Pie XII 1947 - VISIONS DE SAINTETÉ
L'oeuvre va toujours s'étendant. La fondatrice prie le Seigneur de faire « pleuvoir des soeurs » pour y suffire. Et les postulantes pieu-vent aussitôt en telle abondance, qu'elle ne sait plus où les loger. A grand-peine elle acquiert à cette fin l'antique monastère de La Puye ; elle le trouve en tel état que, pour y remettre un peu d'ordre et d'unité, pour rejoindre les tronçons demeurés debout, pour adapter le tout à sa destination, elle s'improvise chef d'entreprise, directrice des travaux de charrois et de chantier.
Tant de labeurs et de tracas, loin d'interrompre l'extension de l'Institut, étaient destinés à la promouvoir. Mais alors, que de voyages ! On croirait par moments relire le Livre des fondations de sainte Thérèse. Avec les moyens de locomotion d'alors, elle sillonne sans relâche toute la France, du Poitou à la Bourgogne et à la Franche-Comté, de l'Ile-de-France aux Pyrénées.
Les Pyrénées ! C'est là qu'entre en scène Michel Garicoïts. Ce grand saint si différent dans tout l'ordre naturel d'André Fournet, devait être, après sa mort et par la suite, un second père pour les
Filles de la Croix. A l'en croire, il devait tout à leur Mère : « En voyant, dit-il, la sainteté de cette âme d'élite, sa vie religieuse, sa pauvreté, je fus amené à réfléchir sur moi-même... Où serais-je, sans elle ? Car... c'est à elle, après Dieu, que je dois le peu que je suis ; oui, je vous le dis, c'est elle qui m'a converti ». Et il déclarait même à qui voulait l'entendre que c'était elle encore « qui avait tout fait dans la fondation de la Congrégation des prêtres du Sacré-Coeur de Bétharram, dont il était le premier supérieur général ». Faisons la part de la modestie ; les saints excellent dans l'habileté à se renvoyer réciproquement le mérite de leurs vertus et de leurs oeuvres.
Quoi qu'il en soit, Michel Garicoïts, homme tout d'une pièce, ne fait pas les choses à demi. S'il est vrai que la vue de la pauvreté de la noble Elisabeth Bichier des Ages a converti « le jeune vicaire qui, ayant vécu très pauvrement... se paraît de chaussures élégantes pour remplacer ses sabots de berger », il ne tarda pas à égaler son modèle, sinon à le surpasser, et les soutanes du saint deviendront aussi légendaires que la robe de la sainte.
Avec la pauvreté, comprise et aimée, il a accueilli son inséparable cortège d'humilité, de mortification, d'abnégation, de zèle, de charité, et il s'est pénétré en même temps d'une telle bonté qu'on pourrait bien lui appliquer le de forti... dulcedo (Jg 14,14). De son coeur dans mille détails de sa vie, de ses lèvres dans ses conférences et entretiens spirituels, de sa plume dans ses lettres jaillissent comme d'un volcan en incessante éruption des gerbes de flammes étincelantes de toutes les vertus. Echappement spontané, insuffisant toutefois à verser au-dehors l'excès de charité dont la pression va faire éclater son coeur impuissant à le contenir. C'est ce besoin de se dépasser lui-même qui, tout en faisant de lui le fondateur d'une famille religieuse, fait aussi de lui l'ami passionnément dévoué de toutes les autres. Là où de moins grands verraient des concurrents, il voit des frères et, plus encore, des apôtres dont il ambitionne d'être lui, l'humble coopérateur. Il accueille les capucins chassés d'Espagne ; il prête son concours à la Congrégation naissante des missionnaires de l'Immaculée Conception ; il aide, avec une joie empressée, à l'établissement des Jésuites à Pau ; il fait le possible pour faciliter le retour des Prémontrés ; il collabore à la fondation de Notre-Dame du Refuge, du Père Cestac ; il se dévoue dans la direction spirituelle
des Carmélites, des Ursulines, des Dominicaines et surtout de ses chères Filles de la Croix.
Les oeuvres personnelles ne lui manquent pourtant pas : la formation et le gouvernement de sa Congrégation des prêtres du Sacré-Coeur de Jésus, le sanctuaire et le calvaire de Bétharram, la création et la direction de collèges, orphelinats agricoles et industriels, le recrutement de Frères instituteurs. La région pyrénéenne, où il a tant à faire et où il fait tant, ne le retient pas de répondre à la proposition d'une lourde mission en Argentine, puis dans l'Uruguay.
Si encore il s'était contenté de concevoir, de créer et de lancer ! Mais il est présent et agissant partout, soit par ses visites, soit par sa correspondance d'une extraordinaire multiplicité et, en même temps, si précise, si judicieuse, si cordiale et si enflammée d'ardeur surnaturelle, qu'on ne sait comment un seul homme a pu faire face à tant de tâches.
La Providence qui, au déclin de la vie d'Elisabeth, au brillant lever de la vie apostolique de Michel Garicoïts, a rapproché ces deux saints et assuré, par leur mutuelle assistance, la solidité et l'efficacité de leurs oeuvres respectives, a voulu sanctionner leur rencontre ici-bas par leur réunion dans la glorification suprême.
