Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXVAUTRE CHOSE EST LE BAPTÊME, AUTRE CHOSE LA CONVERSION DU COEUR.
32. Tout ce qui précède nous prouve clairement qu'autre chose est le sacrement de baptême, autre chose est la conversion du coeur. Ces deux choses concourent à la fois an salut de l'homme; cependant l'absence de l'une ne prouve pas nécessairement l'absence de l'autre, car si la conversion du coeur manque aux enfants, le sacrement a manqué au bon larron, et Dieu supplée dans les uns et dans les autres ce qui leur manque par un pur effet de la nécessité, et non de leur volonté. A.u contraire, si c'est volontairement que l'une de ces deux conditions leur fait défaut, les péchés ne leur sont point remis. Le baptême peut se trouver là où il n'y a aucune conversion du coeur; d'un autre côté, il peut y avoir conversion du coeur là où le baptême fait défaut; mais si c'est par l'effet du mépris qu'il fait défaut, aucune conversion du coeur ne peut plus être admise. Comment, en effet, supposer qu'il y a conversion du coeur vers Dieu, quand le sacrement de Dieu est formellement méprisé? C'est donc en toute justice que nous blâmons, anathématisons, détestons et réprouvons la perversité de coeur des hérétiques; toutefois, s'ils n'ont pas ce qui peut rendre ce sacrement utile, ce n'est pas un motif pour en conclure que le sacrement évangélique ne leur a pas été conféré. «Quand donc ils reviennent à la foi et à la vérité, quand ils font pénitence et implorent le pardon de leurs fautes, nous ne les trompons ni ne les séduisons, lorsque, après les avoir corrigés et réformés» dans tout ce qui constituait leur perversité, «nous leur prodiguons les enseignements divins pour les conduire au ciel». Ce qu'ils ont intégralement conservé, nous ne le violons pas; et malgré les vices que nous pouvons trouver dans l'homme, nous nous abstenons avec soin d'invalider ou de déclarer vicieux le sacrement qu'ils ont reçu de Dieu.
33. Quelques points seulement nous restent à examiner dans la lettre de Jubaianus. Mais il y est question de l'ancienne coutume de l'Eglise et du baptême de Jean, et comme ce baptême présente de graves difficultés à ceux qui n'apportent point dans ces matières un examen assez sérieux, comme il leur paraît étrange que les Apôtres aient commandé le baptême de Jésus-Christ à ceux qui auraient déjà reçu le baptême du Précurseur (Ac 19,3-5), nous devons ici procéder avec toute l'attention possible; et comme ce livre est déjà d'une certaine étendue, nous continuerons dans le livre suivant la réfutation que nous avons commencée.
Ce livre traite de la fin de l'épître de Cyprien à Jubaianus, de son épître à Quintes, de sa synodique adressée aux évêques de Numidie et de son épître à Pompeïus
1. C'est le témoignage du bienheureux Cyprien lui-même que nous invoquons pour prouver l'antiquité de cette coutume de l'Eglise catholique de ne point réitérer le baptême à ceux des hérétiques ou des schismatiques qui demandent à entrer dans l'unité, quand, d'ailleurs, il est certain qu'ils ont reçu ce sacrement selon la forme évangélique. Cette question fut imposée à ce saint évêque par ceux de ses frères qui cherchaient la vérité ou qui combattaient pour la vérité. Dans le cours des discussions qu'il souleva pour prouver qu'il fallait réitérer le baptême aux hérétiques, et auxquelles nous avons déjà répondu, il se posa à lui-même cette objection: «Quelle conduite tenir à l'égard de ceux qui précédemment ont quitté l'hérésie pour entrer dans l'Eglise et y ont été reçus sans aucune réitération du baptême (Cyp., Lettre LXXII1,à Jubaianus)?» Ces quelques paroles réduisent à néant tout ce système des Donatistes, contre lequel la lutte est engagée. En effet, supposé que ces hérétiques si facilement reçus dans l'Eglise, fussent réellement sans baptême et sans aucune justification de leurs péchés, comme il est certain qu'ils furent en communion soit avec les catholiques antérieurs à Cyprien, soit avec Cyprien lui-même, de deux choses l'une: ou bien l'Eglise avait péri souillée qu'elle était par son contact avec ces pécheurs publics, ou bien l'unité elle-même n'est nullement compromise par le mélange, dans son sein, des bons et des méchants. Or, nos adversaires ne peuvent admettre que l'Eglise ait péri pour s'être mise en communion avec ceux qui, selon la parole de Cyprien, furent reçus par elle sans aucune réitération du baptême. Car si l'Eglise eût péri à cette époque, à quelle source les Donatistes auraient-ils pris naissance? Plus de quarante ans s'écoulèrent entre le martyre de Cyprien et cette combustion des livres sacrés, laquelle leur a fourni le thème favori de leurs calomnies et l'occasion de faire schisme contre l'Eglise. Les fastes consulaires sont là pour confirmer