Augustin, sur les huit questions de Dulcitius. - III. - Le dernier jugement aura-t-il lieu immédiatement à l'arrivée du Seigneur, et ceux qui seront emportés dans les nuées au devant de lui devront-ils mourir? -

III. - Le dernier jugement aura-t-il lieu immédiatement à l'arrivée du Seigneur, et ceux qui seront emportés dans les nuées au devant de lui devront-ils mourir? -


1. Voici votre troisième question: «Devons-nous croire que le jugement aura lieu immédiatement à l'arrivée du Seigneur, on quelque temps après? Car nous lisons que ceux qui vivront encore lors de cet avènement, seront emportés dans les nuées au-devant du Christ dans les airs, et qu'ils seront à jamais avec le Seigneur. Je désire donc savoir si le jugement suivra immédiatement l'arrivée, ou si ceux qui seront emportés dans les nuées subiront la mort, à moins peut-être que le changement qui s'opèrera alors ne doive leur tenir lieu de mort.»

2. Sur cette question: Le jugement aura-t-il lieu aussitôt après l'arrivée du Seigneur? je crois qu'il suffit de s'en rapporter au symbole, dans lequel nous confessons que le Christ viendra, de la droite de son Père, pour juger les vivants et les morts. Comme il viendra pour cela, qu'aurait-il à faire dès qu'il sera venu, si ce n'est ce pourquoi il sera venu? Pour ce qui regarde ceux qui seront emportés dans les nuées, je vais mettre sous vos yeux ce que j'écrivis à mon fils Mercator, que vous connaissez sans doute, lorsqu'il me consulta sur certaines opinions des Pélagiens,

1 Enchir. ch. 109, 110.

qui nient que la mort soit la peine du péché: «En ce qui concerne, disais-je, ceux dont l'Apôtre parle en ces termes, à propos de la résurrection des morts: «Ensuite nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au devant du Christ dans. les airs, et ainsi nous serons à jamais avec le Seigneur, n il y a sans doute quelque difficulté, mais dans le sujet lui-même, et non au point de vue des Pélagiens: car dans le cas où ceux-là ne devraient pas mourir, je ne vois pas trop ce que les hérétiques y gagneraient, puisqu'on pourrait dire de ces fidèles ce qu'on a dit de deux hommes seulement, Enoch et Elie. Mais au fait, à s'en tenir aux paroles de l'Apôtre, il semble dire qu'à la fin des siècles, à l'arrivée du Seigneur, quand les morts devront ressusciter, quelques hommes, encore vivants, seront subitement transformés dans l'heureuse immortalité, accordée aux autres saints et seront, suivant le mot du même Apôtre, «emportés avec eux dans les nuées.» C'est la seule pensée que j'aie jamais eue, chaque fois que j'ai réfléchi sur ce passage.

3. «Mais j'aimerais bien entendre là dessus des hommes plus instruits; car il peut se faire que l'Apôtre, s'adresse à ceux-mêmes qui croient que quelques hommes passeront à la vie éternelle sans avoir subi la mort, quand il dit: «Insensé, ce que tu sèmes n'est point vivifié, si auparavant il ne meurt.» Car comment ressusciterons-nous tous,» comme on lit dans la plupart des exemplaires, si tous nous ne mourons?En effet on ne peut ressusciter, si l'on n'est pas mort. Et s'il faut lire, comme le portent quelques copies: «Nous nous endormirons tous,» le sens est encore plus facile et plus clair. Tous les passages qu'on pourra citer des saintes Ecritures semblent insinuer cette croyance: que personne ne parviendra à l'immortalité, s'il n'a auparavant subi la mort. Ainsi quand l'Apôtre dit: «Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont déjà endormis. Car le Seigneur lui-même, au commandement et à la voix de l'archange et au son de la trompette de Dieu, «descendra du ciel, et ceux qui seront morts dans le Christ ressusciteront d'abord. Ensuite nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux sur les nuées au devant du Christ dans les airs; et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur (1).» Sur ce texte, ai-je

1. 1Th 4,14-16

529

dit, je voudrais entendre des hommes, plus savants; et si l'on pouvait me l'expliquer de manière à prouver que lotis les hommes qui vivent ou vivront après nous doivent mourir, je corrigerais tout ce que j'ai dit là dessus dans un autre sens. Car nous ne devons pas être des docteurs indociles; il est plus facile de corriger un méchant qu'un entêté; par tout ce que nous écrivons, nous formons et nous instruisons notre propre faiblesse ou celle des autres, mais il n'y a là aucune autorité canonique.