Etonné par la plénitude qui fait la ressemblance de ces deux existences si diverses, le monde superficiel demandera par quel miracle a pu se concilier l'extension sans limite et la profondeur insondable de leur activité extérieure avec le recueillement intérieur de leur vie éminemment spirituelle et contemplative. Qui donc parle de concilier ? Une conciliation entre la flamme de leur zèle, qui propage au-dehors l'incendie, et le foyer de la charité où elle s'est allumée ? Entre la clarté qu'ils répandent autour d'eux et la lumière infinie dont ils portent le reflet ?
Quelle leçon pour vous, chers fils, Prêtres du Sacré-Coeur, chères Filles de la Croix ! Elle tombe des lèvres aimées des deux saints à qui les uns et les autres, vous devez tant ! Que votre zèle, comme le leur, soit ardent, agissant, conquérant, adapté aux besoins de chaque temps, mais qu'il s'alimente toujours à la source vive ! Soyez sourds à la tentation de sacrifier votre vie religieuse et votre sanctification personnelle à l'apostolat. Ce serait cueillir de l'arbre les fleurs épanouies pour en faire un bouquet et vouloir chercher ensuite du fruit sur les branches dépouillées.
A leurs enseignements, à leurs exemples s'ajoute la puissance de leur intercession. Avec confiance Nous l'invoquons pour vous, en vous donnant, à vous, à tous ceux et celles que vous représentez ici, à tous ceux et celles auprès de qui ou pour qui vous vous dévouez, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.
(8 juillet 1947) i
1 D'après le texte anglais de Discors: e Radiomessaggi, t. IX, p. 163.
Le Congrès de l'Union postale ayant tenu ses assises à Paris, des délégués canadiens se rendirent à Rome et furent reçus en audience. Le Saint-Père leur dit quelques mots :
A d'autres participants de votre congrès, venus ici même le mois passé,2 Nous avons exprimé l'espoir que vos résolutions et vos plans puissent devenir, à leur manière, un moyen de collaboration pour inviter les peuples du monde à s'unir davantage et à sauvegarder leur bien-être. Nous formulons à nouveau cet espoir aujourd'hui.
Notre très sincère souhait de bienvenue que Nous vous adressons à vous qui avez désiré venir ici avant de rentrer dans votre pays est pour Nous une tâche très agréable, car elle Nous fournit l'occasion d'envoyer Nos saluts affectueux au Canada et Nos bons voeux pour sa prospérité. Il y a quelques semaines à peine, Nous avions la joie de Nous adresser à une assemblée nombreuse et distinguée, réunie dans la capitale du Dominion pour un acte public de profession, d'hommage et d'amour envers l'Immaculée Mère de Dieu.3 Ce Nous est un souvenir très salutaire pour Nous tenir en éveil et Nous stimuler en ces tristes jours où la misère physique sape la moralité chrétienne et où des propositions honteuses faites par des personnes faisant fi de leurs responsabilités, se moquant de la loi divine et nullement soucieuses du tort irréparable qu'elles causeraient à la société domestique et civile visent à leur effondrement total.4 Le monde ne sera jamais rendu meilleur par la dégradation morale.
Puisse le Canada garder intacte la gloire de son héritage chrétien en respectant volontairement tout ce qui est saint, juste et honorable. Le monde lui en sera éternellement reconnaissant. Comme gage des grâces célestes, Nous invoquons sur vous et ceux qui vous sont chers, la Bénédiction de Dieu.
2 Allocution aux délégués américains au Congrès de l'Union postale, du 31 mai 1947, cf. ci-dessus, p. 153.
* Le Pape stigmatise ici les visées et les procédés, des communistes.
(16 juillet 1947) 1
Un groupe de hauts fonctionnaires des Etats-Unis, qui ont pris part à la récente Conférence du Bureau international du travail, à Genève, ont été reçus en audience par le Souverain Pontife, qui leur adressa ce bref discours :
Vous venez, Messieurs, d'assister à une réunion importante de l'organisation internationale qui est chargée d'améliorer les conditions de vie des travailleurs. Sans aucun doute vous découvrez que c'est là une tâche très vaste et apparemment sans fin, mais en même temps c'est une tâche qui attire ce qu'il y a de plus noble dans le coeur humain. Nous ne pouvons assez louer vos intentions.
L'Eglise se soucie de la liberté et du bien-être des travailleurs.
L'histoire prouve combien l'Eglise a toujours attaché une extrême importance à cette question. Non pas que l'Eglise ait reçu un mandat direct pour s'occuper de la vie économique. Mais l'ordre social et économique ne peut être séparé de l'ordre moral et c'est son privilège et son devoir d'affirmer et de proclamer les principes invariables de la moralité. Ceux-ci se dressent au-dessus de la mer mouvementée des controverses sociales comme des phares dont la lumière perçante devrait guider tout essai tenté pour apporter un remède aux détresses sociales.
