Bible chrétienne Evang. - § 334. La prière sacerdotale : Jn 17,1 -26
— Après l’hymne : Les psaumes du Hallel, 113 à 118, sur lesquels se concluait le repas pascal. Messianique, le Ps 118 annonce la Passion et la Résurrection. Ils sortent : du Cénacle, mais aussi de Jérusalem. Le mont des Oliviers est le lieu de l'Agonie, mais aussi de l'Ascension, prélude et apothéose d'un drame dont l'acte central se jouera au Golgotha, donc lui aussi hors de la Ville Sainte § 352 — cf. notamment // He 13,12-16*).
Suivant son habitude (Lc 22,39) : cf. Lc 21,37.
Mt 26,31-35; Mc 14,27-31 // Za 13,7-9 — Cf. § 323 *. Sur la symétrie entre cette annonce du reniement et celle de la trahison de Judas, voir au § 317 *. La référence à Zacharie ne vise pas seulement la dispersion* des Apôtres, mais annonce que d'une part le Christ sera le premier frappé — au sens d'une intervention divine pour le châtiment ou la conversion des coupables (Is 19,22 Is 27,7-9 etc. — et que d'autre part, les épreuves de la Passion auront une vertu rédemptrice (Za 13,8-9). Autrement dit, cet oracle va de pair avec Is 52-53, qui est la clef prophétique pour lire dans ce dernier acte de la vie terrestre de Jésus de Nazareth, le mystère de la Rédemption. On trouvera ce < poème du Serviteur > en // aux principales étapes de la Passion qu'il annonce : § 343 , § 349 , § 357 , et § 353 . Sur ce point, cf. A. Feuillet: L'Agonie de Gethsémani, p. 29-40 et passim.
(Jn 18,1 Mt 26,36-46 Mc 14,32-42 Lc 22,40-46)
— La chute de tension entre le Discours après la Cène et l'Agonie est à couper le souffle. De la sérénité transcendante du « Maître », culminant par la prière sacerdotale, à hauteur de la vie trinitaire, on passe d'un coup à la détresse humaine en ce qu'elle a de plus écrasant. La prière y devient « agonie » — au sens à la fois d'un combat et de la solitude du mourant — tandis que l'empressement du Christ pour le « baptême » de sa Passion § 212 *) fait place à un voeu de l'éviter, qu'il sait pourtant chimérique (Mt 26,39*). L'analyse des 3 Synoptiques montrera que de multiples détails concourent à ce visible renversement. (« Christ faible et fort », cf. Pascal, L593)
Mais le visible n'est par définition que l'extérieur. Profondément, mystiquement, donc de façon cachée mais d'autant plus réelle, ce qui se passe est rien moins que le coeur du mystère de notre Rédemption, en continuité non seulement avec Passion et Résurrection, qui s'ensuivent, mais avec toute la vie du Christ et l'Incarnation même du Fils de Dieu. Il faut donc bien méditer cette cohérence interne, si l'on veut comprendre aussi < juste > que possible la portée de l'Oeuvre* même du Christ, telle que les quatre Évangiles tendent à nous la révéler.
À centrer trop exclusivement l'attention sur la Passion et la Résurrection, on risquerait en effet de la réduire à un commerce odieux, où le Père exigerait la mort de son Fils contre le Salut des pécheurs. C'est ainsi que la théologie appauvrie des XVI°-XIX° siècles s'est polarisée sur « le sacrifice sanglant » du Calvaire, prêtant aux excès d'une prédication et d'une pastorale jansénisantes. Mais on n'en est plus là, au point que par un excès pire encore, beaucoup ont même tenté de nier que Jésus ait pu « attribuer une valeur salutaire à sa mort ». Après examen sérieux de ces interprétations réductrices plus que contestables, avec h. schûrmann dans Comment Jésus a vécu sa mort ? ou X. Léon-dufour : Face à la mort, Jésus et Paul, on est en mesure d'éviter ces deux excès contraires, et de conclure en un sens qui prolonge celui de la Tradition chrétienne :
« Jésus n'a pas < donné > le salut à un monde qui lui serait extérieur, comme on administre un remède à un malade ; il l'a sauvé en « se donnant » lui-même. Il a été dans le monde parfaitement juste et radicalement fidèle à l'Alliance. En lui Dieu prend figure humaine, scellant ainsi la communion définitive. Avec lui et par lui, la grâce de Dieu se trouve désormais enfouie au coeur même du monde des hommes... » (Cela, c'est le mystère même de son Incarnation). « Restant fidèle à la mission reçue, il pouvait se confier au Dieu fidèle qui le sauverait de la mort » (X. Léon-dufour, p. 170 et 281).
De fait, si l'on entend par < sacrifice > et par < substitution de la victime > que Jésus serait mort à notre place et comme extérieurement à nous, on fait faux-sens. Car il est bien vrai que notre Salut implique une entière solidarité, non seulement du Christ aux hommes (incluse dans l'Incarnation), mais de nous à Lui, comme l'affirment constamment les Évangiles, y compris à Gethsémani (Mt 26,38 « avec moi »*). La mort de Jésus demande à être « située dans un contexte plus vaste qui lui donne sens : le contexte de la fidélité obéissante de Jésus, comme l'ont si bien montré Paul et l'auteur de l'épure aux Hébreux. La vie éclaire la mort et à son tour la mort couronne la vie » (p. 286).
