
travers ces signes et ces célébrations voulues par le Christ. On le voit en
particulier dans l’Eucharistie, mais c’est vrai pour tous les autres sacrements :
la foi vivante du pasteur peut faire rejaillir l’effet du sacrement non seulement
sur ceux qui sont présents, mais aussi sur ceux qui sont au loin. On a parlé de
« messe sur le monde ».
c. La prière
Si le pasteur est
l’homme de la communion avec Dieu, c’est bien dans la formation à la prière
qu’il exerce tout particulièrement son ministère. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique dit que
« la prière est chrétienne en tant qu’elle est communion
au Christ et se dilate dans l’Eglise qui est son Corps » (n. 2565).
Mettre les fidèles en
communion avec le Père, le Fils, l’Esprit Saint. Notre monde actuel est
profondément sécularisé, aussi l’attitude théologale n’est pas évidente. Le
pasteur d’aujourd’hui est davantage confronté à cette difficulté. Un
enseignement inlassable sur la prière est donc plus que jamais nécessaire. Tant
de paroisses aujourd’hui favorisent les groupes de prière et organisent
l’adoration eucharistique quotidienne. En certains lieux, elle est également
nocturne. Les prêtres qui le font savent par expérience qu’une communauté se
renouvelle dans la prière car la relation à Dieu est la raison d’être d’une
communauté chrétienne. Jésus est l’Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu au milieu de
nous. Sa dernière parole avant l’ascension a été cette assurance :
« Moi, je suis avec
vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Il ne suffit pas
d’organiser des moments de prière, il faut aussi apprendre aux fidèles comment
prier. C’est ce que Jésus a fait, à la demande des disciples. La prière est un
art. Le Catéchisme ouvre la section
sur la prière avec les paroles de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus :
« Pour moi, la prière c'est un élan du cœur, c'est un
simple regard jeté vers le ciel, c'est un cri de reconnaissance et d'amour au
sein de l'épreuve comme au sein de la joie » (n. 2558),
Mais le Catéchisme précise plus loin que
« la prière ne se
réduit pas au jaillissement spontané d'une impulsion intérieure : (…) il
faut aussi apprendre à prier. Or, c'est par une transmission vivante (la sainte
Tradition) que l'Esprit Saint, dans "l'Eglise croyante et priante",
apprend à prier aux enfants de Dieu » (n. 2650).
Le pasteur a la mission
de faire cette transmission vivante. Ceci me rappelle une parole du Pape
Jean-Paul II à des Evêques de France venus en visite ad Limina :
« Je voudrais signaler un aspect qui doit trouver sa place à
travers tout le ministère sacerdotal : c’est d’apprendre aux fidèles à prier, à prier souvent et bien, en groupe
et personnellement, selon le rythme des moments et des événements, mais aussi
de façon gratuite, dans l’intimité. Plus de gens qu’on ne le croit seraient
capables de faire oraison ! Mais personne ne leur a appris… Or, sans cette
intériorité, les baptisés s’essoufflent, leur action devient cymbale sonore, et
même leur pratique religieuse, si elle existe, se dessèche » (26
septembre 1982).
Deux ans plus tard, à
Montréal, Jean-Paul II revenait sur cette question fondamentale :
« Ce monde a besoin
de maîtres à prier, et il se tourne spontanément vers les prêtres qu'il voit
prier au nom de l'Eglise. Mais on n'apprend à prier aux autres que si la prière
est l'âme de notre propre vie, si elle accompagne tous nos efforts pastoraux »
(11 septembre 1984).
On comprend pourquoi
Benoît XVI a affirmé plusieurs fois que la prière est une priorité pastorale
pour le prêtre :
« Le temps pour
demeurer en la présence de Dieu dans la prière est une véritable priorité
pastorale ; ce n'est pas un à-côté du travail pastoral : demeurer
face au Seigneur est une priorité pastorale, en dernière analyse la plus
importante » (13 mai 2005, aux prêtres et aux diacres de Rome. Cf. aussi
le 31 août 2006 au clergé d’Albano).
