Augustin, lettres - LETTRE LXXV. (Année 404)
Saint Augustin fait parler l'Eglise catholique pour mieux toucher les gens du parti de Donat.
1. Voici, ô donatistes! ce que vous dit l'Eglise catholique: «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge (1)?» Pourquoi vous êtes-vous séparés de l'unité du monde entier par un schisme sacrilège? Vous écoutez les faussetés débitées par des hommes qui mentent ou qui se trompent au sujet des divins livres qu'on prétend avoir été livrés aux païens; vous les écoutez pour rester dans une séparation hérétique; et vous n'êtes pas attentifs à ce que vous disent ces mêmes livres, pour que
1. Ps 4,3.
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vous viviez dans la paix catholique. Pourquoi ouvrez-vous les oreilles à la parole des hommes, vous répétant ce qu'ils n'ont jamais pu prouver, et pourquoi êtes-vous sourds à la parole de Dieu qui dit: «Le Seigneur m'a dit: Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui: demandez-moi et je vous donnerai les nations en héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'aux extrémités de la terre (1)? Les promesses de Dieu ont été faites à Abraham et à sa race. L'Ecriture ne dit pas: à ceux de sa race, comme si elle en eût voulu marquer plusieurs, mais à sa race, c'est-à-dire à l'un de sa race qui est Jésus-Christ (2). Toutes les nations, dit-il, seront bénies dans votre race (3).» Levez les yeux du coeur, considérez toute l'étendue de la terre, et voyez comme toutes les nations sont bénies dans la race d'Abraham. Un seul alors crut ce qui ne se voyait pas encore; maintenant vous voyez, et vous ne voulez pas voir. La passion du Seigneur est le prix de toute la terre; il a racheté tout l'univers; et vous ne vous accordez pas avec le monde entier pour votre bien; mais vous vous mettez à part et vous disputez contre tous pour tout perdre. Voyez dans le psaume à quel prix nous avons été rachetés: «Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os; ils m'ont considéré et regardé en cet état; ils ont partagé entre eux mes vêtements, et ont jeté ma robe au sort (4).» Pourquoi partager la robe du. Seigneur et ne pas conserver intacte avec le monde entier cette tunique de la charité tissue d'en-haut et qui ne fut pas divisée même par les bourreaux du divin Maître? On lit dans le même psaume que tout l'univers la possède: «La terre, dans toute son étendue, se souviendra du Seigneur et se convertira à lui; et toutes les familles des nations seront dans l'adoration en sa présente, parce que la souveraineté lui appartient et qu'il règnera sur les peuples (5).» Ouvrez les oreilles du coeur, et apprenez que «le Seigneur, le Dieu des dieux, a parlé, et qu'il a appelé la terre depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher: c'est de Sion que vient tout l'éclat de sa beauté (6).» Si vous ne voulez pas la parole du prophète, écoutez l'Evangile; c'est le Seigneur lui-même qui parle par sa propre bouche et qui dit: «Il fallait que s'accomplissent en la personne du
1. Ps 2,7-8. - 2. Ga 3,16. - 3. Gn 22,18. - 4. Ps 21,18-19. - 5. Ps 22,29-30. - 6. Ps 49,1-2.
Christ toutes les choses écrites sur lui dans la loi, les prophètes et les psaumes, et que la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom au milieu de toutes les nations, en commençant par Jérusalem (1).» Ce qu'il a dit dans le psaume: «Il a appelé la terre depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant,» il l'a dit dans l'Evangile par ces mots: «Au milieu de toutes les nations;» et ce qu'il a dit dans le psaume: «C'est de Sion que vient tout l'éclat de sa beauté,» il l'a dit dans l'Evangile par cette parole: «En commençant par Jérusalem.»
2. Vous avez imaginé de vous séparer de l'ivraie avant le temps de la moisson, parce que c'est vous seuls qui êtes l'ivraie; car si vous étiez le froment, vous supporteriez l'ivraie, et vous ne vous sépareriez pas de la moisson du Christ. Il a été dit de l'ivraie: «Parce que l'iniquité abondera, la charité de plusieurs se refroidira.» Mais il a dit du froment: «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé (2).» Pourquoi pensez-vous que l'ivraie se soit accrue et ait rempli le monde, et que le froment ait diminué et soit resté dans l'Afrique seule? Vous vous dites chrétiens, et vous n'êtes pas d'accord avec le Christ. C'est lui qui a fait entendre cette parole: «Laissez l'un et l'autre croître jusqu'à la moisson;» il n'a pas dit que l'ivraie dût croître et le froment diminuer. «Le champ est le monde, a-t-il dit et non pas le champ est l'Afrique. Le Christ a dit encore que la moisson est la fin des temps,» et non point le temps, de Donat; que «les moissonneurs sont les anges (3),» et non point les chefs des circoncellions. Mais, parce que vous accusez le froment à cause du mélange de l'ivraie, vous montrez que vous êtes l'ivraie, et, ce qui est plus grave, vous vous séparez du froment avant le temps. Quelques-uns de vos ancêtres, dont vous maintenez le schisme sacrilège, livrèrent aux persécuteurs, d'après les actes publics des villes, les Ecritures saintes et les titres de l'Eglise; malgré l'aveu de leur crime, ils ne furent point poursuivis par quelques autres de vos pères, qui les reçurent dans leur communion, et, s'étant tous réunis à Carthage en faction furieuse, ils condamnèrent, sans les entendre, des hommes qu'ils accusaient de ce même crime sur lequel ils s'étaient mis d'accord entre eux: ils ordonnèrent évêque contre évêque, et élevèrent
