François S.: avis, sermons 701
701 (fruit du mystère : La contrition de nos péchés)
Traité de l’amour de Dieu, Livre IX, chap.4
De l'union de notre volonté au bon plaisir divin, ès afflictions spirituelles, par la résignation.
" Il est ainsi, Théotime. L'âme est quelquefois tellement pressée d'afflictions intérieures, que toutes ses facultés et puissances en sont accablées par la privation de tout ce qui la peut alléger, et par l'appréhension et impression de tout ce qui la peut attrister.
Ainsi, à l'imitation de son Sauveur, elle commence à s'ennuyer, à craindre (Mc 14,33) à s'épouvanter, puis à s'attrister (Mt 26,37) ; d'une tristesse pareille à celle des mourants, dont elle peut bien dire : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Mt 26,38) ; et du consentement de tout son intérieur elle désire, demande et supplie que, s'il est possible, ce calice soit éloigné d'elle (Mt 26,39), ne lui restant plus que la fine suprême pointe de l'esprit, laquelle attachée au coeur et bon plaisir de Dieu, dit par un très simple acquiescement : O Père éternel, mais toutefois, que ma volonté ne soit pas faite, mais la vôtre (Lc 22,42).
Et c'est l'importance que l'âme fait cette résignation parmi tant de troubles, entre tant de contradictions et répugnances, qu'elle ne s'aperçoit presque pas de la faire ; au moins lui est-il advis que c'est si faiblement, que ce ne soit pas de bon coeur, ni comme il est convenable, puisque ce qui se passe alors pour le bon plaisir divin, se fait non seulement sans plaisir et contentement, mais contre tout le plaisir et contentement de tout le reste du coeur, auquel l'amour permet bien de se plaindre, au moins de ce qu'il ne se peut pas plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job et de Jérémie, mais à la charge que toujours le sacré acquiescement se fasse dans le fond de l'âme, en la suprême et plus délicate pointe de l'esprit, et cet acquiescement n'est pas tendre ni doux, ni presque pas sensible, bien qu'il soit véritable, fort, indomptable et très amoureux, et semble qu'il soit retiré au fin bout de l'esprit comme dans le donjon de la forteresse où il demeure courageux, quoique tout le reste soit pris et pressé de tristesse. Et plus l'amour en cet état est dénué de tout secours, abandonné, de toute l'assistance des vertus et facultés de l'âme, plus il en est estimable de garder si constamment sa fidélité.
Cette union et conformité au bon plaisir divin se fait on par la sainte résignation, ou par la très sainte indifférence. "
Traité de l’amour de Dieu, Livre II, chap. 10
" Théotime, parmi les tribulations et regrets d'une vive repentance, Dieu met bien souvent dans le fond de notre coeur le feu sacré de son amour ; puis cet amour se convertit en l'eau de plusieurs larmes, lesquelles, par un second changement, se convertissent en un autre plus grand feu d'amour. Ainsi, la célèbre amante repentie aima premièrement son Sauveur, et cet amour se convertit en pleurs, et ces pleurs en un amour excellent : dont Notre-Seigneur dit que plusieurs péchés lui étaient remis, parce qu'elle avait beaucoup aimé (Lc 7,47).
