François S.: avis, sermons 912

912

Sermon sur la Paille et la Poutre

Sermon de Pentecôte
Jeu de change - 6.6.1593 (VII,23)
Et ceste impénitence vient d'une certaine courtoisie que chacun a envers soy mesrne ; que chacun se flatte, chacun est prest ad excusandas excusationes in peccatis,(1)chacun rejette la cause de nos maux sur le peché d'autruy, et non sur les siens, comme l'on devroit ; et me semble, a ouyr les discours que l'on va faisant en Savoye, que je vois joüer au change. Et me soit permis de me servir de cest exemple, comme fraischement venu de la conversation ou il se joüe. Il se rencontre quelquefois une trouppe de damoyselles vertueuses, lesquelles apres avoir long tems parlé et devisé ensemble, estant au bout de leur roolle, ne le voulant dilater aux despens de celle cy et de ceste la, se mettent a jouer quelque honneste jeu, comme au change des couleurs. Chacune prend sa couleur, et est obligëe de la garder du change, si que, si le jeu estant commencé on dict que le vert change, celle qui a pris le vert, dira : ce n'est pas le vert qui change, c'est le gris ; celle qui a le gris : ce n'est pas le gris qui change, c'est le bleu ; celle qui a le bleu semblablernent s'en descharge et dict: ce n'est pas le bleu qui change, c'est le blanc ; et passent ainsy le tems a rejetter l'une sur l'autre le change, tant qu'il se faut retirer et que la conversation est rompue.
Il me semble, mes Freres, qu'en Savoye nous nous entretenons tous au jeu du change : car si vous parles au peuple, la noblesse aura le change, laquelle avec sa lascheté n'ose rien remonstrer ; si l'on parle a la noblesse, les ministres de justice auront le change, qui se meslent de l'autruy ; si l'on parle aux justiciers, les soldatz auront le change, qui sont trop desbordés ; si l'on parle aux soldatz, les cappitaines auront le change, qui les conduisent et retiennent leurs payes, ou sont si avaricieux que pour desrobber eux mesmes ilz permettent a leurs soldatz de desrobber. Parles aux cappitaines, les princes auront le change, qui ont tort de vouloir faire la guerre sans argent, ou qui n'advisent pas d'y mettre l'ordre au moins mal ; et aucuns crient que tout le mal vient des peuples qui ne sont pas asses reformés. Ceux cy sont les plus advisés, car il n'est permis de mesdire sans danger, en ce tems ou nous sommes, de personne sinon de l'Eglise, de laquelle chacun est censeur, chacun la sindique. En fin, nous joüerons tant a ce jeu si nous n'y advisons, qu'il nous faudra rompre ceste conversation ; et comme nous avons veu courir des autres nations ça et la pour vivre, ainsy nous faudra il faire si nous ne prenons garde a nous mesme. Et que faut il faire? Il faut bannir le peché de nous ; il nous faut faire la paix avec Dieu, et nous aurons bien tost apres la Paix en la terre .(2)
Et quel peché faut il chasser ? Ah, que je me garderay bien de me contredire ; vous ne me prendres pas en ma parole. Je n'ay garde de dire qu'il faille chasser le peché des autres, affin de ne pas jouer au change aussi bien que les autres ; mais je vous prieray que chacun die comme moy, et que chacun parle a sa conscience propre et non pas a celle des autres. O mon ame, n'est ce pas toy qui es cause de ce mal, qui as faict tant de pechés sur pechés, tant d'offenses, tant de laschetés que justement l'ire de Dieu est tombëe sur tout un peuple ? Ne sçais tu pas qu'autrefois, s'ilz se fussent trouvé dix hommes de bien, le bon Dieu, pour leur respect, eust gardé toute une ville de ruine (au Gen.18,32) ? Ah, que peut estre manquoit il le dixiesme en ce païs ; que si tu te fusses reformé, peut estre eusses tu accompli le nombre : o quel grand bien ! Et ne me respons pas: Pourquoy les autres n'y ont ilz advisé ? car ilz en ont plus affaire que toy. Disons donques tous, et que chacun parle pour soy, faisons chacun pour nous en nous eslevant a Dieu : Pater, peccavi in coelum et coram te (3); Tibi soli peccavi, et malum coram te feci. (4) Confessons nos fautes propres, et laissons les autres confesser les leurs...Que personne ne s'excuse d'estre cause des malheurs de notre aage : nous avons tous part a la peyne et fascherie, nous avons tous part a la coulpe.