Quand on sait combien d’heures
le Pape François consacre à la prière chaque jour, on est vraiment impressionné
et encouragé dans cette voie. Dans le message qu’il vous a adressé, il vous
exhorte à prendre, vous aussi, chaque jour, de longs moments de prière pour
vous laisser transformer par l’Esprit Saint, à l’image du Christ.
d) Quelques priorités parmi d’autres
Le prêtre est un homme
de communion. Il cherche à mettre ses contemporains en communion avec Dieu, ou
plutôt à leur faire découvrir leur place dans le cœur de Dieu. Un pasteur selon
le cœur de Dieu a des priorités qui sont celles de Dieu.
Je pense tout d’abord
aux pauvres qui sont les privilégiés de Dieu. Jésus caractérise les temps
messianiques par le fait que « la bonne nouvelle est annoncée aux
pauvres » (Lc 7, 22 ; cf. Lc 4, 18). Les pauvres sont les premiers
destinataires de l’Evangile de la tendresse de Dieu. Les pauvres, ce sont ceux
qui sont en manque : manque des premières nécessités matérielles, manque
de santé (les malades, les personnes âgées), manque d’affection (les personnes
seules), tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ploient sous le fardeau
d’une vie difficile. Le cœur du pasteur ressemble à celui du Christ qui est
pris de compassion devant les misères du monde. Une paroisse doit se
caractériser par un amour préférentiel pour les pauvres qui devienne un
engagement concret en leur faveur. En faisant l’expérience de l’accueil d’une
paroisse et de son pasteur, les pauvres découvrent la tendresse de Dieu. Les
fidèles eux-mêmes expérimentent la joie de Dieu quand ils peuvent donner cette
tendresse qui les habite.
Une autre priorité
consiste dans l’engagement pour le choix concret d’une communion totale,
exclusive, consacrée avec Dieu. Comme lieu de la communion, la paroisse est
lieu de sainteté. Le Concile l’a rappelé, tous sont appelés à la sainteté. Mais
quelques-uns sont appelés d’une manière particulière à vivre le prophétisme de
la sainteté par une consécration plénière au Christ selon les conseils
évangéliques. L’expérience montre qu’une paroisse, une famille, sont bénies
quand un de ses membres se consacre au Seigneur. Et cela est vrai aussi pour
les prêtres. Le pasteur a le souci de faire entendre l’appel à qui le Seigneur
l’adresse. Le décret Prebyterorum Ordinis
indique le rôle du prêtre dans l’éclosion d’une vocation :
« Cette voix du
Seigneur qui appelle, il ne faut pas s'attendre à ce qu'elle arrive aux
oreilles du futur prêtre d'une manière extraordinaire. Il s'agit bien plutôt de
la découvrir, de la discerner à travers les signes qui, chaque jour, font
connaître la volonté de Dieu aux chrétiens qui savent écouter: c'est à ces
signes que les prêtres doivent donner toute leur attention » (PO, n. 11)
Et le décret cite une
parole de Paul VI qui explique que la voix intérieure de Dieu trouve une
convergence dans celle, extérieure,
« du ministre
qualifié de la Parole de Dieu, celle de l'apôtre, celle de la hiérarchie,
instrument indispensable, institué et voulu par le Christ comme un véhicule
permettant de traduire en langage tombant sous l'expérience le message du
Verbe » (PO, n. 11, note).
2. La communion des fidèles entre eux
Homme de la communion
avec Dieu, le pasteur est aussi l’homme de la communion des fidèles entre eux,
celui qui construit la communauté. Ces deux dimensions ne sont pas séparées,
bien au contraire, elles se soutiennent mutuellement. La paroisse est la
communauté des baptisés qui vivent ensemble leur communion à Dieu, et personne
ne peut vivre du Christ sans être renvoyé à la communion avec son Corps qui est
l’Eglise.
Le pasteur selon le cœur
de Dieu a donc le souci de faire grandir ce Corps et de contribuer à l’organiser
en en assurant les jonctions, les articulations, jusqu’à ce que le Corps
parvienne à sa taille parfaite, selon l’image de Paul aux Ephésiens (cf. Ep 4,
12-13).
