Damascène, Nativité
De l'humble moine prêtre Jean de Damas, discours pour la naissance de Notre-Dame très sainte, la Mère de Dieu et toujours Vierge Marie.
1 Venez, toutes les nations, venez, hommes de toute race, de toute langue. de tout âge, de toute dignité; avec allégresse fêtons la nativité de l'allégresse du monde entier! Si les Grecs marquaient par toute sorte d'honneurs avec les dons que chacun pouvait offrir l'anniversaire des divinités, qui en imposaient à l'esprit, par des mythes menteurs et obscurcissaient la vérité, et celui des rois, même s'ils étaient le fléau de toute l'existence, que devrions-nous faire, nous, pour honorer l'anniversaire de la Mère de Dieu, par qui la race mortelle tout entière fut transformée, par qui la peine d'Eve notre première mère fut changée en joie? L'une, en effet, a entendu la sentence divine: " Dans la peine lu enfanteras des fils "; l'autre: " Réjouis-toi, pleine de grâce "; la première: " Tu te porteras vers ton mari "; celle-ci " Le Seigneur est avec toi (Gn 3,16) ". Quel hommage offrirons-nous donc à la mère de la Parole, sinon notre parole? Que la création entière soit en fête et chante d'une sainte femme le saint enfantement. Car elle a enfanté au monde un trésor impérissable de bienfaits. Par elle le Créateur a transmué toute nature en un état meilleur par l'entremise de l'humanité. Car si l'homme, qui tient le milieu entre l'esprit et la matière, est le lieu de toute la création visible et invisible, la Parole créatrice de Dieu, en s'unissant à la nature humaine, s'est unie par elle à la création entière. Ainsi fêtons la disparition de l'humaine stérilité, puisque a cessé pour nous l'infirmité qui empêchait la possession des biens.
2 Mais pourquoi la Vierge Mère est-elle née d'une femme stérile? A ce qui seul est, nouveau sous le soleil (Eccl 1,9), au couronnement des merveilles, les voies devaient être préparées par les merveilles, et lentement des réalités les plus basses devaient s'élever les plus grandes. Et voici une autre raison, plus haute et plus divine. La nature a cédé le pas à la grâce, elle s'est arrêtée en tremblant et ne voulut pas être la première. Comme la Vierge Mère de Dieu devait naître d'Anne, la nature n'osa prévenir le fruit de la grâce; mais elle demeura sans fruit, jusqu'à ce qui la grâce eût porté le sien. Il fallait qu'elle fût. première-née, celle qui devait enfanter " le Premier-Né de toute créature", en qui "tout subsiste (Col 1,15 Col 1,17) ". Joachim et Amie, couple heureux! Toute la création vous est redevable; par vous elle a offert au Créateur le don, de tous les dons le plus excellent, une mère vénérable, seule digne de celui qui l'a créée. Heureux lombes de Joachim, d'où sortit un germe tout immaculé; admirable sein d'Anne, grâce auquel se développa lentement, où se forma et d'où naquit une enfant toute sainte ! Entrailles qui avez porté un ciel vivant, plus vaste que l'immensité des cieux! Aire où fut amoncelé le blé vivifiant, selon la déclaration même du Christ: " Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul (Jn 12,24) "; sein qui allaitas celle qui nourrit le nourricier du monde! Merveille des merveilles, paradoxe des paradoxes! Oui, l'inexprimable incarnation de Dieu, pleine de condescendance, devait être précédée par ces merveilles. Mais comment poursuivre? Mon esprit est hors de lui-même, partagé que je suis entre la crainte et l'amour. Mon coeur bat et ma langue frémit: je ne puis supporter la joie, les merveilles m'accablent, l'élan passionné me saisit d'un transport divin. Que l'amour l'emporte, que la crainte cède la place, et que chante la cithare de l'Esprit: " Allégresse dans les cieux ! Exulte la terre (Ps 96,11) ! "
3 Aujourd'hui les portes de la stérilité s'ouvrent, et une porte virginale et divine s'avance (Ez 44,1-3): à partir d'elle, par elle, le Dieu qui est, au-delà de tous les êtres doit "venir dans le monde (Hb 1,6)" " corporellement (Col 2,9) ", selon l'expression de Paul, l'auditeur des secrets ineffables. Aujourd'hui de la racine de Jessé une tige est sortie, d'où s'élèvera pour le monde une fleur substantiellement unie à la divinité (Is 11,1) .
