1965 Apostolicam Actuositatem
PAUL, EVEQUE
SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU
EN UNION AVEC LES PERES DU SAINT CONCILE
POUR QUE LE SOUVENIR S'EN MAINTIENNE A JAMAIS
1 Le saint Concile, dans sa volonté de rendre plus intense l'activité apostolique du peuple de Dieu (1), se tourne avec une grande attention vers les chrétiens laïcs, dont il a déjà rappelé en d'autres documents le rôle propre et absolument nécessaire dans la mission de l'Eglise (2). L'apostolat des laïcs, en effet, ne peut jamais manquer à l'Eglise, car il est une conséquence de leur vocation chrétienne. L'Ecriture elle-même montre parfaitement (cf. Ac 11,19-21 Ac 18,26 Rm 16,1-16 Ph 4,3) combien cette activité se manifesta spontanément aux premiers jours de l'Eglise et combien elle fut féconde.
Notre temps n'exige pas un moindre zèle de la part des laïcs ; les circonstances actuelles réclament d'eux au contraire un apostolat toujours plus intense et plus étendu. En effet l'augmentation constante de la population, le progrès des sciences et des techniques, la solidarité étroite entre les hommes ont non seulement élargi à l'infini le champ de l'apostolat des laïcs, en grande partie ouvert à eux seuls, mais ils ont fait surgir de nouveaux problèmes, qui réclament de leur part une vigilance et une recherche toutes particulières. Cet apostolat devient d'autant plus urgent que s'est affirmée, comme c'est normal, l'autonomie de nombreux secteurs de la vie humaine, entraînant parfois un certain délaissement de l'ordre moral et religieux, au grand péril de la vie chrétienne. Il faut ajouter qu'en de nombreuses régions les prêtres sont très peu nombreux ou parfois privés de la liberté indispensable à leur ministère, de sorte que, sans le travail des laïcs, l'Eglise et son action ne pourraient que difficilement être présentes.
Le signe de cette urgente nécessité aux multiples aspects est l'action manifeste du Saint-Esprit qui rend aujourd'hui les laïcs de plus en plus conscients de leur propre responsabilité et les invite partout à servir le Christ et l'Eglise (3).
Dans ce décret le Concile se propose d'éclairer la nature de l'apostolat des laïcs, son caractères et sa variété, d'en énoncer les principes fondamentaux et de donner des directives pastorales pour qu'il s'exerce plus efficacement. La révision du droit canon concernant l'apostolat des laïcs devra prendre pour règle tout ce qui est contenu dans ce décret.
(1) cf. Jean XXIII, const. apost. Humanae Salutis, 25/12/61: AAS 54 (1962), pp.7-10
(2) cf. Conc.Vat.II, Const. dogm. de Ecclesia, LG 33 ss. cf. etiam Const. de Sacra liturgia, SC 26-40. Decr. de instrumentis commun. socialis. Decr. de Oecumenismo. Decr. de pastorali Episcop. munere in Ecclesia, CD 16 CD 17 CD 18. Declar. de educat. christ. GE 3 GE 5 GE 7.
(3) cf. Pie XII, alloc. aux Cardin. 18/02/46: AAS 38 (1946) pp.101-102. Idem, sermon aux jeunes operarios catholi. 25/08:57: AAS 49 (1957), p. 843.
2 L'Eglise est faite pour étendre le règne du Christ à toute la terre, pour la gloire de Dieu le Père ; elle fait ainsi participer tous les hommes à la rédemption et au salut (1) ; par eux elle ordonne en vérité le monde entier au Christ. On appelle apostolat toute activité du Corps mystique qui tend vers ce but: l'Eglise l'exerce par tous ses membres, toutefois de diverses manières. En effet, la vocation chrétienne est aussi par nature vocation à l'apostolat. Dans l'organisme d'un corps vivant aucun membre ne se comporte de manière purement passive, mais participe à la vie et à l'activité générale du corps, ainsi dans le Corps du Christ qui est l'Eglise, "tout le corps opère sa croissance selon le rôle de chaque partie" (Ep 4,16). Bien plus, les membres de ce corps sont tellement unis et solidaires (cf. Ep 4,16) qu'un membre qui ne travaille pas selon ses possibilités à la croissance du corps doit être réputé inutile à l'Eglise et à lui-même.
