Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE XLIX. C'EST JÉSUS-CHRIST QUI LAVE ET SANCTIFIE.
59. Ne dites donc plus: «C'est d'après la conscience de celui qui administre saintement que l'on peut juger de la purification du sujet»; ne le dites plus, si vous ne voulez pas que l'on vous demande par qui le sujet peut être purifié, quand il est baptisé par un pécheur occulte. Et si vous nous répondez que cette purification a pour principe Dieu ou un ange, je comprends d'ailleurs que ce soit pour vous la seule réponse possible, je pourrai toujours vous couvrir de confusion, pour peu que je vous réplique: dans le baptême conféré par des pécheurs occultes, c'est Dieu ou un ange qui justifie, par conséquent cette justification est alors plus abondante qu'elle ne le serait si le baptême était donné par des ministres d'une sainteté manifeste, puisque malgré leur sainteté, ils ne sauraient être comparés ni à Dieu ni aux anges. Dites plutôt avec la vérité et avec l'Eglise catholique que, n'importe en soi le ministre du baptême, qu'il soit pécheur ou juste, ce n'est pas dans l'homme que l'on doit placer son espérance, mais dans celui-là seul qui justifie l'impie et qui sait faire en sorte que notre foi en lui nous soit imputée à justice (1). En disant que c'est Jésus-Christ qui baptise, nous ne parlons pas du ministère visible, comme le pense ou voudrait le penser Pétilien; nous parlons de la grâce occulte, de la puissance occulte qui réside dans le Saint-Esprit, selon cette parole du Précurseur: «Voilà celui qui baptise dans le Saint –Esprit (2)». Quoi qu'en dise Pétilien, c'est toujours Jésus-Christ qui baptise, non point par un ministère corporel, mais par l'action invisible de sa majesté. En disant que c'est lui-même qui baptise, nous ne disons pas que c'est lui qui immerge dans l'eau et ondoie le corps des croyants; nous affirmons seulement que c'est lui qui purifie invisiblement et sanctifie toute son Eglise. En effet, nous devons croire de la foi la plus entière ces paroles de l'Apôtre: «Epoux, aimez vos épouses, comme Jésus-Christ aimé son Eglise, se livrant pour elle afin de la sanctifier et de la purifier dans le bain de l'eau par la parole (3)». C'est donc Jésus-Christ qui sanctifie, et il sanctifie dans le bain de l'eau par la parole; par conséquent, si les ministres agissent
1. Rm 4,5 - 2. Jn 1,33 - 3. Ep 5,25-26
corporellement, c'est Jésus-Christ seul qui lave et purifie. Que personne donc ne s'arroge une puissance qui n'appartient qu'à Dieu; quant à, l'espérance des hommes, pour être certaine elle doit s'appuyer sur celui qui ne peut faillir. De là ces paroles: «Maudit soit celui qui place son espérance dans l'homme (1)»; et: «Bienheureux celui qui a toute son espérance dans le Seigneur son Dieu (2)». Tout dispensateur fidèle aura pour récompense la vie éternelle; quant au dispensateur infidèle, quelle que soit d'ailleurs son infidélité, elle ne saurait rendre inutiles les aliments que le Seigneur lui a confiés pour les distribuer à ses frères. Ecoutons le Sauveur: «Faites ce qu'ils vous disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font (3)». Cette parole s'applique aux dispensateurs infidèles et nous trace pour devoirs à leur égard de recevoir par eux les biens de Dieu, et de nous abstenir de tout ce qui pourrait nous rendre semblables à eux. .
60. Si donc il est manifeste que Pétilien n'a pas répondu à ces premières paroles de ma lettre, et si les efforts qu'il a faits pour y répondre n'en prouvent que mieux l'impossibilité où il était de répondre, que dirons-nous de ces parties de mes écrits contre lesquelles il n'a même pas tenté une réfutation? Cependant ceux qui possèdent ses ouvrages et les miens, je les invite à en faire la comparaison, et ils verront que la doctrine que je défends est appuyée sur des principes inébranlables. Un seul mot suffira pour vous en convaincre. Rappelez à vos souvenirs les témoignages empruntés à la sainte Ecriture, ou bien relisez-les de nouveau, ceux qu'il a cités contre moi et ceux que j'ai cités contre vous. Il vous sera facile de comprendre que les passages qu'il a cités vous condamnent réellement, sans nous porter aucune atteinte, tandis que ceux que j'ai cités moi-même sont tellement formels et nécessaires que toute interprétation différente de la nôtre lui a été impossible. Nous allons en juger facilement en nous rappelant, soit certains textes de l'Evangile, soit surtout un passage de l'Apôtre.
