Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.8
408 8 1 Vains aussi Marcion et ses disciples, qui expulsent Abraham de l'héritage, alors que l'Esprit, par plusieurs et notamment par Paul, lui rend ce témoignage: "Il crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice Rm 4,3 Ga 3,6 Gn 15,6." Le Seigneur aussi lui rend témoignage: d'abord lorsque, lui suscitant des fils à partir de pierres Mt 3,9 Lc 3,8 et rendant sa postérité pareille aux étoiles du ciel Gn 15,5 Gn 22,17, il dit: "Ils viendront du levant et du couchant, du nord et du midi, et ils prendront place à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux Lc 13,29 Mt 8,11"; puis lorsqu'il redit aux juifs: "... quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, tandis que vous, vous serez jetés dehors Lc 13,28." Il est donc clair que ceux qui contestent le salut d'Abraham et imaginent un autre Dieu que Celui qui lui fit la promesse, sont en dehors du royaume de Dieu et privés de l'héritage de l'incorruptibilité: car ils méprisent et blasphèment le Dieu qui introduit dans le royaume des cieux Abraham et sa postérité Lc 1,55, c'est-à-dire l'Église, qui, par Jésus-Christ, reçoit la filiation adoptive et l'héritage promis à Abraham.
2 Car c'est de la postérité de celui-ci que le Seigneur prenait la défense, lorsqu'il la délivrait de ses liens et l'appelait au salut, comme il l'a clairement montré à propos de la femme guérie par lui Lc 13,10-13, en disant à ceux qui n'avaient pas une foi semblable à celle d'Abraham: "Hypocrites, est-ce que chacun de vous, le jour du sabbat, ne délie pas son boeuf ou son âne pour le mener boire? Et cette femme, une fille d'Abraham, que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, il n'eût pas fallu la délivrer de ce lien le jour du sabbat Lc 13,15-16 !" De toute évidence, il délivrait et vivifiait ceux qui, à la ressemblance d'Abraham, croyaient en lui, et il n'enfreignait pas la Loi en le faisant le jour du sabbat, car la Loi ne défendait pas de guérir des hommes le jour du sabbat: elle les faisait circoncire ce jour-là Jn 7,22-23, prescrivait aux prêtres d'accomplir leur service pour le peuple et n'interdisait pas même le soin des animaux dépourvus de raison. Même la piscine de Siloé opérait souvent des guérisons le jour du sabbat, et pour ce motif une foule de gens la fréquentaient Jn 5,2-4. La Loi commandait qu'on s'abstînt, le jour du sabbat, de toute oeuvre servile, c'est-à-dire de tout gain réalisé par le commerce et par toute autre industrie terrestre; en revanche, elle invitait à accomplir les oeuvres de l'âme, celles qui se font par la réflexion et par les paroles, pour le bien du prochain. C'est pourquoi le Seigneur reprenait ceux qui lui reprochaient injustement de faire des guérisons le jour du sabbat: loin d'abolir la Loi, il l'accomplissait au contraire Mt 5,17, exécutant l'oeuvre du grand-prêtre, rendant Dieu propice aux hommes, purifiant les lépreux Lv 14,18-20, guérissant les malades, et mourant enfin lui-même pour que l'homme exilé sortît de sa peine et revînt sans crainte dans son héritage Nb 35,25 Nb 35,28 Jos 20,6.
3 La Loi n'interdisait pas davantage aux affamés, le jour du sabbat, de prendre leur nourriture de ce qui se trouvait à leur portée; mais elle défendait de moissonner et d'engranger. Aussi le Seigneur rétorqua-t-il à ceux qui blâmaient ses disciples, sous prétexte qu'ils froissaient des épis pour les manger: "Vous n'avez donc pas lu ce que fit David, quand il eut faim: comment il entra dans la maison de Dieu, mangea des pains de proposition et en donna à ses compagnons, alors qu'il n'était permis d'en manger qu'aux prêtres seuls Mt 12,3-4 Lc 6,3-4 1S 21,4-7 ?" Par ces paroles de la Loi, il excusait ses disciples et laissait entendre qu'il était permis aux prêtres d'agir librement. Or, prêtre, David l'était aux yeux de Dieu, quoiqu'il fût