Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - V Joachim et Anne s'établissent à Nazareth. Stérilité de sainte Anne. Douleur des saints époux. Leur ardent désir de l'accomplissement de la promesse.
Ils vécurent ainsi sept ans chez Eliud, ce que je pus voir à l'âge du premier enfant, lorsqu'ils se décidèrent à se séparer de leurs parents et à s'établir dans une maison avec quelques terres attenantes, qui leur était venue des parents de Joachim, et qui était située dans les environs de Nazareth. Ils avaient l'intention d'y recommencer à nouveau, dans la solitude, leur vie conjugale, et d'attirer la bénédiction de Dieu sur leur union par une conduite qui pût être plus agréable encore à ses yeux. Je vis prendre cette résolution en famille, et les parents d'Anne faire leurs dispositions pour le nouvel établissement de leurs enfants. Ils partagèrent les troupeaux et mirent de côté, pour le nouveau ménage, des boeufs, des ânes et des moutons qui étaient beaucoup plus grands que ne le sont ceux d'ici. On chargea les boeufs et les ânes, qui étaient devant la porte, de provisions, d'ustensiles et d'effets de toute espèce ; les bonnes gens s'entendaient très bien à empaqueter tout cela, de même que les bêtes se prêtaient au mieux à le recevoir et à le transporter. Ces gens chargeaient aussi habilement leur bagage sur ces animaux que nous pouvons le faire sur des voitures. Ils avaient de beaux ustensiles ; tous les vases étaient plus élégants qu'aujourd'hui : il semblait que l'ouvrier y eût travaillé avec amour et eût fait chacun d'eux avec une intention différente.
Quand tout fut prêt, les valets et les servantes se mirent en marche et poussèrent devant eux les troupeaux et les bêtes de charge jusqu'à la nouvelle habitation qu'était préparée à cinq ou six lieues de là ; je crois qu'elle venait des parents de Joachim. Anne et Joachim, après avoir pris congé de tous les amis et serviteurs avec toute sorte de remerciements et de recommandations, quittèrent le séjour qu'ils avaient habité jusqu'alors, pleins d'émotions et de pieuses résolutions. La mère d'Anne ne vivait plus, mais je vis pourtant les parents des deux époux les accompagner vers leur nouvelle demeure. Peut-être Eliud s'était-il remarié, ou y avait-il là en plus des parents de Joachim : Marie Héli, la petite fille d'Anne, âgée d'environ six ou sept ans, faisait aussi partie du cortège.
La nouvelle habitation était agréablement située, dans un pays de collines, entremêlé de prairies et d'arbres, à une lieue et demie ou à une forte lieue au couchant de Nazareth : elle était sur une hauteur, entre la vallée voisine de Nazareth et la vallée de Zabulon ; une gorge, que longeait une allée de térébinthes, conduisait de la maison vers Nazareth. Devant la maison était une cour fermée, dont le sol me parut être le roc nu ; elle était entourée d'un mur peu élevé, de quartiers de rochers ou de pierres brutes ; derrière ce mur ou au-dessus, était une haie vive. Sur l'un des côtés de cette cour étaient de petits bâtiments pour loger les gens et pour déposer beaucoup de choses ; il y avait aussi un hangar pour mettre le bétail et les bêtes de somme. Il y avait alentour plusieurs jardins, dans l'un d'eux, près de la maison, s'élevait un grand arbre d'une espèce particulière. Ses branches descendaient à terre, y prenaient racine et poussaient de nouveaux arbres qui faisaient de même, en sorte que tout cela formait un grand massif de verdure.
Quand les voyageurs arrivèrent à la maison, ils trouvèrent chaque chose à sa place et tous les arrangements déjà faits : car les vieux parents avaient envoyé d'avance des gens chargés de tout mettre en ordre. Les valets et les Servantes avaient défait les paquets et placé chaque chose où elle devait être avec autant d'adresse et de soin qu'ils en avaient mis pour charger les bagages, car ils étaient si soigneux et faisaient avec tant de calme et d'intelligence ce qu'ils avaient à faire, qu'on n'avait pas besoin, comme aujourd'hui, de tout leur commander en détail. Tout fut donc bientôt arrangé, et quand les parents eurent installé leurs enfants dans leur nouvelle demeure, ils prirent congé d'Anne et de Joachim, qu'ils embrassèrent et bénirent, et ils reprirent le chemin de leur maison, ramenant avec eux la petite fille d'Anne qui revenait avec ses grands parents. Dans ces sortes de visites et dans les occasions de même nature, je ne voyais jamais ces personnages faire de grands repas : ils se plaçaient en rond, ayant devant eux, sur un tapis, deux petits plats et de petites cruches ; ils ne parlaient la plupart du temps que des choses de Dieu et de leurs saintes espérances.