61. Nous avons d'abord reçu de sa lettre le
1. Jr 17,5 - 2. Ps 39,5 - 3. Mt 23,3
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commencement jusqu'à ces paroles: «Voici l'ordre qui nous est intimé par le Seigneur: Lorsque les hommes vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre; et si la persécution se renouvelle, cherchez encore un autre refuge (1)». Nous avons réfuté cette première partie de sa lettre. Pétilien répliqua par une seconde lettre, que nous réfutons en ce moment, en prouvant qu'il n'a pas répondu à notre critique précédente. Dans sa première lettre il avait inséré contre nous ces passages de l'Écriture: «L'arbre bon porte de bons fruits, et l'arbre mauvais porte de mauvais fruits; cueille-t-on des raisins sur des épines (2)?» Et encore: «Tout homme bon tire le bien du trésor de son coeur, et tout homme mauvais tire le mal du trésor de son coeur (3)». Enfin: «Celui qui est baptisé par un mort ne tire aucun avantage de cette purification (4)». Le but qu'il se proposait dans toutes ces citations, c'était de prouver que celui qui est baptisé devient semblable à celui par qui il est baptisé. De mon côté, j'ai prouvé que la véritable interprétation à donner à ces textes n'était pour sa thèse absolument d'aucun secours. Quant aux anathèmes rapportés par lui et lancés contre les pécheurs et les méchants, j'ai montré qu'ils ne s'appliquent nullement aux froments dispersés, selon la promesse, dans toutes les parties de l'univers; j'ai même fait observer que nous avons seuls le droit de relever ces anathèmes pour les lancer contre vous. Pour vous en convaincre, il suffit de rappeler vos souvenirs.
62. De mon côté, j'ai établi sur des textes formels l'autorité de l'Église catholique. Ainsi, pour ce qui regarde le baptême, j'ai soutenu que ce n'est point à l'homme que l'on doit attribuer ce qui, par la grâce de Dieu, nous régénère, nous purifie et nous justifie, et alors je citais les textes suivants: «C'est en Dieu que nous devons mettre notre confiance, et non pas dans l'homme (5); maudit soit celui qui place dans l'homme sa confiance (6); c'est du Seigneur que nous vient le salut (7); le salut qui vient de l'homme est vain (8); ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose qui est quelque chose, mais celui qui donne l'accroissement, c'est-à-dire Dieu seuls; pour
1. Mt 10,23 - 2. Mt 7,16-17 - 3. Mt 12,35 - 4. Si 34,30 - 5. Ps 116,8 - 6. Jr 17,5 - 7. Ps 3,9 - 8. Ps 59,13 - 9. 1Co 3,7
l'homme qui croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice, ». Quant à l'unité de cette Eglise qui est répandue sur toute la terre, et avec laquelle vous n'êtes pas en communion, je citais ces prophéties relatives à la personne de Jésus-Christ: «Il régnera depuis la mer jusqu'à la mer, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre (2); je vous donnerai les nations pour héritage, et pour empire jusqu'aux confins de la terre (3)». Je soutenais ensuite que la promesse faite à Abraham n'avait d'application possible que dans la communion catholique «Toutes les nations seront bénies dans votre race (4)». L'Apôtre nous apprend quelle est cette race, quand il nous dit: «Et dans votre race qui est Jésus-Christ (5)». Il suit de là que c'est en Jésus-Christ que les Africains et tous les peuples enfantés par l'Église, obtiendront cette bénédiction solennelle annoncée depuis tant de siècles. J'ai prouvé que la paille doit rester mêlée au froment jusqu'à la purification dernière; c'est donc en vain que l'on voudrait trouver, dans des crimes prétendus une excuse à un schisme sacrilège par lequel on se sépare de l'unité et de la communion universelle. Pour empêcher que l'on ne trouvât dans les crimes de certains dispensateurs ou ministres infidèles un prétexte pour établir une division dans la société chrétienne, je citais ce témoignage: «Faites ce qu'ils vous disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font, car ils disent et ne font pas (6)». Tous ces témoignages, empruntés par moi à la sainte Écriture, Pétilien les passe sous silence et s'abstient entièrement de montrer quelle autre interprétation doit leur être donnée pour qu'ils cessent de nous favoriser en cessant de vous combattre. Je dois même ajouter que, par ces outrages tumultueux auxquels il se livre à notre égard, il n'avait d'autre but que de faire oublier mes raisonnements et mes preuves par celui qui, après avoir lu ma lettre, se livrerait à l'étude de la sienne.
