Augustin et Maximin - CHAPITRE X. COMMENT LE PÈRE, ET LE FILS, ET LE SAINT-ESPRIT NE SONT QU'UN SEUL DIEU.

CHAPITRE 11. DU TEMPLE DE L'ESPRIT-SAINT.

J'ai fait voir, onzièmement, que le Saint-Esprit est Dieu, par la raison que nous sommes nous-mêmes ses temples, comme l'atteste l'Apôtre, quand il dit: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1)?» et encore: «Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, qui réside en vous, et que vous avez reçu de Dieu (2)?» Or, vous n'avez rien répondu à cela; car vous avez dit: J'accepte ce que vous avancez: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous?» En effet, ajoutez-vous, Dieu n'habite point dans l'homme, que l'Esprit ne l'ait auparavant purifié et sanctifié. Et vous avez voulu de cette manière donner à entendre que l'Esprit-Saint n'est pas appelé Dieu, et que nous ne sommes point son temple, mais celui de Dieu; que le texte est positif. «Vous êtes le temple de Dieu». Et si la suite porte: «L'Esprit de Dieu habite en vous», c'est que l'Esprit-Saint purifie le temple de Dieu, ce temple qui n'est pas le sien, afin que quand il l'aura purifié, Dieu établisse en lui sa demeure. Je ne veux pas faire ressortir maintenant toute l'absurdité que renferme votre sens. Ce que je me propose de montrer, c'est, en effet, qu'à travers beaucoup de verbiage, vous n'avez rien dit qui ait rapport à la question. Vous avez déserté la cause et vous vous êtes étendu en louanges à l'honneur de l'Esprit-Saint, et vous avez abondé dans ce discours à parler contre vous-même. Je dis: contre vous-même; car vous ne voulez pas reconnaître pour Dieu celui dont vous êtes forcé de proclamer tout haut la divinité, à tel point qu'il est, vous l'avouez, unique de sa nature, présent partout, sanctifiant les âmes, et partout où il y a des hommes qui veulent être chrétiens et prier Dieu, se donnant à tous en même temps, que

1. 1Co 3,16 - 2. 1Co 2,19

ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ se trouvent à l'orient ou à l'occident: or, c'est ce que nous proclamons nous-mêmes. Mais celui à qui nous attribuons tant de grandeur et de perfections, loin de nous de méconnaître qu'il est Dieu! par cela même que nous sommes son propre temple, sa divinité éclate et se fait voir facilement. Il n'aurait pu en effet nous avoir pour temple, s'il n'était notre Dieu: afin de voiler ce point de doctrine et de détourner l'esprit des hommes de la lumière de la vérité, dans tout ce que vous avez dit du temple de Dieu, vous n'avez pas voulu qu'il fût question de l'Esprit-Saint; et du temple du Saint-Esprit, où l'existence se démontre avec la dernière évidence, vous n'avez absolument rien dit. Lorsque je vous ai objecté les deux témoignages de l'apôtre Paul; l'un où il s'exprime ainsi: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous?» et l'autre où il dit: «Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint?» pourquoi avez-vous usé de subterfuge, au point de citer celui des deux qui contient ces mots: «Vous êtes le temple de Dieu», et de garder le silence sur l'autre, qui renferme ces expressions: «Vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint?» Pourquoi, je vous le demande, avez-vous eu recours à un tel procédé, si ce n'est parce que vous n'auriez pu prouver d'aucune manière que celui dont nous sommes nous-mêmes le temple, n'est point notre Dieu? Et si les divines Ecritures nous ordonnaient de lui élever un temple fait de bois et de pierres, n'est-il pas hors de doute que nous le reconnaîtrions pour Dieu?


CHAPITRE XII. COMMENT LE PÈRE ET LE FILS NE SONT QU'UNE MÊME CHOSE.