Et comme nous voyons que le feu convertit le vin en une eau que presque partout on appelle eau-de-vie, laquelle conçoit et nourrit si aisément le feu que pour cela on la nomme aussi, en plusieurs endroits, ‘ardente’, de même la considération amoureuse de la Bonté, laquelle étant souverainement aimable a été offensée par le péché, produit l'eau de la sainte pénitence ; puis, de cette eau provient réciproquement le feu de l'amour divin, dont on la peut proprement appeler eau-de-vie, et ardente : elle est certes une eau en sa substance, car la pénitence n'est autre chose qu'un vrai déplaisir, une réelle douleur et repentance ; mais elle est néanmoins ardente, parce qu'elle contient la vertu et propriété de l'amour, comme provenue d'un motif amoureux, et par cette propriété elle donne la vie de la grâce. "
Sermon pour la fête de sainte Marie-Madeleine, 2 juillet 1621
" Marie-Madeleine (…) entra en la maison du Pharisien où elle savait que son doux Maître était, et se jetant à ses pieds, elle pleura ses péchés en telle sorte qu’ils lui furent tous pardonnés (Lc 7,36-48). Là, elle regarda et fut regardée du Sauveur, et tellement navrée de son amour qu’elle fit à cet instant une entière conversion qui, par la véhémence et force de cet amour, passa jusque à la transformation de son esprit et de son coeur dans celui de son Dieu. Par conséquent, il se communiqua à elle en une façon très intime et abondante, tellement que de grande pécheresse qu’elle était elle devint une grande Sainte. "
702 (fruit du mystère : la mortification corporelle)
Traité de l’amour de Dieu, IX, 16
" Représentons-nous le doux Jésus, Théotime, chez Pilate, ou, pour l’amour de nous, les gens d’armes, ministres de la mort, le dévêtirent de tous ses habits l’un après l’autre, et non content de cela lui ôtèrent encore sa peau, la déchirant à coups de verges et de fouets. "
" L’amour fit tout cela, Théotime ; et c’est l’amour aussi qui, entrant en une âme afin de la faire heureusement mourir à soi et revivre à Dieu, la fait dépouiller de tous les désirs humains et de l’estime de soi-même, qui n’est pas moins attachée à l’esprit que la peau à la chair, et la dénude enfin des affections plus aimables, comme celles qu’elle avait aux consolations spirituelles, aux exercices de piété et à la perfection des vertus, qui semblaient être la propre vie de l’âme dévote. "
Sermon pour la fête de la circoncision, (1 janvier 1622) X, 160
" Notre Seigneur paie nos dettes avec aucune autre monnaie que celle de son précieux sang. "
Sermon de saint François de Sales pour le mercredi des cendres (9 fév.1622)
" ce n'est pas notre bouche seule qui a péché, mais encore tous nos autres sens, il est requis que notre [mortification] (jeûne) soit général et entier, c'est-à-dire que nous [mortifions] (fassions jeûner) tous les membres de notre corps, car si nous avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par la langue et par nos autres sens, pourquoi ne les ferons-nous pas jeûner ? (..)
Combien de péchés sont entrés en l'âme par :
- les yeux, que la Sainte Écriture (1Jn 2,16) marque pour la concupiscence de la vue ? C'est pourquoi il les faut faire jeûner, les portant bas et ne leur permettant pas de regarder des objets frivoles et illicites ;
- les oreilles, les privant d'entendre les discours vains qui ne servent qu'à remplir l'esprit d'images mondaines ;
- la langue, en ne disant point des paroles oiseuses et qui ressentent le monde ou les choses d'iceluy. On doit aussi retrancher les discours inutiles de l'entendement, ainsi que les vaines représentations de notre mémoire, les appétits et désirs superflus de notre volonté, en somme lui tenir la bride afin qu'elle n'aime ni ne tende qu'au souverain Bien ; et par ce moyen nous accompagnerons le jeûne extérieur de l'intérieur.
703 (fruit du mystère : la mortification de l'esprit : du coeur, du jugement propre.)
Sermon pour le Vendredi-saint, 28 mars 1614 (IX,VI page 39)
" Je considère que les juifs, ayant crucifié Notre-Seigneur tout nu, lui laissèrent la couronne d'épines sur la tête, et je crois, quoi que leur intention ne fut pas telle, que c'était pour témoigner que si bien il paraissait tant méprisé et déshonoré, il ne laissait pas d'être vraiment Roi. Mais notre Maître voulut qu'on lui laissât cette couronne pour nous montrer qu'il faut que nous ayons nos têtes couronnées d'épines par une entière mortification de notre propre jugement, opinions, passions, humeurs et propre volonté ; car c'est en la tête que l'âme fait ses principales fonctions. "
Sermon pour la Saint Blaise. (Tome IX, page 15)