a. apprendre à vivre ensemble
Quand on lit les Actes des Apôtres et les Lettres de
saint Paul, on mesure combien la communion dans les églises particulières est
difficile. Les querelles dans les paroisses ne sont pas d’aujourd’hui. Le
pasteur doit savoir gérer les conflits selon une technique qui s’apprend et
surtout avec beaucoup de patience et de charité. Vous aurez vous-mêmes à être
attentifs à votre ardeur de jeunesse et peut-être aussi à vos fragilités qui
risquent de vous durcir dans votre rôle d’autorité, surtout si elle est
contestée. Il est vrai que vous pourrez trouver des personnes qui ne sont pas
exemptes de soif de pouvoir. Mais veillez à purifier tout ce qui en vous
pourrait aller dans le même sens. Le vrai pasteur selon Jésus est doux et
humble de cœur. Il patiente, aime et utilise tous les moyens surnaturels avant
de s’imposer. Saint Paul donne ce conseil aux Corinthiens, qu’il faudrait
répéter à toutes les communautés chrétiennes :
« Frères, soyez
dans la joie, cherchez la perfection, encouragez-vous, soyez d’accord entre
vous, vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous » (2 Co
13, 11).
b. Collaborer ensemble
Le pasteur n’est pas
appelé à tout faire par lui-même. Cela ne correspond pas au mystère de l’Eglise
communion. De par son baptême et la confirmation, de par le sacrement de
mariage, de par le charisme de la vie consacrée, de par l’ordination diaconale
ou sacerdotale, chacun est un membre du Corps du Christ, une pierre vivante
dans la construction de l’édifice, à laquelle tous et chacun contribuent selon
sa vocation propre. Le pasteur, avec la grâce de son munus regendi, suscite les collaborations, accueille, discerne et
encourage les bonnes initiatives ; il veille à ce que tout contribue à la
croissance du Royaume dans la communion, il prend garde que rien ni personne ne
soit oublié. On connaît la phrase devenue fameuse : le pasteur ne fait pas
tout mais il veille à ce que tout se fasse. Il existe une véritable
coresponsabilité des prêtres et des fidèles dans l’Eglise, même si celle-ci
doit être bien comprise, à la lumière de la distinction essentielle des deux
modalités du sacerdoce. Lumen Gentium
l’a bien montré aux n. 10 et 37. La pasteur est garant du juste exercice de
cette coresponsabilité.
Notez bien que les
prêtres doivent d’abord vivre entre eux la communion dans la collaboration,
avant de la demander aux fidèles. La communion des fidèles est encouragée par
le témoignage de la fraternité sacerdotale dans le presbyterium et dans les
paroisses. Je me fais l’écho du Saint Père qui vous invite dans son message à
mettre toute votre ardeur dans l’apprentissage de la fraternité, dès le temps
du séminaire. Vous aurez à la vivre dans la vie pastorale, malgré les
difficultés qu’elle suscite. D’ailleurs, on vérifie habituellement que la
relation pastorale des prêtres avec les fidèles est authentique et surnaturelle
si eux-mêmes savent vivre une relation fraternelle de qualité, de même qu’une
relation sereine avec l’autorité.
L’unité d’une communauté
est signe du Royaume. En ce sens, elle devient un élément essentiel de la
mission. Jésus a prié pour cela :
« Qu’ils deviennent
parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as
aimés comme tu m’as aimé » (Jean 17, 23).
L’Eglise est inséparablement
mystère de communion et de mission. Cela m’amène à mon deuxième point :
qu’est-ce qu’un évangélisateur ?
II. Evangélisateurs
1. le binôme communion – mission
Les deux grands
commandements de Jésus sont celui de la communion : aimez-vous les uns les
autres ; et celui de la mission :
« Allez ! De toutes les nations
faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé »
(Mt 28, 10-20).
De même que Dieu a
envoyé son Fils parce qu’il a tant aimé le monde, de même le Fils ressuscité
envoie les apôtres dans toutes les nations pour faire des disciples. Par sa
nature, l’Eglise d’ici-bas est autant missionnaire que communion. Les deux
aspects sont inséparables. La communion est source et condition de la
mission ; la mission jaillit de la communion et trouve son achèvement dans
la communion. Le Concile a rappelé que le mystère eucharistique, mystère de
communion par excellence, est « source et sommet de toute l’évangélisation »
(PO, n. 5).
2. La communauté paroissiale doit être
missionnaire
Le prêtre pourrait avoir
la tentation d’évangéliser seul. Ce serait contraire à la nature de l’Eglise.
Je ne veux pas dire par là que personne ne peut évangéliser seul : Dans
les Actes, nous voyons Etienne et Philippe qui évangélisent seuls. Mais Jésus a
aussi envoyé les apôtres et les soixante-douze disciples deux à deux (cf. Mc 6,
7 ; Lc 10, 1). Habituellement Paul est avec des compagnons.
