Augustin acc. évangélistes 307

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CHAPITRE 7,JUGEMENT DU MATIN. - JÉRÉMIE CITÉ AU LIEU DE ZACHARIE.

27. Nous lisons dans saint Matthieu: "Le lendemain, de grand matin, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le livrer à mort. Puis ils le garrottèrent, l'emmenèrent enchaîné, et le remirent au gouverneur Ponce-Pilate (1)." Saint Mc raconte ainsi le même fait: "Dès le matin, les princes des prêtres tinrent conseil avec les anciens du peuple et tout le sanhédrin, conduisirent Jésus enchaîné et le livrèrent à Pilate (2)." Après avoir raconté le reniement de Pierre, saint Luc récapitule ce qui s'est fait dès le matin à l'égard de Jésus et lie ainsi sa narration. "Ceux qui le gardaient se mirent à l'insulter et à le maltraiter; ils lui voilèrent la tête et le frappant au visage ils lui disaient: "Prophétise; quel est celui qui t'a frappé? Et ils ajoutaient à cela beaucoup d'autres blasphèmes. Et dès que le jour fut venu, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les Scribes se réunirent et le conduisirent au conseil, en disant: Si tu es le Christ, dis-le nous. Jésus leur répondit: Si je vous le dis, vous ne me croirez pas, et si je vous . interroge, vous ne me répondrez rien et vous ne me renverrez pas. Mais désormais, le Fils de l'homme sera assis à la droite de la majesté divine. Ils lui dirent tous: Tu es donc le Fils de Dieu? Il leur répondit: Vous le dites et je le suIs Ils s'écrièrent: Qu'avons nous encore besoin d'autre témoignage, car nous venons d'entendre ses propres paroles? Toute la multitude se leva et ils le conduisirent à Pilate (3)." Tel est le narré de saint Luc; c'est la confirmation de ce qui est rapporté par saint Matthieu et par saint Mc sur l'interrogation adressée au Seigneur au sujet de sa filiation divine: "Je vous déclare, répond le Sauveur, que vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la majesté divine et venant sur les nuées du ciel." Ceci dut se passer au lever du jour, suivant cette parole de saint Luc: "Dès qu'il fut jour." Du reste son récit est le même que celui des autres évangélistes, excepté qu'il mentionne certains détails sur lesquels les autres gardent le silence. Toujours est-il que tout ce qui regarde

1 Mt 27,1-40. - 2 Mc 15,1. - 3 Lc 22,63 Lc 22,1.

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les dépositions des faux témoins s'est passé pendant la nuit; on peut en lire le récit dans saint Matthieu et saint Marc; quant à saint Lc omettant ce qui concerne les faux témoins, il nous a raconté se qui s'est passé le matin . Les deux premiers, après avoir suivi les événements jusqu'au matin, nous ont rapporté le reniement de saint Pierre, puis ils ont repris la suite de leur récit sans mentionner les faits du matin (1). Quant à saint Jn après avoir raconté ce qui concerne le Seigneur et le reniement de saint Pierre, il ajoute: "Ils conduiront donc Jésus au prétoire devant Caïphe. Or c'était le matin (2)." De là nous sommes portés à conclure, ou bien que quelque raison avait forcé Caïphe de se trouver au prétoire, au lieu d'être présent à l'assemblée des princes des prêtres; ou bien qu'il y avait un prétoire dans sa maison. Toujours est-il que le Seigneur, arriva enfin près de lui et que dès le principe on voulait le lui présenter. Quoiqu'il en soit, les ennemis du Sauveur le considèrent comme un accusé convaincu; de son côté Caïphe depuis longtemps croit qu'il doit mourir; rien n'empêchait dès lors de le conduire immédiatement à Pilate, pour le condamner au dernier supplice. Voici comment saint Matthieu raconte ce qui s'est passé au tribunal de Pilate.