Je vous ai prié, en douzième lieu, de produire, si vous le pouviez, des témoignages divins, affirmant qu'il y a identité là où il y a diversité de substances. Voulant répondre à cette question, vous n'avez pu articuler rien de pareil; mais, serré de très-près, vous avez eu l'audace d'affirmer que les Apôtres sont une même chose avec le Père et le Fils. Jésus-Christ n'a jamais tenu ce langage; il est de vous, qui avez avancé que le Père et le Fils et les Apôtres sont comme une même chose. Or, (602) Jésus-Christ n'a pas dit: Afin qu'eux et nous, nous soyons un; mais: «Afin qu'ils soient un comme nous». Et pour nous en tenir aux termes propres de l'Evangile: «Père saint, dit-il, conservez en votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous». Est-ce qu'il a dit: Afin qu'ils soient un avec nous? ou bien: Afin qu'eux et nous soyons un? Puis un peu après: «Je ne prie pas, dit-il, pour eux seulement; mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous ensemble ils ne soient qu'un». Ici encore, il n'a pas dit: Afin qu'ils soient un avec nous. Il ajoute: «Comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous, qu'ils soient de même un en nous». Il ne dit pas non plus ici: Afin que nous soyons un; ou: Afin qu'ils soient un avec nous; mais: «Afin qu'ils soient un en nous»: afin qu'étant un par nature, parce qu'ils sont hommes, ils soient un aussi dans le Père et dans le Fils, ce qui ne veut pas dire un avec eux; en d'autres termes, les Apôtres ne sont pas un avec le Père et le Fils. Jésus-Christ ajoute encore ces paroles: «Afin que le monde croie que vous m'avez envoyé; et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un, comme nous ne sommes qu'une même chose; je suis en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en l'unité (1)». Quoiqu'il ait tant de fois répété: «Afin qu'ils soient un», jamais cependant il n'a dit: Afin qu'eux et nous, nous soyons un, c'est-à-dire, afin qu'ils soient un avec nous; mais tantôt il a dit: «En nous»; tantôt, «comme nous», en d'autres termes, eux, suivant leur nature, nous, suivant la nôtre. Ceux qui étaient un par leur nature, il les voulait parfaits, par cela, même qu'ils ne faisaient qu'un. Car, en leur faisant cette recommandation: «Soyez donc, vous aussi, parfaits comme votre Père céleste est parfait (2)», son dessein n'est pas de les unir à Dieu en unité de nature, comme si leur nature et celle de Dieu étaient identiquement la même; mais il veut qu'ils soient parfaits dans leur nature, comme Dieu est parfait dans la sienne, quoiqu'elle soit différente et non identique: si nous ne sommes pas cela en lui, nous ne pouvons l'être nullement. Il n'est pas question ici de la manière d'être de tous les hommes en Dieu, en ce sens

1. Jn 18,11-23 - 2. Mt 5,48

qu'il contient lui-même tout ce qu'il a créé; ce qui a fait dire «qu'il n'est pas loin de chacun de nous», parce que «nous avons en lui la vie, le mouvement et l'être (1)»; mais de la manière d'être qui est mentionnée dans les termes suivants: «Vous n'étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (2)». De là cette autre parole: «Qu'elle se marie à qui elle veut, pourvu que ce soit dans le Seigneur (3)». Vous n'avez donc pu trouver de passage où il soit dit de ceux dont la nature n'est pas identique, mais différente, qu'ils sont une même chose; et cependant, vous avez voulu nous échapper dans l'ombre, en disant que les Apôtres sont un avec le Père et le Fils, comme si les Apôtres, et le Père et le Fils, n'étaient qu'une même chose, tandis qu'il est évident que la substance des Apôtres est différente de celle du Père et du Fils. Mais parce qu'il est notoire que nulle part Jésus-Christ nia dit: qu'eux et nous, nous soyons un; ou: qu'ils soient un avec nous; qu'il soit notoire aussi que vous n'avez pu nous répondre et que vous avez cherché à nous tromper.


CHAPITRE XIII. DU TÉMOIGNAGE QUE LE PÈRE REND AU FILS.

En treizième lieu, je vous ai fait observer que le Père n'est pas plus grand que le Fils, pour lui avoir rendu témoignage. Car j'ai rappelé que les Prophètes, eux aussi, ont rendu témoignage au Fils, et cependant, vous ne pouvez pas prétendre qu'ils sont plus grands que lui. Vous aviez dit que le Père a rendu témoignage au Fils; or, j'avais cru que vous vouliez prouver par là qu'il est plus; grand que celui à qui il a rendu témoignage; mais, comme dans la suite de la discussion, vous n'en avez plus dit mot, j'ai pris votre silence pour un aveu; il peut se faire cependant que vous ayez allégué que le Père a rendu témoignage au Fils, non pas pour prouver qu'il est plus grand que lui, mais que, autre est le Père, autre est le Fils. Or, ce dogme, nous le soutenons, vous et nous, contre les Sabelliens, car le Père n'est pas le même que le Fils. Ils disent que le Fils n'est pas autre, mais identiquement le même que le Père: pour nous, nous croyons qu'autre

1 Ac 17,27-28 - 2. Ep 5,8 - 3. 1Co 7,38

603

est le Père, autre est le Fils, mais que le Fils est cependant ce qu'est le Père.