Aujourd'hui, à partir de la nature terrestre, un ciel a été formé sur terre, par celui qui autrefois rendit solide en le séparant des eaux et éleva dans les hauteurs le firmament (Gn 1,6-8). Ciel en réalité bien plus divin et plus surprenant que le premier: car celui qui dans le premier créa le soleil s'est levé lui-même de ce nouveau ciel comme un soleil de justice. Oui, il y a en lui deux natures, malgré la folie des Acéphales, une seule personne, quelle que soit la colère des Nestoriens ! La lumière éternelle, issue avant les siècles de la lumière éternelle, l'être immatériel et incorporel, prend un corps de cette femme, et comme un époux s'avance hors de la chambre nuptiale, étant Dieu, et devenu ensuite fils de la race terrestre. Comme un géant il se réjouira de courir la carrière (Ps 19,6) de notre nature, de s'acheminer par ses souffrances vers la mort, de lier l'homme fort et de lui arracher son bien (Mt 12,29), c'est-à-dire notre nature, et de ramener vers la terre céleste la brebis errante (Mt 18,12) .
Aujourd'hui, " le fils de l'artisan (Mt 13,55) ", le Verbe universellement actif de celui qui par lui a tout construit, le bras puissant du Dieu Très-Haut, ayant aiguisé par l'Esprit qui est comme son doigt, la hache émoussée de la nature, s'est construit une échelle vivante, dont la base est plantée en terre et dont le sommet s'élève jusqu'au ciel: sur elle Dieu repose; c'est elle dont Jacob a contemplé la figure (Gn 28,12); par elle Dieu est descendu dans son immobilité, ou plutôt s'est incliné avec condescendance, et ainsi " s'est rendu visible sur la terre et a conversé avec les hommes (Ba 3,38) ". Car ces symboles représentent sa venue ici-bas, son abaissement condescendant, son existence terrestre, la vraie connaissance de lui-même donnée à ceux qui sont sur terre (Col 1,10) .
L'échelle spirituelle, la Vierge, est plantée en terre, car de la terre, elle tient son origine, mais sa tête s'élève jusqu'au ciel. Le chef de toute femme, en effet, c'est l'homme; mais pour elle qui n'a pas connu d'homme, Dieu, le Père, a pris la place de son chef: par le Saint-Esprit il a conclu une alliance, et telle une semence sentence divine et spirituelle, il a envoyé son Fils et son Verbe, cette force toute-puissante. En vertu du bon plaisir du Père, ce n'est point par une union naturelle, mais au-dessus des lois de la nature, par le Saint-Esprit et la Vierge Marie, que le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous. Car l'union de Dieu avec les hommes s'accomplit par le Saint-Esprit.
" Comprenne qui pourra (Mt 19,12) ! " " Qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende (Lc 8,8) ! " Ecartons les représentations corporelles. La divinité ne subit point de changements, ô hommes ! Celui qui sans altération a engendré son Fils la première fois selon la nature, sans altération engendre le même Fils de nouveau selon l'économie. Témoin la parole de David, l'ancêtre de Dieu: " Le Seigneur m'a dit: Tu es mou fils; aujourd'hui je t'ai engendré (Ps 2,7). " Or l'" aujourd'hui " n'a point de place dans la génération d'avant les siècles, qui est hors du temps.
4 Aujourd'hui est édifiée la porte orientale, qui donnera au Christ " entrée et sortie "; et " cette porte sera fermée (Ez 44,3 Ez 44,2) ."; en elle est le Christ, "la porte des brebis"; " son nom est Orient (Za 6,12) ": par lui, au Père principe de lumière nous avons obtenu accès. Aujourd'hui ont soufflé les brises, annonciatrices d'une joie universelle. Se réjouisse le ciel dans les hauteurs, au-dessous de lui " qu'exulte la terre ", que la mer du monde frémisse (Ps 96,11) ! Car en elle une conque vient de naître, celle qui par l'éclair céleste de la divinité concevra dans son sein, et enfantera la perle inestimable, le Christ. D'elle sortira "le Roi de gloire (Ps 24,7 Ps 8 Ps 9 Ps 24,10) ", revêtu de la pourpre de sa chair, et il visitera "les captifs" et proclamera "la délivrance (Is 61,1) ". Que la nature bondisse de joie: l'agnelle vient au monde, grâce à laquelle le pasteur revêtira la brebis et déchirera les tuniques de l'antique mortalité. Que la virginité forme ses choeurs de danse, puisque est née la Vierge qui, selon lsaïe, "doit concevoir et enfanter un fils, qu'on appellera Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (Is 7,14) ". Instruisez-vous, ô Nestoriens, et avouez votre défaite: "Dieu avec nous! " Ce n'est ni un homme, ni un messager, mais le Seigneur en personne qui viendra et nous sauvera (Is 63,9) .
