Pie XII 1958 - LETTRE AU PREMIER CONGRÈS DES ÉTATS DE PERFECTION DU PORTUGAL
(6 avril 1958) 1
Chaque année, le jour de Pâques, le Souverain Pontife adresse à Rome et au monde un bref radiomessage.
Voici, traduit de l'italien, celui de cette année :
Poussés par une soif ardente de la lumière surnaturelle, chers fils et filles de Rome et du monde, vous vous trouvez présents de corps ou d'esprit, en ce lieu où la solennité des rites semble ranimer avec plus de splendeur l'éclat de la Résurrection, afin de puiser dans le Christ, source de vérité et de vie, les flots réconfortants de sa lumière et de sa grâce. Le Christ est Celui qui, après avoir vaincu les ténèbres de la mort, resplendit comme un astre serein sur l'humanité entière : « Lui qui, remonté des enfers, brilla sur le genre humain d'une lumière sereine » 2.
Pâques, four de lumière éclatante et joyeuse.
1 D'après le texte italien des A. A. S., 50, 1958, p. 261 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du ix avril 1958.
2 Praecon. Pasch.
La Pâque chrétienne répand pour toujours la lumière depuis que l'aube bienheureuse, promise et attendue durant de longs siècles, vit la nuit de la passion se transformer en lumière éclatante et joyeuse quand le Christ, ayant détruit les liens de la mort, sortit du tombeau en Roi victorieux pour commencer une vie nouvelle et glorieuse, délivrant ainsi la race humaine des ténèbres de l'erreur et des entraves du péché. Depuis ce jour de gloire pour le Christ et de libération pour les hommes, les âmes et les peuples n'ont plus cessé d'accourir vers Celui qui, par sa résurrection, a confirmé d'un sceau divin la vérité de sa parole :
« Je suis la lumière du monde ; qui me suit, ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8,12). De partout se dirigent vers lui, assoiffés et confiants, tous ceux qui aiment et croient à la lumière ; ceux qui sentent peser sur leur esprit l'angoisse du doute et de l'incertitude, ceux qui sont fatigués d'errer sans fin entre des doctrines contraires, ceux qui se perdent dans les ombres vaines du siècle, ceux qui souffrent de leurs propres fautes et de celles d'autrui. Pour tous ceux qui, comme vous, ont ouvert leur esprit et leur cceur à la lumière divine du Christ, s'est renouvelé le prodige de la résurrection à une vie nouvelle, dans la joie et la paix intime. L'alléluia que l'Eglise chante aujourd'hui en tout lieu de la terre et auquel vous vous associez dans l'exultation, est la preuve vivante que le Christ est encore maintenant la « lumière du monde » et le restera jusqu'à la consommation des siècles : lumière de vérité, d'unité, de vie pour les générations humaines.
Le Christ, vraie lumière du monde et pour le monde.
