Discours 2005-2013 1344
1344 Le séminaire est donc un temps d’exercice ; naturellement aussi du discernement, de l’apprentissage. Me veut-Il pour cela ? La vocation doit être vérifiée, et la vie communautaire en fait donc partie et, naturellement, les entretiens avec le père spirituel que vous avez, pour apprendre à discerner quelle est Sa volonté. Et puis, il faut apprendre la confiance : s’Il le désire vraiment, alors je peux Lui faire confiance. Dans le monde actuel, qui change de manière inédite et où tout devient différent continuellement, où des attaches humaines s’effondrent pour que se créent de nouvelles rencontres, il devient toujours plus difficile de croire : je vais être fidèle ma vie durant. Il n’était pas évident pour nous, à notre époque, de pouvoir se représenter combien de décennies Dieu allait me concéder, combien le monde changerait. Est-ce que je vais pouvoir durer avec Lui, comme je l’ai promis ?... C’est une question qui demande justement la vérification de la vocation, mais également – plus je reconnais : Oui, Il me veut – la confiance aussi : S’Il me veut, alors Il me retiendra, alors Il sera présent à l’heure de la tentation, à l’heure de l’épreuve, et Il me donnera des personnes [qui seront là pour moi], Il m’indiquera des chemins ; Il me soutiendra. Et la fidélité est possible, parce qu’Il est toujours là, et parce qu’Il était, est et sera, parce qu’Il n’appartient pas uniquement à ce temps, mais parce qu’Il est l’avenir et qu’Il nous porte à toute heure.
Un temps de discernement, d’études, de la vocation … Et puis, naturellement, un temps pour être avec Lui, un temps de prière, un temps pour L’écouter, apprendre vraiment à L’écouter – dans la parole des Saintes Écritures, dans la foi de l’Église, dans la liturgie de l’Église – pour apprendre notre aujourd’hui de Sa parole. Nous apprenons beaucoup sur hier par l’exégèse : tout ce qu’il y avait, quelles sont les sources, quelles communautés existaient, et ainsi de suite. Cela est important ! Mais plus important est de savoir apprendre par ce hier quel est notre aujourd’hui, qu’Il parle maintenant avec ces mots et que ceux-ci contiennent en eux-mêmes leur aujourd’hui, et que -par-delà le début historique- ils contiennent en eux une plénitude qui parle à tous les âges. Et il est important d’apprendre l’actualité de Ses paroles – apprendre à écouter- pour pouvoir en parler aux autres personnes. Naturellement, lorsque l’on prépare l’homélie du dimanche, elle est couramment … Mon Dieu ! … si lointaine ! Mais, si je vis avec la Parole, alors je vois qu’elle n’est pas si éloignée, qu’elle est très actuelle, qu’elle est bien là, qu’elle me concerne et qu’elle concerne les autres. Et alors j’apprends également à l’expliquer. Mais pour cela, il est nécessaire de cheminer continuellement intérieurement avec la Parole de Dieu.
Être personnellement avec le Christ, avec le Dieu Vivant, est une chose ; l’autre est que nous ne pouvons uniquement que croire en « Nous ». Je dis parfois que saint Paul a écrit : « Croire vient de l’écoute » non de la lecture. Il [le croire] a besoin également de la lecture, mais il vient de l’écoute, cela veut dire de la Parole vivante, de l’encouragement des autres que je peux écouter, de l’encouragement de l’Église au long des âges, de la parole que vous donnent maintenant les prêtres, les Evêques et les prochains. Le « toi » fait partie du croire, fait partie du « nous ». Et le fait de s’entraîner à se supporter réciproquement, est très important ; apprendre à accepter l’autre comme un autre dans son altérité, et apprendre par là qu’il doit me supporter comme étant un autre dans mon altérité, afin de devenir un « nous », afin de pouvoir ensuite constituer un jour une communauté paroissiale, de pouvoir appeler des personnes dans l’unité de la Parole et d’être ensemble en chemin vers le Dieu vivant. Fait partie de cela ce « nous » très concret, tel qu’il est au séminaire, tel qu’il le sera en paroisse, mais aussi toujours cherchant à aller, au-delà de ce « nous » concret et limité, dans le grand « nous » de l’Église de tous les temps et en tout lieu, afin que nous ne nous prenions pas uniquement pour notre propre mesure. Lorsque nous disons : « Nous sommes l’Église», oui, c’est vrai : Nous la sommes nous, et pas n’importe qui. Mais, le « nous » va au-delà du groupe qui vient de l’affirmer. Le « nous » est l’ensemble de la communauté des croyants d’aujourd’hui et de tous les lieux et de tous les temps. Et je dis toujours : Oui, il existe, pour ainsi dire, dans la communauté des croyants la sentence de la majorité de fait, mais il ne peut jamais y avoir une majorité contre les Apôtres et les Saints, il s’agit alors d’une fausse majorité. Nous sommes l’Église, soyons-le donc ! Soyons-le par le fait de nous ouvrir et d’aller au-delà de nous-mêmes, et soyons-le avec les autres.
