Bible chrétienne Evang. - § 338. Le baiser de judas: Mt 26,47-56; Mc 14,43-52; Lc 22,47-53; Jn 18,1-11
(Mt 26,47-56 Mc 14,43-52 Lc 22,47-53 Jn 18,1-11)
— Les particularités de chacun des Evangiles ressortent aisément, soit de leur mise en synopse, soit de commentaires tels que ceux du P. Benoît: Passion et Résurrection du Seigneur, soit de A. Vanhoye pour Mt-Mc-Lc (La Passion selon les 4 Évangiles) et d'I. de la Potterie pour La Passion selon l'Év. de Jean.
Mt 26,47 ; Mc 14,43 ; Lc 22,47 ; Jn 18,2-3) — La troupe est d'aspect patibulaire : des glaives et des bâtons. Mais elle n'en est pas moins envoyée par « les princes des prêtres, les scribes et les anciens » (Mc) = les trois composantes du Sanhédrin*, avec « le serviteur du Grand Prêtre » (Mt-Mc-Lc), nominalement connu au moins de Jean (18,10), et sans doute chargé de rapporter à Caïphe les faits. Ce ne serait toutefois que la confrontation entre deux partis adverses — Jésus et ses Apôtres / les autorités juives — si ne venait en tête « l'un des Douze», et en lui Satan (Jn 13,27). Le parallélisme entre : « Levez-vous, allons... Celui qui me trahit est tout près » (Mc 14,42) et : « Levez-vous, partons d'ici... Le Prince de ce monde vient » (Jn 14,31) confirme cette présence active de Satan, de sorte que l'affrontement est en réalité du Sauveur avec « la Puissance des ténèbres » (Lc 22,53). Est-ce pour quoi Saint-Jean précise que la troupe s'était munie « de lanternes et de flambeaux » pour s'éclairer dans la nuit que n'éclaire pas le Christ, Lumière du monde (Jn 13,30 Jn 12,33) ?
Mt 26,48-50; Mc 14,44-45 ; Lc 22,47 b-48 // Ps 28,3 2M 4,34 — Et en arrivant, il s'avança aussitôt (Mc): Litt. « avançant aussitôt s'avançant ». Une < maladresse de style >, dit-on. Mais si patente, peut-elle n'avoir pas été voulue ? Par exemple, pour suggérer le caractère contre-nature de cet acte. Judas doit < se pousser >, maintenant qu'il est tenu par son contrat : le signe de reconnaissance qu'il a donné... Signe ambigu, puisque salut et baiser étaient pour un disciple la façon normale de marquer sa vénération en abordant son Maître. Comble d’hypocrisie ? — C'est peut-être plus complexe, car on n'annule pas si complètement une longue intimité, et jusque dans la haine, il reste quelque chose de l'amour, seulement retourné — donc retournable encore peut-être ? Aussi saint Jérôme compare ce < signe > à celui qui doit permettre à Caïn d'être épargné (Gn 4,15 — BC I*, p. 71-72). En tous cas, la réponse de Jésus est elle-même ambiguë — à dessein, pour laisser encore au traître la possibilité de se repentir ?
Ami ! c'est pour cela que tu es ici!... (Mt) : Ami est amical. La suite, elliptique, pourrait sous-entendre un «Fais ce pour quoi... », dans le prolongement de Jn 13,27: « Ce que tu fais, fais-le vite ». Ce serait un signe d'acceptation. Mais on peut l'entendre plutôt comme une exclamation exprimant une commisération attristée : « pour quelle sale besogne tu es là ! » Et ce serait un ultime appel non seulement à la conscience mais à l'amitié passée de Judas pour Jésus...
Jn 18,4-9 // Ps 27,1-8 Gn 33,4 — Jésus, sachant tout ce qui devait arriver : Même exorde solennel à la Passion qu'à la Cène, Jn 13,1.3. Ce qui est mis en avant, c'est Jésus bien davantage que Judas : en pleine connaissance et pleine liberté, Il prend l'initiative du premier pas, vers le libre don de sa vie.
Je [le] suis : Le pronom réfléchi donne à cette réponse le sens naturel d'une déclaration d'identité : « Jésus le Nazaréen* ? — C'est bien moi ». Mais si « le » a été mis entre crochets, c'est qu'il n'est précisément pas dans le texte. Saint-Jean écrit : Je suis*, expression trop souvent employée au sens absolu d'une déclaration divine § 260 — Jn 8,24*) pour que ce soit ici sans intention. Les gardes n'ont probablement pas compris cela, mais les croyants pour qui Jean écrit son Évangile peuvent entendre ici l'affirmation sereine que c'est Dieu qui va souffrir pour nous, comme le Christ le maintiendra devant Caïphe (Mt 26,63-65*) et devant Pilate (Jn 18,36-37 Jn 19,9). La triple répétition de ce < je suis > (v. 5.6.8.) accroît encore la force et la solennité de l'affirmation.
Ils reculèrent et tombèrent sur le sol : Admettons que l'on n'est pas obligé de croire que les arrivants « s'effondrent comme des soldats de plomb » (Lagrange); l'image est trop frappante pour n'être pas profondément vraie. Le recul et la chute des méchants assiégeant le Juste sont d'ailleurs mentionnés en plusieurs psaumes (prophétiques au sens large) : // Ps 27,1-8 Ps 9,4). Et tout de même, Jésus était assez populaire; assez vénéré aussi pour que ces gens simples n'aient pas éprouvé une crainte révérencielle comme celle qui, précédemment, les avait effectivement empêchés de l'arrêter § 258 — Jn 7,45-46; cf. A. Feuillet: Les < Ego Eimi >... Rech. sr. 1966, p. 21-22).
