Pie XII 1947 - DISCOURS A S. EXC. M. ANTONIO ALVAREZ VIDAURRE, MINISTRE DE SALVADOR
(29 octobre 1947) 1
En ce jour le tribunal inaugurait sa nouvelle année judiciaire et selon la coutume était reçu en audience par le Pape qui profita de cette occasion pour prononcer un discours.2
1 D'après le texte italien des A. A. S., 39, 1947, p. 493 ; traduction française de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 1540.
2 Ce discours fait logiquement suite aux discours prononcés :
le 2 octobre 1945 : L'origine du pouvoir civil et l'origine du pouvoir ecclésiastique sont différentes (cf. le texte italien dans VOsscrvatore Romano du 3 octobre, traduction française dans Ja Documentation Catholique, t. XLIII, COL 1291) ;
le 6 octobre 1946 : La nature des deux pouvoirs et des deux sociétés est différente (cf. le texte italien dans VOsscrvatore Romano des 7 et 8 octobre 1946, traduction française dans la Documentation Catholique, t. XLIII, COL 1185).
Pie XII félicite le tribunal pour son activité.
Il Nous est particulièrement agréable de vous voir rassemblés de nouveau ici, chers fils, et de vous adresser Notre salut reconnaissant, après avoir accueilli des lèvres de votre vénéré doyen 3 le témoignage du travail toujours croissant et ardu, accompli durant l'année qui vient de s'écouler par votre sacré tribunal4.
3 Le Saint-Père, dans ce discours, répond à une adresse prononcée par Son Exc. Mgr Jullien, doyen de la Rote. On trouvera le texte italien de cette adresse dans VOsscrvatore Romano du 31 octobre 1947, traduction française dans la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 1537.
4 Durant l'année 1947, la Rote a prononcé 79 jugements définitifs, 19 jugements confirmant ou infirmant des sentences portées antérieurement par lui, dont une concernant un règlement de droit, 18 relatifs à des nullités de mariage et 60 sentences concernant des cas de mariages. (Cf. pour plus de détails sur cette activité les A. A. S., 40, 1948, p. 186, et Nouvelle Revue Théologique, 1948, p. 767.)
Accusation contre l'Eglise.
Année pour l'Eglise, de réconforts et d'amertumes, de conquêtes et de luttes, au milieu de l'opposition toujours changeante et contradictoire, mais aussi tenace du monde contre elle, suivant la parole du Rédempteur : Si mundus vos odit, scitote quia me priorem vobis odio habuit. « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier » (Jn 15,18).
Ainsi ce qui était hier pour beaucoup un devoir de l'Eglise dont on exigeait d'elle l'accomplissement par des moyens même déplacés, à savoir qu'elle résistât aux injustices des gouvernements totalitaires, oppresseurs des consciences et qu'elle les dénonçât et les condamnât devant le monde (ce qu'elle n'a jamais manqué de faire de sa propre et libre initiative et dans les formes requises), cela est aujourd'hui, pour ces mêmes hommes parvenus au pouvoir, délit et immixtion illicite dans le domaine propre de l'autorité civile. Et les mêmes arguments que les gouvernements tyranniques d'hier opposaient à l'Eglise dans sa lutte pour la défense des droits divins et de la juste dignité et liberté des hommes, sont aujourd'hui utilisés par les nouveaux dominateurs pour combattre sa persévérante action pour la protection de la vérité et de la justice. Mais l'Eglise va droit son chemin, tendant constamment vers la fin pour laquelle son divin Fondateur l'a instituée, c'est-à-dire conduire les hommes par les sentiers surnaturels de la vertu et du bien au bonheur céleste et éternel, favorisant par là en même temps la pacifique et prospère communauté humaine.
Fins diverses de l'Eglise et de l'Etat...
Cette pensée Nous ramène naturellement au troisième point proposé par Nous à votre examen, au cours des deux dernières années. C'est pourquoi, ayant déjà traité des différences entre l'ordre judiciaire ecclésiastique et l'ordre judiciaire civil, en ce qui concerne aussi bien l'origine et la nature que l'objet de l'un et de l'autre, il Nous reste aujourd'hui à parler de la fin essentiellement différente des deux sociétés.