1. - Ps 140,4
2. - Lc 2,14
3. - Lc 15,21
4. - Ps 1,6


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Sermon sur la Transfiguration

(2ème dimanche de Carême, 20 février 1622)
Mt 17,1-9
Le grand Apôtre saint Paul ayant été ravi et élevé jusqu'au troisième Ciel, ne sachant si ce fut hors de son corps ou en son corps, dit qu'il n'est nullement loisible ni possible à l'homme de raconter ce qu'il y vit, ni les merveilles admirables qu'il apprit et qui lui furent montrées en son ravissement. Or, si celui qui les a vus n'en peut parler, si ayant été ravi jusqu'au troisième Ciel il n'en ose dire mot, beaucoup moins donc nous autres qui n'avons été élevés ni au premier ni au second ni au troisième.
(…) Je ne veux pas, mes chères Soeurs, vous entretenir de la félicité que les Bienheureux ont en la claire vue de la face de Dieu, qu'ils voient et verront sans fin en son Essence ; car cela regarde la félicité essentielle, et je n'en veux pas traiter, sinon que j'en dise quelques mots sur la fin. Je ne parlerai pas non plus de l'éternité de cette gloire des Saints, mais seulement d'une certaine gloire accidentelle qu'ils reçoivent en la conversation qu'ils ont par ensemble. O quelle divine conversation ! Mais avec qui? Avec trois sortes de personnes : avec eux mêmes, avec les Anges, les Archanges, les Chérubins, les saints Apôtres, les Confesseurs, les Vierges, avec la Vierge glorieuse, Notre Dame et Maîtresse, avec la très sainte humanité de Notre Seigneur et enfin avec la très adorable Trinité même, le Père, le Fils et le Saint Esprit.
Mais, mes chères Soeurs, il faut que vous sachiez que tous les Bienheureux se connaîtront les uns les autres, un chacun par leur nom, ainsi que nous l'entendrons mieux par le récit de l'Évangile, lequel nous fait voir notre divin Maître sur le mont de Thabor, accompagné de saint Pierre, saint Jacques et saint Jean. Pendant qu'ils regardaient le Sauveur qui priait (Lc IX, 29) et était en oraison, il se transfigura devant eux, laissant répandre sur son corps une petite partie de la gloire dont il jouissait continuellement dès l'instant de sa glorieuse conception dans les entrailles de Notre Dame; gloire qu'il retenait, par un continuel miracle, resserrée et couverte dans la suprême partie de son âme.
Les Apôtres virent donc alors sa face plus reluisante et éclatante que le soleil, voire cette clarté et cette gloire s'épancha jusque sur ses vêtements pour nous montrer qu'il n'en était pas si chiche qu'il n'en fit part à ses habits mêmes et à ce qui était autour de lui. Il nous fit
voir un petit échantillon du bonheur éternel et une goutte de cet océan et de cette mer d'incomparable félicité pour nous faire désirer la pièce tout entière (Intro. à la vie dévote, Parie III,c.2) ; si que le bon saint Pierre, qui parlait pour tous comme devant être le chef des autres : "O qu'il est bon d'être ici", s'écria-t-il tout ému de joie et de consolation. J'ai bien vu, voulait-il dire, beaucoup de choses, mais il n'y a rien de si désirable que d'être en ce lieu. Les trois disciples virent encore Moïse et Elie qu'ils n'avaient jamais vus et qu'ils reconnurent cependant très bien ; l'un ayant repris son corps ou bien un autre formé de l'air, et l'autre étant en son même corps auquel il fut élevé dans le char triomphal (2R 2,11). Tous deux s'entretenaient avec notre divin Maître de l'excès qui devait arriver en Jérusalem (Lc 9,31), excès qui n'est autre sinon la mort qu'il devait souffrir par son amour ; et soudain après cet entretien les Apôtres ouïrent la voix du Père éternel lequel disait : "C'est ici mon Fils bien aimé, écoutez-le."
Je remarque premièrement qu'en la félicité éternelle nous nous connaîtrons tous les uns les autres, puisque en ce petit échantillon que le Sauveur en donna à ses Apôtres il voulut qu'ils reconnussent Moïse et Elie qu'ils n'avaient jamais vus. Si cela est ainsi, o mon Dieu, quel contentement recevrons-nous en voyant ceux que nous avons si chèrement aimés en cette vie ! Oui même nous connaîtrons les nouveaux chrétiens qui se convertissent maintenant à notre sainte
foi aux Indes, au Japon et aux antipodes. Les amitiés qui auront été bonnes dès cette vie se continueront éternellement en l'autre. Nous aimerons des personnes particulièrement, mais ces amitiés particulières n'engendreront point de partialités, car toutes nos affections prendront leur force de la charité de Dieu qui, les conduisant toutes, fera que nous aimerons un chacun des Bienheureux de cet amour éternel dont nous aurons été aimés de la divine Majesté.