Laissez partir ceux-ci : N'importe quel chef bien né se porterait ainsi en avant pour faire épargner les siens, comme Jacob (// Gn 33). Mais le rappel, au v. 9, de Jn 17,12 montre que Jésus vise plus loin. Le verbe : « n'en perdre aucun » est en effet un terme technique pour désigner non seulement la vie sauve, mais le salut de la perdition éternelle. Jésus veut donc, pour l'instant, préserver ses Apôtres non pas tant de la mort corporelle que de l'épreuve du martyre. Car ils ne seraient pas encore assez forts pour la subir sans apostasier — comme la tentative prématurée de Pierre va le confirmer. Ce sera plutôt pour après la Pentecôte.
Mt 26,50 — Ils mirent la main : réalisation physique de ce qu'annonçait Mt 26,45 b. Mais de ce fait surtout, Jésus se livre à leur pouvoir : et ils se saisirent de Lui.
L'un de ceux qui étaient avec Jésus : < Avec > au même sens fort qu'en Mt 26,38*. Jn précise que c'est Simon Pierre. Plus logiquement, Luc situe cette esquisse de résistance avant que Jésus soit appréhendé. Si Pierre présume que telle est bien la volonté du Christ — « Seigneur, frapperons-nous du glaive » — c'est dans la ligne du contresens provoqué par l'annonce que c'était l'Heure d'acquérir « un glaive » § 324 — Lc 22, 35-38*).
Mt 26,52-53 Lc 22,51 Jn 18,11a // Gn 9,1-6 Gn 32,2 2M 10,29 Ap 19,11-14 — Laissez ! jusque-là ! (Lc) : C'est le Litt. «jusqu'à ceci ». Idiotisme que la traduction grecque (moderne) officielle rend par : « Restez-en là ! »
Qui prend le glaive périt par le glaive : Dans le sens du // Gn 9,1-6 (cf. BC I*, p. 80) et de Mt 5,38-42 Mt 5, aux « douze légions d'anges » était proverbial dans les milieux rabbiniques. Il pouvait d'ailleurs se recommander d'interventions de cet ordre par le < Dieu des Armées célestes > // Gn 32,2 2M 10,29-30. Le N.T.lui-même ne dédaigne pas d'appliquer cette image à la chevauchée eschatologique (// Ap 19,11-14). Mais dans sa Passion, Jésus use de < la Force > qui est en Lui et dont le simple contact guérit (cf. l'hémorroïsse, au § 143 *) non pour se tirer d'affaire lui-même, mais pour recoller ce bout d'oreille d'un adversaire, P. Jouôn a raison de souligner que le terme employé est d'une précision médicale, et que d'ailleurs, plus généralement, les Évangiles se distinguent par l'absence de tout style affectif, qui tendrait à nous apitoyer. Non, pas même à propos de la trahison de Judas ou des souffrances du Christ. Pas besoin de sentimentalité : les faits suffisent, et demandent moins la pitié que l'admiration et l'adoration (dans Rech. sr. 1934, p. 473-74).
Mt 26,54-56 Mc 14,48-49 Lc 22,52-53 Jn 18,11 b // Jr 37,11-16 2S 15-16 Ps 88,9 — Chaque jour, j'étais dans le Temple : cf. § 340 -Jn 18,20*. Par leurs souffrances, Jérémie et David sont des figures du Christ en sa Passion.
...afin que s'accomplissent* les Écritures: C'est l'unique motif de sa non-résistance que le Christ donne, tant à ses disciples qu'à ses adversaires (Mt 26,54 et 56), car « les prophéties » disent l'éternel Dessein du Père pour nous sauver, auquel Jésus vient de renouveler son adhésion. Lc et Jn, qui n'ont pas cette référence explicite aux Écritures, disent au fond la même chose. Lc, par référence à l'Heure — et à « la Puissance des Ténèbres », rappelant que par « la main des pécheurs », c'est au Pouvoir du Démon que Jésus en réalité se livre (sur le symbolisme des Ténèbres, cf. § 355 — Mt 27,45*) — De son côté, Jn, qui n'a pas fait le récit de l'agonie proprement dite, y réfère ici expressément sous l'image du < calice > § 337 — Mt 26,39*). Comme toujours, il y a < Concordantia discordantium >*, et de telle sorte que tous les détails des 4 récits évangéliques, si différents soient-ils, convergent pour souligner combien volontairement le Sauveur se laisse arrêter : « Jésus va se soumettre, mais Il entend d'abord montrer qu'il le fait librement, c'est-à-dire qu'il obéit » (J. Guillet: Jésus-Christ hier et auJ., p. 112); c'est-à-dire encore qu'il aime le Père (Jn 14,31), et qu'il nous aime.
Toi qui tiens la terre dans ta main
des impies mettent la main sur toi.
Juste Juge, des condamnés te jugent
pour nous faire entrer dans la joie du Seigneur
(D'après romanos le mélode: Hymne XXXVI, str. 3 et 6; SC 128, p. 206 et 210).
Mt 26,56 b ; Mc 14,50-52 // Am 2,16 — L'abandonnant, ils prirent la fuite : S'enfuir est l'acte physique. Mais il présuppose l’abandon : Là est le mal.
