Ambroise virginité 7056

Ici saint Ambroise est supposé commencer son propre discours aux vierges.

7056 56. Mais bien que rien n'ait manqué aux exhortations maternelles, je vous adresserai, moi aussi, mes enfants, au moins quelques mots. Cherchez le Seigneur Jésus, qui nous avertit de chercher le royaume de Dieu, « et toutes choses, dit-il, vous seront données » (Mt 6,33). Mais je préfère que vous apportiez d'abord vos mérites et réclamiez ensuite la récompense. La récompense est bonne ; mais celui qui distribue la récompense et qui est l'auteur du don, est tout divin. Dans le royaume, la récompense ; dans le Christ, le pouvoir de récompenser. Cherchez-le dans les divines Écritures, où l'on trouve le Christ, et dites ce que telle disait : « Annonce-moi celui qu'a aimé mon âme » (Ct 1,6). Mais la synagogue aussi cherchait celui qu'elle avait perdu ; vous, cherchez de façon à ne pas le perdre. Mais pourquoi dis-tu, synagogue : « Celui que j'ai aimé », et ne dis-tu pas : « Celui que j'aime » ? C'est pour cela que tu ne le retiens pas, parce que tu dis l'avoir aimé : pourquoi ne pas l'aimer encore, afin de pouvoir le retenir ?

7057 57. Mais laissons celle-là. Pour toi, vierge, dès que tu commences à le chercher, il est là ; il ne se peut faire qu'il manque à ceux qui le cherchent, puisqu'il s'est manifesté à ceux qui ne le cherchaient pas et qu'il a été trouvé par ceux qui ne l'interrogeaient pas (Is 65,1). Tandis que tu réfléchis et que tu penses, il est là. Apprends, quand il sera venu, à lui demander où il fait paître, où il demeure, comme disait l'autre : « Où fais-tu paître, où demeures-tu à midi ? » (Ct 1,6) Où demeure en effet le Christ, sinon où resplendit le midi de la justice ? C'est ce qu'enseigne le témoignage de l'Écriture qui dit : « Il a placé sa tente au soleil » (Ps 18,6) ; aussi le même prophète dit-il ailleurs : « Dans la lumière nous verrons la lumière » (Ps 35,10). La lumière, c'est le Fils ; lumière aussi le Père que l'on voit dans le Fils ; car le Fils « est le rayonnement de la gloire du Père, le reflet de sa substance » (He 1,3).

7058 58. Mais cherche aussi le Christ dans ta lumière, ô vierge : dans les bonnes pensées, dans les bonnes oeuvres, qui doivent briller devant ton Père qui est aux cieux (Mt 5,16). Cherche-le la nuit, cherche-le dans ta chambre : car il vient même la nuit et frappe à ta porte. Il te veut vigilante à tout moment, il veut trouver ouverte la porte de ton âme. Il est aussi la porte qu'il veut ouverte, afin que tes lèvres s'ouvrent et fassent retentir la louange de Dieu, la beauté de l'Époux, le témoignage de sa Croix, lorsque tu repasses le Symbole, lorsque en ta chambre tu chantes des psaumes. Lors donc qu'il viendra, qu'il te trouve vigilante pour être prête. Que ton corps dorme, que ta foi veille ! Que dorment les appâts du corps, que veille la prudence du coeur ! Que tes membres exhalent la croix du Christ et le parfum de sa sépulture, en sorte que le sommeil ne leur cause pas de chaleur, ne provoque pas de mouvements. Telle est l'âme qui s'ouvre au Christ, celle que ne troublent pas les bouillonnements de la chair.

7059 59. Quand le Christ trouvera cela, il passera. Que ton âme le suive, qu'elle quitte son lit et sorte à sa parole, selon l'Écriture : « Mon âme est sortie à ta parole » (Ct 5,6) : c'est-à-dire qu'elle s'éloigne de son corps, pour être présente à Dieu ; car lorsqu'elle est dans son corps, elle est éloignée de Dieu. Aussi l'Apôtre dit-il : « Nous osons donc et souhaitons plutôt être absents de ce corps et présents au Seigneur. Aussi nous efforçons-nous, soit absents, soit présents, de lui plaire. Car nous devons tous être présentés au tribunal du Christ, afin que chacun récolte ce qu'il a fait de bien ou de mal dans son corps » (2Co 5,8-10). Comme il s'est empressé d'établir le motif de la résurrection des corps ! car il faut que la chair ressuscite pour obtenir le salaire de ses actions, afin que nous recevions dans notre corps ce que nous avons fait dans notre corps.