28. Il débute par le triste sort de Judas, dont il a été seul à parler: "Alors Judas, dit-il, qui l'avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, rapporta, poussé parle repentir, les trente pièces d'argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en leur disant: J'ai péché en livrant le sang innocent. Mais ils lui répondirent: Que nous importe? c'est ton affaire. Jettant alors les pièces d'argent dans le temple, il s'en alla et se pendit. Mais les princes des prêtres après avoir recueilli l'argent se dirent: Il n'est pas permis de le mettre dans le trésor du temple, parce que c'est le prix du sang. Ayant donc délibéré à ce sujet, ils achetèrent le champ d'un potier, pour la sépulture des étrangers. C'est pour cela que ce champ fut appelé Haceldama, c'est-à-dire le champ du sang, nom qu'il porte encore aujourd'hui. Alors fut accomplie cette parole du prophète Jérémie: Ils ont reçu les trente pièces d'argent, "somme donnée pour le paiement de celui qui a été mis à prix par les enfants d'Israël, et ils en ont acheté le champ d'un potier, ainsi

1 Mt 26,59-75 Mc 14,55-72. - 2 Jn 18,28.

que le Seigneur me l'a fait entendre.

29. Peut-être va-t-on se laisser ébranler par cette considération que ce passage ne se trouve nulle part dans les prophéties de Jérémie et dès lors qu'on ne peut plus ajouter foi à la véracité évangélique. Mais d'abord il ne faut pas oublier que le mot: Jérémie, ne se trouve pas dans tous les exemplaires des Évangiles; on n'y voit que le mot prophète. Pourquoi ne pas admettre qu'on ne doit regarder en ce point, comme dignes de confiance, que les exemplaires qui ne portent pas le nom de Jérémie? En effet, ce texte se trouve réellement dans la prophétie de Zacharie. Il suit de là que les exemplaires quï portent le nom de Jérémie ont été interpolés; car ou bien ils doivent porter le nom de Zacharie, ou bien ils doivent ne parler que d'un prophète en général, et ce prophète c'est Zacharie. Ceux à qui ce moyen de défense sourit, peuvent s'en servir: pour moi il ne me sourit point, précisément parce que je rencontre un trop grand nombre d'exemplaires qui portent le nom de Jérémie. De plus, les auteurs qui ont fait des manuscrits grecs une étude particulière, ont trouvé que même les plus anciens portaient ce nom de Jérémie. Or, quel avantage pouvait-il y avoir à commettre une interpolation mensongère, dans ce cas en particulier? Au contraire l'impossibilité où l'on était de vérifier ce texte dans Jérémie a pu déterminer une ignorance audacieuse à effacer le nom de ce prophète afin d'enlever ainsi toute la difficulté.

30. Il est bien plus sage de voir dans ce fait un secret dessein de la providence divine, qui dirige l'intelligence des évangélistes. Il a pu se faire, en effet, que saint Matthieu en écrivant son Evangile ait vu se présenter à son esprit le nom de Jérémie au lieu de celui de Zacharie. Mais comment admettre qu'il n'ait pas corrigé sa faute, ou qu'il n'ait pas été averti de la corriger par quelqu'un des lecteurs, sous les yeux de qui son Evangile dut tomber de son vivant, s'il n'avait été retenu par cette pensée qu'en écrivant il était sous la direction du Saint-Esprit, que ce n'était pas sans raison que le nom d'un prophète avait été substitué à celui d'un autre, puisque Dieu l'avait ainsi permis? Or, Dieu peut l'avoir permis pour faire briller davantage le caractère divin des prophéties qui, dirigées par un seul et même Esprit, se réunissent toutes dans un accord parfait bien plus admirable qu'il ne serait si toutes ces prophéties étaient l'oeuvre d'un seul (217) écrivain. Avec cette diversité de prophètes, le Saint-Esprit nous apparaît dictant leurs révélations comme si chacune d'elles était l'oeuvre de tous et comme si toutes étaient l'oeuvre de chacun. Il suit de là que les prophéties écrites par Jérémie, sont autant de Zacharie que de Jérémie, et celles de Zacharie autant de Jérémie que de Zacharie. Pourquoi, dès lors, saint Matthieu eût-il attaché tant d'importance à corriger le nom d'un prophète, qu'il avait cité pour un autre? N'était-il par préférable que, se soumettant d'une manière absolue à la direction du Saint-Esprit, dont il sentait plus que nous l'action puissante, il laissât écrit ce qui était écrit, pour nous rappeler qu'il règne entre tous les prophètes une concordance telle, que loin devoir un absurdité on ne vit qu'une haute convenance à attribuer à Jérémie, ce qui avait été réellement dit par Zacharie? Je suppose qu'aujourd'hui un auteur, voulant citer les paroles d'un autre, se trompe de nom et prenne pour le nom de l'auteur véritable, le nom d'un homme qui lui est très-lié par l'amitié et parles idées. S'apercevant de sa méprise, il se recueille et pour toute correction, il s'écrie je ne me suis pas trompé, en ce sens du moins qu'il a voulu prononcer qu'il y avait une telle similitude de pensées entre le nom cité et celui de l'auteur réel, que l'un est censé avoir dit ce que l'autre a dit réellement. Une telle réponse ne donnerait que plus de force à son témoignage. Or, combien cela n'est-il pas plus vrai encore des prophètes, puisque les livres de chacun doivent être envisagés par nous comme étant les livres d'un seul, ce qui leur donne un caractère bien plus frappant d'unité et de véracité qu'ils n'en auraient s'ils étaient réellement l'oeuvre d'un seul? Laissons donc aux infidèles et aux ignorants le soin de profiter de cette circonstance pour publier le désaccord des saints Evangiles; que les fidèles et les chrétiens instruits y voient clairement l'unité divine des saintes prophéties.