4. «Mais s'il n'y a pas moyen de donner un autre sens à ces paroles de l'Apôtre; s'il est évident qu'il n'a pas entendu dire autre chose que ce que les termes crient, en quelque sorte, à savoir: qu'à la fin du monde, lors de l'avènement du Seigneur, il y aura des hommes qui n'auront point dépouillé leur corps, mais seront revêtus d'immortalité, en sorte que ce qu'ils auront de mortel sera absorbé par la vie (1): si cela est, 'ce texte s'accommode parfaitement à ce que nous confessons dans la règle (le foi; que le Seigneur viendra juger les vivants et les morts; sans qu'il soit besoin d'entendre par, vivants, les juste, et par morts, les impies, bien que les uns et les autres doivent être jugés, mais par vivants ceux qui à son avènement ne seront pars encore sortis de cette vie, et par morts ceux qui auront quitté leur corps. Ce point une fois solidement établi, il faudra alors interpréter ces paroles: «Ce que tu sèmes n'est point vivifié, s'il ne meurt;» et celles-ci: «Nous ressusciterons tous,» ou encore: «Nous nous endormirons tous,» dans un sens qui ne contredise point l'opinion: que quelques hommes passeront avec leurs corps au sein de la vie éternelle, sans avoir subi la mort.

5. «Mais quelle que soit de ces deux interprétations la plus vraie et la plus exacte, qu'importe à la cause de ces hérétiques que nous subissions tous la mort que nous avons méritée, ou que quelques-uns en soient exempts, puisqu'il est certain que, sans le péché, la mort eût épargné, non-seulement l'âme, mais le corps, et crue la vertu de la grâce éclate mieux à faire passer les justes de la mort à la vie éternelle, qu'à les dispenser de mourir? En voilà assez pour ceux dont vous me parlez dans votre lettre: car je ne pense pas qu'ils disent qu'Adam fût,mort, même corporellement, s'il n'avait pas péché.

6. «Quant à ce qui regarde la question de la résurrection, il faut étudier un peu plus le sujet

1 2Co 5,4

à cause de ceux qui ne mourront pas, pensons-nous, et passeront, de cette vie mortelle à l'immortalité sans, l'intermédiaire de la mort; et si vous avez entendu ou la quelque discussion raisonnable là dessus, quelque définition claire et positive, ou s'il vous arrive jamais d'en entendre ou d'en lire, prenez, je vous en. prie, la peine de me l'envoyer. Car, je dois en faire l'aveu à votre charité; j'aime mieux apprendre qu'enseigner. C'est du reste l'avis que nous donne l'apôtre saint Jacques,: «Ainsi, que tout homme soit prompt à écouter, et lent à parler (1).» Le charme do la vérité doit nous inviter à apprendre; le devoir de la charité peut seul nous forcer à enseigner; et il faut désirer de voir cesser l'obligation que l'homme peut avoir d'instruire son semblable, afin d'être tous enseignés de Dieu; c'est ce qui à déjà lieu néanmoins quand nous apprenons ce qui tient à la vraie piété, bien que la leçon semble `nous venir d'un homme. En effet ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose; mais celui qui donne la croissance, Dieu?.» Or, quand des Apôtres qui plantent et( ni arrosent ne sont rien, si Dieu ne donne la croissance; à combien plus forte raison cela est-il vrai de moi, de vous, de tout autre personnage de ce siècle, quand nous nous imaginons être des docteurs (3)?»

IV. - Bénédiction réservée, d'après le Psalmiste, aux enfants des justes.


1. Vous demandez en quatrième lieu: «Pourquoi David a dit: Sa race sera puissante sur la terre, la postérité des justes sera bénie (4); - quand nous savons qu'il y a, des enfants des justes qui sont maudits, et que des fils de méchants ont été et sont bénis?