cette observation.Le seul parti qui leur reste à prendre, c'est donc d'avouer que l'unité de l'Eglise de Jésus-Christ n'est point souillée par la présence, dans son sein, de ces pécheurs même connus. Mais faire cet aveu, c'est se mettre dans l'impuissance absolue de justifier leur séparation d'avec toutes ces églises de l'univers dont l'origine remonte aux temps apostoliques. Si donc les chrétiens dont nous parlons, n'ont point péri pour être restés en communion avec des pécheurs, comment ne pas,conclure que les Donatistes, qui n'auraient pas péri davantage en demeurant dans l'unité, du moment qu'ils se sont séparés et qu'ils ont rompu le lien de la paix, n'ont pu trouver, dans le schisme, qu'une perte infaillible? Toute séparation qui ne peut se justifier par des raisons suffisantes, n'est-elle pas manifestement un schisme sacrilège? Or, si les pécheurs connus comme tels ne souillent pas les bons dans l'unité, quel motif peuvent-ils alléguer pour justifier leur séparation? D'un autre côté, nous affirmons que la présence des méchants ne souille pas les bons dans l'unité, et nous en donnons comme preuve ces paroles de Cyprien, parlant de ceux «qui précédemment étaient «passés de l'hérésie à l'Eglise et y avaient été «reçus sans aucune réitération du baptême». Pourtant si ces transfuges n'étaient point baptisés, ils restaient coupables de tous leurs crimes et de tous leurs sacrilèges; et si dans cet état ils n'ont pu souiller et détruire la sainteté de l'Eglise, ne doit-on pas conclure que cette Eglise ne saurait périr par son contact avec les méchants? Par conséquent, s'ils acceptent comme vraie la parole de Cyprien, le premier accusateur de leur schisme, c'est Cyprien lui-même; mais s'ils prétendent que (130) Cyprien est dans l'erreur, qu'ils cessent donc d'invoquer son témoignage dans la question du baptême.
2. Mais pour le moment nous n'avons à discuter qu'avec Cyprien lui-même; continuons donc et imitons son amour de la paix. «On me demande», dit-il, «quelle conduite on doit tenir à l'égard de ceux qui précédemment sont venus de l'hérésie à l'Eglise et y ont été reçus sans aucune réitération du baptême?» Il répond: «Dieu, dans sa miséricorde, est tout-puissant pour pardonner et pour faire participer aux bienfaits de son Eglise ceux qui se sont endormis du sommeil des justes, après avoir été réintégrés dans l'Eglise sans la réitération du baptême». Il a eu raison d'admettre en principe que la charité de l'unité peut couvrir la multitude des péchés. Dès lors que ces hérétiques avaient reçu le baptême, Cyprien se trompait en enseignant avec quelques-uns de ses collègues la nécessité de réitérer le baptême, mais la charité de l'unité couvrait cette erreur, tant qu'elle resta une tentation humaine et ne devint pas une dissension diabolique. Tout ce qu'ils devaient faire, c'était d'attendre que Dieu leur révélât le véritable enseignement catholique (Ph 3,15) . Malheur donc à ceux qui, sacrilègement séparés de l'unité, réitèrent le baptême déjà conféré par des catholiques ou par des schismatiques! Et si l'on prétend que le baptême n'est conféré que dans l'Eglise catholique, qu'est-ce que devient leur baptême? Soit donc qu'ils rebaptisent ou qu'ils ne baptisent pas, ils ne sont point dans les liens de l'unité et ont besoin pour se guérir des remèdes les plus efficaces. De notre côté, si nous admettons les hérétiques sans les rebaptiser, nous sommes du nombre de ceux que Cyprien croyait dignes de pardon pour sauvegarder l'unité. Mais comme je crois l'avoir suffisamment prouvé dans les livres précédents, les hérétiques, malgré leur perversité, peuvent posséder le baptême chrétien dans toute son intégrité; si tous ceux qui à cette époque réitéraient le baptême ont pu continuer à appartenir à l'unité, comment ne pas admettre que leur amour pour la paix ait pu leur procurer le pardon, comme l'ont obtenu tous ceux qui, après avoir été admis dans l'Eglise sans aucune réitération du baptême, ont eu le privilège, selon saint Cyprien lui-même, de participer à tous les bienfaits de l'Eglise? D'un autre côté, s'il est certain que ni les hérétiques ni les schismatiques ne possèdent le baptême de Jésus-Christ; s'il est certain ensuite qu'ils peuvent être admis dans l'Eglise et obtenir la rémission de leurs propres péchés en dehors de toute réitération de ce sacrement, comment prétendre que ceux qui appartiennent à l'unité se trouvent souillés par les péchés d'autrui? Si le lien de la paix, selon le même Cyprien, jouit d'une puissance aussi grande, comment supposer que ceux qui refusent de quitter l'unité soient souillés par les péchés d'autrui, quand, sans avoir reçu le baptême, il suffit de passer de l'hérésie à l'unité pour obtenir la rémission de ses propres pêchés?