Je vis alors le saint ménage commencer une vie toute nouvelle. Ils voulaient sacrifier à Dieu tout le passé, et faire comme s'ils se réunissaient pour la première fois ; ils s'efforcèrent, dès lors, par une vie agréable à Dieu, de faire descendre sur eux cette bénédiction qui était le seul objet de leurs ardents désirs. Je les vis tous deux visiter leurs troupeaux et en faire trois parts, comme j'ai dit plus haut que faisaient leurs parents : pour le temple, pour les pauvres et pour eux-mêmes. Ils faisaient conduire au temple ce qu'il y avait de mieux ; les pauvres recevaient un bon tiers ; ils conservaient pour eux la moins bonne part, et ils faisaient ainsi pour tout. Leur maison était assez spacieuse ; ils vivaient et dormaient dans de petites chambres séparées où je les voyais très souvent, chacun de son côté, prier avec une grande ferveur. Je les vis vivre ainsi longtemps ; ils donnaient de grandes aumônes, et chaque fois qu'ils partageaient leurs troupeaux et le reste de leur avoir, tout se multipliait de nouveau rapide. ment. Ils vivaient modestement dans les privations et le renoncement. Je les voyais aussi, lorsqu'ils priaient, mettre des habits de pénitence ; et, plusieurs fois, je vis Joachim visitant ses troupeaux dans des endroits éloignés, et priant Dieu dans la prairie.
Ils persévérèrent dans cette vie austère menée en présence de Dieu, pendant dix-neuf ans après la naissance de leur premier enfant ; ils désiraient ardemment la bénédiction promise, et leur tristesse allait toujours croissant. Je vis des hommes pervers du pays, venir vers eux et les injurier, leur disant : " Qu'ils devaient être des méchants, puisqu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants ; que la petite fille ramenée chez les parents d'Anne n'était pas à eux ; qu'Anne était stérile ; qu'elle avait supposé cet enfant, qu'autrement elle l'aurait avec elle " ; et ainsi de suite. Ces paroles redoublaient l'abattement des pieux époux.
Anne avait la ferme croyance et à certitude intérieure que l'avènement du Messie était proche et qu'elle appartenait à la famille qui devait être selon la chair celle du Sauveur. Elle priait et appelait à grands cris l'accomplissement de la promesse, et continuait, ainsi que Joachim, à tendre vers une pureté de plus en plus parfaite. La honte de sa stérilité l'attristait profondément ; elle pouvait à peine se montrer à la synagogue sans y recevoir quelque affront.
Joachim, quoique petit et maigre, était pourtant robuste. Anne aussi n'était pas grande, et sa complexion était délicate ; le chagrin la consumait à tel point, que ses joues étaient devenues creuses, quoique toujours assez colorées. Ils conduisaient de temps en temps leurs troupeaux au temple ou chez les pauvres, dont ils avaient fait la part, et la portion qu'ils se réservaient allait toujours en diminuant.
Après que, pendant tant d'années, ils eurent vainement imploré la bénédiction de Dieu sur leur mariage, je vis Joachim faire le projet d'aller de nouveau offrir un sacrifice au temple. Tous deux se préparèrent par des exercices de pénitence ; je les vis la nuit, en habits de pénitents, prier prosternés contre terre ; puis Joachim, au point du jour, se rendit aux pâturages où étaient ses troupeaux, et Anne resta seule. Bientôt après je vis celle-ci envoyer à son époux des colombes, d'autres oiseaux et divers objets dans des cages et des corbeilles, car il voulait offrir tout cela au temple.
Il prit deux ânes, sur le des desquels il mit ces corbeilles ; il en ajouta d'autres, où se trouvaient au nombre de trois, si je ne me trompe, de jolis petits animaux blancs avec de longs cous ; je ne sais plus si c'étaient des agneaux ou des chevreaux. Il avait avec lui une lanterne sur un bâton : c'était comme une calebasse creuse où brillait une lumière. Je le vis arriver avec ses serviteurs et ses bêtes de somme à une belle prairie verdoyante, placée entre Béthanie et Jérusalem, et où je vis plus tard Jésus s'arrêter souvent. Ils montèrent au temple et mirent leurs ânes dans une auberge du temple voisine du marché, où ils logèrent plus tard, lors de la présentation de Marie. Ils portèrent leurs offrandes jusqu'au haut des degrés et passèrent, comme ils firent depuis, par les demeures des serviteurs du temple 1. Ici les serviteurs de Joachim se retirèrent après qu'on eut reçu les offrandes.
