Catéchèses Paul VI 60274
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Chers Fils et Filles,
Le souvenir de Noël remplit encore nos âmes. Et, à bien y réfléchir, c’est normal. Si, en célébrant Noël, nous avons vraiment compris d’avoir rencontré Dieu fait homme, de l’avoir rencontré comme quelqu’un d’entre nous ; si nous avons compris qu’il a voulu se rapprocher de nous, venir à notre recherche, qu’il s’est fait homme pour nous, pour nous parler, pour entrer dans le destin de notre vie, c’est-à-dire pour nous sauver, nous ne pouvons pas nous arrêter, nous ne pouvons pas ne pas attribuer à une telle rencontre une importance décisive pour notre vie même.
Réfléchissons bien sur le sens de la rencontre avec le Christ.
Et avant tout sur la réalité du fait.
Pensons-y, dans le grand dessein religieux offert à l’histoire du monde: le Dieu du mystère, qui, sans laisser sa propre patrie, c’est-à-dire les attributs de sa divinité éternelle — il descend sur la scène mobile du temps (cf. Ep 1,10) ; infinie — il assume les limites de la « kénosis », ce qui peut se dire de l’anéantissement de Soi (cf. Ph 2,7) ; ineffable — il se revêt de chair à nous visible (cf. 1Tm 3,16 Jn 14,9) ; inaccessible — il se révèle aux petits (cf. Mt 11,26) ; il se rend disponible à la coexistence humaine (Ba 3,38) pour élever à un niveau surnaturel (2P 1,4) notre vie rampante sur terre, pour résoudre les destinées de l’humanité, qui étaient perdues et deviennent impensablement fortunées... Pouvons-nous demeurer indifférents et oublieux ?
Et si, en réfléchissant, nous découvrons ensuite que ce dessein nous regarde personnellement, que son universalité se concentre sur chacun de nous, devient notre drame personnel, nous investit intérieurement avec une extraordinaire richesse de dons — les dons de l’Esprit-Saint ; et qu’il nous propose un engagement libre, mais formidable à propos du choix du genre d’existence dans laquelle nous voulons nous définir : chrétienne ou non, c’est-à-dire vivre en chrétiens ou nous priver d’une éternelle espérance ; si donc cette venue du Christ, disons-nous, croise ses pas divins sur le sentier raboteux de notre vie personnelle, pouvons-nous rester impassibles ?
La rencontre avec le Christ ! Souvenons-nous d’elle dans le récit évangélique qui est le miroir symbolique de l’entière aventure humaine ; oui, dans ce cadre, ne manque pas l’indifférence, ou plutôt l’hostilité de tant de personnages évangéliques qui, à la rencontre avec le Christ, opposent la cécité et la surdité de leurs esprits matérialisés, ou bien réagissent avec une soupçonneuse malice ou une astucieuse opposition, décidés à supprimer son encombrante présence (cf. Mc 3,6). Mais il y a quelqu’un qui, se rencontrant avec Jésus, se rend compte d’être en présence d’un homme prodigieux et incomparable et qui parvient sans peine à déclarer sa première identité ; André, d’abord, la révèle à son frère Simon (qui par la suite sera appelé Pierre) : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1,41). La rencontre est décisive ; elle se transforme en vocation, que Jésus précisément formulera ; et qui, à ce premier stade, est la vocation de nous tous, la vocation chrétienne.
Ce nom nous assaille, nous investit, nous transforme intimement : nous sommes chrétiens. Un nom controversé. Il eut même une résonance antipathique pour la première génération (cf. Ac 11,26 Ac 26,28) ; puis une résonance discriminatoire et périlleuse (1P 4,16), mais désormais, pour les croyants, pour les fidèles, elle devient immédiatement bonne et glorieuse (cf. Jc 11,7). Il deviendra le qualificatif de tous les disciples du Christ (cf. E. jacquier, Les Actes 351,352). Nous, ce nom-là, nous l’avons reçu au baptême, au moment donc où nous sommes devenus chrétiens.
