Bible chrétienne Evang. - § 361. L’apparition à marie de Magdala : Jn 20,11-18
(Jn 20,11-18)
— Nous entrons dans la première série des apparitions, plus personnelles et touchantes. Chaque Évangéliste choisit celle qui va davantage dans sa ligne ; mais elles ont entre elles suffisamment de recoupements pour se vérifier et se confirmer mutuellement. Ici, l'apparition à Marie-Madeleine complète le paragraphe précédent, pour confirmer la valeur des < intuitions du coeur > ; en même temps, par contraste avec l'apparition symétrique à Thomas (voir Introd. au § 360 , elle nous met en garde contre la trop grande confiance que nous risquerions d'accorder au sensible. Mais en outre, il y a un parallélisme remarquable de cette scène avec celle de la vocation des deux premiers disciples :
Jn 1,35-51 § 25
Jn 20,1-29
v. 35- Jean-Baptiste annonciateur
37 auprès de deux disciples,v. 40 dont l'un reste innommé.v. 38 — « Où demeures-tu ? »
— « Que cherchez-vous ? »
— « Rabbi ».
v. 41. « Nous avons trouvé
45 le Messie. »
v. 46 Scepticisme de Nathanael.v. 47- Jésus montre
48 sa connaissance des coeurs.v. 49 « Tu es le Fils de Dieu... »
v. 50 « Parce que je t'ai vu
tu crois. »
v. 1-2 Marie-Madeleine annon-ciatrice auprès de Pierreet de « l'autre disciple. »v. 2 « Où ils l'ont mis ? »v. 15 « Qui cherches-tu ? »v. 16 « Rabbouni ».
v. 18 « J'ai vu le Seigneur. »v. 24 « Nous avons vule Seigneur. »
v. 25 Scepticisme de Thomas.v. 27 Jésus se montreressuscité.v. 28 « Mon Seigneuret mon Dieu ! »
v. 29 « Bienheureux ceux qui,sans avoir vu, croient. »
Cf. L. Dupont « Biblica » 1973, p. 491-496). Par cette sorte d'inclusion développée, Jn semble mettre en relief une sorte de schème normal du cheminement de la foi et de sa transmission : annonciation — > quête — » reconnaissance mutuelle de Rabbi à disciple — » adhésion — » témoignage, mais qui ne devient efficace que si recommence le même processus de quête, reconnaissance et adhésion.
Jn 20,11 // Ct 3,1-4 — Grégoire le Grand : Hom. 25 sur les Ev. (PL 76,1189): Quand les disciples eux-mêmes quittaient le tombeau du Christ, elle ne le quitta pas : Celui quelle n'avait pas trouvé, elle ne renonçait pas à le chercher; en cherchant, elle pleurait: et le feu de son amour rendait plus vif l'ardent désir du Seigneur disparu. Si elle fut alors seule à le voir, c’est quelle avait persévéré à le chercher. Car c'est de la persévérance que toute bonne action tire sa force.
D'abord, elle chercha et ne trouva pas. Mais elle s'obstina dans sa recherche ; et c'est pourquoi elle trouva : son désir même, à force de grandir, obtint de trouver et saisir son objet. Pensant au même Époux, l'Église épouse chante, dans le Cantique des cantiques : « Sur ma couche, durant les nuits, j'ai cherché Celui qu'aime mon âme ». Nous cherchons le Bien-aimé sur notre couche, si, dans les rares instants de repos de la vie présente, nous soupirons de désir, nous aspirons à rejoindre notre Rédempteur. Nous le cherchons de nuit, car même si notre esprit s'éveille à l'amour du Christ, nos yeux, pourtant, restent voilés.
Les affinités de cette apparition avec le Cantique sont en effet multiples. Non seulement le thème < chercher-trouver >*, mais du < jardin > (Jn 19,41*) et du < jardinier > avec < le jardin de l'Époux > (Ct 4,16-5,1 ; 6,2.11); et encore le double < retournement > de Marie-Madeleine (Jn 20,14 Jn 20,16) et le quadruple < Reviens > de Ct 7,1. Sur ces rapports, cf. La recherche du Christ dans la Nouvelle Alliance d'après Jn 20,11-18 comparé avec Ct 3,1-4 et les Disciples d'Emmaüs (dans « Mél. de Lubac » 1P 93-112). a., feuillet y rejoint Grégoire le Grand d'autant mieux que d'après cet exégète, Jn voit dans < la femme > le symbole de la communauté chrétienne (par exemple en Jn 16,19-23 ou Ap 12) : | Marie de Magdala, en pleurs avant que ne la submerge la Joie de la Résurrection, • « incarne la communauté messianique en quête de son Sauveur » (p. 97-98). Premier signe que cette apparition, si personnelle, n'en a pas moins valeur éminemment ecclésiale, comme le contexte suffirait à le faire penser, du « Femme, voici ton Fils » et du Coup de lance jusqu'au Pouvoir de remettre les péchés, la pêche miraculeuse et la primauté de Pierre § 354 , § 356 *, § 367 *, § 371 * et § 372 *).
Jn 20,12 // Ex 25,18 Ex 25,20 Ex 25,22 — Deux anges (comme Lc), vêtus de blanc (Mt-Mc-Lc), assis (Mt-Mc), l'un à la tête, l'autre aux pieds : Comme les deux Khéroubim d'or encadrant le propitiatoire, lieu de la Shékinah (Bc I*, p. 225 et 254-255). Cf. aussi Is 6. À la différence du § 359 , les anges n'ont ici que ce rôle muet : ils vont s'effacer devant le Christ.