Mais par conséquent aussi, un chrétien qui ne veut « aucunement diminuer la valeur salvatrice de cette mort » ne saurait s'en tenir aux « maigres résultats d'une méthode historique » malthusienne (Ibid.,p. 168). Notre foi s'appuie non sur ce que les savants veulent bien admettre des Evangiles (et qui varie d'un exé-gète à l'autre), mais sur les Évangiles eux-mêmes, reçus de leur tradition. Or leur orientation sacrificielle est constante, non seulement de par la mort du Christ, mais par toute sa vie, depuis la crèche et la Présentation au Temple, jusqu'à la première prédication à Nazareth § 30 — Lc 4,24-30), la montée à Jérusalem § 221 , ou la Résurrection de Lazare § 266 — Jn 11,15-16), avec Passion et Résurrection en perspective § 166 § 172 , § 253 ), en un même service et don de sa vie « en rachat de la multitude » § 255 *). De même, il y a correspondance entre l'Amour-Don total, trinitaire, communiqué aux hommes, que révélait le Discours après la Cène, et d'une part ce « Corps livré pour vous » en communion eucharistique, comme d'autre part « l'acte de la mort du Christ qui révèle et communique cet amour infini, parce qu'il est l'acte du Verbe s'offrant au Père dans une < oblatio > qui est tout son être, toute sa vie. L'acte de la Croix n'est que ce même acte, vécu non plus seulement par le Verbe, mais par le Verbe incarné : vécu également par le Verbe dans sa nature divine et par le Verbe dans sa nature humaine assumée, vécu dans le sein de Dieu et dans le sein de la Création... Ce don total, de chaque personne divine à l'autre corrélative, qu'est-ce qui peut bien lui correspondre dans la nature humaine, quand cette nature humaine doit vivre le même acte, sinon sa pleine consommation, son sacrifice ? Dans le décret divin de l'Incarnation, la mort est donc déjà incluse, et l'Agneau est immolé depuis la création du monde... » (D. Barsotti: L'Apocalypse, p. 391-393) — qu'il conviendrait de lire plus complètement, pour la dénonciation de l'erreur trop courante qui croit spiritualiser la révélation biblique en présentant comme dépassés sacrifice, culte et sacrements : cela reviendrait à réduire la religion chrétienne à un moralisme, contrairement à ce que nous indique tout le N.T., des Évangiles à l'Apocalypse).
Jn 18,1 ; Mt 26,36; Mc 14,32; Lc 22,40 a // Gn 22,2-5 — Un jardin, « non de délices comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais dans un de supplices, où il s'est sauvé et tout le genre humain » (Pascal: Le mystère de J.c. — l. 739; Br 553).
« Nouvel Adam, Jésus au mont des Oliviers engage un combat terrible au terme duquel il opte pour Dieu au nom de l'humanité entière, exactement à l'opposé du premier Adam qui, vaincu par la puissance diabolique, avait choisi l'autonomie orgueilleuse par rapport à Dieu et entraîné l'humanité dans sa chute » (A. Feuillet: L'Agonie, p. 210-211).
Gethsémani — < Pressoir à huile > — avec toute la puissance évocatrice de ce nom.
Restez ici... Je vais prier // Gn 22,5 : Voir BC I*, p. 119-121. Abraham est à la fois figure du Père, appelé à sacrifier son propre Fils (réellement, dans le cas de Dieu), et figure du Christ par son obéissance confiante, c'est-à-dire dans la foi, l'espérance et l’amour : « Dieu pourvoira » (A. Feuillet, p. 126-128).
Mt 26,37-38; Mc 14,33-34) — Prenant Pierre, Jacques et Jean : Comme d'abord à la Transfiguration § 169 *) : « Le connaître, Lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances » (Ph 3,10). Ordre normal de la révélation du Christ : le découvrir dans la manifestation de sa divinité, pour supporter et partager son humiliation (Ph 2,7-8) rédemptrice.
Il commença : Au sens fort de § 166 *, 1° annonce de la Passion. On est au début du Mystère de notre Rédemption. À être saisi, ou accablé : Verbes au passif, caractéristique de la < Passion >. Comparer avec le « Il se troubla lui-même » de Jésus devant le tombeau de Lazare et les pleurs de sa soeur § 266 — Jn 11,38 et 33*). Cf. surtout § 309 — Jn 12,27*. De crainte (Mc) : Au sens le plus fort, d'être effrayé, épouvanté. Et d'angoisse : ce qu'il y a de plus intime dans le combat de l'agonie : la distension entre une âme faite pour la vie, et son corps qui sent la mort le gagner. Comme dira saint Paul : « au-dedans comme au-dehors, luttes et craintes » (2Co 7,5). Thérèse de Lisieuxtraduisait cela : être sans courage. Tristesse paraîtrait moins fort, si le verset suivant ne précisait : «jusqu'à la mort » (Litt.). La traduction : à en mourir indique le sens consécutif : telle que j'en meure », plutôt que final : « à me faire désirer la mort ».