Comme à l'aube de la création, la lumière, jaillie d'abord des mains de l'Ordonnateur tout-puissant d'un cosmos encore informe, chaotique et ténébreux (Gn 1,2-3), fut placée pour ainsi dire au seuil de tout ordre et de toute beauté, à l'origine de tout développement et de toute vie, ainsi dans l'oeuvre de restauration, comparée par l'Apôtre à une nouvelle création (Ga 6,15 2Co 5,17), la lumière du Christ est l'élément premier, fécond, indispensable de l'ordre nouveau rétabli par le Fils de Dieu. Cela signifie que l'homme n'atteindra sa perfection personnelle que par le Christ et dans le Christ ; par Lui, ses oeuvres seront pleines de vie, ses rapports avec ses semblables et avec les choses seront ordonnés, ses aspirations légitimes satisfaites ; en un mot, c'est par le Christ et dans le Christ que l'homme aura la plénitude et la perfection de la vie, avant même que surgissent, sur les horizons éternels, un ciel nouveau et une terre nouvelle (Ap 16,1). Le même Verbe de Dieu qui présida à la création de toutes les choses visibles et invisibles s'est incarné, pour mener à terme l'oeuvre entreprise au commencement des temps, de sorte que, comme « rien ne fut fait sans Lui » et « qu'en Lui était la vie, et la vie était la lumière » (Jn 1,3-4), ainsi il ne peut y avoir de vérité, de bonté, d'harmonie et de vie, qui n'aboutissent au Christ, maître,
soutien et exemple des hommes. Oh ! s'ils reconnaissaient la réalité de la parole du Christ : « Je suis la lumière du monde », s'ils en acceptaient toute l'étendue sans barrières ni limites, s'ils exposaient leur esprit et leur cceur à ses rayons divins, quelle vie intense, que de sérénité et d'espérance fleuriraient dans cette vallée ! Au contraire, si des tragédies intimes déchirent les esprits, si le scepticisme et le vide dessèchent tant de coeurs, si le mensonge devient une arme de lutte, si la haine fait rage entre les classes sociales et entre les peuples, si les guerres et les révoltes se succèdent d'un méridien à l'autre, si des crimes se perpètrent, si l'on opprime des faibles et enchaîne des innocents, si les lois ne suffisent pas, si les chemins de la paix sont impraticables, si en un mot, cette vallée est encore sillonnée de fleuves de larmes, malgré les merveilles réalisées par l'homme moderne, savant et cultivé, c'est le signe que quelque chose est soustrait à la lumière éclairante et fécondante de Dieu. Que l'éclat de la Résurrection soit donc pour les hommes une invitation à rendre à la lumière vivifiante du Christ, le conformant à ses enseignements et à ses desseins, le monde et tout ce qu'il contient : âmes et corps, peuples et civilisations, ses structures, ses lois, ses projets. Qu'ils n'en soient empêchés ni par l'orgueil insensé, ni par la crainte vaine de voir diminuée leur liberté ou l'autonomie de leur action s'ils se laissent inspirer par le Christ. Dieu, qui depuis les origines a commandé à l'homme de soumettre la terre et d'y travailler (Gn 1,28 m, Gn 23), ne retire pas sa parole, et n'entend pas se substituer à l'homme mais le guider et le soutenir afin que ses desseins s'accomplissent à la perfection, puisque ni Dieu ni l'homme ne seraient satisfaits de la simple existence du monde, mais seulement de le voir dans une vie en progrès constant vers la plénitude de la vérité, de la justice, de la paix.
Eglise, dispensatrice de la lumière du Christ.
Mais où les hommes trouveront-ils de façon concrète et avec certitude la lumière du Christ ? Par quel intermédiaire visible celle-ci deviendra-t-elle clarté pour des yeux mortels, règle pratique d'action et source immédiate d'ceuvres fécondes ? Vous le savez, chers fils : la lumière du Christ a été confiée à l'Eglise fondée par Lui, assistée par Lui et donc en un sens vrai « lumen de lumine », « lumière venant de la lumière », réalité visible et durable, à la fois humaine et divine, temporelle et éternelle. A cette « cité située sur la montagne » (Mt 5,14), le Christ a confié « la parole éprouvée des prophètes, que vous faites bien de regarder comme une lampe qui brille dans un lieu obscur » (II Pierre, 1, 19). Fixez donc vos regards sur elle, avec la sincérité et le sage discernement des fils de la lumière, et non pas avec la complaisance malsaine des fils des ténèbres, qui préfèrent, à leur propre détriment, s'arrêter sur les ombres inévitables qui accompagnent toute réalité, ne fût-elle humaine qu'en partie. L'ombre de l'homme, loin d'éteindre la lumière de Dieu, la met davantage en évidence. C'est une lumière de Dieu allumée sur le monde que la vigilance attentive de l'Eglise sur les doctrines et son assiduité à répandre et à défendre la vérité, sa prudence sans hâte à l'égard des nouveautés et des révolutions, son impartialité dans les contestations entre classes et entre nations, son inflexibilité à défendre les droits de chacun, son intrépidité en face des ennemis de Dieu et de la société. Que chacun de vous se demande : qu'en serait-il à présent du monde, si une telle lumière avait manqué ? Pourrait-il donc se vanter de cet ensemble de conquêtes matérielles et morales désignées sous le nom de civilisation ? Est-ce que subsisterait dans les consciences le sens si largement répandu de la justice, de la vraie liberté, de la responsabilité, qui anime la majorité des peuples et des gouvernements ? Que dire encore de la conscience de l'unité de la famille humaine qui progresse de façon consolante dans les esprits et dans les réalisations concrètes ? Qui, sinon le Christ, peut rassembler et fondre dans un seul élan de fraternité des hommes si divers de races, de langues, de coutumes, vous tous qui Nous écoutez tandis que Nous vous parlons en son nom et par son autorité ? Il est vraiment Celui qui, ayant triomphé des ténèbres de la mort, resplendit comme un astre serein sur toute l'humanité.
