Catena Aurea 11450
11450 Lc 24,50-53
Bède. Saint Luc ne dit rien absolument de tout ce qui se passa entre le Seigneur et les Apôtres pendant quarante-trois jours, et il joint sans intermédiaire au premier jour de la résurrection le dernier où Jésus quitta la terre pour remonter au ciel: «Ensuite il les emmena hors de la ville jusqu'à Béthanie». Ce fut d'abord à cause du nom de ce village qui signifie maison d'obéissance, car celui qui est descendu sur la terre pour expier la désobéissance des méchants, est remonté aux cieux pour récompenser l'obéissance des bons. Ce fut encore à cause de la position de ce village, situé sur le versant de la montagne des Oliviers, parce qu'en effet, la maison de l'Église, modèle d'obéissance, a placé sur le versant de la montagne céleste, c'est-à-dire de Jésus-Christ, les fondements de sa foi, de son espérance et de sa charité. Le Sauveur bénit ensuite ceux à qui il venait de confier la mission d'instruire: «Et ayant élevé les mains, il les bénit». - Théophyl. Peut-être, répandit-il en ce moment sur eux une vertu protectrice qui les conservât jusqu'à la venue de l'Esprit saint. Peut-être aussi a-t-il voulu nous enseigner à bénir ceux qui nous sont soumis et à les recommander à Dieu par nos bénédictions, toutes les fois que nous nous séparons d'eux.
Orig. Il les bénit en levant les mains, pour apprendre à celui qui est appelé à bénir les autres, qu'il doit être orné de toutes les vertus les plus éminentes et de la pratique des oeuvres les plus parfaites, c'est ainsi que nous élevons nos mains en haut.
S. Chrys. Remarquez encore comment Jésus-Christ place sous nos yeux les récompenses qu'il nous a promises. Il nous a promis la résurrection des corps, il ressuscite le premier d'entre les morts, et donne des preuves certaines de sa résurrection en demeurant quarante jours avec ses disciples. Il nous a promis que nous serions emportés dans les airs sur les nuées, et il confirme cette promesse par ses actes: «Et en les bénissant, il se sépara d'eux, et il s'éleva vers le ciel». - Théophyl. Elle avait paru être transporté dans le ciel», mais le Sauveur est le premier qui entre véritablement dans le ciel comme le précurseur de tous les hommes pour se présenter devant Dieu avec son corps sacré; et dès lors, notre nature dans la personne de Jésus-Christ, reçut les hommages de toutes les vertus angéliques.
S. Chrys. Mais, direz-vous, que m'importe à moi l'ascension du Sauveur? Vous ne savez donc pas que vous serez un jour pareillement enlevé dans les nues, car votre corps est de la même nature-que le corps de Jésus-Christ? Il sera donc doué de la même agilité pour traverser les airs, car le corps aura le même sort que la tête, et tel principe telle fin. Or, voyez quels honneurs vous avez reçu dans ce principe. L'homme était la dernière des créatures raisonnables, mais voici que les pieds sont devenus comme la tête, et ils sont élevés dans leur chef sur un trône d'une magnificence royale.
Bède. Pendant que le Seigneur s'élevait vers le ciel, les disciples adorèrent la dernière trace de ses pas, puis retournèrent immédiatement à Jérusalem, où Jésus leur avait commandé d'attendre la promesse du Père: «Et eux, l'ayant adoré, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie», etc. Ils sont remplis d'une grande joie, parce qu'ils ont eu le bonheur de voir le Seigneur et leur Dieu remonter dans les cieux après le triomphe de sa résurrection. - Ch. des Pèr. grecs. Or, ils passaient leurs journées dans les veilles, dans les prières, dans les jeûnes; ils ne restent point chacun dans leurs maisons particulières, mais ils demeurent dans le temple, attendant la grâce qui doit descendre des cieux, et s'exerçant à la piété et à la vertu dans ce lieu si propre à inspirer l'une et l'autre: «Et ils étaient toujours dans le temple». - Théophyl. Ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, et déjà leur vie était toute spirituelle. Auparavant ils n'osaient sortir de leur retraite; maintenant ils sont dans le temple, au milieu des princes des prêtres; ils ne sont distraits par aucune des pensées de ce monde, et dans un saint mépris de toutes les choses de la terre, ils ne cessent de louer Dieu: «Ils étaient toujours dans le temple louant et bénissant Dieu». - Bède. Remarquez enfin que parmi les quatre animaux symboliques (Ez 1 Ap 4), saint Luc est désigné sous l'emblème du taureau, qui était la victime prescrite pour la consécration des prêtres (Ex 29), parce qu'il a eu pour but d'exposer plus au long