Tenons ce fait bien présent. Là, au baptême, nous avons rencontré le Christ. Rencontre sacramentelle et vitale, régénératrice. Ce fut notre vrai Noël. Maintenant, attention ! Que comporte une semblable rencontre avec le Christ ? C’est encore l’Evangile qui nous renseigne : cela comporte : suivre le Christ. Cela comporte un style de vie. Cela comporte une fortune inestimable (cf. E. neuhaûster, Exigence de Dieu et morale chrétienne, Cerf 1962, 1971, p. 271 ss.).
Ici, il y a tout. Il y a la cohérence de notre vie, la fidélité à notre profession religieuse ; ici, il y a le génie de notre mode d’être en ce monde ; il y a l’obligation de notre témoignage moral ; il y a ici la source de notre capacité à de surhumaines vertus, l’intime réconfort de tout labeur terrestre ; ici encore, il y a l’urgence de notre charité missionnaire et sociale.
Etre chrétiens ! Nous ne ferons que répéter ce que nous avons écrit dans notre première Encyclique Ecclesiam suam : « Il faut redonner au fait d’avoir reçu le saint baptême, c’est-à-dire d’avoir été inséré par ce Sacrement dans le Corps mystique du Christ, qui est l’Eglise, toute son importance. Le baptisé doit, en particulier, prendre conscience de la valeur de son élévation, mieux, de sa régénération, de son bonheur d’être réellement fils adoptif de Dieu, d’avoir la dignité de frère du Christ, de son privilège de grâce et de joie provenant de l’habitation de l’Esprit-Saint, de sa vocation à une vie nouvelle, qui n’a rien perdu d’humain, excepté les conséquences malheureuses du péché originel, et qui peut, au contraire donner à ce qui est humain son expression la meilleure et lui faire produire les fruits les plus riches et les plus purs ».
Ainsi, nous le répétons, en pensant à notre récent Noël, à notre rencontre avec le Christ, à notre être régénéré dans le baptême et appelé à un renouvellement permanent, comme l’Année Sainte nous le rappelle et comme elle nous invite à le réaliser.
Avec notre Bénédiction Apostolique.
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Chers Fils et Filles,
Une fois encore, pour terminer, parlons de Noël. Nous voudrions qu’une telle fête ne soit pas célébrée sans laisser de traces dans l’âme de ceux qui y ont participé. Quelles traces ? oh ! le culte d’un tel mystère devrait en avoir laissé cent, et de tout genre, dans la gamme de nos impressions spirituelles, depuis celles bien connues de poésie humaine jusqu’à d’autres de réflexion historique, ou de sentiment religieux. Noël est une fontaine inépuisable de thèmes pour notre piété, pour notre sensibilité humaine, pour notre éducation morale, pour notre recherche théologique, pour notre contemplation mystique. Arrêtons-nous aujourd’hui à une seule des conséquences, une conséquence que nous voudrions tirer de cette fête toujours mémorable et qui suscite en nous un besoin insatisfait au lieu de nous donner plutôt, à la fin, une sensation d’apaisement. Donc, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une chose évidente et, en apparence, extrêmement simple : il s’agit de connaître Jésus, Celui qui est né, Celui que nous avons admiré et vénéré dans sa crèche, Celui en l’honneur de qui nous avons célébré trois Messes le jour commémoratif de sa naissance. Celui qui, de quelque manière, a donné une raison aux différentes célébrations familiales et à l’échange des voeux, Celui de qui le souvenir de la venue au monde a marqué une date spéciale dans le calendrier. Lui, le centre de la fête, le connaissons-nous ?
Qui est Jésus ? Nous ne faisons de tort à personne en posant cette question, car nous supposons que vous savez tous donner de Lui la définition que nous offre le catéchisme : il est le Fils de Dieu, fait homme ; nous supposons aussi que vous avez tous à Son sujet, une information abondante, nourrie de récits évangéliques et de notions théologiques, et peut-être aussi d’images pieuses et artistiques. Ceci est très bien et nous pensons qu’il est normal qu’il en soit ainsi chez tous ceux qui portent le nom chrétien. Mais voici une première note caractéristique et fondamentale a propos de nos connaissances sur Jésus-Christ : si vraiment nous Le connaissons, nous nous rendons compte de ce que nous ne Le connaissons pas assez. Ce que nous savons de Lui ne satisfait pas notre besoin, notre devoir de connaissance intelligente, mais stimule, excite, embrase aussi bien ce besoin que ce devoir : tous, nous nous sentons invités, presque logiquement et spirituellement contraints, à Le connaître mieux, à nous faire de Lui une idée plus claire, plus complète. La curiosité nouvelle ne nous laisse plus en paix, elle fait pression sur notre esprit avec une demande implacable, insatiable ; qui est Jésus ?