Oui, je crois que suivant le programme je dois certainement conclure. Je voudrais vous dire une chose supplémentaire. Les études comptent avant tout pour la préparation au sacerdoce et pour le chemin qui y conduit. Il ne s’agit pas d’un hasard académique qui s’est développé dans l’Église occidentale, mais c’est essentiel. Nous savons tous que saint Pierre a dit : « Soyez toujours prêts à donner pour réponse la raison, le Logos de votre foi, à ceux qui le demandent » (cf. 1P 3,15). Notre monde d’aujourd’hui est un monde rationalisé et ‘scientifisé’, et aussi souvent ‘scientifisé’ en apparence. Mais l’esprit de l’être ‘scientifisé’, du comprendre, de l’explication, du pouvoir savoir, de refuser tout ce qui n’est pas rationnel, est dominant en notre temps. Il y a en cela quelque chose de grand, même si par derrière se cache beaucoup d’arrogance et de déraison. La foi n’est pas un monde parallèle du sentiment, monde que nous pouvons nous permettre, mais elle est ce qui rassemble le tout et qui lui donne sens et le guide, et qui lui donne également des directives éthiques intérieures : afin que ce tout soit compris et vécu pour et par Dieu. C’est pourquoi, avec humilité, il est important de s’informer, de comprendre, d’avoir l’esprit ouvert, d’apprendre. Naturellement dans 20 ans, seront à la mode d’autres théories philosophiques totalement différentes des actuelles. Quand je pense ce qu’était pour nous la mode philosophique la plus haute et la plus moderne, et je constate que tout est désormais oublié… Pourtant, il n’est pas vain d’apprendre tout cela, car s’y trouvent aussi des connaissances qui demeurent toujours. Et par-dessus tout, nous apprenons en cela à pouvoir juger, à penser avec –et à le faire de manière critique-, à aider pour que dans la pensée, la lumière de Dieu nous éclaire et ne s’éteigne pas. Il est essentiel d’étudier. C’est seulement ainsi que nous pourrons faire front à ce temps et lui annoncer le Logos de notre foi. Étudier aussi avec un esprit critique – même en sachant que demain, un autre dira autre chose-, mais demeurer des étudiants vigilants, ouverts et humbles, afin d’étudier toujours avec le Seigneur, devant le Seigneur et pour Lui.
Oui, je pourrais encore dire d’autres choses, je le devrais d’ailleurs…. Mais, je vous remercie pour votre écoute. Et par la prière, tous les séminaristes du monde sont présents dans mon coeur – pas uniquement quelques noms singuliers, comme ceux que je viens de connaître, mais dans le cheminement intérieur vers le Seigneur. Qu’Il bénisse tous, qu’Il donne à tous la lumière et montre le droit chemin, et qu’Il nous offre de nombreux et bons prêtres. Merci beaucoup.
Séminaire de Freiburg im Breisgau Samedi 24 septembre 2011
Mesdames et Messieurs,
Chers Frères et Soeurs,
Je vous suis reconnaissant pour la possibilité de vous rencontrer, membres du Conseil de présidence du Comité central des Catholiques allemands (ZdK), ici à Fribourg. Je vous manifeste volontiers mon appréciation pour votre engagement à soutenir publiquement les intérêts des catholiques et à donner une impulsion à l’oeuvre apostolique de l’Église et des catholiques dans la société. De même, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président Glück, pour vos bonnes paroles, par lesquelles vous avez dit beaucoup de choses importantes dignes de réflexion.
1345 Chers amis, des programmes dits exposure existent dans l’aide au développement depuis des années. Des personnes responsables de la politique, de l’économie et de l’Église vivent, pour un certain temps, avec les pauvres en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine et partagent leur vie quotidienne concrète. Elles se mettent dans la situation de vie de ces personnes pour voir le monde avec les yeux de ces personnes et pour apprendre de cette expérience en vue de leur propre agir solidaire.