que les autres le sacerdoce de Jésus-Christ, et qu'après avoir commencé son Évangile par le récit des fonctions sacerdotales que Zacharie exerçait dans le temple, il le termine en rapportant les pratiques de religion auxquelles les Apôtres se livraient aussi dans le temple. Il nous montre ces futurs ministres du sacerdoce nouveau qui ne verse plus le sang des victimes, mais ne cesse de louer et de bénir Dieu, et c'est dans le lieu même de la prière et au milieu des pieux exercices de la religion, qu'ils préparent leurs coeurs à recevoir l'Esprit saint qui leur a été promis. - Théophyl. Imitons-les nous-mêmes par une vie toujours sainte, consacrée aussi à bénir et à louer Dieu, à qui appartient la gloire, la bénédiction et la puissance dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
12000
Le prophète Isaïe, éclairé des splendeurs d'une vision toute divine, dit: «J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et la maison était pleine de sa majesté, et le bas de ses vêtements remplissait le temple. - S. JER. (sur Isa). Saint Jean l'évangéliste nous apprend quel est celui qui apparut à Isaïe, lorsqu'après avoir cité une de ses prophéties, il ajoute: «Isaïe dit ces choses, lorsqu'il vit sa gloire, et qu'il parla de lui», et nul doute que dans sa pensée, il ne soit question du Christ. - La Glose. Voilà donc dans ces paroles le sujet de l'Évangile, qui porte le nom de saint Jean. - HIST. ECCL. (3, 34). Saint Matthieu et saint Luc ayant raconté ce qui avait rapport à la naissance temporelle du Sauveur, saint Jean n'en dit rien; il commence son Évangile par l'exposé de sa naissance éternelle et divine, et nul doute que cette mission ne lui ait été réservée par l'Esprit saint comme au plus éminent des évangélistes.
Alcuin. L'Évangile est de beaucoup supérieur à toutes les autres parties de l'Ecriture, parce que nous y voyons l'accomplissement de toutes les prédictions de la loi et des prophètes; mais saint Jean tient à son tour le premier rang parmi les autres évangélistes, à cause de la profondeur des mystères qui lui ont été révélés. Après l'ascension du Sauveur, il se contenta pendant soixante-cinq ans de prêcher de vive voix la parole de Dieu sans rien écrire, jusqu'aux dernières années de Donatien. Mais après la mort de cet empereur, Nerva, son successeur, ayant permis au saint Apôtre de revenir à Ephèse, il écrivit à la prière des évoques d'Asie, sur la divinité du Christ, coéternel au Père, contre les hérétiques, qui niaient que Jésus-Christ fût antérieur à Marie. Aussi est-ce avec raison que parmi les quatre animaux symboliques, il est comparé à l'aigle qui vole plus haut que tous les autres oiseaux, et fixe d'un regard intrépide les rayons du soleil sans en être ébloui. - S. Aug. (sur S. Jean, chap. 1). Il s'élève au-dessus de tous les espaces de l'air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les choeurs et de toutes les légions des anges. Et, en effet, à moins de s'élever au-dessus de toutes les créatures, comment pourrait-il parvenir jusqu'à celui par qui tout a été créé ?
S. Aug. (de l'acc. des Evang., 1, 5). Si donc vous prêtez une sérieuse attention, vous verrez que les trois premiers évangélistes qui se sont attachés principalement dans leur récit aux faits de la vie mortelle de Notre-Seigneur, et aux paroles qui tendent à la sanctification de la vie présente, semblent avoir eu pour objet la vie active; saint Jean, au contraire, raconte peu de faits de la vie de Notre-Seigneur, mais il reproduit dans toute leur étendue et avec le plus grand soin ses discours, surtout ceux qui traitent de l'unité des trois personnes divines et du bonheur de la vie éternelle, et parait avoir eu pour dessein et pour fin dans son récit, de relever le mérite de la vie contemplative. Aussi les trois animaux, emblèmes des trois autres évangélistes (le lion, l'homme, le taureau), marchent sur la terre, parce que ces trois évangélistes ont eu pour but principal de rapporter les actions de la vie mortelle du Sauveur, et les préceptes de morale qui doivent diriger les hommes dans le cours de cette vie périssable et mortelle. Mais pour saint Jean, semblable à l'aigle, il prend son vol au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, et contemple d'un oeil intrépide et assuré la lumière de l'immuable vérité. Il s'applique surtout à faire ressortir la divinité du Seigneur, qui le rend égal à son Père, et à en donner aux hommes dans son Évangile, une idée aussi étendue que l'intelligence humaine le permet.