L'ouvrier honnête ne désire pas améliorer sa condition en piétinant les libertés des autres qui doivent lui être aussi sacrées que la sienne propre. Mais, il nourrit, ancré profondément dans son coeur, le légitime désir de posséder, d'une manière indépendante et assurée ce qui est nécessaire à sa subsistance et à celle de sa famille et ce qui lui permettra de vivre selon sa dignité et sa conscience. C'est pourquoi l'Eglise prendra toujours sa défense contre tout système qui lui refuserait ces droits inaliénables qui ne dérivent pas de l'autorité civile mais de sa propre personnalité humaine, ou qui voudrait le réduire à un état de totale soumission à une bureaucratie détentrice du pouvoir politique. Nous sommes certain que vous, Messieurs, êtes d'accord pour dire que toute organisation tendant à améliorer les conditions de vie des travailleurs serait un mécanisme sans âme et par là sans vie et sans fécondité, si sa charte ne proclame et ne prescrit efficacement en tout premier lieu, le respect de toute personne humaine, quelle que soit sa condition sociale ; deuxièmement la reconnaissance de la solidarité de tous pour former la vaste famille humaine, créée par la Toute-Puissance aimante de Dieu ; troisièmement l'exigence impérieuse qui impose à la société de placer le bien commun au-dessus de tout intérêt privé, le service de tous au profit de tous. Quand l'esprit humain sera réformé et stabilisé selon ces vérités, les conditions de vie des travailleurs seront améliorées. Aucune puissance de l'Etat ne pourra réformer l'esprit humain. C'est là la mission sacrée de la religion. Et l'Etat dont les assises sont fondées sur la moralité et la religion sera le protecteur et le défenseur le plus efficace de travailleurs.
Nous demandons à Dieu ses bénédictions sur vos efforts persévérants dans ce domaine ; puissent ses grâces de choix descendre sur vous et sur ceux qui vous sont chers.
(18 juillet 1947)1
La Semaine sociale de Paris rassembla du 28 juillet au 2 août, 6000 participants venus de 25 pays, auxquels était proposé pour thème général «¦ Le catholicisme social face aux grands courants contemporains ». Le Saint-Père, informé de ces assises, a daigné donner quelques directives précises en une lettre adressée à M. Charles Flory, président des Semaines sociales de France. Cette lettre a été lue au cours de la solennelle veillée religieuse à Montmartre.
Nous avons lu avec grand intérêt votre relation du 6 avril dans laquelle vous Nous faites un exposé des travaux et du développement si dignes d'éloges des Semaines sociales de France, et Nous présentez le programme de la prochaine session qui doit se tenir à Paris.
La pensée du Saint-Père sur la nationalisation...
Vous rappelez dans cette relation que, comme Nous le savions déjà, Notre adresse à la Semaine sociale de Strasbourg, l'an dernier, avait donné lieu à des controverses, certaines même de caractère politique : ce qui témoigne, semble-t-il, de l'indéracinable habitude qu'ont certains milieux de rechercher dans les directives données par les papes des tentatives d'immixtion dans les questions actuelles de nature purement politique. En particulier, Nos remarques sur la « nationalisation » furent interprétées dans ce sens. Or, il s'agissait là, en réalité, d'une question d'un ordre plus élevé. Non point de la licéité morale de la nationalisation du point de vue du bien matériel de la nation : sa licéité sous ce rapport, lorsque le bien commun la réclame, avait déjà été traitée dans l'encyclique Quadragesimo anno et par Nous-même dans Notre allocution aux Associations de travailleurs catholiques d'Italie, le 11 mars 1945. La question qui, par contre, se posait, en relation immédiate avec l'objet de la Semaine sociale de Strasbourg, était de savoir si la nationalisation offrait un moyen approprié de procurer à la nation l'union et l'esprit de communauté. Nous nous trouvions en présence de ce problème : développer le plus puissamment qu'il se pourrait les « unités » ou « sociétés coopératives », car c'est d'elles qu'il s'agissait, comme le contexte le faisait clairement voir. En prenant la parole sur ce sujet, Nous avions à coeur de promouvoir les petites et moyennes entreprises ; et Nous répétions simplement ce que Nous avions exprimé avec plus de détails dans d'autres circonstances ; cela n'avait donc pas besoin de plus amples explications ; et cela se déduit d'ailleurs tout naturellement des principes de l'Eglise en matière sociale, tels qu'ils ont été de tout temps proclamés indépendamment de toute conjoncture particulière de politique de partis ou de vocabulaire.
... et sur le sens du travail.
Il en va de même de Notre position à l'égard de l'organisation professionnelle ou « corporative » qui a été, elle aussi tirée en sens divers dans les polémiques publiques — peut-être, de la part de certains, pour avoir été mal comprise. Elle aussi correspond identiquement à l'enseignement de l'encyclique Quadragesimo anno et est au-dessus de tout reproche d'immixtion dans les affaires purement politiques du temps présent. Mais cette doctrine peut offrir à notre époque une leçon et une orientation hautement significatives. Pardessus la distinction entre employeurs et employés, qui menace de devenir toujours davantage une inexorable séparation, il y a le travail lui-même, le travail, tâche de la vie personnelle de tous en vue de procurer à la société les biens et les services qui lui sont nécessaires ou utiles. Ainsi compris, le travail est capable, en raison de sa nature même, d'unir les hommes véritablement et intimement ; il est capable de redonner forme et structure à la société devenue amorphe et sans consistance et par là d'assainir à nouveau les relations de la société avec l'Etat. Lorsque, au contraire, on veut faire de la société et de l'Etat un pur et simple rassemblement de travailleurs, on méconnaît ce qui constitue l'essence de l'une et de
l'autre, on ôte au travail son véritable sens et la puissance intime qu'il a d'unir, on organise en fin de compte non des hommes, travailleurs considérés comme tels, mais une gigantesque addition de revenus en salaires ou traitements. Le danger que l'Etat soit dominé par les forces économiques, au grand détriment du bien général, est exactement aussi grave dans ce cas que dans celui où la conduite de l'Etat est soumise à la pression du capital.
thème de la Semaine sociale.
