Bible chrétienne Evang. - § 170. Question sur Elie: Mt 17,9-13; Mc 9,9-13
(Mt 17,9-13 Mc 9,9-13)
— C'est la suite du § 169 . La descente de la montagne appartient même encore à la scène de la Transfiguration, comme le montre le // avec Moïse redescendant du Sinaï avec le visage rayonnant de Dieu (Ex 34,29, en // à Mt 17,2). Le secret messianique* contre toute déviation temporelle n'aura plus de raison d'être après que « le Roi des Juifs », crucifié, sera monté par sa Glorification dans ce monde éternel d'où Il attire tout à lui (Mais la réflexion de Mc 9,10 montre que les Apôtres n'imaginent même pas ce que pourra être la Résurrection de Pâques — même s'ils croyaient en une < résurrection des morts > à la Fin des temps).
Plus largement, ce § 170 boucle la boucle ouverte au § 165 . À la question : « Qui dit-on que je suis ? », la réponse de Pierre, confessant que Jésus était le Messie, écartait l'hypothèse qu'il fût Jean-Baptiste ou Élie. Alors, que faire de ceux-ci, les scribes ayant raison de dire qu'Élie doit venir d'abord, puisque c'est l'Écriture qui le dit (// Ml 3,22-24 et Si 48,9-11) ? — La solution est d'une simplicité magnifique: Jean-Baptiste et Élie s'expliquent l'un par l'autre: le Précurseur est le Baptiste-npuvel-Elie. Au surplus, Pierre, Jacques et Jean viennent de voir non seulement Élie, mais Moïse (// Ml 3,22).
Mt 17,12; Mc 9,12) — Mt paraît plus clair; et pourtant, si le Christ parle seulement de Jean-Baptiste, pourquoi dit-il « vient » (au présent) et « rétablira » (au futur), alors que c'est du passé, puisque le Baptiste a été décapité (§ 147 ) ? De son côté, Me laisse la phrase en suspens, comme on le verra dans notre traduction, conforme au littéral : verbe au participe, sans le complément normal d'un verbe principal (< casus pendens >) — comme on dirait : « La conversion globale d'Israël... ! (sous-entendu : ce serait la résurrection pour la Parousie) ».
Quel est donc l'au-delà que visent les temps des verbes en Mt, et les points de suspension de Me ? — Mc 9,12b-13 va nous le laisser entendre. Oui, Élie doit venir et rétablir toutes choses. C'est bien ce qu'annonçaient Ml et Si, puisque ce verbe « rétablir » est le même que celui de Ml 3,24 (lxx), traduit ici : « Il tournera », et de Si 48, 10d : « pour rétablir ». Mais cette restauration messianique ne viendra pas en une Parousie immédiate et glorieuse : le « Messager » doit d'abord la préparer (Ml 3,23 et Si 48,10b, « avant que n'arrive... » Ml 3,24, «... pour que le Jour de Yahvé ne soit pas extermination »). Auparavant, < il faut > en effet qu'interviennent les souffrances rédemptrices du « Fils de l'homme » (Mt et Mc, v. 12b — cette mention du/< Fils de l'homme » souffrant, comme < le Serviteur > d'Isaïe, est unique dans l'Évangile ; mais elle montre bien que tous ces titres prophétiques se rejoignent dans le Christ et son mystère pascal). Le martyre de Jean-Baptiste en est une image, en même temps qu'une participation à ce mystère : le sort du Christ et de son Précurseur sont liés, comme le laissait entendre le flottement relevé dans la prophétie en Ml 3,1-2, qui s'applique au Messie non moins qu'au Baptiste (§ 19 ) — Mt 3,1* — c'est en // à Mt 3,1 que l'on trouvera Ml 3,1-2). D'où aussi le présent et le futur de Mt 17,11 : Oui, Jean-Baptiste est venu; mais reste Jésus, qui commence seulement sa montée vers Jérusalem et sa Passion (§ 183 *), par où Il rétablira l'Alliance et gagnera notre Salut, avant que n'éclate le Jour de « la Colère qui vient » (1Th 1,10).
Ainsi se retrouve le 2° thème de ces § 165 -170 : Si Jésus est bien le Messie Sauveur (1° thème), c'est par la Croix et l'association à ses souffrances comme à sa Gloire — que ce soit de Jean-Baptiste ou de tous ses disciples (§ 168 ). C'est donc une digne conclusion à cette section qui, comme le montre b. standaert, est le point culminant dans la seconde partie de l'Évangile selon Marc (Mc 6,14 à 10,52); celle-ci est elle-même centrale, entre la 1° partie, d'exposition (1,14 à 6,13) et la 3° partie, de dénouement (10,52 à 15,47).