La Glose. Saint Jean l'évangéliste peut donc dire comme le prophète Isaïe: «J'ai vu le Seigneur sur un trône élevé et sublime», lui qui, par la pénétration de son regard, a contemplé le Christ régnant dans toute la majesté de la divinité, dont la nature est élevée au-dessus de toutes les créatures. Il peut dire aussi: «Et le temple était rempli de sa majesté», lui qui déclare que tout a été fait par lui et qu'il éclaire de sa lumière tous ceux qui viennent en ce monde. Il peut dire encore «ce qui était au-dessous de lui remplissait le temple», lui qui nous révèle en ces termes le mystère de l'incarnation: «Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, sa gloire comme Fils unique, né du Père, plein de grâce et de vérité, et nous avons tous reçu de sa plénitude». Les paroles du prophète contiennent donc tout le sujet de cet Évangile. Saint Jean nous représente le Seigneur assis sur un trône élevé, en nous montrant la divinité de Jésus-Christ; nous voyons la terre remplie de sa majesté, lorsqu'il nous montre toutes les créatures tirées du néant par sa puissance et comme remplies de ses divines perfections. Il nous enseigne encore que ce qui est au-dessous de lui (les mystères accomplis dans son humanité), remplit le temple (c'est-à-dire l'Eglise), lorsqu'il nous découvre dans les mystères de l'incarnation et de la rédemption de Jésus-Christ une source abondante de grâce et de gloire pour les fidèles.
S. Chrys. (hom. 1 sur S. Jean). Comment donc ce barbare, cet homme sans lettres, a-t-il pu parler un langage si sublime, et révéler des vérités qu'aucun homme ne connut jamais avant lui? Cela serait déjà un prodige extraordinaire; mais une preuve plus forte encore, que c'est l'inspiration divine qui lui a dicté tout ce qu'il raconte dans son Évangile, c'est que les hommes de tous les siècles l'écoutent et se rendent dociles à ses divines leçons. Qui donc n'admirerait la vertu toute-puissante qui habite en lui ?
Orig. (hom. 2 sur div. endr. de l'Evang). Jean signifie la grâce de Dieu, ou celui en qui est la grâce, ou celui à qui elle a été donnée. Mais de tous ceux qui ont traité des choses divines, à qui a-t-il jamais été donné de pénétrer aussi profondément les mystères cachés du souverain bien, et de les enseigner aux hommes ?
12101 Jn 1,1
Au commencement était le Verbe.
S. Chrys. (hom. 3 sur S. Jean). Tandis que tous les autres Évangélistes commencent par l'incarnation du Sauveur, saint Jean, sans s'arrêter à sa conception, à sa naissance, à son éducation, aux progrès successifs de ses premières années, raconte immédiatement en ces termes la génération éternelle: «Au commencement était le Verbe». - S. Aug. (Liv. des 83 quest). Le mot grec ëüãïò signifie également en latin raison et verbe, mais ici la signification de verbe est préférable, parce qu'elle exprime mieux les rapports, non seulement avec le Père, mais avec les créatures qui ont été faites par la puissance opérative du Verbe. La raison, au contraire, même quand elle n'agit pas, s'appelle toujours raison.
S. Aug. (Traité 3 sur S. Jean). L'usage journalier de la parole lui fait perdre de son prix à nos yeux, et nous en faisons peu de cas, à cause de la nature passagère du son dont elle est revêtue. Or, il est une parole dans l'homme lui-même qui reste dans l'intérieur de son âme, car le son est produit par la bouche. La parole véritable, à laquelle convient particulièrement ce nom, est celle que le son vous fait entendre, mais ce n'est pas le son lui-même. - S. Aug. (de la Trinité, 15, 10). Celui qui peut comprendre la parole non seulement avant que le son de la voix la rende sensible, mais avant même que l'image des sons se présente à la pensée, peut voir déjà dans ce miroir et sous cette image obscure quelque ressemblance du Verbe dont il est dit: «Au commencement était le Verbe». En effet, lorsque nous énonçons ce que nous savons, le verbe doit nécessairement naître de la science que nous possédons, et ce verbe doit être de même nature que la science dont il est l'expression. La pensée qui naît de ce que nous savons est un verbe qui nous instruit intérieurement, et ce verbe n'est ni grec, ni latin, il n'appartient à aucune langue. Mais lorsque nous voulons le produire au dehors, nous sommes obligés d'employer un signe qui en soit l'expression. Le verbe qui se fait entendre au dehors est donc le signe de ce verbe qui demeure caché à l'intérieur, et auquel convient bien plus justement le nom de verbe. Car ce qui sort de la bouche, c'est la voix du verbe, et on ne lui donne le nom de verbe ou de parole, que par son union avec la parole intérieure, qui est son unique raison d'être.