Dans une paroisse, le curé
est vraiment pasteur et évangélisateur quand il forme sa communauté à la
mission. En effet la nature de l’Eglise demande que la paroisse soit une
communion missionnaire. D’ailleurs l’expérience semble montrer que bien des
conflits de pouvoirs disparaissent quand toute la paroisse est engagée dans
l’aventure de la mission. Les fidèles comprennent que l’enjeu est bien au-delà
des questions de prérogatives.
Quel est en fait
l’enjeu ? Il se trouve dans deux paroles de l’Ecriture :
La première vient de
Paul qui écrit à Timothée que Dieu
« veut que tous les
hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la
vérité » (1 Tm 2, 4).
Etre disciple, c’est
faire la volonté de Dieu, c’est entrer dans cette dynamique missionnaire qui
veut avec le Seigneur le salut de tous les hommes. La deuxième parole de
l’Ecriture est celle de Jésus qui nous prévient :
« Ce n’est pas en
me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des
Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt
7, 21).
Jésus lui-même est
pleinement entré dans cette volonté en sauvant tous les hommes. Chaque prêtre,
chaque paroisse est tournée vers le diocèse et vers l’Eglise tout entière, avec
le désir que le dessein de Dieu se réalise complètement. Mais concrètement,
chaque pasteur, chaque paroisse a plus spécialement la charge des hommes et des
femmes qui vivent sur le territoire de la paroisse. Si la communauté
paroissiale n’est pas missionnaire, elle perd une dimension essentielle de son
être. Pourrait-on encore l’appeler communauté ? Sa communion, si elle
existe, serait-elle vraiment surnaturelle ? Ne serait-ce pas plutôt un
club d’amis ?
Cette perspective a des
conséquences très concrètes : toute la vie de la paroisse perdrait son
sens si elle n’était pas marquée par ce souffle missionnaire. Que signifie une
belle chorale si la beauté liturgique n’est pas à la fois une louange et un
témoignage ? Quel sens prend la beauté des bouquets de fleurs pour les
célébrations si les fleuristes paroissiaux ne portent pas le souci, eux aussi,
de la louange de Dieu et de l’annonce de l’Evangile ? Les fleurs donnent
un éclat à la célébration de l’Eucharistie qui elle-même est source et sommet
de l’évangélisation. Chaque membre fait sa part mais tous portent le souci de
la croissance du Corps.
C’est ainsi qu’on
dépasse la dichotomie qui peut exister entre le pasteur et l’évangélisateur.
C’est bien la même personne, chargée de consolider la communion de son peuple
pour en faire un peuple missionnaire.
Ainsi, un prêtre ne peut
abandonner sa paroisse sous le prétexte qu’il doit évangéliser. Il ne peut non
plus repousser l’urgence de l’évangélisation sous le prétexte qu’il doit
d’abord consolider sa paroisse. Car, par nature, la communion et la mission
grandissent ensemble. Le pasteur missionnaire doit apprendre à collaborer avec
ses paroissiens afin que la multiplicité des tâches soient assumées par tous et
chacun, dans une cohésion qui repose en particulier sur le juste exercice de
son propre « munus regendi ».
La paroisse tout entière, chacun à sa place, doit prendre part aux tâches
administratives et à l’évangélisation des rues, à la préparation des Eucharisties
et à la formation des fiancés, à l’organisation des temps d’adoration et au catéchuménat.
Si un prêtre devait
laisser quelques jours sa paroisse pour participer à une formation, il pourrait
évaluer l’opportunité d’emmener tel ou tel paroissien pour qu’ils se forment
avec lui. Par ailleurs, ne pourrait-il pas envoyer un ou plusieurs de ses
fidèles s’enquérir sur de nouvelles méthodes d’évangélisation qui se révèlent
fécondes ? On connaît parfois la tentation de vivre à l’intérieur des
limites géographiques et culturelles de la paroisse ou du diocèse, sans
chercher à découvrir ce que l’Esprit peut dire aux Eglises, à l’autre bout du
pays ou du monde. Nous vivons dans un contexte de mondialisation qui requiert
une grande ouverture culturelle et spirituelle. Le zèle nous brûle quand nous
cherchons tous les moyens possibles pour rejoindre efficacement ceux qui sont
aux loin. Avec une expression qui lui est chère, le Pape François demande que
nous allions aux périphéries existentielles du monde. Il ne s’agit pas
nécessairement de kilomètres à parcourir mais d’une sensibilité à tous ceux qui
sont en attente de l’Evangile. Le Pape Jean-Paul II utilisait l’expression
« nouvelle Evangélisation » pour inviter à une nouvelle ardeur dans
l’annonce de l’Evangile à ces périphéries, à chercher de nouvelles méthodes
pour rejoindre ces périphéries, à utiliser des mots qui puissent être entendus
par la culture moderne. Quand une paroisse vit sa communion dans une dynamique
missionnaire, elle a opéré ce qu’on appelle la « conversion
pastorale ».