Jn 20,13-15) — Même une apparition d'anges ne distrait donc pas Marie de sa douleur et de sa quête... Même quand Jésus apparaît, elle ne l'a pas bien regardé. Mais cela montre aussi la discrétion avec laquelle se révèle la gloire du Christ. Car celle-ci est divine, donc de soi à la fois invisible et insoutenable (« nul ne peut voir Dieu sans mourir »), si elle n'était comme tamisée (cf. § 169 — Mt 17,2*). Si les disciples d'Emmaüs, pas plus que Marie-Madeleine, ne reconnaissent le Christ dès le premier abord, ce n'est pas qu'il joue à cache-cache, mais parce que les yeux, à eux seuls, ne suffisent pas à reconnaître le divin. Il n'a pas à se cacher: son humanité même devient invisible dans sa Gloire, comme Dieu; et s'il apparaît relativement peu, ce n'est pas qu'il nous prive d'une vue permanente qui nous semblerait aller de soi, à nous qui sommes de ce monde des apparences: la normale, c'est qu'il échappe à nos perceptions; et quand Il apparaît, c'est par grâce, de sorte que nous puissions librement croire à la Résurrection, tout en ayant suffisamment de témoins < dignes de foi > pour que celle-ci soit raisonnable. C'est exactement ce que Pierre explique au Centurion Corneille (Ac 10,40-41).
Jn 20,16) — Mariam : forme araméenne, celle même sous laquelle Jésus : devait l'appeler plus intimement. Cela fait contraste avec l'interpellation initiale ; du v. 15 : « Femme... » Se retournant : Déjà fait au v. 14. La répétition ne viserait-elle pas le mouvement intérieur, le retournement du < qui cherche ; trouve >, correspondant spirituellement au passage de la mort à la vie qui est le : Mystère pascal même ? Ainsi, Marie a-t-elle reconnu le Bien-Aimé à sa voix (comme dans le Cantique 2,8.10, en // au § 305 plus qu'à sa vue (Jn 10,3-4*, § 263 .
Jn 20,17a // 2Co 5,16-18 — Il faut garder à cette Parole du Christ le sens : inépuisable du < mystère > qu'elle tend à nous révéler, de sorte que les diverses interprétations possibles nous apparaissent moins exclusives que complémentaires et plus ou moins approfondies.
Le geste lui-même de Marie de Magdala est clair : comme le précise Mt 28,9 § 362 *) : elle saisit ou étreint les pieds de Jésus. La réponse du Christ : « Noli me tangere » doit s'entendre au présent, mais de continuité : « Cesse de me toucher = ne me retiens pas ». Ce dont on discute, c'est du motif de cette réaction. Sens le plus matériel, se basant sur le < dé > grec, adversatif (v. 17b) : « Ne t'attache pas à moi mais — Je ne suis pas, en effet, remonté à mon Père — va vers mes frères et dis-leur... » (jouôn, dans Rech. sr 1928, p. 501-502). La traduction proposée par X. Léon-Dufour revient au même : « Cesse de me tenir, car certes (ou : sans doute), je ne suis pas encore remonté vers le Père, \ a plutôt dire... » (Et. d'Év. p. 74; ou Résurrection... p. 231).
Mais comment réduire à ce que le P. Jouón appelle « une parenthèse anticipée », la proposition explicative: « car je ne suis pas encore remonté... »? On ne peut ignorer en effet que Jésus fait de ce < Retour chez son Père > le but même de sa vie § 18 — Lc 2,49*) et de sa mort (Jn 16,28), but qu'il garde constamment à l'esprit (Jn 7,33 Jn 8,21 Jn 13,1). Il a même répété, après la Cène, que « si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père » § 328 — Jn 14,28; cf. 16,5.10). En irait-il autrement à présent ?
X. Léon-Dufour a raison de souligner que, pour Jn, l'exaltation est acquise dès la Croix et par elle, si bien que « la Résurrection est identiquement retour chez le Père » (Ibid). Si au surplus, ressusciter c'est entrer dans la vie divine, donc éternelle, il n'y a plus d'avant ou d'après pour le Christ de Pâques, si incompréhensible que ce soit pour nous.
Mais alors, que signifie le « pas encore remonté » de Jn 20, 17 ? A. Feuillet (Mél. de Lubac, p. 98) fait remarquer la force de ce « pas encore » chez Saint-Jean, où il est en rapport avec < l'Heure >*, établissant deux stades dans < l'économie > (= la dispensation) de la grâce, avant et après : Cf. Jn 2,5 (Cana) ; 7,6.8.30 et surtout 39 (eaux-vives de l'Esprit Saint pour après la Glorification). Du moment que le Verbe (éternel) s'est incarné, en effet, sa naissance, les 33 années de sa vie, sa mort et sa résurrection elle-même se sont inscrites dans la succession des temps : « au 3° jour », « le 1° jour de la semaine ». C'est si important que cela fait partie du < Credo >. Bien que, de droit et de fait, sa glorification soit acquise dès le Vendredi-Saint, « à la 9° heure », Jésus la plie — quant à nous — à nos conditions temporelles : 3 jours de délai pour que la mort soit bien établie ; 40 jours où le Ressuscité se fait voir, avant de faire voir son Ascension « à la droite du Père » § 376 — Mc 16,19*). Ce rapport du temps et de l'éternité, comme du sensible et du glorieux est à la clef de tout le ch. 20 de Saint-Jean (L. Dupont, dans « Biblica » 1973, p. 482-484).
Mieux encore, le Christ veut nous y faire accéder avec Lui. Par conséquent, lorsque Jésus dit à Marie-Madeleine : « Je ne suis pas encore remonté », cela ne revient pas seulement à: «je vais remonter, dépêche-toi d'aller prévenir avant que je ne remonte », comme le lui font dire la plupart des commentateurs (critiqués par HOSKYNS, cité par A. Feuillet, p. 100). Il veut premièrement apprendre à Marie-Madeleine à quelle intimité elle est appelée.
