Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE XIX. DIEU OPÈRE EN NOUS LE COMMENCEMENT MÊME DE LA FOI.

CHAPITRE XIX. DIEU OPÈRE EN NOUS LE COMMENCEMENT MÊME DE LA FOI.


38. Ceux de nos frères dont nous nous occupons en ce moment, nous diront peut-être que l'erreur des Pélagiens se trouve pleine ment réfutée par ce témoignage dans lequel l'Apôtre déclare que nous avons été choisis en Jésus-Christ et prédestinés avant la formation du monde, afin que nous fussions saints et immaculés à ses yeux dans la charité de Jésus-Christ. De leur côté, ils soutiennent que, «après avoir reçu les préceptes divins, nous pouvons, par nos propres forces et par notre libre arbitre, nous rendre saints et immaculés à ses yeux dans la charité; et parce que cette heureuse disposition de notre part était connue de Dieu par sa prescience infinie, voilà pourquoi, dès avant la


1. Ph 2,13 - 2. 1Co 3,21 - 3. 1Co 1,31 - 4. Rm 7,28

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formation du monde, il nous a choisis et prédestinés en Jésus-Christ». Or, l'Apôtre dit clairement que si nous avons été élus et prédestinés, ce n'est nullement parce que Dieu prévoyait que nous serions saints et immaculés, mais afin de nous rendre tels par l'élection même de la grâce dont il nous a gratifiés dans son Fils bien-aimé. Quand donc il nous a prédestinés, il a connu par avance ce qu'il ferait en nous, c'est-à-dire qu'il nous rendrait saints et immaculés. Ce raisonnement de l'Apôtre réfute donc de la manière la plus péremptoire l'erreur de Pélage.

Mais, disent nos semi-pélagiens, nous soutenons «que Dieu n'a prévu en nous autre chose que la foi par laquelle nous commençons à croire, et c'est dans cette simple prévision que, dès avant la formation du monde, il nous a choisis et prédestinés afin que, par son action et par sa grâce, nous fussions saints et immaculés». Qu'ils méditent donc ces autres paroles du même Apôtre: «C'est aussi en lui que nous avons obtenu la vocation comme par sort, ayant été prédestinés par le décret de celui qui a fait toutes choses, selon le décret et le conseil de sa volonté». Celui qui fait toutes choses, fait donc aussi que nous commencions à croire. Cette vocation dont il est parlé, n'est-ce pas celle dont il est dit: «Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance (1)»; et encore: «Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle (2)?» Ne pouvait-il pas dire: Sinon par leurs oeuvres, du moins par leur foi? Enfin la foi elle-même n'a pu précéder cette élection dont le Sauveur nous dit: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (3)». En effet, Dieu nous a choisis non point parce que nous avons cru, mais afin que nous croyions; car autrement le premier choix aurait été fait par nous, et, ce qu'à Dieu ne plaise, de la part de Jésus-Christ ce serait une erreur de dire: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis». De même nous sommes appelés, non point parce que nous avons cru, mais afin que nous croyions; cette vocation, qui est sans repentante, a précisément pour effet de nous amener à la foi. Du reste, je me suis expliqué longuement sur ce point, et toute répétition serait inutile.