D’où, Frères et Fils bien-aimés, une deuxième note, relative à la connaissance au sujet de Jésus Nôtre-Seigneur : cette connaissance est graduelle. Non seulement elle ne s’épuise pas en une simple image sensible, un tableau, une scène évangélique un récit biographique... ; mais, cette connaissance, si vraiment elle est de quelque manière imprimée dans notre esprit, éveille le désir de mieux l’identifier, de l’approfondir, d’en vérifier la signification, la substance. Elle devient problème : en somme, qui est ce Jésus ?
Chacun de vous se rappellera comment cette recherche a été entreprise déjà par les contemporains de Jésus ; principalement après l’un de ses miracles, ils demandaient et redemandaient : « Qui est donc celui-là, pour qu’il commande aux vents et aux flots, et que ceux-ci lui obéissent ? » (Lc 8,25). Vous vous rappellerez que Lui-même, Jésus, provoque parmi ses disciples une sorte d’enquête ; Matthieu l’Evangéliste raconte : « Jésus s’était rendu dans la région de Césarée de Philippe et il posa cette question à ses disciples : Qui pense-t-on que soit le Fils de l’homme ! » (Mt 16,13). Les opinions étaient diverses. Signe que la révélation que Jésus faisait de lui-même laissait, certes, filtrer quelque chose d’extraordinaire, mais non sans le recouvrir d’un voile humain qui n’était ni toujours ni pour tous, transparent. Marie et Joseph eux-mêmes « étaient dans l’admiration de ce qu’on disait de l’enfant Jésus » (Lc 2,33) ; et ils ne comprenaient pas toujours ce mystérieux enfant (Lc 2,50). Ses propres concitoyens de Nazareth éprouvaient de la crainte, de la méfiance même, car ils ne parvenaient pas à comprendre qui Il était (Mc 6,2-4). Jésus aime l’incognito, semble-t-il. L’Evangile de Saint-Jean est plein de cet obsédant problème de l’identité essentielle de la personnalité du Maître (cf. Jn 10,24, « Si tu es Christus, dic nobis palam ») ; et c’est autour d’un tel problème que se noue le drame de sa passion, dans le double procès, religieux et civil, qui le porte, le premier, à se reconnaître Messie, fils de Dieu, le second à admettre qu’il est Roi des Juifs. Puis l’inconcevable épilogue de sa résurrection, qui dépasse les facultés d’entendement même de ceux qui en sont les témoins immédiats, au point de mériter les reproches du Ressuscité lui-même : « O [esprits] sans intelligence et coeurs lents à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! » (Lc 24,25).
Jésus est mystère. Nous ne pourrons jamais l’explorer assez, jamais le comprendre entièrement. La connaissance de Jésus a dû finalement se résoudre dans la foi, c’est-à-dire en une connaissance sur-rationnelle ; une connaissance certaine, mais fondée sur des témoignages qui vont partiellement au-delà de notre contrôle expérimental ; des témoignages qui ont cependant en eux-mêmes la force de convaincre parce qu’ils sont, au fond, d’origine divine et qu’ils exigent de nous cette manière épanouissante de connaître avec l’esprit et avec le coeur, sans tout comprendre parce qu’il y a trop à comprendre : c’est là précisément ce que nous appelons la Foi.
Jésus doit être étudié avec toute la tension de nos facultés de compréhension (et les facultés de compréhension de l’amour dépassent de loin celles de la pure intelligence). Et il en a été de même pour l’Eglise : elle pensa à nouveau, étudia, discuta ; elle eut pour elle les lumières de l’Esprit-Saint ; et, par un travail extrêmement prudent et très fidèle qui s’étendit sur des siècles elle parvint à formuler la doctrine exacte, mais toujours incomplète et ouverte, sur le mystère concernant Nôtre-Seigneur Jésus-Christ; qui II fut, ce qu’il a fait pour nous, puis comment Il s’est donné à nous, comment il se donnera à nous. Ce chapitre central de notre religion appelons-le : « christologie » et faisons en sorte aussi que d’autres chapitres — comme celui de l’Ecclésiologie (si amplement étudié par le Concile) et celui de la Pneumatologie, c’est-à-dire celui relatif à la doctrine sur l’Esprit-Saint — engagent notre étude et notre vie spirituelle. Mais ne fermons pas le livre de notre doctrine sur le Christ Seigneur, comme s’il était désormais parfaitement connu de chacun de nous. Il faut le rouvrir, ce livre ; il faut que nous le tenions toujours bien ouvert, placé en évidence à portée de notre réflexion attentive, de notre contemplation passionnée : « Car le Christ est ma vie... », disait Saint Paul (Ph 1,21).