Restez ici : Comme précédemment à tous les Apôtres. Mais à leur différence, Pierre, Jacques et Jean sont spécialement appelés à veiller. Ce n'est pas encore le conseil de vigilance des v. 41 de Mt et 38 de Mc : ici, veillez est une demande d'accompagnement, comme le confirme le « avec moi » propre à Mt (redoublé au v. 40). On ne saurait donner trop d'importance à ces deux petits mots : non seulement ils définissent le disciple*, mais ils sont le fond même de la religion chrétienne, celle de l'Emmanuel, « Dieu avec nous ». Le Christ est avec tous ses Apôtres pour tout le temps de la mission (Mt 28,20*) et pour l'éternité (Mt 26,29); mais à l'Heure de l'épreuve, c'est Lui qui nous demande d'être « avec moi », comme une vocation offerte à ses plus intimes...
// Ps 69,21 Ps 42,6-7 Gn 32,25-32 Ex 12,42 He 5,7-9 — Ces parallèles, entre autres, aident à discerner toutes les dimensions de l'agonie du Christ:
1) Solitude psychologique (Ps 69,21), soit devant la mort, soit devant le destin. « Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n'en reçoit point, car ses disciples dorment » (Pascal).
2) Solitude mystique (Ps 42,6) : Jésus a coutume de prier, de nuit, seul à seul avec le Père (cf. § 46 — Lc 6,12*); et cette fois encore, il n'a pas appelé Pierre, Jacques et Jean pour prier avec Lui : seulement veiller avec Lui, qui s'en va « un peu plus loin ». Mais le Ps 42-43 nous laisse entendre que, contrairement à l'assurance habituelle que « Celui qui m'a envoyé ne me laisse jamais seul » (Jn 8,29), cette fois Jésus se sent « désolé », comme si Dieu lui semblait perdu: « Où est-il ton Dieu » — même si ce n'est que temporairement: « Oui, je le confesserai encore... et je m'avancerai jusqu'à l'autel de Dieu, vers le Dieu de ma joie» (Ps 42,10-12 Ps 43,3-5).
On a comparé cette agonie aux < nuits > par lesquels doivent passer les mystiques, aux dires notamment de saint Jean de la Croix. Et l'on conçoit que ces épreuves soient nécessaires, non seulement pour purifier l'homme de ses péchés, mais de par l'imperfection d'une nature humaine trop limitée pour « voir » Dieu et l'embrasser, sans en mourir. Mais Jésus est sans péché; mieux encore, de par son Incarnation, Il est de la famille de Dieu, parlant familièrement à son < Abba > comme son enfant bien-aimé. Cela expliquerait, il est vrai, qu'il soit d'autant plus désemparé de ce que cette pleine et constante < communication > semble se perdre dans sa < nuit > ; mais la filiation et la fidélité totale devraient aussi excepter Jésus du besoin d'être purifié ou sur-naturalisé à hauteur de Dieu. Il doit donc y avoir, dans le cas unique du Christ, une raison plus profonde à sa Sainte Agonie :
3) Solitude messianique (// Gn 32,25-32; Ex 12,42) : Jésus n'est pas seulement Jésus (individuel), mais < Jésus-Christ >. Si Jacob était l'héritier des promesses de l'Alliance, « faites à Abraham et à sa Descendance » (Ga 3,16) — cf. BC I*, p. 92), pour les transmettre non seulement aux douze tribus d'Israël qui sortiraient de lui, mais à tous les païens, il est bien en cela type du Christ. Sa lutte survient, de nuit, au moment où « resté seul », il rentre dans la Terre Promise. Déjà s'annonce la première Pâque, où c'est Dieu même qui veille et combat pour délivrer son Peuple et le mener, par la Mer Rouge, à cette même Terre. Bref, c'est tout l'Ancienne Alliance, des Patriarches à Moïse, que Jésus reprend à son compte, pour l'accomplir en la Nouvelle Pâque de sa mort et de sa Résurrection. Gethsémani ouvre sa route, qui passe par ce mystère comme celle de Jacob. Sur le sens chrétien de la lutte de Jacob, cf. BC I*, p. 152-159.
Parce que Jésus, tel Jacob, est solidaire des pécheurs, il en est < chargé >, comme « l'Agneau de Dieu qui enlève mais aussi qui porte le Péché du monde » § 24 — Jn 1,29*). Dès Gethsémani, Jésus se présente à son Père comme le < Serviteur > d'Is 53, 10: « S'il livre son âme en sacrifice pour le péché, il verra une descendance et prolongera ses jours. La volonté de Yahvé s'accomplira par sa main » (en // au § 353 .
Non seulement Jésus est seul comme le ressent tout chef responsable, même entouré de ses hommes, mais bien plus douloureusement Jésus se trouve de notre côté de pécheurs séparés par un fossé terrible de la Sainteté de Dieu ; de par cette solidarité, Il souffre à un degré suprême de la lourdeur et de l'incapacité du pécheur à s'unir au « Père Saint » § 334 — Jn 17,11*). Il y a là une < mise en abîme > — disons plus simplement : une mise en relation — de Gethsémani et de la déréliction du Calvaire § 355 — Mt 27,46*; cf. E. haulotte: Les deux constellations symétriques, dans Rech. sr. 1985, p. 191-199).
Ce n'est pas dire que Jésus ait quelque compromission que ce soit avec le péché, ni qu'il fasse comme on l'a supposé l'expérience de la peine d'enfer, en une séparation d'avec Dieu: Il est, lui-même, Dieu! Et ce qu'il souffre, c'est d'abord Dieu qui le souffre, d'autant plus horrifié qu'il en est plus indemne : « Il est entré dans notre déchéance, comme quelqu'un qui n'a personnellement rien à faire avec elle. Il ne la connaît pas par expérience, mais comme Dieu la connaît. Voilà pourquoi cette connaissance est si terriblement lucide. Voilà pourquoi aussi sa solitude infinie » (R. Guardini : Le Seigneur II, p. 93).