De la prochaine session de Paris, Nous approuvons avec satisfaction le thème : « Le catholicisme social face aux grands courants contemporains » ; thème que Nous avons eu déjà bien souvent l'occasion de traiter, de vive voix et par écrit. Et Nous saluons de Nos voeux les meilleurs le programme qui en a été judicieusement établi. L'atmosphère paisible, imprégnée de dévouement à la foi et à la science, de cet Institut catholique, promet de favoriser l'étude et la mise au point approfondies de questions qui, de nos jours, apparaissent malheureusement obscures parce que livrées aux passions des foules, voire à celles de la rue.
Tous les sujets de conférences qui figurent au programme sont de conséquence et requièrent une urgente attention. Eclairer les conjonctures du présent par une connaissance sûre du passé est aussi important que préciser les principes permanents — lesquels s'éclairent de façon toujours meilleure et plus pénétrante à chaque nouvel effort qui est tenté pour les mettre en oeuvre et les appliquer aux circonstances en perpétuelle transformation. Aussi vous souhaitons-Nous de recueillir de la réalisation des deux premières parties de votre programme une riche moisson.
Mais, considérant l'impatience avec laquelle l'humanité éprouvée aspire à trouver les voies d'une amélioration de son sort, vous avez avec raison prévu pour terminer une partie plus directement pratique, qui serait comme la conséquence logique de vos discussions et une conclusion apportant réponse à ce souhait. Nous voudrions pour Notre part souligner, au sujet de cette troisième partie ce sur quoi tous les bons esprits tombent d'accord aujourd'hui, à savoir, que la question si importante de la distribution de ce qu'on appelle le produit social a déjà été traitée suffisamment. Ce qui requiert aujourd'hui l'attention avec plus d'urgence, c'est d'assurer la mise de ce produit à la disposition des hommes et d'en accroître la quantité, d'un mot le problème de la production.
Le problème de la production.
Il ne suffit pas de répéter sans cesse le mot d'ordre, trop simpliste, que : ce qui importe le plus, c'est de produire. La production se fait elle aussi par les hommes et pour les hommes. La production est par elle-même éminemment une question — et un facteur — d'ordre et d'ordre vrai entre les hommes. Or un juste ordonnancement de la production ne peut faire abstraction du principe de l'intervention de l'Etat, mis en lumière par Notre grand prédécesseur Léon XIII : il le peut moins que jamais dans les circonstances actuelles. Mais, d'autre part, il est indispensable, précisément aujourd'hui où l'ancienne tendance du « laissez faire, laissez passer » est sérieusement battue en brèche, de prendre garde à ne point tomber dans l'extrême opposé ; il faut, dans l'organisation de la production, assurer toute sa valeur directive à ce principe, toujours défendu par l'enseignement social de l'Eglise : que les activités et les services de la société doivent avoir un caractère « subsidiaire » seulement, aider ou compléter l'activité de l'individu, de la famille, de la profession. Puisse la troisième partie de votre Semaine se développer dans la claire perspective de cette conception de la production et de sa juste ordonnance.
De toutes manières, l'heure présente exige des croyants qu'avec toutes leurs énergies ils fassent rendre à la doctrine sociale de l'Eglise son maximum d'efficience et son maximum de réalisation. C'est se faire illusion de croire, comme certains, qu'on pourrait désarmer l'anticléricalisme et la passion anticatholique en restreignant les principes du catholicisme au domaine de la vie privée : cette attitude « minimiste » ne ferait au contraire que fournir aux adversaires de l'Eglise de nouveaux prétextes. Les catholiques maintiendront et amélioreront leurs positions selon la mesure du courage qu'ils mettront à faire passer en actes leurs convictions intimes, dans le domaine entier de la vie, publique autant que privée.
Afin que la Semaine sociale de Paris, qui va s'ouvrir, se montre digne de la longue série de ses devancières, Nous accordons avec une paternelle affection, comme datum optimum et donum perfectum, descendens a Patre luminum — don le meilleur et cadeau parfait venant du Père des lumières (Jc 1,17) — et comme gage de ce don, à tous ceux qui prennent part à la session et particulièrement à ceux qui la dirigent, la Bénédiction apostolique qui Nous a été demandée.
(20 juillet 1947) 1
Après la canonisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, le Saint-Père prononça l'homélie suivante à la gloire de l'insigne fils de Bretagne.