CHAPITRE XIV. DE L'AMOUR DU PÈRE ET DU FILS.

En quatorzième lieu, comme vous aviez dit: Je lis le mot aimé, et je crois que c'est le Père qui aime, et que c'est le Fils qui est aimé, voici comment je vous ai répondu Ainsi, vous prétendez qu'il y a disparité entre le Père et le Fils, parce que le Père aime, et que le Fils est aimé; comme si vous pouviez nier que le Fils, lui aussi, aime le Père. Et j'ai ajouté: S'ils s'aiment tous deux réciproquement, pourquoi niez-vous donc qu'ils soient de même nature? Je voulais, par cet argument, vous amener à ne plus nier l'unité de leur nature, en vous fondant sur cette raison, que l'un aime et que l'autre est aimé. Dans votre réponse à mon observation, vous êtes convenu, il est vrai, que le Fils, lui aussi, aime le Père, mais vous n'avez pas voulu reconnaître qu'ils sont de même nature: ainsi, selon vous, le Fils aurait pour le Père l'amour de la créature à l'égard du Créateur, et non l'amour du Fils à l'égard de celui qui l'a engendré, et vous voulez qu'il soit un fils dégénéré, en lui attribuant une nature différente de celle de son Père.


CHAPITRE XV. DE L'INVISIBILITÉ DE LA TRINITÉ.

J'ai dit, en quinzième lieu, que l'invisibilité est un attribut, non pas seulement du Père, mais encore de la Trinité; et toutefois que le Fils a apparu visiblement dans la forme de serviteur, et qu'il a, pour cette raison, parlé en ces termes: «Le Père est plus grand que moi (1)». Mais comme la divinité se manifestait aux patriarches, j'ai dit que la Trinité s'abaissait à prendre la forme de la créature, au lieu d'apparaître dans sa nature propre, qui est invisible. Et en confirmation de ce que j'avançais, j'ai invoqué ces paroles de Moïse à celui à qui il parlait face à face: «Si j'ai a trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi vous-même ouvertement (2)», pour vous faire comprendre de quelle manière il voyait celui qu'il conjurait de se manifester à lui car, s'il avait vu Dieu dans sa substance

1. Jn 14,28 - 2. Ex 33,11-13

divine, il ne lui aurait pas demandé de se montrer à lui. J'ai dit aussi que le Christ est le créateur des choses visibles et des choses invisibles, afin de prouver que celui qui a pu créer, non pas seulement les choses visibles, mais encore les choses invisibles, n'est pas visible lui-même quant à sa substance. En essayant de répondre, que de choses n'avez-vous pas dites qui n'ont point de rapport à la question! le lecteur pourra en être juge; et cependant, en ce qui concerne Moïse, pourquoi celui-ci voulait-il que Dieu, à qui il parlait, se montrât à lui, s'il voyait sa nature et sa substance? Vous n'avez absolument rien osé formuler sur ce point; et vous n'avez pas cessé d'affirmer que le Fils de Dieu, le créateur des choses invisibles, a été visible dans la forme de Dieu, avant même qu'il eût pris la forme de serviteur: voilà votre langage, quoique auparavant vous ayez fait l'aveu qu'il a pu se faire voir dans la forme de serviteur, mais qu'il est invisible dans la substance de sa divinité.


CHAPITRE XVI. QUE DIEU SEUL EST SAGE.

En seizième lieu, comme vous aviez appliqué au Père exclusivement ces paroles de l'Apôtre: «A Dieu, qui est le seul sage (1)», j'ai répondu: Le Père serait donc le seul Dieu sage, et la sagesse de Dieu elle-même, qui est le Christ, et que l'Apôtre appelle «la force de Dieu et la sagesse de Dieu (2)», n'aurait point la sagesse en partage! J'ai ajouté: Il ne vous reste plus qu'à dire, car, jusqu'où ne va pas votre audace! que la sagesse de Dieu est insensée. Sur quoi vous avez répondu: Le bienheureux apôtre Paul proclame que la sagesse appartient exclusivement au Père, quand il dit: «A Dieu, qui est le seul sage». Mais, disiez-vous encore, il faut voir de quelle manière il est le seul sage; on n'affirme point que le Christ soit dépourvu de sagesse. Vous poursuivez sur ce thème, et vous faites votre profession de foi sur la manière dont vous entendez la sagesse du Christ; puis, après plusieurs considérations hors de propos, que vous avez enfilées pour traîner le temps et le discours en longueur, vous avez encore glissé ces mots: Mais vraiment le Père est le seul sage; comme si l'Apôtre avait dit formellement: Au Père, qui est le seul sage. Mais il a