Il voit, de l'intégrale et distincte vision éternelle de Dieu, tous et chacun des péchés de tous les hommes, d'Adam à la Fin des temps, donc des miens en particulier : « Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi » (Pascal). Et cela — qui est humainement inimaginable et insupportable, puisque c'est proprement divin — Jésus doit le porter en son Coeur d'homme, de Verbe incarné : comment ne serait-il pas écrasé sous la masse de ce noir Himalaya !
4) Le combat eschatologique : Satan n'est pas expressément nommé, mais l'Heure* est trop décisive pour qu'il ne soit pas là. S'il n'apparaît plus, comme au désert, c'est qu'à son ordinaire, pour jouer sa tentation la plus redoutable, il se dissimule. Mais l'Evangile nous en a dès longtemps avertis: après sa première défaite, Lc 4,13 annonçait que le diable avait quitté Jésus « jusqu'au temps marqué » § 27 ; les démons expulsés des possédés se plaignaient que ce soit « avant le temps » (Mt 8,29 — voir au § 142 *) ; surtout, Jésus lui-même l'a déclaré : « Il vient le Prince de ce monde... mais il va être jeté dehors... car il est jugé » (Jn 14,30 Jn 12,31*; Jn 16,11). De fait, il vient et semble triompher en Judas (Mt 26,46*), dans la défaillance de Pierre et durant toute la Passion, où Jésus « est livré aux mains des pécheurs (Mc 14,41*), et à la Puissance des ténèbres » (Lc 22,53*). Mais en réalité, il a perdu son gage fondamental sur Adam dès Gethsémani, puisque le Nouvel Adam triomphe de la tentation même qui avait réussi à l'Antique Serpent pour séduire le Premier Homme (Mt 26,36*).
Ainsi l'enjeu de la Sainte Agonie du Christ se révèle dans sa totalité : il est à la fois messianique, puisque le Péché originel y est réparé (Mt 26,42*), et eschatologique, puisque le Prince de ce monde joue et perd ses droits.
Mt 26,39.42.44; Mc 14,35-36.39; Lc 22,41-42 // He 5,7-9 — Et s'éloignant un peu (Mt-Mc)... à la distance d'un jet de pierre (Lc). C'est vraiment tout près, d'autant plus que Lc, ne mentionnant pas le premier écart avec Pierre, Jacques et Jean, peut très bien parler de la distance totale entre Jésus et les autres Apôtres, le trio se situant entre deux. Quoi qu'il en soit, cette distance n'excéderait pas celle au-delà de laquelle on perdrait contact visuel ou auditif, de telle sorte qu'au moins Pierre, Jacques et Jean aient pu être effectivement témoins de la prière du Christ (exemples dans A. Feuillet: L'agonie, p. 145). Mieux vaut insister sur la force des verbes. S'éloigner signifie premièrement : < s'arracher >, comme Paul après ses aDieux aux anciens d'Ephèse (Ac 21,1). D'où Pascal : « Jésus s'arrache d'avec ses disciples pour entrer dans l'agonie ; il faut s'arracher de ses plus proches et des plus intimes pour l'imiter ».
Il tomba à terre (Mc): c'est l'écrasement; la face contre terre (Mt): c'est l'adoration ; à genoux, Il priait (Lc) : c'est l'intensité de la supplication. Mt et Mc précisent que la prière fut à trois reprises, donc persévérante. Mc explique mieux l'abord de la prière, en la faisant précéder de la formulation, en style indirect, de son intention (v. 35 b) : « Il priait pour que... :
l'Heure passât loin de Lui : Cette < Heure > pour laquelle cependant Il est venu (Jn 12,27 Lc 12,49-50*); demander qu'elle passe loin de Lui, cela reviendrait à renoncer à sa Mission! Que la crise est profonde, mais pourquoi la minimiserait-on ? — Heureusement que Jésus a pu hésiter, fût-ce un instant : non seulement pour que soit plus manifeste la liberté avec laquelle Il va choisir d'obéir, mais pour notre propre réconfort. « Les martyrs comme Ignace d’Antiocheont souffert avec empressement et enthousiasme ; mais le Roi des martyrs a souffert sans courage », comme nous... Après sa défaillance, Pierre pourra se tourner vers Celui qui a éprouvé la force de la tentation et la fragilité de l'homme, sans pourtant le plus petit commencement de < défaut >, puisque le voeu instinctif d'échapper à sa Passion est précédé d'une conditionnelle, donc sous cette condition : « si c'était possible ». Et bien sûr qu'en ce cas, le Père serait le premier à vouloir lui épargner ce supplice, comme à nous épargner la souffrance ! Mais puisque c'est le moyen trouvé par Dieu pour sauver « ce qui était perdu » — mystère qui nous dépasse, mais que notre foi en son Amour et en sa Sagesse nous fait recevoir comme bon pour nous — qui veut la fin veut les moyens ; et renoncer au moyen de notre Rédemption qu'est la Passion de son Fils, reviendrait aussi pour le Père à abandonner son Dessein éternel de nous communiquer sa Vie et sa Béatitude éternelle — tel que le révélait Jésus dans le discours après la Cène, si proche :
Origène : Sur Mt (PG 13,1746) : « Que ce calice passe loin de moi ». Le calice pouvait < passer > de deux manières : Si Jésus le buvait, le calice passerait ensuite loin de lui, et de tout le genre humain. S'il ne le buvait pas, le calice passerait loin de Lui, évidemment, mais ne passerait pas loin des hommes : il s'arrêterait chez eux. Le Christ voulait donc premièrement que le calice de la Passion passe loin de lui sans qu'il en goûtât l'amertume, si du moins cela était possible au point de vue de la justice de Dieu (car au point de vue de la puissance de Dieu, tout est possible). Et si cela n'était pas possible, alors il voulait le boire, plutôt que d'agir contre la volonté de son Père enfuyant le calice. À cause des effets salutaires qui viendraient après l'amertume du calice, Il prie la seconde fois en disant : « Mon Père, s'il n est pas possible que ce calice passe sans que je le boive, que ta volonté soit faite. » Donc, manifestement, il voulait le boire.