2. Je réponds à telle question par l'explication que j'ai donnée, quand j'exposais ce psaume devant le peuple: «Heureux en effet l'homme qui craint te Seigneur; il mettra ses délices à accomplir sa loi. - C'est à Dieu; le seul juste vrai et miséricordieux, à voir quel progrès le juste tait dans l'accomplissement de sa loi, car la vie de l'homme est une épreuve sur la terre,» comme le dit le saint homme Job (5). Il est encore écrit: «Le corps qui se corrompt, appesantit l'âme et cette dépouille terrestre abat a l'esprit et le trouble de mille soins (6).» Mais c'est le Seigneur qui nous jugé; et nous ne devons pas juger avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur, jusqu'à ce qu'il éclaire ce

1 Jc 1,19 - 2 1Co 3,7 - 3 Lettre 193, ch. 4,n. 9-13. - 4 Ps 111,2 - 5 Jb 7,1 - 6 Sg 9,14

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qui est caché dans les ténèbres, qu'il manifeste les pensées secrètes des coeurs, et que chacun reçoive alors de Dieu sa louange (1). C'est donc à lui à voir les progrès que chacun fait dans l'exécution de ses commandements. Cependant celui qui se plaît à construire en paix son édifice, met toute sa volonté dans la loi; «et précisément parce qu'il met toute sa volonté dans la loi» il ne doit point désespérer, car la paix appartient sur la terre aux hommes de bonne volonté (2).

3. «Voilà pourquoi sa race ou sa semence sera puissante sur la terre.» La semence de la future moisson, ce sont les oeuvres de miséricorde, suivant ce témoignage de l'Apôtre . «Or faisant le bien, ne nous lassons point; car nous recueillerons la moisson en son temps (3); et ailleurs: «Or je vous le dis: Qui sème peu, moissonnera peu (4).» Mais, mes frères, n'est-on pas bien puissant quand on achète le royaume des cieux, non-seulement comme Zachée au prix de la moitié de ses biens (5), mais encore, comme la veuve, pour deux petites pièces de monnaie (6), et que l'une a autant que l'autre? N'est-on pas bien puissant quand on acquiert ce même royaume; comme le riche avec ses trésors, et comme le pauvre avec un verre d'eau froide? Il en est pourtant qui donnent dans des vues terrestres, soit dans l'espoir d'obtenir du Seigneur une récompense temporelle, soit dans le but de plaire aux hommes; mais «la semence des justes sera bénie,» c'est-à-dire les oeuvres de ceux à qui le Dieu d'Israël est bon, de ceux qui ont le coeur droit, c'est-à-dire de ceux qui se soumettent au Père quand il corrige, qui croient à sa parole quand il promet; et non les oeuvres de ceux dont les pieds s'égarent, dont les pas ont chancelé, comme il est dit dans un autre psaume, parce qu'ils se sont indignés nés contre les pécheurs en voyant la paix dont ils jouissent, et qu'ils regardent leurs oeuvres comme perdues parce qu'on ne leur accorde point de récompense périssable (7).
L'homme qui craint le Seigneur et qui est devenu, par une conversion sincère, un temple consacré à Dieu, ne cherche point la Gloire humaine ni les richesses de la terre, et cependant la gloire et les richesses sont dans sa maison. n Car sa maison c'est son coeur, où honoré des éloges de Dieu, espérant l'éternelle vie, il est plus richement logé que ceux qui habitent dans

1 1Co 4,4-6 - 2 Lc 2,14 - 3 Ga 6,9 - 4 1Co 9,8 - 5 Lc 19,8 - 6 Mc 12,42 - 7 Ps 91,1-14

des demeures splendides, sous des lambris dorés, au milieu des adulations des hommes, mais qui redoutent la mort éternelle. «Car sa justice subsistera dans les siècles des siècles;» et c'est là sa gloire, ce sont là ses richesses. Tandis que la pourpre du riche, son fin lin, ses repas splendides, tout ce qui est aujourd'hui à son service, passe néanmoins; et quand la fin sera venue, sa langue brûlante demandera à grands cris qu'un doigt trempé dans l'eau en laisse tomber une goutte sur elle (1).»
Voilà ce que je me rappelle avoir dit en expliquant ce psaume (2), et c'est, ce me semble, une réponse suffisante à votre quatrième question. Quant à la cinquième, j'ai promis de la traiter après toutes les autres.

V. - Comment David était-il élu selon le coeur de Dieu?

l. Prêtez maintenant un moment d'attention à la question que j'ai remis à traiter en dernier lieu. Vous demandez: «Pourquoi le Seigneur, qui prévoit l'avenir, a-t-il dit: J'ai choisi David selon mon coeur (5), - puisque ce prince s'est rendu coupable de si grands crimes?»