7060 60. Le Seigneur veut donc être souvent cherché : il se retire, il court, afin de ranimer la grâce, qu'il veut que, toi aussi, tu ranimes en toi. C'est ainsi que nous lisons, écrit à Timothée : « C'est pourquoi je t'avertis de ranimer la grâce de Dieu qui est en toi de par l'imposition de mes mains » (2Tm 1,6). Celle qui a ranimé la grâce se trouve blessée d'amour, comme le dit celle-là : « Je suis blessée d'amour » (Ct 5,6) — à condition de réveiller et de ranimer l'amour. Ce que cela veut dire, nous pourrons le comprendre si nous nous rappelons que le Seigneur Jésus est une flèche : le Père lui dit : « Je t'ai placé comme une flèche choisie » (Is 49,2). Et puisqu'il est amour, il existe à coup sûr des traits d'amour, dont il blesse ceux qui le cherchent. Finalement, c'est lié et enchaîné qu'on le suit : car il enchaîne ceux qu'il blesse. Il y a donc aussi des liens d'amour, dont était enchaîné Paul, qui disait : « Paul, captif de Jésus-Christ » (Phm 1).

7061 61. Or Job nous apprend qu'il y a des blessures d'amour ; personne n'a davantage aimé le Christ : il aimait au milieu même des tortures de son corps, ce qui lui faisait dire : « Les flèches du Seigneur sont dans mon corps, leur fureur boit mon sang ; si je commence à parler, elles me percent » (Jb 6,4). Il existe donc des blessures d'amour et de bonnes blessures, car « les blessures d'un ami valent mieux que les baisers affectés d'un ennemi » (Pr 27,6). De même Jérémie brûlait et ne pouvait supporter la flamme d'amour qui l'embrasait pour qu'il fît son office de prophète (Jr 20,9) ; finalement il fut plongé dans une fosse (Jr 38,6), parce qu'il annonçait aux juifs leur ruine future et ne pouvait la taire. Etienne fut lapidé et reçut courageusement pour le Christ ses blessures comme des blessures d'amour. Les apôtres furent flagellés et s'en félicitaient (Ac 5,40). Que le Seigneur est bon ! Pour lui il est doux d'être blessé, agréable de mourir ; agréable mort, qui procure l'immortalité !

7062 62. « En tout temps, est-il dit, que vos vêtements soient blancs » (Qo 9,8). Y a-t-il plus blanc que la virginité ? Y a-t-il plus blanc que le vêtement sans tache de la pureté ? C'est une bonne chose que la chasteté conjugale ou la chasteté du veuvage ; la chasteté est toute pure, peut-être pas toute blanche ou pas toujours blanche. Elle n'est pas blanche quand elle n'a pas la disposition de son corps, quand la prière n'a qu'un temps réservé. C'est donc de la virginité qu'on dit heureusement : « Qu'en tout temps tes vêtements soient blancs, et l'huile sur ta tête » (Qo 9,8), afin que tes flambeaux puissent toujours luire et ne s'éteignent pas lorsque viendra l'Époux céleste (Mt 25,6) s..

7063 63. Pour quelle raison l'Ecclésiaste a-t-il dit : « Sur ta tête », nous le recueillons dans les Proverbes ; car « les yeux de l'homme sont dans sa tête » (Qo 2,14) : c'est-à-dire ton sens de sagesse. Peut-être est-ce pour cela qu'est louée la femme qui essuya de ses cheveux les pieds du Seigneur (Lc 7,38) s., comme s'étant humiliée par sa foi, pour ne point paraître exaltée par la sagesse de la chair, elle que Paul, interprète véridique des mystères, a dit n'être pas assujettie à la loi, parce que soumise au Christ.