Hilaire : Sur Mt ch. 31 (PL 9,1068-69) : Était-il possible que le Christ ne souffrît pas sa Passion ? Mais ce sacrement de notre salut était annoncé depuis le commencement du monde ! Où, par hasard, ne voulait-Il pas mourir ? Mais Il venait de consacrer le sang de son corps pour être répandu en rémission des péchés ! ...Il craint, pour ceux qui souffriront après Lui, et il prie pour eux... Il a pris sur lui toute la faiblesse de notre corps; et le calice ne peut passer loin de lui, parce que nous ne sommes pas capables de porter la souffrance, si ce n'est en vertu de sa Passion.
Cette remarque ultime est chargée de sens et confirme que, si Jésus doit passer par la souffrance, la mort et la résurrection, ce n'est pas pour se substituer à nous "et nous en exempter, mais par solidarité pour être avec nous, à notre tête, nous entraînant tous, à sa suite, en cette voie difficile — ou mieux encore, devenant ainsi notre Voie. C'est d'ailleurs ce que dit le // He 5,7-9 He 5,
Il est vrai que les avocats du diable ont fait de cette conditionnelle un argument contre la conscience divine de Jésus : s'il est Dieu, Il sait tout. Mais l'objection témoigne d'une lourde incompréhension de ce qu'est la complexité psychologique, ne serait-ce que d'un homme ordinaire. Le P. Lebreton cite à cet égard ce que Thérèse d'Avila dit de certains états où l'âme est « comme crucifiée entre ciel et terre, sans consolation du ciel, où elle n'habite pas encore, ni de la terre à laquelle elle ne tient plus » (qu'on se rappelle Jn 17,11-16), alors même que « lui vient cette admirable connaissance de Dieu qui dépasse de loin tous nos désirs » (Vie, ch. 20) — J. Lebreton résume en outre l'analyse de saint Thomas d'Aquin III 46,7-8, dans La vie et l'enseignement..., p. 315-318). Combien plus inimaginable, au surplus, la < psychologie > de cet homme unique, qui est Dieu, et le sait ! Le P. Dreyfus remarque à ce propos que si l'on minimise la conscience que Jésus avait de lui-même et de sa Mission, sa Passion devient insignifiante et banale, car tant d'autres ont souffert physiquement ou moralement plus que Lui! (Jésus savait-il..., p. 99 et 123-125).
Abba, Père (Mc) : La prière proprement dite commence donc par cette invocation qui donne le ton, éminemment filial : «Abba, sur les lèvres de Jésus, est l'expression d'un rapport unique avec Dieu... Il nous dévoile ce qui est le coeur de sa relation avec son Père » (J. Jérémias: Abba, p. 69). On est aux antipodes d'une séparation entre Jésus et une sorte de Jupiter-bourreau.
Tout t'est possible : C'est vrai. Donc aussi, le voeu n'est pas absolument irréel. Donc c'est une tentation réelle — et pour le Père d'abord, qui pourrait, mais à condition de nous abandonner, nous, à notre sort...
Éloigne de moi ce calice : // à « que cette Heure passât loin de Lui ». Dans l'image du calice, il y a celle de la coupe — ici de colère — en même temps que sa valeur sacrificielle et bénéfique : Cf. § 318 — Lc 22,16-18*, J.M. Garrigues, et Mt 26,27-28*. C'est aussi le « calice » qui symbolisait la Passion dans la réponse de Jésus à l'ambition de Jacques et de Jean § 254 *).
Non ce que je veux, mais ce que toi, tu veux : Le Père est par excellence < Le Fidèle >. Il ne renoncera pas à nous sauver, quel qu'en soit le prix — pascal donc passager. De la distorsion entre cette volonté divine de notre Salut et « ce que veut » l'instinct vital de l'humanité de Jésus, naît l'angoisse de l'agonie. Cependant, dès à présent, la volonté humaine proprement dite du Christ et de son plus profond « Je veux » se rallie librement au « Tu veux » du Père. Pour l'essentiel, est déjà gagné ce qui est le plus dur de l'obéissance : « marcher au jugement et au commandement d'un autre » (Règle de saint Benoît, ch. 5) — qui donne aussitôt en exemple la conduite du Christ).