Lorsque Louis-Marie Grignion de Montfort, à qui Nous venons d'accorder, sous l'inspiration de la grâce divine, les honneurs suprêmes de la sainteté, se rendit dans cette auguste ville de Rome pour y vénérer dévotement le tombeau du bienheureux Pierre, il apprit de Notre prédécesseur le pape Clément XI, d'heureuse mémoire, qu'il était destiné non pas à prêcher la vérité évangélique aux nations étrangères, comme il le désirait, mais plutôt à rétablir les moeurs chrétiennes au sein de sa propre patrie.
C'est pourquoi, se soumettant très volontiers à cette exhortation, Louis-Marie Grignion de Montfort revint en France et durant toute sa vie ne négligea rien afin de répondre par une énergique activité apostolique à l'invitation et au conseil du Souverain Pontife. Plusieurs fois, la plupart du temps à pied, il parcourut toutes les régions de la France ; pèlerin apostolique, il se rendit dans les villes, les bourgades, les villages et jusque dans les hameaux les plus reculés. Partout où parvint ce prédicateur de la divine vérité et ce très zélé promoteur de la vertu fut obtenu un très heureux renouvellement de la vie chrétienne : les discordes sont apaisées, les différends arrangés, les haines éteintes, la foi réveillée revit, la charité produit les fruits salutaires les plus abondants.
Les erreurs qui s'insinuaient ici et là, souvent cachées sous le masque de la vérité, trouvèrent en Louis-Marie Grignion de Mont-fort un ennemi vigoureux et infatigable. Il combattit avec force certaines formes de piété peu légitimes qui étaient propagées et qui parfois même étaient contraires aux préceptes de l'Eglise, ainsi qu'aux normes et exemples donnés par des hommes vraiment saints. De cette façon, dans la mesure de ses forces, il obtint que l'intégrité de la doctrine catholique fût sauvegardée et que la religion catholique éclairât non seulement les esprits, mais exerçât une bienfaisante influence sur les moeurs privées et publiques.
Le plan de perfection chrétienne que Louis-Marie Grignion de Montfort suivait pour lui-même et qu'il poursuivit jusqu'à son dernier soupir, il le légua comme un héritage sacré aux deux Instituts religieux qu'il fonda. Si ces Instituts s'efforcent, comme ils le font, de marcher avec soin sur les traces de leur fondateur ; si principalement, ils rivalisent avec lui dans l'amour de Dieu et du prochain ; s'ils entretiennent à son exemple une dévotion ardente envers la Vierge Mère de Dieu ; s'ils imitent son humilité, son amour de la pauvreté évangélique, son application à une ardente prière, alors ils pourront sans aucun doute, comme leur père fondateur et législateur pourvoir parfaitement à leur propre salut et à celui du prochain.
Nous croyons inutile d'exhorter, à l'occasion de cet heureux événement, sa famille religieuse à réaliser ce que Nous venons d'indiquer : en effet les faits eux-mêmes parlent. Nous aimons mieux faire connaître dans les grandes lignes et brièvement par quel moyen Louis-Marie Grignion de Montfort a pu ramener au divin Rédempteur une si grande multitude d'hommes, entreprendre, missionnaire infatigable, tant de voyages, surmonter tant d'obstacles venant des choses et des hommes et, surtout, amener à réparer leurs fautes et à s'amender tant d'âmes endurcies dans leurs vices.
Toutes ces choses, Vénérables Frères et chers fils, on les comprend facilement si on considère l'amour dont Louis-Marie Grignion de Montfort était tout embrasé pour le Christ, ainsi que sa dévotion ardente, constante et éclairée envers la Mère de Dieu. Dieu lui était tout. C'est pourquoi, il n'avait rien plus à coeur, rien de plus agréable et de plus doux que de le voir, de le considérer, de l'aimer dans toutes choses. Il désirait se consacrer tout entier à accomplir sa volonté, à augmenter sa gloire. Quand il prêchait aux foules, la charité qui le brûlait intérieurement rayonnait tellement dans ses instructions lumineuses et dans les éclairs de ses images, qu'il attirait comme par un mouvement impétueux toutes les âmes à lui et, se les
sentant attachées, les faisait revenir et d'une certaine façon les poussait de l'erreur à la vérité, du vice à la pénitence, de l'indifférence et du dégoût des choses célestes à un amour salutaire et à la pratique sérieuse de la vertu.
Donc, il n'y a pas que ceux qui ont été admis dans les Instituts religieux fondés par lui qui aient beaucoup à apprendre et à imiter de leur fondateur : tous les chrétiens aussi, à l'époque actuelle surtout, alors que la foi catholique s'affaiblit, que les moeurs sont très relâchées ou même perdues et que les discordes s'élèvent de tout côté portant un grave préjudice à la société, et que, comme il conviendrait cependant, ni le devoir ne les bride et les arrête, ni la charité ne les adoucit, ne les apaise et ne les règle.
Plaise à Dieu que la figure si lumineuse et si douce de ce saint du ciel réapparaisse devant les yeux et dans l'esprit de tous les hommes, qu'elle leur enseigne de nouveau qu'ils ne sont pas nés pour la terre mais pour le ciel ! Dès lors, qu'elle les excite à suivre les préceptes chrétiens, à obtenir la concorde fraternelle, à acquérir enfin comme un ornement cette vertu par laquelle ils pourront un jour avec le secours de la grâce divine jouir dans le ciel du bonheur éternel. Ainsi soit-il.