Les chrétiens et la paix du monde.
Mais sur l'immense famille des croyants, sur vous qui vous glorifiez de porter son nom, le Christ resplendit d'une façon toute particulière au point de vous rendre participants de ses prérogatives divines. Aux foules qui l'entouraient, Il a dit : «Vous êtes la lumière du monde» (Mt 5,14). La mission que le Christ confie à ses disciples — et qui est identiquement la sienne — ne constitue pas seulement un haut titre d'honneur ; elle impose aussi de graves responsabilités d'action. « Qu'ainsi votre lumière brille devant les hommes — ajoutait-il — afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (ib. 16). Mais quelle « bonne oeuvre » plus utile au monde peut accomplir à l'heure actuelle la chrétienté entière, si ce n'est de promouvoir de toutes ses forces le ferme rétablissement de la juste paix ? Individus et peuples, nations et états, institutions et groupes sont invités par le Roi de la Paix à insister avec confiance dans cette oeuvre difficile et urgente pour la gloire de Dieu. Il faudra lui consacrer toutes les importantes ressources d'intelligence, de prudence, et quand cela sera nécessaire, d'inébranlable fermeté dont dispose le monde chrétien, appuyé par tous ceux, en dehors de lui, qui aiment loyalement la paix.
Vouloir sincèrement la paix, être prêt à accomplir tous les renoncements raisonnables qu'elle exige, discuter honnêtement ses problèmes, tout cela devrait dissiper sans difficulté les ombres de la méfiance ; mais si — ce qu'à Dieu ne plaise ! — il ne devait pas en être ainsi, on saurait où trouver finalement les responsabilités des discordes présentes. Soyez donc lumière de paix en ce monde enténébré et Dieu sera avec vous en toute circonstance.
Voilà, chers fils et filles de Rome, d'Italie et du monde, le Message que vous apporte la présente fête de Pâques : croyez en la lumière du Christ et de l'Eglise, aimez et défendez éner-giquement ces dons suprêmes que Dieu a faits au monde. Nous vous répétons, avec des accents empruntés à des siècles anciens, mais avec l'insistance que réclame l'incertitude présente : « Aimez cette lumière, aspirez à la saisir, ayez-en soif, afin de parvenir à la lumière par la lumière, y vivant de manière à ne plus jamais retomber dans la mort. »
Car, Seigneur, « en Toi est la source de la vie, et dans Ta lumière nous verrons l'éternelle splendeur » 3. Ainsi soit-il !
Cf. S. Augustin, Tract. 34 in Ioann., n. 3-4 - Migne P. L., t. 35. 1652-1653.
(10 avril 1958) 1
Recevant en audience spéciale les membres du XIIIe Congrès international de psychologie appliquée, le Souverain Pontife a prononcé en français l'important discours suivant :
Venus du monde entier pour participer en nombre imposant au XIIIe Congrès de l'Association internationale de Psychologie appliquée, vous avez désiré, Messieurs, pouvoir en cette occasion Nous rendre visite. Nous sommes heureux de vous accueillir ici et, de tout cceur, Nous souhaitons la bienvenue à chacun d'entre vous.