" Béni celui qui vient. au nom du Seigneur ", " le Seigneur est Dieu, il nous a illuminés. " "Célébrons une fête (Ps 118,26 Ps 118,27) " pour la naissance de la Mère de Dieu. Réjouis-toi, Anne, " stérile, qui n'enfantais pas; éclate en cris de joie et d'allégresse, toi qui n'as pas eu les douleurs (Is 54,1) " ! Réjouis-toi, Joachim: de ta fille " un enfant nous est né, un fils nous a été donné ", " et on lui donnera ce nom Ange du grand conseil " - c'est-à-dire du salut de l'univers -, " Dieu fort (Is 9,5) ". Que Nestorius rougisse et mette la main sur la bouche. L'enfant est Dieu, comment ne serait-elle pas Mère de Dieu, celle qui le met au monde? "Si quelqu'un ne reconnaît pas pour Mère de Dieu la Sainte Vierge, il est séparé de la divinité ". Le mot n'est pas de moi, et cependant il m'appartient: je l'ai reçu comme un précieux héritage théologique de mon père Grégoire le Théologien.
5 Joachim et Anne, couple heureux, et vraiment sans tache! Au fruit de votre sein vous avez été reconnus, selon la parole du Seigneur: " A leurs fruits vous les reconnaîtrez (Mt 7,16). " Votre conduite fut agréable à Dieu et digne de celle qui naquit de vous. Avant mené une vie chaste et sainte, vous avez produit le joyau de la virginité, celle qui doit rester vierge avant l'enfantement, vierge en enfantant, vierge après la naissance, la seule toujours vierge d'esprit, d'âme et de corps. Il convenait en effet que la virginité issue de la chasteté produisît la lumière unique et monogène, corporellement, par la bienveillance de Celui qui l'a engendrée sans corps l'être qui n'engendre pas, niais est toujours engendré, pour qui être engendré est la seule propriété personnelle. Oh ! que de merveilles, et quelles alliances, en cette petite enfant ! Fille de la stérilité, virginité qui enfante, en elle s'uniront divinité et humanité, souffrance et impassibilité, vie et mort, pour qu'en toutes choses le moins parfait soit vaincu par le meilleur ! Et tout cela, pour mon salut, ô Maître! Tu m'as tellement aimé que tu n'as réalisé ce salut ni par des anges, ni par aucune créature; mais comme ma première création, ma régénération aussi fut ton oeuvre personnelle. Aussi j'exulte, je fais éclater ma fierté et ma joie, je reviens à la source des merveilles; et, enivré d'un torrent d'allégresse, je frappe à nouveau la cithare de l'Esprit et je chante l'hymne divin de la Nativité.
6 Joachim et Anne, couple très chaste, " couple de tourterelles " au sens mystique (Lv 5,7 Lv 12,8) ! En observant la loi de la nature, la chasteté, vous avez mérité les dons qui dépassent la nature: vous avez enfanté au monde une Mère de Dieu sans époux. Après une existence pieuse et sainte dans une nature humaine, vous avez engendré une fille supérieure aux anges et qui maintenant règne sur les anges. Fille très gracieuse et très douce, lis éclos entre les épines (Ct 2,1 Ct 2,2), de la souche toute noble et toute royale de David! Par toi la royauté s'est enrichie du sacerdoce. Par toi fut accompli " le changement de Loi (He 7,12) ", et révélé l'esprit caché sous la lettre, puisque la dignité sacerdotale passa de la tribu de Lévi à celle de David. Rose sortie des épines du judaïsme, qui d'un parfum divin remplis l'univers ! Fille d'Adam et Mère de Dieu ! Heureux les flancs et le sein d'où tu es éclose ! Heureux les bras qui t'ont portée, les lèvres qui ont goûté tes chastes baisers, les lèvres seules de tes parents, afin qu'en tout tu fusses toujours vierge.