S. Bas. (hom. sur ces par). Le Verbe dont parle ici l'Évangéliste n'est pas un verbe humain; comment, en effet, supposer au commencement l'existence du verbe humain, alors que l'homme fut créé le dernier de tous les êtres? Ce Verbe qui était au commencement, n'est donc point le verbe humain, ce n'est point non plus le verbe des anges; car toute créature est postérieure à l'origine des siècles, et a reçu du Créateur le principe de son existence. Elevez-vous donc ici à la hauteur de l'Évangéliste, c'est le Fils unique qu'il appelle le Verbe.
S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean). Mais pourquoi saint Jean nous parle-t-il immédiatement du Fils, sans rien dire du Père? C'est que le Père était connu de tous les hommes, sinon comme Père, du moins comme Dieu; le Fils unique, au contraire, n'était pas connu. Voilà pourquoi l'Évangéliste s'applique dès le commencement à en donner la connaissance à ceux qui ne l'avaient pas. Disons plus, le Père lui-même est compris dans tout ce qu'il dit du Fils. C'est pour cette raison qu'il lui donne le nom de Verbe. Il veut enseigner que le Verbe est le Fils unique de Dieu, il détruit donc par avance toute idée d'une génération charnelle, en montrant que ce Verbe a été engendré de Dieu d'une manière incorruptible. Une seconde raison pour laquelle il lui donne ce nom, c'est que le Fils de Dieu devait nous faire connaître ce qui concerne le Père. Aussi ne l'appelle-t-il pas simplement Verbe, mais il le distingue de tous les autres verbes, en ajoutant l'article. L'Ecriture a coutume d'appeler verbe ou parole les lois et les commandements de Dieu; mais le Verbe dont il est ici question est une substance, une personne, un être qui est né du Père par une naissance exempte de corruption et de douleur.
S. Bas. (hom. précéd). Mais pourquoi est-il le Verbe? Parce que sa naissance est sans douleur, parce qu'il est l'image de celui qui l'a engendré, qu'il le reproduit tout entier en lui-même, sans aucune division, et en possédant comme lui toute perfection. - S. Aug. (de la Trin., 15, 13). De même qu'il existe une grande différence entre notre science et celle de Dieu, le verbe qui est le produit de notre science est aussi bien différent du Verbe de Dieu qui est né de l'essence même du Père; comme si je disais qu'il est né de la science du Père, de la sagesse du Père, ou ce qui est plus expressif encore, du Père qui est science, du Père qui est sagesse. Le Verbe de Dieu, Fils unique du Père, est donc semblable et égal à son Père en toutes choses; car il est tout ce qu'est le Père, il n'est cependant pas le Père, parce que l'un est le Fils, et l'autre le Père. Le Fils connaît tout ce que connaît le Père, puisqu'il reçoit du Père la connaissance en même temps que l'être. Connaître et exister sont ici une seule et même chose; et ainsi le Fils n'est point pour le Père le principe de la connaissance, parce qu'il n'est pas pour lui le principe de l'existence. C'est donc en s'énonçant lui-même, que le Père a engendré le Verbe qui lui est égal en toutes choses; car il ne se serait pas énoncé dans toute son intégrité et dans toute sa perfection, si son Verbe lui était inférieur ou supérieur en quelque chose. N'hésitons pas à considérer quelle distance sépare de ce Verbe divin notre verbe intérieur, dans lequel nous trouvons cependant quelque analogie avec lui. Le verbe de notre intelligence ne reçoit pas immédiatement sa forme définitive, c'est d'abord une idée vague qui s'agite dans l'intérieur de notre âme, et qui est le produit des différentes pensées qui se présentent successivement à notre esprit. Le verbe véritable n'existe, que lorsque de ces pensées qui s'agitent et se succèdent dans notre âme, naît la connaissance qui donne à son tour naissance au verbe, et ce verbe ressemble en tout à cette connaissance; car la pensée doit nécessairement avoir la même nature que la connaissance dont elle est le produit. Qui ne voit quelle différence extrême dans le Verbe de Dieu, qui possède la forme et la nature de Dieu sans l'avoir acquise par ces divers essais de formation, sans qu'il puisse jamais la perdre, et qui est l'image simple et consubstantielle du Père? C'est la raison pour laquelle l'Évangéliste l'appelle le Verbe de Dieu, plutôt que la pensée de Dieu; il ne veut pas qu'on puisse supposer en Dieu une chose qui soit soumise au changement, ou au progrès du temps; qui commence à prendre une forme qu'elle n'avait pas auparavant, et qu'elle peut perdre un moment après en retombant dans les vagues agitations de l'intelligence. - S. Aug. (serm. 38 sur les par. du Seig). C'est qu'en effet le Verbe de Dieu est la forme qui n'a jamais été soumise à la formation, c'est la forme de toutes les formes, la forme immuable, exempte de vicissitudes, de décroissance, de toute succession, de toute étendue mesurable, la forme qui surpasse toutes choses, qui existe en toutes choses, qui est le fondement sur lequel reposent toutes choses, et le faîte qui les couvre et les domine.