Et puis nous devons en être les gardiens jaloux, ne pas nous laisser surprendre par des opinions érudites, souvent préconçues dans la méthode ou dans le contenu qui, extérieures à l’école de l’Eglise, prétendent donner une interprétation nouvelle (une herméneutique) et finalement annihilante de l’authentique théologie sur le Christ de notre Noël.
Nous serions tenté de discuter avec vous cette moderne et subtile contestation de notre Christ vivant et vrai, et nous aurions aimé vous suggérer la lecture de quelque bon livre : Mais nous voyons bien que ce n’est ni le lieu ni le moment; et puis, cela, vous pouvez facilement le faire de vous-mêmes ; cherchez-le donc ce livre sur le Christ, en commençant par une lecture nouvelle, ordonnée et pieuse du Saint Evangile.
Avec notre Bénédiction Apostolique.
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Chers Fils et Filles,
Dès que l’on commence à s’intéresser à Jésus, on ne peut plus s’arrêter. Non seulement il reste toujours l’une ou l’autre chose à savoir et à dire : il reste une infinité de choses en suspens. Saint Jean termine ainsi son Evangile : « Il y a eu bien d’autres choses accomplies par Jésus ; si on voulait les relater une à une, je pense que le monde entier ne pourrait en contenir le récit » (Jn 21,25). Si grande est la richesse des choses qui se rapportent au Christ, si vaste la profondeur à explorer et à tenter de comprendre, si nombreux les problèmes auxquels Se relie le mystère du Christ et si nombreuses aussi les difficultés qui jaillissent autour de Lui et contre Lui, si puissants la lumière, la force, la joie, le désir qui ont en Lui leur source, si consistante la réalité de notre expérience et de notre vie qui nous vient de Lui, que, en vérité, il semble inconvenant, antiscientifique, irrespectueux de mettre fin à la réflexion que sa venue dans le monde, sa présence dans l’histoire et dans la culture, et l’hypothèse — pour ne pas dire la vérité — de sa relation vitale avec notre propre conscience, exigent de nous, honnêtement. On n’en finirait jamais de tourner autour de ce pôle de nos intérêts suprêmes : Jésus.
Si bien qu’à certain moment surgit dans l’esprit — qu’il soit croyant ou profane — le besoin d’une synthèse, le besoin de trouver un point central de perspective, qui nous permette de considérer tout ce qui se réfère à Jésus-Christ, d’un seul regard, le résumant dans la pensée, en faisant l’objet d’un sentiment unique. Et sans pénétrer actuellement dans le domaine psychologique de cette question (il y aurait une enquête extrêmement intéressante à mener : tenter une excursion de ce genre à travers quelque document hagiographique, afin d’y découvrir ce que le Christ a été dans le coeur des Saints), nous pouvons, pendant un moment, regarder le panorama objectif, biblique ou théologique, le confrontant, si cela nous plaît — pour en avoir une meilleure compréhension — avec les aspects caractéristiques des autres religions, pour réduire — sans la déformer — au périmètre visuel de notre perception la signification suprême, primordiale et centrale du christianisme, c’est-à-dire de la venue de Jésus-Christ dans le monde.