63. Les épîtres de saint Paul m'avaient fourni plusieurs arguments en faveur de ma doctrine; Pétilien les revendique en faveur
1. Rm 4,5 - 2. Ps 71,8 - 3. Ps 2,8 - 4. Gn 21,18 - 5. Ga 3,16 - 7. Mt 23,3
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de la sienne, vous allez en juger. «L'apôtre saint Paul a, dites-vous, ce sont mes paroles que cite Pétilien, condamne ceux gui se flattaient d'appartenir à Paul, et s'écrie: «Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? Est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul (1)? Si ces premiers chrétiens se trompaient en prétendant appartenir à Paul, et s'il leur fallait changer de dispositions sous peine de périr, quel espoir peut donc rester à ceux qui se disent du parti de Donat? En a effet, ils ne craignent pas de soutenir que le baptisé n'a d'autre origine, d'autre racine et d'autre tête que celui dont il a reçu le baptême (2)». Ces paroles et ce témoignage de l'Apôtre sont tirés de ma lettre et menacés d'une réfutation péremptoire. Vous allez voir comment il a tenu sa promesse. Voici comme il s'exprime: «Ce langage est futile, fat, puéril et tellement insensé qu'on ne voit même pas quelle relation il pourrait avoir avec notre foi. Vous auriez quelque raison de parler ainsi, si nous disions: Nous sommes baptisés au nom de Donat; ou bien Donat a été crucifié pour nous; ou encore: Nous sommes baptisés en notre propre nom. Mais comme ce langage n'a pu et ne saurait être le nôtre, puisque nous baptisons au nom de la Trinité, n'est-ce pas dé votre part une véritable folie que de nous poser de semblables objections? Ou bien, si vous croyez que nous sommes baptisés au nom de Donat ou en notre nom propre, vous êtes victime d'une erreur grossière et vous avouez implicitement que les malheureux que vous baptisez vous les souillez au nom de Cécilianus».
Telle est la réponse que me jette Pétilien, ne voyant pas sans doute, ou plutôt faisant grand bruit pour empêcher ses lecteurs de voir que sa réponse n'a réellement aucun rapport avec le sujet en question. N'est-il pas évident que le passage cité de l'Apôtre a ici d'autant plus d'importance que vous soutenez précisément que vous n'êtes pas baptisés au nom de Donat; que Donat n'a pas été crucifié pour vous, ce qui ne vous empêche pas de vous séparer de la communion de l'Eglise catholique, pour appartenir à la secte de Donat? Ceux que l'apôtre saint Paul couvrait de ses reproches ne disaient pas noir plus qu'ils eussent été baptisés au nom de Paul,
1. 1Co 1,13 - 2. Liv. 1,ch. 3,IV, n. 4, 5.
ou que Paul eût été crucifié pour eux, et cependant ils faisaient schisme pour le nom de Paul. Ces premiers chrétiens pour qui Jésus-Christ, et non point Paul, avait été crucifié, et qui avaient reçu le baptême au nom de Jésus-Christ et non point au nom de Paul, ne laissaient pas de dire: «J'appartiens à Paul»; ce qui leur méritait cette apostrophe: «Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul?» Ils devaient donc s'attacher uniquement à Celui qui avait été crucifié pour eux, et au nom de qui ils avaient été baptisés, au lieu de se diviser pour le nom de Paul. De même, puisque vous ne dites pas que vous ayez été baptisés au nom de Donat, ce qui ne vous empêche pas de vouloir appartenir à la secte de Donat, n'est-on pas en droit de vous dire: Est-ce que Donat a été crucifié pour vous? est-ce que vous avez été baptisés au nom de Donat? Vous savez que Jésus-Christ a été crucifié pour vous; vous savez que vous avez été baptisés au nom de Jésus-Christ, et cependant, pour le nom et pour la secte de Donat, vous vous obstinez dans votre révolte contre l'unité de Jésus-Christ qui a été crucifié pour vous et au nom de qui vous avez été baptisés.