Il y a dans l'Eglise diversité de ministères, mais unité de mission. Le Christ a confié aux apôtres et à leurs successeurs la charge d'enseigner, de sanctifier et de gouverner en son nom et par son pouvoir. Mais les laïcs rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument, dans l'Eglise et dans le monde, leur part dans ce qui est la mission du peuple de Dieu tout entier (2). Ils exercent concrètement leur apostolat en se dépensant à l'évangélisation et à la sanctification des hommes ; il en est de même quand ils s'efforcent de pénétrer l'ordre temporel d'esprit évangélique et travaillent à son progrès de telle manière que, en ce domaine, leur action rende clairement témoignage au Christ et serve au salut des hommes. Le propre de l'état des laïcs étant de mener leur vie au milieu du du monde et des affaires profanes, ils sont appelés par Dieu à exercer leur apostolat dans le monde à la manière d'un ferment, grâce à la vigueur de leur esprit chrétien.
(1) cf. Pie XI, encyc. Rerum Ecclesiae: AAS 18 (1926), p.65.
(2) cf. Conc. Vat.II, const. dogm. de Ecclesia, LG 31.
3 Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d'être apôtres. Insérés qu'ils sont par le baptême dans le Corps mystique du Christ, fortifiés grâce à la confirmation par la puissance du Saint-Esprit, c'est le Seigneur lui-même qui les députe à l'apostolat. S'ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte (cf. 1P 2,4-10), c'est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre. Les sacrements et surtout la sainte Eucharistie leur communiquent et nourrissent en eux cette charité qui est comme l'âme de tout apostolat (3).
L'apostolat se vit dans la foi, l'espérance et la charité que le Saint-Esprit répand dans les coeurs de tous les membres de l'Eglise. Bien plus, le précepte de la charité, qui est le plus grand commandement du Seigneur, presse tous les chrétiens de travailler à la gloire de Dieu par la venue de son règne et à la communication de la vie éternelle à tous les hommes: "Qu'ils connaissent le seul vrai Dieu et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ" (cf. Jn 17,3).
A tous les chrétiens donc incombe la très belle tâche de travailler sans cesse pour faire connaître et accepter le message divin du salut par tous les hommes sur toute la terre.
Pour l'exercice de cet apostolat, le Saint-Esprit qui sanctifie le peuple de Dieu par les sacrements et le ministère accorde en outre aux fidèles des dons particuliers (cf. 1Co 12,7), les "répartissant à chacun comme il l'entend" (cf. 1Co 12,11) pour que tous et "chacun selon la grâce reçue se mettant au service des autres" soient eux-mêmes "comme de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu" (1P 4,10), en vue de l'édification du Corps tout entier dans la charité (cf. Ep 4,16). De la réception de ces charismes, même les plus simples, résulte pour chacun des croyants le droit et le devoir d'exercer ces dons dans l'Eglise et dans le monde, pour le bien des hommes et l'édification de l'Eglise, dans la liberté du Saint-Esprit qui "souffle où il veut" (Jn 3,8), de même qu'en communion avec ses frères dans le Christ et très particulièrement avec ses pasteurs. C'est à eux qu'il appartient de porter un jugement sur l'authenticité et le bon usage de ces dons, non pas pour éteindre l'Esprit, mais pour éprouver tout et retenir ce qui est bon (cf. 1Th 5,12 1Th 5,19 1Th 5,21) (4).
(3) cf. Conc. Vat.II, Const. dogm.de Ecclesia, LG 33, cf. etiam LG 10.
(4) cf. ibid, LG 8 LG 12.
4 Le Christ envoyé par le Père étant la source et l'origine de tout l'apostolat de l'Eglise, il est évident que la fécondité de l'apostolat des laïcs dépend de leur union vitale avec le Christ, selon cette parole du Seigneur: "Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruits. Car sans moi vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,5). Cette vie d'intime union avec le Christ dans l'Eglise est alimentée par des nourritures spirituelles communes à tous les fidèles, en particulier par la participation active à la sainte liturgie (5). Les laïcs doivent les employer de telle sorte que, remplissant parfaitement les obligations du monde dans les conditions ordinaires de l'existence, ils ne séparent pas l'union du Christ et leur vie, mais grandissent dans cette union en accomplissant leurs travaux selon la volonté de Dieu. De cette manière les laïcs progresseront en sainteté avec ardeur et joie, s'efforçant de surmonter les difficultés inévitables avec prudence et patience (6). Ni le soin de leur famille ni les affaires temporelles ne doivent être étrangers à leur spiritualité, selon ce mot de l'Apôtre: "Tout ce que vous faites, en paroles ou en oeuvres, faites-le au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père" (Col 3,17).