1. Rm 16,27 - 2. 1Co 1,24

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dit: «A Dieu, qui est le seul sage»; or, comme le Fils est Dieu aussi, ce que vous admettez comme nous, et que le Saint-Esprit est Dieu également, quoique vous le niiez; cette Trinité est le Dieu seul sage, qui n'a pu et ne pourra jamais être privé de sagesse en aucune manière; et la sagesse qu'elle possède, elle ne la tient pas d'ailleurs comme une grâce, mais elle la possède dans l'immobilité et l'immutabilité de sa nature. Maintenant si je vous disais: O homme, qui vous glorifiez de votre nom de chrétien, le Christ, pensez-vous, a-t-il une sagesse qui ne soit pas la véritable sagesse? Le Christ, qui est vraiment Dieu, ne serait-il donc pas véritablement sage? Sous le coup de cette interrogation, ne vous troubleriez-vous pas, au point de me répondre aussitôt, que le Christ est vraiment sage? Que signifie donc cette parole que vous avez fait entendre: Mais vraiment le Père est le seul sage? Vous voyez dès lors le point où vous en êtes arrivé, et la grandeur du blasphème qu'il est de votre devoir de rétracter.


CHAPITRE XVII. QUE DIEU N'A PAS ÉTÉ FAIT.

En dix-septième lieu, je vous ai fait voir que le Fils, aussi bien que le Père, n'a pas été fait, n'a pas eu de commencement. Vous.aviez dit que vous ne reconnaissiez que le Père pour Dieu, parce que seul il n'a pas eu de naissance, il n'a pas été fait. En réponse à cette affirmation audacieuse: En déclarant que le Père n'a pas été fait, vous entendez donc, ai-je dit, que le Fils l'a été, lui par qui toutes choses ont été faites. Puis j'ai ajouté: Sachez que le Fils a été fait, mais dans la forme de serviteur. Car il est si loin d'avoir eu un commencement dans sa nature divine, qu'il a lui-même créé toutes choses. Que si, insistais-je, il a été fait, ce n'est point de lui, mais d'ailleurs, que toutes les créatures tirent leur existence. Avec tout votre flux de paroles, vous vous êtes trouvé si à court pour me répondre, que vous vous êtes absolument tu; comme si vous n'aviez rien entendu de ce que j'ai dit.


CHAPITRE XVIII. QUE LE PÈRE N'EST POINT ENGENDRÉ.

Comme vous aviez dit du Père qu'il n'est pas né, en d'autres termes, qu'il n'a pas été engendré, j'ai, en dix-huitième lieu, discuté avec vous à ce propos, et voici mes propres paroles: Je ne dis donc pas que le Fils n'a point été engendré, mais que le Père a engendré, et que le Fils a été engendré. Or, le Père a engendré ce qu'il est: car, si le Fils n'est pas ce qu'est le Père, il n'est pas son Fils véritable, ainsi que nous l'avons déjà observé en parlant des petits des animaux. A cela encore vous n'avez pu répondre rien de vrai ni de faux.


CHAPITRE XIX. DE L'ÉGALITÉ DU SAINT-ESPRIT AVEC LE PÈRE.