S. Bas. (hom. précéd). Notre verbe extérieur a quelque ressemblance avec le Verbe de Dieu. Notre verbe, en effet, reproduit la conception de notre esprit, car nous exprimons par la parole ce que notre intelligence a préalablement conçu. Notre coeur est comme une source, et la parole que nous prononçons est comme le ruisseau qui sort de cette source.
S. Chrys. (hom. précéd). Remarquez ici la prudence spirituelle de l'Évangéliste. Il savait que les hommes avaient de tout temps rendu des honneurs divins à l'être qu'ils reconnaissaient exister avant toutes les créatures et qu'ils appelaient Dieu. C'est donc par cet être qu'il commence en lui donnant le nom de principe, et bientôt celui de Dieu: «Dans le principe était le Verbe». - Orig. Ce nom de principe ou de commencement a plusieurs significations. Il peut signifier le commencement d'un chemin ou d'une longueur quelconque, comme dans ces paroles: «Le commencement de la bonne voie est de faire la justice» (Pr 16,5). Il signifie encore le principe ou commencement de la génération, comme dans ces paroles du livre de Job: «Il est le commencement des créatures de Dieu» (Jb 40,14); et l'on peut, sans rien dire d'extraordinaire, affirmer que Dieu est le commencement ou le principe de toutes choses. Pour ceux qui regardent la matière comme éternelle et incréée, elle est le principe de tous les êtres qui ont été tirés de cette matière préexistante. Le mot principe a encore une signification plus particulière, comme lorsque saint Paul dit que le Christ est le principe de ceux qui ont été faits à l'image de Dieu (Col 1). Il y a encore le commencement ou le principe de la discipline et de la morale chrétienne, et c'est dans ce sens que le même Apôtre dit aux Hébreux: «Lorsqu'en raison du temps, vous devriez être maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers commencements de la parole de Dieu» (He 5,12). Le mot principe a lui-même deux sens différents, il y a le principe considéré dans ses rapports avec nous. Ainsi le Christ est par nature le principe de la sagesse, en tant qu'il est la sagesse et le Verbe de Dieu; et il est pour nous ce même principe en tant que Verbe fait chair (Jn 1,14). Parmi toutes ces significations différentes du mot principe, nous pouvons choisir ici celle qui exprime le principe agissant; car le Christ créateur est comme le principe en tant qu'il est la sagesse, et le Verbe dans le principe, est la même chose que le Verbe dans la sagesse; car le Sauveur est la source d'une infinité de biens. De même donc que la vie était dans le Verbe, ainsi le Verbe était dans le principe, c'est-à-dire dans la sagesse. Considérez, si d'après cette signification, il est possible d'entendre le principe, dans ce sens que c'est suivant les règles de cette sagesse, et les idées exemplaires qu'elle renferme, que toutes choses ont été faites. Ou bien encore, comme le Père est le principe du Fils, le principe des créatures et de tous les êtres, il faut entendre ces paroles: «Dans le principe était le Verbe», dans ce sens que le Verbe qui était le Fils, était dans le principe, c'est-à-dire dans le Père. - S. Aug. (de la Trin., 6, 2). Ou bien encore, ces paroles: «Au commencement», dans le principe, signifient: «Avant toutes choses». - S. Bas. (hom. précéd). Le Saint-Esprit a prévu que des envieux et les détracteurs de la gloire du Fils unique chercheraient à détruire par leurs sophismes la foi des fidèles en disant: S'il a été engendré, on ne peut pas dire qu'il était, et avant d'être engendré, il n'était pas. C'est pour fermer par avance la bouche à ces blasphémateurs, que l'Esprit saint dit: «Au commencement était le Verbe».
S. Hil. (de la Trin., 2). Tous les temps sont dépassés, tous les siècles sont franchis, toutes les années disparaissent; imaginez tel principe que vous voudrez, vous ne pouvez circonscrire celui-ci dans les limites du temps, il existait avant tout les temps.
S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean). Lorsqu'un homme monte sur un navire, tant qu'il est près du rivage, il voit se dérouler devant lui les ports et les cités, mais dès qu'il est avancé en pleine mer, il perd de vue ces premiers objets, sans que ses yeux puissent s'arrêter sur aucun point. Ainsi l'Évangéliste, en nous élevant au-dessus de toutes les créatures, laisse notre regard comme suspendu et sans objet, et ne lui permet d'entrevoir ni aucunes bornes dans les hautes régions où il l'a transporté, ni aucunes limites où il puisse se fixer, car ces paroles: «Au commencement», expriment à la fois l'Etre infini et éternel.