(21 juillet 1947) 1
Le lundi 21 juillet, lendemain de la canonisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, le Souverain Pontife reçut en audience la foule des pèlerins venus à Rome pour cette circonstance, de France surtout, et leur rappela en un long discours ce que furent la vie, les oeuvres et les vertus de ce grand apôtre du Poitou, de la Bretagne et de la Vendée. Les deux familles religieuses fondées par saint Louis-Marie, les Missionnaires de la Compagnie de Marie et les Filles de la Sagesse étaient naturellement représentées par leurs Supérieurs généraux et de nombreuses délégations.
Soyez les bienvenus, chers fils et chères filles, accourus en grand nombre pour assister à la glorification de Louis-Marie Grignion de Montfort, l'humble prêtre breton du siècle de Louis XIV, dont la courte vie, étonnamment laborieuse et féconde, mais singulièrement tourmentée, incomprise des uns, exaltée par les autres, l'a posé devant le monde « en signe de contradiction », in signum, cui contradicetur (Lc 2,34). Réformant sans y penser l'appréciation des contemporains, la postérité l'a rendu populaire, mais par-dessus encore le verdict des hommes, l'autorité suprême de l'Eglise vient de lui décerner les honneurs des saints.
Un fils de Bretagne à la ténacité persévérante.
Salut d'abord à vous, pèlerins de Bretagne et du littoral de l'Océan. Vous le revendiquez comme vôtre et il est vôtre en effet.
Breton par sa naissance et par l'éducation de son adolescence, il est resté breton de coeur et de tempérament à Paris, dans le Poitou et dans la Vendée ; il le restera partout et jusqu'au bout, même dans ses cantiques de missionnaire, où par une pieuse industrie, qui réussirait peut-être moins heureusement à une époque plus critique et volontiers gouailleuse, il adaptait des paroles religieuses aux airs populaires de son pays. Breton, il l'est par sa piété, sa vie très intérieure, sa sensibilité très vive, qu'une délicate réserve, non exempte de quelques scrupules de conscience, faisait prendre par des jeunes gens primesautiers, et par quelques-uns même de ses supérieurs, pour gaucherie et singularité. Breton, il l'est par sa droiture inflexible, sa rude franchise que certains esprits plus complaisants, plus assouplis, trouvaient exagérée et taxaient avec humeur d'absolutisme et d'intransigeance.
C'est en l'épiant malicieusement à son insu, en le voyant et en l'entendant traiter avec les petits et les pauvres, enseigner les humbles et les ignorants, que plus d'un découvrit avec surprise, sous l'écorce un peu rugueuse d'une nature qu'il mortifiait et qu'il forgeait héroïquement, les trésors d'une riche intelligence, d'une inépuisable charité, d'une bonté délicate et tendre.
On a cru parfois pouvoir l'opposer à saint François de Sales, prouvant ainsi qu'on ne connaissait guère que superficiellement l'un et l'autre. Différents, certes, ils le sont, et voilà bien de quoi dissiper le préjugé qui porte à voir dans tous les saints autant d'exemplaires identiques d'un type de vertu, tous coulés dans un même moule ! Mais on semble ignorer complètement la lutte par laquelle François de Sales avait adouci son caractère naturellement aigre, et l'exquise douceur avec laquelle Louis-Marie secourait et instruisait les humbles. D'ailleurs, l'amabilité enjouée de l'évêque de Genève ne l'a pas plus que l'austérité du missionnaire breton mis à l'abri de la haine et des persécutions des calvinistes et des jansénistes et, d'autre part, la rudesse fougueuse de l'un aussi bien que la patience de l'autre au service de l'Eglise leur ont valu à tous les deux l'admiration et la dévotion des fidèles.
La caractéristique propre de Louis-Marie, par laquelle il est authentique breton, c'est sa ténacité persévérante à poursuivre le saint idéal, l'unique idéal de toute sa vie : gagner les hommes pour les donner à Dieu. A la poursuite de cet idéal, il a fait concourir toutes les ressources qu'il tenait de la nature et de la grâce, si bien qu'il fut en vérité sur tous les terrains — et avec quel succès ! — l'apôtre par excellence du Poitou, de la Bretagne et de la Vendée ; on a
pu même écrire naguère, sans exagération, que « la Vendée de 1793 était l'oeuvre de ses mains ».
Modèle des prêtres et de ses fils et filles.
Salut à vous, prêtres de tous les rangs et de tous les ministères de la hiérarchie ecclésiastique, qui portez tous dans le coeur ce souci, cette angoisse, cette « tribulation », dont parle saint Paul (2Co 1,8) et qui est aujourd'hui presque partout le partage des prêtres dignes de leur beau nom de pasteurs d'âmes. Votre regard, comme celui de milliers de vos frères dans le sacerdoce, se lève avec fierté vers le nouveau saint et puise en son exemple confiance et entrain. Par la haute conscience qu'il avait de sa vocation sacerdotale et par son héroïque fidélité à y correspondre, il a fait voir au monde le vrai type, souvent si peu et si mal connu, du prêtre de Jésus-Christ et ce qu'un tel prêtre est capable de réaliser pour la pure gloire de Dieu et pour le salut des âmes, pour le salut même de la société, dès lors qu'il y consacre sa vie tout entière, sans réserve, sans condition, sans ménagement, dans le plein esprit de l'Evangile. Regardez-le, ne vous laissez pas impressionner par des dehors peu flatteurs : il possède la seule beauté qui compte, la beauté d'une âme illuminée, embrasée par la charité ; il est pour vous un modèle eminent de vertu et de vie sacerdotale.