7064 64. Et nous pouvons encore entendre de façon heureuse ce texte au sens corporel : car si les écrits des prophètes reprennent les filles de Sion sur leur démarche la tête haute, avec clins d'oeil, faisant traîner leurs tuniques tandis qu'avancent leurs pas, jouant de leurs pieds ; et si pour cela le Seigneur dit qu'il leur enlèvera la splendeur de leurs vêtements et leurs ornements, leur chevelure et leurs boucles (Is 3,16) s., cette femme a eu raison de dénouer ses cheveux (Lc 7,38), en sorte que la discipline de l'Évangile défît les noeuds de sa chevelure. Aussi les apôtres ont-ils dit que les femmes ne doivent pas rechercher les cheveux tressés avec art — c'est l'enseignement de Pierre (1P3,3) — ni les tresses des cheveux, l'or, les pierreries, les vêtements de prix — Paul l'affirme (1Tm 2,9) — mais bien plutôt la parure de l'homme intérieur : car cet homme caché en son coeur, pauvre pour le siècle, est riche aux yeux de Dieu.

7065 65. Vous l'avez entendu, mes enfants, vous qui vous croyez pauvres. Quel homme est riche, alors qu'il a tant de besoins, sinon celui qui n'a pas de faute grave sur la conscience ? « II possède une bonne fortune, celui qui n'a pas de faute sur la conscience » (Si 13,24). Vous avez entendu, dis-je, ce qui peut vous rendre riches devant Dieu : « Qu'il y ait en vous, est-il dit, un esprit sans souillure et modeste » (1P 3,4). Les bonnes richesses sont le lot de l'innocence et de la simplicité : on ne leur impute pas de péché, parce qu'en elles il n'y a pas d'artifice, de tromperie, de fraude. Car quiconque est simple ne sait pas dénigrer et ignore la jalousie ; il est content de ce qu'il a, ne convoite pas le bien d'autrui ; même s'il est dans le besoin, il se juge suffisamment riche s'il a de quoi se nourrir. Aussi bien l'apôtre Paul a-t-il dit fort à propos : « Leur profonde pauvreté a produit les ressources abondantes de leur simplicité » (2Co 8,2).

7066 66. Et comme l'Église était parée d'ornements appropriés et resplendissait de la lumière reçue du Christ, on peut encore entendre ce passage en ce sens que la synagogue dit à l'Église : « Où fais-tu paître ? Où te reposes-tu à midi, pour que je ne vienne pas à être égarée avec les troupeaux de tes compagnes » (Ct 1,6) ? Elle désire être mercenaire, elle qui auparavant revendiquait la souveraineté : quelle damnable mauvaise foi !

7067 67. Mais puisqu'elle est incrédule, cruelle, sacrilège, le Christ la sépare à juste titre des troupeaux de son Église : « Si tu t'ignores, dit-il, ô belle entre les femmes » (Ct 1,7) : autrement dit : Reconnais d'abord ce que tu es et demande alors à voisiner avec mes troupeaux. Et c'est à bon droit que la synagogue est dite belle entre les femmes, non entre les vierges : car elle suivait cette femme, Eve, par qui la chute s'est produite, au lieu que l'Église est belle entre les vierges, parce que vierge sans ride.

7068 68. Soit l'homme soit la femme doit se reconnaître à l'image et ressemblance de Dieu, de manière à rechercher la beauté de l'âme, non du corps. En effet, par quoi sommes-nous ? Par la substance de l'âme et la vigueur de l'esprit : c'est là tout notre partage. Aussi bien David dit-il : « C'est en Dieu que j'espère, je ne craindrai pas ce que me pourrait faire la chair » (Ps 55,5). Donc nous ne sommes pas chair, mais esprit, au lieu qu'il a été dit des juifs : « Mon esprit ne demeurera pas en eux, parce qu'ils sont chair » (Gn 6,5). Nous ne sommes ni l'or, ni l'argent, ni l'abondance de richesses : car cela est à nous. Aussi Moïse te dit-il : « Considère-toi » (Dt 15,9), c'est-à-dire considère ton âme, pour ne point périr, pour ne point devenir charnel. Considère-toi, c'est-à-dire considère l'image que tu as reçue du Christ, la ressemblance à laquelle tu as été fait. Garde cette même image que le Christ a peinte en toi par ses oeuvres, ainsi qu'il le dit à Jérusalem, c'est-à-dire à l'âme pacifique : « C'est moi, Jérusalem, qui ai peint tes murailles » (Is 49,16).