S. Aug. (serm. 38 sur les par. du Seign). On fait cette objection: S'il est Fils, donc il est né. Nous l'avouons. Ils ajoutent: S'il est né un Fils au Père, il était Père avant la naissance de son Fils. La foi rejette cette conclusion. Mais, poursuit-on, expliquez-moi donc comment le Père a pu avoir un Fils, qui fut coéternel au Père dont il est né, car le fils naît après son père pour lui succéder après sa mort. Ils vont chercher leurs comparaisons dans les créatures, il nous faut donc aussi trouver des comparaisons à l'appui des vérités que nous défendons. Mais comment pouvoir trouver dans toute la création un être coéternel, alors qu'aucune créature n'est éternelle? Si nous pouvions trouver ici-bas deux êtres absolument contemporains, l'un qui engendre, l'autre qui est engendré, nous pourrions avoir une idée de l'éternité simultanée du Père et du Fils. La sagesse nous est représentée dans l'Ecriture comme l'éclat de la lumière éternelle et comme l'image du Père. Cherchons dans ces deux termes une comparaison qui, à l'aide de deux choses existant simultanément, puisse nous donner l'idée de deux êtres coéternels. Personne n'ignore que l'éclat de la lumière vient du feu; supposons donc que le feu est le père de cet éclat, dès que j'allume une lampe, le feu et la lumière existent simultanément. Donnez-moi du feu sans lumière, et je vous concéderai que le Père n'a point eu de Fils. L'image doit son existence au miroir, cette image se produit dès qu'un homme se regarde dans un miroir, mais celui qui se regarde dans un miroir existait avant de s'en approcher. Prenons encore comme objet de comparaison une plante ou un arbuste nés sur le bord des eaux, est-ce que leur image ne naît pas simultanément avec eux? Si donc cet arbuste existait toujours, l'image de l'arbuste aurait la même durée. Or, ce qui vient d'un être est vraiment né de lui; l'être qui a engendré peut donc toujours avoir existé avec celui qui est né de lui. Mais on me dira: Je comprends que le Père soit éternel, et que le Fils lui soit coéternel, mais de la même manière que je comprends l'éclat du feu moins brillant que le feu lui-même, ou comme l'image de l'arbuste qui se produit dans les eaux, moins réelle et moins parfaite que l'arbuste lui-même. Non, l'égalité est parfaite et absolue. Je ne le crois point, me réplique-t-on, parce que vos comparaisons ne sont pas justes. Peut-être, cependant, trouverons-nous dans les créatures des choses qui nous feront comprendre comment le Fils est coéternel au Père, sans lui être inférieur, mais ce ne sera pas dans un seul objet de comparaison. Joignons donc ensemble deux comparaisons différentes, celle qu'ils donnent eux-mêmes et celle que nous apportons. Ils ont emprunté leur comparaison aux êtres qui sont postérieurs par le temps à ceux qui leur donnent naissance, par exemple, à l'homme qui naît d'un autre homme; mais cependant ces deux hommes ont une même nature. Nous trouvons donc dans cette naissance l'égalité de nature, mais nous n'y trouvons pas l'égalité d'existence. Au contraire, dans cette autre comparaison empruntée à l'éclat du feu et à l'image de l'arbuste, vous ne trouvez pas l'égalité de nature, mais l'égalité de temps. Vous trouvez donc réunies en Dieu les propriétés qui sont disséminées dans plusieurs créatures, et vous les trouvez réunies, non pas comme elles sont dans les créatures, mais avec la perfection qui convient au Créateur.
Actes du Concile d'Ephèse. L'Ecriture appelle le Fils, tantôt le Fils du Père, tantôt le Verbe, tantôt l'éclat de la lumière éternelle, et elle emploie tour à tour ces divers noms en parlant du Christ, pour les opposer aux blasphèmes de l'hérésie. Votre fils est de même nature que vous; l'Ecriture, pour vous montrer que le Père et le Fils ont une même nature, appelle le Fils, qui est né du Père, son Fils unique. Mais comme la naissance d'un fils rappelle l'idée de souffrance et de douleur qui accompagnent inséparablement la génération humaine, la sainte Ecriture appelle le Fils de Dieu le Verbe, pour éloigner toute idée de souffrance de la génération divine. Et encore, tout père est incontestablement plus âgé que son fils, mais il n'en est pas de même pour la nature divine, et c'est pour cela qu'elle appelle le Fils unique du Père, l'éclat de la lumière éternelle. En effet, la lumière naît du soleil, mais elle ne lui est point postérieure. Le nom d'éclat de la lumière éternelle vous montre donc que le Fils est coéternel au Père, le nom de Verbe vous prouve l'impassibilité de sa naissance, et le nom de Fils, sa consubstantialité avec le Père.
