Augustin sur Jean 39
39Jn 8,26-27
DEPUIS CE PASSAGE: "J'AI BEAUCOUP DE CHOSES À DIRE DE VOUS", JUSQU'À CET AUTRE: "ET ILS NE COMPRIRENT PAS QU'IL LEUR PARLAIT DU PÈRE".
Jésus se dit le principe, mais il ne l'est pas seul; car il partage avec les deux autres personnes de la Trinité, et celles-ci partagent avec lui cette propriété. La paternité est propre au Père, la filiation au Verbe, la Procession au Saint-Esprit; mais en tout le reste, les trois personnes divines ont la même nature et ne font qu'un Dieu, un principe. Par là même qu'il est inséparable du Père, et que le Père est véridique, les jugements du Fils sont fondés sur la vérité même.
1.Les paroles du saint Evangile qu'on vient de nous lire, ont été adressées aux Juifs par Notre-Seigneur Jésus-Christ; en cette circonstance, le Sauveur s'est exprimé avec une si grande réserve, que les aveugles sont restés aveugles, et que ceux qui croyaient en lui ont ouvert les yeux. Voici ce passage dont on vous a donné lecture: "Les Juifs lui disaient: Qui es-tu?" Car il leur avait fait cette déclaration: "Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés (1)". Ils lui adressèrent donc cette question: "Qui es-tu?" comme s'ils désiraient savoir pour qui ils devaient le prendre, afin de ne pas mourir dans leurs péchés. A cette demande: "Qui es-tu?" Jésus répondit: "Le Principe, parce que je vous parle moi-même". Dès
1. Jn 7,25-24.
lors que, suivant sa déclaration formelle, il est le principe, on peut chercher à savoir si le Père est aussi principe. Si le Fils, qui a un Père, est principe, il est bien plus naturel encore de penser qu'il en est de même du Père, puisqu'il est le Père de son Fils et qu'il n'est lui-même engendré par aucun autre. Le Fils est Fils du Père, et le Père est évidemment Père du Fils; mais on appelle le Fils Dieu de Dieu, lumière de lumière; au Père, on donne le nom de lumière, mais jamais on ne l'a dit: lumière de lumière; il est appelé Dieu, et non pas Dieu de Dieu. Que si le Dieu de Dieu, la lumière de lumière, est principe, combien plus facilement on petit regarder comme principe la lumière qui engendre la lumière, le Dieu qui engendre un Dieu. Très-chers frères, il est donc absurde [598] de dire que le Fils est principe, et de refuser au Père cette perfection.
2. Que faire alors? Reconnaître qu'il y a deux principes? Cela est impossible. Qu'est-ce donc? Si le Père est principe et le Fils aussi, comment n'y a-t-il pas deux principes? Par la même raison que nous ne reconnaissons pas deux dieux, en confessant un Dieu Père et un Dieu Fils. Il est défendu de dire qu'il y a deux dieux; il n'est pas plus permis d'en reconnaître trois; et, pourtant, le Père n'est pas le Fils; le Fils n'est pas le Père; le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, n'est ni le Père ni le Fils. Nous l'avons appris sur les genoux de notre, mère, l'Eglise catholique: quoique le Père ne soit pas le Fils, quoique le Fils ne soit pas le Père, quoique l'Esprit de l'un et de l'autre ne soit ni le Père, ni le Fils, nous ne disons pas qu'il y ait trois dieux; et, néanmoins, si l'on nous interroge sur chacun d'eux, si l'on nous demande de l'un ou de l'autre des trois s'il est Dieu, nous devons nécessairement répondre d'une manière affirmative.
3. Cette doctrine est absurde aux yeux des hommes qui concluent des choses ordinaires à ce qui ne l'est pas, des objets visibles aux êtres invisibles, des créatures au Créateur. Parfois les infidèles nous questionnent et nous disent: Reconnaissez-vous comme Dieu celui que vous reconnaissez comme le Père? Nous répondons: Oui. - Celui à qui vous donnez le nom de Fils, dites-vous qu'il est Dieu?- Oui. - Celui que vous appelez le Saint-Esprit, le confessez-vous Dieu? - Oui. - Ils ajoutent: Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc trois dieux? - Non. Ils se troublent, parce qu'ils ne sont pas éclairés: leur coeur est fermé, parce qu'ils n'ont pas en mains la clef de la foi. Pour nous, mes frères, qui avons d'abord reçu, le don de la foi, qui a purifié l'oeil de notre coeur, saisissons, sans rencontrer l'obstacle d'aucune ombre, ce que nous comprenons; et ce que nous ne comprenons pas, croyons-le sans le mélange d'aucun doute; n'abandonnons pas le fondement de la foi; par là, nous arriverons au faîte de la perfection. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu; et, cependant, le Fils n'est pas le Père, le Père n'est pas le Fils; l'Esprit du Père et du Fils n'est ni l'un ni l'autre: et tous trois ne sont qu'un seul Dieu, tous trois ne forment qu'une seule et même éternité, une seule et même puissance, une seule et même majesté; ils sont trois, mais ils ne font pas trois dieux. Qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas; qu'on ne me fasse point cette réponse: Qu'est-ce à dire Trois? S'ils sont trois, il faut me dire ce qu'ils sont tous les trois. - C'est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. - Tu viens de dire: Trois. Explique-moi donc ce que signifie ce mot Trois. - Compte plutôt toi-même; car je parfais le nombre trois, quand je nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Relativement à lui-même, le Père est Dieu; relativement au Fils, il est le Père. Par rapport à lui-même, le Fils est Dieu; par rapport à son Père, il est le Fils.