Aujourd'hui est pour le monde le commencement du salut. " Acclamez le Seigneur, toute la terre, chantez exultez, jouez des instruments (Ps 98,4) ! " Elevez votre voix, " faites-la entendre sans crainte (Is 40,9) ! " Car dans la sainte Probatique une Mère de Dieu nous est née, de qui a bien voulu naître l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.
Bondissez de joie, montagnes, natures raisonnables. et tendues vers le sommet de la contemplation spirituelle (Ps 114,4): la montagne du Seigneur, éclatante, vient au monde, qui dépasse et transcende toute colline et toute montagne, c'est-à-dire la hauteur des anges et des hommes; d'elle sans intervention de main d'homme, le Christ a bien voulu se détacher, lui la pierre angulaire, cette Personne unique, qui rapproche ce qui est distant, la divinité et l'humanité, les anges et les hommes, et rassemble le païens et l'Israël selon la chair en un seul Israël spiritue (1Co 10,18). "Montagne de Dieu, montagne d'abondance ! Montagne opulente, montagne d'abondance, la montagne que Dieu a daigné choisir pour séjour ! " " Les chars de Dieu sont des myriades, avec des êtres florissants (Ps 68,17 Ps 68,18) " de la grâce divine, Chérubins et Séraphins. Cime plus sainte que le Sinaï, que ne couvrent ni fumée, ni ténèbre, ni tempête, ni feu redoutable, mais l'éclat illuminateur de l'Esprit très saint. Là, la Parole de Dieu avait gravé la loi sur des tables de pierre, par l'Esprit, ce doigt divin: ici, par l'action de l'Esprit-Saint et par le sang de Marie, la Parole elle-même s'est incarnée et s'est donnée à notre nature comme un remède de salut plus efficace. Là c'était la manne: ici, celui qui donna la manne et sa douceur (Sg 16,21) .
Que la demeure fameuse que Moïse construisit au désert avec des matières précieuses de toute espèce, et avant elle la demeure de notre père Abraham, s'effacent devant la demeure de Dieu, vivante et spirituelle. Celle-ci fut le séjour, non de la seule énergie divine, mais de la Personne du Fils, qui est Dieu, présente substantiellement. Que l'arche toute recouverte d'or reconnaisse qu'elle n'a rien de comparable avec elle, comme aussi l'urne d'or de la manne, le candélabre, la table et tous les objets du culte ancien ils furent honorés parce qu'ils la préfiguraient, comme des ombres du véritable prototype.
7 Aujourd'hui le Créateur de toutes choses, Dieu le Verbe, a composé un livre nouveau, jailli du coeur du Père pour être écrit, comme avec un roseau, par l'Esprit qui est la langue de Dieu (Is 8,1 Is 29,11). Il fut donné à un homme qui connaissait les lettres, mais qui ne le lut pas. Joseph en effet ne connut point Marie, ni la signification du mystère lui-même. Fille toute sainte de Joachim et d'Anne, qui échappas aux regards des Principautés et des Puissances et "aux traits enflammés du Mauvais (Ep 6,16) ", qui vécus dans la chambre nuptiale de l'Esprit, et fus gardée intacte, pour devenir épouse de Dieu et Mère de Dieu par nature ! Fille toute sainte, tu apparais dans les bras de ta mère, et tu es la terreur des puissances de rébellion. Fille toute sainte, nourrie du lait maternel, et entourée des troupes des anges ! Fille aimée de Dieu, l'honneur de tes parents, les générations des générations te disent bienheureuse, comme tu l'as affirmé avec vérité. Fille digne de Dieu, beauté de la nature humaine, réhabilitation d'Eve notre première mère ! Car par ta naissance, celle qui tomba est relevée. Fille toute sainte, splendeur du sexe féminin! Si la première Eve, en effet, fut coupable de transgression, et si par elle la mort a fait son " entrée ", parce qu'elle s'était mise au service du serpent contre notre premier père. Marie, elle, qui se fit la servante de la volonté divine, a trompé le serpent trompeur et introduit dans le monde l'immortalité.