2. Si nous devons entendre ces paroles de David, même, qui régna sur Israël après la réprobation et la mort de Saül, il faut dire qu'elles s'expliquent précisément par la prescience de Dieu car le Seigneur prévoyait en lui une telle piété, une pénitence si sincère, qu'il se trouvait du nombre de ceux dont il a dit lui-même: «Heureux ceux à qui leurs iniquités sont pardonnées et dont les péchés ont été couverts. Heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé son péché (6).» Pourquoi donc, prévoyant qu'il pêcherait et qu'il expierait ensuite sa faute par une pieuse humilité et un sincère repentir, Dieu n'aurait-il pas pu dire: «J'ai trouvé David selon mon coeur,» puisqu'il ne devait point lui imputer son péché, à raison de ses bonnes oeuvres multipliées, de la piété qui anima sa vie et qui lui fit offrir le sacrifice d'un cour contrit en expiation de ses fautes? C'est pour cela que Dieu a pu dire

1 Jn 1,1-4 - 2 1Co 12,31 - 3 Ep 3,19 - 4 V. Genèse au sens littéral, t. 4,l. 1,ch, 27,n. 11-13. - 5 2R 8,16 - 6 Ps 31,1-2

avec une parfaite vérité: «J'ai trouvé David selon mon coeur.» Car bien qu'il ne fût pas selon le coeur de Dieu en péchant, il y fut du moins en lavant ses fautes par une pénitence proportionnée. Il n'y eût donc rien en lui qui ne fût selon le coeur de Dieu, sauf ce que Dieu ne lui imputa pas. Or, à part cela, puisque ses fautes ne lui furent pas imputées, que restait-il en lui qui ne justifiât ces paroles: «J'ai trouvé David selon mon coeur?»

3. Mais si nous voulons voir ici une prophétie relative au Christ, il n'y aura à résoudre aucune difficulté. Seulement on nous demandera peut-être comment on a pu donner au Christ le nom de David. Nous répondons que c'est à cause de la race de David, dont le Christ est né selon la chair. Nous avons d'ailleurs des exemples à l'appui de cette explication. Le prophète Ezéchias donne évidemment au Christ le nom de David, quand il met ce langage dans lit bouche du père Et je susciterai sur mors troupeau le Pasteur unique pour les paître, David mon serviteur; «lui-même aura soin de les paître, et il sera pour elles un pasteur; mais moi, le Seigneur, «je serai leur Dieu, et mon serviteur David prince au milieu d'eux; moi, le Seigneur, j'ai parlé.» Et ailleurs: «Et un seul roi commandera à tous, et désormais il n'y aura plus deux nations, et ils ne seront plus divisés en deux royaumes; ils ne se souilleront plus à l'avenir avec leurs idoles, avec leurs abominations et toutes leurs iniquités; je les retirerai de tous les lieux où ils avaient péché, et je les purifierai. Et ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu; et mon serviteur David sera leur roi, et ils n'auront tous qu'un seul pasteur (1).» Le prophète Osée, en prédisant aux Juifs leur état actuel et en leur annonçant qu'ils croiront un jour au Christ, donne également au Christ le nom de David: «Parce que les enfants d'Israël seront pendant de longs jours, sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans révélation.» Telle est actuellement, personne ne le conteste, la situation des Juifs. Comme autrefois, dit l'Apôtre saint Paul en parlant aux Gentils, vous-même n'avez pas cru à Dieu et que maintenant vous avez obtenu miséricorde à cause de leur incrédulité; ainsi eux maintenant n'ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite, et qu'à leur tour ils obtiennent

1 Ex 34,23-24 Ex 37,22-24

535

miséricorde.» C'est ce que le même prophète avait aussi proclamé d'avance, en ajoutant: «Et après, les enfants d'Israël reviendront et ils chercheront le Seigneur leur Dieu et David leur roi, et ils éprouveront une sainte horreur devant le Seigneur, à la vue des biens réservés aux derniers jours (1).» C'est encore le Christ qui est annoncé ici sous le nom de David: car au temps où ces prophéties avaient lieu, David, le roi d'Israël, était mort depuis bien des années, et le Seigneur Jésus devait naître de sa race selon la chair; c'est pourquoi il est appelé David dans le langage prophétique.
L'apôtre saint Paul semble, il est vrai, rappeler ce témoignage dans les Actes des Apôtres de manière à ne l'entendre que du roi David, successeur de Saül. Car il dit, entre autres choses: «Et alors ils demandèrent un roi, et Dieu leur donna Saül fils de Cis, de la tribu de Benjamin, pendant quarante ans. Puis le leur ayant ôté, il leur suscita pour roi David, à qui il rendit ce témoignage: J'ai trouvé David fils de Jessé, «homme selon mon coeur qui fera toutes mes volontés.» Mais comme il ajoute: «C'est de sa postérité que Dieu, selon sa promesse, suscité à Israël le Sauveur Jésus (2):» il fait voir, par une raison plus profonde, que ce texte doit