4. Ce que je dis des comparaisons prises parmi les choses ordinaires peuvent le faire comprendre. J'ai devant moi deux hommes, dont l'un est le père et l'autre le fils. Considéré en lui-même, celui-là est homme; il est père dès qu'on le considère dans ses rapports avec le fils; celui-ci est encore homme, si je ne vois que lui; mais si je le compare à son père, il est le fils. A l'un on a donné le nom de père, à l'autre le nom de fils, sous un certain point de vue; et, en réalité, ce sont deux hommes différents. Quant à Dieu le Père, il est le Père sous un rapport, sous le rapport du Fils; comme Dieu le Fils est le Fils sous un rapport, sous le rapport du Père; toutefois, il n'en est pas d'eux comme des deux hommes dont nous venons de parler; ils ne sont pas deux Dieux. Pourquoi n'en est-il pas de même? Parce qu'ici c'est une chose, et que là c'est une autre; parce qu'ici c'est la divinité; parce qu'il y a ici un mystère qu'aucune langue humaine ne peut expliquer: ici, il y a en même temps nombre, et absence complète de nombre. Remarquez-le, en effet, n'y voit-on-pas comme un nombre une Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit? Si l'on y trouve le nombre trois, qu'est-ce ces trois? Il n'y a plus de nombre. Ainsi, tout à la fois en Dieu on trouve un nombre, et il n'y -a pas de nombre. Il semblerait qu'on en trouve un, puisqu'on y trouve trois; mais dès qu'on veut savoir ce que sont ces trois, il est impossible de compter. Voilà pourquoi le Palmiste a dit: "Notre Dieu est grand, sa puissance est sans bornes, et personne ne peut mesurer sa sagesse (1)".
1. Ps 14,6.
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Dès que tu y penses, tu commences à compter; à peine as-tu compté, que tu es dans l'impossibilité de dire ce que tu as compté. Le Père est le Père, le Fils est le Fils, le Saint-Esprit est le Saint-Esprit. Qu'est-ce que ces trois, le Père, le Fils et le Saint-Esprit? Sont. ils trois Dieux?-Non.- Trois Tout-Puissants? - Non. - Trois créateurs du monde? - Non. - Le Père est-il tout-puissant? - Oui, sans doute. - Le Fils l'est-il aussi? - Oui, cela est certain. - Le Saint-Esprit l'est-il également? - Il l'est autant que le Père et le Fils. - Il y a donc trois Tout-Puissants? - Non, il n'y en a qu'un. On ne peut les compter qu'en les mettant en parallèle les uns avec les autres; si on les considère séparément, c'est impossible. Quant à lui-même, sa effet, le Père est un même Dieu avec le Fils et le Saint-Esprit, et il n'y a pas trois Dieux; relativement à lui seul, il est un même Tout-Puissant que le Fils et le Saint-Esprit, et il n'y a pas trois tout-puissants. Le Père n'est point le Père par rapport à lui-même, mais seulement par rapport au Fils. Le Fils n'est tel que par rapport au Père l'Esprit ne porte pas non plus, indépendamment de l'un et de l'autre, le nom d'Esprit du Père et du Fils. Je ne saurais dire ce que sont ces trois, sinon que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, un seul Tout-Puissant. Il n'y a donc qu'un seul. principe.
5. Pour vous faire tant soit peu comprendre ce que je dis, je vais vous citer des faits rapportés par la sainte Ecriture. Après la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il monta vers son Père au moment qu'il avait choisi; puis, dix jours s'étant écoulés, il envoya le Saint-Esprit à ses disciples réunis dans la même salle; remplis de tous ses dons, ils commencèrent à parler le langage de toutes les nations. Ce miracle saisit d'épouvante ceux qui avaient fait mourir le Sauveur; contrits et repentants, ils trouvèrent dans leur douleur le principe de leur conversion, et leur conversion fut pour eux la source de la foi, et trois mille hommes s'unirent au corps du Christ, c'est-à-dire aux fidèles. Un autre miracle amena à l'Eglise cinq autres mille hommes. Alors, on vit se former un grand peuple, animé des mêmes sentiments. Tous les membres de ce peuple reçurent le Saint-Esprit qui alluma en eux le feu de l'amour divin: sous l'influence de la charité et de la ferveur d'âme, ils formèrent une société si étroitement unie, qu'ils vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, afin qu'il fût réparti entre tous, proportionnellement aux besoins de chacun; et voici ce qu'en dit l'Ecriture: c'est que, "parmi eux, il n'y avait qu'un coeur et qu'une âme pour Dieu (1)". De là remarquez, mes frères, et apprenez à connaître le mystère de la Trinité; comprenez comment nous disons: Il y a un Père, un Fils et un Saint-Esprit, et, pourtant, il n'y a qu'un seul Dieu. Les membres de la primitive Eglise se comptaient par milliers, et, parmi eux, il n'y avait qu'un coeur: ils étaient en aussi grand nombre, et ils n'avaient qu'une âme. Mais où étaient leur coeur et leur âme? En Dieu. A bien plus forte raison doit-on trouver en Dieu la même unité. Me trompé-je dans ma manière de parler, lorsque je dis que deux hommes font deux âmes, que trois hommes font trois âmes, qu'une multitude d'hommes font une multitude d'âmes? Je parle évidemment avec justesse. Qu'ils s'approchent de Dieu, et ils n'auront tous qu'une âme. Si, en s'approchant de Dieu, plusieurs âmes deviennent, par l'effet de la charité, une seule âme, et plusieurs coeurs un seul coeur, quel effet produit dans le Père et le Fils la source même de la charité? La Trinité ne devient-elle pas plus étroitement encore un seul Dieu? Selon l'Apôtre, la charité nous vient de là par le Saint-Esprit: "L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné (2)". Si donc la charité, répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, fait de plusieurs âmes une seule âme, et de plusieurs coeurs un seul coeur, à bien plus forte raison fait-elle du Père, du Fils et du Saint-Esprit un seul Dieu, une seule lumière, un seul principe.