" il ne se faut point tromper ; car c’est une vérité très certaine, que si nous voulons aller après Notre-Seigneur, et accomplir sa sainte volonté, il faut renoncer absolument et sans réserve à notre nous-mêmes terrestre. "
" renoncer à nous-mêmes, n’est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l’instinct de l’amour propre, lequel, comme vous savez, nous produira toujours, tandis que nous serons en cette vie, des rejetons qu’il faudra couper et retrancher tout ainsi comme l’on fait aux vignes. Et comme vous voyez qu’il ne se faut pas contenter d’y mettre la main une fois l’année, mais qu’il la faut couper en un temps, puis après la dépouiller de ses feuilles en un autre, et qu’ainsi plusieurs fois l’année il faut avoir la main à la serpe, soit pour la tailler, on pour en retrancher les superfluités. "
704 (fruit du mystère : la patience dans les épreuves)
Introduction à la vie dévote : Chapitre III : de la patience
" Ressouvenez-vous souvent que Notre-Seigneur nous a sauvés en souffrant et endurant, et que de même, nous devons faire notre salut par les souffrances et afflictions, endurants les injures, contradictions et déplaisirs avec le plus de douceur qu'il nous sera possible. Ne bornez point votre patience à telle ou telle sorte d'injures et d'afflictions, mais étendez-là universellement à toutes celles que Dieu vous enverra et permettra vous arriver. "
" Plaignez-vous le moins que vous pourrez des torts qui vous seront faits ; car c'est chose certaine que pour l'ordinaire, qui se plaint pèche, d'autant que l'amour propre nous fait toujours ressentir les injures plus grandes qu'elles ne sont… "
" Le vrai patient ne se plaint point de son mal ni ne désire qu'on le plaigne ; il en parle naïvement, véritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'agrandir… "
" Voyez souvent de vos yeux intérieurs Jésus Christ crucifié, nu, blasphémé, calomnié, abandonné, et enfin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesse et de travaux, et considérez que toutes vos souffrances, ni en qualité ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrirez rien pour lui, au prix de ce qu'il a souffert pour vous. "
705 (fruit du mystère : le don de soi à l'oeuvre de la Rédemption.
Sermon pour le Vendredi-saint, 28 mars 1614 (IX,VI page 39)
" Notre-Seigneur a choisi la mort de la croix (Ph 2,8) pour nous témoigner son amour, d'autant que l'amour qu'il avait pour nous ne pouvait se satisfaire en choisissant une mort plus douce. "
" Rien ne témoigne tant l'amour que de mettre sa vie pour la chose aimée, comme Notre-Seigneur même l'a dit (Jn 15,13). Chose admirable que Dieu nous ait tant aimés que de laisser mourir son Fils pour nous qui avions mérité la mort (Cf. Jn 3,16 Rm 5,8-9) ! Notre Maître ne s'est pas contenté de mourir pour nous d'une mort commune, mais a choisi la plus pleine d'abjection et d'ignominie qui se pouvait jamais penser. O Dieu, que vos secrets jugements sont admirables et incompréhensibles (Rm 11,33) ! Admirables et très grands sont ceux que nous savons et comprenons, mais bien plus, sans nulle comparaison, sont grands et aimables ceux que nous ne savons pas . Le Fils de Dieu est réduit sur une croix ; et qui l'y a mis ? Certes, ç'a été l'amour. Or, puisqu'il est certain qu'il est mort d'amour pour nous, le moins que nous devions faire pour lui c'est de vivre d'amour (2Co 5,14). A l'amour rien n'est impossible ; il détruira tout ce qui est en nous qui est désagréable à la divine Majesté.
Sermon pour le Dimanche de Quasimodo (tome VIII, page 427)
L’Église, " cette tendre Épouse, fille du Calvaire, née du sang de Jésus, présente toujours à nos yeux les plaies de son divin Époux pour exciter nos coeurs aux sentiments de la plus tendre compassion. Toujours elle veut que la Croix soit le grand objet de nos adorations et de nos hommages.
Ce serait donc s'écarter de son esprit que de penser, qu'en ce temps d'une sainte joie, il faut s'abstenir de prêter l'oreille avec une vive émotion aux coups redoublés des bourreaux qui percent les pieds et les mains de Jésus, qui déchirent sa chair adorable, qui ouvrent ses veines, qui meurtrissent cruellement ses nerfs. L'Église nous invite toujours à fixer nos yeux sur le Crucifix qui nous représente Jésus élevé en croix ; tout le poids de son corps qui ne porte que sur ses plaies, sa chair et ses veines qui se déchirent de plus en plus, ses nerfs qui se brisent, et ses os qui se disloquent les uns après les autres en sorte qu'on peut les compter, comme l'avait prédit le Prophète : " Ils ont compté tous mes os. " Ps 21,18
Ah ! s'écrie saint Bonaventure si une épine seulement nous blesse le pied, nous jetons des cris de douleur ; et comment donc serions-nous insensibles aux maux extrêmes qu'a soufferts notre Chef et notre Seigneur !