persécuté par Saül, car tout roi juste possède le rang sacerdotal. Prêtres, tous les disciples du Seigneur l'étaient aussi, eux qui n'avaient ici-bas pour héritage ni champs ni maisons, mais vaquaient sans cesse au service de l'autel et de Dieu. C'est à leur sujet que Moïse dit dans le Deutéronome, à la bénédiction de Lévi: "Celui qui dit à son père et à sa mère: Je ne t'ai point vu, et qui n'a pas connu ses frères et a renoncé à ses enfants, celui-là a observé tes commandements et gardé ton alliance Dt 33,9." Quels étaient-ils, ceux qui avaient abandonné père et mère et avaient renoncé à tous leurs proches à cause du Verbe de Dieu et de son alliance, sinon les disciples du Seigneur? C'est d'eux encore que Moïse dit: "Ils n'auront pas de part d'héritage, car le Seigneur en personne sera leur part Dt 10,9." Et encore: "Les prêtres lévitiques, la tribu entière de Lévi, n'auront ni part ni héritage avec Israël; les fruits offerts au Seigneur seront leur héritage, et ils les mangeront Dt 18,1." C'est pourquoi Paul dit: "Je ne cherche pas le don, mais je cherche le fruit Ph 4,17." Ainsi donc, puisque les disciples du Seigneur possédaient l'héritage lévitique, il leur était permis, quand ils avaient faim, de prendre leur nourriture dans les champs, car "l'ouvrier est digne de sa nourriture Mt 10,10", et "les prêtres, dans le Temple, enfreignent le sabbat et ne sont pas coupables Mt 12,5". Pourquoi donc n'étaient-ils pas coupables? Parce que, se trouvant dans le Temple, ils exécutaient le service du Seigneur et non celui du monde. Ils accomplissaient donc la Loi, loin de la transgresser comme cet homme qui, de sa propre initiative, rapporta du bois sec dans le camp de Dieu. Il fut lapidé à juste titre Nb 15,32-36, car "tout arbre qui ne porte pas de fruit est coupé et jeté au feu Mt 3,10 Mt 7,19 Lc 3,9", et "quiconque détruit le temple de Dieu, Dieu le détruirai 1Co 3,17".
409 9 1 Toutes choses relèvent donc d'une seule et même substance, autrement dit proviennent d'un seul et même Dieu, comme le Seigneur le déclare encore à ses disciples: "C'est pourquoi tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un Maître de maison qui extrait de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes Mt 13,52." Il n'a pas enseigné qu'un autre extrait les choses anciennes et un autre les choses nouvelles, mais que c'est un seul et le même. Car le Maître de maison, c'est le Seigneur: il a autorité sur toute la maison paternelle, fixant pour les esclaves encore grossiers une Loi adaptée, mais donnant aux hommes libres et justifiés par la foi des préceptes appropriés et ouvrant aux enfants son propre héritage. Les scribes instruits de ce qui regarde le royaume des cieux, ce sont ses disciples, au sujet desquels il dit ailleurs aux juifs: "Voici que je vous envoie des sages, des scribes et des docteurs: vous en tuerez et pourchasserez de ville en villeMt 23,34." Quant aux choses anciennes et nouvelles qui sont extraites du trésor, ce sont incontestablement les deux Testaments: les choses anciennes sont la Loi antérieure, et les nouvelles, la vie selon l'Évangile. C'est à propos de celle-ci que David dit: "Chantez au Seigneur un cantique nouveau Ps 96,1 Ps 98,1." Et Isaïe: "Chantez au Seigneur un hymne nouveau. Son commencement: Son nom est glorifié aux extrémités de la terre, on annonce ses hauts faits dans les îles Is 42,10 Is 42,12." Et Jérémie: "Voici, dit-il, que je vais établir une alliance nouvelle, différente de celle que j'ai conclue avec vos pères sur le mont Horeb Jr 31,31-32." Ces deux Testaments, un seul et même Maître de maison les a extraits de son trésor, le Verbe de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ: c'est lui qui s'est entretenu avec Abraham et avec Moïse, et c'est également lui qui nous a rendu la liberté dans la nouveauté, c'est-à-dire amplifié la grâce venant de lui.