Pour mieux faire comprendre ce que nous disons ici, nous rappellerons que ce besoin de voir inséré dans le cadre d’une formule compréhensible tout ce qui se rapporte au Christ a toujours été présent dans l’âme humaine (cf. par ex. Jn 7,26 Jn 7,41 Mt 26,63) ; les professions de foi baptismales, les symboles, les controverses christologiques, certaines oeuvres des Pères (voir par ex. saint augustin, Enchiridion, 4 ; PL 40, 232 ; etc.). Nous en dirons plus : l’enseignement apostolique nous conduit à la recherche et à la découverte de l’idée centrale de la révélation chrétienne ; et l’étude critico-littéraire moderne tend instinctivement à identifier une clé d’interprétation du fait chrétien (voir par ex. A. von harnack, L’essence du christianisme, 1900 et C. adam, L’essence du catholicisme ; 1930). Si l’on demandait, à chacun de nous : Quelle est l’idée centrale de la foi chrétienne ? Que répondrions nous ?
Retournons à l’école de Saint Paul, demandons-lui la réponse. Déjà nous savons que deux problèmes que nous ne pouvons résoudre par une spéculation rationnelle nous forcent à l’écoute ; c’est-à-dire que nous savons que le fait chrétien est un fait religieux, qu’il s’appuyé donc sur deux têtes de pont qui, bien qu’infiniment différentes, sont parfaitement correspondantes et le soutiennent : l’homme (et qui connaît l’homme, quand la synthèse platonico-socratique culmine en une demande inépuisable dans sa réponse « connais-toi toi-même » ?), et puis Dieu (et Dieu, qui peut le connaître en lui-même ? cf. Jn 1,18 Ac 17,23 1Co 13,12) ; et deuxièmement, si le christianisme est un fait religieux il est ipso facto un fait mystérieux. Comment pouvons nous le déchiffrer dans son intrinsèque et suprême raison ? Ecoutons donc ce que nous dit l’Apôtre, qui plus d’une fois ouvre la voie à l’identification du point central du christianisme.
On ne saurait faire ici abstraction des citations : choisissons-en deux qui semblent favoriser notre justification et satisfaire notre curiosité trop myope : Dieu, dit Saint Paul dans son Epître aux Colossiens, m’a confié la mission de compléter sa Parole et de vous annoncer « le mystère tenu caché aux siècles... que le Christ est en vous, espérance de notre béatitude... » (Col 1,26) ; l’autre citation, où il est fait allusion à la même idée de mystère révélé est tirée de la première Epître aux Corinthiens, où il est dit que l’annonce du christianisme est la révélation d’un secret éternel de Dieu pour Je salut du monde (1Co 2,6-7). Et en quoi consiste ce secret qui finalement se dévoile dans l’histoire de l’humanité ? C’est l’Amour ! L’amour caché derrière la façade du théâtre de la nature physique, impassible et inexorable, où, certes « les étoiles se trouvent à regarder » mais où il y a un Père, qui est aux cieux, où il y a un Dieu « qui est riche en miséricorde, poussé par la grande charité dont il nous a aimés... » (cf. Ep 2,4), et, observe Jean l’Evangéliste, « qui nous a aimé au point de donner son Fils unique afin que ceux qui croient en Lui ne périront pas, mais auront la vie » (Jn 3,16).
Le secret du christianisme est donc l’Amour Sauveur de Dieu et par conséquent du Christ « qui m’aime et s’est livré pour moi » (Ga 2,20). Voilà ce qu’est la religion fondée par le Christ: une religion qui a sa source dans la Bonté infinie de Dieu, qui a été jusqu’à l’immolation de Jésus sur la Croix, jusqu’à faire de Lui une victime pour notre salut. L’incarnation, la crèche se concluent dans la résurrection ; deux mystères, l’un de vie, l’autre de mort, qui s’intègrent en un seul drame d’Amour (cf. fornari, Vie de Jésus-Christ). Et ainsi le Christ est devenu pour nous, conformément à la pensée du Père, le point focal de l’Univers : en lui tout se réunit, et tout est instauré (cf. Ep 1,10 St. TH., III 1,1).
Et alors nous comprenons mieux les paroles de paix de Noël, adressées « aux hommes de bonne volonté », paroles que les exégètes nous persuadent de traduire : les hommes objets de la bienveillance divine ; et ainsi, nous pouvons conclure, pour notre bonheur en même temps que pour notre responsabilité : nous sommes aimés de Dieu, non parce que nous en sommes dignes, mais parce que nous en avons un besoin absolu.