Quoi ! dit encore le même Saint, nous ne pourrions soutenir la vue d'un tourment affreux exercé, je ne dis pas sur un parent ou sur un ami, je ne dis pas sur un homme inconnu, mais sur un vil animal ; et nous verrions sans douleur l'excès des maux que souffre notre Dieu !
Que sera-ce donc, ajoute le saint Docteur, si nous réfléchissons que nos péchés sont les bourreaux de Jésus-Christ, que c'est pour nos crimes qu'il a été cloué à la croix, que ce sont nos iniquités qui lui ont fait ces plaies si humiliantes et si douloureuses ! Quelle profonde tristesse, quelle vive componction, quelle contrition amère ne doit pas s'emparer de notre coeur !
" Quelles bornes pourrions-nous donner aux transports de notre allégresse, quand nous considérons qu'un Dieu nous a aimés jusqu'à se réduire pour nous à tant d'humiliations et de souffrances ! "
" Quel est le grand de la terre qui n'éprouverait pas la joie la plus vive, s'il était aimé du roi à un tel point que ce monarque fût prêt à donner sa vie pour lui ! A combien plus forte raison, nous qui sommes des hommes si méprisables, de si infâmes esclaves, des pécheurs si abominables, devons-nous tressaillir de joie en voyant le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, notre Créateur et notre Dieu, Jésus, nous aimer jusqu'à s'immoler lui-même pour nous par la mort la plus ignominieuse et la plus cruelle ! "
Sermon pour le Vendredi saint, sur l’obéissance
" il faut obéir pareillement aux grandes et petites choses, aux faciles et aux difficiles, et demeurer fermes, c'est-à-dire attachés à la croix où l'obéissance nous a mis, sans recevoir ni admettre aucune condition pour nous en faire descendre, quelque bonne apparence qu'elle ait. Partant, s'il vous vient des inspirations ou mouvements quels qu'ils soient qui vous portent à faire chose aucune qui vous tire hors de l'obéissance, rejetez-les hardiment et ne les suivez point.
Que les mariés demeurent en la croix de l'obéissance, c'est-à-dire du mariage ; car c'est leur croix la meilleure et celle de la plus grande pratique, d'autant que l'on est presque en perpétuelle action et que les occasions de souffrir y sont plus fréquentes qu'en aucune autre. Ne désirez donc point de descendre de cette croix sous quelque bon prétexte que ce soit ; mais puisque Dieu vous y a mis demeurez-y sans en sortir.
Que le prélat et celui qui a charge d'âmes ne désire point d'être détaché de cette croix à cause du tracas de mille soucis et empêchements qu'il y rencontre ; mais qu'il fasse ce qui est de son devoir en son office, ayant soin des âmes que Dieu lui a commises, instruisant les uns, consolant les autres, tantôt parlant, tantôt se taisant, donnant le temps à l'action et, quand il le doit, à la prière. C'est la croix à laquelle Dieu l'a attaché, il faut donc qu'il y demeure ferme, sans croire à ce qui le pourrait provoquer d'en sortir.
Que le religieux reste constamment et fidèlement cloué à la croix de sa vocation, sans jamais laisser entrer la moindre pensée qui le puisse divertir ni faire varier en l'entreprise qu'il a faite de servir Dieu en cette manière de vivre, ni moins qu'il n'écoute jamais ce qui le porterait à faire ce qui serait contraire à l'obéissance. "
Traité de l’amour de Dieu. XII, c. 13 :
Que le mont Calvaire est la vraie académie de la dilection.
" Théotime, le mont Calvaire est le mont des amants. Tout amour qui ne prend son origine de la Passion du Sauveur est frivole et périlleux. Malheureuse est la mort sans l'amour du Sauveur : malheureux est l'amour sans la mort du Sauveur. L'amour et la mort sont tellement mêlés ensemble en la Passion du Sauveur, qu'on ne peut avoir au coeur l'un sans l'autre. Sur le Calvaire, on ne peut avoir la vie sans l'amour, ni l'amour sans la mort du Rédempteur. Mais hors de là tout est ou mort éternelle, ou amour éternel ; et toute la sagesse chrétienne consiste à bien choisir ; et pour vous aider à cela, j'ai dressé cet écrit, mon Théotime :
Il faut choisir, ô mortel, En cette vie mortelle, Ou bien l'amour éternel, ou bien la mort éternelle. L'ordonnance du grand Dieu ne laisse point de milieu.