2 "Il y a ici, dit-il en effet, plus que le Temple Mt 12,6." Or, le plus ou le moins ne se disent pas de choses qui n'ont entre elles rien de commun, sont de natures contraires et se combattent mutuellement, mais de choses qui sont de même substance et communient l'une avec l'autre, ne différant que par la quantité et la grandeur, comme l'eau diffère de l'eau, la lumière de la lumière, la grâce de la grâce. La grâce de la liberté est donc supérieure à la Loi de la servitude, et c'est pour ce motif que, débordant les limites d'un seul peuple, elle s'est répandue dans le monde entier. Il n'y a cependant qu'un seul et même Seigneur, et c'est lui qui donne aux hommes plus que le Temple Mt 12,6, et plus que Salomon Mt 12,42, et plus que Jonas Mt 12,41, à savoir sa propre présence et la résurrection d'entre les morts; il ne change pas Dieu pour autant, ni n'annonce un autre Père, mais Celui-là même qui a toujours davantage à distribuer à ses familiers et qui, à mesure que progresse leur amour pour lui, leur accorde des biens plus nombreux et plus grands. C'est en ce sens que le Seigneur disait à ses disciples :
"Vous verrez des choses encore plus grandes que celles-ci Jn 1,50." Paul dit aussi: "Ce n'est pas que j'aie déjà reçu le prix, ou que je sois déjà justifié, ou que je sois déjà parvenu à la perfection Ph 3,12"; "car nous ne connaissons qu'imparfaitement et nous ne prophétisons qu'imparfaitement; mais quand sera venu ce qui est parfait, ce qui est imparfait sera aboli 1Co 13,9-10." De même donc que, une fois venu ce qui est parfait, ce n'est pas un autre Père que nous verrons, mais Celui-là même que maintenant nous désirons voir - car "bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu Mt 5,8" -; de même que ce n'est pas un autre Christ Fils de Dieu que nous accueillerons, mais Celui qui est né de Marie, qui a souffert, en qui nous croyons et que nous aimons - comme le dit Isaïe: "On dira en ce jour-là: Voici le Seigneur notre Dieu, en qui nous avons espéré, et nous avons exulté en notre Salut Is 25,9", et comme le dit également Pierre dans son épître: "Lorsque vous verrez celui en qui, sans le voir encore, vous croyez, vous tressaillirez d'une joie inexprimable 1P 1,8" -; de même que ce n'est pas un autre Esprit Saint que nous recevrons, mais celui qui est avec nous et "qui crie: Abba, Père Ga 4,6 !", et que c'est en ceux-là mêmes que nous croîtrons et progresserons de manière à jouir des biens de Dieu non plus dans un miroir et en énigmes, mais par une vue immédiate 1Co 13,12-: e même maintenant aussi, en recevant plus que le Temple et plus que Salomon, c'est-à-dire la présence du Fils de Dieu, nous n'avons pas appris à connaître un autre Dieu que l'Auteur et le Créateur de toutes choses qui a été révélé depuis le commencement, ni un autre Christ Fils de Dieu que Celui qui a été prêché par les prophètes.
3 Car, comme la nouvelle alliance était connue et prédite par les prophètes, Celui qui devait l'établir était prêché lui aussi conformément au bon plaisir du Père: il était manifesté aux hommes de la manière que Dieu voulait, afin que ceux qui mettraient en lui leur confiance puissent progresser sans cesse et, par les diverses alliances, atteindre à la plénitude achevée du salut. Car il n'y a qu'un seul salut et qu'un seul Dieu; mais, pour conduire l'homme à son achèvement, il y a des préceptes multiples, et nombreux sont les degrés qui l'élèvent jusqu'à Dieu. Eh quoi ! A un roi terrestre, qui n'est qu'un homme, il est loisible d'octroyer maintes fois de grands avancements à ses sujets: et il ne serait pas permis à Dieu, tout en demeurant identique à lui-même, de distribuer toujours plus abondamment sa grâce au genre humain et, par des dons toujours plus grands, d'honorer constamment ceux qui lui plaisent? Si, par contre, le progrès consiste à imaginer faussement un autre Père que Celui qui fut annoncé depuis le commencement, ce sera un progrès identique que d'en imaginer un troisième par delà celui qu'on croira avoir trouvé en second lieu, puis un quatrième à partir du troisième, puis un autre encore. Et c'est ainsi qu'un esprit de cette sorte, tout en croyant progresser toujours, jamais ne s'arrêtera au Dieu unique: repoussé loin de Celui qui est, et revenu en arrière, il cherchera Dieu sans fin, mais il ne le trouvera jamais; il ne cessera de. nager dans l'"abîme" de l'insaisissable, à moins que, converti par la pénitence, il ne revienne au lieu d'où il a été rejeté, proclamant et croyant seul Dieu Père le Créateur qu'ont annoncé la Loi et les prophètes et à qui le Christ a rendu témoignage.
C'est ainsi qu'il répliquait à ceux qui accusaient ses disciples de ne pas garder la tradition des anciens: " Et vous, pourquoi violez-vous le commandement de Dieu à cause de votre tradition? Car Dieu a dit: Honore ton père et ta mère, et: Quiconque maudira son père ou sa mère, qu'il soit mis à mort Mt 15,3-4 Mc 7,9-10 !" Et il leur disait une deuxième fois: "Vous avez violé la parole de Dieu à cause de votre tradition Mt 15,6." Par là, de la façon la plus nette, le Christ reconnaissait pour Père et pour Dieu Celui qui a dit dans la Loi: Honore ton père et ta mère, afin qu'il t'arrive du bien Ex 20,12"; le Seigneur véridique reconnaissait aussi pour "parole de Dieu" le commandement de la Loi et ne déclarait Dieu personne d'autre que son Père.