1. Lc 24,44-47. - 2. Mt 24,12-13. - 3. Mt 13,30 Mt 13,38-39.
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autel contre autel. Ensuite ils envoyèrent des lettres à l'empereur Constantin pour demander que les évêques d'outre-mer jugeassent l'affaire des évêques d'Afrique; après qu'on leur eut donné les juges qu'ils avaient demandés, ils n'acceptèrent pas leurs arrêts rendus à Rome, et dénoncèrent auprès de l'empereur la sentence de ces évêques. Ils en appelèrent du jugement d'autres évêques envoyés à Arles, au jugement de l'empereur lui-même; entendus par Constantin, et trouvés par lui calomniateurs, ils persistèrent dans le même crime. Éveillez-vous pour le salut, aimez la paix, revenez à l'unité. Chaque fois que vous le voulez, nous vous lisons comment toutes ces choses se sont passées.
3. On s'associe aux méchants en consentant aux actions des méchants, et non pas en supportant dans le champ du Seigneur l'ivraie jusqu'à la moisson, et la paille jusqu'à la dernière. oeuvre du vanneur. Si vous haïssez les méchants, rompez vous-mêmes avec le crime du schisme. Si vous craigniez de vous mêler aux méchants, vous n'auriez pas gardé parmi vous, durant tant d'années, Optat qui vivait ouvertement dans l'iniquité, puisque vous l'appelez un martyr, il ne vous reste plus que d'appeler Christ. celui pour lequel il est mort (1). Que vous a fait le monde chrétien pour vous en séparer de la sorte dans une criminelle fureur? et en quoi les maximianistes ont-ils si bien mérité de vous pour que vous les receviez dans leurs dignités après les avoir condamnés et les avoir chassés de leurs églises par des jugements publics? Que vous a fait la paix du Christ, cette paix que vous avez rompue en vous séparant de ceux que vous poursuivez de vos calomnies? Et en quoi la paix de Donat a-t-elle si bien mérité de vous, cette paix pour laquelle vous avez reçu ceux que vous aviez condamnés? Félicien de Musti est maintenant avec eux; nous avons lu pourtant que vous l'aviez condamné dans votre concile, que vous l'aviez accusé ensuite devant le proconsul et attaqué dans sa ville même de Musti, ce qui est consigné dans les actes publics.
4. Si c'est un crime de livrer les saintes Écritures, et Dieu l'a puni en faisant périr sur le champ de bataille le roi qui brûla le livre de Jérémie (2); combien est plus abominable le sacrilège du schisme, dont les premiers auteurs,
1. C'est pour Gildon que fut tué Optat de Thamugas. - 2. Jr 36,23 Jr 36,30.
auxquels vous avez comparé les maximianistes, furent engloutis vivants dans la terre (1)! Comment nous reprochez-vous ce crime, sans pouvoir jamais le prouver, tandis que vous recevez parmi vous ces schismatiques que vous condamnez? Si vous êtes justes parce que vous avez souffert la persécution au nom des empereurs, les maximianistes sont plus justes que vous, car vous les avez persécutés vous-mêmes, au moyen des juges envoyés par les empereurs catholiques. Si vous avez seuls le baptême, que fait au milieu de vous le baptême des maximianistes reçu par ceux qu'a baptisés Félicien condamné, et avec lesquels il a été ensuite rappelé dans vos rangs? Que vos évêques répondent au moins sur tout ceci à vous, qui êtes laïques, s'ils ne veulent pas conférer avec nous; et songez pour votre salut, songez à ce que c'est qu'un tel refus de la part de vos évêques. Si les loups ont tenu un concile pour ne pas répondre aux pasteurs, pourquoi les brebis n'en tiennent-elles pas un autre pour ne point se jeter dans les cavernes des loups?
1. Nb 16,31-33
On remet au jugement de Dieu une affaire entre un moine et un prêtre. - Extrême réserve de saint Augustin en matière d'accusation.