O amour éternel ! mon âme vous requiert et vous choisit éternellement ! Hé ! venez, Saint-Esprit, et enflammez nos coeurs de votre dilection. Ou aimer ou mourir : mourir et aimer. Mourir à tout autre amour, pour vivre à celui de Jésus, afin que nous ne mourions point éternellement ; mais que vivant en votre amour éternel, ô Sauveur de nos âmes, nous chantions éternellement : Vive Jésus ! J'aime Jésus ! Vive Jésus que j'aime !
7020 " le jour de l’Annonciation (..), elle fit le plus grand acte d’humilité qui ait jamais été fait et qui se fera jamais par une pure créature ; car se voyant exaltée par l’Ange, lequel la salua disant qu’elle était " pleine de grâce " et qu’elle concevrait un Fils qui serait Dieu et homme tout ensemble, cela l’émeut et la fit craindre. Certes, elle était familière avec les Anges, mais elle n’avait néanmoins jamais été louée par eux jusqu'à cette heure là, d’autant que ce n’est point leur coutume de louer personne, si ce n’est quelquefois pour encourager en quelque grande entreprise. Oyant donc saint Gabriel lui donner une louange si extraordinaire, cela la mit en souci (..) "
" Notre-Dame étant rassurée par l’Ange et ayant appris ce que Dieu voulait faire d’elle et en elle, fit ce souverain acte d’humilité disant : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole. Elle se voyait élevée à la plus haute dignité qui jamais fut et sera ; car quand il plairait à Dieu de recréer derechef plusieurs mondes, il ne saurait pourtant faire qu’une pure créature fut plus que la Mère de Dieu. Cette dignité est incomparable, et cependant la sacrée Vierge ne s’enfle point, mais elle assure qu’elle demeure toujours servante de la divine Majesté. Et pour montrer qu’elle l’était et qu’elle la voulait être : Qu’il me soit fait, dit-elle, tout ainsi qu’il lui plaira, s’abandonnant à la merci de sa divine volonté, protestant que par son choix et par son élection elle se tiendra toujours en bassesse et qu’elle conservera l’humilité comme compagne inséparable de la virginité. "
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Fruit du mystère : la charité fraternelle.
Sermon de profession
pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge
(2 juillet 1618)
" Notre très aimable et non jamais assez aimée Dame et Maîtresse, la glorieuse Vierge, n'eut pas plus tôt donné son consentement aux paroles de l'Ange saint Gabriel, que le mystère de l'Incarnation fut accompli en elle. Ayant appris par le même saint Gabriel que sa cousine Élisabeth avait en sa vieillesse conçu un fils (Lc I, 36), elle la voulut aller voir, comme étant sa parente, et à dessein de la servir et soulager en sa grossesse, car elle savait que c'était le vouloir divin ; et au même instant, dit l'Évangéliste saint Luc, elle sortit de Nazareth, petite ville de Galilée où elle demeurait, pour s'en aller en Judée à la maison de Zacharie.
" Abiit in montana " : elle monta dans les montagnes de Juda et entreprit le voyage, quoique long et difficile ; car, comme disent plusieurs auteurs, la ville en laquelle demeurait Elizabeth est éloignée de Nazareth de vingt sept lieues; d'autres disent un peu moins, mais c'était toujours un chemin assez malaisé pour cette si tendre et délicate Vierge, parce que c'était à travers des montagnes.
Sentant donc l'inspiration divine, elle s'y achemina, non point portée d'aucune sorte de curiosité de voir si ce que l'Ange lui avait dit serait bien vrai, car elle n'en doutait nullement, mais était tout assurée que la chose était telle qu'il lui avait déclaré. (..) Elle y alla pour voir cette grande merveille ou cette grande grâce que notre Dieu avait fait à [sa cousine] de concevoir un fils en sa stérilité, car elle savait bien qu'en l'ancienne Loi, c'était une chose blâmable d'être inféconde; mais parce que cette femme était vieille, elle alla aussi pour la servir sa grossesse et lui donner tout le soulagement qui lui était possible.