3. Saint Cyprien continue en ces termes: «Parce que l'on s'est trompé une fois, il n'est point à dire que l'on se trompera toujours: n'est-ce point le propre des hommes sages et craignant Dieu d'obéir librement et promptement à la vérité, quand elle leur est connue et manifestée, plutôt que de combattre obstinément contre leurs frères et leurs collègues en faveur des hérétiques?»Ce langage est plein de justesse, et résister à l'évidence de la vérité c'est d'abord se poser en ennemi de soi-même. Or, de tout ce qui précède, on peut, je crois, conclure sans aucune hésitation que le baptême de Jésus-Christ ne peut être violé par la perversité des hérétiques, soit qu'ils confèrent ce sacrement, soit qu'ils le reçoivent. En admettant même que cette conclusion ne soit pas évidente, du moins paraîtra-t-elle assez probable aux yeux de quiconque réfléchira quelque peu, même malgré lui, à tout ce quia été dit précédemment. Bien loin donc de résister à l'évidence, nous combattons pour la vérité telle qu elle nous apparaît; et si enfin on trouve encore cette prétention exagérée de notre part, ceux mêmes qui ne regardent pas encore la question comme résolue, voudront bien admettre (131) que, du moins, nous cherchons la vérité. Dans cette dernière hypothèse, en admettant que nous soyons dans l'erreur, on admettra que si nous recevons ceux qui ont été baptisés par les hérétiques, nous le faisons avec la même simplicité que le faisaient nos prédécesseurs quand ils recevaient ceux que Cyprien juge dignes de pardon par égard pour l'unité. J'ai suffisamment prouvé que le baptême de Jésus-Christ peut ne rien perdre de son intégrité, quoiqu'étant conféré à des hommes mal disposés au point de vue de la conduite ou de la doctrine, soit qu'ils paraissent appartenir à l'unité, quoiqu'en réalité ils ne soient pas membres de la colombe unique, soit qu'ils aient rompu avec l'Eglise et appartiennent manifestement au schisme. Par conséquent, ceux qui le réitéraient à l'époque dont nous parlons, grâce à la charité de l'unité, étaient aussi dignes de pardon que pouvaient l'être ceux qui, selon saint Cyprien, furent admis dans l'Eglise sans aucune réitération du baptême. Par là même tous ceux qui sans un motif suffisant se sont séparés de la charité de l'unité, ont perdu tout droit à l'indulgence; et quel motif pourraient-ils alléguer, puisque, selon saint Cyprien lui-même, les bons dans l'unité ne sont nullement souillés par la compagnie des méchants? Les schismatiques, voilà donc ceux qui se trouvent évidemment dans un état de perdition, lors même qu'ils ne réitéreraient pas le baptême après l'Eglise catholique. Mais alors de quel supplice ne sont pas dignes ceux qui, n'ayant pas le baptême, c'est là du moins l'opinion de Cyprien, voudraient le réitérer aux catholiques qui déjà le possèdent, ou bien ceux qui, possédant ce sacrement, et l'évidence prouve que les hérétiques le possèdent, osent accuser l'Eglise catholique de ne pas le posséder?