Imaginons-nous qu’un tel programme exposure ait lieu ici en Allemagne. Des experts provenant d’un pays lointain viendraient vivre pour une semaine auprès d’une famille allemande moyenne. Ici, ils admireraient beaucoup de choses, par exemple le bien-être, l’ordre et l’efficacité. Mais, avec un regard non prévenu, ils constateraient aussi beaucoup de pauvreté : pauvreté pour ce qui concerne les relations humaines et pauvreté dans le domaine religieux.
Nous vivons à une époque caractérisée, en grande partie, par un relativisme subliminal qui pénètre tous les domaines de la vie. Parfois, ce relativisme devient batailleur, se dirigeant contre des personnes qui disent savoir où se trouve la vérité ou le sens de la vie.
Et nous remarquons combien ce relativisme exerce toujours plus une influence sur les relations humaines et sur la société. Ceci trouve aussi une expression dans l’inconstance et dans l’irrégularité de nombreuses personnes et dans un individualisme excessif. Certains ne semblent pas du tout capables de renoncer à quelque chose ou de faire un sacrifice pour d’autres. Même l’engagement altruiste pour le bien commun, dans les domaines sociaux et culturels, ou pour les personnes dans le besoin, diminue. D’autres ne sont plus en mesure de se lier de façon inconditionnelle à un partenaire. On ne trouve presque plus le courage de promettre d’être fidèle pendant toute une vie ; le courage de se décider et de dire : maintenant moi je t’appartiens totalement, ou de s’engager avec décision dans la fidélité et la véracité, et de chercher avec sincérité les solutions des problèmes.
Chers amis, dans le programme exposure l’analyse est suivie de la réflexion commune. Une telle élaboration doit regarder la personne humaine dans sa totalité, et sa relation avec le Créateur en fait partie – non seulement implicitement, mais bien explicitement.
Nous voyons que dans notre monde riche occidental il y a un manque. Beaucoup de personnes manquent de l’expérience de la bonté de Dieu. Elles ne trouvent aucun point de contact avec les Églises institutionnelles et leurs structures traditionnelles. Mais pourquoi ? Je pense que c’est une question sur laquelle nous devons réfléchir très sérieusement. S’occuper de cette question est la mission principale du Conseil pontifical pour la nouvelle Évangélisation. Mais évidemment elle nous concerne tous. Permettez-moi d’aborder ici un point de la situation spécifique allemande. En Allemagne, l’Église est organisée de manière excellente. Mais, derrière les structures, se trouve-t-il aussi la force spirituelle qui leur est relative, la force de la foi au Dieu vivant ? Sincèrement nous devons cependant dire qu’il y a excédent de structures par rapport à l’Esprit. J’ajoute : la vraie crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à un véritable renouvellement de la foi, toute la réforme structurelle demeurera inefficace.
Revenons cependant aux personnes auxquelles manque l’expérience de la bonté de Dieu. Elles ont besoin de lieux, où elles puissent se mettre à parler de leur nostalgie intérieure. Et ici nous sommes appelés à chercher de nouvelles voies de l’évangélisation. Une telle voie pourrait être les petites communautés, où se vivent les amitiés, qui sont approfondies dans la fréquente adoration communautaire de Dieu. Ici il y a des personnes qui racontent leurs petites expériences de foi sur leur lieu de travail et dans le milieu de la famille ou des connaissances, témoignant, de cette façon, une nouvelle proximité de l’Église avec la société. Il leur apparaît ensuite toujours plus clairement que tous ont besoin de cette nourriture de l’amour, de l’amitié concrète de l’un avec l’autre et avec le Seigneur. Le lien avec la sève vitale de l’Eucharistie demeure important, parce que sans le Christ nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,5).
Chers frères et soeurs, puisse le Seigneur nous indiquer toujours le chemin pour être ensemble des lumières dans le monde et pour montrer à notre prochain le chemin vers la source, où il puisse satisfaire son désir de vie le plus profond. Je vous remercie.