Secondement, ce fut pour lui révéler le grand mystère de l'Incarnation qui s'était opéré en elle; car Notre Dame n'ignorait pas que sa cousine Elizabeth était personne juste, fort bonne, craignant Dieu et désirant ardemment la venue du Messie promis en la Loi pour racheter le monde, et que ce lui serait une très grande consolation d'apprendre que les divines promesses étaient accomplies et que le temps désiré par les Prophètes et les Patriarches était venu.
Troisièmement, elle y alla aussi pour redonner la parole à Zacharie qui l'avait perdue par son incrédulité à la prédiction de l'Ange, lorsqu'il lui dit que sa femme concevrait un fils qui se nommerait Jean (Lc 1,13 Lc 1,18-20).
Quatrièmement, elle savait que cette visite apporterait un comble de bénédictions en la maison de Zacharie, qui rejailleraient jusqu’à l'enfant qui était dans le ventre de sainte Elizabeth, lequel serait sanctifié par sa venue. Voilà les raisons, et plusieurs autres que je pourrais rapporter mais je n'aurais jamais fait.
Au demeurant, ne pensez-vous point, (mes très chères Soeurs), que ce qui incita plus particulièrement notre glorieuse Maîtresse à faire cette visite ce fut sa charité très ardente et une très profonde humilité qui la fit passer avec cette vitesse et promptitude les montagnes de Judée ? O certes, (mes chères Soeurs), ce furent ces deux vertus qui la poussèrent et lui firent quitter sa petite Nazareth, car la charité n'est point oisive : elle bouillonne dans les coeurs où elle règne et habite, et la très sainte Vierge en était toute remplie, d'autant qu'elle avait l'amour même en ses entrailles. Elle était en des continuels actes d'amour, non seulement envers Dieu avec lequel elle était unie par la plus parfaite dilection qui se puisse dire, mais encore elle avait l'amour du prochain en un degré de très grande perfection, qui lui faisait désirer ardemment le salut de tout le monde et la sanctification des âmes ; et sachant qu'elle pouvait coopérer à celle de saint Jean, encore dans le ventre de sainte Elizabeth, elle y alla en grande diligence. Sa charité la pressait aussi de se réjouir avec cette bonne vieille de ce que le Seigneur l'avait bénie d'une telle bénédiction, que de stérile et inféconde qu'elle était, elle conçut et portât celui qui devait être le Précurseur du Verbe incarné… "
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Fruit du mystère : L’esprit de pauvreté.
Sermon pour la veille de Noël,
24 décembre 1613 (VIII, page 124)
Points de méditation :
Sa pauvreté.
Mais voyez, je vous prie, comme il est pauvre ! Pauvreté d'asile, pauvreté de langes, pauvreté de nourriture : " Celui qui donne aux oiseaux leur pâture, est nourri d'un peu de lait. " (Hymne des Laudes de la Nativité)
Il ne possède absolument rien. Pauvreté la plus abjecte. Presser avec beaucoup d'insistance cette considération : le voilà nu sur la terre à sa naissance, comme le raconte sainte Brigitte. (Révélations, VII, 21)
Son obéissance.
Il a l'usage de la raison et une sagesse infinie ; il se laisse pourtant emmailloter, entourer de bandes, poser partout ou le veulent sa Mère ou son Père. Il pourrait marcher seul, et cependant il reste " dans la crèche ". (Lc 2,7 Lc 2,16)
Son silence est admirable ; car les autres enfants se taisent parce qu'ils ne savent pas parler ; lui, parce que ce n'est pas le temps de parler mais de se taire.
Son amour de l'abjection.
Placé entre des animaux, il accueille avec douceur leur haleine et même leur stupidité. Du reste, ce sont des animaux qu'il aime, parce que l'un porte le joug, l'autre le fardeau. L'un est laborieux, l'autre chargé ; et Jésus dira : " Venez à moi vous tous qui travaillez et êtes chargés, et je vous soulagerai " (Mt 11,28)
Voyez la douceur de cet Enfant plus fort que Samson, il veut pourtant être emmailloté ; il se montre aimable au milieu d'animaux qui le sont si peu. Il me semble le voir fixer son doux regard sur sa très chère Mère, son Père, les bergers ; donner à sa Mère de suaves baisers, selon qu il est écrit : " Qu'il me baise d’un baiser de sa bouche " (Ct 1,1), et puis, se nourrir de son lait.