6. Écoutons donc les paroles que nous adresse le Principe. "J'ai", dit-il, "beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit". Vous vous souvenez qu'il a dit: "Je ne juge personne (3)". Et voilà qu'il dit: "J'ai beaucoup de choses a dire et à juger à votre endroit". Mais autre chose est "je ne juge personne"; autre chose, "j'ai à juger. Je ne juge personne", regarde le présent,
1. Ac 2,4. - 2. Rm 5,5. - 3. 1Jn 8,15.
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car le Christ était venu pour sauver le monde, et non pour le juger (1). Mais ces autres paroles: "J'ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit", concernent le jugement à venir; car il est monté au ciel, afin de venir plus tard pour juger les vivants et les morts. Personne ne jugera avec plus de justice, que celui qui a été injustement jugé. "J'ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m'a envoyé est véridique". Voyez comme le Fils, qui est égal à son Père, travaille à lui rendre gloire. Il nous donne l'exemple et semble nous parler dans le secret de notre coeur. Homme fidèle, te dit le Seigneur ton Dieu, écoute mon Evangile, tu y verras qu'au commencement était le Verbe, que le Verbe est Dieu en Dieu, égal à son Père, coéternel à celui qui l'engendre, que je suis ce Verbe et que je glorifie celui dont je suis le Fils. Pourquoi donc te montrer orgueilleux à l'égard de Celui dont tu es le serviteur?
7. "J'ai beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit, mais celui qui m'a envoyé est véridique". C'était dire en d'autres termes: Je juge selon la vérité, parce que je suis le Fils d'un Père qui est véridique, parce que je suis la vérité. Le Père est véridique, le Fils est la vérité; que pouvons-nous imaginer de plus? De ces deux choses, être véridique ou être la vérité même, laquelle des deux l'emporte sur l'autre? Décidons, si nous le pouvons. Cherchons, par quelques exemples, à le comprendre. Un homme pieux est-il pieux ou bien est-il la piété? Il vaut mieux être la piété même qu'être pieux: pieux vient de piété, et piété ne dérive pas de pieux. En effet, la piété peut exister encore, lors même que l'homme, autrefois pieux, serait devenu impie. Il a perdu la piété, mais il ne lui a rien fait perdre. Il en est de même de ces deux choses: être beau et être la beauté même; il vaut mieux être la beauté qu'être beau; car la beauté fait le bel homme, tandis que le bel homme ne fait pas la beauté. Raisonnons encore de la même manière sur ces deux autres états: être chaste et être la chasteté même. Evidemment, la chasteté est préférable à la qualité de personne chaste: si la chasteté n'existait pas, comment un homme pourrait-il être chaste?
1. Jn 12,47.
Jamais il ne posséderait cette vertu; mais si quelqu'un veut être impudique, elle n'en souffre aucune atteinte. La piété a donc plus de prix que la qualité d'homme pieux, la beauté vaut mieux que la qualité d'homme beau, la chasteté est préférable à la qualité d'homme. chaste. Mais dirons-nous, pour cela, que la vérité est plus que la qualité de personne véridique? Si nous le prétendons, nous affirmerons déjà que le Fils est supérieur au Père; or, le Sauveur a fait cette déclaration formelle: "Je suis la voie, la vérité et la vie (1)". Si le Fils est la vérité, que sera le Père, sinon ce qu'en a dit la Vérité même: "Celui qui m'a envoyé est véridique?" Le Fils est la vérité, le Père est véridique. Je cherche à savoir en quoi le Fils est supérieur au Père, et je les trouve égaux: le Père est véridique, non pas en ce sens qu'il ne posséderait en lui-même qu'une partie de la vérité, mais en ce sens qu'il l'a engendrée tout entière.
8. Je le vois, il me faudrait épuiser le sujet; mais afin de ne pas vous retenir trop longtemps, je n'irai pas aujourd'hui plus loin dans mes explications, et quand, avec la grâce de Dieu, je serai arrivé à la fin de ce que je veux dire, je me bornerai là. Je vous parle ainsi pour ranimer votre attention. Parce qu'elle est sujette au changement, et quoiqu'elle soit une créature d'élite, toute âme est une créature; elle a beau être plus estimable que le corps, elle n'en est pas moins sortie des mains du Créateur. Toute âme est sujette à des vicissitudes, c'est-à-dire que tantôt elle croit et tantôt elle ne croit pas; elle veut aujourd'hui, et bientôt ne voudra plus; tout à l'heure elle était chaste, elle est maintenant adultère; tour à tour elle se montre bonne et mauvaise: elle subit donc des variations dans son être. Pour Dieu, il est ce qu'if est; aussi s'est-il réservé un nom qui ne convient qu'à lui seul: "Je suis Celui qui suis (2)". Le Fils est aussi ce qu'il est, car il a dit: "Si vous ne croyez pas que je suis"; à cela se rapportent encore ces paroles: "Qui es-tu? - Le Principe (3)". Dieu est donc immuable, et l'âme humaine est sujette au changement. Quand elle puise en Dieu la bonté, elle devient bonne par participation avec lui, de la même manière que ton oeil aperçoit les objets en entrant en
1. Jn 14,6. - 2. Ex 3,14. - 3. Jn 8,21-25.
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participation de la lumière; car il ne voit plus rien dès que tu lui retires cette lumière, dont les rayons ont dissipé ses ténèbres en se communiquant à lui. L'âme devient bonne, en puisant en Dieu sa bonté; mais si elle subit un changement et devient mauvaise, la bonté, en participation de laquelle elle était entrée, n'en subsiste pas moins. Pendant qu'elle était bonne, elle possédait la bonté dans une certaine proportion; devenue mauvaise, elle a laissé la bonté libre de toute atteinte. Cette lumière s'est communiquée à ton oeil, et il voit; se ferme-t-il? l'intensité des rayons lumineux n'est en rien diminuée; s'ouvre-t-il? leur éclat n'en est nullement augmenté; A l'aide de cette comparaison, mes frères, vous pouvez comprendre que si l'âme est pieuse, la piété elle-même réside en Dieu, qui en communique quelque chose à l'âme; si l'âme est chaste, la chasteté bien Dieu, et Dieu permet à l'âme d'y participer. Si l'âme est bonne, elle puise à la source même de la bonté qui se trouve en Dieu. Si l'âme est véridique, c'est que Dieu, en qui réside la vérité, l'en a fait participante. Tout homme dont l'âme n'est pas en participation de la vérité, est, par là même, convaincu d'erreur (1); et dès lorsque tout homme est menteur, nul n'est véridique de sa propre nature. Quant au Père, il est véridique, et il l'est de par lui-même, parce qu'il a engendré la vérité. Autre chose est de dire: Cet homme est véridique, parce qu'il est entré en participation de la vérité; autre chose est de dire: Dieu est véridique, parce qu'il a engendré la vérité. Si Dieu est véridique, ce n'est donc point pour être entré en participation de la vérité: c'est pour l'avoir engendrée. Je le vois, vous avez saisi ma pensée, et je m'en réjouis. Que ce que j'ai dit vous suffise pour aujourd'hui; nous vous expliquerons le reste quand Dieu le permettra et selon la mesure de sa grâce.