4. Je rappelais tout à l'heure que c'est uniquement avec Cyprien que je discute. Or, s'il était là, je suis persuadé qu'il ne m'accuserait pas «de combattre obstinément contre des frères et des collègues, en faveur des hérétiques»; il ne désapprouverait nullement, je crois, les raisons que nous faisons valoir pour prouver que, malgré la perversité de leur erreur, les hérétiques possèdent le baptême de Jésus-Christ dans toute sa sainteté et toute son intégrité. Il convient lui-même, et de quel poids n'est point pour nous un semblable témoignage, que l'ancienne coutume était de recevoir les hérétiques sans leur réitérer le baptême. Néanmoins, si quelqu'un soutient encore que ce sacrement doit toujours être réitéré aux hérétiques, qu'il ait du moins pitié de ceux qui ne peuvent partager son opinion à cause des nombreuses contradictions qu'elle renferme, et qu'il les traite comme furent traités précédemment les évêques et les prêtres qui se crurent autorisés à admettre dans les rangs de l'unité-, à la seule condition de répudier leur erreur, tous ceux qui avaient reçu le baptême dans l'hérésie, et avec lesquels ils purent opérer leur salut, grâce à la puissante efficacité des liens de l'unité.Pour peu que l'on considère attentivement l'antique coutume de l'Eglise, l'imposante autorité du concile général sanctionnant cette coutume, les nombreux témoignages des divines Ecritures, les arguments que nous fournissent les écrits de Cyprien, et les raisons sur lesquelles s'appuie cette vérité, on comprend facilement que le baptême de Jésus-Christ, consacré par les paroles évangéliques, ne peut être invalidé ni par la perversité du ministre ni par celle du sujet. Soyons également persuadés que, grâce au lien de l'unité, ceux qui partagèrent l'opinion contraire sans blesser la charité catholique, ont pu faire leur salut éternel. Enfin, restons sincèrement convaincus que ni la zizanie ni la paille n'ont pu souiller, dans l'unité de l'Eglise répandue sur toute la terre, ceux qui ont eu la volonté sincère de devenir le bon grain; d'où il suit que nulle cause sérieuse n'a jamais pu les autoriser à se séparer de l'unité par un divorce sacrilège. Toutes ces conclusions s'imposent à nous dans toute leur évidence, soit qu'on partage l'opinion de Cyprien, soit qu'on s'en tienne à la coutume de tout temps observée par l'Eglise universelle, Par conséquent les schismatiques déclarés suivent une voie sacrilège qui ne saurait les conduire au salut; et quant aux sacrements divins qu'ils tiennent de la libéralité du seul époux légitime, dans cet état, ce n'est point pour leur salut qu'ils les possèdent, mais pour leur éternelle confusion. (132)
CHAPITRE V.LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME SOULÈVE UNE RÉPULSION UNIVERSELLE.
5. Supposé que des hérétiques, renonçant sincèrement à leur erreur, prennent la résolution de revenir à l'Eglise, parce qu'ils sont persuadés qu'il n'y a de baptême possible pour eux que dans l'Eglise catholique; nous n'aurions nullement le droit de consentir à la réitération de ce sacrement. Tout ce que nous devrions faire, ce serait de leur rappeler que l'intégrité du baptême ne peut être d'aucune utilité à leur perversité, s'ils refusent de se convertir; que d'ailleurs l'intégrité de ce sacrement n'a subi aucune atteinte de leur perversité, tant qu'ils n'ont pas voulu se corriger; et enfin que ce n'est point parce qu'ils veulent se corriger qu'ils peuvent recevoir un meilleur baptême. Qu'ils s'empressent donc de renoncer à leur situation criminelle, et aussitôt ce qui n'était pour eux qu'un titre de plus à l'éternelle damnation, deviendra le principe efficace de leur salut. En présence d'une semblable doctrine, ils désireront le salut dans l'unité catholique; ils cesseront de s'attribuer un sacrement qu'ils ne tiennent que de Jésus-Christ et cesseront de confondre avec leur erreur personnelle le sacrement de vérité qu'ils portent en eux-mêmes.