Nous vérifions, jusque dans la composition littéraire de tout cet Évangile, que le coeur de la « Bonne Nouvelle » est bien l'Imitation de Jésus-Christ, jusque dans sa Passion et Glorification, comme l'annonçait d'ailleurs le < Kérygme >* : « Faites pénitence / Convertissez-vous / Revenez à votre Père » (ce qui est aussi « l'Exode »). Non seulement l'Évangile, mais tout l’A.T. convergent donc en ce sens, qui ouvre sur l'accomplissement total, eschatologique.
// Ml 3,24 — // Tournera le coeur... : cf. § 3 ) — Lc 1,17*.
// Si 48,11 — Bienheureux ceux qui verront le Nouvel Élie accomplir son oeuvre restauratrice, en la personne du Précurseur suivi du Messie : c'est-à-dire, bienheureux les contemporains du Christ, du moins ceux qui « verront » assez profondément pour « croire » (§ 128 ) — Mt 13,16-17*). Mais les justes des générations passées ne seront pas frustrés non plus (v. 1 Ib), car la rédemption de nos péchés par la mort du Christ lui permettra d'ouvrir « les portes de l'Hadès » (§ 165 ), et de transférer les uns comme les autres dans le Royaume du « nous vivrons » éternel (Col 1,13-14).
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(Mt 17,14-21 Mc 9,14-29 Lc 9,37-43)
— Au premier coup d'oeil, par sa longueur même, on voit que le récit de Me est le plus circonstancié — ce qui ne veut pas dire que, comme on l'a longtemps supposé, Mt et Lc n'auraient fait qu'abréger ou adapter Mc (Sur cette « question synoptique », où nous n'avons pas à entrer, cf. X. Léon-Dufour: VI° Et. d'Év., p. 183-227). Mais, pour le sens, nous pouvons suivre Mc, en le complétant par ce en quoi Le et surtout Mt en diffèrent.
Mc 9,14-15; Mt 17,14a; Lc9, 37) — Dans le // Entre Moïse et Jésus, ce paragraphe correspond au retour dramatique de Moïse, du Sinaï : son séjour s'y était prolongé au point que le peuple, désespérant de le revoir, s'était tourné vers le Veau d'Or (Ex 24,18 Ex 31,18 Ex 32,1-6 Ex 32,15-21). De même ici, la surprise de la foule en voyant Jésus revenir du Thabor, et son empressement à accourir.
Que faisaient les 9 Apôtres restants, durant l'Ascension de Jésus, Pierre, Jacques et Jean « sur la montagne » ? — Mc 9,14 les montre, entourés de la foule, discutant avec les scribes. À quel sujet ? La suite nous l’apprend :
Mc 9,17-18 ; Mt 17,14b-15 ; Lc 9,38-40) — Selon son habitude, Mt réduit le rôle de la foule, des disciples, et même du démon, mentionné seulement à la fin du v. 18; cela, pour mieux centrer l'attention sur les deux figures centrales : Jésus et le père (Sur cette < mise en scène >, cf. § 34 ) — Mt 8,14-15*).
L'homme (Mc dit seulement : « un de la foule »), se met à genoux, et appelle Jésus; « Seigneur » (Mc-Lc : « Maître ») : appellation (divine) et geste d'imploration adorante qui témoignent déjà de sa foi.
Le mal de l’enfant : décrit physiquement, surtout en Mc — et par deux fois : v. 18 et 20-22. Il est attribué par Mc-Lc à un esprit mauvais (muet — Mc) ; Mt parle d'abord d'un lunatique, en proie à l'attirance des < quatre éléments > qui symbolisent le cosmos : la lune (air), la chute (la terre et sa pesanteur), le feu et l'eau. Tout cela répond à la réalité et à l'idée que l'on s'est faite jusqu'à notre temps, du < haut mal >, épileptique.
Tes disciples n'ont pas pu : C'est l'axe particulier à ce miracle, repris et développé par Mc aux v. 22-23 et en conclusion : « Pourquoi n'avons-nous pas pu ? » — « Ce genre-là ne peut sortir... « À la foi, rien d'impossible » (Mt 17,20*).