7069 69. Donc veille, et toi surtout, mon fils, veille sur toi, pour avoir la joie en ta jeunesse ; à toi l'Écriture dit : « Sois joyeux, adolescent, dans ta jeunesse » (Qo 11,9). Elle ne parle pas d'une seule saison : il est une certaine fleur de la vie, un âge des bonnes oeuvres, dont il est dit : « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle » (Ps 102,5). « Et que ton coeur, est-il dit, te donne de la joie aux jours de ta jeunesse, et marche sans tache dans les voies de ton coeur et selon le regard de tes yeux » (Qo 11,9) — mais non pas selon l'audace de tes yeux ; selon le regard spirituel, oui, non selon l'impertinence du siècle. « Et sache que pour tout cela le Seigneur te fera paraître en jugement ; et chasse la colère de ton coeur, éloigne le mal de ta chair » (Qo 12,14).

7070 70. Veille sur toi, vierge, toi aussi ; persévère en la prière et que ton visage pâlisse par l'assiduité de ta supplication. Mais prépare ton âme avant de prier, pour ne pas avoir l'air de tenter Dieu quand tu l'implores (Si 18,22). Ce que tu demandes, que ta conduite le dise, que ta foi le soutienne, que tes oeuvres le recommandent ! Veille sur toi : je le dis à toi, vierge, qui que tu sois. Car tu ne manques pas de maîtresses pour te former saintement.

7071 71. Veille sur toi, dis-je, toi surtout qui as pris l'engagement sacré, et « garde tes yeux de tout impudent. S'il vient un moment à passer comme un voyageur, il ouvre la bouche et boit de tout ce qu'il rencontre » (Si 26,13), pour t'enivrer. Ne sors pas sans ta mère, pour qu'elle veille anxieusement sur ta pudeur. A l'église même, que les jeunes aillent rarement. Considère ce qu'était Marie : pourtant lorsqu'on la cherche, on ne la trouve que dans sa chambre (Lc 1,28). Qu'elle t'enseigne ce que tu dois imiter. Elle vit un ange à l'apparence humaine ; son coeur s'effraya, son visage se détourna ; aussi l'ange lui dit-il : « Ne crains pas, Marie ». La solitude apprend la retenue, la solitude est l'école de pudeur.

7072 72. Quel besoin as-tu d'aller facilement chez ta voisine ? « L'insensé entre volontiers dans la maison de son voisin, mais le sage est réservé » (Si 21,25). De là naissent les bavardages, auxquels on t'avertit à bon droit de prendre garde, lorsque le Sage te dit : « Qui donnera une garde à ma conduite et un sceau assuré à mes lèvres, de crainte qu'elles ne me fassent tomber et que ma langue ne me perde ? » (Si 22,33). Si l'on commande au sexe masculin de se taire en présence des anciens (Si 32,13), quelle convenance pour des vierges de parler et discourir de choses et d'autres !

7073 73. A supposer que vous vous imposiez le silence, pouvez-vous le commander aux autres, pour ne pas entendre ? On peut quelquefois mettre un frein à sa bouche, peser ses paroles ; on ne le peut pour les oreilles. Parler est notre affaire ; entendre dépend de la volonté d'autrui ; car souvent nous entendons ce que nous ne voulons pas.

7074 74. Considérons enfin les autres avertissements que nous donne l'Écriture : ne pas jurer facilement (Si 23,9), car il survient souvent bien des circonstances qui nous empêchent d'accomplir nos serments. Qui ne jure pas, ne se parjure pas, à coup sûr ; mais celui qui jure en vient nécessairement à se parjurer quelques fois ; car « tout homme est menteur » (Ps 115,11). Alors ne jure pas, pour n'en pas venir au parjure18.

18. Le texte figure parmi les « Instruments des bonnes oeuvres », légués par saint Benoît à ses disciples (Règle, RB 4, instrument 27).