Un jeune homme l'avait suivi... Il s'enfuit nu : Dans un Évangile aussi strictement composé que l'est celui de Me (cf. § 115 — b. standaert ; et pour le présent passage* p. 153-168 de son Év. selon Marc), il serait invraisemblable que cette scène soit < insignifiante >. L'hypothèse la plus commune est que ce jeune homme serait Marc lui-même, témoin de l'arrestation. On l'a expliqué aussi en rapprochant ces versets du // Am 2,16 mais ce qu'il y a de commun, c'est seulement l'image très générale d'une fuite à laquelle on sacrifie tout. Or ici, tous les mots semblent être choisis à dessein. L'avait suivi : C'est le verbe du disciple*, mais redoublé par le préfixe < Sun >, comme s'il s'agissait d'un accompagnement habituel ou prolongé. Il est saisi, comme Jésus (même verbe qu'en Mc 14,1.44.46). Il est vrai qu'il s'enfuit, comme les Apôtres, après avoir laissé (= abandonné) le linge dont il était enveloppé. Mais ce linge est appelé un < Sindôn >, du même mot que le linceul dans lequel est enveloppé le Christ en Mc 15,46 tandis qu'en Mc 16,5 réapparaît un jeune homme (même mot) enveloppé (même mot) d'un vêtement blanc, au sens à la fois d'éclat et de pureté. Une suite aussi continue de rencontres verbales porte à conclure avec A. Vanhoye (< Biblica > 1971, p. 401-406) que si tout porte à tenir cet épisode insolite et gratuit pour réel, Me n'en a pas moins voulu en tirer un symbole (comme fait Jean, couramment : cf. l'Introduction aux § 256 -267). Sans doute ce jeune homme est-il donné ici comme le type du vrai disciple, qui échappe à qui voudrait l'arrêter en abandonnant tout. Identifié par là même à la mort du Christ, il ressuscite avec Lui en revêtant l'Homme nouveau qui est le Christ (Rm 6,3-10; Ga 3,27; Ep 4,22-24).
Ainsi, jusque dans les moindres détails du plus concret et (apparemment) sans apprêt des Evangélistes, l'analyse littéraire montre à quel point ce serait être myope que de ne pas voir, à travers l'historicité des récits de la Passion, ce que Paul RicoeuR, s'appuyant sur R. alter, nomme leur « fonction interprétative » : « C'est précisément la composition narrative, l'agencement des faits dans l'intrigue, qui véhiculent ou mieux fomentent, l'interprétation théologique », c'est-à-dire visent à communiquer la conviction que le Dessein divin est inéluctable, mais en tenant compte de « la récalcitrante » (= des résistances de la liberté humaine). Dans Narrativité..., p. 18.
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(Mt 26,57-58 Mt 26,69-75 Mc 14,53-54 Mc 14,66-72 Lc 22,54-62 Jn 18,12-27)
— Ils lièrent Jésus (Jn) // Gn 22,9, La Tradition juive avait discerné en Isaac une figure de victime consentante à la volonté de son Père Abraham (voir le Targoum résumé par I. de la Potterie: La Passion, p. 62); l'Épître aux Hébreux nous assure que c'est une parabole de ce qui se passe, cette fois jusqu'à ce que mort s'ensuive, entre Jésus et son Père (cf. BC I / Cn et BC I*, p. 118).
// Ps 69,2-21 2S 15,13 à 2S 16,8, « La Passion du Christ fut une souffrance pareille à la nôtre, elle l'accapare tout entier ». Submergé par elle, Jésus ne dira plus que l'indispensable (J. Guillet: J.C. hier et auJ., p. 151-152). Si nous voulons savoir l'intime de ce qu'il éprouve, méditons les grands psaumes de la Passion: outre le Ps 69, les Ps 22,31,73,88 (en // aux § suivants: voir Table). Sur le parallèle avec la Passion de David (// 2S), cf. § 351 * — // 2S 15,17-21.
Le jugement ne pouvait avoir lieu qu'au jour. Durant cette fin de la nuit commencée au Cénacle, poursuivie à Gethsémani, Jean nous explique ce que l'on fait de Jésus : Il comparaît devant Anne (cf. § 19 — Lc 3,2*). Juridiquement, depuis 15 ans l'ex-grand prêtre n'a plus aucun pouvoir. Mais en fait, son influence continue de s'exercer par ses fils et son gendre, qui lui ont succédé comme Grands Prêtres. (Caïphe est en fonction de l'an 18 à l'an 36). En outre, Jean met en rapport la double scène de Jésus devant Anne et du reniement de Pierre, puisque le IV° Évangile emboîte l'une dans l'autre. Mt et Mc ayant présenté le procès devant le Sanhédrin § 342 comme s'il avait été anticipé dans la nuit (avec seconde réunion, légale, « dès le matin », au § 345 , reportent donc le récit du reniement entre deux, au § 344 . Cela permet à Mt de rapprocher le repentir de Pierre du remords de Judas § 346 *), comme Luc et Jean avaient mis en parallèle la double annonce de la trahison et du reniement (voir Introd. au § 323 . Sur l'ordre des événements, cf. P. Benoît. Sur la valeur juridique du Procès de Jésus, cf. J. blinzler.
Mt26, 57-58; Mc 14,53-54; Lc 22,54-55; Jn 18,13-16) — Les acteurs de la double scène se mettent en place. En Saint-Jean, les détails de l'introduction de Pierre dans la cour (< aula >) sont d'un < témoin >. Quel serait cet < autre disciple > qui — de loin (Mt-Mc-Lc) — n'en continue pas moins de < suivre Jésus >, sinon « celui que Jésus aimait » et qui Le suivra jusqu'au pied de la Croix § 354 ?