Mc 9,19; Mt 17,17; Lc 9,49 // Gn 6,9 Dt 32,5-6 Dt 32,20 Ps 78,5-8 Ac 2,40-41 Ph 2,15-16 — Sur le sens de « cette génération », cf. § 108 ) — Mt 11,16-19*. On voit que, dans le // Majeur de Dt 32, l'expression prend le sens large de « race ». Ici, l'exclamation vise en premier lieu les Apôtres en mal de miracle : « incrédule » est en rapport avec Mt 17,19-20, et leur peu de foi, au v. 20*. Mais par-delà, elle exprime l'extra-ordinaire lassitude du Christ devant la foule de ceux qui ne vont pas au bout de la confiance. Cri du coeur, ou provocation à la foi ? C'est ce que montre la suite :
Mc 9,20-24) — Propre à Mc. Joue sur le thème : « Si tu peux... tout est possible à qui croit » — que Mt donne après coup, en leçon plus générale aux disciples (v. 20*). La réponse du père, elle aussi, convient à nous tous (cf. Cyrille de Jérusalem, cité à Mt 17,20*). Ainsi, comme dans le cas du paralytique, le miracle peut être obtenu même quand la foi est le fait non du malade mais d'un proche, et même si le croyant est moins intrépide que le Centurion ou la Cananéenne (§ 40 *, § 84 *, § 156 *). J. von allmen (« Foi et Vie » 1949, p. 59-75) est sans doute en droit de voir dans cette guérison un encouragement évangélique au baptême des enfants, portés par la foi de leurs parents et de l'Église. Tant il est vrai que les sacrements sont pour celle-ci l'exercice du Pouvoir de guérison et d'exorcisme (sacramentels, donc < mystiques > et spirituels) que le Christ lui a confié (§ 349 -350) — Mc 16,15-18*).
Mc 9,25-27; Mt 17,18; Lc 9,42) — Menaça : C'est le pouvoir « du plus fort » (§ 117 ) — Mt 12,29*), qui commande (Mc): « Sors... et le démon sortit »: autre forme d'< Exode >, de délivrance de l'esclavage d'Egypte:
L'enfant devint comme mort... «Il est mort »... Mais Jésus le releva. Et il se dressa : C'est le mystère ou le sacrement de la participation à la mort et à la résurrection, avec le verbe même d'où vient l'< Anastasis >. C'est donc bien une illustration du thème de cette section : notre association nécessaire au Mystère pascal (§ 166 -168 et § 172 ).
Lc, qui avait précisé que cet enfant était « l'unique » (fils) de ce père (v. 38), ajoute que Jésus « le rendit à son père » : deux traits // à la résurrection du fils de la veuve de Naïm (§ 105 ) — Lc 7,11-17). Par contre, il n'a pas retenu la leçon sur la foi (Mc 9,23-24 et 28-29; Mt 17,19-21); et cela contribue encore à faire de ce miracle un pur geste de cette bonté divine que le 3° Évangile s'attache à mettre spécialement en valeur.
Mt 17,19-21; Mc 9,28-29) — Comme pour les paraboles, suivies d'une explication réservée aux Apôtres (§ 125 ss*), la question ici posée permet à Jésus de préciser la leçon à tirer de l'échec des disciples, non moins que du miracle lui-même. En Mc, c'est d'autant plus sensible que, comme le remarque b. standaert (L'Év. selon Mc, p. 61-63), tous les autres miracles à but apologétique étant rapportés dans les 8 premiers chapitres, avant la section centrale qui s'ouvre avec la confession de Pierre à Césarée (§ 165 ), Me ne garde, pour encadrer la dernière section de cette 2° partie (9,14) — 10,52) — qui est doctrinale — que ces deux guérisons toutes deux données comme exemplaires: l'enfant épileptique, et l'aveugle Bartimée (§ 268 *). Mais en Mt, le propos catéchétique - l'éducation de la foi des disciples, donc de la nôtre - est encore plus accusé, par l'addition du v. 20, assez proche des v. 22b-24 de Mc, mais différents cependant, de par leur situation respective. Là, c'était le père du malade qui faisait appel à Jésus pour obtenir non seulement le miracle, mais ce surcroît de foi qui, précisément, obtient les miracles. Ici, est définie cette foi, de façon plus générale, et valable en tous les cas.
