Pèlerinage des Séminaires de
France à Lourdes 9 novembre 2014
Entretien de S.E. Mgr Jorge
Carlos Patrón Wong
avec les Formateurs de
Séminaire
Chers amis, c’est avec un
cœur plein de joie que je vous remercie de l’invitation que vous nous avez adressée.
Je me présente brièvement : Monseigneur J.C. Patron Wong, Secrétaire
chargé de la section des Séminaires ; je suis mexicain et le Seigneur m’a
donné de vivre depuis de longues années une belle et riche expérience dans le
domaine de la formation sacerdotale en Amérique latine. À la Congrégation, au
nom du Saint-Père, le Cardinal Préfet et moi sommes là au milieu de vous, pour
vous et, avec vous, nous voulons écouter et chercher ce que l’Esprit dit aux
Églises (cf. Ap 3, 6.22). Cette intervention prendra donc la forme d’un
entretien, suivi d’un échange avec le Cardinal, vous et moi. Si vous le voulez
bien, commençons par nous mettre, comme Marie, à la disposition du Très-Haut et
de son Esprit : Notre Père qui es aux cieux, …
Nous commencerons par
réfléchir ensemble sur ce que signifie « être formateur » au regard
du Christ, et formateur de futurs prêtres, dans les circonstances actuelles.
Nous le ferons en quelques points, sans nous soucier de les ordonner entre eux.
1.
« Former »
signifie donner la forme du Christ
Former, c’est donner forme. De quelle
« forme » s’agit-il ? La « forma » dans les Écritures et la Tradition désigne le Christ
comme Image parfaite et consubstantielle du Père, dans sa double « forma » divine et humaine. Lui qui
est, comme dit Saint Paul, « de condition – de forme divine (cf. Vulg.) –,
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est
dépouillé, prenant la condition – ou la forme – du serviteur, devenant
semblable aux hommes, … » (Ph 2, 6-10).
Toute formation chrétienne, tout formateur
chrétien vise à donner et recevoir la forme du Christ : par le désir et le
choix intérieur de la conformation à Lui, et surtout, par une transformation de
grâce qui est l’opération même de l’Esprit Saint. « Tout disciple bien
formé sera comme son Maître » dit Jésus dans Luc (6, 40).
Une
nouvelle Ratio Fundamentalis de la
formation sacerdotale pour l’Église universelle est en cours d’élaboration.
Elle renouvelle celle de 1985 qui était seulement une adaptation de la précédente
au nouveau Code de Droit canonique. Elle indique deux étapes principales dans
la formation : la première – « devenir disciples » – qui
correspond en gros au premier cycle du séminaire, sans s’arrêter là, bien sûr,
et dont l’objectif est la croissance humaine et chrétienne du candidat. Cette
étape devra parvenir au choix déterminé, mûri intérieurement, de suivre le
Christ jusqu’au bout. Elle insiste sur la formation humaine et sa finalité en est
la connaissance de soi dans l’intégration de sa personnalité, avec ses
faiblesses et ses richesses, au Mystère du Christ ; la deuxième est
l’étape dite « configuratrice » : elle correspond au second
cycle, sans s’y achever non plus, et vise la configuration au Cœur du Fils,
Serviteur et Bon Pasteur, prêt à donner sa vie pour ses frères. Vous noterez
qu’on ne parle plus tant de « cycle de philosophie » ou de
« cycle de théologie » afin de ne pas réduire la formation intégrale des
pasteurs à sa seule dimension intellectuelle, par ailleurs essentielle.
