Catéchèses Paul VI 22169

22 janvier 1969: VOIES D'UN OECUMENISME AUTHENTIQUE

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Chers Fils et Filles,



Nous célébrons ces jours-ci la Semaine pour l'Unité de tous les Chrétiens dans l'unique foi et dans l'unique Eglise, selon le suprême désir du Christ (
Jn 10,16 Jn 17,11 Jn 21,23), et conformément aux voeux du récent Concile oecuménique. Celui-ci déclara ouvertement que le « rétablissement de l'unité entre tous les Chrétiens est un des principaux buts » du Concile (Décret Unitatis redintegratio, UR 1). Nous ne pouvons pas, Nous ne devons pas négliger de le rappeler au cours de cette audience générale qui trouve les thèmes de sa plénitude spirituelle dans l'actualité de la vie de l'Eglise.


Un esprit nouveau


Nous devons, avant tout, remercier le Seigneur du fait que cette si importante question est désormais présente à la conscience de la chrétienté et qu'elle l'est avec un intérêt particulier de réflexion théologique et de charité active au sein de notre sainte Eglise catholique. Celle-ci considère comme une des plus grandes grâces du Seigneur, fidèle à ses promesses évangéliques, d'avoir conservé le don et le sens de l'unité dans la foi et dans la charité. Maintenant l'Eglise se réjouit, elle est impatiente, et elle espère, en constatant que la recherche de cette unité que nous pouvons qualifier de propriété mystérieuse (cf. Jn 17) et constitutionnelle (cf. Mt 16,18) de la véritable Eglise, est ancrée dans les aspirations profondes et très nobles des Eglises et communautés chrétiennes qui un jour pensèrent pouvoir faire abstraction de cette unité et qui aujourd'hui encore ne sont pas en pleine communion avec l'Eglise unique et universelle. Question vivante, question immense, question difficile, question qui influe sur les conditions du christianisme, et même de la religion, du progrès spirituel et de la paix dans le monde.

Et nous devons faire nôtre ce problème, parce qu'il exige de nous aussi, catholiques, que nous modifiions notre mentalité et donc aussi notre comportement pratique quant aux rapports avec ceux qui se disent et sont chrétiens au-delà des frontières visibles du catholicisme. Les drames navrants des séparations survenues dans les temps passés, les polémiques et les erreurs doctrinales qui ont marqué ces séparations, les conflits politiques et les intérêts divergents qui s'ensuivirent, le devoir et le besoin de défendre une rectitude doctrinale et de conserver le contexte ecclésial, les avertissements de l'autorité et de la loi canonique ont produit un état d'âme de défiance envers les Chrétiens séparés, et vers lesquels nous devons maintenant nous tourner dans un esprit nouveau. C'est un esprit, avant tout, de regret et de désir, d'humilité, de charité et d'espérance. Nous ne pouvons plus nous résigner aux situations historiques de la séparation. Nous ne pouvons plus nous contenter d'une simple attitude de défense. Nous devons, au moins, souffrir des blessures survenues à l'intérieur du Corps Mystique et visible du Christ, qui est l'Eglise une et unique. Nous devons humblement reconnaître la part de culpabilité que les catholiques peuvent avoir eue dans ces ruines. Nous devons apprécier ce que le patrimoine chrétien des frères séparés a conservé et cultivé de bon. Nous devons prier, prier beaucoup et de tout coeur, pour mériter que ces ruines soient réparées. Nous devons reprendre, évidemment, avec la dignité et la prudence propres aux questions graves et difficiles, les contacts amicaux avec les Frères qui sont encore séparés de nous.

L'Eglise catholique a publié (26-5-1967) la première partie du « Directoire pour l'application des délibérations du Concile Vatican II sur l'oecuménisme » : nous ferons bien de le connaître et d'en suivre fidèlement les normes. Nous devons, en un mot, devenir les apôtres de la réunion de tous les chrétiens dans l'unique Eglise du Christ. Le numéro 4 du décret conciliaire sur l'oecuménisme mérite d'être lu et médité par tous.