AUGUSTIN AUX BIEN-AIMÉS SEIGNEURS ET TRÈS-HONORABLES FRÈRES FÉLIX ET HILARIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Je ne m'étonne pas que Satan trouble les coeurs des fidèles; résistez-lui, en demeurant dans l'espérance des promesses de Dieu qui ne peut pas tromper; non-seulement il a daigné promettre des récompenses éternelles à ceux qui croient et espèrent en lui et persévèrent dans sa charité jusqu'à la fin, mais il a prédit que les scandales ne manqueraient pas pour exercer et éprouver notre foi, car il a dit: «Parce que l'iniquité abondera, la charité de plusieurs se refroidira,» et aussitôt il ajoute «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé (2).» Quoi de surprenant si les hommes sont les détracteurs des serviteurs de Dieu et, dans l'impuissance de corrompre leur vie, s'efforcent d'obscurcir leur renommée, puisque chaque jour ils blasphèment Dieu lui-même et leur Seigneur en se plaignant de ce qu'il fait contre
1. Nb 16,31-33. - 2. Mt 24,12-13.
leur gré par un juste secret jugement! J'exhorte donc votre sagesse, bien-aimés seigneurs et très-honorables frères, à opposer aux calomnies des hommes, aux vains discours et aux soupçons téméraires la méditation chrétienne de l'Ecriture de Dieu, qui a prophétisé toutes ces choses et nous a avertis de nous tenir fermes contre elles.
2. Aussi je dirai brièvement à votre charité que le prêtre Boniface n'a été convaincu d'aucun crime devant moi, que je n'ai jamais rien cru et ne crois rien de pareil sur son compte. Comment ordonnerais-je d'effacer son nom du nombre des prêtres, lorsque j'entends cette effrayante parole du Seigneur dans l'Evangile: «Vous serez jugés comme vous aurez jugé les autres (Mt 7,2)?» L'affaire entre lui et Spès a été remise au jugement de Dieu, d'après une convention entre eux qu'on pourra vous communiquer si vous voulez (2); qui suis-je moi-même pour oser prévenir la sentence de Dieu en effaçant ou en supprimant le nom de ce prêtre? évêque, je n'ai pas dû élever contre lui un soupçon téméraire; homme, je n'ai pas pu juger clairement sur les choses secrètes des hommes. Dans les causes séculières, lorsqu'on s'en réfère à un pouvoir plus haut, tout reste dans le même état; on attend la sentence dont il n'est pas permis d'appeler, de peur de faire injure au juge supérieur si on changeait quelque chose pendant que l'affaire est pendante devant lui: or, quelle différence entre la divine puissance et la puissance humaine, quelque grande qu'elle puisse être! Que la miséricorde du Seigneur notre Dieu ne vous abandonne jamais, bien-aimés seigneurs et honorables frères.
- 2. Un moine de la communauté de saint Augustin, appelé Spès, et un prêtre d'Hippone, appelé Boniface, s'étant mutuellement accusés de désordres, notre évêque les envoya au tombeau de saint Félix, à Nole, dans l'espoir qu'un miracle ferait connaître lequel des deux était coupable.
AUGUSTIN AUX BIEN-AIMES FRÈRES, AU CLERGÉ, AUX ANCIENS, A TOUT LE PEUPLE DE L'ÉGLISE D'HIPPONE, QUE JE SERS DANS LA CHARITÉ DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Plût à Dieu que fortement attentifs à l'Ecriture de Dieu, vous n'eussiez pas besoin du secours de notre parole au milieu des scandales, et que vous eussiez pour consolateur Celui-là même qui nous console: il a non-seulement prédit les biens qui attendent ses fidèles et ses saints, mais encore les maux dont ce monde devait être plein; il a pris-soin de nous les faire écrire à l'avance, pour que notre espérance des biens futurs soit plus vive que notre sentiment des maux qui précèdent la fin des siècles. «Tout ce qui est écrit, dit l'Apôtre, a été écrit pour notre instruction, afin que nous espérions en Dieu par la patience et la consolation des Ecritures (Rm 15,4).» Qu'était-il besoin que le Seigneur Jésus, non-seulement nous dît qu'à la fin des temps les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de son Père (Mt 13,43), mais encore qu'il s'écriât: Malheur au monde à cause des scandales (Mt 18,7)! sinon pour que nous ne nous flattions pas de pouvoir atteindre à la félicité éternelle sans avoir subi avec courage l'épreuve des maux du temps? Qu'était-il besoin qu'il dît que la charité de plusieurs se refroidirait parce que l'iniquité aurait abondé, sinon pour que ceux dont il a parlé ensuite, et qui seront sauvés après avoir persévéré jusqu'à la fin (Mt 24,12-13) ne se troublassent pas, ne s'effrayassent pas à la vue de cette abondance d'iniquité par laquelle la charité serait refroidie, et ne tombassent pas en triste défaillance comme sous des coups imprévus et inopinés; mais plutôt afin que, voyant arriver ce qui a été annoncé pour le cours des temps, ils persévérassent patiemment jusqu' à la fin et méritassent de régner dans la vie qui ne doit pas finir.