6. Ajoutons que par l'effet d'une mystérieuse inspiration de Dieu, les hommes éprouvent toujours je ne sais quelle répulsion dès qu'il s'agit de réitérer le baptême, quelque part qu'il ait été reçu précédemment. Ce n'est pas non plus sans se frotter le front et sans manifester un vif mécontentement que les hérétiques eux-mêmes sont mis en demeure de discuter cette réitération. Enfin, il n'est pas jusqu'aux laïques les plus invétérés dans la secte et les plus indisposés contre l'Eglise catholique, qui n'avouent hautement que cette question est, entre toutes, celle qui leur déplaît davantage. Plusieurs, attirés vers le schisme par l'espérance de quelques avantages temporels, ou pour échapper à tels désagréments, savent manoeuvrer en secret afin d'obtenir comme une précieuse faveur le privilège personnel de ne pas être rebaptisés. Il en est également un grand nombre qui, après s'être laissé séduire et tromper par toutes les calomnies et toutes les accusations lancées contre l'Eglise, refusent cependant de se jeter dans le schisme, uniquement pour ne pas être rebaptisés. Effrayés de cette impression qu'ils rencontrent dans tous les hommes, les Donatistes ont cru devoir accepter le baptême conféré par ces mêmes Maximianistes qu'ils avaient condamnés, garder le silence et étouffer leur haine, plutôt que de réitérer le baptême à ces multitudes Mustitaniennes et Assuritaniennes auxquelles ils firent l'accueil le plus empressé, ainsi qu'à Félicianus, à Prétextat et à tant d'autres contre lesquels ils avaient lancé l'anathème.
7. Comme de tels faits n'arrivent que rarement, et à de grandes distances, ils inspirent moins d'horreur. Mais je suppose que l'on réunisse en un seul lieu tous ceux qui, soit en danger de mort, soit dans les solennités de Pâques, ont été baptisés par les Maximianistes, et qu'on leur commande de recevoir de nouveau le baptême, sous prétexte que celui qu'ils ont reçu dans le schisme est radicalement nul, qu'arriverait-il? A quelles récriminations ne les verrions-nous pas se livrer dans l'obstination de leur erreur? contre l'éclat et la chaleur de la vérité n'opposeraient-ils pas le vain fantôme de leur constance pour cacher la rigueur et le froid de leur endurcissement? Assurément, ils ne toléreraient pas cette réitération du baptême; ceux mêmes qui voudraient l'entreprendre reculeraient devant la multitude de ces réitérations à opérer, surtout qu'il leur faudrait également rebaptiser les Primianistes, dont plusieurs avaient été baptisés dans la secte de Maximien, et dont le baptême avait été ratifié sans aucune observation, dès qu'on eût entrevu quelque chance de détruire la secte. Quoi qu'il en soit, je suis persuadé que les Donatistes ne renonceraient pas à cette réitération, s'ils ne sentaient pas qu'en l'exigeant ils soulèveraient contre eux une horreur si violente, que tout doit céder devant elle, voire même la honte d'une contradiction. Pour moi, je me garderais bien de soutenir que nous devons reculer devant une impression purement humaine, si la vérité nous faisait un devoir de rebaptiser tous ceux qui passent de l'hérésie dans l'Eglise. Mais, entendant (133) saint Cyprien s'écrier «que le moyen le plus «puissant de contraindre les hérétiques de revenir à l'unité, c'était de leur réitérer le baptême dans l'Eglise catholique», j'ai cru devoir rappeler toute l'horreur qu'inspire aux hommes cette manière de procéder; je tenais à dire que Dieu seul a pu imprimer cette horreur dans l'esprit des hommes, puisqu'elle seule suffirait pour justifier la conduite de l'Eglise de toutes ces attaques auxquelles les faibles ne sauraient répondre.
8. Ces mêmes paroles de Cyprien m'obligent à ajouter d'autres observations absolument nécessaires à la solution de la question. «Si», dit-il, «dans notre enseignement et dans «notre manière d'agir nous laissons croire «aux hérétiques que leur baptême est juste «et légitime, ils s'empresseront de conclure «qu'ils possèdent justement et légitimement «l'Eglise et les autres bienfaits de l'Eglise». Il ne dit pas des hérétiques qu'ils penseront posséder les trésors de l'Eglise; mais qu'ils penseront «les posséder justement et légitimement». De notre côté, nous affirmons qu'ils ne possèdent le baptême ni justement ni légitimement; quant à la possession elle-même, nous ne pouvons la leur refuser, puisque nous reconnaissons partout et toujours le sacrement du Seigneur dès qu'il est conféré dans la forme évangélique. Ils ont donc le baptême légitime, mais ils ne l'ont pas légitimement. Ce n'est que dans l'unité catholique et par une conduite vraiment chrétienne que l'on possède légitimement le baptême légitime. Au contraire, celui qui, dans l'Eglise catholique, ressemble à la paille mêlée au froment, et celui qui, en dehors de l'Eglise, ressemble à la paille emportée par le vent, possèdent, il est vrai, le baptême légitime, muais ils ne le possèdent pas légitimement. Ils le possèdent comme ils en usent; or, ce n'est pas- en user légitimement que d'en user contre la loi, comme en usent tous ceux qui, après avoir été baptisés, vivent avec le péché, soit dans l'unité, soit dans le schisme.