Il y a eu un temps pour toucher. Et l'on se rappelle comme le contact avait une vertu salvatrice, durant les années de vie publique, à condition, bien entendu, d'être recherché avec foi § 143 , l'Hémorroïsse; § 157 -158*, guérison du Sourd-muet). Plus encore, doit être mis en rapport avec le « noli me tangere » l'attitude inverse du Christ qui, au scandale du Pharisien Simon, se laisse « toucher » (même verbe) par la pécheresse qui baigne de ses pleurs les pieds du Maître, avant de les embrasser § 123 — Lc 7,39 et 38). Même si cette femme anonyme n'était pas Marie de Magdala, c'est la même déférence, du même grand et pur amour.
À coup sûr, Jésus ne lui refuse ni cet amour ni l'union qu'il réclame. Seulement, durant cet entre-deux, il ne faudrait pas que Marie-Madeleine se contente de reprendre avec le Maître les relations sensibles d'avant, car elles vont s'arrêter en tout cas avec la prochaine Ascension. Elle doit apprendre plutôt à vivre de la Présence intériorisée, annoncée par Jésus à ses Apôtres après la Cène : « Encore un peu et le monde ne me verra plus... Mais moi je vis et vous vivrez (de cette même Vie). En ce jour-là, vous saurez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous » § 327 — Jn 14,19-20*). Si même la connaissance antécédente du Christ < selon la chair > détournait l'attention de cette communion plus intime et totale, qu'elle s'efface ! (// 2Co 5,16-17). C'est bien ainsi que la grande Tradition a lu le < Noli me tangere > :
Jérôme: Ép. 120, ad Hedybiam, v (PL 22,990; Budé VI, p. 135-136): Le Seigneur dit cela pour que Madeleine sache que l’économie de « la chair assumée » est maintenant changée en gloire divine. Madeleine ne doit plus chercher à être corporellement avec le Seigneur : elle doit croire, spirituellement, qu'il est établi à la droite du Père.
Isaac de l’Etoile : 8° Sermon sur la Toussaint (PL 195,1717; SC 130,198) : Ne me touche pas : car « dans ton coeur », je ne suis pas encore remonté vers le Père : tu ne me cherches pas encore « chez le Père » ; et c'est là qu'il faut me chercher.
Le Christ se dérobe, commente L. Dupont, afin d'amener Marie-Madeleine du sensible au glorieux, comme à l'inverse, en s'offrant au toucher du doigt de Thomas, ce même Christ, glorieux, provoquera l'Apôtre à passer du voir au croire. « Mon Seigneur et mon Dieu » est plus explicite; mais en disant : « J'ai vu Le Seigneur », Marie-Madeleine va elle-même au-delà de la vision physique. Jésus l'a haussée « jusqu'à la découverte du mystère de sa montée vers le Père, où se consomme, avec le mouvement de son existence humaine, la révélation de son être divin. Cette révélation est l'objet même de sa mission ici-bas comme aussi de toute foi » (D. Mollat : Et. Jo., p. 175).
Désormais, « la nouvelle communion avec Jésus » de tous ses disciples n'aura plus d'éclipsé, grâce au don de l'Esprit, et par les sacrements (F. Neirynck, dans nts 1968-69, p. 188; A. Feuillet : Jésus et sa mère, p. 75); notamment par l'eucharistie — comme l'apparition aux disciples d'Emmaüs en donnera la saisissante confirmation § 365 — Lc 24,30*). En bref, le < Noli me tangere > est invitation à la communion eucharistique et à la vie dans l'Esprit...
Jn 20,17b-18 // Ps 22,23 Ps 22,31 Ps 22,32 — Va trouver mes frères : Comme en Mt 28,10 § 362 . Ce titre deviendra l'appellation même des chrétiens, dans les Actes. Jésus avait déjà révélé à ses disciples ce lien entre eux et avec tous les hommes, par exemple dans le Discours sur la montagne (Mt 5,22-24 7,3-5, etc. ), et même ce lien entre eux et Lui : « mes frères » § 122 — Mc 3,31-35). Mais Il en ouvre ici la source : sa ré-union avec son Père de toujours, qui est aussi désormais notre Père.
Augustin remarquait déjà que si le Christ n'a pas dit simplement « notre Père », c'était que sa filiation et la nôtre ne s'identifient pas (Sur Jn, tr. 21,3) — Vives 9, p. 487). Mais ce n'est pas dire que le « mon Père et votre Père » prenne ici un sens adversatif, comme si Jésus opposait les deux relations. Le « et » marque bien plutôt une « conjonction », dans toute la force de ce mot. Dans une note sur ce verset (Mémorial J. Chaîne, p. 51-59), F.m. catherinet a rapproché cette formulation de celle par où Ruth la moabite (donc païenne) s'agrège au Peuple de l'Alliance (Rt 1,16, en // au § 351 . Ce v. 17b exprime donc « avant tout, l'idée d'une association, d'une participation à la filiation du Fils unique, idée que saint Paul et saint Jean, faisant écho à Jésus, exprimeront ultérieurement par le terme aux résonances doctrinales si profondes: « Koinônia, communion » (). Mais mieux encore, le Christ se montre comme « le frère aîné », « le précurseur » (Rm 8,29 He 6,19-20), « le chef» qui conduirait jusqu'au Père tous ceux qui le voudraient, car « sanctifiant et sanctifiés sont tous d'un seul tenant» (He 2,11, en // au § 362 ; cf. A. Feuillet : Le mystère de l'amour, p. 18-20). C'est Lui « qui nous a saisis » (Ph 3,12) :
Grégoire de Nysse : Contra Eunomium II (Ed. Morel II, p. 453 ; PG 45,504): Le Christ est les prémices, et il est le Premier-né. Ce Premier-né a donc des frères, et c'est d'eux qu'il dit à Marie : « Je vais vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. » En ces paroles, il récapitule tout le dessein de « l'économie » [de la rédemption de l'homme]. Car les hommes, se détournant de Dieu, ont adoré des Dieux qui ne sont pas des Dieux : eux qui étaient enfants de Dieu, ils se sont faits les familiers du Mauvais, du faux père. À cause de cela, le Médiateur de Dieu et des hommes a assumé les prémices de toute la nature humaine... [Il fait donc dire à ses frères :] « Je vais faire qu'il redeviendra votre Père à cause de moi — ce vrai Père que vous avez quitté — et qu'à cause de moi il redeviendra votre Dieu — ce vrai Dieu que vous avez renié. Car, du fait que j'ai assumé les prémices, je présenterai en moi, à Dieu et mon Père, la nature humaine tout entière. » Si, en effet, Celui qui est « les Prémices » déclare « son Dieu » le vrai Dieu, et déclare « son Père » le Père qui seul est bon, tout est remis en place pour toute la nature ; et à cause des « Prémices », Dieu redevient Père et Dieu de tous les hommes. Car si les Prémices sont saintes, dit saint Paul, toute la masse l'est aussi (Rm 11,16).