2. Je ne vous dis donc pas, mes très-chers, de ne pas vous affliger de ce scandale qui émeut plusieurs d'entre vous au sujet du prêtre Boniface; ceux qui ne déplorent pas ces choses n'ont pas en eux la charité du Christ; mais la malignité du démon abonde dans le coeur de ceux qui s'en réjouissent. Ce n'est pas qu'il ait apparu dans ce prêtre quelque chose qui soit jugé digne de condamnation; mais c'est que deux de notre maison sont placés dans une situation telle qu'on regarde l'un d'eux comme certainement perdu, et que la réputation de l'autre passe pour mauvaise ou douteuse, quand même sa conscience n'aurait pas de souillure. Déplorez ces choses, car elles sont déplorables; que cette douleur pourtant - 102 - n'éloigne point votre charité d'une pieuse vie, mais qu'elle vous excite plutôt à prier le Seigneur de faire éclater promptement l'innocence de votre prêtre, si votre prêtre est. innocent, ce que je crois davantage, car il n'a voulu ni répondre à des avances honteuses ni garder à cet égard un silence complaisant. S'il est coupable, ce que je n'ose soupçonner, il a blessé la réputation de celui qu'il n'a pas pu souiller, comme le prétend son accusateur, et il faut alors prier Dieu de ne pas permettre que Boniface cache son iniquité, afin qu'un jugement divin révèle sur chacun d'eux ce que les hommes ne peuvent découvrir.
3. Comme cette affaire me tourmentait depuis longtemps et que je ne trouvais pas à convaincre l'un des deux, quoique je crusse davantage aux affirmations du prêtre, j'avais songé d'abord à les remettre tous les deux au jugement de Dieu, jusqu'à ce que celui qui m'était suspect me fournît une raison manifeste de le chasser avec justice de notre demeure. Mais il cherchait violemment à être élevé à la cléricature, soit ici par moi, soit ailleurs par mes lettres; je ne voulais, quant à moi, en aucune manière, imposer les mains à un homme dont je pensais tant de mal, ni le faire accepter par quelqu'un de mes frères à l'aide de ma recommandation; il se mit alors à agir avec turbulence et à dire que si lui-même n'était pas élevé à la cléricature, le prêtre Boniface ne devait pas être laissé dans son rang. Voyant que Boniface craignait de devenir un sujet de scandale pour les faibles et pour ceux qui penchaient à soupçonner sa vie, le voyant prêt à faire devant les hommes le sacrifice de sa dignité plutôt qu'à prolonger inutilement et aux dépens de la paix de l'Eglise une situation où il ne pouvait pas prouver son innocence et triompher des ignorances, des doutes et des soupçons, je choisis un milieu: il fut convenu entre eux deux qu'ils se rendraient dans un lieu saint, où de terribles oeuvres de Dieu ouvriraient plus aisément la conscience du coupable et le pousseraient à l'aveu, soit par quelque miraculeuse punition, soit par la crainte. Certainement Dieu est partout, et il n'y a pas d'espace qui puisse contenir ou enfermer Celui qui a tout fait; il faut que les vrais adorateurs l'adorent en esprit et en vérité (Jn 4,24), afin qu'il justifie et couronne dans le secret celui qu'il écoute dans le secret. Cependant pour ce qui est de ces oeuvres visiblement connues des hommes, qui peut sonder ses conseils et lui demander pourquoi tels miracles se font-ils en tels lieux et ne se font-ils pas ailleurs? Beaucoup de chrétiens connaissent la sainteté du lieu où l'on conserve le corps du bienheureux Félix de Sole; c'est là que j'ai voulu que se rendissent Boniface et Spès, parce qu'on peut de là nous écrire facilement et fidèlement tout ce qui pourra se produire de miraculeux dans quelqu'un d'entre eux. Car nous savons, nous, qu'à Milan, au tombeau des saints, où les démons sont admirablement et terriblement forcés à des aveux, un certain voleur, venu là pour tromper en faisant un faux serment, fut contraint de confesser son vol et de rendre ce qu'il avait dérobé. Est-ce que l'Afrique n'est pas pleine aussi de corps de saints martyrs? Et pourtant nous n'avons jamais ouï dire que de pareils prodiges aient été opérés ici. De même que, selon les paroles de l'Apôtre, «tous les saints n'ont pas la grâce de guérir les malades et tous n'ont pas le discernement des esprits (1Co 12,30),» de même Celui qui distribue ses dons à chacun comme il veut, n'a pas voulu que les mêmes miracles se produisent auprès de tous les tombeaux des saints.