Cette dernière différence, fondée sur la finalité, exclut sans nul doute la soumission forcée et comme l'insertion de l'Eglise dans l'Etat, contrairement à la nature même de l'une et de l'autre, que tout totalitarisme tend, au moins en principe, à réaliser. Cependant elle ne nie certainement pas toute union entre les deux sociétés, et encore moins en vient-elle à créer entre elles une atmosphère froide et dissolvante d'agnosticisme et d'indifférence. Quiconque voudrait entendre ainsi la vraie doctrine que l'Eglise et l'Etat sont des sociétés parfaites, distinctes, tomberait dans l'erreur. Il ne pourrait expliquer les formes multiples, propres au passé et au présent, et génératrices, bien qu'à des degrés différents, d'union entre les deux pouvoirs ; il ne tiendrait pas compte surtout que l'Eglise et l'Etat remontent à la même source, Dieu, et que tous les deux s'occupent du même homme, de sa dignité personnelle, naturelle ou surnaturelle. Notre glorieux prédécesseur Léon XIII ne put ni ne voulut l'oublier lorsque dans son encyclique Immortale Dei, en date du 1er novembre 1885, il fixait clairement, se basant sur leur fin différente, les limites des deux sociétés et il faisait observer qu'il incombe à l'Etat, directement et avant tout, de veiller aux intérêts terrestres, et à l'Eglise de procurer aux hommes les biens célestes et éternels 5 en ce sens que les hommes ont besoin de sécurité et d'appui de la part soit de l'Etat pour les choses terrestres, soit de l'Eglise pour les choses éternelles.
5 Leonis XIII Acta, éd. rom., vol. V, 1886, p. 128.
... mais interdépendance entre elles sous plusieurs rapports.
Ne voyons-nous pas là, sous certains aspects, quelque analogie avec les relations entre le corps et l'âme ? L'un et l'autre agissent conjointement, de façon que le caractère psychologique de l'homme se ressent à tout instant de son tempérament et de ses conditions physiologiques, tandis que vice-versa les impressions morales, les émotions, les passions se reflètent sur la sensibilité physique si puissamment que l'âme modèle aussi les traits du visage, sur lesquels elle imprime, pour ainsi dire, son image.
Chacune de ces deux sociétés doit posséder un pouvoir judiciaire autonome.
Il y a donc entre les deux sociétés cette différence de la fin, différence qui exerce une influence diverse et profonde sur l'Eglise et sur l'Etat, principalement sur le pouvoir suprême des deux sociétés et partant aussi sur le pouvoir judiciaire, lequel n'en est qu'une partie et une fonction. Indépendamment de cette circonstance que les juges ecclésiastiques en soient personnellement conscients ou non, toute leur activité judiciaire est et reste incluse dans la plénitude de vie de l'Eglise avec sa fin sublime : coelestia ac sempiterna bona comparare. Cette finis operis du pouvoir judiciaire ecclésiastique lui donne l'empreinte objective et en fait une institution de l'Eglise comme société surnaturelle. Et parce que cette empreinte provient de la fin ultra-terrestre de l'Eglise, le pouvoir judiciaire ecclésiastique ne tombera jamais dans la rigidité et l'immobilité auxquelles les institutions purement terrestres, par crainte des responsabilités, ou par l'indolence, ou encore par un souci mal compris de protéger le bien, certes élevé, de la sécurité du droit, sont facilement sujettes.
C'est le droit seul qui doit guider les juges...
Cela ne veut pas dire cependant que dans l'ordre judiciaire ordinaire il y ait un champ laissé libre à la seule appréciation du juge dans le traitement de chacun des cas. Les erreurs d'une prétendue « vitalité du droit » sont de tristes produits de notre temps dans le domaine des activités étrangères à l'Eglise. Sans verser dans un anti-intellectualisme aujourd'hui assez répandu, l'Eglise demeure ferme sur le principe : le juge décide dans chaque cas suivant la loi ; principe qui, sans favoriser un « formalisme juridique » excessif dont Nous avons parlé en une autre occasion (1er octobre 1942), repousse cependant cet « arbitraire subjectif » qui en viendrait à placer le juge, non pas au-dessous, mais au-dessus de la loi.