Hugues de Saint-Victor: Miscellanea I, 84: Des trois volontés dans le Christ (PL 177,518) : Dans le Christ, l'infirmité de la chair eut horreur de la Passion. Mais l'esprit était au milieu, entre Dieu et la chair, et il soumit la volonté de la chair à la volonté de Dieu. Quand le Christ dit : « Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi », il exprime ce qu'il ressentait dans sa chair. Mais quand il dit : « Non pas ma volonté mais la tienne », il exprime la décision de son esprit. La volonté du Père était que le Christ meure ; la volonté de la chair était d'être délivrée de la mort; l'esprit était au milieu, dominant la chair et obéissant au Père. La volonté du Père était le dessein du Salut, la volonté de la chair était la nature, la volonté de l'esprit était la vertu. La volonté du Père était honorée, la volonté de la chair était gouvernée, la volonté de l'esprit était couronnée.
Mt nous permet de suivre la progression de la prière du Christ, en indiquant la teneur de sa réitération (v. 42). La seconde fois en effet, l'hypothèse étant positivement exclue que soit possible au Père de nous sauver en l'épargnant, l'adhésion est absolument catégorique: Fiat voluntas tua.
Telle est bien la victoire du Christ, non seulement sur la faiblesse humaine devant la mort, mais sur la tentation satanique du Péché Originel: gagner la liberté, non pas en matamore briguant une autonomie impossible à la créature (par définition), mais dans l'acte même de s'en remettre à un Père et Créateur, garant de notre liberté qui s'épanouira d'autant mieux que notre jonction à Lui aura été plus complètement ratifiée par nous (voir J. mouroux, cité par A. Feuillet : L'agonie, p. 100). Ce n'est donc pas résignation fataliste à l'inévitable, mais adhésion positive : « que ta volonté se réalise » (trad. TOB). À la fidélité du Père (pour nous) va répondre la fidélité du Christ à la mission reçue et maintenue, jusqu'à se faire (aussi pour nous) « obéissant jusqu'à la mort et la mort de la Croix » (Ph 2,8). L'agonie et la Passion sont épreuve et triomphe de la fidélité (cf. m. gourgues: Le défi..., p. 95-100). C'est si bien gagné que le Christ pourra, la troisième fois, ne « dire encore que les mêmes paroles », et qu'il aura retrouvé sa sérénité habituelle.
Mt 26,40-41.43.45 a; Mc 14,37-38.40-41 a; Lc 22,45 // Ex 19,3 Ex 19,7-8 Ex 19, et Ex 20,21 Gn 15,12 Ps 4,3-10 — Et Il vient vers les disciples... Il vient à nouveau... Alors Il vient vers les disciples (Mt). Mc souligne : Revenant une fois de plus... Il vient pour la troisième fois. En Ex 19, les trois allées et venues de Moïse entre Yahvé et le Peuple élu soulignaient son rôle de médiateur, pour l'Alliance qu'Israël avait à ratifier. Sans doute aussi le triple va-et-vient du Christ ne cherchait-il pas tant une consolation auprès de ses Apôtres qu'une < compagnie >, un accompagnement et un engagement avec Lui dans la Nouvelle Alliance et le combat eschatologique.
Il les trouve endormis... Car leurs yeux étaient alourdis (Mt et Mc)... // Les trouva endormis de tristesse (Lc) : On pressent qu'il y a ici, davantage qu'une fatigue physique ou un harassement psychologique (tristesse), un appesantissement correspondant à celui d'Abraham (// Gn 15), et peut-être aussi à l'écrasement qui fait « tomber » Jésus. Oppression du péché mis en présence de la Sainteté de Dieu : ainsi Adam et Eve, après la chute, se sont « cachés de la face de Yahvé », tandis qu'à la pêche miraculeuse Pierre, découvrant la divinité de Jésus, « tombe à ses genoux » en disant : « Éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur » § 38 — Lc 5,8*). Réactions apparemment diverses mais dont le motif est similaire : l'incapacité naturelle à < recevoir > Dieu, que ce soit dans l'éclat de sa splendeur comme à la Transfiguration § 169 — Lc 9,32*) ou comme ici dans son humiliation rédemptrice. Pour être associés à la Passion non moins qu'à la Gloire du Christ, il faudra aux Apôtres le Don du Saint-Esprit.
Origène : Sur Mt (PG 13,1747) : « Leurs yeux étaient alourdis » : Plutôt les yeux de l'âme que les yeux du corps, je pense. « L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié ». (Jn 7,39).
Il dit à Pierre: Simon, dors-tu ? C'est Marc surtout qui accentue le reproche au seul chef des Apôtres, en l'appelant de son nom de chair. La contradiction est évidente avec sa présomptueuse assurance de l'instant précédent : « Quand même tous... pas moi » § 336 — Mc 14,29).
Vous n'avez pas eu la force : C'est déjà l'opposition — que le reniement redoublera — entre la faiblesse de la nature et la force que donnera la Pentecôte (cf. § 340 *). De veiller avec moi : ce que le Christ leur avait expressément demandé (Mt 26,38*). Une heure seulement : À ce reproche, l'honneur chrétien a répondu par < l'Heure Sainte > d'adoration, en la présence eucharistique du Christ. « Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là » (Pascal). — « Ne voyez-vous pas Judas, comme il ne dort pas, lui, mais se hâte de me livrer » (8° Répons des Ténèbres du Vendredi-Saint).