Une telle vie exige un continuel exercice de la foi, de l'espérance et de la charité.
Seules la lumière de la foi et la méditation de la Parole de Dieu peuvent permettre toujours et partout de reconnaître Dieu "en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être" (Ac 17,28) ; c'est ainsi seulement qu'on pourra chercher en tout sa volonté, discerner le Christ dans tous les hommes, proches ou étrangers, juger sainement du vrai sens et de la valeur des réalités temporelles, en elles-mêmes et par rapport à la fin de l'homme.
Ceux qui ont cette foi vivent dans l'espérance de la révélation des fils de Dieu se souvenant de la croix et de la résurrection du Seigneur.
Dans le pèlerinage qu'est cette vie, cachés en Dieu avec le Christ, délivrés de la servitude des richesses, à la recherche des biens qui demeurent éternellement, ils mettent généreusement en oeuvre toutes leurs forces pour étendre le règne de Dieu, animer et parfaire les réalités temporelles selon l'esprit chrétien. Dans les difficultés de l'existence, ils puisent le courage dans l'espérance, estimant que "les souffrances de cette vie ne sont proportionnées à la gloire future qui doit se révéler en nous" (Rm 8,18).
Poussés par la charité qui vient de Dieu, ils pratiquent le bien à l'égard de tous, surtout de leurs frères dans la foi (cf. Ga 6,10), rejetant "toute malice, toute fraude, hypocrisie, envie, toute médisance" (1P 2,1), entraînant ainsi les hommes vers le Christ. Or, la charité divine, qui "est répandue dans les coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné" (Rm 5,5), rend les laïcs capables d'exprimer concrètement dans leur vie l'esprit des Béatitudes. Suivant Jésus pauvre, ils ne connaissent ni dépression dans la privation, ni orgueil dans l'abondance ; imita,t le Christ humble, ils ne deviennent pas avides d'une vaine gloire (cf. Ga 5,26), mais ils s'efforcent de plaire à Dieu plutôt qu'aux hommes, toujours prêts à tout abandonner pour le Christ (cf. Lc 14,26) et à souffrir persécution pour la justice (cf. Mt 5,10) se souvenant de la parole du Seigneur: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive" (Mt 16,24). Entretenant entre eux une amitié chrétienne, ils se prêtent un mutuel appui en toutes nécessités.
Cette spiritualité des laïcs doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun: vie conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie, activité professionnelle et sociale. Chacun doit donc développer sans cesse les qualités et les dons reçus et en particulier ceux qui sont adaptés à ses conditions de vie et se servir des dons personnels de l'Esprit-Saint.
Enfin les laïcs qui selon leur vocation particulière se sont agrégés à des associations ou instituts approuvés par l'Eglise doivent s'efforcer de toujours mieux réaliser les caractères de la spiritualité qui leur est propre.
Qu'ils estiment beaucoup la compétence professionnelle, le sens familial et civique, et les vertus qui regardent la vie sociale telles que la probité, l'esprit de justice, la sincérité, la délicatesse, la force d'âme: sans elles il n'y a pas de vraie vie chrétienne.
La Bienheureuse Vierge Marie, Reine des Apôtres, est l'exemple parfait de cette vie semblable à celle de tous, remplie par les soins et les labeurs familiaux, Marie demeurait toujours intimement unie à son Fils et coopérait à l'oeuvre du Sauveur à un titre absolument unique. Aujourd'hui où elle est au ciel, "son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n'est pas achevé, et qui se trouvent engagés dans les peines et les épreuves jusqu'à ce qu'ils parviennent à la patrie bienheureuse" (7). Tous doivent avoir envers elle une vraie dévotion et confier leur vie et leur apostolat à sa sollicitude maternelle.