Être disciple, c’est
suivre le Maître, L’écouter, Le regarder, L’aimer, vouloir se laisser
transformer par Lui. Les jeunes qui vous sont confiés sont, pour la plupart,
appelés au sacerdoce ministériel, et le temps du séminaire va les aider et vous
aider à ce discernement attentif ; mais ils sont appelés hic et nunc, dès maintenant et en raison
de leur baptême, à la sainteté. Il est indispensable que les séminaristes
soient mis d’abord en contact avec Dieu, non seulement parce que tout prêtre
est choisi et « établi en faveur des hommes pour leurs rapports avec Dieu » (He 5, 1), mais
d’abord pour vivre eux-mêmes dans cette relation et de cette relation absolue. Celle-ci
permettra à Dieu d’opérer la transformation intime du cœur, la connaissance de
soi, les détachements nécessaires, la croissance des vertus et d’infuser la
charité qui deviendra alors charité pastorale, par la grâce sacramentelle. Ceci
vous demande de leur faire découvrir et de leur apprendre les moyens concrets de la lectio
et de l’oraison. J’insiste sur cet apprentissage des moyens qui aide à
« prendre chaque jour de longs moments de prière », comme le
Saint-Père nous le demande dans son message.
Accepter de se laisser transformer par le Dieu des
miséricordes, c’est aussi ne pas craindre de se découvrir avec sa « forme »
humaine, faite de dons et marquée de faiblesses ; c’est découvrir son histoire
personnelle, familiale, ecclésiale pour mieux se laisser assumer par le Christ.
On n’insistera jamais assez aujourd’hui sur la formation humaine. Le Saint-Père
l’a rappelé dans sa dernière audience à l’Assemblée plénière de la
Congrégation : « je vous en prie, (…) examinez bien si cet homme est
sain, équilibré, capable de donner la vie, d’évangéliser, si cet homme est
capable de former une famille et d’y renoncer pour suivre Jésus ». Il nous
faut donc regarder les aptitudes humaines, aider leur croissance et leur
assomption dès les premières années du séminaire. Si leur développement n’était
pas significatif après deux ou trois ans, il faudrait alors en tirer les
conséquences, comme Jésus vis-à-vis du Gérasénien, envoyé comme témoin de la
Miséricorde divine auprès des siens (cf. Mc 5, 18-19).
Former, c’est donc permettre à l’Esprit Saint de
donner la forme humaine et divine du Christ, Serviteur et Pasteur, et d’y
collaborer. Pour cela, le formateur doit regarder comment Jésus est formateur.
Ce sera mon deuxième point.
2.
Regarder
le Christ formateur de ses Apôtres
A l’audience de la plenaria, le Pape François nous a demandé de regarder le Christ. Je
le cite : « La formation offerte par le Christ à ses disciples s’est
réalisée […] par un ‘viens et suis-moi’, ‘fais comme je fais moi’, et ceci est
la méthode que l’Église veut adopter aussi aujourd’hui pour ses
ministres ». L’exemple du Christ passe à travers notre propre exemple.
C’est cela, joint au travail intime de l’Esprit, qui touchera d’abord le cœur
profond du jeune en formation, et permettra à sa liberté intérieure de
s’engager dans un processus d’autoformation. L’exemple touche, parle, convainc.
L’exemplarité concerne autant le Recteur, que chaque formateur, et chaque
séminariste. Voir quelqu’un faire le bien entraîne et stimule. Ainsi, c’est la
communauté en tant que communauté qui deviendra éducative, comme le désirent Pastores dabo vobis (n° 61), l’introduction
de votre Ratio française (cf. n° 1) et
la prochaine Ratio pour l’Église
universelle.
Comment
Jésus s’y prend-il avec ses disciples, avec les Douze, avec chacun ? Le
premier acte de la vie publique du Seigneur est de se mettre au rang des
pécheurs qui demandent le baptême de conversion de Jean le Baptiste. Et
nous ?
Jésus a sur les lèvres la parole des
Écritures. Les connaissons-nous suffisamment, non pas théoriquement mais
existentiellement, pour que celles-ci soient présentes à nos rencontres, à nos
échanges de chaque jour, et y compris à nos conversations de table ?
Jésus prie : chaque jour seul, mais également
en présence des disciples, ou avec quelques-uns. Il se rend aux offices
liturgiques à la synagogue ou au Temple. Nous ne prions pas pour être vus des
autres, mais les autres ont aussi besoin de nous voir prier, d’expérimenter que
cette relation est vitale, pleine de joie et que c’est elle qui anime et
féconde notre ministère. Par ailleurs, les séminaristes ont aussi besoin
d’entendre de notre bouche que le Christ est notre vie, notre unique amour,
notre passion ! Si nous sommes trop pudiques pour nous dire les raisons de
notre amour et de notre vie, notre affectivité trouvera d’autres sources
compensatoires et le charisme du célibat ne sera plus suffisamment nourri.