« Veillez » : de la vigilance nécessaire à l'Heure du Jugement que Gethsémani et la Passion amorcent, et tournent en notre faveur: cf. les autres appels à cette vigilance pour les temps < eschatologiques >* aux § 208 -211*, fin du § 244 *, et § 300 -307*. A. Feuillet établit toutes sortes de rencontres entre le Discours eschatologique et la Passion, en Mc 13,24-37 et Mc 14-15, tendant à identifier le Fils de l'homme humilié au Juge victorieux — et par conséquent aussi à confirmer la portée eschatologique des souffrances et de la mort du Christ (L'agonie..., p. 139-141). Et priez : Ne vise pas directement l'union à la prière actuelle du Christ, comme l'indique la différence de l’intention : afin que vous n'entriez pas dans la tentation (qui est l'avant-dernière demande du Pater, dont le sens a été alors précisé : § 62 — Mt 6,13*). Cependant, s'il est vrai que, en son agonie, Jésus « ayant reçu en commun sang et chair... a connu la souffrance et la tentation, de façon à pouvoir secourir ceux qui sont tentés » (He 2,14 et 18, en // aux § 1 — Jn 1,13, et 27 in fine), c'est dire que notre prière pour résister aux tentations participe à la prière où le Christ a lui-même vaincu le fondement même de la tentation. En vertu de cette union, nous serons associés à sa victoire. Voir plus loin, à Lc 22,40-46*. Le // Du Ps 4,3-4 et 9-10 peut être lu en ce sens.
L'esprit est plein d'ardeur, mais la chair est faible : Non pas au sens grec — âme / corps — ni même au sens proprement paulinien, mais à celui de « l'opposition entre deux états de l'homme pris dans sa totalité: d'une part l'homme abandonné à sa faiblesse naturelle (la chair*), d'autre part l'homme en tant que doté par Dieu d'un esprit orienté vers le bien, qui le rend ardent et généreux » (A. Feuillet : L'agonie..., p. 112-114). On peut toutefois se demander si l'alternance ne serait pas tout simplement celle dont témoignent les hauts et les bas de Simon Pierre, dont l'esprit est aussi prompt à suivre le Christ, fût-ce sur la mer, que sa chair prend peur et commence à enfoncer § 152 — Mt 14,28-31 ; cf. § 165 -167; et bien entendu § 335 et § 340 . Il faudra la Pentecôte pour que, soutenu par l'Esprit nouveau promis en Ez 36,26-27, esprit généreux et dominant toute peur (Ps 51,14), Pierre et les autres Apôtres confessent imperturbablement leur attachement au Christ, jusqu'au martyre. Ainsi le chrétien demeure-t-il exposé aux variations de température spirituelle plus ou moins aiguës, tant qu'il n'est pas fixé dans la constance divine des vertus < sur-naturelles > de la foi, de l'espérance et de la charité.
À la seconde reprise, Pierre, Jacques et Jean « ne savent pas quoi répondre » (Mc), ce qui contraste avec la vivacité de la ratification de l'Alliance par les Hébreux, au // Ex 19,8 Ex 19, Ex 26,43-44 peut même être interprété comme suggérant que Jésus n'aurait même pas cherché alors à les réveiller, mais seulement à la troisième reprise, pour l'arrivée de Judas (v. 46*). Irénée en tire la leçon :
Les yeux des disciples étaient appesantis quand le Christ entrait dans sa Passion; et le Seigneur, les trouvant endormis, les laissa d'abord pour signifier la patience de Dieu devant le sommeil des hommes. Mais venant une nouvelle fois, il les réveilla et les fit lever, pour signifier que sa Passion était le réveil des disciples endormis : car c'est pour eux qu'il descendit dans les régions inférieures de la terre, afin de voir les êtres inachevés de la création, ceux dont il avait dit : « Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir et entendre ce que vous voyez et entendez » (Mt 13,17 — Adv. Hoer. IV, 22,1 (SC 100, p. 686).
Mt 26,45 b-46; Mc 14,41 b-42) — C'est fini : Au sens familier du soulagement, une fois que l'affaire se trouve réglée. « C'en est fait » traduit la même idée, mais sous une forme sans doute trop littéraire. L'Heure* est venue : « Celle dont Il avait dit à sa Mère : « Mon Heure n'est pas encore venue » (Jn 2,4 — Origène: Sur Mt; PG 13,1748). VoicI* : Au sens fort, à la fois d'annonce de l'événement de Salut, et de la disponibilité du < Me-voici > (BC I*, p. 42-43 et 49). Le Fils de l'homme* : Le titre que Jésus se donne, notamment chaque fois qu'il évoque sa Passion rédemptrice. Est livré : C'est aussi le verbe définissant le caractère subi d'une Passion par ailleurs librement consentie : cf. § 172 -Mc 9,31*; 10,33; 14,10-11; 14,42.44; 15,1.10.15. Mais ce n'est pas seulement Judas, ou Pilate, qui le « livre » : fondamentalement, c'est le Père qui a « livré » le Serviteur d'Is 53,6.12 (lxx). Sur la référence de Jésus à cette prophétie, cf. P. Benoît: betl 40, p. 111-140. Aux mains* des pécheurs : « Le sens est le même qu'en Rm 4,25 : livré pour nos fautes... » Il faut, avec la Tradition chrétienne, saisir l'horreur sacrée de cette < mainmise > des pécheurs — au sens le plus universel, et nous incluant — sur « le Saint de Dieu » (Mc 1,24 Jn 6,69 Ac 3,14) : « Le Fils de l'homme qui possède < l'Exousia >*, la puissance divine, est livré au pouvoir des ténèbres (Lc 22,53)... Tel est précisément le mystère qui est dévoilé tout au long de l'oracle d'Is 53 » (A. Feuillet: L'agonie..., p. 203). Cette phrase est donc une définition de l'un des aspects — insondable pour nous, mais fondamental pour Dieu — de notre Rédemption. Le nom même de « Passion » donné aux souffrances et à la mort du Christ, est une invitation à reconnaître ce Mystère, à travers la matérialité des faits.