... qui doivent appliquer les règles du droit aux cas présentés...
Comprendre comme il faut la règle juridique dans le sens du législateur, et analyser, comme il convient, chaque cas en lui appliquant la norme qui le concerne, est un travail intellectuel qui constitue une partie essentielle de l'activité judiciaire concrète. Sans cette façon de procéder, la sentence du juge serait un simple commandement et non pas ce que le mot « droit positif » veut exprimer, c'est-à-dire dans chaque cas particulier, et partant concret, mettre de l'ordre dans le monde, lequel a été créé par la sagesse divine, comme formant un tout dans l'ordre et pour l'ordre.
... et à l'édification du bien commun de la société.
Ce domaine de l'activité judiciaire n'est-il pas riche de vie ? Plus encore : la loi ecclésiastique vise au bien commun de la société ecclésiastique, elle est par conséquent inséparablement liée à la fin de l'Eglise. Lors donc que le juge applique la loi aux cas particuliers» il contribue à l'accomplissement parfait de la fin qui anime l'Eglise. Lorsqu'au contraire, il se voit placé en face de cas douteux, ou lorsque la législation lui laisse sa liberté, la connexion de l'ordre judiciaire ecclésiastique avec la fin de l'Eglise l'aidera aussi alors à trouver et à motiver la décision exacte et à préserver sa fonction de la tache du pur arbitraire.
C'est pourquoi, de quelque manière que l'on considère les rapports du pouvoir judiciaire ecclésiastique avec cette finalité, ils apparaissent comme la plus sûre garantie de la vraie vitalité de ses décisions ; et du fait qu'ils revêtent le juge ecclésiastique d'une fonction voulue par Dieu, ils lui inspirent ce sentiment de responsabilité qui constitue aussi dans l'Eglise la protection indispensable, supérieure à tout ordre légal, de la sûreté du droit.
Si les Etats modernes professent la neutralité religieuse, l'Eglise, elle, doit juger selon les normes de la vérité religieuse.
Par là Nous n'entendons aucunement méconnaître les difficultés pratiques que malgré tout la vie moderne occasionne même au pouvoir judiciaire ecclésiastique, plus encore sous certains aspects que dans le domaine civil. Que l'on songe seulement à certains biens spirituels à l'égard desquels le pouvoir judiciaire de l'Etat se sent moins lié ou plutôt reste consciemment indifférent. Typiques sont en ce sens, les cas de délits contre la foi ou de l'apostasie, ceux concernant « la liberté de conscience » et la « tolérance religieuse », comme aussi les procès matrimoniaux. Dans ces cas, l'Eglise, et par conséquent aussi le juge ecclésiastique, ne peuvent adopter l'attitude neutre des Etats de confession religieuse mixte et encore moins celle d'un monde tombé dans l'indifférence religieuse, mais elle doit se laisser guider uniquement par la fin essentielle que Dieu lui a donnée.
Les deux juridictions sont donc nettement différentes.
De cette façon, nous rencontrerons toujours à nouveau la profonde différence que la diversité de la fin détermine entre les pouvoirs judiciaires ecclésiastique et civil. Assurément rien n'empêche que l'un se prévale des résultats obtenus par l'autre, aussi bien dans les connaissances théoriques que dans les expériences pratiques ; toutefois, ce serait une erreur que de vouloir transférer automatiquement les éléments et les normes de l'un à l'autre, et encore plus de vouloir les égaler absolument. Le pouvoir judiciaire ecclésiastique et le juge ecclésiastique n'ont pas à chercher ailleurs leur idéal, mais ils doivent le porter en eux-mêmes ; ils doivent avoir constamment présent à leur regard que l'Eglise est un organisme surnaturel renfermant un principe surnaturel inné, principe qui doit animer et diriger même le pouvoir judiciaire et la fonction du juge ecclésiastique.
Les évêques sont par mandat divin constitués juges dans l'Eglise.