1 Os 3,4-6 - 2 Ac 13,21-23

s'appliquer an Seigneur Jésus, qui a réellement accompli toutes les volontés de Dieu le Père, plutôt qu'au roi David. Sans doute, comme nous l'avons expliqué plus haut, on peut dire avec raison de ce prince qu'il fut trouvé selon le coeur de Dieu, puisque ses péchés lui furent remis, et non imputés à cause de son pieux repentir; mais comment a-t-il fait toutes les volontés de Dieu? Au milieu des plus grands éloges et tout en racontant l'histoire de son règne et ses belles actions, l'Ecriture fait cependant remarquer qu'il ne détruisit point les hauts lieux, où le peuple de Dieu sacrifiait contre la défense de Dieu lui-même, qui ne voulait point qu'on offrit des victimes hors du tabernacle du témoignage, bien que d'ailleurs ce tôt aussi à lui qu'on offrit des sacrifices sur les hauts lieux. Ce fut un roi de la race de David, Ezéchias, qui les détruisit plus tard, à la grande gloire de son nom (1).

4. J'ai répondu, autant que j'ai pu, à vos questions. Si vous avez trouvé, ou si vous découvrez jamais, quelque chose de mieux sur ces divers sujets, nous vous serons très-reconnaissant de nous en taire part. Car, comme je vous l'ai dit plus haut, j'aime mieux m'instruire qu'enseigner les autres.

1 2R 18,4


VI. - Samuel a-t-il réellement été évoqué de l'enfer par la pythonisse?


1. Votre sixième question est celle-ci: «Est-ce bien le prophète Samuël que la pythonisse a évoqué du tombeau, «selon le récit du livre des rois (3)?»

2. Simplicien d'heureuse mémoire, évêque de Milan, m'a un jour proposé la même question. Voici ce que je lui répondis: «Vous demandez si l'esprit impur qui était dans la pythonisse a pu faire que Samuël apparut à Saül et s'entretînt avec lui (4). Mais il est bien plus étonnant que Satan, le prince des esprits immondes, ait pu parler à Dieu, et lui demander permission de tenter Job, le plus juste des hommes (5), comme il a demandé aussi à cribler les apôtres (6). Or, là n'est pas la difficulté: car la vérité, présente partout, peut parler par l'intermédiaire de quelle créature elle veut, et à quelle créature il lui plaît, et cela ne suppose pas grand mérite en celui à qui Dieu parle: ce qu'il dit offre seul de l'intérêt. Il est bien des innocents à qui l'empereur ne parle pas, quoiqu'il veille sur leur vie avec le plus grand soin, tandis qu'il parle à beaucoup de coupables dont il ordonne l'exécution. S'il n'y a point là de difficulté, il n'y en a pas davantage à ce qu'un esprit immonde ait pu s'entretenir avec l'âme d'un saint homme, car Dieu créateur et sanctificateur est bien au-dessus de tous les saints.
Si maintenant on s'étonne fille le malin esprit ait eu la permission d'évoquer l'âme d'un saint titi mystérieux séjour des morts, ne doit-on pas s'étonner davantage que Salan ait transporté le Seigneur lui-même et l'ait placé sur le faite du