9. Parlant de la loi, l'Apôtre a dit: «La loi est bonne, pourvu qu'on en use légitimement (1Tm 2,8)»; on peut également dire du baptême: Le baptême est bon, pourvu qu'on en use légitimement. De même que ceux qui n'usaient pas légitimement de la loi, ne faisaient pas que la loi cessât d'être bonne ou même d'exister; de même n'arrivera jamais à faire que le baptême cesse d'être bon ou même d'exister quiconque n'en use pas légitimement, soit parce qu'il vit dans l'hérésie, soit parce qu'il se livre au désordre des moeurs. Voilà pourquoi, s'il se convertit à l'unité catholique ou à une conduite digne de ce sacrement, il ne commence pas à avoir un autre baptême légitime, mais à user légitimement de celui qu'il possède. Quant à la rémission définitive des péchés, elle ne suit le baptême qu'autant qu'il est légitime et surtout qu'on le possède légitimement. Dans le cas contraire, ou bien les péchés ne seront pas remis, ou bien ils revivront aussitôt après le baptême, et cependant, on ne saurait en conclure ou que le baptême est mauvais, ou bien qu'il est nul dans celui qui l'a reçu. De même que Judas a fourni au démon l'entrée de son coeur, non pas en recevant un mauvais sacrement, mais en recevant dans de mauvaises dispositions le sacrement qui lui était donné par le Sauveur lui-même (Jn 13,27); de même celui qui reçoit indignement le sacrement du Seigneur ne rend pas ce sacrement mauvais parce qu'il est mauvais lui-même; ou bien parce qu'il le reçoit d'une manière inutile au salut, il ne s'ensuit pas qu'il ne reçoit absolument rien. En effet, le corps et le sang du Seigneur étaient réellement conférés à ceux que l'Apôtre apostrophait en ces termes: «Celui qui mange indignement le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation (1Co 11,29)». L'important n'est donc pas de savoir ce que les hérétiques ont de commun avec l'Eglise, mais plutôt ce qu'ils n'ont pas, c'est-à-dire la fin du précepte, sans laquelle tout ce qu'ils peuvent avoir conservé de bon n'est pour eux d'aucune utilité. «La fin des commandements, c'est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience (134) et d'une foi sincère (1Tm 1,5)». Quand donc nous pressons les hérétiques de rentrer dans l'unité et dans la vérité de l'Eglise catholique, ce n'est point pour leur conférer un sacrement dont ils conservent, jusque dans l'hérésie, le caractère indélébile, mais pour lever tous les obstacles qui empêchent ce sacrement de produire en eux ses effets salutaires.