Sont juges dans l'Eglise, en vertu de leur charge et de la volonté divine, les évêques dont l'Apôtre dit qu'ils « ont été constitués par le Saint-Esprit pour gouverner l'Eglise de Dieu » (Ac 20,38). Mais « gouverner » inclut « juger », comme une fonction nécessaire. Donc suivant l'Apôtre, le Saint-Esprit appelle les évêques aussi bien aux fonctions de juge qu'au gouvernement de l'Eglise. C'est pourquoi, du Saint-Esprit découle le caractère sacré de cette fonction. Les fidèles de l'Eglise de Dieu, « acquise par lui au prix de son propre sang », sont ceux auxquels se réfère l'activité judiciaire. La loi du Christ est fondamentalement celle suivant laquelle, dans l'Eglise, les sentences sont prononcées. Le principe vital divin de l'Eglise porte vers sa fin tous les fidèles et tout ce qui est en elle, donc aussi le pouvoir judiciaire et le juge -.coelestia ac sempiterna bona comparare ; procurer les biens célestes et éternels.
Le Tribunal de la Rote est l'organe appelé à juger au nom du Siège apostolique.
C'est pourquoi, vous qui exercez la fonction de juges dans ce tribunal ordinaire du Siège apostolique, soyez conscients de votre singulière dignité. Non dans un esprit de prétention et d'orgueil, mais avec le sentiment humble et simple de l'accomplissement d'un devoir sacré. Alors l'idéal de votre fonction sera revigoré, moins comme fruit de votre propre effort que comme grâce de l'Esprit-Saint.
Mais Notre parole, même dans cette circonstance, veut surtout être l'expression de Notre gratitude pour le travail accompli par vous et spécialement pour l'esprit de sentiment religieux dont il est la claire manifestation. Les âpres critiques contradictoires et procédant de principes opposés — comme celles qu'on a lancées contre vous 6 — sont par elles-mêmes ordinairement un signe que la raison est du côté de celui qui est l'objet de ces critiques ; et comme dans le cas présent cette présomption est confirmée par les statistiques présentées par votre doyen, cela établit aux yeux de tous que le respect consciencieux de la loi de Dieu, la ferme proposition de protéger la vérité et la justice, et cette benignitas et humanitas (Tt 3,4) apportée au monde par le divin Sauveur et propre à ceux qui ont à coeur le salut des âmes, sont vraiment l'étoile polaire qui guide toute votre activité de juges.
Fixez constamment votre regard sur cette étoile, sans vous laisser troubler par les vagues déchaînées des passions humaines et des attaques ennemies, satisfaits et joyeux du témoignage de votre conscience, vous assurant que vous contribuez par votre action à « l'édification du corps du Christ » (Ep 4,12).
En implorant sur vous l'abondance de la grâce divine, fécondatrice de votre travail, Nous vous donnons, chers fils, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
6 De plusieurs côtés la presse, sous la signature d'adversaires de l'Eglise, a reproché au Vatican, d'une part de rompre trop facilement le lien conjugal et d'introduire dans l'Eglise un divorce travesti au profit des riches, et d'autre part, de maintenir une attitude intransigeante concernant l'indissolubilité de ce même lien, alors, dit-on, que celui-ci devient insupportable.
(31 octobre 1947) 1
Des sénateurs américains appartenant à la commission d'immigration venus en Europe ont été reçus en audience par le Saint-Père qui leur a déclaré :
Une commission parlementaire américaine de l'immigration ne peut que rappeler à tous que l'histoire a toujours fourni une preuve irréfutable du fait que les peuples de plusieurs nations et races peuvent vivre en bon voisinage et travailler ensemble dans une société ordonnée, pacifique et prospère. C'est l'histoire de l'ascension et du développement de votre pays. Personne ne peut nier le rôle vital joué dans cette histoire par les immigrants. Forcés de fuir l'Europe, ils trouvèrent au-delà des océans un asile d'une grande générosité et bonne volonté, et en même temps, ils se mirent eux-mêmes au travail, afin d'apporter leur courageuse contribution pour forger une unité nationale enrichie par leurs cultures anciennes et leur vigueur éprouvée. C'est une histoire exaltante et noble.
La question de l'immigration présente toutefois aujourd'hui des problèmes entièrement nouveaux. Comme il faut, en effet, toujours considérer le bien du pays en même temps que l'intérêt des individus qui demandent à y entrer, la nature des choses selon les circonstances dictera parfois des lois de restriction. Mais en d'autres circonstances, la même nature plaidera parfois pour un adoucissement des lois concernant l'immigration. Une sage législation doit toujours tenir compte de l'humanité et des calamités, des détresses et des fléaux qui la frappent.