Fille toujours vierge, qui pus concevoir sans intervention humaine ! Car celui que tu as conçu a un Père éternel. Fille de la race terrestre, qui portas le créateur dans tes bras divinement maternels! Les siècles rivalisaient pour savoir lequel s'honorerait de te voir naître, mais le dessein fixé d'avance du Dieu "qui a fait les siècles (Hb 1,2) " mit fin à leur rivalité, et les derniers devinrent les premiers, eux à qui échut le bonheur de ta Nativité. Réellement tu es plus précieuse que toute la création, car de toi seule le Créateur a reçu en partage les prémices de notre matière humaine. Sa chair fut faite de ta chair, son sang de ton sang Dieu s'est nourri de ton lait, et tes lèvres ont touché les lèvres de Dieu. Merveilles incompréhensibles et ineffables ! Dans la prescience de ta dignité, le Dieu de l'univers t'a aimée; comme il t'aimait, il te prédestina, et "dans les derniers temps (1P 1,20) " il t'appela à l'existence, et t'établit mère, pour engendrer un Dieu et nourrir son propre Fils et son Verbe (Rm 8,29-30) .
8 Les contraires, dit-on, servent de remèdes à leurs contraires, mais de la grâce mais les contraires ne naissent pas les uns des autres. Même si chaque être est dans sa nature un tissu de contraires, il provient lui-même de la prédominance de la cause qui te fait naître. De même en effet que le péché, en opérant pour moi la mort par le moyen du bien, montre à l'extrême sa nature pécheresse, de même l'auteur des biens, au moyen de leurs contraires, opère pour nous le bien qui lui est naturel. Car "où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé ". Si nous avions conservé notre première communauté avec Dieu, nous n'aurions pas mérité la seconde, plus grande et plus extraordinaire. En fait, par le péché, nous avons été jugés indignes de la première union, n'ayant pas conservé le don reçu. Mais par la compassion de Dieu nous avons été pardonnés et pris sous sa garde, pour que la communion devînt assurée. Car il est à même, celui qui nous a reçus sous sa protection, de conserver l'union sans brisure.
Oui, toute la terre s'était souillée par ses fornications (Os Os 1,2), et le peuple du Seigneur, poussé " par l'esprit de fornication ", avait erré loin du Seigneur son Dieu (Os 4,12), loin de celui qui l'avait acquise d'une main puissante et d'un bras élevé ", qui avec signes et prodiges l'avait fait sortir "de la maison de servitude" du Pharaon (Ex 13,14 Ps 136,12 Dt 4,34), conduit à travers la mer Rouge, et guidé " par une nuée le jour, et toute la nuit par une lueur de feu (Ps 78,14) ". Et leur coeur se tourna vers I'Egvpte; et le peuple du Seigneur devint " celui qui n'est pas le peuple du Seigneur (Os 2,23 Rm 9,25) "; celui qui obtenait miséricorde devint celui qui n'obtient pas miséricorde et l'aimé, celui qui n'est pas aimé.
Voilà pourquoi maintenant une Vierge vient au monde, adversaire de l'ancestrale fornication; elle est donnée en épouse à Dieu lui-même, et elle enfante la miséricorde de Dieu. Ainsi est établi peuple de Dieu celui qui auparavant n'était pas son peuple; exclu de la miséricorde, il obtient miséricorde; non aimé, il est aimé désormais. D'elle en effet naît le Fils bien-aimé de Dieu, en qui il a mis ses complaisances (Mt 3,17 Mt 12,18) .
9 "Une vigne aux beaux sarments (Os 10,1 Ps 128,3) " a germé du sein d'Anne, et elle a produit un raisin plein de douceur, source de nectar jaillissant pour les habitants de la terre en vie éternelle. Joachim et Aune se firent " des semailles de justice " et récoltèrent " un fruit de vie ". Ils se sont " éclairés de la lumière de la connaissance", ils ont cherché le Seigneur et il leur vint un fruit de justice (Os 10,12 Is 61,11). Que la terre prenne confiance!
" Enfants de Sion, réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car le désert " a verdoyé (Jl 2,21-23) ": celle qui était stérile a porté son fruit. Joachim et Anne, comme des montagnes mystiques, ont fait couler le vin doux (Jl 3,18 Am 9,13). Sois dans l'allégresse, Anne bienheureuse, d'avoir enfanté une femme. Car cette femme sera Mère de Dieu, porte de la lumière, source de vie, et elle réduit à néant l'accusation qui pesait sur la femme.
" Le visage " de cette femme, " les hommes riches du peuple I'imploreront ". Devant cette femme les rois des nations se prosterneront en lui offrant des présents. Cette femme, tu l'amèneras à Dieu, le Roi universel, " parée " de la beauté de ses vertus comme " de franges d'or ", ornée de la grâce de l'Esprit, et dont " la gloire est au-dedans (Ps 45,13-14) ". La gloire de toute femme, c'est l'homme, qui lui est donné du dehors: mais la gloire de la Mère de Dieu est intérieure, elle est le fruit de son sein.