4. Je ne voulais pas porter à votre connaissance cette grande douleur de mon âme, de peur de vous troubler profondément par une affliction inutile; mais Dieu n'a pas permis que vous l'ignorassiez, sans doute pour que vous pussiez le prier avec nous de manifester ce qu'il sait de cette affaire et ce que nous ne pouvons pas savoir. Je n'ai pas osé effacer le nom de Boniface de la liste des prêtres de mon église: je ne voulais pas avoir l'air de faire injure à la puissance divine devant laquelle la cause est en ce moment pendante, si je prévenais son jugement par le mien; cela ne se pratique pas même dans les affaires séculières; on n'aurait garde de toucher à rien tandis que le débat est porté devant un pouvoir supérieur. De plus, il a été statué dans un concile d'évêques (2) qu'on ne doit retrancher de la communion aucun clerc non convaincu, à moins qu'il ne se soit pas présenté pour être jugé. Cependant Boniface a été assez humble pour ne pas accepter des lettres qui lui auraient valu durant son voyage les respectueux égards dus à son rang, afin que, dans ce lieu où ils ne seront connus ni l'un ni l'autre, ils trouvent un - 103 - traitement égal. Et maintenant si vous désirez que son nom ne soit plus lu avec les noms de ses collègues, afin de ne pas donner des prétextes, selon les paroles de l'Apôtre, aux gens qui en cherchent (2Co 11,12) et qui ne veulent pas entrer au sein de l'Église, ce ne sera pas mon fait, mais le fait de ceux pour qui on prendra cette mesure. Que perdra l'homme que l'ignorance humaine supprimera de ces tablettes, si une conscience mauvaise ne l'efface pas du livre des vivants?
- 2. Le concile de Carthage de l'année 397.
5. C'est pourquoi, mes frères, vous qui craignez Dieu, souvenez-vous de ce qu'a dit l'apôtre Pierre: «Le démon votre ennemi rôde autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un qu'il puisse dévorer (2P 5,8).» Il s'efforce de souiller la réputation de celui qu'il ne peut dévorer après l'avoir séduit pour le mal, afin qu'il succombe, si c'est possible, sous le mépris des hommes et sous les coups des langues mauvaises, et soit ainsi précipité dans sa gueule. Si le démon n'a pas pu souiller la renommée d'un innocent, il essaye de lui persuader de mal juger de son frère, et l'enlace dans ces soupçons malveillants pour l'entraîner avec lui. Et qui pourra jamais compter ni même comprendre toutes ses ruses et tous ses piéges? Pour éviter les trois écueils qui appartiennent plus particulièrement à l'affaire présente et pour que vous ne vous laissiez point aller aux mauvais exemples, voici comment Dieu vous parle par l'Apôtre: «Ne vous attachez pas à un même joug avec les infidèles, car que peut-il y avoir de commun entre la justice et l'iniquité, et quelle union pourrait-il exister entre la lumière et les ténèbres (2Co 6,14)?» Et dans un autre endroit: «Ne vous laissez point séduire: les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. Soyez sobres, ô justes, et ne péchez point (1Co 15,33-34).» Voici maintenant ce que Dieu dit par le Prophète, afin que vous ne succombiez pas sous le coup des langues qui déchirent: «Écoutez-moi, vous qui connaissez le jugement, vous, mon peuple, qui portez ma loi dans votre coeur: ne craignez point les outrages des hommes, ne vous laissez pas abattre par leurs calomnies, ne comptez pas pour beaucoup d'être méprisés par eux; car le temps les consumera comme un vêtement et les rongera comme la teigne ronge la laine: mais ma justice - 103 - demeure éternellement (Is 51,7-8).» Et pour que vous ne périssiez point en élevant malignement de faux soupçons contre les serviteurs de Dieu, souvenez-vous de ce passage de l'Apôtre: «Ne jugez rien avant le temps; attendez que le Seigneur vienne et qu'il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres; alors il mettra au grand jour les pensées de l'âme, car Dieu donnera à chacun la louange qui lui est due (1Co 4,5).» Et encore ceci: «A vous le jugement de ce qui se voit, mais au Seigneur notre Dieu de juger de ce qui est caché (1Co 5,12-13).»