(5) cf. Conc. Vat. II, Const. de Sacra Liturgia, SC 11.
(6) cf. " " " Const. dogm. de Ecclesia, LG 32 ; cf. etiam LG 40-41.
(7) ibid. LG 62 ; cf. etiam LG 65.
5 L'oeuvre de rédemption du Christ, qui concerne essentiellement le salut des hommes, embrasse aussi le renouvellement de tout l'ordre temporel. La mission de l'Eglise, par conséquent, n'est pas seulement d'apporter aux hommes le message du Christ et sa grâce, mais aussi de pénétrer et de parfaire par l'esprit évangélique l'ordre temporel. Les fidèles laïcs accomplissant cette mission de l'Eglise, exercent donc leur apostolat aussi bien dans l'Eglise que dans le monde, dans l'ordre spirituel que dans l'ordre temporel. Bien que ces ordres soient distincts, ils sont; liés dans l'unique dessein divin ; aussi Dieu lui-même veut-il, dans le Christ, réassumer le monde tout entier, pour en faire une nouvelle créature en commençant dès cette terre et en lui donnant sa plénitude au dernier jour. Le laïc, qui est tout ensemble membre du peuple de Dieu et de la cité des hommes n'a qu'une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse dans les deux domaines.
6 La mission de l'Eglise concerne le salut des hommes, qui s'obtient par la foi au Christ et par sa grâce. Par son apostolat l'Eglise et tous ses membres doivent donc d'abord annoncer au monde le message du Christ par leurs paroles et leurs actes et lui communiquer sa grâce. Cela s'accomplit principalement par le ministère de la parole et des sacrements. Confié spécialement au clergé, il comporte pour des laïcs un rôle propre de grande importance, qui fait d'eux les "coopérateurs de la vérité" (3Jn 8). Dans ce domaine surtout l'apostolat des laïcs et le ministère pastoral se complètent mutuellement.
Les laïcs ont d'innombrables occasions d'exercer l'apostolat d'évangélisation et de sanctification. Le témoignage même de la vie chrétienne et les oeuvres accomplies dans un esprit surnaturel sont puissants pour attirer les hommes à la foi et à Dieu ; le Seigneur dit en effet: "Que votre lumière brille devant les hommes pour qu'ils voient vos oeuvres bonnes et glorifient votre Père qui est aux cieux" (Mt 5,16).
Cet apostolat cependant ne consiste pas dans le seul témoignage de la vie ; le véritable apôtre cherche les occasions d'annoncer le Christ par la parole, soit aux incroyants pour les aider à cheminer vers la foi, soit aux fidèles pour les instruire, les fortifier, les inciter à une vie plus fervente, "car la charité du Christ nous presse" (2Co 5,14). C'est dans les coeurs de tous que doivent résonner ces paroles de l'Apôtre: "Malheur à moi si je n'évangélise pas" (1Co 9,16) (1).
A une époque où se posent des questions nouvelles et où se répandent de très graves erreurs tendant à ruiner radicalement la religion, l'ordre moral et la société humaine elle-même, le Concile exhorte instamment les laïcs, chacun suivant ses talents et sa formation doctrinale, à prendre une part plus active selon l'esprit de l'Eglise, dans l'approfondissement et la défense des principes chrétiens comme dans leur application adaptée aux problèmes de notre temps.
(1) cf. Pie XI, Ubi arcano, 23/2/22: AAS 14 (1922), p.659. Pie XII, encycl. Summi Pontific. 20/10/39:AAS 31 (1939), pp.42-443.
7 Tel est le dessein de Dieu sur le monde: que les hommes, d'un commun accord, construisent l'ordre des réalités temporelles et le rendent sans cesse plus parfait.
