Chrysostome Homélies 62000

HOMÉLIE SUR CE SUJET: QU'IL NE FAUT PAS DÉSESPÉRER DE SOI-MÊME NI PRIER CONTRE SES ENNEMIS

ni se décourager quand la prière n'est pas exaucée, et que les maris doivent vivre en paix avec leurs femmes.

ANALYSE.

1. L'orateur éprouve de la joie en voyant les fruits de componction produits par son dernier discours. - 2. Pour bien prier il faut se souvenir de ses péchés et ne pas se souvenir de ses bonnes actions. - 3. Quand Dieu veut faire un grand miracle, il prépare le monde par des figures. Ainsi des femmes stériles enfantent pour disposer les esprits à croire l'enfantement virginal; ainsi Jonas rejeté par la baleine figure le Christ sortant vivant des entrailles de la mort. La mort avait avalé la pierre angulaire, elle n'a pu la digérer, elle l'a rejetée et avec elle tout le genre humain. - 4. Sarra, figure de l'Eglise. - 5.- 6. Déductions morales à tirer de ses dogmes. - 7. - 8. Une épouse doit être tolérée malgré ses défauts. Puissance de la prière.


62001 1. Je vous suis très-reconnaissant du bon accueil que vous avez fait à mon sermon sûr la prière; vous m'avez rendu bienheureux, car bienheureux est l'orateur à qui l'on prête l'oreille. (Qo 25,12) Ce ne sont pas seulement vos applaudissements et vos éloges qui m'ont prouvé votre attention, mais c'est la conduite que je vous ai vu tenir. En effet, quand je vous défendais de prier contre vos ennemis, ajoutent que ceux qui le font irritent Dieu et vont à l'encontre de sa loi (car, puisqu'il a dit: Priez pour vos ennemis (Mt 5,44), si nous prions contre eux, nous lui demandons de violer lui-même sa loi; pendant que je parlais ainsi, je voyais beaucoup d'entre vous qui se frappaient la figure et la poitrine, en versant des larmes amères, et qui levaient les mains au ciel pour implorer le pardon de semblables prières. Alors, levant moi-même mes regards vers Dieu, je lui ai rendu grâces des fruits si rapides qu'avait produits mon discours. En effet, telle est la semence spirituelle, elle n'a pas besoin d'années, de temps ni de jours, mais quand elle pénètre une âme généreuse; elle donne sans retard des épis vigoureux et parfaits; voilà ce, qui s'est passé hier pour vous. J'avais semé la componction et j'ai recueilli les gémissements de la confession, gémissements qui sont les richesses des gens de bien. Car si ce publicain en se frappant la poitrine et en disant: Soyez propice à un pécheur comme moi (Lc 25,25), se retira plus justifié que le pharisien, quelle indulgence. ne devons-nous pas:attendre pour avoir montré tant de componction en si peu de temps? Observez qu'il n'est rien de pire qu'un publicain, c'est la limite du mal; aussi, quand le Christ veut indiquer ce qu'il y a de plus mauvais, il cite toujours la courtisane et le publicain. En lui, en effet, se trouvent la violence sans crainte, la rapine sans répression, l'avarice sans honte, le trafic sans raison, le négoce sans pudeur. Cependant, celui qui avait (276) vécu au milieu de toutes ces infamies, a pu les réparer avec quelques mots seulement, et recevoir même plus qu'il n'avait demandé. Car, il avait dit: Soyez propice à un pécheur comme moi, et Dieu non-seulement lui a été propice, mais l'a justifié plus que le pharisien. Aussi, Paul dit-il: Il peut tout faire de manière à dépasser nos prières et nos pensées. (Ep 3,20) Cependant, le pharisien avait prié, il s'était tenu dans le temple, il avait invoqué le même Dieu, il avait dit plus de paroles et commencé sa prière par une action de grâces. D'où vient, cependant, qu'il a perdu les biens qu'il possédait, tandis que l'autre a obtenu la grâce qui lui manquait? C'est que la manière de prier n'était pas la même. L'une des prières était pleine d'arrogance, de faste et d'orgueil, l'autre de franchise. Ainsi celui qui succombait sous le poids d'innombrables péchés, s'en est vu complètement délivré; celui qui arrivait avec un navire chargé de bonnes actions, d'aumônes, de jeûnes; se brisant sur l'écueil de l'orgueil et de la vaine gloire a fait naufragé dans le port: car se perdre par une prière c'est échouer au port. Cependant cela n'arrive point par la nature de la prière, mais par la faute,de notre volonté.

62002 2. Vous voyez donc que pour notre salut la prière ne suffit pas, mais encore qu'il faut prier suivant les lois que le Christ a établies. Or, quelles lois a-t-il établies? De prier pour nos ennemis, même pour ceux qui nous affligent le plus. Faute de le faire, nous nous perdons entièrement, comme le prouve l'exemple du pharisien. Eh bien! si cet homme, qui n'avait point prié contre ses ennemis, mais qui n'était coupable que de vanité, a été ainsi puni, quel supplice attend ceux qui 'ne tarissent pas lorsqu'ils parlent contre leurs ennemis! Que fais-tu donc, mon ami? Tu viens pour demander pardon de tes péchés et tan âme est pleine de colère? Lorsque nous devrions être plus doux que jamais, puisque nous parlons au Seigneur, que nous implorons pour nos péchés sa miséricorde, sa clémence et son pardon, c'est alors que nous nous irritons, que nous ressemblons à une bête furieuse, et que notre bouche se remplit de fiel? Et comment pourrons-nous, dis-moi, obtenir notre salut si, tout en prenant une attitude suppliante, nous proférons des paroles insensées, et si nous irritons le Seigneur contre nous? Tu es venu pour guérir tes blessures et non pour envenimer celles de ton prochain: c'est le moment de l'expiation, de la prière et des gémissements, non celui de la colère; celui des larmes, et non de la fureur; celui de la componction et non de l'indignation. Pourquoi tout bouleverser? pourquoi te faire la guerre à toi-même? pourquoi détruire ta propre maison? L'homme qui prie doit avant tout avoir l'âme adoucie, l'esprit apaisé, le coeur contrit: mais celui qui crie contre ses ennemis, ne retirera aucun fruit de sa prière; il ne pourra jamais s'y appliquer avec le calme nécessaire.