Volonté ferme sans zèle imprudent


Cette idée oecuménique semble de nos jours si logique et si heureuse que partout, peut-on dire, elle trouve des admirateurs et des promoteurs. Veillons, Fils très chers, à ne pas compromettre le chemin et le succès d'une cause aussi importante que l'oecuménisme authentique, par des processus superficiels, trop hâtifs et dont le résultat serait négatif. On note, en effet, des phénomènes dangereux et nuisibles dans cet enthousiasme soudain de réconciliation entre catholiques et chrétiens séparés de nous. Quelques aspects imprudents de cette précipitation oecuménique ne doivent pas être oubliés, afin que tant de bons désirs et de possibilités heureuses ne se perdent pas dans l'équivoque, dans l'indifférence, dans le faux irénisme. Ceux, par exemple, qui considèrent que tout est bien chez les frères séparés, et tout onéreux et à réformer dans le domaine catholique, ne sont plus en mesure de promouvoir efficacement et utilement la cause de l'union. « Comme le faisait remarquer avec une tristesse ironique un des meilleurs oecuménistes contemporains protestant : le plus grand danger pour l'oecuménisme est que les catholiques ne s'enthousiasment pour tout ce dont nous avons reconnu la nocivité, en abandonnant tout ce dont nous avons redécouvert l'importance» (cf. Bouyer). Ceci est une attitude servile, ni bénéfique, ni digne. Et Nous pourrions dire de même de cette autre attitude, aujourd'hui plus répandue, qui prétend rétablir l'unité au détriment de la vérité doctrinale. Ce credo qui nous fait et nous définit comme chrétiens et catholiques, semble ainsi devenir l'obstacle insurmontable au rétablissement de l'unité ; il pose, bien sûr, des exigences très sévères et très graves ; mais la solution des difficultés qui en dérivent ne peut pas consister, sous peine d'incompréhension de là réalité des choses, ou sous peine de trahison de la cause, dans le sacrifice de la foi, dans la confiance illusoire que la charité suffit pour rétablir l'unité ; ni que suffit la pratique empirique, dépouillée de scrupules dogmatiques et de normes disciplinaires (cf. Décret Unitatis redintegratio, UR 11). Les épisodes de ce qu'on appelle « l'intercommunion », enregistrés ces derniers mois, s'inscrivent dans cette ligne, qui n'est pas la bonne et que nous devons loyalement réprouver. Rappelons-nous que le Concile « exhorte les fidèles à s'abstenir de toute légèreté ou de tout zèle imprudent, qui pourraient nuire au vrai progrès de l'unité » (ibid. UR 24).


Recherche et responsabilité


Cela ne veut pas dire que les discussions concernant les dogmes de la foi entre catholiques et chrétiens séparés de nous sont exclues. C'est au contraire à partir d'un examen théologique objectif et serein de la vérité révélée et vécue fidèlement dans la tradition authentique de l'enseignement ecclésiastique que ce résultat pourra être atteint : savoir quel est le patrimoine doctrinal chrétien essentiel ; ce qui peut être énoncé authentiquement et ensemble dans des ternies différents, substantiellement égaux ou complémentaires, et comment sera possible et enfin victorieuse la découverte de cette identité de la foi, dans la liberté et la variété de ses expressions, découverte à partir de laquelle l'union pourra être célébrée d'un coeur et d'une âme uniques (cf. Ac 4,32).

Mais cet examen entraîne la responsabilité des théologiens et des savants d'abord, du magistère ecclésiastique ensuite ; et il ne peut pas résulter de l'échange d'opinions à tous les niveaux. Vous aurez plaisir à savoir, que cet examen est déjà en cours dans divers domaines de l'oecuménisme ; et il ne faut pas s'étonner qu'il requière de la prudence, du temps et un cheminement progressif ; c'est l'oecuménisme en chemin, vers lequel la grande et pieuse figure du Cardinal Augustin Bea a porté les pas de notre Secrétariat pour l'union de tous les chrétiens. Nous rendons hommage à sa mémoire, en restant fidèle à sa méthode qui était à la fois courageuse et prudente.

C'est une vision immense de l'oecuménisme ; elle attire notre attention et engage notre prière (cf. UR 8). Nous profitons de cette occasion pour envoyer, encore une fois, à tous les chrétiens du monde, Notre salutation humble et cordiale, au nom du Seigneur Jésus. Et vous, Fils très chers, plus que jamais soyez avec Nous, soyez unis, ayez confiance, soyez forts dans la foi et dans la charité ; avec Notre Bénédiction Apostolique.