Tout ce qui compose l'ordre temporel: les biens de la vie et de la famille, la culture, les réalités économiques, les métiers et les professions, les institutions de la communauté politique, les relations internationales et les autres réalités du même genre, leur évolution et leur progrès, n'ont pas seulement valeur de moyen par rapport à la fin dernière de l'homme. Ils possèdent une valeur propre, mise en eux par Dieu lui-même, soit qu'on regarde chacun d'entre eux, soit qu'on les considère comme parties de l'ensemble de l'univers temporel: "Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon" (Gn 1,31). Cette bonté naturelle qui est leur reçoit une dignité particulière en raison de leur relation avec la personne humaine au service de laquelle ils ont été créés. Enfin il a plu à Dieu de rassembler toutes les réalités, aussi bien naturelles que surnaturelles, en un seul tout dans le Christ "pour que celui-ci ait la primauté en tout" (Col 1,18). Cette destination, loin de priver l'ordre naturel de son autonomie, de ses fins, de ses lois propres, de ses moyens, de son importance pour le bien des hommes, rend au contraire plus parfaites sa force et sa valeur propre ; elle le hausse en même temps au niveau de la vocation intégrale de l'homme ici-bas.
Au cours de l'histoire, l'usage des choses temporelles a été souillé par de graves aberrations. Atteints par la faute originelle, les hommes sont tombés souvent en de nombreuses erreurs sur le vrai Dieu, la nature humaine et les principes de la loi morale: alors les moeurs et les institutions humaines s'en sont trouvées corrompues, la personne humaine elle-même bien souvent méprisée. De nos jours encore certains, se fiant plus que de raison aux progrès de la science et de la technique, sont enclins à une sorte d'idolâtrie des choses temporelles: ils en deviennent les esclaves plutôt que les maîtres.
C'est le travail de toute l'Eglise de rendre les hommes capables de bien construire l'ordre temporel et de l'orienter vers Dieu par le Christ. Il revient aux pasteurs d'énoncer clairement les principes concernant la fin de la création et l'usage du monde et d'apporter une aide morale et spirituelle pour que les réalités temporelles soient renouvelées dans le Christ.
Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l'ordre temporel. Eclairés par la lumière de l'Evangile, conduits par l'esprit de l'Eglise, entraînés par la charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d'une manière bien déterminée. Membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice du Royaume de Dieu. L'ordre temporel est à renouveler de telle manière que, dans le respect de ses lois propres et en conformité avec elles, il devienne plus conforme aux principes supérieurs de la vie chrétienne et soit adapté aux conditions diverses des lieux, des temps et des peuples. Parmi les tâches de cet apostolat l'action sociale chrétienne a un rôle éminent à jouer. Le Concile désire le voir s'étendre aujourd'hui à tout le secteur temporel sans oublier le plan culturel (2).
(2) cf. Léon XIII, encycl. Rerum novarum: AAS 23 (1890-91), p.647. Pie XI, encyc. Quadragesimo Anno: AAS 23 (1931), p.190. Pie XII, nuntius radioph.1/06/41: AAS 33 (1941), p.207.
8 Tout apostolat trouve dans la charité son origine et sa force, mais certaines oeuvres sont par nature aptes à devenir une expression particulièrement parlante de cette charité: le Christ a voulu qu'elles soient le signe de sa mission messianique (cf. Mt 11,4-5).
Le plus grand commandement de la loi est d'aimer Dieu de tout son coeur et le prochain comme soi-même (Mt 22,37-40). De cette loi de l'amour du prochain, le Christ a fait son commandement personnel. Il l'a enrichi d'un sens nouveau quand il voulut, s'identifiant à ses frères, être l'objet de cette charité disant: "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40). En assumant la nature humaine c'est toute l'humanité qu'il s'est unie par une solidarité surnaturelle qui en fait une seule famille: "A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à cet amour que vous aurez les uns pour les autres" (Jn 13,35).
En ses débuts, la sainte Eglise en joignant "l'agapé" à la Cène eucharistique la manifestait tout entière réunie autour du Christ par le lien de la charité, ainsi en tout temps elle se fait reconnaître à ce signe d'amour ; tout en se réjouissant des initiatives d'autrui, elle tient aux oeuvres charitables comme à une partie de sa mission propre et comme à un droit inaliénable. C'est pourquoi la miséricorde envers les pauvres et les faibles, les oeuvres dites de charité et de secours mutuel pour le soulagement de toutes les souffrances humaines sont particulièrement en honneur dans l'Eglise (3).