Ainsi nous ne devons pas prier contre nos ennemis, mais nous ne devons pas non plus nous souvenir de nos bonnes actions, de peur qu'il ne nous arrive la même chose qu'au pharisien. Car s'il est bon de nous rappeler nos péchés, il n'est pas moins bon d'oublier nos bonnes actions. Pourquoi cela? Parce que le souvenir de nos bonnes actions nous entraîne à l'orgueil, tandis que le souvenir de. nos péchés nous inspire le mépris de nous-mêmes et l'humilité: ainsi l'un nous rend plus négligents et l'autre plus diligents. Car ceux qui pensent n'avoir aucun bien, deviennent plus actifs pour en acquérir: ceux qui croient posséder beaucoup se fient à leur richesse, ne montrent guère d'empressement pour en acquérir davantage.

62003 3. Oubliez donc vos bonnes actions afin que Dieu s'en souvienne. Il dit, en effet: Confesse le premier tes fautes, afin que tu sois justifié. (Is 40,3 Is 40,26); et aussi: J'oublierai tes fautes, mais ne les oublie pas (Is 40,3 Is 40,26).

Mais pourquoi Dieu a-t-il exaucé si promptement le publicain, tandis qu'il a laissé Isaac le prier pendant vingt ans et l'implorer pour son épouse, et que seulement alors il a exaucé les prières de ce juste? Il faut ici que je complète l'instruction que je vous ai donnée hier. Pourquoi, dis-je, cela s'est-il passé ainsi? Afin que l'exemple du publicain montre la bonté du Seigneur si prompt à exaucer, et que celui d'Isaac fasse voir la patience du serviteur dont la satisfaction est tardive, mais qui ne cesse de prier: afin que le pécheur ne désespère pas et que le juste ne se glorifie pas. Ce ne sont pas les personnes bien portantes, mais les malades qui ont besoin de médecin. (Mt 9,12) Le publicain était malade, aussi Dieu s'est empressé de lui tendre la main: Isaac était plus affermi, aussi Dieu a semblé (277) l'abandonner pour faire valoir sa patience. Mais ce n'est là qu'une considération accessoire. Pourquoi cette femme était-elle stérile? Il faut le dire: c'est afin que la foi ne vous manquât pas en voyant une vierge mère; c'est afin que, si un juif vous dit: comment a enfanté Marie? vous puissiez lui répondre. Comment ont enfanté Sarra, Rébecca et Rachel? En effet, quand un miracle inouï doit se manifester, il est précédé de signes précurseurs. Quand l'empereur doit passer, les soldats courent en avant pour que la foule soit prête à le recevoir; de même, quand un prodige éclatant va paraître, il est annoncé par des faits figuratifs qui avertissent le mondé de l'attendre: et nous préparent à son arrivée, en prévenant l'excès de notre étonnement.

Cela se voit aussi pour la mort du Christ. Jonas l'a précédé et a préparé notre esprit. Ainsi, la baleine l'a vomi après trois jours, né trouvant pas en lui l'aliment naturel qui lui convenait. Comparez, et voyez que l'aliment naturel qui convient à la mort est le péché; c'est là qu'elle a pris naissance, là qu'elle a pris racine, là qu'elle prend sa nourriture. Nous même, quand nous avons par imprudence avalé une pierre, notre estomac cherche d'abord à la digérer, mais bientôt il reconnaît que cette nourriture ne lui convient pas; il a beau faire, sa force digestive s'épuise sans résultat; alors ne pouvant plus supporter ce fardeau, il le vomit avec douleur. C'est ce qu'on a vu pour la mort elle-même.. Elle a avalé la pierre angulaire et n'a pu la digérer; toute sa force s'y est épuisée: elle a rejeté en même temps cette nature humaine qu'elle avait également absorbée: Aussi sera-t-elle obligée à la fin de la rendre tout entière. Si donc il y a eu jadis des femmes stériles, c'était pour nous avertir d'avoir foi dans l'enfantement virginal: ou plutôt ce n'était- pas seulement pour nous inspirer cette foi, c'était encore et surtout, si nous y réfléchissons profondément, pour nous faire voir que cette stérilité est la figure de la mort.

62004 4. Mais écoutez bien; car ce que nous avons à vous dire est du peu subtil. Nous allons expliquer comment la stérilité de Sarra nous conduit par la main au dogme de la résurrection. Comment nous y conduit-elle ainsi? De même que Sarra, qui était morte au point de vue de la génération, a été régénérée par un bienfait de Dieu pour faire croître et vivre le corps d'Isaac; de même. aussi le Christ étant mort a ressuscité par sa propre puissance. Et pour prouver que cette explication n'a rien de forcé, écoutez Paul, voici ce qu'il dit à propos d'Abraham. Il ne considéra pas que la vertu de concevoir était éteinte chez Sarra, mais il se confirma dans la foi en rendant gloire à Dieu, sachant bien que tout ce qu'il promettait il pouvait aussi le faire. (Rm 4,19-21) C'est-à-dire qu'un fils pouvait lui naître par la fécondation d'un corps stérile.. De plus, afin de nous conduire d'une croyance à l'autre, Paul ajoute: Cela n'a pas été seulement écrit pour Abraham, en faveur de qui ce miracle a été accompli, mais aussi pour nous. (Rm 4,23-24) Pourquoi? Cela s'accomplira aussi pour les hommes qui croient à celui par lequel Jésus Notre-Seigneur est ressuscité des morts. Voici ce qu'il veut dire. Dieu a fait naître Isaac d'un corps aussi froid qu'un cadavre; de même il a fait renaître son Fils, qui était devenu cadavre lui-même.