Joachim entra dans la salle où se trouvait le bassin plein d'eau et où on lavait les victimes ; il se rendit ensuite par un long couloir dans une autre salle, à gauche de l'endroit où étaient l'autel des parfums, la table des pains de proposition et le chandelier à cinq branches. Plusieurs autres personnes, venues pour sacrifier, s'y trouvaient déjà, et Joachim fut soumis à une cruelle épreuve. Je vis un prêtre, appelé Ruben, mépriser ses offrandes ; au lieu de les placer avec les autres dans un endroit apparent, derrière les grilles, à droite de la salle, il les mit tout à fait de côté. Il injuria tout haut le pauvre Joachim, à cause de la stérilité de sa femme, ne le laissa pas approcher, et le relégua dans un coin pour lui faire affront.
Note : Que le lecteur ne s'étonne pas si la narration, ici et ailleurs, sa réfère à des événements qui, suivant l'ordre historique, n'ont pas encore eu lieu. Il doit faire attention que les visions tirées de l'histoire de la sainte Vierge, qui sont ici rangées suivant l'ordre des temps, étaient montrées annuellement à la soeur les jours de fêtes correspondantes. Racontant en juillet et août 1821, à propos des fêtes de sainte Anne et de saint Joachim, ce qu'elle a vu de la vie des parents de la sainte vierge, elle mentionne, pour se faire mieux comprendre, ce qu'elle a vu dans les années précédentes à l'occasion de la fête de la Présentation de Marie.
Je vis alors Joachim quitter le temple, accablé de tristesse, et gagner, en passant par Béthanie, les environs de Machéronte. Il y avait là une maison où se rassemblaient les Esséniens, et où il entra pour chercher des consolations et des conseils. Dans cette maison, et précédemment dans cette qui est près de Bethléem, a habité le prophète Manahem, qui prédit à Hérode, dans sa jeunesse, qu'il deviendrait roi et commettrait de grands crimes. Joachim se rendit de là au plus éloigné de ses pâturages, près de la montagne d'Hermon ; le chemin qu'il prit passait par le désert de Gaddi, au delà du Jourdain. L'Hermon est une montagne élancée qui, du côté du midi, est toute verdoyante et parsemée de beaux arbres fruitiers, tandis que du côté opposé elle est couverte de neige.
Joachim était si triste et si honteux de l'affront reçu au temple, qu'il ne fit pas dire à Anne où il se trouvait ; mais Anne apprit par d'autres personnes qui s'étaient trouvées présentes ce que son mari avait eu à souffrir, et elle en fut affligée au delà de toute expression. Je la vis souvent pleurer la face contre terre, parce qu'elle ne savait pas où était son mari, qui resta caché pendant cinq mois entiers auprès de ses troupeaux de l'Hermon.
Vers la fin de ce temps, Anne eut un redoublement de souffrance par suite de la grossièreté d'une de ses servantes, qui lui reprochait souvent sa triste situation. Un jour, c'était au commencement de la fête des Tabernacles, cette servante demanda à aller ailleurs célébrer cette fête, et Anne le lui refusa. Alors cette fille lui reprocha si vivement sa stérilité et l'abandon de son mari, qui était, selon elle, une punition de Dieu à cause de sa dureté, qu'Anne ne put plus tolérer son séjour chez elle. Elle la renvoya chez ses parents avec des présents, et leur fit dire qu'ils eussent à reprendre leur fille, parce qu'il lui était impossible de la garder plus longtemps.
Quand Anne eut renvoyé sa servante, elle entra tout affligée dans sa chambre et se mit à prier. Le soir, elle jeta sur sa tête un grand drap, dans lequel elle s'enveloppa tout entière, et s'en alla vers le grand arbre déjà mentionné qui était dans sa cour, et qui formait une cabane de feuillage ; elle alluma une lampe qui était suspendue à l'arbre dans une espèce de boite, et lut des prières écrites sur un rouleau. Cet arbre était très grand et on y avait pratiqué des sièges et des berceaux ; ses branches tombaient à terre de l'autre côté du mur, où elles prenaient racine, repoussaient encore pour retomber de nouveau, et ainsi de suite, en sorte qu'elles formaient tonte une série de cabanes de verdure.