7075 75. Même la joie, il convient qu'elle ne soit pas trop libre chez les vierges. Si elles n'ont rien sur quoi pleurer, qu'elles pleurent sur le siècle, qu'elles pleurent sur les chutes des pécheurs. Car celle qui pleure sur les chutes des autres y prendra garde pour elle-même. Qu'elles pleurent enfin, à tout le moins en considérant que ceux qui pleurent ici-bas recevront là-haut consolation — pour ne pas être comme ce riche qui vivait ici-bas dans le luxe, et dans l'autre monde a mérité de subir de douloureux châtiments, comme le déclare la parole du Seigneur ; pour ne pas entendre, toi aussi : « Tu as été comblé de biens en ta vie » (Lc 16,25) s.. Combien plus heureux Lazare, qui a pleuré ici-bas, exulte là-haut, qui eut faim en ce monde et festoie dans l'autre ! Si donc tu veux, toi aussi, atteindre à la vraie joie, le livre de l'Ecclésiaste te montre celle qu'il faut rechercher : « Viens, dit-il, mange ton pain dans la joie, car tes actions ont été agréables à Dieu » (Qo 9,7).

7076 76. Quant à l'avertissement que le même Ecclésiaste nous donne à tous sur le rire immodéré, considérons-le : « Comme le crépitement des épines sous la marmite, tel est, dit-il, le rire des insensés » (Qo 7,7), car les épines crépitent quand elles brûlent, et elles sont vite consumées, si bien qu'il n'en résulte pas de chaleur. Aussi est-il dit des juifs : « Ils ont flambé comme le feu dans les épines » (Ps 117,12). Consumés dans leur rire, ils s'enflammaient lors de la Passion du Seigneur ; ils plaisantaient, pour l'incendie de leur âme, quand ils disaient : « Il a espéré dans le Seigneur, qu'il le délivre ; qu'il le sauve, puisqu'il l'aime » (Ps 21,9). Par dérision, ils lui frappaient la tête avec un roseau, ils le couronnaient d'épines, ils lui offraient à boire du vinaigre ; leur ricanement a incendié à tout jamais la synagogue. Tel est donc le rire des insensés : il retentit sans grâce et brûle la marmite de leur corps. Sara avait raison de nier avoir ri, pour ne point paraître avoir, en riant, douté de la réalisation des promesses célestes ; et pourtant ce rire était plein de gravité et de pudeur, aucun témoin n'en avait eu connaissance que Dieu, à qui les choses cachées n'échappent point.

7077 77. Quelle belle chose encore que ceci : « Ne te hâte pas de t'irriter en ton esprit : car la colère réside dans le sein des insensés » (Qo 7,10) ! Ce qui veut dire : Même s'il y a un motif qui provoque l'indignation, qu'on ne se hâte pas de se venger, de crainte que la chaleur de l'indignation ne dépasse la mesure en son bouillonnement. Il ne saurait supprimer ce qui est mouvement de nature, mais il ménage un intervalle, en sorte que le remède de la réflexion calme la colère. David avait déjà tenu pareil langage : « Fâchez-vous, mais ne péchez pas » (Ps 4,5) : non pour commander de se fâcher, mais parce qu'il ne pouvait supprimer ce qui est naturel, et, comme un bon médecin, pour fournir un remède afin que la colère même ne soit pas nuisible.

7078 78. Ensuite, même si on avait succombé en son coeur — car la colère ne sait garder la mesure —, il conseille que l'on s'afflige sur sa couche, en sorte que chacun condamne son égarement ; car c'est ce qui est écrit : « Ce que vous dites en vos coeurs, déplorez-le sur votre couche » (). Il voulait donc que tous les hommes fussent les censeurs de leurs fautes, en sorte que, si l'on n'est pas exposé à un témoignage public, celui qui a péché en secret rougisse de soi-même, comme étant son juge, et se réprime par l'aiguillon de l'amertume et de la honte.

7079 79. Que dire de la sobriété, quand le Sage dit : « Retire-moi la convoitise du ventre et que le désir de la volupté ne me prenne pas » (Si 23,6) ? Ne crains pas que le jeûne et l'abstinence ne t'affaiblissent ; une grande infirmité rend l'âme sobre.