O Dieu, quelle consolation recevrons-nous en cette conversation céleste que nous aurons les uns avec les autres ! Là nos bons Anges nous apporteront une joie plus grande qu'il ne se peut dire quand ils se feront reconnaître à nous, et qu'ils nous représenteront si amoureusement le soin qu'ils ont eu de notre salut durant le cours de notre vie mortelle; ils nous ressouviendront des saintes inspirations qu'ils nous ont apportées, comme un lait sacré qu'ils allaient puiser
dans les mamelles de la divine Bonté, pour nous attirer à la recherche de ces incomparables suavités dont nous serons alors jouissants. Ne te souviens-tu point, diront-ils, d'une telle inspiration que je te donnais en un tel temps, en lisant un tel livre, en entendant un tel sermon, ou bien en regardant une telle image? dira le bon Ange de sainte Marie Egyptiaque, inspiration qui t'incita à te convertir à Notre-Seigneur et qui fut le principe de ta prédestination (Vitae Patrum, L.I ; Vitae S. Mar. Aegypt. c.16). O Dieu, nos coeurs ne se fondront-ils pas d'un contentement indicible entendant ces paroles ?
Un chacun des esprits bienheureux aura un entretien particulier selon son rang et sa dignité. Notre glorieux Père saint Augustin (je me plais à parler de lui car je sais que le souvenir vous en est fort agréable) faisait un jour un souhait de voir Rome triomphante, le glorieux saint Paul prêchant et Notre-Seigneur allant parmi le peuple, guérissant les malades et faisant des miracles. O mes chères âmes, quel bonheur à ce saint de contempler la Jérusalem céleste en son triomphe, le grand Apôtre (je ne dis pas grand de corps, car il était petit, mais grand en éloquence et en sainteté) prêchant et entonnant ces louanges qu'il donnera éternellement à la divine Majesté en la gloire ! Mais quel excès de consolation pour saint Augustin de voir Notre Seigneur opérer le miracle perpétuel de la félicité des Bienheureux que sa mort nous a acquise! Imaginez-vous, de grâce, le divin entretien que ces deux saints auront l'un avec l'autre, saint Paul disant à saint Augustin : Mon cher frère, ne vous ressouvenez-vous point qu'en lisant mon Epître (Rm XIII, 12-14) vous fûtes touché d'une inspiration qui vous sollicitait de vous convertir, inspiration que j'avais obtenue de la divine miséricorde de notre bon Dieu par la prière que je faisais pour vous à même temps que vous lisiez ce que j'avais écrit? Cela, mes chères Soeurs ne causera-t-il pas une douceur admirable au coeur de notre saint Père?
Faites derechef une imagination, je vous prie. Supposez que Notre Dame, sainte Madeleine, sainte Marthe, saint Etienne et les Apôtres fussent vus l'espace d'un an, comme pour un grand jubilé, en Jérusalem. Quel d'entre nous autres, je vous supplie, voudrait demeurer ici ? Pour moi je pense que nous nous embarquerions tous et nous mettrions au péril de tous les hasards qu'encourent ceux qui vont d'ici là, pour avoir cette grâce de voir notre glorieuse Mère et
Maîtresse, Madeleine, Marie Salomé et les autres qui s'y trouveraient, puisque nos pèlerins s'exposent bien à tant de dangers pour aller seulement révérer les lieux où ces saintes personnes ont posé leurs pieds. Si cela est ainsi, mes chères âmes, quelles consolations recevrons-nous entrant au Ciel, où nous verrons cette bénite face de Notre Dame toute flamboyante de l'amour de Dieu! Et si sainte Elizabeth demeura si transportée d'aise et de contentement quand, au jour qu'elle la visita, elle l’entendit entonner de divin Cantique du Magnificat ; combien nos coeurs et nos esprits tressailliront-ils d'une joie indicible lorsqu'ils entendront entonner par ce chantre sacrée le cantique de l'amour éternel (Traité de l’Amour de Dieu, L. V, c.11) ! O quelle douce mélodie ! Sans doute nous entrerons en des ravissements fort aimables, lesquels ne nous ôteront pourtant pas l'usage ni les fonctions de nos puissances qui, par ce divin rencontre que nous ferons de la Sainte Vierge, s'habiliteront merveilleusement pour mieux et plus parfaitement louer, et glorifier Dieu, qui lui a fait tant de grâces et à nous aussi, nous donnant celle de converser familièrement avec elle.