Jn 18,19-24 // Is 45,15 Is 45,19 Is 45,21 — La comparution devant Anne : I. de la Potterie (La Passion, p. 67-84) confirme par le vocabulaire et la structure de ces versets, que l'interrogation porte sur Jésus comme Révélateur. Car il y est question d'enseigner, à des disciples, et de parler (au sens fort de < Lalô >*), à qui veut bien entendre. Aussi le Christ ne cherche pas à répondre sur la teneur de cet enseignement, mais sur sa loyauté de < Rabbi > dont les Paroles sont de notoriété publique, et que les Pharisiens ou les Sadducéens ne se sont d'ailleurs pas fait faute de venir piéger, mais en vain. À l'inverse de l'ésotérisme, par exemple des futurs Gnostiques, Jésus n'a pas réservé sa Révélation aux seuls disciples : Il l'a proposée à tous — et Anne, bien sûr! en était le premier informé. Suivant la déclaration d'Is 45, Dieu ne s'enveloppe pas exprès de < mystère > comme ferait un charlatan : Il se révèle totalement, en sa Parole incarnée. S'il n'en reste pas moins « un Dieu caché », c'est uniquement parce que sa Transcendance nous dépasse. Mais par conséquent aussi, la parfaite image de son Amour, reflétée dans le Christ, n'a pu se révéler authentiquement que dans les mystères adorables d'une vie cachée, ou d'une Passion effectivement rédemptrice mais apparemment scandaleuse et folle (1Co 1,17-25).
Dans ces conditions, la réaction du garde, située au centre exact de ces versets, prend valeur de symbole : Ce soufflet est celui du refus d'entendre et de recevoir la Parole irréprochable (v. 23). Nous sommes au coeur du drame qui est l'axe fondamental de Saint-Jean, annoncé dès le Prologue (1,9-11), ré-exposé en 3,16-21.31-36; 5,40; 6,38-40.45 etc... Même devant Pilate, Jésus ne prétendra qu'à « rendre témoignage à la Vérité » § 347 — Jn 18,37*).
Anne peut renvoyer Jésus, toujours ligoté, à Caïphe, pour la régularisation du jugement : il est déjà virtuellement décidé (Jn 18,14). Mais contrairement à ce qu'il paraît, ce n'est pas le Christ qui en sortira condamné, mais Anne, Caïphe et le Sanhédrin, plus encore que Pilate § 349 — Jn 19,11*).
2) Le Reniement : Le pire est qu'au même moment, le disciple n° \ est lui-même en train de rejeter Le Maître — et l'on comprend pourquoi le IV° Évangile enserre le procès d'Anne entre le 1° et les deux autres reniements de Pierre : ainsi l'échec (momentané) du Christ apparaît dans toute sa profondeur :
Jn 18,17-18 et 25-27; Lc 22,56-62 ; (et Mt-Mc, au § 344 — Il faisait froid, et ils se chauffaient : Déjà, Jn 10,22 a noté : « C'était l'hiver». Comme le: « C'était la nuit », pour Judas (Jn 13,30), ce froid — très naturel pendant les nuits de Jérusalem, jusqu'en mai — prend valeur symbolique, d'une « charité qui se refroidit quand l'iniquité est portée à son comble » § 293 — Mt 24,12*). Par contre, après la Résurrection, le Christ prépare lui-même « les braises » auprès desquelles va se réchauffer l'amour de l'Apôtre (Jn 21,9 Jn 21,15-17 . Cf. le dossier patristique de M. Aubineau, dans St. Patristica IV, p. 6
Le reniement, d'autant plus affirmé qu'il est réitéré, se répartit entre le 1° et les deux autres. En Saint-Jean, c'est marqué par l'écart entre les v. 17-18 et 25-27'. D'après Mt et Mc, le 1e pourrait n'être encore qu'un balbutiement de quelqu'un qui cherche à s'esquiver. Un premier chant du coq le ponctue (Sa mention en Mc 14,68 est peut-être rajoutée, d'où sa mise entre parenthèse, mais elle est logique dès lors que le Christ a prédit un double chant du coq, en Mc 14,30). Le 2° et le 3° reniements sont solennels, et violemment parjures (Mt 26,72 et 74; Mc 14,71).