III. Se préparer
Chers amis séminaristes,
l’enjeu est magnifique, il est immense, il nous dépasse tous. Mais ne craignez
pas : les douze Apôtres ont eu ce même sentiment lorsque, sur le mont de
l’Ascension, ils ont entendu Jésus qui les envoyait au bout du monde. Ils
auraient pu être écrasés par l’ampleur inhumaine de la tâche. Mais Jésus les a
bénis et leur a demandé de ne pas quitter Jérusalem avant de recevoir l’Esprit
Saint.
Voilà exactement votre
situation. Jésus vous a bénis en vous appelant à sa suite. Maintenant, dans vos
séminaires, vous êtes comme au cénacle dans l’attente de l’Esprit. Bien sûr,
vous l’avez déjà reçu au baptême et à la confirmation. Chaque Eucharistie vous
remplit de l’Esprit Saint. Mais vous vous préparez à une nouvelle descente de
l’Esprit, lorsque l’Evêque imposera les mains sur votre tête et prononcera la
prière consécratoire. Vous êtes venus ici à Lourdes pour demander que ce temps
du séminaire soit une véritable préparation comme au temps des Apôtres.
Vous êtes dans un temps
de préparation qui consiste, comme vous l’a dit le Saint Père, à devenir
d’humbles disciples missionnaires pour faire des disciples. Je trouve l’esprit
de cette préparation dans le numéro central de Pastores dabo vobis qui traite de la charité pastorale.
La
charité pastorale est
« participation à
la charité pastorale du Christ Jésus: don gratuit de l'Esprit Saint, et, en
même temps, engagement et appel à une réponse libre et responsable de la part
du prêtre. Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le
don total de soi-même à l'Église, à l'image du don du Christ et en partage avec
lui » (n. 23).
Reprenons chacun des
éléments :
1. Participation à la charité pastorale du Christ
Il n’y a qu’une charité
pastorale, de même qu’il n’y a qu’un seul Prêtre souverain et éternel :
tout vient du Christ et tout nous porte vers le Christ. Vous avez été choisis
pour ne faire qu’un en lui et agir en son nom, en sa personne. Vous n’avez pas
d’autre raison d’être que servir sa mission en étant transparents à son
mystère.
Dans son livre Jésus de Nazareth, Benoît XVI a un
magnifique commentaire de l’allégorie de la porte du bercail que nous trouvons
en Jean au chapitre 10. Jésus est la porte. Celui qui voudrait entrer dans le
bercail sans passer par la porte, est un voleur. Le pasteur des brebis doit
passer par Jésus et ne faire qu’un avec Jésus. Participer à la charité
pastorale du Christ, c’est ne vouloir aimer que dans le Christ et recevoir la
mission que Jésus ressuscité a confiée à Pierre : Pais mes brebis. Les brebis ne seront jamais
les nôtres, mais celles du Christ.
Quel détachement cela
demande de notre part, quelle chasteté ! Nous sommes les amis de l’époux
(Jn 3, 29) qui, comme Paul, présente au Christ la communauté comme une vierge
pure (cf. 2 Co 11, 2). Etre les amis de l’époux, c’est protester comme Pierre à
la demande de Jésus : Pierre, m’aimes-tu plus que ceci ? – Seigneur,
tu sais tout, tu sais bien que je t’aime (cf. Jn 21, 15-17).