Cela, c’est le caractère essentiel, c’est le signe spécifique de notre religion, c’est le stimulant pressant de notre amoureuse réponse (2Co 5,14) : Caritas Christi urget nos. Et c’est ainsi, tandis que passe le temps et que cette vie se consume, que nous nous souviendrons de Noël.
Avec notre Bénédiction Apostolique.
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Chers Fils et Filles,
Nous ne pouvons en ce bref colloque spirituel, oublier le fait qui, dans cette période de l’année liturgique, domine la vie de l’Eglise, que nous appelons Carême et qui commence aujourd’hui.
Il y a deux observations préliminaires qui sollicitent notre considération.
La première regarde la succession de périodes extrêmement diverses dans la vie spirituelle de l’Eglise. Cela non seulement nous exerce à la prière et à la célébration de rites sacrés, dans lesquels trouvent leur aliment et s’expriment notre rapport religieux avec Dieu et le sens communautaire de l’Eglise elle-même, mais encore nous associe à l’accomplissement d’un grand dessein idéal, c’est-à-dire théologique et moral, qui se développe dans le temps, conformément à l’année luna-solaire que Jules César introduisit dans le calendrier civil et qui sert encore à l’Eglise comme base chronologique de son drame religieux, répété chaque année avec le sentiment toujours nouveau de son originale actualité et de son inépuisable profondeur. Comme dans un opéra musical où le sens, la beauté, la force de l’ensemble résultent de la composition de ses diverses parties, la liturgie de l’Eglise non seulement s’élève au niveau d’une oeuvre d’art incomparable grâce à la variété des thèmes divins et humains qui participent à son mystérieux déroulement, mais elle offre aussi à l’humanité, aux fidèles en particulier, la possibilité de prendre part à une célébration complexe et merveilleuse qui n’est pas seulement commémorative et représentative mais qui, dans sa réalité renouvelée, est aussi évocatrice de l’histoire éternelle du dialogue ineffable entre Dieu et le monde qui, dans le Christ Rédempteur et dans l’homme racheté, a ses deux motifs dramatiques principaux. Il faut faire attention à cette dialectique familière qui envahit et trouble la liturgie de l’Eglise, pour ne pas avoir la fausse impression que la forme de notre expression spirituelle est toujours égale et monotone; et pour avoir une idée meilleure de ce mystère pascal auquel se rattache la synthèse de notre système religieux — appelons-le ainsi — et auquel nous devons tous nous référer si nous voulons poursuivre notre salut.
Donc : nous devons nous rendre compte de la diversité et de l’originalité du nouveau temps liturgique quadragésimal, si nous voulons être en saine harmonie avec l’Eglise. Il se peut que dire « liturgique » ne soit pas tout dire : il faudrait spécifier : ascétique et pénitentiel, entre autre parce que c’est sous cet aspect que le Carême commence et se développe.
Et ceci nous mène à une seconde observation préliminaire. Oui, le Carême a un visage sévère ; il a un langage parfois dur, impitoyable, comme aujourd’hui : Feria quarta Cinerum, Mercredi des Cendres ; il a aussi des exigences pénitentielles comme le jeûne, actuellement assez adouci, mais toutefois pas abolies et jamais oubliées dans leur esprit et dans leurs exigences personnelles comme dans les initiatives laissées à la discrétion de chacun ; en outre, le Carême nous invite à prier de manière assidue, prolongée ; et, finalement, il dispose au recours à ce sacrement de la pénitence que l’on appelle habituellement confession et qui est vraiment tin acte d’humilité, de conversion, de contrition, généralement peu apprécié par les hommes de notre époque. Humainement parlant, nous devons reconnaître cet aspect négatif du Carême et de la pénitence en général que l’Eglise nous prêche comme élément constitutif de la vie chrétienne authentique.