1. Ps 115,11.
40Jn 8,28-32
DEPUIS CET ENDROIT: "C'EST POURQUOI JÉSUS LEUR DIT: QUAND VOUS AUREZ ÉLEVÉ LE FILS DE L'HOMME", JUSQU'À CET AUTRE: "ET VOUS CONNAITREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS AFFRANCHIRA".
Le Sauveur proclamait sa divinité, mais la gloire de sa résurrection et les prodiges qui devaient la suivre, étaient destinés à la faire briller d'un vif éclat, à convertir un grand nombre d'hommes. Oui, de tous ces événements devait ressortir la preuve que le Christ est, qu'il a été engendré avant tous les temps par le Père, qu'il est la vérité même. Ces événements sont pour nous un puissant motif de persévérer dans la foi; notre persévérance nous conduira des ombres de la foi à la claire vue de la vérité.
1. Vous avez déjà entendu lire un grand nombre de passages tirés du saint Evangile selon saint Jean, Evangile que vous voyez entre nos mains. Ces passages, nous vous les avons expliqués de notre mieux avec le secours de la grâce divine. Nous vous l'avons dit, cet Evangéliste a choisi de préférence, comme thème de son livre, la divinité du Sauveur, selon laquelle il est égal à son Père et Fils unique de Dieu; c'est pourquoi Jean a été comparé à un aigle, parce que l'aigle est, de tous les oiseaux, celui qui s'élève le plus haut dans les airs. Apportez donc une extrême attention à écouter la suite de cet Evangile: je vous en expliquerai successivement tous les textes, comme le Seigneur me permettra de le faire.
2. Nous vous avons parlé à l'occasion de la leçon précédente, et nous vous avons dit en quel sens on doit comprendre que le Père est
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véridique et que le Fils est la vérité. Le Seigneur Jésus ayant dit: "Celui qui m'a envoyé est véridique (1)", les Juifs ne comprirent pas qu'il avait voulu leur parler de son Père. Il ajouta ce que vous venez d'entendre lire: "Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que je suis, et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces choses ainsi que mon Père m'a a enseigné". Qu'est-ce que cela? Il semble n'avoir dit rien autre chose que ceci c'est, qu'après sa passion, ils sauraient qui il était. Sans aucun doute, parmi ses auditeurs, il en discernait un certain nombre qu'il connaissait, qu'il avait choisis, par un effet de sa prescience, avec ses autres saints, dès avant la constitution du monde, et qui devaient croire en lui après sa passion: voilà ceux que nous recommandons sans cesse à votre imitation, et que nous vous proposons comme vos modèles, en vous priant instamment de suivre leurs traces. Après la mort, la résurrection et l'ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Saint-Esprit est descendu d'en haut; des prodiges éclatants ont été opérés au nom de Celui que les Juifs avaient persécuté et méprisé, puisqu'ils l'avaient fait mourir à la vue de ces merveilles, ces hommes furent saisis d'un sincère repentir; et alors on vit se convertir et croire au Christ ceux qui l'avaient persécuté et mis à mort, et le sang qu'ils avaient cruellement répandu, la foi en fit pour eux un breuvage; il apercevait déjà ces trois mille, ces cinq mille Juifs parmi ses auditeurs (2) au moment où il disait: "Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que je suis". C'était dire, sous une autre forme: J'attends, pour me faire connaître à vous, que toutes les circonstances de ma passion aient eu lieu; à l'heure opportune, vous connaîtrez que je suis. Tous ceux qui l'écoutaient ne devaient pas, pour croire en lui, attendre sa mort; car l'Evangéliste ajoute un peu après: "Comme il parlait encore, beaucoup crurent en lui", et pourtant le Fils de l'homme n'avait pas encore été élevé. Il parlait de son exaltation douloureuse, et non de son exaltation glorieuse, de son exaltation en croix, et non de son exaltation dans le ciel; parce qu'il a été élevé pendant qu'il était attaché à l'instrument de son supplice; alors, il s'est fait
1. Jn 8,26. - 2. Ac 2,37 Ac 2,41 Ac 4,4.
obéissant jusqu'à la mort de la croix (1). Tous ces événements devaient s'accomplir de la main même de ceux qui devaient croire en lui; car il leur avait dit: "Lorsque vous a aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que je suis". Pourquoi cela, sinon afin que tout homme, si criminel qu'il se reconnût intérieurement, pût nourrir encore des pensées d'espoir, en voyant le pardon accordé au crime de ceux qui avaient fait mourir le Christ?