64. Pétilien, dans ses écrits, se proposait de prouver «que celui qui reçoit le baptême n'a d'autre origine, d'autre racine et d'autre tête que celui par qui il est baptisé v. Et pour vous convaincre que ce n'est pas là de ma part une accusation vaine, puérile et insensée, rappelez-vous ce qu'il enseignait dans cette première partie de sa lettre, à laquelle j'ai répondu, et vous verrez que j'ai cité textuellement ses propres paroles. «C'est», dit-il, «d'après la conscience de celui qui administre saintement, que l'on juge de la purification du sujet: car celui qui de propos délibéré demande la foi à un ministre perfide, ce n'est pas la foi qu'il obtient, mais une véritable culpabilité.» Supposant alors que nous lui demandions des preuves à l'appui de son assertion, il continue: «Toute chose dépend de son origine et de sa racine; et ce qui n'a pas de tête n'est rien; enfin (310) personne ne peut convenablement régénérer, s'il n'a été régénéré par une bonne semence. Si donc il en est ainsi, mes frères, n'est-ce point le comble de la perversité de soutenir que celui qui reste souillé par ses a propres crimes puisse justifier tel ou tel de ses frères, quand le Sauveur a dit: L'arbre a bon porte de bons fruits; cueille-t-on des raisins sur les épines; et encore: Tout homme bon tire le bien du trésor de son coeur, et tout homme mauvais tire le mal du trésor de son coeur; et encore: Celui qui est baptisé par un mort, ne tire aucun a profit de cette ablution?»
Vous voyez qu'en citant ces différents passages, Pétilien, fidèle à son principe, d'après lequel quiconque demande la foi à un ministre perfide en obtient, non pas la foi, mais une véritable culpabilité, se proposait uniquement de nous prouver que la conscience de celui qui administre saintement est l'origine, la racine, la tête et la semence de celui qui reçoit le baptême. C'est la conscience du saint ministre, qui purifie la conscience du sujet; celui qui sciemment demande la foi à un ministre perfide, obtient, non pas la foi, mais une véritable culpabilité; pour prouver cette double affirmation, Pétilien ajoute immédiatement: «Tout dépend de son origine et de sa racine; ce qui n'a pas de tête n'est rien; et pour être capable de régénérer, il faut d'abord avoir été régénéré d'une bonne semence». C'est déjà clair, et cependant il craint encore que des esprits trop simples ne comprennent pas qu'il parle du ministre même du baptême; de là les explications suivantes: «S'il en est ainsi, mes frères, n'est-ce pas le comble de la perversité de soutenir que celui qui reste souillé de ses propres crimes, puisse justifier tel ou tel de ses frères, quand le Sauveur a dit positivement. L'arbre bon porte de bons fruits; cueille-t-on des raisins sur les épines?» Ce n'est point assez encore, car il craint encore qu'aveuglé par la dureté de son coeur l'auditeur ou le lecteur ne comprenne pas qu'il s'agit uniquement du ministre du baptême. Aussi se gardera-t-il d'omettre ces autres passages dans lesquels il est question de l'homme lui-même: «Tout homme bon», dit-il, «tire le bien du trésor de son coeur, et tout homme mauvais tire le mal du trésor de son coeur; et encore: «Celui qui est baptisé par un mort, n'obtient aucun profit de cette ablution». Maintenant sa pensée est manifeste, il n'y a plus besoin ni d'interprète ni de commentateur; il est hors de doute que l'homme baptisé n'a d'autre origine, d'autre racine et d'autre tête que celui par qui il a été baptisé. Et cependant, écrasé par la puissance de la vérité, et oubliant en quelque. sorte ce qu'il venait de dire, Pétilien dans le cours de cette même lettre avoue que Jésus-Christ est l'origine et la racine de ceux qui sont régénérés; qu'il est la tête de l'Eglise, à l'exclusion de tous ceux qui sont établis les dispensateurs et les ministres du baptême. En effet, après avoir dit que les Apôtres baptisaient au nom de Jésus-Christ et faisaient de Jésus-Christ le fondement unique et nécessaire de tout l'édifice du christianisme; supposant bien à tort que nous puissions nier cette vérité, il cherche à nous accabler en nous citant des témoignages et des exemples tirés de la sainte Écriture. «Maintenant», s'écrie-t-il, «que deviennent toutes ces questions vaines et frivoles avec lesquelles vous faisiez si grand bruit; que deviennent ces apostrophes orgueilleuses et jalouses lancées par vous contre l'orgueil et la témérité des hommes, en ayant le soin d'y mêler Jésus-Christ, la défense de Jésus-Christ, les oracles de Jésus-Christ? N'ai-je pas clairement établi que Jésus-Christ est l'origine du chrétien, la racine du chrétien, la tête du chrétien?»