31. Pour expliquer pourquoi l'Esprit-Saint a permis, ou plutôt a prescrit de substituer le nom de Jérémie à celui de Zacharie, il y a une autre raison; je la développerai avec plus de soin ailleurs, car je sens le besoin de terminer ce livre. Nous lisons dans Jérémie qu'il acheta le champ du fils de son frère et lui en donna l'argent. Il ne s'agit pas ici, sans doute, du prix dont il est parlé dans Zacharie, c'est-à-dire de trente pièces d'argent; Irais ce dernier prophète ne parle pas davantage de l'achat du champ, en sorte que c'est uniquement l'Évangéliste qui, interprétant la prophétie a réuni et l'achat du champ et les trente pièces de monnaie qui furent le prix de la trahison du Sauveur. Nous trouvons ici l'accomplissement d'une double prophétie, celle de Jérémie parlant de l'achat du champ, et celle de Zacharie parlant des trente pièces d'argent. Si donc, après, avoir lu l'Evangile et y avoir rencontré le nom de Jérémie, on est tenté de lire la prophétie elle-même, on n'y trouvera aucune mention des trente pièces d'argent, mais bien de l'achat du champ; le lecteur n'aura plus qu'à réunir ces différents passages et à en chercher l'accomplissement dans la personne du Sauveur. Qu'on n'oublie pas toutefois qu'on ne doit pas s'attendre à lire soit dans Zacharie, soit dans Jérémie ces paroles qui terminent le passage de saint Matthieu: "Celui qui a été mis à prix par les enfants d'Israël, et ils en ont acheté le champ d'un potier, ainsi que le Seigneur me fa fait entendre." Nous devons donc voir, dans ces paroles, une interprétation élégante et mystique de la prophétie, interprétation inspirée divinement et appliquant à Jésus-Christ le prix dont parle le prophète. En lisant Jérémie nous voyons que le prix d'achat du champ doit être jeté dans un vase de terre (1); ici le prix de la trahison du Sauveur sert à acheter le champ d'un potier, lequel champ est destiné à la sépulture des étrangers; image du repos réservé à ceux qui, dans le voyage de cette vie, auront été ensevelis en Jésus-Christ par le baptême. Aussi le Seigneur fait-il entendre à Jérémie que l'achat de ce champ désignait le séjour qu'on ferait, même après la délivrance, sur la terre étrangère. Tels sont les points de vue que je tenais à esquisser pour inviter à examiner plus attentivement ces témoignages prophétiques en les rapprochant l'un de l'autre et en les comparant au récit évangélique. - Voilà ce qu'a dit saint Matthieu du traître Judas.

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CHAPITRE 8,JÉSUS DEVANT PILATE.