3. Le Sauveur remarqua donc ces hommes dans la foule qui l'entourait, et il leur dit ci. Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, "alors vous saurez que je suis". Vous savez déjà ce que veut dire ce mot: "Je suis". Il est inutile d'y revenir encore: vous parler trop longuement d'un si grand mystère, ce serait s'exposer à vous ennuyer. Rappelez. vous ces paroles: "Je suis Celui qui suis"; et: "Celui qui est m'a envoyé (2)"; et vous comprendrez ces paroles du Christ: "Alors, vous saurez que je suis", et aussi que le Père est, et que le Saint-Esprit est. C'est relativement à lui que toute la Trinité a sa raison d'être. Notre-Seigneur parlait en qualité de Fils: il ne voulut pas que ces paroles. "Alors a vous connaîtrez que je suis", pussent donner lieu et laisser prendre pied à l'erreur des Sabelliens, c'est-à-dire des Patripassiens; je vous ai dit au sujet de cette erreur: Ne vous y attachez pas, écartez-vous-en avec soin; elle consiste à prétendre, comme vous le savez, que le Père et le Fils ne diffèrent l'un de l'autre que par le nom, et qu'en réalité ils sont une seule et même chose. Pour nous faire éviter cette erreur, et afin qu'on ne le prît pas pour le Père, le Sauveur, après avoir dit: "Alors vous connaîtrez que je suis", ajouta immédiatement: "Et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces a choses comme mon Père m'a enseigné". Devant cette porte ouverte à son erreur, le disciple de Sabellius avait déjà commencé à se réjouir; mais à peine s'y était-il comme furtivement glissé, que la lumière de cette déclaration vint le confondre. Parce qu'il avait dit: "Je suis", tu avais cru qu'il était le Père. Ecoute, il va te prouver qu'il est le Fils: "Je ne fais rien de moi-même". Qu'est-ce à dire: "Je ne fais rien de moi-même?" Je ne suis pas de moi-même. Le
1. Ph 2,8. - 2. Ex 3,14.
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Fils est, en effet, Dieu engendré du Père; mais le Père n'est pas Dieu engendré du Fils. Fils est Dieu de Dieu: le Père est Dieu, mais il n'est pas Dieu de Dieu. Le Fils est lumière de lumière: le Père est aussi lumière, mais non de lumière. Le Fils est, tuais il y a quelqu'un de qui il est: le Père est, mais il n'y a personne de qui il soit.
4. Parce que le Christ a ajouté: "Je vous dis ces choses comme mon Père m'a enseigné", qu'aucun d'entre vous, mes frères, ne se laisse aller à des pensées charnelles; car, par un effet de la faiblesse humaine, notre manière de penser se règle d'après ce que nous avons accoutumé de faire ou de noir. Ne vous figurez donc pas que vous avez sous les yeux deux hommes, dont l'un serait le Père, et l'autre le Fils. Ne t'imagine pas que le Père parle à son Fils, comme tu fais toi-même lorsque tu parles à ton enfant, pour l'instruire et lui apprendre à parler lui-même du qu'il retienne tes paroles, qu'après les avoir retenues, il les traduise en mots, les rendant bien distinctement, syllabe par syllabe, et les portant aux oreilles des autres telles que les siennes les ont reçues. N'ayez point de pareilles idées, car vous forgeriez des idoles dans votre coeur. Il ne faut point supposer que la Trinité ait l'apparence et les membres d'un homme, une figure de chair, tous ces sens visibles, la stature et les mouvements du corps, l'usage de la langue, une parole articulée: nous ne pouvons imaginer que la forme d'esclave, dont le Fils unique de Dieu s'est revêtu quand le Verbe s'est fait chair pour habiter parmi nous (1). Ici, ô fragilité humaine, je ne t'empêche nullement d'avoir des pensées en rapport avec ce que tu connais: je t'y force, au contraire. Si ta foi est véritable, voilà ce que tu dois penser du Christ, en tant qu'il est né de la Vierge Marie, et non entant qu'engendré par Dieu le Père. On l'a vu enfant; il a pris de l'accroissement, il a marché, il a eu faim et soif, et enfin, il a souffert, il a été attaché à la croix, il a été mis à mort, on l'a enseveli comme un autre homme, et c'est avec la forme d'un homme qu'il est ressuscité, qu'il est monté au ciel en présence de ses disciples, et qu'il viendra nous juger. La parole des anges, que cite l'Evangéliste, ne laisse aucun doute à cet égard . "Il viendra tel que vous l'avez vu monter au
1. Jn 1,14.
ciel (1)". Quand tu cherches à te faire une idée de la forme d'esclave dont le Christ s'est revêtu, il faut, si tu as la foi, penser à une forme humaine; mais si tu veux te faire une idée de ce qu'il est, quand s'appliquent à lui ces paroles: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2)"; loin de ton esprit toute image de l'homme! Loin de ton imagination tout objet qui se mesure à la manière d'un corps, tout ce qui peut tenir clans l'espace, ou faire partie d'une masse si démesurée qu'elle soit: que de pareilles imaginations ne trouvent jamais accès dans ton coeur. Figure-toi, si c'est possible, la beauté de la sagesse: fais-toi une idée de la beauté de la justice. Y a-t-il là une forme? de la grandeur? des couleurs? Il n'y a rien de tout cela, et pourtant, la sagesse et la justice existent; s'il en était autrement, on ne les aimerait pas, on n'en ferait nul éloge; et si on ne les aimait pas et qu'on n'en fît pas l'éloge, elles resteraient étrangères à nos affections et à nos moeurs. Mais on voit des hommes devenir sages; où en est la cause, sinon dans l'existence même de la sagesse? O homme, tu ne peux voir ta sagesse avec les yeux de ton corps: tu es incapable de t'en faire une idée pareille à celle que tu te fais des objets matériels, et tu oses te représenter la sagesse de Dieu sous la forme d'un corps humain?