S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean). On objecte encore: Ces paroles: «Au commencement», ne signifient pas simplement et nécessairement l'éternité, car n'est-il pas dit de la création du ciel et de la terre: «Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ?» Mais qu'a de commun cette expression: «Il était», avec cette autre: «Il fit ?» Lorsqu'on dit d'un homme: «Il est», cette expression marque le temps présent; lorsqu'on l'applique à Dieu, elle signifie celui qui existe toujours et de toute éternité. De même l'expression: «Il était», appliquée à notre nature, signifie le temps passé, mais lorsqu'il s'agit de Dieu, elle exprime son éternité. - Orig. (hom. 2. sur div. sujets). Le verbe être a une double signification, tantôt il exprime les différentes successions de temps, lorsqu'il se conjugue avec d'autres verbes; tantôt il exprime la nature de la chose dont on parle sans aucune succession de temps, c'est pour cela qu'il est appelé verbe substantif. - S. Hil. (De la Trin., 2). Jetez donc un regard sur le monde, comprenez ce qui est écrit du monde: «Au commencement Dieu créa le ciel et la terre» (Gn 1,1). Ce qui est créé reçoit donc l'existence au commencement, et ce qui se trouve renfermé dans le principe qui lui donne l'existence se trouve également renfermé dans les limites du temps. Or, ce simple pécheur, sans lettres, sans science, s'affranchit des bornes du temps, remonte avant tous les siècles et s'élève au-dessus de tout commencement. Car ce qui était, c'est ce qui est, ce qui n'est circonscrit par aucune durée, et qui était au commencement ce qu'il est, bien plutôt qu'il n'était fait. - Alcuin. C'est donc contre ceux qui alléguaient la naissance temporelle du Christ, pour enseigner qu'il n'avait pas toujours existé, que l'Évangéliste commence son récit par l'éternité du Verbe: «Au commencement était le Verbe».
Et le Verbe était en Dieu.
S. Chrys. (hom. 2 sur S. Jean). C'est surtout le propre de Dieu d'être éternel et sans commencement, c'est ce que l'Évangéliste a établi tout d'abord, mais de peur qu'on ne vînt à conclure de ces paroles: «Au commencement était le Verbe», que le Verbe n'a pas été engendré, il ajoute aussitôt pour repousser cette idée: «Et le Verbe était en Dieu». - S. Hil. (De la Trin., 2). Il est dans le Père sans aucun commencement, il n'est point soumis à la succession du temps, mais il a un principe de son existence. - S. Bas. (hom. précéd). Il s'exprime encore de la sorte contre ceux qui osaient blasphémer que le Verbe n'était pas. Où donc était le Verbe? Il n'était pas dans un lieu, car ce qui ne peut être circonscrit, ne peut être soumis aux lois de l'espace. Mais où était-il donc? Il était en Dieu. Or, ni le Père, ni le Fils, ne peuvent être contenus dans aucun espace.
Orig. Il est utile de faire remarquer que nous lisons dans l'Ecriture, que le verbe ou la parole a été faite ou adressée à quelques-uns, par exemple à Osée, à Isaïe, à Jérémie; mais le Verbe n'est pas fait en Dieu comme une chose qui n'existe pas en lui. C'est donc d'un être qui est éternellement en lui, que l'Évangéliste dit: «Et le Verbe était avec Dieu», paroles qui prouvent que, même au commencement le Fils n'a jamais été séparé du Père. - S. Chrys. (hom. 3 sur S. Jean). Il ne dit pas: Il était en Dieu, mais: «Il était avec Dieu», nous montrant ainsi son éternité comme personne distincte. - Théophyl. L'erreur de Sabellius se trouve détruite par ces paroles. Cet hérétique enseignait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne formaient qu'une seule personne, qui se manifestait tantôt comme le Père, tantôt comme le Fils, et tantôt comme le Saint-Esprit; mais quoi de plus fort pour le confondre que ces paroles: «Et le Verbe était en Dieu ?» car l'Évangéliste déclare ouvertement que le Fils est différent du Père, qu'il désigne ici par le nom de Dieu.
Et le Verbe était Dieu.