Ce qu'il y avait d'insuffisant dans la foi de ce père, c'était le « si tu peux », si offusquant pour Jésus (le point d'exclamation dans sa reprise de ce « si tu peux ! » est lourd de sous-entendus) : à coup sûr, Il peut, puisqu'il est Dieu le Tout-Puissant. La foi est inconditionnelle dès qu'elle est adhésion à Dieu; et le Christ, en demandant cette confiance, s'affirme Dieu. Son exigence est absolue parce que la confiance peut et doit être absolue en l'Absolu. L'engagement, l'union est telle que Jésus conclut non pas : « tout est possible à Dieu », mais :... « à celui qui croit ». La toute-puissance passe de Dieu au croyant, comme on l'a vu de Marie ou de la Cananéenne, obtenant le miracle même avant l'Heure (§ 29 * et § 156 *). On peut aussi traduire : « tout est possible pour celui qui croit », parce qu'alors Dieu peut tout pour lui. Mais peut-être est-ce là une forme spéciale de la foi, un < charisme > qui n'est pas donné à tous :
cyrille de JERUSALEM : Catéchèse baptismale 5,10-11 (PG 33,517-520) : Le nom de la foi est un, quant au vocable, mais il se divise en deux. Il y a une forme de la foi, la forme dogmatique, qui implique l'assentiment de l'âme à quelqu'un — et cette forme est utile (personnellement] à l'âme qui croit... En effet, si tu crois que Jésus-Christ est Seigneur et que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé ; et tu seras transporté dans le paradis par Celui qui a fait entrer le larron dans le paradis. Et ne refuse pas de croire que ce soit possible : car Celui qui, sur le saint Golgotha, a sauvé le larron — lequel avait cru pendant la durée d'une heure seulement — Celui-là te sauvera toi aussi, si tu crois.
Il y a une autre forme de foi : celle qui est donnée par le Christ en manière de charisme. Car [dit l'Apôtre], à l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse, à l'autre une parole de science par la vertu du même Esprit, à un autre les charismes des guérisons. Cette foi, donnée par l'Esprit en manière de charisme, n'est pas seulement dogmatique, mais elle est efficiente en ce qui concerne les choses qui dépassent l'homme. Celui qui possède cette foi-là, dira à cette montagne : « Passe d'ici à là », et elle y passera. Si quelqu'un, en effet, parle ainsi, selon cette foi-là, en étant convaincu que cela arrive, et n'hésite pas dans son coeur, alors il reçoit cette grâce.
Cela expliquerait que ce ne soit pas toujours par manque de foi qu'on n'est pas exaucé... Mais reste que tout croyant, si attaché soit-il au Christ, fera sien le cri de cet homme : « Je crois — Viens en aide à mon incrédulité ! »
En Mt 17,20, avec ses disciples, Jésus part de cette même distinction. Les Apôtres n'ont encore que « la petite foi », suffisante pour être sauvés, mais non pour accomplir leur mission apostolique, laquelle inclut les < miracles > (en tous cas sous leur forme sacramentelle) : § 99 ) — Mt 10,8* ; Mc 16,17-18. Sur ce rapport entre ce v. 20 et l'envoi en mission, cf. J. DuPlacy, dans le Mémorial A. Gelin, surtout p. 280-287. Mais l'appel à la foi totale est bien plus général encore, et il retentit à travers tout l'Évangile. C'est pourquoi l'on retrouve cet enseignement, sous des formes paraboliques analogues, à diverses reprises : § 239 et § 278 ) — Lc 17,6; Mc 11,22-23; Mt 21,21. Les variantes semblent de peu d'importance. Que ce soit une montagne à déplacer ou à jeter dans la mer, et un figuier à y planter, c'est toujours de l'impossible; mais si la foi « dit » ou ordonne le miracle, « cela se fera et arrivera » (§ 278 ), tout comme « Dieu dit... et ce fut » : c'est la même toute-puissance, du croyant et de Dieu.
N'en faisons pas une affaire de plus ou de moins — l'Évangile ne dit pas, comme on traduit souvent : « gros comme un grain de sénevé » — mais de changement d’espèce : une foi, si petite soit-elle, mais séminale, vivante, envahissante, comme le sénevé de la parabole (§ 133 *). Le passage de la < petite foi > à cette foi rayonnante et totale doit être tenu pour une grâce et une étape majeure dans la vie chrétienne. Qui entre dans cette adhésion non plus seulement intellectuelle mais vitale à Dieu, change de pôle : au lieu d'être soumis aux fluctuations et aux inévitables limites du psychisme humain, il est désormais ancré à l'Immuable, et ouvert à la totalité du dessein éternel du Père, pour le Salut de lui-même et du monde. Cet homme-là est solide ; il voit et il fait grand — comme en témoigne abondamment l'histoire des saints...