Mt 26,46; Mc 14,42) — Correspond à Jn 14,31* § 328 , et confirme la libre et active adhésion du Christ à tout ce qu'il va maintenant avoir à subir. C'est précisément cette ratification de sa volonté qu'il vient d'effectuer au prix de sa Sainte Agonie, dont ce verset est donc la digne conclusion.
Lc 22,40-46) — À la différence de Mt-Mc, Lc ne précise ni l'appel particulier de Pierre, Jacques et Jean, ni la triple allée et venue. Il ne garde que le plus essentiel de la prière (v. 42), comme de l'exhortation à « prier pour ne pas entrer dans la tentation », mise en vedette puisqu'elle encadre le tout (v. 40 et 46). Le récit pourrait paraître plus pâle que celui de Mc, s'il n'y avait les v. 43-44 sur « l'ange » et la « sueur de sang ». L'interprétation médicale de cette dernière est difficile, car l'observation clinique semble n'en avoir pas relevé d'autre cas (cf. R. Gilly, p. 76-81). Mais l'apparition d'un ange n'est pas non plus ordinaire ! Et pourquoi cette souffrance unique n'aurait-elle pu provoquer une réaction physiologique d'hématidrose, même inouïe ? « Comme » nous avertit d'ailleurs que ces « caillots » ne sont pas à prendre trop littéralement. Pourtant, ce serait trop peu de n'y voir qu'une pure image, < comme > étant ici à prendre au sens fort (cf. § 320 — Jn 13,34* ; et A. Feuillet : L'agonie... p. 148-49, avec bibliographie. Sur l'authenticité de ces versets 43-44, Ibid. p. 45-47). Sans doute Luc veut-il nous porter surtout à contempler avec reconnaissance et confiance les prémices du Sang rédempteur, qui commencent à couler « sur la terre » (et non pas seulement « à terre ») :
«L'agonie vient toute de l'intérieur du Christ, du divin, et s'exprime humainement vers l'extérieur. Le premier sang, le sang de l'agonie, aucun coup physique ne l’a provoqué ; il est sorti du Christ par la sueur, venant des tréfonds même de l'union de son humanité à sa Personne divine. Ce sang de l'agonie exprime en termes de souffrance humaine la contradiction de l'inacceptable pour l'Amour divin bafoué. < L'Amour étant infini, dit sainte Catherine de Sienne, et la peine finie, la croix du désir était plus cruelle que celle du corps >. Aucune souffrance humaine, même celle du Christ, ne peut en donner la mesure, car la mesure est divine ; elle est à la mesure même de l'amour dont nous sommes aimés (J.M. Garrigues: Dieu sans idée du mal, p. 122).
Un ange Lui apparut... le réconforter : À la fin de la Tentation au désert, les anges étaient déjà mentionnés (Mt 4,11 Jn 12,29). Ainsi le Père soutient ses élus dans l'épreuve : comme Élie, lorsque lui aussi connut la tentation du découragement (1R 19,2-8, en // au § 318 ; et comme nous-mêmes devons avoir confiance d'être soutenus au plus fort de la tentation (1Co 10,13).
Surtout, il semble que Luc a mieux su embrasser l'ensemble de l'histoire du Salut, suivant la thèse célèbre d'H. conzelmann: Avant, la souffrance des prophètes (Lc 11,50-51 Lc 13,34-35 Lc 20,10-12); après, les persécutions que les disciples auront à subir « pour mon Nom » (Ac 9,16 Ac 14,22 Lc 6,22 et Lc 9,23-26); au centre la Passion du Christ, le « témoin fidèle et véritable » (Témoin se dit en grec: < Martyr >; cf. h.w. surkau, résumé par A. Feuillet: L'agonie, p. 160-161).
La continuité de la tâche rédemptrice, accomplie par Jésus mais à laquelle se trouvent associés les Apôtres (Col 1,24), se trouve aussi indiquée du fait que l'on voit appliquées, au cours de ces heures décisives, les 7 demandes du Pater, tantôt par Jésus, tantôt par les Apôtres : « Abba, Père (Mc 14,36), que ton Nom soit sanctifié (Jn 17,11 Jn 17,17-19). Que ton Règne arrive § 318 — Lc 22,18). Que ta volonté soit faite (Mt 26,42)... Donne-nous aujourd'hui notre pain... § 318 . Pardonne-nous comme nous pardonnons (Lc 23,34). Fais que nous n'entrions pas dans la Tentation (Mt 26,41). Mais délivre-nous du Mal ou du Malin (in 17,15; 16,11).
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Bible chrétienne Evang. - § 334. La prière sacerdotale : Jn 17,1 -26