Anne, étant sous cet arbre, cria vers Dieu pendant longtemps, le suppliant, puisqu'il lui avait ôté la fécondité, de ne pas tenir en outre éloigné d'elle son pieux époux Joachim. Et voilà qu'un ange du ciel lui apparut : il descendit devant elle comme du haut de l'arbre et lui dit qu'elle devait se consoler, parce que le Seigneur avait exaucé sa prière ; il lui prescrivit de partir le lendemain pour le temple avec deux servantes, et de prendre avec elle des colombes pour le sacrifice. Il ajouta que la prière de Joachim était également exaucée, qu'il se rendrait de son côté au temple avec son offrande, et qu'ils se rencontreraient sous la porte dorée : le sacrifice de Joachim était accepté, tous deux devaient être bénis et elle devait bientôt connaître le nom de son enfant. Il lui dit encore qu'il avait porté à son époux un message semblable, et disparut.
Anne, pleine de joie, rendit grâce au Dieu de miséricorde. Elle rentra alors dans sa maison et prit avec ses servantes les dispositions nécessaires pour pouvoir se mettre en route le lendemain. Je la vis ensuite se coucher pour dormir, après avoir prié.
Quand Anne eut dormi quelque temps, je vis descendre du ciel vers elle un rayon de lumière qui, près de son lit, se transforma en un jeune homme resplendissant. C'était l'ange du Seigneur, qui lui dit qu'elle concevrait un saint enfant. Puis il étendit le bras au-dessus d'elle et écrivit sur le mur de grandes lettres lumineuses : c'était le nom de Marie. L'ange disparut ensuite et se perdit dans la lumière. Anne était pendant ce temps comme dans l'émotion d'un songe joyeux ; elle se releva à demi éveillée sur sa couche, pria avec une grande ferveur et se rendormit sans avoir rien vu bien clairement. Mais, après minuit, elle se réveilla toute joyeuse, comme par l'effet d'une impulsion intérieure, et elle vit l'écriture sur la muraille avec un mélange de crainte et d'allégresse. C'étaient comme des lettres rouges, dorées, lumineuses ; elles étaient grandes et en petit nombre : elle les contempla avec une joie et un attendrissement incroyables, jusqu'au moment où elles disparurent à l'aube naissante. Tout était devenu clair pour elle, et son contentement était tel, qu'elle paraissait toute rajeunie quand elle se leva.
Au moment où la lumière de l'ange vint sur Anne, je vis sous son coeur quelque chose de brillant, et je reconnus dans sa personne la mère choisie, le vase illuminé de la grâce qui s'approchait. Je ne puis exprimer cela qu'en disant que j'ai reconnu en elle un berceau orné, un lit couvert, un tabernacle préparé pour recevoir et conserver dignement une chose sainte. Je vis qu'Anne, par la grâce de Dieu, était préparée à recevoir la bénédiction. Je ne sais comment m'exprimer, mais je reconnus Anne comme le berceau du salut universel pour l'humanité, et en même temps comme un tabernacle d'église ouvert, devant lequel le rideau était retiré. Je reconnus cela aussi naturellement, et toute cette connaissance était à la fois naturelle et céleste. Anne avait alors, à ce que je crois, quarante-trois ans.
Anne se leva, alluma sa lampe, pria et se mit en routa pour Jérusalem avec ses offrandes. Tous ses domestiques étaient, ce matin-là, pleins d'une joie inaccoutumée quoiqu'elle seule eût connaissance de l'apparition de l'ange.
Je vis, dans ce même temps, Joachim, près de ses troupeaux de l'Hermon, adresser à Dieu des prières continuelles. Quand il voyait les jeunes agneaux sauter autour de leurs mères avec des bêlements joyeux, il était tout triste de ne pas avoir d'enfants ; toutefois, il ne parlait pas aux bergers de la cause de sa tristesse. On était au temps de la fête des Tabernacles, et il dressa avec ses bergers des cabanes de feuillage. Comme il faisait sa prière et se désespérait à l'idée d'aller, suivant sa coutume, sacrifier à Jérusalem pour la fête, parce qu'il pensait aux outrages qu'il y avait reçus, je vis l'ange lui apparaître et lui ordonner d'aller au temple et de prendre courage, parce que son sacrifice était accueilli et sa prière exaucée : il devait se réunir à sa femme sous la porte dorée. Je vis alors Joachim, tout joyeux, compter ses troupeaux, - oh ! quel beau et nombreux bétail il avait ! - il les divisa en trois parts ; il garda la moindre pour lui, en envoya une meilleure aux Esséniens, et conduisit la plus belle au temple avec ses serviteurs. Il arriva à Jérusalem le quatrième jour de la fête, et se rendit aussitôt au temple.
Anne arriva ce même jour à Jérusalem et logea près du marché aux poissons, chez des parents de Zacharie. Ce ne fut qu'à la fin de la fête qu'elle rencontra Joachim.