7080 80. Comme les Proverbes de Salomon nous enseignent qu'il faut avoir soin d'une bonne renommée ! « Mieux vaut, disent-ils, bonne renommée que grandes richesses » (Pr 22,1). Qu'est-ce qu'un patrimoine, si ces biens ne sont pas gérés par l'activité ? Aussi Job dit-il : « Que la bénédiction du mourant vienne en moi, que les lèvres de la veuve me bénissent ! J'étais l'oeil des aveugles, le pied des boiteux, le père des infirmes » (Jb 29,13 Jb 29,15-16). Ai-je vu passer un homme nu sans le revêtir ? Les indigents ne m'ont-ils pas béni et n'ai-je pas réchauffé leurs épaules des toisons de mes brebis ? Ai-je jamais caché mon péché, même si je l'ai commis par imprudence et involontairement ? Ai-je jamais souffert qu'un pauvre passe ma porte sans rien dans son sein » (Jb 31,19-20), etc. ? C'est ainsi qu'on établit un bon renom.

7081 81. Pourtant ce qui, chez une vierge, l'emporte sur le reste, c'est le culte de la sobriété : par sobriété j'entends l'abstention non pas de vin, mais de la mollesse du corps et de la vantardise du siècle, dont l'ivresse est plus lourde que celle du vin : ce qui présente un calice de ruine, une coupe de colère. A ce sujet Dieu dit à Jérusalem : « Écoute, humiliée, ivre, non de vin. J'ai retiré de ta main la coupe de ruine et le calice de colère » (Is 51,21-22). A la synagogue d'avoir vidé ce calice ! Que les filles de l'Église ne boivent pas. Car il a été dit des juifs : « Leurs filles sont parées, ornées comme les idoles d'un temple » (Ps 143,12) ; mais vous, vous êtes le temple de Dieu, les filles de celui qui ne prend pas la figure d'un ange de lumière (2Co 11,14), mais qui est vraie lumière de la lumière véritable ; qu'il y ait donc en vous non pas apparence, mais vérité. Or beaucoup, tout en faisant profession de cultiver la chasteté, s'attachent à ce qui fait valoir la beauté ; elles s'avancent très soignées, le visage plus avenant qu'il ne convient à des personnes consacrées au Seigneur. Je leur réponds avec les paroles de l'Apôtre : « Étant mortes avec le Christ aux rudiments du monde, qu'avez-vous à démêler avec le monde, comme si vous viviez encore ? Ne touchez pas, dit-il, ne goûtez pas, toutes choses qui ne tendent qu'à corrompre » 19.

19. Le texte est emprunté à Col 2,20 s., mais utilisé, il faut le reconnaître, dans un sens tout différent de celui qu'entendait l'Apôtre. Il met en scène les docteurs judaïsants et écarte nettement leurs recommandations d'éviter les attouchements, causes d'impuretés légales ; contre eux, saint Paul revendique la liberté chrétienne. Au contraire, Ambroise voit dans ces avis des conseils d'ascèse pour les vierges chrétiennes.


7082 82. Mais sainte Sotère — pour citer un exemple de famille, d'une pieuse parenté ; car nous avons, nous autres prêtres, une noblesse préférable aux préfectures et aux consulats ; nous avons, dis-je, les dignités de la foi, qui ne sauraient passer, — Sotère, comme je l'ai dit, ne prenait pas souci de son visage, noble par la race de ses ancêtres ; mais elle fit passer la foi avant les consulats et préfectures de sa lignée. On lui ordonna de sacrifier, elle n'y consentit pas. Le cruel persécuteur la fit souffleter, afin que cette vierge délicate cédât devant la douleur, ou par pudeur. Mais elle, dès qu'elle entendit cette parole, découvrit son visage, ne se dévoilant et ne se montrant que pour le martyre ; elle alla volontiers au-devant du supplice, présentant son visage, en sorte que l'offrande de son martyre s'accomplît au point où est habituellement mise à l'épreuve la pudeur ; elle se réjouissait d'échapper, au prix de sa beauté, au danger pour sa virginité. Mais ils purent labourer son visage, le sillonner de blessures, ils ne purent en aucune façon défigurer la vierge de sa vertu, du charme de sa beauté intérieure.

7083 83. De vieilles légendes rapportent qu'un jeune étrusque, dont le visage, d'une admirable beauté, enflammait les femmes d'amour pour lui, se laboura la figure de cicatrices pour que nulle ne pût l'aimer. Sa pensée était-elle chaste, c'est à voir ! Pourtant sa pensée n'était pas innocente, puisqu'il s'est châtié lui-même. Il n'a fait cependant que s'infliger des blessures pour n'être pas nuisible ; celle-là a porté les cicatrices triomphales du martyre, afin de sauvegarder l'image de Dieu, qu'elle avait reçue.