Jésus est au milieu de ses disciples :
Il regarde chacun de toute son attention ; Il appelle ; Il exerce sa
mission avec eux, leur donnant d’y collaborer (« Donnez-leur vous-mêmes à
manger » Mt 14, 16) ; Il les envoie sans attendre qu’ils soient bien
formés ; Il se retire à l’écart avec eux ; Il les interroge, les
instruit, leur explique tout en particulier ; Il les prépare à son mystère
pascal ; Il leur lave les pieds en leur faisant le don de sa vie, de son
Corps, … Cette présence du Seigneur au milieu des siens, avec ses paroles, ses
« acta et passa »
salvifiques, pourrait s’appeler un compagnonnage personnalisé. Je vous
encourage à être, vous aussi, des compagnons, des frères et des pères pour les
séminaristes, les trois ensemble.
Comme l’écrit Jean-Paul II dans Pastores dabo vobis (n° 60) :
« le grand Séminaire doit tendre à devenir une communauté dont les membres
sont liés par une amitié et une charité profondes, pour constituer dans la joie
une vraie famille ». Et François l’a dit clairement dans son
message : « le ministère presbytéral ne peut en aucun cas être
individuel, encore moins individualiste ». L’apprentissage de l’amour « familial »
de l’autre comme autre, dans l’unité de la foi et de la charité, est
indispensable si nous voulons que nos presbyterium soient de vraies familles où
chacun prend soin des autres et collabore avec eux. Tant de prêtres âgés se
retrouvent seuls ! Sans amour, sans souci fraternel, nos missions n’auront
aucune fécondité. Je vous renvoie à l’Évangile de Saint Jean, chap. 15 (v. 1-17).
Une famille a aussi besoin que les parents
soient présents et bien unis. L’unité et la fraternité de vos équipes
formatrices, dont le recteur est le principal garant, déteindra sur la
communauté. Le recteur doit être autant présent à son équipe qu’aux
séminaristes et savoir déléguer les différentes charges au service de la
formation. Comment les séminaristes devenus prêtres sauront-ils collaborer avec
les membres clercs, consacrés ou laïcs du Peuple de Dieu, ou sauront-ils
exercer une juste délégation faite de confiance et de suivi, s’ils n’ont pas vu
leur recteur faire de même ?
Quelle fut la pédagogie du Christ avec les
Douze ? Présence, confiance et amour, liberté et autorité. Jésus vit au
milieu d’eux sans être derrière chacun en permanence. Il les laisse parler
entre eux, y compris quand il s’agit de mondanités. Puis, arrivés à la maison, il
pose la question : « de quoi discutiez-vous en chemin ?... »
(Mc 9, 33 sv.). La confiance dans la personne, et l’espérance dans l’action de
Dieu en elle, sont le terreau d’une vraie liberté et d’une autorité ajustée,
pleine de mesure comme dit le rite de l’ordination diaconale. Confiance et
amour, liberté et autorité de la part du formateur sont la condition sine qua non d’une formation intérieure
et efficace qui inscrit dans le cœur la liberté et l’autorité mêmes du Fils.
Pour que les futurs prêtres ne soient ni des répétiteurs d’une doctrine qui
leur serait extrinsèque, ni à la traîne de leur volonté propre (cf. Presbyterorum Ordinis, n° 15) ou de
leurs pensées trop humaines, il est nécessaire qu’ils puissent échanger, exprimer,
donner un avis, même surprenant ou non conforme au magistère. C’est ce qui leur
permettra alors de faire la vérité, aidés par les paroles des formateurs ou de
leurs confrères et par l’illumination intérieure de l’Esprit, si tant est
qu’ils soient humbles et ouverts. Il nous faut procéder ainsi si nous voulons une
vraie fidélité au magistère, qui soit intériorisée, assumée, et convaincue, et
tout entière au service de la conduite pastorale.