5. Aussi, mes frères, comment expliquer ceci? Le Fils a dit: "Je vous dis ces choses comme mon Père m'a enseigné". De quelle manière le Père lui a-t-il parlé? Lui a-t-il seulement parlé? Pour instruire son Fils, le Père a-t-il prononcé, des paroles, comme tu en prononces toi-même, lorsque tu donnes des leçons à ton enfant? Quelles paroles peut-il adresser à sa Parole? Les paroles qu'il adresserait à sa Parole unique seraient-elles en grand nombre? La Parole du Père a-t-elle eu des oreilles pour les approcher de la bouche du Père? Autant d'idées charnelles, qu'il faut éloigner de ton esprit. Je vous adresse ce discours, et peut-être avez-vous compris mes paroles: évidemment, je vous ai parlé; mes paroles ont retenti, et le bruit qu'elles ont fait est venu frapper vos oreilles pour aller, au moyen du sens de l'ouïe, porter mes pensées jusqu'à votre coeur, si vous les avez saisies. Supposez qu'un homme,
1. Ac 1,11. - 2. Jn 1,1.
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sachant le latin, m'ait entendu, qu'il m'ait toutefois entendu sans rien comprendre à ce que j'ai dit: cet homme n'a pas saisi ma pensée; néanmoins le bruit des paroles sorties de ma bouche est venu frapper ses oreilles aussi bien que les vôtres: il a entendu le même bruit, les mêmes syllabes; mais aucune idée n'a été par là éveillée dans son esprit. Pourquoi? Parce qu'il n'a pas compris. Pour vous, si vous êtes entrés dans ma pensée, quelle en a été la cause? J'ai fait du bruit à votre oreille, mais ai-je porté la lumière dans vos âmes? Evidemment, si ce que j'ai dit est vrai, non-seulement cette vérité est venue frapper vos oreilles, mais encore elle a été comprise par votre intelligence: deux choses ont donc eu lieu, remarquez-les bien: vous avez entendu et vous avez compris. C'est par le moyen de mon organe que vous avez entendu; mais par qui vous est venue l'intelligence de ce que je vous ai dit? Je vous ai parlé à l'oreille pour vous faire entendre; qui a parlé à votre esprit pour vous faire comprendre? On n'en peut douter; quelqu'un a parlé à votre coeur, d'abord pour que le bruit de mes paroles produise une sensation sur votre ouïe, et ensuite pour qu'un rayon de la vérité vienne répandre son éclat sur ce même coeur: quelqu'un a parlé à votre âme, et ce quelqu'un, vous ne pouvez l'apercevoir: si vous m'avez compris, mes frères, il est sûr que votre âme a aussi entendu parler. L'intelligence est un don de Dieu. Qui donc a fait entendre à votre âme mes paroles, si vous en avez saisi le sens Celui-là même à qui le Psalmiste disait "Donnez-moi l'intelligence, afin que j'apprenne à connaître vos décrets (1)". Par exemple, l'évêque a parlé. - Qu'a-t-il dit? demande quelqu'un. - Tu lui expliques ce qu'a dit l'évêque, et tu ajoutes: il a dit vrai. -Alors un autre qui n'a pas compris, t'adresse cette question: Qu'a dit l'évêque, ou bien, que louanges-tu dans ses paroles? Tous les deux m'ont entendu; j'ai parlé à l'un et à l'autre; mais Dieu lui-même a parlé à l'un d'eux. Nous est-il permis de passer, par comparaison, du petit au grand? Il y a entre lui et nous une si grande distance! Néanmoins, Dieu opère en nous je ne sais quoi d'incorporel et de spirituel: ce n'est pas un son qui frappe nos oreilles, ce n'est pas une couleur
1. Ps 118,73.
qui se fasse distinguer de nos yeux; ce n'est pas non plus une odeur que perçoive notre odorat, ce n'est pas davantage une saveur que puisse apprécier notre palais, ni un objet dur ou tendre sur lequel puisse agir le sens du toucher: pourtant, c'est quelque chose qu'on peut facilement sentir, sans pouvoir, d'ailleurs, l'expliquer d'aucune façon. Si, comme j'avais commencé à le dire, Dieu parle à nos coeurs sans leur faire entendre aucun bruit, comment parle-t-il à son Fils? Autant que possible, mes frères, faites-vous-en une idée dans le sens que je vous ai dit; s'il est permis d'établir une comparaison entre les grandes choses et les petites, mettez-vous dans cet ordre d'idées. Le Père a parlé à son Fils d'une manière incorporelle, parce qu'il l'a incorporellement engendré. Il n'a pas instruit son Fils, comme s'il l'avait engendré sans lui communiquer, en même temps, la science; mais dire qu'il l'a instruit, c'est dire qu'il l'a engendré sachant tout: par conséquent, ces paroles: "Mon Père m'a instruit", signifient: Mon Père m'a engendré, possédant la science, comme la vérité est simple de sa nature, (peu de personnes le comprennent ). Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose: il tient donc la science de celui de qui il tient l'existence: il n'en a pas reçu, d'abord l'être, et ensuite le savoir; mais, en l'engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu'en l'engendrant il lui a communiqué l'existence. Car, suivant que je l'ai dit, la vérité étant simple de sa nature, être et savoir ne sont pas, pour elle, une chose et une autre, mais une seule et même chose.
6. Voilà ce que le Sauveur dit aux Juifs, puis il ajouta: "Et Celui qui m'a envoyé est avec moi". Il l'avait déjà dit auparavant; mais la chose était si importante, qu'il ne cesse d'y revenir: "Il m'a envoyé, et il est avec moi". S'il est avec vous, Seigneur, l'un ne s'est pas séparé de l'autre pour accomplir sa mission: vous êtes venus tous les deux. Quoique tous les deux soient ensemble, un seul, néanmoins, a été envoyé, et l'autre l'a envoyé, parce qu'être envoyé, c'est s'incarner, et que l'Incarnation est le fait, non pas du Père, mais du Fils seul. Le Père a donc envoyé le Fils, mais il ne s'en est pas, séparé; car il se trouvait là où il l'a envoyé. De fait, où n'est pas Celui qui a fait toutes [605] choses? Où n'est -pas Celui qui a dit. "Je remplis le ciel et la terre (1)?" Mais le Père serait peut-être partout, tandis que le Fils ne se trouverait qu'à un endroit? Écoute l'Évangéliste: "Il était en ce monde, et le monde a été fait par lui (2)". Donc, dit-il, "Celui qui m'a envoyé", Celui dont l'autorité a été la cause de mon Incarnation, parce qu'elle était exercée sur moi par mon Père, Celui-là "est avec moi et il ne m'a pas abandonné". Pourquoi ne m'a-t-il pas abandonné? "Il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît". Son égalité avec le Père est de "toujours". Elle ne date pas d'une époque où elle aurait commencé pour se continuer ensuite: elle est sans commencement comme sans fin. La génération de Dieu n'a pas commencé dans le temps, parce que Celui qui a été engendré a lui-même créé tous les temps.