Voyez sa mortification :
il fait bien froid à sa naissance ; il repose sur la paille, etc., dans une grotte, etc.
Il pleure : " J'ai élevé la voix en pleurant, comme tous les autres ". (Sg 7,3)
La cause des pleurs des enfants, c'est premièrement une raison naturelle : ils sentent pour la première fois le froid, la lumière, un air nouveau après l'air tiède et le sommeil dans le sein maternel.
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Fruit du mystère : L’esprit d’obéissance et la pureté.
Sermon de saint François de Sales pour le jour de saint Blaise
8 février 1614 (IX, page 15)
" (..) Se renoncer n’est autre chose que se purger ou purifier soi-même. Et de ceci Notre-Dame nous en donne un exemple admirable; car l’Évangéliste dit, que les jours de sa Purgation étant venus, selon la loi de Moïse, elle vint au Temple pour se purifier, et pour offrir son fils, avec deux colombes, et deux tourterelles. (Lc 2,22 Lc 2,24)
Or notre chère Dame et Maîtresse n’avait point besoin de purification, elle qui était plus claire que le soleil, plus pure que la lune, plus belle et reluisante que l’aurore:
Quasi aurora consurgens, pulchra ut luna electa ut sol.... tota pulchra es amica mea, et macula non est in te, dit l’Époux au Cantique des Cantiques. (Ct 6,9)
Mais comment en eut-elle eu besoin, vu qu’elle avait produit son fils plus purement que l’étoile ne fait son rayon, qui la rend d’autant plus belle à nos yeux, qu’elle le produit plus fréquemment ?
Elle vint donc, notre glorieuse Maîtresse et notre sacrée Dame, non pour se purifier, en elle-même, mais seulement en la pensée de plusieurs, qui ne sachant pas qu’elle était exempte d’observer la loi, eussent sans doute murmuré si elle n’eut fait comme les autres. Et c’est en quoi elle nous donne un grand exemple d’humilité et d’obéissance, en s’assujettissant à la loi à laquelle elle n’était point obligée. "
Sermon pour la fête de la Purification,
le 2 février 1620 (IX, 250)
" Notre Dame et sacrée Maîtresse ne craignait pas de désobéir, parce qu'elle n'était nullement obligée à la Loi qui n'était point faite pour elle ni pour son Fils, mais elle craignait l'ombre de la désobéissance ; car si elle ne fut pas venue au Temple pour offrir Notre-Seigneur et pour se purifier, quoiqu'elle n'en eut point besoin, étant toute pure, l'on eut pu trouver des gens qui eussent voulu faire l'enquête de sa vie afin de savoir pourquoi elle ne faisait pas comme le reste des femmes. Elle vient donc aujourd’hui au Temple pour lever tout ombrage aux hommes qui l'auraient peu considérer, et pour nous montrer encore que nous ne nous devons pas contenter d'éviter les péchés, mais l'ombre des péchés, ne nous arrêtant pas non plus à la résolution que nous avons faite de ne point commettre tel ou tel péché, mais fuir même les occasions qui nous pourraient servir de tentation d'y tomber. Elle nous apprend aussi à ne nous pas tenir pour satisfaits du témoignage de notre bonne conscience, mais à prendre soin de lever tout ombrage aux autres de se mal édifier de nous ou de nos comportements. Ce que je dis pour certaines personnes lesquelles, étant résolues de ne point commettre quelques péchés, ne se soucient pas d'éviter les témoignages qu'elles rendent qu'elles les commettraient volontiers si elles osaient.
O combien cet exemple que Notre-Seigneur et Notre Dame nous donnent de la très sainte obéissance nous devrait inciter à nous soumettre absolument et sans aucune réserve à l'observance de tout ce qui nous est commandé, et ne nous pas contenter de cela, mais observer encore les choses qui nous sont conseillées pour nous rendre plus agréables à la divine Bonté ! Mon Dieu, est-ce si grand chose de nous voir obéir, nous autres qui ne sommes nés que pour servir, puisque le Roi suprême à qui toutes choses doivent être sujettes s'est bien voulu assujettir à l'obéissance ? Recueillons donc cet exemple sacré que nous donnent le Sauveur et la glorieuse Vierge, et apprenons à nous soumettre, à nous rendre souples, maniables et faciles à tourner à toutes mains par la très sainte obéissance, et non pas pour un temps ni pour certains actes particuliers, mais pour toujours, tout le temps de notre vie jusqu’à la mort. "
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Fruit du mystère : La recherche de Jésus.