1 Lc 16,19-24 - 2 5,Explic. du Ps 3,2-3 - 3 1S 28,7-19 - 4 1S 28,7-19 - 5 Jb 1,11 - 6 Lc 22,31

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temple (1)? De quelque manière que ceci se soit fait, l'évocation de Samuël est également mystérieuse. Dira-t-on que Satan a obtenu plus facilement la permission de saisir le Seigneur vivant et de le placer où il lui a plu, que de faire sortir l'âme de Samuël, après sa mort, du lieu où elle était? Mais si nous ne sommes pas troublés de ce passage de l'Evangile, parce que le Seigneur a voulu et permis ce fait sans rien perdre de sa puissance ni de sa majesté, comme il s'est laissé saisir, garrotter, tourner en dérision, crucifier et mettre à mort par les Juifs eux-mêmes, quoique pervers, impurs et faisant les oeuvres du démon; il n'est pas déraisonnable de croire qu'en vertu de quelque secrète disposition de la volonté divine, et non par force ni pour obéir à l'ordre irrésistible d'une puissance magique, mais secrètement et pour se conformer au dessein de la Providence, qui restait caché pour la pythonisse et pour Saül; l'âme du saint prophète ait consenti à se montrer aux yeux du prince pour lui signifier l'arrêt de Dieu. Pourquoi en effet l'âme d'un juste, évoquée par des méchants du séjour des morts, perdrait-elle sa dignité, quand les hommes de bien, même pendant leur vie, se rendent souvent près des méchants à leur appel, remplissent près d'eux les devoirs de la justice, traitent les maladies de leur âme, selon l'usage ou le besoin du moment, et cela, sans rien perdre de l'éclat de leur vertu?

3. «Il y aurait du reste, une solution plus facile, une explication plus simple de ce fait: ce serait de dire que l'esprit évoqué n'était point réellement celui de Samuël, mais un fantôme, une figure imaginaire formée par le démon et que l'Ecriture appelle Samuël, parce qu'on donne ordinairement aux images le nom des êtres qu'elles représentent. C'est ainsi qu'on applique le nom de l'oh';et représenté aux tableaux, aux statues de métal, de bois, ou de toute autre matière propre à la sculpture; aux êtres mêmes imaginaires qui apparaissent dans les songes, et à peu près à tout ce qui est image. Qui hésite en effet à donner le nom d'homme au portrait d'un homme? Dès que nous voyons une figure représentée par le pinceau, nous titi appliquons immédiatement un nom propre; ainsi en présence d'un tableau ou d'une galerie de portraits, nous disons: Voilà Cicéron, voici Salluste, Achille, Hector, voilà le fleuve Simoïs, voilà Rome, quand, en réalité, il n'y a que des images peintes. Les

1 Mt 4,5

Chérubins sont des puissances célestes; cependant les statues de métal placées par ordre de Dieu et pour des vues profondes sur l'Arche du Testament, ne portent pas d'autre nom que celui des Chérubins (1). De même celui qui a un songe ne dit pas: J'ai vu l'image d'Augustin ou de Simplicien, mais: J'ai vu Augustin ou Simplicien, bien que dans le moment nous ignorions ce qu'il voyait: tant il est évident que ce qu'il a vit ce ne sont pas les personnes mêmes, mais leurs images. Pharaon dit qu'il a vu en songe des épis et des vaches (2), et non des images d'épis ou de vaches. Si donc il est constant que nous donnons aux images le nom des objets qu'elles représentent, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'Ecriture appelle Samuël ce qui a pu être qu'une image de Samuël façonnée par celui qui se transforme lui-même en ange de lumière et ses ministres en ministres de justice (3).

4. «Maintenant si l'on s'étonne que le malin esprit ait prédit la vérité à Saül, on pourra aussi s'étonner que les dénions aient reconnu le Christ (4) que les Juifs ne reconnaissaient pas. Quand Dieu vent manifester la vérité à quelqu'un en ce qui recarde seulement les choses temporelles et relatives à notre humanité, et qu'il emploie pour cela des esprits de rang inférieur et réprouvés, on petit facilement et sans inconvenance admettre qu'étant juste et tout-puissant et voulant punir ceux à qui ces prédictions s'adressent, en leur faisant subir par avance le châtiment qui les menace, il accorde à de tels esprits par une secrète opération de sa Providence, la faculté de prévoir jusqu'à un certain point, afin qu'ils annoncent aux hommes ce qu'ils ont appris des anges. Or ils n'apprennent que dans la mesure où le permet Dieu, le maître et le régulateur suprême. C'est ainsi que dans les Actes des Apôtres un esprit de python rend témoignage à l'Apôtre saint Paul et travaille à évangéliser (5).
«Cependant le mensonge se mêle à leurs paroles, et c'est moins pour éclairer que pour tromper qu'ils prédisent. C'est sans doute ainsi qu'on s'explique que l'ombre de Samuël en prédisant à Saül qu'il mourrait, ajouta: «Tu seras avec moi:» ce qui était faux. Car nous lisons dans l'Evangile qu'une grande distance sépare les bons des méchants après la mort, puisque le Sauveur atteste qu'il y a un vaste abîme entre le riche orgueilleux subissant déjà le supplice de l'enfer, et le pauvre couvert d'ulcères qui languissait