En dix-neuvième lieu, comme vous m'aviez demandé de vous démontrer que le Saint-Esprit est égal au Père, je vous ai répondu de la manière suivante: Pourquoi me demandez-vous de vous démontrer que le Saint-Esprit est égal au Père, comme si vous aviez prouvé que le Père est plus grand que le Saint-Esprit, de même que vous avez pu le prouver en ce qui concerne le Fils, eu égard à la forme de serviteur qu'il a prise? Nous savons en effet, ajoutais-je, qu'on dit du Père qu'il est plus grand que le Fils, parce que le Fils a pris la forme de serviteur; et mainte nant encore le Fils cou serve cette forme humaine, qu'il a élevée jusqu'au ciel; c'est pourquoi il est dit de lui que maintenant encore «il intercède pour nous (1)». Et cette forme immortelle ne cessera jamais d'être dans le royaume des cieux: de là ces mots de l'Ecriture: «Alors le Fils sera aussi lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (2)». Quant au Saint-Esprit, qui n'a pris aucune créature pour l'identifier à sa personne, quoiqu'il ait daigné se faire voir aussi lui-même par l'intermédiaire des créatures, soit en forme de colombe, soit.en formé de langue de feu (3), jamais on n'a dit que le Père fût plus grand que lui; jamais que le Saint-Esprit ait adoré le Père; jamais enfin qu'il fût moindre que le Père. Dans la réponse que vous avez semblé faire à ce sujet, vous n'avez en réalité rien dit. Vous n'avez pu en effet démontrer qu'on ait jamais affirmé que le Père est plus grand que le Saint-Esprit, tandis que le Fils dit expressément, en raison de la forme de serviteur qu'il a prise: «Le Père est plus grand que moi (4)». Et comme

1. Rm 8,34 - 2. 1Co 15,28 - 3. Mt 3,16 - 4. Jn 14,28

605

j'avais avancé que le Saint-Esprit n'a pris aucune créature pour l'identifier à sa personne, alors vous répliquâtes que l'Esprit-Saint est apparu dans la colombe et dans le feu, de la même manière que le Christ est apparu dans l'homme: comme si la colombe et l'Esprit ou le feu et l'Esprit formaient une seule personne, comme le Verbe uni à l'homme n'est qu'une personne. Les créatures dont le Saint- Esprit a fait choix, dans des vues mystérieuses, pour apparaître visible, lui qui est invisible de sa nature; la colombe, symbole du pur amour; le feu, symbole de la charité ardente et éclairée, ces créatures, dis-je, n'ont apparu qu'un moment; et, leur rôle mystérieux accompli, ces formes sensibles ont disparu pour ne plus se montrer, semblables en cela à la colonne de nuée, qui était ténébreuse le jour, et lumineuse la nuit (1). Enfin, de peur qu'on n'imaginât que la colombe ou la flamme est unie à la substance de l'Esprit-Saint, ou que la nature d'une majesté si grande s'est transformée en ces créatures visibles, ou qu'elle les a prises pour les identifier à sa personne, on ne voit pas que dans la suite l'Esprit-Saint ait jamais apparu de la sorte. Il n'en est pas de même du Christ: il n'a pas pris la ressemblance humaine pour un temps, afin de se montrer aux hommes revêtu de leur nature, et de la déposer ensuite; mais en gardant sa forme invisible de Dieu, il â pris la forme visible de l'homme, pour l'unir à sa personne; non-seulement il a pris cette forme au sein maternel, mais il a grandi, il a mangé, il a bu et il a dormi dans cette même forme; en elle il a été mis à mort, il est ressuscité, il est monté au ciel et il est assis à la droite du Père; en elle il viendra pour juger les vivants et les morts, et dans son royaume il sera assujetti à celui qui lui a assujetti toutes choses. A ces considérations, que j'ai abrégées dans ma réponse, et que je viens de développer, pour que vous en saisissiez mieux le sens, vous n'avez voulu prêter ni attention ni intérêt; mais vous vous êtes précipité dans le blasphème d'une manière si étrange, que vous avez été jusqu'à dire que la nature divine de Dieu et de l'Esprit-Saint était, ô horreur! sujette à la mobilité et au changement. Voici en effet vos propres expressions: Ce que j'ai dit de l'invisibilité du Dieu tout-puissant, vous l'avez cependant affirmé vous-même,