Va... dis à mes frères : Comme au // Ps 22,23, et au Ps 51,14-17, la Révélation 765 du Salut porte ceux qui l'ont reçue à répandre la Bonne Nouvelle. La foi, espérante, devient confessante, et contagieuse. Le // Se poursuit d'ailleurs entre Jn 20,18, « Voilà ce qu'a dit le Seigneur », et le Ps 22,32, « Voilà ce qu'a fait le Seigneur ». J'ai vu (au sens indiqué à 20,17a) rattache cette apparition au thème général de ce ch. 20 de Saint-Jean (Introd. au § 360 .
p. 765
Mt 28,9-10 // So 3,14-15 Tb 12,16-17 Jl 2,21 He 2,11
— Les différences notables de présentation n'empêchent pas la correspondance entre cette apparition privée et celle que Jn met si bien en scène : Ici et là, Marie de Magdala; même apparition, même geste de vénération. Seulement, ici, le geste de saisir les pieds de Jésus est mis en connexion avec le prosternement de l'adoration ou de la supplication, fréquent chez Mt (2,2.8.11 ; 8,2 ; 9,18 ; 14,33 ; 15,25 ; 20,20; 28,17). Cela donne à ce geste un sens différent de Jn 20, 17: Jésus se voit vénéré comme Dieu. C'est pourquoi il commence par le « ne craignez pas », par lequel tout messager céleste doit d'abord rassurer l'homme à qui se révèle la Présence du Sacré : // Tb 12,16-17 Lc 1,13 Lc 1,29, le retrouve jusque dans les apparitions de Fatima.
Le message est aussi à « mes frères » (Jn 20,17b*). Mais il se borne à reprendre celui de l'ange (Mt 28,7), à savoir que c'est en Galilée que va se situer le 3° point de la révélation sur la Résurrection, c'est-à-dire l'apparition, officielle cette fois, aux Apôtres, et leur envoi en mission. Sur ce point, Lc et Jn s'accordent avec Mt, même s'ils s'en tiennent au cadre de Jérusalem.
(Mt 28,11-15) // Ps 64,6-9 Ps 64,11)
— Complète le § 358 , en opposant l'impuissance et le mensonge des adversaires du Christ à la fidélité des saintes femmes, comblée au-delà de toute attente. L'application du Ps 64 à cet épisode par saint Augustin a été retenue par la liturgie (Office des Vigiles du Samedi-Saint).
(Lc 24,13-35)
— Ce chef-d'oeuvre de l'art littéraire de Saint-Luc correspond à celui de Saint-Jean sur l'apparition à Marie-Madeleine § 361 — et donc aussi à Mt § 362 . C'est également un récit dramatisé de < reconnaissance >, commencé dans la tristesse et le désespoir (v. 17 et 21), ranimant l'ardeur de la foi (v. 32 et 31), conduisant au témoignage apostolique (v. 33-35). Il n'est pas jusqu'au « Noli me tangere » qui ne trouve son parallèle dans la disparition du Christ, sitôt reconnu, mais en laissant à ses disciples son Eucharistie en signe de reconnaissance et de présence.
Les études s'étant multipliées ces dernières années, citons au moins l'analyse de J.M. Guillaume dans Luc interprète..., p. 69-159, et la chronique bibliographique de Dom J. Dupont, mise à jour jusqu'en 1984 (Études Synoptiques II, p. 1153-1181, ainsi que son article antécédent, paru en 1954, dans « Miscellanea biblica B. Ubach »). Il est vrai qu'on observe certaines contradictions entre ces travaux d'approche, s'expliquant souvent par leur point de vue particulier : historico-critique, structural, rhétorique ou dramatique, et souvent un peu trop exclusivement formel. Mais ces recherches diverses n'en témoignent que mieux de l'importance grandissante de la critique proprement littéraire, confirmant à quel point Saint Luc est construit suivant les règles classiques, des plus strictes, B. STANDAERT, qui l'avait montré longuement pour l'Évangile selon Marc (cf. § 115 *), en a esquissé aussi la démonstration pour le Troisième Évangile; et il rejoint J. Dupont, en donnant le ch. 24 de Lc en exemple des 3 < modèles > — rhétorique, dramatique et concentrique — suivant lesquels ce chapitre a été composé (A cause de l'Évangile, p. 323-347).