// Du § 344 : 1R 12,16 est un exemple de la rupture que provoque une telle dénégation des liens antécédents, puisqu'il en résultera le schisme des 10 tribus d'Israël d'avec les 2 tribus de Juda et de Benjamin, fidèles au descendant de David. Mais Ac 7,35, extrait du discours d'Etienne, donne plus directement pour figure du Christ, Moïse, en l'appelant du titre (insolite) de « chef et rédempteur » ; parallèle que les Évangiles de Lc ou de Mt surtout ratifient, en présentant Jésus comme Le Nouveau Moïse*, ou le Prophète* que le premier annonçait en Dt 18,18 (BC I*, p. 209). Moïse a été lui aussi renié, en effet, dès sa première intervention (Ex 2,14), et plusieurs fois par la suite, lors des tentations au désert. Il avait bien prévenu les Hébreux qu'en murmurant contre lui, c'est contre Yahvé lui-même qu'ils murmuraient (Ex 16,8). A fortiori, non seulement le reniement du Christ, mais pratiquement tout péché grave renie Dieu : // Jos 24,27; Jb 31,24 Jb 31,28 Jr 5,11-12 Is 59,12-15 Is 59, fidélité : de Dieu à sa Parole envers nous, et de Nous à sa Parole incarnée, le Christ (2Tm 2,11-13; Ap 2,12-13). Mais Dieu tire parti, même de nos défaillances :
Rupert de Deutz : Les Oeuvres du Saint-Esprit n, 29 (PL 167,1638 ss; SC 131,292) : Que Pierre soit tombé, que par la permission de Dieu il ait renié son Maître, quelle touchante trouvaille de l'Esprit de Sagesse ! Car Pierre était désigné d'avance pour être le Prince des Apôtres ; il devait recevoir un pouvoir unique après celui du Christ; il l'avait même déjà reçu (après sa Confession de Césarée: § 165 — Mt 16,17-19* ; cf. Jn 21,15-17). Comment un homme placé au faîte des honneurs, et ayant une haute conscience de son caractère sacré, saurait-il condescendre aux petits, compatir aux malheureux ? Dieu seul est humble par nature ; ou plutôt il est l'humilité, la miséricorde même. Un homme humble ou miséricodieux ne l'est que par accident. Il fallait que l'Apôtre Pierre, prédestiné et appelé à une telle élévation, eût, avant de recevoir tant d'honneurs, une raison majeure et définitive de connaître une fois pour toutes l'humilité et la compassion. C'est pour cela que Dieu permit qu'il tombât, c'est pour cela qu'il fut laissé à lui-même jusqu à un triple reniement. Spectacle merveilleux, donné par la Sagesse divine !
Et aussitôt le coq chanta :
Voici qu'il chante le héraut du jour...
Séparant la nuit de la nuit. ...
À son appel, (Pierre) la pierre de l'Église,
Au chant du coq, lava sa faute dans les larmes.
Levons-nous donc avec ardeur :
À tous dormants, le coq donne l'alerte
Et le reproche aux somnolents ;
Le coq, aux renégats, porte l'accusation.
L'espérance reprend avec le chant du coq,
Les malades recouvrent la santé,
La dague du bandit se cache,
La foi revient à ceux qui l'ont trahie.
Sauveur! considérez ceux qui fléchissent,
Et nous voyant, redressez-nous !
Car sous Votre regard le péché se flétrit,
La faute se résout en larmes.
Resplendissez en nous, Vous qui êtes Lumière...
Et que dans notre voeu nous Vous soyons fidèles !
(ambroise: Hymne < Aeterne rerum Conditor >, trad. Armel Guerne, dans a. lôhr: Il y eut un Soir, il y eut un Matin. Éd. Saint-Paul 1966, p. 441-443).
Lc 22,61-62; (et au § 344 , Mt 26,75 Mc 14,72) // Lm 3,39 Ps 130,1-8 — Les 3 Synoptiques rapportent les larmes de Pierre, mais Luc seul, Évangéliste de la parabole du Prodigue, indique la source de cette parfaite contrition : Le Seigneur se retourna. Dans sa Passion comme dans son ministère § 42 -Lc 5,32*), c'est au pécheur, c'est à moi que va sa sollicitude divine, et le pardon divin que nous pouvons lire dans ce regard :
ambroise : Sur les psaumes 45 (46) et 39 (40) ; Pl 14, 1141 et 1140 : « J'ai attendu, attendu le Seigneur et Il m'a regardé » (Ps 40,2). Celui que le Seigneur regarde, Il le sauve... Le Christ le regarda, et Pierre pleura. Par là, il efface sa faute : Celui qu'il renia par ses paroles, il Le reconnaît par ses larmes... « Dieu l'aidera, de son visage » (version particulière du Ps 46,6). Que le prophète nous enseigne lui-même le sens de ces paroles. Il dit plus loin : « Montre-nous ton visage et nous serons sauvés » (Ps 80,4). Donc, le regard de Dieu est notre salut; et notre secours est sur son visage...
Le juste dit : « Ton visage, Seigneur, je le cherche » (Ps 27,8). Là où est le visage du Seigneur en effet, là est la lumière ainsi qu'il est écrit : « Fais briller ta Face sur ton serviteur » (Ps 119,135). Dès que le Seigneur regarda Pierre, non seulement Il le vit mais Il l'illumina.
p. 709
et § 343
(Lc 22,63-65 Mt 26,67-68 Mc 14,65)
— Avant le procès (Lc), ces outrages sont le < passe-temps > des gardes. Après, ils sont l'ignoble soulagement des membres du Sanhédrin eux-mêmes, sur le géant abattu (Mt). Me met en cause les uns et les autres, mais en attribuant à quelques sanhédrites seulement — pour l'honneur des autres — une < satisfaction > si indigne. Indigne du Christ, mais symbolique des outrages que font subir à Dieu, à son Nom et à son re-nom, tant de blasphèmes complaisamment amplifiés par les médias, comme aussi tous nos péchés. « Que ton Nom soit sanctifié » !
Les soldats romains répéteront ces outrages § 349 — Jn 19,2-3, et § 350 , mais contre l'autre mission fondamentale du Christ. Car les Sanhédrites bafouent « le prophète »*, le Révélateur du Père que Jésus est par excellence, en le traitant comme s'il n'était qu'un vulgaire < devin > ; tandis que les soldats se moqueront d'une < Royauté >* qui leur échappe, mais dont Pilate donnera sans le vouloir une définition bouleversante § 349 — Jn 19,5*). Quant à l'Esprit dans lequel Jésus a supporté cette honte, Isaïe nous le révèle dans le 3° des < poèmes du Serviteur > (50,4-10, en // au § 350 .