7. "Comme il parlait de la sorte, plusieurs crurent en lui". Pendant que je parle moi-même, puissent bon nombre de ceux qui s'inspiraient d'autres idées, me comprendre et croire en lui! Il y a peut-être en effet des Ariens dans la multitude qui m'écoute: je n'oserais supposer qu'il s'y trouve des Sabelliens, de ces hommes qui ne voient qu'une différence de nom entre le Père et le Fils: leur hérésie est trop vieille; elle a peu à peu perdu ses forces. Pour celle des Ariens, on croirait lui voir faire quelques mouvements, comme semble en faire un cadavre qui tombe en pourriture, ou du moins, comme en fait d'habitude un homme arrivé à ses derniers moments: il faut donc en tirer ceux qui lui restent encore fidèles, comme le Christ a tiré de l'erreur un grand nombre de ses auditeurs. La cité de Dieu ne les comptait pas au nombre de ses habitants; mais beaucoup d'entre eux sont venus y fixer leur demeure à la suite d'une foule d'étrangers. Voilà comment, pendant que Jésus parlait, beaucoup de Juifs crurent en lui. Pendant que je parle moi-même, puissent les Ariens croire, non pas en moi, mais avec moi!
8. "Jésus disait donc aux Juifs, qui avaient cru en lui: Si vous persévérez en ma parole". Il dit: "Si vous persévérez", parce que vous avez été initiés, parce que vous avez commencé à être dans ma parole. "Si vous persévérez", cela s'entend dans la foi qui
1. Jr 23,24. - 2. Jn 1,10.
s'est établie en vous, puisque vous croyez, où parviendrez-vous? Voyez où l'on aboutit en commençant de la sorte. Tu as établi avec joie les fondements de l'édifice, dirige tes regards vers son couronnement. Pars de cette humble base, et tu arriveras à un point bien autrement élevé. La foi se fonde sur l'humilité: la connaissance, l'immortalité et l'éternité y sont étrangères; elles ne connaissent que la grandeur, une élévation exempte de toute défaillance, une incessante stabilité. Au sein de ce séjour, on ne redoute aucun combat malheureux avec des ennemis, on n'éprouve aucune crainte de déchoir. Ce qui commence par la foi est grand, mais on le méprise, comme les ignorants ont l'habitude de tenir peu de cas des fondements d'un édifice. On creuse une fosse large et profonde, puis des pierres y sont jetées pêle-mêle; le ciseau de l'ouvrier ne les a point polies; on n'y voit rien de remarquable. La racine d'un arbre ne charme point les yeux; c'est d'elle, néanmoins, qu'est sorti tout ce qui, dans cet arbre, peut flatter la vue. Tu regardes la racine et tu n'éprouves aucun plaisir: tu es saisi d'admiration en considérant l'arbre. Insensé, pourquoi t'ébahir? cet arbre n'est-il pas sorti d'une racine dont l'aspect ne dit rien à ton âme? La foi des croyants semble avoir peu de prix, car tu n'as pas de balance pour en supputer le poids. Écoute donc, je te dirai où elle aboutit: vois combien elle est précieuse! Le Seigneur ne dit-il pas lui-même en un autre endroit: "Si vous aviez de la foi a comme un grain de sénevé (1)?" Quoi de plus faible, quoi de plus fort? quoi de plus petit, quoi de plus énergique? Vous aussi, dit-il, "si vous persévérez dans ma parole"; à laquelle vous avez cru, où parviendrez-vous? "Vous serez véritablement mes disciples". Quel avantage nous en revient? "Et vous arriverez à la connaissance de la vérité".
9. Mes frères, quelle récompense le Sauveur promet-il aux croyants? "Et vous connaîtrez la vérité". Eh quoi! n'étaient-ils pas arrivés à la connaître, quand il leur parlait? Et s'ils n'y étaient pas arrivés, comment ont-ils cru? Ils n'ont point cru pour avoir connu la vérité, ils ont cru pour la connaître; car nous croyons pour connaître, mais nous ne connaissons pas pour croire;
1. Mt 17,19.
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parce que nous connaîtrons ce que l'oeil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a point entendu, ce que son coeur n'a jamais compris (1). Qu'est-ce, en effet, qu'avoir la foi, si ce n'est croire ce que tu ne vois pas? La foi est donc la croyance à ce que tu ne vois pas; la vérité est la contemplation de ce que tu as cru. Le Sauveur l'a dit lui-même ailleurs. C'est d'abord pour imposer le joug de la foi, que le Christ a vécu sur la terre. Il était homme, il s'était fait humble: tous le voyaient, mais tous ne le connaissaient pas; condamné par beaucoup, mis à mort par la multitude, il n'était regretté que d'un petit nombre, et encore le peu de personnes qui le pleuraient ne le connaissaient-ils point pour ce qu'il était en réalité. Voilà comme les éléments primitifs du corps de la foi et de l'édifice qui devait s'élever plus tard. C'est dans cette pensée que le Christ a dit quelque part: "Celui qui m'aime, observe mes commandements; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai aussi, et je me montrerai à lui (2)". Ceux qui l'entendaient, le voyaient déjà: néanmoins, il leur promettait de se montrer à eux, s'ils l'aimaient. Il en est de même ici: "Vous connaîtrez la vérité". Eh quoi! ce que vous avez dit n'est-il pas la vérité? Oui, c'est la vérité, mais on la croit encore, parce qu'on ne la voit pas. Si l'on persévère dans ce qu'on croit, on parvient à ce que l'on doit voir. Aussi le saint évangéliste Jean dit-il dans son épître: "Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore". Nous, sommes déjà quelque chose, et nous serons autre chose. Que serons-nous de plus que ce que nous sommes? Ecoute: "Ce que nous serons un jour n'apparaît pas encore: nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui". Comment cela? "Parce que nous le verrons tel qu'il est (3)". Magnifique promesse! Mais c'est la récompense de la foi. Tu désires la récompense, travaille donc pour la mériter. Si tu crois, tu as le droit d'exiger la récompense de ta foi; mais si tu ne crois pas, de quel front la demandes-tu? "Si donc, vous persévérez dans ma parole; vous serez vraiment mes disciples", et par là, vous contemplerez la vérité même, telle qu'elle est: vous ne la connaîtrez pas au moyen de