29 janvier 1969: L'EGLISE DANS L'ELAN DU CONCILE

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Chers Fils et Filles,



Votre présence Nous pose le problème de la portée de Notre parole. Une audience générale, comme celle de chaque mercredi offerte à Notre âme et à Notre ministère (rencontre toujours nouvelle, toujours chère, variée, unique), fait naître une première question dans Notre esprit : à qui parlons-Nous ? La parole devrait être adaptée au genre de personnes qui Nous écoutent ; et, comme de coutume, notre auditoire est composite, hétérogène, — groupes de personnes très diverses par l'âge, la formation, la provenance, la langue, — réunies toutes ensemble pour une heure autour de Nous, venues avec des intentions très différentes, — qui pour une simple visite, qui pour quelque motif spirituel particulier, qui par dévotion... — Comment trouver un thème uniforme qui rende Notre discours facile ?

Nous le trouvons pourtant en considérant en vous ce dénominateur commun qu'est le Peuple chrétien ; vous êtes les fidèles, et donc les frères et les fils qui Nous portez une offrande précieuse, très chère, celle de votre bonne volonté.

N'est-ce pas ainsi ? N'êtes-vous pas tous et chacun désireux d'entendre du Pape une parole qui tienne compte de cette excellente disposition ? Ne venez-vous pas à ce rendez-vous pour vous sentir réconfortés et un peu éclairés pour cheminer sur la route de la vie chrétienne ?

N'êtes-vous pas prêts à donner quelque poids à ce que vous écoutez et à donner à Nos exhortations quelque sérieuse application ? Vous n'êtes pas ici avec la prétention d'écouter une conférence ou un cours — Nous le savons — vous vous contentez d'une simple parole.

Vous n'êtes pas ici dans une attitude critique ou défiante mais sereine et confiante, comme à un échange familial. Peut-être êtes-vous venus là portant au fond du coeur l'espérance de sortir d'un certain état d'âme d'incertitude et de perplexité, assez répandu dans quelques milieux ecclésiastiques et davantage encore dans de larges couches de l'opinion publique.


Le Christ, l'Eglise et le Concile


S'il en est ainsi, comme Nous le croyons, Notre parole trouvera aussitôt son style et son thème. Nous Nous en remettons à votre bonne volonté. Nous la supposons consciente et sincère ; et, par conséquent, prompte à s'engager pour cette cause et dans cette forme du bien pour lequel il est beau et digne de faire don de soi-même. Cette cause est celle du Christ qui se présente à nous en coïncidence avec celle de l'Eglise qui est la continuation du Christ, le plan mystérieux et invisible, le règne, le signe, et l'instrument tel que le Concile avec une exubérance d'images nous l'a révélé et enseigné (cf. Lumen gentium,
LG 1 LG 2 LG 3 LG 4 ...). Le Concile explicite cette cause, dans son texte et son esprit, comme le peuple de Dieu l'entrevoit et l'exprime et comme le magistère et le ministère de l'Eglise, qui ont le charisme et la responsabilité de le faire, viennent avec autorité pour le proposer et l'actualiser.

En d'autres termes le Concile est la réponse à la bonne volonté de tous ceux qui souhaitent vivre et faire vivre le Christ en notre temps. Le Concile n'est pas seulement un grand enseignement doctrinal ; il est aussi une grande impulsion morale. Il offre à la pensée un cadre splendide de vérité et de foi, bien qu'il ne prétende pas en exposer une synthèse organique et complète ; cependant en de nombreux endroits il se réfère aux sources scripturaires et aux authentiques traditions ; mais en d'autres parties, il les explique et les développe ; et dans sa totalité, il constitue une énergique impulsion pour agir.

Il est une doctrine et il est pour l'action. Il est dogmatique et il est moral. Il est pour la lumière des âmes et il est pour le renouvellement de leur activité pratique, soit personnelle soit communautaire.

Ainsi sont les intentions de l'Eglise conciliaire. Mais sont-elles comprises par tous et partout dans cette réalité ? Qu'observerons-Nous ? Votre bonne volonté et celle de la grande communauté ecclésiale sont-elles satisfaites ? Ceci est une grave question.