O femme tout aimable, trois fois heureuse ! " Tu es bénie entre les femmes, et béni est le fruit de ton sein. " O femme, fille du roi David, et Mère de Dieu, le Roi universel ! Divin et vivant chef-d'oeuvre, dont Dieu le Créateur s'est réjoui (Is 62,5 Is 65,19 Ps 104,31), dont l'esprit est gouverné de Dieu et attentif à Dieu seul, dont tout le désir se porte à ce qui seul est désirable et aimable, qui n'as de colère que contre le péché et celui qui l'a enfanté. Tu auras une vie supérieure à la nature. Car tu ne l'auras point pour toi, puisque aussi bien ce n'est point pour toi que tu es née. Aussi l'auras-tu pour Dieu:
à cause de lui tu es venue à la vie, à cause de lui tu serviras au salut universel, pour que l'antique dessein de Dieu (Is 25,1), qui est l'Incarnation du Verbe et notre divinisation, par toi s'accomplisse. Ton appétit est de te nourrir des paroles divines et de te fortifier de leur sève, comme " l'olivier fertile dans la maison de Dieu (Ps 52,10) ", comme " l'arbre planté près du cours des eaux (Ps 1,3) " de l'Esprit, comme l'arbre de vie, qui a donné son fruit au temps qui lui fut marqué (Ap 22,2): le Dieu incarné, vie éternelle de tous les êtres. Tu retiens toute pensée nourrissante et utile à l'âme: mais toute pensée superflue et qui serait pour l'âme un dommage, tu la rejettes avant de la goûter. Tes yeux " sont toujours vers le Seigneur (Ps 25,15) ", regardant " la lumière " éternelle et " inaccessible (1Tm 6,16) ". Tes oreilles écoutent la divine parole et se délectent de la cithare de l'Esprit; par elles la Parole est entrée pour se faire chair. Tes narines respirent avec délices l'arôme des parfums de l'époux, qui est lui-même un parfum, spontanément répandu pour oindre son humanité: " Ton nom est un parfum qui s'épanche ", dit l'Ecriture (Ct 1,2). Tes lèvres louent le Seigneur, et sont attachées à ses lèvres. Ta langue et ton palais discernent les paroles de Dieu et se rassasient de la suavité divine. Coeur pur et sans souillure, qui voit et désire le Dieu sans souillure (Ps 119,103) !
Dans ce sein l'être illimité est venu demeurer; de son lait, Dieu, l'enfant Jésus, s'est nourri. Porte de Dieu toujours virginale (Ez 44,2) ! Voici les mains qui tiennent Dieu, et ces genoux sont un trône plus élevé que les Chérubins: par eux " les mains affaiblies et les genoux chancelant (Is 35,3) " furent affermis. Ses pieds sont guidés par la loi de Dieu comme par une lampe brillante (Ps 119,105), ils courent à sa suite sans se retourner, jusqu'à ce qu'ils aient attiré vers l'amante le Bien-Aimé (Ct 1,4 Ct 3,4). Par tout son être elle est la chambre nuptiale de l'Esprit, " la cité du Dieu " vivant, " que réjouissent les canaux du fleuve (Ps 46,5) ", c'est-à-dire les flots des charismes de l'Esprit: " toute belle ", tout entière " proche" de Dieu. Car, dominant les Chérubins, plus haute que les Séraphins, proche de Dieu, c'est à elle que cette parole s'applique (Ct 4,7) !
10 Merveille qui dépasse toutes les merveilles: une femme est placée plus haut que les Séraphins, parce que Dieu est apparu abaissé " un peu au-dessous des anges (Ps 8,6) " ! Que Salomon le très sage se taise, et qu'il ne dise plus: " Rien de nouveau sous le soleil (Eccl 1,9)." Vierge pleine de la grâce divine, temple saint de Dieu, que le Salomon selon l'esprit, le prince de la paix, a construit et habite, l'or et les pierres inanimées ne t'embellissent pas, mais, mieux que l'or, l'Esprit fait ta splendeur. Pour pierreries, tu as la perle toute précieuse, le Christ, la braise de la divinité. Supplie-le de toucher nos lèvres, afin que, purifiés, nous le chantions avec le Père et l'Esprit, en nous écriant: " Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabaoth", la nature unique de la divinité en trois Personnes.