Aujourd'hui ces activités et ces oeuvres de charité sont beaucoup plus pressantes et doivent davantage prendre les dimensions de l'univers, car les moyens de communications sont plus aisés et plus rapides, la distance entre les hommes est pour ainsi dire vaincue, les habitants du monde entier deviennent comme les membres d'une seule famille. L'action de la charité peut et doit atteindre aujourd'hui tous les hommes et toutes les détresses. Partout où se trouvent ceux qui souffrent du manque de nourriture et de boisson, de vêtements, de logement, de remèdes, de travail, d'instruction, des moyens de mener une vie vraiment humaine, ceux qui sont tourmentés par les épreuves ou la maladie, ceux qui subissent l'exil ou la prison, la charité chrétienne doit les chercher et les découvrir, les réconforter avec un soin empressé, et les soulager par une aide adaptée. Cette obligation s'impose en tout premier lieu aux hommes et aux peuples qui sont les mieux pourvus (4).
Pour que cet exercice de la charité soit toujours au-dessus de toute critique et apparaisse comme tel, il faut voir dans le prochain l'image de Dieu selon laquelle il a été créé et le Christ notre Seigneur à qui est offert en réalité tout ce qui est donné au pauvre. La liberté et la dignité de la personne secourue doivent être respectées avec la plus grande délicatesse. La pureté d'intention ne doit être entachée d'aucune recherche d'intérêt propre ni d'aucun désir de domination (5). Il faut satisfaire d'abord aux exigences de la justice de peut que l'on n'offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice. Que disparaissent la cause des maux et pas seulement leurs effets et que l'aide apportée s'organise de telle sorte que les bénéficiaires se libèrent peu à peu de leur dépendance à l'égard d'autrui et deviennent capables de se suffire.
Les laïcs doivent donc estimer profondément et aider, selon leur pouvoir, les oeuvres de charité et les initiatives concernant l'assistance sociale, qu'elles soient privées ou publiques, sans oublier les initiatives internationales ; par elles on apporte un secours efficace aux personnes et aux peuples qui souffrent. Qu'en cela ils collaborent avec tous les hommes de bonne volonté (6).
(3) cf. Jean XXIII, encyc. Mater et Magistra: AAS 53 (1961), p. MM 402.
(4) cf. Ibid. pp. MM 440-441.
(5) cf. Ibid. pp. MM 442-443.
(6) cf. Pie XII, alloc. à "Pax Romana M.I.I.C." 25/04/57: AAS 49 (1957)pp.298-299 ; et praesertim Jean XXIII, Ad Conventum Consilii "F.A.O."10/11/59: AAS 51 (1951), pp. 856, 866.
9 Les laïcs exercent leur apostolat multiforme tant dans l'Eglise que dans le monde. Dans l'un et l'autre cas leur sont ouverts divers champs d'action apostolique. Nous nous proposons de rappeler ici les principaux d'entre eux: les communautés ecclésiales, la famille, les jeunes, les milieux sociaux, les secteurs nationaux et internationaux. Comme de nos ours les femmes ont une part de plus en plus active dans toute la vie de la société, il est très important que grandisse aussi leur participation dans les divers secteurs de l'apostolat de l'Eglise.
10 Participant à la fonction du Christ Prêtre, Prophète et Roi, les laïcs ont leur part active dans la vie et l'action de l'Eglise. Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire que sans elle l'apostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet. A l'image des hommes et des femmes qui aidaient Paul dans l'annonce de l'Evangile (cf. Ac 18,18-26 Rm 16,3), les laïcs qui ont vraiment l'esprit apostolique viennent, en effet, en aide à leurs frères, et réconfortent aussi bien les pasteurs que les autres membres du peuple fidèle (cf. 1Co 16,17-18). Nourris par leur participation active à la vie liturgique de leur communauté, ils s'emploient avec zèle à ses oeuvres apostoliques ; ils acheminent vers l'Eglise des hommes qui en étaient peut-être fort éloignés ; ils collaborent avec ardeur à la diffusion de la parole de Dieu, particulièrement par les catéchismes ; en apportant leur compétence ils rendent plus efficace le ministère auprès des âmes de même que l'administration des biens de l'Eglise.
La paroisse offre un exemple remarquable d'apostolat communautaire, car elle rassemble dans l'unité tout ce qui se trouve en elle de diversités humaines et elle les insère dans l'universalité de l'Eglise (1). Que les laïcs prennent l'habitude de travailler dans la paroisse en étroite union avec leurs prêtres (2), d'apporter à la communauté de l'Eglise leurs propres problèmes, ceux du onde et les questions touchant le salut des hommes pour les examiner et les résoudre en tenant compte de l'avis de tous. Selon leurs possibilités, ils apporteront leur concours à toute entreprise apostolique et missionnaire de leur famille ecclésiale.