Impatience et intolérance


Nous avons noté deux réponses négatives. La première est celle de l'impatience, qui voudrait voir de suite réalisé ce que le Concile a souhaité. Cette impatience s'exprime parfois par de l'intolérance, lorsqu'on estime qu'il faut recourir à des applications immédiates, plus révolutionnaires que réformatrices, sans égard à la cohérence historique et logique des innovations à introduire dans la vie catholique. Et cette attitude pousse parfois à l'imprudence, à la légèreté, à la manie de la nouveauté pour la nouveauté, au mimétisme à la mode de la contestation, et à l'arbitraire de la désobéissance. Il faut à ce propos repenser à l'économie du temps dans l'Evangile, laquelle n'est pas celle fulgurante et au fond commode du feu du ciel qui anéantit toute résistance, mais celle de la semence qui porte son fruit « en patience » et qui souvent dans le déroulement de son cours cache en elle le respect de la liberté, la méthode de la charité, la confiance non fataliste mais sage et clairvoyante dans l'action de Dieu unie à l'action de l'homme.


Savoir distinguer avant de juger


L'autre réponse négative est tout aussi complexe. Elle exigerait une analyse psychologique minutieuse et intéressante. Pourquoi sous certains aspects, l'Eglise après le Concile ne se trouve-t-elle pas dans des conditions meilleures qu'avant ? Pourquoi tant d'insubordinations, tant d'oublis des règles canoniques, tant de tentatives de sécularisation, tant de désirs d'assimiler la vie catholique à la vie profane, tant de crédit aux considérations sociologiques au lieu de considérations théologiques et spirituelles ? Crise de croissance disent beaucoup... Il y a du vrai. Mais n'est-ce pas aussi une crise de foi ? Une crise de confiance de quelques fils de l'Eglise dans l'Eglise elle-même? Certains, en scrutant ce phénomène alarmant, parlent d'un état d'âme de doute systématique et débilitant au sein du clergé et des fidèles. D'autres parlent d'impréparation, de timidité, de paresse. Il y en a qui vont même jusqu'à accuser de peur tant l'autorité ecclésiastique que la communauté des bons, lorsque l'une et l'autre laissent prévaloir, sans avertir, sans rectifier; sans réagir, certains courants de désordre manifeste dans notre camp, et qui cèdent, presque par un complexe d'infériorité, à la prépondérance — affirmée dans l'opinion publique par les puissants moyens de la communication sociale, — de thèses discutables et souvent peu conformes à l'esprit du Concile lui-même, par crainte du pire, dit-on — ou pour ne pas paraître assez modernes et ouverts à la réforme souhaitée.

Mais Nous savons qu'il s'agit là de phénomènes limités, même s'ils sont réels et non négligeables. Nous savons que l'Eglise, dans son ensemble, montre aujourd'hui une vitalité extraordinaire, qui place notre époque parmi les plus fécondes de son histoire. Il est hors de doute que dans notre Eglise, si « contestée » du dehors et si travaillée à l'intérieur, se trouve une immense réserve de bonne volonté et d'amour, dont Nous sommes heureux de voir en vous, mes très chers fils, de dignes représentants.

Vous êtes volontaires et fidèles. Vous ne voulez pas demeurer inertes et passifs dans l'action que l'Eglise post-conciliaire a entreprise pour se rénover dans une meilleure adhésion à son origine évangélique et à son inspiration doctrinale, et pour mieux répondre aux exigences de sa mission dans le monde contemporain. Vous voulez faire croître jusqu'à la tension de la ferveur et de la générosité, la bonne volonté que vous portez dans le coeur, et vous avez confiance que celui qui guide l'Eglise, à chaque niveau, ne décevra pas votre silencieuse et précieuse disponibilité. Le Seigneur soit avec vous !

Et tandis que Nous goûtons le réconfort de cet authentique esprit ecclésial, Nous l'encourageons avec Notre promesse (que le Seigneur la garde !) de le reconnaître, de l'aider, de le servir et Nous l'offrons à l'effusion de l'Esprit Saint avec Notre Bénédiction Apostolique.