Accordez une pensée au rite de l’imposition des Cendres. Il mériterait une préface historique qui le fasse remonter à l’Ancien Testament (cf. par ex. Jr 25,34 Jdt 9,1 Da 9,3 etc.), et le transpose dans le Nouveau (cf. Lc 10,13 Mt 11,21) puis dans la pratique des premiers siècles chrétiens et des siècles suivants (cf. jungmann, Lat Bussriten). Mais observez-en le sens, c’est-à-dire le pessimisme dont il marque la vie humaine dans le temps ; relisez un des livres, plein de sagesse et, en un certain sens, déconcertant, de la Bible, l’Ecclésiaste (qu’on indique actuellement par son nom en hébreux "Qéleth"), qui commence par les célèbres paroles, parfaitement adaptées à un cimetière de l’humanité sans espérance : « Vanité des vanités, tout n’est que vanité ! » (Qo 1,1) ; et repensez aussi à l’inquiétant vérisme de certaine littérature et de certaine philosophie contemporaines; et vous vous convaincrez de la sincérité de l’Eglise dans sa pédagogie spirituelle ; elle ne peut passer sous silence l’expérience de la mort et de la dissolution auxquelles est condamnée notre existence temporelle. Mais avec cette rectification immédiate d’une conception désespérée de notre vrai destin : la vie, en Jésus, sera victorieuse.
Aussi faut-il rappeler et découvrir l’aspect positif du Carême, c’est-à-dire de la pénitence chrétienne. Elle n’est pas voulue et pas encouragée pour offenser et attrister l’homme, insatiablement avide de vie, de plénitude, de bonheur, mais pour le former, et pour le conduire, par le difficile chemin de la pénitence, à la conquête, ou plutôt à la reconquête du « paradis perdu ».
C’est donc une période de réflexion qui s’ouvre à nous. C’est, au fond, la conception de notre vie qui passe à l’analyse de la conscience chrétienne ; c’est l’autocritique fondamentale, c’est la philosophie qui se déverse dans la sagesse, c’est l’effort de sauvetage du naufrage inévitable et irrésistible qui accepte la main salvatrice du Christ, qui nous est offerte en ces exercices spirituels. Efforçons-nous de comprendre; tâchons d’en profiter.
Avec notre Bénédiction Apostolique.
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Et maintenant, nous sommes heureux de Nous adresser aux membres du Bureau International Catholique de l’Enfance.
Vous célébrez à Rome, près du Siège de Pierre, le vingt-cinquième anniversaire de la fondation de votre grande organisation internationale catholique.
Vous y avez été conduits, chers amis, par l’esprit des premiers pionniers de votre oeuvre, le vénéré Père Gaston Courtois, rappelé par le Seigneur il y a peu d’années, et Monsieur Delgrange, votre premier président que Nous avons plaisir à saluer dans vos rangs, ainsi que ses successeurs, Monseigneur Koenen et Monsieur le Professeur Michel Falise.
Vous vous consacrez à une magnifique et difficile entreprise: la sauvegarde et la protection de l’Enfance, surtout celle que d’aucuns considèrent comme marginale. Ce faisant vous rejoignez, soyez-en sûrs, la plus pure ligne de l’Evangile, au service d’une portion privilégiée du Corps du Christ.
En gage de notre estime et de nos encouragements, Nous vous donnons de grand coe ur notre Bénédiction Apostolique.
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Chers Fils et Filles,
Voulons-nous, ensemble, faire un pas sur le grand chemin du renouvellement en vue duquel nous recevons trois puissantes invitations qui nous viennent de l’Eglise vivante : nous voulons dire le récent Concile Vatican II, l’Année Sainte déjà en acte dans les Eglises locales et enfin la période du Carême qui nous force à une sérieuse préparation à la fête de Pâques ?