410 10 1 C'est donc avec raison que Jean le montre disant aux juifs: "Vous scrutez les Écritures, dans lesquelles vous croyez avoir la vie éternelle: ce sont elles qui me rendent témoignage, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie Jn 5,39-40 !" Comment donc les Écritures lui eussent-elles rendu témoignage, si elles ne provenaient d'un seul et même Père, en instruisant par avance les hommes de la venue de son Fils et en leur annonçant par avance le salut qui vient de lui? "Si vous croyiez Moïse, disait-il, vous me croiriez moi aussi, car c'est de moi qu'il a écrit Jn 5,46." De fait, partout, dans les Écritures de Moïse, est semé le Fils de Dieu: tantôt il s'entretient avec Abraham , tantôt il donne à Noé les dimensions de l'arche Gn 6,15, tantôt il cherche Adam Gn 3,9, tantôt il fait venir le jugement sur les habitants de Sodome Gn 19,24, ou encore il apparaît, guide Jacob sur les chemins Gn 28,15, et, du sein du buisson, parle à Moïse Ex 3,4. Innombrables sont les textes où Moïse montre le Fils de Dieu. Même le jour de sa Passion, il ne l'a pas ignoré, mais il l'a annoncé par avance de façon figurative en le nommant la Pâque: et c'est en ce jour-là même, prêché si longtemps à l'avance par Moïse, que le Seigneur a souffert, accomplissant ainsi la Pâque. Et ce n'est pas seulement le jour qu'il a préfiguré, mais le lieu, la fin des temps et le signe du coucher du soleil, en disant: "Tu ne pourras immoler la Pâque dans aucune de tes villes, que le Seigneur ton Dieu te donne, mais seulement dans le lieu que le Seigneur ton Dieu aura choisi pour que son Nom y soit invoqué; tu immoleras la Pâque le soir, au coucher du soleil Dt 16,5-6."
2 Mais, déjà auparavant, il avait clairement indiqué la venue de celui-ci, en disant: "Le prince issu de Juda ne fera pas défaut, ni le chef sorti de ses cuisses, jusqu'à ce que vienne Celui à qui cela est réservé, et lui-même sera l'attente des nations. Il attachera son ânon à la vigne, et au sarment le petit de l'ânesse. Il lavera son vêtement dans le vin, et son manteau dans le sang de la grappe; ses yeux seront brillants, plus que le vin, et ses dents seront blanches, plus que le lait Gn 49,10-12." Qu'ils cherchent donc, ces gens qui passent pour tout scruter, à quel moment ont fait défaut le prince et le chef issus de Juda, et qui est l'attente des nations, qui la vigne, qui son ânon, qui le vêtement, qui les yeux, qui les dents, qui le vin ! Qu'ils scrutent chacun des mots susdits, et ils trouveront qu'ils n'annoncent personne d'autre que notre Seigneur Jésus-Christ. Voilà pourquoi Moïse, voulant reprocher au peuple son ingratitude à l'égard de celui-ci, leur dit: "Ainsi donc, peuple insensé et dépourvu de sagesse, voilà ce que vous rendez au Seigneur Dt 32,6 !" Il indique encore que Celui qui les a créés et faits au commencement, le Verbe, se montrera aussi dans les derniers temps, "suspendu au bois Dt 21,23 Ga 3,13" pour nous racheter et nous vivifier, et qu'ils ne croiront pas en lui: Ta Vie, dit-il, sera suspendue sous tes yeux, et tu ne croiras pas en ta Vie Dt 28,66." Et encore: "Celui-ci n'est-il pas ton Père qui t'a acquis, qui t'a fait, qui t'a créé Dt 32,6 ?"
411 11 1 Et non seulement les prophètes, mais beaucoup de justes connurent d'avance par l'Esprit sa venue et demandèrent à parvenir jusqu'à ce temps où ils verraient de leurs yeux leur Seigneur et entendraient ses paroles. C'est ce que le Seigneur a clairement montré, en disant à ses disciples: "Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu Mt 13,17." Comment eussent-ils donc désiré voir et entendre, s'ils n'avaient connu par avance sa venue? Et comment l'eussent-ils connue par avance, s'ils n'en avaient reçu de lui la connaissance anticipée? Et comment les Écritures lui rendraient-elles témoignage, si un seul et même Dieu n'avait, en tout temps, tout révélé et montré à l'avance par l'entremise du Verbe à ceux qui croient, tantôt s'entretenant avec l'ouvrage par lui modelé, tantôt donnant la Loi, tantôt reprenant, tantôt encourageant, puis libérant l'esclave et faisant de lui son fils, et enfin, au temps opportun, lui accordant l'héritage de l'incorruptibilité en vue du plein achèvement de l'homme? Car il l'a modelé en vue d'une croissance et d'une maturité, selon le mot de l'Écriture: "Croissez et multipliez Gn 1,28."