Je vis que, quoique l'offrande de Joachim n'eût pas été acceptée la dernière fois, par suite d'une indication donnée d'en haut, cependant le prêtre, qui, au lieu de le consoler, l'avait si rudement traité, reçut, à cause de cela, un châtiment divin que je ne m'en rappelle plus. Cette fois, les prêtres avaient été avertis d'en haut qu'ils devaient recevoir son offrande, et lorsqu'il fit annoncer son arrivée avec des victimes, j'en vis quelques-uns aller à sa rencontre devant le temple et recevoir ses dons. Le bétail qu'il amenait au temple comme présent n'était pas proprement son sacrifice ; ce qu'il destinait à être sacrifié consistait en deux agneaux, et en trois jolies petites bêtes que je crois être des chevreaux. Je vis aussi que plusieurs hommes qui le connaissaient le félicitaient de ce que son sacrifice était accueilli.
Dans le temple, à cause de la fête, je vis tout ouvert et entouré de guirlandes de fleurs et de fruits : il y avait aussi, dans un endroit, une tente de feuillage élevée sur huit colonnes isolées. Joachim fit donc dans le temple le même chemin que la première fois ; ses victimes furent immolées et brûlées à la place ordinaire : il y eut cependant quelque chose de brûlé dans un autre endroit, je crois que ce fut à la droite du vestibule où était la grande chaire 1. Je vis des prêtres offrir de l'encens dans le sanctuaire ; on alluma aussi des lampes, et il y avait de la lumière sur le chandelier à sept branches, mais ne pas sur les sept branches à la fois. J'ai souvent vu que dans différentes occasions, diverses branches du chandelier étaient allumées.
Cette indication est confirmée par la note suivante. Suivant la tradition juive, même dans l'holocauste, plusieurs parties, notamment le nervus femoris, le nerf de la hanche, qui, dans la lutte de Jacob avec l'ange, fut touché par celui-ci et se dessécha (statim emarcuit, (Gn 32,25), n'étaient pas brûlées sur l'autel, mais près de là, vers l'orient, sur ce qu'on appelait le monceau de cendres.
Lorsque la fumée de l'encens s'éleva, je vis comme un rayon de lumière tomber sur le prêtre qui l'offrait dans le sanctuaire, et aussi sur Joachim qui était dans la salle extérieure. Il y eut un temps d'arrêt dans la cérémonie, comme si l'on se fût aperçu d'une intervention surnaturelle. Je vis alors deux prêtres, comme poussés par un ordre divin, aller trouver Joachim dans la salle et le conduire, par des chambres latérales, à l'autel d'or des parfums. Alors le prêtre plaça quelque chose sur l'autel. Je vis cela non pas comme des grains d'encens séparés, mais comme une masse compacte ; et je ne sais plus de quoi elle se composait 1. Cette masse se consuma, produisant une grande fumée et répandant un parfum agréable sur l'autel d'or de l'encens, devant le voile de Saint des saints. Je vis alors le prêtre quitter le sanctuaire, où Joachim resta seul.
Pendant que l'encens se consumait, je vis Joachim en extase, agenouillé et les bras étendus. Je vis une forme brillante, un ange paraître près de lui, comme plus tard auprès de Zacharie, après la promesse du Précurseur. Il lui donna un écrit sur lequel je lus, en lettres lumineuses, les trois noms d'Helia, d'Hanna et de Miriam 2, et, près de ce dernier nom, je vis l'image d'une petite arche d'alliance ou d'un tabernacle. Il plaça cet écrit sous ses habits, sur sa poitrine. L'ange lui dit que sa stérilité n'était pas pour lui une honte, mais une gloire, car ce que sa femme allait concevoir devait être le fruit immaculé de la bénédiction de Dieu sur lui, et le couronnement de la bénédiction d'Abraham.
1 C'était sans doute un mélange formé des ingrédients qui, suivant la tradition légale des Juifs, appartenaient au sacrifice journalier de l'encens, comme la myrrhe, la casse, le nard, le safran, le calmus odorant, la cannelle, le costus, le galbanum et l'encens mêlés avec du sel raffiné.
2 Au commencement, l'écrivain ne savait pas que ces trois mots n'étaient que d'autres formes des noms de Joachim, d'Anne et de Marie. Quand il apprit cela plus tard, il ne put s'empêcher d'en être frappé.
Comme Joachim ne pouvait pas comprendre cela, l'ange le conduisit derrière le rideau, qui était assez éloigné de la grille du Saint des saints pour qu'on pût s'y placer ; je vis l'ange s'approcher de l'Arche d'alliance, et il me sembla qu'il en retirait quelque chose. Je le vis alors présenter à Joachim un globe ou un cercle lumineux et lui ordonner d'y souffler et d'y regarder. Je vis, sous le souffle de Joachim, diverses images se montrer dans le cercle lumineux. Comme son haleine ne l'avait pas terni, l'ange lui dit que la conception d'Anne serait aussi pure que ce globe était resté pur sous son souffle.