1. Rm 11,29 - 2. Rm 9,12 - 3. Jn 15,16


39. Enfin l'Apôtre termine l'exposition de sa doctrine, en rendant grâces à Dieu pour ceux qui ont cru; non point précisément parce que l'Evangile leur a été annoncé, mais parce qu'ils ont cru. Voici ses paroles: «En qui vous avez aussi espéré, vous qui, après avoir entendu la parole de vérité, l'Evangile de votre salut, et y avoir cru, avez été scellés du sceau de l'Esprit-Saint qui avait été promis, qui est le gage de notre héritage jusqu'à la parfaite délivrance du peuple que Jésus-Christ s'est acquis pour la louange de sa gloire. C'est pourquoi, ayant appris quelle est votre foi au Seigneur Jésus, et votre amour envers tous les saints, je ne cesse point de rendre à Dieu des actions de grâces pour vous (1)». La foi que les Ephésiens avaient donnée à la prédication de l'Evangile était toute nouvelle, et dès que l'Apôtre a connu cette foi, il en rend grâces à Dieu. S'il rendait grâces à un homme d'un bienfait qu'il saurait ou qu'il croirait n'avoir pas été rendu, une telle conduite ne serait plus une action de grâces, mais une flatterie ou une pure dérision. «Ne vous y trompez pas, on ne se moque point de Dieu (2)»; le commencement même de la foi est un don de Dieu, car autrement l'action de grâces rendue à Dieu par l'Apôtre ne serait qu'une ironie et un mensonge. Quoi donc? N'est-ce pas de ce commencement de la foi que l'Apôtre rend grâces à Dieu dans son épître aux Thessaloniciens? Ecoutons-le: «C'est pourquoi, nous aussi, nous rendons à Dieu de continuelles actions de grâces, de ce qu'ayant entendu la parole de Dieu que nous vous prêchions, vous l'avez reçue, non comme étant la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu'elle l'est véritablement, la parole de Dieu qui agit en vous et en qui vous croyez (3)». De quoi donc l'Apôtre rend-il grâces à Dieu? N'est-ce point là une folie et un mensonge, si Dieu n'a pas fait ce dont Paul le remercie? Et comme ce ne saurait être ni une folie ni un mensonge, c'est donc Dieu qui est réellement l'auteur de ce dont l'Apôtre le remercie; c'est par un don de Dieu que les Thessaloniciens, après avoir entendu la parole de Dieu prêchée par les Apôtres, ont reçu cette parole, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu'elle l'est véritablement, la parole de


1. Ep 1,13-16 - 2. Ga 6,7 - 3. 1Th 2,13

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Dieu. Dieu agit donc dans le coeur des hommes, par cette vocation selon le décret, et dont nous avons longuement parlé; grâce à cette vocation, ils n'entendent pas en vain la parole de Dieu, mais après avoir entendu l'Evangile, ils se convertissent et ils croient, parce qu'ils regardent cette parole comme étant véritablement, non point la parole des hommes, mais la parole de Dieu.



CHAPITRE XX. DIEU AGIT SURTOUT EN VUE DE NOTRE BONHEUR ÉTERNEL.


40. Que le commencement de la foi dans les hommes soit un don de Dieu, c'est ce qui résulte clairement de ces paroles de l'Apôtre aux Colossiens: «Persévérez et veillez dans la prière, en l'accompagnant d'actions de grâces; priez aussi pour nous, afin que, Dieu nous ouvre une entrée pour prêcher sa parole et pour annoncer le mystère de Jésus-Christ pour lequel je suis dans les liens, et que je le découvre aux hommes comme je dois le leur découvrir (1)». Comment donner une entrée à la parole, si ce n'est en Ouvrant les sens de l'auditeur afin qu'il croie, et qu'après avoir ainsi reçu le commencement de la foi, il embrasse avec ardeur tous les enseignements propres à fonder l'édifice d'une salutaire doctrine? au contraire, si son coeur se forme par l'incrédulité, il réprouvera et rejettera ce qu'il lui sera donné d'entendre. De là ces paroles de l'Apôtre aux Corinthiens: «Je demeurerai à Ephèse jusqu'au jour de la Pentecôte;car Dieu m'y ouvre visiblement une grande porte et il s'y élève contre moi plusieurs ennemis (2)». Ce langage signifie clairement que la prédication de l'Apôtre avait converti à la foi un grand nombre d'hommes, tandis que beaucoup d'autres s'étaient posés en adversaires de cette même foi, selon cette parole du Sauveur: «Personne ne vient à moi qu'il n'en ait reçu la grâce de mon Père (3)»; et encore: «Il vous a été donné de connaître le mystère du royaume des cieux; tandis que les autres n'ont pas reçu cette connaissance (4)». Par conséquent la porte est ouverte dans tous ceux à qui Dieu en a fait la grâce; tandis, que c'est


1 Col 4,2-4 - 2. 1Co 16,8-9 - 3. Jn 6,66 - 4. Mt 13,11

parmi ceux à qui il ne l'a pas faite que l'on rencontre les nombreux adversaires de la foi.