1. Ex 13,21-22

quoique dans un dessein différent: que le Saint-Esprit s'est fait voir en forme de colombe et en forme de langues de feu; que le Fils s'est montré dans la forme de l'homme; mais que le Père n'a apparu ni en forme de colombe, ni sous la forme de l'homme; qu'il ne s'est jamais transformé et qu'il ne le fera jamais, et que c'est de lui qu'il est écrit: «Je suis celui qui suis, et je ne change pas». Puis vous ajoutez ensuite: Le Fils, déjà établi en la forme de Dieu, selon votre propre aveu, a pris la forme de serviteur, ce que le Père n'a pas fait; le Saint-Esprit a également pris la forme d'une colombe, tandis que le Père ne l'a pas fait. Sachez donc, observiez-vous, qu'il n'y en a qu'un seul qui est à la fois invisible, immense et au-dessus de toutes limites. Tiendriez-vous un pareil langage, si, animé par l'esprit, au lieu de l'être par la chair, vous pouviez penser à ce que vous dites? Car vous lisez dans les saintes Ecritures: «Je suis celui qui suis, et je ne change pas (1)». Or, ces paroles ne s'appliquent pas seulement au Père, mais à la Trinité elle-même, qui est un seul Dieu; et vous, les appliquant au Père exclusivement, vous croyez que le Fils est sujet à changer! Le Fils unique par qui toutes choses ont été faites, celui que l'Evangile proclame en ces termes: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu», et «toutes choses ont été faites par lui (2)», vous le croyez susceptible de changement! Que dirai-je maintenant du Saint-Esprit, quand vous vous formez des idées semblables de celui que vous reconnaissez être vrai Dieu et vrai Fils de Dieu? Cela n'arriverait certainement point, si vous croyiez en fidèle catholique, que la forme de Dieu n'a pas été changée en la forme de, serviteur, mais que la forme de serviteur a été prise par la forme de Dieu; inspiré par l'esprit, au lieu de l'être par la chair, vous admettriez qu'après avoir pris la forme visible de l'homme, la divinité du Fils est demeurée invisible: alors vous ne vous jetteriez pas à l'écart dans un esprit de contention, mais vous comprendriez et vous verriez; vous pourriez considérer des yeux de la foi le Saint-Esprit, apparaissant d'une manière sensible par l'intermédiaire de la créature, suivant le choix de sa volonté, tout en conservant sa nature invisible, et sans la changer ou la transformer

1. Ex 3,14 Ml 3,6 - 2. Jn 1,1-3

606

aucunement en forme de feu ou de colombe (1). Souvenez-vous du moins que vous n'avez pu démontrer, contrairement à ma proposition, par aucun témoignage divin, que le Père est plus grand que l'Esprit-Saint, et qu'il est adoré par lui.


CHAPITRE XX. QUOIQUE LE PÈRE NE SOIT PAS ENGENDRÉ, LE FILS EST CEPENDANT SON ÉGAL.

En vingtième lieu, comme vous aviez dit: S'il est égal au Père, il lui est certainement semblable; et s'il lui est semblable, il n'a pas certainement pris naissance; je vous ai répondu: Mais vous dites du Fils: S'il est égal, il est certainement semblable; cela signifie que, puisqu'il a été engendré, il semble qu'il n'est pas semblable au Père. Vous pourriez dire à ce prix que celui qu'Adam a engendré n'est pas homme, puisque lui, Adam, n'a pas été engendré, mais fait par Dieu. Or, si Adam, quoique non engendré, a pu cependant engendrer ce qu'il était lui-même, vous ne voulez pas que Dieu ait engendré un Dieu égal à lui? Je ne m'étonne pas que vous n'ayez point trouvé de réponse à cette objection; mais je vous loue sans détour de n'avoir pas même tenté une réponse. Et plût au ciel que vous eussiez toujours agi ainsi! car, dans nos discussions, vous n'avez jamais pu trouver rien de judicieux à répondre, et cependant presque toujours vous avez tenu à prendre la parole. Mais comme, sur les autres points, vous avez avancé tant de choses qui n'avaient pas de rapports nécessaires avec le sujet de notre débat, et que vous avez passé le temps à dire des mots, il faut vous rendre grâces de ce que parfois vous avez tellement compris l'impossibilité d'une réfutation, que vous avez mieux aimé garder alors le plus complet silence.

1. Ac 2,3 Mt 3,16






LIVRE SECOND


PRÉFACE.