10. Voyons maintenant ce que saint Cyprien nous enseigne sur le baptême de saint Jean. «Nous lisons, dans les Actes des Apôtres, que Paul baptisa, ceux mêmes qui avaient reçu le baptême de saint Jean (Ac 19,3-5)». Or, ceci s'explique parfaitement, puisque le baptême du Précurseur n'était point le baptême de Jésus-Christ; ce n'était qu'une cérémonie mystérieuse et sainte, qui n'avait pour auteur saint Jean-Baptiste qu'autant qu'il avait reçu du Sauveur lui-même l'autorisation d'en user, selon cette parole du même Précurseur: «L'homme ne peut recevoir que ce qui lui vient du ciel (Jn 3,27)» Et comme on aurait pu croire que ce droit lui avait été conféré par le Père et non par le Fils, c'est de Jésus-Christ qu'il prononce cette belle parole: «Nous avons tous reçu de sa plénitude (Jn 1,16)». Or, par l'effet d'une grâce spéciale, saint Jean reçut le pouvoir d'établir cette cérémonie, non point d'une manière permanente, mais comme moyen de préparer les voies du Seigneur et d'accomplir ses glorieuses fonctions de Précurseur. De son côté, voulant entrer dans la vie publique par un acte de profonde humilité et laisser à la postérité un exemple éclatant de cette précieuse vertu, le Sauveur voulut recevoir le baptême de son serviteur (Mt 3,13), comme plus tard il s'abaissa jusqu'à laver les pieds à ses Apôtres (Jn 13,4-5). C'est ainsi qu'il se prosterna aux pieds de ceux qu'il dirigeait, comme précédemment il avait voulu recevoir des mains de Jean la grâce même dont il était l'auteur. Quoi de plus propre à faire comprendre à tous les hommes à quel excès d'orgueil sacrilège doit se livrer celui qui méprise le baptême du Seigneur, quand le Seigneur lui-même a voulu recevoir de son serviteur ce que celui-ci ne pouvait donner qu'autant qu'il l'avait reçu de celui à qui il le rendait? Si, d'un côté, nous entendons saint Jean, le plus grand parmi les enfants des hommes (Mt 11,11), s'écrier qu'il ne se trouve pas digne de délier les cordons des souliers de Jésus-Christ 2. d'un autre côté, se peut-il parmi les hommes une humilité plus profonde que celle du Sauveur s'abaissant aux pieds du Précurseur pour recevoir de ses mains le baptême? Jésus-Christ, sans doute, y fait éclater les preuves de sa divinité; mais, en même temps qu'il départit la grandeur, il enseigne hautement l'humilité.
11. Nous ne voyons pas dans les saintes Ecritures que tel prophète, que tel homme ait reçu, comme saint Jean, le privilège de baptiser dans l'eau de la pénitence pour la rémission des péchés; entre ses mains, d'ailleurs, cette grâce étonnante n'était qu'un moyen de s'attacher le coeur des multitudes, et de préparer en elles les voies à Celui devant lequel il proclamait hautement son propre néant et sa misère. Par son propre baptême, Jésus-Christ purifie son Eglise, et ce, sacrement une fois donné ne demande plus à être réitéré; quant au baptême prophétique que conférait saint Jean, il ne dispensait pas du baptême du Seigneur; après avoir reçu ce baptême préparatoire, il fallait encore recevoir le baptême de Jésus-Christ. Si le Sauveur n'avait pas vu le besoin de nous laisser l'exemple de sa profonde humilité, le baptême de saint Jean ne nous aurait été d'aucune nécessité; de même si saint Jean eût été la fin de la loi, après le baptême qu'il conférait, nous n'aurions eu aucun besoin du baptême de Jésus-Christ. Mais «Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (Rm 10,4)»; voilà pourquoi le baptême de Jean ne faisait que nous annoncer le baptême de Jésus-Christ; et, arrivés à ce baptême, nous devons y persévérer jusqu'à la fin.Ainsi donc, saint Jean a fait éclater la grandeur de Jésus-Christ, en se posant devant lui comme un néant; et sa profonde humilité, en lui donnant le baptême, comme il l'aurait donné à un inférieur, Toutefois, si saint Jean n'eût baptisé que Jésus-Christ, on aurait pu croire que ce baptême de saint Jean, par là même qu'il était uniquement pour Jésus-Christ, l'emportait sur le baptême de Jésus-Christ, lequel était pour tous les chrétiens; (135) de même s'il était nécessaire de conférer toujours le baptême de saint Jean, avant de conférer celui de Jésus-Christ, ce dernier perdrait de son importance et de son efficacité, puisqu'on pourrait croire que seul il ne suffirait pas au salut. Concluons Le Sauveur a reçu le baptême de saint Jean, afin de confondre toutes les orgueilleuses résistances que les hommes auraient peut-être opposées à son propre baptême; ensuite il n'a pas voulu que ce baptême prophétique ne lui fût conféré qu'à lui seul, dans la crainte que nous ne fussions tentés de croire que ce premier baptême l'emportait sur le second, puisqu'il n'aurait été conféré qu'à l'Homme-Dieu; enfin le baptême de saint Jean devait disparaître, parce qu'on aurait pu croire que le baptême de Jésus-Christ était insuffisant par lui-même, puisqu'il avait besoin d'être précédé par celui du Précurseur.