Le sujet, qui vous intéresse et d'où le présent Congrès tire son nom, est la psychologie appliquée ; mais, sans limiter vos investigations aux seules applications pratiques, vous prenez aussi très largement en considération des questions, qui relèvent de la psychologie théorique. Ainsi qu'on le constate dans la documentation abondante, que vous Nous avez communiquée, des quatre sections entre lesquelles sont répartis vos travaux, psychologie appliquée au travail et à l'orientation professionnelle, psychologie médicale, psychologie scolaire, psychologie criminelle, judiciaire et pénitentiaire, chacune aborde maintes fois les questions de déontologie impliquées dans ses matières.
Vous avez relevé aussi qu'il existe à ce propos, parmi les psychologues et les théologiens, certaines divergences de vues, qui entraînent dans les idées et dans l'action des incertitudes regrettables, et vous Nous avez prié d'y apporter dans la mesure du possible quelques éclaircissements. Deux points surtout Nous ont été signalés : l'utilisation largement répandue de certains tests 2, au moyen desquels on va jusqu'à fouiller sans scrupule les profondeurs intimes de l'âme ; puis le problème connexe, mais plus large, de la responsabilité morale du psychologue, celui de l'étendue et des limites de ses droits et de ses devoirs dans l'emploi des méthodes scientifiques, qu'il s'agisse de recherches théoriques ou d'applications pratiques.
2 Le test se définit comme une expérience diagnostique qui a pour but de mettre en lumière, aussi objectivement et exactement que possible, les caractères' distinctifs du psychisme d'une personnalité, ou même seulement quelques-unes de ses particularités.
Nous aborderons ces deux points dans Notre exposé, mais en les encadrant dans une synthèse plus large : l'aspect religieux et moral de la personnalité humaine, objet de la psychologie. Nous considérerons successivement :
1. — la définition de la personnalité humaine au point de vue psychologique et moral ;
2. — les obligations morales du psychologue à l'égard de la personnalité humaine ;
3. — les principes moraux fondamentaux concernant la personnalité humaine en psychologie.
1. Le terme de « personnalité », se rencontre aujourd'hui presque partout, mais avec des sens divers. A vrai dire, il suffit de parcourir l'abondante bibliographie du sujet, pour se rendre compte que beaucoup de notions touchant à la structure psychique de l'homme sont exprimées en termes techniques, qui conservent partout le même sens fondamental ; cependant plusieurs éléments du psychisme humain restent encore mal précisés et n'ont pas encore trouvé une définition adéquate. Le terme de « personnalité » est de ce nombre, en psychologie scientifique, comme en psychologie appliquée. Il importe donc de préciser comment Nous l'entendrons. Bien que Nous envisagions surtout les aspects moraux et religieux, alors que vous vous arrêtez principalement à l'aspect psychologique, Nous ne pensons pas que ces points de vue différents doivent entraîner des oppositions ou des contradictions, aussi longtemps qu'ils restent objectifs et s'efforcent d'adhérer aux faits.
Nous définissons la personnalité comme « l'unité psychosomatique de l'homme, en tant que déterminée et gouvernée par l'âme ».
2. Cette définition parle d'abord de la personnalité comme une « unité », parce qu'elle la considère comme un tout, dont les parties, bien que conservant leurs caractères spécifiques, ne sont point séparées, mais reliées organiquement entre elles. C'est pourquoi la psychologie peut considérer aussi bien les facultés psychiques et leurs fonctions séparément, dans leur structure propre et leurs lois immanentes, que dans leur totalité organique.
La définition caractérise ensuite cette unité comme « psychosomatique ». Les points de vue du théologien et du psychologue se rencontrent ici sur bien des points. Les ouvrages techniques de psychologie s'attardent en effet à considérer, jusque dans le détail, l'influence du corps sur l'esprit, auquel il fournit un apport continu d'énergies par ses processus vitaux ; ils étudient d'autre part, celle de l'esprit sur le corps ; et s'efforcent de déterminer scientifiquement les modalités du gouvernement des tendances psychiques par l'âme spirituelle et d'en tirer des applications pratiques.