// Ps 22,3 Ps 22,7 et au § 343 , Lm 3,26-30 Is 52,13-14 Jb 30,10 Jb 16,16 -Ces < portraits prophétiques > du Christ aux outrages sont en même temps l'introduction aux trois textes les plus fondamentaux de l’A.T. sur la Passion. L'opposition entre la plus haute exaltation et la pire humiliation, en Is 52,13-14, correspond à l'abîme qu'il y a entre la proclamation de la Gloire eschatologique du Fils de l'homme § 342 — Mt 26,64*) et la dérision à laquelle Jésus se soumet présentement. Toute la suite de ce 4° < poème du Serviteur > en est l'explication (voir Is 53, en // au § 349 — où l'on trouvera pareillement l'essentiel de Lm 3, tandis que le Ps 22 est en // aux § 352 *, 361 et § 370 .
La piété chrétienne a donc été bien avisée en vénérant le Christ aux outrages ou le Crucifié comme le visage adorable de l'Amour bafoué de Dieu (cf. § 350 *).
(Mt 26,59-66 Mc 14,55-64 Lc 22,66-71)
—Le Sanhédrin cherche un témoignage — donc il respecte la forme juridique (// Nb 35,50 Dt 19,15 — mais pour faire condamner Jésus, donc ce n'est que pour la forme. Mt dit même crûment : « ils cherchaient un faux témoignage». Mais les précédents de Nabot ou de Suzanne (// 1R 21,13 Da 13,24-62) rappellent que le piège peut se retourner contre les témoins (// Dt 19,18-19). Multiplier les faux témoignages aurait été trop manifestement inique; on a fini par trouver un témoignage qui parût vrai, puisqu'il rapportait une parole authentique du Christ (Jn 2,19-22 Mt 24,2 Ac 6,14); au surplus elle était de notoriété publique puisqu'on en fera état jusqu'au Golgotha (Mt 27,40).
Opposer au Temple «fait de main d'homme » un autre « non fait de main d'homme » (Mc) pouvait s'entendre d'une spiritualisation des sacrifices et de la prière, annoncée par Jésus à la Samaritaine § 81 — Jn 4,21-24*); mais c'était dans la droite ligne des prophètes ou des psaumes 50 et 51. L'inversion qui fausse la Parole du Christ et la rend criminelle est cette fois mieux dissimulée : Il avait déclaré : « Détruisez ce Temple... » § 77 — Jn 2,19) ; on lui fait dire : « Je peux détruire le Temple de Dieu » (Mt). Si toucher seulement l'Arche pour la soutenir a provoqué la mort d'Uzza (2S 6,6-7), comment ne serait pas sacrilège cette prétention d'attenter à la Sainteté du Temple !
À l'inverse de cette impiété, Jésus en avait pleuré § 274 *). En prédisant la destruction de Jérusalem, le Christ ne faisait que prolonger les oracles des prophètes ; et même les adversaires de Jérémie avaient dû reconnaître son innocence (Jr 26, en // au § 259 . En réalité, c'est en faisant mourir le Prophète, comme Jésus l'annonçait en le déplorant aux § 288 -89) — Mt 23,29-39*, que le Sanhédrin entraînera la perte du Temple et la dispersion du peuple juif. Mais du même coup, sans le vouloir, en érigeant le Christ en Croix ils vont provoquer, « dans les 3 jours », l'érection du Nouveau Temple de son Corps ressuscité § 77 - Jn 2,21-22*).
Mt 26,62-64; Mc 14,60-62; Lc 22,67-70 // Jb 16,8 Jb 16,19 Lm 4,20 Da 7,13-14 Ps 110,1 — Jésus se tait, comme Il fera avec Pilate (Jn 19,9-10), alors que tout le monde cherche à s'excuser... Il pourrait non seulement dénoncer le travestissement de ses dires, mais invoquer le témoignage de son Père, et des Écritures, et de ses Oeuvres, comme Il a fait en Jn 5,31-47* § 150 . Mais c'est l'Heure*, dans toute sa solennité. Le Grand Prêtre se lève (comme dans le // Jb 16,8), pour une adjuration (Mt) — et dans ce mot, il y a < jurer >, en appeler à Dieu. Mais c'est une imposture, puisqu'il ne provoque la réponse de l'accusé qu'en la tenant d'avance pour coupable, sans examiner si, par extraordinaire, elle ne serait pas vraie. Comme l'écrit J. Delorme: La vérité est < confisquée > par des juges qui prétendent la détenir, sans rien entendre sinon pour la faire entrer dans leur table de valeurs (dans Rech. sr. 1981, p. 131-132). C'est ce refus d'< interlocution > — disons : de dialogue véritable, où chacun aurait à s'interroger sur les questions que posent les dires de l'interlocuteur — que dénonce Jésus au préalable (Lc 22,67-68). Si donc il répond néanmoins, ce n'est pas qu'il tombe naïvement dans « le piège » (// Lm 4,20), mais parce que « l'Heure est venue » de « rendre témoignage à la Vérité » (Jn 18,37*), officiellement.