Mt 17,21) — Nestlé (et la plupart des commentateurs) tient ce verset pour additif, recopié sur Mc 9,29. X. Léon-Dufour demande si ce n'est pas plutôt le v. 20 que Mt aurait inséré entre les v. 19 et 21 donc en un dialogue primitivement identique à la forme que nous a conservée Me v. 28-29 (Et. d'Év., p. 193-195) ? En outre, dans Mc 9,29, « et par le jeûne » serait aussi une addition. De fait, le logion parallèle du § 278 dit seulement : « tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez... cela vous arrivera » (Mc 11,24). Mais le jeûne aussi est du programme évangélique — du moins pour le temps où l'Époux aura été « enlevé » (§ 43 *) — et Il l'était pour les 9 apôtres restés en bas, tandis que le Christ était, Lui, au Thabor. À nous en tous cas de prendre tout l’Évangile : prière, jeûne, avec foi.
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(Mt 17,22-23 Mc 9,30-32 Lc 9,43-45)
— Réitération du § 166 . En diffère : ... va être livré : < Livré > est le verbe de la < Passion > : Judas le « livre » (Mc 14,10-11), aux scribes et aux Pharisiens (Mc 10,33 = 3° annonce, § 253 ), qui le « livrent » à Pilate (Mc 15,1), qui le « livre » aux Juifs pour être crucifié (Mc 15,15). Ou plutôt, comme dit Lc 23,25 : « il Le livra à leur volonté » : « Ceci est mon Corps, livré pour vous ». « Livré, dit-Il à présent, aux mains des hommes » — et l'on sait bien que David n'avait pas tort de prévoir que c'était le pire (// 2S 24,14).
Ils ne comprenaient pas : Ceci rend exactement compte de l'honnêteté historique des Évangiles. Certes, ils ont été écrits après l'illumination de Pâques et de la Pentecôte. Mais les Apôtres ne s'embellissent pas; et ils nous rapportent la Parole, telle que dite par le Maître, et retenue d'autant plus littéralement, matériellement inchangée, qu'ils n'étaient pas tentés d'< interpréter > ce à quoi leur esprit se heurtait. Ainsi Bernadette, se demandant ce que voulait bien dire la déclaration de l’Apparition : « Je suis l'Immaculée Conception », l'a répétée tout le long du chemin, pour la redire au curé Peyramale, en ces propres termes.
Les Apôtres soupçonnent tout de même suffisamment ce qu'annonce Jésus pour d'abord tenter de s'y opposer (§ 167 *), et à présent, en être « tout attristés » (Mt). Mais s'ils « craignent de l'interroger », ce doit être plutôt d'une crainte sacrée, parce qu'ils soupçonnent qu'il y a quelque chose de divin en même temps que d'horrible, en ce < Mystère >. Après la Cène seulement, Jésus expliquera pourquoi il le < fallait > (// Jn 16,5 ss*).
sur cette Parole: C'est < Rhêma >, parole et événement tout ensemble (Lc 2,15*).
(Mt 17,24-27)
— Il n'est pas indifférent que Mt, seul à rapporter cet épisode, le place entre les paragraphes d'institution de son Eglise et ce qu'on appelle généralement le < Discours ecclésiastique >. D'autant plus que le didrachme était le montant de la redevance au Temple, symbole de la religion de l’A.T. comme nos églises le sont de l'Église du Christ. Jésus « prend les devants » (v. 25) pour enseigner à Pierre comme tel — Apôtres pas même mentionnés, et règlement de la question pour Pierre seul, conjointement à Jésus — la royale liberté qui doit être la sienne, plus encore que celle de tous les chrétiens. Car, de façon exemplaire, le Christ s'y montre doublement libre : vis-à-vis du Temple, mais aussi, ce qui est encore plus rare, vis-à-vis de sa propre liberté.
Il Ex 30,11-16) — Plutôt que de l'impôt sur le Temple, établi au temps des Rois Joas (2R 12) et Josias (2R 22,3-7, ou mieux : 2Ch 34,8-13), nous préférons mettre en // L'impôt du recensement, parce qu'il rappelle avec insistance la nécessité pour chacun de « racheter son âme », tout comme le rappelait la Loi du rachat de tout premier-né (Ex 13,1-2 Ex 13,11-16). On se rappelle comment Luc, dans l'Évangile de la Présentation (§ 11 *), avait montré que tout en s'y soumettant — comme ici, finalement — Jésus et Marie en auraient été libres, non par passe-droit, mais au contraire parce que c'était ce Nouveau-Né lui-même qui venait donner sa vie « en rançon pour la multitude » (§ 255 ) — Mt 20,28*). C'est cette même Rédemption-Libération qui est annoncée ici.