Salut à vous, membres des familles religieuses dont Louis-Marie Grignion de Montfort a été le fondateur et le père. Vous n'étiez, de son vivant et lors de sa mort prématurée, qu'un imperceptible grain de froment, mais caché dans son coeur comme au sein d'une terre fertile, mais gonflé du suc nourricier de sa surhumaine abnégation, de ses mérites surabondants, de son exhubérante sainteté. Et voici que la semence a germé, grandi, qu'elle s'est développée et propagée au loin, sans que le vent de la révolution l'ait desséchée, sans que les persécutions violentes ou les tracasseries légales aient pu l'étouffer.
Chers fils et chères filles, restez fidèles au précieux héritage que vous a légué ce grand saint ! Héritage magnifique et digne auquel vous continuez comme vous l'avez fait jusqu'à présent à dévouer, à sacrifier sans compter vos forces et votre vie ! Montrez-vous les héritiers de son amour si tendre pour les humbles du plus petit peuple, de sa charité pour les pauvres, vous souvenant qu'il s'arrachait le pain de la bouche pour les nourrir, qu'il se dépouillait de ses vêtements pour couvrir leur nudité, les héritiers de sa sollicitude pour les enfants, les privilégiés de son coeur comme ils l'étaient du coeur de Jésus.
La charité ! Voilà le grand, disons le seul secret des résultats surprenants de la vie si courte, si multiple et si mouvementée de Louis-Marie Grignion de Montfort. La charité ! Voilà pour vous aussi, soyez-en intimement persuadés, la force, la lumière, la bénédiction de votre existence et de toute votre activité.
Salut enfin à vous aussi, pèlerins accourus de divers pays et apparemment bien différents les uns des autres, mais dont l'amour envers Marie fait l'unité, parce que, tous, vous voyez en celui que vous êtes venus honorer le guide qui vous amène à Marie et de Marie à Jésus. Tous les saints, assurément, ont été grands serviteurs de Marie et tous lui ont conduit les âmes ; il est incontestablement un de ceux qui ont travaillé le plus ardemment et le plus efficacement à la faire aimer et servir.
La Croix de Jésus, la Mère de Jésus, tels sont les deux pôles de sa vie personnelle et de son apostolat. Et voilà comment cette vie en sa brièveté, fut pleine, comment cet apostolat, exercé en Vendée, en Poitou, en Bretagne durant à peine une douzaine d'années, se perpétue depuis déjà plus de deux siècles et s'étend sur bien des régions. C'est que la sagesse, cette sagesse à la conduite de laquelle il s'était livré, a fait fructifier ses labeurs et a couronné ses travaux que la mort n'avait qu'apparemment interrompus : complevit labores illius (Sg 10,10). L'oeuvre est toute de Dieu, mais elle porte aussi sur elle l'empreinte de celui qui en fut le fidèle coopérateur. Ce n'est que justice de la discerner.
Ses dons naturels.
Notre oeil, presque ébloui par la splendeur de la lumière qui émane de la figure de notre saint, a besoin, pour ainsi dire, d'en analyser le rayonnement. Il se pose d'abord sur les dons naturels, plus extérieurs, et il a la surprise de constater que la nature n'avait pas été vis-à-vis de lui aussi avare qu'il a pu sembler à première vue. Louis-Marie n'offrait pas, c'est vrai, le charme de traits agréables qui conquièrent soudain la sympathie, mais il jouissait, avantages en réalité bien plus appréciables, d'une vigueur corporelle qui lui permettait de supporter de grandes fatigues dans son ministère de missionnaire et de se livrer quand même à de rudes et très rudes pénitences. Sans s'amuser à éblouir son auditoire par les faciles artifices du bel esprit, par les fantasmagories d'une élégance redier-
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chée et subtile, il savait mettre à la portée des plus simples le trésor d'une théologie solide et profonde — en quoi il excellait — et qu'il monnayait de manière à éclairer et convaincre les intelligences, à émouvoir les coeurs, à secouer les volontés avec une force de persuasion qui aboutissait aux courageuses et efficaces résolutions. Grâce à son tact, à la finesse de sa psychologie, il pouvait choisir et doser ce qui convenait à chacun, et s'il avait, par abnégation et pour être plus entièrement aux études et à la piété, renoncé aux beaux-arts pour lesquels il avait beaucoup de goût et de remarquables dispositions, il avait gardé les richesses d'imagination et de sensibilité dont son âme d'artiste savait user pour produire dans les esprits l'image du modèle divin. Toutes qualités humaines, sans doute, mais dont il s'aidait pour conduire les pécheurs au repentir, les justes à la sainteté, les errants à la vérité, conquérant à l'amour du Christ les coeurs desséchés par le souffle glacé et aride de Pégoïsme.