Mais, me pourriez-vous demander, s'il est ainsi que vous dites que nous nous entretiendrons avec tous ceux qui sont en la Jérusalem céleste, qu'est-ce que nous dirons? De quoi parlerons-nous ? Quel sera le sujet de notre entretien ? O Dieu, mes chères soeurs, quel sujet! Celui des miséricordes que le Seigneur nous a faites ici bas, par lesquelles il nous a rendus capables d'entrer en la jouissance d'un bonheur tel que seul il nous suffit. Je dis seul, parce qu'en ce mot de félicité sont compris toutes sortes de biens, lesquels ne sont pourtant qu'un unique bien, qui est celui de la jouissance de Dieu en la félicité éternelle. C'est cet unique bien que la divine amante du Cantique des Cantiques demandait à son Bien-Aimé, observant en cela, comme étant très prudente, le dire du Sage (Si 7), qu'il faut penser à la fin avant l’oeuvre. Donnez-moi, s'écrie-t-elle (Ct 1,1), o mon cher Bien-Aimé, un baiser de votre bouche. Ce baiser, ainsi que je déclarerai tantôt, n'est autre chose que la félicité des Bienheureux. Mais de quoi traiterons-nous encore en notre conversation ? De la Mort et Passion de Notre Seigneur et Maître.
Hé, ne l'apprenons-nous pas en la Transfiguration, où il ne se parle de rien tant que de l’excès qu'il devait souffrir en Jérusalem ? Excès qui n'était autre, comme nous l'avons déjà vu, que sa douloureuse mort. O si nous pouvions comprendre quelque chose de la consolation que les Bienheureux ont en, parlant de cette amoureuse mort, combien nos âmes se délecteraient d'y penser !
Passons plus outre, je vous prie, et disons un peu quelques mots de l'honneur et de la grâce que nous aurons de converser même avec Notre Seigneur humanisé. C'est ici sans doute que notre félicité prendra un accroissement indicible et inénarrable. Que ferons-nous, chères âmes, que deviendrons-nous, je vous prie, quand à travers la plaie sacrée de son côté nous apercevrons ce coeur très adorable et très aimable de notre Maître, tout ardent de l'amour qu'il nous porte, coeur auquel nous verrons tous nos noms écrits en lettres d'amour ?
Est-il possible, dirons-nous, o mon cher Sauveur, que vous m'ayez tant aimé que d'avoir gravé mon nom en votre coeur ! Cela est pourtant véritable. Le Prophète (Is 49,15-16), parlant en la personne de Notre-Seigneur, nous dit : Quand il arriverait que la mère oublierait l'enfant qu'elle porte en ses entrailles, si ne t'oublierai-je point, car j'ai gravé ton nom en mes mains. Mais Jésus-Christ lui même enchérissant sur ces paroles dira : S'il se pouvait faire que la femme oubliât son enfant, moi, je ne t'oublierai pas, d'autant que je porte ton nom gravé en mon coeur.
Certes, ce sera un sujet de très grande consolation que celui ci, que nous soyons si chèrement aimés de Notre-Seigneur qu'il nous porte toujours en son coeur. Quelle délectation admirable pour un chacun des Bienheureux quand ils verront dans ce coeur très sacré et très adorable les pensées de paix (Jr 29,11) qu'il faisait pour eux et pour nous à l'heure même de sa Passion! pensées qui nous préparaient non seulement les moyens principaux de notre salut, mais aussi tous les divins attraits, inspirations et bons mouvements desquels ce très doux Sauveur se voulait servir pour nous attirer à la suite de son très pur amour (Intro. à la vie dévote ; partie V, c.13).
Ces vues, ces regards, ces considérations particulières que nous ferons sur cet amour sacré, duquel nous aurons été si chèrement et si ardemment aimés par notre souverain Maître, enflammeront nos coeurs d'une dilection et d'une ardeur nom pareilles. Que ne devrions-nous donc pas faire ou souffrir pour jouir de ces suavités indiciblement agréables ! Cette vérité nous est montrée en l'Evangile d'aujourd’hui ; car ne voyez-vous pas que Notre-Seigneur étant transfiguré, Moïse et Elie lui parlent et s'entretiennent tout familièrement avec lui ?
Notre félicité ne s'arrêtera pas là, mes chères âmes, mais elle passera plus avant, car nous verrons face à face (1Co 13,12) et très clairement la divine Majesté, l'essence de Dieu et le mystère de la très sainte Trinité, en laquelle vision et claire connaissance consiste notre félicité essentielle. Là nous entendrons et participerons à ces très adorables conversations et à ces divins colloques qui se font entre le Père, le Fils et le Saint Esprit (Traité de l’amour de Dieu ; L.III, cc.11-13). Nous entendrons, dis-je, comme le Fils entonnera mélodieusement les louanges dues à son Père céleste (ibid. L.V, c.11) et comme il lui représentera, en faveur de tous les hommes, l'obéissance qu'il lui a rendue tout le temps de sa vie. Nous ouïrons aussi, en contre-change, le Père éternel prononcer d'une voix éclatante et avec une harmonie incomparable ces divines paroles que les Apôtres entendirent au jour de la Transfiguration : Celui-ci est
mon Fils bien aimé auquel je me suis complu, et le Père et le Fils parlant ensemble du Saint Esprit : C'est ici notre Esprit, procédant de l'un et de l'autre, dans lequel nous avons mis tout notre amour.