Mais voulez-vous trouver encore un autre symbole dans cette stérilité? L'Eglise était destinée à produire une multitude innombrable de fidèles: or, pour que vous conceviez comment elle a pu enfanter après avoir été si longtemps inféconde, infructueuse, stérile, une stérilité naturelle w précédé sa stérilité volontaire et Sarra a été la figure de l'Eglise: l'une a enfanté dans sa vieillesse, l'autre a enfanté dans les derniers temps. Pour le démontrer, écoutez Paul. Nous sommes les fils de la femme libre. (Ga 4,31) Comme Sarra, qui était libre, était la figure de l'Eglise, voilà pourquoi il dit: Nous sommes les fils de la femme libre. Et il ajoute: Nous sommes les fils de la promesse à l'exemple d'Isaac. (Ga 4,28) Qu'entend-il par cette promesse? De même que ce n'est pas la nature qui a fait naître Isaac, de même ce n'est point la nature, mais la grâce de Dieu qui nous a engendrés. Et il dit encore: La Jérusalem céleste est libre, c'est elle qui est notre mère (Ga 4,26); cela signifie l'Eglise. Vous êtes parvenus, dit-il, à la montagne de Sion, à la cité du Dieu vivant, à la Jérusalem céleste et à l'Eglise des premiers-nés. (He 12,22) Du reste si la Jérusalem céleste est l'Eglise, Sarra représente cette Jérusalem céleste, puisqu'il dit: Elles sont deux, l'une qui engendre dans la servitude, c'est Agar: l'autre, la Jérusalem d'en-haut est libre; c'est elle qui est notre mère. (Ga 4,24-26) Il est clair que Sarra, par sa stérilité, puis par son (278) enfantement, représente cette Jérusalem céleste.

62005 5. Je sais que tout cela est bien subtil, mais avec de l'attention, nous pourrons tout saisir. Nous avons envisagé le côté mystérieux et dogmatique, mais, si vous le voulez, j'entrerai dans des considérations plus pratiques. Rébecca était stérile, afin de faire éclater la pureté de son mari: il ne la répudia point; bien qu'alors aucune loi ne s'y opposât, il ne prit pas une autre femme pour remplacer son épouse de race libre. Cependant c'est ce que font bien des gens sous prétexte d'avoir des enfants et en réalité pour satisfaire leur libertinage: ils renvoient les unes, appellent les autres, excitent contre elles les concubines et rem plissent leurs maisons de mille discordes. Mais ce juste n'en agit pas ainsi: content de la femme que Dieu lui avait donnée, il priait le Maître de la nature d'étendre pour lui les bornes de la nature, et il ne reprochait rien à sa femme. Comment prouver qu'il ne lui reprochait rien? Par l'Ecriture elle-même. S'll lui eût fait des reproches, l'Ecriture l'aurait aussi raconté et ne l'aurait point passé sous silence. En effet, elle raconte les bonnes et les mauvaises actions des justes afin que nous imitions les unes et que nous évitions les autres. Aussi quand sa bru Rachel se plaignait à son mari, fils d'Isaac, et que celui-ci répondait durement, l'Ecriture a tout rapporté et n'a rien caché, quand elle lui dit: Donne-moi des enfants, ou je meurs. Que répond-il? Je ne suis pas Dieu, c'est lui qui t'a privée du fruit de tes entrailles. (Gn 30,1-2) Cette demande que fait la femme, donne-moi des enfants, manque de raison. Tu dis à ton mari: donne-moi des enfants, sans tenir compte du Maître de la nature. Aussi le mari, par sa réponse sévère, repoussa sa demande insensée et lui montra à qui elle devait être faite. Mais Isaac ne dit rien de semblable et aussi sa femme ne lui fit ni plainte, ni lamentations.

Ces exemples nous enseignent en même temps la chasteté et la foi. Le mari retrouve sa foi en priant Dieu; sa pureté éclate en ce qu'il ne répudie point sa femme; enfin, quand il ne lui reproche rien et qu'il ne désespère point, il met en évidence sa patience et sa modération, ainsi que sa bonté et son amour pour sa femme. Il n'a point agi comme bien des personnes maintenant qui, en pareilles circonstances, ont recours aux philtres et aux sortilèges, toutes choses superflues, inutiles, nuisibles, et qui ne servent qu'à perdre l'âme, il négligea toutes ces ressources, et, dédaignant tous les secours humains, il ne s'adressa qu'au Seigneur de la nature qui peut seul accomplir de tels voeux.

62006 6. Ecoutez cela, maris et femmes, étudiez-le, et imitez tous ce juste. Que la femme ne respecte rien plus que son mari; que le mari n'aime rien plus que sa femme. La sauvegarde de l'existence. c'est l'accord du mari et de la femme, c'est là ce qui conserve l'univers. De même qu'un édifice s'écroule quand les fondements sont ébranlés, de même la discorde entre les époux bouleverse toute la vie. Voyez en effet! le Monde est fait de villes, les villes de maisons, et chaque maison contient un mari et sa femme. Si donc la concorde n'existe pas dans les ménages, le désordre s'étendra jusqu'aux villes; si les villes sont troublées,-l'univers entier sera plein de séditions, de guerres et de combats. C'est pour cela que Dieu fait de cette concorde une recommandation toute particulière, c'est pour cela qu'il défend de répudier sa femme, excepté pour cause d'adultère.