7084 84. Gardez, vous aussi, cette image, mes filles ; gardez les préceptes de la divine Écriture « afin, est-il dit, de fermer toute bouche » (Rm 3,19). Car il est écrit : « Heureux l'homme que tu as instruit, Seigneur, et à qui tu as enseigné ta Loi » (Ps 93,12). Le Seigneur est bon : il instruit, enseigne, et souvent reprend ; mais celui même qu'il reprend, il le rend heureux : car heureux l'homme que Dieu reprend. Ainsi ne fuyez pas ses reproches, car ils sont amour et faveur ; il frappe, et, tel un bon médecin, guérit de ses mains (Dt 32,39). « Sept fois il te délivre 20 de tes inquiétudes, et à la septième le mal ne t'atteindra pas. Dans la famine il t'arrache à la mort, dans le combat il te sauve de la main armée du glaive ; il te met à l'abri du fouet de la langue » (Jb 5,9) s. Car si tu juges ne devoir faire tort à personne, tu ne craindras pas le fouet de la langue d'autrui.

20. Le texte de Job porte : six fois, comme le demande le contexte de la citation : il y a donc eu erreur de saint Ambroise — ou des copistes.


7085 85. Il a rendu admirablement les discours des détracteurs en parlant du fouet de la langue, dont le bruit porte au loin. L'apôtre Pierre a voulu nous en détourner : il nous avertit de ne pas rendre le mal pour le mal, l'injure pour l'injure, mais plutôt, si l'on nous injurie, de répondre par une aimable bénédiction (1P 3,9). Aussi est-il dit : « Retiens ta langue du mal » (Ps 33,14), comme du fouet de la langue, et ne crains pas le bruit des paroles, si ta conscience est pure. Sans doute il est bon de ne donner lieu si possible à aucun reproche, mais souvent on s'en prend non aux vices, mais aux vertus, on reprend ce qui est louable et on ne remarque pas ce qui est égarement.

7086 86. Mais le pire, c'est que nous sommes fouettés non seulement par la langue des autres, mais encore par la nôtre ; et les blessures sont plus graves quand nous tombons dans le péché par bavardage. Ainsi, vierge, veille sur tes voies, pour ne point pécher par la langue (Ps 38,2). Dire même de bonnes choses est souvent répréhensible chez une vierge. Pourquoi t'en étonner chez une vierge, alors qu'il est commandé à la femme de s'instruire en silence (1Tm 2,11) ? Les silences témoignent d'une pudeur de bon aloi.

7087 87. Suzanne était en danger et se taisait, afin de mieux parler par le silence de sa pudeur. Finalement sa réserve rencontra un défenseur pour défendre sa chasteté. D'elle il est dit à juste titre que le Seigneur l'a mise à couvert du fouet de la langue.

7088 88. Pourquoi parler des femmes ? Joseph accusé s'est tu (Gn 39,20), afin d'être mieux défendu par son innocence que par sa langue. Daniel, plus sage que quiconque, a gardé le silence et fermé la gueule des lions (Da 14,29 s.). Aussi David le saint dit-il fort à propos : « J'ai mis une garde à ma bouche tendis que le pécheur se dressait contre moi » (Ps 38,2).

7089 89. Pourquoi vouloir parler ? Tu crains, si tu te tais, qu'on ne croie aux accusations, mais écoute un bon maître, le saint homme Job, qui te dit : « Voici que je me ris des insultes et ne parle pas ; je crie, et jamais de justice » (Jb 19,7) ; ce qui veut dire : Un accusateur quelconque te lance des injures ? Tu as sujet d'en rire à part toi, si ta conscience ne reconnaît pas l'accusation. A quoi bon rendre paroles pour paroles ? Ce n'est pas encore l'heure du jugement, et tes cris ne le feront pas plus proche. Bien des combats t'attendent en ce monde.

7090 90. Job avait triomphé — mieux encore, il avait réprimé l'amertume du deuil pour la perte de ses enfants ; il avait triomphé de l'âpreté de ses blessures ; aux plaies de son corps s'ajoutaient les tentations de son épouse et il ne les a pas ressenties ; comme combat suprême lui sont réservés les reproches de ses amis. Il avait lutté contre les sentiments paternels, lutté contre la souffrance du corps et de la maladie ; il fallait encore qu'il endurât l'épreuve des discours.