Comment trouver le
Christ aujourd’hui ? Bien sûr dans la prière et la fréquentation des
sacrements. Je vous l’ai déjà dit et je vous invite à en vivre profondément. Je
voudrais tout particulièrement insister sur la Parole de Dieu qui est le
fondement même de notre foi. La Parole de Dieu est la révélation de Dieu, elle
est le Christ lui-même, lui qui est Parole du Père. Vous connaissez cette expression
de saint Jérôme qui a été reprise par Dei
verbum puis par le Catéchisme de
l’Eglise Catholique : « Ignorer les Ecritures, c'est ignorer le
Christ » (Prologue au Commentaire
d’Isaïe, cf. DV, n. 25 ; CEC, n. 133). Plongez-vous dans la Parole de
Dieu, lisez-la et relisez-la, laissez-la vous interpeller, aidez-vous de
commentaires, que son étude soit comme l’âme de votre théologie. Et surtout
priez-la. Plus vous serez imprégnés de l’Ecriture, plus vous serez capable de
vous faire l’instrument du Christ pour toucher le cœur des hommes que vous
rencontrerez.
Voilà le sens du
séminaire. De même que les apôtres sont restés de longs mois auprès de Jésus,
de même vous aussi, vous passez plusieurs années au séminaire pour devenir de
vrais disciples-missionnaires.
Chers amis, permettez à
mon affection de vous poser quelques questions : où en est votre amour
pour le Christ ? Le préférez-vous à tout ? « …plus que
ceux-ci ? ». Etes-vous décidés à lui offrir toute votre vie dans le
célibat librement accepté et choisi pour le Royaume ? Comme les Apôtres en
prière au Cénacle, avez-vous soif de la rencontre concrète avec le Christ dans une
prière quotidienne et prolongée, même si c’est dans la nuit de la foi ?
2. Tout ceci est un don gratuit de l’Esprit
Seul l’Esprit peut vous
faire entrer dans cette dynamique. Jésus ressuscité l’a dit aux Apôtres
lorsqu’il leur a donné cet ordre : « Demeurez dans la ville jusqu’à
ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut » (Lc 24, 49).
Le temps du Séminaire vous configure peu à peu au Christ par la puissance de
l’Esprit. L’Esprit vous a été donné, dit Saint Paul, et il diffuse l’amour en
vos cœurs (Rm 5, 5). Dans la vie concrète de chaque jour, se livrer à l’Esprit
pour qu’il fasse son œuvre en vous, c’est accepter de grandir en amour.
Jean-Paul avait demandé aux jeunes à Lyon, en 1986, de faire de leur vie un
« je t’aime ». C’est une manière moderne d’accomplir ce que Paul
demandait aux Colossiens :
« Quel que soit
votre travail, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur » (Col 3,
23).
Votre travail, c’est
votre devoir d’état, votre formation sacerdotale, vos activités pastorales.
Faites tout de bon cœur, c’est-à-dire le mieux possible, non pour un avantage
quelconque, mais seulement pour correspondre à la pensée du Seigneur sur vous.
Vous le faites pour l’Eglise.
Agir ainsi avec fidélité
permet de fortifier votre volonté. Vous vous appliquez à faire bien ce qui vous
est demandé plutôt que de vous laisser aller au gré de vos désirs et de vos
tendances. Le Seigneur a besoin que votre volonté soit forte.
Mais en même temps, vous
le faites avec amour, dans une grande docilité à ce qu’on vous demande. Ainsi
votre volonté se fortifie mais ne se raidit pas. Obéir avec amour rend souple.
L’Esprit Saint a besoin que votre volonté soit souple. Lorsque la charité aura
envahi votre être et votre volonté, vous serez forts et souples ; vous
correspondrez pleinement à ce que saint Paul attend de vous lorsqu’il écrit aux
Romains que « les vrais enfants de Dieu sont ceux qui sont conduits par
l’Esprit Saint » (Rm 8, 14).
Etre souple sous
l’action de l’Esprit est encore plus nécessaire et urgent aujourd’hui. En
effet, même si la nature du sacerdoce ne change pas depuis que Jésus l’a
institué, les conditions de vie et de ministère des prêtres est en pleine
évolution aujourd’hui. Il vous faut une grande fidélité à l’essence du
sacerdoce et une grande souplesse sous l’action de l’Esprit pour que l’Esprit
vous fasse trouver les modalités concrètes qui correspondent aux exigences
actuelles. Comme les Actes le disent
de Saint Paul, soyez vous aussi « enchaînés par l’Esprit » (Ac 20,
22). Pour cela, soyez souples et dociles sous son action.