Non seulement il y aura conversation et entretien entre les Personnes divines, mais encore entre Dieu et les hommes. Et quel sera-t-il ce divin entretien ? Oh, quel il sera ! Il sera tel qu'il n'est pas loisible à l'homme de le rapporter; ce sera un devis si secret que nul ne le pourra entendre que Dieu et celui avec lequel il se fera. Dieu dira un mot si particulier à chacun des Bienheureux qu'il n'y en aura point de semblable. Mais quel sera ce mot ? Oh ! ce sera un mot le plus amoureux qui se puisse jamais imaginer. Représentez-vous tous ceux qui se peuvent prononcer pour attendrir un coeur et les noms les plus affectionnés qui se puissent ouïr puis dites enfin que ce n'est rien au prix de celui que Dieu donnera à un chacun là haut au Ciel. Il nous donnera un nom (Ap 2,17) il nous dira un mot. Supposez qu'il vous dira: Tu es ma bien-aimée, tu es la bien-aimée de mon Bien-Aimé, c'est pourquoi tu seras chèrement aimée de moi; tu es la bien choisie de mon bien choisi qui est mon Fils. Cela n'est rien, mes chères âmes, en comparaison de la suavité qu'apportera quant et soi ce mot ou ce nom saint et sacré que le Seigneur fera entendre à l'âme bienheureuse.
Ce sera alors que Dieu donnera à la divine amante ce baiser qu'elle a si ardemment demandé et souhaité, ainsi que nous disions tantôt.
Oh ! qu'elle chantera amoureusement son cantique d'amour : Qu'il me baise, le Bien-Aimé de mon âme, d'un baiser de sa bouche. Et poursuivant elle ajoutera : Meilleur est sans nulle comparaison le lait qui coule de ses chères mamelles que non pas tous les vins les plus délicieux, et le reste (Ct 1,1-3). Quelles divines extases, quels embrassements amoureux entre la souveraine Majesté et cette chère amante quand Dieu lui donnera ce baiser de paix ! Cela sera pourtant ainsi, et non pas avec une amante seule, mais avec un chacun des citoyens célestes, entre lesquels se fera un entretien admirablement agréable des souffrances, des peines et des tourments que Notre-Seigneur a endurés pour un chacun de nous durant, le cours de sa vie mortelle, entretien qui leur causera une consolation telle que les Anges, au dire de saint Bernard (Sermon XXII in Cant., s 6), n'en sont pas capables ; car si bien Notre-Seigneur est leur Sauveur et qu'ils aient été sauvés par sa mort, il n'est pourtant pas leur Rédempteur, d'autant qu'il ne les a pas rachetés, mais seulement les hommes. C'est pourquoi ceux-ci recevront une félicité et un contentement singulier à parler de cette glorieuse Rédemption, par le moyen de laquelle ils auront été faits semblables aux anges, ainsi que notre divin Maître l'a dit (Mc 12,25).
En la Jérusalem céleste nous jouirons donc d'une conversation très agréable avec les esprits bienheureux, les anges, les Chérubins et Séraphins, les Saints et les Saintes, avec Notre Dame et glorieuse Maîtresse, avec Notre-Seigneur et enfin avec la très sainte et très adorable Trinité, conversation qui durera éternellement et qui sera perpétuellement gaie et joyeuse. Or, si nous avons en cette vie tant de suavité à ouïr parler de ce que nous aimons que nous ne pouvons nous en taire, quelle joie, quelle jubilation recevrons-nous d'entendre éternellement chanter les louanges de la divine Majesté que nous devons aimer et que nous aimerons plus qu'il ne se peut comprendre en cette vie ! Si nous prenons tant de plaisir en la seule imagination de la perdurable félicité, combien en aurons-nous davantage en la jouissance de cette même félicité! félicité et gloire qui n'aura jamais de fin, mais qui durera éternellement sans que jamais nous en puissions être rejetés. O que cette assurance augmentera notre consolation !
Marchons donc gaiement et joyeusement, chères âmes, parmi les difficultés de cette vie passagère ; embrassons à bras ouverts toutes les mortifications et afflictions que nous rencontrerons en notre chemin, puisque nous sommes assurés que ces peines prendront fin et qu'elles se termineront avec notre vie, après laquelle il n'y aura que joies, que contentements et consolations éternelles.
Ainsi soit-il.