Sa vie d'union avec Dieu.
Incomparablement plus que sa propre activité humaine, il mettait en jeu le concours divin qu'il attirait par sa vie de prière. Toujours en mouvement, toujours en contact avec les hommes, il était en même temps toujours recueilli, toujours livré à l'intimité divine, luttant, pour ainsi dire, contre la justice sévère de Dieu pour obtenir de sa miséricorde les grâces capables de vaincre l'obstination des plus endurcis ; il semblait, comme le patriarche en lutte contre l'ange, répéter sans cesse la prière irrésistible : " Je ne vous laisserai point que vous ne m'ayez béni » (Gn 32,27).
Il n'ignorait pas non plus que sans la pénitence, l'abnégation, la mortification continuelle, la prière toute seule ne suffit pas à vaincre l'esprit du mal : in oratione et ieiunio (Mc 9,29). Et notre missionnaire joignait aux fatigues des plus intrépides apôtres les saintes cruautés des plus austères ascètes. N'a-t-il pas observé presque à la lettre la consigne donnée par le Maître à ses envoyés : « N'emportez rien pour le voyage, ni bâton, ni pain, ni sac, ni argent et n'ayez point deux tuniques » (Lc 9,3) ? La seule soutane usée et rapiécée qu'il portait sur lui était si pauvre que les mendiants qui le rencontraient se croyaient en devoir de l'assister de leurs aumônes.
Crucifié lui-même, il était en droit de prêcher avec autorité le Christ crucifié (cf. 1Co 1,23). Partout, envers et contre tous, il érigeait des calvaires et il les réédifiait avec une indéfectible patience, lorsque l'esprit du siècle, inimicus crucis Christi (cf. Phil. Ph 3,18), les avait fait abattre. Il traçait moins un programme de vie qu'il ne peignait son propre portrait dans sa lettre « aux Amis de la Croix » : « Un homme choisi de Dieu entre dix mille qui vivent selon les sens et la seule raison, pour être un homme tout divin, élevé au-dessus de la raison et tout opposé aux sens, par une vie et lumière de pure foi et un amour ardent pour la Croix ».
Son grand secret : sa dévotion à Marie.
Le grand ressort de tout son ministère apostolique, son grand secret pour attirer les âmes et les donner à Jésus, c'est la dévotion à Marie. Sur elle il fonde toute son action ; en elle est toute son assurance, et il ne pouvait trouver arme plus efficace à son époque. A l'austérité sans joie, à la sombre terreur, à l'orgueilleuse dépression du jansénisme, il oppose l'amour filial, confiant, ardent, affectif et effectif du dévot serviteur de Marie envers celle qui est le refuge des pécheurs, la Mère de la divine grâce, notre vie, notre douceur, notre espérance. Notre avocate aussi ; avocate qui placée entre Dieu et le pécheur est toute occupée à invoquer la clémence du juge pour fléchir sa justice, à toucher le coeur du coupable pour vaincre son obstination. Dans sa conviction et son expérience de ce rôle de Marie, le missionnaire déclarait avec sa pittoresque simplicité que « jamais pécheur ne lui a résisté, une fois qu'il lui a mis la main au collet avec son rosaire ».
Encore faut-il qu'il s'agisse d'une dévotion sincère et loyale. Et l'auteur du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge distingue en traits précis celle-ci d'une fausse dévotion plus ou moins superstitieuse, qui s'autoriserait de quelques pratiques extérieures ou de quelques sentiments superficiels pour vivre à sa guise et demeurer dans le péché comptant sur une grâce miraculeuse de la dernière heure.
La vraie dévotion, celle de la tradition, celle de l'Eglise, celle, dirions-Nous, du bon sens chrétien et catholique, tend essentiellement vers l'union à Jésus, sous la conduite de Marie. Forme et pratique de cette dévotion peuvent varier suivant les temps, les lieux, les inclinations personnelles. Dans les limites de la doctrine saine et sûre, de l'orthodoxie et de la dignité du culte, l'Eglise laisse à ses enfants une juste marge de liberté. Elle a d'ailleurs conscience que la vraie et parfaite dévotion envers la Sainte Vierge n'est point tellement liée à ces modalités qu'aucune d'elles puisse en revendiquer le monopole.
Et voilà pourquoi, chers fils et chères filles, Nous souhaitons ardemment que, par-dessus les manifestations variées de la piété envers la Mère de Dieu, Mère des hommes, vous puisiez tous dans le trésor des écrits et des exemples de notre saint ce qui a fait le fond de sa dévotion mariale ; sa ferme conviction de la très puissante intercession de Marie, sa volonté résolue d'imiter autant que possible les vertus de la Vierge des vierges, l'ardeur véhémente de son amour pour elle et pour Jésus.
Avec l'intime confiance que la Reine des coeurs vous obtiendra de l'Auteur de tout bien cette triple faveur, Nous vous donnons en gage, à vous, à tous ceux qui vous sont chers, à tous ceux qui se recommandent du patronage de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et qui l'invoquent en union avec vous, Notre Bénédiction apostolique.
Pie XII 1947 - VISIONS DE SAINTETÉ