Foire de Freiburg im Breisgau Samedi 24 septembre 2011
Chers jeunes amis,
1346 Durant toute cette journée, j’ai pensé avec joie à cette soirée où j’allais pouvoir être ici avec vous et m’unir à vous dans la prière. Certains étaient peut-être déjà présents à la Journée Mondiale de la Jeunesse, où nous avons pu expérimenter une atmosphère particulière de tranquillité, de communion profonde et de joie intime qui caractérise une veillée vespérale de prière. Je souhaite que nous puissions faire une expérience similaire en ce moment-ci : puisse le Seigneur nous toucher et faire de nous des témoins joyeux, qui prient ensemble et se rendent garants des uns pour les autres, non seulement en cette soirée, mais durant toute notre vie.
Dans toutes les églises, dans les cathédrales et dans les couvents, partout où des fidèles se rassemblent pour la célébration de la Veillée pascale, la plus sainte de toutes les nuits s’ouvre par l’allumage du cierge pascal dont la lumière est transmise à toutes les personnes présentes. Une flamme minuscule irradie en de nombreuses lumières, et illumine la maison de Dieu dans l’obscurité. Dans ce splendide rite liturgique, que nous avons imité dans cette veillée de prière, se révèle à nous, par des signes plus éloquents que les paroles, le mystère de notre foi chrétienne. Jésus, qui dit de lui-même : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8,12), fait briller notre vie, pour que soit vrai ce que nous venons à peine d’écouter dans l’Évangile : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14). Ce ne sont pas nos efforts humains ou le progrès technique de notre époque qui portent la lumière dans ce monde. Nous devons toujours de nouveau faire l’expérience que notre engagement pour un ordre meilleur et plus juste, rencontre des limites. La souffrance des innocents, et, enfin, la mort de tout homme sont une obscurité impénétrable qui peut peut-être être éclairée momentanément, comme un éclair dans la nuit, par de nouvelles expériences. Cependant, à la fin, demeurent des ténèbres angoissantes.
Autour de nous, il peut y avoir l’obscurité et les ténèbres, et nous voyons toutefois une lumière : une petite flamme minuscule, qui est plus forte que l’obscurité apparemment si puissante et invincible. Le Christ, qui est ressuscité des morts, brille dans ce monde, et le fait d’une manière plus lumineuse justement là où, selon le jugement humain, tout semble être lugubre et privé d’espérance. Il a vaincu la mort -Il vit- et la foi en Lui, comme une petite lumière, pénètre tout ce qui est ténébreux et menaçant. Celui qui croit en Jésus, ne voit certainement pas toujours la clarté du soleil dans sa vie -comme si souffrances et difficultés pouvaient lui être épargnées- mais il y a toujours une lumière limpide qui lui indique une voie qui conduit à la vie en abondance (cf. Jn 10,10). Les yeux de celui qui croit au Christ contemplent aussi dans la nuit la plus obscure une lumière et voient déjà l’aurore d’un nouveau jour.
La lumière ne reste pas seule. Tout autour d’elle s’allument d’autres lumières. Sous l’effet de leur clarté, les contours de l’espace sont bien marqués si bien qu’il est possible de s’orienter. Nous ne vivons pas en solitaires dans le monde. Dans les choses importantes de la vie, nous avons justement besoin des autres. Ainsi de façon particulière, nous ne sommes pas seuls dans la foi, nous sommes des anneaux de la grande chaîne des croyants. Personne n’arrive à croire s’il n’est pas soutenu par la foi des autres, et d’autre part, par ma foi, je contribue à conforter les autres dans leur foi. Nous nous aidons réciproquement à être des exemples les uns pour les autres, nous partageons avec les autres ce qui est nôtre, nos pensées, nos actions et notre affection. Et nous nous aidons réciproquement à nous orienter, à identifier notre place dans la société.
Chers amis, « Je suis la lumière du monde – Vous êtes la lumière du monde », dit le Seigneur. C’est une chose mystérieuse et grandiose que Jésus dise de lui-même et de nous tous ensemble la même chose, c’est-à-dire : d’« être lumière ». Si nous croyons qu’il est le Fils de Dieu qui a guéri les malades et a ressuscité les morts, ou mieux, que Lui-même est sorti vivant du tombeau et qu’il vit vraiment, alors nous comprenons qu’il est la lumière, la source de toutes les lumières de ce monde. Nous, au contraire, nous expérimentons toujours de nouveau l’échec de nos efforts et l’erreur personnelle malgré nos meilleures intentions. Le monde où nous vivons, ne devient pas, apparemment et en dernière analyse, meilleur malgré le progrès technique. Guerres, terreur, faim et maladie, pauvreté extrême et répression sans pitié existent encore. Et même ceux qui, dans l’histoire, ont pensé être « des porteurs de lumière », sans pourtant avoir été illuminés par le Christ, l’unique vraie lumière, n’ont pas exactement créé quelque paradis terrestre, ils ont au contraire instauré des dictatures et des systèmes totalitaires, dans lesquels même la plus petite étincelle d’humanité vraie a été étouffée.