12. Mais si Je baptême de saint Jean effaçait les péchés, que pouvait conférer de plus le baptême de Jésus-Christ à ceux qui se virent obligés par l'apôtre saint Paul de recevoir le baptême du Sauveur après avoir reçu celui de son précurseur? Et si le baptême de saint Jean n'effaçait pas les péchés, saint Jean n'est-il pas de beaucoup inférieur à ces ministres contemporains du grand évêque de Carthage, et qu'il accuse de s'emparer du bien d'autrui par la ruse et la fraude, et d'accroître leur fortune par de nombreuses usures? De tels ministres ne conféraient-ils pas la rémission des péchés? Dira-t-on qu'ils avaient ce pouvoir parce qu'ils appartenaient à l'unité de l'Eglise? Quoi donc? Est-ce que saint Jean n'appartenait pas à l'unité, lui qui était l'ami de l'Epoux, l'ange envoyé pour préparer la voie du Seigneur, et conférer le baptême à Jésus-Christ lui-même? Le nier, ne serait-ce point le comble de la folie? Je crois donc que saint Jean baptisait dans l'eau de la pénitence pour la rémission des péchés, de telle sorte cependant que les péchés n'étaient remis dans ce baptême que par l'espérance même du baptême de Jésus-Christ, seul capable d'opérer efficacement cette rémission. C'est ainsi que la résurrection que nous n'attendons que pour la fin du monde, est déjà faite en nous par l'espérance, selon cette parole de l'Apôtre: «Il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir avec lui dans le ciel (Ep 2,6)». Le même Apôtre ne dit-il pas ailleurs: «Nous avons été sauvés par l'espérance (Rm 8,24)?» Saint Jean disait de lui-même: «Je vous baptise dans l'eau de la pénitence, pour la rémission des péchés (Mt 3,11)» et apercevant le Seigneur il s'écriait: Voici «l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (Jn 1,29)». Toutefois si quelqu'un s'obstine à croire que le baptême du précurseur effaçait les péchés, et que le baptême de Jésus-Christ conféré à ceux qui étaient déjà baptisés par saint Jean, ne donnait qu'une augmentation de la grâce sanctifiante (Ac 19,3-5), j'y consens et refuse d'engager sur ce point toute discussion belliqueuse.
13. Quoi qu'il en soit du baptême de saint Jean, qu'il nous suffise de constater que le précurseur appartenait à l'unité de Jésus-Christ. Quant à la question particulière qui nous occupe, il nous reste à savoir pourquoi le baptême de saint Jean devait être suivi du baptême de Jésus-Christ, tandis que ce dernier baptême, fût-il conféré par des évêques avares, ne doit jamais être réitéré. On ne saurait douter que dans le champ du Seigneur saint Jean était un véritable froment, rapportant au moins cent pour un, si l'on ne peut rapporter davantage. De même, il est certain que l'avarice, cette autre forme d'idolâtrie, est traitée comme de la paille dans la maison du Seigneur. Pourquoi donc baptiser après le froment, et ne pas rebaptiser après la paille? Si pour avoir baptisé après saint Jean, Paul était meilleur que Jean; pourquoi donc Cyprien n'a-t-il pas baptisé après ses avares collègues qu'il laissait bien loin derrière lui? Dira-t-on qu'il ne baptisait pas après eux, parce qu'il était dans l'unité avec eux? Saint Paul était assurément en communion avec saint Jean; pourquoi donc baptisait-il après lui? Ces hommes injustes et rapaces étaient ils membres de la colombe unique, tandis que ce privilège n'aurait pas appartenu à celui à qui le Saint-Esprit, descendant sous la forme (136) d'une colombe, révéla toute la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Mt 3,16 Jn 1,33)? Disons-le hautement, saint Jean formait avec le Sauveur l'union la plus étroite, tandis que les évêques dont nous parlons avaient cessé d'appartenir à Jésus-Christ, soit par le fait même de leur vie scandaleuse, soit qu'ils fussent réservés à être séparés du froment au jour de la suprême purification; et cependant l'Eglise baptisait après saint Jean et ne baptise pas après ces évêques. Pourquoi cette différence, si ce n'est parce que le baptême que Paul ordonna de recevoir, n'était pas le même que le baptême de saint Jean? Par conséquent le baptême de Jésus-Christ, fût-il conféré par un ministre avare et usurier, ne doit jamais être réitéré, puisqu'il est toujours le baptême de l'unité; au contraire, ceux qui n'avaient reçu que le baptême de saint Jean, devaient encore recevoir le baptême de Jésus-Christ, puisque ces deux baptêmes sont essentiellement distincts.
Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXVAUTRE CHOSE EST LE BAPTÊME, AUTRE CHOSE LA CONVERSION DU COEUR.