À quelques précisions près en effet, on s'accorde sur une structure de type concentrique. Pas d'hésitation pour les séquences du début et de la fin, inversées :
v. 13 et 33 : départ et retour à Jérusalem ;
v. 14 et 32 : ils s'entretenaient l'un l'autre ;
v. 75 et 31b : Jésus s'approche ou devient invisible;
v. 16 et 31a : les yeux « empêchés », s'ouvrent;
v. 17a et 30 : Jésus prend la Parole, et prend le Pain ;
v. 17-18 et 28-29 : Jésus feint d'ignorer ou d'aller plus loin. Halte.
On pourrait aussi rapprocher les v. 34-35 des v. préliminaires, 9 et 12 : les femmes ou les disciples racontent ce qui est arrivé. Mention de Pierre. Ainsi est marqué jusque dans l'organisation même du récit, le complet retournement (= la < conversion >) que le Christ va susciter en ces deux disciples.
Au centre, les discours de Cléophas et du Christ se répondent aussi, mais avec un certain déséquilibre : v. 19-24 et 25-27 = 6 versets contre 3. Il y a en effet concordance (mais cette fois dans le même ordre), entre :
v. 18 et 25 : Ne savez-vous pas ?
v. 19 et 25b : < Prophète > et prophètes
v. 20.22-24 et 26 : Passion et Résurrection
v. 21 et 27 : Espoir déçu — prophéties confirmées
En outre, il y a 3 inclusions, dont la 1° seule encadre l'ensemble des 2 discours (v. 19 et 27 : Événements ou prophéties concernant Jésus). Les deux autres, au contraire, détachent deux petits ensembles v. 22 et 24: femmes et Apôtres au tombeau; v. 25 et 27: les prophètes. Cela crée deux centres, qui se détachent successivement : v. 23 « Il est vivant »; v. 26 « Il fallait »*.
Il faudra se souvenir de ces correspondances pour bien déterminer l'importance respective de chaque élément du récit dans l'ensemble. Car bien entendu, tout ceci n'est que moyens qui, consciemment ou non, doivent nous orienter de façon convergente, de sorte que la lecture produise l'effet pour lequel a été tissé un tel < texte >. Et l'on admirera par-dessus tout l'art souverain de l'Évangéliste, qui conduit le récit avec une telle aisance qu'il a fallu attendre nos analyses méthodiques contemporaines pour qu'en ressorte le réseau serré formel, la < texture > du texte.
Le commentaire détaillé, verset par verset, doit aider à définir progressivement < l'effet >, c'est-à-dire le retournement que cet Évangile continue de demander à chaque vie chrétienne, personnelle et actuelle...
Lc 24,13 — Et voici* : Premier signal que l'apparente banalité de cette histoire en ses débuts va s'ouvrir sur un événement de Salut. Il est difficile de concilier les précisions spatiales et temporelles de ce verset d'introduction : la distance de 60 stades (= env. 11 km), bien attestée par les mss. rend possible le retour à Jérusalem et la rencontre avec les Apôtres, le soir même (v. 33-35); mais la localisation la plus probable d'Emmaüs (= Amwâs) est à près de 30 km (= les 160 stades indiqués par quelques mss.), donc beaucoup trop loin (cf. J.M. Guillaume, p. 96-109).
Lc 24,14-15 // Gn 37,31-35 — Marie pleurait, eux réfléchissent : le coeur et l'esprit de ses fidèles tout occupés de lui. Comme Jacob, inconsolable.
Jésus fit route avec eux (cf. v. 32 : sur la route) : Importance de la route en Saint Luc, jusque dans les paraboles — Enfant prodigue, Bon Samaritain, etc... — et surtout dans la vie du Christ : né sur la route à Bethléem, exilé, pèlerin de Jérusalem à 12 ans, axant une grande partie de son ministère sur la montée à Jérusalem (Lc 9,51 à Lc 19,48; cf. notamment Lc 9,57 Lc 10,1 Lc 10,38 Lc 13,22 Lc 13,33 Lc 17,11 Lc 18,35 Lc 19,28).; Bien plus, la condition humaine est d'un < Viator >, d'un pèlerin; celle de Jésus en particulier, polarisée sur « le retour au Père » § 18 — Lc 2,49*), est un « Exode » § 169 — Lc 9,31*). L. Legrand a établi un certain parallèle entre les « deux voyages » de Jésus adolescent à Jérusalem (Lc 2,41-50) et des disciples d'Emmaüs (Mél. J. Dupont, p. 409-429) :
Les Apôtres, eux aussi, auront à repartir sur les routes § 366 — (Lc 24,47-49) ; l'Évangile même est < La Voie >, menant à Dieu, à la Vérité, à la Sagesse et au Salut, et plus totalement encore : « La Voie » à l'absolu (Ac 9,2 Ac 18,26 Ac 24,14 Ac 24,22). Si elle mène l'Église « issue de la puissance du Ressuscité, vers la présence retrouvée de la Parousie (Ac 1,8 Ac 1,11), Jérusalem, à la fois lieu terrestre et source de rayonnement de la Parole divine », illustre cette « rencontre physique emportée dans une ascension » (Ibid. p. 429). Pour l'instant, il est significatif aussi que, dans leur désespoir, les disciples vont s'éloignant. C'est la rencontre de Jésus qui va les ramener à la Ville Sainte (v. 33). Mais en ce premier abord, Il marche lui-même avec eux, vers Emmaüs : Il est avec nous dans notre désespoir — et l'on ne sait pas encore qu'on va le retrouver non seulement au bout de la route mais « avec nous ».
// Ex 34,9 — C'est la conclusion victorieuse du grand débat de Moïse avec Yahvé après l'infidélité du Veau d'Or (Ex 32,11-33,17) — BC I*, p. 263), et le renouvellement de l'Alliance. À plus forte raison l'intercession de l'Eglise obtiendra que le Bon Pasteur rejoigne les brebis égarées.