6. Il est manifeste que ces choses n'arrivent pas dans l'Église sans attrister gravement les saints et les fidèles; toutefois nous sommes consolés par Celui qui atout prédit et qui nous a exhortés à ne pas nous laisser refroidir par l'abondance de l'iniquité, mais à persévérer jusqu'à la fin pour que nous puissions être sauvés; car, en ce qui me concerne, s'il y a en moi quelque amour pour le Christ, qui d'entre vous s'affaiblit sans que je m'affaiblisse moi-même? qui est scandalisé sans que je brûle (2Co 11,29)? N'ajoutez pas à mon affliction en tombant dans de faux soupçons ou dans les péchés d'autrui; n'ajoutez pas à mes peines, je vous en conjure, pour que je ne dise pas de vous: «Ils ont aggravé la douleur de mes blessures.» Quant à ceux qui se réjouissent de mes douleurs exprimées jadis par le Psalmiste dans ses prophétiques paroles sur le corps du Christ: «Ceux qui étaient assis à la porte m'insultaient, et ceux qui buvaient le vin me raillaient par leurs chansons (Ps 68,13-27);» quant à ces hommes, dis-je, on les supporte plus facilement; nous avons appris néanmoins à prier pour eux et à leur vouloir du bien. Pourquoi, en effet, sont-ils assis à la porte, et que cherchent-ils? ils veulent, lorsqu'un évêque, un clerc, un moine ou une religieuse vient à faillir, les envelopper tous dans une réprobation commune; ils répètent et soutiennent qu'il en est ainsi de tous, mais seulement qu'on ne le sait pas pour tous. Si une femme mariée est convaincue d'adultère, ces gens-là ne chassent pas pour cela leurs épouses et n'accusent pas leurs mères; mais s'ils entendent dire quelque chose de vrai ou de faux sur le compte de ceux qui font profession de vie religieuse, ils se remuent, se retournent, se donnent beaucoup de peine pour en faire - 104 - croire autant pour tous. Leurs langues mauvaises cherchent des jouissances dans nos douleurs; nous les comparerions aisément à ces chiens (si toutefois on pouvait les entendre en mal), qui léchaient les plaies du pauvre couché devant la porte du riche, et supportant toutes sortes de rudes et indignes traitements, jusqu'à ce qu'il fût arrivé au repos du sein d'Abraham (Lc 16,21-23).
7. Ne m'affligez pas d'avantage, vous qui avez quelque espérance en Dieu; n'ajoutez pas des plaies aux plaies que ceux-là lèchent, vous pour lesquels nous nous exposons à toute heure, nous combattons au dehors, nous craignons au-dedans (2Co 7,5), nous bravons le péril dans la ville, le péril dans le désert, le péril de la part des gentils, le péril de la part des faux frères (2Co 11,26). Je sais que vous souffrez, mais souffrez-vous plus que moi? je sais que vous êtes troublés, et je tremble qu'au milieu de tant de discours des langues envenimées, le faible ne défaille et ne périsse, le faible pour lequel le Christ est mort; qu'un accroissement de douleur ne nous vienne pas de vous, parce que ce n'est pas notre faute si notre douleur est devenue la vôtre. Je n'avais épargné ni précaution ni effort pour éviter ce malheur et pour empêcher qu'il ne fût connu de vous; car les forts devaient y trouver une affliction inutile et les faibles une dangereuse émotion; mais que Celui qui a permis que vous fussiez tentés par la connaissance de ce scandale vous donne la force de le supporter, et qu'il vous instruise de sa loi;.qu'il vous affermisse par son enseignement et adoucisse pour vous l'épreuve des jours mauvais, jusqu'à ce qu'on ait creusé une fosse au pécheur (Ps 93,13).
8. J'entends dire que plusieurs d'entre vous sont plus contristés de ceci qu'ils ne l'ont été de la chute des deux diacres qui nous étaient revenus du parti de Donat; ils en prenaient occasion d'insulter à la discipline de Proculéien (5), se vantant que jamais notre discipline n'avait produit rien de pareil pour nos clercs: qui que vous soyez qui ayez fait cela, je vous l'avoue, vous n'avez pas bien fait. Voilà que Dieu vous a appris que «celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur (1Co 1,31):» ne reprochez aux hérétiques que de ne pas être catholiques; ne soyez pas semblables à ceux qui n'ayant rien pour justifier leur séparation, affectent de ramasser les crimes d'autrui et y ajoutent beaucoup d'insignes faussetés: ne pouvant obscurcir ni accuser la vérité même des divines Ecritures qui annoncent l'universalité de l'Eglise du Christ, ils s'efforcent de rendre odieux les hommes par lesquels cette vérité est prêchée et sur lesquels ils peuvent inventer tout, ce qui leur passe par l'esprit. Ce n'est pas ce que, vous avez appris à l'école du Christ, si toutefois vous l'avez bien entendu et si c'est lui qui vous a instruits (1). Lui-même a prémuni ses fidèles contre les mauvais dispensateurs qui font le mal par eux-mêmes, et par lui enseignent le bien, quand il a dit: «Faites ce qu'ils disent; ne faites pas ce qu'ils font: car ils disent et ne font pas (2).» Priez pour moi, de peur que, prêchant, les autres, je ne sois réprouvé moi-même (3); mais si vous vous glorifiez, glorifiez-vous dans le Seigneur et non pas en moi. Quelque vigilante que soit la discipline de ma maison, je suis homme, et je vis parmi les hommes, et je n'ose me vanter que ma maison soit meilleure que l'arche de Noé où sur huit hommes il s'en trouva un de réprouvé (4): qu'elle soit meilleure que la maison d'Abraham où il fut dit: «Chassez l'esclave et son fils (5);» meilleure que la maison d'Isaac dont il fut dit des deux jumeaux: «j'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaü (6);» meilleure que la maison de Jacob lui-même où le fils souilla le lit du père (7); meilleure que la maison de David, dont un fils ne respecta point sa propre soeur (8), dont un autre fils se révolta contre la sainte mansuétude de son père (9); meilleure que la demeure de l'apôtre Paul qui, s'il n'avait eu avec lui que des bons, n'aurait pas parlé, comme je l'ai rappelé plus haut, «de ses combats au dehors, de ses frayeurs au dedans,» et n'aurait pas dit au sujet de la sainteté et de la foi de Timothée: «Je n'ai personne qui prenne soin de vous autant que lui, car tous cherchent leurs propres intérêts et non point les intérêts de Jésus-Christ (10);» je n'ai garde de penser que ma maison soit meilleure que la société du Seigneur Jésus-Christ lui-même, dans laquelle onze disciples fidèles ont supporté le traître et voleur Judas; meilleure enfin que le Ciel, d'où sont tombés des anges.