32. Voici la suite du récit évangélique: "Jésus s'arrêta devant le préteur qui l'interrogea en ces termes: Es-tu le Roi des Juifs? Jésus lui répondit: Tu le dIs Et étant accusé par les

1 Jr 32,9-44.

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princes des prêtres et les anciens du peuple, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit: N'entends-tu pas de combien de choses on t'accuse? Mais il ne fit aucune réponse à ce qu'il put lui dire, en sorte que le gouverneur en était tout étonné. Ce dernier avait coutume, au jour de la fête, de remettre au peuple celui des prisonniers qu'ils voulaient. Or, il y en avait alors un fameux, nommé Barabbas. Comme ils étaient donc tous assemblés, Pilate leur dit: Lequel voulez-vous que je vous délivre, de Barabbas, ou de Jésus qui est appelé le Christ? Car il savait bien que c'était par envie qu'ils l'avaient livré. Or, pendant qu'il était assis sur son tribunal, sa femme toi envoya dire: Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste, car j'ai été aujourd'hui étrangement tourmentée en songe à son sujet. Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barabbas et de faire mourir Jésus. Alors le gouverneur reprenant la parole, leur dit: Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre? Mais ils répondirent: Barabbas. Pilate répartit: Que ferai-je donc de Jésus, qui est appelé le Christ? Ils répondirent tous: Qu'il soit crucifié. Le gouverneur leur répliqua: Mais quel mal a-t-il fait? Et ils se mirent à crier encore plus fort: Qu'il soit crucifié. Pilate voyant qu'il ne gagnait rien et que le tumulte croissait de plus en plus, se fit apporter de l'eau, et se lavant les mains devant le peuple, il leur dit: Je suis innocent du sang de ce juste, c'est votre affaire. Et tout le peuple de répondre: Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. Alors il leur délivra Barabbas, et ayant fait flageller Jésus, il le leur abandonna pour être crucifié." C'est ainsi que saint Matthieu raconte la conduite de Pilate à l'égard du Seigneur (1).

33. Saint Mc rapporte les mêmes événements et à peu près dans les mêmes termes. Quant aux paroles adressées par Pilate à la multitude demandant la délivrance d'un prisonnier, les voici telles que saint Mc les rapporte: "Pilate leur répondit: Voulez-vous que je délivre le Roides Juifs?" Saint Matthieu avait dit: "La foule s'étant rassemblée, Pilate leur dit: Lequel voulez-vous que je vous délivre, de Barabbas ou de Jésus qui est appelé le Christ?" On ne voit pas ici qu'il y ait eu une demande formulée par le peuple pour obtenir la délivrance d'un prisonnier,

1 Mt 27,11-26.

mais ce n'est pas une difficulté; seulement on peut se demander lequel de saint Matthieu ou de saint Mc rapporte exactement les paroles de Pilate. Il semble en effet que ces mots: "Qui voulez-vous que je vous délivre, de Barabbas on de Jésus qui est appelé le Christ?" soient bien différents de ceux-ci: "Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs?" Mais cette différence n'est qu'apparente. En effet, tous les rois étaient appelés Christs ou oints, et quelle que soit l'expression, il est clair que Pilate leur demanda s'ils voulaient qu'on leur remit le Roi des Juifs ou le Christ. Qu'importe que saint Mc ait tu le nom de Barabbas! Il lui suffisait de raconter ce qui concernait le Seigneur. Du reste on voit suffisamment, dans leur réponse, que le choix leur avait été proposé entre Barabbas et Jésus: "Les pontifes, dit saint Mc soulevèrent la foule dans le but d'obtenir la délivrance de Barabbas;" il ajoute: "Pilate leur répondit: Que voulez-vous donc que je fasse du roi des Juifs?" Ceci prouve évidemment que saint Mc en parlant du Roi des Juifs, exprimait la même pensée que saint Matthieu en disant: "Le Christ." C'était seulement chez les Juifs que les rois étaient nommés Christs; et en effet, dans le même passage, saint Matthieu ajoute: "Pilate leur dit: Que ferai-je donc de Jésus qui est appelé le Christ?" Mais voici la suite de saint Marc: "Ils s'écrièrent de nouveau: Crucifie-le." Saint Matthieu avait dit: "Tous s'écrient: Qu'il soit crucifié." Saint Marc: "Or Pilate leur disait: Quel mal a-t-il donc fait? Mais ils criaient encore plus fort: Crucifie-le." Saint Matthieu ne parle pas de cette insistance; il ajoute seulement: "Pilate voyant qu'il n'obtenait rien et que le tumulte allait toujours croissant." Il ajoute aussi que Pilate se lava les mains en présence du peuple afin d'attester qu'il était innocent du sang du juste. Ce fait n'est rapporté ni par saint Mc ni par aucun autre évangéliste; mais on voit que dans ta pensée de saint Matthieu, Pilate n'en agit ainsi que dans le but d'obtenir plus facilement la délivrance de Jésus. On trouve la même idée dans ces paroles de saint Marc: "Quel mal a-t-il donc fait?" Enfin le même évangéliste conclut: "Pilate voulant satisfaire le peuple, leur remit Barabbas; et après avoir fait flageller Jésus il le leur abandonna pour le crucifier." C'est ainsi que Saint Mc rapporte ce qui se passa au prétoire (1).