5 février 1969: VRAIES ET FAUSSES NOTIONS DE LA LIBERTE ET DE L'AUTORITE

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Chers Fils et Filles,



Il est de mode aujourd'hui, comme tout le monde le sait, de parler beaucoup de liberté. C'est un mot qui résonne partout où l'on discute de l'homme, de sa nature, de son histoire, de son activité, de son droit, de son développement. L'homme est un être en croissance, en mouvement, en devenir ; la liberté lui est nécessaire. Si l'on regarde davantage à l'intérieur de l'être humain, on s'aperçoit que l'homme, dans l'usage de ses facultés spirituelles, bien que déterminé par la tendance au bien général, n'est déterminé par aucun bien particulier. C'est lui-même qui se détermine ; et nous appelons liberté, le pouvoir de la volonté de l'homme à agir sans être contrainte, ni de l'intérieur ni de l'extérieur. On voit ainsi que ce libre arbitre constitue le propre de l'homme, sa note spécifique, fonde le premier titre de sa dignité personnelle et lui confère l'empreinte caractéristique de sa ressemblance avec Dieu.

Malgré la négation philosophique qui a voulu trouver un déterminisme invincible dans l'activité de l'homme, l'évidence de cette prérogative de l'homme s'est imposée si pratiquement de nos jours que l'idée des droits de l'homme s'associera chez tous à celle de liberté, et on parlera communément de liberté là où une capacité humaine d'agir se présente : liberté de pensée, liberté d'agir, liberté de parole, liberté de choisir ; etc.... et si l'on cherche les racines intérieures : liberté psychologique, et liberté morale ; en en décrivant les spécifications extérieures : liberté juridique, liberté économique, liberté politique, liberté religieuse, liberté artistique et ainsi de suite.


L'enseignement de l'Eglise


La liberté polarise autour d'elle une telle quantité de questions que la première chose à faire à son égard sera de chercher quelques notions plus exactes, moins approximatives et moins confuses que celles qui font tapage dans les discussions, comme y arrive à chacun d'en avoir. A un thème de si grande importance et d'une telle complexité Nous ne voulons apporter ici aucun éclaircissement doctrinal.

Désireux comme Nous le sommes d'attirer votre attention sur les grandes idées que le Concile a réaffirmées et développées, Nous Nous limitons, dans une conversation aussi simple que celle-ci, à vous rappeler que l'Eglise catholique a toujours soutenu la doctrine de la liberté humaine et a construit sur elle son grand édifice tant moral que religieux. Impossible d'être de vrais catholiques sans admettre cette suprême prérogative de l'homme. Rien n'annule la liberté de l'homme ni la chute originelle, qui certainement a produit le grands désordres dans l'exercice des facultés humaines, ni l'exercice de la pensée qui reste liée, tout en découvrant la vérité, ni l'intervention de cette aide mystérieuse dans notre action, que nous appelons la grâce, ni l'action divine dans le monde naturel que nous appelons la Providence. Nous ne rendrons jamais assez grâce à la sagesse traditionnelle de l'Eglise catholique qui de toutes les façons a défendu dans l'homme ce don royal de la liberté, même s'il est compromettant, compliqué, périlleux. Pour qu'on reconnaisse à l'homme la capacité de raisonner et de vouloir, pour qu'on le considère citoyen du royaume du Christ, nous devons non seulement admettre mais défendre en lui la prérogative de la liberté.


Fausses conceptions de la liberté


Ajoutons cependant une observation fondamentale : l'usage de la liberté n'est pas facile. Cette observation ne contredit pas mais respecte bien l'affirmation de la liberté. Celle-ci a besoin d'une formation, d'une éducation. Et ce besoin est si profond pour le développement authentique de l'esprit et de l'activité humaine, il est si important pour la vie sociale, que l'histoire note et retient les événements par lesquels, à tort ou à raison, l'usage de la liberté a été contenu, réprimé ou nié. Il en est né, si on peut dire, un conflit célèbre et éternel entre l'usage de la liberté et celui de l'autorité. Liberté et autorité sont souvent apparues comme des ternies antithétiques. Aussi de nos jours la solution de cette antithèse pose de graves problèmes, tant dans le domaine pédagogique que domestique, social ou politique ; et aussi dans le domaine ecclésiastique. Aujourd'hui, Nous n'en parlerons pas ici. Nous noterons simplement le devoir de nous éduquer à un usage plus humain et plus chrétien de la liberté.