Les laïcs développeront sans cesse le sens du diocèse, dont la paroisse est comme une cellule ; ils seront toujours prompts à l'invitation de leur pasteur à participer aux initiatives du diocèse. De plus, pour répondre aux nécessités des villes et des régions rurales (3), ils ne borneront pas leur coopération aux limites de la paroisse ou du diocèse, mais ils s'efforceront de l'élargir au plan interparoissial, interdiocésain, national et international: d'autant plus que l'accroissement constant des migrations de population, la multiplication des liens mutuels, la facilité des communications ne permettent plus à une partie de la société de demeurer repliée sur elle-même. Les laïcs se préoccupent donc des exigences du peuple de Dieu répandu sur toute la terre. Ils feront leurs en particulier les oeuvres missionnaires en leur apportant une aide matérielle, voire même en concours personnel: c'est pour les chrétiens un devoir et un honneur que de restituer à Dieu une partie des biens qu'ils reçoivent de lui.
(1) cf. Pie X, lettre apost. Creationis duarum novarum paroeciarum,1/06/05: AAS 38 (1905), pp.65-67. Pie XII, alloc. aux fidèles paroisse St Saba 11/01/53: Discours radio du Pie XII 14 (1925-1953), pp. 449-454. Jean XXIII, alloc. aux clergé et fidèles du diocèse suburbicaria Albanensi, ad Arcem Gandulfi habita, 26/08/62: AAS 54 (1962), pp. 565-660.
(2) cf. Léon XIII, alloc. du 28/01/94, Acte 14 (1894), pp. 424-425.
(3) cf. Pie XII, alloc. 6/012/51, Discours et Radiomes. de Pie XII (1950-1951), pp. 437-443 ; 8 /03/52: ibid, 14 (1952-1953), pp.5-10 ; 27/03/53: ibid 15 (1953-1954), pp. 27-35 ; 28/02/54: ibid pp.585-590.
11 Le Créateur a fait de la communauté conjugale l'origine et le fondement de la société humaine. Par sa grâce, il en a fait aussi un mystère d'une grande portée dans le Christ et dans l'Eglise (cf. Ep 5,32). Aussi l'apostolat des époux et des familles a-t-il une singulière importance pour l'Eglise comme pour la société civile.
Les époux chrétiens sont l'un pour l'autre, pour leurs enfants et les autres membres de leur famille, les coopérateurs de la grâce et les témoins de la foi. Ils sont les premiers à transmettre la foi à leurs enfants et à en être auprès d'eux les éducateurs. Ils les forment par la parole et l'exemple à une vie chrétienne et apostolique ; ils les aident avec sagesse dans le choix de leur vocation et favorisent de leur mieux une vocation sacrée s'ils le découvrent en eux.
Ce fut toujours le devoir des époux, mais c'est aujourd'hui l'aspect le plus important de leur apostolat, de manifester et de prouver par toute leur vie l'indissolubilité et la sainteté du lien matrimonial ; d'affirmer avec vigueur le droit et le devoir assignés aux parents et aux tuteurs d'élever chrétiennement leurs enfants ; de défendre la dignité et l'autonomie de la famille. Ils doivent donc collaborer, eux et tous les fidèles, avec les hommes de bonne volonté, pour que ces droits soient parfaitement sauvegardés dans la législation civile ; pour qu'il soit tenu compte, dans le gouvernement du pays, des exigences des familles concernant l'habitation, l'éducation des enfants, les conditions de travail, la sécurité sociale et les impôts et que dans les migrations la vie commune de la famille soit parfaitement respectée (4).