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Bref du Doctorat

Bref du Doctorat
Pius IX
ad perpetuam rei memoriam.
Dieu riche en miséricorde n’a jamais abandonné son Eglise qui, en ce monde, mène le bon combat. Bien au contraire, il lui procure selon la succession des événements et au regard des vicissitudes des temps des secours sagement opportuns. C’est ainsi qu’au XVIe siècle alors qu’il visitait les peuples chrétiens muni de la verge de sa colère et qu’il permettait que plusieurs provinces d’Europe fussent recouvertes des ténèbres des hérésies qui se répandaient à profusion, il ne voulut pas pour autant rejeter son peuple. Aussi, dans sa providence, fit-il se lever de nouvelles lumières d’hommes saints pour, qu’illuminés à leur splendeur, les fils de l’Eglise fussent confirmés dans la vérité et que les pécheurs eux-mêmes fussent ramenés avec douceur vers son amour.
Au nombre de ces hommes très illustres François de Sales, Evêque de Genève, apparut comme un modèle de haute sainteté et un maître de vraie et pieuse doctrine : non seulement par la parole mais encore par d’immortels écrits il confondit les monstruosités des erreurs qui se dressaient, proclama la foi, réforma les moeurs une fois les vices renversés et montra combien le Ciel était accessible à tous.
Cette sagesse éminente lui valut la louange de Notre Prédécesseur Boniface VIII, de sainte mémoire, qui déclara que François de Sales avait dépassé les anciens et premier docteurs de l’Eglise de Dieu qui firent resplendir l’Eglise de leurs salutaires enseignements, l’ornèrent de leurs vertus et la façonnèrent de leurs moeurs. Puis il les décrit comme |des lampes étincelantes et lumineuses posées sur le candélabre de la Maison de Dieu : les ténèbres des erreurs dissipées, ils projettent, tel l’astre du matin, leurs rayons sur le corps de toute l’Eglise, dévoilent les secrets de l’Ecriture, et, par leurs profond et remarquables enseignements, tels des bourgeons qui reverdissent, ils mettent en pleine lumière l’oeuvre de l’Eglise elle-même.
Que cet éloge convienne vraiment à l’Evêque de Genève soit de son vivant, bien plus encore, après sa mort ; sa très célèbre renommée en est un témoignage et la singulière excellence de ses écrits qu’il nous a laissés en fournit la preuve invincible.
Que la doctrine de François ait été très grandement appréciée de son vivant on le peut encore déduire de ceci : de tous les courageux défenseurs de la vérité catholique qui fleurissaient en ce temps-là, Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, ne choisit que le seul Evêque de Genève. Il lui ordonna d’aller trouver Théodore de Bèze, propagateur passionné de la peste calviniste, et d’agir avec celui-ci dans le seul but qu’une fois cette brebis ramenée au bercail du Christ, il en reconduisit beaucoup d’autres. François, non sans péril pour sa vie, s’acquitta si bien de sa mission que l’hérétique, troublé dans son bon droit, confessa le vérité. Pourtant, au regard de son crime et, le jugement de Dieu lui demeurant impénétrable, il s’estima indigne de revenir dans le giron de l’Eglise.
L’initiative de Paul V, Notre Prédécesseur de sainte Mémoire, nous permet de voir à quel point la grande estime dont luisait le saint Evêque n’était en rien diminuée : tandis qu’à Rome avait lieu le débat célèbre de auxiliis le Pape voulut sur cette affaire connaître le sentiment du saint Prélat. Il suivit son avis et, après avoir imposé le silence aux parties, il déclara que cette question très subtile et pleine de périls, longtemps et trop âprement agitée, devait être mise en sommeil.
De plus, si l’on examine avec attention les lettres personnelles qu’il écrivit à de très nombreux correspondants chacun perçoit que François à l’instar des plus grands parmi les anciens Pères de l’Eglise, fut souvent interrogé par bon nombre de ses contemporains et sur des sujets qui avaient trait à l’explication et à la défense de la foi catholique et sur des questions qui, en cette matière, méritaient d’être soigneusement pesées ainsi que sur la conduite de la vie au regard des moeurs chrétiennes.
Il est également manifeste que lui même résolut beaucoup de questions avec une abondance de doctrine auprès des Pontifes Romains, des Princes, des Magistrats et de Prêtres, ses coopérateurs dans le ministère sacré. Son succès fut tel que grâce à son zèle, ses exhortations et ses avertissements, ses conseils furent souvent mis en oeuvre et c’est ainsi que des contrées entières furent purgées de la corruption hérétique, le culte catholique rétabli et la religion accrue.