À ce point, nous ne pouvons pas taire le fait que le mal existe. Nous le voyons en tant de lieux de ce monde ; mais nous le voyons aussi –et cela nous fait peur- dans notre vie elle-même. Oui, dans notre coeur lui-même existe l’inclination au mal, l’égoïsme, l’envie et l’agressivité. Grâce à une certaine autodiscipline, cela est peut être contrôlable dans une certaine mesure. Par contre, cela devient plus difficile quand c’est une manière d’être mauvaise plutôt cachée, qui peut nous envelopper comme un brouillard asphyxiant, et ce sont l’indolence et la lourdeur de vouloir et d’accomplir le bien. Sans cesse dans l’histoire, des personnes attentives ont fait noter : le préjudice pour l’Église ne vient pas de ses adversaires, mais des chrétiens attiédis. « Vous êtes la lumière du monde !». Seul le Christ peut dire : « Je suis la lumière du monde ». Nous tous sommes lumière seulement si nous demeurons dans ce « vous » qui depuis le Seigneur devient lumière toujours de nouveau. Et comme au sujet du sel, et en signe d’avertissement, le Seigneur affirme qu’il peut devenir insipide, de même dans ses paroles relatives à la lumière, il a émis également un léger avertissement. Plutôt que de mettre la lumière sur le lampadaire, on peut la couvrir avec un boisseau. Demandons-nous : combien de fois couvrons-nous la lumière de Dieu par notre inertie, par notre obstination, de sorte qu’elle ne puisse plus resplendir à travers nous dans le monde ?
Chers amis, l’Apôtre saint Paul, dans plusieurs de ses lettres, ne craint pas d’appeler « saints » ses contemporains, les membres des communautés locales. Il est évident, ici, que chaque baptisé –avant même qu’il puisse accomplir de bonnes oeuvres ou des actions particulières- est sanctifié par Dieu. Dans le baptême, le Seigneur allume, pour ainsi dire, une lumière dans notre vie, une lumière que le catéchisme appelle la grâce sanctifiante. Celui qui conserve cette lumière, celui qui vit dans la grâce, celui-là est effectivement saint.
Chers amis, l’image des saints a été continuellement l’objet de caricature et de représentation déformée, comme si être saints signifiait être en-dehors de la réalité, ingénu et sans joie. On pense souvent qu’un saint est seulement celui qui accomplit des actions ascétiques et morales d’un niveau très élevé et que, pour cela, on peut certainement le vénérer, mais jamais l’imiter dans la vie personnelle. Comme cette opinion est erronée et décourageante ! Il n’y a aucun saint, sauf la bienheureuse Vierge Marie, qui n’ait pas connu aussi le péché et qui ne soit jamais tombé. Chers amis, le Christ ne s’intéresse pas tant au nombre de fois où vous trébuchez dans la vie, mais bien au nombre de fois où vous vous relevez. Il n’exige pas des actions extraordinaires, mais il veut que sa lumière resplendisse en vous. Il ne vous appelle pas parce que vous êtes bons et parfaits, mais parce qu’il est bon et il veut faire de vous ses amis. Oui, vous êtes la lumière du monde, parce que Jésus est votre lumière. Vous êtes chrétiens –non parce que vous faites des choses particulières et extraordinaires- mais parce que Lui, le Christ, est votre vie. Vous êtes saints parce que sa grâce opère en vous.