Votre brève visite en Europe vous a révélé quelques-unes des misères qui frappent l'humanité. Animés par l'esprit de sympathie envers les infortunés et les éprouvés sans espoir, cet esprit qui est une caractéristique de votre peuple, vous chercherez, Nous en sommes certain, les moyens de les soulager pour une bonne part. Nous prions avec ferveur Dieu, afin qu'il vous bénisse vous et vos collègues législateurs, dans vos efforts décidés pour aider les victimes accablées à retrouver force et courage, et par là à ramener l'espoir dans un monde troublé. Que sa bénédiction descende sur tous ceux qui vous sont proches et chers.2
(1er novembre 1947) 1
Répondant à l'adresse d'hommages de S. Exc. M. Nestor V. Galindo, nouvel ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République de Bolivie, venu présenter ses lettres de créance, le Saint-Père prononça, en espagnol, le discours suivant :
C'est une satisfaction particulière pour Nous de recevoir des mains de Votre Excellence les lettres de créance par lesquelles M. le président de la République de Bolivie l'accrédite en qualité d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire près le Saint-Siège.
Vos touchantes paroles Nous exprimant l'amour et la reconnaissance du peuple catholique bolivien et son espoir confiant en les enseignements de la chaire de Pierre, Nous remplissent de la plus profonde consolation et réconfortent Notre coeur dans la dure tâche de chercher, comme le dit si bien Votre Excellence, une paix et une justice qui ne pourront se baser que sur la foi et la charité que Nous prêchons.
Nous comptons pour cela sur la fidèle collaboration de ce noble peuple que vous représentez si dignement, de « cette terre innocente et belle », qui grâce à son esprit chrétien, est arrivée à être, et pourra l'être davantage encore dans le futur, comme vous le chantez dans votre hymne : « L'heureuse patrie où l'homme puisse trouver le bien du bonheur et de la paix ». De cette paix qui ne peut venir seulement de la force militaire des grandes puissances, mais surtout de l'effusion du Saint-Esprit dans les coeurs de bonne volonté de n'importe quelle nation ou race.
Rien ne Nous est plus agréable que de vous promettre Notre
1 D'après le texte espagnol des A. A. S., XXXIX. 1947. d. 498.
aide paternelle, ainsi que vous Nous la demandez pour le futur développement et 'le progrès spirituel de votre bien-aimée patrie et, précisément par ces moyens principaux que Votre Excellence vient de signaler avec tant de clairvoyance comme les plus efficaces pour arriver à ce but : enseignement, famille, missionnaires.
Car, en effet, si la Bolivie fait valoir avec sainte fierté son glorieux titre de catholique, on le doit à ce que ses fils — depuis le temps où Chuquisaca était appelée la Salamanque américaine, étant considérée comme l'un des centres intellectuels les plus lumineux de tout le continent — ont joui de l'heureux privilège de recevoir une éducation et une culture chrétiennes ; on le doit à ce que dans leurs familles on a défendu jalousement, contre des influences étrangères et délétères, la chasteté et la sainteté indestructible du foyer chrétien, tel qu'il fut transplanté de l'austère plaine castillane jusqu'à ces montagnes et à ces vallées ; on le doit enfin, et surtout, à ce que depuis que le premier Espagnol — le dominicain F. Thomas de San Martin — posa ses pieds dans le territoire bolivien, sa colonisation fut toujours accompagnée d'évangélisation et des légions d'héroïques missionnaires arrosèrent de leur sueur et même de leur sang cette terre bénie, si féconde pour le christianisme et si aimée de la Mère de Dieu.
D'accord donc avec les vues si opportunes de Votre Excellence, Notre paternelle sollicitude prêtera toujours la plus ferme assistance, comme elle Nous le demande, à son désir que dans les écoles et dans les familles l'on apprenne et l'on vive le véritable esprit de l'Evangile ; mais surtout à ce que ne manquent pas les ministres de Dieu, prédicateurs de ce même Evangile. Quant à Nous, Nous sommes convaincu que rien ne peut contribuer davantage à hausser la condition spirituelle d'un peuple et à développer même ses vertus civiques, comme la formation d'un clergé capable et saint.