7091 91. Lors donc que tu vois une veuve éprouvée par des pertes d'argent ou dans la santé de ses enfants, ou bien un juste atteint par la mort ou par des injustices, garde-toi d'apprécier ses mérites d'après les peines de ce monde ou de le croire abandonné par le Seigneur. Nous luttons ici-bas, il est vrai, mais ailleurs nous sommes couronnés. Ce n'est pas de moi seulement, mais de tous les hommes en général que je viens de parler. D'où me viendrait un tel mérite, alors que le pardon me tient lieu de couronne ? Ici-bas le service, là-haut le prix ; ici-bas la lutte, là-haut la solde. Ainsi, tant que je suis dans ce monde, je lutte encore, je combats encore ; on me pousse encore pour me faire tomber ; mais le Seigneur a le pouvoir de retenir celui que l'on pousse, de relever celui qui tombe, de redresser celui qui chancelle. Alors pourquoi t'étonner si quelqu'un peine ? Tant qu'il est en cette vie, il ne manquera pas de combat, il n'y aura pas de couronne. Personne n'est jugé bon s'il n'a persévéré jusqu'au bout ; alors celui qui aura combattu selon les règles sera couronné (2Tm 2,5).

7092 92. Y eut-il plus courageux que Paul, plus heureux que lui ? Pourtant cet instrument choisi par le Seigneur n'a pas réclamé sa couronne avant d'avoir complètement achevé son combat. Aussi dit-il : «J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi ; pour le reste, la couronne de justice m'est réservée » (2Tm 4,7-8). Il ajoute qu'elle sera rendue non seulement à lui-même, mais à tous ceux qui aiment la venue du Seigneur. Il a bien dit : qui aiment la venue du Christ ; personne ne se hâte au jugement s'il n'est assuré de son innocence, s'il ne s'appuie sur son travail, s'il n'a pour lui la grâce du Seigneur, ou de saints combats pour le Christ.

7093 93. Tel sera aussi, certainement, le privilège de cette veuve qui a bien élevé ses enfants ; elle sera fière de ses enfants, surtout ayant donné au Seigneur tous ceux qu'elle a reçus. C'est en cela que dans l'Évangile une veuve est préférée aux riches (Lc 21,3-4) : non seulement pour avoir donné pour la nourriture des pauvres tout ce qu'elle avait ; mais la parole du Seigneur fait encore son éloge parce qu'elle a donné deux pièces, c'est-à-dire la foi plénière. Aussi bien le Samaritain a-t-il lui aussi donné deux deniers à l'hôtelier pour la guérison de cet homme, pour qu'il soigne les plaies de celui que les voleurs ont blessé (Lc 10,35). Puis donc qu'elle a imité, dans le soin de sa postérité, et la virginité de Marie soeur d'Aaron, selon l'Ancien Testament (Ex 15,20), et, selon le Nouveau, l'intégrité de sainte Marie Mère du Seigneur, elle obtiendra au jugement de Dieu la récompense de sa foi. Elle n'a rien gardé pour sa subsistance en ce monde, elle a donné au Seigneur l'offrande complète de sa sainte descendance.


Prière finale.

7094 94. Maintenant, Seigneur, je t'en supplie, veille chaque jour comme protecteur sur cette demeure, sur ces autels consacrés aujourd'hui, sur ces pierres spirituelles par qui t'est consacré en chacune un temple spirituel ; accueille en ta miséricorde les prières que tes serviteurs répandent en ce lieu. Que tout sacrifice qui t'est offert en ce temple d'une foi intègre, d'un zèle pieux, te soit un parfum de sanctification. Et tandis que tu contemples la victime salutaire qui efface les péchés de ce monde, considère aussi ces saintes victimes de chasteté et protège-les par un secours de chaque jour, afin qu'elles deviennent des victimes au suave parfum, agréables pour toi, qui plaisent au Seigneur Christ, et que tu daignes garder leur esprit intègre, leur âme et leur corps sans reproche, jusqu'au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ton Fils (1Th 5,23).





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