Devant ce langage il ne me reste plus qu'à rendre grâces à Jésus-Christ arrachant à cet homme un aveu d'une telle importance. Car par cet aveu ne reconnaît-il pas la fausseté de toutes ces assertions entassées au début de sa lettre, et tendant toutes à prouver que la conscience du sujet est purifiée par la conscience de celui qui administre saintement, et que celui qui sciemment demande la foi à un ministre perfide, en obtient, non pas la foi, mais une véritable culpabilité? Pour jeter un plus vif éclat sur la puissance prétendue des ministres, il s'écriait: «Toute chose dépend de son origine et de sa racine, et ce qui n'a pas de tête n'est rien». Plus tard il fait cet aveu auquel nous nous associons: «Il reste établi que Jésus-Christ est l'origine du chrétien, qu'il en est la tête, qu'il en est la racine»; et par ces paroles il réfute directement ce qu'il avait dit précédemment (311): «La conscience de celui qui administre saintement est l'origine, la racine et la tête de la conscience du sujet». La vérité triomphe, et l'homme qui désire le baptême de Jésus-Christ ne doit pas placer son espérance dans l'homme ministre, mais s'approcher en toute sécurité de Jésus-Christ lui-même comme de l'origine qui ne change pas, de la racine que rien ne peut arracher, et de la tête que rien ne saurait abattre.
65. Mais quel orgueil transpire dans le commentaire qu'il nous donne des paroles de l'Apôtre. «J'ai planté, dit saint Paul, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l'accroissement. N'était-ce pas nous dire: J'ai fait de tel homme un catéchumène en Jésus-Christ; Apollo l'a baptisé et Dieu a confirmé ce que nous avions fait?» Pourquoi donc Pétilien ne nous donnait-il pas la suite de ce texte, comme je l'ai donnée moi-même, car à mes yeux elle en est le commentaire le plus naturel: «Celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, mais tout vient de Dieu qui donne l'accroissement (1)?» Si Pétilien veut ne pas démentir l'aveu qu'il a fait précédemment, il comprendra que celui qui baptise n'est rien, mais que tout vient de Dieu qui donne l'accroissement. Ces mots: «J'ai planté, Apollo a arrosé», peuvent-ils donc signifier: «J'ai fait de tel homme un catéchumène en Jésus-Christ; Apollo l'a baptisé?» Ne doit-il pas y avoir une autre interprétation plus vraie et plus logique? D'après cette interprétation, celui qui fait un catéchumène n'est rien, celui qui baptise n'est rien, et tout nous vient de Dieu qui donne l'accroissement. Or, autre chose est de confirmer ce qu'un autre a fait, autre chose est de le faire soi-même. En effet, celui qui donne l'accroissement ne confirme ni l'arbre ni la vigne, il crée l'un et l'autre. Car c'est en vertu de cet accroissement que le bois planté produit et enfonce ses racines; c'est en vertu de cet accroissement que la semence jetée dans la terre y germe et s'y développe. Mais pourquoi discuter plus longtemps? Selon Pétilien lui-même, celui qui fait un
1. 1Co 3,6-7
catéchumène n'est rien; celui qui baptise n'est rien, et tout nous vient de Dieu qui donne l'accroissement. Mais quand donc Pétilien dira-t-il, de manière à ce que nous puissions le comprendre: Donat de Carthage n'est rien, Januarius n'est rien, Pétilien n'est rien? Lorsqu'il étouffera cet orgueil secret qui inspire à l'homme de se croire quelque chose dans son néant, et de se séduire lui-même (1).