Je vis ensuite l'ange élever le globe lumineux, qui resta suspendu en l'air, et j'y vis, comme par une ouverture' une série de tableaux liés ensemble et s'étendant de la chute de l'homme à sa rédemption. Il y avait là tout un monde où les choses naissaient les unes des autres : j'eus connaissance de tout, mais je ne puis plus donner les détails. Au haut, tout au sommet, je vis la très sainte Trinité ; au-dessous, d'un côté le paradis, Adam et Ève, la chute originelle, la promesse de la rédemption, toutes les figures qui l'annonçaient d'avance, Noé, le déluge, l'Arche, la bénédiction donnée à Abraham, la transmission de la bénédiction à son fils Isaac, et d'Isaac à Jacob ; puis, quand elle fut retirée à Jacob par l'ange avec lequel il lutta, comment elle passa à Joseph, en Égypte, et se montra dans lui et sa femme avec un plus haut degré de dignité ; puis comment la chose sainte où reposait la bénédiction, enlevée d'Égypte par Moise avec les reliques de Joseph et d'Asnath, sa femme, devint le Saint des saints de l'Arche d'alliance, le siège du Dieu vivant au milieu de son peuple ; puis je vis le culte et la vie du peuple de Dieu dans leurs rapports avec ce mystère, les dispositions et les combinaisons pour le développement de la race sainte, de la lignée de la sainte Vierge, ainsi que toutes les figures et les symboles de Marie et du Sauveur dans l'histoire et dans les prophètes. Je vis tout cela en tableaux symboliques, dans la circonférence lumineuse, je vis de grandes villes, des tours, des palais, des trônes, des portes, des jardins, des fleurs, et toutes ces images merveilleusement liées entre elles comme par des ponts de lumière : tout cela était comme attaqué et assailli par des bêtes furieuses et d'autres apparitions terribles. Tous ces tableaux faisaient voir comment la race de la sainte Vierge, de même que tout ce qui est saint, avait été conduite par la grâce de Dieu à travers beaucoup de combats et d'assauts. Je me souviens d'avoir vu, à un certain point de cette série de tableaux, un jardin entouré d'une forte haie d'épines, à travers laquelle une quantité de serpents et d'autres bêtes hideuses s'efforçaient en vain de passer. Je vis aussi une forte tour, à l'assaut de laquelle montaient de tous côtés des guerriers qui étaient précipités du haut des remparts. Je vis beaucoup d'images de ce genre qui se rapportaient à l'histoire de la sainte Vierge dans ses ancêtres : les passages et les ponts qui unissaient le tout signifiaient la victoire remportée sur des obstacles et des interruptions apportées à l'oeuvre du salut.
Il semblait qu'une chair sans tache, un sang de toute pureté, avaient été placés par Dieu au milieu de l'humanité, comme dans un fleuve d'eau trouble, et devaient, avec beaucoup de peine et d'efforts, réunir leurs éléments dispersés, pendant que le fleuve tâchait de les attirer à lui et de les ternir ; mais enfin, avec l'aide des grâces innombrables de Dieu et de la coopération fidèle des hommes, cela devait, après bien des obscurcissements et des purifications, subsister dans le fleuve, qui renouvelait sans cesse ses flots, et s'élever enfin hors de ce fleuve, sous la forme de la sainte Vierge, de laquelle est né le Verbe fait chair qui a habité parmi nous.
Parmi les images que je vis dans le globe lumineux, il y en avait beaucoup qui se trouvent mentionnées dans les Litanies de la sainte Vierge ; je les vois, je les comprends, et je les considère avec une profonde vénération quand je récite ces litanies. Ces tableaux se développaient ultérieurement jusqu'à l'accomplissement parfait de l'oeuvre de la miséricorde divine envers l'humanité tombée dans une division et un déchirement infinis : ils allaient du côté du globe lumineux opposé à celui où était le Paradis, aboutir à la Jérusalem céleste', au pied du trône de Dieu. Lorsque j'eus vu tout cela, le globe lumineux, lequel n'était autre chose que la série de tableaux, partant d'un point et y revenant après avoir formé un cercle de lumière, s'évanouit. Je crois que ce fut une révélation qui fut faite à Joachim par les anges, sous forme de vision, et dont j'eus aussi connaissance. Quand je reçois une communication de ce genre, elle m'apparaît toujours dans une circonférence lumineuse.