Lc 24,16 // Gn 42,8 — Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître : Jésus n'a pas à se déguiser pour garder l’incognito : l'obstacle est en nous, depuis le péché, donc depuis Adam (v. 31a*).
Lc 24,17 — Ils s'arrêtèrent, attristés (ou : l'air sombre) : Var. « Pourquoi avez-vous l'air sombre ? » En contraste avec « le coeur ardent » du v. 32.
Lc 24,18-21 — C'est déjà la présentation apostolique du ministère et de la Passion du Christ (comparer avec Ac 2,22-23 Ac 10,38-39). Il y a même aussi la mention du « 3° jour », qui se retrouve aux v. 7 et 46 comme une date prophétique. Le discours de Cléophas est donc une préparation à la catéchèse qui va suivre, même s'il lui manque encore son couronnement.
Un prophète : De lui-même, le tour de la phrase n'inclinerait guère à penser que Cléophas fasse allusion au Prophète messianique annoncé par Moïse en Dt 18,15 Dt 18,18-19 (en // au § 169 , et cité par le // Ac 3,12). Mais Cléophas ajoute : puissant en oeuvres et en paroles, expression par laquelle Etienne qualifie Moïse (// Ac 7,22). Cela montre que, très tôt, Jésus a été reconnu dans l'Église Le Prophète annoncé, Nouveau Moïse*. Devant Dieu : de ce fait, miracles et doctrine devenaient garants qu'il venait de Dieu § 78 et 262) — Jn 3,2 Jn 9,31-33).
Nous espérions (au passé : à présent, ils n'espèrent plus) qu'il était Celui qui délivrerait Israël : Espérance messianique, par conséquent, mais risquant d'être trop temporelle. N'empêche que ce titre convient au Christ, mais justement par sa mort, qui nous < délivre > en nous « rachetant en son sang », comme l'annonçait Zacharie et comme l'attendait Anne (Lc 1,68 Lc 2,38*).
Lc 24,22-24 — Relation exacte des événements du matin : femmes et disciples au tombeau. Mais on en reste au « vu ». Et pourtant, au centre de ce constat désabusé, Lc a placé l'une des formes de l'annonce et de la croyance en la Résurrection : « // Vit ! » (en français, l'assonance ajoute encore à la brièveté des deux mots: à la fois vif et redoublé, cri de joie et de foi).
Lc 24,25-32 — Comme avec la Samaritaine, Jésus donne ici une leçon de pédagogie de la foi § 81 — Jn 4,10-28*, J. Ratzinger). En deux temps :
Lc 24,25-27 Lc 24,32) — Rappelons-nous que, dans sa 3° prédiction de la Passion et de la Résurrection, Jésus référait aussi aux Prophètes § 253 — Lc 18,31*). C'est la preuve par les Écritures. Mais elle ne se fait pas n'importe comment. Elle reprend Moïse (= l'Ancienne Alliance), puis « tous les prophètes » (et l'on sait que la Bible hébraïque comprenait sous ce titre les Livres que nous appelons historiques : Josué, Juges, Samuel, Rois). Dans la leçon parallèle des v. Lc 24,44-46, seront ajoutés les psaumes, représentant par excellence la 3° Partie des Livres de l'A.T. (Les < Sapientiaux >).
La Tradition juive a gardé cette méditation de la Parole, où ces 3 sortes de textes ne sont pas sur la même ligne, mais en harmonique. Fondamentalement, il n'y a que l'Alliance, donc le Pentateuque. Prophètes (au sens large) et Livres de la Sagesse sont plutôt des degrés d'approfondissement ou d'intériorisation de la même Révélation de l'unique Mystère, qui est celui de l'Amour de Dieu pour les hommes. C'est donc en confrontant les parallèles de ces 3 registres, et en passant de l'un à l'autre, qu'ils pourront s'éclairer mutuellement.
Le Christ emploie ici une méthode analogue, mais avec cette innovation capitale qu'il se sait, Lui, le Verbe de Dieu, sa Révélation enfin totale (He 1,1-3), manifestant son Dessein éternel de Salut et l'accomplissant si bien qu'« en Lui, mon Amour est parfait » § 24 — Mt 3,17b*). À l’harmonie : Loi — Prophètes — Sagesse, Jésus apporte donc son centre d'unité : le mystère de sa Passion menant à la Résurrection. Tout cela se tient donc, Création, Faute d'Adam, Rédemption par le Nouvel Adam, Ancienne et Nouvelle Alliance, Parousie. Tout < compose >, suivant l'art magnifique de Dieu, pour accomplir son Dessein en dépit de nos faiblesses et de nos résistances. Et de même que l'on parle de la < nécessité > artistique prise par les moyens pour que l'effet voulu de l'artiste soit bien atteint, de même « il fallait »* que, par le moyen de l'obéissance du Christ au Père et de sa solidarité avec nous, jusqu'à la mort et la mort de la Croix, Il gagne sa glorification par notre Salut, et pour notre propre glorification (= le v. 26, centre des v. 25-27, premier temps de la pédagogie de la foi par le Christ). C'est sur cette « leçon de choses », répétée pour les Apôtres aux v. Lc 24,44-46, que ceux-ci d'abord ont eux-mêmes calqué leur prédication puis leurs écrits (= le N.T.), puis que l'Église a fondé son enseignement, notamment par les lectures de sa liturgie, rapprochant l'Ancien du Nouveau Testament. C'est aussi la méthode qu'à son tour cette Bible chrétienne réapprend, en faisant fonds de tous ces antécédents (les introductions générales à BC I* et BC II* pourraient donc être relues ici, à titre de plus vaste commentaire) : « Il y a continuité entre la prédication des Apôtres et les instructions du Christ ressuscité; c'est le Christ de Pâques qui a donné au < Kérygme > sa forme et son contenu » (J. Dupont : Op. cit, p. 1136-1138).