J’aimerais dire un mot sur la distinction
entre for interne et for externe. Celle-ci est nécessaire du point de vue du
secret sacramentel, du secret confié au directeur spirituel (cf. PDV n° 66) et elle se vérifie dans
la pratique de ne pas se confesser au recteur et aux autres formateurs ;
mais, mal comprise, elle pourrait constituer un frein dans les relations
habituelles et confiantes entre formateurs et séminaristes, pire, former des prêtres
« schizophrènes ». En effet, le discernement et la formation
concernent le séminariste dans toutes les dimensions de sa vie et rien
d’important ne doit rester caché aux yeux des formateurs, car ceux-ci, dans
leur avis, engagent l’Église et l’avenir du jeune. Cette transparence sera un
appui dans les difficultés ou les doutes que le prêtre pourrait rencontrer plus
tard. La distinction for interne – for externe ne doit donc pas empêcher la
connaissance que le recteur et les autres formateurs ont du séminariste, ni
être un obstacle dans les questions à poser, ou dans les remarques éducatives à
donner.
Nous venons de regarder un peu la manière
de faire du Christ. Je vous invite, dans le cadre de votre formation permanente,
à prolonger ce regard sur l’Évangile et aussi à étudier comment il a été mis en
œuvre chez les saints éducateurs : Thérèse de l’Enfant-Jésus, Don Bosco, Jean-Paul
II, et d’autres... J’en profite pour vous féliciter et pour vous encourager à
poursuivre ces temps très précieux de sessions entre vous, et avec vos évêques.
J’en arrive à mon dernier point qui
reprend le thème de notre pèlerinage :
3. « Avec Marie, Reine des Apôtres. Appelés à annoncer
l’Évangile »
Tout disciple doit devenir « disciple-missionnaire »,
selon l’expression du Pape François. Dès le début de Pastores dabo vobis, Jean-Paul II parle de « l’absolue
nécessité que la ‘nouvelle évangélisation’ trouve dans les prêtres ses premiers
‘nouveaux évangélisateurs’ » (n° 2). Comment le prêtre, « homme
de la prière et de la communion », pourra-t-il être « homme de la mission »
(PDV n° 18), si cela n’a pas été vécu
au sein même de la communauté qui doit le former ?
Nous
sommes tous convaincus que le témoignage qui touche procède du cœur saisi par
l’expérience vive de Dieu. Mettre des mots sur cette expérience s’apprend, d’autant
plus que nos contemporains sont en attente de raisons de vivre. Formuler son témoignage
à l’aide des paroles ardentes du kérygme, et être prêt à le donner, sont un
apprentissage et un habitus à acquérir. Il est bon que des expériences
missionnaires soient vécues par le séminaire, en collaboration avec des laïcs, puis
relues ensemble à partir d’une théologie de l’évangélisation attentive aussi
aux nouvelles méthodes et aux charismes donnés par l’Esprit à son Église
aujourd’hui. On peut dire que l’acte évangélisateur est l’axe intégrateur de
toute la formation humaine, spirituelle, théologique et pastorale. Dans le Décret
d’approbation de votre excellente Ratio
française, le Préfet de la Congrégation pour l’Éducation catholique relevait cette
finalité : « frayer des voies apostoliques plus adaptées à la
nouvelle évangélisation » et, pour ce faire, viser « un profond
renouvellement des institutions ecclésiastiques » (25.02.1998). C’est aussi
le souci de vos évêques qui veulent que nous cherchions sans cesse « de
nouveaux chemins d’évangélisation » et que nous soyons tous remplis de
« l’audace missionnaire » du Christ (Invitation des évêques de France aux séminaristes – Lourdes 2014).
J’ai déjà
beaucoup parlé. Confions-nous éperdument à la Mère de Dieu et de l’Église,
confions-lui nos désirs, nos questions et nos soucis. Elle nous aidera à
enfanter et à former des pasteurs humbles, tout donnés au Peuple de Dieu et à
l’évangélisation du monde.
Je vous
remercie de votre attention. Le Cardinal Préfet et moi sommes prêts à répondre
à vos questions.