Faisons un pas seulement, aujourd’hui ; il est toutefois suffisant pour nous introduire dans le vaste courant, nous pourrions dire dans l’impétueux torrent de questions de tous genres, philosophiques, morales et religieuses qui suffirait à envahir notre esprit, à le bouleverser, à peine tenterions-nous de vous y maintenir sans nous fixer à nous-mêmes de limites bien précises. Ce pas a un caractère de retour. Un retour, mais dans quel sens ? Vers nous-mêmes, chacun vers sa propre conscience. De la conscience, on en a déjà tant parlé, et on en parle tant encore, au point d’en faire un lieu commun, vers lequel convergent les significations les plus diverses. Il y a maintenant un néologisme, qui ne plaît probablement pas aux amateurs de beau langage, et dont l’usage va se propageant : « conscientiser » : il veut signifier: rendre conscient, réfléchi, responsable. Et c’est très bien ! Il faut cependant que nous distinguions tout de suite parmi les différents sens du mot « conscience » celui qui, pour l’instant, nous tient au coeur, tout en concédant l’honneur qui est dû à ces significations qui ont eu dans l’histoire de la pensée une résonance qui souvent ne s’est pas encore tue : qu’est-ce que la conscience ? par exemple : un acte réfléchi au sujet des éléments d’une connaissance ; connais-toi toi-même, nous enseigne encore Socrate ; savoir que l’on sait (Platon) ; miroir de soi-même (Plotin) ; et parmi les modernes : réflexion introspective, analyse de l’intériorité vécue ; sentiment de l’Ego pensant ; expérience intérieure ; etc. Mais nous n’allons pas nous attarder dans ce champ très fertile de la conscience psychologique, préférant limiter ici notre intérêt à un élément particulier de la conscience en général, extrêmement important pour notre vie religieuse : la conscience morale : c’est-à-dire à cet acte de notre esprit moyennant lequel nous appliquons notre pensée à notre action (cf. St. TH., I 79,0). Considérons maintenant la conscience en tant que jugement porté sur la moralité de notre manière d’agir, en tant qu’intuition éthique supérieure et, pour cela même, se référant au critère absolu du bien et du mal, référence qui s’oriente vers son centre inévitable, presque comme dans un lieu géométrique postulé par un dessein déterminé, qui est Dieu. La conscience morale, conduite dans son déroulement spontané et logique, postule comme terme logique et par conséquent comme principe ontologique : Dieu. Ce n’est pas sans raison que, dans la discussion moderne, la conscience morale est considérée comme un champ de bataille d’où, blessée, défigurée, elle est cependant toujours sortie victorieuse, dès qu’elle s’est retrouvée à même de fonctionner normalement.
Laissons de côté, aujourd’hui, toute controverse et ouvrons l’Evangile à l’une de ses pages les plus connues, les plus caractéristiques, celle de l’histoire du fils prodigue (on l’appelle parabole, mais on pourrait l’appeler paradigme de la vie humaine dans l’analyse de la conscience morale). Racontant cette histoire du fils prodigue dans sa phase la plus malheureuse, mais en même temps la plus salutaire, l’Evangile, c’est-à-dire Jésus, le Maître, nous dit que le héros de cette triste aventure rentre en lui-même. In se autem reversus (Lc 15,17). Souvenons-nous de cette simple petite phrase ; elle est comme l’aiguillage qui remet sur la bonne voie le convoi dérouté. Il rentre en lui-même ; mais avait-il besoin de rentrer en lui-même cet homme jeune, débordant de vie, qui n’avait rien fait d’autre que de se chercher lui-même, c’est-à-dire de vouloir jouir de sa propre vie en vivant les expériences de la liberté et du plaisir qui, à celui qui est en quête de la vie, semblent révéler ce qu’il y a en elle de plénitude, d’authenticité, de bonheur ? C’est ainsi qu’il était sorti de lui-même, de sa propre conscience, de sa véritable et propre personnalité et qu’il était tombé au plus profond d’une misère ignoble, désespérée : il fit retour là d’où il était parti : il rentra en lui-même.
C’est dramatique, c’est stupéfiant. Et souverainement instructif. Cet acte de réflexion solitaire, courageuse, personnelle se trouve (mais non sans une nécessaire assistance divine, impondérable mais décisive) à la racine subjective de la récupération de la véritable et nouvelle vie de l’homme. L’examen de conscience, la vérité sur soi-même, l’évaluation, selon la justice, de sa propre conduite, le courage de pleurer sans désespoir, et cetera, pourraient mener aux magnifiques analyses du mal voulu et vécu, et nous courber sous le poids d’une auto-condamnation, pleine d’extraordinaire richesse, non seulement passionnelle et littéraire, mais sage et humaine, qui a besoin et maintenant nous poumons presque dire : qui est digne de la compassion et de la réhabilitation.
Bienheureuse cette unique pensée: in se autem reversus. Que de leçons, nous pouvons en tirer ! : sur le silence, sur la vie intérieure, sur la capacité de se métamorphoser soi-même, sur le bonheur de retrouver son propre et véritable être et, avec lui, demain, Dieu, le Père !
Ce tableau clinique spirituel est valable pour tous. Pensons-y ! Avec notre Bénédiction spirituelle!
Catéchèses Paul VI 60274