Traité de l’amour de Dieu, II, c.16
" L'entendement humain étant donc convenablement appliqué à considérer ce que la foi lui représente de son souverain bien, soudain la volonté conçoit une extrême complaisance en ce divin objet, lequel, pour lors absent, fait naître un désir très ardent de sa présence… "
" C'est à Dieu que je soupire,
C'est Dieu que mon coeur désire. " Ps 41,1
(.. ) " la foi nous ayant ôté le voile de l'ignorance et fait voir notre souverain bien, lequel néanmoins nous ne pouvons encore posséder, retenus par la condition de cette vie mortelle, hélas, Théotime, nous le désirons alors : de sorte que :
" Les cerfs longtemps pourchassés,
Fuyant pantois et lassés,
Si fort les eaux ne désirent,
Que nos coeurs, d'ennuis pressés,
Seigneur, après toi soupirent.
Nos âmes, en languissant
D'un désir toujours croissant,
Crient: hélas ! quand sera-ce,
O Seigneur Dieu Tout-Puissant,
Que nos jeux verront ta face ? " Ps 41,2
Ce désir est juste Théotime, car qui ne désirerait un bien si désirable ? mais ce serait un désir inutile, et qui ne servirait que d'un continuel martyre à notre coeur, si nous n'avions assurance de le pouvoir un jour assouvir. Celui qui, pour le retardement de ce bonheur protestait que ses larmes lui étaient un pain ordinaire nuit et jour, tandis que son Dieu lui était absent et que ses adversaires l'enquéraient, : où es ton Dieu ? Hélas qu'eût-il fait s'il n'eût eu quelque sorte d'espérance de pouvoir une fois jouir de ce bien après lequel il soupirait ?
Et la divine Épouse va toute éplorée et alangourie d'amour, de quoi elle ne trouve pas si tôt le Bien-aimé qu'elle cherche (Ct 5,8) : l'amour du Bien-aimé avait créé en elle le désir, le désir avait fait naître l'ardeur du pourchas, et cette ardeur lui causait la langueur, qui eut anéanti et consumé son pauvre coeur si elle n'eût eu quelque espérance de rencontrer enfin ce qu'elle pourchassait.
Ainsi donc, afin que l'inquiétude et la douloureuse langueur que les efforts de l'amour désirant causeraient en nos esprits, ne nous portât à quelque défaillance de courage et ne nous réduisît au désespoir, le même Bien souverain qui nous incite à le désirer si fortement, nous assure aussi que nous le pourrons obtenir fort aisément, par mille et mille promesses qu'il nous en a faites en sa Parole et par ses inspirations, pourvu que nous voulions employer les moyens qu'il nous a préparés et qu'il nous offre pour cela… "
Traité de l’amour de Dieu, II, c.15
" Le coeur humain tend à Dieu par son inclination naturelle, sans savoir bonnement quel il est; mais quand il le trouve à la fontaine de la foi, et qu'il le voit si bon, si beau, si doux et si débonnaire envers tous, et si disposé à se donner comme souverain bien à tous ceux qui le veulent, ô Dieu, que de contentements et que de sacrés mouvements en l'esprit, pour s'unir à jamais à cette bonté si souverainement aimable! J'ai enfin trouvé, dit l'âme ainsi touchée, j’ai trouvé ce que je désirais, et je suis maintenant contente. Et comme Jacob avant vu la belle Rachel, après l'avoir saintement baisé, fondait en larmes de douceur pour le bonheur qu'il ressentait d'une si désirable rencontre, de même notre pauvre coeur ayant trouvé Dieu et reçu d'icelui le premier baiser de la sainte foi, il se fond par après en suavité d'amour, pour le bien infini qu'il voit d'abord en cette souveraine beauté. "
Textes choisis par M. l’abbé Paul-Antoine Lefèvre.
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François S.: avis, sermons 701