1 Mc 15,2-15.

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34. Voici le récit des mêmes événements en saint Luc: "Ils se mirent donc à l'accuser en disant: Nous l'avons trouvé soulevant le peuple, défendant de payer le tribut à César et disant qu'il est le Christ-RoI," Les deux premiers évangélistes s'étaient contentés de dire, en général, que les Juifs accusaient le Sauveur; saint Luc va plus loin, il précise les chefs d'accusation portés contre lui. Puis, taisant cette demande de Pilate: "Ne réponds-tu rien? ne vois-tu pas toutes les accusations formulées contre toi?" il ajoute avec les autres évangélistes Pilate lui demanda: Es-tu le Roi des Juifs? Et Jésus lui répondit: Tu le dis." Saint Matthieu et saint Mc relatent cette réponse, avant de parler du silence gardé par Jésus en face de ses accusateurs. Mais la vérité n'a pas à souffrir de ce que saint Luc raconte les faits dans tel ou tel ordre, ou de ce que l'un tait ce que l'autre rapporte. Saint Luc continue ainsi: "Pilate dit aux princes des prêtres et à la foule: Je ne trouve aucun sujet de condamnation dans cet homme. Et les autres de s'indigner plus fort en disant: Il soulève le peuple par les enseignements qu'il répand dans toute la Judée, en commençant par la Galilée. A ce mot de Galilée, Pilate demanda s'il était Galiléen; et dès qu'il sut qu'il était de la dépendance d'Hérode, il le lui renvoya, car Hérode était lui-même, dans ces jours, à Jérusalem. Hérode fut très-content de voir Jésus; car il y avait longtemps qu'il désirait le rencontrer et qu'il espérait lui voir faire quelque miracle. Il lui adressa donc une foule de que: fions; mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Cependant les princes des prêtres et les scribes étaient là qui l'accusaient avec une grande opiniâtreté. Hérode le méprisa, imité en cela par toute son armée, le traita avec moquerie, le revêtit d'une robe blanche et le renvoya à Pilate. Et dès ce moment Hérode et Pilate devinrent amis, car avant cela ils étaient ennemis." Ce renvoi de Dilate à Hérode ne nous est rapporté que par saint Lc qui insère pourtant dans ce récit des traits analogues à ce que rapportent ailleurs les autres évangélistes; car ceux-ci n'ont voulu nous raconter que ce qui s'est passé au tribunal de Pilate jusqu'à la condamnation.
Après cette digression du renvoi à Hérode, saint Luc reprend le récit de ce qui s'est passé an tribunal de Pilate et continue ainsi: "Pilate ayant donc convoqué les princes de prêtre, les magistrats et le peuple, leur dit: Vous m'avez présenté cet homme comme pervertissant le peuple; je l'ai interrogé moi-même en votre présence, et dans tout ce que vous alléguez contre lui je ne trouve pas de quoi le mettre eu cause." On voit que saint Luc ne parle pas de la question posée au Seigneur par Pilate pour lui demander ce qu'il avait à répondre. Saint Luc continue: "Ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui et on n'a rien pu produire qui fût de nature à faire condamner cet homme à mort. Je vais donc le faire flageller et je le renverra1,Or, il était obligé de délivrer, le jour de la fête, un prisonnier. La foule s'écria comme un seul homme: Fais mourir celui-ci et remets-nous Barabbas,. qui avait été jeté en prison comme coupable d'avoir excité une sédition dans la ville, et commis homicide. Pilate leur parla de nouveau, voulant renvoyer Jésus. Mais ils s'écriaient: Crucifie, crucifie-le. Il leur parla une troisième fois et leur dit: Quel mal a-t-il donc fait? Car je ne trouve en lui aucune cause de mort; je le châtierai donc et le mettrai en liberté. Mais la foule redoublait ses cris, demandant qu'il fût crucifié, et leurs clameurs s'élevaient toujours davantage." Saint Matthieu à résumé en quelques mots les efforts tentés par Hérode pour délivrer Jésus: "Pilate, dit-il, voyant qu'il ne gagnait rien, et que le tumulte allait toujours croissant." Ces paroles supposent en effet que Pilate fit de violents efforts pour obtenir cette délivrance; seulement l'écrivain sacré ne nous dit pas le nombre de fois qu'il renouvela ses tentatives. Saint Luc achève ainsi le récit de ce qui s'est passé chez Pilate: "Celui-ci, dit-il, consentit à ce qui lui était demandé. Il leur remit celui qui avait été jeté en prison, pour crime de sédition et de meurtre, et il abandonna Jésus à leur volonté (1)."