Avec les plus affectueux sentiments de paternelle bénignité, Nous invoquons, par l'intercession de Notre-Dame de la Calendaria de Copacabana, la protection de Dieu sur M. le président de la République, sur son gouvernement, sur tout le peuple bolivien et spécialement sur Votre Excellence, leur donnant à tous, de tout coeur, Notre Bénédiction apostolique.
(Ie' novembre 1947)1
1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. IX, p. 325.
Ce jour, le Pape accueillit un groupe de sénateurs des Etats-Unis appartenant à la commission sénatoriale des appropriations. Il leur adressa cette allocution sur l'essence et les caractères de la vraie paix.
Votre voyage à travers l'Europe, bien que limité et rapide, vous a sans aucun doute mis en face de certaines conditions lamentables dont on ne peut se rendre compte qu'en les voyant. Les plaies encore saignantes de la guerre qui ont atteint si profondément la vie de famille et secoué les institutions politiques jusqu'à les rendre inanimées et apparemment impuissantes, adressent un appel éloquent aux coeurs prêts à sympathiser avec leur prochain dans la détresse. Mais le cri qui atteint les oreilles encore plus profondément et avec plus d'insistance, plus envahissant, et qui vient de partout, n'est pas le cri réclamant une aide passagère, bien que celle-ci soit essentielle, c'est le cri réclamant la paix. Ce mot sonne tellement creux aujourd'hui au-dessus des champs où règne la famine, la dévastation et l'oppression.
Qu'est-ce que la paix ? Elle est certainement quelque chose de plus que la simple absence de combats armés et d'effusion de sang. Elle a un caractère positif d'une noble dignité. La célèbre définition de saint Augustin demeure vraie dans tous les domaines de la vie morale et sociale. La paix est la tranquillité dans l'ordre. Et qu'est-ce que l'ordre ? L'ordre est une disposition des parties égales et inégales qui assigne à chacune de celles-ci sa place.2 Faites que chaque élément garde ou regagne sa place dans l'harmonie universelle de la société humaine ; consolidez cet ordre de telle manière qu'il soit stable et qu'on en récolte les bienfaits dans un état de calme sécurité. Alors vous aurez fondé la paix dans ce monde qui appartient à Dieu. Admirable formule parfaitement exacte, claire et élégante. Aucune autre n'a jamais été proposée pour la remplacer ou l'égaler. Elle fait écho au divin message du Rédempteur, elle exprime la tradition immortelle de l'Eglise.
Le but que la société humaine doit viser, vers lequel elle doit tendre ses efforts et ses espoirs afin de rester conforme à la volonté souveraine de Dieu et de répondre à sa propre nature raisonnable, c'est précisément et ce sera toujours la paix : cette tranquillité qui est la conséquence de l'ordre.
Quel but d'une rayonnante beauté ! Un but qui attire tous les hommes de bonne volonté qui ne sont pas aveuglés par l'orgueil monstrueux et l'égoïsme.
Les honorables membres du Sénat ici présents ont été rappelés au siège de leur gouvernement pour accomplir une tâche de première importance pour l'Europe et le monde. Pouvions-Nous suggérer que, même la sage et prompte réalisation de cette tâche soit considérée simplement comme un pas vers le but désiré ? Que Dieu accorde au monde, au monde entier, qu'il puisse bientôt placer ses pas sur le sentier de la justice et de la charité. C'est l'unique sentier qui mène au but : la tranquillité dans l'ordre qui est la paix.
C'est avec une sincère affection et l'intérêt que Nous portons à votre tâche, que Nous prions pour vous, et Nous demandons à Dieu qu'il vous accorde ses bénédictions de choix ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers.