Mt 17,25-26 // Ep 2,19-20 — Non plus étrangers mais fils et fils de roi, les chrétiens le deviennent par leur adhésion au Christ, Fils du Dieu seul Roi véritable d'Israël (1S 8,6-8) ; c'est-à-dire par leur entrée dans l'Église, fondée sur < la Pierre > qui est indissolublement, comme ici, le Christ et son Vicaire. Plus fondamentalement encore, par conséquent, Pierre jouit comme Jésus de la liberté des enfants de Dieu, vis-à-vis non seulement du Judaïsme (Ga 2,14-21 en donne un autre exemple), mais a fortiori vis-à-vis des pouvoirs publics, comme le suggère déjà la généralité de la question du Christ au v. 25, et comme le confirmera la réponse sur l'impôt dû à César (§ 283 ) — Mt 22,15-22*). Reconnaissance // En Jn 15,15, « Non plus serviteurs, mais amis... »
Mt 17,27 // Rm 14,3 Rm 14,15 — Telle est bien en effet la liberté chrétienne : non pas égoïste mais dans la charité, donc avec souci de l'Autre. Rm 14 tout entier est un guide général de conduite qui éviterait bien des scandales* et déchirements entre chrétiens. C'est si important à ses yeux, que le Christ va jusqu'à provoquer un miracle pour trouver les ressources nécessaires — cas unique dans l'Évangile. Et juste ce qu'il faut: un statère = 4 drachmes = 2 fois l'impôt du < didrachme > pour Jésus et Pierre. Ainsi la manne et le pain < quotidien >, donnés à la mesure des besoins, ni plus ni moins (Ex 16,18); ainsi de la vie des saints, où les dons inopinés sont de la somme exacte nécessaire à ce moment-là, pour nous garder dans la confiance filiale (§ 67 *).
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(Mt 18)
Mt regroupe ici et complète ce qui n'a été repris que fragmentairement par Mc et Lc (sur la composition propre à Mc 9,30-10,45 et à Lc 9,51-19,27, cf. l'Introduction aux § 183 -245). C'est que ce ch. 18 vient en Saint-Matthieu couronner la constitution de l'Église que nous avons vue décrite d'abord dans le
< Discours en paraboles > (ch. 13 = § 125 -139), puis naissante (ch. 14-17 = § 146 -173).
La composition de ce ch. 18 est admirablement dessinée par des inclusions et des mots agrafes, avec même introduction et conclusion du Discours que précédemment : Ses disciples s'approchèrent de Jésus (18,1; cf. 5,1; 10,1; 13,2)... Et il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours qu'il s'éloigna (19,1 ; cf. Mt7, 28; 11,1; 13,53).
Les deux grands versants s'ordonnent à partir d'une approche des disciples pour poser une question (18,1 et 21), à laquelle répond le Christ (v. 2-20 et 22-35). Les sections de ces 2 grandes parties s'enchaînent mutuellement : Pour la première, il y a double inclusion* entre 18,2.5 et v. 20 (« au milieu d'eux » et « en mon nom ») ; v. 2-5 est encadré par « petit enfant » ; « un seul » agrafe v. 5 et 6 ; « ces petits » réapparaît aux v. 6.10.14; enfin, il y a corrélation entre « votre Père » et « ton frère » (v. 14-15 et 21). Dans la seconde partie, pardonner fait inclusion (v. 21-35).
Comme le remarque Radermakers, cela infirme les divisions qui rattacheraient les v. 18-20 au 2 versant. Celui-ci ne commence qu'au v. 21. Mais cette hésitation elle-même est révélatrice de l'importance centrale de ces 3 versets qui, comme une ligne de faîte, sont à la jonction des 2 versants.
Le thème en effet de ce « discours sur les difficultés de la communauté entre les chrétiens » est tout entier sur les péchés et le pardon mutuels. Le péché dans ses retentissements sur les autres, et notamment les «petits » : scandales (v. 6-10), marginalisation ou même rupture (v. 12-14). D'où la réconciliation (v. 15-20), sans qu'il y ait de limite à ce pardon entre frères, comme à celui du Père (v. 21-35).
Le 1° paragraphe (174) — le seul où les 3 synoptiques se rejoignent en le situant à ce moment précis du ministère du Christ — donne le ton.