1 Ex 25,18 -2 Gn 41,17-28 - 3 2Co 11,14-15 - 4 Mt 8,20 - 5 Ac 16,17

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guères à sa porte (1). Cependant si ces paroles de Samuël à Saül: «Tu seras avec moi,» indiquent non une égalité de bonheur, mais l'égalité dans la mort, puisque tous les deux, en tant qu'hommes, ont pu mourir, et qu'elles n'aient été qu'une prédiction de mort faite à un homme vivant votre prudence comprend, ce me semble, que des expressions 'peuvent s'interpréter de deux manières qui n'ont rien de contraire à la foi.
«Peut-être, du reste, un examen plus approfondi et plus scrupuleux que rie me le permettent mes forces et mon temps, éclaircirait -il cette autre question, à savoir: si l'âme humaine, une fois hors de cette vie, peut ou ne peut pas être évoquée par des incantations magiques et apparaître aux regards avec des formes corporelles, de manière à être, non-seulement visible, mais reconnaissable; et dans le cas où cela serait possible, si l'âme d'un juste ne pourrait aussi se faire voir, non forcément et en vertu de ta magie, mais par obéissance à l'ordre mystérieux du souverain législateur. Dans le cas; où cela serait reconnu impossible, on n'admettrait plus les deux explications de ce passage, mais on en rejetterait une et l'on considérait l'apparition de Samüel comme celle d'un fantôme fabriqué par Satan. Mais, dans l'une et l'autre hypothèse, comme la ruse de Satan et son habileté à créer des figures imaginaires prennent tontes les formes pour tromper les sens humains, procédons avec lenteur et sans préjudice de rechercher plus approfondies tant qu'il ne nous sera pas donné de trouver une explication plus satisfaisante, pensons qu'il y a eu ici quelque opération diabolique, par l'intermédiaire de celle méchante phythonisse (2).

5. Voilà ce que j'écrivais alors sur la pythonisse et sur Samuël. Mais mes propres recherches m'ont démontré dans la suite combien;j'avais raison de dire que t'était sans préjudice d'une étude plus approfondie que nous devions considérer l'image de Samüel comme un fantôme créé par l'art malfaisant de la pythonisse. En effet j'ai trouvé, dans le titre de l'Ecclésiastique, à l'endroit où les Patriarches sont loués les uns après les autres, cet éloge fait de Samuël: qu'il a prophétisé même après sa mort (3). Si on rejette le témoignage de ce livre, pace qu'il n'est point dans le canon des Hébreux, que dirons-nous de Moïse qui étant mort certainement, d'après le Deutéronome (4), a néanmoins, d'après l'Evangile, apparu aux yeux

1 Lc 16,26 - 2 Questions de Simplicien liv. II question 3. - Si 46,23 - 4 Dt 34,5

des vivants avec Elie qui n'est pas mort (1)?

1 Mt 17,3

VII. - Comment Sara n'a été déshonorée ni par Abimélech ni par Pharaon.


1. Voici votre septième question: «Comment faut-il répondre à ceux qui prétendent que Sara n'a pas échappé au déshonneur, puisqu'il est écrit qu'Abimélech fut détourné en songe d'avoir aucun commerce avec elle (2) et que Pharaon s'unit à elle charnellement (3)?»

2. Je ne vois pas pourquoi on dit que Pharaon s'unit charnellement à Sara, puisque le texte ne nous oblige pas à le croire. Ce prince la prit pour femme, il est vrai, et, à cause d'elle, les Egyptiens comblèrent Abraham de présents; mais l'Ecriture ne dit pas que Pharaon ait eu commerce avec elle; car Dieu l'en détourna en le frappant de plaies nombreuses et cruelles. Les femmes que les rois agréaient pour épouses n'entraient pas immédiatement en commerce avec eux; mais comme nous le voyons dans le livre qui porte le nom de Livre d'Esther, elles usaient de parfums, d'essences, d'aromates, pendant quelques mois, et même pendant un an, avant de monter dans la couche royale (4). Or c'est pendant ce temps là que s'est passé ce que raconte l'Ecriture, jusqu'à ce que Pharaon repentant et effrayé rendît l'épouse à son mari.