41. Nous lisons également dans la seconde épître aux Corinthiens: «Etant venu à Troade pour prêcher l'Evangile de Jésus-Christ, quoique le Seigneur m'y eût ouvert une porte, je n'eus point l'esprit en repos, parce que je n'y rencontrai point mon frère Tite; je pris donc congé d'eux et me dirigeai vers la Macédoine». De qui prit-il congé, si ce n'est de ceux qui avaient cru, et dans le coeur desquels une porte s'était ouverte à la prédication de l'Evangile? Remarquez ce qui suit: «Du reste, je rends grâce si Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous en tous lieux l'odeur de la connaissance de son nom. Car nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ; soit à l'égard de ceux qui se sauvent, soit à l'égard de ceux qui se perdent; aux uns une odeur de mort qui les fait mourir, et aux autres une odeur de vie qui les fait vivre». Voilà dans quel but ces actions de grâces rendues par ce courageux soldat, par cet invincible défenseur de la grâce; il rend grâces, parce que les Apôtre sont devant Dieu la bonne odeur de Jésus Christ, soit à l'égard de ceux qui se sauvent, soit à l'égard de ceux qui se perdent sous les coups du jugement de Dieu. Comme cette pensée pourrait dépasser les limites de certaines intelligences, il s'abaisse jusqu'à elle et s'écrie: «Qui donc est capable d'un ministère (1)?» Mais revenons à cette porte ouverte, sous la figure de laquelle l'Apôtre nous désigne le commencement de la foi dans les auditeurs. Ces paroles: «Priez aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre une entrée pour prêcher sa parole», ne prouvent-elle pas jusqu'à la dernière évidence que le commencement de la foi est un don de Dieu? Puisque nous lui demandons ce commencement, c'est donc parce qu'il lui appartient nous l'accorder. Ce don céleste était descend sur cette teinturière de pourpre, à laquelle selon le langage des Actes des Apôtres, «Il avait ouvert l'intelligence, et elle prêta une vive attention à toutes les paroles formulées par l'Apôtre (2)». C'est ainsi qu' elle était appelée afin qu'elle crût. Car Dieu agit comme il le veut dans le coeur des hommes,


1. 2Co 2,12-16 - 2. Ac 16,14

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soit en leur aidant par sa grâce, soit en les frappant dans sa justice, afin que par eux s'accomplisse ce qu'il a prévu dans sa puissance et son décret éternel (1).


42. Nous appuyant sur le Livre des Rois et celui des Paralipomènes, nous avons prouvé que Dieu, quand il veut que telle chose soit faite par la libre volonté des hommes, incline lui-même cette volonté (2), et opère d'une manière aussi sûre qu'admirable le vouloir et le faire. Or, nos adversaires prétendent que cette démonstration n'a rien à faire dans le sujet qui nous occupe (3). N'est-ce pas là de leur part ne rien dire et cependant contredire? Peut-être cependant, à l'appui de leur manière de voir, vous auraient-ils donné quelque raison que vous avez cru devoir taire dans votre lettre. Quelle peut être cette raison, j'avoue que je l'ignore entièrement. Serait-ce parce que nous avons montré le Seigneur agissant dans le coeur des hommes et les amenant à la réalisation du décret porté par lui d'appeler au trône Saül et David? Or, ils prétendraient que ces exemples ne sont ici d'aucune application, puisqu'il s'agit de choses purement temporelles, tandis que nous traitons du royaume éternel. Il suivrait de là que Dieu peut incliner les volontés humaines quand il s'agit des trônes de la terre, tandis qu'il s'abstiendrait absolument de les incliner quand il s'agit de les faire parvenir au royaume éternel. Pourtant n'ai-je pas le droit de soutenir que c'est en vue, non.pas du royaume de la terre, mais du royaume du ciel, qu'il a été dit: «Inclinez mon coeur vers vos enseignements (4); le Seigneur dirige les pas de l'homme, et il voudra sa voie (5); c'est le Seigneur qui dispose la volonté (6); que notre Dieu soit avec nous comme il était avec nos pères; qu'il ne nous abandonne pas et ne se s détourne point de nous; qu'il incline vers lui nos coeurs afin que nous marchions dans a toutes ses voies (7); je leur donnerai un coeur a capable de me connaître et des oreilles pour m'entendre (8); je leur donnerai un autre coeur et un esprit nouveau (9)». Que nos adversaires écoutent ces autres paroles: «Je vous donnerai un esprit nouveau, et je ferai en sorte que vous marchiez dans mes commandements et que vous observiez mes