Cette réputation d ’excellente doctrine ne connut pas de déclin, bien mieux on la voit même grandire de manière prodigieuse. Hommes très illustres, verront de tous ordres, Souverains Pontifes, en personne, tous vantèrent sans réserve son éminente science.
Ainsi Alexandre VII, de sainte Mémoire, dans la Bulle de canonisation (le XIII des calendes de Mai, 1675) proclama François de Sales illustre par sa doctrine, admirable de sainteté et pour son époque, remède et secours contre les hérésies. Et il n’hésite pas à affirmer que vivifiés par les enseignements de ses écrits, les coeurs des peuples et nobles avaient produit une moisson abondante de vie évangélique. Et c’est en toute logique que, dans l’Allocution Consistoriale tenue avant la canonisation, ce Pontife affirma que François de Sales, en enseignant tout homme tantôt par un mot de Sainte doctrine, tantôt par l’exemple de sa sainte vie, avait beaucoup fait pour le bien de l’Eglise et que subsistait encore une grande part de cette oeuvre dans l’aide qu’apportaient ses conseils et dans l’influence qu’exerçaient les exemples d’une règle de vie toute évangélique : tout ceci consigné dans les livres s’offraient, en effet, à l’usage des fidèles.
Se rapporte encore à ces considérations ce qu’il écrivait dans la lettre envoyée aux Moniales de la Visitation du Monastère d’Annecy où le Pontife disait que sa vertu certes, mais aussi, sa sagesse se propageaient en abondance sur toute l’étendue de l’Univers chrétien r, qu’il admirait ses remarquables mérites ainsi que sa doctrine entièrement divine et qu ’il l’avait choisi pour qu’on le suivit comme un guide et un maître de vie privilégié.
Or, cette fonction de guide apparut telle à Notre Prédécesseur Clément IX, de sainte Mémoire, qu’avant même de parvenir au Souverain Pontificat il affirma concernant de SALES que par ses très remarquables ouvrages ce dernier avait créer au profit des âmes comme un pieux arsenal. Puis, ayant accédé au Souverain Pontificat, il approuva une antienne ainsi rédigée en son honneur : Le Seigneur remplit saint François de l’Esprit d’intelligence, et, lui, il irrigua le peuple de Dieu du flot de sa doctrine.
En harmonie avec ses prédécesseurs Benoît XIV, de sainte Mémoire, n’hésita pas à affirmer que les ouvrages du Prélat de Genève avaient été écrits avec une science qui vient de Dieu et, qu’ayant reconnu à son autorité il vint à bout de questions difficiles aussi lui décerna-t-il le titre de guide très sage des âmes . (Const. Pastoralis Curae V Augusti MDCCXLI).
Aussi n’est-il absolument pas étonnant qu’un très grand nombre de ceux qui devaient se distinguer dans la louange de son génie et de sa doctrine - les docteurs des Académies, les très grands orateurs, les jurisconsultes, les théologiens insignes et jusqu ’aux Princes eux-mêmes - aient proclamé jusqu’aujourd’hui cet homme vraiment grand et très savant, que beaucoup l’aient suivi tel un maître et qu’ils aient pris de ses livres pour les placer dans leurs écrits nombre de ses enseignements.
En outre, cette universelle conviction sur l’excellence de la science de Monsieur de SALES naît de la qualité même de sa doctrine.
En lui, elle s'élève à un tel degré de sublime sainteté qu’elle offre la caractéristique d’une doctrine digne d’un docteur de l’Eglise et qu’elle nous persuade de placer cet homme parmi les principaux maîtres donnés par le Christ Seigneur à son Eglise.
Aussi ces éloges conviennent-ils particulièrement aux livres de l’Evêque de Genève. Que l’on considère ce qu’il écrivit sur l’ascétisme comme moyen de vivre saintement et avec piété la vie chrétienne ou ses écrits sur les Controverses dans la défense de la foi et la réfutation des hérétiques ou encore ce qu’il dit de la Prédication du Verbe Divin, il n’est personne qui ne voie quels grands bienfaits cet homme très saint apporta à l’Eglise.
En douze livres avec science, subtilité et clarté il écrivit l’insigne et incomparable traité de l’amour de Dieu qui possède autant de panégyristes qu’il a de lecteurs. Mais c’est surtout en un autre ouvrage qui a pour titre Philothée qu’il peignit la vertu en de vives couleurs. Et, transformant les passages tortueux en droits chemins et les sentiers raboteux en routes droites, il montra avec une telle aisance à tous les fidèles du Christ le chemin qui mène à la vertu que de là la vraie piété répondrait portant sa lumière et s’ouvrirait à elle-même la route qui conduit aux trônes des Rois, aux tentes des généraux, au tribunal des Juges, aux bureaux de percepteurs d’impôts, aux ateliers et jusqu’aux petites bourgades de bergers.