S. Hil. (De la Trin., 2). Vous me direz: Le Verbe, c'est le son de la voix l'énoncé des choses, l'expression des pensées. Le Verbe était dans le principe avec Dieu, parce que la parole, expression de la pensée, est éternelle, lorsque celui qui pense est éternel lui-même. Mais comment le Verbe était-il au commencement, lui qui n'est ni avant, ni après le temps; je ne sais même s'il peut exister dans le temps? Lorsque les hommes parlent, leur parole n'existe pas avant qu'ils ouvrent la bouche, et lorsqu'ils ont fini de parler, elle n'existe plus; au moment même où ils arrivent à la fin de leurs discours, le commencement a cessé d'exister; Mais si vous avez admis, tout ignorant que vous êtes, ces premières paroles: «Au commencement était le Verbe», pourquoi demander ce que signifient les suivantes: «Et le Verbe était avec Dieu». Est-ce que vous pouviez supposer qu'en Dieu le Verbe était l'expression d'une pensée cachée, ou bien Jean aurait-il ignoré la différence qui existe entre ces deux termes: Etre et assister ? Ce qui était au commencement vous est présenté comme étant, non pas dans un autre, mais avec un autre. Faites donc attention au nom et à la nature qu'il donne au Verbe: «Et le Verbe était Dieu». Il n'est plus question du son de la voix, de l'expression de la pensée; ce verbe est un être subsistant et non pas un son, c'est une substance, une nature et non une simple expression, ce n'est pas une chose vaine, c'est un Dieu. - S. Hil. (De la Trin., 7). L'Évangéliste lui donne le nom de Dieu sans aucune addition étrangère qui puisse être matière à difficulté. Il a bien été dit à Moïse: «Je t'ai établi le dieu de Pharaon» (Ex 7,1). Mais on voit immédiatement la raison de cette dénomination dans le mot qui l'accompagne: «de Pharaon», c'est-à-dire, que Moïse a été établi le dieu de Pharaon, pour s'en faire craindre et prier, pour le châtier et pour le guérir; mais il y a une grande différence entre ces deux choses: Etre établi le dieu de quelqu'un et être véritablement Dieu. Je me rappelle encore un autre endroit des Écritures où nous lisons: «J'ai dit: Vous êtes des dieux» (Ps 81,6). Mais il est facile de voir que ce nom n'est donné ici que par simple concession; et ces paroles: «J'ai dit», expriment bien plutôt une manière de parler que la réalité du nom qui est donné. Au contraire, lorsque j'entends ces paroles: «Et le Verbe était Dieu»; je comprends que ce n'est point une simple dénomination, mais une véritable démonstration de sa divinité.
S. Bas. (homél. précéd). C'est ainsi que l'Évangéliste réprime les calomnies et les blasphèmes de ceux qui osent demander: Qu'est-ce que le Verbe? Il répond: «Et le Verbe était Dieu». - Théophyl. On peut encore donner une autre liaison de ces paroles avec ce qui précède. Puisque le Verbe était avec Dieu, il est évident qu'il y avait deux personnes distinctes, n'ayant toutes deux qu'une seule et même nature; c'est ce qu'affirme l'Évangéliste: «Et le Verbe était Dieu», c'est-à-dire, que le Père et le Fils n'ont qu'une même nature, comme ils n'ont qu'une même divinité. - Orig. Ajoutons que le Verbe ou la parole que Dieu adressait aux prophètes, les éclairait, de la lumière de la sagesse; au contraire, le Verbe qui est avec Dieu, reçoit de Dieu la nature divine, et voilà pourquoi saint Jean a fait précéder ces paroles: «Et le Verbe était Dieu»; de ces autres: «Et le Verbe était avec Dieu ou en Dieu». - S. Chrys. (hom. 4 sur S. Jean). Et il n'est pas Dieu dans le sens de Platon, qui l'appelle tantôt une certaine intelligence, tantôt l'âme du monde, toutes choses complètement étrangères à sa nature divine. Mais on nous fait cette objection: Le Père est appelé Dieu avec addition de l'article, et le Fils sans l'article. Que dit en effet l'apôtre saint Paul? «Du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ» (Tt 2,13). Et dans un autre endroit: «Qui est Dieu au-dessus de toutes choses?» (Rm 9,5). C'est-à-dire, que le Fils est appelé Dieu sans article. Nous répondons que la même observation peut s'appliquer au Père. En effet, saint Paul écrivant aux Philippiens, dit: «Qui ayant la forme et la nature de Dieu (Ýí ìïñöÞ Èåïý, sans article), n'a point cru que ce fut pour lui une usurpation d'être égal à Dieu» (Ph 2,6). Et dans son Epître aux Romains: «Grâce et paix soient à vous de la part de Dieu (ðü Èåïý, sans article), notre Père, et de Jésus-Christ Notre-Seigneur». (Rm 1,7). D'ailleurs, il était parfaitement inutile de mettre ici l'article, alors qu'on l'avait employé mainte fois dans ce qui précède. Donc le Fils n'est pas Dieu dans un sens plus restreint, parce que le nom de Dieu qui lui est donné n'est pas précédé de l'article.
Catena Aurea 11450