5. Proculéien était évêque donatiste à Hippone. - 6.
1. Ep 4,20-21. - 2. Mt 23,3. - 3. 1Co 9,27. - 4. Gn 9,27. - 5. Gn 21,10 - 6. Mi 1,2. - 7. Gn 49,4. - 8. 2S 13,11. - 9. 2S 15,12 - 10. Ph 2,20-21.
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9. Je vous l'avoue, du reste, en toute simplicité devant Notre-Seigneur, qui est mon témoin dans mon âme: depuis que j'ai commencé à servir Dieu, de même que je n'ai pas connu de meilleurs chrétiens que les hôtes fervents des monastères, ainsi je n'ai rien vu de pis que des moines tombés, et j'appliquerai aux communautés ces paroles de l'Apocalypse: «Le juste y devient plus juste, le souillé s'y souille davantage (1).» C'est pourquoi si quelques ordures nous attristent, beaucoup de belles choses nous consolent. Gardez-vous, à cause du marc qui déplaît à vos yeux, gardez-vous de détester les pressoirs par lesquels les réservoirs du Seigneur s'emplissent, d'huile lumineuse. Que la miséricorde du Seigneur notre Dieu vous garde dans sa paix contre toutes les embûches de l'ennemi, ô mes bien-aimés frères!
Saint Augustin châtie l'ignorante et orgueilleuse perversité d'un prêtre manichéen.
Vous cherchez en vain des détours; on vous reconnaît au loin. Mes frères m'ont rapporté leurs entretiens avec vous. C'est bien si vous ne craignez pas la mort; mais vous devez craindre cette mort que vous vous faites à vous-même en blasphémant de la sorte sur Dieu. Que vous considériez cette mort visible, connue de tous les hommes, comme la séparation de l'âme et du corps, ce n'est pas chose difficile à comprendre; ce qui l'est, c'est ce que vous y ajoutez du vôtre en disant qu'elle est la séparation du bien et du mal. Mais si l'âme est un bien et le corps un mal, Celui qui les a unis l'un à l'autre n'est pas bon; or, vous dites que le Dieu bon les a unis; donc ou il est mauvais, ou il craignait le mal. Et vous vous vantez de ne pas craindre l'homme, quand vous vous forgez un dieu qui, par peur des ténèbres, a mêlé le bien et le mal! Ne soyez pas fier, comme vous le dites, que nous fassions de vous quelque chose de grand, en arrêtant vos poisons au passage, et en empêchant que la pestilence ne se répande au milieu des hommes: l'Apôtre ne grandit pas ceux qu'il appelle des chiens lorsqu'il dit: «Prenez garde aux chiens (2);» il ne grandissait pas ceux dont il comparaît la doctrine à de la
1. Ap 22,11. - 2. Ph 3,2.
gangrène (1). Je vous le demande, donc au nom du Christ; si vous êtes prêt, reprenez le débat dans lequel a succombé votre prédécesseur Fortunat (2). Car, en sortant d'ici, il ne devait y revenir qu'après s'être entendu avec les siens pour trouver de quoi répondre à nos frères. Si vous n'êtes pas prêt pour cette discussion, retirez-vous d'ici, ne corrompez pas les voies du Seigneur, ne tendez pas vos piéges aux âmes faibles pour les infecter de vos poisons; autrement prenez garde qu'avec le secours du bras de Notre-Seigneur, vous ne soyez couvert de honte comme vous ne l'auriez pas cru.
Comment on peut savoir si on accomplit la volonté de Dieu.