2 C'est précisément en ceci que Dieu diffère de l'homme: Dieu fait, tandis que l'homme est fait. Celui qui fait est toujours le même, tandis que ce qui est fait reçoit obligatoirement un commencement, un état intermédiaire et une maturité. Dieu donne ses bienfaits, tandis que l'homme les reçoit. Dieu est parfait en toutes choses, égal et semblable à lui-même, tout entier Lumière, tout entier Pensée, tout entier Substance et Source de tous biens, tandis que l'homme reçoit progrès et croissance vers Dieu. Car, autant Dieu est toujours le même, autant l'homme qui sera trouvé en Dieu Ph 3,9 Ap 20,15 progressera toujours vers Dieu: Dieu ne cessera pas plus de combler et d'enrichir l'homme, que l'homme d'être comblé et enrichi par Dieu. Car il sera le réceptacle de sa bonté et l'instrument de sa glorification, l'homme reconnaissant envers Celui qui l'a fait; en revanche, il sera le réceptacle de son juste jugement, l'homme ingrat, qui méprise Celui qui l'a modelé et ne se soumet pas à son Verbe. Car celui-ci même a promis de donner le surplus à ceux qui ne cessent de porter du fruit et de multiplier l'argent du Seigneur: "Très bien, dit-il, serviteur bon et fidèle; parce que tu as été fidèle en peu, je t'établirai sur beaucoup; entre dans la joie de ton Seigneur Mt 25,21 Lc 19,17": c'est bien le même Seigneur qui promet le surplus.
3 De même donc qu'à ceux qui fructifient maintenant il a promis de donner ce surplus par un don de sa grâce et nullement par une mutation de notre connaissance - car c'est le même Seigneur qui demeurera et le même Père qui sera révélé-, ainsi, par sa venue, un seul et même Seigneur a procuré aux hommes postérieurs à celle-ci un don de grâce plus grand que sous l'ancienne alliance. Car les uns, qui entendaient dire par des serviteurs que le Roi allait venir, ressentaient une joie mesurée, selon qu'ils espéraient cette venue; mais les autres, qui l'ont vu présent, qui ont obtenu la liberté et qui ont joui de ses dons, éprouvent une joie plus grande, une allégresse plus pleine, réjouis qu'ils sont par la présence du Roi. Comme le dit David: "Mon âme exultera dans le Seigneur et se réjouira dans son Salut Ps 35,9." Et c'est pourquoi, lorsque celui-ci fit son entrée à Jérusalem, tous ceux qui se trouvaient sur le chemin et qui, à la suite de David, désiraient ardemment en leur âme Ps 42,2 Ps 84,3 Ps 119,20, reconnurent leur Roi, étendirent leurs vêtements sous ses pas et ornèrent le chemin de rameaux verdoyants, en s'écriant dans un débordement de joie et d'allégresse: "Hosanna au Fils de David ! Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux Mt 21,9 Ps 118,25-26 !" Mais ce fut alors de la jalousie chez les mauvais intendants, qui circonvenaient leurs inférieurs, dominaient sur les esprits mal affermis et, pour ce motif, ne voulaient pas que fût venu le Roi. Ils lui dirent: "Entends-tu ce qu'ils disent ?" Et le Seigneur de répliquer: "N'avez-vous jamais lu: C'est de la bouche des petits enfants et des nourrissons que tu as préparé une louange Mt 21,16 Ps 8,3 ?" Cet oracle de David relatif au Fils de Dieu, il le montrait réalisé en lui-même, et il laissait entendre qu'ils ne connaissaient ni le sens de l'Écriture ni l'"économie" de Dieu, tandis qu'il était, lui, le Christ qu'avaient annoncé les prophètes, Celui dont "le nom est un objet d'admiration sur toute la terre" parce que son Père "a préparé une louange de la bouche des petits enfants et des nourrissons", à cause de quoi "sa gloire a été élevée au-dessus des cieux Ps 8,2-3".
4 Si donc Celui-là même est présent qui fut annoncé par les prophètes, le Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, et si sa venue a procuré une grâce plus pleine et un don plus grand à ceux qui l'ont reçu, il est clair que le Père lui aussi est Celui-là même qui était annoncé par les prophètes, et que le Fils venu vers nous n'a pas apporté la connaissance d'un autre Père, mais du même, de Celui qui avait été prêché depuis le commencement. Et, de la part de ce Père, il a apporté la liberté à ceux qui le servaient loyalement, avec empressement et de tout leur coeur Mt 22,37 Dt 6,5; mais à ceux qui méprisaient Dieu et ne lui étaient pas soumis, à ceux qui en vue d'une gloire humaine affectaient d'observer des purifications tout extérieures - elles avaient été données comme une figure des choses à venir, la Loi esquissant les choses éternelles par les temporelles, et les célestes par les terrestres -, à ceux qui, dans cette pratique, affectaient d'aller au delà de ce qui avait été dit, comme s'ils eussent été plus zélés que Dieu lui-même, alors qu'au dedans ils étaient pleins d'hypocrisie, de cupidité et de toute malice Mt 23,28, à ceux-là il a apporté la ruine définitive en les retranchant de la vie.