35. Voyons maintenant comment saint Jean raconte cette même scène du prétoire: "Ils n'entrèrent pas au prétoire, de crainte de se souiller et afin de pouvoir manger la Pâque Pilate s'avança donc vers eux et leur dit: "Quelle accusation portez-vous contre cet homme? Ils lui répondirent: Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions point livré." N'y-a-t-il pas ici une contradiction entre saint Jean et saint Luc? Car ce dernier spécifie

1 Lc 23,2-25

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les principaux chefs d'accusation, dans les paroles suivantes: "Ils se mirent donc à l'accuser en disant: Nous l'avons surpris soulevant le peuple, défendant de payer le tribut à César et disant qu'il est le Christ-RoI," Saint Jn dans les paroles que nous avons citées, semble nous faire croire que les Juifs ont refusé d'articuler crime et qu'à cette question: "Quelle accusation apportez-vous contre cet homme," ils se sont contentés de répondre: "Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré." C'était lui dire clairement qu'il devait s'en remettre absolument à leur autorité, ne plus s'occuper de chercher ce dont ils l'accusaient et se contenter pour le croire coupable de savoir qu'il avait mérité de lui être livré par eux. Concluons de là que le récit de saint Jean est vrai, aussi bien que celui de saint Luc. Il y eut en effet un long échange de questions et de réponses, parmi lesquelles chaque évangéliste fit son choix et se contenta de ce qui lui parut suffisant. Saint Jean lui-même cite plus loin certains chefs d'accusation, comme nous le verrons en son lieu et place. Il continue: "Pilate leur dit: Prenez-le vous-mêmes et jugez le selon votre lo1,Les Juifs lui répondirent: Nous n'avons pas le droit de condamner à mort, afin que s'accomplit la parole par laquelle Jésus avait annoncé, de quelle mort il devait être frappé. Pilate rentra donc de nouveau dans le prétoire, appela Jésus et lui dit: Es-tu le Roi des Juifs? Jésus lui répondit: Dis-tu cela de toi-même, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi?" Ceci ne paraît pas conforme à cette réponse citée par les autres écrivains: "Jésus répondit: Tu le dis."Mais attendons la suite. Car saint Jean montre plutôt que ce qu'il rapporte maintenant, a été omis par les autres auteurs, et prononcé réellement par le Sauveur. Ecoutons ce qui suit: "Pilate répondit: Est-ce que je suis Juif? Ton peuple et les prêtres t'ont livré entre mes mains, qu'as-tu fait? Jésus répondit: Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes ministres combattraient pour m'empêcher de tomber entre les mains des Juifs; mais mon royaume n'est par d'ic1,Tu es donc roi? reprit Pilate. Jésus lui répondit: Tu le dis, Je suis roI," Ces dernières paroles nous amènent au récit déjà fait par les autres évangélistes, qui nous les ont rapportées. Saint Jean continue et met pur les lèvres du Sauveur ces mots que les autres ont passés sous silence: "Voici pourquoi je suis venu dans le monde, c'est pour rendre témoignage à la vérité; quiconque appartient à la vérité écoute ma voi10,Pilate lui répondit: Qu'est-ce que la vérité? Et après avoir dit ces mots, il sortit de nouveau vers les Juifs et leur dit: Je ne trouve rien en cet homme qui puisse le faire mettre en cause. Or, c'est pour vous une coutume que je vous délivre un prisonnier à la fête de Pâque: voulez-vous que je vous remette le Roi des Juifs? Tous crièrent de nouveau: Non pas lui, mais Barabbas; or Barabbas était un scélérat. Pilate se saisit donc de Jésus, et le fit flageller. Et les soldats, tressant une couronne d'épines, la lui mirent sur la tète, le couvrirent d'un vêtement de pourpre, et s'approchant, ils lui disaient:Salut, Roi des Juifs, et ils le souffletaient. Pilate sortit de nouveau et dit aux Juifs: Voici que je vous le présente de nouveau afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus parut donc, portant la couronne d'épines et le vêtement de pourpre, et Pilate dit aux Juifs: Voilà l'homme. A cette vue les pontifes et les ministres criaient: Crucifie, crucifie-le. Pilate leur répondit: Prenez le vous-mêmes et le crucifiez; car pour moi je ne le trouve coupable d'aucun crime. Les Juifs répliquèrent:Nous avons une loi; et selon cette loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu." Ceci se rapporte à cette accusation énumérée par saint Luc: "Nous l'avons surpris soulevant notre nation;" il aurait pu ajouter: "parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu." Saint Jean continue: "En entendant ces paroles Pilate eut peur; il rentra aussitôt dans le prétoire et dit à Jésus: D'où es tu? Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit: Tu ne me parle pas? Ignores-tu que j'ai le pouvoir de te crucifier comme aussi le pouvoir de te renvoyer? Jésus lui répondit: Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut. Voilà pourquoi celui qui m'a livré à toi, a commis un plus grand péché. Depuis ce moment Pilate cherchait à le renvoyer. Mais les Juifs criaient: Si tu le renvois, tu n'es pas l'ami de César; car quiconque se donne pour roi, se met en opposition. avec César." On peut rapprocher de ces paroles, les paroles suivantes de saint Luc: "Nous l'avons surpris soulevant notre nation, empêchant de payer le tribut à César et disant qu'il est le Christ-RoI," C'est ainsi que se trouve (224) résolue la question posée précédemment, à l'occasion de ces paroles: "S'il n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré;" car on voulait en conclure que dans l'Evangile de saint Jn les Juifs ne formulaient aucun crime contre le Sauveur. Saint Jean continue: "Pilate ayant entendu ces discours, fit sortir Jésus et s'assit sur son tribunal, dans le lieu appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbata. Or, on était à la veille de Pâque, vers la sixième heure; et Pilate dit aux Juifs: Voici votre Ro1,Ils s'écrièrent: Enlève, enlève-le, crucifie-le. Pilate leur dit: Crucifierai-je votre roi? Les prêtres répondirent: Nous n'avons pas d'autre roi que César. Alors Pilate le leur livra pour le crucifier." Voilà, d'après saint Jn ce qui se passa au tribunal de Pilate (1).