// Sg 4,17 Is 29,22 Is 29,24 Gn 3,14-15 Gn 49,8-9 Ps 30,2 Ps 30,4 Ps 30,12-13 Da 14,31 Ac 3,12 Ac 3,22-24 1P 1,10-11 — D'abord, le principe général d'interprétation des Écritures : y déceler le Dessein de Dieu, sans quoi l'on n'y comprend rien (// Sg 4,17 Ps 92,6-7). Mais il y faut l'Intelligence (// Is 29,24), au sens fort où celle-ci est un des 7 dons du Saint-Esprit (Is 11,2 — cf. PC III, p. 114-115). C'est pourquoi le Christ « ouvre l'Intelligence » aux disciples (Lc 24,45) ou bien « souffle sur eux l'Esprit » dans le passage correspondant de Jn 20,22*. Les autres // donnent quelques exemples d'annonces ou de préfigurations de la Résurrection, dans la Loi (Gn), les Prophètes (Dn) ou les psaumes (Ps 30). Enfin 1P 1,10-11 ou Ac 3,22-24 témoignent que saint Pierre suit la leçon du Christ (cf. aussi Ac 2,23-32, en // au § 360 .
Ne fallait-il pas que le Christ souffre pour entrer dans sa gloire : Litt. « et entre dans sa gloire ». Mais ce n'est pas forcer le texte que d'y lire, pour but du Plan divin : par la mort, la glorification (traduction d'ailleurs adoptée par Crampon, BJ, Osty, Tob). F.X. Durrwell a établi de façon très générale que cette perspective était plus généralement celle de tout le N.T., dans sa belle étude biblique sur La Résurrection de Jésus, mystère de Salut.
Lc 24,28-29 // Ct 2,17 Dt 16,6 Esd 9,4 — Jésus feignit d'aller plus loin : Sur ce que représentent, dans la vie spirituelle, ces apparents éloignements, et l'appel à < revenir > qu'ils font naître, cf. § 43 — // Ct 5,6, la belle page de saint Bernard. Les disciples d'Emmaús montrent que l'on peut fort bien appeler, inviter, presser Jésus de rester avec nous. Toutefois, le piège est le même pour nous que pour Marie-Madeleine ou ces deux disciples : prendre l'ombre pour la proie, en s'attachant au sensible d'une présence pour autant extérieure encore ; alors que le Christ ressuscité peut désormais nous offrir l'intériorité de la vie divine, « Demeurez en moi et moi en vous, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi » (Jn 15,4 et Jn 17,21). La suite nous apprend justement comment éluder ce piège.
Reste... car le jour baisse: Cela pourrait n'être qu'un argument pour persuader d'accepter l'hospitalité offerte; et la spiritualité chrétienne fera des disciples, d'Emmaüs — de pair avec Abraham recevant la Trinité sous l'aspect des « 3 hommes » de Gn 18) — des exemples à suivre : « Ce passant peut être Dieu ». « Tous les hôtes survenant au monastère doivent être reçus comme le Christ » (Benoît : Règle, ch. 53). Mais il y a aussi dans « le soir » un symbole naturel qui, surtout en un contexte religieux comme celui de ce chapitre de Luc, donne à toutes les situations où « le jour baisse » valeur de pressentiment, à la fois de la caducité de tout ce qui passe, et par conséquent du recours nécessaire à ce qui ne passe pas. D'où la sanctification du soir, pour ce qu'il apporte, après le travail, les combats et « le poids du jour » (Mt 20,12), de libération, (// Dt 16), de sérénité (// Esd 9) et d'accès à un au-delà du temps affairé de la journée (cf. l'éloge de la nuit à la fin du « Porche du Mystère de la Deuxième Vertu » de Péguy). C'est l'heure de l'espérance : « Que ma prière monte devant Toi comme un encens vespéral » (Ps 141,2).
Lc 24,30 // Lc 9,16 Lc 22,19 — Quand Il était à table avec eux : Ici encore, l'Évangile s'incarne en actes pleins d'humanité, comme l'est naturellement toute commensalité. Le thème du repas* n'est pas moins fondamental que celui de < la route > dans la vie de l'homme, dans les Écritures et en particulier les Évangiles : repas chez Lévi, chez le Pharisien Simon, avec les amis (Lc 5,29-35 Lc 7,36-50 Lc 10,38-42); recommandations de bonne < politique > dans les repas (Lc 14,7-24). Ils prennent plus de place encore lors des apparitions du Christ ressuscité (outre Emmaüs, Lc 24,41-43*; Mc 16,14 Jn 21,13). D'abord, bien entendu, comme preuve de la réalité de la résurrection corporelle du Christ, donnée « à nous qui avons mangé et bu avec Lui », comme en témoigne Pierre au centurion Corneille (Ac 10,41 en // au § 365 ; mais plus encore comme un signe de l'avènement des temps messianiques et eschatologiques (cf. l'image du festin des noces dans les paraboles). Cf. J.M. Guillaume, p. 133-159.
Mais ici, la présence des 4 verbes de la multiplication des pains ou de la Cène (// Lc 9 et Lc 22) : « Il prit le pain, le bénit, le rompit, et le leur donna », signifie sans doute que l'intention de Luc est de donner à ce repas d'Emmaüs valeur eucharistique, comme s'accordent à le conclure J. Dupont, p. 1141-42 et J.M. Guillaume, p. 129-133. Vient le confirmer, au v. 35, le rappel de cette « fraction du pain », premier nom sous lequel fut désignée l'eucharistie (Ac 20,7 Ac 20,11 1Co 10,16).