412 12 1 Car la tradition de leurs anciens, qu'ils affectaient d'observer à l'égal d'une loi, était contraire à la Loi de Moïse. C'est pourquoi Isaïe dit: "Tes cabaretiers mêlent le vin avec de l'eau Is 1,22", pour montrer qu'à l'austère précepte de Dieu les anciens mêlaient une tradition aqueuse, c'est-à-dire ajoutaient une loi frelatée et contraire à la Loi. C'est ce que le Seigneur a clairement fait voir, en leur disant: "Pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu à cause de votre tradition Mt 15,3 ?" Non contents de violer la Loi de Dieu par leur transgression en mêlant le vin avec de l'eau, ils ont dressé contre elle leur propre loi, qu'on appelle encore aujourd'hui loi pharisaïque. Ils y suppriment certaines choses, en ajoutent d'autres, en interprètent d'autres à leur guise: ainsi en usent particulièrement leurs docteurs. Voulant défendre ces traditions, ils ne se sont pas soumis Rm 10,3 à la Loi de Dieu qui les orientait vers la venue du Christ Ga 3,24, et ils sont allés jusqu'à reprocher au Seigneur de faire des guérisons le jour du sabbat, ce que, nous l'avons déjà dit, la Loi ne défendait pas, puisqu'elle-même guérissait d'une certaine manière, en faisant circoncire l'homme ce jour-là Jn 7,22-23; cependant ils ne se reprochaient rien à eux-mêmes, alors que, par leur tradition et par la loi pharisaïque susdite, ils transgressaient le commandement de Dieu et n'avaient pas l'essentiel de la Loi, à savoir l'amour envers Dieu.
2 Que cet amour soit en effet le premier et le plus grand commandement, et que le second soit l'amour envers le prochain, c'est ce que le Seigneur a enseigné, en disant que toute la Loi et les prophètes se rattachent à ces commandements Mt 22,37-40 Dt 6,5 Lv 19,18. Et lui-même n'a pas apporté de commandement plus grand que celui-là, mais il a renouvelé ce commandement même, en enjoignant à ses disciples d'aimer Dieu de tout leur coeur et leur prochain comme eux-mêmes. S'il était descendu d'auprès d'un autre Père, jamais il n'aurait fait usage du premier et du plus grand commandement de la Loi: il se serait évertué de toutes manières à en apporter un plus grand d'auprès du Père parfait et à ne pas faire usage de celui qu'avait donné l'Auteur de la Loi. Paul dit aussi que la charité est l'accomplissement de la Loi Rm 13,10; tout le reste étant aboli, seules demeurent la foi, l'espérance et la charité, mais la plus grande de toutes, c'est la charité 1Co 13,13; sans la charité envers Dieu, ni la connaissance n'a d'utilité, ni la compréhension des mystères, ni la foi, ni la prophétie, mais tout est vain et superflu sans la charité 1Co 13,2; la charité, elle, rend l'homme parfait, et celui qui aime est parfait dans le siècle présent et dans le siècle futur: car jamais nous ne cesserons d'aimer Dieu, mais, plus nous le contemplerons, plus nous l'aimerons.
3 Ainsi donc, puisque dans la Loi comme dans l'Évangile le premier et le plus grand commandement est le même, à savoir aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur Dt 6,5 Mt 22,37-38, et le second pareillement, à savoir aimer son prochain comme soi-même Lv 19,18 Mt 22,39, la preuve est faite qu'il n'y a qu'un seul et même Auteur de la Loi et de l'Évangile. Les commandements essentiels de la vie, du fait qu'ils sont les mêmes de part et d'autre, manifestent en effet le même Seigneur: car, s'il a édicté des commandements particuliers adaptés à l'une et l'autre alliance, pour ce qui est des commandements universels et les plus importants, sans lesquels il n'est pas de salut, ce sont les mêmes qu'il a proposés de part et d'autre.
4 Qui le Seigneur n'aurait-il pas confondu, lorsqu'à ceux qu'il enseignait, foule et disciples, il affirmait, dans les termes que voici, que la Loi ne venait pas d'un autre Dieu: "C'est sur la chaire de Moïse que se sont assis les scribes et les Pharisiens: observez donc et faites tout ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas selon leurs actes, car ils disent et ne font pas; ils lient des fardeaux pesants et les placent sur les épaules des hommes, mais eux, ils ne veulent pas même les remuer du doigt Mt 23,2-4"? Il ne condamnait donc pas la Loi de Moïse, puisqu'il invitait à l'observer tant que subsistait Jérusalem: mais c'était eux qu'il blâmait, parce que, tout en proclamant les paroles de la Loi, ils étaient vides d'amour et, à cause de cela, violateurs de la Loi à l'égard de Dieu et du prochain. Comme le dit Isaïe: "Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi; c'est en vain qu'ils me rendent un culte, car les doctrines qu'ils enseignent ne sont que des commandements d'hommes Is 29,13 Mt 15,8-9." Ce n'est pas la Loi de Moïse qu'il appelle "commandements d'hommes", mais les traditions de leurs anciens, forgées de toutes pièces, pour la défense desquelles ils rejetaient la Loi de Dieu et, à cause de cela, ne se soumirent pas non plus à son Verbe. C'est en effet ce que Paul dit à leur sujet: "Méconnaissant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu: car le Christ est la fin de la Loi, pour la justification de tout croyant Rm 10,3-4." Comment le Christ serait-il la fin de la Loi, s'il n'en avait été aussi le principe? Car Celui qui a amené la fin est aussi Celui qui a réalisé le principe. C'est lui qui disait à Moïse: "J'ai vu l'affliction de mon peuple qui est en Égypte, et je suis descendu pour les délivrer Ex 3,7-8." Dès le principe, en effet, le Verbe de Dieu s'était accoutumé à monter et à descendre Jn 3,13 Ep 4,9-10 pour le salut de ceux qui étaient molestés.