(Mt 18,1-5 Mc 9,33-37 Lc 9,46-48)
-Mc et Lc relatent l'anecdote en ce qu'elle a de circonstanciel: dans l'émergence de l'Église, où Pierre vient d'obtenir plusieurs marques de prééminence (§ 165 *, § 169 *, § 173 *), l'ambition et la rivalité menacent les Apôtres, notamment les fils de Zébédée, eux aussi des premiers appelés (§ 31 ), choisis avec Pierre pour être témoins de la Transfiguration comme déjà de la résurrection de la fille de Jaïre (§ 169 * et § 143 *): voir aux § 254 -255 qui, pour Mc non moins que Mt, font inclusion avec ce § 174 (cf. Introduction aux § 183 -255).
Par contre, Mt omet les circonstances particulières, ce qui donne à la question, donc à tout le reste du chapitre, qui y répond, valeur générale pour toute la durée de l'histoire de l'Église.
A Capharnaüm... dans la maison* : Cette double localisation est donnée par Mc 9,33. Mais elle se trouvait en Mt, au paragraphe précédent qui lui est propre (Mt 17,24-25) : une de ces multiples concordances de détail à travers les différences, par où se vérifie la valeur historique des Évangiles.
La leçon évangélique joue sur le contraste entre « le plus grand » et « les petits enfants » (Mt), entre « le premier et le dernier » (Mc). C'est une parabole en acte, où Jésus remplace la fiction d'un récit par la réalité de ce petit enfant, mis au centre du cercle des Douze « grands » Apôtres (Mt 18,2 Mc 9,36).
Mc 9,35 — Il s'assit, appela les Douze et dit : Exorde solennel, comme au Sermon sur la Montagne (§ 48 ). « Si quelqu'un veut... » : comme en Mc 8,34-35: « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il prenne sa croix... » (§ 168 ), ou comme en Mc 10,44 : « Celui qui voudra devenir grand... » (§ 255 ): C'est une condition, laissée à notre volonté.
Mt 18,1-4 — Pour « entrer dans le Royaume... » : répété 3 fois. Il ne s'agit plus seulement de la situation hiérarchique, mais de la condition même pour seulement y entrer. C'est // à Jn 3,3-5 : « Si quelqu'un ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer... » (§ 78 *).
Amen, je vous le dis : Signe de l'importance de la déclaration. Si vous ne changez pas : Il faut une conversion, un retournement (C'est le sens, physique, de ce même verbe, en Mt 7,6 Mt 9,22 Mt 16,23). Mieux : une sur-naturalisation des vues trop naturelles. Depuis le début, tel est le Kérygme* (§ 28 *).
Comme les petits enfants : « Par < enfants >, le Seigneur signifie tous ceux qui croient par la foi après avoir écouté... comme les enfants, qui suivent leur père, aiment leur mère, tiennent pour vrai ce qu'on leur dit. L'habitude et la volonté de semblables dispositions nous acheminent vers le Royaume des cieux. Si nous revenons à la simplicité des enfants, nous rayonnons autour de nous l'humilité du Seigneur » (HILAIRE : Sur Mt 18 — Pl 9, 1018-1019).
Ce n'est pas le même mot que « les petits » (< Nèpioi >) de Mt 11,25* (§ 110 ), ni que « les petits » (< mikroi >) des v. Mt 18,6 Mt 18,10 Mt 18,14 ; mais il s'agit bien de la même attitude spirituelle fondamentale d'humilité (comme le dit expressément Mt 18,4), déjà familière à l’A.T. (// Ps 131), et sur laquelle insistent, à la suite de l'Évangile (§ 248 *), les Apôtres (// 1P 1,14 et 1Co 14,20 — voir aussi les // Du § 248 ). Sur le sens < chrétien > de l'humilité, cf. la conclusion de ce paragraphe. C'est la « Voie d'enfance » remise en honneur par Thérèse de Lisieux: cf. DS « Enfance spirituelle », IV, 682-714. L'Église est donc le Royaume des enfants, fait pour eux. C'est toujours de ces « petits » qu'elle doit avoir premièrement souci (§ 178 *), et c'est sous cet angle que se développe tout le < discours > de Mt 18 :
Mt 18,5 Mc 9,37 Lc 9,48 — Tel est en particulier le but de la < parabole vivante > de l’enfant : encourager l'Église à l'accueil et au souci des petits -c'est-à-dire de nous tous, pécheurs :
« Toute secte, toute association, toute organisation a ses < paragraphes de défense > qui lui permettent d'écarter les individus dont elle ne veut pas se charger. Seule, l'Église n'a jamais admis ces restrictions... Qu'elle est grande la tentation de devenir l'Église d'une élite, l'Église des < saints >, des < purs >, des < spirituels >, des < séparés >.'... L'Église catholique préfère qu'on lui reproche d'avoir dégénéré, d'avoir trahi, d'avoir violenté la pensée de son fondateur : ... elle préfère être accusée de compromission, lâche ou habile, avec le monde et le péché, la bêtise et l'erreur. Elle répond en présentant la légion de ses saints. Elle est la mère au grand coeur, la véritable mère. Elle n'a pas honte des enfants qui ne lui font pas honneur, elle ne renie aucun de ceux qu elle a engendrés au baptême.