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CHAPITRE 9, JÉSUS JOUET DE LA SOLDATESQUE.

36. Il nous reste à parcourir les témoignages des quatre évangélistes, relatifs à la passion même du Sauveur. Saint Matthieu commence ainsi: "Alors les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte, et après lui avoir ôté ses vêtements, ils le couvrirent d'un manteau d'écarlate. Et entrelaçant une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête, avec un roseau dans la main droite, et fléchissant le genou devant lui, ils le raillaient en disant: Salut, Roi des Juifs (2)." Saint Mc raconte ainsi le même fait et au. même endroit de sa narration: "Les soldats le conduisirent dans la cour intérieure du prétoire; là ils convoquent toute la cohorte; puis ils le revêtent de pourpre, lui mettent sur la tête une couronne d'épines, tressée par eux, et se mettent à le saluer: Salut, roi des Juifs; et ils lui frappaient la tête avec un roseau, et ils le couvraient de mépris, et ployant le genou ils l'adoraient (3)." Ce que saint Matthieu appelle un manteau d'écarlate, saint Mc l'appelle un vêtement de pourpre. A la place de la pourpre royale, on se servit par dérision de ce vêtement d'écarlate; la pourpre a en effet le rouge de l'écarlate. Il peut se faire aussi que saint Mc ait entendu désigner la pourpre, attachée au manteau d'écarlate. Saint Luc n'a pas parlé de cette circonstance. Saint