5 Que la Loi ait appris par avance à l'homme à suivre le Christ, lui-même l'a clairement montré, lorsqu'à celui qui lui demandait ce qu'il devait faire pour hériter de la vie éternelle il répondait: "Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements Mt 19,17." Comme l'autre demandait: "Lesquels ?", le Seigneur lui répartit: "Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et: Tu aimeras ton prochain comme toi-même Mt 19,18-19 Ex 20,12-16 Lv 19,18." Il proposait ainsi les commandements de la Loi, comme les degrés de l'entrée dans la vie, à ceux qui voudraient le suivre: car, en parlant à un seul, c'est à tous qu'il parlait. Mais l'autre répliqua: "J'ai déjà fait tout cela Mt 19,20." Sans doute ne l'avait-il pas fait, sinon il ne lui eût point été dit: "Garde les commandements." Alors le Seigneur, démasquant son avarice, lui dit: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et distribue-le aux pauvres; puis, viens et suis-moi Mt 19,21 Lc 18,22." Il promettait la part des apôtres à ceux qui auraient agi de la sorte Mt 19,27-29, et il enseignait, à ceux qui le suivaient, non pas un autre Dieu Père que Celui qui fut annoncé par la Loi depuis le commencement, ni un autre Fils, ni la Mère, Enthymésis d'un Éon tombé dans la passion et la déchéance, ni le Plérôme des trente Éons, dont on a démontré la vacuité et l'inconsistance, ni la fable qu'ont forgée les autres hérétiques, mais à observer les commandements prescrits par Dieu depuis le commencement, à détruire par de bonnes oeuvres l'ancienne cupidité et à suivre le Christ. Que distribuer ses biens aux pauvres, c'est détruire l'ancienne cupidité, Zachée l'a bien fait voir, en disant: "Voici que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple Lc 19,8."
413 13 1 Les préceptes naturels de la Loi - c'est-à-dire ceux par lesquels l'homme est justifié et qu'observaient, même avant le don de la Loi, ceux qui par leur foi étaient justifiés et plaisaient à Dieu -, ces préceptes-là, le Seigneur ne les a pas abolis, mais étendus et accomplis Mt 5,17. C'est ce que prouvent ces paroles: "I1 a été dit aux anciens: Tu ne commettras pas d'adultère. Mais moi, je vous dis: Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur Mt 5,27-28." Et encore: "Il a été dit: Tu ne tueras pas. Mais moi, je vous dis: Quiconque se met en colère contre son frère sans motif sera justiciable du jugement Mt 5,21-22." Et: "I1 a été dit: Tu ne feras pas de faux serments. Mais moi, je vous dis de ne faire aucune sorte de serments. Que votre oui soit oui, et votre non, non Mt 5,33-34 Mt 5,37 !" Et ainsi de suite. Tous ces préceptes n'impliquent ni la contradiction ni l'abolition des précédents, comme le vocifèrent les disciples de Marcion, mais leur accomplissement et leur extension. Comme le Seigneur le dit lui-même: "Si votre justice ne dépasse celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux Mt 5,20." En quoi consistait-il, ce dépassement? D'abord, à croire non plus seulement au Père, mais aussi à son Fils dorénavant manifesté, car c'est lui qui mène l'homme à la communion et à l'union avec Dieu. Ensuite, à ne pas dire seulement, mais à faire - car ils disaient et ne faisaient pas Mt 23,3 -, et à se garder non seulement des actes mauvais, mais même de leur désir. En enseignant cela, il ne contredisait pas la Loi, mais il accomplissait la Loi et enracinait en nous les prescriptions de la Loi. Contredire la Loi, c'eût été d'ordonner à ses disciples de faire quoi que ce fût que défendait la Loi. En revanche, leur prescrire l'abstention non seulement des actes défendus par la Loi, mais même de leur désir, ce n'était pas le fait de quelqu'un qui contredisait et abolissait la Loi, ainsi que nous l'avons déjà dit, mais de quelqu'un qui l'accomplissait et l'étendait.