Je dois maintenant, avec l'aide de Dieu, tenir ma promesse en ce qui concerne le reste; car j'ai dit au commencement de cet ouvrage: Je démontrerai, en premier lieu, que vous n'avez pu réfuter ce que j'ai soutenu; je ferai voir ensuite, autant que. le besoin s'en fera sentir, les erreurs que vous avez avancées. Or, comme j'ai déjà démontré, autant qu'il m'a été possible avec la grâce de Dieu, que vous n'avez pu réfuter ce que j'ai soutenu, il me reste maintenant, aidé du même secours divin, à réfuter les propositions que vous avez avancées vous-même. Je ne reviendrai donc pas sur vos premières affirmations, dont j'ai fait immédiatement justice dans la discussion que j'ai eue avec vous; mais à votre dernière thèse, dont la prolixité a été telle que je n'ai pas eu le temps de vous répondre ce jour-là, j'opposerai des arguments si victorieux, que vous devrez, s'il plaît à celui qui est notre Maître, vous rendre à la lumière de la vérité, à moins que vous ne lui préfériez les ténèbres de la dispute. J'écarterai d'abord, pour le besoin de ma réponse, vos digressions superflues. Car la question qui s'agite entre nous est de savoir, si le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit, sont de nature différente, comme vous le soutenez, ou plutôt, conformément à notre doctrine, s'ils sont d'une seule et même nature, et si la Trinité elle-même n'est qu'un seul Dieu: puisque nous sommes d'accord pour affirmer que le Père n'est pas le même que le Fils, que le Fils n'est pas le même que le Père, et que le Père ou le Fils ne sont pas la même chose que le Saint-Esprit. Malgré tout ce que vous avez dit dans un langage trop disert, pour montrer que, autre est le Père, autre le Fils, autre le Saint-Esprit; faites donc l'aveu que ce sont là des paroles superflues, quand vous discutez avec nous; si les Sabelliens étaient vos adversaires, à la bonne heure; vous pourriez alors tourner contre eux des armes qui nous sont communes, à vous et à nous. Vous avez encore parlé longuement, pour démontrer que Notre-Seigneur Jésus-Christ est un Dieu grand: à quoi bon nous prouver cela, puisque nous enseignons la même chose? Vous avez aussi exalté l'Esprit-Saint en des termes pompeux et pleins de vérité; mais loin de renier ces louanges, nous pourrions y ajouter encore: il était donc inutile de nous les opposer, puisque nous les publions comme vous. Est-ce que nous ne professons pas également que le Christ est assis à la droite du Père? Vous avez cependant fait une thèse en forme, pour démontrer cette vérité par les témoignages de nos saints livres, comme si jamais nous avions nié ce point. de foi. Nous savons, les uns et les autres, et nous tenons pour certain que le Christ est venu dans la chair or, pour le prouver, vous avez réuni les arguments tirés de l'autorité divine, absolument comme si nous croyions le contraire. Ces particularités et d'autres, que je signalerai en leur lieu et place, et pour lesquelles vous avez dépensé inutilement beaucoup de peine, afin de traîner la discussion en longueur et de gagner du temps, je devrai les toucher pour mention, sans y opposer de réfutation.


CHAPITRE PREMIER. QUI DES DEUX, DE MAXIMIN OU D'AUGUSTIN, S'INSPIRE DE LA CRAINTE DE DIEU.

Vous dites que je m'appuie sur le pouvoir des princes, et que je ne parle point suivant la crainte de Dieu; tandis que vous savez bien que nous sommes obligés de prier pour les rois, afin qu'ils arrivent à la connaissance de la vérité (1): de ce que cette grâce a été donnée à quelques-uns, nous en témoignons notre reconnaissance à Dieu, et vous, vous en gémissez. Mais, à les bien comprendre, nos propres paroles témoignent qui de nous tient un langage inspiré par la crainte de Dieu est-ce celui qui exalte Dieu le Père, et lui fait

1. 1Tm 2,2-4

608

un titre de gloire, d'avoir engendré un Fils égal à lui-même; ou celui qui déshonore et le Père et le Fils, en disant que le premier n'a pu engendrer un fils en tout semblable à lui, et que le second est un fils dégénéré, non point depuis sa naissance, mais même en naissant?


CHAPITRE II. JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ ÉLEVÉ, QUANT À SON HUMANITÉ SAINTE; COMME DIEU, IL N'ÉTAIT PAS SUSCEPTIBLE DE PLUS D'ÉLÉVATION.

Vous dites que vous honorez le Christ, comme le Dieu de toute créature, devant qui tout genou fléchit au ciel, sur la terre et dans les enfers; les vôtres cependant nient qu'il soit égal à Dieu le Père, parce que le Père lui a accordé cette faveur: l'Apôtre dit en effet

«C'est pourquoi Dieu l'a élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse etc.» Vous ne vous inquiétez pas de savoir à qui fut accordée cette faveur, si c'est à l'humanité, ou à la divinité du Christ. Il n'y a pourtant pas ici dé méprise possible. «Il s'est abaissé lui-même jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom (1)». Si donc Dieu lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, parce qu'il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix, le Fils de Dieu n'était-il pas, avant qu'il en vînt à ces abaissements, Dieu suprême, Verbe de Dieu, et Dieu avec Dieu? ou bien, est-ce après avoir été élevé pour s'être rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix, qu'il a commencé d'être le Fils de Dieu élevé en gloire, le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même? est-ce alors seulement qu'il a commencé d'avoir un nom au-dessus de tout nom? Qui serait assez insensé pour avancer de telles erreurs? Par conséquent ce don s'adressait à son humanité sainte, parce que c'est comme homme que le Fils s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix; comme Fils de Dieu, Dieu de Dieu, l'égal du Père par la naissance, il en était déjà en possession.