En effet, par ces écrits tirés de la doctrine sacrée il met en pleine lumière les plus grands principes de la science des saints et l’explique de manière si admirable que l’on saisit pleinement son remarquable charisme qui lui donne d’accommoder avec sagesse et douceur la même doctrine aux diverses conditions des fidèles.
Ici viennent les Traités qui touchent à l’enseignement de la piété, puis les constitutions remarquables par leur science, leur discernement, leur charme qu’il écrivit pour les Moniales de l’Ordre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie qu’il avait fondé.
Ses lettres personnelles écrites à de nombreux correspondants fournissent une très abondante moisson sur la nature de l’Ascétisme. Dans ces lettres il est tout à fait remarquable que, rempli de l’Esprit de Dieu et fréquentant l’Auteur en personne de la Suavité, il aura semé les graines du pieux culte envers le très Saint Coeur de Jésus que pour la très grande joie de Notre Coeur Nous voyons, dans notre malheur actuel, se propager sous l’effet d’un très grand progrès de la piété.
Il ne faut pas passer sous silence que dans ses écrits et principalement dans son commentaire du Cantique des Cantiques de nombreuses énigmes des Ecritures qui ont trait à la morale et à la mystique deviennent accessibles, que les points difficiles sont expliqués et que les obscurités sont inondées d’une lumière nouvelle. A ce sujet il convient de souligner que, tandis que sa Grâce coulait à flots, Dieu ouvrit l’esprit de ce saint homme pour qu’il comprit les Ecritures et qu’il les rendisse accessibles aux savants comme aux ignorants.
En outre, pour vaincre l’obstination des hérétiques de son époque et encourager les catholiques il écrivit, avec non moins de bonheur que sur l’ascétisme, le livre des Controverses qui contient une parfaite démonstration de la Foi catholique ; puis il écrivit d’autres traités et discours sur des vérités de Foi et aussi son Vexillum Crucis. Par de tels écrits il combattit si énergiquement pour la cause de l’Eglise qu’il ramena en son sein une multitude innombrable d’égarés et restaura le Foi de fond en combles sur toute la province du Chablais.
Surtout, il défendit l’Autorité du Siége Apostolique et du Pontife Romain, successeur de Pierre. Et, de cette Primauté il en exposa la valeur et la raison avec une telle clarté qu’il préludait avec bonheur aux définitions du Concile Oecuménique du Vatican. En tout cas, ce qu’il affirme sur l’infaillibilité du Pontife Romain en son quarantième entretien des Controverses dont l’original fut découvert pendant qu’au Concile la question était en discussion, était de nature à conduire comme par la main pour les décider à voter la définition les quelques Pères qui sur cette question étaient encore indécis. Du très grand amour du saint Prélat pour l’Eglise et de son ardeur à la défendre naquit cette doctrine qu’il présenta dans la Prédication du Verbe Divin soit pour instruire le peuple chrétien des rudiments de la foi, soit pour structurer les moeurs des plus instruits, soit pour conduire tous les fidèles au sommet de la perfection.
En effet se reconnaissant débiteur des savants comme des simples et s’étant fait tout à tous s’il eut soin d’enseigner les hommes simples et incultes avec candeur et naïveté, il réserva aux savants la langage de la sagesse. Sur ce sujet il donna de très sages instructions et il obtint, après avoir proposé l’exemple des Saints Pères, que la dignité de l’éloquence sacrée, ruinée par l’outrage des temps, fut ramenée à son antique splendeur. D’ailleurs de très habiles orateurs seront sortis de cette école : par eu des fruits très nombreux abondèrent dans toute l’Eglise. C’est pourquoi tous regardèrent François de Sales comme le restaurateur et le maître de l’éloquence sacrée.
Enfin sa doctrine céleste tel un fleuve d’eau vive, en irriguant le champ de l’Eglise se répandit avec utilité pour le peuple de Dieu en vue de son salut au point que apparaît dans toute sa vérité ce que Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte Mémoire, dans le moment où François de Sales était élevé à la dignité de l’Episcopat, avait dit, comme prophétisant et citant les Proverbes : Va, Fils, et bois l’eau de ta citerne ; bois à la source de ton puits. Détourne tes sources cers le dehors et répand tes eaux sur les places.
Aussi les fidèles en puisant avec joie à ces eaux du salut ont admiré l’éminente science de l’Evêque de Genève et ils l’ont estimé jusqu’à ce jour digne d’enseigner l’Eglise.
Pour ces raisons beaucoup parmi les Pères du Concile du Vatican nous ont demandé, dans une démarche communautaire, que Nous glorifions saint François de Sales du titre de Docteur de l’Eglise. r



François S.: avis, sermons 912