Lc 24,31-32 (et, Lc 24,35b) // 2R 6,17 Gn 3,7 Ct 5 A — Alors leurs yeux s’ouvrirent : La prière d'Elisée (// 2R 6) demande que son serviteur voie la présence invisible des armées célestes que Dieu a envoyées pour protéger son prophète, ce qui confirme le sens spirituel de cette expression d'« ouvrir les yeux ». Le // Gn 3,7 élargit les perspectives en rappelant que la vue de l'homme a été faussée depuis le Péché d'Adam : nos yeux ouverts aux réalités naturelles sont devenus insensibles à ce qui est de l'« Au-Delà ». Le Christ est venu en « signe de contradiction », pour que ceux qui ne voient pas, comme l'aveugle-né de Saint-Jean, aient les yeux ouverts par Lui, tandis que les Pharisiens s'aveuglent eux-mêmes en se targuant de voir § 11 — Lc 2,34* ; § 265 — Jn 10,39).
Mais comment Jésus ouvre-t-il, désormais, les yeux de ses disciples ? — Le « alors » initial du v. 31 indique déjà une relation d'effet à sa cause entre cette ouverture et l'eucharistie. C'est si important que Luc le répète encore plus expressément en finale (v. 35b*). En outre, la mise en parallèle de cette scène avec la conversion de l'Éthiopien par le diacre Philippe (Ac 8,26-40) montre que cet accès à la foi est plus généralement la première grâce des sacrements, que ce soit le baptême ou l'eucharistie, mais chaque fois préparés par une catéchèse biblique (J. Dupont, p. 1140-41). Il est important de remarquer en effet que dans la pédagogie du Christ avec les disciples d'Emmaüs, Il ne s'assied à table qu'après une longue marche, en < parcourant > les prophètes (v. 25-27). Ainsi, encore aujourd'hui, notre messe « s'ouvre » en une < liturgie de la Parole >, introduisant au sacrement eucharistique proprement dit et faisant corps avec lui. Nous y sommes conviés à cette table où le Christ ressuscité se manifeste, à nous comme aux disciples d'Emmaüs. « L'eucharistie, conclut F.X.Durrwell, est une forme permanente de l'apparition du Ressuscité ». La méditation chrétienne confrontant le Nouveau Testament à l'Ancien peut bien rendre déjà « nos coeurs ardents » (v. 32 // Ct 5,4), c'est la consécration et la communion au Corps et au Sang du Christ qui nous assure sa Présence (cité J. Dupont, p. 1154).
Et Lui-même devint invisible pour eux : Par là, Jésus détourne les disciples d'Emmaüs de s'attacher à Lui trop sensiblement. Dès que le voir s'est « ouvert » en croire, s'en tenir au contact sensible deviendrait piège. L'enseignement d'Emmaüs en Saint-Luc s'accorde donc avec celui de Marie-Madeleine en Saint-Jean : « Noli me tangere », comme avec celui de Jésus à Marie et Joseph lors des retrouvailles au cours du 1° voyage (Lc 2,49): «Dès qu'il est retrouvé, Il échappe à l'emprise des siens: Il est « chez son Père »; Il est « entré dans sa gloire » ; Il est l'insaisissable qui n'est pas tant au bout qu'au-delà du chemin... Il ne s'agit pas de traîner la nostalgie de sa présence, mais de repartir sur la route dans l'attente de son retour... en emportant, comme Marie, les paroles qui vont faire mûrir la foi ou, comme les Onze, les paroles de promesse et d'envoi en mission » (L. Legrand : Mél. J. Dupont, p. 417 et 425).
Lc 24,33-35 // Ps 4,6-8 Ps 68,5 Ac 2,42 Ac 20,7 — Dans ce < Retour >, on sent non seulement la < conversion > de ceux qui s'en allaient, toute espérance perdue, mais surtout la joie de la foi — que traduisent les // Ps 4 et Ps 68. L'enthousiasme infatigable vient de naître, qui portera les disciples du Christ jusqu'aux extrémités du monde. Mais d'abord en jonction avec les Apôtres (dont le rôle directeur est ici, par le fait même, confirmé).
« Le Seigneur est vraiment ressuscité » : C'est la première formulation de la foi Pascale de l'Eglise. « Il est apparu à Simon »: Même si nous ne savons rien d'autre de cette apparition, son importance pour la prééminence de Pierre, premier témoin de la Résurrection, ressort de ce qu'elle est mentionnée aussi en tête de liste, dans le < Credo > primitif: « Il a été vu par Cephas, puis par les Douze... » (1Co 15,5, en // au § 360 .
Reconnu à la fraction du pain (v. 35b) : Litt. « reconnu dans... » Mais après ce verbe < connaître >, ce < dans > a bien valeur causale, que traduit notre < à > (J. Dupont, p. 1181) — Note additionnelle).
F. Mauriac : Vie de Jésus, ch. 27 : A qui d'entre nous l'auberge d'Emmaüs n'est-elle familière ? Qui n'a pas marché sur cette route, un soir où tout semblait perdu ? Le Christ était mort en nous. On nous l'avait pris : le monde, les philosophes et les savants, notre passion. Il n'y avait plus de Jésus pour nous sur la terre. Nous suivions un chemin, et quelqu'un marchait à nos côtés. Nous étions seul et nous n’étions pas seul. C'est le soir. Voici une porte ouverte, cette obscurité d'une salle où la flamme de la cheminée n'éclaire que la terre battue et fait bouger des ombres. O pain rompu ! ô fraction de pain consommée malgré tant de misère!...
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Bible chrétienne Evang. - § 361. L’apparition à marie de Magdala : Jn 20,11-18