Cette mission d'être la cellule première et vitale de la société, la famille elle-même l'a reçue de Dieu. Elle la remplira si par la piété de ses membres et la prière faite à Dieu en commun elle se présenté comme un sanctuaire de l'Eglise à la maison ; si toute la famille s'insère dans le culte liturgique de l'Eglise ; si enfin elle pratique une hospitalité active et devient promotrice de la justice et de bons services à l'égard de tous les frères qui sont dans le besoin. Parmi les diverses oeuvres d'apostolat familial, citons en particulier: adopter des enfants abandonnés, accueillir aimablement les étrangers, aider à la bonne marche des écoles, conseiller et aider les adolescents, aider les fiancés à se mieux préparer au mariage, donner son concours au catéchisme, soutenir époux et familles dans leurs difficultés matérielles ou morales, procurer aux vieillards non seulement l'indispensable mais les justes fruits du progrès économique.
Toujours et partout mais spécialement dans les régions où commencent à se répandre les premières semences de l'Evangile, dans celles où l'Eglise en est à ses débuts, dans celles aussi où elle se heurte à de graves obstacles, les familles rendent au Christ un très précieux témoignage face au monde en s'attachant par toute leur vie à l'Eglise et en présentant l'exemple d'un foyer chrétien (5).
Afin d'atteindre plus facilement les buts de leur apostolat il peut être opportun pour les familles de se constituer en associations (6).
(4). Pie XII, nunius radioph. 1/01/41: AAS 33 (194), p.203. Idem, Delegatis ad Conventum unionis intern. sodalitatum ad lura familiae tuenda, 20/09/49: AAS 41 (1949), p.552. Idem, Ad oatresfamilias et Gallia Romam peregrin. 18/089/51: AAS 43 (1951), p.731. Idem , nuntius radiop. Noël 1952: AAS 45 (19545), p.41. Jean XXIII Mater et Magistra 15/05/61: AAS 53 (1961), pp. 429, 439.
(5) cf. Pie XII, encyc. Evangelii Praecones, 2/06/51: AAS 43 (1951), p. 514.
(6) cf. Pie XII, Delegatis ad Conventum Unionis internt. sodalit. ad iura familiae tuenda, 20/09/49: AAS 41 (1949), p.552.
12 Les jeunes représentent dans la société moderne une force de grande importance (7). Les circonstances de leur vie, leurs habitudes d'esprit, les rapports avec leurs propres familles se sont complètement transformés. Ils accèdent souvent très rapidement à une nouvelle condition sociale et économique. Alors que grandit de jour en jour leur importance sociale et même politique, ils apparaissent assez peu préparés à porter convenablement le poids de ces charges nouvelles.
Cet accroissement de leur importance sociale exige d'eux une plus grande activité apostolique, et leur caractère naturel les y dispose. Lorsque mûrit la conscience de leur propre personnalité, poussés par leur ardeur naturelle et leur activité débordante, ils prennent leurs propres responsabilités et désirent être parties prenantes dans la vie sociale et culturelle ; si cet élan est pénétré de l'esprit du Christ, animé par le sens de l'obéissance et l'amour envers l'Eglise, on peut en espérer des fruits très riches. Les jeunes doivent devenir les premiers apôtres des jeunes, en contact direct avec eux, exerçant l'apostolat par eux-mêmes et entre eux, compte tenu du milieu social où ils vivent (8).
Les adultes auront soin d'engager avec les jeunes des dialogues amicaux qui permettent aux uns et aux autres, en dépassant la différence d'âge, de se connaître mutuellement et de se communiquer leurs propres richesses. C'est par l'exemple d'abord, et, à l'occasion, par un avis judicieux et une aide efficace que les adultes pourront stimuler les jeunes à l'apostolat. De leur côté les jeunes sauront garder le respect et la confiance à l'égard des adultes, et dans leur désir naturel de renouvellement ils sauront apprécier comme elles le méritent les traditions estimables.
Les enfants ont également une activité apostolique qui leur est propre. A la mesure de leurs possibilités ils sont les témoins vivants du Christ au milieu de leurs camarades.
(7) cf. Pie X, alloc. ad catholicam Associat. Inventutis Gallicae de pietate, scientia et actione, 25/09/04: AAS 37 (1904-1905), pp. 296-300.
(8) cf. Pie XII, epist. Dans quelques semaines, ad Archiepiscopum Marianopolitanum, de conventibus a iuvenibus operariis christianis canadiensibus indisctis 24/05/47: AAS 39 (1949), p.257 ; nuntius radioph. ad JOC Bruxelles, 3/09/50: AAS 42 (1950), pp. 640-641.
1965 Apostolicam Actuositatem