La vénérable Marie de Jésus, supérieure des Franciscaines d'Agreda, raconte, dans ses visions sur la vie de la sainte Vierge, comment il lui lut expliqué que la nouvelle ou céleste Jérusalem (Ap 22) n'était autre que la sainte Vierge elle-même. Voyez la Cité mystique de Dieu, 1ère partie, ch. 17 et 18.-Saint Jean Chrysostome, dans son discours pour la fête de l'Annonciation, fait ainsi parler Dieu à l'ange Gabriel : " va vers la cité vivante dont le Prophète dit : Des choses glorieuses ont été dites de toi, cité de Dieu ". ( Ps Ps 86) Saint Georges, évêque de Nicomédie (septième siècle), dans son discours sur la Présentation de Marie, appelle la sainte Vierge la cité vivante de Dieu. etc. Dans le petit office de la très sainte Vierge, l'antienne du (Ps 76) est ainsi conçue : Sicut loetantium omnium nostrûm habitatio est in te, sancta Dei genitrix, quoique ce verset, pris dans le sens littéral, s'applique à Jérusalem, etc.
Je vis ensuite l'ange marquer ou oindre le front de Joachim avec le pouce et l'index, puis lui faire manger d'un aliment lumineux et lui faire boire d'un liquide transparent contenu dans une petite coupe brillante qu'il tenait avec deux doigts. Elle était de la forme du calice de la sainte Cène, mais n'avait pas de pied. Il me sembla qu'il lui entrait alors dans la bouche comme un petit épi de blé et une petite grappe de raisin lumineux, et je connus par là que la concupiscence et l'impureté, suite du péché, étaient sorties de lui.
Je vis ensuite l'ange communiquer à Joachim le plus haut degré et comme la plus sainte fleur de cette bénédiction que Dieu avait communiquée à Abraham, et qui plus tard était devenue l'objet le plus sacré de l'Arche d'alliance. Il donna cette bénédiction à Joachim de la même manière que dans une autre occasion j'avais vu Abraham la recevoir d'un ange, mais avec cette différence que pour Abraham l'ange avait semblé tirer la bénédiction de lui-même, comme de son sein, tandis que pour Joachim, il la prit dans le Saint des saints 1.
Lors de la bénédiction d'Abraham, ce fut comme si Dieu mettait en lui la grâce de cette bénédiction, et bénissait par elle le père de son peuple futur, afin que les pierres dont son temple devait être bâti sortissent de lui ; mais lorsque Joachim la reçut, ce fut comme si l'ange tirait du tabernacle de ce temple le symbole sacré de la bénédiction et le donnait à un prêtre, pour faire de lui le vase saint dans lequel le Verbe devait être fait chair.
Il me fut révélé que Joachim, avec cette bénédiction, reçut le fruit définitif et l'accomplissement proprement dit de la promesse faite à Abraham, la bénédiction dont devait résulter la conception immaculée de la très sainte Vierge, destinée à écraser la tête du serpent.
L'ange reconduisit ensuite Joachim dans le sanctuaire et disparut. Joachim, ravi en extase, tomba sans connaissance. Les prêtres, en rentrant, le trouvèrent là, je visage rayonnant de joie. Ils le relevèrent avec respect, et le portèrent sur un siège où d'ordinaire les prêtres seuls s'asseyaient. Ils lui lavèrent là je visage, lui tinrent sous le nez quelque chose qui répandait une odeur fortifiante, lui donnèrent à boire, et firent pour lui ce qu'on fait pour quelqu'un qui a perdu connaissance. Quand Joachim fut revenu à lui, il parut lumineux, plein de force et comme rajeuni.
Note La narratrice qui, en communiquant ses nombreuses visions de l'Ancien Testament, a souvent parlé avec détail de l'Arche d'alliance, n'a jamais dit que la première arche ait été de nouveau, avec tout ce qu'elle contenait, dans le temple rebâti après la captivité de Babylone, ou, plus tard, dans celui qu'Hérode restaura. Cependant elle a dit que dans le Saint des saints du dernier temple, il y avait une nouvelle arche d'alliance où étaient conservés quelques restes des symboles sacrés de la première.
Joachim avait été conduit dans le sanctuaire par suite l'un avertissement d'en haut. Il fut conduit par suite d'une inspiration semblable dans un passage consacré qui conduisait sous le temple et sous la porte dorée. Il m'a été communiqué quelque chose sur la signification et l'origine de ce passage, et aussi sur sa destination, mais je ne puis plus le rapporter clairement. Je crois que l'usage de ce passage se rattachait à une cérémonie religieuse qui avait lieu pour la réconciliation et la bénédiction des personnes stériles. On était conduit par ce chemin, dans certaines circonstances, pour des purifications, des expiations, des absolutions et autres choses de ce genre.