1 Jn 18,28 Jn 19,16. -2 Mt 27,27-31. - 3 Mc 15,16-20.

Jn avant de rapporter la sentence de Pilate livrant le Sauveur au supplice de la croix, raconte le même fait en ces termes: "Pilate se saisit donc de Jésus et le fit flageller. Les soldats, après avoir fait une couronne d'épines, la lui mirent sur la tête, le couvrirent d'un manteau de pourpre et s'approchaient de lui en disant: Salut, roi des Juifs, et ils le souffletaient (1)." Il suit delà que saint Matthieu et saint Mc racontent cet événement sous forme de récapitulation, et non pour marquer qu'il eut lieu après la sentence de crucifiement, portée par Pilate. Aussi saint Jean annonce clairement que ce fut chez Pilate que le Sauveur subit cette honteuse humiliation, et les autres évangélistes ne font que rappeler ce qui s'était j'ait. On doit aussi rapporter à cela ce qu'ajoute saint Matthieu: "Et le couvrant de crachats, ils prirent un roseau et lui en frappaient la tête; et après qu'ils l'eurent tourné en dérision, ils le dépouillèrent de son manteau, le couvrirent de ses propres vêtements et le conduisirent au lieu où il devait être crucifié." Ce dépouillement du manteau que devaient remplacer ses vêtements, n'eut lieu qu'à la fin de cette scène, quand on allait le conduire au supplice. Saint Mc rapporte le même fait en ces termes: "Et après qu'ils l'eurent tourné en dérision, ils le dépouillèrent de la pourpre et le couvrirent de ses vêtements."


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CHAPITRE 10, JÉSUS AIDÉ A PORTER SA CROIX,

37. Nous lisons en saint Matthieu: "Pendant qu'ils le conduisaient, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, et le mirent en réquisition pour porter la croix de Jésus (2)." En saint Marc: "Et ils le conduisent, pour le crucifier. Et voyant passer un certain Simon de Cyrène, venant de sa villa, et père d'Alexandre et de Rufus, ils le mirent en réquisition pour porter la croix de Jésus (3)." En saint Luc: "Pendant qu'ils le conduisaient, ils se saisirent d'un certain Simon de Cyrène, qui revenait de sa villa et le chargèrent de la croix pour la porter après Jésus (4)." Voici le récit de saint Jean: "Ils prirent donc Jésus et l'emmenèrent; ainsi chargé de sa croix il se dirigea vers le lieu du Calvaire, en hébreu Golgotha; c'est là qu'ils le crucifièrent (5)." Ces paroles

1 Jn 19,1-3. - 2 Mt 27,32. - 3 Mc 15,20-21. - 4 Lc 23,26. - 5 Jn 19,16-18.

222

nous font conclure que Jésus portait lui- même sa croix quand il se dirigea vers cette montagne. Ce fut seulement en chemin que l'on mit en réquisition ce Simon, dont le nom nous est cité par trois évangélistes, et qu'on le chargea de porter la croix jusqu'au lieu désigné. C'est ainsi que tout se concilie parfaitement; Jésus porta d'abord seul sa croix, comme le rapporte saint Jean; puis il fut aidé par Simon de Cyrène, comme nous le racontent les autres évangélistes.


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CHAPITRE 11,DU BREUVAGE DONNÉ A JÉSUS.

38. Saint Matthieu continue: "Ils arrivèrent à un lieu appelé Golgotha, c'est-à-dire le Calvaire." Il n'y a aucune différence dans la désignation de ce lieu; nous lisons ensuite: "Ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel. Mais quand il en eut goûté, il ne voulut point en boire (1)." D'après saint Marc: "Ils lui donnaient à boire du vin mêlé de myrrhe et il n'en voulut point (2)." Le texte de saint Matthieu a la même signification; car le mot fiel désigne ici quelque chose de très-amer, et cette amertume est le caractère du vin mêlé de myrrhe. Il peut se faire cependant que le fiel et la myrrhe aient été mêlés pour rendre le vin très-amer. Ce mot de saint Marc: "Il n'en le voulut pas," doit s'entendre dans ce sens que Jésus refusa de le boire. Il goûta néanmoins, selon le témoignage de saint Matthieu; mais il ne voulut point le prendre. Saint Mc sans nous dire qu'il ait goûté, affirme seulement qu'il ne voulut point le recevoir.


Augustin acc. évangélistes 307