La définition dit ensuite que l'unité psycho-somatique de l'homme est « déterminée et gouvernée par l'âme ». L'individu, en tant qu'unité et totalité indivisible, constitue un centre unique et universel de l'être et de l'action, un « moi » qui se possède et dispose de lui-même. Ce « moi » est le même pour toutes les fonctions psychiques, et reste le même malgré l'écoulement du temps. L'universalité du « moi » en étendue et en durée s'applique en particulier au lien causal, qui le relie à ses activités spirituelles. Ce « moi » universel et permanent prend, sous l'influence de causes internes ou externes, consciemment perçue ou implicitement acceptée, mais toujours par une libre décision, une attitude déterminée et un caractère permanent, tant en son être intérieur, que dans son comportement extérieur. Comme cette marque propre de la personnalité provient en dernier ressort de l'âme spirituelle, on la définit comme « déterminée par l'âme », et puisqu'il ne s'agit pas d'un processus occasionnel, mais continu, on ajoute « gouvernée par l'âme ». Il peut se faire que certains traits d'un caractère acquièrent un relief plus accusé et qu'on désigne cette dominante du terme de « personnalité », mais l'existence de telles dominantes n'est pas requise pour qu'on puisse parler d'une personnalité au sens de la définition.
La personnalité peut être considérée, soit comme un simple fait, soit à la lumière des valeurs morales, qui doivent la gouverner. On sait qu'il existe des personnalités de valeur et d'autres insignifiantes, d'aucunes sont troubles, vicieuses ou dépravées, d'autres épanouies, droites, honnêtes. Mais les unes comme les autres portent ces caractères, parce qu'elles se sont donné, par leur libre décision, telle ou telle orientation spirituelle. Ni la psychologie ni la morale ne négligeront ce fait, même si toutes deux considèrent de préférence l'idéal, auquel la personnalité tend.
3. Puisque l'aspect moral et religieux coïncide pour une large part avec le précédent, il Nous suffira d'ajouter quelques indications. La métaphysique considère l'homme comme un être doué d'intelligence et de liberté, dans lequel le corps et l'âme sont unis en une seule nature possédant une existence indépendante. En termes techniques, on parlerait de « rationalis naturae substantia » 3. En ce sens, l'homme est toujours une personne, un « individu » distinct de tous les autres, un « moi » du premier au dernier instant de sa vie, même quand il n'en a pas conscience. On trouve donc une certaine différence entre ce point de vue et les expressions de la psychologie, mais toutefois sans qu'il y ait de contradiction insoluble.
3 Cf. S. Thomas, I 29,1.
Les traits les plus importants de la personnalité au point de vue moral et religieux sont les suivants :
a) L'homme est tout entier l'oeuvre du Créateur. Même si la psychologie n'en tient pas compte dans ses recherches, dans ses expériences et ses applications cliniques, c'est toujours sur l'oeuvre du Créateur qu'elle travaille ; par ailleurs cette considération est essentielle au point de vue moral et religieux, mais aussi longtemps que le théologien et le psychologue restent objectifs, il n'y a pas à craindre de conflit, et tous deux peuvent aller de l'avant dans leur domaine propre et selon les principes de leur science.
Quand on considère l'homme comme oeuvre de Dieu, on y découvre deux caractéristiques importantes pour le développement et la valeur de la personnalité chrétienne : sa ressemblance à Dieu, procédant de l'acte créateur, et sa filiation divine dans le Christ, manifestée par la Révélation. La personnalité chrétienne en effet devient incompréhensible, si l'on néglige ces données, et la psychologie, surtout appliquée, s'expose elle aussi à des incompréhensions et à des erreurs, si elle les ignore. Car il s'agit bien de faits réels et non point imaginés ou supposés. Que ces faits soient connus par révélation n'enlève rien à leur authenticité, car la révélation met l'homme en demeure de dépasser les bornes d'une intelligence limitée, pour se laisser prendre par l'intelligence infinie de Dieu.