2 Car la Loi, parce qu'établie pour des esclaves, éduquait l'âme par les choses extérieures et corporelles, en l'amenant comme par une chaîne à la docilité aux commandements, afin que l'homme apprît à obéir à Dieu. Mais le Verbe, après avoir libéré l'âme, enseigna à purifier aussi par elle le corps d'une manière volontaire. Cela étant, il fallut que fussent enlevées les chaînes de la servitude, auxquelles l'homme était désormais accoutumé, et qu'il suivît Dieu sans chaînes, mais qu'en même temps fussent étendus les préceptes de la liberté et que fût accrue la soumission à l'égard du Roi, afin que nul, en revenant en arrière, ne se montrât indigne de son Libérateur: car, si la piété et l'obéissance à l'égard du Maître de maison sont les mêmes chez les esclaves et chez les hommes libres, ces derniers n'en ont pas moins une assurance plus pleine, parce que le service de la liberté est plus considérable et plus glorieux que la docilité de la servitude.
3 C'est pourquoi le Seigneur nous a donné pour mot d'ordre, au lieu de ne pas commettre d'adultère, de ne pas même convoiter Mt 5,27-28, au lieu de ne pas tuer, de ne pas même nous mettre en colère Mt 5,21-22, au lieu de payer simplement la dîme, de distribuer tous nos biens aux pauvres Mt 19,21; d'aimer non seulement nos proches, mais aussi nos ennemis Mt 5,43-44; de ne pas seulement être "généreux et prompts à partager 1Tm 6,18", mais encore de donner gracieusement nos biens à ceux qui nous les prennent: "A qui prend ta tunique, dit-il, abandonne aussi ton manteau; à qui prend ton bien, ne réclame pas; et ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux Mt 5,40 Lc 6,30-31": de la sorte, nous ne nous attristerons pas comme des gens qu'on aurait dépossédés contre leur gré, mais nous nous réjouirons au contraire comme des gens qui auraient donné de bon coeur, puisque nous ferons un don gratuit au prochain plus que nous ne céderons à la nécessité. "Et si quelqu'un, dit-il, te contraint à faire un mille, fais-en avec lui deux autres Mt 5,41", afin de ne pas le suivre comme un esclave, mais de le précéder comme un homme libre, te rendant en toutes choses utile à ton prochain, ne considérant pas sa méchanceté, mais mettant le comble à ta bonté et te configurant au Père "qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et sur les injustes Mt 5,45". Tout cela, nous l'avons dit plus haut, n'était pas le fait de quelqu'un qui abolissait la Loi, mais de quelqu'un qui l'accomplissait et l'étendait chez nous Mt 5,17. Autant dire qu'est plus considérable le service de la liberté et qu'une soumission et une piété plus profondes ont été implantées en nous à l'égard de notre Libérateur. Car celui-ci ne nous a pas libérés pour que nous nous détachions de lui -nul ne peut, placé hors des biens du Seigneur, se procurer la nourriture du salut -, mais pour que, ayant reçu plus abondamment sa grâce, nous l'en aimions davantage et que, l'ayant aimé davantage, nous recevions de lui une gloire d'autant plus grande quand nous serons pour toujours en présence du Père.
4 Ainsi donc, tous les préceptes naturels sont communs à nous et à eux, ayant eu chez eux leur commencement et leur origine et ayant reçu chez nous leur accroissement et leur extension: car obéir à Dieu, suivre son Verbe, l'aimer par-dessus tout et aimer son prochain comme soi-même- et c'est l'homme qui est le prochain de l'homme -, s'abstenir de tout acte mauvais, et ainsi de suite, tout cela est commun aux uns et aux autres. Par là, ces préceptes naturels manifestent un seul et même Seigneur. Et celui-ci n'est autre que notre Seigneur, le Verbe de Dieu, qui a d'abord engagé les hommes dans une servitude à l'égard de Dieu et qui a ensuite libéré ceux qui lui étaient soumis. Comme il le dit lui-même à ses disciples: "Je ne vous appelle plus esclaves, car l'esclave ne sait pas ce que fait son Seigneur; mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai appris du Père, je vous l'ai fait connaître Jn 15,15." En disant: "je ne vous appelle plus esclaves", il indique très clairement que c'est lui qui a d'abord imposé aux hommes, par la Loi, une servitude à l'égard de Dieu, et qui leur a ensuite donné la liberté. En disant: "Car l'esclave ne sait pas ce que fait son Seigneur", il souligne l'ignorance du peuple esclave relativement à sa venue. Enfin, en faisant de ses disciples les amis de Dieu, il montre clairement qu'il est le Verbe: car c'est pour l'avoir suivi spontanément et sans chaînes,. dans la générosité de sa foi, qu'Abraham était devenu l'"ami de Dieu Jc 2,23".
Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.8