Mais, direz-vous, si elle est insolente, prodigue et luxueuse, si elle a une foule d'autres défauts? Supportez cela avec constance, et ne la renvoyez pas à casse de ses vices, mais corrigez ces vices eux-mêmes. Vous êtes à la tête du ménage, c'est pour en guérir le corps. En effet, notre corps aura beau avoir mille plaies, jamais,. nous ne le séparerons de la tête. De même ne vous séparez pas de votre femme, car elle est comme votre corps. Aussi saint Paul disait: un mari doit aimer sa femme comme si c'était son propre corps. (
Ep 5,28) La même loi s'étend aussi aux femmes. De même que tu entretiens et que tu cultives ta tête, ô femme, de même tu dois soigner ton mari: et ce n'est pas sans raison que nous insistons sur cette nécessité. Je sais combien d'avantages procure la concorde entre mari et femme, je sais combien la discorde entraîne de maux. Alors la richesse, le bonheur d'avoir des enfants nombreux et vertueux, les magistratures et la puissance, la gloire, les honneurs, les délices, le luxe et toutes les félicités imaginables, ne peuvent réjouir un mari et une femme qui sont en querelle.

62007 7. Voilà donc quelle doit être notre principale étude. Votre femme a un défaut? faites ce qu'a fait Isaac: priez Dieu. S'il a pu, par la (279) puissance de la prière, suppléer à l'impuissance de la nature, nous pourrons à plus forte raison, corriger les vices de la volonté; si nous invoquons Dieu assidûment. Si Dieu voit que par amour pour sa loi, vous supportez avec constance les défauts de votre femme, il vous aidera à la corriger et vous récompensera de votre patience. Comment savez-vous si vous sauvez votre femme? Comment savez-vous si vous sauvez votre mari? (1Co 7,16) Ne vous découragez pas, ne désespérez pas. Elle peut se corriger, et quand même elle ne se corrigerait pas, votre patience est toujours méritoire. Mais si vous la répudiez, vous êtes pécheur tout le premier, puisque vous transgressez la loi, et vous êtes adultère au jugement de Dieu. Quiconque, dit-il, renverra sa femme, autrement que pour adultère, l'entraîne à l'adultère. (Mt 5,32)

Souvent vous prenez une femme plus difficile que la première, vous n'avez fait que changer un mal pour un pire et votre repos n'y gagne rien. Si la seconde vaut mieux que la première, vous ne pouvez pas goûter avec elle des plaisirs purs, en songeant que vous êtes regardé comme adultère à cause de celle que vous avez renvoyé; et, en effet, ce divorce est un adultère. Ainsi, quand vous voyez se présenter une difficulté dans le mariage ou dans toute autre chose, ayez recours à Dieu; lui seul peut nous tirer des embarras de la vie; en effet, la prière est Une arme bien puissante. Je l'ai dit souvent, je le dis maintenant, et je ne cesserai point de le dire: Si pécheur que wons soyez, considérez le publicain qui a été exaucé, qui s'est purifié de tant de péchés. Voulez-vous savoir ce que peut la prière? Auprès de Dieu même, l'amour ne suffit point sans la prière. Ce n'est pas moi qui parle, car je n'oserais pas vous dire de moi-même une; chose aussi grave. Apprenez de l'Ecriture même que là où l'affection seule échoue, la prière réussit. Un de vous, ayant un ami, vient et lui dit Mon ami, prête-moi trois pains; l'autre ré pond: La porte est fermée, les enfants sont couchés, ne me tourmente pas. Eh bien!, je vous le dis; ce qu'il aurait refusé à l'amitié, il l'accordera à l'importunité et donnera tout ce qu'il faudra. (Lc 11,5 Lc 11,8) Vous voyez ainsi que l'affection n'a, point suffi sans la persévérance. Car le solliciteur était ami, mais pour qu'on ne croie pas que cela lui ait suffi; l'Ecriture dit: Ce qu'il aurait refusé à l'amitié, il l'accordera à l'importunité. Ainsi, dit-elle, l'amitié était impuissante, mais alors la persévérance réussira. Et sur qui cela s'est-il vérifié sur le publicain. Il n'était pas l'ami de Dieu, mais il l'est devenu: ainsi, même si vous êtes son ennemi, la persévérance vous rendra son ami. Voyez encore la Chananéenne et écoutez ce que le Christ lui dit d'abord: Il n'est pas ton de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. (Mt 15,26) Cependant comment l'a-t-il fait, si ce n'était pas une bonne action? Cette femme l'a rendue bonne par sa persévérance; ce qui nous enseigne que l'homme le moins digne d'un bienfait finit par le devenir En persévérant.

62008 8. Si je parle ainsi, c'est pour vous empêcher de dire: Je suis un pécheur, je n'ose parler, je ne puis prier. Celui-là est écouté qui croit ne pas l'être; celui, au contraire, qui est sûr de lui devrait craindre, tel que le pharisien: tandis que celui qui se regarde comme repoussé et indigne d'attention, est écouté plus qu'un autre; tel que le publicain. Voyez combien d'exemples vous en avez: la Chananéenne, le publicain, le voleur sur la croix, l'ami que la parabole nous représente mandant trois pains et les obtenant, non par amitié, mais par importunité. Si chacun d'eux avait dit:je suis un pécheur, couvert de tant de honte que je ne dois pas me présenter; cela n'aurait servi à rien. Mais comme chacun d'eux n'a pas considéré la grandeur de ses péchés, mais l'inépuisable bonté de Dieu, il a été confiant et audacieux: tout pécheur qu'il était, il a demandé plus qu'il ne croyait mériter, et il a réussi à l'obtenir.

Songeons à tous ces exemples et gardons-en la mémoire: prions sans cesse avec vigilance, avec confiance, avec un bon espoir, avec un zèle infatigable. Toute cette ardeur que d'autres mettent à faire des voeux contre leurs ennemis, mettons-la à prier pour nos ennemis, pour leurs frères, et nous obtiendrons en même temps la satisfaction de nos désirs personnels. Car notre bienfaiteur est si bon pour nous qu'il désire encore plus donner que nous ne désirons recevoir. Ainsi, bien pénétrés de tous ces exemples, quand même nous serions tombés au plus profond abîme de la perversité, ne désespérons pas, même alors, de notre salut, mais présentons-nous avec une bonne espérance, et persuadons-nous que nous obtiendrons tout ce que nous demanderons, pourvu (280) que nous le demandions en observant la loi portée par celui qui peut tout faire de manière à dépasser nos prières et nos pensées. (
Ep 3,20)

Au Christ, Souverain tout-puissant, notre Dieu, appartient gloire, honneur et adoration, ainsi qu'au Père éternel et au Saint-Esprit, principe de toute vie, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. HOUSEL.