Nous devrons rejeter de nos esprits certains pseudo-concepts de la liberté. Par exemple, la confusion de la liberté avec l'indifférence, avec la paresse, avec l'inertie de l'esprit ; avec la liberté de ne rien faire ; avec la léthargie égoïste des énergies de la vie et avec l'oubli de l'impératif fondamental qui lui donne un sens et une valeur : le devoir. Autre concept erroné, et malheureusement très répandu, celui de confondre la liberté guidée par la raison et consistant dans l'autodétermination de la volonté, avec l'acquiescement aux instincts sentimentaux ou animaux qui se trouvent aussi dans l'homme. Les courants très modernes de la pensée révolutionnaire soutiennent et propagent cette fausse conception qui conduit l'homme à perdre sa vraie liberté propre pour devenir esclave de ses propres passions et de ses propres faiblesses morales. Le Seigneur nous l'a enseigné : « Celui qui commet le péché devient esclave du péché » (
Jn 8,34). C'est un phénomène classique et toujours actuel, aujourd'hui plus que jamais avec l'émancipation moderne de la loi extérieure et de la loi morale.

Une autre déformation à la mode veut faire consister la liberté dans le fait d'accepter a priori une attitude en opposition avec l'ordre existant, ou bien avec l'opinion des autres. La liberté trouverait sa véritable expression dans la contestation, qu'elle soit raisonnable ou non.

C'est là une voie, malheureusement assez rapide, pour perdre la liberté, soit en raison de l'irrationalité introduite comme élément systématique dans la logique de l'esprit, soit en raison des réactions du milieu qu'elle peut facilement provoquer : sous la forme de contre-contestations.


La liberté et ses corollaires obligés


De plus, gardons-nous de la folie qui juge chacun libre d'outrager la liberté des autres. Des luttes de tout genre sont nées et naissent chaque jour de la fausse conception de cette liberté effrénée. Nous l'appellerons plutôt, licence, abus, mauvaise éducation, incivilité, non liberté. Cette vraie liberté parce qu'elle est proprement le reflet de la lumière divine sur le visage humain (Ps 4,7) et parce qu'elle dérive de la raison et réside dans cette royale faculté humaine qu'est la volonté, a le sens de ses authentiques expressions, c'est-à-dire de ses limites. La liberté réelle suppose : la Vérité d'abord, comme encore l'enseigne le Christ : « La vérité nous libérera » (Jn 8,22) du péché, de l'erreur, de l'ignorance, du préjudice ; le Bien ensuite par-dessus tout ; la loi, celle qui est juste s'entend ; l'Autorité, celle spécialement qui se définit «Mère» et « Educatrice » ; l'Etat aussi, conçu comme institution organisée, garante et tutrice des droits de la personne humaine et unificatrice de leur exercice dans l'harmonie du bien commun, non comme source unique et synthèse totalitaire et arbitraire de la vie en société.

A la lumière chrétienne, méditons les paroles courantes relatives à la liberté : autonomie, autoritarisme, choix, révolution, despotisme etc. efforçons-nous de leur donner un sens qui dérive de la pensée chrétienne, comme le Concile nous l'a rappelé tant de fois.

En voici un exemple : « Jamais les hommes n'ont eu comme aujourd'hui un sens aussi vif de la liberté, mais au même moment surgissent de nouvelles formes d'asservissement social et psychique... le monde moderne apparaît à la fois comme puissant et faible, capable du meilleur et du pire et le chemin s'ouvre devant lui, celui de la liberté ou celui de la servitude... (Gaudium et spes, GS 4 GS 9).

C'est l'antique carrefour toujours actuel. Sachons choisir; le Christ nous enseigne ce que nous avons à faire. Avec Notre Bénédiction Apostolique.