1. Ph 2,8-9


CHAPITRE 3. DE L'ÉGALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE, ET DU SAINT-ESPRIT AVEC LE FILS.

Vous me faites un reproche d'enseigner que le Saint-Esprit est égal au Fils. Je le soutiens assurément. Eh bien! ajoutez-vous, prouves que le Saint-Esprit est l'objet de nos adorations. Comme je le vois, la preuve, selon vous, qu'il soit égal au Christ, c'est qu'il soit adoré comme lui. Avouez donc maintenant que le Christ est égal au Père, puisque vous reconnaissez vous-même qu'il est adoré comme le Père. Mais quels hommes singuliers vous êtes! quelle bizarre humilité vous inspire! Quoi! vous lisez dans l'Ecriture: «La lettre tue, mais l'Esprit vivifie (1)», et vous ne voulez pas adorer l'Esprit-Saint? Vous ne voulez donc pas adorer celui qui, de votre propre aveu, est la vie des âmes; tandis que le patriarche Abraham adora des hommes, parce qu'ils lui cédèrent un tombeau, pour y déposer le corps de son épouse qui venait de mourir! Voici en effet ce que porte le texte sacré: «Abraham vint pleurer Sara et en faire le deuil. Et s'étant levé du lieu où était son corps, il dit aux enfants de Heth: Je suis parmi vous comme voyageur et étranger; donnez-moi donc le droit de posséder un tombeau au milieu de vous, où je puisse enterrer la personne qui m'est morte. Les enfants de Heth répondirent à Abraham: «Non, Seigneur; mais écoutez-nous maintenant: vous êtes parmi nous un prince favorisé de Dieu; enterrez votre mort dans l'un de nos plus beaux sépulcres: car nul d'entre nous ne vous refusera son tombeau pour y enterrer votre mort. Abraham, s'étant levé, adora le peuple des enfants de Heth (2)». Et vous, pour vous obstiner à repousser la grâce divine, vous ne consentirez pas à rendre au Saint-Esprit le devoir de l'adoration! Mais, dites-vous, prouvez que le Saint-Esprit est adoré: comme si la lecture des saints livres ne nous donnait pas à entendre des choses qui n'y sont point consignées. Mais, sans aller chercher si loin, où avez-vous lu que Dieu le Père n'a pas été engendré ou n'est pas né? C'est là cependant une vérité certaine. Et ce que vous avez affirmé plusieurs fois que le Père est incomparable même au Fils, vous ne l'avez point

1. 2Co 3,6 - 2. Gn 23,2-7

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lu, et ce n'est point une vérité. Que si vous vous faisiez une idée raisonnable du culte d'adoration qui est dû à Dieu, en lisant que l'Esprit-Saint possède un temple, vous seriez plus convaincu de sa divinité que si vous lisiez qu'il est l'objet de notre adoration. Nous savons,. et nous venons de le rappeler, que des hommes mêmes ont été adorés par des saints; mais les temples n'ont été érigés par les hommes qu'en l'honneur du vrai Dieu, tel fut le temple de Salomon, ou qu'en l'honneur de ceux qui passaient pour être des dieux, et qu'adoraient les nations idolâtres. Or, l'Esprit-Saint, suivant cette belle expression qui s'applique à Dieu, «n'habite pas dans des temples faits de mains d'hommes (1)», mais notre corps lui-même est son temple. Et nos corps, pour être traités avec respect, sont aussi les membres du Christ (2). N'est-il donc pas un grand Dieu, celui à l'honneur duquel un temple est bâti, et par Dieu lui-même, et avec les membres d'un Dieu?



Augustin et Maximin - CHAPITRE X. COMMENT LE PÈRE, ET LE FILS, ET LE SAINT-ESPRIT NE SONT QU'UN SEUL DIEU.