Chers amis, en ce soir où nous sommes réunis en prière autour de l’unique Seigneur, nous entrevoyons la vérité de la parole du Christ selon laquelle la ville située sur une montagne ne peut rester cachée. Cette assemblée brille dans les diverses significations de la parole : dans la clarté d’innombrables lumières, dans la splendeur de tant de jeunes qui croient en Christ. Une bougie peut donner de la lumière seulement si elle se laisse consumer par la flamme. Elle demeurerait inutile si sa cire n’alimentait pas le feu. Permettez que le Christ vous brûle, même si cela peut parfois signifier sacrifice et renoncement. Ne craignez pas de pouvoir perdre quelque chose et de rester à la fin, pour ainsi dire, les mains vides. Ayez le courage de mettre vos talents et vos qualités au service du Règne de Dieu et de vous donner vous-mêmes –comme la cire de la bougie- afin que par vous le Seigneur illumine l’obscurité. Sachez oser devenir des saints ardents, dans les yeux et dans les coeurs desquels brille l’amour du Christ, et qui, de cette manière portent la lumière au monde. J’ai confiance que vous et beaucoup d’autres jeunes ici en Allemagne soient des flambeaux d’espérance, qui ne restent pas cachés. « Vous êtes la lumière du monde ». Amen.
1347 Chers Confrères dans le ministère épiscopal et sacerdotal !
Mesdames et Messieurs !
Je suis heureux de cette rencontre avec vous qui êtes engagés de multiples manières pour l’Église et la société. Ceci m’offre une occasion appréciée de vous remercier ici personnellement de tout coeur pour votre service et votre témoignage comme « hérauts puissants de la foi en ce qu’on espère » (Lumen gentium, LG 35). Ainsi le Concile Vatican II désigne les personnes qui, comme vous, se préoccupent pour le présent et l’avenir de la foi. Dans votre milieu de travail vous défendez volontiers la cause de votre foi et de l’Église, comme nous le savons, chose qui n’est vraiment pas toujours facile dans les temps actuels.
Depuis des décennies, nous assistons à une diminution de la pratique religieuse, nous constatons une croissante prise de distance de la vie de l’Église d’une partie notable de baptisés. Jaillit alors la question : est-ce que, par hasard, l’Église ne doit pas changer ? Est-ce que, par hasard, dans ses services et ses structures, elle ne doit pas s’adapter au temps présent, pour rejoindre les personnes d’aujourd’hui qui sont en recherche et dans le doute ?
À la bienheureuse Mère Térésa il fut demandé un jour de dire quelle était, selon elle, la première chose à changer dans l’Église. Sa réponse fut : vous et moi !
Ce petit épisode nous rend évidentes deux choses. D’une part, la religieuse entend dire à son interlocuteur que l’Église n’est pas uniquement les autres, la hiérarchie, le Pape et les Évêques ; l’Église, nous la sommes tous : nous, les baptisés. Par ailleurs, elle part effectivement du présupposé : oui, il y a motif pour un changement. Il existe un besoin de changement. Chaque chrétien et la communauté des croyants dans son ensemble, sont appelés à une conversion continuelle.
Comment doit se configurer concrètement ce changement ? Est-ce qu’il s’agit, peut-être, d’un renouveau comme le réalise par exemple le propriétaire d’une maison à travers une restructuration ou une nouvelle peinture de son immeuble ? Ou bien s’agit-il ici d’une correction, pour reprendre le cap ou parcourir un chemin de façon plus allègre et directe ? Ces aspects et d’autres ont certainement leur importance, et il ne peut être question ici de tous. Mais pour ce qui regarde le motif fondamental du changement, il s’agit de la mission apostolique des disciples et de l’Église elle-même.
En effet, l’Église doit toujours de nouveau vérifier sa fidélité à cette mission. Les trois évangiles synoptiques mettent en lumière différents aspects du mandat de cette mission : la mission se base d’abord sur l’expérience personnelle : « Vous êtes témoins » (Lc 24,48) ; elle s’exprime en relation : « De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19) ; elle transmet un message universel : « Proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16,15). Cependant, à cause des prétentions et des conditionnements du monde, ce témoignage est toujours obscurci, les relations sont aliénées et le message est relativisé. Si ensuite l’Église, comme le dit le Pape Paul VI, « cherche à se rendre conforme à l’idéal que le Christ lui propose, du même coup se dégage tout ce qui la différencie profondément du milieu humain dans lequel elle vit et qu’elle aborde » (Encyclique Ecclesiam suam, n. 60). Pour réaliser sa mission, elle devra prendre continuellement distance de son milieu, se « dé-mondaniser » pour ainsi dire.