Saint est Dieu, le Père, qui a bien voulu qu'en toi et par toi s'accomplît le mystère qu'il avait prédéterminé avant les siècles (1Co 2,7) .
Saint est le Fort, le Fils de Dieu, et Dieu le Monogène, qui aujourd'hui te fait naître, première-née d'une mère stérile, afin qu'étant lui-même Fils unique du Père et " Premier-né de toute créature (1Co 1,15) ", il naisse de toi, Fils unique d'une Vierge-Mère, " Premier-né d'une multitude de frères (Rm 8,29) ", semblable à nous et participant par toi à notre chair et à notre sang (Hb 2,14). Cependant il ne t'a pas fait naître d'un frère seul, ou d'une mère seule, afin qu'au seul Monogène fût réservé, en perfection le privilège de fils unique: il est en effet Fils unique, lui seul d'un père seul, et seul d'une mère seule.
Saint est l'immortel, l'Esprit de toute sainteté, qui par la rosée de sa divinité t'a gardée indemne du feu divin: car c'est là ce que signifiait par avance le buisson de Moïse.
11 Je te salue, ô Portique des brebis, demeure très sainte de la Mère de Dieu. Je te salue, Portique des brebis, domicile ancestral de la reine, autrefois l'enclos des brebis de Joachim, devenu aujourd'hui l'Eglise du troupeau spirituel du Christ, cette imitation du ciel. Jadis tu recevais une fois par an l'ange de Dieu, qui agitait les eaux et rendait la santé à un seul homme en le délivrant du mal qui le paralysait (Jn 5,4). Aujourd'hui tu as ici des multitudes de puissances célestes qui célèbrent avec nous la Mère de Dieu, l'abîme des merveilles, la source de l'universelle guérison. Tu as reçu, non un ange serviteur (Hb 1,14), mais " l'Ange du grand conseil ", descendu sans bruit sur la toison comme une pluie de bonté (Is 9,5 Ps 72,6), celui qui a rétabli la nature entière, malade et penchant vers sa perte, dans une santé inaltérable et une vie sans vieillesse: par lui, le paralytique qui gisait en toi a bondi comme un cerf (Is 35,6 Ac 3,7) ). Je te salue, précieux Portique des brebis, que se multiplie ta grâce!
Je te salue, ô Marie, fille très douce, d'Anne. Vers toi de nouveau l'amour m'attire. Comment dépeindre ta démarche pleine de gravité, ton vêtement? Et la grâce de ton visage? La maturité du jugement dans un corps juvénile? Ta tenue fut modeste, éloignée de tout luxe et de toute mollesse; ta démarche grave, sans précipitation, exempte de toute indolence: ton caractère sérieux, tempéré d'enjouement, d'une parfaite réserve à l'égard des hommes: témoin le trouble qui te saisit aux propos inattendus de l'ange. A tes parents docile et obéissante, tu avais d'humbles sentiments dans les contemplations les plus hautes, une parole aimable, venant d'une âme paisible. En résumé quoi d'autre en toi, que la digne demeure de Dieu? Avec raison toutes les générations te proclament bienheureuse, toi la gloire insigne de l'humanité. Tu es l'honneur du sacerdoce, l'espoir des chrétiens, la plante féconde de la virginité, car c'est par toi que le renom de la virginité s'est étendu au loin. "Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni. " Ceux qui confessent ta maternité divine sont bénis, et maudits ceux qui la nient.
12 Joachim et Anne, couple béni, recevez de moi ce discours d'anniversaire. Fille de Joachim et d'Anne, ô Souveraine, accueille la parole d'un serviteur pécheur, mais que l'amour enflamme, pour qui tu es le seul espoir de joie, la protectrice de la vie, et, auprès de ton Fils, la réconciliatrice et la garantie ferme du salut. Puisses-tu écarter le fardeau de mes péchés, dissiper le nuage qui obscurcit mon esprit et la lourdeur qui m'attache à la matière.
Puisses-tu arrêter les tentations, gouverner heureusement ma vie et me conduire par la main jusqu'à la béatitude d'en haut. Accorde au monde la paix, et à tous les habitants orthodoxes de cette cité, une joie parfaite et le salut éternel, par les prières de tes parents et de tout le corps de l'Église. Ainsi soit-il ! Ainsi soit-il ! " Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi; tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ", Jésus-Christ, le Fils de Dieu. A lui la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans toute l'infinité des siècles.
Amen.
Damascène, Nativité