12 février 1969: AGIR AVEC UNE CONSCIENCE DROITE ET FORTE ILLUMINEE PAR LA SAGESSE DU CHRIST

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Chers Fils et Filles,



Une des principales questions concernant l'activité de l'homme moderne est celle de la conscience. Ce n'est pas que cette question soit née maintenant, à notre époque ; elle est aussi ancienne que l'homme, parce que l'homme s'est toujours posé des questions sur lui-même. A ce propos, le dialogue qu'un auteur grec de l'antiquité (senofonte, Detti mem., 4, 2, 24) attribue à Socrate est bien connu. Socrate demande au disciple Eutidème : « Dis-moi, Eutidème, as-tu jamais été à Delphes ? ». « Oui, deux fois ». « As-tu remarqué l'inscription gravée sur le temple : te connais-tu toi-même ? ». « Oui ». « As-tu négligé cette indication ou y as-tu prêté attention ? ». « En réalité, non : c'était une connaissance que je pensais posséder déjà ». D'où l'histoire du grand problème concernant la connaissance que l'homme a de lui-même ; il croit se connaître, puis il n'en est plus sûr ; ce problème tourmentera toujours et alimentera la pensée humaine. Citons, parmi bien d'autres, saint Augustin avec sa prière bien connue, synthèse de son âme de penseur chrétien : noverim Te, noverim me ; que je te connaisse (ô Seigneur), et que je me connaisse (cf. Conf. 1, X). Pour en venir à notre époque, constatons que la connaissance que l'homme a de lui-même est toujours incomplète ; qui n'a pas entendu parler du livre de carrel, L'homme cet inconnu (1934) ? Et aujourd'hui ne déclare-t-on pas qu'« il y a une révolution dans la connaissance de l'homme » ? (oraison).

Ce qui nous intéresse, au cours de ce colloque bref et familier, c'est de faire ressortir combien l'homme moderne (et nous nous sentons tous inclus sous ce titre) est, d'une part, toujours plus engagé en dehors de lui-même ; l'activisme de notre temps et la connaissance sensible des communications sociales qui prévaut sur l'étude spéculative et sur l'activité intérieure nous rendent tributaires du monde extérieur et diminuent beaucoup la réflexion personnelle et la connaissance des questions inhérentes à notre vie subjective ; nous sommes distraits (cf. pascal, 11, 144), vidés de nous-mêmes et remplis d'images et de pensées qui, en soi, ne nous concernent pas intimement (cf. S. augustin, De Trinit. X, 5 : PL 42, 977). D'autre part, au contraire, comme par une réaction instinctive, nous rentrons en nous-mêmes, nous pensons à nos actions et aux faits de notre expérience, nous réfléchissons sur tout, nous cherchons à nous donner une vision du monde et de nous-mêmes. La conscience reprend, en quelque sorte, le dessus sur notre activité.


Guide de la conduite de l'homme


Et le domaine de la conscience s'offre à notre considération, très vaste et très compliqué. Simplifions cet immense panorama en le divisant en deux parties distinctes : il y a une conscience psychologique, c'est-à-dire celle qui se réfléchit sur notre activité personnelle, quelle qu'elle soit ; c'est une sorte d'état de veille sur nous-mêmes ; c'est comme si nous regardions dans un miroir notre propre phénoménologie spirituelle, notre propre personnalité ; c'est nous connaître et devenir ainsi, d'une certaine manière, maîtres de nous-mêmes. Mais maintenant Nous ne parlons pas de ce domaine de la conscience ; Nous parlons du second domaine, celui de la conscience morale et individuelle, c'est-à-dire du sens que chacun possède de la bonté ou de la malice de ses propres actions.

Ce domaine, celui de la conscience morale, est très intéressant, même pour ceux qui ne le placent pas, comme nous, croyants, en relation avec le monde divin. Il établit l'homme dans son expression la plus haute et la plus noble, il définit sa vraie nature, il le rend apte à user de sa liberté. Agir selon sa conscience devient la norme qui engage le plus et qui est, en même temps, la plus autonome de l'action humaine.

En ce qui concerne la rectitude, c'est-à-dire la moralité, la conscience est le jugement de nos actions, soit considérées dans leur déroulement habituel, soit dans les actes particuliers.

Maintenant il Nous resterait à faire l'apologie de la conscience; il suffirait de l'appeler ce qu'en a enseigné l'Eglise ces derniers temps, par exemple, le Pape Léon XII dans son Encyclique dédiée à la liberté (cf. denz.-schôn.,
DS 3245 et ss.) et le récent Concile (Gaudium et spes, GS 16 Dignitatis humanae, DH 3 et DH 11) ; et il suffirait encore de rappeler que les maîtres recommandent aux personnes désireuses de se perfectionner l'exercice de l'examen de conscience : chacun de ceux qui Nous écoutent le sait certainement ; et Nous ne ferons que l'encourager à la fidélité à cet exercice qui répond non seulement à la discipline de l'ascèse chrétienne, mais aussi à la nature de l'éducation individuelle moderne.