La mission de l’Église, en effet, découle du mystère du Dieu un et trine, du mystère de son amour créateur. Et l’amour n’est pas seulement présent de quelque façon en Dieu : Lui-même est amour ; de par Sa nature, Il est l’amour. Et l’amour divin ne veut pas être seulement pour soi, il veut se répandre conforment à sa nature. Dans l’incarnation et dans le sacrifice du Fils de Dieu, l’amour a rejoint l’humanité de manière particulière. Et cela de la manière suivante : le Christ, le Fils de Dieu, est sorti de la sphère de son être Dieu, Il s’est fait chair et Il est devenu homme ; et cela non seulement pour confirmer le monde dans son être terrestre, et partager Sa condition qui -la laissant immutable- la transforme. De l’événement christique fait partie le fait incompréhensible qu’il existe – comme disent les Pères de l’Église – un sacrum commercium, un échange entre Dieu et les hommes. Les Pères l’expliquent de cette manière : Nous n’avons rien à donner à Dieu, nous ne pouvons que lui présenter nos péchés. Il les accepte et se les fait Sien, et Il nous donne lui-même et Sa gloire en échange. C’est là un échange vraiment inégal qui se déploie dans la vie et les souffrances du Christ. Il devient pécheur, se charge du péché ; Il prend ce qui est nôtre et nous donne ce qui est le Sien. Mais continuant à réfléchir et à vivre dans la foi, il devient évident que nous ne Lui donnons pas uniquement le péché, mais qu’Il nous autorise, qu’Il nous donne une force intérieure pour Lui pour donner également du positif : notre amour Lui donne, de manière positive, l’humanité. Il est clair, naturellement, que ce n’est que grâce à la bonté de Dieu, que l’homme, le mendiant, reçoit la richesse divine, que Dieu peut donner quelque chose, que Dieu nous rend acceptable le cadeau en nous rendant capables d’être pour Lui des offrants.
L’Église se doit elle-même totalement à cet échange inégal. Elle ne possède rien par elle-même face à Celui qui l’a fondée, de sorte elle pourrait donc dire : Nous avons fait cela très bien ! Son sens consiste à être un instrument de la rédemption, de se laisser pénétrer par la parole de Dieu et de transformer le monde en l’introduisant dans l’union d’amour avec Dieu. L’Église s’immerge dans l’attention complaisante du Rédempteur envers les hommes. Elle est là où vraiment elle est elle-même, toujours en mouvement, se mettant continuellement au service de la mission, qu’elle a reçue du Seigneur. C’est pourquoi elle doit toujours s’ouvrir aux préoccupations du monde -auquel elle appartient-, se consacrer sans réserve à elles, pour continuer et rendre présent l’échange sacré qui a commencé avec l’Incarnation.
Cependant, dans le développement historique de l’Église se manifeste aussi une tendance contraire : c’est celle d’une Église qui est satisfaite d’elle-même, qui s’installe dans ce monde, qui est autosuffisante et s’adapte aux critères du monde. Elle donne assez souvent à l’organisation et à l’institutionnalisation, une importance plus grande qu’à son appel à l’ouverture vers Dieu, qu’à l’espérance du monde pour l’autre.
1348 Pour correspondre à sa véritable tâche, l’Église doit toujours de nouveau faire l’effort de se détacher de sa « mondanité » pour s’ouvrir à Dieu. C’est ainsi qu’elle suit les paroles de Jésus : « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jn 17,16), et c’est ainsi qu’Il se donne au monde. En un certain sens, l’histoire vient en aide à l’Église à travers les diverses périodes de sécularisation, qui ont contribué de façon essentielle à sa purification et à sa réforme intérieure.
En effet, les sécularisations – qui furent l’expropriation de biens de l’Église ou la suppression de privilèges ou de choses semblables – signifièrent chaque fois une profonde libération de l’Église de formes de « mondanité » : elle se dépouille, pour ainsi dire, de sa richesse terrestre et elle revient embrasser pleinement sa pauvreté terrestre. Ainsi, l’Église partage le destin de la tribu de Lévi qui, selon l’affirmation de l’Ancien Testament, était la seule tribu en Israël qui ne possédait pas de patrimoine terrestre mais elle avait pris exclusivement Dieu lui-même, sa parole et ses signes comme part d’héritage. Avec cette tribu, l’Église partageait en ces moments historiques l’exigence d’une pauvreté qui s’ouvrait vers le monde, pour se détacher de ses liens matériels, et ainsi son agir missionnaire redevenait également crédible.