AUGUSTIN A SES FRÈRES PAULIN ET THÉRASIE, TOUS DEUX SAINTS ET AIMÉS DE DIEU, TRÈSDIGNES DE RESPECT ET D'AFFECTION, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Le très-cher frère Celse m'ayant demandé une réponse, je me suis hâté de payer cette dette; et je me suis véritablement hâté. Je pensais qu'il resterait encore quelques jours au milieu de nous: mais le départ d'un navire lui ayant tout à coup offert une occasion, il est venu à la nuit m'annoncer qu'il nous quitterait demain. Que faire, puisque je ne puis pas le retenir, et que d'ailleurs je ne le devrais pas si je le pouvais, car c'est vers vous qu'il s'empresse de retourner, et il sera meilleur pour lui qu'il vous retrouve? C'est pourquoi je saisis à la course ce que je dicte ici pour vous être envoyé, tout en me déclarant débiteur envers vous d'une plus longue lettre, que je vous écrirai au retour de nos vénérables frères mes collègues Théase et Evode, après que vous m'aurez vous-mêmes un peu rassasié; car c'est vous que depuis longtemps, au nom et avec l'aide du Christ, nous espérons trouver plus abondamment dans leurs coeurs et leurs bouches. Quoique je vous écrive aujourd'hui, je vous ai adressé une autre lettre, il y a peu de jours, par notre cher fils Fortunatien, prêtre de l'Eglise de Thagaste, qui s'embarquait pour aller à Rome. Maintenant donc je demande, selon ma coutume, que vous fassiez ce que vous faites toujours: priez pour nous, afin que Dieu voie notre néant et notre peine, et qu'il nous pardonne tous nos péchés.
1. 2Tm 2,17. - 2. Voy. Rétrac. liv. 1,ch. 16.
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2. Je désire m'entretenir avec vous, si vous le permettez, comme je pourrais le faire si j'étais devant vous. Vous avez répondu avec un esprit tout à fait chrétien et avec piété à une petite question que je vous ai récemment proposée comme si vous étiez là et que j'eusse joui de la douceur de vos entretiens; mais vous y avez répondu en courant et trop brièvement; vous auriez pu y laisser couler un peu plus longtemps et plus abondamment la grâce de votre parole, si vous aviez expliqué un peu plus clairement ce que vous avez dit, savoir que vous êtes décidé à rester dans le lieu où vous trouvez tant d'avantages, mais à condition que s'il plaît au Seigneur de vous demander autre chose, vous préférerez sa volonté à la vôtre. Comment pouvons-nous connaître cette divine volonté toujours préférable à la nôtre? Est-ce seulement lorsque nous devons faire volontairement ce à quoi il a fallu nous déterminer malgré nos répugnances? Là se fait ce que nous ne voulons pas, mais nous redressons notre volonté pour la conformer à celle de Dieu, dont il n'est pas permis de mépriser l'excellence ni d'éviter la toute-puissance; c'est ainsi qu'un autre ceignit Pierre et le porta où il n'avait pas voulu (1), et Pierre alla où il ne voulait pas, mais ce fut volontairement qu'il souffrit une mort cruelle. La divine volonté se manifeste-t-elle aussi dans le cas où nous pourrions ne pas changer de résolution s'il ne se présentait quelque chose qui semble indiquer que cette même volonté nous convie à un autre sentiment? Notre résolution n'était pas mauvaise; on aurait pu fort bien s'y tenir, si Dieu ne nous avait pas appelés à un autre dessein. Ce ne fut pas mal à Abraham de nourrir et d'élever son fils pour le garder, autant qu'il pourrait, jusqu'à la fin de sa vie; mais ayant reçu l'ordre de l'immoler, il changea sans hésiter une résolution qui n'était pas mauvaise en elle-même, mais qui le serait devenue s'il ne l'eût point changée après en avoir reçu l'ordre (2). Aussi je ne doute pas que ce soit là aussi votre avis.
3. Mais nous sommes souvent forcés de reconnaître une volonté de Dieu, différente de la nôtre, non point par une voix du ciel, par un prophète, par les révélations d'un songé ou par cet élan de l'âme qui s'appelle extase, mais par
1. Jn 21,18. - 2. Gn 22,2 Gn 22,10.
les choses mêmes qui arrivent. Ainsi, nous avions décidé un départ, et une affaire est survenue, que la vérité consultée sur notre devoir, nous défend d'abandonner; nous avions le dessein de demeurer en tel endroit, et la même vérité également consultée nous oblige d'en. partir. Je vous demande de me dire pleinement et au long ce que vous pensez de cette troisième sorte de motifs de changer de résolution. Tous en sommes souvent troublés, et, il est difficile de ne pas omettre ce qu'il faudrait faire de préférence, lorsque l'on veut poursuivre un premier dessein qui n'est pas un vrai mal, mais qui devient un mal si on laisse l'action imprévue dont il aurait mieux valu s'occuper, et sans laquelle on eût pu continuer l'oeuvre première, non-seulement sans blâme, mais encore avec louange. Il est difficile de ne pas se tromper ici; c'est ici surtout, qu'il faut se rappeler cette parole du Prophète: «Qui connaît ses fautes (1)?» Je vous prie donc de me dire ce que vous avez coutume de faire à ce sujet ou ce que vous trouvez qu'on doive faire.
1. Ps 18,13.
Augustin, lettres - LETTRE LXXV. (Année 404)