1. Ac 4,28 - 2. 1S 10,26 1Ch 12,18 - 3. Lettre d'Hilaire, n. 7. - 4. Ps 118,36 - 5. Ps 36,23 - 6. Pr 8 selon les Sept. - 7. 1R 8,57-58 - 8. Ba 2,31 - 9. Ez 11,19

préceptes (1); les pas de l'homme sont dirigés par le Seigneur, comment donc un simple mortel peut-il comprendre ses voies (2)? Tout homme se croit juste, mais c'est Dieu qui dirige les coeurs (3); tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle ont embrassé la foi (4)». Qu'ils méditent enfin tous les autres passages que je ne puis citer, et qui prouvent clairement que Dieu prépare et conduit la volonté des hommes au royaume des cieux et à la vie éternelle. D'ailleurs ne serait-ce pas le comble de l'absurdité de croire que Dieu dispose les volontés des hommes à la possession des royaumes de la terre, tandis que pour la possession du royaume des cieux l'homme seul a sur sa propre volonté un empire absolu?



CHAPITRE XXI. CONCLUSION.


43. J'ai longuement insisté sur le sujet qui nous occupe, j'ai formulé tous les arguments qui m'ont paru les plus capables de produire la conviction dans les esprits, et cependant je crois sentir que tous ne sont pas encore pleinement persuadés, et que plusieurs ne sont pas encore satisfaits. Il ne me reste donc plus qu'à réclamer leur indulgence; car nous nous sommes vus engagés dans une question jusque-là fort peu connue. Dans nos précédents ouvrages, nous croyions avoir prouvé par des témoignages aussi nombreux qu'irréfutables que la foi est un don de Dieu. Or, il est arrivé qu'aux yeux de certains adversaires ces mêmes témoignages ne prouvaient qu'une seule chose, à savoir que l'accroissement seul de la foi est un don de Dieu; tandis que le commencement de la foi, ce premier pas de l'homme vers la religion de Jésus-Christ, ne relevait que de l'homme lui-même, n'était nullement un don de Dieu, et devenait la condition première et absolue de tous les dons que Dieu peut nous faire. Ces dons, par là même, ne sont donc pas gratuits; et s'ils ne sont pas gratuits, c'est en vain qu'on voudrait les regarder comme une grâce. Qui ne voit l'absurdité d'une telle conclusion, et pour nous l'absolue nécessité de prouver que le commencement même de la foi est un don de Dieu? Si les considérations auxquelles j'ai cru devoir me livrer paraissent trop longues à


1. Ez 36,27 - 2. Pr 20,24 - 3. Pr 21,2 - 4. Ac 13,48

ceux mêmes que je voulais convaincre, je suis tout disposé à agréer leurs reproches; mais du moins, malgré la longueur de cette discussion, malgré le dégoût et l'ennui qu'elle a pu inspirer à ceux qui ont l'intelligence des vérités catholiques, je demande qu'ils me rendent le témoignage d'avoir obtenu le but que je voulais atteindre, et qui consistait à prouver que le commencement de la foi est un don de Dieu, de la même manière et an même titre que la continence, la patience, la justice, la piété et les autres vertus sur lesquelles le doute ne saurait être possible. Fermons donc ici ce livre, dans la crainte que de plus longs développements ne fatiguent et n'ennuient le lecteur.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE XIX. DIEU OPÈRE EN NOUS LE COMMENCEMENT MÊME DE LA FOI.