b) La considération de la finalité est également essentielle au point de vue moral et religieux. L'homme a la possibilité et l'obligation de perfectionner sa nature, non comme il l'entend, mais selon le plan divin. Pour achever l'image de Dieu dans sa personnalité, il doit non point suivre ses instincts, mais les normes objectives, telles que celles de la déontologie médicale, qui s'imposent à son intelligence et à sa volonté et qui lui sont dictées par sa conscience et par la révélation. La conscience s'éclairera d'ailleurs, en interrogeant les opinions d'autrui et la sagesse traditionnelle de l'humanité. Il y a quelques années, on a rédigé en Amérique un code de déontologie médicale : « Ethical Standards for Psychologists », qui se base sur les réponses de 7.500 membres de l'« American Psychologica! Association » (Washington D. O). Même si ce code contient certaines affirmations discutables, on doit approuver l'idée qui l'inspire : le recours aux personnes sérieuses et compétentes pour découvrir et formuler des normes morales. Quiconque néglige ou méprise les normes de l'ordre moral objectif, n'acquerra qu'une personnalité déformée et imparfaite.
c) Par ailleurs, dire que l'homme est tenu d'observer certaines règles de moralité, c'est le tenir pour responsable, croire qu'il a la possibilité objective et subjective d'agir selon ces règles. Cette affirmation de la responsabilité et de la liberté est également essentielle à la personnalité. On ne peut donc pas, en dépit de certaines positions défendues par quelques psychologues, abandonner les présupposés suivants, sur lesquels d'ailleurs il serait souhaitable qu'on réalise un accord aussi étendu que possible entre les psychologues et les théologiens :
1) un homme quelconque doit être considéré comme normal jusqu'à preuve du contraire ;
2) l'homme normal ne possède pas seulement une liberté théorique, mais il en a réellement aussi l'usage ;
3) l'homme normal, quand il utilise comme il le doit les énergies spirituelles qui sont à sa disposition, est capable de vaincre les difficultés, qui entravent l'observation de la loi morale ;
4) les dispositions psychologiques anormales ne sont pas toujours contraignantes et n'enlèvent pas toujours au sujet toute possibilité d'agir librement ;
5) même les dynamismes de l'inconscient et du subconscient ne sont pas irrésistibles ; il reste possible, dans une large mesure, de les maîtriser, surtout pour le sujet normal ;
6) l'homme normal est donc ordinairement responsable des décisions qu'il prend.
d) Enfin pour comprendre la personnalité, on ne peut faire abstraction de l'aspect eschatologique. Aussi longtemps que l'homme vit sur terre, il peut vouloir le bien comme le mal ; mais, une fois séparée du corps par la mort, l'âme reste fixée dans les dispositions acquises durant la vie. Au point de vue moral et religieux, l'élément décisif dans la structure de la personnalité est précisément l'attitude, qu'elle adopte à l'égard de Dieu, fin dernière qui lui est proposée par sa nature même. Si elle s'est orientée vers lui, elle le restera ; si, au contraire, elle s'en est détournée, elle gardera la disposition qu'elle s'est volontairement donnée. Pour la psychologie, ce dernier épisode du devenir psychique peut ne revêtir qu'un intérêt secondaire. Toutefois, comme elle s'occupe des structures psychiques et des actes qui en procèdent et qui contribuent à l'élaboration finale de la personnalité, le destin de celle-ci ne devrait pas lui rester tout à fait indifférent.
Tels sont les points, que Nous voulions développer au sujet de la personnalité, considérée sous l'angle moral et religieux. Ajoutons-y quelques brèves remarques.
Les ouvrages de votre spécialité traitent aussi des dominantes dans la structure de la personnalité, c'est-à-dire des dispositions qui déterminent l'aspect de son psychisme. De la sorte, vous répartissez les hommes en groupes, selon que dominent chez eux les sens, les instincts, les émotions et affections, le sentiment, la volonté, l'intelligence. Même au point de vue religieux et moral, cette classification n'est pas sans importance, car la réaction des divers groupes aux motifs moraux et religieux est souvent toute différente.