66. Un peu plus loin, dans le but de plier à ses propres idées les paroles de l'Apôtre que nous lui avions opposées, il passe sous silence l'objection même que je lui adressais, et se livre à des développements dans lesquels son orgueil peut facilement se complaire. «Si je voulais», dit-il, «retourner contre vous le passage que vous nous opposez, ne me suffirait-il pas de vous citer ces paroles du même Apôtre: Qu'est donc Paul, et qu'est Apollo? Ils sont les ministres de celui en qui vous avez cru (2). N'est-ce pas comme s'il nous eût dit à tous: Qu'est Donat de Carthage, qu'est Januarius, qu'est Pétilien? Ne sont-ils pas les ministres de celui en qui vous avez cru?» Je n'ai pas rappelé ce passage de l'Apôtre, mais j'ai cité celui-ci que Pétilien affecte d'oublier: «Celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, et tout nous vient de Dieu qui donne l'accroissement». Pétilien a voulu citer ce passage où l'Apôtre demande ce qu'est Paul et ce qu'est Apollo, et répond lui-même: «Ils sont les ministres de celui en qui vous avez cru». Je conçois que l'orgueil des hérétiques ait pu jusqu'à un certain point supporter ce passage, mais il n'a pu supporter l'autre passage où, sans interroger, l'Apôtre affirme sans ambage qu'il n'est rien. Demanderai-je donc si un ministre de Jésus-Christ est quelque chose? Quelqu'un peut-il en douter? Mais alors comment restent vraies ces autres paroles: «Celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, et tout nous vient de Dieu qui donne l'accroissement?» Pour concilier tout cela il suffit de dire que sous un rapport le ministre est quelque chose, tandis qu'il n'est rien sous un autre rapport. Il est quelque
1. Ga 6,3 - 2. 1Co 3,4-5
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chose pour administrer et dispenser la parole et les sacrements; mais il n'est rien dans la purification et la justification. Car cette justification n'est accomplie dans l'homme intérieur que par Celui qui a créé l'homme tout entier, et qui en restant Dieu s'est fait homme; en un mot par Celui dont il est dit: «Il purifie leur coeur par la foi (1)»; et «Pour l'homme qui croit en Celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (2)». Pétilien a voulu mêler ce passage à mes paroles, mais dans sa lettre il s'est abstenu d'y faire la plus légère allusion.
67. Ainsi donc si le ministre, c'est-à-dire le dispensateur de la parole et du sacrement évangéliques, se montre digne de sa vocation, il s'unit pleinement à l'Évangile; mais s'il est mauvais, il n'en est pas moins le dispensateur de ce même Evangile. S'il est bon, sa volonté se met d'accord avec ses oeuvres; et s'il est mauvais, c'est-à-dire s'il cherche son intérêt propre et non pas celui de Jésus-Christ, il n'agit plus que malgré lui, et en vue des autres avantages qu'il se propose. Écoutez cependant ce que dit l'Apôtre: «Si je le fais de bon coeur, j'en aurai la récompense; mais si je ne le fais qu'à regret, je dispense seulement ce qui m'a été confié (3)». C'est comme s'il eût dit: Si étant bon j'annonce le bien, je parviens à la récompense; mais si je suis mauvais, je me contente d'annoncer le bien. Est-ce qu'il a dit: Si je ne le fais qu'à regret; je ne suis plus dispensateur? Pierre et les autres Apôtres fidèles ont prêché de bon coeur; Judas n'a prêché qu'à regret, et cependant il avait été envoyé et il a prêché avec les autres. Les autres Apôtres ont obtenu la récompense, Judas n'a jamais été que dispensateur. Tous ceux qui ont reçu l'Évangile par la prédication des Apôtres, ont pu obtenir la purification et la justification, non pas de celui qui plantait ou de celui qui arrosait, mais de Celui qui donne l'accroissement.