Les prêtres conduisirent Joachim à ce passage par une petite porte voisine de la cour où l'on immolait les victimes ; après quoi ils s'en retournèrent. Joachim continua à Suive ce chemin, qui allait en descendant.
Anne était aussi venue au temple avec sa servante, qui portait les colombes du sacrifice dans des corbeilles à jour. Elle avait remis son offrande et fait connaître à un prêtre que l'ange lui avait ordonné d'aller trouver son mari sous la porte dorée. Je vis alors que les prêtres, en compagnie de femmes respectables, parmi lesquelles se trouvait, je crois, la prophétesse Anne, la conduisirent a une autre entrée du passage consacré, où ils la laissèrent seule.
Je vis la manière merveilleuse dont était disposé ce passage. Joachim entra par une petite porte après laquelle on allait en descendant. Le passage était d'abord étroit, puis il s'élargissait. Les murs brillaient d'un reflet doré et vert ; une lumière rougeâtre y entrait par en haut. J'y vis de belles colonnes semblables à des arbres et à des ceps de vigne ornés de guirlandes.
Quand Joachim fut arrivé au tiers à peu près de la longueur du passage, il s'arrêta à un endroit où s'élevait une colonne faite comme un palmier, avec ses branches pendantes et ses fruits ; ce fut là qu'Anne, toute rayonnante de joie, vint à sa rencontre. Ils s'embrassèrent dans un mouvement de sainte allégresse et se communiquèrent leur bonheur. Ils étaient ravis en extase et entourés d'une nuée brillante. Je vis cette lumière partir d'une troupe d'anges, qui, portant comme une haute tour lumineuse, planaient sur Anne et Joachim. Cette tour était faite comme la tour de David, la tour d'ivoire, etc., que je vois à l'occasion des Litanies de la sainte Vierge. Elle sembla disparaître entre Anne et Joachim, et une gloire lumineuse les entoura.
Je reconnus alors que, par l'effet d'une grâce toute particulière de Dieu, la conception de Marie avait été aussi pure que l'aurait été toute conception sans le péché originel. J'eus en même temps une intuition que je ne puis rendre. Le ciel s'ouvrit au-dessus d'eux ; je vis la joie de la sainte Trinité et des anges et la part qu'ils prenaient à la bénédiction mystérieuse accordée aux parents de Marie.
Anne et Joachim marchèrent en louant Dieu jusqu'à la sortie sous la porte dorée. Le chemin, à son extrémité, allait en remontant. Ils passèrent sous une grande et belle arcade, et se trouvèrent dans une espèce de chapelle où étaient plusieurs flambeaux allumés. Ils furent reçus là par des prêtres, qui les conduisirent dehors.
La partie du temple où était la salle du grand conseil se trouvait au-dessus du passage souterrain, un peu au delà du milieu ; au dessus de son extrémité étaient, je crois, des logements pour les prêtres chargés du soin des vêtements sacerdotaux.
Joachim et Anne arrivèrent à une espèce d'échancrure au bord extrême de la montagne du temple, vis-à-vis de la vallée de Josaphat. On ne pouvait pas aller plus loin dans cette direction ; le chemin tournait à droite ou à gauche' ils firent encore une visite dans la maison d'un prêtre ; puis je les vis avec leurs gens reprendre le chemin de leur demeure. Arrivé a Nazareth, Joachim fit un festin de réjouissance, donna à manger à beaucoup de pauvres et répandit de grandes aumônes. Je vis la joie, la ferveur des deux époux, leur reconnaissance envers Dieu en pensant à sa miséricorde envers eux ; je les vis souvent prier ensemble les yeux baignés de larmes.
Il me fut expliqué, à cette occasion, que les parents de la sainte Vierge l'engendrèrent dans une pureté parfaite et par l'effet de la sainte obéissance. Si ce n'eût été pour obéir à Dieu, ils auraient gardé perpétuellement la continence. J'appris en même temps comment la pureté, la chasteté, la retenue des parents et leur lutte contre le vice impur ont une influence incalculable sur la sainteté des enfants qu'ils engendrent. En général, je vis toujours dans l'incontinence et l'excès la racine du désordre et du péché.
Brentano - Bse Emmerich, Vie Vierge Marie - V Joachim et Anne s'établissent à Nazareth. Stérilité de sainte Anne. Douleur des saints époux. Leur ardent désir de l'accomplissement de la promesse.