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HOMÉLIES SUR LA DISGRACE D'EUTROPE.


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Première homélie.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

L'eunuque Eutrope, homme de la plus basse extraction et sans aucun mérite réel, à force d'intrigues et de souplesse, était devenu tout-puissant auprès de l'empereur Arcadius, qui l'avait comblé d'honneurs et de richesses, et qui même venait de l'élever au consulat. Abusant de son crédit, il avait vexé le peuple et persécuté l'église; entre autres lois injustes, il en avait porté une pour abolir le droit d'asile dont jouissaient alors les temples. Il trouva dans saint Jean Chrysostome une âme ferme qui s'opposa à toutes ses entreprises, qui le reprit avec force de tous les abus qu'il faisait de son pouvoir, et qui lui représenta avec sincérité les périls que lui faisaient courir les excès auxquels il se livrait. Tout le peuple et tous les soldats auxquels se joignit l'impératrice, demandèrent à grands cris la déposition de cet odieux ministre, à l'empereur, qui, honteux lui-même de sa faiblesse, et ouvrant enfin les yeux, lui fit donner ordre de sortir sur-le-champ de la cour, avec défense d'y reparaître. Abandonné du prince et chargé de la haine publique, Eutrope ne trouva de ressource que dans la pieuse générosité de saint Jean Chrysostome qu'il avait souvent maltraité, et dans l'asile sacré des autels qu'il s'était efforcé d'abolir, et où il se réfugia dans sa disgrâce. L'empereur envoie plusieurs de ses gardes pour l'en arracher par force; Chrysostome s'oppose à leur violence, il défend un ennemi mortel dont il s'était attiré la haine par sa vertu, et obtient du prince qu'Eutrope puisse demeurer en sûreté dans l'enceinte de l'église. Tous les soldats qui se trouvaient alors à Constantinople, s'assemblent aussitôt autour du palais; ils poussent de grands cris, font retentir leurs armes, et veulent qu'on leur livre Eutrope pour en faire justice. Arcadius se présente à cette multitude mutinée; ses ordres ne sont pas écoutés, il faut qu'il ait recours aux prières: il les conjure de respecter l'asile sacré des autels; et ce n'est qu'à force de larmes qu'il vient à bout de calmer leur. fureur. Le lendemain, jour destiné à la célébration des saints mystères, le peuple accourut en fouie pour voir humilié et abattu celui qu'il avait vu si insolent dans la prospérité. La plupart étaient animés contre lui; ils étaient fâchés qu'on lui eût ouvert l'église, ils auraient voulu ou l'immoler eux-mêmes à leur vengeance, ou qu'on l'eût livré à la haine publique.

Saint Jean Chrysostome entreprend de les toucher et de les attendrir en faveur de ce malheureux, de faire succéder dans leur âme les sentiments de la douceur et de la compassion à ceux de l'indignation, et de la haine, et de les engager même à demander sa grâce à l'empereur. Sans chercher à justifier Eutrope, il montre dans sa personne un exemple frappant de l'instabilité des grandeurs humaines et de la fragilité des biens de ce siècle, et il le montre d'une manière si vive et si touchante, il mêle avec tant d'art les divers mouvements dont il fait usage, qu'il change absolument la disposition de son auditoire et le fait fondre en larmes. Abondance d'images, variété et gradation de sentiments, richesse de pensées et d'idées douces et simples, grandes et sublimes; voilà ce que nous offre l'homélie sur la disgrâce d'Eutrope, un des plus beaux discours, sans douté, qui nous soient venus de l'antiquité.

On pourra être choqué dans ce discours des paroles un peu dures que l'orateur lance contre un malheureux étendu à ses pieds, et qu'il lui adresse souvent à lui-même; mais, il ne faut pas oublier que le peuple extrêmement animé contre cet homme auquel S. Chrysostome avait donné refuge, et qu'il fallait en quelque sorte flatter d'abord le ressentiment populaire pour le calmer ensuite.

Le discours de saint Jean Chrysostome eut son effet; il sauva pour le moment la vie d'Eutrope, qui, quelques jours après ayant eu l'imprudence de sortir de l'église pour se sauver, fut pris et banni en Chypre. On le tira de cette île pour le ramener à Chalcédoine, où on lui fit son procès, et où il fut condamné à avoir la tête tranchée.

1.- 2. Admirable amplification. de ce texte: Vanité des vanités, etc. - 3. - 4. Eutrope, obligé de se réfugier dans l'église à laquelle il avait enlevé le droit d'asile. - 5. Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.