Nous ne disons pas sans doute que Judas n'a point baptisé, puisqu'il se trouvait avec ses collègues au moment où se passait ce que nous raconte l'Évangile: «Jésus ne baptisait
1. Ac 15,9 - 2. Rm 4,5 - 3. 1Co 9,17
pas, mais ses disciples baptisaient (1)». Dira-t-on qu'il baptisait parce qu'il n'avait pas encore livré Jésus-Christ? mais il tenait la bourse, il était déjà voleur, il portait ce que l'on Jetait dans cette bourse, en un mot, un tel gardien de l'argent de son maître ne pouvait être innocent, et cependant il a pu dispenser la grâce, sans aucun détriment pour ceux qui la recevaient (2). Ou bien supposé qu'il n'ait pas baptisé, vous avouerez du moins qu'il a prêché. Et si vous regardez ce ministère de la prédication comme étant de peu d'importance, que pensez-vous alors de l'apôtre saint Paul qui nous dit de lui-même: «Le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour évangéliser (3)?» Il suivrait delà qu'Apollo, en conférant le baptême, l'eût emporté sur Paul, qui a planté en évangélisant; et cependant, à l'égard des Corinthiens, saint Paul s'attribue le nom de père et refuse ce titre à ceux qui sont venus après lui. Voici ses paroles: «Quand vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n'avez pas pour cela plusieurs pères, puisque c'est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Évangile (4)». Il leur dit: «Je vous ai engendrés», et pourtant dans un autre endroit, s'adressant aux mêmes personnes, il s'écrie: «Je rends grâces à Dieu de n'avoir baptisé aucun d'entre vous, si ce n'est Crispus, Gaïus et la famille de Stéphane (5)». il les avait donc engendrés, non point par lui-même, mais par l'Évangile: Enfin, supposé qu'il eût cherché sa propre gloire et non pas celle de Jésus-Christ; supposé qu'il eût agi contre sa volonté et sans espoir d'aucune récompense, il n'en eût pas moins dispensé les trésors du Seigneur; et ces trésors n'eussent été ni mauvais ni inutiles pour ceux qui y participaient, lors même que le dispensateur eût été mauvais et criminel.
68. Ce qui est vrai de l'Évangile doit l'être à plus forte raison du baptême, car le baptême est lié à l'Évangile d'une manière si étroite, que s'il est vrai de dire que sans le baptême on ne saurait parvenir au royaume des cieux, toujours est-il que la justice a
1. Jn 4,2 - 2. Jn 12,6 - 3. 1Co 1,17 - 4. 1Co 4,15 - 5. 1Co 1,14
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besoin de s'ajouter au sacrement. Le Sauveur a dit: «Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit n'entrera pas dans le royaume des cieux (1)»; mais il a dit également: «Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (2)». La forme du sacrement nous est donnée par le baptême, et la forme de la justice par l'Evangile. L'une de ces deux choses, séparée de l'autre, ne peut nous conduire au royaume des cieux. Remarquons cependant que, pour baptiser parfaitement, il suffit de la science la plus commune, tandis que pour évangéliser parfaitement, nous rencontrons des difficultés bien plus grandes et qui ne sont surmontées que par le plus petit nombre. Voilà pourquoi la mission confiée à Paul d'évangéliser, paraît généralement beaucoup plus grande que n'eût été la mission de baptiser; car tous peuvent baptiser, tandis que très-peu d'hommes peuvent évangéliser, et c'est parmi ces derniers que l'Apôtre tenait le premier rang. D'un autre côté, nous l'entendons plusieurs fois se servant de ces mots: «Mon Evangile (3)», tandis qu'il ne dit jamais, mon baptême, ni le baptême de celui par qui ce sacrement a été conféré. Un seul baptême, celui conféré par saint Jn a été appelé le baptême de Jean (4). Ç'a été là pour le Précurseur un privilège spécial à sa personne que le baptême figuratif qu'il conférait, fût appelé du nom de celui qui le donnait. Quant au baptême donné par les disciples de Jésus-Christ, il ne prit le nom d'aucun d'eux, afin qu'il fût bien constant qu'il était le baptême de celui dont il est écrit: «Jésus-Christ a aimé son Eglise, et il s'est livré à la mort pour elle, afin de la sanctifier, la purifiant dans le bain de l'eau par la parole (5)». Si donc l'Evangile, quoique étant l'Evangile de Jésus-Christ, peut encore être regardé comme étant l'Evangile de celui qui l'annonce, et peut être annoncé par un mauvais dispensateur, sans aucun danger pour ceux qui l'écoutent; à plus forte raison, tout catéchumène de bonne foi peut-il, sans craindre de s'approprier les crimes d'un mauvais ministre, recevoir de ce dernier ce baptême de Jésus-Christ, que les Apôtres ont conféré, sans qu'aucun d'eux osât l'appeler son propre baptême.