Vos publications traitent souvent aussi la question du caractère. La distinction et le sens des concepts de « caractère » et de « personnalité » n'apparaissent pas partout uniformes. On va même parfois jusqu'à les prendre comme synonymes. Certains tiennent que l'élément principal du caractère est l'attitude que l'homme adopte vis-à-vis de sa responsabilité ; pour d'autres, c'est sa prise de position devant les valeurs. La personnalité de l'homme normal se trouve nécessairement confrontée aux valeurs et aux normes de la vie morale, qui comprend aussi, comme Nous l'avons dit, la déontologie médicale ; ces valeurs ne sont pas de simples indications, mais des directives obligatoires. Il faut prendre position à leur égard, les accepter ou les refuser. Ainsi s'explique qu'un psychologue définisse le caractère comme « la constante relative de la recherche, de l'appréciation, de l'acceptation personnelles des valeurs ». Maints travaux de votre Congrès font allusion à cette définition, ou même la commentent amplement.
Un dernier fait, qui attire l'intérêt commun du psychologue et du théologien, est l'existence de certaines personnalités, dont la seule constante est, pour ainsi dire, l'inconstance. Leur su-perficialité semble invincible, et n'admet comme valeur que l'insouciance ou l'indifférence devant tout ordre de valeurs. Pour le psychologue, comme pour le théologien, ceci ne constitue pas un motif de découragement, mais plutôt un stimulant au travail et l'invitation à une collaboration féconde, afin de former d'authentiques personnalités et de solides caractères pour le bien des individus et des communautés.
Nous en arrivons maintenant aux questions de déontologie médicale, dont vous Nous avez demandé la solution, c'est-à-dire, d'abord à la licéité de certaines techniques et de la manière d'appliquer les tests psychologiques, puis aux principes d'ordre religieux et moral, qui sont fondamentaux pour la personne du psychologue et celle du patient. Remarquons, d'ailleurs, que les questions de déontologie ici traitées concernent aussi quiconque possède l'usage de la raison et, d'une manière générale, quiconque est capable de poser un acte psychique conscient.
Les tests et les autres méthodes d'investigation psychologique ont contribué énormément à la connaissance de la personnalité humaine et lui ont rendu des services signalés. Aussi pourrait-on penser qu'il n'existe en ce domaine aucun problème particulier de morale médicale et qu'on peut tout approuver sans réserves. Personne ne niera en fait que la psychologie moderne, considérée dans son ensemble, mérite l'approbation au point de vue moral et religieux. Cependant, si l'on considère en particulier les buts qu'elle poursuit et les moyens qu'elle met en oeuvre pour les réaliser, on sera amené à faire une distinction. Ses buts, c'est-à-dire, l'étude scientifique de la psychologie humaine et la guérison des maladies du psychisme, n'ont rien que de louable ; mais les moyens utilisés prêtent parfois à des réserves justifiées, comme Nous le signalions plus haut à propos de l'ouvrage paru en Amérique : « Ethical Standards for Psychologists ».