63101 1. Eternelle vérité, vérité actuelle surtout: Vanité des vanités, et tout est vanité! (Qo 1,2) Où est-elle maintenant la pompe brillante du consulat? où sont les splendides lumières? Où sont, et les applaudissements, et, les choeurs, et les banquets, et les fêtes? où sont les (281) couronnes et les draperies? et le bruyant frémissement de la ville; et, avec les courses du cirque, les acclamations triomphantes; et, avec les spectateurs, leurs flatteries? De toutes ces joies, plus rien: le vent, d'un souffle, a jeté sur la terre tout le feuillage, nous a montré l'arbre nu, ébranlé jusqu'à la racine; car tel a été le choc de la tempête, qu'elle menace d'arracher jusqu'à la racine de l'arbre, maintenant qu'elle a brisé tous les liens qui l'attachaient à la terre. Où sont-ils maintenant les amis fardés? où sont-ils ceux qui se rassemblent autour des coupes, autour, des tables? où est-il l'essaim des parasites? et le vin sans mélange, versé tant. que le jour dure; et les cuisiniers industrieux, et les courtisans de l'homme puissant, concertant pour lui plaire toutes leurs actions, tous leurs discours? C'était la nuit que tout cela, un songe; le jour a paru, évanouissement! c'étaient dies fleurs du printemps; le printemps passé, tout s'est flétri; c'était une ombre, et l'ombre a disparu; c'était un fruit qui s'est gâté; c'étaient des bulles d'air qui n'ont pu tenir; c'était une araignée, on a marché dessus. C'est pourquoi nous répétons cette parole de l'Esprit-Saint, sans nous lasser de la redire: Vanité des vanités, et tout est vanité! Car, cette parole, il faut l'inscrire, et sur les murs, et sur les vêtements, et dans la place publique, et dans les maisons, et dans les rues, et sur les portes, et dans les vestibules; et surtout, et toujours, c'est dans la conscience de chacun de nous, qu'il la faut incruster, pour la méditer sans relâche. Puisque les affaires, qui ne sont que tromperie, et les visages qu'hypocrisie et mensonge, paraissent aux yeux du grand nombre la vérité, cette parole, il n'est pas de jour qu'il ne soit nécessaire de la faire entendre; au moment du dîner, au moment du souper, dans tous les entretiens, chacun doit dire à son voisin, et, en même temps, le voisin doit dire Vanité des vanités, et tout est vanité! Me suis-je lassé de te répéter, que l'or est un esclave fugitif? Mais, toi, tu ne voulais pas nous écouter. Ne te disais-je pas que c'est un domestique ingrat? Mais, toi, tu ne voulais rien entendre. Et voici que les affaires, l'expérience te montrent que ce n'est pas seulement un fugitif, un ingrat, mais, de plus, un meurtrier: car c'est ton or, c'est lui qui fait maintenant que tu trembles et que tu as peur. Ne te disais-je pas, quand tes reproches continuels s'indignaient de ma véracité: je suis ton ami, moi, plus que tes flatteurs? je suis, moi qui te blâme, plus jaloux de tes intérêts que ceux qui veulent te complaire? N'ajoutais-je pas à ces paroles: crois-en plus les amis qui te blessent gire les ennemis t'apportant leurs baisers? Si tu avais supporté mes blessures, leurs baisers n'auraient pas enfanté cette mort pour toi: mes blessures produisent-la santé, taudis que leurs baisers t'ont causé une maladie incurable. Où sont maintenant les échansons? où sont-ils, les appariteurs, écartant la foule au milieu des places sur ton passage? et ces milliers de panégyristes chantant partout tes louanges? Ils ont pris la fuite, désavoué ton amitié; des périls où te jette leur abandon, ils se sont fait leur sûreté. Mais nous, nous ne sommes pas de ces hommes; mais nous, malgré ton aversion,. nous ne t'abandonnons pas, et, dans ta chute, nous t'enveloppons de nos soins. Oui, traitée par toi en ennemie, l'Eglise a étendu son voile; l'a déployé sur toi, et t'a reçu; taudis que ces théâtres, chers objets de tes soins, qui, tant de fois, ont suscité ta haine contre nous, t'ont trahi, perdu. Cependant, nous te disions toujours et sans cesse: que fais-tu? Pourquoi cette fureur contre l'Eglise? ce délire qui te pousse toi-même aux précipices? tu courais, sourd à tous nos cris. Et taudis que le cirque qui t'a gris tout ton or aiguise contre toi le glaive, l'Église, qui n'a jamais joui que de ta colère insensée, s'agite pour toi de toutes parts, autour de ces filets dent elle veut t'arracher.

63102 2. Et ces choses, je ne les dis pas pour fouler sons mes pieds celui que je vols renversé, mais pour affermir ceux qui sont encore debout, je ne fais pas à l'homme meurtri de nos vielles blessures, mais ceux qui sont jusqu'à présent sans blessures, je les veux conserver dans un état de santé que rien n'ébranle; je n'enfonce pas sous la vague l'homme déjà saisi par le tourbillon, mais aux. navigateurs que poussent les vents prospères j'enseigne ce qu'il faut savoir pour ne pas sombrer. Comment éviter ce malheur? Pensons à l'inconstance des choses humaines. Oui, si l'homme qui est devant vous avait craint cette inconstance; il ne subirait pas cette inconstance. Mais, puisque ni! chez lui, ni dehors, les conseils n'ont pu je corriger, vous, du moins, qui vous parez de vos richesses, faites votre profit de son infortune, car rien n'égale les choses humaines en fragilité. Quelques mots que vous employiez (283) pour faire entendre que cela n'a pas de valeur,,vous serez au-dessous de la vérité. On a beau dire une fumée, un brin d'herbe, un songe, des fleurs du printemps: de quelque nom qu'on désigne les choses humaines, caduques périssables, elles le sont plus encore, plus néant que le néant même. Et maintenant qu'il y ait à la fois dans les choses de ce monde néant et précipice, en voici la preuve. Quel homme fut plus élevé que celui-ci? La terre entière vit-elle rien d'égal à ses richesses? N'était-il pas monté au faîte des honneurs? N'est-il pas vrai que tous tremblaient, frémissaient devant lui? Mais, voici qu'à présent les prisonniers sont moins affligés que lui, les esclaves sont moins misérables, les mendiants, les affamés sont moins indigents; chaque jour, il voit les glaives aiguisés, et la fosse des criminels, et les bourreaux, et la mort au bout du supplice; il. n'a pas même le souvenir de sa grandeur passée; il ne jouit pas même des rayons du soleil; la pleine clarté du jour est comme la nuit la plus épaisse pour ce captif environné de murailles et privé de l'usage de ses yeux. Inutiles efforts d'un discours impuissant à exprimer l'angoisse d'un homme qui attend d'heure en heure le coup de la mort! Qu'est-il besoin de nos paroles, quand il s'est lui-même comme dessiné à nos yeux, nous montrant de son âme une si claire image? Hier, quand il vit venir à lui les gens du palais de l'empereur qui voulaient l'arracher violemment de ces lieux, quand il courut vers les vases sacrés, son visage était, voyez-le encore, absolument le visage d'un cadavre; ajoutez à cela le grincement de ses dents et le craquement de. ses membres, et le tremblement de tout son corps, et ses cris inarticulés, et sa langue engourdie, et tout son aspect enfin, n'eût-on pas dit, à le voir, que son âme s'était comme pétrifiée.