Es-tu le Christ, le fils du Béni (Mc, et Mt équivalemment) : « Le Béni » -comme, dans la réponse du Christ, « La Puissance » — pour éviter d'avoir à prononcer le Nom < ineffable > de Dieu. Il y a bien là deux questions, que pour plus de clarté Luc présente successivement : Jésus est-il le Messiel Est-il Fils de Dieu, non pas seulement au sens imagé où tous les fils d'Israël tenaient Dieu pour leur Père (par exemple, Tb 13,4 ou Ml 2,10), mais au sens trinitaire dont ses ennemis savent qu'il l'a expressément revendiqué (Jn 5,18* ou 10,30*).
Tu l'as dit (Mt et Lc) : Affirme, sans prendre en charge. Mc est plus carré : Je [le] suis', et Luc revient au même, si l'on prend la conjonction au sens neutre qu'elle a souvent, et qui ne subordonne pas plus la proposition qu'elle introduit que ne le font nos < deux points > : « Vous l'avez dit : Je [le] suis ». Faut-il entendre ce « je suis » au sens d'une identification divine, comme en Saint-Jean surtout, mais aussi en Mc 6,50* et 13,6* ? — A. Feuillet ne le pense pas (Les < Ego Eimi >, p. 225-227), mais son argumentation ne semble pas décisive; car si la réponse peut en effet être prise en un sens plus banal, pourquoi Jésus ne jouerait-il pas sur une réponse à double entente, comme à Gethsémani § 338 — Jn 18,4-9*) et comme ici même à la phrase introductive : « Tu l'as dit ». Loin de se renier, le Christ va, suivant son habitude (p. ex. Jn 6,52-62), < enfoncer le clou > — le clou qui le crucifiera :
Et c'est si vrai que : Mt emploie ici une double locution. La première (< Plên >) a un sens il est vrai adversatif ; mais par opposition à ce qu'il y avait d'évasif dans le « Tu l'as dit » qui la précède. Cela va donc dans le sens d'une affirmation, d'autant plus indubitable qu'elle introduit un « Je vous le dis » rappelant les habituels « Amen, Je vous le dis » de ses déclarations solennelles. Aussi, mieux encore que « De plus, je vous le déclare », la tournure « c'est si vrai que » paraît rendre ce que l'idiotisme grec a de fort et de net.
Mais Mt poursuit par une locution d'ordinaire traduite par « désormais ». Cependant l'expression n'est pas la même qu'en Lc 22,68, où « désormais » convient mieux. En Mt par contre, < Ap'arti > peut avoir le sens, soit de « conformément à cela » (qui renforcerait le sens du « c'est si vrai que »), soit d'une indication temporelle, mais non précisée, d'un jour, non seulement éloigné comme celui du Jugement eschatologique mais proche, puisque la Glorification et la Session du Christ à la droite du Père s'accomplit dès la Résurrection et l'Ascension — et même, au sens de Saint-Jean, dès son élévation sur la Croix (Jn 3,14-15* et 12,28-32*). Sur cette indétermination, laissant la perspective ouverte à la fois sur l'éternel et sur le temps de l'Église, cf. A. Feuillet: L'agonie, p. 132-133. Le confirmeront d'ailleurs les v. 65-66*.
Le Fils de l'homme... venant sur les nuées du ciel : C'est le // Da 7,13-14 (cf. § 25 — Jn 1,48*). Siégeant à la droite de la Puissance : C'est le // Ps 110,1 Ps 110, le judaïsme contemporain, l'une et l'autre citations étaient reçues comme messianiques. Donc en elles-mêmes, elles n'avaient rien de scandaleux. Elles ne deviennent condamnables que si les juges ont préalablement jugé que Jésus n'est pas le Messie. Or c'est précisément cela qui demanderait à être objectivement et loyalement examiné. Mais Jésus a bien démasqué ses juges : ils se refusent à poser la question parce qu'ils ne croient ni ne veulent croire (Lc 22,67-68).
Au surplus, il est vrai que le Christ prend ces oracles non comme des images applicables à son Règne terrestre, mais comme l'expression (imagée) de sa transcendance messianique et en réalité divine. C'est bien en ce sens que le prendra la prédication apostolique (Ac 2,32-36 Ac 7,56 Rm 8,34 Ep 1,20 Col 3,1 He 12,2), la Tradition chrétienne (cf. pc H**, p. 602-606) et notre Credo le proclame : « // Est assis à In droite du Père : Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts; et son Règne n'aura pas de fin ». Cf. m. GOURGUES:/4 la Droite de Dieu, p. 143-161). Sur le symbolisme de cette expression, cf. § 376 — Mc 16,19*.
La haine de ses ennemis ne s'y est pas trompée : « Il se faisait l'égal de Dieu » (Jn 5,18 et 10,30-33), ce qui aurait été évidemment blasphématoire s'il ne l'était pas (Cf. P. Lamarche: dans Rech. sr. 1962, p. 74-85).
Voilà comment Hilaire, commentant la reconnaissance de la filiation divine au Ps 2,7) — « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils. Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » — compare et explique l'oracle du psalmiste par l'Évangile (Mt 26,63-64), et l'Évangile par le psaume: ...C'est le même qui est Fils de l'homme et Fils de Dieu : la nature divine ne disparaît pas en assumant le Fils de l'homme. Qu'il soit Fils de l'homme, cela n'empêche pas qu'il soit Fils de Dieu. L'élévation de l'humanité ne fait pas déchoir la divinité, la force divine ne s'avilit pas dans l'union avec l'infirmité humaine, car cette infirmité est alors dotée de force : en effet, le Fils de l'homme siège à la droite de Dieu, et on le verra venant sur les nuées du ciel...