1 Is 64,4 1Co 2,9. - 1Jn 14,21. - 3. 1Jn 3,2.
paroles humaines: lorsque Dieu aura fait briller à nos yeux les rayons de son éblouissante lumière, selon l'expression du Psalmiste: "Seigneur, vous avez fait briller à nos yeux l'éclat de votre visages (1)", cette lumière vous la fera voir. Nous sommes la monnaie de Dieu, mais nous ressemblons à des pièces d'or sorties du trésor divin: l'erreur a effacé les traits de la vérité que Dieu avait imprimés dans notre âme: parce qu'il nous avait formés, il est venu nous réformer; il réclame la monnaie qui lui appartient, comme César réclame la sienne; c'est pourquoi il a dit: "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2)". A César, la monnaie vous-mêmes, à Dieu. Alors donc, les traits de la vérité seront imprimés dans nos coeurs.
10. Que dirai-je maintenant à votre charité? Ah! si seulement notre coeur soupirait tant soit peu après cette gloire ineffable! Si nous sentions que nous sommes ici-bas en un lieu d'exil! Si nous en gémissions au lieu de concentrer nos affections sur ce bas monde! Si nous tendions sans cesse, par les efforts d'une âme pieuse, vers celui qui nous a appelés! Nos désirs, c'est le fond de notre coeur: si nous leur donnons toute l'énergie possible, nous obtiendrons la récompense. Les divines Ecritures, les assemblées du peuple, la célébration des saints mystères, le saint baptême, le chant des louanges de Dieu, et les explications que nous donnons de l'Evangile contribuent non-seulement à semer et à faire germer en nous ce désir, mais encore à l'augmenter et à lui donner de telles proportions, qu'il soit capable d'embrasser ce que l'oeil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a point entendu, ce que son coeur n'a jamais compris. Mais aimez avec moi. Celui qui aime Dieu, n'aime pas beaucoup les richesses. J'ai touché du doigt la plaie, mais je n'ai pas osé dire qu'il n'aime pas les richesses; j'ai dit qu'il ne les aime pas beaucoup, comme si on pouvait leur donner ses affections, à condition de ne pas les aimer beaucoup. Ah! si nous aimions Dieu comme nous le devons, nous n'aimerions pas du tout l'argent. La fortune serait pour toi un moyen de vivre ici-bas avec moins de difficulté, mais elle ne servi. rait pas à aiguiser tes convoitises: tu l'utiliserais à adoucir les besoins, et non à te procurer du plaisir. Aime Dieu, si ce que tu
1. Ps 4,7. - 2.Mt 22,21.
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entends, si ce que tu loues a produit sur ton âme quelque impression. Sers-toi du monde, mais n'en deviens pas l'esclave. Tu y es entré, tu y fournis ta carrière, tu y es venu, non pour y rester, mais pour en sortir: tu y fais ton chemin, mais il n'est pour toi qu'une hôtellerie. Use des richesses, comme le voyageur, arrêté dans une hôtellerie, use de la table, du verre, de l'amphore, du lit dont il ne se sert qu'en passant, puisqu'il doit bientôt partir. Si vous êtes tels que je viens de le dire, que ceux d'entre vous qui le peuvent, élèvent leur coeur et m'écoutent; si vous êtes ce que j'ai dit, vous arriverez à posséder ce que le Christ vous a promis. De votre côté, nul besoin de grands efforts, car celui qui vous a appelés est tout-puissant. Il vous a appelés, invoquez-le; dites-lui: Vous nous avez appelés, nous vous invoquons: nous avons entendu votre voix, écoutez notre prière: conduisez-nous à la récompense que vous nous avez promise, achevez en nous ce que vous y avez commencé; ne délaissez point vos dons, ne négligez pas votre champ: que votre moisson trouve un jour place dans vos greniers. Ici-bas les épreuves surabondent, mais celui qui a créé le monde, est plus fort qu'elles. Les épreuves surabondent, mais on n'y succombe pas, lorsqu'on espère en Celui qui n'est sujet à aucune défaillance.
11. Je vous ai, mes frères, adressé cette exhortation, parce que la liberté, dont nous parle Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'est pas de ce monde. Voyez ce qu'il a ajouté: "Vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira". Qu'est-ce à dire: "Elle vous affranchira?" Elle vous rendra libres. Enfin, les Juifs charnels, et qui jugeaient des paroles du Sauveur dans un sens charnel, non pas ceux qui croyaient en lui, mais ceux de l'assemblée qui n'y croyaient pas, se regardèrent comme insultés, parce qu'il leur avait dit: "La vérité vous affranchira". Ils s'irritèrent donc de ce que le Sauveur les avait traités d'esclaves: Pourtant, ils en étaient de véritables: aussi leur explique-t-il en quoi consiste l'esclavage, et leur fait-il connaître les caractères de la liberté qu'il promet pour l'avenir. Mais, pour aujourd'hui, il serait trop long de disserter de cette liberté et de cette servitude.
Augustin sur Jean 39