Une autre exigence de la
charité est l’universalité. La charité du Christ nous presse pour porter
l’Evangile à toutes les nations, à toutes les personnes que nous rencontrons.
La mission repose sur l’altérité car nous sommes envoyés aux périphéries du
monde, là où les personnes sont parfois très différentes de nous. Rendez votre
charité universelle dès le temps du Séminaire. Ne vous renfermez pas dans un
cercle d’amis, n’ayez pas peur de l’altérité, veillez à aimer et à accueillir
tous les membres de votre communauté de formation.
Vous le voyez, l’amour
vrai est don de soi, et c’est mon dernier point.
3. Le contenu essentiel de la charité pastorale
est le don de soi
Je vous disais que
Jean-Paul II voulait que la Nouvelle Evangélisation soit caractérisée par une
nouvelle ardeur. Voilà le don de soi ! Les années de Séminaire peuvent
être une épreuve par leur régularité et leur caractère studieux. Il ne faudrait
pas que l’ardeur évangélisatrice, que vous aviez en entrant au Séminaire,
s’émousse au fil des ans, et que vous arriviez à l’ordination essoufflés,
désabusés, installés. Le Pape François stigmatise les « vieux
garçons ». C’est la qualité de votre don, au jour le jour qui vous permet
de vous renouveler dans ce zèle de votre jeunesse. Pastores dabo vobis n’édulcore pas la réalité : le don total
de soi, à l’image du don du Christ, est le contenu essentiel de la charité
pastorale.
Mettez donc toute votre
ardeur à entrer dans la formation qui vous est proposée :
La vie spirituelle exige
de vous ce don complet car l’amour total du Christ pour nous demande que nous
lui donnions tout.
La formation humaine
vous donnera ces qualités que Pastores
dabo vobis désire pour les prêtres à l’image du Christ doux et humble de
cœur.
La vie communautaire est
le lieu de la croissance de l’amour et de la communion, dans la purification de
la personnalité orgueilleuse et individualiste que nous portons, tous, plus ou
moins.
La vie intellectuelle
est une exigence de la charité pastorale car vous devez connaître le monde
auquel vous serez envoyés pour le rejoindre en vérité et pour pouvoir lui
parler avec les mots qu’il comprend. Votre formation théologique vous permet de
connaître la foi que nous professons avec une précision telle que vous pourrez
vous adapter à vos interlocuteurs sans trahir le message.
La formation pastorale
vous permet de connaître le moyen d’annoncer l’Evangile. Elle vous donne aussi
l’occasion de vous y essayer. C’est là que déjà vous pouvez mettre en
application le don de vous-mêmes, avec toutes les richesses que vous recevez au
Séminaire.
Permettez-moi d’insister
sur un point particulier, dans la ligne de ce que le Pape François a développé
lors de sa rencontre avec les séminaristes, le 6 juillet 2013 : soyez
transparents avec votre directeur spirituel et soyez ouverts à vos formateurs.
Vous vous construisez sous le regard du Christ qui vous connaît mieux que
vous-mêmes, qui vous aime et vous a appelés alors que vous étiez peut-être
comme le publicain Lévi assis au bureau des impôts ou comme le Pharisien debout
dans le temple. Laissez-vous interpeller, relever et purifier par ce regard du
Christ qui passe par celui de votre directeur spirituel et de vos formateurs.
N’ayez pas peur de faire la vérité en vous et sur vous. C’est un chemin
exigeant mais tellement libérateur. En apprenant ainsi à connaître la vérité,
vous saurez entendre la voix de l’Esprit au fond de votre cœur. En apprenant à correspondre
aux exigences de la miséricorde sur vous, vous serez de vrais et bons guides
pour les autres.
Chers amis, je rends
grâce avec vous pour le choix dont vous êtes l’objet. Marchez avec confiance.
L’Eglise vous aime et vous prépare à cette mission sublime qui sera la vôtre.
L’Esprit surtout est en train de vous façonner pour que vous puissiez dire un
jour comme saint Paul, que le Christ vit en vous. Alors, comme dit Presbyterorum Ordinis, Dieu pourra
« manifester ses hauts faits par des hommes accueillants à l'impulsion et
à la conduite du Saint-Esprit ».
Je vous remercie.