Les exemples historiques montrent que le témoignage missionnaire d’une Église « dé-mondanisée » est plus clair. Libérée du fardeau et des privilèges matériels et politiques, l’Église peut se consacrer mieux et de manière vraiment chrétienne au monde entier ; elle peut être vraiment ouverte au monde. Elle peut à nouveau vivre avec plus d’aisance son appel au ministère de l’adoration de Dieu et au service du prochain. La tâche missionnaire qui est liée à l’adoration chrétienne, et qui devrait déterminer la structure de l’Église, se rend visible plus clairement. L’Église s’ouvre au monde non pour obtenir l’adhésion des hommes à une institution avec ses propres prétentions de pouvoir, mais pour les faire rentrer en eux-mêmes et ainsi les conduire à Celui dont toute personne peut dire avec Augustin : Il est plus intime à moi-même que moi-même (cf. Conf. 3, 6, 11). Lui, qui est infiniment au-dessus de moi, est toutefois tellement en moi-même jusqu’à être ma véritable intériorité. Par ce style d’ouverture de l’Église au monde, est tracée aussi en même temps la forme dans laquelle l’ouverture au monde de la part de chaque chrétien peut se réaliser de façon efficace et appropriée.
Il ne s’agit pas ici de trouver une nouvelle stratégie pour relancer l’Église. Il s’agit plutôt de déposer tout ce qui est uniquement tactique, et de chercher la pleine sincérité, qui ne néglige ni ne refoule rien de la vérité de notre aujourd’hui, mais qui réalise pleinement la foi dans l’aujourd’hui, la vivant justement, totalement dans la sobriété de l’aujourd’hui, la portant à sa pleine identité, lui enlevant ce qui est seulement apparemment foi, mais qui n’est en vérité que convention et habitude.
Disons-le encore avec d’autres mots : la foi chrétienne est toujours pour l’homme un scandale, et cela pas uniquement en notre temps. Que le Dieu éternel se préoccupe de nous êtres humains, qu’Il nous connaisse ; que l’Insaisissable soit devenu en un moment déterminé saisissable ; que l’Immortel ait souffert et soit mort sur la croix ; qu’à nous, êtres mortels, soient promises la résurrection et la vie éternelle – croire tout cela est pour les hommes, une véritable exigence.
Ce scandale, qui ne peut être aboli si on ne veut pas abolir le christianisme, a malheureusement été mis dans l’ombre récemment par d’autres scandales douloureux impliquant des annonciateurs de la foi. Une situation dangereuse se crée quand ces scandales prennent la place du skandalon premier de la Croix et le rendent ainsi inaccessible, c’est-à-dire quand ils cachent la véritable exigence chrétienne derrière l’inadéquation de ses messagers.
Il y a une raison supplémentaire pour estimer qu’il est de nouveau actuel de retrouver la vraie « dé-mondanisation », de retirer courageusement ce qu’il y a de « mondain » dans l’Église. Naturellement, ceci ne signifie pas se retirer du monde, bien au contraire. Une Église allégée des éléments « mondains » est capable de communiquer aux hommes – à ceux qui souffrent comme à ceux qui les aident – justement aussi dans le domaine socio-caritatif, la force vitale particulière de la foi chrétienne. « La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence même, à laquelle elle ne peut renoncer » (Deus caritas est ). Certainement, les oeuvres caritatives de l’Église doivent aussi continuellement prêter attention à l’exigence d’un détachement approprié du monde pour éviter que, face à un éloignement croissant de l’Église, leurs racines ne se dessèchent. Seule la relation profonde avec Dieu rend possible une pleine attention à l’homme, de même que sans l’attention au prochain la relation à Dieu s’appauvrit.
Être ouverts aux événements du monde signifie donc pour l’Église « dé-mondanisée » témoigner selon l’Évangile de la domination de l’amour de Dieu, en paroles et par les oeuvres, ici et aujourd’hui. Et en outre, cette tâche renvoie au-delà du monde présent. En effet, la vie présente inclut le lien avec la vie éternelle. Comme individus, et comme communauté de l’Église, nous vivons la simplicité d’un grand amour qui, dans le monde, est en même temps la chose la plus facile et la plus difficile, parce qu’elle exige rien de plus et rien de moins que le don de soi-même.
Chers amis, il me reste à implorer pour nous tous la bénédiction de Dieu et la force de l’Esprit Saint, afin que nous puissions, chacun dans son propre champ d’action, reconnaître toujours de nouveau l’amour de Dieu et sa miséricorde et en témoigner. Je vous remercie pour votre attention.
Discours 2005-2013 1344