Une norme intérieure et supérieure


Mais Nous devons faire une observation quant à la suprématie et à l'exclusivité qu'on veut aujourd'hui attribuer à la conscience dans la conduite humaine. On entend souvent répéter, comme un aphorisme indiscutable, que toute la moralité de l'homme doit consister à suivre sa propre conscience ; et on affirme cela pour l'émanciper soit des exigences d'une norme extrinsèque, soit de l'obéissance à une autorité qui veut dicter la loi à l'activité libre et spontanée de l'homme, soucieux d'être sa propre loi et de n'être lié par aucune intervention dans ses actions. Nous ne dirons rien de nouveau à ceux qui enferment dans ce critère la norme de leur vie morale, en affirmant qu'avoir pour guide sa propre conscience non seulement est une bonne chose, mais que c'est aussi un devoir. Qui agit contre sa conscience est en dehors du droit chemin (cf. Rm 14,23).

Mais il faut, avant tout, préciser que la conscience, en elle-même, n'est pas arbitre de la valeur morale des actions qu'elle suggère. La conscience est l'interprète d'une norme intérieure et supérieure ; elle ne la crée pas d'elle-même. Elle est illuminée par l'intuition de certains principes normatifs, naturels dans la raison humaine (cf. S. thomas, I 79,12-13 ; I-II 94,1) ; la conscience n'est pas la source du bien et du mal ; elle est le sentiment, l'écoute d'une voix, qui s'appelle justement la voix de la conscience, elle est le rappel de la conformité qu'une action doit avoir à une exigence intrinsèque à l'homme, afin que l'homme soit vrai et parfait. C'est-à-dire qu'elle est l'intimation subjective et immédiate d'une loi, que nous devons appeler naturelle, même si beaucoup aujourd'hui ne veulent plus entendre parler de loi naturelle. N'est-ce pas en relation avec cette loi, comprise dans sa signification authentique, que naît dans l'homme le sens de la responsabilité ? Et avec le sens de la responsabilité, celui de la bonne conscience et du mérite, ou du remords et de la faute ? Conscience et responsabilité sont deux termes liés l'un à l'autre.

En second lieu, Nous devons observer que la conscience, pour être une norme valide de l'action humaine, doit être droite, c'est-à-dire qu'elle doit être sûre d'elle-même, et vraie, non certaine, non coupablement erronée. Ceci, malheureusement, arrive facilement, étant donné la faiblesse de la raison humaine quand elle est laissée à elle-même, quand elle n'est pas éduquée.


Pédagogie nécessaire


La conscience a besoin d'être éduquée. La pédagogie de la conscience est nécessaire, elle est nécessaire pour tout l'homme, cet être qui se développe intérieurement, dont toute la vie se déroule dans un cadre extérieur très complexe et exigeant. La conscience n'est pas la seule voix qui peut guider l'activité humaine ; sa voix s'éclaircit et se fortifie quand celle de la loi, et donc celle de l'autorité légitime, s'unit à la sienne. La voix de la conscience donc n'est pas toujours infaillible, ni objectivement suprême ; ce qui est tout particulièrement vrai dans le domaine de l'action surnaturelle où la raison ne suffit pas pour interpréter la voie du bien, et où elle doit recourir à la foi pour dicter à l'homme la norme de la justice voulue par Dieu et transmise par la révélation: « L'homme juste — dit saint Paul — vit de la foi » (Ga 3,11). Pour marcher tout droit, quand on avance la nuit, c'est-à-dire quand on avance dans le mystère de la vie chrétienne, les yeux ne suffisent pas, il faut la lampe, il faut la lumière. Et cette lumen Christi ne déforme pas, ne mortifie pas, ne contredit pas celle de notre conscience, mais elle l'éclairé, la rend apte à suivre le Christ, sur le droit chemin de notre pèlerinage vers la vision éternelle.

Donc, faisons en sorte d'agir toujours avec une conscience droite et forte, illuminée par la sagesse du Christ. Avec Notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 22169