- 2. Gn 20 - 3 Gn 12 - 4 Est 2,12

Mais comme Abimélech fut détourné en songe d'avoir commerce avec elle, nos contradicteurs prétendent que le sommeil et le songe ne vinrent qu'après que le fait avait eu lieu. Or, pour ne pas parler de l'intervalle de temps pendant lequel, avons-nous dit, les femmes se préparaient à plaire aux rois, Dieu n'avait-il pu, avant tout, plonger Pharaon dans le sommeil et l'avertir en songe

3. Voici un fait qui s'est passé dans la Mauritanie de Sétif: car le dieu des Patriarches ne laisse pas d'être aussi notre Dieu. Un jeune catéchumène, nommé Cettichius, avait enlevé pour l'épouser une veuve qui avait résolu de vivre dans la continence. Avant qu'ils eussent agi maritalement, le jeune homme surpris par le sommeil et épouvanté par un songe, la ramena intacte à l'évêque de Sétif, qui l'avait énergiquement réclamée. Ils vivent encore tous les deux convertis par le prodige qui s'était opéré en lui, le catéchumène fut baptisé, il est même parvenu à l'épiscopat par une vie honorable; la veuve a persévéré dans son pieux dessein.
4. J'ajoute ici ce que j'ai répondu au manichéen Fauste, qui accusait Abraham d'avoir (533) livré sa femme à la passion de deux rois: «Accuser d'une infâme trafic le juste et fidèle Abraham; prétendre que, par avarice et par gourmandise, il a livré à deux reprises différentes, sa femme, qui était très-belle, à Abimélech et à Pharaon pour qu'ils en abusassent, après leur avait dit frauduleusement qu'elle était sa soeur; affirmer cela, ce n'est pas distinguer, en homme véridique, ce qui est honnête de ce qui est criminel, mais c'est tout noircir avec une intention perfide. Sans doute cette démarche d'Abraham a l'apparence d'un coupable trafic, mais seulement pour ceux qui ne sauraient, à la lumière de la loi éternelle, discerner le bien du mal; pour ceux aux yeux de qui la fermeté peut passer pour de l'opiniâtreté, la confiance pour de l'audace, ou qui formulent d'autres accusations de ce genre, faute de discernement. Abraham ne consentit point à ce que son épouse fût souillée, il ne spécula point sur son adultère; mais comme elle-même lui avait offert spontanément sa servante Agar, non pour qu'il satisfit une coupable passion, mais pour qu'il eût des enfants, et cela sans troubler l'ordre naturel, puisqu'elle commandait plutôt à son époux qu'elle ne cédait à son désir; ainsi à son tour, ne doutant nullement de la chasteté de son épouse et de la pureté de son attachement pour lui, convaincu que la vertu habitait dans son coeur, il dissimula la qualité d'épouse, et déclara qu'elle était sa soeur, de peur d'être tué, de peur qu'ensuite sa femme ne tombât captive, au pouvoir d'impies étrangers: assuré d'ailleurs que Dieu ne permettrait pas qu'elle éprouvât aucun traitement coupable ou honteux. Et sa foi et sa confiance ne furent pas trompées. Pharaon épouvanté par des prodiges, frappé de divers fléaux à cause d'elle, apprit par révélation d'en haut qu'elle était mariée et la rendit, pure et honorée, à son époux; et Abimélech, instruit et prévenu aussi par un songe, en fit autant (1).»

1 Contre Fauste. l. 22,ch. 33.

VIII. - L'Esprit de Dieu qui reposait sur les eaux, est-il le Saint-Esprit?


1. En dernier lieu, vous me demandez des explications sur l'Esprit de Dieu qui; reposait sur les eaux. «Quelques-uns, dites-vous, affirment que c'était l'Esprit Saint; d'autres prétendent que c'était l'esprit du monde, parla raison que l'historien n'a pu placer le Créateur parmi les créatures, ni assigner un lieu à Celui qui est tout entier partout avec le Père et le Fils.»


Augustin, sur les huit questions de Dulcitius. - III. - Le dernier jugement aura-t-il lieu immédiatement à l'arrivée du Seigneur, et ceux qui seront emportés dans les nuées au devant de lui devront-ils mourir? -