2 De Civitate Dei, 1. 19, c. 13.
(4 novembre 1947)1
A l'occasion du VIIe centenaire de la naissance de l'apôtre de la Chine, Jean de Monte Corvin, le Saint-Père adressa au R. P. Pacifique Perantoni, ministre général des Frères mineurs, une lettre rédigée en latin, dont voici la traduction :
Il y a 21 ans, lors du sixième centenaire de la mort du bienheureux Jean de Monte Corvin, Pie XI, Notre prédécesseur de vénérable mémoire, alla dans sa bienveillance au-devant de vos désirs en vous adressant des lettres de félicitations pour rappeler les mérites de l'illustre missionnaire de votre famille. Aujourd'hui, le VIIe centenaire de sa naissance Nous est une agréable occasion de donner plus de lustre aux saintes solennités que vous avez décidées en vous adressant des voeux et des exhortations. Qu'y a-t-il, en effet, de plus apte et de plus utile pour réconforter vos groupes de missionnaires, pour réparer les dommages considérables provoqués par la guerre récente, que de proposer à vos membres comme un exemple à imiter celui de cet homme, le plus illustre parmi les fils de saint François, qui travailla, durant tant d'années, par son activité et son savoir-faire apostolique, dans les missions de Perse, d'Arménie et surtout de Chine ?
Doué d'une vertu et d'une science singulières, connaissant plusieurs langues, éloquent dans l'enseignement et la prédication de la parole de Dieu, ne fut-il pas le premier, dans cet immense champ d'apostolat de la Chine, à convertir avec la grâce de Dieu les âmes
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de nombreux infidèles à la foi catholique et à des moeurs pures, en répandant la bonne odeur du Christ et en fondant plusieurs oeuvres et des instituts de charité ? Cet illustre héraut de l'Evangile s'est acquis tant de mérites que Nicolas IV le choisit pour légat du Saint-Siège pour l'Extrême-Orient, que Clément V le revêtit de la dignité archiépiscopale, le nomma patriarche de tout l'Orient et le plaça sur le siège de Khambalic, le Pékin d'aujourd'hui, si bien que c'est par le zèle et les travaux de Jean et de ses compagnons que les premiers fondements de la sainte hiérarchie ont été heureusement posés dans l'empire de Chine. Il est juste aussi de noter, comme digne d'une gloire et d'un souvenir particuliers, que cet homme très sage et prévoyant l'avenir s'est déjà penché à ce moment, avec un soin extraordinaire, sur la formation et l'instruction d'un clergé indigène. C'est pourquoi, cher fils, Nous avons confiance qu'à la suite de la célébration des proches solennités en souvenir et en l'honneur de Jean de Monte Corvin, vos fils de l'Ordre séraphique, profondément pénétrés et embrasés de son esprit apostolique et de son zèle des âmes, travailleront avec courage dans le champ des missions de Chine et gagneront chaque jour davantage au Christ les âmes des infidèles. C'est dans cette confiance qu'en présage des lumières célestes et en gage de Notre particulière bienveillance Nous vous accordons très affectueusement, cher fils, Notre Bénédiction apostolique, ainsi qu'à la famille tout entière des Frères mineurs, et à tous ceux qui participeront aux saintes solennités ou s'y intéresseront de quelque manière.
(10 novembre 1947) 1
Dans l'après-midi du 10 novembre, les pèlerins venus de France assister à la béatification de Jeanne Delanoue se rendirent à Castelgandolfo pour présenter leurs hommages de dévotion au Saint-Père qui leur adressa l'allocution suivante :
L'écho vibrait encore du sermon fameux que Bossuet avait, en 1659, prononcé dans la chapelle de La Providence, en présence du « père des pauvres » Vincent de Paul, arrivé au soir de sa vie, quand naquit sept ans plus tard, le 28 juin 1666, Jeanne Delanoue, que ses contemporains appelèrent spontanément la « mère des pauvres », comme ils appelèrent sa maison La Providence. Sa vie allait être le commentaire, l'illustration vivante du titre que Bossuet avait donné à son discours : « l'éminente dignité des pauvres dans l'Eglise ».
En quoi consiste-t-elle cette dignité ? Et comment se manifeste-t-elle, très chères filles, dans la vie de la mère que vous vénérez aujourd'hui nimbée de la gloire des bienheureuses ? La voix du pauvre est la voix du Christ ; le corps du pauvre est le corps du Christ ; la vie du pauvre est la vie de ce Christ qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre, afin de nous faire riches par sa pauvreté (2Co 8,9).