Il n'échappe pas aux meilleurs psychologues que l'emploi le plus habile des méthodes existantes ne réussit pas à pénétrer dans la zone du psychisme, qui constitue, pour ainsi dire, le centre de la personnalité et reste toujours un mystère. Arrivé à ce point, le psychologue ne peut que reconnaître avec modestie les limites de ses possibilités et respecter l'individualité de l'homme, sur lequel il doit porter un jugement ; il devrait s'efforcer d'apercevoir en tout homme le plan divin et aider à le développer dans la mesure du possible. La personnalité humaine, avec ses caractères propres, est en effet la plus noble et la plus étonnante des oeuvres de la création. Or, à qui prend connaissance de vos travaux, il apparaît que certains problèmes moraux se posent ici : Vous révélez en effet plusieurs fois les objections, que soulève la pénétration du psychologue dans l'intime de la personnalité d'autrui. Ainsi, par exemple, l'utilisation de la narcoanalyse, discutée déjà en psychothérapie, est considérée comme illicite dans l'action judiciaire ; de même l'emploi de l'appareil à détecter le mensonge, qu'on appelle « Lie-detector » ou « poligrafo »l. Tel auteur dénonce les conséquences nocives des tensions émotives violentes, provoquées dans un sujet à titre expérimental, mais assure aussi qu'il faut savoir préférer l'intérêt du progrès scientifique à celui de la personne individuelle, qui sert de sujet à l'expérience. Quelques-uns, dans la recherche et le traitement psychiatriques, effectuent des interventions, qui n'ont pas reçu l'accord préalable du patient, ou dont il ne connaissait pas la portée exacte. Aussi la révélation du contenu réel de leur personnalité peut-elle provoquer chez certains des traumatismes sérieux. En bref, on peut dire qu'il faut parfois déplorer l'intrusion injustifiée du psychologue dans la personnalité profonde et les dommages psychiques sérieux, qui en résultent pour le patient, et même pour de tierces personnes. Il arrive qu'on ne s'assure pas de l'entier consentement de l'intéressé et qu'on allègue, pour justifier des procédés contestables, la priorité de la science sur les valeurs morales et sur les intérêts des particuliers (c'est-à-dire, en d'autres termes, celle du bien commun sur le bien particulier).
4 La narco-analyse consiste, à peu près, en une forme spéciale d'interrogatoire sous l'action d'une substance hypnotique (le pentothal sodique connu vulgairement comme le « sérum de vérité ») qui, injecté par voie intraveineuse à doses calculées, favorise la révélation d'attitudes ou de contenus mentaux que le sujet, lorsqu'il est en état de conscience claire, tient cachés intentionnellement ou inconsciemment. Le Lie-detector ou poligrafo est un dispositif qui permet l'enregistrement simultané de manifestations somatiques diverses — et, de leur nature, incontrôlables par le sujet — accompagnant des attitudes émotives qui se produisent sous certaines conditions' en même temps que des mensonges conscients, dont ces manifestations somatiques deviennent donc des indications indirectes, en dehors de toute participation délibérée du sujet examiné. (Cf. Prof. Leandro Canestrelli, Liberia e responsabili nella ricerca psicoïogica, Rome, 1955, PP 8-9.)
Nous allons donc vérifier la valeur des principes, qu'invoquent même de bons psychologues pour justifier certaines manières d'agir contestables.
La morale enseigne que les exigences scientifiques ne justifient pas à elles seules n'importe quelle manière d'utiliser les techniques et les méthodes psychologiques, même par des psychologues sérieux et pour des fins utiles. La raison en est que les personnes intéressées aux processus d'investigation psychologique n'ont pas seulement à tenir compte des lois scientifiques, mais aussi de normes transcendantes. En effet, ce qui est d'abord en question, ce n'est pas la psychologie elle-même et ses progrès possibles, mais la personne humaine qui l'utilise, et celle-ci obéit à des normes supérieures, sociales, morales, religieuses. Il en va de même, d'ailleurs, dans les autres branches de la science ; les mathématiques, par exemple, ou la physique, en elles-mêmes sont étrangères à la morale et échappent donc à ses normes, mais la personne qui s'adonne à leur étude et applique leurs lois ne quitte jamais le plan moral, parce qu'à aucun moment son action libre ne cesse de préparer sa destinée transcendante. La psychologie comme science ne peut donc faire valoir ses exigences que dans la mesure où se trouvent respectées l'échelle des valeurs et les normes supérieures, dont Nous avons parlé, et parmi lesquelles figurent celles du droit, de la justice, de l'équité, le respect de la dignité humaine, la charité ordonnée pour soi-même et autrui. Ces normes n'ont rien de mystérieux, mais apparaissent clairement à toute conscience droite, et sont formulées par la raison naturelle et par la révélation. Dans la mesure où on les observe, rien n'empêche de faire valoir les justes exigences de la science psychologique en faveur des méthodes modernes d'investigation.
Pie XII 1958 - LETTRE AU PREMIER CONGRÈS DES ÉTATS DE PERFECTION DU PORTUGAL