63103 3. Et si je parle ainsi, ce n'est pas que je veuille l'outrager, je lie foule pas sous mes pieds son infortune; au contraire, je veux vous fléchir, vous résoudre à la pitié, vous persuader qu'il doit vous suffire du châtiment qui a eu lieu. Puisqu'il y a parmi nous un grand nombre d'hommes qui nous accusent, nous aussi, et nous reprochent de l'avoir recueilli près de l'autel, c'est pour attendrir leur âme insensible que j'étale les souffrances de cet infortuné.

Voyons, d'où vient ton indignation, parle, mon ami, mon frère? C'est que, me répond-il, celui qui s'est réfugié dans le sein de l'Eglise, a combattu l'Eglise sans relâche. Eh bien! c'est précisément pour cette raison qu'il faut surtout rendre. gloire à Dieu. Dieu a permis que cet homme fût forcé de reconnaître et la puissance de l'Eglise et sa mansuétude: sa puissance, parc que l'homme précipité de si haut ne l'a été que pour avoir combattu l'Eglise; sa mansuétude, parce que l'Eglise combattue par lui étend sur lui maintenant son bouclier, et le reçoit sous ses ailes, et le met à l'abri de tous les périls; et, oubliant les injures passées; ouvre son sein pour le recevoir avec affection, avec amour. Voilà le plus glorieux de tous les trophées, voilà la victoire la plus éclatante, voilà ce qui ouvre les yeux des Gentils, voilà ce qui confond les Juifs! voilà ce qui met au visage de -l'Eglise de splendides rayons; voyez! son ennemi est chargé de chaînes; elle le prend, elle lui fait grâce; autour de l'infortuné, la solitude; tous le dédaignent: seule, comme une mère affectueuse, l'Eglise l'a caché sous ses voiles, et à la fierté du ressentiment impérial, et à la colère du peuple, et à une haine implacable, elle tient tête! voilà, par excellence, l'ornement du sanctuaire.

Quel ornement! me réplique-t-on: le monstre qui a tant à expier, ce cupide, ce pillard, on lui permet de toucher le sanctuaire! Ne prononcez pas ces paroles, puisque aussi bien la femme de mauvaise vie a touché les pieds du Christ, cette femme qui avait tant à expier, cette impudique; et il n'y avait pas là une raison d'accuser Jésus. Mais ce qui arriva fut un prodige digne d'être célébré dans des cantiques de gloire; car le Dieu pur n'a pas été souillé par la femme impure; mais celle qui avait tant à expier, la femme de mauvaise vie, au contact de l'être pur et sans reproche, a reconquis la pureté. Ne garde pas le souvenir des injures, ô homme! Nous sommes les serviteurs de Celui qui, sur la croix, disait: Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. (
Lc 23,34): Mais, me réplique-t-on, entre ce refuge et lui, lui-même amis un mur, que ses édits, que ses lois ont élevé. Mais, voyez donc! l'expérience lui a montré ce que valait ce qu'il a fait; et sa loi, il a été le premier à l'enfreindre, grâce à ce qu'il a fait; et le voilà le spectacle de la terre, et du lieu où il se trouve, son silence même est une voix qui avertit ainsi l'univers: Ne faites pas ce que j'ai fait, pour ne pas souffrir ce (284) que je souffre. Il nous instruit du haut de la tribune où l'a porté son malheur, et une grande clarté illumine l'autel, redoutable aujourd'hui surtout, et triomphant, parce qu'il tient le lion enchaîné. Car s'il est vrai que la splendeur impériale consiste à être assis sur le trône, revêtu de la pourpre et le front ceint du diadème, quel éclat n'ajoutent pas à la majesté de l'empereur les barbares qu'on voit à ses pieds, les mains liées au dos, la tête inclinée vers la terre! Mais ce qui prouve qu'il n'est pas besoin ici de la persuasion des discours, c'est l'empressement qui vous fait tous accourir. Car voici que le spectacle est brillant pour nous aujourd'hui, et l'assemblée est magnifique, et toute cette foule que j'ai vue, à la fête de Pâques, réunie dans le temple, je la revois encore ici à cette heure; le silence de cet homme, plus retentissant que les trompettes, a convoqué le peuple tout entier au cri qui s'échappe de la réalité de son malheur. Les jeunes filles ont laissé vides leurs chambres; les femmes, leurs gynécées; les hommes, la place publique, et, tous ensemble, vous vous êtes empressés d'accourir pour voir ici la nature humaine confondue, la fragilité des choses du siècle mise à nu, cette courtisane qui se nomme la foraine, avant-hier, hier, si resplendissante encore, aujourd'hui nous montrant un visage (car la prospérité fille de la rapine a des rides plus hideuses que la plus difforme décrépitude), d'où l'adversité, comme avec l'éponge, a fait disparaître le fard, le plâtre, tout l'éclat emprunté.