La voix du pauvre, cette voix suppliante, pénètre jusqu'au fond du coeur comme une pointe acérée. Qui lui résiste sent bien, qu'il le veuille ou non, qu'il ferme l'oreille à la voix même du Christ.
Cette voix du Christ, par la bouche du mendiant, se fait entendre à tous, à chaque tournant de rue. Au coeur de certains, elle parle avec un accent plus tendre, plus pressant, doucement impérieux : « Donne-moi à boire » dit Jésus à la Samaritaine sur la margelle du puits de Jacob ; et sa demande d'un peu d'eau voile une demande plus intime, la demande d'un don de soi-même : c'est une vocation ; c'est en même temps, l'offre du don de Dieu, de son eau vive qui jaillit pour la vie éternelle (Jn 4,14). Il est enfin des saints, des serviteurs de Dieu, à qui la voix émue adresse la parole décisive : « Va, vends tout ce que tu possèdes, distribue-le aux pauvres..., et suis-moi » (Mt 19,21). Ainsi l'avait entendu le jeune mondain d'Assise, François, et sa vie en fut définitivement orientée, transfigurée. Ainsi l'entendit notre nouvelle bienheureuse.
Bien différente de ce qu'avait été sa pieuse mère, et plus préoccupée de ses intérêts temporels que de ceux de son âme, tout affairée aux gains de sa boutique qui s'ouvrait les dimanches et fêtes comme en semaine, Jeanne n'accueillait guère les pèlerins que pour le profit qu'elle en savait tirer. Quant aux pauvres qui s'aventuraient à frapper à sa porte, du plus loin qu'elle les apercevait, elle les écartait d'un mot dur : « Je n'ai pas de pain à vous donner ». Et voici que, un beau jour, dans un de ses bons moments, elle a hébergé pour quelques sous une pèlerine, Françoise Souchet. « Dieu, lui dit celle-ci énigmatique, ne m'a envoyée cette première fois que pour apprendre les chemins ». De fait, elle revient. Cette femme, visiblement une ignorante, une miséreuse étrange, ne profère d'elle-même que des propos décousus, inintelligibles, salués du gros rire de la cantonade ; à d'autres instants, elle prend un ton majestueux pour exprimer avec une autorité péremptoire ce que « la voix » lui fait dire. Quelle voix donc ? La voix de Dieu qui parle par la bouche du pauvre.
Petit à petit, cette voix mystérieuse envahit plus pleinement le coeur de Jeanne, éveillant sa conscience. Elle écoute, elle répond et, tombant à genoux, elle interroge : « Est-ce donc, mon Dieu, par cette simple femme que vous voulez me faire entendre votre voix ? » Dès ce jour-là et par la suite, la voix se fait plus précise et plus
pressante, la réponse plus docile. C'est l'appel au « chemin de la perfection » et Jeanne sent monter à ses lèvres l'invocation de Saul sur la route de Damas : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » (Ac 9,5). Puis c'est l'appel au dépouillement complet et de tout et d'elle-même pour les pauvres. Elle continue d'obéir et elle vide ses armoires pour en porter tout le contenu aux indigents. Ce soir-là, au retour de la charitable expédition, elle entend par la bouche de Françoise la « voix » qui lui dit que l'aumône a apaisé tous les griefs de Dieu contre elle et que le voile de l'oubli est descendu sur son passé, le dérobant pour jamais aux regards du juste Juge.
A la Samaritaine Jésus avait dit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te demande à boire, c'est toi qui lui aurais demandé et c'est lui qui t'aurait donné de l'eau vive, ... cette eau qui jaillit pour la vie éternelle » (Jn 4, 10, 14). Et Jeanne, dans une extase de trois jours et de trois nuits, l'une des plus merveilleuses qu'on lise dans l'histoire des saints, boit à longs traits les délices de l'eau céleste. Quand elle reprend ses sens, le chemin de sa vie est tracé ; elle sait, elle voit clairement ce que le Seigneur attend d'elle : la charité envers les pauvres, l'effort vers la plus grande perfection par le complet détachement d'elle-même.
Pie XII 1947 - DISCOURS A S. EXC. M. ANTONIO ALVAREZ VIDAURRE, MINISTRE DE SALVADOR