Par là on peut se rendre compte, en quelque sorte, de ce qu'est l'Égalité des hommes devant Dieu. C'est quelque chose de très grand. Il n'y a point de passe-droit, mais point non plus d'exhérédations. C'est une autre égalité que celle qui est réclamée par la jalousie, voulant supprimer toute distinction et toute hiérarchie. Cette égalité reconnaît toutes les disparités et elle les domine. Elle ne provient pas des droits de tous devant Dieu, mais au contraire des torts que tous ont contractés à ses yeux » (i.f. goerres, dans Les Jours du Seigneur, p. 115).
Qui recevra en mon Nom : signifie premièrement qu'en accueillant un de ces petits enfants, l'Église agit au nom, c'est-à-dire en lieu et place du Christ, qui accueille par elle. Mais la suite du verset montre que corrélativement, en cet enfant, c'est le Christ et même son Père que l'Eglise reçoit (comme déjà au § 104 ) — Mt 10,40-42, ce qui annonce déjà l'assimilation au Christ des affamés, des prisonniers, des étrangers, bref de tous les « moindres », en Mt 25,35-41 (§ 307 ). Comme le dit magnifiquement Olier, « Jésus est tout dans l'Église, à la fois dans le prêtre qui pardonne et dans le pénitent », qui retourne avec l'humilité de l'enfant prodigue, au Père infiniment et indéfiniment accueillant. On a bien fait de souligner que le premier signe du sacrement de réconciliation (dont traitent les v. 18-20*), était dans la qualité de l'accueil.
C'est le plus petit qui est le plus grand (Lc) : Autre formulation de ce que saint Benoît tient pour « le cri de la divine Écriture » : « Qui s'humilie sera exalté » (Mt 23,12 Lc 14,11 et Lc 18,14 2Co 11,7 Je 2Co 4,10 1P 5,6). C'est le < retournement évangélique >, annoncé déjà dans le < Magnificat >, et qui est le Mystère pascal même, tel que l'explique le texte clé de Ph 2,5-11 (en // au § 316 ) : « Ayez en vous les mêmes dispositions d'esprit qu'avait le Christ Jésus lui-même », dans son Incarnation et sa mort rédemptrice. Quoi d'étonnant si tout chrétien doit entrer dans ce mystère d'humilité !
Rien à craindre ici des « fausses » humilités, masochiste, pusillanime et autres. L'humilité évangélique n'est pas tant psychologique que mystique, par union à celle du Christ — et nous engageant par conséquent au même humble service de l'Église et des petits que Jésus lui-même (2Co 11,7 — cf. § 254 -255*).
p. 436
(Mc 9,38-41 Lc 9,49-50)
— L'incident met en garde contre une autre tentation : celle d'accaparer le ministère du Christ comme un monopole, fermé. Le Dessein universel de Salut passe bien par Jésus, « la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), mais Dieu ne dédaigne pas de faire flèche de tout bois, et tout coeur « catholique » s'en réjouira :
// Nb 11,26-29 Ac 10,44-47 — À ces deux exemples de désintéressement < apostolique >, excluant toute jalousie, on pourrait joindre celui de Jean-Baptiste (§ 79 *) ou de saint Paul : « Du moment que le Christ est annoncé, je m'en réjouis » (Ph 1,12-18). Pas de concurrence entre prédicateurs de l'Évangile.
Mc 9,41) — Se trouve en Mt 10,42 (§ 104 ). Et ceci montre bien que nous sommes ici dans le prolongement du < Discours de la mission > : de la prédication apostolique, l'Église étant née, c'est la vie de ses membres, dans leur faiblesse même, que le < Discours communautaire > doit protéger.
Bible chrétienne Evang. - § 170. Question sur Elie: Mt 17,9-13; Mc 9,9-13