63104 4. Car voilà jusqu'où s'étend la puissance du coup que l'on vient de frapper: l'homme glorieux, l'homme illustre est devenu le plus vil de tous les misérables. Pour le riche qui se rend à ce spectacle, le profit est grand: car, à contempler la chute qui précipite d'un faite si élevé, celui qui d'un sine remuait le monde; à le voir ramassé sur lui-même; à voir que le lièvre timide, que la grenouille craintive connaissent moins que lui la terreur; à le voir, sans liens qui le retiennent, rivé à cette colonne où, à défaut de chaînes, l'épouvante l'étreint; à voir l'effroi, le tremblement qui l'agite, l'arrogance tombe, l'orgueil se dissipe, l'âme se prend à méditer ce qu'il est nécessaire de méditer des choses humaines, et l'on emporte dans son coeur, en se retirant, les paroles de l'Écriture, démontrées par la réalité, à savoir que, toute chair est une herbe des champs; toute gloire humaine comme une fleur des champs: l'herbe s'est desséchée, la fleur est tombée. (Is 40,6-7) Autres paroles: Comme l'herbe des champs, ils seront vite séchés; comme les plantes de nos jardins, ils seront vite tombés. (Ps 37,2) Autres paroles encore: Ses jours sont une fumée (Ps 102,4), et tous les exemples du même genre. Pour le pauvre, à son tour, qui entre et qui vient voir, il ne se prend plus en pitié; il ne gémit plus de son indigence; au contraire, il remercie sa pauvreté, qui est pour lui un sûr asile, un port sans tempêtes; un solide rempart: et, plus d'une fois, devant un tel spectacle, il lui arrivera de préférer sa condition présente à la courte possession de tous les biens de ce monde, inséparables du danger de voir bientôt son sang répandu. Comprenez-vous de quel rare profit, et pour les riches et pour les pauvres, et pour les petits et pour les grands, et pour les esclaves et pour les hommes libres; est le spectacle de ce réfugié? Comprenez-vous quel remède chacun doit emporter dans son coeur, s'il suffit de voir pour être guéri? Ai-je fléchi vos ressentiments, éteint votre colère, attendri votre dureté? Vous ai-je attirés à la compassion? Je n'en doute pas, j'en suis assuré, j'en crois vos visages, et vos larmes que je vois jaillir. Eh bien! puisque chez vous le roc s'est transformé en une terre fertile, en une grasse campagne, courage! quand le fruit de la miséricorde sera sorti de son gemme, quand le riche, épi de la sympathie et de l'amour se dressera devant nous, nous tomberons aux pieds de l'empereur, ou plutôt nous prierons le Dieu de mansuétude de fléchir la colère de l'empereur, d'attendrir son coeur, pour que nous obtenions tout entière la grâce de cet infortuné: Déjà, depuis le jour qu'il est venu chercher un refuge, les dispositions ont bien changé: Car aussitôt que l'empereur eut appris qu'il s'était précipité dans cet asile, que l'armée l'avait suivi, que les soldats, aigris par ses fautes, demandaient son supplice, il parla longtemps pour faire tomber leur colère; il ne voulait qu'on se bornât à rappeler les égarements mais qu'on se ressouvînt aussi de ses services, et qu'on tînt en compte, et il disait que sa connaissance ne les oubliait pas, que pour! torts de l'homme, il les pardonnait. Cependant l'indignation se réveillait, l'empereur avait été outragé; les soldats criant, trépignant, réclamant l'arrêt de mort, agitaient leurs lances; (285) des larmes coulèrent alors des yeux du plus clément des princes, il parla de la table sainte, refuge du malheureux, et c'est ainsi qu'il apaisa les colères.

63105 5. A nous maintenant d'ajouter les paroles qui conviennent à notre ministère. Quel pardon pourrez-vous mériter si, quand l'empereur outragé oublie son injure, vous, qui n'avez rien eu à souffrir, vous persistez dans votre haine implacable? Comment, au sortir de cette assemblée, prendrez-vous votre part de nos mystères? Comment pourrez-vous prononcer cette prière qui nous prescrit de dire: Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent (Mt 6,12), s'il vous faut le supplice de vôtre débiteur? Il vous a prodigué les injustices et les outrages? Nous ne voulons pas;en disconvenir. Cependant nous ne sommes pas à l'heure de la justice, mais de la pitié; ce n'est pas l'heure des comptes sévères, mais de la clémence; l'heure de l'examen, mais du pardon; l'heure de la sentence et du jugement, mais de la compassion et de l'indulgence. Plus de fureurs, plus de haines, mais bien plutôt prions le Dieu de clémence d'ajouter à ses jours, de l'arracher au supplice qui le menace, qu'il revienne lui-même de ses égarements; rendons-nous ensemble auprès du clément empereur; au nom de l'Eglise, au nom du sanctuaire, demandons-lui pour un seul homme, pour que cet homme vive, sa grâce, comme un présent offert à la table sainte. Si nous le faisons, l'empereur accueillera notre prière, et Dieu, avant l'empereur, agréera notre conduite, et récompensera magnifiquement notre humanité. Car, autant il hait et déteste l'homme cruel, autant il aime et chérit celui qui est doux et miséricordieux. Si c'est un juste, Dieu lui tresse de plus brillantes couronnes; si c'est un pécheur, Dieu ne voit plus ses péchés, et la sympathie, l'amour montré par ce pécheur aux compagnons de son exil sur la terre, est la mesure de l'amour que. le Seigneur lui réserve en échange. Car, c'est la miséricorde que je veux, dit le Seigneur, et non le sacrifice. (Os 6,6) Et partout l'Écriture nous montre Dieu recherchant la miséricorde et nous la représentant comme le meilleur moyen d'effacer les péchés. C'est donc ainsi qu'à notre tour nous nous rendrons notre Dieu favorable; c'est ainsi que nous réparerons nos fautes; c'est ainsi que nous serons la parure de l'Eglise; c'est ainsi que nous mériterons, comme je vous l'ai dit, les louanges d'un prince clément et les applaudissements de tout le peuple, et les extrémités de la terre admireront notre clémence et notre douceur, que toutes les bouches vont célébrer à l'envi: Hâtons-nous donc de jouir de ces grands avantages; à genoux, implorons, prions; arrachons à ses dangers le captif, le fugitif, le suppliant, pour qu'il nous soit donné à nous-mêmes d'obtenir les biens qui nous attendent, par la grâce et la miséricorde de Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et la puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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