L'enseignement de l'Evangile suit l'ordre de la prophétie. Au verset 7 du psaume 2 : « Tu es mon Fils ; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré », correspond Mt 26,64 : « Désormais vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance de Dieu ». Ces paroles du Christ montrent en quel temps le Fils de l'homme, qui est aussi le Fils de Dieu, reçoit la dignité de siéger avec Dieu: auparavant, le Fils de Dieu en était digne, mais à partir de ce moment le Fils de l'homme en est digne aussi; et ce qui demeure Fils de l'homme est engendré comme Fils parfait de Dieu, c'est-à-dire comme reprenant et communiquant à son corps, par la puissance de sa Résurrection, la gloire de son éternité... Car Lui qui était dans la forme de Dieu, Il avait pris la forme d'esclave; et, pour cette forme d'esclave qu'il avait prise, Il demandait la gloire divine en laquelle Il demeurait : « Père, glorifie-moi auprès de toi, de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût » (Jn 17,5). Il ne demande rien de nouveau, Il ne désire pas ce qui appartient à autrui, Il demande à être tel qu'il a été : Il prie pour être ce qu'il était auparavant, pour être engendré en la forme qui lui appartient. Car, à ce moment, Il n'était pas tout entier cela même qu'il demandait à devenir : Il demandait à devenir tout entier cela même qu'il avait été, et rien d'autre. Mais, demeurant réellement ce qu'il avait été, et sur le point de devenir ce qu'il ri était pas. Il naissait par une sorte de nouvelle naissance, à cela qu'il n'était pas encore tout entier. Donc, ce jour est celui où Il reprend la gloire de sa Résurrection, par laquelle Il naît à cela même qu'il était avant les siècles. Et si le Fils de l'homme doit désormais se manifester siégeant à la droite de la Puissance, c'est que la nature de la chair, glorifiée après la Résurrection, était portée à cette élévation qu'il avait eue précédemment : puisque — la mortalité de la chair étant absorbée dans l'immortalité — le Fils de l'homme destiné à siéger avec le Père naissait en Fils de Dieu, « le Vivant » qui ne doit plus mourir (PL 9, 275-278).
Mt 26,65-66; Mc 14,63-64; Lc 22,71 // 1S 15,26-28 Esd 9,1-6 Jl 2,13 Lv 24,16 — Déchirer ses vêtements était, depuis les Patriarches, signe de pénitence et de deuil : cf. Gn 37,29.34; 44,13; Nb 14,6; Jos 7,6; 2S 1,11-12; et // Esd 9 Tradition rapprocha le geste rituel de Caïphe de deux autres faits rapportés par les Évangiles pour leur portée symbolique, la déchirure du voile du Temple, et la non-déchirure de « la tunique sans couture » § 355 — Mt 27,51*, et§ Mt 352 — Jn 19,23-24*) :
Léon le Grand : Sermon 57,2 (PL 54,329; SC 74,46) : Caïphe déchira ses vêtements. Ne sachant ce qu'il signifiait par cette folie, il se priva de l'honneur du sacerdoce... Caïphe ! Où est ton pectoral ? Où, la ceinture de pureté, où, l'étale des vertus ? Tu te dépouilles toi-même de ces vêtements mystiques et sacrés ...tu oublies ce précepte que tu avais lu : « Le prince des prêtres ne déposera pas sa tiare, il ne déchirera pas ses vêtements » (Lv 21,10). Tu es l'exécuteur de ta propre humiliation. Et pour manifester la fin de l'antique économie, le même déchirement supprime l'ornement du prêtre et déchire le voile du Temple.
albert le grand : Sur Mc 14,63 (Éd. Vives, p. 719) : Le Grand Prêtre déchira ses vêtements, comme s'il ne supportait pas d'entendre un blasphème ... Ici, cette déchirure signifiait que la puissance du sacerdoce juif était retranchée, comme en 1S 15,28 quand, le vêtement de Samuel s'étant déchiré, Samuel dit à Saül : « Le Seigneur retranche de toi le Royaume d'Israël ». Mais les, soldats ne déchirèrent pas la tunique du Seigneur, parce que la puissance de l'Eglise demeurera toujours entière.
Bede le Vénérable : Sur Mt 26,65 (PL 92,118-119) : Les Juifs ont l'habitude de déchirer leurs vêtements quand ils entendent un blasphème ou une offense à Dieu. Nous savons par l'Écriture que Paul et Barnabé le firent (Ac 14,14). Mais que le Pontife ait déchiré ses vêtements pendant la Passion du Seigneur, ce fut un présage montrant que les Juifs, en punition de leur crime, perdaient la gloire sacerdotale de leur pontife, et que le trône de ces pontifes était vide.
Quant à la tunique du Seigneur, ni ceux qui le crucifièrent ni les soldats n'eurent pouvoir de la diviser : c'était le signe que la Sainte Église universelle, « tunique de son Rédempteur », ne pourra jamais être brisée.
Les // Esd 9,1-6 et Jl 2,13 montrent quelle aurait été la déchirure convenable : celle de la < contrition >, avec prise en charge par les sanhédrites de leur propre péché, comme fait Esdras, et du < coeur brisé > s'engageant sur la voie de la conversion (Jl 2). Mais à l'opposé, ils rejettent sur l'autre (Jésus) ce qui vient en réalité de leur péché : car il n'y a eu « blasphème » que si l'on refuse comme eux de croire Jésus Dieu.
Bible chrétienne Evang. - § 338. Le baiser de judas: Mt 26,47-56; Mc 14,43-52; Lc 22,47-53; Jn 18,1-11