1. Jn 3,5 - 2. Mt 5,20 - 3. 2Tm 2,8 - 4. Ac 19,3 - 5. Ep 5,25-26
69. Sur chacun des passages empruntés par Pétilien à l'Ecriture, je me suis arrêté, et j'ai prouvé que ces passages n'étaient nullement à notre défaveur. Quant aux passages cités par moi, ou bien Pétilien ne les honore d'aucune réponse, ou bien ce qu'il en dit ne prouve qu'une seule chose, c'est qu'il ne peut se soustraire à la condamnation dont ils le frappent. Par conséquent, vous n'avez besoin ni de longues exhortations, ni d'avertissements multipliés pour voir quel parti vous devez prendre et quel parti vous devez éviter. Vaincu du côté des témoignages de la sainte Ecriture, Pétilien a-t-il pu du moins trouver sa revanche dans les documents relatifs au schisme dont nous nous occupons? Comparés aux oracles divins, ces documents ne peuvent avoir grande importance, et cependant, voyons quels arguments il a pu en tirer.
Il fait une charge à fond contre les traditeurs, et lance contre eux divers anathèmes tirés des saints livres; mais quant à prouver que ceux qu'il attaque sont réellement traditeurs, c'est précisément ce qu'il ne fait pas. De mon côté, je lui ai cité Sylvain de Cirté son prédécesseur, non pas immédiat, et qui, n'étant encore que sous-diacre, était convaincu par les actes municipaux d'avoir livré les manuscrits sacrés. Je m'attendais à un essai de réfutation de la part de Pétilien, mais il a gardé le plus profond silence. Cependant, vous devez comprendre que des motifs de toute sorte lui faisaient une véritable nécessité de venger sur ce point l'innocence de son prédécesseur, de son collègue, de celui dont il occupait la chaire; car toute la cause en ce moment débattue ne se résume-t-elle pas à nos yeux dans le droit que vous vous attribuez de regarder comme traditeurs ceux qui ont succédé, dans l'unité de communion, à des traditeurs?
Je le répète, ce hardi Pétilien qui, pour le besoin de votre cause, est de taille à défendre le dernier des habitants de Rusiccadie, ou de Calamée, ou de toute autre ville, si je prouvais sur la foi des actes municipaux que ce malheureux est coupable de tradition, Pétilien garde un profond silence sur la personne de son prédécesseur. Pourquoi ce silence, si ce n'est parce que l'évidence des faits ne lui a (314) pas permis d'entasser des nuages et de tromper les esprits les plus grossiers et les plus somnolents? Et, en effet, que pouvait-il nous répondre? Que nous calomnions Sylvain? Mais nous lui donnons lecture des actes, nous lui citons les dates du fait et de la dénonciation qui en fut portée au tribunal du consul Zénophile. A ces preuves comment pourrait-il répliquer, écrasé comme il l'est par l'évidence qui proclame l'excellence de la cause catholique et la perversité de la vôtre? Qu'il me soit donc permis de rappeler les termes dont je me servais dans ma lettre, à laquelle il a fait une réplique que je réfute en ce moment; vous comprendrez alors qu'il fallait que mon raisonnement présentât au suprême degré les caractères de la victoire, pour que Pétilien ne prît y opposer que le plus honteux silence.
Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE XLIX. C'EST JÉSUS-CHRIST QUI LAVE ET SANCTIFIE.